SOMMAIRE
Présidence de M. Christophe Sirugue
1. Enseignement supérieur et recherche
Discussion générale (suite)
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
M. le président.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la
procédure accélérée, du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur
et à la recherche (nos 835, 1042, 969, 983).
Le
temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit
heures trois minutes pour le groupe SRC dont 181 amendements restent en
discussion, onze heures quarante-six minutes pour le groupe UMP dont 176
amendements restent en discussion, trois heures vingt-neuf minutes pour
le groupe UDI dont cinquante-cinq amendements restent en discussion, une
heure cinquante-cinq minutes pour le groupe écologiste dont
quatre-vingts amendements restent en discussion, une heure quarante
minutes pour le groupe RRDP dont trente-deux amendements restent en
discussion, une heure trente-six minutes pour le groupe GDR dont treize
amendements restent en discussion, et quarante minutes pour les députés
non inscrits.
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les
orateurs inscrits dans la discussion générale.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel.
Monsieur le président, madame la ministre de l’enseignement
supérieur et de la recherche, monsieur le rapporteur de la
commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers
collègues, en premier lieu, je voudrais revenir sur la méthode. Ce
texte nous a été présenté dans la plus grande précipitation, le
Gouvernement ayant demandé l’urgence et, de surcroît, il est discuté
ici même, en séance publique, dans le cadre du temps programmé. Cela
montre, si besoin était, que vous n’êtes pas très à l’aise avec ce
texte, que vous voulez aller vite, car, de toute évidence, il vous
gêne. Sans doute parce que de plus en plus d’oppositions se font
jour et que vous voulez l’imposer à une communauté de l’enseignement
supérieur et de la recherche qui n’en veut pas. Des voix s’élèvent
de toutes parts, et sur l’ensemble de l’échiquier politique, pour le
critiquer. François Patriat, président socialiste de la région
Bourgogne, vous accuse même de livrer les universités aux
organisations syndicales et d’affaiblir leur gouvernance. Les
raisons de ces nombreuses critiques ne sont certes pas toutes
homogènes, mais force est de constater que vous n’avez pas réussi à
générer de consensus autour de votre projet, c’est le moins que l’on
puisse dire.
Finalement, son adoption relèvera plus de la
discipline du groupe SRC que d’une véritable adhésion. Cela en dit
déjà beaucoup sur la pertinence d’ensemble de ce texte.
En
deuxième lieu, je voudrais relever que, manifestement, le
Gouvernement ne considère pas le secteur de l’enseignement supérieur
et de la recherche comme prioritaire. En effet, contrairement à
d’autres textes de loi - je pense, par exemple, à l’école -, vous
nous présentez une loi d’orientation, mais vous ne dites strictement
rien en matière de programmation. D’ailleurs, le rapporteur
lui-même, à la fin de son intervention, avait fait la même remarque.
Nous n’avons aucune idée de la manière dont vous souhaitez, en
termes de moyens, accompagner votre politique publique. Plus que
jamais, le qualificatif de loi bavarde me semble approprié. En
somme, ce projet de loi est d’inspiration plus velléitaire que
volontaire. À n’en pas douter, les étudiants, leurs familles, les
enseignants-chercheurs, les recruteurs apprécieront.
Pour tout
dire, à la première lecture de votre texte, je me suis dit : « Mais
il n’y a strictement rien dans ce texte ! Tout ça pour ça ? La
montagne Sainte-Geneviève a accouché d’une souris. » Mais, en
relisant une deuxième fois votre texte, j’ai pu mesurer qu’il
comportait en son sein quelques belles pilules empoisonnées,
dangereuses à souhait.
La plus toxique d’entre elles est sans
doute l’organisation bicéphale que vous envisagez en créant un
potentiel conflit de pouvoir entre le conseil d’administration et le
conseil académique des universités et, pis encore, entre les
présidents de ces deux instances. Très vite, nos universités seront
ingouvernables, prises dans des conflits internes sans fin. Deux
présidents et deux conseils décisionnaires, cela est étrange pour un
établissement public. C’est même probablement un cas unique dans
notre droit administratif.
Mais cela ne s’arrête, hélas, pas là.
Les communautés d’universités et d’établissements telles qu’elles
sont proposées seront également sources de problèmes de gouvernance
insolubles. Vous allez créer des EPSCP - des établissements publics
à caractère scientifique, culturel et professionnel - de niveau
supérieur à d’autres EPSCP. À titre d’illustration, un problème va
devenir classique : lorsque les établissements délégueront, par
exemple, le doctorat à la communauté, les universités n’auront plus
de doctorants, et donc, plus d’électeurs ni de candidats éligibles
dans ce collège. Il faudra inévitablement modifier le décret
no 85-59 si l’on souhaite prévoir une
double participation, tout en conservant l’appartenance à un conseil
uniquement.
L’élection aux différents conseils ne va pas être
simple non plus, car les listes qui seront constituées ne seront pas
représentatives des électeurs des différents établissements qui
constituent la communauté. Une université majoritaire peut prendre
le pouvoir dans le cas d’élection au suffrage direct, mais peut le
perdre dans le cas d’une élection au suffrage indirect. Tout cela
relève du bricolage : sans doute avez-vous été inspirée par la
désormais célèbre « boîte à outils » de M. Hollande. Une chose est
sûre, madame la ministre, avec ce texte, les tribunaux
administratifs ne manqueront certes pas de travail !
M. Alain Claeys. Quelle mesquinerie !
M. Patrick Hetzel.
Franchement, tout ceci n’est pas très sérieux !
