Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mardi 28 octobre 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des français de l’étranger

Audition de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des français de l’étranger

La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je souhaite en votre nom la bienvenue à M. Mathias Fekl, que nous recevons pour une audition, ouverte à la presse, dont nous sommes convenus qu’elle serait consacrée aux enjeux des négociations commerciales internationales.

Vous nous rendrez compte, comme vos prédécesseurs s’y étaient engagés, de l’avancement des négociations sur le Partenariat transatlantique, dont le dernier cycle de négociations s’est tenu fin septembre et début octobre à Washington. Le compte rendu de ce cycle m’a été transmis hier ; il peut être consulté au secrétariat de la commission.

Je voudrais surtout vous interroger sur l’accord économique et commercial qui a été acté – mais qui n’est pas paraphé – avec le Canada. Le texte semble contenir des avancées intéressantes, par exemple en matière d’ouverture des marchés publics et de protection de nos appellations d’origine contrôlée. Mais il comprend aussi une clause de règlement par arbitrage international des différends entre les investisseurs et les États, dite clause ISDS.

L’intégration de cette clause était prévue dès le mandat de négociation de l’accord ; la négociation a duré cinq ans, de 2009 à 2014. Le défaut total de transparence vis-à-vis des parlements nationaux et des opinions publiques de la part des négociateurs de la Commission européenne explique que l’on se trouve aujourd’hui face à un choix difficile que nous allons devoir assumer : il nous faudra soit accepter le texte avec la clause ISDS soit en demander le retrait, ce qui rouvrirait une négociation difficile avec le Canada. De surcroît, ce choix sera déterminant car il aura des répercussions immédiates sur la négociation du Partenariat transatlantique et sur les autres négociations de l’Union européenne, notamment celle avec la Chine sur un éventuel accord de protection des investissements.

La France, comme les autres pays occidentaux, a passé depuis plusieurs décennies près d’une centaine d’accords de protection des investissements qui comportent une clause ISDS. Ces accords ont pu être utiles à nos entreprises, qui utilisent parfois l’arbitrage international quand elles sont confrontées à des systèmes judiciaires qui ne sont pas fiables, Mais je ne vois pas en quoi le mécanisme ISDS pourrait être utile dans le cas du Canada, pays où la justice est parfaitement indépendante et fiable. De plus, si nous acceptons le recours à ce mécanisme dans nos relations commerciales avec le Canada, il pourra être utilisé par des entreprises des États-Unis, puisque, compte tenu de l’interpénétration des économies des deux pays, la plupart des multinationales des États-Unis ont des activités suffisantes au Canada pour revendiquer le statut d’investisseur canadien.

Accepter ou non le recours à une forme de justice privée, supranationale et payante – d’ailleurs très coûteuse –, est également un choix de philosophie politique qui est tout sauf anodin. Acceptons-nous, ou non, la clause d’arbitrage ? Telle est la question de fond à laquelle il nous faut répondre.

Au-delà de ce problème précis, une réflexion politique globale sur la politique commerciale d’une Union européenne lancée dans des négociations tous azimuts pour des accords de libre-échange me paraît nécessaire. J’aimerais connaître la position du Gouvernement à ce sujet.

Quelques mots, en conclusion, sur la transparence, question essentielle. La publicité des mandats de négociation a été obtenue ; je sais que vous y avez beaucoup travaillé, et c’est un premier pas. La Commission européenne a également dû se résoudre à consulter les citoyens européens sur la clause ISDS dans le Partenariat transatlantique. Mais ce n’est pas suffisant : à l’avenir, la transparence des négociations doit être systématiquement assurée, au bénéfice des parlements nationaux et des citoyens. Cela suppose la publication à échéances régulières de documents pédagogiques, accessibles à tous. Quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre en ce sens ?

M. Mathias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des français de l’étranger. Je sais que votre commission suit de près la politique commerciale internationale française et européenne. Comme mes prédécesseurs, Mme Nicole Bricq et Mme Fleur Pellerin, je me suis engagé faire le point sur cette question quand vous le jugerez utile et je suis à votre disposition.

Une réflexion globale sur la politique commerciale de l’Union européenne est effectivement nécessaire et les travaux parlementaires à ce sujet sont très riches. Nous sommes à un tournant : à l’essoufflement des négociations multilatérales au sein d’une Organisation mondiale du commerce en difficulté se conjugue la multiplication d’accords négociés par des acteurs régionaux, ce qui conduit à la juxtaposition d’accords bilatéraux et régionaux. D’autre part, les sujets abordés dans les accords, toujours plus variés, vont bien au-delà des seules questions tarifaires. Quant au projet de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI), il concerne quelque 800 millions de personnes et près d'un tiers des flux commerciaux mondiaux. C’est dire la nécessité d’une approche politique globale.

Mes prédécesseurs ont engagé le travail visant à répondre à l’exigence de transparence et, au lendemain de ma nomination, ce fut mon premier combat. À peine entré en fonction, j’ai adressé un courrier à la Commission européenne pour obtenir la publication officielle du mandat de négociation du partenariat transatlantique. Je me suis rendu à Berlin, ainsi qu’à Bruxelles où j’ai rencontré la Commission européenne, des membres de la commission du commerce international du Parlement européen et des représentants des groupes politiques. J’ai eu des échanges approfondis avec mes homologues lors du Conseil informel des ministres du commerce extérieur qui s’est tenu à Rome. Le Gouvernement français, par les voix de M. Jean-Marc Ayrault, puis de M. Manuel Valls, a, le premier, demandé la transparence et, le 8 octobre, nous avons enfin obtenu gain de cause : le mandat de négociation du PTCI a été déclassifié. Certes, il pouvait déjà être consulté sur internet, mais, en acceptant pour la première fois cette publication, le Comité des représentants permanents (Coreper) a créé un précédent juridique et politique significatif.

