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Commission d’enquête relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas

mercredi 6 novembre 2013

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Alain Gest Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Leys, président, et de M. Christian Caleca, délégué général du Syndicat national du caoutchouc et des polymères (SNCP) 2

L’audition commence à seize heures trente-cinq.

M. le président Alain Gest. Nous achevons aujourd’hui nos travaux relatifs à la filière du caoutchouc et du pneumatique. Après avoir auditionné deux économistes, ainsi que les dirigeants des entreprises Michelin, AGCO et, bien sûr, Goodyear, nous recevons aujourd’hui M. Christian Leys et M. Christian Caleca, respectivement président et délégué général du Syndicat national du caoutchouc et des polymères (SNCP).

Nous serions très intéressés de vous entendre, messieurs, sur les structures du SNCP et les actions qu’il mène dans les différents domaines de sa compétence : relations sociales, dialogue social et formation professionnelle ; cadre législatif et réglementaire de l’activité ; contexte économique de la filière ; recherche et développement, innovation et promotion des produits. Pourriez-vous nous faire part, en particulier, des difficultés que perçoivent, sur le terrain, les dirigeants des entreprises de la filière ? Enfin, peut-être aurez-vous des suggestions à formuler pour la rédaction du rapport.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez l’un et l’autre lever la main droite et dire : « Je le jure. »

(M. Christian Leys et M. Christian Caleca prêtent serment.)

M. Christian Leys, président du Syndicat national du caoutchouc et des polymères. Je préside le SNCP depuis 2011. Je suis vice-président Europe des activités automobiles de la société Hutchinson, salarié de ce groupe depuis trente ans, directeur du site de Chalette-sur-Loing dans le Loiret, depuis vingt ans, la plus grosse unité de production de la société. Travaillant dans le domaine du caoutchouc industriel, je ne dispose pas d’une expertise pointue dans celui du pneumatique.

M. Christian Caleca, délégué général du Syndicat national du caoutchouc et des polymères. Je remercie la Commission d’enquête de nous donner l’occasion de présenter notre activité. Je suis, depuis le 1er mars 2013, délégué général du SNCP et directeur général du Centre français du caoutchouc et des polymères (CFCP). J’ai occupé pendant vingt-cinq ans des fonctions de direction générale dans des groupes importants. J’ai notamment travaillé dix ans dans le domaine du caoutchouc et des polymères pour la société Trelleborg Industrie implantée à Clermont-Ferrand. Même si je n’ai pas d’expérience dans le domaine du pneumatique, celui-ci fait bien sûr partie des centres d’intérêt du SNCP.

M. Christian Leys. Le CFCP est un centre de compétences unique en France et en Europe. Il regroupe, sur un seul site à Vitry-sur-Seine, le SNCP, l’Institut national de formation et d’enseignement professionnel du caoutchouc (IFOCA) et le laboratoire de recherches et de contrôle du caoutchouc et des plastiques (LRCCP). En 2013, nous avons décidé de placer sous une même autorité ces trois structures, qui disposaient chacune auparavant de leur propre direction. C’est à cette occasion que nous avons recruté M. Caleca. L’objectif était d’assurer une meilleure communication entre les trois entités et, surtout, de créer un centre de services partagés. Dans la mesure où les recettes du syndicat diminuaient à mesure que baissaient les effectifs de l’industrie du caoutchouc, il nous fallait en effet réaliser des économies pour assurer notre pérennité. Le CFCP emploie soixante-dix personnes et a réalisé, en 2012, un chiffre d’affaires supérieur à 7 millions d’euros.

Le SNCP vient de fêter ses 150 ans – peu de syndicats professionnels sont aussi anciens. Il est lui-même adhérent de la Fédération des industries mécaniques (FIM) et du syndicat européen du caoutchouc et du pneumatique, l’ETRMA – European Tyre and Rubber Manufacturers’ Association –, qui suit de près l’élaboration de la réglementation européenne dans le cadre du règlement REACH sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que sur les restrictions qui leur sont applicables. Les décisions importantes en la matière se prennent en effet à Bruxelles.

Le CFCP abrite également l’association Travaux de normalisation du pneumatique pour la France (TNPF), compétente en matière de normalisation dans les domaines et du pneumatique.

