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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 12 juin 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Dominique Caboret et M. Philippe Morvannou (cabinet Syndex) et de MM. Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais (cabinet Secafi Alfa )

La séance est ouverte à 11 heures.

M. Jean Grellier, président. Nous recevons aujourd’hui, Mme Dominique Caboret et M. Philippe Morvannou du cabinet Syndex et MM. Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais du Cabinet Secafi Alfa

C’est à dessein que nous avons tenu à les auditionner ensemble, dans le cadre d’une même audition. Car les syndicalistes que la commission d’enquête a rencontrés se référent souvent et indistinctement aux travaux de vos consultants. En premier lieu, vous voudrez bien nous rappeler à quelles occasions vos expertises ont été conduites sur les sujets qui intéressent notre commission. Est-ce au titre du droit d’alerte économique des comités d’entreprise prévu par le code du travail ou sur d’autres fondements juridiques ?

Au cours de la Table ronde que nous avons organisée à l’Assemblée nationale, le 29 mai, des responsables syndicaux ont illustré certains de leurs propos sur la situation d’ArcelorMittal en s’appuyant notamment sur vos analyses. Mais il apparaît que des travaux récents de vos cabinets ont aussi porté sur des activités métallurgiques qui relèvent également du champ d’étude de la commission.

Ainsi, nous nous souvenons que le cabinet Syndex a été plusieurs fois cité, devant la commission d’enquête, au sujet de son appréciation concernant la stratégie du groupe italien KME à l’égard de sa fonderie de cuivre de Givet qui a dépendu longtemps de l’ex-entreprise française Tréfimétaux. Nous aimerions aussi savoir si vous avez travaillé récemment sur d’autres filières, comme celle de l’aluminium, et notamment sur les sites français de Rio Tinto, sans oublier les problématiques du recyclage des activités d’aval.

Vos constatations et conclusions nous intéressent au plus haut point. Le devenir de sites industriels importants est en jeu. Je pense à Florange, à Fos-sur-Mer, à Dunkerque, à Saint-Jean-de Maurienne, des sites que nous avons visités, mais aussi au sort d’Ascométal dont nous avons rencontré la direction et les syndicats de son site de Fos, ou encore de Constellium, deux entreprises qui ont en commun d’avoir aujourd’hui pour actionnaire principal un fonds d’investissement américain Apollo Global Management.

Enfin, je n’oublie pas les conséquences de l’Accord conclu entre l’État et Lakshmi Mittal le 30 novembre 2012. Nous avons rencontré la semaine passée en Lorraine, le préfet Marzorati qui préside le comité de suivi de cet Accord.

Plus nous avançons, plus nous nous nous posons de questions. Par exemple, les décisions qui impactent le site de Basse Indre sont-elle économiquement viables ou même simplement réalistes ? Le projet Lis qui succède à Ulcos est-il porteur de potentialités et peut-on concevoir des conséquences positives pour la Lorraine alors que la filière liquide est, de l’avis de beaucoup, définitivement arrêtée à Florange même si ses deux hauts fourneaux placés « sous cocon » ne doivent pas être détruits avant six ans ?

Autre interrogation, les sites de Dunkerque et de Gand sont-ils complémentaires ? La sidérurgie belge, en se référant notamment ses entités liégeoises qui ont subies des arbitrages récents, a-t-elle un avenir ? Le cabinet Syndex a, semble-t-il, été mandaté pour analyser la question.

Plus largement, que pensez-vous de la situation économique et financière du groupe dirigé par M. Mittal, notamment des investissements qu’il a privilégiés dans les mines ? Cela a-t-il un sens ? Est-ce vraiment créateur de valeur ou est-ce une sorte de fuite en avant s’agissant d’un groupe lourdement endetté dont la dette est d’ailleurs classée en catégorie BB– ? Dans cette salle, il y a une semaine, des experts et non pas des syndicalistes, nous ont dit que l’hypothèse d’une situation de cessation de paiement d’ArcelorMittal n’était pas à exclure ?

