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Commission d’enquête relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas

mercredi 13 novembre 2013

Séance de 17 h 15

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Alain Gest Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Sapin, ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social 2

L’audition commence à dix-sept heures vingt.

M. le président Alain Gest. Après avoir entendu, le 22 octobre, M. Xavier Bertrand, ancien ministre du Travail et, hier, M. Éric Besson, ancien ministre de l’Industrie, nous accueillons M. Michel Sapin, ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Monsieur le ministre, soyez le bienvenu. De quelle façon vivez-vous le conflit Goodyear ? Quelles ont été votre action et celle de votre ministère depuis votre entrée en fonction ? Comment s’articulent-elles avec celle du ministre du Redressement productif ? Comment éviter qu’un conflit social d’une telle ampleur et d’une telle durée ne se reproduise ?

Beaucoup de procédures judiciaires ont été intentées dans ce dossier, dont certaines sont encore en cours. La direction de Goodyear assure avoir mené dans les formes les consultations relatives au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), ce que conteste le syndicat majoritaire. Quel est votre avis sur ce point ?

Par ailleurs, M. Montebourg a annoncé l’éventualité d’une reprise partielle du secteur agricole. Quelle forme juridique peut emprunter ce projet ? Peut-il s’inscrire dans la procédure actuelle du PSE ? Titan reprendra-t-il l’activité après la fermeture définitive de Goodyear ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Michel Sapin prête serment.)

M. Michel Sapin, ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je ne suis ministre que depuis dix-huit mois, alors que la procédure dure depuis six ans. Si le ministre du Redressement productif s’attache à sauvegarder l’activité, ma tâche est davantage centrée sur l’accompagnement social des suppressions de poste. Ces problèmes d’articulation pourront expliquer que, sur certaines parties du dossier, comme la nature de l’offre actuelle ou les conditions d’acceptabilité, je me sente moins compétent que sur d’autres.

La situation de l’usine d’Amiens-Nord est, à bien des égards, exceptionnelle, dans le mauvais sens du terme, par le nombre d’emplois menacés – près de 1 200 –, la ténacité du personnel, l’abondance des procédures judiciaires et le nombre de rebondissements qu’ont connus les salariés. C’est d’abord à eux que va ma pensée.

Vous connaissez les temps forts du dossier.

En 2007, un projet d’investissement est proposé aux usines d’Amiens-Nord et d’Amiens-Sud, subordonné à un accord collectif tendant à réviser l’organisation du temps de travail. Le projet est accepté en 2008 à Amiens-Sud où les investissements auront lieu, alors qu’à Amiens-Nord, la CGT fait jouer son droit d’opposition majoritaire.

De 2008 à 2010, l’entreprise met sur la table un projet de PSE concernant 402 postes, qui n’aboutit pas, puis un autre projet concernant 817 personnes, lequel prévoit la fermeture de l’activité tourisme, tandis que l’activité agricole serait reprise par Titan.

De fin 2010 à fin 2011, les négociations portent sur le projet de Titan, qui prévoit de maintenir 537 emplois pendant deux ans. Le TGI de Nanterre jugera le plan d’affaires de Titan communiqué au comité central d’entreprise (CCE) trop imprécis.

De janvier à juin 2012, les négociations se poursuivent, même si la promesse d’achat a expiré. Début juin 2012, M. Wamen déclare être arrivé à une victoire historique, le départ des 817 personnes devant se faire sur la base exclusive du volontariat, tandis que Titan reprendra l’activité agricole. Ce plan de départ volontaire (PDV) généreux vient clore une longue lutte sociale et judiciaire.

Les messages qui me sont transmis à mon entrée en fonction sont donc rassurants : une issue se dessine après quatre ans de conflit. Malheureusement, il apparaît dès septembre que tout n’est pas réglé. La CGT ne se satisfait pas de ce que Titan ne s’engage à maintenir l’activité que pendant deux ans. En dépit des réunions qui se tiennent entre la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), mes collaborateurs et ceux du ministre du Redressement productif, les parties s’éloignent à nouveau, ce qui conduit à l’échec des négociations.

Depuis février 2013, Goodyear a engagé une procédure d’information et consultation portant cette fois sur un projet de licenciement de tous les salariés d’Amiens-Nord. La direction considère que cette procédure est achevée. Durant cette période, le dialogue judiciaire s’est largement substitué au dialogue social.

Dès l’annonce du projet de fermeture, Arnaud Montebourg s’est impliqué pour trouver des repreneurs en mobilisant notamment l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Il a ramené Titan à la table de discussion, passant outre, dans l’intérêt des salariés, les propos extrêmement désagréables de M. Taylor. Nous espérons tous qu’une issue positive sera trouvée.

De cette situation exceptionnelle dont je n’ai eu à connaître que les derniers épisodes, on peut tirer quelques conclusions.

D’abord, l’échec du dialogue social conduit malheureusement à une catastrophe sociale. Si le dialogue n’exclut ni les conflits ni le rapport de forces, la victoire d’une partie sur l’autre ne constitue pas une solution. À un moment donné, il faut trouver les voies d’un compromis mutuellement satisfaisant. Manifestement, nous n’en étions pas loin au printemps 2012. Aujourd’hui, l’avenir est plus sombre pour les salariés car, en lieu et place du sauvetage de plus de 500 emplois et d’un plan de départ fondé sur le seul volontariat, nous sommes proches du licenciement contraint de 1 173 salariés – sauf si Arnaud Montebourg obtient que la fabrication de pneus agricoles se poursuive sur le site. Le dialogue social ne se décrète pas, il se construit dans l’écoute, le partage d’informations et la confiance, ce qui a manqué dans le cas de Goodyear.

Ensuite, l’anticipation est toujours préférable aux prises de décision tardives. Mais elle nécessite que la direction soit capable de jouer cartes sur table, de présenter aux salariés les options stratégiques comme leurs impacts sur l’emploi, et de les discuter avec les institutions représentatives du personnel (IRP).

Troisièmement, les salariés peuvent obtenir davantage par un accord collectif que par un plan unilatéral présenté par une direction. Le PDV était financièrement plus attractif que le PSE actuellement proposé aux salariés, même si, pour le ministère du Travail, l’amélioration des mesures actives de reclassement représente une avancée. Il était encore plus attractif en termes d’emploi, puisqu’il était accompagné d’une reprise partielle d’activité tendant à conserver 537 postes.

Enfin, les procédures qui durent sont anxiogènes. Pour les salariés, elles constituent une épée de Damoclès, particulièrement à Amiens-Nord où l’activité a chuté et où la direction a cessé d’investir, depuis l’annonce du premier projet de licenciement. Cependant, comme l’a rappelé Mme Pernette, directrice régionale adjointe de la DIRECCTE, les services de l’État se sont montrés vigilants. L’inspection du travail a effectué vingt et une visites de contrôle en 2012. Elle a été régulièrement présente aux CHSCT. Trois procès-verbaux ont été dressés. Le Parquet a été saisi. L’inspection du travail a donc parfaitement joué son rôle pour protéger la santé physique et morale des salariés. Début 2013, la directrice régionale adjointe de la DIRECCTE a rappelé l’entreprise à ses obligations.

J’en viens aux changements importants apportés par la loi sur la sécurisation de l’emploi (LSE) du 14 juin 2013, transcrivant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier, signé par les organisations syndicales majoritaires et l’ensemble des organisations patronales.

La LSE institue un nouveau cadre pour anticiper les difficultés, en discutant le plus tôt possible les orientations stratégiques et leurs conséquences. Elle prévoit une nouvelle consultation sur la stratégie, instaure une base de données économiques et sociales unique, renforce les liens avec la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) et ceux de la GPEC avec le plan de formation. Désormais, les représentants des salariés disposeront de projections sur trois ans des données figurant dans la base de données unique. Ces innovations constituent un levier puissant pour renouveler, dans la durée, le dialogue social au sein des entreprises.

La LSE a profondément transformé le cadre légal dans lequel se déroulent les procédures de licenciement collectif. Désormais, il n’existe plus que deux voies : un accord collectif majoritaire entre direction et organisations syndicales, ou une homologation par l’administration du document unilatéral de l’entreprise. C’est donc soit le contrôle des organisations syndicales soit celui de l’Administration, qui s’exercera. D’autre part, il ne sera plus nécessaire d’attendre l’issue d’une longue action judiciaire pour faire reconnaître la nullité de la procédure ou l’insuffisance du PSE. Si celui-ci ne correspond pas aux moyens du groupe ou si la procédure est entachée d’irrégularités, la DIRECCTE refusera de l’homologuer et les licenciements ne seront pas prononcés. La contestation de la décision d’homologation, par la direction ou par les salariés, sera jugée dans des délais courts, fixés par la loi.

Par rapport à la législation antérieure, la LSE donne plus de temps à la procédure et plus de visibilité à tous les acteurs. Sauf accord entre les parties, la procédure ne durera pas plus de deux, trois ou quatre mois selon le nombre de licenciements envisagés. Pendant ce temps, les parties sont incitées à négocier ou du moins à dialoguer sans que le dialogue judiciaire se substitue au dialogue social. Les organisations syndicales et les salariés conservent le droit d’aller en justice à l’issue de cette période entièrement consacrée au dialogue entre direction et représentants des salariés. L’Administration est à la disposition des parties pour surmonter les blocages, éventuellement en usant de son nouveau pouvoir d’injonction, mais aussi pour les réunir autour de la table et formuler des observations avec l’autorité que lui confère la décision d’homologation. Cette décision peut être contestée devant la juridiction administrative, tandis que la juridiction judiciaire demeure compétente pour les mesures individuelles découlant du PSE et le motif économique du licenciement.

Quels résultats espérons-nous ? Un plus grand dialogue social pour surmonter les difficultés, une amélioration qualitative du PSE et le renchérissement du coût des licenciements non justifiés, que nous entendons décourager.

Les quatre premiers mois d’application de la LSE montrent des résultats positifs. Depuis le 1er juillet, 261 PSE ont été notifiés à l’administration, chiffre moins élevé qu’en 2012 tant en termes d’emplois menacés que de procédures lancées. Hors entreprises en redressement ou liquidation judiciaires, la négociation a été engagée dans presque trois quarts des cas. Le 30 septembre, 109 décisions avaient été rendues : 71 onze homologations, 22 validations d’accord majoritaire, dont un seul est partiel, et 16 refus. Même dans les cas de redressement ou de liquidation judiciaires, nous dépassons 23 % d’accords collectifs majoritaires. Dans les autres, on compte, pour une trentaine de décisions, une part égale d’accord majoritaire et de document unilatéral. En somme, même dans des processus difficiles, la négociation peut prospérer et l’Administration fait sérieusement son travail sans hésiter, si nécessaire, à refuser l’homologation, ce qui améliore la qualité des PSE.

La LSE aurait-elle permis d’obtenir un résultat différent dans le dossier Goodyear ? J’en ai la conviction. L’administration n’aurait pas eu moins d’exigences que les tribunaux, mais il eût été plus facile de réunir les parties et de trouver une solution. On aurait pu consacrer plus de temps à préparer la reconversion des salariés en les formant et en anticipant. Mais trêve de « juridique fiction ». Notre énergie doit s’employer à ramener rapidement vers l’emploi les salariés qui seront licenciés. C’est le sens de la lettre d’observation sur le PSE que Mme Pernette a adressée à Goodyear le 6 novembre et qui a permis d’ultimes avancées sur les mesures actives de reclassement.

Dans ce domaine, le succès repose sur une remobilisation rapide des salariés, comme nous l’avons constaté chez Kléber à Toul. Les mesures financées par Goodyear y contribueront. Si les licenciements étaient prononcés, tous – entreprises du bassin, organisations syndicales, collectivités territoriales et services de l’État – devraient apporter leur soutien aux salariés. Mes services veilleront en particulier à ce que Goodyear respecte ses engagements en termes d’accompagnement.

Mme Pascale Boistard, rapporteure. Lorsque vous êtes arrivé aux responsabilités, le conflit Goodyear durait déjà depuis six ans. Fallait-il que le ministère du Travail et celui de l’Industrie collaborent davantage pour éviter qu’il ne dégénère socialement et humainement ? Quels leviers permettraient de mieux traiter ce type de dossier ?

M. Michel Sapin. Nous avons apporté quelques réponses, mais la grande bataille est de savoir si l’activité peut être reprise, à quelles conditions et avec combien de salariés.

En ouvrant la séance, vous m’avez demandé, monsieur le président, s’il est possible de licencier tous les salariés de Goodyear et d’en réembaucher 333 dans les activités agricoles. L’article L. 1224-1 du code du travail dispose qu’en cas de poursuite ou de reprise de l’activité d’une entité économique autonome, le transfert des contrats de travail qui lui sont attachés est automatique. La jurisprudence étant abondante sur le sujet, je me garderai de me prononcer. Cela dit, si un projet permet de préserver plusieurs centaines d’emplois, il existe suffisamment de juristes talentueux en France pour trouver une solution.

Je ne peux pas en dire plus. Je n’ai pas à me prononcer sur des sujets qui font l’objet de procédures judiciaires.

M. le président Alain Gest. Les procédures ne portent pas sur ce point. Il y avait l’année dernière un projet de reprise avec 537 emplois, il y en a un cette année avec 333 personnes. Est-ce que juridiquement cette reprise peut s’inscrire dans le cadre du PSE en cours - et donc avant que l’entreprise ne décide de fermer définitivement l’usine ? Ou est-ce que nécessairement cette reprise interviendra après la fermeture ?

M. Michel Sapin. Tout dépend de la proposition, mais il y a un débat juridique sur ce point. En principe, le repreneur rachète l’activité en l’état et lance les procédures. C’est le point que contestent Titan et la direction de Goodyear, et que les organisations syndicales entendent faire respecter. Pardon de ne pas pouvoir être plus précis. Je dois éviter qu’on puisse utiliser mes propos pour préjuger de la décision du tribunal.

Pour le reste, la direction a manqué, dans le dialogue social, de capacité d’anticipation et de vision stratégique, ce qui a en partie bloqué le dialogue social. L’anticipation étant décisive, la LSE contient, outre les procédures de maintien de l’emploi ou de PSE, une obligation de négocier de manière anticipée avec les partenaires sociaux, en se demandant quels seront, pendant les trois prochaines années, les objectifs, les résultats, les capacités de développement ou d’investissement, et l’évolution des marchés. Au lieu d’attendre une catastrophe, qui pousse à prendre des décisions brutales, mieux vaut, à l’instar d’autres grands pays, dont l’Allemagne, anticiper les évolutions en termes d’emploi et de compétence.

Je comprends que, lorsque le dialogue et l’anticipation ne sont pas à la hauteur des enjeux, les organisations syndicales utilisent toutes les voies judiciaires. La stratégie a été efficace envers la direction de Goodyear, mais cette arme n’est pas la bonne. Mieux vaut utiliser la signature, c’est-à-dire la capacité à négocier un accord majoritaire sur le PSE.

Faute d’accord, c’est l’intérêt général que prendra en compte l’Administration, c’est-à-dire l’État, qui revient dans le jeu, non pour se substituer aux décisions de l’entreprise, mais pour permettre que les négociations se déroulent dans les meilleures conditions et vérifier que le PSE correspond aux moyens du groupe. On évitera les procédures longues, parfois perçues comme des victoires, mais qui retardent d’autant le moment des véritables décisions. Comment prétendre que les salariés ont gagné six ou neuf mois si, à la fin, ils n’y trouvent pas leur compte ?

C’est pourquoi, si nous maintenons la possibilité de recourir au juge, nous apportons de nouvelles garanties sur la qualité du PSE ou la proportionnalité des moyens mis en œuvre.

Mme la rapporteure. Toutes les organisations syndicales ont regretté l’insuffisance et l’inadaptation de la formation professionnelle, dont certains personnels n’ont pas profité, même si, dans ce domaine, la direction a respecté ses obligations légales. Comment améliorer ce secteur qui n’est pas sans conséquences sur l’employabilité des salariés ?

M. Michel Sapin. Toutes les grandes entreprises affichent un taux de formation supérieur à l’obligation légale, qui se limite à 0,9 % de la masse salariale. Goodyear atteignait presque 3 %, pour une moyenne nationale de 2,5 %, toutes entreprises confondues, certains groupes allant même jusqu’à 6 %.

Reste que ce n’est pas parce qu’on respecte l’obligation légale qu’on forme nécessairement les salariés qui en ont le plus besoin. En France, la formation représente un budget considérable – 26 milliards, soit une proportion du PIB comparable à celle qu’y consacrent les autres grands pays –, mais elle ne s’adresse pas aux femmes et aux moins qualifiés.

Comment orienter l’argent vers les publics prioritaires ? C’est l’enjeu du plan de formation, presque plus important que le seul fait de savoir si l’entreprise remplit ses obligations légales. Le personnel doit pouvoir s’assurer que la formation atteint le public qui en a le plus besoin. En effet, moins on est formé, plus on est exposé en cas de coup dur : une entreprise qui a beaucoup investi pour former ses salariés a tendance à vouloir les garder.

Ce secteur doit être rapidement réformé. Nous préparons un texte en ce sens, qui vous parviendra avant la fin de l’année.

M. Jean-Louis Bricout. Vous vous êtes demandé ce que serait devenue l’entreprise si la procédure avait été lancée dans le nouveau cadre législatif. Pensez-vous qu’il faille encore améliorer le texte ou qu’il est temps de s’en remettre à la sagesse des parties ?

L’État ne devrait-il pas lever certains freins juridiques aux reprises partielles, à commencer par le transfert automatique des contrats de travail vers le repreneur ?

M. Michel Sapin. Je me suis lancé à l’instant dans un exercice de fiction juridique, politique ou sociale, ce qui est toujours aléatoire. Ma seule certitude est qu’aux termes de la loi actuelle, l’issue de la procédure, quelle qu’elle soit, serait intervenue plus tôt, ce qui aurait permis, en l’espèce, de sauver plus de postes.

L’article L. 1224-1 s’applique dans tous les cas, sauf quand une entreprise est cédée dans le cadre d’un redressement judiciaire, et il est lié à une directive européenne. Je ne suis pas sûr qu’il faille modifier les textes. La question est de savoir s’ils s’appliquent au projet qui pourrait être formulé et que je ne connais pas de manière précise.

Mme la rapporteure. En 2012, 6 000 emplois ont disparu en Picardie, particulièrement dans le secteur industriel. Pourtant, la Somme est le département où le nombre de conseillers à Pôle emploi par demandeur d’emploi est le plus faible de France. Qu’en sera-t-il à l’avenir, particulièrement si 1 173 salariés se retrouvaient au chômage ?

M. Michel Sapin. Pôle emploi est issu de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, dont les effectifs ont diminué, alors même que le chômage augmentait fortement. Certains postes ont été tardivement compensés par des CDD, mais je ne suis pas certain qu’il soit judicieux, si l’on veut sécuriser les demandeurs d’emploi, d’être soi-même dans une situation précaire.

Le Premier ministre a créé 2 000 postes supplémentaires à Pôle emploi en 2012 comme en 2013. Il a donc mis en face des chômeurs 4 000 personnes de plus, soit près 10 % de l’effectif de Pôle emploi. J’ai souhaité que les nouveaux postes soient attribués aux zones en sous-effectif : 156 l’ont été à Pôle emploi Picardie, 46 au titre des postes créés en 2012 et 110 au titre de ceux créés en 2013. Le nombre des conseillers chargé du suivi et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi augmente ainsi de 30 % dans votre région, Le nombre moyen de demandeurs d’emploi par conseiller est passé de 150 à 126 d’août à novembre 2013 ce qui correspond à un niveau comparable à celui observé au niveau national.

La région comprend trois départements. Le nombre de demandeurs d’emploi par conseiller est ramené dans le même temps de 165 à 135 dans l’Aisne, de 144 à 121 dans l’Oise et de 145 à 123 dans la Somme.

Une réforme profonde de Pôle emploi a permis de distinguer la situation des demandeurs d’emploi. Pour certains, il suffit, après une première visite, d’un dispositif de contrôle et de conseil allégé. D’autres, qui cumulent des difficultés personnelles et sociales – par exemple des problèmes de formation ou de mobilité – doivent bénéficier d’un accompagnement renforcé.

Mme Isabelle Le Callennec. Merci d’avoir dressé un premier bilan de la LSE et d’avoir rappelé notre attachement commun au dialogue social plutôt que judiciaire.

Comment jugez-vous le rôle qu’a joué le syndicat majoritaire depuis 2006 ?

Dans notre pays où le taux de syndicalisation est très faible, les accords nationaux interprofessionnels s’appliquent à tous, une fois qu’ils sont signés par les partenaires sociaux. Le cas d’école que représente Goodyear vous encourage-t-il à favoriser le dialogue social ? Où en est le groupe de travail que vous venez de créer pour faire évoluer son financement ?

Les lettres d’observation relatives au PSE sont-elles adressées aux seuls responsables de l’entreprise ou tous les partenaires sociaux peuvent-ils en prendre connaissance ?

Enfin, si des moyens supplémentaires ont été donnés, dans la Somme, à Pôle emploi, le budget pour 2014 divise par deux les crédits des maisons de l’emploi, avant ajout d’une enveloppe de 10 millions. Comment ce montant sera-t-il géré ? Sera-t-il réparti entre les régions par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du Travail et, à l’intérieur de chaque région, par les préfets et la DIRECCTE ?

M. le président Alain Gest. Pour préciser la première question : comment expliquez-vous le revirement intervenu en 2012, quand vous êtes arrivé aux affaires ?

M. Michel Sapin. Ma réponse va vous décevoir. Le ministre du Travail n’a pas à porter de jugement sur l’action d’une organisation syndicale. Celle-ci est responsable devant ses adhérents, qui étaient majoritaires à Amiens-Nord. J’agis de même au niveau national. Certaines organisations ont signé l’ANI, d’autres pas, sans que leur attitude appelle le moindre jugement de ma part. J’écoute tous les arguments et, dès lors qu’un accord est majoritaire, j’essaie d’en être le garant, dans le respect des pouvoirs du Parlement.

Je suis persuadé qu’un bon dialogue social aboutirait à de meilleurs résultats, car il permettrait d’anticiper et de négocier les plans sociaux. Je ne nie pas qu’en France, le taux de syndicalisation soit faible. En revanche, le taux de participation aux élections professionnelles est loin d’être négligeable, preuve qu’on peut approuver l’action d’une organisation sans y adhérer. Mieux vaudrait, cependant, un taux de syndicalisation plus élevé, ce qui permettrait aux salariés de discuter de la ligne à adopter dans des réunions internes. Participer à la vie de l’organisation est plus constructif que se contenter de la déléguer pour qu’elle vous représente.

Je suis convaincu de l’importance de consolider le dialogue social, qui n’est pas dans nos gènes. Du côté syndical, la représentativité est désormais établie par une procédure que vous connaissez. Aux diverses élections, la participation est élevée, sauf dans les très petites entreprises, où l’on a voté pour la première fois et où, j’en suis certain, elle ne tardera pas à augmenter.

La représentativité, désormais assurée du côté syndical, doit être confortée du côté du patronal, où il est parfois difficile de savoir comment elle s’exerce. Il faut éclaircir ce point pour pouvoir négocier des accords, qui, une fois signés, s’appliqueront à tous. Je vous ferai des propositions à cet égard.

La représentativité doit aussi être financée, pour mettre fin aux soupçons qui sapent la légitimité du dialogue social.

Par la suite, peut-être parviendrons-nous à élever le taux de syndicalisation, entreprise par entreprise. Quand chacun aura compris qu’il existe une vraie possibilité de négocier et de signer ou non un accord – de mobilité ou de maintien, voire de suppression de l’emploi –, il comprendra l’intérêt de participer à la définition des orientations syndicales.

La procédure en cours chez Goodyear échappant à la nouvelle législation, le PSE, qui n’a pas été soumis pour homologation à l’Administration, peut être contestée devant un juge.

La lettre d’observation relative au PSE est envoyée à la direction de l’entreprise comme au secrétaire du comité d’entreprise.

Les maisons de l’emploi analysent des situations, créent des synergies entre les acteurs et effectuent la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences (GPEC) territoriales. Vous en connaissez une, madame la députée, qui fonctionne parfaitement : dans le contexte difficile que connaît la Bretagne, elle a permis des créations, qui ont au moins compensé la baisse de certaines activités. D’autres réussissent moins bien. Si le contexte budgétaire impose de revoir globalement leur capacité à la baisse, nous favorisons celles qui donnent satisfaction.

Le dialogue de gestion entre les DIRECCTE et l’administration centrale est en cours. Il se poursuivra dans chaque région entre la DIRECCTE et les maisons de l’emploi, afin de fixer le budget de chacune.

M. Bernard Lesterlin. La procédure commencée en 2007 tombera-t-elle un jour sous le coup de la LSE, qui s’applique à partir de juillet 2013 ? En d’autres termes, la nouvelle législation finira-t-elle par modifier la donne sur ce dossier ?

M. Michel Sapin. La LSE est applicable à tous les plans de maintien dans l’emploi ou PSE initiés à compter du 1er juillet 2013. Elle ne concerne donc pas les procédures engagées antérieurement, qui doivent aller jusqu’à leur terme. C’est d’ailleurs ce qu’avaient voulu les partenaires sociaux lors de la négociation.

Peut-être le juge considéra-t-il comme valable une proposition contestée par une des parties. Je ne peux pas en préjuger. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’autre solution que de laisser la procédure aller à son terme, en espérant que le projet de reprise parvienne à se concrétiser.

M. le président Alain Gest. Je vous remercie.

L’audition s’achève à dix-huit heures trente.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas

Réunion du mercredi 13 novembre 2013 à 17 h 15

Présents. – Mme Pascale Boistard, M. Jean-Louis Bricout, M. Alain Gest, Mme Isabelle Le Callennec, M. Bernard Lesterlin, Mme Barbara Pompili

Excusé. – M. Thierry Lazaro