En plus, ces
communautés, contrairement aux PRES - les pôles de recherche et
d’enseignement supérieur -, ne vont pas travailler ensemble sur une
base volontaire, mais vous allez leur imposer les choses. C’est une
vision très dirigiste, pour ne pas dire soviétique, de notre
enseignement supérieur et de notre recherche.
M. Yves Durand. Stalinienne ! N’ayons pas peur des mots !
M. Patrick Hetzel.
Oui, pourquoi pas, n’hésitons pas à le dire ! Là où nous avions
procédé par incitations, afin de permettre le développement de
stratégies originales, capables de développer des projets innovants,
avec une telle vision, vous allez scléroser le milieu, en augmentant
les lourdeurs et en inhibant la prise d’initiative des acteurs.
Votre loi est finalement une régression en termes de gouvernance et
d’organisation. C’est un autre danger majeur de ce texte.
Mais
ce n’est pas tout. Sous couvert d’État stratège, vous avez, en
réalité, une vision extrêmement étriquée. Vous pensez que ce sont
les conseils régionaux qui doivent devenir les décideurs en matière
d’enseignement supérieur et de recherche. À cela, on peut au moins
opposer deux critiques.
D’une part, il est réducteur de
considérer que l’enseignement supérieur et la recherche se situent à
un niveau régional. N’oubliez pas que leur vocation est
a minima nationale et qu’aujourd’hui, la
compétition des savoirs se joue à une échelle
internationale.
D’autre part, je me demande si vous procéderiez
de même si les conseils régionaux étaient présidés par des
représentants de l’opposition. À cet égard, permettez-moi de vous le
dire, votre vision est partisane et relève de la tambouille
électoraliste. Votre gouvernement fait de même sur tous les sujets
depuis son arrivée au pouvoir. Vous voulez ériger une France
socialiste et perdez de vue l’intérêt général et l’intérêt
supérieur. On ne peut que le déplorer. Là encore, les Français
apprécieront.
L’orientation de ce texte reste très hexagonale.
Il est en décalage avec ce qui se passe dans l’enseignement
supérieur partout en Europe et dans le monde. Vous voulez que toutes
les universités et tous les établissements d’enseignement supérieur
français se ressemblent, soient des clones, là où, au contraire, il
faut stimuler l’originalité, faire respirer le système.
Là où
nous avions développé des statuts, par exemple ceux de l’université
de Lorraine ou de l’université de Strasbourg, dont l’objectif était
de s’adapter au projet des établissements, vous inversez les choses
en imposant un statut unique et en limitant de fait les évolutions
stratégiques et les prises d’initiatives originales.
Vous parlez
de réussite étudiante dans l’exposé des motifs, mais où sont les
outils que vous proposez ? Que faites-vous pour l’insertion
professionnelle de nos jeunes ? Que prévoyez-vous pour que
l’enseignement supérieur et la recherche prennent pleinement leur
part pour améliorer la compétitivité de notre pays ? À ces
questions, point de réponses dans l’exposé des motifs, et encore
moins dans le texte de loi.
Pour finir, vous n’abordez pas des
sujets pourtant essentiels, comme l’avancée de la sélection à
l’entrée du master. Aujourd’hui elle se fait au milieu du master
entre la première et la deuxième année. Le moment est venu de créer
une cohérence d’ensemble au niveau du Licence-Master-Doctorat en
avançant d’un an la sélection. De même, le moment semble venu pour
se demander si le contribuable français doit payer les études des
étudiants étrangers hors Union européenne. À l’heure où nos finances
publiques connaissent des difficultés sans précédent, ne devrait-on
pas, comme le font la plupart des autres pays, faire payer les
étudiants étrangers ? Quitte à instaurer un système de bourse
lorsque l’on considérera que l’on veut attirer de manière
privilégiée des ressortissants de tel ou tel pays avec lequel on a
développé des coopérations.
De la même manière, si l’on veut
continuer à développer l’attractivité de nos établissements
d’enseignement supérieur et de recherche, il serait pertinent de
développer des filières d’excellence. Là aussi, les amendements que
nous avons portés jusqu’à présent n’ont pas été retenus. Cela montre
clairement que vous passez à côté des vrais sujets.
En
conclusion, votre texte est avant tout inspiré par le souci de
défaire ce qui a été fait au cours des cinq dernières
années.
M. Michel Issindou. C’était mal fait !
M. Patrick Hetzel.
Pourtant, la politique menée de 2007 à 2012 en matière
d’enseignement supérieur et de recherche a été un élan considérable,
largement salué par tous les observateurs, nationaux comme
internationaux, qui ont pu noter que la France avait modifié un
certain nombre de conditions favorisant l’innovation et la prise
d’initiative au-delà même du texte, parce que l’on faisait confiance
aux acteurs, parce que nos établissements d’enseignement supérieur
étaient en train de reprendre confiance en eux-mêmes.
En
refusant de poursuivre cette dynamique, non seulement vous portez un
coup d’arrêt à notre enseignement supérieur et à notre recherche,
mais vous retournez plusieurs décennies en arrière.
M. Yves Durand. Pourquoi pas des siècles ? Osez le dire !
M. Patrick Hetzel. Vous l’aurez compris, pour nous, ce texte devrait être purement et simplement retiré parce qu’il n’est, hélas, pas à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Rudy Salles.
