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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 15 janvier 2015

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de Mme Jeanine Dubié, Vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation des syndicats : Fédération nationale des Mines et de l’Energie CGT : Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable du pôle « Politique énergétique et industrielle », M. Bruno Bosquillon, Délégué syndical central d’ERDF, Mme Valérie Goncalves, responsable de la Commission « Droit à l’énergie-Précarité énergétique » et M. Serge Vidal, (Pôle « Politique énergétique et industrielle ») ; Fédération Chimie-Énergie de la CFDT : M. Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la fédération FCE-CFDT, M. Vincent Rodet, délégué fédéral de la branche IEG, M. Philippe Lèbre, membre du bureau de la branche IEG, et M. Bernard Gérin, chargé de mission ; CFTC-CMTE (Chimie, mines, textiles, énergie) : M. Francis Orosco, président fédéral Chimie Mines Textile Énergie, M. Pierre Carrié, président secteur « Energie », Mme Isabelle Guglielmacci, représentante « EDF Commerce » et M. Pascal Prouff, animateur fédéral ; FO Énergie et Mines : M. Jacky Chorin, administrateur FO d’EDF, membre du CESE, M. Rémy Scoppa, délégué fédéral, membre du Conseil supérieur de l’Énergie et M. Yves Giquel, assistant confédéral ; CFE-CGC : M. Alexandre Grillat, secrétaire national confédéral, M. Dominique Labouré, secrétaire général adjoint de la CFE-CGC Énergies, Mme Catherine Halbwachs, déléguée fédérale de la CFE-CGC Énergies et M. Frédéric Letty, secrétaire national fédéral de la CFE-CGC Énergies.

La table ronde commence à neuf heures.

Mme Jeanine Dubié, vice-présidente de la Commission. Nous recevons aujourd’hui les représentants des principales organisations syndicales du secteur de l’électricité. Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Vos fédérations représentent principalement les intérêts matériels et moraux des personnels d’entreprise appartenant à la branche des industries électriques et gazières (IEG). Au regard du thème de cette commission d’enquête, la question de l’évolution des tarifs de l’électricité est désormais inscrite dans la perspective de la transition énergétique, l’évolution tarifaire de l’électricité comportant tout à la fois un enjeu social et un enjeu économique. Les réflexions de vos organisations sur le poids croissant des factures d’électricité dans le budget des ménages retiendront toute notre attention. Les réponses à apporter à la question cruciale de la précarité énergétique constituent également pour nous un thème essentiel de réflexion. De même, nous attendons que vous vous exprimiez sur les enjeux de compétitivité au vu des conditions d’accès des activités industrielles à l’énergie électrique.

Au cours de nos travaux, nous avons recueilli les observations de nombreux industriels électro-intensifs. Notre bilan doit cependant dépasser ce seul sujet pourtant fondamental, car d’autres activités de nature commerciale, artisanale, agricole ou encore de PME vont être confrontées, au terme de l’année 2015, à la disparition des tarifs réglementés verts et jaunes. Vous allez donc nous dire ce que vous pensez de cette étape importante de l’ouverture du marché à une plus large concurrence. Plus généralement, vous pourrez vous exprimer sur le bilan qu’il vous paraîtrait nécessaire de dresser quant au choix de notre pays pour déréguler progressivement le marché de l’électricité, un marché à tout le moins spécifique. Enfin, votre appréciation sur l’architecture du système mis en place nous intéresse tout particulièrement. Les liens entre EDF, l’opérateur historique, et ERDF ou encore RTE ne sont pas sans conséquences sur la structure des coûts de la fourniture d’électricité.

Nous allons d’abord écouter chaque organisation pour un bref exposé liminaire d’une dizaine de minutes. Puis nous engagerons un échange à partir des questions posées par les membres de la Commission.

Mais avant tout, je dois vous dire que, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous devez prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(Les participants à la table ronde prêtent serment.)

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable du pôle « Politique énergétique et industrielle » (Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT). Mesdames, Messieurs les députés, la CGT vous remercie de l’auditionner sur un sujet si essentiel pour les usagers et l’industrie : les tarifs de l’électricité. Notre préoccupation est que les tarifs de l’électricité garantissent à tous le droit fondamental d’accès à l’énergie et permettent la réindustrialisation de la France. Les tarifs de l’électricité doivent permettre la couverture des coûts complets. Les bénéfices générés par le secteur énergétique doivent revenir aux investissements, aux salaires et aux tarifs.

La préoccupation des pouvoirs publics doit être d’assurer le meilleur rapport qualité/prix aux usagers et de limiter l’augmentation des tarifs, qu’il s’agisse de ceux des particuliers ou des entreprises. Cette question est devenue centrale au vu de l’importance de la part de l’énergie dans les dépenses des ménages et des entreprises, et ce dans un contexte de difficultés économiques structurelles et de développement de la précarité énergétique qui touche 11 millions de nos concitoyens.

EDF assure aujourd’hui de nombreuses missions de service public – de conseil, d’accueil – en faveur des usagers. Les contraintes qui pèsent sur l’entreprise menacent cette qualité de service, au profit du commercial low cost.

Face à ce constat, la première chose à rappeler est la désoptimisation qu’a générée la déréglementation du secteur, imposée par l’Europe et avalisée par les gouvernements successifs, pour en faire un objet de marché. Pour faire simple, le mouvement de privatisation et la scission des entreprises historiques en entités distinctes – production, transport, distribution, commercialisation – ont rendu le système électrique moins efficace et conduit à une augmentation des tarifs. À titre d’exemple, la séparation stricte entre RTE et EDF a conduit à doublonner de nombreuses entités – comptabilité, paie, formation, recherche et développement, système informatique –, à augmenter les frais de logistique – bâtiments, serveurs informatique –, toutes choses qui aboutissent à des économies d’échelle dans tous les groupes industriels. À ce mouvement, s’est ajouté le soutien aux énergies renouvelables par le biais de tarifs de rachat qui pèsent lourdement sur la facture finale supportée par les usagers, à hauteur de 15 %.

Ces évolutions se sont faites manifestement au détriment d’une planification à l’échelle nationale, ce qui au demeurant n’est pas contradictoire avec la recherche d’une prise en compte des spécificités locales cherchant la cohérence et l’utilisation optimale des ressources. De même, la localisation des entités de production au mieux des intérêts du producteur coïncide rarement avec l’optimisation globale du système production transport. Une large part des 1,3 milliard que RTE investit chaque année sert à raccorder des moyens de production. Une meilleure insertion des moyens de production dans le réseau permettrait de réduire cette dépense.

Aujourd’hui, le tarif ne vise pas à une couverture des charges globales afin d’assurer un équilibre économique de long terme sur la base d’objectifs uniques en réponse aux besoins et au meilleur coût, définis par la puissance publique, mais constitue bien un empilement de coûts pour rémunérer les charges et le capital d’acteurs divers, dont une part privée, aux objectifs divergents, voire potentiellement contradictoires.

L’introduction dans le projet de loi de transition énergétique d’une part « marché » dans la construction des tarifs ne va pas dans le bon sens. La gabegie instituée avec la séparation entre production, transport, distribution et commercialisation, ne prendra fin qu’à la faveur de la réappropriation par le secteur public de la cohérence entre ces acteurs. Pour ne citer qu’un exemple, les barrières instaurées par les directives européennes à une coopération entre RTE et ERDF sont contre-productives.

Dans le domaine de la distribution, l’enjeu consiste à maintenir le niveau actuel d’investissement, de l’ordre de 3 milliards par an, tout en assumant les évolutions technologiques. Or dans le même temps, le distributeur voit ses charges augmenter dans des proportions significatives, soit pour répondre à de nouvelles obligations réglementaires, soit pour absorber le développement des moyens de production décentralisés, sans qu’une réflexion préalable sur la couverture de ces charges ait été menée ou que le rôle du distributeur ait été clairement réaffirmé comme central dans le pilotage du réseau ou la gestion des données.

L’équation entre l’objectif de maintien du tarif dans des limites raisonnables, d’une part, et des charges croissantes, d’autre part, est donc très délicate, qu’il s’agisse de besoins réels pour garantir une qualité de fourniture de bon niveau ou de charges nouvelles dépendant de décisions politiques.

