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Mission d'information commune sur l’application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Mercredi 10 février 2016

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Richard Ferrand, Président-rapporteur

– Audition M. Bruno LASSERRE, président de l’Autorité de la concurrence et de Mme Virginie BEAUMEUNIER, rapporteure générale

– Présences en réunion

La mission d’information commune entend M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence et de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, accompagné de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, et de M. David Viros, chef du service du président.

Monsieur le président, comme vous le savez sans doute, cette mission d’information commune poursuit deux objectifs. Il s’agit d’abord de veiller à ce que les textes d’application de la loi du 6 août 2015 soient publiés dans les délais annoncés par le Gouvernement lors de la discussion parlementaire, pour permettre une mise en application rapide de la loi. Mais notre mission est aussi de veiller à ce que le contenu de ces textes d’application soit bien conforme à l’intention du législateur. Nous avons parfaitement conscience que ce deuxième objectif relève d’une démarche pour le moins inhabituelle et, à certains égards, novatrice.

Onze articles de la loi du 6 août 2015 mentionnent l’Autorité de la concurrence. Quatre d’entre eux apportent des modifications aux procédures suivies devant elle. Ils sont d’application directe. Vous nous direz si les possibilités qu’ils offrent ont déjà été utilisées. Les sept autres articles prévoient des demandes d’avis à l’Autorité sur différents sujets, notamment les frais demandés par les organismes agréés pour faire passer les épreuves du permis de conduire, l’itinérance métropolitaine en matière de partage des réseaux radioélectriques et l’injonction structurelle outre-mer. Je note que l’Autorité de la concurrence a émis un avis très favorable à l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux gares routières de voyageurs.

Au sein des articles qui impliquent l’Autorité de la concurrence, les dispositions relatives aux professions réglementées sont celles qui ont le plus retenu notre attention – vous le comprendrez aisément.

En premier lieu, l’article 50, qui porte sur les tarifs, prévoit que vous donniez un avis sur le projet de décret relatif aux tarifs et que vous puissiez en outre prendre l’initiative d’émettre un avis sur les prix et tarifs réglementés des professions juridiques. Vous avez bien voulu transmettre à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, et à moi-même l’avis que l’Autorité a rendu le 29 janvier dernier sur le projet de décret.

Nous nous interrogeons sur la conformité de l’approche globale par profession et non acte par acte, que l’Autorité semble approuver, avec l’intention du législateur. Quel est votre avis sur ce point ?

L’Autorité se dit favorable à deux dispositions qui posent, selon nous, des difficultés : la limitation des honoraires à 10 % de la valeur du bien sous-jacent et les taux de remise autorisés. Sur ce dernier point, vous proposez même une plus grande flexibilité permettant de les accroître. Que penseriez-vous de la fixation, ainsi que cela se fait aujourd’hui, d’un honoraire minimal pour ce qu’il est convenu d’appeler les « petits actes » ? De plus, il nous semble que la possibilité de trop fortes remises est susceptible de menacer le financement du fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice. Qu’en pensez-vous ?

Avez-vous l’intention de vous saisir de tout ou partie des arrêtés qui fixeront les premiers tarifs des professions réglementées en application du décret tarifaire, ainsi que la loi vous en donne la possibilité ?

L’article 50 prévoit également que l’Autorité de la concurrence peut recueillir toutes données utiles auprès des professionnels, ainsi que des informations statistiques, définies par voie réglementaire, auprès des instances représentatives de ces professionnels. Recueillez-vous déjà ce type d’informations ? Rencontrez-vous, le cas échéant, des difficultés pour les obtenir ?

En second lieu, l’article 52 prévoit l’intervention de l’Autorité de la concurrence en matière d’installation, à plusieurs titres.

D’une part, l’Autorité est chargée de proposer au Gouvernement la carte faisant apparaître les zones où l’implantation d’offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l’offre de services. Le projet de décret énumérant les critères que vous devrez utiliser pour établir cette carte n’est pas encore paru, alors que, si l’on s’en tient à la lettre de la loi, l’ensemble de l’article 52 aurait dû entrer en vigueur le 1er février, et la carte aurait donc dû être publiée à cette date. Nous sommes le 10 février et la procédure permettant de recueillir les observations des personnes intéressées afin d’élaborer la carte n’est, à notre connaissance, pas ouverte. De nombreux professionnels, en particulier des candidats à l’installation, nous interrogent à ce sujet.

Selon vous, pourquoi la parution de ce décret a-t-elle pris du retard, alors qu’elle aurait pu, nous semble-t-il, intervenir bien plus tôt, dans la mesure où le texte est très court et où aucun des critères mentionnés n’est inattendu ? Avez-vous été consultés sur ce projet de décret ?

Comment prendrez-vous en compte le critère du nombre de professionnels salariés dans les offices existants ? Interpréterez-vous un nombre élevé de notaires salariés par office comme le signe d’une offre de service suffisante qui n’appellerait pas la création de nouveaux offices ou, au contraire, de l’existence d’un vivier potentiel de candidats à l’installation ?

Quand pensez-vous être en mesure de proposer une carte au Gouvernement ?

Ces mêmes questions se posent s’agissant de la création de nouveaux offices d’avocat au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, en application de l’article 57 de la loi.

D’autre part, l’Autorité sera amenée à intervenir en matière d’installation : elle donnera un avis pour toute décision de refus d’installation prise par le ministre de la justice dans les zones où l’implantation d’offices serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants et à compromettre la qualité du service rendu ; elle émettra un avis sur la liberté d’installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires ; elle formulera une recommandation en vue d’améliorer l’accès aux offices publics ou ministériels afin de renforcer la cohésion territoriale des prestations et d’augmenter de façon progressive le nombre d’offices sur le territoire. À ce stade, avez-vous été consultés sur le projet de décret relatif aux conditions d’installation des professions réglementées ? Quel est votre avis sur le principe de l’horodatage – appelé plus trivialement « premier arrivé, premier reçu » – qui a été retenu ?

Nous avons vu l’appel à recrutement de rapporteurs publié sur le site de l’Autorité pour le nouveau service chargé des professions réglementées. Combien de personnes avez-vous recrutées ? Comment ce nouveau service est-il organisé ?

Enfin, la loi prévoit que, lorsque l’Autorité de la concurrence délibère en application de l’article 52, son collège comprend deux personnalités qualifiées nommées par décret pour une durée de trois ans non renouvelable. Ces personnalités qualifiées ont-elles déjà été désignées ? Si tel n’est pas le cas, quel est le profil attendu ?

