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Commission des affaires étrangères

Mercredi 15 juillet 2015

Séance de 12 heures

Compte rendu n°96

Co-présidence de Mme Élisabeth Guigou, présidente, de M. Gilles Carrez, président de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, et de Mme Marietta Karamanli, vice-présidente de la commission des Affaires européennes

– Audition, conjointe avec la commission des finances et la commission des affaires européennes, de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, sur les conclusions du sommet européen du 12 juillet 2015.

Audition, conjointe avec la commission des finances et la commission des affaires européennes, de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, sur les conclusions du sommet européen du 12 juillet 2015

La séance est ouverte à midi dix.

La Présidente Élisabeth Guigou. Marietta Karamanli, Gilles Carrez et moi-même sommes heureux d’accueillir M. Michel Sapin, que je remercie de sa présence. Son audition, que je souhaitais organiser depuis un certain temps, intervient à un moment particulièrement opportun. J’espère qu’elle nous permettra d’obtenir, avant le débat qui doit avoir lieu cet après-midi en séance publique, des informations précises sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les négociations au sein de l’Eurogroupe et du Conseil européen des chefs d’État et de Gouvernement. Il ressort de leurs conclusions respectives que les mesures qu’ils demandent au Gouvernement grec présentent une grande similitude, mais aussi quelques différences. Du reste, il n’y a pas eu, je crois, d’unanimité au sein de l’Eurogroupe – vous nous direz, monsieur le ministre des finances, quelle a été la position française. Il est également important pour nous de connaître l’état d’esprit du ministre des finances et du Premier ministre grecs, ainsi que le contenu précis de l’accord et ses effets immédiats, espérons-le – car il faut encore que le Parlement grec l’approuve –, et à moyen et long terme.

Nous sommes ici très nombreux à avoir souhaité, comme le Président de la République et le Gouvernement, que tout soit fait pour que la Grèce reste dans la zone euro. Ce choix était, à mes yeux, absolument crucial, et j’espère que le vote qui interviendra cet après-midi sur cette question politique fondamentale marquera une très large approbation. Oui, dans l’intérêt de la France, dans l’intérêt de l’Europe et dans l’intérêt de la Grèce elle-même, il fallait tout faire pour que celle-ci reste dans la zone euro !

J’en viens maintenant aux quatre points sur lesquels je souhaiterais, monsieur le ministre des finances, que vous nous apportiez des précisions.

Premièrement, il paraît indispensable de mettre sur pied une aide d’urgence, avant même que l’on ne s’accorde sur le nouveau plan d’aide. Quelles sont, compte tenu des difficultés techniques et juridiques, les possibilités de trouver les fonds nécessaires d’ici à lundi prochain, date à laquelle la Grèce devra faire face à l’échéance d’un remboursement dû à la Banque centrale européenne – BCE ?

Deuxièmement, si le Parlement grec et les six autres parlements nationaux, en plus du Parlement français, approuvent l’accord, les négociations sur le prochain plan d’aide doivent aboutir, en principe, au début de la seconde quinzaine d’août et permettre le décaissement de la première tranche de prêts du Mécanisme européen de stabilité – MES. Quelles sont les différentes options envisagées et les propositions que vous formulerez, dans ce cadre, au nom de la France ?

Le troisième point concerne la société de participations dont le Premier ministre grec a obtenu, avec le soutien de la France, qu’elle puisse être localisée à Athènes plutôt qu’au Luxembourg. Comment le produit des privatisations atteindra-t-il le chiffre espéré de 50 milliards d’euros ? Dans quel état d’esprit demandera-t-on à la Grèce une restructuration efficace de ses actifs ? L’objectif, en effet, n’est pas de démanteler l’État grec et de vendre ses actifs pour une bouchée de pain à des investisseurs étrangers. Il faut par ailleurs permettre à l’économie grecque, qui n’est pas assez compétitive – ses recettes en devises provenant principalement du tourisme –, de se reconstruire. Le plan de 35 milliards d’euros lui permettra-t-il de gagner en compétitivité ? Bien entendu, la question de l’effet macroéconomique de ce plan et de son caractère potentiellement récessif est au cœur des débats.

Quant à la dette grecque, nous savons qu’elle est insoutenable, mais nous savons aussi qu’il n’y a pas de majorité au sein du Conseil européen pour accepter une décote nominale. Existe-t-il, selon vous, des perspectives de « reprofilage » ou de rééchelonnement de cette dette ?

En conclusion, je souhaite ardemment que nous soutenions cet accord, car l’alternative serait, je le crois, bien pire pour nos propres intérêts, pour ceux de la Grèce et pour le projet européen.

Le Président Gilles Carrez. Monsieur le ministre, je souhaiterais, en attendant le débat général qui aura lieu cet après-midi, vous poser quelques questions précises d’ordre financier.

La première d’entre elles a trait au programme d’assistance du Mécanisme européen de stabilité, lequel, je le rappelle, n’a été sollicité jusqu’à présent que pour l’Espagne et Chypre. Cette assistance prendrait la forme d’une aide comprise entre 82 et 86 milliards d’euros, la quote-part de la France s’élevant à 22 %. Le Gouvernement entend-il demander, à l’instar de ce qui se fera en Allemagne, l’autorisation explicite du Parlement pour la mise en œuvre de ce nouveau programme d’assistance ? Cette question est d’autant plus importante qu’il est précisé, dans la déclaration publiée à l’issue du sommet de la zone euro du 12 juillet, que cette aide est soumise à des conditions extrêmement strictes. Or, on peut douter de leur fiabilité lorsqu’on sait que le produit des privatisations, par exemple, qui sont à l’ordre du jour depuis 2010, s’élève pour l’instant à 3 milliards d’euros, alors qu’on en attend 50 milliards.