La question de l’effacement est particulièrement illustrative de cette difficulté. La création d’un marché dans ce domaine ne servira, selon nous, qu’à augmenter les charges pour les consommateurs finaux afin de rémunérer quelques acteurs. Nous pouvons affirmer que l’intérêt du développement de ce dispositif est purement factice, puisqu’il revient pour une grande part à reporter la consommation et non à la réduire.

À la question sous-jacente du lissage de la consommation pour permettre une meilleure gestion du réseau ou de la production, nous préférons celle de l’adéquation entre le niveau de production nécessaire et l’implantation des ressources au regard des besoins et des capacités du réseau à l’absorber. Ces mécanismes ne devraient-ils pas se trouver sous le contrôle des gestionnaires de réseau pour éviter les phénomènes de niches profitables à une seule entité ?

Rappelons enfin les sommes concernées. S’agissant de la distribution, ce sont 5 milliards pour le programme Linky, 15 milliards pour l’introduction des nouvelles technologies, 3 milliards au moins par an pour les dix prochaines années afin de maintenir et renouveler le réseau existant, sans parler de diverses charges supplémentaires liées aux nouvelles obligations réglementaires – fins des tarifs verts et jaunes, colonnes montantes, fourniture de données aux collectivités locales, etc. Nous contestons la logique consistant à faire supporter au secteur régulé des charges dont l’objet ne vise que le développement du marché, alors même que celui-ci produit des effets négatifs sur tous les plans.

La précarité énergétique résulte de la combinaison de trois facteurs principaux : la vulnérabilité des ménages engendrée par la faiblesse de leurs revenus, la qualité thermique déficiente des logements, le coût de l’énergie. C’est donc sur ces trois facteurs qu’il faut agir pour éradiquer la précarité. S’agissant du coût, la CGT propose la sauvegarde des tarifs réglementés pour les usagers, au sein d’un service public de l’électricité et du gaz. Partout en Europe où les tarifs réglementés ont été supprimés, les gens ont vu leur facture s’envoler : un ménage italien paie son électricité 45 % plus cher qu’un ménage français, cette proportion est de 40 % pour un ménage belge et de 80 % pour un ménage allemand. Au final, les taxes sur la facture d’électricité représentent 34 %.

La question de la CSPE doit être étudiée. Cette taxe, payée par tous les consommateurs d’électricité, a augmenté de 330 % depuis 2010, principalement à cause des tarifs de rachat de l’énergie renouvelable, qui représentent 60 % à eux seuls. Le tarif social ne représente que 5,7 % de la CSPE. On en arrive à des aberrations, car les plus pauvres doivent aussi payer cette taxe qui sert à racheter l’électricité des plus aisés ayant installé des panneaux photovoltaïques sur leur toit. Il est vrai que le montant des aides reste notoirement insuffisant, à tel point que le montant de la CSPE que doivent payer certains usagers est plus élevé que l’aide financière perçue au titre du tarif social ! Pour autant, l’automatisation de ces aides a permis à un plus grand nombre de familles d’en bénéficier ; il conviendrait donc de les réévaluer, plutôt que de les supprimer purement et simplement.

Ainsi, nous pensons qu’il serait plus juste d’abaisser la TVA sur l’électricité à 5,5 %, au lieu de 20 % actuellement, au même titre que d’autres produits de première nécessité. Certes, la mise en place du chèque énergie peut paraître une bonne mesure puisqu’il couvrira, en plus des énergies de réseau, d’autres énergies comme le fioul, le bois, la chaleur. Mais elle s’accompagnera de la disparition des tarifs sociaux actuels, ce qui risque d’avoir des conséquences sur les actions volontaires des fournisseurs historiques dans la lutte contre la précarité énergétique. En effet, le code de l’énergie comprend une disposition spécifique au tarif de première nécessité (TPN), qui permet aux fournisseurs d’électricité d’être remboursés des subventions versées au Fonds de solidarité logement dans la limite de 20 % de toutes les charges remboursées pour le TPN ; or aujourd’hui, seuls EDF, GDF Suez et les entreprises locales de distribution contribuent au FSL, à hauteur de 40 % environ du total des aides énergie apportées par les conseils généraux. Pour la CGT, toutes les entreprises du secteur devraient contribuer à la lutte contre la précarité énergétique. Il faut donc obliger les entreprises à verser au FSL, ce qui est possible au regard des bénéfices des entreprises du secteur énergétique et des dividendes versés aux actionnaires ; c’est juste une question de répartition des richesses.

Les tarifs maîtrisés pour les électro-intensifs sont une garantie de la localisation industrielle. Mais il est nécessaire d’apprécier l’impact réel de la baisse du prix des kilowattheures électriques et thermiques en termes d’emplois et d’activité. Si nous sommes favorables à l’examen de mécanismes permettant des tarifs spécifiques pour industrialiser notre pays, nous pensons nécessaire d’instaurer un système extrêmement encadré qui permette un engagement de l’industriel concerné, par exemple en termes d’emplois, afin que l’investissement consenti entraîne des retombées positives pour tous.

En conclusion, le politique doit assumer pleinement les conséquences de ses décisions en matière d’organisation du secteur électrique en France. En clair, l’État doit jouer son rôle – et non se comporter comme le pire actionnaire en se contentant de faire remonter des dividendes excessifs –, afin que le groupe EDF lui-même puisse jouer pleinement son rôle au service de l’intérêt général. Pour notre part, nous plaidons pour un pôle public de l’énergie capable de redonner de la cohérence et de fonctionner sur la base d’objectifs dégagés des contingences de rentabilité propres au marché. Les orientations de la loi de transition énergétique ne vont pas dans le bon sens et conduiront à une augmentation des prix. Les personnels, inquiets des incohérences des politiques menées et de leurs conséquences sur leur situation et le service rendu aux usagers et au pays, se mobiliseront le 29 janvier.

M. Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la fédération FCE-CFDT (Fédération Chimie Énergie de la CFDT). Merci de cette audition.

Tout d’abord, nous souhaitons rappeler que la CFDT s’investit depuis plusieurs années dans une réflexion sur la transition énergétique, et qu’elle s’est impliquée dans les conférences environnementales ou dans les débats publics et citoyens organisés sur la question.

Nous voulons aussi souligner que la CFDT soutient globalement les objectifs communs du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre et notre consommation d’énergie, dans le respect des engagements européens et internationaux de la France.

L’efficacité énergétique et la réduction de notre consommation d’énergie sont des obligations qui ne sont pas, selon nous, synonymes de décroissance. Produire et consommer autrement est possible en s’appuyant sur l’intelligence et l’innovation. C’est aussi une occasion de développer de l’activité et des emplois pour les entreprises françaises.

Nous sommes favorables à l’élaboration d’un nouveau bouquet énergétique plus équilibré, comportant une plus grande part d’énergies renouvelables. Néanmoins, nous continuons de penser que l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025 n’est pas tenable et qu’une cible de 60 % en 2030 serait plus réaliste et permettrait de mieux gérer les transitions industrielles et sociales.

Par ailleurs, la CFDT tient à rappeler qu’elle avait fait part de son opposition à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques et qu’elle avait demandé le retrait de ce chapitre de la loi, afin de poursuivre la concertation et rechercher des solutions alternatives à ce projet. Notre organisation prend acte des amendements des parlementaires favorisant la prolongation de certaines concessions en contrepartie d’investissements pour permettre la réalisation de travaux nécessaires pour atteindre les objectifs de la politique énergétique nationale, dans le respect des règles de l’Union européenne.

Elle regrette par ailleurs la faible place laissée au gaz dans ce projet de loi, alors qu’il a un rôle important à jouer dans la transition, d’autant qu’il peut être produit à partir de sources renouvelables et qu’il est beaucoup moins émetteur de gaz à effet de serre et de polluants que le charbon.

Enfin, la CFDT s’inquiète du financement de cette transition. Nous craignons que les ressources nécessaires ne soient pas au rendez-vous dans la durée, au risque de ne pas atteindre les objectifs qu’impose la transformation de notre modèle de croissance fondé jusqu’à présent sur une forte consommation énergétique. Elle regrette en particulier que cette loi n’ait pas permis d’avancer sur la fiscalité écologique, ni de clarifier la stratégie du gouvernement dans ce domaine.

