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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 22 avril 2015

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 78

Présidence
de M. Gilles Carrez,
Président

–  Programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 et programme national de réforme : examen d’un rapport d’information (Mme Valérie Rabault, rapporteure générale) et audition de MM. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique, et Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget

–  Présences en réunion

La Commission examine le rapport d’information sur le programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 et le programme national de réforme (Mme Valérie Rabault, rapporteure générale) et entend MM. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique, et Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget.

M. le président Gilles Carrez. Je vous souhaite la bienvenue, messieurs les ministres. Nous allons traiter du programme de stabilité pour les années 2015 à 2018, ainsi que du programme national de réforme, qui intéresse plus particulièrement M. Macron. La semaine dernière, nous avons auditionné M. Didier Migaud, qui a exposé l’avis du Haut Conseil des finances publiques relatif aux prévisions macroéconomiques. Puis vous nous avez fait, messieurs Sapin et Eckert, une première présentation du programme de stabilité.

Ainsi que chacun a pu le constater, ce programme est très complexe et d’une lecture aride. D’autre part, pour des raisons qui lui appartiennent, le Gouvernement n’organisera pas cette année de débat en séance publique sur ce programme. Il n’en a certes pas l’obligation, mais telle était pourtant la tradition depuis 2011 – et l’on sait l’importance des traditions dans notre pays. Il nous est donc apparu indispensable de réunir une nouvelle fois la Commission à ce sujet, en s’appuyant sur une étude approfondie réalisée par notre rapporteure générale, que je remercie. Ce travail est d’autant plus utile qu’il n’y aura pas non plus de collectif budgétaire de milieu d’année, ainsi que vous l’avez annoncé, monsieur Sapin. Il est très important que nous sachions exactement où nous en sommes dans l’exécution de la loi de finances pour 2015, ainsi que dans les prévisions pour cette même année, lesquelles ont été modifiées par une série de décisions : des exigences supplémentaires formulées par Bruxelles, l’annonce d’une baisse d’impôt et la nécessité de financer des dépenses nouvelles – le plan de lutte contre le terrorisme en particulier.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Il me revient de présenter, sur la base des documents qui nous ont été remis la semaine dernière, une analyse du programme de stabilité pour les années 2015 à 2018. Je tiens à remercier vivement les administratrices et administrateurs du secrétariat de la commission des Finances pour leur travail ainsi que les cabinets des ministres, qui nous ont communiqué toutes les informations que nous avons demandées.

M. Philippe Vigier et M. Olivier Carré. Pour une fois !

Mme la rapporteure générale. Je n’ai pas dit cela… J’ai simplement indiqué que nous avions obtenu les éléments demandés, ce qui est très appréciable pour tous les membres de notre commission.

Je vais présenter une version synthétique du programme de stabilité, afin d’en dégager l’esprit général et les grandes lignes.


Pour construire ce programme de stabilité, vous avez retenu, messieurs les ministres, des hypothèses prudentes, notamment en ce qui concerne la croissance et l’inflation, ainsi que le président du Haut Conseil des finances publiques l’a relevé. Le tableau ci-dessus montre par ailleurs que ce cadrage est en ligne avec les données produites par les différents organismes, qu’il s’agisse de l’Organisation de coopération et de développement économiques, du Fonds monétaire international ou de la Commission européenne. Le Haut Conseil a lui-même souligné l’absence de divergences concernant ces chiffres, ce qui n’était pas nécessairement le cas dans le passé.

Si l’on s’intéresse à l’écart qui a pu exister chaque année, depuis 2008, entre la prévision de déficit public pour l’année suivante et le déficit constaté en exécution, on remarque sur le graphique ci-dessus que cet écart a tendance à se réduire à partir de 2012 et plus encore ces deux dernières années, ce qui montre que les prévisions sont désormais plus réalistes et plus sincères. Cet effort mérite d’être souligné, tant en termes de pilotage des finances publiques que de transparence à l’égard de la représentation nationale.


Concernant le programme de stabilité, le Conseil de l’Union européenne a fixé deux objectifs à la France : l’un porte sur le déficit nominal, l’autre concerne l’effort structurel à réaliser chaque année. Les réponses apportées par le Gouvernement à ces deux demandes n’étant pas les mêmes, je les évoquerai séparément.

L’objectif de déficit public prévu dans le programme de stabilité – 3,8 % du PIB en 2015 ; 3,3 % en 2016 ; 2,7 % en 2017 – est en ligne avec ce que demande la Commission européenne. Pour y parvenir, nous devons réaliser des économies à hauteur de 21 milliards d’euros en 2015, de 15 milliards en 2016 et de 14 milliards en 2017. Du fait de la faiblesse de l’inflation, une part de ces économies va « disparaître » : 4 milliards d’euros en 2015 et 5 milliards en 2016, le chiffre n’étant pas encore précisé pour 2017. De plus, nous avons un certain nombre de dépenses supplémentaires à financer, notamment les surcoûts liés aux nouvelles mesures de sécurité prises depuis janvier dernier. Au début du mois de mars, notre commission s’est prononcée sur un décret d’avance de 300 millions d’euros, complété par l’annonce d’un « surgel » et de différents mouvements de crédits, ce qui permet de couvrir ces dépenses supplémentaires en majeure partie – seul le financement du plan d’investissement très récemment annoncé n’ayant pas été encore explicité. Au total, pour atteindre l’objectif de déficit nominal, nous devons réaliser une économie supplémentaire de 4,4 milliards d’euros en 2015.

Par conséquent, dans le programme de stabilité – dont l’objet est de fixer les grands objectifs, le détail des mesures étant plutôt renvoyé aux lois de finances –, vous proposez, messieurs les ministres, de nouvelles mesures pour 2015 : 700 millions d’euros d’économies supplémentaires sur les dépenses de l’État via un décret d’annulation que vous nous transmettrez d’ici le mois de juin et dont le contenu précis n’est pas encore connu ; 500 millions d’euros d’économies sur les dépenses des opérateurs de l’État et 1 milliard sur celles des administrations de sécurité sociale. Au sein de notre groupe, les gels des allocations ne sont pas considérés, de manière générale, comme étant la méthode la plus efficace de réaliser des économies, notamment du point de vue social. Mes collègues vous interrogeront probablement sur la nature des réductions de dépenses que vous envisagez.

Par ailleurs, du fait de la faiblesse des taux d’intérêt, l’État paiera 1,2 milliard d’euros de moins en 2015 pour le service de la dette de long terme, ce que l’on peut assimiler à une économie structurelle, même si ce point fera sans doute débat. Enfin, vous envisagez des recettes complémentaires : 400 millions d’euros via la lutte contre la fraude fiscale et 200 millions de dividendes additionnels reçus par l’État.

Les mesures que vous proposez pour l’année prochaine seront présentées dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

Une question se pose concernant la baisse de l’inflation : celle-ci annule un certain nombre de réductions des dépenses, mais a-t-elle aussi un impact négatif sur les recettes ? Selon le rapport public annuel de 2015 de la Cour des comptes, l’inflation a des effets de trois types : neutre sur le rendement de certains prélèvements obligatoires, à la hausse
– éventuellement – sur le rendement des impôts acquittés par les entreprises, à la baisse sur le rendement de la TVA et des cotisations sociales. Pour votre part, vous envisagez un effet globalement neutre sur les recettes, ce qui ne correspond pas exactement à l’analyse de la Cour des comptes, mais celle-ci s’est peut-être davantage penchée sur le produit de la TVA que sur celui des prélèvements acquittés par les entreprises. La question reste ouverte selon moi, même si l’on peut effectivement considérer que l’effet de la baisse de l’inflation est plus incertain sur les recettes que sur les réductions de dépenses. D’après les informations que vous nous avez transmises, les recettes de TVA pourraient toutefois être réduites de 1,1 milliard d’euros. Sans doute y aura-t-il des questions sur ce point également.

D’une manière globale, les mesures que vous proposez me semblent réalistes et réalisables, et devraient permettre d’atteindre l’objectif de réduction du déficit nominal recommandé par le Conseil de l’Union européenne.