Le SNCP est à l’origine de la création du pôle de compétitivité du caoutchouc, Élastopôle, installé à Orléans. En outre, le LRCCP travaille, depuis cinq ans, avec le Centre technique des industries mécaniques (CETIM), l’un des rares organismes de recherche privés à être labellisé « institut Carnot ». Enfin, le CFCP accueille dans ses locaux l’Association française des ingénieurs et cadres du caoutchouc et des polymères (AFICEP), la société savante du caoutchouc, dont les membres sont majoritairement des retraités ayant des connaissances importantes dans ce domaine.

Le rôle du SNCP est, bien sûr, de défendre les intérêts des industriels du caoutchouc et de coordonner leurs actions collectives. Il informe et assiste ses adhérents, en particulier les PME : celles-ci ont davantage besoin d’une expertise extérieure que les grands groupes, qui disposent généralement des compétences nécessaires en leur sein.

Le SNCP est un acteur du dialogue social. Il intervient notamment dans la gestion de la convention collective et dans la négociation des salaires minima de la branche. Il suit la réglementation en matière de sécurité alimentaire, certains élastomères étant utilisés dans l’industrie agroalimentaire. En outre, le syndicat assure une veille économique et est, à ce titre, le correspondant officiel de l’INSEE, auquel il apporte une expertise sectorielle. Il est également très actif en matière de normalisation : nous tenons à participer en amont à l’élaboration des normes internationales qui régissent la profession. Enfin, le syndicat joue un rôle clé en matière de formation professionnelle, de mutualisation de la recherche et développement – en lien avec Élastopôle, au profit notamment des PME – et de promotion de la filière.

Le SNCP est très représentatif : ses cent adhérents réalisent 80 % du chiffre d’affaires du secteur du caoutchouc en France. Son comité de direction est composé de seize industriels. Il emploie sept permanents, dont une spécialiste de la veille réglementaire, qui se rend souvent à Bruxelles pour suivre l’évolution de la réglementation européenne dans le cadre du règlement REACH.

Le LRCCP est l’un des rares laboratoires spécialisés dans le domaine du caoutchouc en Europe. Il emploie quarante-trois personnes. Il vit à 80 % des prestations qu’il fournit aux clients des industries du caoutchouc – industries aéronautiques et spatiales, énergie…, par exemple Airbus, Astrium, Areva ou Technip – qui ne disposent pas nécessairement des compétences techniques dans le domaine des élastomères. Le laboratoire réalise un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros par an et réinvestit 10 % de cette somme dans la recherche fondamentale.

Le LRCCP a plusieurs domaines de compétence : la formulation des polymères ; leur caractérisation ; la simulation numérique, afin notamment de prévoir la durée de vie et les modes de rupture des matériaux. Il fournit une assistance technique aux PME, par exemple à celles qui doivent se passer d’une substance interdite dans le cadre du règlement REACH. D’une manière générale, le laboratoire développe une approche écologique. Il mène actuellement un projet sur plusieurs années cofinancé par Bpifrance, dénommé BIOPROOF, qui vise à remplacer les produits de synthèse issus du pétrole par des matériaux renouvelables, notamment d’origine végétale.

Le LRCCP est certifié ISO 9001 et accrédité par le Comité français d’accréditation (COFRAC). Il est agréé par les grands donneurs d’ordre de la filière du caoutchouc : EDF, Safran, Renault et Airbus, entre autres.

L’IFOCA dispense, en premier lieu, des formations initiales de niveau bac+3 – licence professionnelle –, bac+5 – spécialisation de dernière année d’école d’ingénieurs – et bac+6 – spécialisations post-ingénieur. Il a conclu des accords avec des écoles d’ingénieurs – l’École supérieure de chimie organique et minérale (ESCOM), installée à Compiègne ; l’Institut supérieur de mécanique de Paris (Supméca) – et des universités – Pierre-et-Marie-Curie ; Polytech Tours, Université de Nantes…. Les représentants de certains de ces établissements siègent à son conseil d’administration.

L’institut assure, en second lieu, des formations continues : il organise des stages interentreprises ou, lorsque le nombre de stagiaires est suffisant, au sein même des entreprises. Depuis l’année dernière, il délivre des certificats de qualification professionnelle (CQP) pour l’ensemble de la filière du caoutchouc.