Voilà ce que j’ai pensé utile de vous faire part en préalable. Vous voudrez bien excuser notre rapporteur, Alain Bocquet, retenu au Conseil constitutionnel, ainsi que d’autres collègues que des travaux en cours dans les commissions empêchent donc en ce moment d’être présents à cette audition mais certains nous rejoindront dès que possible. Madame, Messieurs, nous allons vous entendre, dans un premier temps, au long de vos exposés liminaires d’une vingtaine de minutes au maximum. Puis nous vous poserons ensuite des questions complémentaires.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité.

Mme Dominique Caboret, MM. Philippe Morvannou, Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais prêtent serment.

M. Gwenaël Le Dily, consultant du cabinet Secafi Alfa. Les missions que nous effectuons dans le secteur de la sidérurgie sont de deux types. En premier lieu, il y a les missions que l’on peut appeler « classiques » qui consistent à examiner les comptes d’une entreprise et d’en dégager leurs incidences économiques et sociales. Il existe aussi des missions plus ponctuelles que nous réalisons dans le cadre du droit d’alerte des comités d’entreprise comme cela est le cas lorsqu’une restructuration est en cours, à l’exemple de notre intervention s’agissant de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine qui impacte des sites comme Florange ou encore celui de Basse Indre. Notre cabinet est également impliqué dans d’autres missions concernant des groupes comme Ascométal ou encore Rio Tinto et aussi des filières (aciers plats, inox etc.). Notre champ d’intervention se trouve toutefois circonscrit aux activités comprises sur le territoire national en vertu des limites du droit social français.

Pour introduire plus spécifiquement le sujet qui retient l’attention de votre commission, je vous invite à prendre connaissance de la note sectorielle actualisée que nous vous avons transmise. Il convient, d’abord, de rappeler que la crise qui affecte le secteur date du courant de l’année 2008. Depuis on ne perçoit, du moins s’agissant de l’Europe, qu’un faible potentiel de redémarrage par rapport à une période de pointe de l’activité qui ne peut toutefois servir de référence absolue car « on ne grimpe pas les Himalaya tous les jours ! ». Les années 2007-2008 ne constituent donc pas un bon repère. Autre rappel, la Chine compte à présent pour près de la moitié de la production mondiale et, chaque année, sont créées dans ce pays de nouvelles capacités équivalentes à ce que produit ArcelorMittal ! On relève néanmoins des signaux positifs de reprise en Amérique du nord et en considérant quelques petits signes concernant l’Europe, le point bas ou point d’inflexion n’est sans doute pas loin, d’autant que les stocks y sont désormais faibles. Un redémarrage est possible voire proche. La question est posée au regard de la mise à l’arrêt d’une partie des activités de nombreux acteurs de la sidérurgie européenne qui ont privilégié un cycle se caractérisant par la convergence de modèles de réduction de l’offre. Cette voie qui devait, selon eux, éviter de trop lourdes conséquences sur les prix et un écrasement de leurs marges, n’a pas totalement réussi si on considère les résultats des principaux groupes. Il existe même à terme un réel risque de dépendance pour l’Europe et cela est encore plus vrai pour la France qui a très sensiblement engagé une « réduction de voilure ». Quoi qu’il en soit, le secteur reste exportateur net en volume et plus encore en valeur malgré le niveau de l’euro par rapport au dollar. Il y a certains effets de balance entre les marchés spécifiques du haut de gamme et les produits moins nobles. La sidérurgie française compte environ 50 000 emplois et même 80 000 en englobant les sous-traitants. Toutefois, il faut se garder d’un raisonnement qui ne privilégierait que les seuls marchés du haut de gamme car il faut absolument maintenir un équilibre entre précisément ce qui relève de ce haut de gamme, mais aussi du moyen de gamme et enfin ce qui est généralement regroupé sous le nom de commodités. Un tel équilibre demeure essentiel pour le bon fonctionnement d’une activité aussi capitalistique. À défaut, les prix de revient ne seraient plus supportables.

La réduction du volume de production en Europe a conduit à une hausse des importations. La Chine augmente fortement sa production, production qui reste d’ailleurs en hausse dans le monde entier dans le domaine de l’acier alors que le coût du minerai augmente. Dans ces conditions, les marges demeurent faibles car le poids des matières premières sur les prix est prépondérant.