Deuxièmement, selon la même déclaration, « il est attendu d’un État membre de la zone euro demandant l’assistance financière du Mécanisme européen de stabilité qu’il adresse, lorsque cela est possible, une demande similaire au Fonds monétaire international », dont un nouvel accord sera donc indispensable. Or, celui-ci a fait savoir, hier encore, qu’il souhaitait une nouvelle restructuration de la dette, qui suppose une décote nominale exclue dans le protocole. Il est vrai que la dette grecque a déjà été considérablement restructurée, puisqu’en 2010 et 2011, la moitié de la dette privée a subi une décote – 53 % en moyenne –, de sorte que 100 milliards d’euros ont été abandonnés. L’ensemble de la dette a alors été concentrée entre les mains, non plus de créanciers privés, mais de créanciers publics, principalement l’Europe et le FMI. Ainsi, les maturités ont déjà été prolongées et les taux d’intérêt abaissés – la Banque de France ayant même procédé à des restitutions. On ne voit donc pas très bien quelle nouvelle restructuration pourrait être engagée. Dès lors, comment envisagez-vous la coordination de l’action européenne avec le FMI ?

Troisièmement, on parle souvent de la solidarité envers les Grecs, mais n’oublions pas le contribuable français. Là encore, je souhaiterais que vous nous donniez des chiffres précis, monsieur le ministre. Jusqu’à présent, la France a accordé à la Grèce 11,4 milliards d’euros de prêts bilatéraux, dont la première échéance interviendra en 2023. Elle a par ailleurs garanti, à hauteur de 30 milliards d’euros, les prêts accordés dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière et dont la première échéance interviendra à la même date. Mais la quote-part, très importante, de la France dans l’Eurosystème n’a pas été évoquée. Que valent les obligations grecques achetées par la BCE ? Et quelle est la quote-part de la Banque de France, c’est-à-dire de notre système financier national, dans les liquidités d’urgence ELA ?

Quoi qu’il en soit, on peut évaluer les engagements de la France à hauteur de près de 70 milliards d’euros, soit 1 000 euros par Français ou le produit d’une année d’impôt sur le revenu. C’est donc loin d’être négligeable. On nous dit qu’une sortie de la Grèce de la zone euro coûterait beaucoup plus cher. Mais qu’en est-il exactement ? Le programme d’aide supplémentaire, auquel nous participerions à hauteur d’une trentaine de milliards, porterait notre engagement total à 100 milliards. Or, rien ne nous dit que les mêmes causes, à l’œuvre depuis des années, ne produiront pas les mêmes effets. En tout état de cause, le temps est venu, monsieur le ministre, d’apporter des éléments de réponse aux questions que se pose le contribuable français.

Enfin, si le gouvernement de M. Tsipras a évolué, c’est parce que les Grecs, qui ne peuvent plus retirer que très peu d’argent aux distributeurs, commencent à ressentir les effets de la crise dans leur vie quotidienne. Cela me conduit à vous demander si vous disposez d’éléments d’information sur la situation des banques grecques. Satisfont-elles aux ratios de solvabilité ? Il a été expliqué qu’une grande partie de leurs fonds propres serait constituée de crédits d’impôt sur l’État grec, sur la valeur desquels on peut s’interroger. Monsieur le ministre, nous vous demandons, dans le cadre de cette audition qui n’est pas ouverte à la presse, de répondre à ces questions précises. S’agissant de montants aussi colossaux, il faut que nous sachions où nous engageons notre pays.

Mme Marietta Karamanli, présidente. Je veux à mon tour remercier Mme Guigou d’avoir pris l’initiative de nous réunir ce matin. Aux termes de la Constitution, le Parlement n’est pas tenu de se prononcer sur l’accord conclu par le Conseil européen, mais son vote, cet après-midi, sera un signal fort pour la Grèce et l’Europe. Si les économistes sont assez partagés sur les effets des mesures qui ont été prises et de celles qui sont à prendre, il convenait que le pouvoir politique exprime sa volonté de créer la confiance et de croire en l’Europe. Les passions politiques, les convictions idéologiques, doivent parfois céder le pas au réalisme.

Ma première question a trait à la soutenabilité de la dette grecque. Si j’en crois des informations publiées par la presse internationale, elle pourrait atteindre, selon le FMI, 200 % du PIB dans les deux prochaines années et le pays pourrait être contraint d’emprunter à des taux plus élevés. Dès lors, l’aide octroyée à la Grèce serait inutile si des mesures n’étaient pas prises pour lui accorder un long répit avant le remboursement de ses emprunts ou pour abaisser la valeur nominale de ces derniers. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le ministre ?

Ma deuxième question porte sur le volet de l’accord consacré aux investissements. En quoi consiste-t-il précisément ? Comment ces fonds seront-ils utilisés et quel sera leur impact sur la dette elle-même ?

Enfin, ma troisième question porte sur l’accompagnement des réformes qui doivent être réalisées par la Grèce. Le Président de la République a indiqué qu’il mettrait au service de ce pays une expertise de haut niveau. Pouvez-vous nous préciser les moyens qui y seront consacrés et les domaines dans lesquels interviendra cette expertise ? La réussite de l’accord, qui commence en fait à être négocié, dépend en partie des structures administratives.

Je conclurai par une remarque plus personnelle. Ne croyez-vous pas que les négociations ont parfois davantage montré un rapport de force entre États dicté par des intérêts économiques et stratégiques objectifs qu’une volonté commune de favoriser le développement et la performance en tenant compte des différences structurelles qui existent entre les pays membres de l’Union ? La question de ces différences est importante et mérite que nous y réfléchissions afin d’y apporter des réponses.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Je ne répondrai pas aussi précisément que vous pourriez le souhaiter à toutes vos questions, car la réponse à certaines d’entre elles nécessite, pour être crédible et solide, une réflexion plus approfondie. Néanmoins, je m’efforcerai de décrire le plus clairement possible les mécanismes qui permettent d’évaluer les risques et les chances, économiques et politiques, de cet accord.

L’ensemble de la négociation dépendait de la réponse à une première question : ses acteurs souhaitaient-ils que la Grèce reste dans la zone euro ou, pour le dire autrement, estimaient-ils qu’il était dans l’intérêt général et dans l’intérêt de chacun de leurs pays qu’il en soit ainsi ? Cette question était décisive, car il fallait s’accorder sur ce point avant d’examiner les conditions dans lesquelles la Grèce pouvait rester dans la zone euro, conditions liées à la crédibilité dans la durée et aux chances de réussite d’un troisième plan, les deux précédents, sans être des échecs, n’ayant manifestement pas produit tous les résultats escomptés.