S’agissant du deuxième objectif, qui concerne l’effort structurel, vous avez souligné, messieurs les ministres, nos divergences avec Bruxelles, et je vous rejoins pleinement sur ce point. Car réaliser ce que nous demande la Commission européenne reviendrait tout simplement à saborder notre soutien à la croissance économique, ce qui n’est nullement notre intention.

Rappelons le contexte : dans le programme de stabilité, vous avez arrêté un objectif de réduction du déficit structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2015 et 2017, alors que la Commission européenne recommande une réduction de 0,8 et de 0,9 point pour 2016 et 2017. Avec le programme de stabilité, nous annonçons donc clairement que nous n’atteindrons pas ces chiffres en 2016 et en 2017.

La notion de déficit structurel, dont nous avons beaucoup discuté au sein de notre commission, est pertinente : elle permet de faire la part, au sein du déficit nominal, entre ce qui résulte de la conjoncture et ce qui tient, le cas échéant, à l’insuffisance des efforts fournis par un pays pour mobiliser tous ses facteurs de production. Toutefois, elle repose sur un indicateur qui n’est pas observable : la croissance potentielle. S’il n’y avait dans notre pays que cent usines fonctionnant à 80 % de leurs capacités, nous ferions l’hypothèse que ces usines fonctionnent à 100 % et nous en déduirions la croissance potentielle. Mais, bien entendu, les facteurs sont beaucoup plus complexes dans la réalité : il faut notamment tenir compte du secteur des services, des interactions et du rôle des exportations. On parvient certes à calculer une croissance potentielle, mais, personne ne l’ayant jamais observée, ce chiffre peut faire l’objet de divergences, et l’effort structurel qui nous est demandé sur cette base peut donc être, lui aussi, remis en question.

Depuis 2011, la Commission européenne situe régulièrement la croissance potentielle de la France autour de 1 %, ce qui est sans doute sous-évalué. Le Gouvernement a été amené à donner sa propre estimation à l’occasion des lois de programmation des finances publiques et des programmes de stabilité qui se sont succédé. Dans le présent programme, vous l’avez relevée à 1,5 %. C’est d’ailleurs à ce niveau que notre commission avait souhaité la fixer en juillet 2014 en adoptant un amendement au projet de loi de finances rectificative, qui n’avait finalement pas été retenu.

M. le président Gilles Carrez. Cet amendement avait également été adopté en séance publique, mais le Gouvernement a demandé une seconde délibération.

Mme la rapporteure générale. C’est juste.

Plus la croissance potentielle est faible, plus la part du déficit structurel est importante. En revanche, cela ne change rien au déficit nominal. En évaluant la croissance potentielle de la France à 1 %, la Commission européenne estime donc que son déficit structurel est relativement élevé. Nous ne partageons pas cette vision : il nous paraît plus réaliste de retenir le chiffre de 1,5 %, tant au regard des estimations existantes que de l’abondante littérature publiée par les économistes sur le sujet. Selon moi, vous avez donc raison de ne pas suivre l’estimation de la Commission européenne en ce qui concerne le déficit structurel.

Nous proposons, je le rappelle, un effort structurel de 0,5 point de PIB pour chacune des trois années couvertes par le programme de stabilité, ce qui nécessite de réaliser des économies de 21 milliards d’euros en 2015, de 15 milliards en 2016 et de 14 milliards en 2017. Le Conseil de l’Union européenne demande, quant à lui, un effort structurel de 0,5 point de PIB en 2015 – comme nous –, de 0,8 point en 2016 et de 0,9 point en 2017. Cela impliquerait de prendre des mesures d’économies à hauteur de 25 milliards d’euros en 2016 et à nouveau en 2017, au lieu, respectivement, de 15 et de 14 milliards. Au total, la France devrait réaliser 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires.

Si nous nous conformions à ce que demande le Conseil de l’Union européenne en termes de réduction du déficit structurel, quelles pourraient en être les conséquences ? Premièrement, la France perdrait au minimum 0,2 point de croissance rien que sur l’année 2015 : la croissance serait de 0,8 % au lieu de 1 %.

Deuxièmement, d’après le modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie – MÉSANGE – utilisé par le ministère chargé des finances, une réduction des dépenses de 10 milliards d’euros supplémentaires se traduirait par une activité moindre de 0,4 à 0,6 point de PIB au bout de deux ans.

Troisièmement, nous affaiblirions la zone euro dans son ensemble : elle perdrait entre 0,1 et 0,15 point de PIB sur deux ans.

Quatrièmement, faire baisser la croissance de 1 point reviendrait mécaniquement à augmenter le déficit nominal de 0,5 point de PIB, donc à contrarier en grande partie les efforts que nous aurions faits pour réduire ledit déficit. Il s’agit donc d’un cercle vicieux, dans lequel vous avez raison de ne pas vouloir nous entraîner.

M. Henri Emmanuelli. Il faut fuir le vice et rechercher la vertu !

Mme la rapporteure générale. D’autre part, si nous voulons favoriser le rebond de croissance, il paraît indispensable de soutenir l’investissement.

Source : Eurostat

On constate sur le graphique ci-dessus, qui reprend les données de l’Office statistique de l’Union européenne, que l’investissement en France, privé et public, a chuté du fait de la crise, puis a atteint un palier, alors que, dès 2011, il est reparti à la hausse en Allemagne
– même si l’on constate une tendance à la baisse sur la fin de l’année 2013 – et aux États-Unis, ce qui a stimulé la croissance de ces deux pays. En dépit des efforts, notre capacité à investir stagne. Or, c’est la clé pour soutenir le rebond de croissance.


Distinguons maintenant l’investissement privé et l’investissement public, avec ces deux graphiques issus des travaux du Commissariat général à la stratégie et à la prospective. En France, l’investissement des entreprises, hors sociétés financières, tourne autour de 60 milliards d’euros par an. On observe qu’il a stagné au cours des dernières années. Il faudrait qu’il soit plus soutenu pour accompagner le rebond de croissance. À l’étranger, c’est aux États-Unis que l’investissement privé a le plus repris.


Quant à l’investissement public, il s’élève à environ 85 milliards d’euros par an en France et il est en grande partie le fait des collectivités territoriales – d’où nos débats sur ce point. Il est resté stable jusqu’à la fin de l’année 2013, puis a connu une petite baisse en 2014 du fait des élections locales. Tout l’enjeu de l’année 2015 est de soutenir le rebond de croissance via la reprise de l’investissement.

Concernant le programme national de réforme (PNR), la Commission européenne a adressé à la France sept recommandations, dont certaines ont déjà été mises en œuvre et d’autres sont en train de l’être. À cela s’ajoutent les huit objectifs que poursuit la France au titre de la stratégie « Europe 2020 ». Selon le chiffrage réalisé par le ministère de l’Économie, 4,2 points de PIB en plus sont attendus de la mise en œuvre de l’ensemble du PNR à l’horizon 2020. Notons cependant qu’il s’agit d’un effet non pas net, mais brut, l’impact de leur financement n’ayant pas encore été pris en compte. Ainsi, les mesures visant à faire baisser le coût du travail devront être financées, par exemple, par une réduction des dépenses.

Je reviens pour finir sur la trajectoire des finances publiques, dont nous avons déjà eu l’occasion de discuter. En tendance, les dépenses publiques ont augmenté de 37 milliards d’euros par an entre 2002 et 2007, de 34,1 milliards par an entre 2007 et 2012 et de 21 milliards par an entre 2012 et 2014. L’objectif est de ramener ce chiffre à 14 milliards par an pour la période de 2015 à 2017, soit près de trois fois moins qu’auparavant. Ainsi, la progression des dépenses a été très fortement ralentie.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie, madame la rapporteure générale, de la qualité de votre travail et des nombreuses questions que vous soulevez.

Je souhaite revenir sur trois points. Premièrement, il y a quelques mois, dans le cadre du débat sur le projet de loi de finances pour 2015, un certain nombre de collègues socialistes emmenés par Karine Berger et soutenus par la rapporteure générale avaient plaidé pour une révision à la hausse de la croissance potentielle. Le Gouvernement ne les avait pas écoutés alors, mais il leur donne aujourd’hui raison, puisqu’il relève la croissance potentielle de 0,2 point par an entre 2016 et 2018. Cela vous permet, messieurs les ministres, de majorer de manière un peu artificielle l’effort d’ajustement structurel réalisé par la France ; reste à savoir si les instances européennes seront sensibles à cette démonstration… Quels arguments avez-vous avancés à Bruxelles pour justifier ces chiffres ? Je rappelle que l’ajustement structurel des pays en procédure pour déficit excessif – ce qui est le cas de la France depuis un certain nombre d’années – doit être au minimum de 0,5 point de PIB par an.