Pour autant, le Gouvernement français ne compte pas s’en tenir là, car la publication du mandat de négociation n’est qu’un premier pas vers une transparence encore inachevée. Pour aller plus loin, j’ai souhaité refondre le comité de suivi stratégique de la négociation du partenariat transatlantique. Il est désormais composé de deux collèges, l’un pour les parlementaires, l’autre pour la société civile, qui est maintenant expressément associée à la réflexion par le biais d’associations telles qu’Attac ou de syndicats et de fédérations professionnelles. Des groupes de travail thématiques seront constitués au sein de ce collège pour qu’aucun thème ne soit éludé et le Gouvernement prendra, au fil des mois, des engagements sur les sujets évoqués. J’ai réuni ce matin le collège de la société civile ; je réunirai demain celui des élus.

Toujours avec l’objectif d’améliorer la transparence, j’animerai demain une session de clavardage. Outre cela, nous travaillons à la mise en ligne, sur le site internet du Gouvernement, de nombreuses données et fiches d’information par sujet. Vous le voyez, les progrès sont tangibles.

Lors du récent Conseil informel des ministres du commerce extérieur, nous avons eu des échanges avec le commissaire européen au commerce sortant, M. Karel De Gucht, et avec le chef des négociateurs américains, M. Michael Froman. Avant de faire le point sur la négociation du Partenariat transatlantique, le PTCI, je rappelle qu’il a pour objectif l’amélioration de nos exportations vers les États-Unis pour permettre le développement international de nos entreprises, singulièrement nos PME, et donc de l'emploi en France.

La négociation confiée à la Commission porte sur plusieurs volets : l’accès des entreprises européennes aux marchés publics des États-Unis, pour l’heure très fermés sinon impénétrables ; la baisse des droits de douane ; la protection exigeante de nos indications géographiques, à laquelle nos agriculteurs sont particulièrement attentifs ; l’abaissement des barrières non tarifaires ; l’allégement des coûts réglementaires, notamment pour nos exportateurs de cosmétiques, de médicaments, de biens industriels ou de produits alimentaires, tous secteurs dans lesquels se réalisent nos principaux excédents commerciaux.

Dans la négociation, la France, comme ses partenaires européens, défendra ses objectifs et ses intérêts. Nous avons tracé des lignes rouges : la protection de notre agriculture pour ce qui concerne les produits sensibles ou à exclure de la négociation car ils ne pourraient lutter contre des productions américaines concurrentes à coût plus bas et dont la conception est parfois incompatible avec les nôtres ; la protection de nos savoir-faire, de nos indications géographiques et de nos préférences collectives ; la protection de la vie privée dans le domaine numérique ; la défense de l'exception culturelle française et européenne, l'exclusion des services audio-visuels étant prévue dans le mandat de la négociation ; l’exclusion des services publics ; la préservation de notre souveraineté réglementaire. L’opinion publique est très sensible à ces sujets et le Gouvernement attentif à ce que ces lignes rouges ne soient pas dépassées.

Par ailleurs, le PTCI étant un accord mixte, sa conclusion suppose la ratification unanime des États membres de l’Union européenne ; elle passera, en France, par un vote du Parlement.

Quelques mots sur l'état d’avancement de de la négociation. La septième session de discussion, qui a eu lieu aux États-Unis du 29 septembre au 3 octobre, n'a pas permis d'avancées substantielles, non plus que l’année 2014 en général, en raison du renouvellement de la Commission européenne d’une part, des élections de mi-mandat aux États-Unis d’autre part. L’incertitude demeure aussi sur la date à laquelle le Congrès américain accordera à l’administration Obama la Trade Promotion Authority nécessaire pour conclure la négociation du traité.

L’aboutissement de la négociation suppose que de nombreuses difficultés de fond aient été surmontées. Elles ont trait à l’accès aux marchés publics des États-Unis, notamment au niveau infra-fédéral ; aux indications géographiques, volet qui suscite de très fortes réticences américaines ; à la convergence réglementaire ; aux services financiers ; enfin, à la protection des investisseurs.

À ce sujet, de sérieuses réserves ont été exprimées à propos du mécanisme de règlement des différends investisseurs-États, dite clause ISDS, en France et dans d’autres pays européens, dont l’Allemagne. Nous avons entendu ces réserves et les questions de philosophie politique soulevées, qu’il s’agisse du droit des États à édicter des normes, à les voir appliquer et à réguler, du caractère équitable et transparence des procédures, de l’accès à des tribunaux impartiaux répondant aux exigences de la puissance publique.

Une consultation publique a été lancée à ce sujet par la Commission européenne, qui a reçu 150 000 réponses, dont 10 000 venaient de France. Le Gouvernement sera très attentif à l’analyse que la Commission tirera de cette consultation et au rapport qu’elle en fera au Parlement européen et aux États membres. J'ai noté la prise de position de M. Jean-Claude Juncker, nouveau président de la Commission européenne, le 22 octobre, et j’en rappelle les termes : « L’accord que ma Commission soumettra en dernière instance à l'approbation de cette Chambre ne comportera aucun élément de nature à limiter l'accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d'avoir le dernier mot dans des différends opposant des investisseurs à des États ». Cette inflexion de la position de la Commission rejoint les préoccupations exprimées par plusieurs gouvernements de pays membres de l’Union et par l’opinion publique.

J’en viens au projet d’accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada. Partenaire politique et commercial important pour la France et dixième puissance mondiale, ce pays est membre du G8, du G20, de l'OTAN et de la francophonie. Avec le huitième plus haut revenu mondial par habitant, le pouvoir d'achat des Canadiens est élevé. Le Canada est le 29ème client de la France, qui est elle-même le troisième fournisseur européen du Canada, après l'Allemagne et le Royaume-Uni, avec 3 milliards d’euros d’exportations en 2013 ; la même année, les importations françaises en provenance du Canada se sont élevées à 2,8 milliards d’euros. Dix mille entreprises françaises exportent vers le Canada, dont près de 80 % de PME – elles sont 7 566 à le faire. Le Canada représente un marché potentiel réel pour notre pays, qui compte beaucoup moins d’entreprises exportatrices que l’Italie et que l’Allemagne – en outre, contrairement aux PME allemandes, les entreprises françaises qui exportent éprouvent des difficultés à le faire dans la durée. Nous sommes investisseurs nets au Canada ; enfin, 200 filiales canadiennes sont recensées en France, qui emploient 22 500 personnes.