M. Rudy Salles. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la jeunesse était présentée par le futur Président de la République pendant sa campagne électorale comme l’une des grandes ambitions du quinquennat. Cela appelait logiquement un projet consacré à l’école et un autre destiné à repenser, à certains égards au moins, l’université. Et il semble qu’une nouvelle initiative gouvernementale concernerait prochainement la formation professionnelle.
M. Yves Durand. Eh bien ! Voilà des propos mesurés !
M. Rudy Salles. De fait, après le projet de loi de refondation de l’école, toujours en cours d’examen au Sénat, celui relatif à l’enseignement supérieur et la recherche nous est soumis à partir d’aujourd’hui. On pourrait y voir la réalisation cohérente et progressive d’un processus continu, d’un projet global tout au long des divers degrés d’enseignement, mais aussi d’un objectif de résultat visant une meilleure intégration de notre jeunesse et la construction de têtes bien faites à la façon de Montaigne.
M. Yves Durand. C’est le cas !
M. Rudy Salles.
Jusque-là, tout se présentait donc sous de bons auspices et nous
pouvions, paraphrasant Héraclite, espérer l’inespéré. Le moins que
l’on puisse dire, c’est que nous n’en aurons pas l’occasion, même
s’il faut s’abstenir de tout jugement simpliste.
À propos de
méthode, le ministre de l’éducation nationale reprochait à certains
parlementaires de raisonner davantage en termes de structures qu’en
termes d’objectifs pédagogiques. Mais le présent projet de loi ne
parle que d’instances, juxtapose des formations diverses comme on
construit des châteaux de cartes, initie à grande échelle des
fusions au risque de confusions et institutionnalise le méli-mélo au
risque de l’imbroglio !
M. Patrick Hetzel. Excellent !
M. Rudy Salles.
De la même façon, votre collègue avait décidé, madame la
ministre, de laisser les parlementaires débattre seuls en commission
de la loi relative à l’école alors que vous avez choisi de
participer à tous nos travaux. M. Peillon avait choisi l’absence
sous prétexte de liberté des débats parlementaires. En vous essayant
à un galop d’essai avec les parlementaires, vous avez été plus
coopérative. Et de cela, nous vous savons gré. Voilà donc une
continuité gouvernementale de pensée qui se traduit d’emblée par une
discontinuité de méthode.
Cela dit, je tiens à rendre hommage au
travail réalisé en commission sous la présidence courtoise et
efficace de M. Bloche, avec, à la manoeuvre, un rapporteur, Vincent
Feltesse, certes tenu par les objectifs du Gouvernement mais capable
d’une véritable liberté de pensée, nourrie d’une maîtrise précise du
sujet et de sa bonne humeur. Qu’ils en soient tous les deux
remerciés. Et si l’économie générale du projet de loi n’a pas été
substantiellement abonnie, comme on pourrait dire d’ un bon vin de
Bordeaux, monsieur le rapporteur, par la qualité de ce travail
préalable, certains aspects ont néanmoins fait l’objet de quelques
évolutions positives.
M. Frédéric Reiss. C’est vrai !
M. Rudy Salles.
Mais au fond, de quoi s’agit-il dans ce texte ? Il s’agit de
savoir si le plus bel outil de l’excellence républicaine - avec
l’école - répond ou non à sa vocation originelle en portant les feux
plus loin. La loi en préparation a en effet pour objet la stratégie,
l’organisation et les structures de l’enseignement supérieur et de
la recherche publique, puisqu’il s’agit bien d’une loi d’orientation
et non de programmation, ce qui dispense opportunément le
Gouvernement de traiter de la question des financements.
Il est
vrai que les moyens du ministère de l’enseignement supérieur et de
la recherche ont progressé de 514 millions d’euros en 2013 dans la
précédente loi de finances, soit une augmentation de 2,2 % qui le
porte à 22,95 milliards d’euros. Pour autant, nous aurions souhaité
savoir comment la plupart de nos universités parviendront à faire
face à des difficultés financières tendancielles, et parfois à des
situations critiques.
Cette question n’est pas seulement
budgétaire. Elle renvoie aussi au mode de sélection des étudiants,
aux moyens effectifs de lutter contre les inégalités d’accès aux
études supérieures, à la situation matérielle des étudiants, aux
relations structurelles avec le monde économique, au-delà de
dispositions symboliques ou insuffisamment opérantes, et avec les
collectivités locales, plus spécialement les régions.
Autrement
dit, même dans une loi de programmation, ces questions auraient pu
trouver à tout le moins des débuts de réponse. L’introduction en
commission d’un article 1er
bis disposant que l’État est le garant de
l’égalité, sur l’ensemble du territoire, du service public de
l’enseignement supérieur n’y change pas grand-chose. Il nous semble
plus proche de la déclaration d’intention, de l’enfilage de perles
et de l’espérance diaphane sortie des tiroirs à slogan que d’une
réalité tangible à laquelle viendrait véritablement contribuer le
nouveau texte !
M. Patrick Hetzel. C’est vrai !
M. Rudy Salles.
Mais revenons au fond et d’abord à la culture, c’est-à-dire notre
langue, le français, et sa place dans notre enseignement supérieur.
L’article 2 du projet de loi prévoit d’autoriser les enseignements
en langue étrangère lorsqu’ils sont dispensés dans le cadre d’un
accord avec une institution étrangère, afin d’attirer les étudiants
étrangers, notamment des pays émergents. On comprend bien la
préoccupation : c’est celle de l’ouverture la plus large possible de
nos universités au monde, celle de la mise en cohérence de
l’enseignement avec l’internationalisation de la connaissance, de la
transmission et de la recherche, celle du savoir universel formulé
dans une langue universelle.
