Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires culturelles et de l'éducation > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 10 juin 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Présentation du rapport intitulé « Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive », remis par Mme Martine Faure à Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, le 26 mai 2015

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 10 juin 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend Mme Martine Faure sur la présentation de son rapport intitulé « Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive », remis à Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, le 26 mai 2015.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, notre séance de ce matin est consacrée au rapport intitulé « Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive », que notre collègue Martine Faure a remis le 26 mai dernier à Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, et qui vous a été envoyé par voie électronique la semaine passée. L’équilibre, c’est tout un art. Nous connaissons bien Martine Faure et ne doutons pas qu’elle a dû mettre beaucoup d’elle-même pour trouver ce point d’équilibre.

L’archéologie préventive est régie par deux lois qui ont été votées en 2001 et en 2003. Ces textes ont mis en place un cadre – avouons-le, relativement complexe – d’exercice et de financement de ces activités, qui met en relation une pluralité d’acteurs non seulement publics, mais aussi privés. Au titre des acteurs publics, je pense bien sûr à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), à l’invitation duquel certains d’entre nous avaient pu visiter dans l’Oise un chantier de fouilles tout à fait exceptionnel.

Chère Martine Faure, votre rapport était attendu car ce secteur connaît un certain nombre de dysfonctionnements, d’aucuns diraient même une crise, qui pèsent sur le déroulement optimal des activités de fouilles et le développement harmonieux de la recherche en archéologie préventive. Car l’archéologie préventive consiste non seulement à établir un diagnostic et à mener des fouilles, mais aussi à assurer l’exploitation des données issues des fouilles – et cette continuité scientifique est déterminante.

Enfin, il est un sujet auquel nos collègues de la commission des finances se sont intéressés à moult reprises, je veux parler de la redevance d’archéologie préventive (RAP), qui a souvent changé d’assiette ou de formule de calcul, voire de taux.

Vous l’avez compris, chers collègues, c’est avec un immense plaisir que je donne maintenant la parole à Martine Faure.

Mme Martine Faure. Merci, chers collègues, d’être présents ce matin pour parler d’un sujet sensible. Je remercie également M. François Jourdan de m’avoir accompagnée tout au long de cette aventure.

En acceptant cette mission, que m’a confiée le Premier ministre le 4 février dernier, j’ai été confrontée à un triple défi. D’abord, il me fallait travailler seule – car le sénateur devant m’accompagner a décliné l’invitation au vu de la complexité du sujet. Ensuite, je devais remettre ce rapport le 30 mars. Enfin, il me revenait de traiter un sujet dont je n’étais pas une spécialiste – sans l’être devenue, je suis bien moins ignorante aujourd’hui. Aux termes de la lettre de mission, il s’agissait de « concevoir un nouveau dispositif du service public de l’archéologie préventive ». Néanmoins, je me suis affranchie de cette demande, car il était très difficile de proposer en deux mois un nouveau dispositif, sachant qu’il en existe déjà un, avec des règles précises, même s’il souffre de dysfonctionnements, comme nous allons le voir.

Au cours des auditions – une trentaine pour cinquante heures d’échanges –, nous avons très vite compris que l’archéologie préventive, l’archéologie tout court, est un sujet passionnel qui suscite une vive inquiétude chez tous les acteurs. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on parle de crise de l’archéologie. Plus de douze ans après le vote des lois fondatrices – du 17 janvier 2001 et du 1er août 2003 –, dans un contexte économique contraint et en mouvement, et alors que la réforme des collectivités territoriales chamboule un certain nombre de paramètres, il était donc indispensable de faire un état des lieux. Les trois parties de mon rapport – état des lieux, dysfonctionnements, propositions – font la synthèse de mes travaux, tout en tenant compte des nombreux rapports et études existant sur le sujet, en particulier le Livre blanc réalisé par la commission d’évaluation scientifique, économique et sociale, remis à la ministre Aurélie Filippetti en mars 2013.

Pour commencer ce rapport, j’ai voulu rappeler un certain nombre de considérations générales qui, je crois, font consensus, bien que l’archéologie préventive suscite sur le terrain beaucoup d’émotions – il est question de financement, de travaux trop longs, d’entrave au développement économique du territoire. Ce sont des verrous qu’il nous faut faire sauter, et l’examen du projet de loi relatif à la création, à l’architecture et au patrimoine nous donnera l’occasion de rappeler tout ce que l’archéologie préventive apporte à notre société et à notre économie. En effet, comme je l’écris, l’archéologie préventive a ancré la discipline archéologique dans la vie économique du pays.

On m’a reproché de parler d’archéologie préventive et non d’archéologie tout court, ce qui m’a conduite à m’interroger. Aussi, bien que la lettre de mission parle d’archéologie préventive, mon rapport mélange-t-il les deux ; l’archéologie, bien que multiforme et plurielle, demeure une dans ses finalités.

Par ailleurs, l’archéologie est une science humaine et sociale qui s’est hissée au même rang que les sciences de la nature, les sciences de l’univers, la paléontologie ou l’anthropologie, pour ne citer que quelques exemples. L’archéologie suppose une chaîne scientifique complexe, dont l’opération de terrain, phase technique d’exploration, n’est qu’un maillon. En outre, elle suppose un travail d’équipe où l’interdisciplinarité est indispensable. Elle permet de rendre sensibles les liens des sociétés humaines avec leur environnement. Enfin, l’archéologie fascine, pour des motifs parfois fantasmés, et peut facilement rassembler. Car les objets archéologiques sont des biens communs qui nous permettent, à nous et à nos enfants, de mieux comprendre l’histoire de nos territoires.

Après ces considérations générales, la première partie du rapport dresse un état des lieux du dispositif de l’archéologie préventive plus de dix ans après le vote des deux lois fondatrices.

De nombreuses collectivités territoriales et associations s’intéressaient à l’archéologie, avant que la loi du 17 janvier 2001 ne pose les fondements du dispositif d’archéologie préventive. La mise en œuvre de cette loi a donné lieu à un grand nombre d’études. Puis la loi du 1er août 2003 est venue réformer le dispositif de l’archéologie préventive, notamment en reconnaissant de nouveaux acteurs. Alors que l’INRAP était le principal acteur depuis 2001, il a fallu ouvrir le secteur aux opérateurs prêts à s’y investir. Entre 2003 et 2012, il y a eu suffisamment de travail pour tout le monde ; la crise ne s’est manifestée que ces dernières années – nous avons compris au travers des auditions qu’il existait une crispation entre les différents acteurs de l’archéologie. La page 9 du rapport présente un schéma sur l’articulation des acteurs – instances scientifiques, services de l’État, opérateur, aménageur – dans la chaîne opératoire de l’archéologie préventive.

En une dizaine d’années, le dispositif s’est structuré autour de cette pluralité d’acteurs.

Les aménageurs sont à l’origine de la mise en œuvre de la procédure d’archéologie préventive – peut-être est-il maladroit d’écrire cela, mais il est clair qu’il ne peut y avoir d’archéologie préventive sans aménageur. Ils participent au financement du dispositif, de manière directe, par les contrats de fouilles, ou indirecte, par le paiement de la RAP. La responsabilité du choix de l’opérateur archéologique est bien confiée à l’aménageur – c’est ce qui a suscité une inquiétude, puisque l’INRAP a dû laisser la place aux aménageurs, d’où ces dysfonctionnements et cette crise dont j’ai parlé. En tout état de cause, il convient de mettre en perspective les masses financières en jeu, afin de se rendre compte du « poids » ou de la contrainte financière que peut représenter l’archéologie préventive pour les aménageurs. Je précise ici que tous les chiffres figurant dans ce rapport sont issus des ministères de la culture, des finances, et de l’aménagement du territoire.

Le ministère de la culture est au cœur du dispositif. Les services archéologiques de l’État ont notamment la responsabilité de l’élaboration et de la mise à jour de la carte archéologique nationale qui fonde, d’une part, la sauvegarde et la diffusion de la connaissance des archives du sol et, d’autre part, la conciliation entre le devoir de protection du patrimoine archéologique et l’aménagement du territoire. Les effectifs des services archéologiques de l’État sont d’environ 390 équivalents temps plein (ETP), répartis entre les différents services du ministère (31 ETP au sein de la sous-direction de l’archéologie (SDA), 29,3 ETP au département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), 336,2 ETP dans les 22 directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les 4 directions des affaires culturelles (DAC). L’ouverture des opérations d’archéologie préventive à une pluralité d’acteurs en 2003 aurait dû conduire à renforcer davantage le rôle de l’État comme juge et garant des capacités scientifiques et opérationnelles de ces acteurs. Cela n’a pas forcément été le cas.