Il s’agit d’un secteur à investissements longs, d’où l’importance de la R&D. Ainsi, les produits USIBOR d’ArcelorMittal gagnent aujourd’hui de l’argent mais il faut savoir que leurs premiers développements remontent au début des années quatre-vingt-dix. Cela donne la mesure de la durée du cycle. Il faut donc rester vigilant et ne pas baisser la garde dans le domaine de la R&D. L’investissement industriel doit porter sur l’outil, certes, mais encore sur les hommes. À Florange, un quart des emplois sont concernés par des départs en retraite et la pyramide des âges tend à s’inverser.

M. Philippe Morvannou (cabinet Syndex). Nous exerçons notre expertise auprès des CE et des CHSCT, depuis 2007 auprès du comité d’entreprise européen d’ArcelorMittal mais aussi, auprès du comité de l’acier et du comité du dialogue social sectoriel.

À ce stade, il faut remettre en perspective l’histoire de la sidérurgie depuis 2004. L’année 2004 me semble être en effet un bon point de départ pour l’analyse. La période 2004-2008 a été celle d’une croissance soutenue tant en volume qu’en tonnage et en prix. 2004 a vu l’arrivée de la Chine sur le marché, aujourd’hui, ce pays produit la moitié de l’acier mondial. Ce qui change la donne, c’est le prix des matières premières, ceux-ci ne baisseront plus à l’avenir. Ils représentent désormais jusqu’à 80 % du prix de revient contre 30 % avant 2004. De son côté, au cours de la même période, le coût de la main d’œuvre est tombé à 10 voire 15 % au maximum des prix de revient des produits.

La sidérurgie européenne est en voie de déclassement si rien ne change dans un monde ouvert aux échanges. La balance commerciale de l’acier européen est positive mais artificielle, dès qu’il y a une reprise, le prix des produits plats baisse et celui des produits longs augmente. Cette constante est due à ce que nous vendons beaucoup de produits longs au Maghreb qui construit beaucoup alors, que l’Europe sera à terme déficitaire pour les produits plats et les aciers spéciaux.

Tous les pays européens connaissent une baisse de leur production : - 19 % pour la France ; - 31 % pour la Belgique ; - 38 % pour la République tchèque. On pourrait même dire que notre pays ne s’en tire pas trop mal ! En ce qui concerne l’équilibre entre l’offre et la demande, nous ne partageons pas le discours partout entendu au sujet d’une surcapacité ; bien au contraire, depuis 2007, 40 millions de tonnes ont été fermées. Si le caractère temporaire de certaines fermetures, à la différence d’un site comme celui de Florange que nous classons « fermé » pour sa filière liquide, se confirme, il manquera encore 20 tonnes. Devant ce phénomène, les pays sont inégalement touchés, certains ont gagné en productivité pendant la crise ; ces gains leur permettent de rester performant.

Le pincement entre les matières premières et les produits touche tous les secteurs y compris l’acier électrique. Au titre d’exemple, le site de Bilbao, a divisé par deux ses capacités et continue de s’adapter. La crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas celle du début des années 1990. Pour apporter une réponse, il faut gagner en efficience énergétique comme en efficience « matière ». La sidérurgie européenne est efficace mais des progrès restent à faire dans ces deux domaines qui permettraient de résorber la question de la compétitivité de 20 %. Plus on utilise de matière, plus on consomme de l’énergie pour la fondre.

C’est ce qui était attendu en termes économiques du projet Ulcos. Si la technologie envisagée pour Florange fonctionne comme résultat d’un consensus sur le travail de plusieurs chercheurs sur plusieurs années, avec un financement provenant à 50 % de la sidérurgie, le projet pourra se développer dans ses trois étapes. Si le recyclage des gaz de hauts fourneaux est mis en œuvre, alors 40 % d’économie seront réalisés. Pour ce qui concerne l’enfouissement du CO2, il faut traiter cette question à part du reste du projet.

Dans le même cadre, et au sujet de Saint-Jean-de-Maurienne, il faut comparer les performances allemandes et françaises dans l’aluminium, je vous laisse apprécier de quel côté se trouve la performance énergétique ! La question ne relève pas uniquement de la technique, il faut associer les travailleurs. En Allemagne, le patronat travaille notamment avec le syndicat de la chimie. La France a longtemps bénéficié d’une énergie à bon marché sans songer à l’avenir. Aussi, si la perspective est qu’un groupe allemand rachète Saint-Jean-de-Maurienne, c’est que celui-ci a su combiner l’économie d’énergie avec l’économie « matière ».