Je vous pose cette première série de questions au nom de l’ensemble des membres de la mission d’information, en particulier de Mme Cécile Untermaier, ancienne rapporteure thématique sur cette partie de la loi.

M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence. Vos questions sont très légitimes, monsieur le président. Compte tenu de l’ampleur et de l’ambition de la loi du 6 août 2015, je comprends votre impatience à en percevoir les bénéfices et, en quelque sorte, à les engranger. L’Autorité de la concurrence est associée à cette réforme à plusieurs titres : d’une part, elle doit être consultée sur un grand nombre de textes, ainsi que vous l’avez rappelé ; d’autre part, elle dispose d’un pouvoir d’initiative pour l’établissement de la carte qui guidera l’installation des professionnels du droit.

Avant de répondre à vos questions, j’aborderai les différentes matières dans lesquelles l’Autorité de la concurrence est associée à la mise en œuvre de la loi : les transports ; la grande distribution ; les télécommunications ; les professions du droit ; la réforme des procédures internes à l’Autorité.

Dans le domaine des transports, l’importante réforme du secteur des autocars a déjà produit des effets : création d’emplois et lancement de nouveaux services de transport, notamment au bénéfice des jeunes, qui plébiscitent ce changement. L’Autorité de la concurrence a non seulement soutenu, mais aussi inspiré cette réforme, dans l’avis qu’elle a rendu il y a deux ans, qui dessinait les grandes lignes de la nouvelle régulation du secteur.

Ainsi que vous l’avez rappelé, le Gouvernement vient de combler la dernière lacune dans la mise en œuvre de la réforme en publiant l’ordonnance relative aux gares routières de voyageurs. L’Autorité de la concurrence a été consultée sur ce texte dans un délai très bref : saisie à la fin du mois de décembre, elle a rendu son avis à la mi-janvier. Elle a soutenu le projet du Gouvernement, qui reprenait les préconisations qu’elle avait elle-même formulées dans son avis de 2014. Elle a néanmoins proposé deux corrections en ce qui concerne les pouvoirs de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), gendarme du rail dont les compétences ont été étendues à la route. Ces corrections ont été acceptées par le Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons.

Les mesures d’application de la réforme du secteur des autoroutes suivent leur cours. Les compétences de l’ARAFER ont été élargies à la régulation du secteur, notamment à celle du montant des péages, dont il s’agit de mieux contrôler l’évolution. Quant à l’Autorité de la concurrence, même si le rapport qu’elle avait remis au Sénat à ce sujet avait donné lieu à un intense débat public, elle n’a pas d’attribution particulière dans la mise en œuvre de la réforme – elle n’était d’ailleurs pas candidate à cela.

S’agissant des mesures relatives au permis de conduire, aspect important de la loi Macron, l’Autorité de la concurrence a déjà été consultée sur deux textes : elle a rendu un avis favorable au décret qui plafonne les frais d’accompagnement du candidat lors du passage du permis, perçus par les auto-écoles – il s’agit d’un point très irritant ; elle a fait quelques remarques sur le texte permettant d’externaliser l’examen du permis poids lourd et du code afin de désengorger la file d’attente – La Poste souhaite devenir l’un des organismes agréés à ce titre. La publication de ce deuxième texte est imminente. L’Autorité rendra la semaine prochaine un avis sur un troisième texte, qui concerne la répartition des quotas de places entre les auto-écoles. Il vise à fluidifier et accélérer le passage du permis, tout en évitant la discrimination entre les auto-écoles.

Dans le secteur de la grande distribution, reprenant une proposition que nous avions formulée, la loi impose désormais aux enseignes de transmettre à l’Autorité de la concurrence leurs accords d’achats groupés, à titre d’information, préalablement à leur mise en œuvre. Le décret définissant le seuil à partir duquel cette obligation d’information s’applique a été publié. Il retient deux conditions cumulatives : un chiffre d’affaires total mondial réalisé par les entreprises parties à l’accord supérieur à 10 milliards d’euros ; un volume d’achats mis en commun en France dans le cadre de l’accord supérieur à 3 milliards d’euros. Il permettra ainsi à l’Autorité de la concurrence d’étudier l’ensemble des alliances annoncées à l’automne 2014 – entre Auchan et Système U, entre Carrefour et Provera, entre Intermarché et Casino. Le Parlement s’était ému de leur multiplication.

Je précise que l’Autorité de la concurrence examinera plus attentivement l’alliance entre Auchan et Système U, qui prévoit une intégration beaucoup plus poussée que la simple mise en commun des achats, puisque les deux enseignes vont échanger leurs formats de magasin. Il s’agit donc pratiquement d’une fusion de fait. L’Autorité étudiera non seulement l’effet de cette concentration sur les fournisseurs en amont, mais aussi l’impact du chevauchement d’activité entre les deux enseignes dans plus de 300 zones de chalandises.

L’injonction structurelle, qui avait donné lieu à beaucoup de débats, a finalement été invalidée par le Conseil constitutionnel. L’Autorité de la concurrence ne propose pas de remettre cette disposition sur le chantier.

La loi du 6 août 2015 s’est également intéressée aux contrats d’affiliation passés entre les gestionnaires de magasins et les enseignes. Aux termes de la loi, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport à ce sujet dans les quatre mois qui suivent sa promulgation. Ce délai a expiré et, à ma connaissance, ledit rapport n’a pas été remis au Parlement. L’Autorité de la concurrence s’était prononcée sur la question de manière très détaillée dans un avis de décembre 2010. Elle est d’accord pour être associée à l’élaboration du rapport, qui prolongera les premières dispositions adoptées par le Parlement dans le cadre de la « loi Macron ».

Dans le secteur des télécommunications, l’Autorité de la concurrence avait publié en mars 2013 un avis très important, dans lequel elle indiquait sa grille d’analyse des contrats d’itinérance et des contrats de mutualisation d’infrastructures. La loi du 6 août 2015 a attribué de nouvelles compétences à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui lui permettent de modifier les contrats en cours. Dans ce cas, l’Autorité de la concurrence doit être consultée. Le président de l’ARCEP a saisi l’Autorité des grandes lignes de la doctrine qu’il entend appliquer à ces contrats. Je lui adresserai un courrier à ce sujet avant la fin de la semaine. L’Autorité donnera des avis plus précis si les contrats sont modifiés en cours d’exécution.