L’Allemagne n’a pas été le pays le plus difficile à convaincre. À ce propos, vous ne m’avez pas interrogé sur l’axe franco-allemand, mais j’y reviendrai : rien ne peut se résoudre en Europe en l’absence d’une convergence de ces deux pays. Une convergence n’est pas un alignement ; elle suppose que, d’un côté comme de l’autre, on affirme clairement ses positions – ce qui a été le cas. Ce sont les plus petits pays qui ont été les plus difficiles à convaincre, ceux qui, en raison de leur superficie, de la taille de leur population, de la dureté des réformes qu’ils ont pu mener et parfois de leur niveau de vie, peuvent se comparer à la Grèce. Je rappelle en effet que le SMIC et le niveau des petites pensions de retraite est inférieur dans certains pays de la zone euro à ce qu’ils sont en Grèce, et que les impôts y ont parfois augmenté de manière plus importante. Pourquoi, ont-ils demandé, devrions-nous aider les Grecs à réaliser ce que nous-mêmes sommes parvenus à faire alors que le niveau de vie de nos populations est inférieur à celui des leurs ? Leurs préoccupations étaient compréhensibles.

Si l’on dépasse cette vision individuelle, les choses se résument assez simplement. Quelles auraient été les conséquences d’un « Grexit », c’est-à-dire d’une sortie de la Grèce de la zone euro ? D’aucuns souhaitent – et je suis persuadé que certains d’entre vous sont prêts à défendre cette thèse – que, lorsqu’un pays rencontre des difficultés économiques trop importantes, il sorte de la parité avec la monnaie unique pour voir la valeur de sa monnaie diminuer et retrouver ainsi de la compétitivité. Cette sortie peut être définitive selon les uns, provisoire selon les autres. Mais, je vous le dis, une sortie de la zone euro pour une durée de cinq ans est un leurre : on en sort ou on n’en sort pas !

Quoi qu’il en soit, pour les tenants de cette thèse, c’est grâce à la diminution de la valeur de sa monnaie que la Grèce s’en sortirait. Prenons l’hypothèse, qui a été souvent avancée par des économistes, dans laquelle la nouvelle monnaie vaudrait environ la moitié de la valeur de l’euro. Cela produirait un choc de pauvreté : non seulement le titulaire d’une pension de 600 euros, par exemple, se retrouverait avec un revenu de 300 euros, mais l’inflation serait considérable dans un pays qui importe 80 % de son énergie et de son alimentation. La situation aurait donc été catastrophique pour le peuple, pour les plus faibles des Grecs. C’est du reste parce qu’il voulait les protéger que M. Tsipras a refusé cette hypothèse, et je crois qu’il avait parfaitement raison.

Qu’en serait-il maintenant de ceux que l’on appelle les « créanciers », c’est-à-dire les Européens qui ont fait preuve de solidarité envers la Grèce en lui accordant des aides sous la forme de prêts à des conditions avantageuses ? La Grèce s’étant ainsi endettée auprès des Européens, elle leur doit de l’argent, et elle le leur doit, non pas en drachmes, mais en euros. Dès lors, si l’on passait de l’euro à une drachme dévalorisée de moitié, le poids de la dette, qui est déjà insupportable aujourd’hui, doublerait, passant à 350 % du PIB. Or, quelle serait la première décision que prendrait le Club de Paris en pareil cas ? Il diviserait la dette par deux ! Et, puisqu’elle ne serait toujours pas soutenable, il la diminuerait encore. La sortie de la Grèce de l’euro se traduirait donc par l’annulation pure et simple de plus de la moitié de la dette due aux Européens, notamment à la France. Je suis certain, monsieur le président Carrez, que le contribuable y perdrait. Dans l’autre hypothèse, celle du maintien de la Grèce dans la zone euro, il est possible – c’est en tout cas ce que nous voulons et ce à quoi s’est engagée la Grèce – qu’il n’y perde pas. Mais cela suppose que certaines conditions soient respectées, et ces conditions sont celles qui figurent dans l’accord.

Force est donc de constater, lorsqu’on examine les conséquences pratiques qu’aurait eues un Grexit sur les plus faibles des Grecs et sur les contribuables français, qu’il était dans l’intérêt des uns et des autres que la Grèce reste dans la zone euro.

J’en viens à présent au processus lui-même qu’en dépit de sa complexité, je vais m’efforcer de « décortiquer ». L’étape qui a été franchie, celle de l’accord politique global, est décisive. Cet accord affirme que la Grèce doit rester dans l’euro et fixe les principales conditions qui le lui permettent.

Un premier ensemble de conditions est composé de mesures qui auront un effet sur l’équilibre budgétaire, qu’il s’agisse d’économies – des réformes doivent être réalisées dans le domaine des retraites, sans forcément diminuer les plus petites pensions –, d’augmentations d’impôts – je pense à la TVA – ou de procédures civiles, notamment la garantie de l’indépendance de l’autorité administrative fiscale. Un deuxième ensemble, le plus important, est composé des réformes de structure, qui portent sur le marché des biens, le marché de l’énergie, le marché financier et, surtout, l’administration. Tous les gouvernements précédents se sont en effet engagés à accroître les performances de l’administration, à garantir l’indépendance de l’autorité fiscale, mais aucun ne l’a fait. Le ministre des finances du Gouvernement auquel a succédé celui de M. Tsipras avait même, contre nos recommandations, remplacé le directeur général des finances publiques, sans doute parce que ses décisions ne convenaient pas à tel groupe ami – chacun voit bien à quoi je fais référence. Il faut en finir avec ce mode de fonctionnement, et le gouvernement Tsipras y est décidé.

