Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la délégation aux outre-mer

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Délégation aux outre-mer

Mercredi 19 février 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer

– Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur le régime de l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre et sur ses perspectives, ainsi que sur les orientations concernant les futurs projets de loi relatifs à l’économie outre-mer, à l’octroi de mer, à la transition énergétique et à la biodiversité.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, pour évoquer avec vous l’organisation commune du marché du sucre, ses perspectives, et les orientations contenues dans les projets de loi relatifs à l’économie outre-mer, à l’octroi de mer, à la transition énergétique et à la biodiversité.

L’Organisation commune du marché du sucre (OCM sucre) est actuellement régie par le règlement du Conseil du 20 février 2006 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre et qui instaure un système, assez classique dans le cadre de la PAC, de quotas de production et de prix garantis.

Le règlement est coordonné avec les dispositions du traité du GATT – General Agreement on Tarifs and Trade –, accord multilatéral de libre-échange signé le 30 octobre 1947, à l’initiative des États-Unis, et sensiblement remanié par l’accord de Marrakech en 1994, lequel a également abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a pour objet de réguler les relations commerciales internationales, de faire disparaître in fine tout contingentement à l’importation et à l’exportation, et d’éviter les distorsions de concurrence. En conséquence, le règlement européen limite les exportations de sucre de l’Union européenne à un quota qui s’élève à un peu plus d’un million de tonnes par an.

Pour sortir de cette contrainte, la réglementation européenne doit nécessairement évoluer.

La validité du règlement communautaire de l’OCM sucre s’achève dans le courant de l’année 2015. Ensuite, après une période transitoire de deux ans, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2017, tous les quotas seront supprimés, qu’ils s’appliquent à l’exportation ou au marché intérieur.

Cette suppression devrait entraîner une baisse très sensible du prix du sucre sur le marché européen et son alignement sur celui du commerce international, mais aussi intensifier la concurrence sur le marché de l’Union.

La suppression des quotas concerne La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe – et non la Guyane, qui transforme presque exclusivement le sucre produit par les cultures de canne en rhum agricole.

La Délégation aux outre-mer a souhaité étudier cette question. À cet effet, elle a nommé trois rapporteurs qui devraient, à la fin du mois d’avril, présenter un rapport d’information. Il s’agit de M. Philippe Gosselin, député de la Manche, de M. Patrick Lebreton, député de La Réunion, et de moi-même, en tant que président de la Délégation mais également rapporteur sur l’OCM sucre en 2006 alors que j’étais député au Parlement européen.

M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cet échange sur un certain nombre de sujets qui constituent de véritables enjeux pour nos Outre-mer.

Je vous rappelle quelques textes importants initiés par le Gouvernement, et auxquels j’aimerais vous associer, mesdames et messieurs les députés : la déclinaison pour l’outre-mer du Pacte de responsabilité, la mise à plat fiscale demandée par le Premier ministre, le toilettage des lois organiques de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, et la réforme de l’octroi de mer, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2014 après consultation des instances européennes.

D’autres textes intéressent les Outre-mer : le recours à la procédure accélérée pour la loi de finances, qui nous permettra de dégager 50 milliards d’euros sur trois ans, dont 18 milliards en 2015, la loi d’avenir pour l’agriculture et son volet outre-mer, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, ainsi que les projets de loi sur la décentralisation.

J’en viens au premier objet de notre réunion, à savoir la fin programmée des quotas sucriers en 2017 qui inquiète les élus et les acteurs socioprofessionnels. Il convient d’aider la filière à préparer l’après-2017 et sur ce point je serai attentif aux conclusions de votre rapport.

Le Gouvernement inscrit résolument son action dans le cadre du soutien à l’agriculture des territoires d’outre-mer. Ce soutien est parfaitement justifié compte tenu du poids du secteur agricole dans nos territoires en termes de PIB, d’emploi, d’occupation de l’espace et de paysage. Il n’y a pas de doute à avoir quant à la détermination du Gouvernement, comme en témoignent les décisions prises au cours des vingt derniers mois.