La négociation du CETA s’est achevée après cinq années de discussions difficiles et l’accord a été rendu public le 26 septembre dernier. Je vous dirai l'appréciation portée par le Gouvernement sur un texte qui, vous l’avez souligné, madame la présidente, contient des avancées sectorielles et comporte un mécanisme d’arbitrage des différends entre les investisseurs et les États.

L’accord apporte de réelles avancées pour ce qui concerne le démantèlement de barrières non tarifaires : les droits de propriété intellectuelle sont mieux protégés pour la pharmacie ; la protection des indications géographiques pour les vins et spiritueux prévue par l'accord de 2004 est confortée ; une nouvelle protection est accordée à 42 indications géographiques laitières et de charcuterie françaises ; un meilleur accès est assuré au marché des services canadiens par nos entreprises dans les secteurs du transport maritime, des services postaux et des télécommunication, ainsi qu’aux marchés publics canadiens aux niveaux national, provincial et local. Sur le plan tarifaire, l’accord prévoit la suppression de la quasi-totalité des droits de douane : 64 % des exportations françaises entrent au Canada sans droits de douane aujourd'hui, et la proportion sera portée à 97 % si l’accord est validé. Dans le domaine agricole, 84 % des lignes tarifaires agricoles seront exonérées de droits de douane dès l'entrée en vigueur de l’accord.

La négociation étant maintenant achevée, l’accord devra être ratifié. Puisqu’il s’agit d’un accord mixte, il appellera à la fois l'approbation des instances communautaires et la ratification par chaque État membre – qui suppose, en France, un vote du Parlement.

Vous avez abordé, madame la présidente, le mécanisme d’arbitrage des différends entre investisseurs et États, sujet qui suscite des interrogations politiques, juridiques et philosophiques fondamentales sur le droit des États à édicter des normes et à les voir appliquer, et sur la justice.

La question est complexe. La France est déjà partie à 107 accords prévoyant un mécanisme d’arbitrage, dont 95 sont en vigueur, et d’autres négociations sont ouvertes, en Asie notamment, et particulièrement avec la Chine, dans lesquelles nos entreprises demandent l’inclusion de mécanismes de ce type. Le sujet est maintenant sur la table en France et dans d’autres pays, dont l’Allemagne et le Luxembourg. Mais le débat est compliqué, de très nombreux États membres de l’Union européenne étant favorables à ce système.

Dans ce contexte, plusieurs options sont envisageables. La première est d’accepter l’accord en considérant que la rédaction obtenue pour la clause ISDS correspond suffisamment à nos demandes. Si cette option était retenue, il conviendrait de préciser fermement que cela ne crée pas de précédent pour la négociation du Partenariat transatlantique en cours entre l’Union européenne et les États-Unis.

La deuxième option est de demander le retrait de la clause ISDS, en considérant qu'elle n'est ni utile, ni opportune ; cela suppose que la France ne le fasse pas seule, et aussi qu’elle soit prête à en assumer les conséquences possibles par ricochet pour les accords existants et dans les négociations en cours avec d’autres pays.

La troisième option consiste à demander l’amélioration de la rédaction actuelle du texte, en tenant compte des résultats de la consultation publique menée par la Commission européenne à ce sujet pour explorer de nouvelles pistes.

La quatrième option, théorique en l’état du débat au sein de l’Union européenne, est d’élaborer de nouveaux mécanismes de règlement des différends au sein de l’OMC, de la Conférence des Nations–Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et de l’Organisation internationale du travail (OIT).

La décision de ratifier l’accord CETA sera prise par le Conseil européen, par le Parlement européen et, en France, par le Parlement. Nous serons très attentifs à l’analyse des résultats de la consultation publique en cours, dont il faudra pleinement tenir compte dans le projet de Partenariat transatlantique.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie pour cet exposé dont la précision montre qu’un ministre directement issu des bancs du Parlement sait répondre aux préoccupations de ses anciens collègues. Il est bon que le mandat de négociation confié à la Commission européenne ait été publié – c’est une première et nous vous félicitons des efforts que vous avez déployés à cette fin – mais il serait mieux encore qu’il soit aussi publié en français. Sur le fond, comment s’organise la concertation avec l’Allemagne, dont les réticences sur la clause ISDS sont au moins aussi fortes que les nôtres ?

Mme Valérie Fourneyron. Je salue vos efforts visant à renforcer la transparence sur la conduite des négociations devant définir le partenariat transatlantique. Il y a là un enjeu démocratique majeur pour l’acceptation par nos concitoyens d’informations sur le contenu de cet accord, et c’est aussi un élément permettant de réfuter les accusations des partis anti-européens, dont l’opacité des procédures communautaires fait le lit. D’autres pays que la France ont-ils manifesté le même volontarisme et associé la société civile aux négociations ? Ce travail coopératif peut-il peser en faveur des positions européennes ?

Selon la Fondation Bertelsmann, la réalisation du grand marché transatlantique, dit TAFTA, entraînerait une augmentation de 5 % du PIB à long terme et la création de 2 millions d’emplois dans les pays de l'OCDE dont, à l’unité près, 121 566 emplois en France… Que penser de ces projections ? D’autres études indépendantes ont-elles été menées sur ce que pourraient être les retombées de ce traité sur l’emploi en France ?

