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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 11 juin 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Vice-président

– Examen de la proposition de résolution européenne de Mme Marietta Karamanli sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (n° 1988) (Mme Marietta Karamanli, rapporteure)

– Communication de M. Guy Geoffroy, dans le cadre de la veille européenne, sur la protection des données à caractère personnel

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président.

La Commission examine, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli, la proposition de résolution européenne sur les orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (n° 1988).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Notre réunion de commission va porter exclusivement sur les questions européennes avec l’examen d’une proposition de résolution européenne présentée par Mme Marietta Karamanli consacrée aux orientations pour l’avenir de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Il s’agit de la suite du programme de Stockholm pour les années qui viennent. Ces orientations concernent particulièrement notre Commission puisque c’est à partir de ces grandes lignes que seront ensuite pris les règlements ou les directives dans les domaines des libertés, de la sécurité et de la justice.

L’adoption de cette résolution aujourd’hui par notre Commission permettra qu’elle devienne définitive le 26 juin prochain au moment où se tiendra le prochain Conseil européen.

M. Guy Geoffroy qui assure la veille européenne au sein de notre Commission avec Mme Marietta Karamanli va, quant à lui, faire un point sur la protection des données personnelles. Ce sujet a beaucoup occupé la commission des Lois en particulier lors de la dernière législature avec une mission d’information conduite par M. Jean-Luc Warsmann qui avait abouti à une réunion et à une déclaration communes avec les députés allemands.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Le programme de Stockholm, qui établissait les priorités de l’Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014, arrivant à son terme, il reviendra au prochain Conseil européen, lors de sa réunion des 26 et 27 juin prochains, de définir les futures orientations stratégiques en la matière pour les années 2015 à 2019. La proposition de résolution européenne que j’ai déposée, le 28 mai dernier, au nom de la commission des Affaires européennes, doit nous permettre d’indiquer au Conseil européen notre souhait que les priorités du prochain programme pluriannuel soient ambitieuses et que le citoyen soit au cœur de cette stratégie.

Je dresserai d’abord un bilan succinct du programme de Stockholm, vous renvoyant pour un exposé plus détaillé au rapport d’information que j’ai consacré à ce sujet au nom de la commission des Affaires européennes. J’aborderai ensuite la question des priorités qui devraient figurer dans le prochain programme pluriannuel et qui sont l’objet de la proposition de résolution européenne qui vous est soumise. Les travaux en cours en vue de procéder à l’élaboration de ce nouveau programme de travail s’inscrivent dorénavant dans le cadre du traité de Lisbonne, qui fait du renforcement de cet espace l’un des objectifs fondamentaux de l’Union européenne. En effet, aux termes de l’article 68 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le Conseil européen définit les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Le programme de Stockholm était axé sur des priorités relativement larges : promotion de la citoyenneté et des droits fondamentaux, Europe du droit et de la justice, Europe qui protège, accès à l’Europe et rôle de celle-ci à l’heure de la mondialisation ; était également mise en avant la nécessité pour l’Europe de faire preuve de responsabilité et de solidarité et de travailler en partenariat en matière d’immigration et d’asile. L’étendue de ces priorités n’a pas dû faciliter leur mise en œuvre concrète.

Certes, beaucoup de textes ont été adoptés depuis 2009, que ce soit en matière d’asile, d’immigration, de lutte contre la criminalité ou de coopération judiciaire civile et pénale. On notera ainsi l’adoption du paquet « Asile », le renforcement d’Eurojust et d’Europol ainsi que la consolidation des droits procéduraux, en particulier le droit à l’information et le droit d’accès à l’avocat en matière pénale.

Cependant, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions initialement poursuivies par le programme de Stockholm et beaucoup de progrès restent encore à accomplir. Un rapport d’évaluation de la mise en œuvre du programme de Stockholm de 2013, établi à l’initiative de la Commission « Libertés civiles, justice et affaires intérieures » (LIBE) du Parlement européen, a relevé que l’espace de liberté, de sécurité et de justice se caractérisait par de nombreux déséquilibres : entre liberté et sécurité, en raison du décalage entre les normes protectrices des individus ainsi que la pratique et du retard accumulé dans l’adoption des normes relatives à la protection des données personnelles ; entre justice et sécurité, l’adoption d’une stratégie de sécurité intérieure contrastant avec l’absence d’un réel espace judiciaire européen ; déséquilibres entre États membres enfin, l’espace de liberté, de sécurité et de justice se trouvant morcelé en raison du refus de prendre en considération la géopolitique dans le cas des États méditerranéens et de la volonté de certains pays de mettre en œuvre les « opt-out ». Dans sa résolution du 2 avril 2014 sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm, le Parlement européen a d’ailleurs rappelé que le droit de l’Union européenne devrait être appliqué de manière uniforme et que les dérogations et régimes spéciaux devraient être évités.