L’INRAP, « opérateur historique », est présent sur l’ensemble du territoire. Établissement public national à caractère administratif, il est le principal opérateur en archéologie préventive. Héritier des droits et obligations de l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN), il en reprend également les missions, aujourd’hui codifiées à l’article L. 523-1 du code du patrimoine. Le législateur a tenu à en faire le garant de la continuité opérationnelle du service public de l’archéologie préventive en lui assignant les missions particulières suivantes : disposer de compétences couvrant tous les contextes géomorphologiques et toutes les périodes chronologiques ; prendre en charge les opérations de fouille en cas d’absence de candidats aux appels d’offres des aménageurs ; reprendre un chantier de fouilles en cas de défaillance d’un opérateur en cours d’opération. Ces missions spécifiques, impliquant la présence de l’établissement public national sur l’ensemble du territoire, induisent des charges de service public que ne connaissent pas les autres opérateurs archéologiques. Je ne vous ferai pas de commentaire sur toutes les critiques que j’ai entendues sur l’INRAP, les acteurs privés, les aménageurs… J’ai essayé dans mon rapport d’être la plus juste possible, en restant au plus près de la réalité, sans entrer dans des détails attristants. Avec quelque 2 080 équivalents temps plein travaillé (dont 1 636 personnels scientifiques dits « opérationnels ») en 2013, l’INRAP mène des actions connues de tous ; il est donc inutile que je m’y attarde.

Les services de collectivités territoriales sont des opérateurs de proximité partiellement reconnus. J’ai reçu une volée de bois vert des collectivités territoriales qui estimaient que leur rôle n’avait pas été suffisamment pris en compte. Mais après avoir relu attentivement le rapport hier soir, je pense qu’elles sont largement citées, et font l’objet d’une vraie reconnaissance, y compris financière.

Les opérateurs privés sont régis par des statuts variés pour des volumes d’activité contrastés. La polémique est née de l’arrivée sur le marché des opérateurs privés, et la lettre de mission parle d’un « service public de l’archéologie préventive ». Pour autant, les opérateurs privés ont un rôle, et c’est pourquoi j’ai choisi comme titre de ce rapport « Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive », l’important étant de mettre du liant entre tous les acteurs de l’archéologie, afin de pacifier les relations entre eux, ce qui signifie les écouter, entendre leurs revendications et leur envie de travailler avec les autres.

Enfin, les acteurs de la recherche – ministère de la recherche, CNRS, universités et unités de recherche – ont un rôle éminemment important, puisque l’archéologie doit permettre non seulement une connaissance du patrimoine, mais aussi une connaissance scientifique. Les chercheurs garantissent cette qualité scientifique des opérations.

L’équilibre entre les opérateurs de fouilles s’est modifié au cours des dix dernières années. Un tableau page 19 du rapport indique le nombre d’opérateurs agréés depuis 2005 pour les diagnostics et les fouilles, avec une répartition entre collectivités territoriales et autres opérateurs.

S’agissant des services de collectivités territoriales, les acteurs concernés ont insisté sur le fait que le choix de créer ou de développer un service archéologique et de solliciter un agrément pour intervenir dans le domaine des fouilles d’archéologie préventive relève d’abord d’une volonté politique. S’agissant des opérateurs privés, il n’y a pas, dans le domaine de l’archéologie préventive, un « marché » en pleine expansion, ni de stabilité économique certaine. D’où les dysfonctionnements du dispositif actuel, analysés dans la deuxième partie de mon rapport.

Premier dysfonctionnement : la concurrence entre opérateurs sur l’activité de fouilles est un phénomène exacerbé dans un contexte de fléchissement de l’activité et en l’absence d’outils de régulation suffisamment efficaces.

Les dérives commerciales de certaines structures ont profondément ému la communauté scientifique des archéologues. Nous avons entendu parler de concurrence déloyale et d’injustice. Effectivement, un tableau à la page 22 du rapport sur le prix moyen facturé, en euros, d’une opération de fouille par type d’opérateur fait apparaître des disparités. Les prix de fouilles correspondent aux montants facturés par les opérateurs aux aménageurs. Sur les 2 253 opérations de fouilles recensées pour la période 2009-2013, seules 173 n’ont pu être chiffrées. Les organisations syndicales pointent du doigt ce qui constituerait le défaut majeur de la loi de 2003 : le transfert de la maîtrise d’ouvrage des fouilles aux aménageurs tend à introduire dans un secteur, par essence non marchand, la logique du moins-disant économique. Quant aux acteurs privés, ils émettent de leur côté des critiques à l’encontre de l’INRAP.

Ainsi, le sentiment de concurrence débridée et d’injustice profonde existe de part et d’autre. L’INRAP affirme rencontrer de grandes difficultés dans certaines régions à cause d’une véritable « guerre des prix » qui l’évincerait, à terme, des territoires concernés. Certains services de collectivités territoriales sont contraints de se restructurer, par licenciement d’une partie de leurs personnels, à l’image des plus importants d’entre eux, le service du Douaisis et le Pôle archéologique inter-rhénan (PAIR). D’autres, pourtant anciens et bien implantés, tels que les services du Val-d’Oise ou des Yvelines, par exemple, s’interrogeraient sur le maintien de leur agrément.

Les services archéologiques de l’État n’ont pas les moyens suffisants pour assurer une véritable régulation du dispositif. L’ensemble des acteurs auditionnés en ont fait le triste constat. Malheureusement, deux ans après le Livre blanc, « la même unanimité s’est manifestée dans le constat de l’insuffisance des moyens accordés à ces acteurs et instances pour exercer leur mission de manière satisfaisante », pour reprendre les mots de la commission du Livre blanc. « Il en résulte une relative faiblesse des capacités de contrôle et d’évaluation et une disparité des pratiques selon les régions, situation incompatible avec les objectifs de service public, le principe d’égalité devant la loi et l’acceptabilité sociale du dispositif ». En termes de régulation globale du dispositif, il convient, en outre, de noter que les dispositions du code du patrimoine se limitent aux aspects suivants : d’abord, l’examen des demandes d’agrément par le Conseil national de la recherche archéologique, le CNRA (englobant le secrétariat scientifique au sein de la sous-direction de l’archéologie et les membres qui siègent au Conseil) reste concentré sur la compétence scientifique des entités qui souhaitent devenir ou demeurer des opérateurs d’archéologie préventive ; ensuite, il n’est pas reconnu à l’État une véritable mission de régulation économique du secteur, lui permettant de prévenir un éventuel déséquilibre entre l’offre d’archéologie (les opérateurs) et la demande d’archéologie (le volume de prescriptions autorisées) qui serait dommageable pour la politique publique de l’archéologie préventive.

Par ailleurs, le ralentissement de l’activité économique est une cause indéniable de cette concurrence accrue, mais elle est souvent peu questionnée.

Enfin, de nombreux facteurs de crispation sont à la source d’un sentiment diffus de crise. En effet, si les auditions des différents intervenants ont laissé l’impression que les choses se passaient relativement bien, nous avons vite compris que ce n’était pas le cas au regard de la situation que je viens de vous décrire.

Deuxième dysfonctionnement : le financement de l’archéologie est d’une grande complexité pour un rendement décevant.

À la page 30 du rapport, le schéma sur les circuits de liquidation, ordonnancement, prise en charge, recouvrement et reversement de la redevance d’archéologie préventive, pour la filière urbanisme et la filière culture, vous montre la complexité du dispositif. Nous avons un motif d’espérer, puisque les dernières études montrent que cette redevance entre dans les caisses de l’État à 90 %. Le problème est celui du reversement, d’une complexité extraordinaire, avec 300 000 titres différents. Et cela dure depuis dix ans.

Lors de son audition, la direction de l’INRAP a souligné le fait que l’Institut n’a ainsi jamais pu percevoir le montant de la RAP inscrit à son budget initial (29,45 millions d’euros contre 52 millions inscrits en budget initial en 2013 ; 55,50 millions contre 67 millions d’euros en 2014). On comprend aisément les difficultés que l’établissement peut éprouver, non seulement au moment de construire son budget, mais aussi en cours d’exercice, pour remplir les missions qui lui sont confiées au moyen d’une recette incertaine. En outre, certains ont même parlé de schizophrénie, ne sachant pas ce qu’ils allaient faire, faute de connaître les moyens dont ils disposeraient.