Deuxièmement, comme vous, monsieur Sapin – c’est en tout cas ce que vous nous avez dit la semaine dernière –, je ne comprends pas grand-chose à la notion de solde structurel ! Aussi revenons-en au déficit nominal.

M. Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics. Maintenant, je comprends tout…

M. le président Gilles Carrez. Il se produit une chose extraordinaire qui nous interpelle tous : le chiffre magique de 50 milliards d’euros, avec une première tranche de 21 milliards en 2015, traverse les années et les décisions successives, alors qu’il a été calculé il y a un an et demi sur la base d’une inflation à 1,8 % ! Il a notamment survécu au fait que Bruxelles nous demande de réaliser 4 milliards d’économies supplémentaires et à la mesure que vous avez annoncée il y a quelques jours sur l’investissement des entreprises, au demeurant tout à fait justifiée mais qui va se traduire par une baisse de recettes fiscales. En d’autres termes, comment pouvez-vous justifier la pérennité de ce chiffre, alors que l’environnement a totalement changé, avec la baisse de l’inflation, les dépenses nouvelles, notamment pour financer le plan de lutte contre le terrorisme, et les dernières mesures fiscales ? Je ne comprends pas comment vous vous y prenez !

Troisièmement, ainsi que l’a relevé la rapporteure générale, dont je partage largement le constat, nous avons un problème d’investissement. Au cours du débat sur le projet de loi de finances pour 2015, Henri Emmanuelli avait défendu un amendement visant à relancer l’investissement privé que nous avions tous jugé très intéressant. Cependant, vous ne lui donnez raison que très partiellement : la mesure permettant aux entreprises de sur-amortir leurs achats de biens industriels à hauteur de 140 % manque d’ambition.

D’autre part, monsieur Macron, le PNR ne prévoit aucune mesure concernant le bâtiment et les travaux publics (BTP), alors que l’investissement, notamment l’investissement public, est notoirement défaillant dans ce secteur. Au contraire, vous baissez massivement les dotations financières aux collectivités territoriales alors qu’elles réalisent 70 % des travaux publics. Et ce ne sont pas les toutes petites mesures relatives au Fonds de compensation pour la TVA qui suffiront pour améliorer les choses ! Je pensais que le PNR comporterait des mesures ciblées sur le secteur du BTP, au moins de nature non financière, telles que des allégements de normes ou une relance par des mécanismes d’emprunt. À quoi le « plan Juncker » sert-il donc ? Le PNR nous laisse sur notre faim s’agissant du BTP, alors que, dans un contexte plutôt porteur, il s’agit d’une question majeure et de l’un des rares leviers dont dispose la puissance publique pour influencer le cours des choses. Je trouve que vous manquez singulièrement d’ambition en la matière, monsieur Macron !

M. le ministre des Finances et des comptes publics. Je répondrai avec plaisir à vos deux premières questions, monsieur le président. Je dispose de l’ensemble des réponses et vous sortirez de cette réunion rassuré… Je n’aime pas que vous soyez anxieux !

Pour relever les défis, nous avançons sur deux jambes : les mesures budgétaires et les réformes. Je laisse le ministre de l’Économie vous exposer d’abord ce deuxième aspect de notre politique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique. Le PNR vise à répondre aux recommandations « pays » formulées par les instances européennes. Il s’agit d’un document récapitulatif qui n’a pas vocation à annoncer des réformes ou des mesures qui ne l’auraient pas déjà été par ailleurs. Cohérent et complémentaire avec les choix macroéconomiques qui ont été faits et avec l’ajustement budgétaire, ainsi que vient de l’indiquer Michel Sapin, ce programme vise à moderniser notre économie, en particulier à améliorer la croissance potentielle et à l’enrichir en emplois.

Le PNR comprend six volets. Le premier concerne la compétitivité-coût des entreprises. Les mesures prises dans ce domaine sont bien connues : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ainsi que le Pacte de responsabilité et de solidarité, qui ont permis, dans un premier temps, de répondre à une situation d’urgence, puis de donner de la visibilité aux entreprises afin qu’elles puissent restaurer leurs marges et leur compétitivité-coût, préalable à l’amélioration de leur compétitivité hors coût.

Le deuxième volet du programme rassemble tout ce qui relève du renforcement de la compétitivité hors coût des entreprises, en particulier de la simplification des formalités administratives qui s’y rapportent. Plusieurs choses ont déjà été faites depuis la création du Conseil de simplification pour les entreprises, avec notamment une série de mesures annoncées, dont certaines sont en cours de transposition législative, dans le cadre de la loi de simplification de la vie des entreprises et de la loi pour la croissance et l’activité. Je veux rassurer M. le président sur un point : la loi pour la croissance et l’activité contient bien plusieurs dispositions de simplification réglementaire, des procédures et des autorisations, très attendues par le secteur du BTP.

Ce deuxième volet passe également par des mesures de numérisation accélérée de l’économie, qui seront proposées dans le cadre de la future loi sur le numérique.

Le troisième volet, complémentaire du deuxième, est celui du soutien à l’innovation : il n’y a pas de relance et de modernisation du tissu productif sans relance de l’investissement public et privé. Je ne reviens pas sur les annonces faites en matière d’investissement privé productif. On peut toujours considérer que l’annonce faite par le Premier ministre il y a quinze jours est trop timide ; je considère pour ma part qu’elle est ciblée, puisqu’elle concerne tout l’investissement productif hors immobilier – précisément ce dont notre pays a besoin, puisqu’il a un retard de 17 milliards d’euros dans ce domaine –, qu’elle est définie dans le temps et qu’elle présente une bonne visibilité, grâce à un vote au Sénat et à une instruction fiscale : tout cela permet d’avancer et d’accrocher l’ensemble des mesures d’investissement qui seront prises à la période du 15 avril 2015 au 15 avril 2016, afin de créer un effet de déclencheur.

Pour ce qui est du secteur du BTP, la dimension de l’investissement est importante. Pour commencer, les revenus fiscaux de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ont été sanctuarisés. Par ailleurs, nous avons débouclé la négociation avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes…

M. Henri Emmanuelli. Parlons-en !

M. le ministre de l’Économie. On peut toujours décider de stopper tout investissement dans ce secteur, mais nous avons préféré instaurer des règles de clarification en matière de contrats, de tarification et de suivi des travaux qui n’existaient pas jusqu’alors, et seront transposées dans la loi, avec une autorité indépendante chargée de les surveiller. Il y aura également un rebasage, un engagement de 1 milliard d’euros des sociétés d’autoroute dans les infrastructures et les projets de transports via l’AFITF, ainsi qu’un engagement complémentaire d’investir 200 millions d’euros dans un fonds d’infrastructures – deux décisions très bonnes pour le secteur. Enfin, le débouclage du plan de relance permet, dès cette année, de lancer pour 3,2 milliards d’euros de travaux financés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, 80 % des travaux devant être faits dans les deux ans à venir.

M. le secrétaire d’État chargé du Budget. Sans oublier le prolongement du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE).

M. le ministre de l’Économie. Effectivement, le prolongement du CITE au-delà de la période initialement prévue permettra aux artisans du bâtiment de disposer d’un soutien à l’activité. Ces mesures sont bienvenues et très attendues car le BTP n’est pas un secteur où tout va bien, et on peut s’attendre encore, dans les mois qui viennent, à des défaillances d’entreprises.

Le soutien à l’investissement et à l’innovation est aussi porté par les divers dispositifs publics que sont la Banque publique d’investissement (BPI), le deuxième volet du programme d’investissements d’avenir (PIA) ou les trente-quatre plans de la Nouvelle France Industrielle (NFI). Le « plan Juncker » participe de cette initiative ; nous nous sommes battus pour que sa composante en fonds propres soit plus large, et devons continuer à mener cette bataille. Aujourd’hui, 21 milliards d’euros en fonds propres sont mobilisés, ce qui permet d’accroître le guichet de la Banque européenne d’investissement (BEI). La France se mobilise pour présenter des projets, parmi lesquels on trouve beaucoup de projets d’infrastructures longs ayant vocation à émarger au guichet de la BEI en complément de ce que fait la Caisse des dépôts et consignations.