Il convient également de regretter l’absence, au-delà d’une approche souvent quantitative, d’une politique d’évaluation systématique des politiques menées pour renforcer l’espace de liberté, de sécurité et de justice. On peut aussi regretter que les études d’impact qui accompagnent les propositions d’actes soient parfois insuffisantes pour dresser un véritable état des lieux des dispositions existantes. Ces évaluations devraient par ailleurs tenir compte des expériences des citoyens.

Préparer l’après-Stockholm suppose donc de recentrer les priorités du prochain programme pluriannuel et de donner une nouvelle impulsion à l’édification d’un espace de liberté, de sécurité et de justice

Il ne fait aucun doute qu’un recentrage sur des priorités politiques claires est aujourd’hui souhaitable. Il s’agit de rendre ces orientations plus visibles. L’enjeu de l’édification d’un espace citoyen est aujourd’hui occulté par le grand nombre de mesures qui apparaissent parfois lointaines par rapport à des préoccupations plus immédiates mais qui contribuent réellement à l’existence d’un État de droit efficace pour tous. C’est pourquoi la proposition de résolution souligne dans ses deux premiers points, d’une part, l’intérêt majeur de la définition d’orientations stratégiques pour l’élaboration de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, d’autre part, la nécessité de recentrer ces orientations sur des priorités moins nombreuses et plus clairement définies qu’elles ne l’étaient dans le programme de Stockholm.

Dans un contexte de crise profonde, la promotion et la défense des droits qui sont au cœur de la construction européenne sont impératives. Dans cette perspective, le point n° 4 de la proposition de résolution européenne rappelle que l’élaboration et la mise en œuvre des politiques européennes en matière de liberté, de sécurité et de justice sont soumises au respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C’est d’ailleurs dans cette même perspective d’une meilleure protection des droits fondamentaux des citoyens européens que l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la CEDH, doit être rapidement finalisée et que les deux propositions de règlement et de directive en matière de protection des données à caractère personnel doivent faire l’objet d’une adoption simultanée au plus tard en 2015. Cette position est réaffirmée aux points n° 5 et n° 6 de la proposition de résolution.

Le point n° 7 insiste sur le fait que les politiques tendant à l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice doivent faire l’objet d’une meilleure articulation avec d’autres politiques sectorielles de l’Union, notamment la politique extérieure de l’Union, la politique de l’emploi, la protection des consommateurs, la politique de recherche ou celle des transports.

S’agissant de la politique migratoire, la proposition de résolution demande, dans son point n° 8, que la priorité soit donnée à la mise en œuvre rapide et au suivi rigoureux des mesures législatives adoptées en matière de droit d’asile. Plus largement, elle salue l’édification d’un espace de libre circulation sans frontières intérieures, plus connu sous le nom d’espace Schengen. Si l’apport que l’immigration légale représente pour les sociétés européennes doit être rappelé, la nécessité d’une politique européenne régulatrice et plus ambitieuse en la matière doit être aussi mieux affirmée. Dans cette perspective, les huitième et neuvième points de la proposition de résolution européenne appellent à un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union et, dans le même temps, à une politique européenne régulatrice et plus ambitieuse en matière d’immigration légale.

Certaines mesures sortent du seul champ de la mobilité des personnes et touchent des sujets très divers : intégration volontariste garantissant les droits des migrants, question de la concurrence salariale au sein des pays de l’Union ou encore politiques de coopération avec les pays tiers connaissant une émigration économique.

S’agissant de la coopération judiciaire en matière pénale, les travaux en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme doivent être poursuivis avec détermination et la coopération opérationnelle entre les services répressifs des États membres doit être renforcée, comme le précise le point n° 11 de la proposition de résolution.

De manière plus générale, il est impératif de renforcer la reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire et de développer les coopérations concrètes, l’échange de bonnes pratiques et les formations européennes des magistrats et des professionnels du droit. C’est ce à quoi appelle le point n° 12 de la proposition de résolution.

Les droits procéduraux doivent également faire l’objet d’une attention particulière. À cet égard, le point n° 13 fait de l’aboutissement des négociations relatives aux propositions de directive déposées en matière de droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies une priorité.

