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Mission d'information commune sur l’application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Mardi 12 janvier 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Richard Ferrand, Président-rapporteur

– Audition de Mme Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux, ministre de la justice

– Présences en réunion

La mission d’information commune entend Mme Christiane Taubira, Garde des sceaux, ministre de la justice.

M. le président Richard Ferrand. Cette mission d’information commune poursuit deux objectifs, madame la ministre. Le premier consiste à veiller à ce que les textes d’application de la loi du 6 août 2015 soient publiés dans les délais annoncés par le Gouvernement lors du débat parlementaire, afin de permettre l’application rapide de la loi. De ce point de vue, le rythme est globalement satisfaisant puisque 29 des 84 décrets nécessaires ont d’ores et déjà été pris et 16 autres sont en cours d’examen au Conseil d’État ou en cours de signature. S’agissant des dix-neuf articles de la loi qui habilitent le Gouvernement à légiférer par ordonnance, j’observe qu’une ordonnance a déjà été publiée et cinq autres projets nous ont été transmis.

D’autre part, notre mission s’est fixée pour deuxième objectif de veiller à ce que le contenu des textes réglementaires soit conforme à l’intention du législateur. Nous sommes pleinement conscients qu’il s’agit là d’une démarche inhabituelle à plusieurs égards, et son caractère innovant a d’ailleurs suscité quelque émoi, quoique nous ne méconnaissions aucunement les prérogatives constitutionnelles du pouvoir réglementaire. Nous ne faisons que nous appuyer sur le souhait que le Gouvernement a plusieurs fois exprimé au cours des débats de travailler avec les parlementaires dans un esprit de co-construction tout au long du processus et jusqu’au terme de la publication des textes d’application de la loi. Nous sommes parvenus à définir avec les services du Premier ministre une méthodologie en vertu de laquelle les projets de textes nous sont transmis dès lors qu’ils ont donné lieu à un arbitrage interministériel. À cet égard, je vous remercie, madame la ministre, pour votre disponibilité ainsi que celle de votre cabinet et de vos services, même si nous persistons à penser qu’il aurait parfois été préférable de nous transmettre les textes plus en amont, car le Gouvernement aurait ainsi pu bénéficier davantage de l’expertise que les rapporteurs thématiques ont acquise au fil du débat parlementaire.

C’est précisément au sujet des projets de décrets qui nous été transmis, en particulier sur les professions réglementées – qu’il s’agisse de leurs conditions d’installation ou de leurs tarifs – et sur la réforme de la procédure prud’homale que nous souhaitons vous faire part aujourd’hui de nos observations, de nos interrogations voire de nos divergences, et de nos propositions.

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice. La création de cette mission d’information est audacieuse, en effet, et pose la question de ce qui relève de l’article 34 de la Constitution et ce qui relève de son article 37. Je ne vois naturellement aucune symétrie entre la tentation de l’exécutif à s’impliquer davantage dans le pouvoir législatif et sa réciproque, mais il est vrai que cette situation est sans précédent. Cela étant, compte tenu de l’importance de ce texte et de la diversité et de la densité des dispositions qu’il contient, l’idée me semble heureuse et tout à fait judicieuse.

J’ai bien pris note de votre double préoccupation : que les délais soient respectés, d’une part – à une époque où les citoyens s’interrogent sur la validité et l’efficacité du travail des responsables politiques et des parlementaires, cela me paraît en effet indispensable au bon fonctionnement des institutions et de la démocratie – et que les ordonnances, décrets et arrêtés soient bien conformes non seulement à la lettre mais aussi à l’esprit de la loi, c’est-à-dire à l’intention du législateur. Il est toujours tenu compte de cette intention, car en cas de doute quant à l’interprétation de la lettre d’une disposition, c’est aux débats parlementaires que l’on se réfère. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé à la rédaction des textes réglementaires qui nous occupent.

La loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques doit faire l’objet de 136 textes d’application et de 52 ordonnances. Les réunions interministérielles, qui se sont tenues assez vite, ont permis de confier au ministère de la justice le pilotage de trente-quatre décrets et de douze ordonnances dans un premier temps, avant que ce nombre diminue du fait d’une fusion des textes tout en maintenant inchangé le périmètre de la Justice – couvrant les professions réglementées, les procédures collectives, les recouvrements simplifiés des petites créances et la justice prud’homale.

Deux difficultés objectives se présentent. La première tient au volume du texte 
– 308 articles – et à l’absence de coordination formelle entre ministères. D’autre part, compte tenu des délais dans lesquels elles ont dû être faites, les études d’impact n’ont pas couvert l’ensemble des sujets abordés ni atteint le degré de précision souhaité. J’ajoute que si la co-construction législative fut d’une très grande qualité – et je suis la première à m’en réjouir – car elle a permis de réparer des malfaçons, d’affiner la rédaction de telle disposition et de détecter les effets contreproductifs de telle autre – en clair, d’améliorer substantiellement le texte –, elle s’est également accompagnée d’effets pernicieux dans la mesure où les dispositions ainsi introduites dans le texte doivent être harmonisées.

J’en viens aux textes réglementaires qui relèvent du ministère de la justice, qui sont les suivants : le décret concernant les administrateurs et les mandataires judiciaires, les AJMJ, qui portent sur la durée et le contenu du stage ainsi que sur la modulation éventuelle de certaines conditions d’expérience ou de formation ; le décret relatif aux conditions d’installation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dont je sais qu’il suscite des interrogations parmi vous ; le décret sur les tarifs des professions réglementées, dont le pilotage incombe à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Le ministère de la justice est également chargé de l’ordonnance portant réforme du régime de gage des stocks, du décret autorisant les huissiers de justice à recouvrer amiablement les petites créances et de l’ordonnance relative aux greffiers des tribunaux de commerce.

Je précise que l’étape réglementaire qui suit l’adoption de la loi s’accompagne d’obligations de consultation. Autant nous devons veiller à respecter l’esprit et la lettre de la loi, autant ces consultations ne doivent pas demeurer vaines, et nous en avons tenu compte dans la rédaction de certains décrets – peut-être susciteront-elles des observations de votre part.