L’IFOCA dispose de deux établissements : l’un à Vitry-sur-Seine, l’autre à Carquefou, près de Nantes. Il emploie huit formateurs permanents et neuf experts techniques issus soit du SNCP, soit du LRCCP. Il fait appel à sept professeurs d’universités et à trente-deux intervenants industriels sélectionnés pour leurs connaissances et leur savoir-faire, en particulier dans le domaine des élastomères.

Entre 2009 et 2012, l’institut a formé 130 étudiants en formation initiale, dont près de la moitié en alternance ou en apprentissage. À leur sortie de l’institut, les étudiants n’éprouvent aucune difficulté à trouver un emploi. Dans le même temps, 1 915 stagiaires ont été formés aux techniques du caoutchouc, pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises.

Enfin, l’IFOCA organise des formations à l’étranger. Il a ainsi été sollicité par des professionnels brésiliens et roumains. Il existe très peu d’écoles spécialisées dans le domaine du caoutchouc en Europe.

M. Christian Caleca. En France, le secteur du caoutchouc regroupe environ 250 entreprises, dont deux leaders mondiaux – Michelin dans le domaine du pneumatique ; Hutchinson dans celui du caoutchouc industriel – et de très nombreuses PME. En 2012, ces entreprises employaient 52 000 salariés au total et ont réalisé un chiffre d’affaires de 12,4 milliards d’euros. Cette même année, la balance commerciale du secteur est demeurée positive.

L’industrie française du caoutchouc reste solide à l’échelle internationale : elle est la deuxième en Europe après celle de l’Allemagne et se classe parmi les cinq ou six premières mondiales. Le caoutchouc est un matériau aux propriétés extraordinaires qui conserve un potentiel de développement très important. Ses applications sont multiples, notamment dans des secteurs sensibles.

Le premier enjeu pour le SNCP est d’améliorer le dialogue social. Nous essayons de faire vivre, avec les organisations syndicales, la convention collective spécifique à la branche. En outre, nous nous appliquons à développer, grâce à la formation professionnelle, les compétences dont nos entreprises auront besoin demain. D’une manière générale, nous cherchons à conclure des accords gagnant-gagnant avec les organisations syndicales.

Le deuxième enjeu de la profession est de respecter l’environnement tout en préservant la compétitivité des entreprises. Dans ce domaine, nous sommes confrontés à une inflation de textes réglementaires d’origine européenne ou nationale. Nous aidons les PME, qui éprouvent souvent des difficultés à assimiler cette réglementation. En outre, il conviendrait de mieux contrôler les produits importés aux frontières de l’Union européenne : beaucoup d’entre eux ne sont pas conformes à la réglementation européenne, ce qui pénalise nos PME. C’est d’ailleurs un sujet de réflexion pour la représentation nationale.

D’autre part, nous nous efforçons de développer une filière verte. L’industrie du caoutchouc est née de l’exploitation d’un végétal renouvelable, l’hévéa. Les caoutchoucs de synthèse dérivés du pétrole ont été développés dans les années d’après-guerre. Aujourd’hui, nous opérons une véritable révolution : nous essayons de faire entrer le maximum d’ingrédients renouvelables dans la composition de nos produits. C’est un enjeu à la fois scientifique et économique. Nous réalisons également des efforts importants en matière de recyclage. La filière du pneumatique est exemplaire à cet égard : 99 % des pneumatiques usagés sont récupérés et réutilisés ; nous cherchons à les valoriser au mieux.

Le SNCP cherche à répondre à une troisième série d’enjeux, de nature économique. Nous souhaitons créer un environnement propice à l’entrepreneuriat. Cela implique d’améliorer les relations interentreprises, en particulier au sein de la filière automobile, qui représente à elle seule 65 à 70 % des débouchés de l’industrie du caoutchouc à l’échelle mondiale. Nous nous efforçons de rééquilibrer les relations entre les PME et les grands donneurs d’ordre. De plus, nos entreprises doivent restaurer leurs marges pour réaliser des investissements de productivité, financer leur R&D et mettre en œuvre la transition énergétique. Nous devons également favoriser les exportations de la filière et son développement à l’international. Enfin, nous veillons à rendre nos métiers plus attractifs auprès des jeunes, afin de satisfaire nos besoins de recrutement.