La doctrine que l’Autorité a exposée dans son avis de mars 2013 vaut pour un marché à quatre opérateurs. Or il est question de discussions qui pourraient aboutir à une consolidation dans le secteur des télécommunications. Si celle-ci se produit, il faudra en étudier les conséquences sur les contrats d’itinérance et de mutualisation. Je n’exclus pas que la modification de ces contrats soit alors l’un des remèdes négociés ou imposés par l’Autorité de la concurrence.

S’agissant des professions du droit, principal sujet que vous souhaitez évoquer aujourd’hui, la loi du 6 août 2015 comprend deux volets importants : le premier porte sur les tarifs, le second sur l’installation.

Sur le volet tarifaire, une étape très importante a été franchie avec la préparation par le Gouvernement du projet de décret qui révise la méthodologie de fixation des tarifs appliqués par les professions réglementées du droit. Les bases de la régulation tarifaire dataient de 1944, et l’on ne s’était jamais vraiment demandé si les considérations historiques qui avaient présidé à leur définition étaient toujours pertinentes. Le Gouvernement a d’abord saisi le Conseil d’État. Celui-ci lui a fait des remarques informelles, ce qui a conduit à de nouvelles discussions interministérielles. Puis, le 21 décembre 2015, après arbitrage, le Gouvernement a saisi l’Autorité de la concurrence d’un projet de texte.

L’Autorité a travaillé d’arrache-pied pour rendre un avis rapidement. Elle a mené tout un travail d’instruction, en collectant de nombreuses données et en auditionnant l’ensemble des instances professionnelles concernées, notamment lors d’une séance collégiale. Ainsi que vous l’avez signalé, monsieur le président, nous vous avons transmis, ainsi qu’à Mme Untermaier, une copie de l’avis que nous avons remis au Gouvernement.

Cet avis est très complet et détaillé : il fait plus de 80 pages. Au-delà des remarques générales sur la méthodologie proposée par le Gouvernement – je reviendrai sur le point de savoir si elle est fidèle ou non aux intentions du législateur –, nous avons proposé trente modifications – précisions, compléments ou ajustements – qui nous paraissaient nécessaires. Je ne les présenterai pas toutes.

Ce n’est pas la première fois que l’Autorité de la concurrence se prononce sur le sujet. Dans un avis d’initiative rendu en janvier 2015, elle avait déjà donné son sentiment sur ce que pourrait être une bonne régulation tarifaire des professions réglementées du droit. Plusieurs des préconisations qu’elle avait formulées à l’époque ont d’ailleurs été reprises par le législateur ou ont inspiré les auteurs du projet de décret.

Je le dis très franchement, monsieur le président : nous avons soutenu l’idée proposée par le Gouvernement d’une régulation globale, profession par profession, qui nous paraît plus pragmatique et réaliste qu’une régulation acte par acte, même si les effets de cette méthodologie tarifaire ne seront pas les mêmes sur le prix des différents actes.

Pourquoi ? Premièrement, pour des raisons de réalisme et de rapidité : construire une régulation acte par acte supposerait de collecter toute une série d’informations, dont les professionnels eux-mêmes nous disent ne pas disposer. Ainsi en est-il du temps moyen passé à la rédaction d’un acte, par exemple d’un contrat de mariage ou d’un acte de mutation immobilière. Les professionnels nous expliquent que cette durée dépend de nombreuses circonstances qui modifient profondément la difficulté de la prestation. Aucune profession de services réglementée – du droit, du chiffre ou de la santé – ne dispose d’une comptabilité analytique lui permettant de connaître précisément les coûts exposés acte par acte, c’est-à-dire le temps passé et la part du capital investi qui « sert » à la prestation ou à la rédaction de l’acte en cause, et aucune ne perçoit non plus une rémunération qui reflète la réalité de ces coûts. Dans les faits, toutes ces professions procèdent à des subventions croisées entre clients et entre services, et l’indicateur pertinent est la rentabilité moyenne dégagée de l’ensemble des prestations ou des services rendus. Bref, compte tenu de l’insuffisance des données, nous ne pouvons pas avoir une connaissance assez fine acte par acte qui nous permette d’approcher la vérité des coûts.

Deuxièmement, le législateur et, à sa suite, le Gouvernement ont fait, selon moi, le pari du pragmatisme et de la progressivité : nous n’allons pas bâtir d’emblée la régulation tarifaire idéale ou parfaite, mais nous allons approcher, cycle après cycle, une régulation plus efficace qui respecte les critères fixés par la loi, à savoir des tarifs qui reflètent les coûts exposés – le coût du travail employé et celui du capital investi – tout en permettant au professionnel de dégager une rémunération raisonnable. Nous soutenons cette démarche et proposons que la durée des cycles à l’issue desquels les tarifs seront réexaminés soit de deux ans. Ce rythme relativement soutenu nous paraît le bon à la fois pour que les « marches d’escalier » auxquels les professionnels devront s’adapter à chaque étape ne soient pas trop raides, à la hausse ou à la baisse, et pour que nous puissions collecter auprès des professionnels des données plus nombreuses et plus fines nous permettant d’améliorer notre connaissance des coûts. Nous pourrons ainsi améliorer la régulation tarifaire cycle après cycle, en corrigeant les imperfections constatées au cours du cycle précédent.

Nous nous prononçons en faveur d’une rémunération raisonnable qui soit garantie aux professionnels. Il s’agit d’essayer de « caper » la marge si elle est trop élevée – l’idée de la réforme est bien de supprimer les rentes injustifiées – tout en incitant les professionnels à réaliser des gains de productivité, c’est-à-dire à investir et à innover pour diminuer leurs coûts et devenir plus efficaces, ainsi que tous les acteurs écono miques doivent le faire. Mais il faut aussi tenir compte d’un impératif de justice sociale et de présence sur le territoire. Il n’est pas question de brader la sécurité juridique : les professionnels doivent tous avoir la possibilité de dégager une rémunération raisonnable, qui est la condition de leur maintien sur le territoire. Telle est la philosophie de la réforme que nous soutenons.

Pour fixer cette rémunération raisonnable, le Gouvernement a retenu des critères non pas exogènes – en établissant une comparaison avec la rémunération raisonnable dans d’autres professions de services réglementées, ce qui aurait donné lieu à des débats infinis et complexes sur ce que doit être la « bonne référence » –, mais endogènes : le taux de résultat moyen dégagé par les professionnels exerçant à titre individuel ou sous forme de société unipersonnelle au sein de chaque profession du droit considérée. Certes, cette méthode n’est pas parfaite du point de vue théorique, puisque l’on renonce à comparer la profession avec d’autres professions qui pourraient être plus efficaces, mais elle nous paraît assez pragmatique et raisonnable.

Ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le président, le projet de décret prévoit un plafonnement des émoluments perçus par les notaires à 10 % de la valeur du bien sous-jacent. C’est en effet un point qui préoccupe la profession. Pour notre part, nous avons soutenu ce plafonnement, tout en proposant au pouvoir réglementaire de préciser que l’assiette à laquelle s’applique ce taux de 10 % est constituée par les émoluments d’acte et les émoluments de formalités.

Vous demandez, monsieur le président, s’il ne faudrait pas fixer une rémunération minimale pour certains actes plutôt que de « caper » ainsi les émoluments à 10 %. C’est l’inverse de ce que propose le Gouvernement et il faut choisir ! En réalité, le projet de décret s’attaque à un problème qu’a notamment souligné Mme Untermaier au cours du débat parlementaire : l’importance des « frais de notaire » – expression que je récuse car elle recouvre, dans le détail, des réalités très différentes – constitue un obstacle pour des opérations immobilières utiles au remembrement rural ou à une gestion forestière efficace. De notre point de vue, la mobilité foncière est un impératif d’intérêt général, et le taux de 10 % paraît raisonnable. Cependant, il y a probablement une réflexion à mener sur la fiscalité, car un propriétaire ne fait pas la part des choses entre la rémunération du notaire et les droits d’enregistrement : c’est le montant total des débours qui peut le faire renoncer à une opération. Si les frais de notaires sont plafonnés, peut-être faudrait-il envisager, de même, de plafonner les droits d’enregistrement.

Quoi qu’il en soit, le plafonnement des émoluments nous semble efficace du point de vue économique et juste à l’égard des notaires. N’oublions pas que le Gouvernement et le Parlement ont fait le choix, a priori contre-intuitif, d’imposer la proportionnalité des émoluments au-delà d’un certain seuil. Or le coût de revient des actes pour les notaires est souvent indépendant de la valeur du bien sous-jacent : il est davantage lié à des difficultés particulières – situation patrimoniale peu claire, nombre élevé de propriétaires, indivision dont les membres ne s’entendent pas, présence d’un mineur sous tutelle, etc. – qui compliquent la réalisation de l’acte. Ainsi, le choix du législateur paraît moins dicté par la réalité économique que par la volonté de préserver la rentabilité des offices notariaux. En échange de cette concession très importante, il ne paraît pas absurde de plafonner la rémunération du notaire à 10 % de la valeur du bien, afin d’encourager des mutations immobilières actuellement bloquées en raison de frais qui paraissent excessifs au regard des enjeux économiques.

Nous avons suggéré d’améliorer le projet de décret sur d’autres points.

S’agissant des remises, nous sommes d’accord avec la loi : elles ne doivent pas être pratiquées « à la tête du client » ; les tarifs doivent être opposables et identiques pour tous. En revanche, le taux de remise plafond de 10 % prévu par le projet de décret nous a semblé relativement rigide. Selon nous, des remises plus importantes seraient plus incitatives. Nous avons donc proposé de porter ce taux plafond à 20 %.

D’autre part, j’appelle votre attention sur le fait que nous nous sommes opposés à une disposition du projet de décret qui permettrait à tous les professionnels de majorer leurs tarifs de 30 % pour urgence. Cette mesure nous a paru dangereuse, notamment car elle risque de créer une activité à deux vitesses.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. En effet, qui déclarerait l’urgence ?

M. Bruno Lasserre. Tout à fait. Le client étant par définition toujours pressé, il serait ennuyeux que certains notaires en profitent pour majorer systématiquement le prix des actes de 30 %. Les notaires nous ont d’ailleurs expliqué qu’ils n’étaient pas demandeurs de cette mesure. En revanche, la majoration pour urgence pourrait être pratiquée par les huissiers, les administrateurs judiciaires ou les mandataires judiciaires, à condition – telle est notre proposition – qu’elle corresponde à une situation objective : risque de péremption d’un droit, demande urgente d’un juge, etc. Elle ne doit pas dépendre d’une discussion entre le professionnel et le client.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. On distingue ainsi la hâte de l’urgence.

M. Bruno Lasserre. Exactement.

Nous nous sommes également interrogés sur la majoration automatique du prix des actes de 25 à 40 % outre-mer prévue par le projet de décret. Elle nous semble excessive au regard des différences de prix entre la métropole et les outre-mer, et encouragerait un cercle vicieux : elle contribuerait elle-même à l’augmentation du coût de la vie. Il nous a semblé que ces taux de majoration n’avaient pas fait l’objet d’une réflexion suffisamment approfondie et qu’ils étaient, surtout, trop mécaniques. Nous avons donc invité le Gouvernement à en réexaminer l’opportunité.

Par ailleurs, nous avons proposé de « détarifer » les actes dont l’authentification par un notaire est non pas obligatoire, mais facultative, c’est-à-dire laissée au choix du client. Cela va dans le sens d’une demande des notaires. Dans la mesure où il s’agit de prestations en concurrence, nous avons considéré que leur tarif n’avait pas à être approuvé par arrêté, mais qu’il pouvait être fixé librement par les notaires.

Enfin, nous avons proposé d’exclure du champ d’application du décret les actes réalisés par les avocats dont le tarif est réglementé. Ceux-ci sont très peu nombreux : il s’agit essentiellement des saisies immobilières, des partages, des licitations et des sûretés judiciaires. Alors que l’essentiel de l’activité des notaires, des huissiers, des greffiers de tribunaux de commerce, des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires fait l’objet de tarifs réglementés, l’essentiel de l’activité des avocats est libre, seule une partie très limitée de leurs prestations – d’ailleurs souvent inconnue des avocats eux-mêmes – étant soumise à régulation tarifaire. Dès lors, les notions de coût du travail, de coût du capital investi et de rémunération raisonnable, qui ont du sens pour les premières professions que j’ai citées, sont très difficiles à transposer pour les avocats. Il nous semble donc préférable que le Gouvernement prépare un texte spécifique à ces derniers.

Le projet de décret prévoit une régulation tarifaire globale. Il sera examiné par le Conseil d’État la semaine prochaine et publié dans les jours qui suivent. Ensuite, le Gouvernement devra appliquer la méthodologie fixée dans le décret acte par acte, dans une série d’arrêtés tarifaires pris à l’initiative du ministère de l’économie, en principe avant le 29 février prochain. Compte tenu de l’urgence, nous ne serons pas consultés sur ces arrêtés et nous n’allons pas plus nous saisir d’office. Cependant, nous n’excluons pas de le faire au cours du cycle de deux ans qui va s’ouvrir, avant la fixation des tarifs suivants.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Les propositions que vous avez formulées ont-elles été retenues par le Gouvernement ?