Nous ne pouvons pas nous prononcer sur la situation financière d’ArceloMittal pour des raisons de confidentialité.

M. Jean Grellier. Passons aux questions de nos collègues.

M. Michel Liebgott. Quelques commentaires concernant ArcelorMittal.

Sur Ulcos, je me félicite de votre position, parce que nous avons toujours considéré qu’il n’y avait pas que le stockage. La question est désormais de savoir si le procédé Lis se fera à Florange, à Dunkerque... ou ailleurs. Il s’agit d’une décision à la fois politique et qui appartient aussi au groupe ArcelorMittal.

La distinction entre produits longs et produits plats est importante en ce qui concerne la surcapacité. Il peut y avoir des « niches » qui fonctionnent bien quand on est dans l’excellence.

Les surcapacités restent néanmoins un vrai problème. C’était le cas pour la reprise de Florange. Par rapport à ce qui se passait à l’époque de la CECA, il est difficile aujourd’hui d’intervenir financièrement ; on est plutôt dans le domaine des recommandations aux industriels, de la part de la Commission de Bruxelles, que dans l’action directe. L’intervention dans les secteurs de l’automobile et du bâtiment pourrait toutefois booster la production sidérurgique. Et il n’existe pas de structure de concertation des syndicats, des producteurs, des utilisateurs, etc., au moins dans le cadre européen. Une volonté politique européenne semble dorénavant exister, mais elle sera difficile à mettre en œuvre. En tout cas, nous ne sommes qu’au début d’un processus car il faudra bien passer, à un moment donné, des déclarations aux actions concrètes. Prix des matières premières, prix de l’énergie, concurrence de la Chine : qu’en est-il des conditions d’élaboration d’un « mini-protectionnisme » ?

M. Hervé Gaymard. Le prix de l’énergie est un sujet majeur pour l’industrie française et européenne. Il faut une vision de synthèse car des sujets apparemment adjacents sont centraux et doivent être considérés de manière globale.

S’agissant des affaires Rio Tinto Alcan (RTA), et notamment de l’aluminium à Saint-Jean-de-Maurienne, j’ai rencontré, avec le ministre du redressement productif, les dirigeants de l’entreprise allemande Trimet il y a quelques semaines. Le fondateur de cette entreprise est parti du négoce, puis est venu à la production en rachetant des « canards boiteux » (en Allemagne, à Düsseldorf, à Gelsenkirchen, par exemple). 50 % de sa production est désormais constituée par du métal primaire et 50 % par du recyclage, cette seconde moitié lui assurant des marges importantes. Il privilégie aussi la recherche fondamentale, assez peu de manière autonome et mais grâce à des partenariats de travail avec les universités (une habitude allemande plus que française…) – et plus encore avec ses clients, pour lesquels il élabore des produits adaptés à toutes leurs demandes, les clients contribuant par conséquent assez largement au financement de sa recherche en amont.

Une question importante et même assez inquiétante est celle de l’approvisionnement en alumine. Il faut vraiment une approche « filière », et pas seulement « production »; d’autres usines de RTA donnent à cet égard de sérieux signes d’inquiétude sur leur pérennité de leur implantation en France.

M. Michel Liebgott. Mon collègue Gérard Terrier qui a dû nous quitter en cours d’audition, m’a demandé de vous interroger sur la problématique de la reprise du site d’Ascométal en Lorraine par le fonds américain d’investissement Apollo, car l’absence de plan d’investissement est très inquiétante pour les salariés.

M. Jean Grellier. Pourriez-vous encore être plus précis sur les enjeux de l’efficience « matière » et quels sont les leviers sur lesquels on pourrait agir sur l’efficience énergétique ?

Il y a également une crainte, exprimée par les partenaires sociaux, notamment au centre de Maizières-lès-Metz, d’une baisse des moyens en matière de recherche. À Saint-Jean-de-Maurienne, les négociations ne sont-elles pas déconnectées du centre de recherche ?

La France a perdu de sa souveraineté en matière capitalistique. Quels sont aujourd’hui les axes sur lesquelles la puissance publique pourrait impulser des systèmes relationnels nouveaux avec ses données capitalistiques Le FSI avec des participations souvent aux alentours des 10 % seulement peut-il influencer de façon déterminante les stratégies ?