L’autre volet de l’accord comporte les décisions qui doivent permettre de compenser les mesures pesant sur l’activité économique, qu’il s’agisse d’augmentations d’impôts ou de la diminution de certains revenus. Sont ainsi prévus 35 milliards de nouveaux investissements dans le cadre des crédits existants au sein du budget européen. Je veux parler des fonds structurels qui, pour être versés, doivent être complétés par des crédits nationaux. Or, jusqu’à présent, ceux-ci faisaient défaut en Grèce. Là, la contrepartie existera, de sorte que pourront être débloqués des investissements d’un montant considérable.

M. le président Carrez m’a interrogé sur la situation des banques grecques. Je ne suis pas capable de lui répondre sur ce point – une autorité européenne est chargée d’analyser leur situation. Mais il est probable qu’elles ne valent pas grand-chose aujourd’hui et qu’en l’absence d’une recapitalisation importante dans les semaines qui viennent, elles auront quelques difficultés à jouer à nouveau leur rôle dans l’économie grecque. Cette recapitalisation, évaluée aujourd’hui à hauteur de 25 milliards, redonnera aux banques une valeur, qui se retrouvera d’ailleurs dans le fonds de privatisation – ces banques sont, pour la plupart d’entre elles, publiques.

J’ajoute, mais j’y reviendrai, que, parmi les contreparties incluses dans l’accord politique global figure la question de la dette que, ni politiquement ni économiquement, nous ne pouvions exclure du débat, comme le souhaitaient pourtant de nombreux pays.

La période actuelle est très particulière car, dans les jours qui viennent, les conditions doivent être réunies pour que s’ouvre la négociation. Du côté grec, certaines mesures doivent être adoptées. Je précise que le gouvernement grec les aurait de toute façon soumises au Parlement, car elles sont nécessaires. Du côté des Européens, l’accord doit être approuvé par le Parlement dans les pays dont la Constitution l’impose ; tel est le cas en Allemagne, mais aussi et surtout en Finlande, où le Gouvernement doit, pour débuter les négociations, se voir confier par le Parlement un mandat précis. En France, cette obligation n’est pas constitutionnelle, mais il est bon qu’un débat et un vote soient organisés afin que chacun puisse exprimer librement son opinion. Cette procédure est importante, non seulement pour les Français, mais aussi pour les Grecs et les autres Européens, qui pourront ainsi constater que la position du Gouvernement français est partagée par les assemblées parlementaires.

S’ouvre donc une période très délicate qui doit se clore jeudi ou vendredi. À la fin de la semaine, nous constaterons ensemble que les conditions sont remplies ; pourra alors s’ouvrir la négociation sur le nouveau programme d’aide. Selon la date indicative qui a été donnée par le président de l’Eurogroupe, la négociation doit être terminée de manière que le programme puisse être approuvé par l’Eurogroupe et le Mécanisme européen de stabilité le 7 août – peut-être sera-ce le 14 août. Soit la négociation aura abouti, soit elle aura échoué, mais il y a de grandes chances qu’elle aboutisse. Je précise que ce programme est élaboré avec le FMI, dont j’indique qu’il n’a pas été le plus désagréable dans la négociation, notamment parce qu’il a insisté sur le poids de la dette. En tout état de cause, sa présence est indispensable, ne serait-ce que parce qu’il existe un décalage entre le programme européen, qui commencera mi-août, et celui du FMI, qui se terminera en mars prochain. En outre, le FMI contribuera à hauteur de 16 milliards au programme de 80 milliards d’aide à la Grèce.

Une fois que le programme sera adopté, interviendront les décaissements qui permettront à la Grèce de faire face à ses échéances externes ainsi qu’à ses obligations internes et de remettre son économie en route. Mais la période qui s’ouvrira jeudi et se terminera le jour où ces décaissements interviendront est cruciale. Aujourd’hui, en effet, les banques et l’économie ne fonctionnent plus ; il n’y a plus de quoi payer les produits alimentaires, dont 80 % sont importés, ni l’énergie qui permet notamment de faire fonctionner les usines. Cette situation terrible a, qui plus est, un coût considérable en termes de croissance.

Il faut donc que cela change. Si nous attendions ne serait-ce que trois semaines, la Grèce sortirait forcément de l’euro, quels qu’aient été les efforts politiques et économiques consentis, et si grande ait été la mobilisation des uns et des autres. Sur ce point, je ne peux vous donner davantage de détails, des discussions étant en cours. Plusieurs mécanismes sont envisageables, depuis celui qui avait été mis en œuvre au tout début, notamment par la France, sous la forme de prêts bilatéraux, jusqu’aux systèmes bien meilleurs où nous agissons tous ensemble, que ce soit sur la base des profits emmagasinés au sein des banques centrales de chacun de nos pays et de la Banque centrale européenne, qui devront être débloqués le plus rapidement possible, ou sur la base d’autres mécanismes, dont certains dépendent de la volonté de l’ensemble des vingt-huit États de l’Union européenne. Durant cette période intermédiaire, nous devons trouver environ 7 milliards d’euros, ce que nous nous efforçons de faire.

Certes, il y a eu des privatisations pour un montant de 3 milliards d’euros, mais les conditions dans lesquelles elles ont été faites par les gouvernements précédents sont parfaitement condamnables : il semble que certains aient tiré bien plus que l’État de ces opérations. Nous devons mettre en place des mécanismes de gouvernance, de gestion des actifs grecs, permettant de procéder à d’autres privatisations dans des conditions protectrices pour l’État et le peuple grecs, c’est-à-dire en faisant preuve de vigilance sur la nature des biens privatisés, et en choisissant le bon moment pour vendre. Une assistance technique peut être mise en œuvre, sur le modèle de celle existant en France depuis quelques années, notamment avec l’Agence des participations de l’État, qui permet de savoir dans quelle fourchette de valeurs une opération peut être réalisée.

Certains faisaient preuve d’une telle défiance à l’égard de la société grecque et de son fonctionnement qu’ils préconisaient de confier le fonds de privatisation à un pays tranquille, où sa gestion serait assurée « en bon père de famille », à savoir au Luxembourg ! Vous comprendrez que le Gouvernement français se soit associé au Gouvernement grec pour écarter cette hypothèse : certes, une meilleure gouvernance doit être recherchée afin que le fonds rapporte plus dans de meilleures conditions, mais cela doit se faire dans le respect de la souveraineté du peuple grec. Le fonds de privatisation restera donc à Athènes, mais sera géré dans des conditions très différentes de celles prévalant aujourd’hui.