M. Bruno Lasserre. Nous ne le savons pas encore. Le Conseil d’État pourrait reprendre certaines d’entre elles dans son avis. Je ne suis pas au courant du détail des discussions interministérielles qui se poursuivent. Je ne pourrai vous répondre que lorsque le décret aura été publié, c’est-à-dire, je l’espère, à la fin de la semaine prochaine ou au début de la suivante.

J’en viens au volet de l’installation. Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le président, l’Autorité de la concurrence a un pouvoir de proposition pour établir la carte déterminant les zones de libre installation. Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que vous faites concernant la date du 1er février. L’intention du législateur et le texte de la loi sont clairs : les dispositions relatives à l’installation des professions réglementées, y compris les compétences nouvelles que la loi donne à l’Autorité en la matière, ne sont entrées en vigueur que le 1er février. Avant cette date, l’Autorité n’avait aucun pouvoir pour lancer une consultation publique ou établir un projet de carte. Le 1er février est non pas le point d’aboutissement, mais la date d’ouverture du dispositif, à compter de laquelle les différents acteurs sont obligés de réaliser le travail que leur confie la loi.

Ainsi que vous l’avez rappelé très justement, l’Autorité attend la publication de trois décrets, condition préalable pour qu’elle puisse réaliser le travail qui lui est demandé par le législateur.

Le premier décret doit porter nomination des deux personnalités qualifiées que l’Autorité de la concurrence doit s’adjoindre en vertu de la loi lorsqu’elle délibère sur les conditions d’installation, d’une part, des officiers publics ministériels et, d’autre part, des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Ce ne seront pas nécessairement les deux mêmes personnes. Nous avons eu des discussions avec le Gouvernement sur le profil et sur des noms possibles. Pour ce qui est des avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, la logique serait d’associer un membre de chacune de ces juridictions, car le « marché » dépend très fortement des orientations de leur politique jurisprudentielle, notamment de la masse de contentieux qu’elles souhaitent traiter. En ce qui concerne les officiers publics ministériels, le profil peut-être très différent, et il appartient au Gouvernement de choisir.

Le deuxième décret doit fixer les critères présidant à l’établissement de la carte. Nous n’avons pas été consultés formellement sur le projet de texte, mais il nous a été transmis informellement. Sa publication a été retardée par le changement de garde de sceaux. Elle est désormais imminente.

Le troisième décret doit définir les conditions qui guideront le ministre de la justice lorsqu’il autorisera la création d’offices. Il est préparé par la Chancellerie.

Je laisserai à Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, le soin de vous expliquer à quel stade l’Autorité en est de la constitution de son équipe dédiée aux professions réglementées du droit, et de vous indiquer le calendrier prévisionnel de ses travaux en la matière, notamment de l’établissement de la carte.

J’en termine par la réforme des procédures internes à l’Autorité de la concurrence, autre point important de la « loi Macron ».

D’abord, la loi du 6 août 2015 a introduit la possibilité pour l’Autorité de proposer une transaction à une entreprise ou un organisme. Cette disposition, qui n’avait pas besoin d’un décret pour entrer en vigueur, est applicable à toutes les procédures pour lesquelles les griefs ont été notifiés après la publication de la loi. Il s’agit d’une réforme importante, qui semble intéresser les entreprises. En décembre 2015, avant même que la loi soit applicable, nous avons pu régler une très grosse affaire de cette manière : Orange a accepté de payer une amende d’un montant de 350 millions d’euros, négocié avec l’Autorité, et a renoncé à faire appel. De même, dans quelques jours devrait se conclure une autre affaire, de bien moindre ampleur, dans laquelle deux des trois groupements professionnels concernés ont signé un procès-verbal de transaction avec la rapporteure générale. L’objet de la transaction est précisément d’accélérer le traitement des affaires et d’éviter des recours contentieux.

Ensuite, la loi a prévu des améliorations en matière de contrôle des concentrations. Elles sont à l’œuvre et nous rapprochent du système européen, à la satisfaction tant de l’Autorité que des entreprises.

Enfin, la loi a élargi les pouvoirs d’enquête des rapporteurs de l’Autorité de la concurrence en leur permettant d’accéder aux factures de téléphone détaillées, dite « fadettes ». Il est de plus en plus difficile de réunir les preuves d’une collusion secrète ou de la formation d’un cartel, car les entreprises perfectionnement leurs méthodes pour en dissimuler les traces, par exemple en confiant à leurs cadres des téléphones portables dédiés aux conversations avec les concurrents, qu’ils conservent à leur domicile. Or les rapporteurs de l’Autorité de la concurrence peuvent effectuer des visites et des saisies dans les locaux professionnels, mais pas au domicile des salariés. L’Autorité a donc demandé à disposer du même pouvoir que l’Autorité des marchés financiers, les services fiscaux, les douanes ou la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), c’est-à-dire de pouvoir accéder non pas au contenu des conversations téléphoniques, mais au relevé des numéros appelés, qui pourront éventuellement fournir l’indice de concertations illicites entre entreprises.

Cette disposition a été invalidée par le Conseil constitutionnel, qui a d’ailleurs changé sa jurisprudence à cette occasion : il a estimé que ce pouvoir d’enquête supplémentaire devait avoir une contrepartie en termes de protection des libertés individuelles. Le Gouvernement va reprendre le chantier et réfléchir aux garanties qui peuvent être offertes en la matière. Nous sommes évidemment intéressés à cet exercice.

Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence. Ainsi que l’a rappelé le président Lasserre, l’article 52 est entré en vigueur le 1er février, et les décrets correspondants devraient être connus dans les prochains jours. Nous avons pu avoir des échanges informels avec les ministères de l’économie et de la justice à propos du décret relatif aux critères présidant à l’établissement de la carte. Nous ne devrions donc pas avoir de surprise majeure en la matière. Dans la version que nous avons vue, un certain nombre de critères portaient sur l’offre – par exemple, le nombre d’offices déjà implantés ; d’autres concernaient la demande potentielle – l’activité économique ou, s’agissant des huissiers, l’activité juridictionnelle. Le retard pris dans la publication de ce décret est en effet conjoncturel : il est dû au changement de garde des sceaux.