Ainsi le titre outre-mer de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, à laquelle votre délégation a directement contribué, permettra d’accompagner nos agricultures vers un nouveau modèle agro-écologique de production, tout en maintenant des dispositions très spécifiques en direction de nos priorités – installation des jeunes, préservation du foncier, valorisation de la production locale ; quant à la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, elle a permis de revaloriser significativement les retraites agricoles.

La question de la canne fait l’objet depuis quelques mois de polémiques inutiles et de contrevérités, mais surtout elle suscite des inquiétudes légitimes auxquelles il est de ma responsabilité de répondre.

S’il en est encore besoin, je rappelle une évidence : il n’a jamais été question d’organiser « la fin de la canne ». Je connais trop bien le rôle des cultures traditionnelles sur le plan de l’emploi, de l’aménagement rural ou de la création de valeur, et je sais que les cultures susceptibles de se substituer aux cultures traditionnelles ne sont pas encore au point, ni en mesure d’occuper les superficies que la canne ou la banane occupent aujourd’hui.

En revanche, s’il n’est pas dans notre intention de voir disparaître la canne, il convient que nous nous préparions à une évolution qui va modifier substantiellement l’organisation du marché du sucre.

Les quotas sucriers – c’est-à-dire le mécanisme d’encadrement du marché sucrier, qui se résume schématiquement par la fixation de quotas de production dont le prix d’achat est garanti au-dessus du cours mondial du sucre – ont été condamnés en 2005 par l’OMC au motif que ce mécanisme de régulation portait une atteinte disproportionnée à la concurrence.

Cette perspective de réforme du mécanisme de soutien au secteur sucrier n’est donc en rien une nouveauté. À tel point que le POSEI – programme d’options spécifiques pour l’éloignement et l’insularité – mis en place en 2006 a intégré cette perspective et qu’une part essentielle de l’aide au secteur est constituée d’une « aide forfaitaire à la réforme de l’OCM sucre ».

Le seul élément vraiment nouveau est le calendrier, car après un accord passé entre la Commission, le Parlement et le Conseil, les quotas sucriers disparaîtront en 2017. Il nous reste donc peu de temps pour nous préparer à cette échéance.

J’en viens aux grands équilibres du secteur. La production de sucre de canne dans les DOM s’élève à 260 000 tonnes – à comparer aux 4,5 millions de tonnes de sucre de betterave produits en métropole, aux 18,5 millions produits en Europe et aux 175 millions produits au niveau mondial.

La France, 8ème producteur mondial et premier producteur européen de sucre, reste un acteur non négligeable du marché.

Dans les DOM, le poids de la filière est considérable : 15 000 emplois, plus de 42 000 hectares de terres agricoles, cinq sucreries – Bois-Rouge et Le Gol à La Réunion, les sucreries du Moule et de Marie-Galante en Guadeloupe, la sucrerie du Galion en Martinique, sans compter que quelques grands groupes industriels – Tereos à La Réunion, COFEPP en Guadeloupe – ont investi dans la filière.

Depuis de nombreuses années, le secteur bénéficie d’un soutien public conséquent, tant au niveau européen que national. Depuis la réforme de l’OCM sucre, les conventions canne 2006-2015 encadrent le soutien apporté à la filière dans chaque DOM.

L’ensemble du secteur – canne, sucre, rhum – est soutenu par le biais du POSEI à hauteur de 75 millions d’euros par an, dont 59 millions au titre de l’aide forfaitaire.

Ces aides sont complétées par des aides nationales annuelles. Celles-ci sont autorisées par la Commission européenne dans la limite d’un plafond de 90 millions d’euros, dont 56 millions pour les planteurs, en complément du prix de la canne, 10 millions pour les industriels du sucre, en complément de l’aide forfaitaire POSEI, et 24 millions consacrés à l’écoulement du sucre DOM en métropole – dont le montant, payé au réel, n’est pas réparti.

