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ART. 38N°II-6

ASSEMBLÉE NATIONALE
17 octobre 2016

PLF 2017 - (N° 4061)

Commission
 
Gouvernement
 

Rejeté

AMENDEMENT N°II-6

présenté par

M. Le Fur, M. Abad, M. Aboud, M. Aubert, M. Jean-Pierre Barbier, M. Berrios, M. Carré, M. Cinieri, M. Christ, M. Courtial, M. Couve, M. Daubresse, M. Decool, M. Degauchy, M. Delatte, M. Dhuicq, Mme Duby-Muller, M. Foulon, M. Fromion, M. Furst, M. Gandolfi-Scheit, M. Gaymard, M. Gérard, M. Gest, M. Goasguen, M. Gosselin, M. Goujon, Mme Grosskost, Mme Guégot, M. Guibal, M. Herbillon, M. Hetzel, Mme Lacroute, M. Lazaro, M. Le Ray, Mme Levy, M. Luca, M. Mariani, M. Olivier Marleix, M. Marlin, M. Marsaud, M. Philippe Armand Martin, M. Morel-A-L'Huissier, M. Myard, M. Nicolin, M. Perrut, Mme Pernod Beaudon, Mme Poletti, M. Quentin, M. Reiss, M. Reitzer, M. Riester, M. Salen, M. Siré, M. Suguenot, M. Tardy, M. Tétart, M. Tian, Mme Vautrin, M. Vitel et M. Voisin

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ARTICLE 38

Supprimer cet article.

EXPOSÉ SOMMAIRE

Le présent projet de loi de finances vise à permettre la mise en œuvre « irréversible » du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ( IR). À défaut de réaliser immédiatement la fusion IR/CSG, le gouvernement est donc sorti du bois.

La retenue à la source consiste à retenir immédiatement les sommes dues au titre de l’impôt sur le revenu sur le salaire direct du contribuable. Derrière cette mesure qui se veut simplificatrice, se cache une révolution majeure que je juge funeste dans le rapport des Français à l’impôt.

Il s’agit d’un choix de société, de l’expression d’une vision de la relation entre le contribuable et l’État. Ne nous y trompons pas, la retenue à la source constituerait une révolution majeure dans le rapport des Français à l’impôt. Notre démocratie, notre République est le fruit du débat sur l’impôt, sur son niveau d’acceptabilité. La Révolution française est née du débat sur l’impôt et a érigé en principe fondateur du socle républicain le principe du consentement à l’impôt.

Ce principe a pour contrepartie le principe de sensibilité de l’impôt. C’est parce qu’ils peuvent mesurer le niveau de l’impôt que nos compatriotes l’acceptent où le contestent.

Avec le prélèvement à la source, les entreprises auront une relation directe avec le trésor public, l’argent du contribuable étant versé directement par le comptable de l’entreprise à l’administration fiscale. Le salarié percevra ainsi une rémunération nette non seulement de cotisations sociales, comme c’est le cas actuellement, mais également d’IR.

Nous savons d’expérience que nos compatriotes salariés n’ont aucune conscience de ce que représentent les cotisations sociales prélevées sur leurs rémunérations. Nous savons également que nombre de consommateurs finaux n’ont qu’une vague idée de la TVA qu’ils payent bien que celle-ci figurent sur les tickets de caisse et les factures qu’ils acquittent.

La retenue à la source présente ainsi l’avantage pour un gouvernement -et c’est sans doute un motif inavoué de l’actuelle majorité - de rendre l’impôt indolore, anesthésiant... le mouton va se faire tondre sous anesthésie généralisée.

Cette réforme pose également plusieurs problèmes tant en terme de protection de la vie privée, que de perception de l’impôt et de mise en œuvre.

L’impôt sur le revenu étant très personnalisé, plus particulièrement très « familialisé » du fait du mécanisme du quotient familial, le gouvernement devra opérer un choix cornélien : mettre fin à cette personnalisation et à certains abattement fiscaux -solution suggérée par M. Piketty et dont les prémices peuvent être décelés dans les lois de finances de M. Ayrault rognant les avantages du quotient familial- ou obliger l’employeur et son comptable à collecter l’ensemble des données personnelles du salarié afin de permettre la personnalisation.