Nous avons fait le choix de constituer un service dédié aux professions réglementées au sein de l’Autorité. Nous avons obtenu quelques créations de postes au 1er janvier pour faire face à cette nouvelle tâche. Nous n’avons pas attendu cette date pour lancer le processus de recrutement : les agents ont déjà été choisis ; ils arrivent à dates échelonnées, en fonction de la durée de leur préavis ou du moment auquel leur administration d’origine les laisse partir. Le service sera constitué de huit personnes : un chef de service et sept rapporteurs. Il devrait être au complet à la mi-avril. Nous avons évidemment déjà commencé à travailler avec les agents présents à l’Autorité. Jusqu’à présent, compte tenu de la date butoir du 29 février, nous nous sommes surtout consacrés au décret tarifaire.

S’agissant de la carte, nous avons commencé à l’automne dernier à demander aux professionnels toute une série d’informations très précises dont nous avons besoin : nom et localisation précise de chacun des notaires, commissaires-priseurs ou huissiers exerçant sur le territoire, composition de leur office, nombre de salariés, âge des professionnels – la loi a instauré une limite d’âge, qui a un impact sur l’évolution démographique de ces professions.

Il y a une donnée très importante qu’il nous est difficile de recueillir : l’origine géographique de la clientèle. Pour définir les zones de libre installation, nous avons en effet besoin de savoir d’où viennent les clients de chacun des professionnels, afin de déterminer en quelque sorte leur « zone de chalandise ». Or les instances ordinales ne disposent pas de cette information office par office. Il va probablement falloir que nous mettions en place une étude par sondage. Comme vous le savez, les notaires ont une compétence nationale et peuvent donc avoir des clients dans toute la France. Nous devons établir si les clients éloignés constituent une part marginale ou importante de leur clientèle. Cela dépend probablement du type d’office, notamment de son implantation, en ville ou dans une zone rurale. Il existe sans doute aussi des particularités géographiques liées à l’histoire : d’après ce qu’on nous a dit, les notaires auvergnats ou aveyronnais ont de nombreux clients à Paris du fait de la tradition des bougnats.

Nous avons également besoin de connaître un certain nombre d’informations financières, notamment le résultat des offices existants, dans la mesure où se pose la question de leur viabilité en cas d’entrée de nouveaux professionnels. Nous devons aussi choisir des critères d’analyse : le chiffre d’affaires est un critère simple, mais peut-être faut-il aller au-delà. Enfin, nous devons trouver un logiciel qui nous permette de dessiner la carte.

Nous avançons. Nous sommes pratiquement prêts pour la consultation publique. Dès que le décret sera paru, nous publierons un communiqué, ainsi que la loi le prévoit, pour lancer la consultation auprès des instances ordinales, des associations de consommateurs et des professionnels candidats à l’installation. Nous analyserons les contributions en même temps que nous préparerons la carte. Une fois ce travail d’instruction achevé, le collège se réunira avec les deux personnalités qualifiées pour valider notre proposition. Parallèlement, nous rédigerons une recommandation sur le rythme d’installation dans les zones de libre installation, conformément au souhait du législateur. Compte tenu de toutes ces étapes, nous nous fixons comme objectif de proposer une carte au mois de mai.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Donc, si tout se passe bien, la carte sera applicable au mois de mai.

Mme Virginie Beaumeunier. C’est la date à laquelle nous devrions pouvoir remettre notre proposition au Gouvernement. Encore faut-il que celui-ci soit d’accord avec cette proposition et l’adopte. Mais cela pourrait aller assez vite, puisque le Gouvernement pourra faire valoir ses observations lors de la réunion du collège.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Comment allez-vous prendre en compte le nombre de notaires salariés dans les offices existants ? Allez-vous considérer qu’un nombre élevé de salariés par office est le signe d’une offre suffisante ou bien, à l’inverse, de l’existence d’un vivier qui peut justifier la libre installation dans la zone considérée ? Les candidats à l’installation nous posent cette question avec beaucoup d’insistance, car ils craignent que, dans les zones où il y a peu d’études mais où celles-ci emploient beaucoup de salariés, on considère que le service est rendu et qu’il n’y a donc pas lieu d’y autoriser de nouvelles installations. Ce serait un effet paradoxal.

Mme Virginie Beaumeunier. Nous avons bien identifié cette question tout à fait pertinente, mais nous n’avons pas encore de réponse claire. Nous examinerons ce point avec beaucoup d’attention afin d’éviter les effets pervers. À l’inverse de ce que vous décrivez, monsieur le président, il ne faudrait pas non plus que les notaires titulaires en viennent à licencier leurs salariés pour « fermer » une zone, parce que l’on considérerait que l’installation doit être libre là où le nombre de salariés par office est élevé ! La consultation publique nous sera utile pour observer les réactions à cet égard.

Compte tenu du risque d’effets pervers, je ne suis pas sûre qu’il faille retenir le critère du nombre de salariés par office. Sans doute faut-il plutôt privilégier le critère de la demande ou du potentiel d’installation, c’est-à-dire de la possibilité d’établir des actes, au regard de l’activité immobilière ou des besoins des familles.

M. Bruno Lasserre. Il faut aussi encourager la mobilité géographique. La loi ne présuppose pas que l’installation se fera uniquement au bénéfice des salariés de la zone considérée, et personne n’a promis non plus que l’on pourrait s’installer dans la zone où l’on travaille déjà. De nombreux clercs ou notaires salariés sont prêts à s’installer dans d’autres régions où ils pourront développer leur activité. Grâce à leur compétence nationale, les notaires peuvent aussi toucher une clientèle ailleurs que dans la zone où ils se sont implantés à l’origine.

Mme Virginie Beaumeunier. Peu après l’adoption de la loi, un certain nombre de jeunes notaires nous ont écrit pour savoir à quel moment elle serait mise en œuvre. Plusieurs d’entre eux nous ont pratiquement envoyé un plan de développement de leur activité – business plan. Si certains envisagent de s’installer à proximité de leur lieu de travail actuel, beaucoup d’autres semblent prêts à le faire dans une autre zone.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Merci pour ces indications. Aujourd’hui, les candidats à l’installation se posent la question suivante : « Comment puis-je me projeter dans l’avenir ? » C’est leur vie professionnelle qui est en jeu. Autant que je puisse en juger par les nombreux courriers que je reçois et les interpellations qui me sont adressées, il y a une certaine impatience – la loi a suscité une appétence réelle – et un sentiment d’inquiétude. Outre les délais que nous venons d’évoquer – et que vous avez aisément justifiés, madame la rapporteure générale –, un certain nombre de freins, directs ou indirects, seraient en train de réapparaître : on nous écrit que la Caisse des dépôts et consignations serait moins disposée que par le passé à financer de nouvelles installations, car leur sécurité économique est moins évidente dans la mesure où elles sont moins protégées ; la Chancellerie exige d’apporter la preuve que l’activité future est bien assurée, mais on nous fait valoir des difficultés à bénéficier du système d’assurance mutualisé qui existe au sein de la profession. Il ne faudrait pas que ce que nous avons voulu faire sortir par la porte revienne par le soupirail ! L’absence de visibilité conjuguée aux inquiétudes quant à ces nouveaux freins crée chez certains des interrogations, voire une forme de découragement.

