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ART. 2 BISN°CD1048

ASSEMBLÉE NATIONALE
1er mars 2016

RECONQUÊTE DE LA BIODIVERSITÉ - (N° 3442)

Retiré

AMENDEMENT N°CD1048

présenté par

le Gouvernement

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ARTICLE 2 BIS

Rédiger ainsi cet article :

I. Après le titre IV bis du livre III du code civil, il est inséré un titre IV ter ainsi rédigé :

« Titre IV ter

« De la réparation du préjudice écologique

« Art. 1386‑19. - Indépendamment des préjudices réparés suivant les modalités du droit commun, est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique résultant d’une atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.

« N’est pas réparable, sur le fondement du présent titre, le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application.

« Art. 1386‑20. - L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à l’État, au ministère public et à l’Agence française pour la biodiversité. Elle est également ouverte aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné et, dans la limite de leur objet statutaire, aux établissements publics ayant pour objet principal la protection de l’environnement, aux associations de protection de l’environnement agréées au titre de l’article L. 141‑1 du code de l’environnement ou régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date à laquelle elles ont connu ou auraient dû connaître la manifestation du dommage et aux fondations reconnues d’utilité publique ayant pour objet principal la protection de l’environnement.

« Art. 1386‑21. - La réparation du préjudice mentionné à l’article 1386‑19 s’effectue par priorité en nature. Toute demande formée aux fins d’octroi de dommages et intérêts est irrecevable, sous réserve des dispositions prévues au présent article.

« En cas d’impossibilité de droit ou de fait, d’insuffisance ou de coût manifestement déraisonnable pour le responsable d’une telle réparation, le juge condamne ce dernier à verser à l’Agence française pour la biodiversité des dommages et intérêts qui sont affectés à des fins exclusives de protection de l’environnement ou de réparation environnementale.

« Lorsque le demandeur a exposé des dépenses pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, en éviter l’aggravation ou en réduire les conséquences, le juge peut condamner le responsable à les lui rembourser, dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées.

« L’évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà ordonnées, notamment dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions des articles L. 160‑1 et suivants du code de l’environnement.

« Art. 1386‑22. - En cas d’astreinte, celle-ci est liquidée au profit de l’Agence française de la biodiversité qui l’affecte aux fins mentionnées à l’article 1386‑21.

« Le juge se réserve le pouvoir de la liquider.

« Art. 1386‑23. - N’est pas recevable l’action en réparation d’un préjudice défini par l’article 1386‑19 au titre duquel une condamnation a été prononcée dans le cadre d’une précédente action dirigée contre le même défendeur. »

II. Après l’article 2226 du code civil, il est inséré un article 2226‑1 ainsi rédigé :

« Art. 2226‑1. - L’action en responsabilité tendant à l’indemnisation du préjudice écologique réparable en vertu du titre IV ter du présent livre se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage. »

III. Après le premier alinéa de l’article 2232 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ils ne peuvent avoir pour effet de porter le délai de la prescription mentionnée à l’article 2226‑1 au-delà de cinquante ans à compter du fait générateur. »

IV. À l’article L. 152‑1 du code de l’environnement, les mots : « trente ans à compter du fait générateur du dommage » sont remplacés par les mots : « dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage. Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter ce délai au-delà de cinquante ans à compter du fait générateur ».

V. Après l’article L. 164‑1 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 164‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 164‑2. – Les mesures de réparation prises en application du présent titre tiennent compte de celles ordonnées, le cas échéant, en application du titre IV ter du livre III du code civil. »

VI. Après l’article L. 211‑14 du code de l’organisation judiciaire, il est inséré un article L. 211‑15 ainsi rédigé :

« Art. L. 211‑15. - Des tribunaux de grande instance spécialement désignés connaissent des actions prévues au titre IV ter du code civil. »

VII. Les dispositions du présent article sont applicables :

1° À l’exception du IV, dans les îles Wallis et Futuna ;

2° Dans les Terres australes et antarctiques françaises.