M. Michel Destot. L’Union européenne n’est pas une entité homogène mais, à bien des égards, un marché segmenté – les pays et les entreprises y sont divers et, en matière de commerce extérieur, les entreprises allemandes, italiennes et britanniques ne fonctionnent pas comme les entreprises françaises. Dans l’accord en négociation avec les États-Unis comme dans celui qui a été négocié avec le Canada, nous devons donc juger de l’objectif visé en fonction des intérêts de notre pays et de nos entreprises. Dans son rapport d’information sur la Chine, notre commission a pointé les difficultés qu’éprouvent nos entreprises à être aussi performantes que leurs homologues allemandes ou italiennes. En quoi les futurs traités faciliteront-ils l’entrée de nos PME sur les marchés nord-américains pour leur permettre de se développer jusqu’à devenir des entreprises de taille intermédiaire ?

D’autre part, nous aurions grand tort de nous focaliser au cours des deux ans à venir sur le seul partenariat commercial transatlantique. Une approche globale de notre commerce extérieur s’impose. Dois-je rappeler que le tiers du déficit de notre commerce extérieur tient à nos échanges avec la Chine ? Nous devons aussi porter notre regard vers l’Amérique du Sud, et surtout vers l’Afrique avant qu’il ne soit trop tard. Les États-Unis discutent avec l’Union européenne et avec l’Asie, mais surtout avec l’Amérique du Sud, vers laquelle le Mexique constitue pour eux une porte d’entrée. Que faisons-nous pour que l’Union soit, au bénéfice de la France et des pays du Sud de l’Europe, plus performante en Afrique, en commençant par le Maghreb et notamment l’Algérie, qui est pour la France « la porte du Sud », selon les mots du général de Gaulle ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je partage ce point de vue. On a le sentiment que, obnubilée par la crise économique, l’Union européenne est sans stratégie, ballottée par un calendrier que personne ne maîtrise. Nous avons encore en Afrique un potentiel extraordinaire, qu’il s’agisse de commerce ou d’investissements croisés. J’observe que les entreprises américaines un temps délocalisées en Chine n’ont pas été rapatriées aux États-Unis mais au Mexique. Plaidez, monsieur le ministre, pour que le commerce extérieur de l’Union soit envisagé de manière plus globale au niveau européen.

M. Jean-Pierre Dufau. J’apprécie votre volonté manifeste de renforcer la transparence, mais la démarche est encore inaboutie et j’attends avec intérêt que vous nous disiez si d’autres pays que le nôtre ont engagé une concertation. À quoi attribuez-vous les difficultés éprouvées par nos PME et PMI pour exporter et, surtout, pour continuer d’exporter ? Quelle stratégie la France et l’Europe poursuivent-elles ? Vous avez évoqué 107 accords commerciaux ; au vu de la balance de notre commerce extérieur, quel est leur intérêt ? N’est-il pas temps de préférer la qualité à la quantité ?

Il a été question du projet d’accord avec le Canada. Ce pays a de grandes ambitions en matière de francophonie ; nous devrons veiller à ne pas nous laisser distancer sur ce plan. La négociation de l’accord CETA est maintenant achevée, mais il n’est pas ratifié. Vous avez dit le malaise que suscite le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États et décrit les diverses options possibles. Quel serait, pour l’application de ce mécanisme, le statut des filiales de sociétés étrangères, et notamment américaines, implantées au Canada ?

M. Thierry Mariani. Je suis de ceux qui redoutent la levée des barrières non douanières et la clause ISDS. Je suis donc très réservé, mais j’attends d’avoir pris connaissance du texte définitif avant de me prononcer.

La question des répercussions pour les entreprises françaises des sanctions imposées à la Russie n’est pas à l’ordre du jour de cette audition, mais elle me taraude. Il y a urgence. Ainsi, la fonderie Sambre-et-Meuse, qui emploie 300 personnes dans le Nord de la France, région sinistrée, pour fabriquer du matériel ferroviaire, est au bord du dépôt de bilan : au motif que son propriétaire, une société russe, a aussi une usine de fabrication de châssis de char dans l’Oural, les banques françaises lui refusent tout financement. En bref, pour les établissements financiers, échaudés par « l’affaire BNP », les entreprises russes sont en quelque sorte devenues « radioactives ». Il y avait très peu d’investissements russes en France ; il y en aura encore moins. À l’inverse, en Russie, des entreprises françaises ont lourdement investi dans la construction de lignes à grande vitesse et, en ce domaine, les travaux sont prévus pour durer quinze ans. Les sanctions n’auront-elles pas pour effet de discréditer ces entreprises pour longtemps ? Cela aurait un effet désastreux sur notre commerce extérieur.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Une étude à ce sujet serait en effet intéressante.

M. Jean-Marc Germain. Votre exposé pragmatique fait comprendre les gains potentiels que la France peut trouver dans ces traités, mais qu’en est-il des risques potentiels, qui se traduiront par des gains potentiels pour le Canada et les États-Unis ? J’ai le sentiment que les partenariats transatlantiques ont été voulus par des multinationales qui y voyaient un moyen de surmonter des obstacles à leur développement, non par des États souhaitant coopérer pour accroître le bien-être des populations. Accessoirement, réfléchit-on à des mécanismes de compensation pour les secteurs qui pourraient perdre à ces accords ?

En réalité, l’accord passé semble avoir été le suivant : les États-Unis et le Canada ouvrent leurs marchés, et notamment les marchés publics, actuellement plus protégés que ne le sont les marchés européens ; en contrepartie, l’Union européenne accepte le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Et c’est ainsi que l’on pourrait voir les laboratoires pharmaceutiques américains attaquer la France au motif que le prix des médicaments serait fixé par la puissance publique avec un trop grand écart au regard de la valeur de marché. S’il en est effectivement ainsi, soit le partenariat commercial transatlantique est en mauvaise posture, soit nous serons nous-mêmes en mauvaise posture si la clause ISDS est maintenue en l’état dans le texte de l’accord.