En résumé, le rendement insuffisant de la RAP a pour conséquence un réel manque de moyens financiers pour les aménageurs, qui ne reçoivent pas les prises en charge auxquelles ils ont droit ; pour les opérateurs, parfois sous mandat du Fonds national d’archéologie préventive (FNAP), qui reverse à certaines associations ou institutions des montants pour leurs aménagements ; et pour les fournisseurs de services et matériels archéologiques que les opérateurs peinent à payer.

Troisième dysfonctionnement : l’activité de recherche, si elle est une ambition unanimement revendiquée, est marquée par une réelle confusion dans le partage des rôles.

Vous avez pu le lire ici ou là que ce rapport est accablant, mais en réalité il ne l’est pas : il est lucide. Sans constat précis, il nous sera impossible de trouver des pistes d’amélioration.

Le débat sur le périmètre de la recherche en archéologie préventive est toujours ouvert. Comme l’indique la Cour des comptes dans le référé de juin 2013 sur l’INRAP, « le ministère de la culture et de la communication défend une conception large de la recherche, considérée comme le produit d’une chaîne insécable qui relie les opérations de terrain (diagnostics et fouilles) à l’exploitation des données issues de ces travaux, jusqu’à la communication scientifique, la diffusion auprès du grand public et le concours à l’enseignement et à la valorisation de la recherche. Pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’exploitation des résultats et leur interprétation constitueraient, à eux seuls, la substance essentielle de la recherche, laquelle ne commencerait que postérieurement à la remise du rapport final d’opérations aux services du ministère de la culture ». Ces deux conceptions tranchées reflètent parfaitement tout ce que nous avons entendu lors des auditions.

On observe également un manque de reconnaissance pour une grande partie des acteurs de la recherche. Ce point fera l’objet de propositions.

Enfin, il faut noter un difficile regroupement des chercheurs – je ne vous répéterai pas tous les petits et gros mots que j’ai entendus tout au long des auditions… Pour autant, plusieurs initiatives collectives nous ont été présentées, et je souhaite vous donner l’exemple de deux projets en particulier, qui pourront servir de modèles pour le regroupement de chercheurs.

Le premier est le Pôle mixte de recherche de Campagne. Projet fédérateur et ambitieux, ce pôle a été installé grâce à l’engagement fort du SRA Aquitaine et conseil général de la Dordogne pour la valorisation du territoire de la vallée de la Vézère. Autour de ce centre de conservation et d’études (CCE), sont rassemblés les différents acteurs de la recherche archéologique spécialisés dans le domaine de la Préhistoire. S’y retrouvent réunis l’INRAP, le service départemental d’archéologie de la Dordogne, l’unité mixte de recherche PACEA qui est sous la triple tutelle institutionnelle du CNRS, de l’Université de Bordeaux et du ministère de la culture, et le musée national de la Préhistoire. Le pôle permet la mutualisation des moyens à la fois matériels (salles de nettoyage et de conservation des vestiges, salles de réunion et d’étude) et virtuels (conception de documents 3D, d’infographies, etc…). De nombreux étudiants et chercheurs de tous horizons et de toutes nationalités y sont également accueillis.

Le deuxième exemple de réussite est le centre de conservation et d’étude (CCE) de Sélestat : sa création a été permise grâce au soutien de la DRAC, des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, ainsi que de la région Alsace. Il vise à garantir une meilleure cohérence des politiques de conservation et de diffusion des collections régionales, en collaboration avec tous les acteurs de l’archéologie en Alsace (dépôts archéologiques et associatifs, musées de France et musées locaux, universités, etc.). Il devrait ouvrir ses portes au printemps 2016.

Quatrième dysfonctionnement : l’archéologie préventive en mer devient un sujet de préoccupation majeur.

L’archéologie préventive sous-marine (et subaquatique, dans une moindre mesure) constitue l’un des « angles morts » de l’archéologie, pour reprendre un terme utilisé par le Livre blanc. Si ce sujet de l’archéologie préventive en mer est récurrent, il n’a pourtant jamais fait l’objet d’un traitement administratif satisfaisant de la part de l’ensemble des instances concernées.

Les ajustements nécessaires de la fiscalité de l’archéologie appliquée à l’espace maritime sont essentiels. Les aménageurs maritimes estiment le barème actuel de la RAP, pensé pour des surfaces terrestres, trop inadapté pour être appliqué à leurs activités. Les professionnels rencontrés nous ont donné deux exemples : pour une concession d’exploitation de granulats marins de surface moyenne (25 km2), le montant de l’impôt à verser s’élèverait à 13,50 millions d’euros ; pour les fuseaux de raccordement à la terre de quatre parcs éoliens, il serait de 48,60 millions d’euros. Il faut donc trouver des solutions très vite, car cette situation fait obstacle à la réalisation des travaux. Le ministère de la culture travaille actuellement sur différentes hypothèses d’adaptation de la RAP au champ maritime et a récemment saisi le ministre de l’économie et des finances et la ministre de l’écologie et du développement durable pour demander une inspection conjointe de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Commissariat général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).

J’ajoute le nécessaire renforcement des moyens de l’INRAP. En tant qu’opérateur national et par la nature de ses missions, l’INRAP est l’opérateur le plus apte à réaliser les opérations prescrites. Nous avons donc intérêt à lui confier ces opérations sous-marines.

Cinquième et dernier dysfonctionnement : la mobilité et les perspectives de carrière des archéologues montrent des horizons trop limités. Lors des auditions, il a souvent été question de souffrance au travail. Le législateur aurait donc intérêt à se pencher sur trois sujets : le besoin de formation, initiale et continue ; la politique de recrutement ; et la gestion des carrières, en particulier l’organisation des mobilités des archéologues.

J’en arrive à la dernière partie de mon rapport, qui décline les propositions pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive. Ces propositions se déclinent en cinq axes.

Premier axe : construire une politique publique de l’archéologie préventive claire et coordonnée. Je propose, en particulier, la création d’un conseil interinstitutionnel de l’archéologie, dont la composition est présentée dans un schéma page 46 du rapport. En effet, les acteurs de l’archéologie ne se connaissent pas, aucune instance ne leur permettant de se rencontrer.

Deuxième axe : garantir un système de financement fiable et efficace. La « rebudgétisation » de la RAP est le scénario qui emporte ma préférence. Cette redevance serait ainsi maintenue, mais affectée au budget général de l’État. Dans le contexte actuel, c’est la piste qui me paraît susceptible d’introduire le plus de clarté et de transparence du système.

Troisième axe : redéfinir les missions et l’implication de chaque acteur en matière de recherche et de conservation des données archéologiques.

Quatrième axe : donner les moyens au développement d’une archéologie préventive sous-marine.

Cinquième et dernier axe : accroître la mobilité interinstitutionnelle des archéologues. Cela permettrait, par exemple, à un archéologue de l’INRAP de partir, à quarante-cinq ans ou cinquante ans, travailler dans une DRAC, une structure plus légère où les conditions de travail sont moins éprouvantes que sur le terrain.

M. le président Patrick Bloche. Cette séance s’inscrit dans la perspective de l’examen, à l’automne, du projet de loi relatif à la création, à l’architecture et au patrimoine. Si des mesures doivent être traduites dans la loi, nous aurons cette opportunité.

Sur la redevance de l’archéologie préventive, nous avons tous les ans un rendez-vous, celui du budget de l’État. Cela nous amènera parallèlement à prendre si nécessaire une initiative.

M. Marcel Rogemont. Madame la rapporteure, vingt ans après la ratification de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, le rapport que nous examinons aujourd’hui nous alerte et nous mobilise sur la situation de l’archéologie préventive. L’entame de votre rapport est claire : l’archéologie préventive est en souffrance. Vous en examinez les causes avec talent et compétence. Particulièrement l’une d’entre elles : le financement.

Dès la mise en place de la loi sur l’archéologie préventive, nous avions conscience de la difficulté : celle d’assurer le financement de l’INRAP, de l’archéologie préventive et, partant, naturellement, de faire de peser ce financement sur les opérateurs et les aménageurs. Depuis cette date, convenons que députés et gouvernements successifs n’ont jamais assumé ce financement au point de l’appeler RAP. Quel nom !