Certains ont poussé des cris
d’orfraie, espérant trouver leur voie dans le combat pour la langue.
C’est un peu facile. Il n’en est pas moins vrai que nous ne devons
pas faire d’un outil de rayonnement celui d’une nouvelle
colonisation dont notre culture serait la victime. Car au fond, nous
avons tendance, à bien des égards, à nous positionner comme un pays
culturellement colonisé, alors même que, il y a seulement quelques
semaines, nous adoptions en commission des affaires culturelles et
de l’éducation une résolution relative à l’exception
culturelle.
C’est la raison pour laquelle le groupe UDI a
proposé plusieurs amendements, dont l’un a été adopté par notre
commission. Il vise à éviter que, de la nécessité de répondre à un
besoin, l’on passe à un défaitisme tous azimuts, en conservant en
effet à l’enseignement en français sa place prépondérante. Il
précise que les formations ne peuvent être que partiellement
proposées en langue étrangère.
M. François Rochebloine. Mais il faut aller plus loin !
M. Rudy Salles.
C’est là, simplement, l’illustration de notre idée générale sur
le sujet, qui distingue les impératifs de la civilisation des enjeux
fondamentaux de la culture. Et ne vous y trompez pas : au-delà de
l’amour que nous portons à notre langue, nous ne succombons pas à un
quelconque angélisme. Bien au contraire, nous créons ainsi le
terreau favorable qui fera des étudiants étrangers venus en France,
au sortir de leurs études, des ambassadeurs de la culture française
et de la francophonie.
Nous saluons, à cet égard, l’adoption de
l’article 2 bis , qui prévoit la
publication d’un rapport d’évaluation…
Mme Audrey Linkenheld. Ah ! Un rapport ! Il ne finira donc pas dans un tiroir ?
M. Rudy Salles.
Oui, un rapport, peut-être le seul, d’ ailleurs, sur l’emploi du
français dans les établissements d’enseignement et sur l’évolution
de l’offre d’enseignement du français comme langue étrangère à
destination des étudiants étrangers.
Mais il faut aller plus
loin encore, en s’assurant que les étudiants étrangers bénéficient
effectivement d’un accompagnement linguistique et culturel, tout
comme les étudiants français pour des enseignements en langue
étrangère. C’est ainsi que nous ferons de nos jeunes ressortissants
les fers de lance de notre culture à l’étranger !
M. François Rochebloine. Absolument !
M. Rudy Salles.
Au-delà, quel est le chemin à suivre pour l’université ? À notre
avis, il est double. Il lui faut s’adapter à la modernité, répondre
aux besoins fondamentaux de formation et fournir des enseignements
pour les nouvelles économies, d’une part, et constituer un socle
culturel, comme cela vient d’être illustré à l’instant à propos de
la langue française, d’autre part.
« Les Lumières dépendent de
l’éducation et l’éducation dépend des Lumières », disait Kant. Cela
suppose la cohérence, et un acteur de cohérence. De ce double point
de vue, le projet de loi qui nous est soumis réaffirme le rôle de
stratège qui est celui de l’État, et nous nous en félicitons. Les
importants défis que doit relever l’enseignement supérieur imposent
en effet une telle intervention pour atteindre un niveau de qualité
soutenant la comparaison internationale, pour améliorer la
gouvernance et la responsabilisation, mais aussi pour accroître et
diversifier son financement. Ces objectifs majeurs concernent
d’ailleurs tous les pays d’Europe et doivent être au cœur de
l’agenda politique et des stratégies nationales des pays
européens.
Encore faut-il, en ce qui concerne la France, qu’on
se donne les moyens de ce rôle de stratège. Cela suppose par exemple
d’identifier des objectifs et des outils d’analyse prospective des
évolutions économiques, démographiques et sociales, tant à l’échelle
nationale qu’internationale. Or rien de tel n’est précisé dans le
texte. Cela induit également une relation claire avec les régions
qui se voient placées à nouveau en haut de l’affiche, avec les
risques que cela comporte et que notre rapporteur a lui-même
identifiés. J’en ai moi-même évoqué d’autres. Et à la veille de l’
examen de textes sur la décentralisation, on aurait pu aussi évoquer
le rôle futur des métropoles. Ce qui est certain, c’est que le
projet universitaire national ne peut être piloté par une hydre
dotée de plusieurs têtes qui auront toujours tendance à n’en faire
qu’à leur tête !
M. François Rochebloine. Très bien !
M. Rudy Salles.
Certes, le texte prévoit des efforts pour donner plus de densité
à la mission de service public de l’enseignement supérieur. Mais
cela ressemble étrangement à un habillage, comme on décore un cadeau
avec du bolduc. Je pense en particulier à l’article 4 du texte, qui
évoque la mission de l’enseignement supérieur en une sorte de
patchwork de mots accumulés les uns aux autres, des mots qui sonnent
bien, qui font plaisir, qui flattent, même, mais qui bavardent : la
« diffusion des connaissances dans leur diversité », la « lutte
contre les discriminations », la « réussite des étudiants »,
« l’attractivité des territoires à l’échelon local, régional et
national », j’en passe et des meilleures. Mais au fond, madame la
ministre, c’est une sorte de collage destiné à masquer l’idée
sous-jacente que la société doit s’adapter à l’université plutôt que
l’université à la société. Pourquoi ?
Parce que la seule
condition de l’évolution, c’est, dans le langage de la République,
la liberté, ou, dans le langage universitaire, l’autonomie. Et cette
liberté, cette autonomie, le texte qui nous est présenté la renie.