Comment ce fonds va-t-il pouvoir atteindre le montant de 50 milliards d’euros espéré ? Il y a déjà les banques, pour 25 milliards d’euros.

M. Pierre Lellouche. C’est notre argent !

M. le ministre. Vous qui avez été secrétaire d’État chargé des affaires européennes, monsieur Lellouche, vous devriez savoir qu’il est certaines facilités de langage qu’il vaut mieux éviter.

Certes, les banques ont aujourd’hui une valeur proche de zéro, mais le fonds n’est pas constitué en tenant compte de la valeur actuelle des entreprises, mais de leur potentiel de valeur à terme. Or, le fonds n’est pas constitué pour deux ou trois ans, mais pour dix ou quinze ans, et a vocation à procurer une garantie de l’argent apporté par l’Europe – « notre argent », si je devais reprendre l’expression de M. Lellouche –, ce qui fait que la garantie de 50 milliards d’euros comprend celle des 25 milliards d’euros apportés pour recapitaliser les banques.

Le troisième prêt devrait être compris entre 82 et 86 milliards d’euros, ce montant devant être affiné dans les trois semaines à venir. Sur cette somme, 16 milliards d’euros proviennent du FMI, et l’on attend de la Grèce qu’elle dégage un surplus budgétaire de 3,5 milliards d’euros. Il n’y aura donc qu’une cinquantaine de milliards d’euros d’engagements nouveaux, provenant du Mécanisme européen de stabilité. Pour autant, il n’est pas nécessaire de remettre d’argent dans le MES, dont la capitalisation a déjà été autorisée par le Parlement : aujourd’hui, le MES dispose de l’argent nécessaire à la levée des fonds qui seront ensuite prêtés à la Grèce. Il n’y a donc aucune obligation juridique de faire à nouveau voter le Parlement ni même de l’informer via les commissions compétentes sur le déroulement des différentes étapes – mais je suis tout à fait disposé à le faire tout de même.

Certes, il est important pour la Grèce de rembourser une dette qui ne doit pas venir obérer toute reprise de son activité, mais elle doit aussi et surtout mettre en place une administration digne de ce nom, qui lui permettra de percevoir des impôts dans de bonnes conditions.

M. Charles de Courson. Pour quelques mois ?

M. le ministre. Pas seulement pour quelques mois, mais pour les années à venir. Au demeurant, une telle réforme permettra de faire face aux engagements dans de bien meilleures conditions. Le taux de prélèvements obligatoires en Grèce est aujourd’hui très faible et cela ne saurait durer plus longtemps, tant pour la Grèce que pour ses partenaires.

Ayant suivi les débats qui ont eu lieu au sein de l’Eurogroupe au cours des six derniers mois, je sais à qui incombe la responsabilité du retard pris, à l’origine d’une partie de l’aggravation de la situation de la Grèce. Nous avions initialement retenu des modalités bien plus simples que celles finalement mises en place : fin avril, nous devions avoir terminé le précédent programme, ce qui nous permettait ensuite de prendre du temps pour négocier. La situation politique en Grèce ne l’a pas permis, ce que je peux comprendre, mais a nécessité de tout faire au dernier moment, en un délai qui s’est réduit de quelques semaines à quelques jours, puis à quelques heures.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement grec actuel est courageux et fait preuve d’une détermination absolue à mettre fin au clientélisme, à la corruption et au délitement de l’État. Pour moi, c’est de là que viendra le vrai changement en Grèce, et nous devons donc appuyer ce gouvernement, politiquement mais aussi techniquement – grâce à la mise à disposition de conseillers –, afin de l’aider à faire face aux difficultés qu’il affronte. De tout temps, il y a eu des gens honnêtes et ayant la volonté de réussir, mais il me paraît particulièrement injuste de reprocher à ce gouvernement-là que des réformes n’aient pas été mises en place au cours des vingt ou trente dernières années. Je souhaite donc que notre pays exprime une volonté de compréhension et de soutien. Il ne s’agit pas de faire preuve de compassion pour un pays qui aurait le pistolet sur la tempe, mais de soutenir dans ses efforts un gouvernement courageux ayant la volonté de prendre les décisions qui s’imposent.

M. Dominique Lefebvre. Je remercie M. le ministre et ses collaborateurs pour les efforts consacrés à ce dossier depuis plusieurs mois. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen partage l’idée qu’il est nécessaire de maintenir la Grèce dans la zone euro, donc dans l’Union européenne, au nom d’une certaine idée de l’Europe et parce que nous partageons l’analyse de M. le ministre sur le fait que l’Europe, la Grèce et la France ont des intérêts convergents.

Pour autant, le maintien de la Grèce dans la zone euro ne doit pas se faire sans conditions et à tout prix – mais cela fait longtemps que le peuple grec est confronté à la crise et aux mesures d’austérité. Nous n’en sommes qu’au début d’un processus qui va durer un mois et demi et peut rencontrer des difficultés – qui pourraient éventuellement le stopper – lors de chacune de ses étapes. Nous estimons donc que la France doit garder le cap et continuer à jouer le rôle consistant à permettre le dialogue entre les différentes parties.

Il est parfaitement justifié de se préoccuper des conséquences qu’auront à supporter les contribuables français et européens. En tout état de cause, la solution passe forcément par le retour à la croissance et à la prospérité en Grèce, ce qui suppose un certain nombre de réformes structurelles qui vont prendre du temps. Il est très clair également que si l’on impose à la Grèce un effort de remboursement trop important, elle n’y arrivera jamais, et tout le monde sera perdant. Nous devrons donc être particulièrement attentifs aux modalités de mise en œuvre de cet accord extrêmement douloureux pour la Grèce, dont la conclusion a nécessité un grand courage de la part du Gouvernement grec.