La coopération judiciaire en matière pénale doit également permettre à l’Union de porter des projets ambitieux au service d’une plus grande intégration européenne. Je vous rappelle à cet égard, mes chers collègues, le soutien constant de l’Assemblée nationale, en particulier de notre Commission, à la création d’un Parquet européen, dont le fonctionnement serait collégial et dont les compétences devraient être étendues à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme le précise à bon droit le point n° 14 de la proposition de résolution.

Enfin, celle-ci souligne, dans son point n° 15, l’importance de la confiance mutuelle, de la clarification et de l’harmonisation des règles de conflits de lois pour faciliter la vie quotidienne des citoyens, saluant notamment les progrès récemment accomplis par la coopération judiciaire en matière civile, qu’il s’agisse du droit des régimes matrimoniaux ou du droit des successions.

En conclusion, si le bilan des mesures adoptées dans le cadre du programme de Stockholm est loin d’être négligeable, ce programme pluriannuel est souvent apparu comme un « catalogue » de mesures aux priorités excessivement larges. Le choix de ne pas concentrer les efforts sur des thématiques clairement définies a pu être source de déception. C’est pourquoi il est nécessaire de resserrer les objectifs du prochain programme pluriannuel sur les termes du traité. Des priorités transversales, telles que la transposition rapide des nombreux textes adoptés en application du précédent programme, une meilleure formation des acteurs ainsi qu’une coopération accrue doivent également être défendues.

M. François Vannson. La réaffirmation de notre soutien à la création d’un Parquet européen est un point essentiel de votre proposition de résolution. Existe-t-il un calendrier de mise en œuvre d’un tel projet et est-il possible de savoir quand ce Parquet sera créé ?

M. Alain Tourret. D’une façon générale, en l’absence de précision quant à leur délai de mise en œuvre, les vingt-deux points de la proposition de résolution risquent de rester à l’état de vœux pieux. L’emploi de verbes tels qu’« estimer », « souhaiter », « juger », etc., dans la proposition de résolution, peut le laisser craindre à moins qu’il s’agisse de la forme habituelle de tels textes.

Mme la rapporteure. Ce sont en effet les termes habituellement utilisés dans les résolutions.

S’agissant du calendrier, nous avons voulu que notre assemblée puisse indiquer au Conseil européen les orientations qu’elle souhaitait pour l’élaboration du nouveau programme pluriannuel pour l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, avant la réunion du Conseil des 26 et 27 juin prochains, qui devra se pencher sur la définition de ces orientations stratégiques. Nous recommandons notamment au Conseil que ce futur programme, qui couvrira la période 2015-2019, se concentre sur la mise en œuvre des mesures décidées au cours du programme précédent.

Pour le reste, nous ne sommes pas maîtres du calendrier. C’est à la Commission européenne que reviendra de fixer, avec le Conseil européen, la date de mise en œuvre de ces mesures. C’est pourquoi il était important de signaler dès maintenant au Conseil les orientations qui nous semblent prioritaires.

S’agissant en particulier du projet de Parquet européen, c’est la Commission européenne qui définira le calendrier de sa mise en œuvre. À ce stade, je peux simplement vous indiquer les initiatives émanant des parlements nationaux en ce domaine. Une initiative commune aux Parlements des États membres est notamment prévue fin septembre, afin de nous permettre d’avancer sur les questions prioritaires que sont l’institution d’un Parquet européen et de la protection des données personnelles.

La Commission adopte la proposition de résolution européenne sans modification.

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* *

La Commission prend connaissance de la communication de M. Guy Geoffroy, dans le cadre de la veille européenne, sur la protection des données à caractère personnel.

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur chargé de la veille européenne. La commission des Affaires européennes a adopté le 14 mai dernier des conclusions sur la réforme de la protection des données personnelles, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli. Cette question fait partie, avec celle du Parquet européen, des sujets les plus importants actuellement en matière de justice et d’affaires intérieures. En raison des évolutions technologiques, la protection des données personnelles est devenue en effet depuis plusieurs années un enjeu majeur du respect de la vie privée.

Cette question ayant une dimension transnationale, elle fait l’objet d’une réglementation européenne, reposant actuellement sur la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des données et sur la décision-cadre du 27 novembre 2008 relative aux données personnelles en matière policière et judiciaire.

La Commission européenne a proposé en janvier 2012 une révision de ce cadre législatif, avec d’une part une proposition de règlement général sur la protection des données personnelles et d’autre part une proposition de directive sur les données personnelles en matière policière et judiciaire.