La transmission au Conseil d’État des projets de décret relatifs aux conditions d’installation des officiers publics et ministériels, à la justice prud’homale et aux greffiers des tribunaux de commerce est imminente. Les décrets établissant les zones d’installation libre ou encadrée sont arbitrés et seront publiés après avis, de même que le décret relatif à la liste des tribunaux de commerce, le conseil national des tribunaux de commerce n’ayant pas encore pu se prononcer car sa composition est incomplète. Enfin, certains textes encore en cours d’écriture portent sur les articles 63 et 67 – forme et capital des sociétés – ainsi que sur l’article 65 – création de l’interprofessionnalité d’exercice pour les professions du droit et du chiffre. De ce point de vue, la co-construction législative a permis de faire apparaître le risque lié à l’intégration des professions du chiffre dans l’interprofessionnalité de capitaux – risque que nous avions nous-même soulevé sans parvenir à convaincre. S’agissant de l’ordonnance portant création du commissaire de justice, une mission conjointe du Conseil d’État et de la Cour de cassation a été créée en décembre 2015 et devra prochainement rendre ses travaux. Enfin, reste à prendre le décret sur la formation des conseillers prud’homaux.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, les délais seront tenus et nous veillerons à ce que les dispositions réglementaires soient aussi conformes que possible à la volonté du législateur.

M. le président. Il est vrai, madame la ministre, que les règles de concertation obligent à consulter de nombreuses instances – dont la présente mission d’information pourrait utilement faire partie – avant de rédiger les textes réglementaires.

Nous sommes saisis de nombreuses questions concernant les règles d’installation. La loi que nous avons votée prévoit que la carte des zones d’installation doit être publiée avant le 1er février prochain et que les arrêtés tarifaires doivent être pris avant le 29 février. Ces délais seront-ils respectés ? Cette simple question de rythme de publication importe beaucoup à tous ceux qui envisagent concrètement de s’installer.

Deuxième question : les tarifs des professions réglementées. M. le ministre de l’économie a tâché de nous convaincre – avec un succès inégal – que la tarification à l’acte serait désormais supplantée par une approche fondée sur le niveau de rémunération raisonnable de chacune des professions ; dont acte. Ce n’est pourtant pas exactement la base sur laquelle nous avions débattu lors de l’élaboration de la loi. Quoi qu’il en soit, le projet de décret instaure un plafonnement de la somme des émoluments proportionnels perçus au titre d’une prestation relative à la mutation d’un bien ou d’un droit immobilier à 10 % de la valeur de ce bien ou de ce droit, sans pour autant maintenir le minimum qui existait concernant les émoluments proportionnels. Ne conviendrait-il pas de maintenir ce minimum dans le projet de décret de manière à ne pas pénaliser la rédaction des « petits actes », qui constitue l’essentiel de l’activité des offices situés dans les territoires ruraux ?

Enfin, ne serait-il pas opportun d’abaisser le taux maximal de remise de 40 % sur les actes relatifs à des biens professionnels – dont nous avons été surpris d’apprendre ici même par la voix de M. Macron qu’il figurerait dans le projet de décret – dans la mesure où ce rabais très conséquent profitera exclusivement aux investisseurs les plus aisés ? En tout état de cause, cette double approche tarifaire ne nous semble pas conforme à l’esprit du débat que nous avons eu. Certes, on nous a expliqué l’argument technique du changement de référence, mais le résultat obtenu ne nous paraît pas conforme à nos intentions.

Mme Cécile Untermaier. Nous avons tous consenti un énorme investissement sur ce texte, la commission des lois ayant même conduit – en lien avec les services ministériels – une mission spécifique avant même la discussion du projet de loi, tant la modernisation attendue des professions réglementées était une question difficile. Autrement dit, les éléments que nous soulevons ici, parce qu’ils sont de nature à vicier notre projet commun, ne sont pas abordés à la légère ; au contraire, ils résultent d’une réflexion collective approfondie. Je saisis cette occasion pour remercier les services de la Chancellerie à cet égard.

Il est vrai que le taux de remise porté à 40 % ne correspond en rien à ce que nous souhaitions. Nous avons considéré que la remise accordée sur un bien immobilier ou professionnel de valeur élevée ne pouvait être trop importante dans la mesure où il s’agit d’alimenter le fameux fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice qui verra le jour en 2017. Une remise de 40 % – soit près de la moitié des honoraires ! – nuirait à ses ressources et ne profiterait qu’à des investisseurs. Nous avions admis le principe d’une remise plus modeste, mais un tel niveau est préjudiciable au bon fonctionnement du futur fonds interprofessionnel.

J’ajoute que les avocats nous ont indiqué qu’ils n’étaient aucunement en concurrence avec les autres professions, contrairement à l’argument invoqué par Bercy pour justifier cette hausse du taux de remise. Il s’agit en effet d’actes que seuls les notaires peuvent effectuer, et non les autres professions, qu’elles soient réglementées ou non. Sous réserve des précisions qui nous seront éventuellement apportées, nous ne comprenons pas en quoi une telle remise permettrait de rétablir une concurrence loyale ; bien au contraire, elle serait préjudiciable au dispositif que nous avions mis en place.

Concernant ce fonds, précisément, le Conseil constitutionnel ne l’a pas censuré en tant que tel mais a censuré les dispositions concernant son financement au motif que nous n’avions pas fixé l’assiette de cette contribution. Ce problème peut être résolu et, de ce point de vue, le ministère de l’économie nous a rassurés en envisageant d’y travailler au cours de cette année. Cependant, l’ensemble des professions sont hostiles à l’idée d’une taxe sur le chiffre d’affaires ; nous préférons l’idée d’une contribution prélevée sur les droits proportionnels pratiqués par les professions juridiques réglementées ainsi que les professions judiciaires – idée à laquelle les professions en question ont donné leur accord unanime. Il serait regrettable de s’écarter du consensus que nous étions parvenus à trouver.