Ces aides ont fait l’objet d’une augmentation inversement proportionnelle à la baisse du prix de référence du sucre sur le marché européen, ce qui a favorisé la stabilité économique de la filière et permis aux sociétés sucrières d’engager des investissements importants.

J’ai lu récemment dans la presse que ces aides bénéficiaient plus aux Antilles qu’à La Réunion. De telles polémiques ne devraient pas avoir lieu, d’autant que certains éléments ne peuvent être comparés, en particulier l’efficacité industrielle des usines. Au lieu d’entrer dans les détails des chiffres, concentrons-nous sur l’essentiel, vérifions que les modalités des aides correspondent bien aux surcoûts rencontrés par la filière et que le dispositif de soutien est efficace.

Comment l’État pourrait-il favoriser un territoire au détriment des autres sachant que ce n’est pas lui qui fixe le prix de la canne ? Celui-ci est construit à partir du prix industriel de base, auquel s’ajoutent la valorisation énergie, diverses primes liées aux zones difficiles, une aide à la production, une fraction d’ICHN – les indemnités compensatoires de handicaps naturels –, une aide au transport. Toutes ces aides sont détaillées dans la convention canne de chaque département qui est signée par les planteurs.

Les conventions cannes ont fixé le prix industriel d’achat de la tonne de canne à 34,76 euros en Martinique, pour une richesse de 8 %, à 23,81 euros en Guadeloupe, pour une richesse de 9 %, et à 39,09 euros à La Réunion, pour une richesse de 13,8 %. Ainsi, en Martinique, le total des aides aboutit à un montant de 84,84 euros la tonne de canne ; à La Réunion, la même assiette d’aides s’élève à 85 euros la tonne, hors prime bagasse.

L’écart entre les richesses retenues s’explique par les conditions de production – climat, saisons – qui diffèrent selon les territoires.

Il est donc délicat de vouloir comparer la situation de chaque territoire par rapport aux autres. Je pense que nous devons jouer l’unité et non la dispersion.

Enfin, l’implication du Gouvernement en faveur de la filière s’est manifestée à l’occasion de l’épineuse question de la fiscalité du rhum des DOM, qui, vous le savez parfaitement, comportait des risques de fragilisation durable et irréversible de la filière. Cette question devrait trouver une issue favorable. Encore une fois, les actes parlent pour nous, au-delà de toute interprétation.

Nos Outre-mer abordent la perspective de la fin des quotas sucriers avec des situations de départ très différentes.

La Réunion, avec une production moyenne de 205 000 tonnes de sucre, est le territoire le plus directement concerné. C’est sur la part de la production destinée au raffinage en Europe, qui s’élève à 100 000 tonnes, que peut intervenir une baisse des prix liée à la fin de l’encadrement du marché, car cette production se trouvera en concurrence directe avec la production européenne et internationale et devra s’aligner sur les prix pratiqués sur le marché européen. Or les coûts de production sont largement supérieurs en outre-mer à ce qu’ils sont en Europe continentale. Les professionnels estiment ce surcoût à 350 euros par tonne, dont 100 euros non compensés par les subventions. L’étude en cours permettra naturellement d’objectiver ces données et de déterminer s’il convient d’adapter les aides au secteur.

L’autre part de la production est vendue sous forme de sucres spéciaux, à forte valeur ajoutée. Cette production, plus rémunératrice, doit être encouragée. La Réunion se positionne en leader sur ce marché. Mais, je ne vous le cache pas, j’espère que ce débouché ne sera pas limité par des ouvertures successives du marché européen, notamment dans le cadre d’accords internationaux et bilatéraux. Nous avons engagé une réflexion au niveau interministériel pour étudier la possibilité de demander l’exclusion de ce secteur des accords commerciaux à venir.

Les Antilles sont moins concernées par la suppression des quotas sucriers. En Guadeloupe, la production moyenne avoisine les 52 000 tonnes de sucre, et celui-ci est raffiné à Marseille par l’entreprise Saint-Louis Sucre.