S’agissant plus particulièrement de la problématique des prix de l’énergie, la CFDT prend en compte l’augmentation très probable de ces prix dans les années à venir. Cette évolution doit être considérée comme un signal prix et constituer une incitation à réduire la consommation d’énergie, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports.

La CFDT sera très attentive à la répercussion de cette hausse des prix sur les ménages, car elle risque d’accroître la précarité énergétique déjà importante en France. En effet, comme le montre une enquête récente de l’INSEE, 22 % des ménages sont en situation de vulnérabilité énergétique. Il est donc indispensable de mettre en place des dispositifs de compensation et/ou des aides afin de réduire la consommation et donc la facture énergétique des ménages les plus fragiles, qui dépensent parfois jusqu’à 20 % de leur revenu pour le chauffage et le carburant. Réduire significativement la précarité énergétique est, pour nous, un enjeu majeur. La CFDT souhaite donc que des mesures fortes soient prises pour lutter contre cette situation.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte propose la mise en place d’un chèque énergie sous conditions de ressources. Pour la CFDT, cette proposition va dans le bon sens. Toutefois le débat parlementaire a soulevé de nombreuses questions essentielles, toujours en suspens. Le chèque va-t-il remplacer les tarifs sociaux existants ou viendra-t-il en complément de ceux-ci ? Comment et par qui sera-t-il distribué ? Comment être sûr de toucher tous les bénéficiaires, puisque l’on sait qu’un nombre grandissant de ménages précaires ne bénéficie pas des aides auxquelles ils peuvent prétendre ? Un fournisseur d’énergie de dernier recours sera-t-il prévu ? Qu’en sera-t-il de son financement ?

Pour sa part, la CFDT est favorable à un élargissement de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) à toutes les énergies – gaz, fioul, réseaux de chaleur, bois –, ce qui pourrait permettre de financer ce chèque énergie. Cette question pourrait aussi être traitée dans le cadre d’une refonte globale de notre fiscalité, incluant une part de fiscalité écologique et énergétique (taxes locales, TICPE, TICGN).

La lutte contre la précarité énergétique ne peut se réduire à des mesures d’aide au paiement des factures, qui seront forcément limitées : elle implique de rénover les logements dans la durée, notamment ceux des ménages précaires et ceux qui sont reconnus comme des « passoires énergétiques ». Cette lutte nécessite aussi l’implication des propriétaires-bailleurs dans la rénovation du parc locatif et une démarche pédagogique d’incitation aux économies d’énergie auprès de la population.

Autre problématique soulevée par le renchérissement des prix de l’énergie : le soutien aux industries électro et/ou gazo intensives, que la CFDT juge indispensable afin de garantir leur maintien sur le territoire national et de sauvegarder l’emploi. Des dispositions ont certes été prises pour réduire quelque peu la facture électrique des entreprises françaises, mais elles ne sont sans doute pas suffisantes pour garantir la compétitivité des industries concernées. Une démarche similaire devrait être mise en œuvre pour les entreprises gazo-intensives, afin de les aider à résister à la concurrence des entreprises implantées au Moyen-Orient ou aux États-Unis.

La compétitivité de l’industrie en France ne se résume pas à la question du coût du travail. Elle repose sur bon nombre de facteurs, comme la recherche et le développement ou encore la qualification des salariés. Le prix de l’énergie est un facteur essentiel pour la compétitivité et l’avenir des entreprises et de l’industrie en France. Il est indispensable que des procédés de production innovants utilisant l’électricité et le gaz continuent à être mis au point et diffusés auprès de toutes les entreprises, et donc que les moyens de la R&D dans ces domaines et ceux destinés à sa diffusion soient préservés. Je pense notamment à l’appui aux clients apporté par EDF et GDF Suez pour moderniser leur outil de production.

La fin des tarifs réglementés de vente (TRV) d’une puissance supérieure à 36 kVA, au 31 décembre 2015, et la suppression progressive des tarifs réglementés du gaz d’ici à la fin de l’année pour les sites non résidentiels consommant plus de 30 MWh vont avoir un fort impact sur l’organisation des opérateurs historiques EDF et GDF Suez, en particulier sur leurs équipes commerciales. Cela pose des questions de fond pour ces deux entreprises, en premier lieu sur leur système de tarification, mais également sur leur présence territoriale, leur capacité à développer auprès de leurs clients l’efficacité énergétique et les services associés, et les effectifs qu’ils peuvent consacrer à ces activités.

Concernant le nouveau mécanisme de soutien aux énergies renouvelables proposé dans le projet de loi, la CFDT émet un avis a priori favorable, sous réserve des modalités de mise en place de ce dispositif et de transition entre les deux systèmes (prix d’achat et complément de rémunération). Elle souligne que les effets sur les prix de l’électricité et sur la CSPE sont difficiles à appréhender à ce stade.

La CFDT est attachée au tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) qui garantit le principe de la péréquation tarifaire sur l’ensemble du territoire. Nous tenons à signaler à ce sujet que le système actuel de concession avec ERDF et les entreprises locales de distribution garantit cette péréquation et une couverture équitable du territoire national, tant en métropole que dans les zones non interconnectées.

Plus largement, la CFDT considère qu’une approche européenne de la régulation de l’énergie est nécessaire et que la tarification de l’électricité en est un élément essentiel. L’inéluctable développement des réseaux intelligents (électricité et gaz) est, selon nous, une chance pour réussir la transition énergétique. Dans ce but, ces réseaux doivent permettre de fournir au consommateur final des informations et des outils de maîtrise de ses consommations, afin de l’inciter à faire des économies d’énergie. Ils nécessitent la mise en place d’une tarification incitant à la valorisation des informations fournies. Ces réseaux intelligents vont également permettre un meilleur pilotage des effacements.

Enfin, la CFDT est favorable au développement de l’effacement, mais n’admet pas la captation de l’intérêt collectif par des affairistes. Selon nous, la rémunération et le pilotage de l’effacement relèvent du service public pris en charge par le distributeur.

M. Jacky Chorin, administrateur FO d’EDF, membre du CESE (FO Énergie et Mines). Huit ans après l’ouverture totale des marchés, chacun peut constater que les baisses de prix qui avaient été mises en avant pour justifier cette ouverture ne sont pas au rendez-vous. C’est donc un échec.

Face à une telle situation, FO Energie et Mines, mais aussi la Confédération FO, considèrent que le prix de l’électricité en France, qui est aujourd’hui parmi les moins chers des pays européens (80 % d’écart de prix avec l’Allemagne sur les tarifs destinés aux particuliers), notamment du fait du choix nucléaire de la France, doit continuer à le rester.

Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir d’évolutions tarifaires. En effet, sauf à courir le risque de sous-investissements, une situation qui serait néfaste pour l’ensemble des usagers, les prix ne peuvent durablement s’écarter des coûts complets. Du reste, et personne ne le conteste, nous nous situons maintenant dans une reprise conséquente des investissements. Mais nous pouvons, nous devons même, limiter ces coûts en choisissant les solutions les plus économiquement efficaces. Comment limiter ces hausses de coûts ?

Il faut d’abord noter que nous payons le coût de la désoptimisation du système électrique – le président Boiteux parlait ici d’un milliard d’euros par an – lié à l’ouverture des marchés. Non seulement cette ouverture n’a pas fait baisser les prix, mais elle les a augmentés. Il serait d’ailleurs intéressant que votre commission chiffre le coût de cette désoptimisation. En effet, à défaut de revenir, comme FO le revendique, sur une telle politique, qui illustre pourtant la faillite de l’idéologie libérale dans notre secteur, nos concitoyens ont au moins le droit à la transparence.

Nous voulons aussi souligner que le vote du projet de loi sur la transition énergétique, contre lequel nous nous mobiliserons également le 29 janvier, va accroître le coût de l’électricité du fait de plusieurs mesures. J’en citerai trois.