M. Pierre Lellouche. À l’issue de débats intenses ce matin, le groupe Les Républicains votera majoritairement en faveur de l’accord européen relatif à la Grèce. Cela dit, un certain nombre d’entre nous ont de grandes réserves à ce sujet : j’en fais partie, et vais vous les exposer à titre personnel.

La présidente Élisabeth Guigou a dit tout à l’heure, à juste titre, que le plus important dans le vote de cette après-midi était le signal politique que nous allions adresser. Si nous sommes tous favorables au maintien de la Grèce dans la zone euro, nous estimons pour notre part que cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Or, monsieur le ministre, en réponse à la question que le président Gilles Carrez vous a posée, vous avez semblé exclure un deuxième vote, portant sur les conditions financières : pour vous, nous aurons une réponse vers le 7 août mais, le chèque du MES ayant déjà été voté par le Parlement, il n’y aura pas de raison d’y revenir, même si cela doit coûter 30 milliards d’euros de plus au contribuable français – ce qui représente tout de même un point et demi de PIB : je m’étonne que vous considériez que cela ne vaut pas un vote du Parlement français, et j’espère que nous aurons au moins le droit d’en débattre.

Sur le fond, les gouvernements européens ont fait en sorte d’éviter à l’Europe un saut dans l’inconnu, ce qui peut être vu comme une bonne nouvelle à court terme. Cependant, comme le disait Albert Einstein, la folie consiste à reproduire les mêmes erreurs et à s’attendre à ce qu’elles aient un résultat différent. Or, non seulement vous continuez à matraquer ce malheureux peuple grec à grands coups de mesures d’austérité, mais vous lui imposez une chose que l’on n’avait pas vue depuis la République de Weimar, à savoir une dépossession totale de sa souveraineté : ainsi les lois concernant la vie économique et sociale devront-elles être soumises aux institutions créancières avant de l’être à la consultation publique ou au Parlement grec. À moyen et long termes, vous devez vous attendre à de gros problèmes.

L’histoire de la Grèce moderne, depuis sa naissance il y a deux siècles, est une histoire chaotique et violente. Je peux vous assurer que ce qui serait perçu comme totalement intolérable à Paris, Rome ou Madrid, le sera encore plus dans ce pays, et que la mise en application de l’accord va se révéler ingérable. Ce n’est pas le principe même de l’accord qui est en cause, mais sa faisabilité : vous avez conclu un accord politiquement mort-né dès sa signature – j’en veux pour preuve le fait que le Premier ministre grec dise lui-même avoir signé à contrecœur un accord auquel il ne croit pas. Les plans de sauvetage de la Grèce équivalent à deux fois le plan Marshall – qui, lui, était destiné à seize pays. Vouloir garder la Grèce dans l’Europe, c’est bien, mais à le faire dans ces conditions, il faut s’attendre à une crise de confiance massive en Europe dans quelques mois, qui aboutira à ce que nous soyons très rapidement de retour à la case départ, avec des conditions encore dégradées. C’est pourquoi j’aurai beaucoup de mal à approuver votre accord cet après-midi, monsieur le ministre.

M. Charles de Courson. M’exprimant également en mon nom personnel, je vous poserai cinq questions à ce titre, monsieur le ministre.

La première porte sur la soutenabilité de la dette publique grecque et son coût pour le peuple français. Vous avez déclaré ce matin que la dette serait intégralement remboursée, mais le FMI, qui vous avait adressé le 11 juillet dernier une note disant que cet objectif était insoutenable, préconise aujourd’hui des mesures d’allégement, voire d’annulation partielle, ce que l’accord signé exclut. Qui faut-il croire ? En ce qui me concerne, ma position n’a pas varié depuis 2010 : je disais alors à Mme Lagarde que le plan de sauvetage d’une centaine de milliards d’euros qu’elle nous présentait ne tenait pas debout – il a tenu dix-huit mois. Le deuxième plan aura tenu deux ans et demi, et le prochain ne fera pas mieux.

Ma deuxième question porte sur la crédibilité de l’estimation à 50 milliards d’euros des actifs privatisables de l’État grec. À part l’aérodrome d’Athènes et le port du Pirée, où allez-vous trouver 50 milliards d’euros d’actifs privatisables ?

Ma troisième question porte sur la crédibilité du futur – ou devrais-je dire éventuel – protocole d’accord, qui reste à négocier. Si un tel protocole, respectant les conditions de la déclaration du 13 juillet, était conclu, pourrait-il être approuvé par le Parlement grec et par les dix-huit autres États de la zone euro ?

Pour finir, je veux vous demander ce que vous pensez du Premier ministre grec, qui déclare à la télévision que ce qu’il a signé n’a aucune importance, puisqu’il n’a pas l’intention de l’appliquer.

M. Philip Cordery. Il n’a pas dit ça !

M. Charles de Courson. C’est bien ce qu’il a dit en substance.

Enfin, monsieur le ministre, pensez-vous que la démocratie grecque pourra résister à la sortie de la zone euro ou à l’application de l’éventuel protocole d’accord conforme à la déclaration du 13 juillet ? Dans la négative, que se passera-t-il ?

M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la BCE va effectuer un travail d’évaluation de la soutenabilité de la dette en complément de celui fait par le FMI ?

Pour ce qui est de la réduction des dépenses demandée à la Grèce, l’Union européenne maîtrise-t-elle bien le rapport bénéfice/risque des mesures envisagées, en particulier l’impact récessif que pourraient avoir certaines des réductions de dépenses ?

En ce qui concerne les intérêts de la dette – abstraction faite de la question du préalable et du difficile débat sur le nominal à sanctuariser –, les taux sont bas aujourd’hui, mais les créanciers ont déjà réalisé de gros bénéfices, et la dette s’est trouvée alourdie du fait d’intérêts accumulés par le passé. Ainsi, alors que la BCE vient de faire 3,3 milliards d’euros de profits sur deux ans, les taux d’intérêt sont encore au-delà de 2 %. L’Union européenne est-elle disposée à travailler sur l’idée consistant à réduire le stock de dettes du montant des intérêts accumulés illégitimement ?