En Martinique, la production moyenne ne dépasse pas les 3 000 tonnes et alimente uniquement le marché local.

Les cinq sucreries des DOM produisent toutes du rhum de sucrerie, ce qui permet de valoriser la mélasse et d’améliorer la situation financière des unités. Ceci est d’autant plus vrai pour la Guadeloupe, où l’usine de Gardel dispose de contingents fiscaux en propre.

J’en viens aux conséquences probables de la fin des quotas.

La fin des quotas peut entraîner une modification de l’équilibre actuel du marché du sucre et une baisse du prix européen. Toutefois cette baisse est difficile à anticiper, en termes de niveau et de progression, du fait d’un nombre important de variables comme l’évolution de la consommation et de la production mondiale de sucre, l’évolution de la production d’isoglucose, la progression des importations en raison des libéralisations accordées dans le cadre des accords commerciaux, la production des pays ACP et des pays les moins avancés (PMA), mais également le niveau des exportations, étroitement lié au différentiel entre prix mondial et prix européen, l’avenir de la filière du raffinage, le niveau de change monétaire.

Pour se préparer à la fin des quotas, la filière doit répondre à trois exigences relativement incontournables : améliorer sa compétitivité, élever son niveau de production et intensifier la compétitivité hors prix en agissant sur la qualité, la sécurité d’approvisionnement, la logistique.

Pour y parvenir, elle peut agir de différentes façons.

Tout d’abord, aider les industriels à améliorer leur compétitivité en calibrant au mieux le dispositif d’aide dans le cadre du POSEI et l’aide nationale – l’étude en cours doit nous permettre d’objectiver les situations, d’évaluer l’efficacité des dispositifs de soutien publics et les éventuels besoins ;

Elle peut par ailleurs soutenir la production de canne, notamment en organisant la défense du foncier par le biais des commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA) et en favorisant l’utilisation optimale des terres agricoles, conformément à une disposition relative à l’indivision contenue dans la loi d’avenir pour l’agriculture ;

Elle peut également miser sur le développement de la filière « sucre spéciaux » et la reconnaissance de la qualité en développant les indications géographiques protégées (IGP), encourager les nouveaux débouchés comme la chimie verte, l’innovation, la recherche, et enfin assurer la recette « rhum » des usines en maintenant le régime fiscal du rhum – sur ce point, nous attendons la décision du Conseil, qui interviendra le 21 février prochain.

De nombreux groupes de travail – comité sectoriel canne, groupe sucre – se réuniront au cours du premier semestre 2014 afin de définir une stratégie d’ensemble pour la filière et arrêter un plan d’adaptation à la fin des quotas.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous vous remercions pour votre analyse, monsieur le ministre, que naturellement nous partageons.

Il est indispensable en effet de développer la labellisation des sucres produits dans les Outre-mer sur le marché européen et de faire de l’indication géographique protégée une réalité.

M. Jean Jacques Vlody. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les paroles rassurantes que vous avez prononcées.

L’échéance de 2017 est connue de longue date, en effet, et il est surprenant que les responsables politiques et la filière ne s’en préoccupent que maintenant. Quoi qu’il en soit, c’est à notre majorité qu’il appartiendra d’en assumer les conséquences.

Nous sommes d’accord sur la nécessité de préparer la transition, mais nous n’en avons pas détaillé les pistes et les montages financiers. Or il est temps pour nous de proposer des solutions à la filière.

Vous avez rappelé l’importance de la filière canne à La Réunion, la place du sucre de canne dans la production française et la place de celle-ci en Europe. Il appartient à l’État de garantir cette production de niche. Qu’avons-nous à proposer aux acteurs de la filière pour les aider à anticiper la fin de la compensation financière et garantir la pérennité de la filière ?

Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, j’ai écouté attentivement votre intervention. La cessation des quotas était annoncée depuis longtemps, il nous faut à présent la préparer de façon concrète.