Le quatrième volet est celui de la modernisation du marché des biens et services, qui est l’un des éléments de modernisation de notre économie, avec l’ouverture de plusieurs secteurs, qu’il s’agisse de celui des transports, de certaines professions réglementées, ou de mesures prises au sujet de l’artisanat et du commerce. Le Premier ministre annoncera au début du mois de juin, à l’occasion de la conférence économique et sociale, des mesures complémentaires pour les TPE et PME, ainsi que d’autres figurant dans la future loi sur le numérique – ce secteur étant l’un des leviers permettant d’ouvrir plusieurs autres secteurs, soit par simplification de la sur-réglementation existante, soit au moyen de la capture par les acteurs classiques.

Le cinquième volet est celui de la modernisation du marché du travail. La dynamique enclenchée depuis 2012 consiste à donner plus de place au dialogue social et à une déconcentration de la norme. Cela se fait grâce à l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, transcrit par la loi de sécurisation de l’emploi, qui fait actuellement l’objet d’une évaluation qui se terminera à la mi-mai et nous permettra d’aller sans doute plus loin en matière d’accords de maintien dans l’emploi dits « défensif » ; l’objet de cette évaluation est de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et les choses à améliorer. Un consensus est en train de se dégager avec l’ensemble des partenaires pour considérer qu’il faut faire sauter certains verrous qui ont bloqué cet instrument.

En complément de ce qui avait été fait pour le licenciement économique, la modernisation de la justice prud’homale permettra de donner plus de visibilité aux acteurs et de sécuriser les procédures en cas de licenciement individuel, et d’améliorer la fluidité du marché du travail.

Des mesures complémentaires ont été présentées ce matin par notre collègue François Rebsamen, qui contribuent également à moderniser le dialogue social, c’est-à-dire à simplifier les réunions multiples et à permettre, sur la base d’accords, de simplifier les structures existantes au sein de l’entreprise et d’aller dans le sens de la flexi-sécurité. Les deux prochains rendez-vous sur ce sujet sont, d’une part, le bilan que nous tirerons fin mai avec François Rebsamen de la loi de sécurisation de l’emploi, d’autre part, la conférence économique et sociale des TPE et PME annoncée par le Premier ministre, qui sera l’occasion d’annoncer de nouvelles mesures de simplification pour ces entreprises.

Enfin, le sixième volet est celui de la lutte contre les inégalités et de la préparation de l’avenir. Les éléments de modernisation de notre économie et d’effort en matière d’investissement sont complétés par les mesures visant à une croissance de long terme prises dans le cadre de la transition énergétique, de la formation professionnelle – avec notamment la loi de 2013 – et en matière d’éducation.

La philosophie d’ensemble de ce programme national de réforme et, plus largement, de l’action de réforme du Gouvernement, consiste en une approche progressive, continue, et comprenant encore des étapes à venir dans les prochains mois. Elle est définie comme étant large, c’est-à-dire touchant tous les secteurs. Notre conviction est qu’il ne suffit pas de se concentrer sur un dossier, par exemple la réforme du marché du travail : si les choses étaient aussi simples, cela se saurait, et nos prédécesseurs aussi s’en seraient aperçus ! En réalité, c’est bien une série de réformes, à la fois macroéconomiques et microéconomiques, et touchant plusieurs secteurs, qu’il faut mettre en œuvre : c’est la stratégie développée par le Gouvernement, qui a entrepris de moderniser plusieurs secteurs de l’économie, qu’il s’agisse du secteur des biens et services ou du marché du travail. Ces réformes, qui mettent du temps à avoir un impact en termes de croissance et d’emploi, doivent s’accompagner de réformes contracycliques de plus court terme – c’est le choix qui a été fait – qui visent à restaurer les marges et à accompagner l’investissement.

M. Hervé Mariton. Si l’on peut être d’accord avec le ministre pour considérer qu’un certain nombre de réformes, entreprises secteur par secteur et d’une ampleur modeste, peuvent avoir leur utilité, on peut également regretter que le Gouvernement n’ait pas été plus audacieux, surtout au regard de ses intentions initiales.

Pour ce qui est du PNR, le Gouvernement chiffre l’impact des réformes en points de croissance, mais j’aimerais savoir quel est le degré de solidité de ces prévisions. Ainsi, il est prévu 4,2 points de croissance répartis sur plusieurs secteurs, mais le document qui nous est présenté ne donne aucune justification de ces chiffres. Pouvez-vous nous expliquer, par exemple, comment on arrive à 0,8 point de PIB en matière de transition énergétique ? Comment la réforme de l’éducation peut-elle nous apporter 0,1 point de PIB ? Si MÉSANGE le dit… Le Gouvernement croit-il aux chiffres qu’il nous présente ? Quelles sont les hypothèses minimales et maximales ? Pour moi, présenter des chiffres n’a aucun sens s’ils ne présentent pas une certaine solidité.

M. Charles de Courson. Dans la présentation du programme de stabilité figurent les estimations de huit réformes, pour un total de 4,2 points de croissance à l’horizon 2020. Nul n’est besoin d’avoir fait Polytechnique pour diviser 4,2 points par 5 : cela fait un peu plus de 0,8 point. Autrement dit, la moitié de la croissance attendue serait donc liée à ces huit réformes. Or, ces 4,2 points sont calculés hors impact de leur financement.

Par ailleurs, il me semble que les estimations qui nous sont ici livrées présentent un caractère tout à fait surréaliste. Ainsi, la réforme territoriale est censée se traduire par un gain de 0,3 point de croissance. Mais de quelle réforme parle-t-on ? Y a-t-il encore quelqu’un pour penser que fusionner les régions sans avoir jamais réformé leur mode de financement peut produire de la croissance ? Franchement, on se demande bien d’où sort ce chiffre de 0,3 point !

Avec le deuxième exemple, on monte en gamme : la transition énergétique doit nous procurer 0,8 point de croissance. Ceux qui ont lu l’étude d’impact du projet de loi sur la transition énergétique en sont encore à se demander comment on va faire pour fermer un tiers des centrales nucléaires – il faut passer de 75 % à 50 % pour tenir la promesse présidentielle – tout en faisant en sorte d’assurer les besoins en électricité de nos concitoyens – qui vont s’accroître de 1 % – et quelles conséquences cela va avoir sur le prix de revient de l’électricité, donc sur les prix pour les consommateurs : même la ministre chargée du dossier est incapable de répondre à cette question. Il ne faut donc pas s’attendre à une croissance en la matière : les mesures prises ne vont pas se traduire par un plus, mais par un moins, puisqu’on va augmenter le prix de l’énergie.

Il est également prévu 0,1 point de croissance grâce à la réforme de l’éducation. Certes, l’éducation est l’un des plus importants facteurs de croissance, mais à long terme, très long terme, et certainement pas à court terme. Franchement, ce n’est pas sérieux de nous présenter de telles prévisions.

M. Olivier Carré. Pour ma part, je commencerai par féliciter notre rapporteure générale : c’est la première fois que l’on nous montre clairement, en commission des finances, le rapport entre des politiques de réformes structurelles et des questions conjoncturelles, notamment celle des déficits publics de long terme. Je me félicite de ce souci de cohérence dans la présentation en regrettant simplement que l’exercice n’ait pas porté sur des réformes intervenues avant 2012 et qui continuent à influer sur l’évolution de notre croissance et des comptes : cela nous aurait permis de mieux mesurer l’ensemble de l’effort accompli depuis plusieurs années.

En ce qui concerne la méthode, je m’étonne que l’on confonde les flux et les stocks. Quand on parle de croissance, il s’agit d’un flux. Or, le document de l’OCDE fait état des travaux qui vont être effectués dans le cadre des nouvelles métropoles, notamment celles de Paris, de Lyon et de Marseille, et mentionne les travaux qui vont être effectués chaque année pour un montant de l’ordre de 6 milliards d’euros. On confond donc les éléments de croissance structurelle et ceux qui viennent s’ajouter conjoncturellement, notamment des investissements « one shot », très ponctuels, même s’ils sont effectués plusieurs années de suite.