Il ressuscite des structures fermées aux périmètres de plus en plus
étendus et nivelle une organisation plurielle. En bref, il fait le
choix de réduire l’autonomie des universités comme peau de chagrin,
notamment en accumulant les contraintes institutionnelles et
administratives et en conduisant à la disparition de spécialités qui
contribuent pourtant à l’attractivité de notre enseignement
supérieur.
La gouvernance des universités est en effet le gros
morceau du projet de loi. On l’attendait. Eh bien, c’est une vraie
déception. La principale nouveauté réside dans la création d’un
conseil académique. Notre collègue Patrick Hetzel a bien montré que
cette idée ne manquait pas, a priori , de
pertinence, si toutefois on l’orientait vers le rôle d’un Sénat
académique, avec ses divers comités, comme dans les universités
américaines. Ce n’est malheureusement pas le cas ici. Certes, cette
nouvelle instance se voit attribuer des prérogatives délibératives,
mais ses missions, sa composition et son fonctionnement semblent
introduire des risques sérieux de distorsion dans l’organisation
stratégique des universités. Et faute d’une définition rigoureuse de
ses missions, elle introduit assurément des risques de concurrence
avec le conseil d’administration.
L’autre pièce du gros morceau,
ce sont les dispositions relatives aux regroupements des
établissements. Simplifier et assouplir les dispositifs, telle est
l’ambition affichée. À cet effet, les pôles de recherche et
d’enseignement supérieur et les réseaux thématiques de recherche
avancée sont supprimés au bénéfice d’une structure de communauté
scientifique qui s’applique à tout regroupement qui n’est pas une
fusion.
M. Frédéric Reiss. Ce sont des mariages forcés !
M. Rudy Salles. On ne voit pas bien à quel objectif répond la création de ces grands « machins » standards, qui signent une approche administrative et étatique, non pas d’un État stratège mais d’un État sénescent, sans substance inventive et créative. C’est une sorte de retour en arrière, tant du point de vue des politiques publiques en général que des grandes réformes universitaires.
M. Patrick Hetzel. Très juste !
M. Rudy Salles.
L’article 30 amendé du projet de loi a permis un certain
assouplissement des conditions de création et de gestion des
regroupements des universités. Mais c’est une avancée insuffisante,
d’autant que nous en sommes restés par ailleurs à une sorte de
centralisme très peu démocratique. Le texte du projet de loi précise
en effet que « la politique territoriale de coordination est
organisée par un seul établissement pour un territoire donné » et
ajoute que « sur la base du projet commun, un seul contrat est
conclu entre le ministre chargé de l’enseignement supérieur et les
établissements regroupés ». Que se passera-t-il si la communauté a
un projet commun dont les stipulations spécifiques propres à chacun
des établissements regroupés sont refusées par les
intéressés ?
On parle aussi de coordination tout en spécifiant
que la communauté scientifique est un établissement public à
caractère scientifique, culturel et professionnel, tout comme une
université. On crée donc en réalité des super-universités dotées
d’organes décisionnels qui se superposent à ceux des universités
membres.
Tout comme une université, une communauté est dotée
d’un conseil d’administration et d’un conseil académique, auxquels
s’ajoute un conseil des membres. Il existe cependant une différence
capitale dans la composition du conseil d’administration : outre des
représentants des établissements et organismes de recherche,
celui-ci comprend 30 % de personnalités qualifiées et 40 % de
représentants élus, au suffrage direct ou indirect, des
enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, des
autres personnels, et des étudiants. Ainsi, les élus ne sont pas
majoritaires au conseil d’administration de la communauté, alors
qu’ils le sont nettement dans les conseils d’administration des
universités membres.
Comment faire coexister ces deux niveaux de
conseil d’administration construits sur des principes aussi
différents ? C’est en tout cas un pari d’arriver à faire fonctionner
ces deux étages sans blocage.
Si ce dispositif était adopté, la
France disposerait d’un système unique au monde où les universités
traditionnelles s’effaceraient - au moins pour tout ce qui concerne
la stratégie - au profit de ces super-universités régionales qui
seraient le plus souvent des mastodontes gouvernés par des conseils
empilés. Nous risquerions d’y perdre ce qui fait la qualité des
formations et des laboratoires : la liberté d’initiative des
acteurs, la collégialité et la diversité qui, partout dans le monde,
se déploient dans des universités de taille raisonnable où la
subsidiarité est la règle.
La disparition des spécialités de
masters procède de la même logique. Elle aboutit à des conséquences
tout aussi inquiétantes, par la standardisation et l’anonymat des
diplômes, et par le nivellement par le bas. À terme, on risque de
voir se développer, pour les professions techniques comme celles du
droit, un enseignement supérieur privé à vocation étroitement
professionnelle.
Ce choix pose une question fondamentale à
terme : celle de la non-sélection des bacheliers à l’entrée des
universités. Ce choix est éminemment respectable mais, pour
pratiquer une quasi-gratuité, pour garder ses bons étudiants, pour
assurer le renouvellement académique et de la recherche, pour
maintenir et développer des formations internationalement reconnues,
il faut laisser aux universités le choix de spécialités attractives.
Il faut préserver leur liberté d’entreprendre et d’innover. C’est le
choix inverse qui a été retenu dans ce projet de
loi.