Il y a d’abord le plafonnement de la part du nucléaire, avec la fermeture de deux centrales en état de marche dès le couplage de Flamanville 3. Une telle fermeture « politique » aura nécessairement un impact financier sur EDF. Pour FO, c’est au contraire la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires à travers le programme Grand carénage qui représente un optimum économique mais aussi social. Faut-il rappeler ici que le nucléaire est la troisième filière industrielle française et que le Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN) estime à 100 000 les embauches nécessaires d’ici à 2020 pour faire face aux départs en retraite ?

Il y a ensuite les dispositions sur l’hydraulique. Mettre en concurrence les concessions hydrauliques, fût-ce par vallée, impliquera une désoptimisation supplémentaire du système électrique directement liée à cette fragmentation. Les barrages ne sont, en effet, pas seulement un outil de production d’électricité ; ils sont aussi l’un des rares moyens de stockage efficace. Qui peut ici prétendre que cette désoptimisation n’aura aucune conséquence sur les prix ?

Il y a enfin la question du financement des énergies renouvelables intermittentes, aujourd’hui financées par la CSPE, c’est-à-dire par l’ensemble des usagers. Les chiffres sont là. Ils ont été rappelés par plusieurs des personnes auditionnées, notamment les représentants de l’Union française de l’électricité (UFE). La part des taxes incluant la CSPE dans la facture d’électricité est passée en dix ans de 18 % à 34 %, alors que, dans le même temps, la part énergie a diminué de 40 à 36 % et celle des réseaux de 39 à 30 %. Ce qui a tiré l’augmentation des tarifs de la dernière période, c’est donc principalement la CSPE et, au sein de celle-ci, le financement des énergies renouvelables.

Mais si l’on se projette dans l’avenir, les impacts potentiels sont encore plus lourds. En effet, le projet de loi fixe un objectif de 32 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique en 2030, chiffre que l’exposé des motifs décline en 40 % pour la seule électricité, ce qui inclut des développements tels que l’éolien offshore particulièrement coûteux. À cela s’ajoutent des charges contestées par la quasi-totalité des acteurs lors du dernier Conseil supérieur de l’énergie, à savoir les mesures envisagées pour aider un opérateur d’effacement diffus.

De ce point de vue, ce n’est certainement pas la création d’un comité de gestion de la CSPE qui va faire baisser la facture. Il est d’ailleurs inquiétant que l’étude d’impact du projet de loi ne donne aucune indication en la matière. Sans doute parce que cette augmentation de facture annoncée sera difficilement soutenable pour nos concitoyens ... Certes, le projet de loi de transition énergétique veut modifier ces règles, mais certaines des personnes auditionnées, comme le président de l’ADEME, Bruno Léchevin, disent que le système de « complément de rémunération » peut encore augmenter la facture.

La question est donc posée : est-ce aux seuls usagers de l’électricité, y compris les plus démunis, de payer pour le développement de ces énergies ?

Plus fondamentalement, dans la mesure où la Cour des comptes elle-même considère que la CSPE est un quasi-impôt, cette politique publique ne doit-elle pas être financée par l’impôt ? C’est en tout cas ce que nous pensons à FO.

Le second axe de notre réflexion porte sur la nécessité de tirer les conséquences du fait que l’électricité est un bien de première nécessité et un service public essentiel. Cela peut évidemment amener à s’interroger sur les impôts pesant sur l’électricité. Appliquer un taux de TVA de 20 % sur la consommation d’électricité et de gaz, y compris sur la CSPE dont on a dit que c’était déjà un quasi-impôt, c’est-à-dire faire un impôt sur un impôt, c’est nier ce caractère vital. Pour notre part, nous demandons l’application d’une TVA à 5,5 %.

Dire que l’électricité est un service public implique, pour nous, le maintien des tarifs réglementés et de la péréquation des tarifs. Nous n’ignorons pas, cependant, que cette égalité des usagers est contestée par un certain nombre de forces qui prônent le retour à une logique de décentralisation, qui prévalait avant-guerre. Pour FO, la défense de la péréquation est fondamentale.

Dire que l’électricité est un service essentiel, c’est aussi permettre aux usagers les plus démunis de pouvoir payer leurs factures. FO Énergie et la Confédération FO sont attachées aux tarifs sociaux de l’électricité, mais aussi à leur nécessaire revalorisation car leur montant reste insuffisant. Si l’on doit basculer vers un chèque énergie, qui a l’avantage de traiter toutes les énergies de la même façon, la condition pour nous est qu’il n’y ait pas de recul pour les usagers de l’électricité.

Souligner le caractère essentiel de l’électricité implique également de prendre en compte les risques de délocalisation des industries électro-intensives. Mais soyons clairs. Le droit européen actuel laisse des marges limitées en la matière – sauf à le changer, ce que nous prônons ! Et nous sommes opposés aux mécanismes envisagés selon lesquels des électro-intensifs pourraient entrer dans le capital de SEM hydrauliques, car, comme nous l’avons dit, la création de ces SEM reviendrait à augmenter la facture des autres usagers.

Enfin, nous voulons dire un mot sur les dividendes versés par le groupe EDF. FO fait partie de ceux qui se sont opposés à la mise en Bourse d’EDF, compte tenu du caractère particulier de l’électricité. Aujourd’hui, nous constatons que l’État exige des dividendes très élevés et n’accompagne pas cette reprise nécessaire des investissements d’EDF. Ces injonctions paradoxales dont est victime EDF, à laquelle on demande d’être à la fois un service public exemplaire et un contributeur de dividendes les plus élevés, ne sont pas tenables.

Tels sont les premiers éléments de réflexion que nous souhaitons mettre en débat.

M. Francis Orosco, président fédéral Chimie Mines Textile Énergie (CFTC-CMTE). La Fédération CFTC-CMTE vous remercie de nous permettre de débattre sur le prix de l’énergie et la transition énergétique.

Notre préoccupation est le maintien du pouvoir d’achat de nos concitoyens et la sauvegarde des industries et des emplois dans notre pays. La déréglementation du tarif de l’énergie nous inquiète, car elle risque de jeter un grand nombre de familles dans la précarité, de remettre en cause le fonctionnement de nos industries, et de supprimer des emplois. Pour vous l’expliquer, je laisse la parole à mes collaborateurs.

M. Pascal Prouff, animateur fédéral (CFTC-CMTE). L’énergie et donc son coût sont au cœur des préoccupations de tous les Français et des entreprises françaises, particulièrement les plus fragilisés. L’électricité est un bien commun de première nécessité, sur lequel chacun doit pouvoir compter sereinement pour ses besoins essentiels, qui que l’on soit, où que l’on se trouve sur le territoire, en zone rurale, urbaine, ou sur une île.

Son coût doit prendre en compte la réalité économique des consommateurs – particuliers comme responsables d’entreprise –, afin de proposer un service fiable, à un prix acceptable et stable, bref sécurisant. Il doit également prendre en compte les investissements stratégiques d’avenir pour les approvisionnements, ainsi que la sécurité des Français.

Les nouvelles technologies, comme les réseaux intelligents, et les énergies renouvelables impacteront également le coût de l’énergie électrique, sans que l’on puisse réellement imaginer ce que sera la portée des innovations dans dix ans, tant les possibilités offertes par les réseaux intelligents sont grandes. À ce moment de la réflexion, nous insistons sur le potentiel de gain d’emplois, dégagé par ces innovations, aussi bien en interne qu’en externe. Naturellement, le coût prend également en compte la production, le transport, la distribution, la commercialisation, les taxes. La loi sur la transition énergétique sera là pour nous rappeler que tout a un prix.

Les collectivités territoriales sont attentives au respect des engagements de service public de nos entreprises du secteur de l’électricité. Elles contribuent avec ERDF, sous l’égide du représentant de l’État en région, ainsi qu’au conseil de surveillance d’ERDF, à tirer le bilan des actions entreprises dans la gestion des réseaux, et s’associent à la définition des choix d’investissement pour l’avenir. Les collectivités territoriales constatent souvent l’efficacité d’ERDF lors d’événements climatiques exceptionnels.