S’agissant de la durée du stage des AJMJ, nous avons souhaité écarter tout dispositif malthusien qui entraverait l’accès des jeunes à la profession. La durée de trente mois nous semble excessive en comparaison d’autres professions juridiques ou judiciaires qui autorisent les stages effectués dans le cadre de cursus universitaires de sorte que l’université puisse, en tenant compte de l’avis de la profession concernée à l’issue du stage, délivrer un diplôme permettant aux jeunes sinon de s’installer, du moins de chercher un poste de collaborateur dans ladite profession. Tel est le mécanisme que nous défendions ; le décret prévoyant un stage de trois ans est excessif. Les jeunes concernés, qui sont déjà titulaires d’un master, pourtant, se trouveraient ainsi sous « la main » de la profession qu’ils devraient satisfaire au risque de ne pouvoir s’installer. Les représentants des AJMJ approuvent l’idée d’une harmonisation avec les autres professions, afin que les stages puissent être inclus dans les parcours universitaires, au niveau du master, quitte à en allonger la durée et à labelliser ces formations pour qu’elles ne soient pas dispensées à n’importe quelles conditions et qu’elles soient assorties du niveau d’exigence adéquat. En tout état de cause, il faut, je le répète, abandonner ce dispositif qui met les jeunes dans « la main » de la profession.

Concernant les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, nous souhaitons là aussi éviter tout malthusianisme. Pourtant, nous avons été surpris de constater que le projet de décret contient une disposition selon laquelle une fois la création d’offices suggérée par l’Autorité de la concurrence, les candidats seraient soumis à l’avis d’une commission composée d’un conseiller d’État et d’un conseiller à la Cour, d’un avocat au Conseil, du directeur des affaires civiles et du sceau et d’un avocat général à la Cour de cassation, avis devant être transmis au garde des Sceaux. Nous estimons au contraire que le principe du « premier arrivé, premier servi » pourrait primer sur le classement effectué par cette commission, comme c’est le cas pour les notaires et les autres professions et qu’il devrait incomber à la seule garde des Sceaux de délivrer aux intéressés remplissant les conditions requises les autorisations d’installation en fonction de la carte qui aura été arrêtée. Il est vrai qu’il s’agirait là d’une révolution, mais elle est nécessaire, notamment parce que la Commission européenne s’étonne que des officiers publics ministériels exercent des missions juridictionnelles devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Plaçons-nous du point de vue du justiciable : l’avis de la commission susmentionnée est superfétatoire, la garde des Sceaux étant parfaitement capable de décider de telle ou telle désignation, sans s’appuyer sur un avis dont tout porte à croire qu’il devrait être conforme.

Enfin, nous devrons prendre garde à ce qu’aucune installation ne puisse être limitée par des artifices tels que l’obligation pour les notaires de suivre un stage de gestion d’un office avant d’être nommés. Il faut mettre au point un mécanisme permettant aux jeunes qui satisfont aux obligations de diplôme et de stage de présenter leur candidature à un poste ouvert dans le cadre d’une carte que la garde des Sceaux aurait validée.

M. Gilles Lurton. Je vous remercie, madame la ministre, de votre présence devant cette mission d’information : il s’agit en effet d’une procédure inédite que j’apprécie pour ma part, car elle crédibilise la démarche du Parlement qui ne se contente pas de voter la loi, mais suit aussi son application en lien avec les services et les membres du Gouvernement. Cela étant, madame la ministre, vous avez été très désirée tout au long de l’examen de ce texte ; je suis donc heureux de votre présence aujourd’hui, même si la loi est déjà votée et commence à s’appliquer – mieux vaut tard que jamais.

J’ai plusieurs questions à vous poser concernant les conditions d’exercice des professions réglementées, principalement les notaires. À ce jour, nous ne savons pas précisément quelles seront les répercussions des nouveaux tarifs sur les études notariales, car les grilles ne sont pas encore établies. Cependant, les notions de coûts pertinents et de rémunération raisonnable sont extraordinairement complexes. Selon vous, madame la ministre, qu’est-ce qu’un coût pertinent ? Sur quels éléments doit-il reposer ? Qu’est-ce qu’une rémunération raisonnable ? Doit-on tenir compte des frais de fonctionnement de l’étude, dont on sait qu’ils varient considérablement selon qu’elle est située dans une zone rurale ou en région parisienne, par exemple ?

D’autre part, ne pensez-vous pas que le déplafonnement de la remise de 10 % pouvant être consentie pour un tarif proportionnel à la valeur d’un bien risque de compliquer la signature des « petits actes » ? Le travail nécessaire à la vente d’une parcelle agricole dans une circonscription rurale est tout aussi important que celui que requiert la vente d’un appartement coûteux à Paris. Il ne faudrait pas qu’une telle disposition dissuade les notaires d’effectuer ces « petits actes », car ce serait extrêmement préjudiciable au développement du milieu agricole dans les zones rurales.

Concernant l’installation des notaires, le projet de décret introduit un terme nouveau, que j’ai découvert à cette occasion : « l’horodatage ». Selon le dictionnaire, l’horodatage est un mécanisme qui consiste à associer une date et une heure à un événement, une information ou une donnée informatique. En clair, le projet de décret repose sur le principe suivant : « premier arrivé, premier servi » – autrement dit, le notaire qui postulera le premier obtiendra l’office. Cette méthode est-elle vraiment la meilleure, sachant qu’un office est aussi une entreprise qui doit prospérer tout en assurant un service public à long terme ?

L’article 53 de la loi fixe l’âge limite d’exercice de la profession de notaire à 70 ans à partir du 1er août 2017, l’exercice pouvant être prolongé jusqu’au jour où le successeur prête serment, pour une durée ne pouvant excéder douze mois. Cette disposition risque de se traduire par un grand nombre de départs à la retraite – environ 320 – à la date de son entrée en vigueur. Serez-vous en mesure, madame la ministre, de nommer autant de remplaçants d’ici là ? De fait, les notaires âgés de 69 ou 70 ans se trouvent au pied du mur, en quelque sorte, car ils n’ont que très peu de temps pour mener à bien la cession de leur étude – même si M. Macron, comme il me l’a dit lors d’une précédente audition, estime que le délai est déjà très large. Il aurait été selon moi plus judicieux de prévoir une période transitoire plus longue, compte tenu de la durée de traitement des dossiers de cession par la Chancellerie. Vos moyens n’ayant pas augmenté, comment parviendrez-vous, madame la ministre, à faire face à cette situation ?