La production de tabac en Dordogne a été confrontée aux mêmes problématiques que la canne. Or, la fin des aides découplées s’est traduite par la perte d’un grand nombre de producteurs, qui sont passés d’un millier à moins de 200 en moins de dix ans. Et un certain nombre d’exploitations n’ont pas été reprises par un jeune parce que les agriculteurs, compte tenu du faible niveau de leur retraite, préfèrent conserver leurs terres pour percevoir l’aide découplée à l’hectare.

L’Institut du tabac de Bergerac a été repris par une entreprise internationale et est à la veille de fermer ses portes. Il reste à Sarlat une usine de première transformation du tabac. Le jour où elle sera vendue à une entreprise internationale, celle-ci oubliera l’histoire de cette production et n’hésitera pas à la déplacer. Il est indispensable de trouver de nouveaux débouchés pour le sucre de canne, autres que le rhum dont le marché est fragilisé par la question fiscale. L’IGP ne doit pas s’arrêter à la production. Le sucre ne doit pas être transformé ailleurs que là où il est produit, faute de quoi, dans les Outre-mer, vous perdrez à la fois la production et la valorisation.

M. Daniel Gibbes. Bien que député d’une île dont l’économie est essentiellement liée au tourisme, je m’associe aux propos de mes collègues. Comment encourager la diversification et éviter la disparition des terrains agricoles ?

M. François Scellier. La problématique du maintien des cultures se pose en outre-mer, mais aussi dans nombre de régions de la métropole et même en Ile-de-France, où la consommation excessive des terres agricoles pour la construction dénature profondément les paysages.

Même s’ils sont attachés au pouvoir d’achat des populations qui vivent de l’agriculture, les responsables politiques ne peuvent se satisfaire éternellement des aides publiques à la production, et leur devoir est d’impulser une politique de valorisation des produits agricoles. Dans cet objectif, la recherche peut permettre de trouver les moyens de valoriser le sucre de canne, comme c’est le cas par exemple pour l’huile d’olive de qualité supérieure produite en Provence. Et comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, cette valorisation doit être territorialisée.

M. Boinali Said. J’ai été très sensible aux propos de Mme Allain. Il est en effet urgent de protéger l’emploi dans les Outre-mer, d’où l’importance de l’innovation.

M. le ministre. Vous avez évoqué les perspectives pour les Outre-mer. Faute d’être anticipée, la modernisation risque d’aboutir à des pertes d’emplois. Dans ce contexte, les acteurs professionnels et les élus doivent être étroitement associés à l’action gouvernementale, dont je vous ai présenté les grandes lignes.

Je le rappelle : nous avons commandé une étude et des groupes de travail devraient être opérationnels avant la fin du mois juin. Afin de mettre au point une stratégie d’ensemble pour la filière et arrêter un plan d’action et de modernisation, plusieurs axes ont été retenus : le soutien à la production de canne, la défense du foncier affecté à la canne, l’aide aux filières de diversification et à la valorisation des coproduits. À cet égard, la canne est un produit miraculeux ! Les débouchés potentiels sont en effet nombreux : bioplastique, cosmétique, biocarburant, médicaments. Dans ce dernier domaine, je pense au policosanol de canne à sucre, fabriqué à Cuba et indiqué contre le cholestérol. Parmi les autres coproduits, citons l’alcool, produit grâce à la mélasse, comme la levure, les micronutriments, les engrais biologiques, les composés pour les animaux. Je pourrai encore vous parler des panneaux agglomérés, de la production d’énergie. Vous le voyez : la canne à sucre a un grand avenir ! Dans un contexte de concurrence potentielle, les progrès technologiques devront permettre de mieux valoriser la production cannière. Il existe même des possibilités dans le secteur chimique, avec le furfural pour la fabrication de résine, de plastique, d’herbicide, d’acide, etc. Nous allons étudier toutes ces perspectives prometteuses, sur la base du rapport que nous attendons des professionnels. Ces derniers sont d’ailleurs optimistes, puisque les grands groupes comme Tereos et Cofepp ont d’ores et déjà investi massivement à La Réunion et à la Guadeloupe.