Les tarifs réglementés, étroitement liés au principe de service public, ainsi qu’à la péréquation tarifaire, permettent aux Français de bénéficier d’une égalité de traitement, d’une sécurité d’approvisionnement et d’une certaine stabilité de l’offre, ce qui forme un bien commun. Ces fondamentaux sont essentiels pour la CFTC. Ils offrent en outre une protection aux particuliers, laquelle doit aussi pouvoir bénéficier au tissu des entreprises porteuses d’emplois, mais fragilisées par le contexte économique.

Par le passé, le coût de l’énergie électrique a été bien maîtrisé – la comparaison avec nos voisins européens ne nous fait pas rougir –, grâce aux choix politiques de l’époque sur le nucléaire, ainsi que la performance industrielle de nos entreprises intégrées.

La concurrence entre secteurs d’énergie – le bois, le fuel, le gaz – a toujours existé. L’ouverture du marché de l’électricité a introduit encore plus de concurrence, ce qui a conduit à la multiplication des acteurs au sein d’un même domaine d’énergie. Selon nous, multiplicité d’acteurs n’est pas forcément synonyme de performance économique et même industrielle. Le marché sera-t-il en capacité de répondre aux enjeux du dérèglement climatique ?

Mme Isabelle Guglielmacci, représentante EDF commerce (CFTC-CMTE). Nous sommes attachés à la péréquation tarifaire, et considérons la CSPE comme un impôt. Si le gouvernement n’y prend pas garde, une envolée des prix est à craindre.

En outre, alors que les régions sont lâchées par l’État, on peut craindre une augmentation du taux des taxes départementales et communales.

M. Francis Orosco. L’un des enjeux aujourd’hui est le maintien des électro-intensifs, mais la marge de manœuvre est très limitée du fait de la législation européenne. La construction de l’EPR a pris énormément de retard ; le groupement Exeltium a du mal à faire remonter des fonds. La solution avancée est l’entrée d’EDF au capital de l’usine Saint-Jean-de-Maurienne, pour assurer au repreneur allemand Trimet des prix compétitifs. Un avenant au contrat entre EDF et Exeltium a été signé au mois de novembre – il est vrai qu’un prix entre 45 et 50 euros le MWh plombe les établissements.

Nos politiques souhaitent-ils conserver et développer une industrie en France ? Ou veulent-ils s’orienter vers une législation européenne qui nous empêcherait de développer cette industrie ?

L’adossement à l’hydroélectrique pour les électro-intensifs est une des solutions, mais nous ne sommes pas forcément favorables à l’ouverture du marché des concessions. Nous pensons plutôt qu’un partenariat avec les opérateurs des électro-intensifs est une voie à explorer.

M. Alexandre Grillat, secrétaire national confédéral (CFE-CGC). Merci de nous permettre de nous exprimer.

Pour la CFE-CGC, les tarifs de l’électricité renvoient avant tout à la question du financement du système électrique et des investissements nécessaires au système électrique. L’électricité est un bien très spécifique, car non stockable, et elle constitue un bien essentiel pour la société. Le financement du système électrique par la logique tarifaire renvoie à quatre enjeux.

D’abord, dans la mesure où les investissements dans le système électrique sont essentiels pour assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays, il faut que les tarifs permettent d’investir pour assurer cette sécurité d’approvisionnement.

Ensuite, le système électrique étant au cœur de la compétitivité énergétique du pays, les choix de l’État en matière de politique tarifaire doivent être guidés par une logique de long terme.

En outre, le financement du système électrique pose la question des emplois, non seulement les emplois des opérateurs du système électrique, ce qui nécessite de financer le renouvellement des compétences afin d’assurer la qualité du service public, mais encore les emplois du tissu industriel, qu’il s’agisse des fournisseurs, des sous-traitants ou des entreprises du BTP.

Enfin, alors que le gouvernement souhaite relancer l’industrie, le financement du système électrique pose la question des nouvelles filières industrielles sur lesquelles la France aura une longueur d’avance dans la compétition mondiale. La France a été championne dans le secteur de l’électricité, elle l’est toujours et le sera demain, mais à la condition d’être exemplaire en matière d’investissements. Car si elle n’a pas les moyens d’investir dans les réseaux électriques intelligents, comment pourrait-elle être crédible à l’international ? Si elle n’est pas en mesure de financer les investissements de ses outils nucléaires, comment
sera-t-elle crédible à l’exportation ? Ainsi, les investissements dans le système électrique français, via les tarifs de l’électricité, sont essentiels pour la crédibilité industrielle de la France à l’international.

Lors d’une précédente audition, le 17 septembre dernier, nous avons déjà souligné qu’une gestion intelligente des consommations énergétiques, qu’elles soient passives ou actives, doit être au cœur de la transition énergétique. De notre point de vue, le signal prix est essentiel à la réussite de la transition énergétique, à la fois pour investir et pour progresser vers des modes de consommation plus vertueux et plus sobres. Le tarif est un signal économique visant à maîtriser la demande d’électricité, mais aussi et surtout à inciter l’investissement. Comme le dit le président Boiteux, les tarifs sont là pour dire les coûts, ni plus ni moins.

Gardons à l’esprit que l’électricité repose sur des infrastructures, lesquelles sont essentielles à la souveraineté du pays. Par conséquent, la logique tarifaire doit s’inscrire dans la nécessaire couverture des coûts pour financer les investissements des infrastructures. Le nouveau président de la Commission européenne ne s’y est pas trompé avec son plan d’investissements de 300 milliards. Aussi la France, qui se veut moteur dans la construction européenne, doit-elle se placer, elle aussi, au cœur de la relance de l’économie par l’investissement, en particulier au profit des infrastructures électriques.

Contrairement à ce que certains tentent de faire croire depuis quinze ans, le prix de marché ne peut en aucun cas être considéré comme une référence économique pertinente. Deux exemples vont illustrer mon propos.

À la fin des années quatre-vingt-dix, un pays, de l’autre côté de la Manche, a laissé le prix de marché comme seul « driver » de la rémunération des gestionnaires d’infrastructure électrique, British Energy en tête. Or avec un prix de marché de l’ordre de 10 livres par mégawattheure, British Energy a été acculée à la faillite. Autrement dit, le prix de marché n’a pas permis la couverture des coûts sur une infrastructure comme le sont les centrales nucléaires. On le voit : prendre le prix de marché comme référence pour le système électrique peut nous mener droit à la catastrophe.

Aujourd’hui, le système électrique européen est totalement déstructuré entre, d’un côté, des moyens de production classiques – nucléaires, hydrauliques, thermiques et autres –, obéissant à la couverture des coûts, et, de l’autre, les énergies renouvelables qui, elles, sont subventionnées. Or la coexistence entre ces moyens de production qui suivent des logiques économiques complètement différentes aboutit à des prix de marché qui ne veulent plus rien dire. Ainsi, considérer que les prix de marché en Europe peuvent constituer une référence dans l’appréciation du niveau des tarifs pour le système électrique français nous amènera, encore une fois, à la catastrophe.

Au temps où EDF était un EPIC en situation de monopole, les tarifs disaient les coûts : le principe de couverture des coûts était assuré par la construction tarifaire bâtie par Marcel Boiteux. Or deux événements ont fait diverger l’opérateur de cette logique originelle.

D’abord, la décision prise dans les années quatre-vingt-dix de baisser les tarifs de 14 % en trois ans, alors que les coûts eux ne baissaient pas de 14 %, a conduit à politiser les tarifs. Cela a abouti progressivement à des tarifs qui n’ont quasiment plus évolué en structure et en niveau sur la part production transport distribution, tandis que la part des taxes, elle, a explosé. Les tarifs ont donc augmenté pour les Français, mais ils n’ont pas du tout augmenté pour financer les investissements. Cela explique les avaries sur les rotors au sein du parc nucléaire au début des années 2000, EDF ayant dû reporter des investissements du fait de la non-couverture des coûts donc du fait de tarifs qui n’avaient pas augmenté. En définitive, les erreurs de politique tarifaire se paient toujours cash en termes industriels et de qualité du service public.