Ne pourrait-on envisager que le Parlement européen débatte, en fonction de l’état d’avancement des discussions, pour donner mandat à la Commission européenne d’achever la négociation sur une base acceptable – en spécifiant par exemple que la clause ISDS ne l’est pas ? Ainsi éviterions-nous, comme ce fut le cas précédemment pour d’autres traités, de nous trouver devant un texte à prendre ou à rejeter en bloc.

M. Jacques Myard. Je m’associe à la question posée par mon collègue Thierry Mariani. En imposant des sanctions à la Russie et en transformant ainsi de manière imbécile un conflit local en conflit international, nous nous tirons une balle dans la tête.

J’étais le conseiller juridique de la délégation française qui, sous la direction de M. Jean-Claude Trichet, a négocié en 1984 l’accord de protection des investissements avec la Chine, et j’avais été stupéfait que les Chinois acceptent l’inclusion dans ce texte de la clause CIRDI de règlement des différends entre États et investisseurs. Seulement, cette clause n’a jamais été appliquée. Pire : une entreprise française qui avait voulu mettre en œuvre un arbitrage CIRDI a été priée de prendre la porte. En réalité, il s’agit de rapport de forces plus que d’un problème juridique. Il fut un temps où l’arbitrage était à la mode ; mais il coûte extrêmement cher, bien plus que la justice nationale, et l’on n’obtient pas facilement l’exequatur. Il faut donc relativiser ces choses.

Le traité en préparation avec le Canada pose d’autres questions. Il est un peu fort d’ouvrir d’un côté le marché de l’Union européenne et ses 450 millions de consommateurs, de l’autre seulement celui du Canada et ses 30 millions de consommateurs. Le déséquilibre est patent et, comme c’est déjà le cas avec la Corée du Sud, l’accord donne bien davantage au Canada qu’il ne donne à l’Union européenne. D’autre part, j’aimerais savoir si le problème majeur des entreprises conjointes a été réglé : autrement dit, si Alstom sera désormais dispensé, pour se porter candidat à un marché public au Canada, de faire alliance avec un partenaire canadien, alors que la réciproque n’est pas exigée de Bombardier en Europe, qui lui taille des croupières.

Enfin, il y a beaucoup à dire sur le principe des accords multilatéraux, puisque le commerce international se développe chaque année, naturellement, de 5 à 6 points, quelque soient les accords en vigueur. Les intérêts de la France diffèrent de ceux de l’Allemagne ou de la City londonienne. Les normes multilatérales sont donc inadéquates et il en résulte des accords bancals. Faut-il vraiment continuer de procéder de la sorte ? À cela s’ajoute le problème central de la compétitivité française, qui découle lui-même de la monnaie unique.

M. Benoît Hamon. La méthode retenue dans la cadre des négociations avec les Etats-Unis est celle de la « liste négative », qui demande une vigilance particulière puisqu’elle elle a pour conséquence que tout sujet non expressément exclu de la négociation est considéré comme automatiquement libéralisé. Cela donne à cet accord une portée considérable, puisque la zone de libre-échange que l’on cherche à construire concerne 45 % du PIB mondial, avec des gains en taux de croissance, des deux côtés de l’Atlantique, assez modestes au regard de l’enjeu, qui n’est rien moins que la remise en cause de certaines barrières non tarifaires. Est-il encore temps, à ce stade de la négociation, de passer aux listes positives ? D’autre part, le régime d’autorisation préalable qui conditionne les investissements étrangers instauré par le décret du 14 mai 2014 pour protéger certains secteurs stratégiques d’investissements hostiles sera-t-il remis en cause ? Et encore : quel sort la négociation réservera-t-elle aux indications géographiques relatives aux produits manufacturés ? Enfin, dispose-t-on, d’une estimation, même grossière, du gain de croissance annuel que représenterait pour notre pays un accord de libre-échange avec les États-Unis ?

M. Pouria Amirshahi. Vous avez exposé avec clarté, monsieur le ministre, les options possibles dans une négociation dont je regrette qu’elle ait été lancée sans que l’on envisage préalablement une stratégie générale, actuellement absente. D’évidence, les leçons n’ont pas été tirées de l’élargissement sans fin de l’espace européen, mais aussi de l’espace francophone – où l’on trouve désormais plus de pays non-francophones que de pays qui le sont véritablement. En ce moment de bascule inquiétant caractérisé par l’affaissement industriel de notre pays, il faut défendre le projet européen et, pour cela, protéger la force économique de l’Union européenne, avant de songer à quelque extension que ce soit de ses capacités commerciales extérieures dans un cadre de libre-échange dont on voit toutes les incertitudes et les inquiétudes qu’il suscite.

La négociation étant maintenant engagée, certains sujets stratégiques doivent être clarifiés. Il y a, pour commencer, la question linguistique. On dit peu de choses aux citoyens ; si, en plus, ce peu ne leur est pas dit dans une langue qu’ils comprennent mais en anglais, qui n’est pas l’idiome maternel de 80 % des citoyens européens, la démocratie est mise à mal. D’autre part, il est encore temps d’insister sur l’enjeu crucial qu’est la relocalisation des productions agricoles et industrielles, à la fois pour rétablir les équilibres commerciaux et pour lutter contre des effets environnementaux néfastes des transports de marchandises.

Ensuite, on ne peut proclamer qu’il faut un juste échange tout en organisant le libre-échange. Si le juste échange vaut pour l’Union européenne, il doit valoir aussi pour l’Afrique, avec laquelle nous avons intérêt à encourager des accords de partenariat et des intégrations régionales propres à consolider les économies en panne dans ces pays.