Concernant la loi sur la biodiversité, nous devrons tous être vigilants. La Réunion a déjà des perspectives grâce à l’ananas Victoria, ou encore aux déchets de mangues pour lesquels les antioxydants représentent un marché de plus d’un milliard d’euros. Oui, l’innovation peut offrir un nouvel avenir à nos territoires grâce à la canne à sucre.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous en venons à la seconde partie de votre audition, monsieur le ministre.

M. le ministre. Sur l’octroi de mer, le dossier s’avère délicat, notamment s’agissant des délais dont nous disposons pour boucler la procédure : le dispositif actuel s’éteint le 30 juin 2014. La Commission européenne a débuté l’examen de notre dossier très tardivement, en janvier 2014, alors même que notre demande a été déposée le 7 février 2013 et que les listes de produits sur lesquels des différentiels de taux ont été demandés lui ont été transmises en mai 2013.

Pour Mayotte, il y a rétroactivité : l’octroi de mer s’applique depuis le 1er janvier – les textes seront publiés ultérieurement.

La DG TAXUD achève actuellement l’examen des listes de produits pour La Réunion. Elle a fait des demandes complémentaires pour les autres territoires.

A priori, elle table sur une proposition de décision au début du mois de mars, avec un examen au Parlement européen dans sa session d’avril, ce qui signifierait une décision du Conseil à la fin du mois d’avril. Cette hypothèse de travail tend notre calendrier national, si l’on souhaite aboutir, avant le 30 juin 2014. J’émets donc quelques doutes…

En cas de retard, nous demanderons une prorogation pour un ou deux mois – et non pour une ou trois années comme certains le demandent –afin de donner le temps à la Commission européenne de finir son examen et à la représentation nationale de finaliser la transposition en droit national. Nous avons commencé à travailler pour être prêts, sitôt la décision de l’Union européenne disponible, à soumettre la procédure de transposition à l’Assemblée et au Sénat, sans doute selon la procédure d’urgence.

En tout état de cause, il n’y aura pas de vide juridique sur le régime de l’octroi de mer. Le Gouvernement est mobilisé sur cette question, en particulier le ministre délégué aux relations avec le Parlement, M. Alain Vidalies, pour trouver les créneaux nécessaires à l’examen du texte au Parlement.

Sur la déclinaison outre-mer du Pacte de responsabilité, je planche actuellement sur les dispositions qui pourraient intéresser directement nos économies : c’est la feuille de route qui m’a été assignée. En réalité, il faudra mettre en œuvre, dans un calendrier bref, le Pacte de responsabilité, la mise à plat fiscale, mais aussi voter la loi de finances et la loi sur l’octroi de mer.

Dans le cadre du Pacte de responsabilité, devraient être supprimées d’ici à 2017 l’équivalent des cotisations sociales employeurs, soit 30 milliards d’euros, y compris l’équivalent de 20 milliards de baisse de charges du CICE pour les entreprises. Il reste donc à trouver 10 milliards. Des dispositifs avantageux existent dans les Outre-mer, notamment sur les bas salaires. La suppression du CICE serait donc problématique. Il ne faudrait pas défavoriser les emplois peu qualifiés et, par ricochet, favoriser les revenus les plus élevés.

Une réflexion est engagée sur la façon de préserver l’attractivité dans les Outre-mer. En tout état de cause, il y aura une déclinaison du Pacte de responsabilité outre-mer. Nous devrons, tous ensemble, œuvrer pour aboutir à un texte de qualité.

Concernant le projet de loi sur la biodiversité, une communication a été faite récemment à l’Assemblée nationale.

Cette question de la biodiversité est au cœur des préoccupations du Gouvernement. Le processus d’élaboration du texte est en cours et il reste deux points majeurs à arbitrer.