Ensuite, l’État ayant décidé de mettre EDF en Bourse en 2005, il a pris le parti que cette entreprise devait rémunérer le capital comme une entreprise privée. Au temps de l’EPIC, EDF versait 200 à 300 millions d’euros de dividendes chaque année ; une fois entrée en Bourse, EDF a dû verser entre 2 et 2,4 milliards de dividendes par an, ce montant étant toujours d’actualité. Or après 2004, le modèle tarifaire n’a pas évolué, si bien que le niveau des recettes d’EDF n’a lui-même pas évolué pour permettre le paiement de l’augmentation sensible des dividendes versés à l’État. Autrement dit, mettre en Bourse un EPIC sans en changer le modèle tarifaire a abouti progressivement à un problème, qui est que les tarifs ne permettent pas de financer les investissements, à commencer par le mur d’investissements que nous avons devant nous.

En effet, au cours des deux prochaines décennies, il faudra investir lourdement dans le parc nucléaire, et ce quels que soient les choix qui seront faits en termes de mix énergétique. Dans les réseaux de distribution, il faut maintenir la qualité, en urbain et en rural, et il faut investir pour intégrer les énergies renouvelables qui coûtent très cher en termes d’adaptation au réseau et de transport. Par conséquent, si l’évolution tarifaire ne permet pas de financer ce mur d’investissements, nous irons au-devant de graves problèmes en termes de sûreté du système électrique.

Comme l’a dit Jacky Chorin, limiter la hausse des coûts du système électrique nécessite d’aborder l’ensemble de la structure composant le tarif réglementé de vente. Mais il y a tarif et tarif ! Pour le consommateur et l’industriel, le tarif est celui qui figure sur sa facture ; pour les opérateurs du système électrique, le tarif est celui qui reste une fois soustraites toutes les taxes et la CSPE, c’est-à-dire la part TURPE et la part P+C, lesquelles permettent l’investissement. Si l’on veut financer le mur d’investissements que nous avons devant nous, il faut travailler sur les autres termes, c’est-à-dire la CSPE, dont la mise en place sans pilotage ces dernières années a abouti à un déficit croissant, qui continuera de croître bien au-delà de 2020 aux dires de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Or la CSPE pose la question du financement des énergies renouvelables, pour lesquelles le projet de loi de transition énergétique prévoit d’accélérer le développement. On peut donc s’attendre à un poids croissant de la CSPE sur la structure tarifaire. De la même manière, si la rémunération de l’effacement passe par la CSPE, alors que de multiples acteurs jugent que le modèle proposé par certains opérateurs n’est pas forcément le plus pertinent, un facteur supplémentaire pèsera sur la structure tarifaire.

Le deuxième élément est la TVA. Le choix de l’État de faire porter sur la facture d’électricité une TVA à 20 % entraîne une conséquence immédiate sur la facture payée par les Français. De notre point de vue, l’État doit assumer ses choix : s’il considère que le pouvoir d’achat des Français est au cœur de ses préoccupations, il doit baisser la TVA à 5,5 %, sachant que l’électricité est un bien essentiel.

Enfin, se pose aussi la question des dividendes que l’État, en tant qu’actionnaire, exige à l’entreprise EDF, en s’appuyant sur le fait qu’elle est cotée en Bourse, alors qu’en tant que régulateur politique, il considère que les tarifs ne doivent pas augmenter. Aujourd’hui, c’est l’opérateur électrique qui essaie de gérer cette incohérence de l’État entre Bercy et l’Hôtel de Roquelaure. Une politique tarifaire cohérente et durable nécessite que l’État soit lui-même cohérent dans ses choix tarifaires. Si l’on veut que l’augmentation des tarifs serve au financement du mur d’investissements nécessaire au système électrique, il faut clairement poser la question de la rémunération du capital de l’opérateur EDF. Revenir au modèle antérieur de rémunération du capital pose la question de la sortie d’EDF de la Bourse. La CFE-CGC propose d’aligner le modèle de rémunération du capital d’EDF sur les objectifs de service public, en transformant l’entreprise cotée en un modèle plus participatif et mutualiste qui permette une régulation des dividendes. Car si l’État veut réguler les tarifs réglementés, les dividendes eux-mêmes doivent être régulés : c’est cette cohérence que nous appelons de nos vœux.

Dernier point : il est certes louable de vouloir faire bénéficier les industries électro-intensives de tarifs compétitifs, mais la question fondamentale est celle de l’impact réel du coût de l’électricité sur les coûts de production de chaque électro-intensif. Ce ne sont pas les prix de l’électricité qui posent problème à l’industrie chimique européenne, c’est la révolution du gaz de schiste aux États-Unis, facteur de compétitivité à l’industrie chimique américaine. Il faut aussi se demander si le prix de l’électricité est aussi important pour la compétitivité de ces entreprises au regard de la parité euro /dollar. En clair, ne faisons pas porter au tarif de l’électricité l’absence de choix politique sur la parité euro/dollar ! Les principaux clients de l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne sont ERDF et RTE par les câbles. Bref, posons sur la table tous les termes de l’équation avant de vouloir traiter la question des électro-intensifs par les tarifs de l’électricité.

En conclusion, la CFE-CGC pense que le tarif doit conserver son rôle de signal économique, et donc de couverture des coûts, et ne doit pas porter d’autres objectifs. Les autres objectifs relevant de choix politiques – précarité, électro-intensif, financement des ENR – doivent être portés par l’impôt. Enfin, si l’on veut que les tarifs de l’électricité soient viables et permettent de répondre à tous les enjeux que j’ai soulignés, l’État doit faire des choix et – dans toutes ses composantes – assumer l’ensemble des conséquences de ses choix.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Avant toute chose, je vous transmets les excuses de Mme la rapporteure, Clotilde Valter qui se trouve retenue en commission spéciale pour l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité.

Lors des auditions précédentes, le calcul des coûts a fait l’objet de positions sceptiques, voire critiques, de la part de certaines personnes auditionnées. Seriez-vous favorables à un système qui soit davantage calé sur le prix du marché, et non sur les coûts ? Et si oui, comment gérer les fluctuations, parfois brutales, susceptibles de peser sur les consommateurs ?

Les électro-intensifs constituent un sujet préoccupant pour nous tous, car certaines entreprises sont en danger. Vous appelez de vos vœux des solutions, mais qui financera les mesures spécifiques ? L’Allemagne a mis en place des dispositifs beaucoup plus favorables aux entreprises : seriez-vous favorables à des dispositifs similaires en France ? Vous souhaitez que soit revue la composition des coûts de l’énergie ; or quelques entreprises en France supportent un coût de l’électricité qui représente plus de 30 % de leurs charges et il ne faut pas considérer toutes les entreprises françaises comme électro-intensives.

Vous avez souligné que les consommateurs paieront l’évolution de la CSPE, qui risque d’être importante au regard du développement des ENR. Or le texte de loi prévoit un système de rémunération différent, qui ne pèsera pas uniquement sur la CSPE. Vous n’en avez pas vraiment parlé. Que pensez-vous de ce nouveau complément de rémunération ?

Concernant l’hydroélectricité, un long chemin a été parcouru depuis la décision de 2010. Vous ne le rappelez pas souvent. Certes, tout n’est pas parfait, mais prétendre que ce projet de loi s’oriente vers une libéralisation des concessions hydroélectriques est excessif, voire restrictif, car il offre diverses possibilités pour répondre aux spécificités des vallées – un intervenant a d’ailleurs salué la cohérence des chaînes, qui n’existait pas auparavant. Nous avons introduit plusieurs dispositifs qui peuvent répondre à chaque vallée, notamment la prolongation sous condition de travaux. Personne ne comprendrait que l’on puisse prolonger sans des investissements ou des créations d’emploi en contrepartie. Cette solution pourrait satisfaire l’ensemble d’entre vous. En outre, la méthode des barycentres, calcul compliqué sur les différentes échéances dans les vallées, apporte une visibilité à long terme pour nombre d’entre elles. Ces deux dispositifs, pour peu que les exploitants aient la volonté de s’engager vers une optimisation de leur parc, peuvent convenir à l’essentiel des concessions françaises. Restent les quelques secteurs où nous avons envisagé de créer des SEM, auxquelles vous n’êtes pas favorables, mais qui impliqueront les collectivités, sans libéralisation totale du marché.

Pour finir, j’aimerais avoir votre avis sur la rémunération de l’effacement diffus, ainsi que sur celle de l’effacement des particuliers une fois les compteurs intelligents installés.

M. Francis Orosco. Contrairement à ce qu’a indiqué notre collègue de la CFE-CGC, l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne ne fabrique pas pour EDF et consorts, elle fabrique pour Pirelli et Safran qui, eux, sont les clients d’EDF.

Concernant les activités électro-intensives, le dispositif mis en place par l’Allemagne est peut-être une solution, mais il sera difficilement applicable en France en raison des différents verrous existants. Le parc nucléaire et le parc hydraulique ont toujours servi à alimenter ces entreprises, grands groupes industriels comme PME-PMI. Cela étant dit, prendre ce qui est bon en Allemagne pour l’appliquer en France peut nous aider.

Madame Battistel, vous avez raison de rappeler les progrès enregistrés depuis 2010 pour l’énergie hydroélectrique. Certes, nous ne le faisons pas, mais c’est que nous plaçons la barre très haut, ce qui nous amène à être très revendicatifs !

Mme Marie-Claire Cailletaud. Nous sommes défavorables à la proposition de caler les tarifs sur les prix du marché. La disposition du projet de loi de transition énergétique consistant à introduire une part de marché dans le calcul des tarifs n’est qu’un calcul à court terme, car si les tarifs du marché de gros sont actuellement bas, ils exploseront dès que le marché repartira à la hausse.

Concernant les électro-intensifs, nous sommes favorables à un système permettant des tarifs plus bas. On est tout à fait capable d’imaginer un système, comme ce fut le cas pour Péchiney ou comme cela existe aujourd’hui au Canada, avec un tarif préférentiel accordé aux électro-intensifs, ce qui créera un cercle vertueux grâce aux retombées en termes d’emplois et de compétitivité au bénéfice de la collectivité.

Nous avons critiqué la CSPE, et je ne suis pas certaine que le complément de rémunération envisagé dans la loi résoudra le problème. Nous sommes favorables aux énergies renouvelables, mais en termes de filières industrielles, c’est-à-dire en passant par la recherche, avant de les incorporer au mix énergétique au fur et à mesure de la maturation technologique. Aussi la façon d’envisager le développement des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique est-elle, à notre avis, complètement à revoir.

Sur l’hydroélectricité, nous sommes totalement en désaccord avec votre propos, madame. Le projet de loi créera une désoptimisation supplémentaire du système énergétique et électrique. L’hydroélectricité permet de produire de l’électricité à bas coût, sans émission de CO2. Il est donc paradoxal de vouloir être vertueux en matière de gaz à effet de serre et de s’attaquer dans la loi de transition énergétique à la production d’énergie sans émission de gaz à effet de serre !

Vous l’avez compris : les dispositions de la loi ne nous conviennent pas du tout. Elles vont entraîner une augmentation des tarifs. Au surplus, la question sociale et l’avenir des personnels n’ont pas été envisagés. Enfin, les exploitants pourront, certes, avoir la volonté de maintenir un service public, mais ceux qui arriveront au moment de l’ouverture à la concurrence des barrages hydrauliques ne l’auront pas forcément.

M. Serge Vidal, pôle « politique énergétique et industrielle » (Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT). Vous l’avez compris : nous ne sommes pas favorables à l’alignement sur les prix du marché, d’autant que ces derniers sont totalement aberrants car « hyper subventionnés ». Selon nous, il faut tout mettre sur la table, en mettant en place, comme nous le demandons, une commission paritaire sur la question des coûts afin de faire toute la transparence. Car on se réfère beaucoup à la Cour des comptes, mais un tiers de son évaluation n’est pas documenté. La CRE a défini des marges importantes, de 10 % par an. Nous vous avons alertés qu’en cas de non-couverture des coûts, la variable d’ajustement risque d’être le personnel, dont une partie de l’activité est déjà externalisée, avec des statuts dégradés.

Il faut donc couvrir les coûts, mais aussi faire le bilan des gâchis – je ne referai pas l’historique. Enfin, il faut examiner la relation de l’État avec EDF au regard des dividendes et de l’endettement.

M. Vincent Rodet, délégué fédéral de la branche IEG (Fédération Chimie Énergie de la CFDT). Nous ne sommes pas favorables à l’adossement du calcul des coûts sur le prix du marché, car ce dernier est beaucoup trop erratique. Comme Alexandre Grillat l’a rappelé, à partir du moment où dans un marché cohabitent des outils de production historiques et des outils de production intermittents bénéficiant d’aides massives, le prix du marché n’est pas stabilisé, il est parfois même négatif. En cas de vent et de soleil en Allemagne, les pays frontaliers sont confrontés à des prix négatifs. Actuellement, les conditions ne sont absolument pas réunies pour une référence sur le prix de marché. Les tarifs doivent couvrir les coûts, et ces coûts doivent être élaborés dans la transparence si on entend dépassionner la question des évolutions tarifaires en France.

Il ne serait pas illogique de concevoir un coût raisonnable d’accès au réseau pour les industries électro-intensives, car ils ont comme caractéristique une certaine prévisibilité dans leur usage du réseau. Au surplus, lorsqu’un électro-intensif s’efface, cela soulage la pointe. Bien évidemment, une politique énergétique européenne est nécessaire.

La CFDT conçoit la nécessité d’aider les filières émergentes. Le soutien à la filière ENR offshore va mobiliser des sommes considérables, ce qui suppose des filières industrielles associées et, bien sûr, implantées dans le pays qui accorde cet argent public. Les ENR bénéficient en outre d’une priorité d’injection sur les réseaux. Cela fait beaucoup d’avantages ! Enfin, le projet de loi prévoit de revoir la stratégie énergétique tous les cinq ans, ce qui est une bonne chose, car personne ne peut prétendre connaitre ce qui se passera dans quinze ans.

Mme la vice-présidente Jeanine Dubié. Pour les électro-intensifs, l’électricité n’est pas substituable dans leur processus de fabrication, et la concurrence est mondiale et pas seulement européenne.

M. Alexandre Grillat. Nous sommes très attachés à la couverture des coûts. Les Anglais sont assez pragmatiques : ils considèrent que le prix de marché n’est pas la référence et, pour le développement des nouveaux actifs électriques dans leur pays, notamment ENR et nucléaire, ils passent par la logique tarifaire de couverture des coûts. Ainsi, le prix de marché n’est plus la Bible des Anglais. Je souhaite que la France se montre aussi pragmatique en faisant coller la logique tarifaire à la logique de couverture des coûts.

Ce qui s’est passé pour British Energy a montré que le fait d’exposer un opérateur d’infrastructure électrique au seul prix de marché conduit à la faillite : ce prix de marché n’avait aucune pertinence économique vis-à-vis des coûts puisqu’il dépendait d’autres facteurs. C’est ce que vit depuis plusieurs années l’Europe où le prix de marché n’est en rien lié à l’économie du système électrique européen. De la même manière, la logique libérale et de prix de marché dans les années quatre-vingt-dix a conduit à des risques de black-out en Californie.

Ainsi, on ne peut pas jouer avec la structure tarifaire en y intégrant la logique de prix de marché quand celui-ci n’est en rien pertinent par rapport aux fondamentaux de l’électricité, qui n’est pas stockable ni substituable. Beaucoup d’acteurs dans les années quatre-vingt-dix n’ont pas hésité à dire que le marché de l’électricité oubliait que l’électricité n’était pas un bien comme les autres, qu’il était peut-être le seul bien auquel les lois du marché ne pouvaient s’appliquer. Considérer tout ou partie du prix de marché comme référence dans le calcul tarifaire, c’est prendre des risques à long terme.

Nous sommes favorables au soutien des électro-intensifs, mais encore faut-il, vous avez raison, madame Battistel, définir ce qu’est un électro-intensif. En outre, si une partie des acteurs ne paie pas les coûts du système électrique, ce sont les autres consommateurs qui le feront. Il ne faut donc pas éluder la question de savoir qui va payer le soutien aux électro-intensifs. C’est un choix politique. Dans les années quatre-vingt, la France et EDF ont fait le choix de soutenir certaines usines par les tarifs préférentiels, comme Péchiney, car des choix politiques étaient portés par un EPIC en situation de monopole. Aujourd’hui, le monopole n’existe plus et l’on ne peut plus appliquer les recettes d’hier : le tarif ne peut pas porter les choix politiques.

Par ailleurs, comme pour tout acteur, le tarif des électro-intensifs comprend une part réseau et une part production et commercialisation. L’accès au réseau est assuré, qu’il y ait consommation ou pas, qu’elle soit stable ou pas ; les coûts ne sont donc pas liés à la nature fluctuante de la consommation électrique. Si l’on doit travailler à des modèles tarifaires propres aux électro-intensifs, il faut donc faire la part entre ce qui relève du réseau, avec des coûts fixes, et ce qui relève de la partie production/commercialisation, où il y a de la base, de la semi-base et de la pointe.

S’agissant de l’hydroélectricité, madame Battistel, encore faut-il qu’EDF et GDF Suez aient les moyens d’investir pour entrer dans le deal prolongation contre investissements. Ce qui nous ramène à la question du niveau des tarifs et de la capacité qu’auront les opérateurs à investir grâce à leurs recettes tarifaires. En effet, si EDF n’a pas les moyens d’investir pour la prolongation, on sera confronté à une mise en concurrence pure et dure.

Enfin, avec des smart grids, des « smart compteurs » et, demain, des « smart tarifs », on pourra refaire ce qu’on a fait dans les années quatre-vingt avec des tarifs EJP et Tempo, qui permettaient de faire de l’effacement en pointe. Bien pensée, la construction tarifaire permet ces effacements, d’autant que les compteurs communicants permettront de mettre en place des « smart tarifs », sans être obligés de passer par des dispositifs qui pèseront sur la CSPE.

Bref, si l’on veut faire du tarif un outil de politique publique, il faut des choix politiques clairs.

M. Jacky Chorin. Il y a un double paradoxe. Le premier est que ce sont les concurrents qui attaquent devant le Conseil d’État pour faire augmenter les prix de l’opérateur historique. Le second est que c’est l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) qui s’était montrée, il y a une dizaine d’années, la plus zélatrice pour l’ouverture des marchés.

Faut-il prendre en considération les prix de marché ? Nous n’y croyons pas car le marché est totalement faussé ! En effet, il y a une dérogation sur les ENR ! C’est cela qui risque de provoquer un black-out car les centrales au gaz ne trouvent pas leur place – certaines d’entre elles ferment alors qu’elles sont neuves ! Le problème va donc bien au-delà des tarifs : c’est celui de l’équilibre du réseau électrique. À force de vouloir tout et son contraire, nous allons collectivement dans le mur !

Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut prendre en considération la situation des électro-intensifs, mais la concurrence est mondiale et les règles de concurrence sont européennes ! Et les règles de concurrence européennes fragilisent les opérateurs. Ne pas les changer nous mènera, là encore, droit dans le mur ! Certes, l’Allemagne a fait des choix, mais ils sont contestés au niveau européen. Ce pays fait payer la transition énergétique par les usagers domestiques : voulons-nous cela ? Quel choix politique souhaitons-nous ? Ne faut-il pas précisément s’interroger sur les règles de concurrence ? La plupart des personnes auditionnées pensent d’ailleurs qu’il s’agit là d’un échec.

Sur la CSPE et le complément de rémunération, la transparence est nécessaire. Sans transparence, c’est signer un chèque en blanc sur l’avenir !

Idem pour l’effacement. Idem pour l’hydroélectricité, il y aura bien une désoptimisation du système !

Certes, il y a des possibilités de prolongation, mais elles ne sont pas généralisées. Pourtant, la proposition de loi Courteau proposait la généralisation ; et une directive « Concession » permet de maintenir des monopoles pour les titulaires de droit exclusif au nom du service économique d’intérêt général. Selon nous, l’hydraulique, grâce à son rôle dans la transition énergétique, est un service économique d’intérêt général. Sur le plan juridique, il y a donc des opportunités, c’est une question de volonté politique.

Bref, on est tous d’accord pour dire que ce marché ne fonctionne pas, mais personne, à part nous, n’en tire les conséquences.

M. Bruno Bosquillon, délégué syndical central d’ERDF (Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT). Concernant la rémunération de l’effacement diffus, les grands oubliés sont les consommateurs. Aujourd’hui, on met en place un système où ce sont des agrégateurs privés qui vont pouvoir se rémunérer sur du déclaratif ! Et tout cela sera financé par la CSPE ! Les compteurs communicants représentent 5 milliards d’investissement. Si demain une structure tarifaire différente est mise en place, à côté de ceux qui seront capables de s’effacer, ceux qui ne pourront pas s’effacer paieront le tarif fort. En clair, le coût sera supporté par la population, à commencer par les gens en grande précarité énergétique ! Au lieu de faire supporter au distributeur tous les coûts de la déréglementation, le compteur communicant devrait être payé par l’ensemble de ceux qui commercialisent !

Mme Marie-Claire Cailletaud. La CGT a écrit à l’Assemblée nationale pour exprimer son inquiétude sur le risque de black-out dû aux choix faits aujourd’hui en France et en Europe, et pour demander la mise en place d’une commission d’enquête visant à examiner la sécurité du système énergétique, en particulier électrique. À ce jour, nous n’avons pas obtenu de réponse.

M. Alexandre Grillat. Toutes les interventions convergent pour souligner le problème de modèle économique autour des structures tarifaires. L’opérateur historique EDF ne peut pas tout faire : investir, embaucher, verser les dividendes et assumer les conséquences de choix tarifaires sur l’effacement. Par conséquent, un travail de réflexion doit être mené sur le modèle économique que la France souhaite pour son système électrique de demain. Pourquoi ne pas faire travailler des économistes de renom, nous en avons quelques-uns en France et même un Prix Nobel, sur cette question ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci à vous tous de ces compléments d’information.

J’ai bien noté les recommandations sur la rémunération de l’effacement pour les entreprises électro-intensives, qui aujourd’hui ne sont pas rémunérées à leur juste valeur. C’est en effet une piste pour leur permettre d’avoir accès à des tarifs raisonnables.

Sur l’hydraulique, je serais d’accord avec vous s’il y avait généralisation de la mise en concurrence ou de la création de SEM. Mais d’après le texte, la majorité des concessions pourra être prolongée grâce aux dispositifs choisis. La part de remise en concurrence éventuelle par le biais des SEM devrait donc être très mince.

En outre, en cas de prolongation, l’investissement devrait être réalisé par les opérateurs, car le parc est vieillissant dans nombre de vallées, ce qui pose même la question de son maintien en activité, mais aussi celle de l’optimisation de la production. Au demeurant, dans nombre d’endroits en France, l’opérateur historique et les autres engagent des travaux pour maintenir leur parc et optimiser la production. Au surplus, en fin de concession, il faut rendre un parc en état, ce qui suppose là encore des investissements. Certes, on ne peut pas tout demander, l’emploi, l’investissement, etc. C’est bien pour cela que nous n’avons pas retenu l’introduction d’une nouvelle redevance en cas de prolongation avec investissements.

Bref, nous continuons le travail pour essayer de progresser vers quelque chose d’encore plus consensuel. Reconnaissez qu’un chemin important a été parcouru.

Mme Catherine Halbwachs, déléguée fédérale de la CFE-CGC Énergies (CFE-CGC). Je fais partie de ceux qui ont soutenu votre travail législatif. Néanmoins, les entreprises doivent avoir les moyens d’investir. L’euro-compatibilité de la prolongation contre des travaux est liée à des travaux qui n’étaient pas prévus initialement au contrat. Le vrai débat est là.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous avons rencontré les différents opérateurs et tous ont des projets à nous proposer sur les différentes vallées. Je pense donc qu’ils seront réalisables.

Mme la vice-présidente Jeanine Dubié. Merci, Mesdames, Messieurs, de votre contribution.

La table ronde s’achève à dix heures cinquante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Réunion du jeudi 15 janvier 2015 à 9 heures

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Jeanine Dubié, Mme Béatrice Santais

Excusés. – M. Philippe Bies, M. François Brottes, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, M. Stéphane Travert