D’autre part, il est prévu que les modalités de nomination des notaires diffèrent radicalement selon qu’il s’agit d’un office individuel ou d’un office en société. Pourquoi cette distorsion, alors que le traitement aurait pu selon moi être le même pour tous ? De nombreux clercs habilités s’en sont inquiétés ; beaucoup pourront devenir notaires s’ils en font le choix, et c’est une chance, mais que deviendront ceux qui ne le souhaitent pas une fois que la fonction de clerc habilité sera supprimée ?

La loi telle qu’elle a été adoptée prévoit la définition de zones carencées et de zones contrôlées. Comment seront-elles établies, par qui et selon quels critères ?

Ma dernière question porte sur la profession d’avocat, puisque nous venons de rencontrer le Conseil national des barreaux. Jusqu’à présent, les honoraires de postulation étaient fixés en fonction d’un tarif dont la « loi Macron » prévoit la suppression à partir du 8 août 2016. Qu’adviendra-t-il des affaires en cours, dont le tarif a été fixé avant cette date, voire avant la promulgation de la loi ?

M. le président. Permettez-moi d’ajouter une question sur ces sujets : comment sera pris en compte le critère relatif au nombre de professionnels salariés dans les offices notariaux existants ? La question est importante, en particulier pour ceux qui désirent s’installer. Déduira-t-on de l’existence de certaines études employant un grand nombre de salariés qu’il existe un important vivier potentiel de candidats à l’installation ou, au contraire, que le nombre de professionnels est déjà suffisant dans le secteur concerné et qu’il n’y a dès lors pas lieu d’autoriser la création de nouveaux offices ?

D’autre part, pourra-t-on mécaniquement répondre à la demande d’installation de clercs habilités, dont nous faisons l’hypothèse qu’elle sera forte ?

Enfin, ceux qui souhaitent s’installer se posent la question concrète des délais qui sépareront l’entrée en vigueur des règles d’installation, le dépôt de leurs candidatures – selon le principe du « premier arrivé, premier servi » – et leur éventuelle nomination.

M. Denys Robiliard. Le respect des articles 34 et 37 de la Constitution va de soi, madame la ministre, mais une réforme est une politique et doit se penser de manière globale, car elle passe par la loi, par le règlement et parfois aussi par des mesures – budgétaires, notamment – qui ne relèvent ni de l’une ni de l’autre.

La réforme prud’homale, par exemple, a été conçue globalement en tenant compte de la nécessaire articulation entre les mesures législatives et les mesures réglementaires, puisque la procédure civile – et donc la procédure prud’homale – est de nature réglementaire. La loi adoptée au Parlement et les décrets rédigés par les ministères doivent donc faire système, faute de quoi la réforme ne saurait être menée à terme. J’ajoute que c’est de cette manière globale que votre ministère a préparé la réforme prud’homale en s’appuyant sur le rapport de M. Didier Marshall, Premier président de la Cour d’appel de Montpellier, et sur celui de M. Alain Lacabarats, président de chambre à la Cour de cassation, qui ont éclairé le travail législatif et le travail réglementaire. En clair, il faut embrasser d’un même coup d’œil la loi et le règlement pour apprécier dans son ensemble une réforme dont l’objectif est d’améliorer la qualité de la justice – y compris la rapidité des délais de jugement, qui ne doivent pas s’opposer à cet objectif mais y concourir, au contraire.

Le décret concernant la réforme prud’homale est long et complexe. Je me contenterai d’aborder les questions techniques liées à l’objectif d’accélération des procédures. Tout d’abord, la saisine d’un conseil des prud’hommes est, sauf en Alsace-Moselle, une procédure très simple et souvent orale, l’idée étant que chacun doit pouvoir saisir le conseil des prud’hommes sans assistance. Or, cela me semble être une fausse bonne idée : le droit du travail est assez technique et c’est un mauvais service à rendre aux salariés que de les laisser croire qu’ils peuvent sur le fond saisir seuls le conseil sans étudier de quoi il ressort de manière approfondie avec le soutien d’un avocat ou d’un délégué syndical – ou d’un « défenseur syndical » une fois que la réforme sera entrée en vigueur.

Le projet de décret prévoit de formaliser la procédure prud’homale en imposant notamment au demandeur de récapituler sur un bordereau les pièces qu’il aura produites lors de la saisine ; toutefois, aucune sanction n’est prévue puisque vous avez fait le choix que l’irrespect de la forme n’entraîne pas la nullité de la procédure. Pourquoi y avoir renoncé ? La forme me semble utile, en effet, et pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les conseillers prud’hommes et les parties peuvent mieux préparer l’audience de conciliation lorsque la saisine est de qualité. Il arrive en effet que certains employeurs ne sachent pas précisément pourquoi ils participent à ces audiences ; il est indispensable qu’ils le sachent à l’avenir, non seulement pour réduire les délais d’instruction mais aussi pour gagner en efficacité et améliorer le taux de conciliation, qui est aujourd’hui de 6 % seulement. En outre, l’échec de la conciliation permet d’accélérer la procédure, puisque la demande aura déjà été argumentée et appuyée par des pièces.

D’autre part, le bureau de conciliation et d’orientation pourra plus facilement déterminer s’il faut saisir le bureau de jugement en formation restreinte – soit deux conseillers prud’hommes tenus de se prononcer sous trois mois.