Le premier est de savoir à quel niveau on place le pouvoir d’instruction et de délivrance des déclarations et autorisations : au niveau de l’État ou bien, de manière décentralisée, au niveau des collectivités locales d’outre-mer. L’arbitrage est en cours : ce serait plutôt les régions qui devraient décider.

Le second est de savoir comment on procède au partage des avantages au bénéfice des populations locales au regard de notre Constitution. Le projet de loi définit la notion de communautés d’habitants outre-mer pouvant bénéficier de ce dispositif de partage des avantages, ce qui n’a pas été un exercice facile entre les exigences du protocole de Nagoya et les principes intangibles de notre Loi fondamentale.

Les professionnels des régions d’outre-mer sont inquiets, sachant qu’aucune autorisation n’est exigée actuellement pour pouvoir étudier, par exemple, les molécules de la mangue ou de l’ananas Victoria. Le texte ne va-t-il pas créer une discrimination entre entreprises et écarter les TPE et PME ? Nous serons très vigilants sur ces questions et nous nous attacherons à instaurer un partage juste et équitable des avantages tirés de la biodiversité de nos régions.

Je vous rappelle par ailleurs que le Gouvernement va engager la refonte du code minier. Il utilisera en partie la procédure des ordonnances pour la mise en œuvre de cette réforme. Comme pour la biodiversité, un certain nombre d’articles porteront sur le niveau de décision. Là aussi, le Gouvernement souhaite associer les régions. Mais il devra également trouver le moyen de permettre à ces dernières d’instruire, comme l’État le fait actuellement, les permis de recherche et les permis d’exploitation face aux multinationales toutes puissantes. Nous y réfléchissons. En outre, il faut se demander si un opérateur public s’impose pour certains produits, comme l’or et les terres rares. Une réflexion est engagée à ce sujet. Enfin, la fixation d’une redevance, partagée entre l’État, le département, la région, la commune où se trouve le site minier, est envisagée. Vous serez bien sûr associés à cette réflexion.

M. Daniel Gibbes. Monsieur le ministre, vous m’avez sollicité sur le toilettage des lois organiques. J’ai consulté les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy et les CESC (conseil économique social et culturel). Si cette dernière a déjà indiqué, par une délibération du 20 décembre 2013, la direction dans laquelle elle veut aller, ce n’est pas le cas pour Saint-Martin, dont un conseil territorial, le 27 février, permettra la création d’une commission ad hoc pour évoquer ces sujets.

Concernant l’octroi de mer, la collectivité de Saint-Martin est-elle également au centre des préoccupations, sachant qu’une mission dédiée a été créée ?

M. Jean Jacques Vlody. Monsieur le ministre, vous négociez actuellement avec les instances européennes sur l’octroi de mer. Quelle sera, selon vous, l’orientation de l’Union européenne en la matière ?

Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, la transition énergétique appelle d’autres modes de production et de consommation et donc des créations d’emplois. Avec la valorisation des ressources locales, elle constitue une chance pour les Outre-mer.

En matière de production géothermique, la Guadeloupe enregistre une certaine avance par rapport aux autres territoires. Comment cette question est-elle appréhendée pour les territoires ?

M. Boinali Said. Dans le contexte de concurrence que nous connaissons, je pense qu’un changement de paradigme s’impose.

M. le ministre. Monsieur Gibbes, le toilettage des lois organiques sera réalisé, je l’espère, avant la fin de l’année. La réflexion est engagée pour Saint-Barthélemy, dont je reçois demain le président, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Pour Saint-Martin, la commission des lois de l’Assemblée nationale a créé une mission d’information et la collectivité elle-même a constitué une commission ad hoc.