L’enseignement numérique relève de la même logique
d’uniformisation. Sur ce sujet, il faut de la cohérence, mais elle
doit être placée au service de la diversité et de l’esprit de
création et d’innovation. C’est dans cet esprit que le groupe UDI
suggère que l’agence de mutualisation des universités soit chargée
de la mutualisation en logiciels libres des ressources logicielles
entre les universités, pour leur gestion, pour les dispositifs
d’enseignement et pour les outils destinés à la recherche, et de la
mutualisation dans des formats ouverts des contenus
numériques.
En conclusion, nous déplorons que le mouvement vers
une autonomie de l’enseignement supérieur raisonnée et adaptée aux
enjeux de notre temps ne trouve pas à se poursuivre dans ce projet
de loi. La France, ce pays où les professeurs des universités sont
encore nommés par décret du Président de la République, s’engage à
contre-courant de toutes les grandes organisations universitaires du
monde. Au lieu de faire le choix de la souplesse des organisations,
de l’excellence et de la diversité des enseignements, elle opte pour
des rigidités empilées au prétexte d’une idée de l’égalité qui
produira, au final, exactement l’inverse. Nous espérons que les
discussions qui vont s’engager permettront au moins de limiter les
effets les plus inquiétants de ce texte, qu’il nous semble très
difficile de soutenir en l’état. (Applaudissements sur
les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili.
Mme Barbara Pompili.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, j’ai eu
l’occasion d’intervenir lors des débats sur la refondation de
l’école pour dire combien l’éducation doit être une
priorité.
Notre République a le devoir d’offrir à notre jeunesse
les outils lui permettant de relever les défis de demain. Cet
engagement concerne en tout premier lieu l’école. De la crèche au
lycée en passant par la primaire, la maternelle et le collège, la
même qualité d’accueil doit être proposée, quels que soient le
territoire concerné ou les conditions de vie de l’enfant ou du
jeune. Mais nous ne devons pas nous arrêter là et prétendre que le
bac suffit aujourd’hui pour trouver un travail et s’accomplir dans
notre société. Non, évidemment, dans la plupart des cas, le bac est
une porte d’entrée vers un autre univers, celui de l’enseignement
supérieur et de la recherche.
Offrir à notre jeunesse les outils
lui permettant de relever les défis du
XXIe siècle, c’est donc aussi s’intéresser de
près à l’enseignement supérieur et à la recherche. Investir dans ces
secteurs, c’est préparer l’avenir et façonner la société de
demain.
Dans le contexte de crise structurelle que nous
connaissons, c’est dès aujourd’hui qu’il convient de penser les
enjeux et d’anticiper les transformations nécessaires.
L’enseignement supérieur doit donner à notre jeunesse la formation
nécessaire lui permettant de s’épanouir professionnellement et
personnellement dans notre société. Quant à la recherche, il s’agit
du lieu par excellence de la production des savoirs. La recherche,
c’est créer de nouvelles connaissances et comprendre le monde ;
c’est aussi le moteur de l’attractivité de notre pays, de son
développement économique et de sa capacité d’innovation
technologique, bien sûr, mais aussi de sa transformation écologique,
urbaine, sociale et citoyenne.
Les enjeux sont grands et nous
attendons donc beaucoup de cette réforme. La LRU et le plan campus
ont rapidement montré leurs failles et limites alors même que les
conditions de vie des étudiants ont empiré. C’est pourquoi il
convient d’agir, pour donner aux générations en train de se former
des conditions de vie et de travail meilleures dans les
établissements d’enseignement supérieur et de recherche, pour
permettre aux chercheurs d’investir les champs essentiels pour le
XXIe siècle, et pour stimuler une création
responsable - pour ne pas dire écoresponsable.
La réforme qui
nous est proposée ici comporte, certes, quelques avancées. Je laisse
à ma collègue Isabelle Attard le soin de les exposer tout à l’heure
et d’évoquer plus précisément les différents aspects du texte. Mais
nous attendons encore beaucoup plus.
Nos attentes concernent
tout d’abord la réussite des étudiants. Je pense par exemple à la
nécessité de renforcer les liens entre le secondaire et
l’enseignement supérieur, car il semble aujourd’hui plus facile
d’accabler une prétendue impréparation des lycéens que de repenser
notre système pour atténuer les différences qui existent entre
lycées et universités et mieux accompagner les étudiants. Renforcer
la pluridisciplinarité, accompagner les élèves face aux évolutions
méthodologiques ou encore développer les passerelles sont autant de
pistes à renforcer.
Bien sûr, je ne peux évoquer la question de
la réussite des étudiants sans revenir sur le combat à mener contre
les inégalités sociales. Notre système éducatif est aujourd’hui
reconnu comme l’un des plus inégalitaires parmi les pays membres de
l’OCDE. Nous l’avons dit et redit lors des débats sur la refondation
de l’école. Il ne serait pas raisonnable de croire qu’il en va
autrement en ce qui concerne l’enseignement supérieur et la
recherche. Nous sommes, en effet, encore très loin de la
démocratisation tant proclamée. De nombreuses pistes existent pour
passer d’une massification à une réelle démocratisation, parmi
lesquelles le renforcement du taux d’encadrement en premier cycle,
la révision du système de sélection mis en place à l’entrée des
grandes écoles, ou encore le rapprochement entre les universités et
les classes préparatoires aux grandes écoles. D’ailleurs, outre le
fait qu’un étudiant en classe préparatoire devrait obligatoirement
être inscrit à l’université - nous avons fait un pas en ce sens lors
des débats en commission -, nous considérons que les classes
préparatoires ne devraient plus dépendre du budget de l’éducation
nationale mais de celui de l’enseignement supérieur.