Ma deuxième question est presque paradoxale : elle a trait à la possibilité de clore l’instruction avant l’audience de jugement. Les conseillers prud’hommes et les parties
– quoique leurs avocats un peu moins… – estiment que les renvois aux audiences prud’homales sont beaucoup trop nombreux. Pour y remédier, comme c’est le cas dans certaines procédures écrites, on peut envisager la clôture de l’instruction, autrement dit la fixation d’une date limite au-delà de laquelle les pièces ne peuvent plus être échangées. Certes, la procédure demeure orale mais, après tout, il appartient au pouvoir réglementaire de la définir : ne pourrait-il donc pas innover en prévoyant la clôture de l’instruction afin d’éviter que le nombre de renvois lors du bureau de jugement soit excessif, comme c’est le cas aujourd’hui ?

J’en viens au défenseur syndical. Les délais d’établissement des listes de ces défenseurs seront respectés ; ma question porte donc sur la façon dont ils établiront les actes de procédure. En effet, le projet de décret prévoyant que les procédures devant les chambres sociales sont écrites, les avocats procèderont alors par voie électronique. Toutefois, cette méthode coexistera avec celle qui s’appliquera aux défenseurs syndicaux, lesquels ne peuvent pas s’appuyer sur le réseau privé virtuel des avocats et n’emploieront donc pas la voie électronique. Cette disparité est fâcheuse : ne durera-t-elle que le temps de l’installation des défenseurs syndicaux, avant que soit adoptée une procédure commune à tous ? Ce serait souhaitable, tant en termes de rapidité que pour alléger la charge de travail du greffe.

S’agissant de la rapidité des procédures, précisément, ma dernière question porte sur les moyens. Aujourd’hui, les délais sont longs : il faut quinze mois pour obtenir un premier jugement, à quoi s’ajoutent 14,7 mois supplémentaires en cas de départage. Le code du travail dispose pourtant que le juge départiteur doit se saisir de l’affaire dans le mois ; c’est impossible. Des moyens sont-ils envisagés pour raccourcir le temps du départage ?

La question des moyens ne concerne pas que les magistrats, mais aussi les greffiers et, plus prosaïquement, le nombre de salles disponibles. Si la saisine en formation restreinte doit permettre d’accélérer la procédure, il convient que plusieurs formations restreintes puissent statuer simultanément, et donc utiliser deux salles distinctes et recourir à deux greffiers. Les moyens nécessaires à ces fins seront-ils dégagés ? Encore une fois, une réforme constitue un tout ; la manière dont celle-ci est conçue suppose d’accroître le nombre de magistrats et de greffiers, mais aussi la disponibilité des salles.

Enfin, même si ce n’est qu’en 2017 que se renouvelleront les conseils des prud’hommes, qu’en est-il de la formation des conseillers ? Quelle place tiendra l’École nationale de la magistrature dans leur formation initiale ? Sur ce point, le dialogue
– notamment financier – a-t-il avancé entre le ministère de la justice et celui de l’éducation nationale ?

Par ailleurs, qui, de votre ministère ou de celui du travail, est chargé d’élaborer le barème indicatif prévu au 4° de l’article 258-I de la loi, et dans quels délais ?

M. le président. Vous l’avez compris, madame la ministre : nos questions sont nombreuses et, sans prolonger les débats jusqu’aux petites heures de la nuit, nous vous serions reconnaissants d’y apporter quelques premiers éléments de réponse.

Mme la ministre. Je suis très sensible, monsieur Lurton, à la mélancolie que vous inspire ma participation à la discussion en séance de ce projet de loi, mais vous n’ignorez pas que des règles s’appliquent : j’étais présente lors de la discussion générale pour préciser le cadre dans lequel l’ensemble des questions relevant du ministère de la justice avaient été conçues et traitées dans ce texte et rappeler les principes sur lesquels reposaient les dispositions souhaitées à l’issue d’un fructueux travail liminaire avec certains parlementaires. Ensuite, le Gouvernement a arbitré et, comme c’est souvent le cas, un seul ministre défend l’ensemble d’un texte, même s’il est transversal. En tout état de cause, la Chancellerie vous était ouverte et le cabinet aussi bien que l’administration se sont montrés disponibles pour répondre à toutes vos questions.

Je rappelle d’emblée que la mise en œuvre de la loi se fait par étapes : certains décrets ont déjà été examinés par le Conseil d’État, d’autres sont en cours d’examen, d’autres encore lui seront bientôt transmis. C’est à la lumière de ce processus qu’il faut envisager dans quelle mesure vos observations peuvent être prises en compte. Les unes consistent en une analyse critique des textes déjà rédigés, les autres appellent l’attention du Gouvernement sur des dispositions dont les textes d’application n’ont pas encore été pris – et, lorsque le projet de décret a déjà été transmis au Conseil d’État, une saisine rectificative est nécessaire pour en tenir compte. Enfin, certaines de vos observations trouveront leur solution lors de la mise en œuvre des décrets eux-mêmes et pourront utilement éclairer l’élaboration des arrêtés nécessaires.

Le respect de l’esprit et de la lettre de la loi est essentiel. La lettre ne devrait pas susciter d’inquiétude : il est vrai qu’il est dans la nature de tout pouvoir exécutif de vouloir rédiger les textes réglementaires en s’affranchissant ici ou là du cadre fixé par le législateur mais, en démocratie, plusieurs institutions sont impliquées : à cet égard, le Conseil d’État veille avec la plus grande attention à ce que toutes les dispositions réglementaires soient conformes à la loi dont elles découlent – et je ne doute pas que vous partagiez cette vigilance.

J’en viens à l’esprit de la loi en reprenant la question des notions de coût pertinent et de rémunération raisonnable, que vous avez soulevée : il s’agit de concepts économiques précisant les éléments de modélisation sur lesquels repose la fixation du tarif. Si j’en crois le débat parlementaire, vous avez souhaité qu’il soit tenu compte des différents types d’office ; le Gouvernement, quant à lui, a résolu de prendre comme point de référence la structure unipersonnelle parce que c’est la moins organisée, la moins capable d’optimiser ses charges et, objectivement, celle qui présente le plus de risques économiques. Cette référence a semblé permettre de définir un coût pertinent pouvant être amortis au mieux par les structures les moins organisées, comparées aux structures de taille moyenne déjà rodées, et d’aboutir ainsi à une rémunération d’un niveau raisonnable. C’est ainsi, me semble-t-il, que l’intention du législateur est respectée.