Si cette dernière option devait être retenue, l’employeur serait ainsi au courant de la situation familiale de son salarié (marié, pacsé divorcé, avec ou sans enfants), mais aussi de son patrimoine et de ses choix d’investissements.

Concrètement la retenue à la source signifie que demain l’employeur connaîtra :

  • la rémunération du conjoint,
  • les éventuels revenus fonciers;
  • les éventuels revenus de capitaux mobiliers;
  • les éventuels investissements dans un bien éligible au dispositif Pinel ;
  • les éventuels travaux réalisés au titre de l'amélioration de l'habitat éligible à tel ou tel avantage fiscal,
  • la détention de tel produit d'épargne bénéficiant d'un régime particulier (l'assurance-vie par exemple)
  • voire le don à telle association ou à tel parti politique, etc.

 

Autant d’informations personnelles voire intimes. Est-ce bien la volonté des salariés ?

La protection de la vie privée du salarié se réduira donc à peau de chagrin. Et nous ne sommes pas certains que nos compatriotes soient aujourd’hui bien au courant de cet aspect de la réforme...

Cette réforme pose de surcroît un réel problème en terme d’égalité devant l’impôt. Dans le système actuel salariés, non-salariés et professions libérales sont soumis au même régime, le régime déclaratif.

Si la retenue à la source devait être appliquée, les salariés verraient leur impôt payé par leur employeur à partir des éléments de situation personnelle qu’ils auront transmis, tandis que les autres contribuables continueront de payer leur impôt eux-mêmes selon la logique de l’autoliquidation. Il y aura une inégalité de traitement, voire une rupture d’égalité devant l’impôt qui pourrait poser constitutionnellement problème.

Cette connaissance de l’ensemble de la situation financière et patrimoniale, va également modifier les rapports au sein de l’entreprise car la négociation salariale portera inéluctablement sur le salaire net d’impôt. En outre, comment l’employeur gérera-t-il les tensions inévitables en deux salariés occupant la même fonction et touchant un salaire net après impôt différent en raison d’une différence du taux d’imposition.

Une autre question doit également être soulevée : celle du coût de cette réforme pour les entreprises, près de 2 milliards d’euros d’après le Conseil des prélèvements obligatoires.

Ce mode de recouvrement devra nécessairement représenter des milliers d’heures de travail pour ces dernières, afin de recueillir, centraliser traiter toutes les données personnelles des salariés.

Ainsi, certains changements de situation personnelle qui ont une incidence fiscale (mariage, divorce, naissance d’un enfant, entrée au lycée de l’un des enfants, sortie du foyer fiscal de l’enfant majeur), n’interviennent pas au 1er janvier de l’année fiscale.

Mais la logique du prélèvement à la source est d’en tirer les conséquences immédiatement. Il faudra, en cours d’année modifier la feuille de paye une, voire plusieurs, fois. On voit là le risque : cette complexité justifiera la fin de la personnalisation de l’impôt, et plus grave de sa « familialisation », c’est directement la fin du quotient familial qui est en perspective.

Le prélèvement à la source est également une mesure qui portera préjudice aux jeunes qui débutent leur carrière professionnelle. Le prélèvement à la source est une mesure anti-jeune.

Aujourd’hui le jeune qui obtient son premier emploi en année n, et qui doit faire face à de nombreuses dépenses -caution du premier loyer, frais de déménagement, achat d’un véhicule- ne paye l’IR qu’au mois de novembre de l’année n+1. Il peut donc pendant cette période à la fois supporter les frais liés à l’installation dans la vie professionnelle et mettre progressivement de côté pour pouvoir s’acquitter de l’impôt et cela dès le 1er mois !

Avec la retenue à la source, ce jeune devra sur ses premiers salaries non seulement faire face aux frais inhérents au premier emploi, mais aussi supporter l’impôt.

Il est essentiel dire la vérité aux français : la retenue à la source est un mécanisme anesthésiant qui constitue le cheval de Troie de la fin de la personnalisation et de la familialisation de l’impôt sur le revenu avec en ligne de mire la fusion de l’IR progressif et de la CSG proportionnelle afin de faire de cette dernière un prélèvement progressif pesant essentiellement sur les classes moyennes.