Notre assemblée a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur ce projet de réforme. À l’initiative de M. Philippe Gosselin, une résolution européenne sur la proposition de règlement a été adoptée le 23 mars 2012. En octobre 2012, j’ai, pour ma part, participé à une réunion interparlementaire organisée par la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen sur cette question, avant d’exposer devant notre Commission les enjeux de la réforme, dans le cadre de la veille européenne.

Il est apparu souhaitable de vous présenter aujourd’hui un point sur l’évolution des négociations.

La directive du 24 octobre 1995 garantit une large protection des données personnelles, reprenant l’essentiel des dispositions de la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978.

Cependant, la révision du cadre juridique actuel est apparue nécessaire dans la perspective de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui consacre le droit à la protection des données personnelles et prévoit qu’il appartient au Parlement européen et au Conseil d’adopter les règles relatives à la protection de ces données et à leur libre circulation, un équilibre devant être trouvé entre ces deux principes.

La Commission européenne a fait le choix de proposer un règlement directement applicable, et non une directive, ce qui permettra une harmonisation complète des règles dans l’ensemble des États membres et, espérons-le, un alignement de ces règles par le haut.

Par rapport à la réglementation actuelle, le champ d’application territorial sera étendu au traitement des données personnelles par des responsables de traitement établis hors de l’Union européenne, s’ils visent des résidents de l’Union.

Les règles relatives au consentement des personnes physiques au traitement des données les concernant seront renforcées : ce consentement ne sera plus présumé mais devra être explicite.

Le Parlement européen a adopté le 12 mars dernier différents amendements sur cette proposition de règlement afin de créer de nouvelles obligations en matière d’information des personnes sur les données collectées et leur usage. Il a également limité le nombre de cas dans lesquels le marketing direct est considéré comme automatiquement licite et renforcé le droit d’opposition des personnes dans ce cadre.

De nouveaux droits prenant en compte l’évolution des technologies sont créés, le droit à la portabilité des données et le droit à l’oubli, ce qui représente certainement l’innovation majeure de la proposition. Le droit à la portabilité des données concerne le transfert de données d’un prestataire de services à un autre, qui doit être autorisé tout en faisant l’objet d’un encadrement, tandis que le droit à l’oubli vise la suppression de données lorsqu’aucun motif légitime ne justifie leur conservation.

Dans un objectif de simplification des obligations des entreprises, seuls les traitements susceptibles de présenter des risques particuliers pour les droits et libertés devront être notifiés aux autorités de contrôle, accompagnés d’une analyse de leur impact sur la protection des données personnelles.

Un système de « guichet unique » sera mis en œuvre : l’autorité de contrôle de l’État membre dans lequel le responsable du traitement dispose de son établissement principal sera seule compétente pour juger des atteintes au règlement.

Les pouvoirs de sanction des autorités de contrôle seront renforcés : dans le texte initial, il est prévu qu’elles puissent infliger des amendes aux entreprises pouvant aller jusqu’à un million d’euros ou 2 % du chiffre d’affaires annuel. Le Parlement européen a adopté un amendement visant à porter le plafond des sanctions à 100 millions d’euros ou 5 % du chiffre d’affaires.

Enfin, un Comité européen de la protection des données (CEPD), composé des directeurs des autorités de contrôle nationales et du contrôleur européen de la protection des données sera créé.

Malgré les avancées contenues dans la proposition et l’évolution des négociations, certains points soulèvent toujours des difficultés.

La question de la détermination de l’autorité de contrôle compétente pour juger des atteintes à la règlementation fait toujours l’objet de discussions au niveau européen. Comme nous l’avions souligné en 2012, la procédure du « guichet unique » risque d’encourager l’implantation d’entreprises dans les États membres où les autorités de contrôle ont l’approche la moins stricte de la protection des données. De plus, ainsi que l’a estimé le service juridique du Conseil de l’Union européenne dans un avis du 19 décembre 2013, cette procédure ne permettrait pas l’exercice du droit à un recours effectif, en raison de sa complexité pour les citoyens.

Au Conseil, il est à présent envisagé de maintenir le critère de l’établissement principal tout en créant un mécanisme de coopération entre les autorités de contrôle concernées. Parallèlement, le Parlement européen a adopté un amendement prévoyant le maintien du critère de l’établissement principal et la désignation d’une autorité « chef de file » qui ne pourrait prendre de décision qu’après avoir consulté les autres autorités de contrôle et recueilli l’avis du comité européen de protection des données. Le dispositif final sera nécessairement complexe ; il devra permettre la libre circulation des données tout en garantissant leur protection.