Ne pouvant répondre aujourd’hui à l’ensemble de vos questions, j’ai demandé à mon cabinet et à l’administration de faire valoir toutes vos observations lors de la rédaction des décrets et des arrêtés et d’être particulièrement attentifs à vos propositions et à vos inquiétudes.

Concernant la remise de 40 % sur les actes relatifs à certains biens professionnels, il semble que la pratique actuelle soit d’accorder des remises bien plus importantes encore, jusqu’à 60 %, voire 80 % de la valeur d’un bien lorsque celle-ci dépasse 80 000 euros. Certes, la question de principe concernant l’alimentation du fonds interprofessionnel demeure, mais cette mesure ne représente pas une régression par rapport à l’usage en vigueur – au contraire, puisque le plafonnement à 40 % est plus sévère que ce qui se pratique. J’entends néanmoins l’observation selon laquelle un abattement de 40 % – même s’il est inférieur de moitié aux remises qui sont actuellement consenties dans certains cas – profitera aux investisseurs alors que nous sommes en quête de ressources pour alimenter le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice qui est destiné à atténuer les risques que la liberté d’installation fera peser sur certaines catégories d’offices. De ce point de vue, la mise en œuvre concrète de ce fonds de solidarité semble bien plus complexe que ne le laissait entrevoir sa conception, et ce n’est pas dû qu’à la censure du Conseil constitutionnel. Au fil des consultations, on constate en effet l’opposition sinon unanime, du moins transversale des professions à un prélèvement sur le chiffre d’affaires, les avocats étant peut-être plus fiévreux encore que les autres professions – au point que le ministère des finances a décidé de leur consacrer un décret séparé. C’est là un sujet majeur, car le fonds de solidarité doit alimenter l’aide juridictionnelle.

Mme Cécile Untermaier. Les avocats sont revenus sur leur réaction.

Mme la ministre. Sur l’aide juridictionnelle comme sur d’autres sujets, la profession d’avocat adopte parfois des positions en diagonale : certains avocats formulent ou valident des propositions avant que d’autres ne s’y opposent finalement. Je pense au décret sur les passerelles, qui permettait notamment à d’anciens parlementaires de devenir avocats en se conformant à des critères plus souples que les conditions d’accès actuelles : j’ai fait rédiger ce décret après accord de la profession qui, une fois le texte publié, s’y est en partie puis unanimement opposée ; j’en ai tenu compte et ai renoncé. Le problème s’est également posé sur l’aide juridictionnelle : pour éviter de ponctionner le revenu des avocats, une partie de la profession a proposé de prélever une partie du produit financier généré par le placement des fonds des clients dans les caisses des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA, puis une autre partie de la profession s’y est opposée.

Cette difficulté est bien davantage liée à la relation entretenue avec la profession qu’au strict respect de la consultation. En effet, c’est normalement le Conseil national des barreaux qui constitue le « parlement » de la profession, et c’est de sa position dont il faudrait tenir compte. L’usage que souhaite toutefois préserver la profession est le suivant : les discussions ont lieu non seulement avec le Conseil national des barreaux, mais aussi avec la conférence nationale des bâtonniers et avec le barreau de Paris – la fameuse « trinité » dont parlait l’ancien bâtonnier Charrière-Bournazel.

Quoi qu’il en soit, une partie de la profession peut très bien accepter le principe du prélèvement sur chiffre d’affaires – dont nous avons toujours proposé qu’il se fasse à partir d’un certain seuil – tandis qu’une autre partie est vent debout contre cette idée. Il nous faut donc approfondir les choses, mais nous ne saurions quoi qu’il advienne fragiliser davantage l’aide juridictionnelle qu’il faut au contraire sauver car – je le dis sans acrimonie aucune à l’encontre des avocats – elle a été pensée et conçue pour aider les justiciables dont les ressources extrêmement modestes sont inférieures à un plafond que nous avons relevé à 1 000 euros. Il va de soi que la rétribution des avocats doit être adéquate : c’est à la fois une marque de respect à l’égard de cette profession et de reconnaissance pour la qualité du travail qu’elle accomplit. En effet, les avocats qui fournissent une aide juridictionnelle exercent avec la même exigence de qualité que lorsqu’ils travaillent en honoraires libres. Il faut donc que leur rétribution soit aussi correcte que possible, comme nous l’avons prévu en revalorisant les unités de valeur.

Plusieurs dispositions d’aménagement de la durée du stage conditionnant l’accès aux professions d’AJMJ au niveau de diplôme, à l’expérience professionnelle et à d’autres critères sont prévues. Je suis bien consciente que le législateur avait pour intention de déverrouiller ces professions afin d’éviter tout malthusianisme, c’est-à-dire le réflexe naturel consistant pour des professions peu nombreuses à limiter leur ouverture pour stabiliser leurs effectifs et leurs revenus, mais aussi leur pouvoir – autrement dit, leur capacité à maîtriser leur installation, leur renouvellement, leurs règles ou encore leur régime disciplinaire. De ce point de vue, nous devons prendre garde à ne pas trahir l’intention du législateur en instaurant des dispositions réglementaires qui ouvriraient la voie à un tel malthusianisme. Ainsi, le stage de trois ans ne doit pas entraver le souhait du législateur d’assouplir les conditions d’installation, de favoriser le renouvellement des générations et de faciliter l’accès des femmes aux plus hauts niveaux de responsabilité de la profession. Il doit permettre d’améliorer la préparation lors de l’entrée dans la profession, mais ne doit pas servir à mettre de la main d’œuvre à la disposition des professionnels déjà installés et à rétablir des verrous que le Parlement a supprimés dans la loi.