EXPOSÉ SOMMAIRE

La prise de conscience de l’urgence d’une meilleure prise en compte de l’empreinte écologique des activités humaines donne lieu, depuis quelques années, à d’importantes évolutions juridiques visant à prévenir et sanctionner les atteintes à l’environnement.

La France a pris sa part dans cette évolution, de dimension mondiale. Elle a ainsi introduit le principe du pollueur-payeur dans son bloc de constitutionnalité, avec la Charte de l'environnement de 2005 et créé un régime spécifique de responsabilité environnementale, avec la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 transposant en droit français la directive européenne n°2004/35/CE du 21 avril 2004, tandis que des évolutions jurisprudentielles permettaient une indemnisation plus systématique des atteintes à l'environnement, notamment avec l’arrêt de principe de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 2012, rendu dans l’affaire du naufrage de l’Erika, consacrant la notion de « préjudice écologique ».

Pour autant, le droit classique de la responsabilité civile ne permet encore aujourd’hui que très imparfaitement la réparation du préjudice écologique « pur », constitué par l’atteinte à l’environnement en tant que tel, indépendamment des dommages pour l’homme.

Dans le prolongement de l’amendement de M. le Sénateur Bruno Retailleau, adopté par le Sénat le 16 mai 2013 et des réflexions conduites par le groupe de travail présidé par M. Yves Jégouzo (« Pour la réparation du préjudice écologique », rapport de septembre 2013), le présent projet d’amendement vise ainsi à introduire dans le code civil un dispositif complet de responsabilité environnementale, ayant pour objectif de permettre la réparation du préjudice écologique "résultant d'une atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement".

Les titulaires de cette action en responsabilité environnementale sont limitativement énumérés : ne peuvent ainsi l’engager que l’État, le ministère public et l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné et, dans la limite de leur objet statutaire, les établissements publics ayant pour objet principal la protection de l’environnement, les associations de protection de l’environnement agréées au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement ou régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date à laquelle elles ont connu ou auraient dû connaître la manifestation du dommage et les fondations reconnues d'utilité publique ayant pour objet principal la protection de l’environnement.

Le projet de loi privilégie la réparation en nature de l’atteinte à l’environnement, mais n'exclut pas, lorsque celle-ci s’avère impossible, l'allocation de dommages et intérêts à des fins exclusives de protection de l’environnement ou de réparation environnementale, affectés à l’Agence française pour la biodiversité, qui acquiert un rôle central.

Par ailleurs, le texte prévoit que l’atteinte à l’environnement autorisée par les lois, les règlements et engagements internationaux de la France ou par la délivrance d’un titre n’est pas susceptible d’ouvrir un droit à réparation. Une solution différente conduirait en effet à remettre en cause l’existence même d’une part importante du droit de l’environnement et notamment des polices de l’environnement, dans la mesure où celles-ci ont précisément pour finalité de fixer le cadre juridique des activités ayant une incidence sur l’environnement. En outre, l’absence d’une telle disposition ferait peser sur les bénéficiaires d’autorisations administratives qui respectent les règles auxquelles ils sont soumis un risque juridique excessif.

En application des règles générales du droit de la responsabilité, il est prévu que l’évaluation du préjudice écologique par le juge civil tienne compte des mesures de prévention et de réparation déjà mises en œuvre en application du code de l’environnement et notamment des dispositions transposant la directive 2004/35/CE relative à la responsabilité environnementale : c’est l’objet du troisième alinéa de l’article 1386-21 et de l’article 1386-23 du Code civil, ainsi que de article L. 164-2 du code de l'environnement, tels que résultant du projet d'amendement législatif.

La procédure est soumise à un délai de prescription de dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage, qui ne peut être porté au-delà de cinquante ans à compter du fait générateur.

Enfin, le projet de loi prévoit la spécialisation de certains tribunaux de grande instance pour connaître des actions en réparation du préjudice écologique.