À cet égard, quelle stratégie peut être mise en œuvre sur le site de Basse Indre ?

M. Gwenaël Le Dily. Sur la question du packaging, le projet tel qu’il est proposé a un certain sens. Il répond à certaines contraintes mais il s’inscrit effectivement dans le cadre de l’accord passé entre ArcelorMittal et le gouvernement. Ce projet, complexe, présente cependant des risques. Il existe des plans B ; nous en avons d’ailleurs nous-mêmes proposé un dans le cadre de notre mission.

L’aspect efficience énergétique est un des points majeurs, car elle permet de minimiser un facteur rare, le coût des matières premières. Cela renvoie à toute une chaîne industrielle et à une filière complexe, pour laquelle il faut raisonner à long terme à 10 à 15 ans ! C’est pourquoi on voit mal ce que viennent faire des fonds spéculatifs ou d’investissement comme Apollo dans ces métiers-là, dès lors qu’ils jouent sur des périodes bien plus courtes sur l’endettement pour acquérir une entreprise puis sur des effets de levier.

ArcelorMittal n’est sans doute pas au bord du dépôt de bilan, un système ayant été mis à en place notamment au moyen d’augmentations de capital qui le met à l’abri sur le court terme. Mais ce groupe fait tout de même face à des difficultés. Ses contraintes de trésorerie l’obligent à sélectionner de manière drastique tous ses investissements, ce qui met en péril certains sites à moyen terme, la crise durant depuis quatre ans déjà. Le groupe cherche à maintenir son unité et l’on verra s’il est capable de le faire. Mais, avant de disparaître, il peut se disperser en plusieurs morceaux valorisables les uns les autres. Le scénario d’un dépôt de bilan « sec » me semble lui tout à fait exagéré.

Il faut raisonner à une échelle européenne, les flux intracommunautaires d’acier et au-delà des frontières étant importants. Une difficulté actuellement est le prix trop bas du carbone, ce qui n’incite pas à des fonctionnements très vertueux. Travailler sur l’efficacité énergétique est à cet égard indispensable, une différence de dix euros pouvant faire la différence dans la concurrence internationale – ce qui vaut aussi bien pour les produits dits du haut de gamme que pour les autres.

Les marchés de commodités sont soumis à la concurrence des pays à bas prix, tels que la Chine ou la Russie ; travailler sur l’efficacité énergétique suppose de réfléchir à la transposition d’une évaluation vertueuse afin de rééquilibrer la donne à l’entrée de l’Union européenne, en taxant les produits qui ne respectent pas les mêmes normes que nous et peuvent de ce fait être 10 à 20 € moins chers, ce qui a un réel impact dans les marges de distribution.

M. Philippe Morvannou. Pour répondre à votre question sur le caractère hautement capitalistique de la sidérurgie, notre étude sur le bassin de Liège a démontré que les groupes reposant sur un modèle financiarisé se portaient plutôt mal, alors que les groupes avec des capitaux à parties prenantes s’en sortaient mieux, comme le montrait leur EBITDA (1) de 2007 à 2011. En effet, il est clair que les groupes dont une partie du capital appartient aux pouvoirs publics, et où est instaurée une gouvernance à participation syndicale, maintiennent leur niveau d’investissement .Ils ne font pas de plans sociaux et enregistrent des gains de part de marché. Au contraire, comme l’indiquent des chiffres connus de tous car publiés par les entreprises, on constate qu’ArcelorMittal ou Tata Steel perdent des parts de marché, licencient, ferment des usines et voient leurs résultats se dégrader. Le modèle des capitaux à parties prenantes permet de mieux prendre en compte le moyen et le long terme, il se révèle donc supérieur, d’autant qu’aucun de ces groupes ne bénéficie d’intégration minière, sauf Voestalpine mais pour une petite part. ArcelorMittal a réalisé, en revanche, cette intégration, ce qui est compréhensible car cela lui donne un avantage compétitif ; la question reste de savoir ensuite qui en profite, l’actionnaire ou l’industrie.