Les discussions évoluent donc dans un sens favorable mais il convient de rester vigilant sur cette question. Il serait en particulier souhaitable de confier au comité européen de protection des données des pouvoirs juridiquement contraignants en cas de désaccord entre l’autorité « chef de file » et les autres autorités nationales concernées.

Nous avions également critiqué le recours excessif aux actes délégués et aux actes d’exécution prévu dans la proposition. Sur une question aussi sensible que la protection des données, il apparaît toujours indispensable que la législation européenne soit la plus précise possible et que le recours à la comitologie reste limité aux seules exigences techniques d’exécution.

S’agissant des transferts internationaux de données, le Parlement européen a introduit un article visant à encadrer le transfert par des entreprises soumises à la réglementation européenne à des autorités publiques de pays tiers. Il conviendra par ailleurs que les discussions sur les transferts internationaux de données prennent en compte les négociations relatives à la révision de la « convention 108 » du Conseil de l’Europe.

Enfin, une attention particulière devrait être portée à l’effectivité du droit à l’oubli. Mme Karamanli, a évoqué à cet égard dans sa récente communication en commission des Affaires européennes plusieurs pistes intéressantes, comme l’effacement par principe des données d’un profil d’utilisateur après un certain délai si aucun usage n’en est fait ou la possibilité pour les utilisateurs de définir une date de péremption de leurs publications, ou encore la possibilité pour les personnes concernées de s’adresser à l’hébergeur du site de publication afin d’obtenir la suppression de données personnelles en l’absence de réponse du responsable de traitement initial. D’autres idées émergeront peut-être des différentes réflexions auxquelles nous apporterons notre concours.

L’évolution des négociations sur la proposition de règlement, qui devraient aboutir en 2015, est positive et l’on peut espérer que le texte final sera satisfaisant

La proposition de directive relative à la protection des données personnelles en matière policière et judiciaire étend, quant à elle, de façon substantielle le champ d’application de la réglementation des fichiers dits « de souveraineté ». En effet, tandis que la décision-cadre de 2008 ne vise que les échanges de données entre États, la proposition de directive s’applique aux traitements de données effectués par les autorités compétentes au sein des États membres en matière de prévention et de détection d’infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites ou d’exécution de sanctions pénales. Il conviendra donc de trouver un équilibre entre les nécessités des enquêtes et le respect des données personnelles ainsi que la présomption d’innocence.

Les droits des personnes concernées par le traitement de données personnelles seront renforcés. La proposition prévoit tout d’abord un droit à l’information, portant notamment sur l'identité et les coordonnées du responsable du traitement, les finalités du traitement, la durée pendant laquelle les données sont conservées, l'existence du droit d'accès et d’un droit de réclamation auprès de l'autorité de contrôle, les destinataires des données personnelles, y compris les pays tiers et les organisations internationales et toute autre information nécessaire pour assurer un traitement loyal des données. Lors de la collecte des données personnelles, le responsable de traitement devra communiquer aux personnes concernées des informations sur le caractère obligatoire ou facultatif de la fourniture des données.

Un droit d’accès des citoyens aux données les concernant est également prévu. Toutefois, les États membres pourront, par la loi, procéder à une limitation de ce droit d’accès, si elle « constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique » compte tenu des intérêts légitimes de la personne.

Enfin, un droit à la rectification des données inexactes et à l’effacement des données dont le traitement est illicite s’exercerait directement auprès du responsable du traitement.

Compte tenu de la particularité des matières concernées, le choix de la Commission européenne de présenter un texte distinct paraît pleinement justifié. En revanche, la spécificité de la matière pénale devrait être mieux prise en compte dans le contenu de la proposition, en particulier dans la définition des droits des personnes concernées, qui sont directement inspirés du régime des données personnelles tel que prévu dans la proposition de règlement.

Les transferts de données vers des pays tiers ne pourraient avoir lieu que s'ils sont nécessaires à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuite, ou d'exécution de sanctions pénales.

Ces transferts seraient autorisés lorsque la Commission européenne a adopté une décision constatant le caractère adéquat du niveau de protection dans l’État tiers. En l'absence d'une telle décision, le transfert ne pourrait avoir lieu que lorsqu'il existe des « garanties appropriées », qui devraient être offertes par un instrument juridiquement contraignant, tel qu'une convention internationale, ou dans certains cas limitativement énumérés (menace grave et immédiate pour la sécurité publique d'un État membre ou d'un État tiers, nécessité à des fins de prévention et de détection d'infractions pénales par exemple).