J’ai moi-même été d’emblée choquée par le principe de l’horodatage, monsieur Lurton : il s’agit en effet d’une drôle de récompense qui, de surcroît, pose le problème de la diffusion de l’information. En effet, que le premier servi soit le premier arrivé signifie qu’il est aussi le premier informé. On m’a néanmoins fait comprendre que le système d’information est parfaitement équitable, même s’il est simpliste, et qu’il faudrait pour le remplacer introduire des critères. Le Parlement avait prévu les conditions suivantes : l’honorabilité, l’assurance, l’expérience et l’aptitude professionnelle. Les décrets ne pouvant s’écarter de l’intention du législateur, nous devons envisager les critères qui permettront d’éviter le principe de l’horodatage. Certains de ces critères obligeraient à organiser un concours, ce qui serait contraire à votre souhait ; quant à la solution du tirage au sort, elle n’est guère plus intelligente que celle de l’horodatage. Là encore, il faut approfondir la réflexion mais, en tant qu’ancienne parlementaire, je suis très attentive à ne pas dévier de l’intention du législateur. C’est pourquoi j’ai demandé de ne pas ajouter d’emblée de critères supplémentaires, mais de reprendre les conditions établies dans la loi pour envisager comment y intégrer des critères adéquats et abandonner le principe du « premier arrivé, premier servi ».

La commission chargée de proposer des candidats à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation sélectionne des personnes – dans l’hypothèse où le nombre de candidats remplissant les conditions requises dépasse celui des postes vacants – en fonction de critères de qualification et d’expérience, mais c’est le garde des Sceaux qui, in fine, garde la main.

Mme Cécile Untermaier. Il existe tout de même un risque de conflit d’intérêts…

Mme la ministre. J’en conviens, et je comprends la réticence spontanée que suscite ce dispositif. Si la commission est maintenue, il faudra prévoir un contrôle extrêmement rigoureux des risques de conflit d’intérêts et du respect des règles déontologiques.

M. le président. Pour que celles et ceux qui envisagent de s’installer aient davantage de visibilité, les délais prévus concernant la carte des zones d’installation et les tarifs seront-ils respectés ?

Mme la ministre. Les dispositions de la loi concernant la carte des zones d’installation entrent en application le 1er février. C’est alors que l’Autorité de la concurrence formulera des propositions relatives aux zones en déficit. Le ministère de la justice doit échanger avec elle dès demain, mais sans doute les parlementaires pourraient-ils, également dans le cadre de cette mission d’information, lui demander de s’engager sur un échéancier précis pour l’élaboration de cette cartographie.

M. le président. La loi précise clairement que la carte des zones d’installation doit être publiée avant le 1er février, c’est-à-dire dans vingt jours, et que les textes d’application concernant les tarifs doivent être pris avant le 29 février. Le Premier ministre sera-t-il en mesure de signer ces décrets à la date prévue ?

Mme la ministre. Notre lecture est que l’Autorité ne pourra intervenir qu’à partir de la date d’application de la loi. En effet, la loi dispose – en une rédaction diablement sophistiquée ! – que le dispositif « entre en vigueur le premier jour du sixième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi », c’est-à-dire le 1er février. Naturellement, cela n’empêche pas l’Autorité de commencer à travailler, même si elle ne peut finaliser son travail que sur la base des décrets relatifs à la définition des critères, dont elle doit donc attendre la publication. Oserais-je dire que les parlementaires compliquent davantage les choses en voulant modifier les critères prévus ?

M. le président. Aucunement. Notre intention concernant la carte des zones d’installation est connue depuis plus d’un an ; on ne saurait donc prétendre que l’Autorité de la concurrence la découvre à peine. Ce que nous avons voté était clair : le 1er février ne correspond pas à la date de déclenchement du processus, mais à la date à laquelle la faculté de s’installer devait être ouverte sur la base de cartes connues, les règles tarifaires devant suivre le 29 du même mois. Tout citoyen pouvait donc déduire de la loi promulguée le 6 août dernier que les règles du jeu seraient connues le 1er février 2016, date à laquelle les processus de dépôt de candidatures pourraient être enclenchés jusqu’à la nomination par la garde des Sceaux. Autrement dit, ceux qui souhaitent s’installer pouvaient raisonnablement penser pouvoir le faire avant la fin de cette année. Qu’en sera-t-il si le processus de définition des zones d’installation ne fait que commencer le 1er février ?

Mme Cécile Untermaier. J’ai auditionné l’Autorité de la concurrence : il me semblait qu’il était tout à fait clair à ses yeux que la carte devait être prête pour le 1er février.

M. Gilles Lurton. À quelle concertation avec la profession l’établissement de la carte donne-t-il lieu ?

M. le président. Nous allons très prochainement auditionner l’Autorité de la concurrence afin d’en avoir le cœur net. Il y va de la crédibilité de notre travail collectif.

Mme Cécile Untermaier. Il me semble qu’elle travaille déjà en lien avec la profession afin de pouvoir soumettre le 1er février une carte au ministère.

M. le président. Loin d’instruire un procès d’intention, notre objectif est en effet d’éviter tout blocage dilatoire. Il nous est parfois reproché d’être trop exigeants au point de tout retarder ; que d’autres ne tombent donc pas dans le même travers.

Mme la ministre. Votre demande sera relayée dès demain auprès de l’Autorité de la concurrence.

Venons-en aux prud’hommes. J’ai cru comprendre que le formalisme plus strict de la procédure suscitait des inquiétudes. Voici donc quelques éléments objectifs et chiffrés : plus de 94 % des requérants sont des salariés et, dans 80 % des cas, ils sont assistés dès le début du processus. Je m’inquiète en revanche que l’on adopte un dispositif parfait sur le plan conceptuel mais pénalisant en pratique, car il va de soi que le salarié est moins bien armé que les employeurs dont il ne possède pas la culture juridique et procédurale – et pour cause : les employeurs peuvent s’appuyer sur leurs services juridiques ou faire appel à des cabinets d’avocats. J’ai donc appelé à faire preuve de la plus grande prudence pour éviter tout formalisme excessif qui présenterait un risque de nullité.

Le taux moyen de conciliation est dérisoire, puisqu’il ne s’élève qu’à 6 % – même s’il peut varier entre 1 % et 20 % selon les conseils. La procédure de conciliation est pourtant au cœur de l’identité du conseil des prud’hommes, auquel nous sommes tous – conseillers, parlementaires, ministre – très attachés. Il n’y aurait donc aucun sens à ne pas sauver la procédure de conciliation. C’est pourquoi je donnerai la consigne que l’irrespect du formalisme ne puisse pas être retenu comme cause de nullité.

Au contraire, en prévoyant la nullité de la procédure pour non-respect de la forme, les contentieux risquent de s’exacerber au point de se traduire par de longues procédures d’appel ou de départage. Autrement dit, cette contrainte procédurale créerait une étape supplémentaire de contestation. Je fais certes confiance à votre expérience en la matière, monsieur Robiliard, mais il me semble que votre proposition présente un risque objectif. J’ajoute qu’à défaut de constituer une cause de nullité, le respect du formalisme figure dans la loi et il est prévu – dans des délais aussi rapides que possible – de mettre au point un formulaire CERFA pour faciliter l’établissement des pièces à joindre à la requête.

Je ferai une observation du même ordre concernant la clôture de l’instruction. Vous nous rappelez, monsieur Robiliard, qu’il appartient au pouvoir réglementaire de modifier la procédure, dont le caractère oral doit faciliter les choses pour les justiciables moins bien armés sur les plans juridique et technique. Le passage à une procédure écrite facilitera peut-être la vie des conseillers mais privera les justiciables, en particulier les salariés, de la possibilité d’apporter des éléments complémentaires lors de l’audience. Nous n’aurons ce faisant pas fait œuvre d’équité.

Autrement dit, la nullité risque de produire un effet doublement pervers : limiter l’accès au juge et créer un motif supplémentaire de contentieux. Nous y répondons par la création d’un formulaire CERFA d’une part et, de l’autre, par un dispositif de droit commun qui impose un délai au dépôt des pièces sous peine de radier l’affaire du rôle. Ces garde-fous n’ont pas l’effet restrictif de la nullité. En outre, le renforcement des compétences du bureau de conciliation et d’orientation en matière de mise en état doit permettre d’obtenir par une méthode plus douce le même résultat que la clôture que vous proposez. Je suis néanmoins prête à entendre votre scepticisme et à approfondir notre réflexion mais, à ce stade, voilà comment nous entendons renforcer le professionnalisme tout en multipliant les chances que les délais soient plus satisfaisants et les résultats mieux acceptés, d’où une diminution des taux d’appel et de départage. Tels sont les arguments qui m’incitent à la prudence.

Votre dernière question portait sur les effectifs et les moyens : nous étudions actuellement la mise en commun de salles des tribunaux d’instance afin d’augmenter les capacités logistiques d’audience. J’entends répéter depuis plus de trois ans une fausse idée qui a la vie dure : les effectifs des conseils des prud’hommes seraient faibles. Le taux de vacance – de l’ordre de 2,4 % – y est pourtant trois fois moindre que dans les tribunaux d’instance et de grande instance, où il atteint 6 %. Il ne faut pas pour autant interrompre nos efforts, mais nos moyens ont bel et bien augmenté, monsieur Robiliard : nous créons des postes de greffiers à raison de 700 greffiers par promotion annuelle, auxquels s’ajoutent 200 à 300 greffiers en formation continue. De surcroît, les deux plans de lutte antiterroriste nous ouvrent des capacités supplémentaires de création d’emplois : les nouveaux effectifs sont en cours de formation et seront bientôt opérationnels.

M. le président. Nous vous remercions, madame la ministre, d’avoir pris le temps de répondre à nos nombreuses questions alors que vous êtes très contrainte par d’autres dossiers majeurs en matière de sécurité. Permettez-moi de vous proposer de nous répondre par écrit sur les points qui restent à éclaircir afin que nous puissions en informer l’ensemble des membres de la mission, et de relayer certaines de nos préoccupations auprès du Premier ministre. Nous aurions en effet souhaité être consultés plus en amont, mais il nous a été expliqué que les arbitrages interministériels devaient d’abord être effectués – alors que, en termes clairs, cela signifie que les carottes sont déjà mi-cuites, le Conseil d’État se chargeant de la fin de la cuisson – et qu’il fallait ensuite consulter les professions. Par respect pour le pouvoir réglementaire, nous avons admis cet état de fait, mais certains points nous semblent devoir être approfondis – le Gouvernement restant in fine libre de ses choix, cela va de soi. Sur plusieurs de ces sujets, il serait souhaitable d’envisager une saisine rectificative du Conseil d’État afin que nos propositions soient pour partie prises en compte. Quant aux textes qui sont encore en cours d’élaboration, nous souhaitons là aussi qu’ils en tiennent compte, sachant qu’il nous reste à entendre l’Autorité de la concurrence et plusieurs de vos collègues, madame la ministre.

J’entends d’ici l’argument paradoxal qui nous sera opposé : vous souhaitez que les choses avancent vite, nous dira-t-on, mais vous ralentissez le processus. Nous ne voulons avancer ni vite et mal, ni lentement et bien, mais vite et bien, à un rythme auquel tous ceux qui peuvent utilement contribuer pourront apporter leur pierre à l’édifice. Tel est notre état d’esprit, dont nous avons fait part à M. Macron ainsi qu’au Premier ministre, et que nous vous indiquons aujourd’hui avec la même respectueuse clarté. Nous n’abandonnons pas et demeurons déterminés à ce que les délais soient respectés – je pense par exemple à la divergence d’interprétation que nous avons sur la date de publication de la carte des zones d’installation, M. Macron ayant, sauf erreur, compris la même chose que nous. Il faut y voir clair afin que nos concitoyens, en particulier ceux qui forment des projets d’installation, connaissent les règles au plus vite. Ils nous saisissent régulièrement de demandes de précision urgentes, et pour cause : il s’agit souvent de projets de vie.

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Membres présents ou excusés

Mission d’information commune sur l’application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Réunion du mardi 12 janvier 2016 à 18 h 30

Présents. – M. Richard Ferrand, M. Gilles Lurton, M. Denys Robiliard, Mme Cécile Untermaier

Excusé. – M. Stéphane Travert

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