M. Éric Woerth. Pour moi, un programme de réforme ne doit pas consister uniquement en un programme de relance, même si on a parfois tendance à confondre les deux. Les mesures conjoncturelles que tout gouvernement peut être amené à prendre ne doivent pas être prises au détriment d’une réforme en profondeur. Afin de tenir compte de l’environnement économique, il serait intéressant de regarder les résultats des autres pays : ce qui m’intéresse, c’est que la France fasse mieux que les autres, qu’elle aille plus vite, qu’elle profite davantage du vent de croissance et des facteurs extérieurs positifs ; malheureusement, ce n’est pas le cas. Certes, nous frôlons la croissance, mais à un niveau très inférieur à celui des autres pays. Nous n’accomplissons donc aucun exploit : le seul véritable exploit, ce serait de faire mieux que les autres et, à mon sens, c’est cet objectif qui devrait inspirer les programmes de réformes.

La loi pour la croissance et l’activité qui porte votre nom, monsieur le ministre, n’est pas vraiment une loi sur la croissance, de même que la loi de M. Rebsamen n’est pas réellement une loi de réforme du marché du travail : ce sont tout au plus des lois d’aménagement. Il y a en la matière un écart criant entre les intentions affichées et la réalité de la loi, et c’est bien cela qui pose problème.

M. Yves Censi. Les 4,2 points de croissance promis sont répartis selon des items assez mystérieux. Je voulais profiter de la présence de M. Macron pour évoquer l’un d’entre eux, celui du dialogue social, dont il est attendu 0,2 point de PIB de croissance. Certes, la « loi Macron » contenait de multiples modifications en matière de licenciement, mais pouvez-vous nous apporter quelques précisions en la matière ?

M. le ministre de l’Économie. Comme vous l’avez constaté, j’ai évité de vous assener des chiffres lors de mon exposé initial, car je suis très prudent en la matière : il est très difficile d’expliquer, toutes choses égales par ailleurs, des impacts en points de PIB à l’horizon 2020. Il est important de les avoir en tête, mais il faut aussi savoir relativiser. Précisons à ce propos qu’il ne s’agit pas d’éléments de croissance, mais de points de PIB additionnels.

Nous disposons de deux approches complémentaires. La première approche est celle faite sur la base du modèle MÉSANGE de Bercy, qui conduit à des évaluations en points de PIB brut à l’horizon 2020. « Brut », cela signifie qu’il faut prendre en compte le financement de ces mesures : or, celui-ci est parfois nul, comme c’est le cas pour la réforme territoriale, tandis que d’autres réformes nécessitent des financements, notamment en matière de compétitivité-coût du travail.

Le modèle MÉSANGE prévoyant des fiches techniques jointes au PNR, je suis tout à fait disposé à ce que l’on discute de chaque fiche individuellement : chacune d’entre elles couvre bien des éléments identifiés et elles sont toutes auditables. Pour en revenir à la question sur le dialogue social, l’impact en la matière a été identifié : il s’agit d’abord de modifications des comportements – en l’occurrence, une diminution de la conflictualité des plans sociaux – liées à la loi de sécurisation de l’emploi, une loi qui a assoupli les procédures, donné plus de visibilité sur les licenciements collectifs, encadré les procédures dans le temps et limité leur montant. La réforme des prud’hommes et celle de l’assurance chômage, la « loi Rebsamen » et l’atténuation des effets de seuil produiront également des effets qu’il est possible de modéliser, dans les limites que comporte un tel exercice : pour ma part, je suis toujours prudent quant à l’impact a priori de telle ou telle mesure. Quoi qu’il en soit, cette méthodologie est transparente, auditable par Bruxelles, et aboutit aux chiffrages qui vous ont été indiqués.

En complément, l’OCDE a fait de son côté un travail en octobre 2014, selon une méthodologie qui lui est propre, mais qui aboutit néanmoins à des chiffrages extrêmement convergents. Ainsi, l’OCDE prévoit 3,7 points de PIB à un horizon de dix ans, et chiffre également l’impact de la transition énergétique à 0,8 point. Cela n’a au demeurant rien d’étonnant, puisque cette loi va se traduire par des travaux, notamment le grand carénage du parc nucléaire, et par des éléments de relance à court terme – je pense au CITE et à la rénovation thermique, qui vont donner des motifs de satisfaction au secteur du BTP dans les mois à venir. Enfin, il ne faut pas raisonner comme si le prix du CO2 devait rester éternellement à zéro : ce n’est pas le cas et, pour tenir compte de l’évolution à venir dans ce domaine, des investissements sont à réaliser pour adapter notre organisation productive et notre capital productif.

À court et moyen terme, les impacts évalués par l’ensemble des modèles sont positifs, même si les chiffres, toujours pris toutes choses égales par ailleurs, doivent être relativisés. Il n’en demeure pas moins que deux approches complémentaires très différentes, car ne reposant pas sur les mêmes modèles, parviennent à des éléments de chiffrage bruts comparables, faisant apparaître que certaines réformes sont de nature à améliorer la croissance potentielle à l’horizon de cinq ou dix ans.

Pour ce qui est de la réforme territoriale, l’OCDE s’est concentrée, pour aboutir à sa prévision de 0,3 point de PIB, sur Paris et Aix. Ce sont les processus de métropolisation qui doivent produire des éléments de relance, notamment grâce à la suppression des financements croisés, jugés sous-efficients, et à la réduction du nombre d’acteurs. Là encore, tous ces éléments sources d’économies, mais aussi d’investissements, ont des effets économiques positifs chiffrables et modélisés.

J’en viens à la situation de la France par rapport aux autres pays. Notre pays se trouve dans une situation singulière car, si l’on observe le paysage européen, on peut distinguer trois situations. Premièrement, certains pays ont connu une crise très dure dans les années 1990, et y ont trouvé l’occasion de revoir en profondeur leur modèle économique et social : ce sont les pays scandinaves ; deuxièmement, on trouve des pays comme l’Allemagne, ayant fait le choix de se moderniser et de se réformer en profondeur dans un contexte de croissance et en négociant une relâche budgétaire ; troisièmement, enfin, certains pays ont subi la crise de plein fouet – beaucoup plus brutalement que nous – et en ont profité pour procéder, dans un contexte de consensus social, à des ajustements budgétaires et de réforme : c’est le cas de l’Espagne, de l’Irlande et du Royaume-Uni.

La France est un cas à part : elle n’a pas fait les réformes proprio motu et en temps voulu. La spécificité française commence au début des années 2000 par une série de choix imputables aussi bien à la droite qu’à la gauche – vous pouvez citer la réforme du temps de travail si vous voulez – et par des relâches budgétaires négociées sans procéder dans le même temps à des réformes structurelles. Aujourd’hui, nous nous trouvons donc placés face à l’obligation de procéder à des ajustements budgétaires et des réformes au pire moment, c’est-à-dire dans le contexte d’une croissance extrêmement plate et de taux qui, s’ils nous procurent une protection artificielle, agissent un peu à la manière de la morphine.

Dans ce contexte, nous avons le choix entre abandonner l’un des deux – les ajustements ou les réformes – ou, comme l’ont fait l’Espagne et l’Irlande quand elles étaient au fond du trou, ce qui n’est pas notre cas, taper très fort dans les deux domaines. Notre situation n’est pas si désespérée que celle qu’ont connue ces pays, car nous avons bénéficié d’amortisseurs de crise, et nous ne pouvons pas agir comme ils l’ont fait. Se concentrer uniquement sur la politique budgétaire sans rien moderniser constitue de notre point de vue un mauvais choix. Cela dit, compte tenu de notre place dans la zone euro et de l’instabilité de celle-ci depuis 2012, nous devons tenir un cap en la matière. Nous avons opté pour un cap médian, celui des 50 milliards d’euros que, bien sûr, certains vont trouver trop dur et les autres pas assez. En effet, ce cap ne permet pas une politique de relance conjoncturelle ; il est donc plutôt douloureux à court terme sur le plan économique – et sur le plan politique, cela n’aura échappé à personne –, mais il témoigne d’une politique de sérieux.