M. Bruno Lasserre. Il ne faut pas que les intéressés se découragent. Je le dis très solennellement : nous mettons tout en œuvre pour avancer aussi rapidement que possible sur le chemin tracé par le législateur. La rapporteure générale et moi-même avons passé beaucoup de temps à recevoir et sélectionner les candidats pour constituer l’équipe dédiée aux professions réglementées. Pour nous, cette question est la priorité absolue. Je comprends très bien l’impatience des professionnels, et nous allons y répondre.

La consultation publique permettra de répondre à certaines de vos interrogations, monsieur le président. Car la carte ne va pas tomber du ciel, dessinée par des géographes idéaux qui vont combiner des statistiques et des données, et trouver tout d’un coup la vérité révélée ! Le processus de confection de la carte révélera aussi ce que les acteurs sont prêts à partager avec nous. Nous souhaitons que les candidats à l’installation dont vous parlez, monsieur le président, se manifestent à cette occasion et nous fassent part de leur vision des choses. Plus vite et intensément nous aurons des retours appuyés sur des faits, des données et des statistiques – et pas seulement du lobbying –, plus vite nous pourrons constituer une carte crédible. L’Autorité de la concurrence est entièrement mobilisée pour réaliser cet objectif et réduire au maximum l’incertitude, qui n’est bonne pour personne.

Mme Virginie Beaumeunier. L’Autorité est très favorable à cette réforme et, en effet, très mobilisée. Nous avons commencé à recevoir des associations de jeunes notaires qui souhaitent s’installer et avons eu les mêmes échos que vous, monsieur le président. Or, s’il y a des comportements qui visent à freiner l’entrée sur le marché ou des pratiques anticoncurrentielles – par exemple, s’il s’avère qu’il est impossible d’accéder à des assurances ou qu’il n’existe qu’un seul organisme auprès duquel s’assurer –, nous ferons notre métier d’Autorité de la concurrence. Je le dis, moi aussi, solennellement : nous n’hésiterons pas à ouvrir des enquêtes s’il le faut.

Les professionnels ont peut-être eu un peu de mal à croire à cette réforme. Désormais, ils voient qu’elle entre en vigueur, avec la publication du décret tarifaire et le lancement du travail sur la carte. Peut-être vont-ils revenir à des attitudes plus constructives. Le Conseil supérieur du notariat, que nous avons rencontré avec le président Lasserre, a visiblement compris qu’il était dans son intérêt de coopérer.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Merci pour ces propos très clairs, qui sont rassurants et encourageants pour ceux qui nous écoutent.

M. Gilles Lurton. Merci, monsieur le président, madame la rapporteure générale, pour vos propos très clairs et explicites.

En ce qui concerne le transport par autocar, la création de nouvelles lignes, on le voit, s’est faite à des tarifs très intéressants, notamment pour les jeunes, a facilité l’emploi dans les sociétés de transport et a parfois permis une valorisation des chauffeurs, qui sont passés d’un travail intermittent à un travail à temps plein, dans certains cas en tant que salariés. Néanmoins, certaines sociétés, notamment les plus petites, ont du mal à s’aligner sur les tarifs très bas qui sont pratiqués et risquent de disparaître. J’ai le sentiment que nous nous orientons progressivement vers un marché dominé par deux ou trois grosses sociétés de transport avec leurs filiales.

D’autre part, n’y a-t-il pas une concurrence avec le transport par train ? Les coûts du transport par autocar sont beaucoup moins importants que ceux des transports express régionaux (TER), dont les déficits sont comblés par les régions. Il ne faudrait pas que ces déficits se creusent, auquel cas les régions seraient amenées à augmenter encore leur contribution financière.

S’agissant du volet tarifaire de la réforme des professions réglementées, la loi a introduit la notion de « rémunération raisonnable ». Vous avez expliqué que vous vous intéressiez à la « rentabilité moyenne dégagée de l’ensemble des prestations ou des services rendus ». Cependant, je m’interroge sur le sens de cette rentabilité moyenne, compte tenu des différences entre une très grande étude parisienne comptant un personnel nombreux et une petite étude de province qui établit surtout de petits actes – dont la rentabilité est faible, ainsi que nous l’avons expliqué à maintes reprises – et ne s’en sort que grâce à quelques gros actes.

Quant au plafonnement des émoluments à 10 % de la valeur du bien sous-jacent, j’ai bien compris qu’il permettrait de débloquer certaines ventes de terrains agricoles ou de parcelles forestières qui ne se font pas actuellement parce que les frais paraissent excessifs par rapport à la valeur du bien. Toutefois, je crains que, dans nos communes rurales, les notaires n’accomplissent plus ces petits actes, qui demandent presque autant de travail que les actes plus importants, car ils n’y trouveront plus aucune rentabilité.

Que pensez-vous du système de l’horodatage, c’est-à-dire du principe « premier arrivé, premier reçu » ?

M. Bruno Lasserre. Concernant le transport par autocar, il est clair que nous sommes dans une phase d’expérimentation, où de nombreuses sociétés saisissent leur chance et tentent de marquer le terrain, de convaincre que l’on peut voyager pour pas cher, de séduire de nouveaux segments de clientèle, en particulier les jeunes, mais aussi une partie des seniors qui sont plus sensibles au prix qu’à la durée du trajet. Il y a une nouvelle approche, et il est bon que la demande de transport soit ainsi stimulée par des tarifs attractifs. Après cette phase d’expérimentation et d’apprentissage, je n’exclus pas que les prix se stabilisent à un autre niveau et qu’il y ait, comme pour toute innovation de rupture, des rapprochements, des rachats ou des fusions. Nous examinerons attentivement ce processus de consolidation et vérifierons qu’il ne nuit pas à la concurrence.