Quant à la possibilité des pouvoirs publics d’influencer les décisions, on peut comparer Constellium et Ascométal : ils appartiennent l’un et l’autre au fonds d’investissement Apollo, Global Management mais Constellium peut s’appuyer sur le Fonds stratégique d’investissement, le FSI, contrairement à Ascométal. Les pouvoirs publics peuvent avoir une influence – État, région, ou même d’autres types d’acteurs publics comme ils existent dans d’autres pays – en pratiquant la gestion concertée des investissements et des savoir-faire.

Pour l’aluminium, quand on aura séparé à Saint-Jean-de-Maurienne la recherche-développement de l’usine dont la production phare est le fil, l’unité deviendra déficitaire en innovation. Il en est de même pour le centre d’ArcelorMittal à Maizières, où il n’est pas possible de conserver la R&D dans la filière « amont », alors que Florange n’y existe plus.

Il est indispensable d’établir un lien entre les pouvoirs publics, la R&D et le dialogue social.

Le débat sur l’efficience est important. Eurofer estime qu’elle est maximale et qu’on peut seulement réduire encore de 0,5 % la consommation d’énergie et de 2,8 % les émissions de CO2, ce qui est tout à fait ridicule : on constate entre les unités en Europe des rapports de 1 à 2, et plus encore si l’on prend en compte l’Europe de l’Est. Selon qu’un site est, ou non, à proximité d’une centrale électrique, l’efficacité n’est pas du tout la même. D’ailleurs, des documents préconisent un programme de recyclage des gaz des hauts fourneaux sur les sites qui n’ont pas de centrales électriques à proximité. Le débat est d’autant plus réel que les sidérurgistes représentent la seule profession qui ait refusé la coopération avec la Commission européenne pour déterminer le niveau souhaitable d’émission de CO2. Les chiffres d’Eurofer et ceux de la Commission diffèrent. Ce problème de l’efficacité est au cœur du débat : si l’on estime que des efforts s’imposent, il faut investir. Ce différend a des raisons financières. En mai 2012, les sidérurgistes ont fait admettre par la Commission que la répercussion des coûts de CO2 dans le prix de l’électricité puisse faire l’objet d’un effacement (c’est-à-dire d’une subvention) de la part des pouvoirs publics : les États européens peuvent subventionner les producteurs à hauteur de l’impact du CO2 sur le prix de l’électricité qui leur est vendu. Or quel pays a actuellement les moyens de subventionner ses industries sidérurgiques, excepté l’Allemagne et éventuellement l’Autriche ? La Commission a commandé une étude sur le « fitness check » afin de déterminer l’impact du coût de l’environnement sur les prix de l’acier : la conclusion en est qu’il n’est pas significatif ; des interrogations se sont élevées sur la qualité de ce travail. Quant au plan du Commissaire Tajani, on voit bien qu’il essaie de « passer entre les gouttes »: il rencontre un soutien limité au sein même la Commission et n’a d’ailleurs pas celui d’Eurofer.

Nous proposons ce que nous appelons un ajustement aux frontières européennes depuis 2007, et non pas d’une taxation, un terme que nous n’employons pas volontairement. Il s’agit d’un dispositif conforme aux règles fondamentales de l’OMC : on exige des importateurs l’application des mêmes règles que celles imposées aux producteurs nationaux pour tout ce qui concerne l’environnement. Ce système devrait être appliqué à toutes les importations de commodités. Aujourd’hui, une norme est fixée par la Commission européenne : par exemple, si le producteur produit 10 % de plus de CO2 que la norme, il dispose de 10 % de permis d’émission ; soit il va les acheter sur le marché, soit on les lui alloue gratuitement. S’il les achète sur le marché, le producteur russe ou chinois devrait en faire autant : il s’agit de l’équité de traitement prônée par l’OMC, dont tiendrait compte aussi bien le producteur européen que le producteur chinois et ce serait validé par l’OMC.

La recherche de l’efficience des ressources est réalisée dans l’entreprise, et se généralise à l’ensemble de l’industrie.

M. Jean Grellier. Madame, Messieurs, je vous remercie de vos interventions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 12 juin 2013 à 11 heures

Présents. – M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, Mme Edith Gueugneau, M. Denis Jacquat, M. Michel Liebgott, M. Gérard Terrier

Excusés. – M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Éric Straumann

1 () EBITDA (earnings before interest, tax, depreciation and amortization) : résultat opérationnel du groupe.