L’octroi de mer n’est pas applicable à votre collectivité, aux termes des textes qui la régissent. Celle-ci a donc engagé un contentieux contre l’État au motif que l’octroi de mer que versait la région Guadeloupe, lorsque votre collectivité était une commune, n’a pas été pris en compte dans la dotation globale de compensation. Le Conseil d’État a renvoyé cette affaire devant le tribunal de Paris. Le toilettage peut être l’occasion de changer la législation, comme vous le souhaitez. Je vous rappelle que nous avons diligenté une mission de l’Inspection générale de l’administration, qui a rendu un rapport d’étape sur la dotation globale de compensation. J’évoquerai cette question demain avec le président de la collectivité.

Par ailleurs, puisque vous cherchez des recettes nouvelles, nous étions disposés à envisager quelques pistes avec vous, notamment en matière de carburant pour éviter un détournement du trafic entre la partie française et la partie hollandaise de Saint-Martin. Il y a là une marge de manœuvre.

Monsieur Vlody, s’agissant de l’octroi de mer, l’économie générale du système est maintenue. Nous avions envisagé avec vous la baisse du seuil d’assujettissement – nous verrons comment décliner cela dans le texte. L’Europe examine actuellement le différentiel entre les trois listes de produits. Nous avons demandé aux instances européennes si les taux des dix dernières années sont encore appropriés. Nous leur avons également demandé s’il est possible d’octroyer une protection aux produits nouveaux et aux produits émergents, autrement dit d’assurer une protection aux industries naissantes pour faciliter leur développement pendant un temps déterminé. À cet égard, l’Europe est quelque peu réticente sur le taux de 15 % que nous avons proposé.

Madame Allain, concernant la transition énergétique, le texte porté par M. Philippe Martin comporte treize articles pour tenir compte de la valorisation énergétique outre-mer – ils sont une sorte de préfiguration de ce qui pourrait se faire de mieux en métropole. Ces treize propositions d’articles sont en cours de mise au point avec mes collègues du Gouvernement, dont les plus significatives sont : la mise en place d’une stratégie de rénovation énergétique du bâti existant et de retrait des équipements électriques les moins performants ; l’amélioration du dispositif des certificats d’économie d’énergie ; le développement de la filière photovoltaïque en autoconsommation avec stockage et gestion intelligente (à Mayotte, une expérimentation a été réalisée par EDM, et nous attendons la parution du décret) ; la création d’une redevance communale en matière de géothermie ; l’obligation de mise en place d’une autorité organisatrice unique de transports à l’échelle de chaque territoire (la Martinique a demandé une habilitation) ; le développement des bornes de recharge des véhicules électriques (une expérimentation avait commencé avec Renault à La Réunion, et j’ai demandé qu’elle soit relancée) ; et enfin une évolution des paramètres d’analyse des projets par la Commission de régulation de l’énergie qui permette la poursuite du développement des projets innovants et une meilleure intégration des moyens de production dans les territoires.

Monsieur Said, le changement de paradigme impose une petite révolution intellectuelle. Nous avons tenté de le faire avec vous, et votre Délégation a joué un rôle important lors du vote de la loi relative à la régulation économique outre-mer. Je ne souhaite pas que cette loi soit réduite au « bouclier qualité-prix ». Des changements structurels s’imposent ; j’en veux pour preuve la confrontation qui a eu lieu sur les carburants. Le retour de l’État est le changement de paradigme souhaité, sans pour autant sombrer dans l’économie administrée. Il est possible d’introduire plus de transparence, de concurrence et d’initiatives dans les économies insulaires.

D’autres révolutions restent à faire. Certains partis politiques prônent une réforme de la fiscalité – y compris du régime douanier, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Certains veulent passer en PTOM (pays et territoire d’outre-mer), comme c’est le cas pour Saint-Barthélemy ; d’autres, comme un ancien ministre des Outre-mer, proposent la création de zones franches totales. Reste à savoir si nos populations soutiendront ces audaces intellectuelles, si les conditions sont réunies pour le changement de paradigme que vous appelez de vos vœux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur le ministre, de cette audition très riche. Je tiens également à saluer votre détermination et votre courage.

La séance est levée à 18 heures 25.