Quant à la politique de réforme qui doit être menée en parallèle, elle ne peut consister à casser tous les stabilisateurs en réformant de manière trop brutale, mais à avancer étape par étape de manière continue, afin de moderniser les différents marchés. Une partie des mesures à prendre relève de la relance, celle-ci étant cependant beaucoup plus timide que ce qui a été fait par le passé : ce n’est donc pas un plan de relance, mais un plan d’accompagnement conjoncturel lié à des problèmes identifiés et d’un plan de modernisation de l’économie consistant en un train continu de réformes menées depuis 2013 et ayant vocation à continuer au cours des années à venir. Notre choix politico-économique consiste à mener des réformes de manière continue, de façon progressive mais à bon rythme, sur l’ensemble des volets, compte tenu de la situation dans laquelle notre pays s’est mis il y a quinze ans. En résumé, nous ne venons pas de nulle part, et nous devons tenir compte de notre environnement.

M. Éric Woerth. N’oublions pas que les amortisseurs de crise sont également des amortisseurs de reprise. Il faut donc réformer, même quand c’est difficile. La France ne dispose pas des moyens économiques nécessaires pour procéder à une relance conjoncturelle forte, et vous n’avez pas les moyens politiques de procéder à une relance structurelle. Nous sommes donc coincés dans une sorte d’entre-deux qui nous empêche de courir aussi vite que les autres. Or, courir moins vite que les autres, c’est avoir moins de croissance qu’eux, et continuer à perdre sur tous les terrains : c’est là que se situe la fragilité majeure de la politique suivie actuellement, pour louables que soient les intentions de ceux qui la mènent.

M. Olivier Carré. Il a été dit que l’environnement conjoncturel était défavorable : non, il est aujourd’hui extrêmement favorable, comme il ne l’a jamais été depuis de très nombreuses années.

M. le ministre de l’Économie. La conduite de réformes est, on le sait, antagoniste de l’ajustement budgétaire, et si la politique monétaire européenne est plus accommodante qu’elle ne l’a été, elle reste en retard de phase par rapport à celles des Américains, des Britanniques et des Japonais, encore plus accommodantes. Les réformes en vue de relancer l’économie n’interviennent généralement pas au moment du sérieux budgétaire. Notre choix n’a pas été d’être très – trop – raisonnables sur les mesures conjoncturelles mais, par contre, de mettre la pression sur nos partenaires européens et Bruxelles pour bénéficier d’un élément conjoncturel de relance. Le « plan Juncker » et les choix macroéconomiques allemands sont fondamentaux, car c’est ainsi que nous pourrons compenser notre ajustement en bénéficiant d’un stimulus budgétaire de court terme.

M. Hervé Mariton. Le programme de stabilité présente une très significative augmentation en volume de 0,9 % des dépenses publiques en 2015. Comment le ministre de l’Économie qualifie-t-il ce contexte budgétaire ?

M. le ministre des Finances. C’est un effort qui ne s’est jamais vu ! Comparez à ce que vous avez fait vous-mêmes !

M. Hervé Mariton. Reste que cette augmentation est contradictoire avec la présentation du ministre de l’Économie. Si je ne suis pas certain qu’il y ait eu de consensus en Espagne ou au Royaume-Uni, ces pays ont néanmoins été capables de prendre certaines décisions budgétaires. Le Gouvernement prétend suivre un schéma différent, que M. Macron décrit comme étant équilibré, entre réformes structurelles et politique budgétaire. Ma remarque se borne à souligner que 0,9 % d’augmentation en volume, ce n’est pas rien, et que le choix du Gouvernement n’est pas si équilibré qu’il le dit.

M. Charles de Courson. C’est du laxisme atténué…

M. le président Gilles Carrez. Le ralentissement est indéniable ; reste que 0,9 %, c’est considérable.

M. le ministre de l’Économie. Ces 0,9 % doivent être comparés à la trajectoire et à l’historique. Vous connaissez comme moi l’inertie de la dépense publique. Notre dynamique est une baisse de la dépense de l’État en valeur absolue. Par ailleurs, qui a eu les ONDAM historiquement les plus bas ? Il ne faut pas regarder ces 0,9 % de manière statique mais par rapport aux années précédentes. Si nos choix budgétaires sont moins drastiques que dans d’autres pays, c’est parce que ces pays, comme l’Espagne, ont subi des crises systémiques beaucoup plus dures. Le consensus économique et social est bien plus fort en Espagne, y compris pour des raisons culturelles : cette génération a connu l’anarchie, ce qui n’est pas le cas des Français. Nous ne pourrions faire en France ce qui a été fait en Espagne, c’est un fait anthropologico-politique, et cela vaut aussi pour l’Irlande. Nous avons mieux résisté à la crise mais nous repartons plus lentement.

En 2009, alors que l’Allemagne connaît une récession trois fois plus dure que nous, c’est la France qui décide d’engager une relance budgétaire. Demandez-vous qui a fait les mauvais choix ! Je pense que ce sont ceux qui n’ont pas engagé les réformes quand c’était possible au plan budgétaire, dans un environnement de croissance, qui sont à blâmer. Par la suite, le plan de relance à contre-cycle que notre pays a été le seul à conduire n’a donné aucun résultat, si ce n’est de financer des entreprises étrangères en « biberonnant » la consommation domestique et d’accroître notre déficit public.

Notre situation n’est certes pas pleinement satisfaisante, mais la martingale parfaite n’existe pas. La clé, c’est la constance, être capable de tenir une trajectoire de finances publiques et un plan de réformes sans faiblir.

M. le président Gilles Carrez. Pour en revenir au programme de stabilité, quelle est votre hypothèse tendancielle d’augmentation des dépenses publiques, monsieur le ministre des Finances ?

M. Philippe Vigier. Je fais écho à cette question : avec toutes les modifications enregistrées, je suis surpris que le programme de stabilité maintienne le chiffre de 50 milliards. Il aurait fallu l’ajuster.

On annonce 1,2 milliard de diminution pour les collectivités territoriales pour 2016. Comment le Gouvernement est-il parvenu à ce chiffre ? Quelle proportion concernera les personnels de ces collectivités ?

J’ai comparé le présent programme de stabilité avec celui de la période 2014-2017. Comment expliquez-vous que ce dernier présentait une baisse des dépenses publiques en volume de 0,3 % alors que le présent programme présente une augmentation de 0,9 % ?

L’importante baisse des taux d’intérêt que nous connaissons permet incontestablement de réaliser des économies, mais le collectif budgétaire de l’an dernier avait déjà anticipé la diminution de la charge de la dette en 2015. N’y a-t-il pas chevauchement entre le vote de ce collectif et l’annonce que vous faites ?

Enfin, votre collègue ministre de l’intérieur a évoqué des prévisions de baisses d’investissement des collectivités territoriales de l’ordre de 10 % du fait de la très forte diminution des dotations prévues pour les années 2015, 2016 et 2017. Cela a-t-il été intégré dans les perspectives de croissance, sachant que l’investissement public des collectivités territoriales est un moteur de l’investissement global ?

M. Marc Goua. Je souhaite une explication de texte concernant l’économie sur les collectivités locales, qui s’ajoute aux autres restrictions intervenues depuis deux ans. Cette économie serait de 1,2 milliard « à condition que les hausses d’impôts restent modérées » : je ne comprends pas bien ce codicille… La majorité des dépenses des collectivités locales concernent les frais de personnel, et elles se retrouvent régulièrement à subir des revalorisations dont elles ne sont pas responsables. Comment économiserons-nous 1,2 milliard ?

M. Éric Alauzet. Je salue le fait que nous soyons enfin parvenus à l’objectivité des chiffres. Ce fut long et laborieux, mais nous y sommes. Il ne faudrait pas reprocher maintenant à présent au Gouvernement d’être trop pessimiste.

Confirmez-vous que la baisse des dépenses de l’État et de la protection sociale est en partie, comme dans le cas de certaines baisses mécaniques de prestations sociales ou de consommation énergétique, neutre, ou indolore, et sans impact sur le pouvoir d’achat ?

Alors que les recettes de la contribution climat-énergie étaient initialement prévues à quelque 4 milliards en 2016, elles sont chiffrées à moins de 2 milliards dans ce programme. Comment expliquez-vous un tel écart ?