Votre rapport juge le dispositif de la RAP complexe, avec un rendement insuffisant. Vous proposez plusieurs solutions. La budgétisation emporte votre adhésion, mettant fin, du moins est-ce l’espoir, aux rallonges budgétaires de dernières minutes et affirmant ainsi un choix.

Pour autant, chacun sait les dangers de la budgétisation. C’est pourquoi la création d’une nouvelle taxe sur les mutations de terrains à bâtir – faible taux, assiette large –, en remplacement de la RAP actuelle serait peut-être une idée, même si l’heure n’est pas aux nouvelles taxes. Ne permettrait-elle pas de sécuriser le financement ? Reposant sur un des aspects principaux de l’activité économique du secteur, elle me semblerait préférable aux ajustements budgétaires successifs. Vous entendre sur ce sujet serait intéressant.

Je reste sur des considérations économiques. Votre rapport constate une concurrence accrue – voire déloyale pour certains – entre les acteurs du secteur. À l’origine de cela, la concentration de l’action de l’INRAP sur les grands chantiers d’aménagement du territoire. Il ne pouvait en être autrement : l’INRAP est la seule structure qui a été et qui est à même d’accompagner les grandes infrastructures, et elle se doit d’être disponible sur l’ensemble du territoire.

L’Institut, en manque de ces grands chantiers, se trouve aujourd’hui en concurrence avec des opérateurs privés qui n’hésitent pas à pratiquer, au moins pour certains, une tarification anormalement basse. Car en archéologie préventive, il y a aussi des salaires et des prestations, si bien que, de deux choses l’une : soit on baisse radicalement les salaires pour être en concurrence avec l’INRAP, soit on n’effectue pas la réalité des prestations, notamment dans la recherche. Non seulement cela affaiblit l’INRAP, mais cela met en danger la science archéologique.

Un contrôle plus affirmé sur le résultat et la recherche liée aux fouilles effectuées par le secteur privé serait utile. Mais est-il possible pour les services régionaux de l’archéologie (SRA), insuffisamment dotés, d’exercer cette mission ?

Pour conclure, je souhaite aborder la question de la recherche. Votre rapport s’interroge sur ce qu’est la recherche en archéologie. C’est une vraie question et les réponses que vous apportez sont tout à fait intéressantes. Car l’incertitude dans la définition du périmètre de la recherche et le flou quant au partage des rôles entre les multiples acteurs concernés permettent des discours sans fin.

Votre rapport propose l’inscription du rôle du CNRA et des commissions interrégionales de la recherche archéologique (CIRA) dans la loi. Il importe effectivement d’accorder une plus grande visibilité à ces instances qui, par leur composition, bénéficient d’une grande légitimité et d’une compétence indiscutable.

Bref, votre rapport est incontestablement utile pour l’archéologie, chère collègue. Le Gouvernement comme nous-mêmes devons nous en saisir, afin de mettre un peu plus de raison dans ce secteur. Je n’oublie pas que la meilleure façon de conserver les vestiges du temps est de les laisser là où ils sont. L’archéologie préventive n’est qu’une archéologie d’urgence dont la finalité est, non pas de faire payer par des tiers son financement, mais seulement de permettre, dans le respect des conventions internationales et de nos lois, le déploiement de l’activité économique.

Pour conclure, permettez-moi de rappeler les propos de Charles de Montalembert : « La mémoire du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. »

M. Michel Herbillon. Madame Faure, le groupe Les Républicains saluent votre travail. Votre rapport démontre l’importance du secteur de l’archéologie préventive pour la préservation de notre mémoire et de notre patrimoine.

Vous l’avez rappelé, la situation actuelle nécessite que des mesures soient prises, car le constat est très clair et partagé par tous : le secteur est en crise et les très nombreux dysfonctionnements menacent à terme l’archéologie préventive.

Nous partons de loin car, il y a à peine vingt ans, aucune législation n’existait dans ce secteur. Depuis la Convention de Malte en 1995, les lois de 2001 et 2003 ont permis de créer un cadre juridique, sachant que l’ouverture à la concurrence était une nécessité au regard de la capacité de l’INRAP, trop limitée à l’époque. Il est donc utile et sain, plus de douze ans après ces lois, de faire le bilan de la situation, d’autant que les rapports se sont succédé depuis, notamment celui de la Cour des comptes en 2013, qui a tiré le signal d’alarme à propos de l’INRAP.

Sans m’étendre sur le constat, que vous avez fort bien dressé, je voudrais néanmoins rappeler quelques points.

D’abord, le grand nombre d’intervenants rend le processus de décision lourd, complexe et souvent peu lisible. Dans ma commune, Maisons-Alfort, le service de l’urbanisme, lorsqu’une situation se présente, doit consulter à la fois le service départemental de l’archéologie et le service régional de l’archéologie, sans compter les services nationaux d’archéologie.

Ensuite, le financement est très peu lisible, en particulier pour ce qui est de la redevance de l’archéologie préventive. Malgré de nombreuses modifications, nous n’avons toujours pas réussi à trouver un dispositif qui soit à la fois simple, lisible et performant.

Enfin, sur la question de la concurrence, s’il est indiqué que la présence d’opérateurs privés dans le domaine des fouilles d’archéologie préventive peut être un avantage pour l’archéologie dans son ensemble, les abus et les dérives de certains opérateurs privés menacent l’archéologie préventive, puisque les prix proposés ne sont tenables qu’au détriment de la qualité.

Je voudrais maintenant vous faire part de mes interrogations sur certaines de vos propositions, chère collègue.

D’abord, sur la question centrale du financement, il y a un certain décalage, me semble-t-il, entre vos propositions et votre volonté affichée de garantir un système de financement fiable et efficace. Votre proposition principale est la rebudgétisation de la redevance d’archéologie préventive, c’est-à-dire de l’affecter au budget de l’État. Or en ces temps de rigueur budgétaire, cela ne semble pas le meilleur moyen de garantir les recettes de l’archéologie préventive, sachant que, dans le même temps, vous estimez le rendement de la RAP insuffisant, tout comme les moyens alloués aux différents services d’archéologie pour assurer une véritable régulation du dispositif. À quelle hauteur estimez-vous nécessaire l’effort budgétaire supplémentaire que l’État devrait engager ?

De plus, dans votre vision générale du secteur, vous maintenez une organisation ouverte à la concurrence, avec un opérateur public dominant, mais vous souhaitez repréciser le périmètre d’intervention des opérateurs privés. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Souhaitez-vous une nouvelle répartition des missions ? Le rôle de l’INRAP est-il appelé à évoluer et, si oui, comment ?

Par ailleurs, l’une des demandes fortes des aménageurs est l’allégement du coût de l’archéologie préventive. Le dispositif que vous préconisez garantira-t-il un encadrement des délais de fouilles ? Car une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est l’allongement des délais, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur la conduite des projets, notamment municipaux, et sur le coût de construction, y compris des logements sociaux dont les budgets ne sont pas extensibles à l’infini – j’en ai eu l’exemple dans ma commune. Au moment où l’on ne cesse d’évoquer la simplification pour les entreprises, quelles sont vos préconisations dans ce domaine ?

Enfin, il est prévu que le projet de loi relatif à la création, à l’architecture et au patrimoine, maintes fois annoncé et reporté, reprenne un certain nombre de vos propositions. Pouvez-vous nous faire part des premiers retours que vous avez obtenus de la ministre de la culture ? Quelles préconisations seraient reprises dans ce projet de loi, qui pourrait faire l’objet d’un débat intéressant aussi bien dans notre commission que dans l’hémicycle ?

Mme Isabelle Attard. Martine Faure, mille mercis pour votre excellent rapport, cela fait trois ans que j’attends que nous parlions d’archéologie au sein de cette commission. Vous n’êtes pas une spécialiste, avez-vous dit, mais vous l’êtes devenue en quelques mois grâce à votre écoute des différents acteurs de terrain.

Archéologue, c’est un métier qui faisait rêver et qui fait toujours rêver. Mais à la lecture de ce rapport, on rêve déjà beaucoup moins.

Il y a déjà plus d’une dizaine d’années, les archéologues de l’AFAN puis de l’INRAP étaient considérés comme des empêcheurs de tourner en rond par les aménageurs, les responsables d’entreprises de BTP, qui voyaient d’un mauvais œil l’arrivée des équipes d’archéologie préventive, au prétexte qu’elles ralentissaient les chantiers et les empêchaient de finir en temps et en heure.