Pour ce qui est de la concurrence éventuelle entre l’autocar et le train, la loi est sage : ainsi que nous l’avions nous-même proposé, elle permet aux collectivités qui sont autorités organisatrices de transport (AOT) d’invoquer, pour les trajets inférieurs à 100 kilomètres, le risque que ferait courir la création d’une ligne d’autocar pour l’équilibre économique et la pérennité d’une ligne de train dont elle subventionne l’investissement ou le fonctionnement – TER ou train d’équilibre du territoire (TET). Cela doit inciter à une certaine rationalisation des investissements. Il serait absurde que le déficit d’une ligne ferroviaire subventionnée se creuse en raison du développement d’une autre activité que nous ne pourrions pas maîtriser.

Dans un tel cas de figure, c’est l’ARAFER, régulateur indépendant compétent pour ces secteurs, qui arbitre dans un délai contraint. Il doit alors appliquer un raisonnement en trois étapes : premièrement, vérifier s’il y a un rapport de concurrence et non simplement de complémentarité entre l’offre d’autocar que l’opérateur se propose de créer et l’offre de train subventionnée ; deuxièmement, estimer le risque de transfert de clientèle du train vers l’autocar, point par point et horaire par horaire ; troisièmement, vérifier si ce transfert de clientèle et du chiffre d’affaires afférent menace ou non l’équilibre économique de la ligne de train. Si ce test est positif, c’est-à-dire s’il y a un risque pour la pérennité de la ligne ferroviaire subventionnée, alors il faut prendre des précautions et n’ouvrir la ligne d’autocar que sous certaines conditions. Car, on le sait, une fois que l’on ferme une ligne de train, il est très difficile de la rouvrir, même lorsque les conditions économiques changent. Les choses sont plus flexibles pour les lignes d’autocar.

S’agissant des professions réglementées, la réponse à votre question sur la notion de « rémunération raisonnable » figure dans le projet de décret. Celui-ci est marqué par un certain pragmatisme : plutôt que d’essayer de déduire ce que devrait être la rémunération « normale » d’un notaire, d’un huissier ou d’un greffier de tribunal de commerce par comparaison avec d’autres professions de services, par exemple celles de la santé ou du chiffre, le pouvoir réglementaire a choisi une référence endogène, à savoir le taux de résultat moyen dégagé par les professionnels exerçant à titre personnel ou dans le cadre d’une société unipersonnelle, qui sont a priori les moins outillés. Cette référence est véritablement opposable à chacun des professionnels puisqu’elle vient de la profession elle-même. En outre, elle garantit que le professionnel le moins efficace pourra lui aussi dégager une rémunération raisonnable. Il me semble donc qu’il a été tenu compte de votre préoccupation.

Pour ma part, je considère que le plafonnement des émoluments à 10 % de la valeur du bien sous-jacent constitue la contrepartie légitime du fait que la loi rend obligatoires les tarifs proportionnels au-delà d’un certain seuil. Dans ces conditions, par souci de réalisme, le législateur a souhaité s’assurer que la rémunération perçue pour l’établissement des petits actes ne dissuaderait pas le client de réaliser une transaction pouvant aller dans le sens de l’intérêt général. Rappelons que les notaires n’ont pas la faculté de refuser l’accomplissement d’un acte au motif qu’il ne serait pas rentable : ils ont l’obligation d’instrumenter chaque fois qu’un client s’adresse à eux. C’est la contrepartie du monopole dont ils jouissent.

Si nous estimons que ce plafonnement est conforme à l’intérêt général car il favorise des opérations de remembrement rural ou foncier qui ne se feraient pas autrement ou encourage une mobilité foncière souhaitée par certaines communes, ne faudrait-il pas alors le généraliser, en l’appliquant non seulement à la rémunération du notaire, mais aussi aux droits d’enregistrement perçus lors de ces opérations ? Ce serait probablement la meilleure réponse du point de vue économique.

Votre question est très pertinente, monsieur le député : une fois qu’une zone sera déclarée ouverte à l’installation de nouvelles études ou offices, selon quels critères, dans quelles conditions et dans quel ordre les candidats seront-ils sélectionnés ? La réponse figurera en partie dans le projet de décret que prépare la Chancellerie, sur lequel nous serons a priori consultés. Selon nous, le système doit être le plus impartial possible, et les critères les plus objectifs possibles, de manière à éviter les discriminations ou les préférences. Dès lors que les critères d’ordre public seront remplis – critères de diplôme, d’honorabilité, de surface financière –, je ne pense pas que le ministère de la justice doive organiser un « grand oral » ou un « concours de beauté », ni se prononcer sur le business plan ou les perspectives de tel ou tel office. Plus les critères seront objectifs et impartiaux, plus la décision prise sera elle-même objective et à l’abri des pressions qui pourraient être exercées pour retarder ou influencer le choix du ministre de la justice. Tel est le sens dans lequel nous pousserons lorsque nous serons consultés sur le projet de texte.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur. Je vous remercie très sincèrement, monsieur le président, madame la rapporteure générale : vous avez éclairé de nombreux points qui restaient obscurs pour nous.

Lorsque j’ai exprimé ma crainte que de nouveaux freins à l’installation ne soient créés ex nihilo, vous m’avez répondu que vous feriez alors votre métier, qui consiste à veiller à ce qu’il n’y ait pas d’entraves à la concurrence. À cet égard, nous nous interrogeons sur l’existence d’un stage obligatoire de formation à la gestion qui dure quelques jours. Je souhaiterais que vous examiniez ce point. Certains ont fait valoir que la profession pourrait organiser le malthusianisme en contrôlant l’accès à ce stage obligatoire. Nous avons donc demandé au Gouvernement de réfléchir à sa suppression pure et simple. Si l’on juge nécessaire que les candidats à l’installation apprennent la gestion, ce qu’ils ne peuvent pas faire en quelques jours, il faut alors imposer une exigence autre, mais, là encore, objective. En tout cas, il ne faut pas rendre ces candidats dépendants du passage par tel ou tel organisme à la main de ceux qui sont peu enclins au changement. Il ne faudrait pas que soient élevées des digues artificielles auxquelles nous n’avions pas nécessairement pensé.

Notre mission d’information n’a pas vocation à être éternelle. Aussi, je forme le vœu que l’Autorité de la concurrence fasse preuve d’une très grande vigilance sur ces questions dans la longue durée, qu’elle exerce pleinement ses compétences en la matière et qu’elle aide l’exécutif à ne pas perdre de vue l’intention du législateur. Ceux qui souhaitent s’installer et développer leur activité ne doivent pas être contrariés. Tel est l’objectif de la loi.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Réunion du mercredi 10 février 2016 à 16 heures 45

Présents. - Mme Corinne Erhel, M. Richard Ferrand, M. Gilles Lurton, Mme Cécile Untermaier

Excusé. - M. Denys Robiliard

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