Enfin, certaines associations de collectivités locales se sont inquiétées des 4 milliards d’économies supplémentaires, craignant qu’elles ne soient supportées par les collectivités, alors que, si je ne m’abuse, il n’en a jamais été question. Comment expliquer que ces associations se soient publiquement inquiétées ? Cela me semble assez incompréhensible.

M. Dominique Lefebvre. Le programme de stabilité et le plan national de réforme s’inscrivent dans la continuité de notre action. Personne n’a contesté la cohérence du dispositif, et pour cause : il est parfaitement cohérent et justifié, en particulier quant au niveau de l’ajustement budgétaire à opérer. Les déclarations de nos collègues de l’opposition, qui considèrent à la fois qu’il n’y a pas assez de réformes et pas assez d’ajustements budgétaires, sont pour le moins étonnantes. L’opposition souhaite, au fond, que le gouvernement français se conforme à la doxa de la Commission européenne, qui demande un ajustement structurel plus important ; encore faut-il l’assumer, et reconnaître clairement que cela se traduirait par moins de croissance et plus de chômage.

Le ministre de l’Économie a été extrêmement limpide dans sa présentation du plan national de réforme. Ce n’est pas le bon moment pour des réformes d’ampleur et des politiques d’ajustements budgétaires drastiques, alors que, pendant dix ans, l’actuelle opposition n’a pas été capable d’adopter de telles politiques ni d’engager les réformes dont notre pays avait besoin ; le déficit structurel a au contraire augmenté de façon continue depuis 2006 et les entreprises françaises n’ont cessé, depuis 2008, de perdre en compétitivité et en marges. L’argument, systématiquement invoqué, selon lequel la majorité du quinquennat de Nicolas Sarkozy a subi de plein fouet la crise financière ne tient pas.

Le groupe socialiste appuie pleinement, après l’avoir votée, la stratégie gouvernementale du rythme des ajustements budgétaires, ainsi que son programme national de réforme qui, par alignements successifs, permet de déverrouiller les freins à la croissance de l’économie française.

Il faut, oui, soutenir la croissance mais les 1 000 milliards de dettes dont nous avons hérité de l’ancienne majorité ne nous en laissent pas les moyens. Au demeurant, même si nous avions ces moyens, un effort budgétaire, compte tenu de l’offre productive, ne serait d’ailleurs pas très efficace. C’est donc au niveau européen que cela doit se passer, et la mise en œuvre rapide des 315 milliards d’euros d’investissement du « plan Juncker » est à cet égard décisive. Nous aurons l’occasion d’en débattre, notamment le 6 mai dans l’hémicycle.

M. Charles de Courson. Je repose la question que je pose depuis des mois sans obtenir de réponse : quelle interprétation le Gouvernement donne-t-il de l’écart croissant entre le déficit effectif et le déficit structurel tel qu’il le calcule ? Par ailleurs, pourrions-nous avoir plus de détails sur les 4 milliards d’économies supplémentaires en 2015, et les 5 milliards prévus en 2016 ?

M. le ministre des Finances. Notre travail lie la politique budgétaire et les réformes car notre responsabilité, celle qui n’a pas été assumée auparavant, est de réduire les déficits, dans des conditions qui ne soient pas incompatibles avec la reprise de l’activité économique que nous constatons, tout en engageant les réformes qui n’ont pas été menées par nos prédécesseurs. C’est ce que la Commission européenne nous demande : elle lie le programme de réforme à l’équilibre de l’ensemble, car elle sait que le programme national prépare de la croissance en plus pour demain et nous permet une trajectoire de finances publiques crédible, avec un retour progressif à l’équilibre budgétaire. Les deux sont intimement liés, et la solution n’est pas simple. Il était plus facile de faire, ou l’un, ou l’autre, dans une période de croissance ; malheureusement, cela n’a pas été fait, et cela renvoie à notre responsabilité politique.

Beaucoup d’entre vous demandent comment, dans le programme national de réforme, nous parvenons à des chiffres qui traduiraient du PIB en plus. Je me suis moi-même posé la question, et c’est ce qui m’a amené à m’adresser à l’OCDE. La quasi-totalité des chiffres figurant dans notre programme national de réforme ne sont pas calculés par nous-mêmes mais par l’OCDE. Certes, on peut tout autant les contester du point de vue intellectuel et méthodologique, me direz-vous ; mais nous avons tenu à « objectiver » ce travail en le confiant à une organisation indépendante, et c’est ce que nous avons transmis à la Commission, qui est très attentive à cet aspect des choses. Et d’après ces chiffres, qui restent évidemment contestables, dans le bon sens du terme, notre programme de réforme est porteur de croissance en plus dans les années à venir – quand on œuvre pour le bien public, on n’agit pas exclusivement en fonction des seuls calendriers électoraux.

En ce qui concerne le programme de stabilité, nous travaillons dans la continuité. Ce programme traduit, à 0,1 ou 0,2 % près, ce que vous avez vous-mêmes décidé dans la loi de programmation, à savoir une trajectoire de diminution des déficits publics. Il se trouve que c’est convergent avec ce que demandent la Commission et le Conseil européens. Tant mieux, mais c’est avant tout la continuité de nos propres décisions.

Nous mettons également en œuvre les 50 milliards d’économies, ce qui représente un effort gigantesque. M. Mariton nous reproche une augmentation de 0,9 % de la dépense publique en 2015, alors qu’un tel effort de maîtrise est sans exemple. En 2011, alors que notre pays n’était plus en crise, cette augmentation était de 2,5 %. Nous considérons que c’est par la maîtrise de la dépense publique que l’on peut financer tout à la fois la diminution du déficit, nos priorités ainsi que les baisses de cotisations et d’impôts demandés aux entreprises et aux ménages.

Les dépenses de la lutte contre le terrorisme en début d’année ont été immédiatement compensées. Ce qui a changé, c’est l’inflation. Nous tenons les 50 milliards mais, comme nous avons perdu entre 3 et 4 milliards en cours de route, nous proposons 4 milliards de mesures nouvelles. Nous adaptons notre programme d’économie à la période. Cette continuité donne une grande crédibilité à notre trajectoire.

Il n’y a pas la bonne et la mauvaise dépense publique, la bonne qui serait celle des collectivités locales et la mauvaise qui serait celle de l’État ou de la sécurité sociale. L’effort doit être partagé par tous. Sortir de ce raisonnement reviendrait à faire preuve ou d’une forme de faiblesse intellectuelle, ou d’hypocrisie. Cet effort doit porter sur le fonctionnement.

Il existe, s’agissant de la croissance potentielle, un désaccord. Suivre l’ajustement structurel voulu par la Commission européenne, comme le souhaite l’opposition, conduirait à moins de croissance et moins d’emplois – peut-être à court terme, certes, mais cela intéresse le chômeur de savoir ce qui se passera dans le mois ou l’année qui suit ! Nous ne le souhaitons pas et nous avons donc engagé un débat avec la Commission européenne. J’ai rencontré hier quelques commissaires, et pas ceux qui font preuve du plus de souplesse sur ces questions. La préconisation de la Commission européenne était fondée sur un déficit de 4,3 % de déficit en 2014. Dans la mesure où elle constate que la France, avec 4 % de déficit, a fait mieux que ses prévisions, elle considère que sa préconisation peut évoluer. Une telle évolution doit évidemment tenir compte des arguments que je viens de présenter. À quoi servirait-il d’en faire plus, si c’est pour casser la croissance et freiner le recul du chômage et le rééquilibrage de nos finances publiques ?

Je ne connais pas deux économistes qui soient strictement d’accord, même parmi ceux qui ont défendu un amendement l’an dernier, sur le niveau exact de la croissance potentielle. Je ne peux donc pas savoir précisément ce que doit être l’effort structurel. À ceux qui m’interrogent, avec une grande ténacité, sur le sujet, je réponds que l’effort structurel dépend de la croissance potentielle, qui dépend elle-même de l’ajustement intellectuel de chacun, et que j’en reviens donc à la donnée du déficit nominal. Ce faisant, je parle un langage européen, car ce que l’Europe nous demande, c’est de respecter notre déficit nominal. Mais comme ni les uns ni les autres n’ont jamais respecté les objectifs de déficit nominal, la Commission européenne est obligée de regarder sous le capot, c’est-à-dire d’examiner ces questions compliquées et objectivement difficiles à apprécier. Or, comme nous sommes sur une trajectoire profondément crédible et que nous atteindrons nos objectifs nominaux, elle est satisfaite.