Autre point
sur lequel nos attentes sont grandes : la mise en place d’une
allocation d’autonomie, promesse de campagne de notre Président de
la République, réitérée récemment. On sait que 23 % des jeunes entre
dix-huit et vingt-quatre ans vivent sous le seuil de pauvreté. Les
conséquences de cette précarité sont graves : renoncement aux soins
faute de moyens financiers, problèmes de logement, mais aussi taux
d’échec important des étudiants salariés. À quand la mise en place
de l’allocation d’autonomie que nous appelons de nos vœux depuis
trop longtemps maintenant ?
Cette situation ne doit pas faire
oublier celle des 50 000 précaires dans l’enseignement supérieur et
la recherche. La précarité des jeunes chercheurs et des personnels
mérite elle aussi un volontarisme politique fort. Je salue, à cet
égard, le premier pas que constitue la titularisation que vous avez
annoncée, madame la ministre, même si le manque de moyens reste
criant. Au-delà, nous demandons aussi la mise en place d’un
véritable statut du doctorant.
Permettez-moi également quelques
mots sur l’égalité territoriale. À l’université de Picardie
Jules-Verne, 56 % des étudiants inscrits en première année de
licence sont des élèves boursiers. Cette situation engendre un coût
important pour l’université, qui n’est, hélas, que partiellement
compensé par l’État. Cet exemple n’est pas rare : en conséquence,
j’en appelle à votre vigilance, madame la ministre, afin qu’une
péréquation territoriale digne de ce nom soit mise en
place.
Autre inégalité qui mérite toute notre attention : la
place des femmes. Des amendements ont été adoptés en commission :
c’est un grand pas, mais il faut continuer. On ne peut, en effet,
que regretter qu’à invoquer constamment les évolutions lentes mais
positives en matière d’égalité, les générations passent et
l’injustice demeure. Seul le volontarisme peut véritablement
contrecarrer la multiplicité des résistances à l’égalité
hommes-femmes. J’insiste donc sur la nécessité de se doter de
comités paritaires de recrutement des enseignants-chercheurs : cela
serait un pas de plus en faveur de l’égalité femmes-hommes. Par-delà
la gouvernance, il conviendrait également de rattraper notre retard
en termes de formation et recherche sur le genre, et d’aller plus
loin encore dans le travail entrepris pour dépasser les stéréotypes
qui féminisent ou masculinisent certaines formations ou
spécialités.
Enfin, vous connaissez mon engagement en faveur
d’une société inclusive, où toute personne, quel que soit son
handicap, aura sa place. Aussi, je ne peux que regretter
l’insuffisance de ce projet de loi à cet égard, car l’objectif de
créer une société et une université inclusives mérite d’être
clairement affirmé.
Ce sont des enjeux essentiels, dont nous
aurons l’occasion de reparler au cours de nos débats.
(Applaudissements sur les bancs du groupe
écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni.
M. Olivier Falorni.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous
sommes réunis ce soir pour entamer les discussions autour du projet
de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, avec l’ambition
affichée de la réussite étudiante dans un système collégial. C’est
l’ambition de la construction d’un nouveau modèle français, celui
d’une nouvelle gouvernance.
En premier lieu, je tiens à
souligner la démarche initiée, qui a permis la rédaction de ce
projet de loi. Véritable lieu de concertation et d’échanges, les
assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui ont
réuni pendant plusieurs mois l’ensemble des forces vives du pays,
ont permis de faire émerger des propositions qui ont été traduites
dans le texte qui nous est présenté. Je tiens aussi à souligner
l’excellente relation que nous avons eue avec votre cabinet, madame
la ministre.
Je ne reviendrai pas sur l’article 2 du projet de
loi, ni même sur l’orientation et la réorientation des étudiants. Je
ne reviendrai pas non plus sur l’organisation des stages, ni même
sur le statut des enseignants-chercheurs et doctorants : mon
collègue Thierry Braillard l’a fait brillamment tout à
l’heure.
M. Thierry Braillard. Merci !
M. Olivier Falorni.
En revanche, je veux revenir sur la série d’articles qui
instituent la nouvelle gouvernance des universités. Alors que la loi
LRU a clairement institué un pouvoir présidentiel fort qui découle
essentiellement du mode de désignation et de la réduction du nombre
de membres du conseil d’administration, privant une grande partie de
la communauté universitaire de représentation, le projet de loi ESR
propose, à l’inverse, d’augmenter la taille du conseil
d’administration, qui sera élargi à des personnalités extérieures.
Ces dernières seront au nombre de huit et participeront à l’élection
du président : il s’agit d’un changement majeur et hautement
symbolique.
L’augmentation des effectifs du conseil
d’administration devrait permettre une représentation plus
équilibrée des différentes catégories qui le composent. La réduction
de l’avantage apporté par une prime majoritaire, qui écrasait les
minorités au sein de chaque corps, devrait faciliter la construction
de communautés universitaires soudées au service d’intérêts communs
et devrait enfin assurer la continuité de la vie démocratique dans
les établissements.
Toutefois, le groupe RRDP, toujours partisan
d’une collégialité accrue, aurait préféré une présence plus forte
des représentants des étudiants et du personnel administratif, qui
demeurent encore minoritaires.
L’article 27 propose d’instaurer,
parallèlement au conseil d’administration, un conseil académique
regroupant les commissions formation et recherche, doté
d’attributions en matière de recrutement et de suivi de carrière des
enseignants-chercheurs.