Et pourtant, sans archéologie préventive, pas de découverte de villas gallo-romaines ou de sites néolithiques sur le tracé du TGV-Nord. Sans archéologie préventive, pas de découverte du même type sur le tracé des nouvelles autoroutes. Lorsqu’un parking souterrain est en construction, quelle que soit la ville, vu la richesse de notre patrimoine en France, on trouve toujours quelque chose.

Dans ces conditions, le choix est simple. Soit on considère qu’il faut se débarrasser au plus vite de notre patrimoine. Dans ce cas, toutes les entreprises privées vont aller vers le moins-disant et toutes les traces de notre culture vont disparaître. Soit on décide de se préoccuper de cette archéologie préventive, car c’est notre histoire sur des milliers d’années que nous mettrons à mal si nous ne faisons pas faire ces travaux de fouille. En effet, pendant des années – et j’aimerais savoir si c’est toujours le cas –, certaines découvertes ont été passées sous silence pour ne pas ralentir les chantiers. Je n’ose imaginer combien de sculptures, de statues, de sites ont été ravagés par médiocrité ou par absence de fouilles.

Il y a une dizaine d’années, je ne voyais pas d’un très mauvais œil ces sociétés privées, qui avaient fait leur preuve à l’étranger, arriver en France, comme Oxford Archaeology. J’ai pensé qu’il ne serait pas inutile qu’elles complètent le travail de l’INRAP sur le terrain, qui n’avait peut-être pas les moyens ni le personnel nécessaires pour être opérationnel sur tous les chantiers. Soit dit en passant, Oxford Archaeology s’appelle aujourd’hui Chronoterre Archéologie, cela fait plus français…

Mais quel est le résultat de cette ouverture à la concurrence ? Qui surveille et qui exige le respect du cahier des charges auquel sont soumises ces entreprises privées ? Qui va garantir qu’elles feront le même travail que les équipes de l’INRAP formées dans nos universités ? Car c’est l’argent des contribuables qui finance la qualité du travail des chercheurs où qu’ils se trouvent – collectivités territoriales, INRAP, entreprises privées. La question est donc posée du contrôle a posteriori des exigences scientifiques.

Vous décrivez d’ailleurs dans votre rapport un secteur en crise avec des « pratiques de dumping économique et social, bien éloignées du respect des exigences scientifiques de la discipline archéologique ». On parle bien d’exigences : il ne s’agit pas de bâcler pour le plaisir de certains aménageurs qui veulent voir terminer rapidement les fouilles pour passer aux vrais travaux.

Par conséquent, j’aimerais savoir si les services de l’archéologie travaillent en bonne intelligence avec les services de l’urbanisme, grâce à la carte archéologique. Celle-ci permet, en effet, de faire les meilleurs choix pour le lieu de construction, afin de détruire le moins possible et, par ricochet, de payer le moins possible de redevance. L’image négative de l’archéologie préventive s’est-elle améliorée au fil des années pour être totalement intégrée à cette chaîne de l’aménagement du territoire, tel que cela avait été prévu initialement ? Bref, comment rendre efficace et fluide, parmi cette multiplicité d’acteurs, l’intégration des archéologues dans la chaîne des aménagements ?

La formation des archéologues qui travaillent à l’INRAP et dans les collectivités territoriales est essentielle. Il existe des passerelles entre les équipes du CNRS et les équipes de l’INRAP. Mais est-il possible d’améliorer la formation ? Car exige-t-on des entreprises privées qu’elles forment en continue leur personnel ? Permet-on des passerelles ? Intègrent-elles un pourcentage de chercheurs de nos universités ? En l’occurrence, le problème est celui du respect des exigences scientifiques de la discipline.

Ne dit-on pas que, lorsqu’on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage ? Cette expression s’applique parfaitement à l’archéologie préventive et à l’INRAP. L’ouverture à la concurrence, en favorisant la multiplicité des entreprises privées et en faisant en sorte que le moins-disant l’emporte à chaque fois, risque de mener l’INRAP, qui a déjà du mal à récupérer les sommes de la redevance d’archéologie préventive, à ne plus pouvoir faire son travail et nous dirons alors dans quelques mois qu’il fait mal son travail et qu’il suffit de le supprimer ! J’espère que nous n’en arriverons pas là.

M. Laurent Degallaix. Madame Faure, au nom du groupe UDI, je tiens à souligner la qualité de votre rapport, réalisé dans un temps très court.

En février dernier, dans le IIe arrondissement de Paris, la découverte d’un cimetière datant du Moyen-Âge, enseveli sous un supermarché, nous a rappelé de façon insolite que notre patrimoine, notre héritage culturel peut se nicher dans des lieux que nous fréquentons au quotidien. Nous ne le savons pas toujours, et pourtant il est bien présent.

Si le développement économique reste une priorité, il ne doit pas être réalisé au détriment du patrimoine archéologique qui reste la trace la plus tangible d’un passé souvent oublié. La recherche archéologique et l’entretien des lieux sont absolument essentiels pour conserver et promouvoir la mémoire commune qui est la nôtre. Votre rapport rappelle très justement que l’archéologie préventive est un véritable service public puisqu’elle permet de concilier recherches, conservation du patrimoine et aménagement du territoire.

À l’heure où ce secteur traverse de multiples crises – de ses acteurs, de sa gouvernance, mais aussi et surtout de son financement –, il est du rôle de l’État de redéfinir sa mission. Votre rapport fait état de l’inquiétude des professionnels quant au rôle grandissant des investisseurs et acteurs privés, ce nous pouvons parfaitement comprendre. Néanmoins, l’État est-il en mesure d’assumer à lui seul les coûts relatifs à une refondation ou un renouvellement de ce secteur ? La redevance d’archéologie préventive et le coût des fouilles ne permettent pas aux archéologues de travailler dans des conditions acceptables, situation qui met en péril notre patrimoine. Quelles solutions envisagez-vous pour stabiliser les financements de cette activité ?

Par ailleurs, je vous avoue être un peu sceptique quant à l’efficacité de vos recommandations visant à réguler la concurrence. Comme vous le soulignez, la présence d’opérateurs privés dans le domaine des fouilles d’archéologie préventive peut être un avantage pour l’archéologie dans son ensemble. Pour autant, la concurrence effrénée qu’ils imposent aux services des collectivités territoriales pourra-t-elle être régulée en les soumettant à un niveau d’exigence élevé tant sur le plan scientifique que sur celui de la gestion, comme vous le préconisez ? Rien n’est moins sûr. Envisagez-vous d’autres pistes ?

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, je souscris à ce que vous venez de dire sur l’importance de réfléchir à des propositions dans la perspective de l’examen du projet de loi relatif à la création, à l’architecture et au patrimoine, que nous attendons avec impatience. En effet, la crise que connaît le secteur de l’archéologie est profonde, comme en témoigne votre remarquable rapport, madame Faure, pour lequel je tiens à vous remercier.

À l’instar d’Isabelle Attard, je voudrais insister sur le fait que les archéologues ne sont pas des empêcheurs de construire en rond. L’archéologie préventive constitue le fondement d’autres sciences sociales – histoire, histoire de l’art, etc. –, et l’on ne peut pas la mettre en parallèle avec le temps qu’elle ferait perdre et le coût des réalisations. Notre collègue Michel Herbillon m’a fait sourire en disant que cela pouvait gêner la construction de logements sociaux : l’archéologie préventive est loin d’être le seul frein dans certaines villes !

Plusieurs orateurs l’ont dit : au cœur de la crise de l’archéologie préventive, il y a la loi de 2003 qui confie à l’aménageur la maîtrise d’ouvrage des fouilles et le droit de choisir l’opérateur. En permettant la concurrence entre l’INRAP et des entreprises privées, nous avons introduit le risque du moins-disant et de la mise en cause de la qualité. En effet, comme vous le notez dans votre rapport, l’INRAP a perdu des parts de marché au profit des opérateurs privés, alors qu’elle avait en charge toute une série de responsabilités que n’ont pas ces opérateurs privés à propos desquels vous soulignez également un phénomène de concentration.

Madame Faure, vous écartez l’idée d’un retour à un pôle public. Selon notre collègue Michel Herbillon, l’ouverture au secteur privé était une obligation au regard de l’insuffisance de moyens de l’INRAP, mais sans doute eut-il été préférable de faire le choix à l’époque d’octroyer plus de moyens à l’INRAP au lieu d’ouvrir le secteur au privé ! Je ne sais pas s’il faut écarter totalement l’idée d’un retour à un véritable pôle public avec les moyens qui vont avec.

Par contre, je crois que nous pouvons aller dans votre sens lorsque vous préconisez une politique publique, avec toute une série de propositions, sur le contrôle de la pratique des opérateurs privés, la qualification des personnels, le temps consacré à la recherche réelle, la régulation économique au niveau de l’ensemble du secteur, la place nouvelle du ministère de la culture et des organes scientifiques de contrôle au centre du dispositif pour essayer d’améliorer la gouvernance du secteur. Vous proposez également la rebudgétisation de la RAP, mais encore faudrait-il pour cela sanctuariser ce budget pour éviter que les politiques de réduction des dépenses publiques fassent peser une menace sur les moyens consacrés à l’archéologie préventive.

Enfin, comme vous le montrez dans votre rapport, le coût pour les aménageurs est assez minime, de 0,47 %. À cet égard, votre proposition de nouvelle une taxe semble un scénario intéressant.

Mme Martine Martinel. Madame Faure, je tiens à saluer la qualité de votre rapport dans lequel vous avez su démontrer la complexité du sujet. Si votre travail vous a rendue moins ignorante – je reprends votre formule –, il m’a rendue, quant à moi, plus savante.

Je tiens aussi à vous remercier d’avoir su nous alerter sur les vives inquiétudes exprimées par les acteurs de l’archéologie, en préconisant de pacifier les relations entre les intérêts des acteurs publics et ceux des opérateurs privés, tout en réaffirmant le sens de l’archéologie préventive.

Vous proposez de « garantir un système de financement fiable et efficace » grâce à la rebudgétisation de la RAP. Vous souhaitez en outre « soumettre les opérateurs privés, compte tenu de leur participation à une mission de service public, à un niveau d’exigence élevé, tant sur le plan scientifique que sur celui de la gestion (politique sociale, publication des comptes notamment) ». Pourriez-vous nous détailler ces préconisations ?

M. Frédéric Reiss. Je voudrais tout d’abord féliciter Martine Faure de son travail exhaustif et lucide, qu’elle a réalisé dans des délais très contraints – à l’inverse de ceux de l’archéologie préventive. De nombreux chantiers sont en effet freinés en raison des délais liés aux diagnostics et aux fouilles, qui viennent s’ajouter à ceux de travaux. Au demeurant, ces opérations sont quand même très coûteuses – j’ai en tête une communauté de communes qui a pris la maîtrise d’ouvrage et qui n’aurait jamais pu faire réaliser les opérations sans l’aide de l’ancien conseil général. Il faut aussi rappeler que, derrière ces chantiers, il y a des retombées économiques et des emplois.

Le deuxième problème est le financement. Pour en avoir discuté avec des acteurs de l’archéologie préventive, j’ai bien conscience que les moyens de l’INRAP sont insuffisants, les subventions trop faibles – entre 5 % et 30 %, nous disent les scientifiques – et la dette du Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP) préoccupante en raison du rendement insuffisant de la fameuse RAP.

Vous proposez plusieurs scénarios d’amélioration. La création d’une nouvelle taxe, qui ne me semble pas une bonne idée. La rebudgétisation de la RAP, qui devrait permettre selon vous « une fluidification et une simplification » du circuit de financement – termes dont je me méfie car les choses deviennent toujours plus complexes quand on essaie de simplifier. Bref, certains rêvent de l’État providence, d’un État à la fois prescripteur et financeur – sans doute l’augmentation de 0,4 % du budget de la culture annoncée par le Premier ministre le permettra-t-elle…

Vous avez évoqué la volonté politique de certaines collectivités territoriales, en citant l’exemple du Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan (PAIR). Ne faudrait-il pas justement plus de décentralisation, à l’image de ce que font l’Allemagne et la Suisse, où l’archéologie préventive est gérée respectivement au niveau des Länder et des cantons ? En l’occurrence, ne faudrait-il pas davantage décentraliser l’archéologie préventive au niveau des régions ?

Mme Colette Langlade. Chère collègue, vous avez réussi à susciter notre intérêt grâce à votre rapport qui dessine des pistes d’avenir pour l’archéologie préventive. Je tiens à vous en remercier.

Vous écrivez que « les aménageurs constituent un groupe hétérogène, ils ont des statuts divers, publics (collectivités) ou privés (sociétés ou individus construisant pour eux-mêmes) et exercent dans différents domaines (carrières, lotissements, équipements sociaux et culturels, etc…), et que cette diversité entraîne des conséquences sur la nature des procédures suivies ». Les carriers, très présents dans nos départements respectifs – la Gironde et la Dordogne –, sont très attachés à l’amélioration de la connaissance archéologique sur le long terme à laquelle ils contribuent activement. Ils demandent très régulièrement l’obtention de la carte archéologique au stade de l’élaboration de leur projet, ce qui leur permettrait notamment d’anticiper les obligations. Comment améliorer la concertation entre aménageurs, opérateurs archéologiques et services de l’État pour mettre en œuvre harmonieusement la prescription archéologique qui s’impose notamment aux carriers ?

Vous avez cité le service départemental d’archéologie de la Dordogne, département où les découvertes récentes de vestiges ont été nombreuses. Un diagnostic est en effet systématiquement réalisé pour chaque construction par le service départemental d’archéologie, agréé depuis 2002. Ces fouilles ont, par exemple, permis de découvrir en 2011 un ancien chenal de la Dordogne fréquenté au Néolithique, près de Bergerac. Ma question porte sur la présentation de ce travail d’archéologie préventive et de ces découvertes, notamment auprès des écoliers. Des initiatives sont-elles prévues pour mettre en valeur le travail quotidien des scientifiques de l’INRAP qui œuvrent à ces fouilles ?

M. François de Mazières. Merci, chère collègue, pour ce rapport très intéressant.

Il y a quelques années – avant la loi de 2003 –, j’avais participé à un audit sur l’INRAP qui, il faut bien le reconnaître, connaît une crise chronique.

Depuis, le secteur est ouvert aux collectivités locales. Je me souviens que le service départemental de la Seine-Saint-Denis était souvent pris comme référence, et je pense que le développement des services départementaux est une très bonne chose. Comme l’a souligné mon collègue Frédéric Reiss, il faut sans doute un niveau local pour motiver les acteurs, notamment en matière d’exploitation des données – car l’un des problèmes de l’INRAP est que certaines fouilles n’ont donné lieu à aucune exploitation.

Je me souviens également que les gens étaient recrutés en fonction des très grands chantiers, si bien que les services de l’INRAP étaient très développés dans certaines zones géographiques, notamment dans le Sud. Et une fois les grands chantiers fermés, ceux des autoroutes et des TGV, il y avait très clairement un sureffectif. Est-ce toujours le cas ? Avez-vous réalisé une étude sur les effectifs, en particulier sur leur fluidité, madame la rapporteure ?

Ces questions renvoient au problème de financement. Pour être chercheur sur le terrain, il faut être plutôt jeune. Dans ces conditions, recruter des gens pour toute une carrière, alors que tout le monde n’est pas chercheur, est sans doute excessif. Que verriez-vous comme élément de souplesse pour l’INRAP ? Je pense d’ailleurs que l’ouverture au privé a été conçue en ce sens. Certes, les dérives que vous avez évoquées sont regrettables, mais il faut garder cette idée de souplesse car, comme mes collègues l’ont dit, la rebudgétisation est très risquée. Elle est loin d’être la solution idéale, aussi bien pour l’intermittence que pour les services de l’INRAP, car elle nous mènerait dans le mur en raison des économies budgétaires qui ne manqueraient pas d’être décidées. Si le gouvernement Ayrault a ponctionné la culture de 130 millions d’euros, un autre gouvernement peut très bien à l’avenir décider d’amputer les crédits de l’archéologie préventive…

Mme Marie-Odile Bouillé. Merci, madame Faure, pour cet excellent rapport. Comme vous l’avez dit en préambule, l’archéologie préventive a ancré l’archéologie dans la vie économique en participant aux aménagements et en sauvegardant le patrimoine par l’étude scientifique. Votre rapport recense les nombreux acteurs de l’archéologie préventive, qui interviennent aux côtés de l’INRAP, en particulier les collectivités territoriales dont l’implication est grandissante.

Vous abordez la question de la gestion et de la répartition des financements. C’est sur ce point que je voudrais vous interroger. Les années 2013 et 2014 ont été marquées par des dysfonctionnements en matière de perception et reversement de la RAP. En 2014, ces dysfonctionnements ont été en partie résolus, mais l’année 2015 connaît de nouveaux retards de versement, comme vous l’écrivez page 28 du rapport. La ministre a confié une mission au contrôleur budgétaire et comptable, qui met en évidence une accumulation des difficultés et un doute sérieux sur la viabilité des dispositifs de financement de l’archéologie préventive.

Pour améliorer la situation et parvenir à un financement équilibré et stable, vous proposez, en particulier, la mise en place d’un pilotage global du dispositif. Pourriez-vous revenir sur ce point ?

Par ailleurs, votre rapport préconise de donner les moyens au développement d’une archéologie préventive sous-marine. La députée des bords de l’Atlantique que je suis est particulièrement attentive à cette question, car je trouve fort dommage qu’aucun travail d’archéologie sous-marine ne soit mené dans le cadre des champs d’éoliennes en mer. Pourriez-vous nous apporter des informations à ce sujet ?

En 2003, les collectivités territoriales ont pris toute leur place dans le secteur de l’archéologie et ont été reconnues comme des opérateurs de proximité. Il a été question de restreindre leur périmètre d’intervention à leur propre secteur territorial. Doit-on confiner l’archéologie à un territoire ? Cela n’est-il pas trop restrictif ?

M. Michel Piron. À mon tour, je salue la qualité de votre travail, madame Faure. N’étant pas un spécialiste de ces questions, j’ai beaucoup apprécié votre présentation exhaustive.

Comme le titre de votre rapport l’indique, vous souhaitez « une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive ». Mais plutôt qu’un déséquilibre, votre diagnostic fait apparaître une immense confusion dans le secteur. Dans ces conditions, votre rapport ne gagnerait-il pas à s’intituler « Pour une politique publique clarifiée de l’archéologie préventive » ?

Le dialogue entre les acteurs est essentiel, vous l’avez dit, mais comment faire travailler ensemble des acteurs qui non seulement s’ignorent – vous le dites –, mais veulent s’ignorer ? Cela est vrai entre le public et le privé, mais également au sein même d’un certain nombre d’instances publiques. Cette situation exige sans doute un véritable pilotage, mais aussi des arbitrages. Or le conseil interinstitutionnel que vous proposez aura-t-il le rôle d’un véritable arbitre ? Et cet arbitrage public n’aurait-il pas intérêt à être décentralisé, notamment à l’échelle des régions ?

Enfin, votre schéma page 30 sur les circuits de la redevance de l’archéologie préventive est tout à fait édifiant ! Avez-vous une idée du montant du coût de gestion de cette redevance, compte tenu de la complexité de ces circuits ?

M. le président Patrick Bloche. Excellente question que je me suis moi-même posée, en plus de celle du nombre de personnes affectées à cette tâche.

M. Hervé Féron. Félicitations, madame la rapporteure, de la qualité de votre travail.

Dans une interview accordée en 2009, le président de l’INRAP, M. Jean-Paul Demoule, déclarait que la plus grande cause de destruction du patrimoine archéologique était sans aucun doute l’agriculture. Or il n’existait à l’époque aucune législation sur le sujet, ni en France ni ailleurs. Les choses ont-elles évolué depuis ? Sinon, comment expliquez-vous qu’on ne se soit pas encore saisi du sujet ?

S’il s’agit de saluer la volonté de simplification du Gouvernement dans plusieurs aspects de la vie administrative et courante, certaines mesures annoncées ont suscité les inquiétudes des archéologues. Parmi les cinquante mesures de simplification présentées en octobre dernier, deux d’entre elles ont été particulièrement critiquées, notamment la numéro 14, qui encourage l’utilisation d’instruments électromagnétiques pour les diagnostics, au détriment d’une fouille mécanique et de l’essence même de l’archéologie. Cette mesure a-t-elle d’ores et déjà été suivie d’effets ? Sinon, ne faudrait-il pas revenir sur cette mesure au vu des inquiétudes légitimes exprimées par les archéologues ?

Enfin, aujourd’hui, c’est un fait, n’importe qui peut se croire archéologue, dès lors qu’il trouve un objet ancien dans son jardin. La presse locale relaie souvent des histoires de ce genre, encourageant les gens à jouer aux archéologues sans prendre les précautions adéquates pour la manipulation des objets, au risque de détruire des vestiges archéologiques parfois inestimables. Je souhaiterais donc attirer votre attention sur la nécessité de mieux sensibiliser les citoyens à l’importance et à la fragilité des trésors archéologiques qui nous entourent et qui ne sont pas toujours traités comme ils le devraient. L’INRAP remplit-il un rôle pédagogique suffisant en la matière ?

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur Féron, de nous interpeller sur un vrai sujet. S’il ne s’agissait que de passer un détecteur de métaux dans son jardin, cela ne poserait pas trop de problèmes : c’est lorsqu’on sort de son jardin que les choses se compliquent !

Mme Dominique Nachury. Merci, madame la rapporteure, de cette présentation sincère d’un constat effectivement préoccupant.

Deux questions sont particulièrement importantes. La première est celle du financement, avec des besoins évalués à 120 millions et un rendement de la redevance d’archéologie préventive compris entre 88 et 44 millions entre 2011 et 2014. La seconde question est celle de l’ouverture à la concurrence, qui pose celle des prix, ceux de l’INRAP ayant augmenté et ceux du privé baissé, ce qui pose certainement la question de la qualité.

La carte de la localisation des services archéologiques des collectivités territoriales agréés, qui figure à la dernière page de votre rapport, fait apparaître une grande disparité d’organisation. Il existe un groupement de départements en Alsace ; des communes et des départements se sont dotés d’un service agréé. Ces différentes organisations ont-elles été évaluées en termes de performance ?

M. William Dumas. À mon tour, je voudrais dire à Martine Faure que j’ai énormément apprécié son rapport très fouillé. Pour ma part, je voudrais apporter un témoignage. Il y a quelques années, les travaux d’agrandissement du collège Révolution, situé à 200 mètres de la Maison Carrée, à Nîmes, ont permis de découvrir une magnifique mosaïque romaine. Le département, en relation avec l’INRAP, a alors décidé de mettre en valeur ces vestiges, si bien qu’aujourd’hui, tous les collégiens qui pénètrent dans le hall de leur établissement passent sur une immense vitre sous laquelle se trouve cette splendide mosaïque et peuvent lire une explication sur ce qu’étaient une villa romaine et la vie à Nîmes à l’époque de nos ancêtres. De nombreuses années auparavant, une partie de cette mosaïque avait malheureusement été coupée et totalement détruite pour construire des garages privés à proximité du collège – mais à l’époque, il n’existait pas de services de conservation du patrimoine. Certes, les travaux d’agrandissement de ce collège ont coûté un peu plus cher que prévus initialement, car il a fallu réaménager toute l’entrée, mais il est important de montrer à nos jeunes, et aux parents d’élèves, le patrimoine que nous ont légué nos anciens. Tout cela pour dire qu’il faut mettre en valeur les vestiges dans les bâtiments publics, et même dans des supermarchés, car on ne parle que de coût, mais quand on voit toutes ces merveilles, l’importance de la préservation du patrimoine devient une évidence.

M. le président Patrick Bloche. Je ne doute pas que le collège Révolution fera le choix de l’EPI « langues et cultures de l’Antiquité » !

M. Christian Kert. Il faut s’interdire de faire le procès de l’INRAP, car celles et ceux d’entre nous qui ont vécu le débat des lois fondatrices se rendent bien compte que l’image de celui-ci s’est améliorée. Je vous rappelle qu’à l’époque la question se posait de savoir s’il fallait donner le monopole à l’INRAP ou ouvrir le secteur à des opérateurs privés dans un contexte de grande crispation, notamment des collectivités territoriales, à l’égard de l’archéologie préventive.

Néanmoins, et je rejoins notre collègue Isabelle Attard, il est vrai que des difficultés subsistent. Martine Faure préconise un meilleur dialogue entre les ministères, ce que je ne peux qu’approuver, mais il faudrait aussi établir un meilleur dialogue entre tous les acteurs locaux. La loi relative à la création, à l’architecture et au patrimoine ne serait-elle pas l’occasion pour le ministère de la culture de lancer une vaste campagne de sensibilisation, notamment auprès des responsables locaux, sur l’importance de l’archéologie préventive ? En l’occurrence, il faudrait mettre en valeur non seulement le travail de recherche de l’INRAP, mais aussi son travail de pédagogie au travers de ses lettres d’information tout à fait remarquables.

Madame la rapporteure, vous évoquez un personnel « en souffrance ». Cette expression n’est-elle pas excessive ? Les difficultés, réelles, ne tiennent-elles pas plutôt à la pénibilité ou à des questions statutaires et juridiques ?

M. le président Patrick Bloche. Merci, chers collègues, d’avoir réaffirmé notre attachement à l’INRAP et notre souci, quel que soit le groupe auquel nous appartenons, de permettre à ce très bel institut d’exercer ses missions de service public. Pour autant, nous n’oublions pas les services archéologiques des collectivités territoriales, qui jouent un rôle tout aussi important.

Pour avoir été dans l’opposition au moment du vote de la loi de 2003, je pense que notre priorité aujourd’hui – et c’est l’esprit du rapport de Martine Faure – n’est pas de revenir sur les dispositions qui ont ouvert les fouilles à la concurrence. Pour autant, le travail d’expertise réalisé par notre collègue permet, douze ans après le vote de cette loi, d’en apprécier les conséquences et de rappeler les points d’équilibre indispensables aux garanties scientifiques, sans lesquelles il n’y aurait pas d’archéologie – je pense bien sûr à tout ce qui se passe après les fouilles et qui est déterminant.

Quant au financement, c’est un vrai débat. Nous aurons l’occasion de le poursuivre dans l’hémicycle, notamment sur la rebudgétisation.

Mme Martine Faure. Monsieur Kert, même si ce rapport peut vous sembler accablant, il ne fait nullement le procès de l’INRAP, dont le travail est clairement reconnu par tous les acteurs que j’ai auditionnés. Le sens de la démarche est de leur faire comprendre tout l’intérêt qu’ils ont à travailler ensemble. À nous de faire sauter certains verrous – sentiment d’une concurrence déloyale, financement – et d’affirmer haut et fort que l’archéologie est une science éminemment importante, ce que nous pourrons faire en septembre dans le cadre de l’examen du projet de loi. C’est le sens de ma proposition de création d’un conseil interinstitutionnel, qui est loin d’être une usine à gaz puisque les acteurs de l’archéologie – ministères, INRAP, universités, CNRS, CNRA – ne se parlent jamais ! Une rencontre entre tous ces acteurs, une ou deux fois par an, permettrait de dresser un bilan, de fixer des perspectives et, ainsi, de lever certaines difficultés. Enfin, je parle de personnel « en souffrance » car cette expression est revenue très souvent lors des auditions – les aménageurs doivent payer, l’INRAP manque d’argent. Mais on peut être en souffrance et redevenir très heureux rapidement ! (Sourires.)

Monsieur Piron, j’entends bien votre suggestion à propos du titre du rapport, mais le premier axe de propositions est justement de « construire une politique publique de l’archéologie préventive claire et coordonnée ». Quant au conseil interinstitutionnel, il faudra bien sûr que l’arbitrage soit assuré par le ministère de la culture.

J’en viens au financement, évoqué par plusieurs d’entre vous. La rebudgétisation ne coûterait pas un sou supplémentaire à l’État, qui devrait ensuite reverser chaque année une partie des crédits à l’INRAP, une partie aux collectivités territoriales et une autre au FNAP, qui ne peut actuellement plus honorer ses engagements. Mais nous pourrons nous appuyer sur la mission du contrôleur budgétaire et comptable du ministère de la culture qui rendra ses conclusions vers la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet.

M. le président Patrick Bloche. Le ministère de la culture lance tellement de missions…

Mme Martine Faure. François Jourdan m’indique que nous les aurons cet après-midi ! La rebudgétisation permettrait de sécuriser le financement de l’INRAP, du FNAP et des collectivités territoriales. Elle permettrait ainsi de fluidifier et de simplifier le circuit de financement, d’une complexité invraisemblable actuellement !

Monsieur Féron, l’agriculture n’est pas la seule à détruire les trésors enfouis. Lorsque j’étais responsable de la culture dans mon village, dès que j’informais le maire de la découverte de choses extraordinaires, celles-ci avaient disparu comme par enchantement dès le lendemain, remplacées par le béton… En tout cas, j’espère que nous pourrons mieux sensibiliser les populations.

S’agissant de la concurrence, elle sera gommée, et la qualité scientifique garantie, lorsque l’État aura beaucoup plus de prise sur les prescriptions et interviendra en amont.

Je crois beaucoup à l’ancrage local : il faut une politique nationale déclinée sur les territoires. L’archéologie est un service de proximité, ce qui implique de redonner des moyens aux organismes présents sur les territoires, comme les services régionaux de l’archéologie (SRA) et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC).

Ces moyens, je les vois dans les passerelles interinstitutionnelles, qui permettraient de faire passer les archéologues d’une structure à l’autre. Cela implique de modifier les statuts d’emploi différents. Ainsi, l’INRAP pourrait, en cas de charge de travail moindre, envoyer des archéologues vers d’autres structures qui manquent de moyens.

Monsieur Reiss, les délais sont un vrai sujet. Ce problème pourra être résorbé si les moyens sont suffisants en personnel et en financement. Il faudra également que le projet de loi accentue la décentralisation.

Madame Langlade, une de mes préconisations, page 47, consiste à intégrer dans le géoportail en cours d’élaboration par le ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité les données archéologiques contenues dans la carte archéologique nationale.

Madame Bouillé, j’ai osé dire, et cela m’a été reproché, que certaines collectivités territoriales débordaient chez les voisins. Je pense qu’il peut y avoir une complémentarité entre les services des collectivités territoriales et l’INRAP, quand les premières ne disposent pas de l’archéologue compétent au bon moment, et inversement.

Monsieur Degallaix, les acteurs privés doivent être soumis aux mêmes exigences que l’INRAP ou les services des collectivités territoriales. Je l’ai écrit dans le rapport et cela doit faire l’objet d’une disposition dans le projet de loi, afin de mettre fin à cette concurrence déloyale, évoquée lors des auditions.

Madame Attard, l’archéologie préventive n’est plus considérée comme un empêcheur de tourner en rond. Elle permet de libérer plus rapidement des terrains en cas de doute, si le diagnostic des fouilles est réalisé au moment adéquat et au bon endroit.

Monsieur Herbillon, vous pointez le grand nombre d’intervenants ; mais il sera difficile d’empêcher les uns et les autres d’intervenir dans la chaîne opératoire. Quant à l’évolution de l’INRAP, il pourrait avoir de nouvelles responsabilités, à la fois sur les sujets maritimes, la valorisation des objets de fouille et enfin la recherche elle-même.

Monsieur Rogemont, j’ai répondu sur le budget. Concernant le danger pour la science, le rapport contient un grand nombre de préconisations. Quant à l’incertitude sur le périmètre de la recherche, c’est au CNRA de donner des pistes pour en décider.

Monsieur Dumas, votre témoignage m’a beaucoup plu. J’ai moi-même eu un grand plaisir à réaliser ce rapport, parce que cela m’a replongée dans une ambiance que j’ai connue : tout ce travail de recherche, de fouilles, le porter à connaissance auprès des populations sur des biens communs. J’espère que ce travail va aboutir à des préconisations qui pourront être déclinées dans la loi que nous examinerons au mois de septembre.

M. le président Patrick Bloche. Merci ma chère collègue. Les deux heures que nous avons consacrées à votre rapport étaient nécessaires au regard de notre attachement au service public de l’archéologie préventive. L’archéologie participe de notre identité collective et de l’écriture de ce beau roman national.

La séance est levée à onze heures quarante.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 juin 2015 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, M. Bernard Brochand, Mme Marie-George Buffet, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Michel Piron, Mme Régine Povéda, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Ary Chalus, M. Jean-François Copé, Mme Sonia Lagarde, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, Mme Barbara Pompili, M. Christophe Premat, M. Rudy Salles

Assistaient également à la réunion. – M. François Vannson, M. Philippe Vigier