M. le président Gilles Carrez. Nous verrons le verdict dans quelques semaines.

M. le ministre des Finances. La rapporteure générale a souligné le réalisme de nos hypothèses, qui est le meilleur moyen d’atteindre nos objectifs.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget. Permettez-moi de revenir au préalable sur la distinction entre croissance potentielle et croissance constatée. Je rappelle que c’est pour une raison juridique que le Gouvernement s’est opposé à une modification du taux de croissance potentielle figurant dans l’article liminaire du projet de loi de finances rectificative pour 2014. En effet, si vous aviez adopté un article liminaire différent de celui qui avait été soumis au Haut Conseil des finances publiques, nous aurions pris le risque de voir le texte invalidé par le Conseil constitutionnel. Ce point peut être discuté, mais nous n’avons pas souhaité prendre ce risque. Pour le reste, tout a été dit sur la difficulté d’estimer de manière certaine la croissance potentielle.

Pour répondre à l’une de vos questions, monsieur le président, je précise que nous avons prévu une augmentation de la dépense publique de 0,9 % en 2015 et de 1,4 % pour l’ensemble des deux années 2016 et 2017. Il n’y aura donc pas d’augmentation en rythme de la dépense publique.

M. le président Gilles Carrez. En valeur ?

M. le secrétaire d’État au Budget. Tout à fait, monsieur le président.

Je tiens également à souligner qu’en France, le niveau de l’investissement public est resté stable, contrairement à ce que l’on a observé dans d’autres pays ; c’est un élément important.

M. Charles de Courson. Jusqu’en 2013 !

M. le secrétaire d’État au Budget. J’en viens aux mesures d’économies supplémentaires, qui obsèdent certains d’entre vous.

Pour 2015, il a été indiqué que nous attendions 1,2 milliard d’euros d’économies
– supplémentaires, je le précise à l’attention de M. Vigier – sur la dette. D’aucuns estiment qu’il ne s’agit pas d’une mesure structurelle. Michel Sapin a pourtant déjà longuement expliqué ici même, la semaine dernière, que le remplacement d’obligations au taux de 3 % ou 4 % par des obligations à 0,3 % ou 0,4 % représentait bien une économie structurelle, dans la mesure où elle se prolonge au cours des années suivantes. De même, certains nous objectent que les 400 millions de recettes supplémentaires que nous attendons du Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) ne sont pas structurelles. Or j’ai eu l’occasion de rappeler le nombre des dossiers traités chaque année et le produit escompté. J’ajoute que les avoirs révélés à l’occasion de ces déclarations entrent dans les assiettes d’impôt, au titre des revenus qu’ils peuvent produire ou de l’ISF, auquel ils sont souvent soumis compte tenu des montants en jeu.

S’agissant des 700 millions d’euros d’économies réalisées sur les dépenses de l’État, nous publierons avant la fin du mois de mai un décret, dont vous serez informés et dont vous aurez l’occasion de débattre – je suis prêt, si nécessaire, à venir en détailler la composition devant la commission.

En ce qui concerne les opérateurs de l’État, il s’agit de constater que l’exécution d’un certain nombre de programmes prend régulièrement du retard – je pense notamment aux PIA – et d’en tirer les conséquences budgétaires.

Enfin, en 2014, l’ONDAM a été sous-exécuté à hauteur de 300 millions d’euros ; nous avons repris cette sous-exécution en base, et nous travaillons avec le ministère des affaires sociales pour documenter une centaine de millions d’euros supplémentaires, que nous aurons l’occasion de détailler ultérieurement.

J’en viens maintenant aux 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires prévues pour 2016 – avec la prudence qui s’attache à tout exercice de prévision. Je veux répondre avec précision aux questions concernant le 1,2 milliard de moindres dépenses de fonctionnement que nous attendons des collectivités locales. Nous estimons que, grâce à la baisse du prix de l’énergie et à une moindre inflation, le pouvoir d’achat de ces dernières, comme celui de certains ministères, devrait augmenter, de sorte qu’il est possible, à volume de dépenses constant, de faire la même chose pour moins cher. Certes, nous avons prévu une légère reprise de l’inflation en 2016, mais, comme les hypothèses antérieures avaient été construites sur des taux d’inflation supérieurs, nous estimons que les collectivités locales pourront réaliser leurs opérations à un coût inférieur. Rapporté à l’ensemble des dépenses des collectivités territoriales, soit environ 250 milliards d’euros, ce montant de 1,2 milliard n’est pas considérable. En tout état de cause, il ne s’agit pas de restreindre davantage les dotations.

M. le président Gilles Carrez. Incluez-vous la masse salariale ?

M. le secrétaire d’État au Budget. Sur ce point, vous avez souligné, à juste titre – et cela fait actuellement l’objet de travaux menés par les services du Premier ministre et les associations d’élus – que les dépenses en masse salariale ont été affectées l’année dernière par la revalorisation des catégories C et d’une partie des catégories B. Il est vrai que cette dépense « contraint » les collectivités territoriales, mais un certain nombre d’autres éléments de la masse salariale sont à leur main – et beaucoup le savent ici, puisque je constate que la plupart des élus encore présents à cette heure tardive sont aussi titulaires de mandats locaux.

M. Marc Goua. Ils sont plus résistants !

M. le secrétaire d’État au Budget. Ils sont du reste souvent les plus assidus – j’ai récemment lu dans un grand journal du soir, dont un représentant observe nos travaux, un article fort intéressant à ce sujet. (Sourires.)

Un certain nombre d’éléments, disais-je, sont à la main des élus. J’en citerai deux : le régime indemnitaire, qui est encadré et plafonné, et les durées d’avancement, qui font actuellement l’objet de négociations, conduites par Marylise Lebranchu, en ce qui concerne la fonction publique d’État. Il est à noter que 98 % des fonctionnaires territoriaux avancent systématiquement à la durée minimale, ce qui soulève du reste la question de l’égalité des fonctionnaires d’État et des fonctionnaires territoriaux. C’est un point sur lequel nous serons bien amenés à revenir, car il est paradoxal que les rythmes d’avancement dans les différentes fonctions publiques ne soient pas soumis à des règles similaires. Je rappelle par ailleurs qu’en 2014, la masse salariale de la fonction publique territoriale a augmenté de 4 %, celle de la fonction publique d’État de 0,5 %. Une partie de cette augmentation est due, je l’ai reconnu, à la revalorisation de la catégorie C et d’une partie de la catégorie B.

M. Marc Goua. Ainsi qu’à la revalorisation de certaines cotisations sociales !

M. le secrétaire d’État au Budget. Oui, mais cette revalorisation est également intervenue dans la fonction publique d’État, puisqu’il s’agit de poursuivre le rattrapage du taux de cotisation des retraites – de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) concernant la fonction publique territoriale. Certes, elles ne sont pas totalement comptabilisées de la même façon, mais cette revalorisation n’explique pas, loin s’en faut, la hausse de 4 % de la masse salariale.

Pourquoi avoir précisé que nous attendions 1,2 milliard d’euros d’économies supplémentaires réalisées sur les dépenses de fonctionnement, à condition que les hausses d’impôts locaux restent modérées ? Parce que si l’on ajoute une recette supplémentaire, il est bien évident que l’on aura tendance à la dépenser. Encore une fois, ce n’est pas ce que nous souhaitons. Nous voulons réduire la dépense publique quand cela est possible ou tout au moins ralentir son augmentation, et il convient que les collectivités territoriales y prennent leur part.

M. le ministre des Finances. Je vous rappelle que nous nous retrouverons le 6 mai, pour un débat en séance publique !

M. Charles de Courson. Sans vote !

La Commission autorise la publication du rapport d’information de la rapporteure générale sur le programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 et le programme national de réforme.

Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 22 avril 2015 à 12 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Razzy Hammadi, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Hervé Mariton, M. Patrick Ollier, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Étienne Blanc, Mme Marie-Christine Dalloz, M. David Habib, M. Jean Launay, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier

Assistait également à la réunion. - M. Pierre Lequiller

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