Une quatrième série d’enjeux se présente à nous en matière d’innovation. Grâce à son positionnement unique, le CFCP est en mesure de favoriser la recherche tant individuelle que collective. En outre, comme cela a été dit, nous nous mobilisons pour participer à l’élaboration des normes qui régissent notre secteur d’activité. Il est essentiel que des Français soient présents dans les organismes de normalisation – la représentation nationale est bien placée pour le savoir. C’est pourquoi le SNCP consacre près de 25 % de son budget à ce travail d’influence. D’autre part, comme nous l’avons déjà mentionné, nous essayons de généraliser l’utilisation de matières premières biosourcées ou issues du recyclage. Enfin, nous recherchons des applications nouvelles pour le caoutchouc dans des secteurs de pointe tels que l’industrie spatiale, l’aéronautique, l’énergie ou les transports.

J’en viens au dialogue social. Il existe deux instances patronales dans la branche du caoutchouc. La commission sociale, composée de directeurs des ressources humaines et de dirigeants d’entreprises de la branche, se réunit au moins deux fois par an pour définir les thèmes sur lesquels devrait porter le dialogue social de son point de vue. Quant à la délégation patronale, elle est l’interlocuteur des organisations syndicales. Elle est constituée par les deux organisations patronales de notre secteur d’activité : le SNCP – porte-parole officiel de la branche – et l’union des syndicats des PME du caoutchouc et de la plasturgie (UCAPLAST).

Le dialogue social est mené au sein de trois instances paritaires. La commission paritaire de concertation se réunit au début de chaque année pour fixer une méthode et un calendrier prévisionnel de négociation. Ensuite, la commission paritaire plénière traite cet ordre du jour au cours des six à dix séances qu’elle tient dans l’année. Elle peut néanmoins se saisir de toute autre question. Récemment, elle a travaillé sur des sujets tels que les salaires minima de branche, l’actualisation de la convention collective, la formation professionnelle, la pénibilité.

Enfin, la commission paritaire nationale de l’emploi (CPNE) étudie l’évolution de l’emploi dans la profession et établit chaque année un bilan social sur la base d’enquêtes renseignées par les entreprises. La CPNE suit également les travaux de l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de la branche, qui l’informe sur toutes les actions menées dans le domaine de la formation professionnelle et sur la réalisation des plans de formation par les entreprises. Sur cette base, la CPNE définit les orientations en matière de formation professionnelle.

Lors de la réunion de la CPNE du 18 septembre 2013, la société Goodyear Dunlop Tires France a informé la commission de son projet de fermeture de l’usine d’Amiens-Nord et des mesures de reclassement qu’elle comptait prendre dans ce cadre. Elle a proposé de communiquer le profil des salariés à reclasser et de créer un site Internet dédié. Elle a suggéré que cette information soit relayée sur les sites du SNCP et de l’UCAPLAST.

Depuis 2009, les partenaires sociaux ont signé une dizaine d’accords sur des sujets variés, ce qui atteste de la pertinence du dialogue social dans la branche du caoutchouc.

Je terminerai en évoquant les efforts de la branche en matière de formation professionnelle. En 2012, 9,3 millions d’euros ont été collectés à cette fin auprès des entreprises du secteur. Ce budget a permis de financer des plans de formation, dont les bénéficiaires ont été, pour les deux tiers, des ouvriers, des employés, pour un tiers, des cadres. Cette répartition est conforme à la structure des emplois dans la branche.

En outre, notre branche a été l’une des premières à introduire les certificats de qualification professionnelle (CQP) dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Ces certificats constituent une véritable reconnaissance professionnelle pour les salariés qui travaillent dans les unités de production. Nous avons notamment délivré des CQP « opérateur de fabrication caoutchouc », « conducteur d’équipements industriels » et « animateur d’équipe ». En raison du ralentissement de l’activité en 2012 et 2013, le système des CQP se met en place lentement, mais il est appelé à prendre de l’ampleur dans les années qui viennent.

Mme Pascale Boistard, rapporteure. Selon les informations que vous nous avez communiquées, les salariés de la branche qui ont suivi une formation en 2012 étaient à 56 % des ouvriers. Nous n’avons pas eu le sentiment que les ouvriers de Goodyear aient véritablement bénéficié de formations. Dans quelle proportion Goodyear a-t-il fait appel aux formations que vous proposez ?

M. Christian Caleca. Le chiffre que vous citez concerne l’ensemble de notre secteur d’activité. Il nous a été communiqué par l’OPCA de la branche, AGEFOS PME. Nous ne disposons pas de chiffres entreprise par entreprise. Ce ne serait d’ailleurs guère conforme à notre rôle. En tous les cas, Goodyear cotise pour la formation professionnelle de la branche et consomme des formations.

Mme la rapporteure. Vous avez évoqué le rôle du SNCP dans le dialogue social. Avez-vous été sollicité à ce titre au sujet de l’entreprise Goodyear ?

M. Christian Leys. Les partenaires sociaux de la branche se réunissent une fois par an pour déterminer le programme des négociations à venir. Aucun des partenaires sociaux ne nous a sollicités à propos de Goodyear.

M. Christian Caleca. Le rôle d’un syndicat professionnel n’est pas de se substituer à une entreprise. Dans le cadre de la CPNE, les partenaires sociaux examinent l’évolution des emplois dans la branche. Les organisations syndicales peuvent évoquer, à cette occasion, tel ou tel plan social ou réduction d’effectifs. Comme je l’ai indiqué, lors de la réunion de la CPNE du 18 septembre dernier, l’entreprise Goodyear nous a informés de son projet de fermeture, ainsi que des mesures qu’elle envisageait de prendre. Les organisations syndicales se sont ensuite exprimées sur le sujet. Ces éléments figurent au compte rendu de la réunion.

M. Christian Leys. Il ne s’agissait pas d’une négociation en soi. Quant au SNCP, il relaie auprès de ses adhérents l’information sur le profil des salariés à reclasser.

M. Christian Caleca. Je précise qu’il le fait quand il est saisi à cette fin, soit par les organisations syndicales, soit par l’entreprise concernée.

Mme la rapporteure. En 2011-2012, lors de la discussion avec Titan, qui prévoyait un plan de départ volontaire, la société Goodyear a-t-elle fait appel à vous pour prévoir des formations ou définir le profil professionnel des salariés ?

M. Christian Leys. Non. À cette époque, nous n’avons pas été saisis du reclassement du personnel de Goodyear dans l’industrie du caoutchouc.

Mme la rapporteure. Les 4x8 figurent-ils dans la convention collective que vous venez d’actualiser ?

M. Christian Leys. La mise en conformité de la convention collective, entreprise en 2012, a duré plus d’un an. Elle s’imposait, car certains de ses articles n’étaient pas conformes au droit, ce qui les rendait sans effet. Des négociations avec les partenaires sociaux vont s’ouvrir, afin de l’entériner. Elle contient peu de chose sur le temps de travail.

M. Christian Caleca. Historiquement, la convention collective du caoutchouc a choisi de ne pas investir ce domaine, qui doit être négocié au sein de l’entreprise. L’accord de branche du 17 avril 2001 prévoit une modulation consécutive à l’arrivée des 35 heures, aux termes d’accords a minima conclus avec les partenaires sociaux. La convention prévoit aussi le travail en continu et l’existence des équipes de suppléance, si l’entreprise doit faire appel aux salariés le week-end, mais on n’y trouve pas d’éléments réels, comme une limitation du temps de travail.

M. Jean-Claude Buisine. Dans les trois domaines que vous avez mentionnés – recherche, formation et expertise – quelles relations avez-vous noué avec Goodyear ?

M. Christian Leys. Les sociétés les plus importantes – Michelin, Hutchinson, Goodyear, Bridgestone – n’ont pas réellement besoin du syndicat pour assurer leur avenir, parce qu’elles sont dotées de structures importantes. Ce n’est pas le cas des PME, qui forment la majorité de nos adhérents. Celles-ci n’ont pas toujours le spécialiste REACH ou le formulateur nécessaire dont ils auraient besoin. C’est pourquoi le syndicat intervient beaucoup plus dans les secondes que dans les premières, qui peuvent cependant nous solliciter pour assurer une formation dans leurs murs.

Nous n’avons pas établi de relevé permettant d’établir que Goodyear nous ait sollicités, comme le fait régulièrement Hutchinson.

M. Christian Caleca. Goodyear, qui appartient depuis longtemps au syndicat, peut bien entendu faire appel à nos services. Il est intéressant de noter que les grandes entreprises soutiennent le SNCP, non qu’elles aient besoin de lui, compte tenu des ressources importantes dont elles disposent, mais parce qu’elles jugent essentiel qu’il existe en France ce qu’on pourrait appeler un écosystème du caoutchouc, qui nourrit l’investissement et permet l’existence d’un tissu de PME. La solidarité des grandes, moyennes et petites entreprises est la base de cet écosystème.

M. Christian Leys. Élastopôle, qui sert surtout aux PME, n’existerait pas sans les grands groupes.

M. Jean-Claude Buisine. Existe-t-il des contrefaçons dans votre domaine et, le cas échéant, comment peut-on lutter contre elles ?

M. Christian Caleca. Depuis plusieurs années, un règlement européen interdit que des huiles aromatiques polycycliques (HAP) entrent dans la composition des pneus, mais une vérification menée aux frontières par l’ETRMA a révélé que, sur un échantillon prélevé au hasard, 10 % à 15 % des pneus importés contrevenaient à cette règle. Les autorités pourraient effectuer des contrôles plus vigilants.

M. Christian Leys. À ceci près qu’il n’est pas facile de rechercher la présence de HAP dans les élastomères. Nous ne connaissons que quatre laboratoires qui en soient capables. Si une société nous mandate, nous pouvons effectuer une vérification, mais nous n’organisons pas de veille systématique. Le problème n’est d’ailleurs pas spécifique au caoutchouc : je ne pense pas que tous les produits qui entrent en Europe soient conformes à notre réglementation.

M. Jean-Claude Buisine.  Quelle attitude adoptez-vous à l’égard de la production des pays qui ne sont pas soumis aux normes européennes ? Font-ils l’objet d’une alerte particulière ?

Mme la rapporteure. Quelles défaillances identifiez-vous au niveau européen, en termes de sécurité ou de marché ?

M. Christian Caleca. Sous l’impulsion de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie, Bruxelles pourrait affirmer sa volonté de vérifier que la production importée respecte la réglementation de l’Union. Peut-être faut-il prévoir un budget modeste, qui permettrait d’effectuer des contrôles sur certains échantillons de marchandises. Le LRCCP peut s’en charger pour un coût modique. Ce n’est pas une démarche protectionniste que de vérifier que les importateurs observent nos règlements.

M. Christian Leys. Ces vérifications n’empêcheraient pas l’étiquetage des produits.

Mme la rapporteure. Les pneus fabriqués en Inde ou en Chine sont-ils soumis aux mêmes contraintes d’étiquetage que ceux qui sont produits dans l’Union ?

M. Christian Leys. Oui, mais la disposition relative à l’étiquetage date de novembre 2012, de sorte qu’on trouve encore chez les grossistes une grande quantité de pneus fabriqués avant son entrée en vigueur. En outre, un pneu peut contenir des HAP, tout en respectant d’autres critères, comme la résistance au roulement, le bruit ou la tenue sur sol mouillé.

Les produits litigieux sont importés non par des pneumaticiens comme Michelin, Goodyear ou Bridgestone, mais par des grossistes que nous ne connaissons pas. Si des anomalies sont constatées, elles peuvent être dénoncées par des professionnels, ce qui permet de pratiquer des analyses.

M. Jean-Louis Bricout. Le passage aux 4x8, qui a causé la rupture du dialogue social à Amiens-Nord, est-il adapté au marché du caoutchouc ?

M. Christian Caleca. Notre convention collective n’entre pas dans le détail de l’organisation du temps de travail. Ce champ est laissé aux entreprises, ce qui paraît logique. On ne gère par un établissement de vingt salariés comme un groupe qui en emploie 30 000.

M. Christian Leys. À ma connaissance, les syndicats n’ont pas exercé de pression pour que nous intervenions sur le sujet.

M. Jean-Louis Bricout. Le passage aux 4x8 était-il une manière d’adapter l’entreprise au marché ?

M. Christian Leys. Une telle décision se prend au niveau de l’établissement, compte tenu du volume d’activité. Certaines entreprises fonctionnent à feu continu, d’autres aux 3x8, aux 2x8 ou à la journée. Elles s’organisent librement en fonction du marché. C’est au niveau local que se situe le dialogue social, car il n’est pas possible de traiter globalement les spécificités de chacun.

M. Jean-Louis Bricout. Quel impact aurait la fermeture d’Amiens-Nord sur l’ensemble de la filière ? Pouvez-vous citer quelques chiffres ?

M. Christian Leys. Nous n’avons pas ce type de chiffres, mais toute société fait travailler des sous-traitants, qui sont nécessairement touchés par sa fermeture.

M. Jean-Louis Bricout. Dans ce domaine, il n’existe pas de ratio ?

M. Christian Caleca. Non. Une entreprise qui emploie près de 1 200 salariés fait vivre tout un pan de l’économie. Sa présence est vitale dans son bassin d’emploi.

M. le président Alain Gest. Comment évolue le marché du caoutchouc par rapport à celui des autres produits ?

M. Christian Leys. Selon les chiffres de l’INSEE et du SNCP, le marché du pneumatique, tous types confondus, a augmenté en France de 7,8 % entre 2010 et 2011, puis diminué de 7,2 % entre 2011 et 2012, puis encore diminué de 12,2 % entre les dix premiers mois de 2012 et les dix premiers mois de 2013.

L’industrie automobile représente 65 % des débouchés du caoutchouc. Or la France, qui produisait 3,6 millions de véhicules il y a dix ans, en a fabriqué 1,9 million en 2012, et n’ira pas au-delà de 1,8 million en 2013. Au premier trimestre 2008, la production de l’Espagne a rejoint la nôtre, qu’elle dépasse désormais de 25 %. L’Angleterre, dont l’industrie automobile était jadis tenue pour moribonde, pourrait dépasser la France en 2014. Le déclin de la production française est confirmé par les chiffres du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).

Le secteur du pneu ne se limite cependant pas à l’automobile. Il s’étend au secteur agricole, à l’aéronautique et aux engins utilitaires. Enfin, si l’on veut être complet, il faut considérer le marché de la première et de la deuxième monte.

Mme la rapporteure. Les chiffres sont-ils moins alarmants pour certains types de pneus ?

M. Christian Leys. Je n’ai pas le détail des différents secteurs. Les machines agricoles étant de plus en plus sophistiquées et puissantes – certaines dépassent 600 chevaux –, les pneumaticiens doivent fournir des produits de plus en plus complexes à un marché qui, selon la presse, n’est pas particulièrement en hausse.

Les fabricants de tracteurs – Massey Ferguson à Beauvais, John Deere à Orléans – ne vivent pas exclusivement du marché français. Ils exportent une grande partie de leur production en Europe, voire dans le monde.

M. le président Alain Gest. Quels sont les chiffres pour l’ensemble du caoutchouc industriel ?

M. Christian Leys. L’activité du secteur a connu une croissance de 5,7 % entre 2010 et 2011. Elle a enregistré l’année suivante une baisse de 11,5 %, suivie d’une autre baisse, de 0,4 %, entre les huit premiers mois de 2012 et de 2013.

Le marché du caoutchouc industriel est beaucoup plus diversifié que celui du pneumatique. Hutchinson travaille beaucoup pour l’aéronautique mondiale – Airbus, Boeing, Thales –, ainsi que pour le système de roulage à plat, qui concerne aussi bien les voitures blindées que les véhicules militaires, qu’ils soient européens, américains, russes ou chinois. Des sociétés de caoutchouc médical se développent aussi en France.

M. le président Alain Gest. Vous avez déploré une certaine inflation législative et réglementaire.

M. Christian Leys. Je ne sais pas si l’industrie a besoin d’aide, mais, pour se développer, il lui faut certaines conditions opératoires, à commencer par une certaine stabilité fiscale et réglementaire.

Récemment, l’Autriche a demandé l’interdiction de l’azodicarbonamide, alors que cet agent gonflant pour le caoutchouc et les plastiques, s’il peut provoquer une gêne respiratoire, n’est pas classé parmi les produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Si la requête aboutit, ce sera une révolution pour les PME, car le prix des produits de substitution est élevé. Demain, si l’azodicarbonamide est interdit en France et qu’on en trouve encore en Chine, nos entreprises souffriront d’une concurrence déloyale.

De même, le 1-3 butadiène est réputé dangereux, comme facteur de leucémie, mais la molécule ne peut s’échapper quand elle est prisonnière d’une matrice moléculaire plus complexe. C’est pourquoi, ceux qui la fabriquent courent un risque, mais non ceux qui l’utilisent. En France, il est envisagé d’inscrire cette molécule parmi les causes de maladie professionnelle. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) s’en est mêlé. Hutchinson et Michelin ont fait séparément des analyses, qu’ils ont publiées. Peut-être sommes-nous juges et parties, mais nous voudrions être sûrs que la décision finale sera prise sur des critères objectifs. Il faut éviter qu’on crée, sur une base floue, une distorsion de concurrence, car nous ne pourrions pas nous passer du 1-3 butadiène sans modifier considérablement nos installations.

Nous sommes favorables aux réglementations, car l’industrie doit respecter le principe de précaution. Elle doit continuellement améliorer la protection des ouvriers, ce qui semble être le cas, puisque leur espérance de vie augmente. Mais il faut aussi tenir compte des contraintes économiques. Un pays comme la Turquie, qui fait partie de l’union douanière européenne, échappe aux contraintes communautaires et applique un salaire horaire plus bas que le nôtre.

M. le président Alain Gest. En dehors même de toute considération morale, les groupes comme le vôtre préservent aussi leur image en proscrivant des produits réputés dangereux. Les industries du caoutchouc situées sur le territoire national évoquent-elles avec vous des problématiques de santé ?

M. Christian Leys. Le SNCP a entrepris une étude épidémiologique sur les fumées de caoutchouc, dont l’International Agency for Research on Cancer (IARC) se demande si elles ne sont pas cancérogènes. Parler des caoutchoucs en général est cependant aussi approximatif que de parler globalement des métaux en mettant l’or, l’aluminium, le cuivre et l’acier sur le même plan.

Reste que la fumée de certains caoutchoucs peut être cancérogène. La Commission européenne a entrepris, via l’université de Milan, une étude épidémiologique qui coûtera 900 000 euros et durera trois ans, pour déterminer si le taux de cancer des personnes qui ont travaillé dans l’industrie du caoutchouc est inférieur, égal ou supérieur à celui de la population globale. La décision de Bruxelles n’interviendra pas avant le terme de cette étude, ce qui est sage, car elle doit être prise au vu des résultats scientifiques.

En matière de sécurité, les grands groupes vont de l’avant. Nous travaillons notamment avec les constructeurs automobiles ou aéronautiques pour anticiper l’interdiction de certaines matières qui pourraient s’avérer dangereuses, mais il serait absurde d’interdire celles qui ne présentent aucun risque.

M. le président Alain Gest. Avez-vous des suggestions qui pourraient concerner le cadre législatif ? J’ai déjà noté que vous vous plaigniez de l’inflation des lois et règlements.

M. Christian Leys. Étant président de CCE dans mon groupe, j’ai de plus en plus souvent l’occasion de négocier avec les syndicats, particulièrement depuis cinq ans, qu’il s’agisse de parité, de stress ou de pénibilité.

Les syndicats eux-mêmes se demandent si l’avalanche des textes règle les problèmes. Quelle que soit la législation, un groupe qui passe une annonce pour embaucher un technicien du caoutchouc reçoit 95 % de réponses masculines. Il est plus facile de pratiquer l’égalité entre les sexes dans les services de comptabilité, d’informatique ou d’achats. On ne peut pas reprocher aux femmes de ne pas avoir envie de faire de la mécanique. Chacun est libre de choisir son métier.

J’ai également signé des accords sur le stress au travail, qui avaient nécessité qu’on fasse longuement appel à des psychologues. La négociation sur la pénibilité n’a pas été plus simple. Or le plus urgent, pour une société, est d’assurer sa pérennité. Le client qui propose un marché est un donneur d’ordre, qui, généralement, fixe son prix. Si, compte tenu des conditions de travail et de rémunération françaises, on peut répondre à sa demande, on fait acte de patriotisme. Dans le cas inverse, il faut bien se tourner vers l’Espagne où le salaire horaire est de dix-huit euros, vers la Pologne, où il est de cinq euros et demi, ou vers la Tunisie, où il tombe à un euro vingt, alors qu’il est de vingt-huit euros chez nous.

Mme la rapporteure. Qu’en est-il en Allemagne ?

M. Christian Leys. En Allemagne, les grandes sociétés, comme celle à laquelle j’appartiens, proposent des salaires identiques à ceux de la France, mais peuvent aussi sous-traiter à des entreprises, qui, compte tenu de l’absence de salaire minimum, versent une rémunération horaire de quatorze euros. Cette situation ne semble pas gêner les Allemands, qui savent que ce ne sont pas les nationaux qui travaillent à ces conditions.

M. le président Alain Gest.  Je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Réunion du mercredi 6 novembre 2013 à 16 h 30

Présents. - Mme Pascale Boistard, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Claude Buisine, M. Alain Gest, Mme Barbara Pompili