Enfin, on compte en France 16 000 douaniers ; mais comme ils ne travaillent pas 24 heures sur 24, suivent des formations, prennent des congés, seuls 4 000 sont opérationnels en même temps, si bien qu’une marchandise sur 10 000 seulement est contrôlée. Qu’en sera-t-il après l’entrée en vigueur des traités de libre-échange avec la Corée du Sud, le Canada et les États-Unis ? Après l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima, des dispositions avaient été prises pour éviter les importations de produits potentiellement contaminés mais l’on comprend qu’étant donné notre faible capacité douanière, ces contrôles n’aient pu être que lacunaires. La grave question de l’effectivité des contrôles s’ajoute à toutes les autres.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. On comprend le potentiel qu’offre l’accord avec le Canada, mais il est miné par l’inclusion d’un mécanisme arbitral de règlement des différends entre investisseurs et États. Les dispositifs de cette sorte sont faits pour surmonter les différences entre les États de droit et les régions du monde où la liberté est encore un très long combat ; pourquoi y recourir quand l’accord lie des zones où les mêmes standards s’appliquent ? Quels que soient les bénéfices apportés par l’accord CETA, le ratifier en l’état, y compris la clause ISDS, ouvrirait une boîte de Pandore car cela aurait un impact immédiat sur la négociation du Partenariat transatlantique en cours entre l’Union européenne et les États-Unis. Peut-on envisager de retirer cette clause et de ratifier l’accord ainsi modifié ?

Mme Estelle Grelier. Les négociateurs européens ayant un mandat strict, la question qui se pose est celle du contrôle démocratique des compétences déléguées à l’Union européenne : le champ du comité de suivi stratégique du Partenariat transatlantique est immense mais il ne peut peser sur les choix ! Dès lors que le mandat de négociation a été donné, le contrôle démocratique se fait par le biais du Parlement, mais comme il s’exerce une fois la négociation achevée, il nous est très difficile de dire : « Nous supprimons cette disposition qui ne nous convient pas mais nous maintenons le reste du texte ». En résumé, c’est tout ou rien, et il en ira ainsi pour les tribunaux arbitraux : nous serons obligés de prendre ou de rejeter l’accord en bloc. C’est ce qui ressort des entretiens que nous avons eus à la Commission européenne ; le confirmez-vous, monsieur le ministre ?

M. Jean-Paul Bacquet. Je voudrais d’abord féliciter le ministre pour la qualité de sa présentation. Mais, je me demande en quoi un traité commercial transatlantique aidera nos entreprises à surmonter leurs faiblesses à l’export et par quel effet il empêchera nos PME primo-exportatrices d’abandonner en trop grand nombre l’export au bout de un, deux ou trois ans – d’autant que plus de 60 % des entreprises exportatrices française exportent vers l’Europe. En réalité, nos structures d’accompagnement de l’exportation ont de très petits budgets au regard de leurs homologues italiennes, britanniques et allemandes – et vous savez, monsieur le ministre, la difficulté que connaît Ubifrance pour obtenir 5 millions d’euros supplémentaires. De surcroît, la multiplicité des intervenants rend souvent leur action incohérente et la décentralisation affaiblit nos outils à l’export. 

Outre cela, le manque de stratégie et de coordination est patent et, souvent, l’Agence française de développement (AFD) joue contre son camp. Quand 3,2 milliards d’euros sont dégagés en faveur du Mali, dont 280 millions d’euros par la France, comment se satisfaire que les entreprises françaises présentes dans le pays ne réalisent que 18 % du chiffre d’affaires total, même si elles représentent 91 % des entreprises concernées. Sait-on qu’au grand dam de certains de nos ambassadeurs très motivés par la diplomatie économique, des appels d’offres sont passés dont les entreprises françaises sont éliminées d’emblée ? Une stratégie globale est pourtant possible, comme le montrent le Maroc et l’Algérie, qui veulent devenir des portes vers l’Afrique subsaharienne. Nous devons, de la même manière, exercer une diplomatie d’influence. En Afrique, les Chinois, les Canadiens, les Turcs et d’autres sont très performants car ils agissent avec méthode. Ainsi sont-ils déjà sur place quand un appel d’offres est lancé – contrairement à nous qui arrivons quand les jeux sont déjà joués, les cahiers des charges ayant été rédigés par d’autres. Nos entreprises ne sont pas motivées et, surtout en Afrique, les marchés sont souvent gagnés par ceux qui les préfinancent – les Chinois en particulier. L’AFD est une banque, mais quel est son rôle exact ? La Banque du Mali est prête à suivre, mais un petit coup de pouce ne serait pas inutile. Aussi Ubifrance, que j’ai l’honneur de présider, a-t-elle tenté d’obtenir que BPIfrance préfinance avec elle ce que l’AFD ne préfinance pas. En bref, à quoi serviront les accords commerciaux transatlantiques si nous ne révisons pas notre stratégie et si nous ne revoyons pas les moyens que nous allouons à l’exportation ?

Mme Seybah Dagoma. La position du Parlement au sujet du mécanisme de règlement des différends est limpide : nous avons adopté une résolution aux termes de laquelle nous disions qu’un tel dispositif devait être exclu du mandat de négociation avec les États-Unis. Le Gouvernement ne nous a pas suivis. Sous la pression des peuples, une concertation publique est maintenant lancée à ce sujet et je m’en réjouis. En effet, la position que nous avions prise avait plusieurs motivations : le caractère coûteux de ce dispositif pour nos PME ; la définition large de l’investissement, si large que la délivrance tardive d’un permis de conduire peut par exemple entraîner un contentieux ; la possible atteinte à la souveraineté des États ; le caractère discriminatoire de la mesure. On constate ainsi, à la lecture de la jurisprudence dans le cadre de l’ALENA, que les États-Unis n’ont jamais perdu un arbitrage, au contraire des autres États parties à l’accord en litige avec des entreprises américaines. Voilà pourquoi nous avions dit qu’il ne fallait pas s’engager dans cette négociation, ou que le mécanisme arbitral de règlement des différends devait être exclu du mandat des négociateurs.

Aujourd’hui, la négociation de l’accord avec le Canada est terminée et j’ai le sentiment d’explications à géométrie variable. Lorsque ce qui est obtenu est positif – ce qui concerne l’accès aux marchés publics ou la protection des indications géographiques par exemple – vous nous dites que cela crée un précédent pour la négociation avec les États-Unis ; mais lorsque ce l’est moins, cela ne créerait pas de précédent. De même, le Gouvernement français exprime, cette fois, une réserve ; mais pourquoi ce qui serait valable pour l’accord de libre-échange avec les États-Unis ne le serait pas pour l’accord conclu avec le Canada ? Quelle stratégie suivent l’Union européenne et la France ? Vous avez fait état des options envisageables, mais comment la France se déterminera-t-elle ? Certes, il s’agit d’un accord mixte sur lequel le Parlement français devra se prononcer. Mais je tiens à rappeler le calendrier : la fin d’une négociation entraîne la mise en œuvre provisoire du texte considéré après un ou deux ans, cependant que nous, parlementaires, n’aurons à prendre position que dans deux à quatre ans. Qu’est-ce qui déterminera la position française ?

M. le secrétaire d’État. Monsieur Amirshahi, le mandat de négociation sera publié en français et dans toutes les langues reconnues par l’Union. Il apparaîtra dans cette version sur le volet du site du Gouvernement consacré à ces questions, où figureront les informations les plus exhaustives possibles.

M. Pouria Amirshahi. Plus généralement, les informations communiquées par la Commission devraient l’être simultanément dans toutes les langues de l’Union. Pour l’instant, le multilinguisme, qui est la règle, n’est pas respecté.

M. le secrétaire d’État. Je partage votre préoccupation mais le Gouvernement français ne peut diffuser comme documents authentiques de l’Union des textes qu’il traduirait de son chef en français. Notre ambassadeur auprès des instances européennes rappelle souvent la nécessité de respecter le multilinguisme mais nous n’avons pas de moyen d’action direct.

Il est exact que l’extrême droite fait son lit de l’opacité des procédures de l’Union européenne. C’est pourquoi, madame Fourneyron, nous avons souhaité voir ces sujets mis sur la table. Nous recensons les bonnes pratiques suivies à l’étranger, notamment en Allemagne, afin que le comité de suivi travaille efficacement. J’ai constaté, lors du Conseil informel qui s’est tenu à Rome, la forte hétérogénéité des positions de nos partenaires : la moitié au moins des États membres de l’Union européenne sont favorables à l’inclusion de l’ISDS dans l’accord. Grâce à la France et à l’Allemagne en particulier, la transparence a beaucoup progressé. Selon moi, à ce jour, aucun chiffrage ne permet d’évaluer de manière assez convaincante pour en faire une hypothèse de travail incontestable quelles seraient les retombées du traité pour la France. Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) a réalisé des études à sujet, mais des analyses complémentaires d’économistes et de parlementaires sont nécessaires.

Le fait que l’Union européenne ne soit pas un ensemble homogène trouve en effet une nouvelle illustration, monsieur Destot. Je suis partisan, comme vous, d’une approche d’ensemble. Pour construire une offre globale de l’excellence française à l’export, nous avons identifié des familles sectorielles prioritaires – la santé, le tourisme, la ville durable… Il nous faut aussi mieux identifier quelles doivent être nos zones géographiques d’action privilégiées, par continents et par entités régionales. Je m’y suis attelé, et je nourrirai volontiers ma réflexion des travaux à ce sujet. La Chine, où j’étais la semaine dernière, l’Amérique du Sud où je me rendrai à la fin de l’année, le Maghreb et le continent africain, où des déplacements sont prévus, font partie des zones qui doivent être explorées.

Monsieur Dufau, vous savez que, constitutionnellement, la concertation entre le Gouvernement allemand et le Bundestag est beaucoup plus forte, y compris en matière de politique étrangère, qu’elle ne l’est entre le Gouvernement et le Parlement français sous la Vème République.

Si nos PME et PMI parviennent mal à maintenir leurs efforts d’exportation, c’est que la culture de l’export est insuffisante en France. La puissance publique doit donc faciliter les choses. À cet égard, la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) sera un atout ; un autre est le travail remarquable accompli par les régions. Il reste à structurer les filières et à renforcer le lien entre les grands groupes et les PME. J’aurai à cœur de visiter les PME exportatrices, d’analyser les bonnes pratiques et de mettre en exergue les réussites. Nous avons besoin de ce déclic et de dispositifs conçus pour accompagner davantage les PME à l’export, et réduire ainsi notre déficit commercial, en lien avec les réformes par ailleurs nécessaires à la compétitivité de notre économie.

Je vérifierai le statut retenu dans l’accord pour les filiales de sociétés américaines installées au Canada ; il semble que, si le principe de l’arbitrage était validé, ces filiales devraient, pour pouvoir y recourir, avoir investi sur le territoire de l’Union européenne et y exercer une activité réelle.

Monsieur Mariani, nous vous fournirons ultérieurement les données relatives aux répercussions pour les entreprises françaises des sanctions imposées à la Russie. Le ministre des affaires étrangères et moi-même suivons cette question avec attention ; nous pourrons faire le point si votre commission le souhaite.

Monsieur Germain, signer l’accord emporte des possibilités de gains mais aussi, effectivement, des risques. Le premier est celui d’un décalage de compétitivité qui affaiblirait notre économie. Le deuxième est celui de l’abaissement des normes environnementales et sociales ; nous y sommes très attentifs et nous souhaitons exclure toute remise en cause des préférences collectives européennes et françaises pour ne pas devoir, demain, avaler bœuf aux hormones, poulet chloré et autres gourmandises de cette sorte. Le risque existe aussi, si le mécanisme d’arbitrage était opaque ou mal négocié, d’atteinte au droit des États à réguler et à édicter des normes. Le quatrième risque est que nous n’obtenions pas gain de cause pour tous les points qui nous importent. En matière d’indications géographiques par exemple, rien n’est est acquis avec les États-Unis. Or, madame Dagoma, je ne considère pas que tout ce qui a été acquis dans la négociation avec le Canada le sera automatiquement avec les États-Unis, tant s’en faut. Nous devons donc, pour continuer de défendre les intérêts de notre pays, rester offensifs et vigilants.

C’est au Parlement européen qu’il reviendra de décider d’un débat sur ces questions en son sein. Ce qui est nécessaire, c’est une interaction entre le Parlement européen et les parlements nationaux au fil de la négociation. Il y a là une question majeure de démocratie encore irrésolue.

Monsieur Myard, l’arbitrage est effectivement un mécanisme d’inspiration anglo-saxonne, qui a une faible place dans la culture juridique française. Cela explique notre vigilance, la recherche d’alternatives et l’attention portée à ce que, quelle que soit la solution finalement retenue, le respect de la souveraineté des État, leur droit à réguler et l’accès à une justice indépendante ne soient pas entamés.

Le Gouvernement a régulièrement fait état des inconvénients d’un euro fort pour certains secteurs. Néanmoins, les secteurs fortement exportateurs exportent malgré cela. Comme le montrent les entreprises allemandes, la force de notre économie doit venir de sa montée en gamme et de sa capacité d’innovation, qui lui donneront la capacité d’exporter même lorsque notre devise s’apprécie.

Vous avez mentionné les listes négatives, monsieur Hamon. Une note à ce sujet figurera au nombre des informations que nous publierons pour renforcer la transparence au sujet des accords transatlantiques. L’Union européenne et les États-Unis ont une approche différente. Les Américains privilégient l’approche par liste négative, les Européens présentent une offre mixte : liste positive pour l’accès aux marchés, liste négative pour les secteurs dans lesquels l’Union accorderait aux entreprises américaines le traitement national.

Le décret pris le 14 mai 2014 par M. Montebourg n’est pas remis en cause par les négociations. Il est déjà protégé dans l’accord avec le Canada et nous veillerons à ce qu’il le soit aussi dans l’accord avec les États-Unis, qui ont eux-mêmes des dispositifs poussés de protection de leurs investissements et de leurs savoir-faire stratégiques. Notre analyse juridique à ce sujet sera aussi publiée sur le site du Gouvernement.

Rien ne s’oppose à ce que les négociations progressent au sujet des indications géographiques pour les produits manufacturés.

Nous envisageons le juste échange de la même manière, monsieur Amirshahi, et la France plaide régulièrement en faveur de la réciprocité comme principe structurant des échanges commerciaux internationaux. C’est notre position constante à l’heure où les accords régionaux tendent à l’emporter sur les accords multilatéraux. Pour ce qui est des contrôles douaniers, je partage votre constat, mais je n’ai pas de solution miracle à vous proposer.

M. Le Borgn’ et Mme Grelier se sont interrogés sur l’utilité d’un mécanisme d’arbitrage entre deux zones membres de l’OCDE. C’est toute la question, mais il se trouve que de nombreux États membres de l’OCDE – dont la moitié au moins des États membres de l’Union européenne – souhaitent un mécanisme de ce type. Une consultation publique est en cours ; nous en analyserons les conclusions, et aussi les implications du retrait de la clause ISDS de l’accord, car il s’ensuivrait la réouverture des négociations. Se poserait alors la question de la contrepartie que demanderait le Canada si cette option était retenue.

M. Bacquet défend âprement, à juste titre, le budget d’Ubifrance pour 2015 ; il sait que le ministre des affaires étrangères et moi-même sommes mobilisés à cette fin. J’ai pour priorité de valoriser la culture de l’export et de mettre en lumière les succès de nos PME exportatrices. Les équipes de l’AFD, en France et dans le monde, font beaucoup pour l’aide au développement ; ce travail est reconnu et apprécié par nombre de nos partenaires, mes homologues me le disent fréquemment. La question qui se pose est de parvenir à ce que des entreprises françaises mettent en œuvre les projets ainsi financés. Ma collègue Annick Girardin et moi-même sommes attentifs à cette question compliquée.

Comme vous, madame Dagoma, je pense que ne peuvent être considérées comme des précédents les seules clauses qui nous conviennent dans un accord. J’ai mis l’accent sur certains éléments du CETA négociés avec le Canada pour appeler l’attention sur leur importance, mais je n’ai pas dit que nous obtiendrons la même chose dans la négociation avec les États-Unis, où rien n’est acquis. Nous devons poursuivre cet objectif ambitieux en défendant nos intérêts offensifs.

Vous m’avez interrogé sur la position de la France. Le Gouvernement a indiqué à la Représentation nationale que la question du mécanisme d’arbitrage est sur la table. Mais l’honnêteté commande de dire aussi que la France est partie à d’autres accords qui comportent des clauses de ce type, et que d’autres opinions que la nôtre prévalent dans plusieurs pays membres de l’Union européenne. C’est pourquoi nous souhaitons avancer avec l’Allemagne et d’autres pays sensibles comme nous le sommes aux implications de ce dispositif. La France ne prendra pas seule une position qui, isolée, ne serait pas suivie d’effet. Nous avons l’obligation d’avancer à plusieurs, alors que notre position est plutôt minoritaire en Europe. Les interrogations sont, en Allemagne, semblables aux nôtres, au sein des syndicats, des entreprises et des Églises, mais la position du Gouvernement allemand n’est encore définitivement arrêtée. Nous nous efforçons donc de construire des positions communes et de les faire valoir au niveau communautaire.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

_____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 28 octobre 2014 à 17 h 15

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean-Marc Germain, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Benoît Hamon, Mme Françoise Imbert, M. François Loncle, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Thierry Mariani, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Odile Saugues, M. Gérard Sebaoun, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, Mme Cécile Duflot, M. Patrice Martin-Lalande, M. Pierre Moscovici, M. René Rouquet, M. François Scellier, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle