Accueil > Les commissions d'enquête > Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 3 décembre 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général à la Direction générale du climat et de l’énergie du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le directeur général, soyez le bienvenu dans cette commission d’enquête. La direction générale du climat et de l’énergie, dont vous avez la responsabilité, participe à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de l’énergie. À ce titre, elle apporte une vigilance toute particulière à l’ouverture du marché de l’électricité et, bien évidemment, à l’évolution des prix de l’électricité qui en résulte.

Ses liens de travail avec la commission de régulation de l’énergie (CRE) se doivent effectivement d’être très étroits, notamment dans les processus d’élaboration des textes réglementaires régissant le marché dérégulé de l’énergie.

Avec l’ouverture à la concurrence dans ce secteur, il s’agit d’opérer une dérégulation progressive des activités de marché et non une déréglementation car les textes sont nombreux et se succèdent même à un rythme soutenu voire trop soutenu.

Les interrogations de notre commission sont diverses.

Nous avons, par exemple, recueilli les inquiétudes de certains milieux économiques concernant la disparition, prévue pour le 31 décembre 2015, de tarifs réglementés – tarif « jaune » et tarif « vert » – destinés aux clients professionnels. Comment préparez-vous la sortie prochaine de ce système et est-on certain que la qualité de l’offre et les prix seront vraiment en rapport avec la gamme des besoins ?

Au sujet de l’effacement, quelles perspectives de progrès vous est-il possible de tracer ? Ce sujet est, lui aussi, fréquemment abordé par nos interlocuteurs. C’est un enjeu plus important qu’il n’y paraît à première vue dans la conduite de la transition énergétique et non une simple source d’économies d’énergie supplémentaires, comme on le présente parfois.

Plus généralement, concernant l’effacement et encore l’interruptibilité, notre pays est-il en retard par rapport à d’autres grands marchés électriques européens ?

En ce qui concerne les industries électro-intensives, pensez-vous que les solutions de prix offertes par les orientations du droit européen sont suffisamment pertinentes pour tenir compte des défis de compétitivité auxquels elles sont confrontées vis-à-vis de grands pays tiers ? Le risque des délocalisations de certaines filières pour motifs énergétiques est-il réel, comme certains experts le soulignent ?

Enfin, le mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) sera-t-il conforté au niveau européen ? L’exigence par les autorités de Bruxelles d’une nouvelle méthodologie de calcul de l’ARENH a-t-elle posé de véritables problèmes ? Certains de nos interlocuteurs nous ont dit que la France avait tardé à soumettre à Bruxelles cette nouvelle méthodologie ; est-ce vrai et, dans l’affirmative, quelles sont les raisons de ce retard ?

Vous le constatez, monsieur le directeur général, les interrogations de la commission portent sur de nombreux thèmes.

(À l’invitation de M. le président, M. Laurent Michel prête serment.)

M. Laurent Michel, directeur général du climat et de l’énergie. Sur le marché français de l’électricité coexistent des tarifs réglementés et des offres de marché. Les premiers restent très dominants dans le « bas de portefeuille » – 93 % dans le secteur résidentiel –, alors que, dans le « haut de portefeuille », les offres de marché représentent déjà 41 % en volume mais seulement 14 % des clients : il s’agit pour l’essentiel de gros clients. Certains éléments – les tarifs d’utilisation des réseaux, à savoir l’acheminement, et les taxes – sont communs à tout le monde ; c’est le prix de la fourniture qui est soumis à la concurrence.

Les prix de l’électricité sont plus élevés dans les autres pays de l’Union européenne qu’en France : plus 27 % en moyenne pour le consommateur résidentiel – mais le consommateur allemand la paie 84 % plus cher – et plus 40 % pour les consommateurs non domestiques. Nous sommes néanmoins confrontés à un problème spécifique pour certains gros consommateurs, qui ne tient pas tant à l’évolution de nos prix qu’à celle de certains marchés de gros de l’électricité, en particulier en Allemagne, où ont été de surcroît appliquées diverses exonérations. Les sites électro-intensifs français n’en restent pas moins compétitifs par rapport à leurs concurrents européens, d’autant que certaines réponses sont en voie de leur être apportées ; j’y reviendrai.

Les prix augmentent, certes, mais cette hausse doit être relativisée et appréhendée sur une longue période. Ils avaient fortement baissé dans les années 1980-1990 avec l’entrée en service rapide du parc électronucléaire ; pour la période 2000-2013, les prix hors taxe avaient baissé de 9 % en euros constants. On note en revanche, pour les ménages, une hausse de 2,8 % par an hors taxe en moyenne en euros courants pour les cinq dernières années. Ce mouvement inverse s’explique en particulier par une reprise de l’effort d’investissement dans tous les maillons du système électrique : au niveau de la production, les investissements ont repris dans le parc nucléaire afin d’assurer la maintenance lourde ou de financer premières prolongations de centrales, mais également dans le parc hydroélectrique et bien sûr dans le secteur des énergies renouvelables (ENR) dont le développement s’impute sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ; au niveau des réseaux également, des réinvestissements ont été nécessaires pour améliorer la qualité de la distribution, accroître les capacités d’échanges aux frontières et intégrer les énergies renouvelables. Parallèlement, la péréquation tarifaire pour les zones non interconnectées a entraîné un surcoût, réparti sur l’ensemble des consommateurs, dans la mesure où il a fallu renouveler des équipements majeurs de production (centrales électriques).

L’ouverture des marchés a impliqué de nombreuses évolutions compte tenu des particularités françaises parmi lesquelles, au-delà de la présence d’un producteur important, l’existence d’un parc historique très performant, mais très lourd, dans lequel un acteur isolé ne peut pas investir : le parc nucléaire. La loi de 2000 prévoyait que les tarifs réglementés de vente soient fixés en fonction des coûts comptables de l’opérateur intégré. La loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, a introduit le mécanisme dit de l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), et précisé la construction des tarifs réglementés de vente. Les tarifs de vente, pour ce qui est de la fourniture, sont désormais calculés comme l’empilement de plusieurs « briques » : l’ARENH, le complément de fourniture, puisque tout ne vient pas du nucléaire, et les frais commerciaux (systèmes d’information et autres), enfin la rémunération de l’opérateur.

L’ARENH n’est pas qu’une simple composante des tarifs de l’électricité : l’idée est de garantir à tous les consommateurs l’accès à une électricité relativement bon marché, sur laquelle on peut avoir une visibilité à long terme, et ouverte à la concurrence. Par ce dispositif, EDF est tenue d’offrir un volume, aujourd’hui plafonné, aux fournisseurs alternatifs. Ce tarif régulé doit couvrir le coût de fonctionnement, le coût d’un entretien sérieux – qui doit prendre en compte, par exemple, les exigences de sûreté post-Fukushima – et le coût d’un certain nombre d’investissements passés et futurs.

Le gouvernement s’emploie actuellement à définir la méthodologie de fixation du prix de l’ARENH, en s’appuyant sur les travaux de la commission Champsaur. Un décret a été préparé et transmis à la Commission européenne avec laquelle nous avons des échanges approfondis depuis plusieurs semaines ; c’est ce qui peut expliquer un relatif décalage, puisque nous pensions adopter l’ensemble des textes au mois de novembre afin que les fournisseurs réservent leur ARENH en fonction des nouvelles conditions, ce qui suppose de connaître l’avis de la Commission sur le projet de décret. L’ARENH reste donc au prix de 42 euros par mégawattheure jusqu’au 1er juillet 2015. À partir de cette date, nous disposerons de la nouvelle méthode et d’un nouveau prix qui, sous réserve de l’affinement de la CRE, devrait se situer autour de 45 euros, valeur 2014, en moyenne sur la période 2014-2025. Plusieurs assouplissements ont été introduits pour les fournisseurs, portant sur la clause de tolérance en cas d’erreur d’estimation des besoins et les délais de paiements, notamment.

L’existence du dispositif n’est pas contestée, même si certaines modalités et son montant font l’objet de débats. Aussi devrait-il perdurer jusqu’à la loi prévue pour 2025. La CRE exerce un suivi du dispositif, dans le cadre de sa mission de surveillance du marché. Il faudra, assez rapidement, réfléchir au post-2025. Le secteur nécessite en effet une certaine visibilité pour tous les acteurs : EDF, fournisseurs alternatifs ou consommateurs.

Pour ce qui est des tarifs réglementés de vente pour les gros et moyens consommateurs – les tarifs jaune et vert que vous avez mentionnés –, la loi NOME prévoit leur extinction à la fin 2015. Il s’agit par conséquent de préparer cette évolution en termes d’information des consommateurs, mais également de dispositions techniques.

Déjà, en cette fin d’année, plusieurs tarifs du gaz s’éteignent ; nous avons tout intérêt à nous nourrir de cette expérience pour l’électricité. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation prévoit l’information régulière des consommateurs – je rappelle que 400 000 entreprises basculeront du droit aux tarifs réglementés de vente (TRV) à l’offre de marché. Des modèles de courriers les plus neutres possibles vis-à-vis de l’ensemble des fournisseurs seront préparés, que les ministres chargés de l’économie et de l’énergie devront valider. Toujours en nous inspirant de ce que nous avons fait pour le gaz, une offre transitoire de marché sera proposée par les fournisseurs historiques à l’attention de tous ceux qui n’auraient pas pu ou su, avant l’échéance du 31 décembre 2015, souscrire à un nouveau tarif. Reste qu’il s’agit bien d’une offre transitoire limitée à six mois. Cette limitation dans le temps était nécessaire du point de vue de la concurrence : se contenter de laisser perdurer tacitement les anciens contrats n’aurait pas assez incité à l’ouverture du marché. Par ailleurs, afin de ne pas mettre le couteau sous la gorge des clients, les fournisseurs sont tenus de leur donner la possibilité de souscrire une offre n’excédant pas douze mois, ce qui évite de se retrouver engagé trop rapidement pour plusieurs années sans avoir eu le temps de s’y préparer.

Cette transition est aussi un défi industriel pour le secteur de l’électricité. Les plus petites entreprises concernées ont une puissance de raccordement un peu supérieure à trente-six kilovoltampères de puissance, ce qui représente l’équivalent de quatre à six logements, mais, dans le lot, on trouve aussi de gros consommateurs qui sont encore aux TRV. Les fournisseurs, de leur côté, devront être aptes à répondre à une forte sollicitation. En outre, tout un travail technique reste à réaliser pour les gestionnaires de réseaux de distribution au niveau des systèmes d’information. Nous allons d’ailleurs faire évoluer la procédure de changement de fournisseur, puisque nous passerons (pour ces consommateurs) d’une procédure cadencée au 1er de chaque mois vers une procédure « au fil de l’eau ». Par ailleurs, les clients peuvent être amenés, en réfléchissant à leurs nouvelles fournitures, à changer de puissance, donc il peut y avoir un besoin d’intervention sur le compteur.

Aussi la CRE a-t-elle mis en place des groupes de travail pour préparer au mieux l’extinction des TRV : un groupe ad hoc « Communication et information », un groupe sur les procédures et les relations entre les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux de distribution et un groupe de travail « Systèmes d’information ».

Ce basculement vers les offres de marché ne sera pas toujours simple ; quelques cas nous ont été d’ores et déjà signalés de gros consommateurs qui avaient optimisé leur consommation en fonction de la grille des TRV et dont la facture globale pourrait augmenter, dans la mesure où ils ne retrouveront peut-être pas une offre identique.

On peut aussi se demander si, à la fin du processus, on ne se retrouvera pas avec des clients « orphelins », les fournisseurs pouvant être tentés de faire un tri en fonction de critères de solvabilité. Il n’y a pas forcément de réponse simple à cette question. On évoque souvent la notion de fournisseur de dernier recours, qui serait obligé de faire une offre. Seulement, comment désigner ce fournisseur de dernier recours et à quel tarif ? On peut imaginer que les fournisseurs se délestent d’un certain nombre de clients ayant des difficultés d’impayés, et qu’un fournisseur de dernier recours se retrouverait à devoir tous les accueillir. Faut-il dès lors songer à un système de compensation des impayés par l’ensemble de la collectivité ? Ce n’est pas forcément un mécanisme très simple : la Belgique en avait un pour les ménages, et elle serait en train d’y renoncer. On peut imaginer un renforcement des obligations de service public afin de dissuader les fournisseurs de faire ce genre de tri, étant bien entendu que les clients mauvais payeurs, de leur côté, ne doivent pas être encouragés à continuer. Nous n’avons pas encore toutes les réponses à ces questions.

Vous m’avez interrogé sur les électro-intensifs. Il s’agit d’entreprises qui se répartissent dans divers secteurs, particulièrement dans l’industrie lourde, avec des problèmes identiques – un poids important de l’électricité et souvent du gaz, dans leurs coûts d’exploitation –, mais également des profils parfois très différents. Certaines ont un profil de consommation très stable, d’autres un profil plutôt contracyclique. Le sujet est double : se pose d’un côté la question de la compétitivité de l'énergie européenne, sachant que la marge de manœuvre franco-française n’est pas considérable, par rapport à d’autres zones riches en ressources à très bas prix, qu’elles soient fossiles – dans les pays du Golfe, aux États-Unis où la baisse du prix du gaz a entraîné celle du charbon – ou qu’elles soient hydroélectriques – on pense à l’Islande, où se met en place une industrie de l’aluminium alimentée par une électricité très bon marché. De l’autre côté, il faut veiller à offrir un terrain de jeu garantissant un minimum d’égalité entre les entreprises européennes pour que, à situation comparable, on ait des prix comparables.

Depuis 2012, le Gouvernement a mis en place un certain nombre d’actions destinées à soutenir la compétitivité des entreprises électro-intensives. Les dispositifs de soutien à la cogénération ont été refondus : le dispositif des tarifs d’achat pour les cogénérations de moins de 12 MW perdure ; en 2013, la loi dite Brottes visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, prévoyait une prime pour les cogénérations de plus de 12 MW qui réinvestissaient puisqu’arrivées en fin de contrat d’obligation d’achat. La prime n’était pas fonction de l’électricité vendue mais de la puissance afin de prendre en compte l’apport aux périodes de pointe. Une question prioritaire de constitutionnalité a conduit le Conseil constitutionnel à annuler cette disposition au motif qu’elle excluait certaines cogénérations. Elle sera bientôt à nouveau soumise à l’examen du Parlement en prenant en considération, cette fois, tous les cas de figure.

Un deuxième ensemble de dispositions vise à ouvrir plus largement les dispositifs d’ajustement, d’effacement mais aussi d’interruptibilité – en particulier en ce qui concerne les appels d’offres de Réseau de transport d’électricité (RTE) –, avec des conditions et des volumes plus importants de puissance appelée, pour mieux valoriser l’apport de certains gros consommateurs au système électrique du fait de leur consommation flexible. Peuvent également se porter candidats les opérateurs d’effacement qui travaillent avec des gros consommateurs, mais aussi sur le diffus.

Troisièmement, une discussion a été menée, avec l’appui du Gouvernement, pour reconfigurer le contrat d’achat à long terme entre le consortium Exeltium et EDF. Ce contrat offre l’avantage de la visibilité, mais certaines de ses clauses avaient conduit à une forte dégradation de sa compétitivité. Il a donc été remis sur les rails en septembre dernier afin d’être reformaté et de retrouver tout son intérêt.

Deux dispositions sont à l’étude. La première, déjà bien avancée, vise à diminuer les coûts de transport d’électricité pour les électro-intensifs. La CRE a en effet pris une mesure d’abattement de 50 % pour 2014-2015, considérant que nous disposions d’une certaine marge de manœuvre sur le compte de régularisation des charges et des produits, tout en insistant sur le caractère exceptionnel de cet abattement. Parallèlement, le projet de loi sur la transition énergétique a introduit la possibilité de tenir compte des avantages qu’apportent les électro-intensifs à la gestion du système électrique par la prévisibilité et, dans certains cas, la stabilité de leur consommation. Le texte de loi, dans sa dernière version en date, prévoit qu’un décret fixera la méthodologie sur la base de laquelle la CRE établira un tarif tenant compte de ces apports, qui permettra d’opérer une réduction pouvant atteindre 60 % par rapport au calcul de base.

La seconde disposition doit prévoir comment, à l’occasion du renouvellement ou de la prolongation des concessions hydroélectriques, les gros consommateurs pourraient, d’une façon ou d’une autre, être associés à la gestion de ces concessions et bénéficier d’un accès à l’électricité qu’elles produisent à un tarif intéressant et, là encore, dans une perspective de long terme. Ce dispositif fait l’objet d’un travail interministériel. Je ne suis pas en mesure de vous indiquer quelles pistes seront retenues – sinon que les mesures envisagées seront très probablement de nature législatives.

Ces mesures peuvent se chiffrer en dizaines voire centaines de millions d’euros pour l’ensemble du secteur ; d’une manière générale, le dispositif a été significativement renforcé ces deux dernières années.

Un autre sujet est en cours d’examen. Il découle des dernières lignes directrices européennes sur les aides à l’énergie et à l’environnement : les gros consommateurs – les industriels, certes, mais aussi, par exemple, la SNCF – bénéficient de fortes exonérations de CSPE. Or de nouvelles règles vont être adoptées dans toute l’Europe pour ces types d’exonérations avec une période transitoire et un plan d’ajustement. L’objectif est que leur spécificité reste globalement – certains vont bien sûr y gagner et d’autres y perdre – prise en compte. Nous sommes en discussion avec la Commission européenne sur le sujet.

Vous m’avez enfin interrogé sur l’effacement de la consommation électrique. Celui-ci recouvre plusieurs réalités physiques, qu’il s’agisse de l’effacement des gros consommateurs ou bien d’effacements diffus, par le biais de signaux tarifaires (heures pleines et heures creuses, effacement en jours de pointe, tarifs dit Tempo, autant de systèmes développés depuis longtemps en France et ailleurs) ou non.

Les études réalisées ont montré que la pointe de consommation d’électricité montant plus vite que la consommation globale, il y avait là un potentiel à développer. Des réflexions ont été menées, d’une part, sur la meilleure manière d’organiser la coexistence entre les opérateurs d’effacement et les fournisseurs et, d’autre part, sur la mise au point de signaux destinés à favoriser l’effacement – activité qu’il convient de rémunérer à un juste prix afin d’éviter l’appel à des puissances de production en pointe très coûteuses et de surcroît émettrices de dioxyde de carbone. À cet effet, plusieurs dispositifs ont été mis en œuvre ou renforcés.

Certains appels d’offres prévoient ainsi des effacements avec un préavis très court – ce qu’on appelle l’interruptibilité –, gérés par RTE et concernant plus particulièrement les gros consommateurs qui, sans préavis, sont capables de s’interrompre. D’autres appels d’offres de RTE visent à valoriser la capacité, à savoir la puissance qu’en pointe on ne consommera pas. Par ailleurs, la loi Brottes a prévu la valorisation des externalités positives – économies d’énergie, moindres émissions de dioxyde de carbone, etc. Plusieurs dispositions sont en cours de définition et seront prochainement examinées par le conseil supérieur de l’énergie : elles visent à établir des conditions de rémunération avec, d’un côté, les primes touchées par les opérateurs d’effacement et, de l’autre, les versements que ces derniers devront effectuer au bénéfice des fournisseurs « effacés ».

Ces dispositifs n’épuiseront pas pour autant le sujet : il s’agit d’appliquer un nouveau modèle. Le cadre législatif a d’ailleurs fait l’objet de retouches à l’occasion de l’examen sur le projet de loi relatif à la transition énergétique par l’Assemblée. L’idée sera de tenir compte des retours d’expérience et en particulier de distinguer les effacements-reports et les effacements-économies d’énergie qui, du fait de leurs incidences économiques et environnementales, n’ont pas à être rémunérés de la même façon. De même, le projet de loi introduit le principe de priorité à l’effacement dans certains outils, dont les appels d’offres sur le marché d’ajustement de RTE.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Vous avez décrit les dispositifs en vigueur censés répondre aux problèmes rencontrés par certains secteurs qui dépendent particulièrement de l’énergie électrique. Ces dispositifs sont-ils à la hauteur ? Les précédentes auditions semblent montrer que ce n’est pas vraiment le cas.

Nous avons auditionné plusieurs représentants de la Commission. Nous nous demandons si le cadre européen n’est pas trop contraignant, au point de nous mettre en difficulté vis-à-vis d’autres opérateurs, et surtout de concurrents hors Union européenne dont les coûts et les prix sont extrêmement bas, au point que si nos entreprises en viennent à se demander si elles ne feraient pas mieux de délocaliser leurs activités. Il faut également tenir compte du fait que le secteur de l'énergie et de l’électricité, dans de nombreux pays, y compris dans certains États membres, bénéficie de subventions ou de dispositifs d’aides très substantiels. Allons-nous tenir, en France et au sein de l’UE, face à cette situation ?

Vous avez évoqué les évolutions des prix. Avez-vous le sentiment que l’augmentation du coût et du prix de l’électricité est inéluctable ? Les conséquences, on le mesure bien, seront lourdes, tant pour le consommateur que pour les entreprises. Quels seront, selon vous, dans un contexte dont on ne connaît pas tous les éléments, les effets de la transition énergétique ?

S’agissant enfin de la concurrence sur notre territoire lui-même, insuffisante aux yeux de certains, suffisante pour d’autres, du rôle joué par l’opérateur historique, de la façon enfin dont est construite l’articulation entre RTE et Électricité réseau distribution France (ERDF), des éléments de structure pèsent-ils, à votre avis, sur le coût de l’électricité et donc sur les tarifs ?

M. Jean-Pierre Gorges. Nous venons de voter une loi sur la transition énergétique. Avez-vous participé à la réflexion sur ce texte et, plus précisément, vous êtes-vous exprimé sur l’incidence des choix stratégiques envisagés sur la politique des prix ? Je pense aux coûts induits par la transition énergétique, à l’indépendance vis-à-vis d’autres pays, aux choix importants concernant le secteur nucléaire. Or, d’après le texte, la substitution du nucléaire par les énergies renouvelables est une équation qui ne peut être résolue que si la consommation d’électricité baisse. Avez-vous réalisé, par conséquent, des simulations de l’incidence de la baisse de la consommation sur les tarifs ?

Avez-vous par ailleurs intégré les coûts du réseau de transport de l’électricité liés à une mutation de fourniture de l’énergie – énergies renouvelables, énergie photovoltaïque, éolienne ou autre ? En effet, la construction du réseau n’est pas la même et on voit bien aujourd’hui que certains s’inquiètent. Avez-vous participé à une étude d’impact sur l’incidence de la dénucléarisation de la fourniture de l’électricité en France ? Des modèles mathématiques ont-ils été établis ?

M. Laurent Michel. Les dispositifs évoqués sont-ils suffisants pour répondre aux problèmes rencontrés par les industriels électro-intensifs ? Il s’agit d’une question compliquée. Du chemin reste à faire : j’ai évoqué l’idée que l’hydroélectricité, patrimoine historique, qui peut, sous certaines conditions, délivrer de l’électricité à bas prix, puisse bénéficier aux entreprises électro-intensives, ce qui compléterait le dispositif.

Pour ce qui concerne l’Europe, nos prix de l’électricité restent moins élevés qu’en Italie ou au Royaume-Uni : pour les consommateurs non domestiques, le prix moyen en France est en moyenne de 40 % inférieur au prix moyen des pays membres de l’Union européenne. Pour les gros électro-intensifs, en revanche, il y a eu un tournant en 2013-2014 lié à l’effondrement des prix de marché de gros en Allemagne et à une politique très offensive de cette dernière par le biais d’exonérations de taxes ou d’aides au point que certaines ont dû être réduites sous la pression de la Commission européenne. L’équation est un peu impossible : il s’agit à la fois d’avoir une visibilité à long terme, tout en bénéficiant de prix les plus bas possibles . Grâce à un contrat à long terme, vous avez une garantie de visibilité, vous êtes protégé des hausses mais, a contrario, vous ne pouvez pas nécessairement bénéficier des baisses. L’ARENH est un dispositif souple :aujourd’hui personne n’est obligé d’acheter à l’ARENH, et certains peuvent décider de s’approvisionner sur les marchés de gros lorsqu’il est moins cher.

Vous m’avez ensuite demandé si le cadre européen était trop contraignant ou non. La question des contrats de long terme a toujours été difficile. La Commission européenne craignait que les contrats de long terme, en pérennisant la relation entre le client et un très gros fournisseur, ne freinent l’ouverture du marché à la concurrence. Elle a néanmoins autorisé la création d’Exeltium et, ayant pris conscience de l’importance du facteur compétitivité, elle ne semble plus considérer les contrats de long terme comme un tabou.

Pour ce qui est de la comparaison avec les autres continents, il faut savoir qu’avant même l’émergence des gaz de schiste aux États-Unis, qui a beaucoup fait baisser les prix, la question se posait déjà pour la pétrochimie ou l’aluminium : dans les pays du Golfe, le gaz est quasiment gratuit puisqu’il est un sous-produit de l’exploitation pétrolière. Autrement dit, il y a quelques années, on pouvait d’ores et déjà créer des usines d’aluminium en profitant de sources d’énergies à des prix imbattables. Mais si la question n’est pas nouvelle, elle est devenue encore plus aiguë avec la baisse des prix de l’énergie et la baisse, aux États-Unis, des prix de la matière première qu’est le gaz pour l’industrie chimique. Alors qu’elle était devenue sous-compétitive par rapport à la pétrochimie européenne qui a une tradition d’excellence et d’innovation, la pétrochimie américaine, investissant de nouveau dans les vapocraqueurs, a connu un rebond et se trouve sur le point non seulement de cesser d’importer, mais d’exporter, ce qui ne peut qu’inquiéter pour la chimie européenne.

On ne peut pas, avec les moyens de production européens – on ne dispose pas en Europe de ressources fossiles à bon marché –, avec une politique climatique – que nous soutenons totalement – qui aide à réduire la consommation d’énergies fossiles, développer une politique de bas prix de l’électricité produite par les énergies fossiles. On doit donc développer une électricité au meilleur prix entre le nucléaire, les énergies renouvelables et un peu de fossile.

Jusqu’à quel point apporter des aides ? Ces aides sont encadrées au niveau européen. On peut d’ores et déjà considérer que les gros consommateurs, à des degrés divers selon les pays et dans le cadre des limites fixées par la Commission européenne au mois d’avril, sont aidés. Doit-on aller plus loin ? C’est une question d’équilibre, mais aussi de soutenabilité dans le temps. Il faut avoir présent à l’esprit que le subventionnement du prix de l’électricité ou du gaz n’est pas forcément viable à terme et que de surcroît il n’incite pas à l’économie d’énergie et du coup à la réalisation des investissements les moins consommateurs d’énergie. On cherche au niveau national et au niveau européen à déterminer le bon niveau d’aide : depuis deux ou trois ans, des dizaines voire des centaines de millions d’euros y sont chaque année injectés et se répercutent sur l’ensemble de l’économie. Il n’y a pas de secret : ce que vous payez en moins au titre des réseaux de transport ou de la CSPE sera supporté par les entreprises non énergo-intensives ou par le consommateur domestique. On va vers plus de soutien pour les électrointensifs, mais il y a un équilibre à trouver.

Vous m’avez interrogé sur l’impact de la transition énergétique sur l’évolution des prix. Depuis plusieurs années, la reprise des investissements a conduit à une hausse des prix. Celle-ci peut s’expliquer également par d’autres facteurs comme, pour EDF, une anticipation de recrutements pour le renouvellement des compétences dans le secteur nucléaire. Il s’agit, et Mme Royal y est très attachée, d’être exemplaires et rigoureux sur la méthode et le calcul de l’ARENH et des tarifs réglementés, tout en se montrant incitatifs. C’est le sens de la dernière réforme tarifaire : ainsi la fourniture d’électricité hors nucléaire est répercutée non pas au coût comptable d’EDF mais au prix du marché, pour inciter à la maîtrise des coûts, sans pour autant s’éloigner fondamentalement de la couverture des coûts. EDF applique d’ores et déjà des plans de maîtrise des coûts ; il y en aura d’autres à l’avenir, afin que, tout en respectant ses obligations de sûreté, dans le parc nucléaire notamment, et ses obligations de performance des réseaux, le groupe facture l’électricité au juste prix.

Les prix de certaines énergies renouvelables restent parfois encore supérieurs au prix du nucléaire historique ou aux prix des énergies fossiles. L’objectif est de développer les ENR à hauteur de 23 % d’ici à 2020, tout en maîtrisant les coûts et en définissant des mécanismes et des trajectoires à même d’être pilotés. C’est pourquoi le texte de loi introduit non seulement la notion de programmation pluriannuelle de l’énergie, qui renouvelle et élargit la notion de programmation pluriannuelle des investissements en électricité, mais prévoit également un dispositif de contrôle avec la création d’un comité de gestion de la CSPE et la présentation, en annexe du projet de loi de finances, d’un rapport annuel au Parlement sur les évolutions prévisibles de la CSPE. Un avis sera ainsi rendu sur l’impact de chaque décision sur la CSPE.

En ce qui concerne l’impact de la transition énergétique sur les prix, notre direction générale a été une des instances rédactrices des propositions ministérielles qui ont abouti au projet de loi. Nous avons pu éclairer certains calculs d’objectifs, concernant l’électricité notamment, en termes de faisabilité et de trajectoire. On retrouve la trace de ces travaux préliminaires dans l’étude d’impact ; ils vont être approfondis puisque la programmation pluriannuelle de l’énergie – révisée tous les cinq ans – devra, pour une période de huit ans pour la première et pour des périodes de dix ans ensuite, tracer les objectifs pour le mix de production, pour le développement des réseaux, pour les capacités de stockage, et comprendre un volet sur l’impact macroéconomique de la transition et sur son impact sur les différentes catégories de consommateurs. Les évolutions seront affinées au cours de l’année 2015 puisque le projet de loi prévoit une première programmation, qui sera adoptée par décret pour la fin de la même année et qui sera élaborée à partir de scénarios de consommation. Nous ne travaillons pas forcément sur un scénario de baisse de consommation d’électricité mais plutôt de hausse réduite grâce aux économies d’énergie. L’un d’eux, élaboré par RTE, prévoit, pour une croissance moyenne annuelle du PIB de 1,7 % jusqu’à 2030, une augmentation de la consommation électrique de 0,4 % par an – sachant que les baisses prévues dans la loi visent d’abord les énergies fossiles. Ces travaux plus approfondis ont commencé et les programmations seront communiquées au Parlement.

Mme la rapporteure m’a interrogé sur le fait de savoir si la structure des entreprises était de nature à peser sur les coûts. L’ouverture à la concurrence est réelle et a tendance à s’accélérer : on le mesure au rythme des changements de fournisseurs. Ce phénomène est plus intense dans le secteur du gaz que dans celui de l’électricité : les marchés ne sont pas les mêmes. Néanmoins, tant pour les tarifs que pour la structure des offres, les fournisseurs alternatifs en électricité se sont fait une place.

Les tarifs réseaux sont régulés et, là aussi, il faut trouver un équilibre entre, d’une part, des besoins d’investissements forts et des demandes de renforcement de la qualité – qualité qu’il faut même rétablir dans certains cas, notamment en zone rurale –, et, d’autre part, le souhait d’éviter toute dérive des coûts. Mais ce n’est pas forcément le tarif des réseaux qui a été le plus générateur des récentes hausses de prix. Je rappellerai que le mouvement tarifaire de novembre 2014, qui incluait précisément la nouvelle méthode de calcul sur la fourniture et la prise en compte des réseaux, a conduit à une augmentation de 2,5 % pour les petits consommateurs, plus faible que prévu. En somme, je ne pense pas que la structure spécifique d’EDF, de RTE et d’ERDF pèse particulièrement sur les coûts. Ce n’est en tout cas pas le dessein de la structure et le besoin d’optimisation industrielle est déjà pris en compte par ces entreprises.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le directeur général, nous vous remercions de toutes ces explications qui contribueront utilement à notre réflexion.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 3 décembre 2014 à 17 h 15

Présents. - M. Guillaume Chevrollier, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Viviane Le Dissez, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf