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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 13 mars 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Philippe Darmayan, président, et Bernard Creton, délégué général, de la Fédération française de l’acier (FFA)

La séance est ouverte à onze heures.

M. le président Jean Grellier. Je vous prie de bien vouloir excuser le rapporteur de notre commission, M. Alain Bocquet, qui n’a pu nous rejoindre en raison des intempéries. Je m’efforcerai de relayer les questions qu’il avait l’intention de poser.

Nous accueillons aujourd’hui, M. Philippe Darmayan en sa qualité de président de la Fédération française de l’Acier (FFA), fonction qu’il occupe depuis 2007. J’avais pour ma part déjà rencontré M. Darmayan en octobre dernier dans le cadre de la préparation de l’avis de la commission des affaires économiques sur les crédits de l’industrie pour 2013. Il est accompagné par M. Bernard Creton, délégué général de la FFA.

L’organisation patronale de la sidérurgie a une longue histoire, du Comité des forges à la Chambre syndicale de la sidérurgie française, aujourd’hui disparue. Les phénomènes successifs de concentration ont eu pour effet de réduire le nombre des groupes sidérurgiques ayant des sites industriels en France et, par suite, les effectifs qu’ils emploient. Toutefois, la sidérurgie et les métiers qui lui sont liés restent une activité à fort impact économique, y compris dans la recherche et l’innovation industrielles. La FFA est membre du MEDEF, dont M. Darmayan préside par ailleurs le comité chargé des questions environnementales.

MM. Darmayan et Creton ont accompli leurs carrières dans l’univers de la sidérurgie et de la métallurgie. Après un début de carrière chez Framatome puis en tant que vice-président du groupe d’aluminium Péchiney, M. Darmayan a été membre du comité exécutif d’ArcelorMittal avant de rejoindre Aperam en qualité de directeur général. Ce groupe, qui est le deuxième producteur européen d’aciers inoxydables, possède des sites de production importants en France, à Gueugnon, en Saône-et-Loire, et à Isbergues, dans le Pas-de-Calais. Aperam est un groupe distinct d’ArcelorMittal ; il est coté en bourse mais la famille Mittal contrôle 40 % de son capital.

À cette occasion, je précise que le champ de notre réflexion dépasse évidemment le seul examen de la situation du groupe ArcelorMittal : il inclut tous les grands acteurs sidérurgiques mais aussi les industries de l’aluminium et du cuivre, conformément au souhait exprimé par l’Assemblée nationale lors de la discussion de la résolution visant à créer notre commission d’enquête.

J’informe également mes collègues que l’audition de M. Lakshmi Mittal a été fixée au mercredi 17 avril, comme l’intéressé vient de nous le confirmer par écrit. Il est important pour nous d’entendre le dirigeant du premier groupe sidérurgique en France et dans le monde. Sont par ailleurs prévues l’audition des représentants de l’Association française de l’aluminium le 20 mars et celle du groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France le 27 mars. Notre commission prévoit de se déplacer sur le site de production d’aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne, mais aussi en Lorraine, à Fos-sur-Mer et à Dunkerque.

Pour votre part, Monsieur Creton vous possédez une grande expérience de la normalisation et de la certification des produits sidérurgiques et métallurgiques. Vous présidez en outre un centre technique de promotion de l’utilisation des laitiers sidérurgiques. Vous pourrez donc nous parler de l’évolution des matériaux et des applications futures de l’acier.

Je vais vous donner la parole pour un exposé liminaire, puis les membres de la commission d’enquête vous interrogeront. Mais au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Darmayan et Creton prêtent successivement serment.

M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier. Permettez-moi de préciser, Monsieur le président, qu’Aperam possède également une usine de production d’alliages de nickel et de fer à Imphy, ainsi que des établissements à Pont-de-Roide et à Firminy.

Nous avons apporté à votre commission d’enquête une contribution écrite résumant les positions de la FFA et son analyse des grands enjeux auxquels la filière est confrontée.

L’acier en France emploie 55 000 personnes. Aux 27 000 sidérurgistes proprement dits, il faut étendre les emplois que représentent la transformation de l’acier pour fabriquer des barres à béton, des poutrelles, etc., et la distribution des produits. Les métiers sont très spécialisés, qu’il s’agisse de laminage, de production d’acier, de gestion des hauts-fourneaux, de transformation ou de fabrication pour des secteurs particuliers – automobile, construction… –, dans un contexte où les métiers de nos clients sont eux-mêmes en constante évolution.

À titre d’exemple, les nouvelles règles environnementales imposent que l’on produise des automobiles plus légères. L’acier doit être plus mince, mais tout aussi résistant pour répondre aux impératifs de sécurité.

L’industrie sidérurgique française, ce sont quinze groupes, pour la plupart internationaux, qui fabriquent tous les produits de l’acier à l’exception des poutrelles, dont la production est située de par l’histoire au Luxembourg : l’acier carbone, sous forme de produits plats et de produits longs, mais aussi les aciers spéciaux comme l’inox et les autres alliages, ou encore les tubes avec la société Vallourec, numéro un mondial du secteur.

De la longue tradition française de production d’acier, il reste donc des parties qui se situent parmi les plus spécialisées et les plus compétitives au monde.

Cette industrie nationale est intégrée dans le marché européen. La France produit 15 millions de tonnes d’acier par an et en consomme entre 13 et 15 millions de tonnes, mais 50 % de sa production est exportée et 50 % de sa consommation est importée. Il n’y a donc pas de sens à parler de la situation française si on ne la replace pas dans un contexte européen. Les frontières n’existent plus pour l’acier : la France est totalement intégrée dans l’Union.

Le processus remonte à la mise en place de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) dans les années 1950. Pour faire face aux crises, la CECA permettait de planifier « étatiquement » la réduction des capacités de manière à maintenir l’industrie de l’acier en vie. Ce mode de fonctionnement n’a plus cours dans le libre-échange actuel, mais il explique que l’industrie sidérurgique française soit devenue une industrie européenne.

Dans le marché européen, ArcelorMittal ne représente que 34 % de l’activité. Il est faux d’affirmer que ce groupe a le monopole de l’acier en France. Bien qu’étant le premier producteur français, il ne contrôle en rien le marché : c’est un producteur parmi d’autres.

L’acier irrigue l’économie réelle et est irrigué par elle. Ce serait une erreur de ne considérer que l’industrie automobile parmi ses débouchés. En effet, 34 % de l’acier est utilisé par le secteur de la construction, 18 % par l’industrie automobile, 14 % par la mécanique, 14 % par l’industrie de transformation du métal et 12 % par l’industrie des tubes qui elle-même alimente ensuite la construction, l’automobile et la mécanique.

Le segment automobile est important, notamment depuis l’époque où Usinor et Sacilor ont mis en place avec les constructeurs une stratégie pour alléger les véhicules grâce à des aciers de grande technicité, mais il n’est pas le seul à l’être. On ne peut produire 15 millions de tonnes d’acier avec ce marché pour unique perspective.

Les autres marchés sont dispersés et reposent sur des caractéristiques techniques beaucoup plus communément répandues dans le monde. Les produits sont alors appelés « commodités ». Les grands groupes sidérurgiques comme ArcelorMittal, Aperam ou Vallourec ne peuvent concentrer leur production sur des spécialités : il leur faut produire une gamme comprenant à la fois les commodités et les spécialités. Un haut-fourneau produit de l’acier en grande quantité. Si on limite la production à quelques spécialités, il devient impossible d’amortir les frais fixes.

Bref, si l’aspect technique des spécialités est important, il est impératif de faire aussi porter l’effort sur la compétitivité et le prix de revient puisque le marché européen, au niveau des prix, est lui-même intégré dans le marché mondial. Tant sous l’angle de la compétitivité que sous celui des prix, l’industrie de l’acier est une industrie de commodités. Lorsque les marchés s’effondrent, il faut, comme la CECA pouvait le faire, ajuster les capacités à la demande. Produire quand il n’y a pas de demande ne sert à rien, sinon à faire baisser les prix et à rendre les sociétés non rentables.

Or la conjoncture est mauvaise. Comme l’a très bien expliqué M. Pascal Faure devant votre commission, deux crises se sont succédé. Celle de 2008 entraîne une baisse de la demande de l’ordre de 40 %. Des mesures d’urgence ont été prises pour fermer des hauts-fourneaux et réduire la production. La crise de 2011 est intervenue après une légère remontée à 20 % en dessous de la production de 2007-2008. Le sentiment s’installe que la crise est de longue durée et que la surcapacité, au plan mondial, est de 20 à 25 %. Il faut donc prendre des mesures structurelles pour ajuster la capacité, ne pas mettre sur le marché des volumes inutiles et maintenir un certain niveau de prix.

Tous les groupes ont mené cette stratégie. Ils ont décidé de charger complètement les sites les plus compétitifs et d’arrêter les autres ou de les mettre sous cocon, le choix entre ces deux dernières solutions étant déterminé par la vision de long terme que la société peut avoir des possibilités de reprise.

Dans un marché de commodités, il faut être compétitif. L’entreprise ne pouvant garder les frais fixes que le prix du marché ne lui permet pas de payer, elle doit optimiser son dispositif industriel.

Dans le cas d’Aperam, nous avions deux lignes de laminage à froid à Isbergues. Celle qui est totalement automatique et capable de résister à la concurrence internationale a été maintenue, l’autre a été mise sous cocon. À Gueugnon, nous avons mis deux des six laminoirs sous cocon. L’industrie de l’acier ne peut maintenir des capacités alors qu’elle est dans l’obligation d’avoir un cash flow positif à la fin du mois pour financer l’entretien, les investissements, etc.

La crise est durable. Comme l’a dit le Président de la République, une des clés de sa résolution est le retour à la croissance. On n’en est pas là. Tant que la construction et l’automobile, qui représentent respectivement 34 et 18 % de nos marchés, ne repartent pas, nous sommes obligés de nous adapter à la situation. Il serait irresponsable de ne pas le faire.

De plus, la conjoncture des groupes sidérurgiques est affectée par un transfert des marges : depuis 2010, les industries minières ont augmenté les prix des matières premières tandis que le prix de l’acier stagnait ou baissait, d’où un squeeze qui a affecté les marges.

Dans ce contexte, aucune stratégie n’est a priori la bonne. Certains de nos adhérents mènent une stratégie d’intégration, d’autres tentent de faire jouer la concurrence pour enrayer la hausse des matières premières. Au Brésil, Vallourec et Aperam exploitent du charbon de bois pour fabriquer leur acier. ArcelorMittal, quant à lui, a décidé de s’intégrer partiellement afin de produire la moitié des matières premières nécessaires à sa production. La stratégie de POSCO à l’international n’est pas différente, qu’il s’agisse du nickel ou du minerai de fer.

De 1970 à 2008, la production française d’acier demeure relativement stable malgré la baisse très importante des effectifs. Ces efforts constants pour réduire les coûts et améliorer la productivité ont permis à notre industrie de rester à un haut niveau.

Toutes ces évolutions, j’y insiste, correspondent à des stratégies de long terme. Dans le contexte d’organisation planifiée de l’après-guerre, de grands ingénieurs du corps des Mines ont défini la sidérurgie que nous connaissons aujourd’hui : création d’une sidérurgie en bord de mer à mesure que nos mines s’épuisaient, ou encore la spécialisation des sites historiques du centre de la France (Le Creusot, Gueugnon, Imphy) et de Lorraine dans des produits à haute valeur ajoutée.

M. Francis Mer a retracé devant votre commission l’histoire de ces fusions et de ces rationalisations qui ont permis de réduire les frais fixes et de maintenir l’essentiel.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation analogue. La conjoncture est mauvaise, je l’ai dit, et la surcapacité mondiale est importante non seulement parce que le marché a baissé mais aussi parce que la production chinoise a augmenté. Alors que l’Europe produit annuellement 169 millions de tonnes d’acier, la Chine en produit environ
720 millions. Dans ce pays à l’économie planifiée, la production augmente chaque année de l’équivalent de celle d’ArcelorMittal. La demande continue de croître, certes, mais à un moindre rythme.

Les décisions de restructuration, de mise sous cocon ou d’arrêt sont donc indispensables. Nous devons les prendre avec le plus de pertinence possible.

L’industrie sidérurgique française et européenne souffre d’abord de coûts élevés.

M. Faure a estimé qu’il serait préférable d’avoir, comme ThyssenKrupp, tous nos œufs dans un même panier. Le regroupement sur un même site serait idéal pour réduire les frais fixes. Il est cependant impossible pour des raisons historiques. Nous ne voulons pas perdre les compétences dont nous disposons dans chacun de nos sites, d’autant que ce serait socialement inacceptable. Du reste, il n’est pas certains que les frais fixes ne connaissent pas une croissance exponentielle dès lors que l’on dépasse une certaine taille.

Nos installations sont dispersées, elles sont aussi plus âgées que celles des Asiatiques. Les usines que leur livrent des entreprises européennes comme Siemens VAI sont à l’état de l’art.

L’enjeu est donc, tout à la fois, de mener des restructurations pour réduire la dispersion tout en respectant les compétences locales, et d’investir pour moderniser nos équipements en sélectionnant les usines que nous voulons garder et en concentrant sur elles nos efforts pour assurer leur compétitivité.

Si l’usine de Dunkerque n’est pas forcément, comme on vous l’a dit, la plus compétitive d’Europe, elle figure du moins, avec celle de Gand, dans les tout premiers rangs. C’est un atout pour la France. Je me demande à cet égard si l’on ne s’est pas trompé de bataille. Je l’ai dit à M. Faure et je vous le répète : l’enjeu majeur, c’est le maintien des sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer.

Les coûts de production tiennent aussi à des prix de l’énergie élevés, à une législation du travail rigide et à l’effet négatif du taux de change euro-dollar.

Bref, dans le secteur de l’acier comme dans le reste de l’industrie, il existe un problème de compétitivité. Notre fédération a participé aux débats qui ont conduit le Gouvernement à retenir la compétitivité comme un élément essentiel du maintien de l’industrie en France. C’est particulièrement vrai pour l’acier, qui est une industrie lourde et où les coûts sont particulièrement importants.

Par ailleurs, nous évoluons dans un environnement européen ouvert sur le monde sans réciprocité. De façon un peu masochiste, l’Europe est le champion du libre-échange face à une multitude de systèmes protectionnistes où aides d’État, avantages fiscaux et pratiques commerciales inéquitables se cumulent. Dans les discussions qui se tiennent au sein de l’Organisation mondiale du commerce, notamment, nous devons apprendre à nous défendre. Les États-Unis y parviennent mieux que nous et le ministre Montebourg a raison d’y insister : non seulement l’Europe doit défendre les consommateurs, mais elle doit aussi savoir définir et défendre ses champions industriels.

Enfin, l’Union européenne dispose de peu de matières premières. Nous resterons dépendants des importations et cette vulnérabilité doit nous amener à soutenir les sites de bord de mer et à maintenir une stratégie d’approvisionnement pour les métaux nécessaires à la production des aciers de spécialité, tels le magnésium, le manganèse, le cobalt, etc. À titre d’exemple, les taxes à l’exportation que la Chine applique sur le chrome permettent à ses industriels de l’inox de bénéficier de prix moins élevés que les nôtres.

J’en viens aux réponses qu’il convient d’apporter à ces enjeux.

Au niveau européen, le commissaire Antonio Tajani a lancé conjointement avec l’association Eurofer un travail global sur la structure de l’industrie de l’acier. Des mesures concrètes seront proposées en juin prochain. L’heure n’est plus à une gestion commune autoritaire des surcapacités comme le faisait la CECA : il revient désormais à chaque entreprise de prendre les engagements locaux qui s’imposent. En revanche, le système de taxation des émissions de CO2 doit prendre en compte les difficultés de croissance, de prix, de compétitivité et de marges des entreprises sidérurgiques. Alors que les climaticiens veulent que les émissions de CO2 issues de la production d’acier baissent encore de 50 %, nous estimons que notre potentiel est de seulement 10 %. Il est important que ce débat soit mené à son terme.

Pour ce qui est des prix de l’énergie, les politiques sont très différentes en Allemagne, en Italie, en Belgique et en France. L’Allemagne privilégie l’industrie et fait payer le consommateur particulier. La France, dont le système productif est compétitif, a fait un choix plus égalitaire. Il conviendrait d’harmoniser cette situation d’inégalité entre industries sidérurgiques au sein de l’Union européenne.

Même chose pour ce qui est des dispositions afférentes aux échanges commerciaux. La France et l’Europe doivent combattre l’entrée de la Chine dans le libre-échange tant que ce pays n’aura pas adopté les pratiques de l’économie libérale. Sinon, nous n’arriverons jamais à résister à l’attaque chinoise.

Au niveau français, le soutien apporté par M. Montebourg à l’initiative du Commissaire Tajani est très positif. Plusieurs axes méritent réflexion.

D’abord, toute mesure de soutien à la croissance nous sera favorable, s’agissant en particulier de la construction et de l’automobile.

De même, les actions visant à contrecarrer un euro trop fort servent l’industrie de la mécanique, donc la sidérurgie.

S’agissant des mesures destinées à soutenir la compétitivité française, la FFA participe aux prises de positions du MEDEF et du groupe des fédérations industrielles (GFI). En tant qu’industrie lourde, nous devons faire face à des contraintes spécifiques liées, premièrement, au prix et à l’efficacité du fret ferroviaire – nous suivons donc avec beaucoup d’attention les efforts de restructuration de la SNCF et l’ouverture du marché du fret –, deuxièmement, au prix de l’énergie et à la nécessité de définir une tarification spécifique pour les électro-intensifs, afin que notre activité de long terme bénéficie des investissements qui assurent le devenir de nos sites.

Je pense aussi qu’il ne faut pas refuser les restructurations mais les gérer avec compréhension et sans anathème. De notre part, cela suppose des efforts d’explication et de transparence ; de la part des politiques, cela suppose un effort de compréhension des enjeux généraux.

Nous aurions intérêt, par exemple, à mener un travail commun sur la gestion prévisionnelle des emplois. Notre secteur est en effet bien particulier tant par les compétences qu’il exige que par sa pyramide des âges, assez déséquilibrée par les plans sociaux successifs. Je me suis entretenu de ce sujet avec le ministère du redressement productif dans le cadre de la conférence nationale de l’industrie. La question n’est pas de refuser les restructurations mais de les gérer de façon prévisionnelle, avec toutes les implications que cela peut avoir sur les dispositifs de formation propres à nos métiers et sur les moyens d’en renforcer l’attractivité auprès des jeunes.

Il serait également opportun de réfléchir à un engagement de bonnes pratiques en matière d’évolution des réglementations environnementales. Nous aimerions avoir le soutien français lorsque nous nous battons au sein de l’Europe pour que l’on fasse preuve d’un peu plus de raison et que l’on intègre les contraintes du secteur sidérurgique dans la lutte contre le changement climatique, notamment dans le traitement des quatre dossiers clés pour 2014.

Enfin, nous devons favoriser ensemble la recherche et développement, qu’elle concerne les marchés ou qu’elle concerne l’environnement. C’est un axe de long terme particulièrement important.

Bernard Creton, délégué général de la Fédération française de l’acier. Comme président du centre technique et de promotion des laitiers sidérurgiques et comme délégué général de la FFA, j’attire aussi l’attention de votre commission sur le rôle essentiel de notre secteur dans ce qu’il est convenu d’appeler l’« économie circulaire » : le secteur, en particulier la filière électrique, qui représente 40 % de la production d’acier brut en France contre 60 % pour la filière fonte, recycle chaque année près de 9 millions de tonnes de ferraille. L’acier, vous le savez, est recyclable à l’infini, et nous le recyclons effectivement dans nos usines.

Notre secteur gère également les coproduits qu’il élabore. Nous valorisons ainsi les laitiers sidérurgiques issus des hauts-fourneaux ou des aciéries électriques sous forme de granulés moulus additionnés aux ciments ou comme matériau de construction des routes.

Bref, la préoccupation environnementale est très présente dans notre secteur.

M. le président Jean Grellier. J’en viens aux questions de notre rapporteur.

Dans le cadre du plan européen consacré à l’acier, comment envisagez-vous la transposition du droit communautaire ? Je précise que notre commission d’enquête entendra le commissaire Tajani à ce sujet.

Quelles réorientations l’Association mondiale de l’acier peut-elle en mesure de définir, en dépit de la vive concurrence qui oppose les pays producteurs ? Peut-on espérer qu’elle apporte plus de cohérence dans les normes économiques et environnementales ?

Où en est la recherche dans les principaux groupes français et européens ? Permettra-t-elle un développement durable du secteur de l’acier ?

Quel est le poids économique des négociants en acier, dont l’union syndicale est affiliée à votre fédération ? Souffrent-ils autant que les producteurs en période de crise de la demande ? Gagne-t-on mieux sa vie dans le négoce que dans la fabrication ? Quels sont les grands opérateurs du domaine ?

En matière sociale, dans quelles proportions la filière recourt-elle au chômage partiel ? Comment maîtrise-t-elle les baisses d’activité ?

Permettez-moi d’ajouter une question. Au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), l’acier a une position transversale : il touche au ferroviaire, à l’automobile, etc. Dès lors, quelle place la sidérurgie peut-elle prendre dans les filières stratégiques ?

M. Philippe Darmayan. La France participe à l’élaboration des directives, puis elle les transpose. Elle peut prendre des positions « en pointe » dans chacune de ces phases. C’est ce que j’appelle le syndrome de la Révolution française. Sous le précédent gouvernement, le ministre Borloo a tiré argument de la baisse des émissions de CO2 consécutive au ralentissement de l’activité pour proposer un durcissement des contraintes. Compte tenu du poids de la France au sein de l’Union européenne, ces positions de pointe ont une forte influence !

Tout en gardant un objectif clair de baisse des émissions de CO2, je pense qu’il faut adapter le timing de la réglementation à la réalité de la crise que nous traversons.

Bernard Creton. De même, il n’y aura sans doute pas de compensation pour les industriels électro-intensifs en France alors qu’il en existe une en Allemagne. On peut regretter ce désavantage concurrentiel entre partenaires européens.

M. Philippe Darmayan. En matière de lutte contre le changement climatique, la France est plus en pointe que la moyenne européenne. Cela fait partie des sujets qui se posent à l’industrie de l’acier.

Prenons le projet ULCOS (ultra-low carbon dioxide steelmaking), initiative stratégique de long terme lancée par Guy Dollé en 2004-2005 pour réduire de 50 % les émissions de CO2. L’industrie européenne tout entière s’est fédérée pour trouver des solutions. Sur les quatre-vingts projets examinés, on en est maintenant à trois ou quatre, dont celui que l’on voulait expérimenter à Florange. Mais aucun ne peut être qualifié de no regret move, c’est-à-dire de changement ne détériorant pas la compétitivité : quel que soit le projet retenu, celle-ci se trouvera dégradée de façon importante. Par exemple, l’injection de CO2 dans le sol coûte 100 euros par tonne alors que le prix de l’acier est à 500 euros. Si nous adoptons ce procédé uniquement en France, sans être suivis au plan mondial, nous mourrons. Non qu’il faille abandonner cette perspective : il convient au contraire de poursuivre les recherches pour en faire un no regret move, soit que les techniques pour réduire les émissions de 50 % permettent de rester compétitif, soit qu’un consensus mondial s’établisse autour de tels engagements.

ArcelorMittal s’est engagé à poursuivre la recherche jusqu’à l’horizon 2016. C’est une bonne chose, mais n’allons pas plus vite que la musique : il faut tenir compte de la crise que connaît le système productif.

Le commissaire Tajani comprend la nécessité de marier la défense du consommateur et la promotion de champions industriels. Cette écoute est importante, reste à savoir si elle aboutira à des décisions concrètes. Étant donné la répartition des compétences, nous devons travailler également avec le commissaire à l’action pour le climat. Nous comptons sur l’appui du ministre pour arriver à des mesures concrètes.

L’Association mondiale de l’acier peut jouer un rôle dans l’élaboration d’un consensus sur la réduction des émissions de CO2 par l’industrie sidérurgique. Deux méthodes sont possibles : soit on impose de façon autoritaire un certain pourcentage de réduction, soit on se fonde sur le benchmark pour définir les meilleures pratiques mondiales. À l’évidence, l’Association mondiale de l’acier est à même de mener cette seconde politique.

La recherche dans notre domaine est plus européenne et mondiale que française. Mais les centres de recherche situés en France jouent un grand rôle dans les groupes internationaux, qu’il s’agisse de ceux d’ArcelorMittal à Maizières-lès-Metz et à Montataire, de celui d’Aperam à Isbergues, de celui de Vallourec ou, pour l’aluminium, de celui de Voreppe. Les capacités intellectuelles y sont considérables et ils ont beaucoup de réalisations à leur actif. Le centre de Montataire, par exemple, a permis toutes les avancées en matière d’automobile, en liaison avec celui de Maizières-lès-Metz.

La France dispose en outre d’universités et d’universitaires de très grand talent. La matière existe. On ne peut que la développer, tant sous l’aspect des marchés que sous celui du développement durable.

En matière de négoce, les principaux acteurs sont ArcelorMittal et Klöckner, suivis par un grand nombre de plus petites structures. Les prix étant à la baisse, les négociants souffrent également. On assiste à de nombreuses restructurations et fermetures dans ce secteur qui, d’une certaine manière, réalise ainsi sa modernisation. La répartition des sites correspondait à un réseau routier rudimentaire. Après les progrès considérables effectués dans ce domaine, il est clair que le rayon d’action d’un marchand de fer s’étend. ArcelorMittal dispose de sites importants à Reims, à Yutz et à Saint-Nazaire, Klöckner à Paris. Les restructurations en cours permettent un rayonnement plus large. Dans ce business model, les usines livrent les grands clients, notamment ceux de l’automobile, tandis que le négoce approvisionne les marchés plus diffus, notamment celui de la construction. Le marché de la mécanique est dans l’entre-deux : les grands mécaniciens comme les fabricants de remorques de camions peuvent être livrés en direct, mais si un producteur n’a pas la capacité de couper l’acier, il s’adresse au négoce.

Je ne peux apporter de réponse globale à votre question sur le chômage partiel. Chaque entreprise est dans une situation particulière. En règle générale, les politiques d’emploi dans le secteur sont marquées par une très grande prudence. Nous nous efforçons d’avoir une flexibilité nous permettant de faire face à des baisses de charge de 10 à 15 %. La structure de la pyramide des âges et le recours à l’intérim permettent d’éviter le chômage partiel en dehors des crises. Il y a eu des périodes importantes de chômage en 2008. Aujourd’hui, il n’existe pas de préoccupation majeure en la matière, ce qui permet aux groupes qui restructurent de reclasser l’ensemble des personnels.

Pour ce qui est du CNI, ce n’est trahir aucun secret que d’affirmer que le ministre souhaite y créer une filière incluant la sidérurgie, l’aluminium, le ciment et le verre. Nous soutenons cette idée à laquelle le cabinet travaille.

Bernard Creton. Ce treizième comité stratégique de filière sera intitulé « industries extractives et de première transformation ».

M. Michel Liebgott. La sidérurgie du futur passe-t-elle par ULCOS ? Votre réponse à cette question est double : oui, parce qu’il faut avoir cette préoccupation ; non, parce que cela coûterait très cher – environ 20 % du coût de la tonne, chiffre que j’entends d’ailleurs pour la première fois.

Les projets d’Eisenhüttenstadt et de Florange ne sont qu’expérimentaux. On n’en est pas à la phase industrielle et, de moins point de vue, on ne saurait les remettre en cause. Il y a sans doute des producteurs, en Chine et ailleurs, qui émettent encore quatre tonnes de CO2 pour une tonne d’acier alors que les Français sont plus performants. C’est un débat mondial auquel nous devons prendre part.

J’ajoute qu’ULCOS réunit quarante-huit partenaires et non pas deux ou trois grands groupes seulement.

La mise sous cocon des hauts-fourneaux en Lorraine a-t-elle du sens sans le projet ULCOS ? J’ai cru comprendre que le Président de la République envisageait la poursuite du projet. Quoi qu’il en soit, cela peut se faire ailleurs qu’à Florange et beaucoup le savent.

Alors que les prix baissent, le repreneur de Florange se disait à même, après remise à neuf des hauts-fourneaux, de proposer des prix inférieurs au marché, laissant entendre que les prix sont encore trop élevés. Je rappelle que le montage se faisait avec Duferco et non pas avec Severstal, même si ce dernier pouvait y participer.

En matière d’aciers électriques, la CGT suggère le lancement d’un projet à Gandrange et la région Lorraine y est favorable. La sidérurgie n’a pas disparu de la ville, puisque le laminoir à couronnes et barres (LCB) fonctionne toujours très bien. L’aciérie électrique vous paraît-elle être une voie d’avenir ?

Comme vous l’avez dit, l’industrie de l’acier est cyclique et doit conjuguer production en masse et production de niche. Alors qu’Arcelor voulait abandonner la production de rails, nous avons montré en Lorraine qu’il était possible d’investir intelligemment – et ce grâce à Tata Steel – pour conserver des emplois et une activité qui paraissait condamnée.

Vous avez insisté sur les sites de Fos-sur-Mer et de Dunkerque. Certes, la sidérurgie continentale souffre de quelques handicaps mais les constructeurs automobiles qui achètent nos produits, notamment les constructeurs allemands, ne sont pas très éloignés de la Lorraine. Vous le voyez, nous avons aussi des atouts !

M. Hervé Gaymard. La production des aciers spéciaux est moins importante, en tonnage, que celle des aciers plats et des aciers longs. Comment voyez-vous l’avenir de ce secteur en France ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ma circonscription est également concernée par les aciers spéciaux. Vous avez évoqué à plusieurs reprises les sites spécialisés, en les comparant peu ou prou avec les grands sites de bord de mer. Comment voyez-vous leur avenir et quels sont leurs atouts ?

Au fil de ces années difficiles, on a pris conscience des savoir-faire et des compétences existants, ainsi que de la renommée de ces sites. Néanmoins, l’évolution du marché mondial pourrait faire surgir de nouvelles difficultés. Qu’en pensez-vous ?

Les grands projets d’infrastructures que vous avez évoqués sont très importants pour les territoires éloignés. Comment avancent les discussions sur ces sujets ? Fait-on bien le lien entre les enjeux ? On le sait, il est impossible de maintenir une industrie de haut niveau sans la mise en œuvre, en parallèle, de projets d’organisation du territoire.

Très complète, votre présentation de la situation ne laisse pas d’inquiéter. Les choses évoluent très vite. Malgré les efforts constants réalisés dans ce secteur, nous sommes confrontés à des concurrences difficiles. Quels éléments pourraient nous rassurer sur l’avenir des entreprises implantées en France ?

Mme Édith Gueugneau. Étant l’élue d’une circonscription de Saône-et-Loire proche de Gueugnon, je souhaite vous interroger sur la stratégie des industriels concernant les installations âgées et coûteuses. Des programmes de rénovation sont-ils envisagés ?

Par ailleurs, quel est votre engagement en matière de formation des professionnels ? C’est une des conditions de l’innovation et de la compétitivité de nos entreprises. Les contrats de génération, que nous avons votés récemment, visent à donner de l’avenir à notre jeunesse sur notre territoire. Quel regard portez-vous sur cette mesure ?

M. Philippe Darmayan. L’initiative ULCOS a été prise à temps. Elle est formidable et l’objectif de baisser les émissions de CO2 est partagé par l’industrie. L’engagement d’ArcelorMittal de poursuivre le projet malgré l’échec de la première phase est un point important.

Mais une inquiétude s’est fait jour : depuis quelques années, on a donné à ce projet global et mondial un horizon d’attente local très fort qui ne correspond pas à son timing. Pour autant, il faut continuer. Certains des quatre-vingts projets sont futuristes, mais nous finirons par trouver une solution.

Une des méthodes envisagées actuellement, la séparation du gaz sortant du haut-fourneau pour réinjecter du potentiel carbone calorifique, est enthousiasmante. Il reste des problèmes techniques à régler mais je ne suis pas inquiet à ce sujet.

Quant à l’injection du CO2 dans le sous-sol, c’est un sujet national. Aucune grande étude n’a été lancée, dans le cadre de la « gouvernance à cinq » du Grenelle de l’environnement, pour déterminer si cette technique pouvait être acceptée. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Nous savons que le procédé est faisable même si des problèmes techniques et environnementaux se posent encore – à cet égard, l’engagement de trois ans d’ArcelorMittal pour y travailler me paraît bien proportionné. Mais il ne faudrait pas qu’une attente sociale de très court terme interfère avec ces questions techniques. Nous devons garder raison pour ce qui est du planning.

Bernard Creton. Un tel projet ne pourrait entrer dans sa phase d’industrialisation que dans les années 2030, monsieur Liebgott. Ce n’est pas demain !

M. Philippe Darmayan. Concernant Florange, M. Mittal s’exprimera devant vous.

Concernant les annonces de Duferco dont j’apprends aujourd’hui que c’était l’acheteur potentiel, il est facile, lorsque l’on achète un haut-fourneau pour rien, sans avoir à apporter de capital et sans devoir amortir quoi que ce soit, de faire des prix ! Duferco, qui par ailleurs a arrêté ses installations de Charleroi, peut en effet profiter d’une aubaine. Je rappelle néanmoins la problématique : la capacité de production est confrontée aux besoins du marché et, en l’occurrence, c’est le marché qui commande. La question, ce n’est pas celle de Florange ou de Liège : c’est celle de la réduction de la capacité. L’idée d’ArcelorMittal était d’exploiter jusqu’à saturation les installations ouvertes et de fermer ou de mettre sous cocon les autres. Il s’en est suivi une analyse assez longue des unités présentes en Europe, en fonction des histogrammes de coût, etc. Des fermetures sont intervenues en Pologne et dans d’autres pays. Nous n’avons rien contre Florange. Le fait est que la production européenne est trop importante et qu’il faut la limiter. Il ne sert à rien de donner les installations à un concurrent qui, n’ayant rien à amortir, s’empressera de casser les prix et de pénaliser l’ensemble du marché. Un marché de commodité n’est pas un marché de spécialité : une baisse de prix y produit un impact sur la totalité du marché.

À mon avis, c’est cela qui n’a jamais été vraiment compris en France s’agissant de la fermeture de Florange. Il ne s’agit pas d’une décision dirigée contre ce site ou d’une négation de ses qualités, mais de la constatation qu’il y a trop de capacités de production et de la volonté de saturer les sites ouverts plutôt que de répartir la misère. La décision stratégique a été difficile à prendre.

Du reste, la question remonte au temps de M. Dollé, qui avait programmé la fermeture des sites de Liège et de Florange. À son arrivée, M. Mittal a bien entendu exploité les installations qu’il avait reprises ; puis la crise est survenue. Il s’agit d’un enchaînement, il ne faut y voir aucun projet machiavélique. Nous sommes dans une économie donnée et nous devons nous y adapter car il y va de la santé de nos entreprises.

Bernard Creton. C’est en effet la situation du marché qui explique Gandrange. Le marché actuel est relativement déprimé et n’a pas besoin de capacités de production. Même en l’absence de la phase à chaud de Florange, la capacité de production en France – 17,5 millions de tonnes – dépasse les besoins du marché, qui se situent entre 13 et 15 millions de tonnes. Monter une aciérie électrique à Gandrange n’a pas de sens industriel.

M. Philippe Darmayan. J’en viens aux marchés de niche. S’il subsiste des installations de finition à Florange, dans le Massif central ou à Nantes, c’est que ces sites sont de taille plus réduite. Il est possible de les spécialiser en amortissant les frais fixes sur des volumes moindres. Nous parvenons à rendre compétitifs par exemple Imphy, qui emploient environ 700 personnes, de par les compétences présentes. La phase à froid de Florange a une vocation dans le domaine de l’automobile notamment, de même que Liège a une vocation en matière d’acier galvanisé. Les capacités des lignes de laminage à froid sont moindres que celles des hauts-fourneaux, qui doivent produire 4 à 5 millions de tonnes pour être compétitives contre 700 000 à 1 million de tonnes pour un four électrique. Une installation de laminage à froid tournera également autour de 700 000 ou 1 million de tonnes. Ces volumes peuvent même être réduits si l’on monte en gamme dans les alliages.

Il est par ailleurs indispensable de renouveler les installations âgées afin que chaque site soit à l’optimum des capacités voulues par le marché. Nous avons ainsi remplacé les deux lignes de traitement du métal dont nous disposions à Gueugnon, d’une capacité de 100 000 tonnes chacune, par une ligne unique produisant 300 000 tonnes.

Pour ce qui est des aciers spéciaux, Aperam produit 500 000 à 600 000 tonnes d’inox et 40 000 tonnes d’alliage nickel, Ascométal, présent à Dunkerque et à Fos-sur-Mer produit 850 000 tonnes d’acier allié ou non allié, tandis qu’Eramet, via sa filiale Aubert & Duval, produit 90 000 tonnes et 200 000 tonnes sur le site d’Ugine, dans les Alpes.

La rentabilité de ces sites est variable et dépend des marchés. Les activités liées à l’aéronautique, au pétrole et au gaz sont aujourd’hui très rentables et permettent des investissements. Nous avons installé à Imphy une batterie de fours et nous prévoyons des développements sur ce site l’année prochaine. Ugitec est également profitable, et Aubert & Duval a réalisé des investissements importants dans sa capacité de production d’alliages.

Ces activités relèvent moins des commodités, donc elles sont moins dépendantes de la crise économique générale, mais elles sont très liées aux deux marchés que j’ai mentionnés.

Bernard Creton. A contrario, Ascométal souffre en raison de ses débouchés, l’automobile et la mécanique. Sa production a largement baissé en 2012.

M. Philippe Darmayan. Aperam souffre aussi. Les problèmes de l’acier carbone se retrouvent dans l’acier inoxydable, avec une croissance de la production chinoise disproportionnée par rapport aux besoins. Le marché continue de croître mais il est nécessaire de résorber les capacités au plan mondial. Cette résorption se fait par des fusions telles que celle entre ThyssenKrupp et le groupe finlandais Outokumpu, qui s’est engagé à réduire la capacité des usines allemandes. Aperam estime que c’est favorable à l’attractivité de l’industrie. Pour le moment, notre société a le meilleur résultat parmi ses concurrents mais elle continue de perdre de l’argent en résultat net.

En conséquence, je crains de ne pouvoir rassurer les élus au sujet de la sidérurgie. Notre activité n’est que le reflet du marché. Nous pensons que seule la compétitivité garantit la durabilité et la pérennité de nos industries. Toute notre action vise à rechercher des baisses de coûts et à adopter les meilleures pratiques. Dans le contexte déprimé que nous connaissons, nos investissements sont essentiellement tournés vers la baisse des coûts.

En matière de politique sociale, nous nous efforçons d’anticiper ces réductions de coût dont l’ordre de grandeur est de 5 à 7 % par an. Notre objectif est de suivre la meilleure stratégie de valeur possible en maximisant les spécialités et en minimisant les commodités, sachant qu’il nous faut de toute façon produire des commodités de manière compétitive. Dans le cas d’Aperam, nous en sommes à 35 % de spécialité et à 65 % de commodités. ArcelorMittal, qui a la chance d’avoir le marché automobile, va peut-être un peu au-delà.

Mais la stratégie globale est la même : réduire les coûts pour être compétitif, placer le point mort aussi bas que possible de façon à rester sur le marché sans perdre d’argent, mener une gestion sociale prévisionnelle et prudente, permettant de valoriser au mieux les contrats que nous passons avec nos employés. D’aucuns la jugeront prudente. C’est pourtant la base pour une industrie lourde qui n’a que peu de moyens d’action sur l’économie générale qui irrigue ses métiers.

En matière d’infrastructures, le fret SNCF continue de poser question. Pour le reste, le réseau français est performant pour peu que l’on achève certaines liaisons routières. Le coût d’un embranchement fret vers Gueugnon se révèle trop élevé tant pour la collectivité que pour l’entreprise, mais nous avons reçu un soutien important du Gouvernement lorsque celui-ci a autorisé les poids lourds de 40 tonnes entre Digoin et Gueugnon. D’une manière générale, l’écoute des pouvoirs publics est bonne.

M. Philippe Baumel. Je suis pour ma part député du Creusot.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises la distorsion entre les systèmes allemand et français du prix de l’énergie. Que faire pour la corriger ?

Comme vous l’avez dit, la CECA a permis de planifier sur environ trente ans la montée en puissance de l’acier en Europe. Ne serait-il pas possible aujourd’hui, à la faveur de la crise, de mettre autour de la table au moins quelques pays européens pour envisager une forme de planification ? Il est du devoir des entreprises, selon vous, de prendre en charge les difficultés liées à la surproduction, mais pourront-elles le faire jusqu’au bout sans une vision globale ?

M. Philippe Darmayan. Des discussions sont en cours avec le Gouvernement et Mme Batho au sujet des prix acquittés par les électro-intensifs. À n’en pas douter, le débat sur la transition énergétique mettra en exergue la différence de stratégie entre la France et l’Allemagne. J’espère que nous parviendrons à une solution qui ne mette pas notre pays en position défavorable. L’écoute du Gouvernement, me semble-t-il, est très forte.

L’Allemagne a décidé d’abandonner le nucléaire au profit des énergies fossiles et renouvelables. Le coût de son énergie s’élevant à 80 euros par mégawattheure contre 40 euros en France, elle a mis en place un dispositif permettant à son industrie de ne pas être désavantagée. En France, j’ignore quel scénario de transition énergétique on retiendra, mais je souhaite qu’il se fonde sur les différentes réalités industrielles et techniques. Nous devons asseoir notre activité sur la production réelle et non sur les seules systèmes de tarification.

Pour ce qui est de l’action européenne, il faut poser la question au commissaire Tajani. Dans le contexte de libre-échange qui prévaut aujourd’hui, j’imagine mal que l’Union européenne puisse légiférer sur le sujet. Elle peut, certes, réunir tous les industriels autour de la table, mais il est évident que seuls les plus gros pourront baisser leurs capacités.

M. le président Jean Grellier. Merci pour la précision de vos réponses.

La séance est levée à midi trente.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 13 mars 2013 à 11 heures

Présents. - M. Philippe Baumel, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, Mme Edith Gueugneau, M. Denis Jacquat, M. Michel Lefait, M. Christophe Léonard, M. Michel Liebgott, M. Alain Marty, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Alain Bocquet, Mme Jeanine Dubié, M. Christian Hutin