Le Parlement européen a adopté un amendement prévoyant que la Commission européenne pourrait prendre des décisions dans lesquelles elle déclarerait qu’un État tiers n’assure pas un niveau de protection des données adéquat, ce qui contraindrait les responsables de traitement à offrir des garanties dans un instrument juridiquement contraignant. Cette mesure pourrait avoir pour effet d’obliger les États membres à dénoncer des accords existants avec des États tiers, ce qui risquerait de compromettre la coopération internationale en matière policière et judiciaire.

Enfin, la proposition prévoit une clause générale de renégociation des accords internationaux de transferts de données dans un délai de cinq ans, qui paraît largement irréaliste.

En conclusion, les deux textes en cours de discussion répondent à des ambitions légitimes. S’agissant de la proposition de règlement, que le Conseil européen souhaite voir adoptée d’ici 2015, nous devons continuer à exercer notre vigilance, afin qu’elle se traduise réellement par une harmonisation des législations des États membres vers le haut et qu’elle embrasse toutes les questions posées par les évolutions technologiques ; je pense notamment au droit à l’oubli sur les réseaux sociaux. Pour ce qui concerne la proposition de directive, sur laquelle les négociations avancent plus lentement, il conviendra de veiller à une meilleure prise en compte de la spécificité du domaine pénal et à un encadrement réellement efficace des transferts de données avec les États tiers.

Je remercie Mme Marietta Karamanli pour l’important travail qu’elle a effectué sur cette réforme dans le cadre de la commission des Affaires européennes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je remercie le rapporteur pour cette excellente présentation, très détaillée, qui nous permet de percevoir le fait que ces deux textes auront d’énormes conséquences sur notre législation dans les prochaines années.

M. Philippe Gosselin. Je remercie également le rapporteur pour cet exposé très nourri qui constitue un sérieux point d’étape sur le processus législatif européen en matière de protection des données à caractère personnel. Ces deux textes ont de grandes ambitions. Ils auront un impact direct sur chaque citoyen mais ils traduisent également l’approche collective des États membres en matière de sécurité.

Je souhaite insister sur le droit à l’oubli consacré par le projet de règlement européen pour rappeler que nous devons absolument veiller à la suppression effective des données et pas simplement à la non-visibilité de ces données. Je sais qu’il est très difficile d’assurer cette effectivité mais elle me semble constituer l’enjeu essentiel. Il y a une très forte demande des citoyens en la matière comme le montre l’engouement de milliers d’internautes pour la mise en œuvre du droit à l’oubli instauré, il y a peu, par une grande société que je ne nommerai pas. L’éducation des jeunes sur la protection des données personnelles est également un grand chantier. Par rapport au texte initial, je constate des améliorations significatives mais l’horizon qui semble se dessiner pour l’adoption définitive de ce règlement est 2015. Nous devrons donc être très vigilants tout au long de cette période. Je souligne qu’à la fin de la précédente législature, M. Bloche avait également proposé une résolution sur ce thème et que nous partageons, sur tous les bancs, les mêmes préoccupations.

Par ailleurs, nous devrons avoir à cœur de concilier les objectifs de la directive avec le contenu du règlement européen. Je ne doute pas que, lors de la transposition des objectifs de cette directive, les débats soient assez vifs compte tenu de nos conceptions assez différentes de la sécurité et des sujets que cette directive soulève.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure chargée de la veille européenne. Je précise que nous avons décidé, au sein de la commission des Affaires européennes, d’adopter, dans un premier temps, des conclusions sur ces deux textes. Nous proposerons, dans un second temps, une résolution européenne lorsque la nouvelle Commission européenne aura été nommée et après avoir procédé à des échanges avec d’autres parlements nationaux sur ce sujet, dans le cadre de la coopération interparlementaire.

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur chargé de la veille européenne. Je remercie Philippe Gosselin d’avoir insisté sur la question de l’effectivité de l’effacement des données à caractère personnel. Il nous faudra en effet être extrêmement vigilant sur ce point car, sans droit à l’oubli, il ne peut y avoir aucun équilibre sur la question de la protection des données.

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La séance est levée à 11 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwann Binet, M. Marcel Bonnot, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Nathalie Appéré, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jean-Jacques Urvoas