L’Union européenne a-t-elle saisi l’occasion de la déflagration survenue en Grèce pour accélérer son processus de lutte contre l’évasion fiscale ? J’insiste sur le fait que des recettes pourraient être obtenues par ce moyen.

Enfin, si chacun s’accorde à reconnaître que les privatisations doivent se faire dans les meilleures conditions, il est permis de se demander s’il est vraiment nécessaire de tout privatiser : dans certains cas, une meilleure gestion n’aurait-elle pas suffi ? Si une entreprise est privatisable, c’est qu’elle est rentable et qu’elle recèle un potentiel de ressources supplémentaires pour la Grèce, qui pourraient être obtenues au moyen d’une meilleure gestion des actifs.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances. Je remercie M. le ministre pour son action sur le plan politique – faire en sorte de maintenir la Grèce dans la zone euro – et sur le plan économique.

Sur ce dernier point, si nous en sommes arrivés à la situation actuelle, c’est que tout ce qui pouvait être fait en matière d’amélioration du prélèvement des impôts n’a pas forcément été fait depuis 2010 : en la matière, il y a encore de la marge. Une task force d’une soixantaine de personnes se trouve actuellement à Athènes. Pouvez-vous nous dire si elle comprend des fonctionnaires français, le cas échéant quelle lettre de mission ils ont reçue, et si elle est susceptible d’évoluer en fonction du plan qui pourrait être adopté par les différents parlements ?

Par ailleurs, je crois savoir que certains fonctionnaires faisant partie de cette task force ont été saisis d’un certain découragement en constatant l’ampleur du problème : ils se demandaient par quel bout le prendre. Ce point est-il sécurisé ? Il ne s’agit pas de faire de l’ingérence, mais simplement de l’accompagnement en vue de permettre un meilleur prélèvement des impôts, en particulier auprès de certains contribuables grecs ayant la ferme intention d’y échapper.

M. Philip Cordery. Je veux féliciter M. le ministre pour la séquence qui vient d’avoir lieu, qui, à mon sens, grandit la France en Europe. J’aurais aimé que M. Lellouche, qui a évoqué une possible alternative, nous précise en quoi elle consiste, car à mon sens, la seule autre solution était la sortie de la Grèce de l’Europe, avec toutes les conséquences économiques, politiques et géopolitiques que cela impliquait, et une amplification de la crise actuelle. L’accord est ce qu’il est, mais il n’existait pas de meilleure solution, et je fais confiance au Gouvernement pour le parfaire dans son application.

Comme Mme Rabault, j’aimerais savoir quelle sera l’action de la France en bilatéral pour aider les Grecs dans la mise en œuvre de cet accord.

Par ailleurs, ce qui fait la différence entre un programme d’austérité et cet accord, c’est le plan d’investissements qui va permettre à la Grèce de relancer son économie. Que pouvez-vous nous en dire ?

Enfin, à quelle échéance pensez-vous qu’une deuxième étape, consistant en un accord sur la restructuration à long terme de la dette grecque, soit envisageable ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. M. Lellouche a exposé une bonne partie des arguments que je défends depuis des années. En 2010, 2011 et 2012, on nous a dit qu’il fallait aider la Grèce, que l’argent donné ne serait pas perdu, que l’on allait mettre en œuvre des réformes qui allaient produire des résultats, et qu’à défaut d’intervention, la situation s’aggraverait – et à chaque fois, je suis intervenu pour exprimer mon scepticisme.

Mme Guigou a évoqué, en des termes élégants, un accord « potentiellement récessif ». Précisément, pouvez-vous m’expliquer pourquoi ce qui a échoué deux fois devrait marcher la troisième ? Aller jusqu’au bout de la logique qui vous a inspirés aurait consisté à effacer une partie de la dette pour sortir définitivement la Grèce de la crise – si ce n’est pas ma façon de voir les choses, je lui reconnais une certaine cohérence –, mais vous ne l’avez pas fait, les Allemands vous en ayant empêchés. Quand on lit le texte de l’accord, on se rend compte que vous demandez des réformes avant de voir ce que vous pourrez donner. Or, ce sera de toute façon très insuffisant, comme le FMI l’a dit sans détours. L’accord est donc mort-né, car l’effet récessif sera tel que la Grèce ne pourra pas tenir : quelle que soit la pression que vous exercerez sur M. Tsipras, il ne pourra respecter cet engagement.

Tout ce que vous faites, c’est gagner un peu de temps. Je ne connais pas de plan d’austérité qui ait réussi sans être accompagné d’une dévaluation – dans ce domaine, les seuls exemples historiques qui me viennent à l’esprit sont ceux, dramatiques, du chancelier Brüning en Allemagne et de Pierre Laval en France. L’aide prévue par l’accord qui vient d’être conclu se situe à un niveau permettant tout juste de rembourser les créanciers durant une période très limitée, mais certainement pas de permettre la relance. Qu’on le veuille ou non, ce plan est économiquement voué à l’échec.

Sur le plan politique, comment pouvez-vous envisager sérieusement de refonder l’État grec en cinq ans, quand on sait qu’une telle entreprise nécessite des décennies, pour ne pas dire des siècles ? Comment pouvez-vous croire que vous allez changer la Grèce par décret, et imposer de l’extérieur à ce peuple fier, issu d’une histoire tragique, un programme qui est une véritable honte pour nos démocraties ? Enfin, comment avez-vous pu signer sans sourciller un plan de cette nature, consistant à mettre en place un protectorat rappelant les heures du colonialisme, et qu’aucun pays au monde n’accepterait ? En agissant de la sorte, vous allez déclencher des troubles politiques en Grèce, et ainsi gâcher la dernière carte qui restait à jouer avant le chaos.

Si le Grexit punitif, à l’allemande, n’était pas une hypothèse souhaitable, un Grexit aménagé aurait, à mon sens, constitué la seule solution durable, comme Valéry Giscard d’Estaing l’a très bien expliqué la semaine dernière dans L’Express. Alors qu’un rééchelonnement de dettes et un reprofilage auraient constitué la seule solution pour la Grèce, vous vous ingéniez à noircir toute hypothèse de Grexit, toute idée de dévaluation monétaire. Je rappelle que l’Islande, après avoir dévalué sa monnaie de 50 % et refusé de régler ses dettes, connaît aujourd’hui une très forte relance économique. Sans prétendre que ce modèle serait facilement transposable à la Grèce, j’estime que ce serait là une solution offrant davantage de perspectives que la mort lente à laquelle vous condamnez un peuple.

M. le ministre. Je respecte les convictions des uns et les autres et me garderai donc de répondre sur le fond au sujet de celles qui viennent d’être exprimées. Cela dit, que pouvions-nous faire ? Aurions-nous dû laisser le peuple grec condamné à ses divisions et à ses violences, sous prétexte qu’il n’a connu que cela par le passé ? Il est pourtant des États à l’est de l’Europe qui, après avoir connu la violence, ont su construire en dix ans un État, une administration, une économie et une société.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ils l’ont fait par eux-mêmes.

M. le ministre. Le monde d’aujourd’hui n’a plus forcément besoin de siècles pour évoluer : des années peuvent suffire. J’ai foi en la capacité des peuples, même ceux ayant vécu les événements les plus tragiques, à avancer, pour peu qu’ils en aient la volonté politique – il n’est que de voir comment la France et l’Allemagne, ennemis d’hier, ont su se réunir pour fonder l’Europe.

Une coopération française avait été mise en œuvre en Grèce afin de contribuer à la constitution d’une administration fiscale indépendante, apte à augmenter le montant des recettes fiscales. Cette initiative n’a malheureusement donné aucun résultat, s’étant heurtée à une forme résistance. Les coopérations, notamment bilatérales, actuellement en œuvre, vont donc être renforcées, et la France va apporter encore plus de moyens techniques, de conseils et d’accompagnement. Nous sommes actuellement en train de mettre en place un service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) sur le modèle de celui existant en France et ayant vocation à régulariser la situation fiscale des contribuables possédant des comptes non déclarés à l’étranger, en particulier en Suisse. Un tel service permet de rapatrier des sommes considérables, dues non seulement au titre de l’impôt lui-même, mais aussi des pénalités applicables – plus de 2 milliards d’euros par an pour la France.

Pour ce qui est de la gestion des actifs, le fonds de 50 milliards d’euros n’est pas un fonds de privatisation – il n’y a pas 50 milliards d’euros d’actifs à privatiser –, mais un fonds de gestion des actifs, ayant pour objet de permettre une meilleure gestion de ces actifs, même lorsque l’État les conserve dans son portefeuille – à l’instar de ce que fait l’Agence des participations de l’État (APE) en France. En fait, il est prévu de procéder à des privatisations pour un montant de 2,5 milliards d’euros par an pour trois ans : comme vous le voyez, nous sommes bien loin du montant de 50 milliards d’euros qui est souvent évoqué. Le fonds mis en place est là pour gager – même si le terme n’est pas tout à fait exact – les quelque 50 milliards d’euros que la collectivité européenne va apporter, et permettre une meilleure gestion de ces fonds.

Je ne suis pas en mesure de vous exposer le détail de tous les actifs à privatiser, d’autant que c’est la valeur à terme des biens qui devra être prise en compte, et non la valeur actuelle. Comme je vous l’ai dit, si nous retenions la valeur actuelle des banques, elle serait nulle, mais c’est bien la valeur à terme qui sera prise pour référence, ce qui correspond à une capitalisation de 25 milliards d’euros – et cela devrait même valoir un peu plus, à moins d’une très mauvaise gestion. Par ailleurs, le Gouvernement grec considère avoir 17 milliards d’euros en portefeuille. Certes, ces deux sommes additionnées ne donnent pas tout à fait 50 milliards d’euros mais, comme pour les banques, les 17 milliards d’euros détenus par l’État grec feront l’objet d’une réévaluation à terme – et chacun comprendra que le chiffre rond de 50 milliards d’euros ne correspond pas à une évaluation précise, mais simplement à une estimation.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas très honnête !

M. le ministre. Je le répète, il ne s’agit que d’une estimation, ayant pour objet de permettre la définition d’un objectif. Enfin, je rappelle qu’une somme équivalente, à savoir près de 50 milliards d’euros, va être injectée dans l’économie grecque, sous forme d’investissements. Sur le plan macroéconomique, c’est une très bonne chose.

Pour ce qui est de la dette, le Fonds monétaire international ne dit nulle part que le plan de sauvetage n’est acceptable qu’à la condition d’une réduction nominale de la dette. Mme Lagarde a bien dit qu’à l’issue de toutes les analyses auxquelles il a été procédé, il apparaît qu’il reste des marges en termes de baisse de taux d’intérêt, de report du paiement des intérêts et d’allongement de la durée de la dette, afin de rendre cette dette soutenable. Il n’y a donc pas de contradiction entre ce qui est inscrit dans l’accord et la position du FMI – je rappelle que nous sommes d’ailleurs partis d’un texte dit « des institutions ». Il existe bel et bien une solution n’imposant pas de toucher au nominal, ce qui constitue une condition d’acceptabilité politique dans plusieurs États, en particulier l’Allemagne et les pays nordiques, qui attachent une grande importance à ce que le montant de la dette ne soit pas réduit.

Sur ce sujet complexe et par nature très évolutif, je reste à votre disposition pour vous donner toutes les précisions que vous estimerez nécessaires – étant précisé que, même au cours d’une audition qui n’est pas ouverte à la presse, il ne m’est pas possible de vous faire part de toutes les informations que je possède.

La Présidente Élisabeth Guigou. Nous vous félicitons pour votre action, monsieur le ministre, et vous remercions d’avoir répondu à notre invitation.

La séance est levée à treize heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 15 juillet 2015 à 12 heures

Présents. - M. François Asensi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Philippe Cochet, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Bernard Lesterlin, M. Thierry Mariani, M. Jean-Luc Reitzer, M. Boinali Said, M. André Santini, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-Marc Ayrault, M. Gérard Charasse, M. Jean-Paul Dupré, M. Benoît Hamon, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Armand Jung, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. Axel Poniatowski, Mme Odile Saugues, M. Michel Vauzelle