Je crois que votre objectif affiché,
« rendre la gouvernance des universités plus démocratique », est
atteint.
Le groupe RRDP souhaite, par ailleurs, que le
Gouvernement se penche sur la question des IUT.
M. Gérard Charasse et M. Thierry Braillard. Très bien !
M. Olivier Falorni.
À ce titre, nous avons déposé trois amendements, aux articles 18
et 28. Les IUT sont, véritablement, des acteurs du développement
économique des territoires et de l’ascension sociale. Pour éviter
une trop grande intégration des bacheliers technologiques en IUT et
anticiper une logique de quotas, nous souhaitons que l’accès aux IUT
des titulaires d’un baccalauréat technologique fasse l’objet d’une
proposition élaborée par le conseil de l’institut, concertée avec le
recteur et inscrite dans le contrat d’objectifs et de moyens conclu
entre l’IUT et l’université.
Enfin, je voudrais terminer mon
propos en évoquant la mise en place des communautés d’universités.
Même si l’objectif avoué est clair, affronter la concurrence des
universités européennes dans un contexte de décentralisation, nous
avons un doute sur le caractère obligatoire d’une telle mesure alors
même que des exemples récents, à Strasbourg, à Aix-Marseille et en
Lorraine, prouvent que de tels regroupements se sont opérés
spontanément. Les universités ne sont-elles pas capables de dessiner
seules leur territoire ou alors souhaitez-vous veiller au risque
d’un accroissement des inégalités territoriales ? C’est la question
que nous posons.
L’ensemble des amendements du groupe RRDP qui
sont aujourd’hui soumis à votre approbation, madame la ministre,
monsieur le rapporteur, sont fidèles à l’esprit du projet de loi qui
nous est proposé aujourd’hui. Je me félicite du dialogue constant et
particulièrement constructif que nous avons pu avoir avec votre
cabinet, madame la ministre, et j’espère que les débats que nous
aurons dans cet hémicycle permettront d’avancer un peu plus sur
nombre de nos propositions.
Ce projet de loi représente une
avancée démocratique indéniable ainsi qu’une ouverture des
universités sur leur environnement au bénéfice du plus grand nombre.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, vous pourrez compter
sur notre soutien pour cette belle ambition : faire réussir notre
jeunesse et faire réussir notre pays !
(Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP,
SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.
Mme Huguette Bello.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le
rapporteur, mes chers collègues, parce qu’il leur incombe de
préparer l’avenir et d’ouvrir les horizons, de répondre aux
aspirations des jeunes et aux demandes de la société, l’enseignement
supérieur et la recherche se trouvent au carrefour de multiples
enjeux. Les mutations du monde moderne renforcent encore, s’il en
était besoin, les attentes à leur égard. C’est ce qui explique sans
doute la succession de réformes que l’un et l’autre ont connue
durant cette dernière décennie.
Ce nouveau projet de loi est
issu, même s’il n’en reprend pas toutes les propositions, des
assises qui se sont tenues durant plusieurs mois sur l’ensemble du
territoire national. Il a donc pour vocation d’apporter des réponses
aux difficultés réelles que les précédentes lois n’ont pas su
résoudre, quand elles ne les ont pas tout simplement créées.
Ce
texte qui, de manière inédite, réunit l’enseignement et la
recherche, s’articule autour de trois grandes ambitions. D’abord,
promouvoir la réussite des étudiants aux examens et atteindre enfin
l’objectif déjà ancien de voir diplômés du supérieur 50 % des jeunes
d’une classe d’âge. Ensuite, donner une nouvelle ambition à la
recherche. Enfin, définir une nouvelle architecture de
l’enseignement supérieur et de la recherche.
La démocratisation
de l’enseignement supérieur n’a pas tenu sa promesse d’égalité des
chances. Au lieu de se résorber, les inégalités se sont entassées,
un système de sélection qui ne dit pas toujours son nom s’est mis en
place, les stratégies de contournement se sont perfectionnées et
bien des parcours ont été choisis par défaut. Une véritable
hiérarchisation s’est établie entre les différentes voies que
propose l’enseignement supérieur, où l’université n’occupe pas
toujours la place la plus enviable. On constate d’ailleurs une
certaine désaffection à son égard puisqu’elle accueille un
pourcentage de bacheliers toujours moins important, notamment
lorsqu’ils sont issus des filières générales.
De fait,
l’université est le réceptacle des inégalités dans l’enseignement
supérieur. L’échec dans le premier cycle, que nous déplorons tous,
est surtout celui des étudiants inscrits à l’université. C’est là où
les taux de réussite aux examens se sont le plus dégradés. Là aussi
où les interruptions d’études sont les plus fréquentes.
La
situation est connue. Les chiffres viennent d’être actualisés.
Seulement 27 % des étudiants de la promotion 2008 ont obtenu leur
licence trois ans plus tard. Le plan Réussite en licence n’a rien
changé. Pire, les résultats sont même en recul de deux
points.
Cette présentation globale se double, pour la première
fois, de données chiffrées par établissement. Ainsi, il est non
seulement possible de repérer de manière précise les initiatives
porteuses d’améliorations et d’appréhender comment l’autonomie des
universités s’est traduite dans le premier cycle, mais également
d’évaluer l’ampleur des moyens que chaque établissement devra
déployer.
Pour l’université de la Réunion, l’effort devra être
important. En effet, l’indicateur qui mesure le taux de passage
L1/L2 montre qu’à peine 20 % des étudiants ont accédé en un an à la
deuxième année. Pour huit étudiants sur dix, la première inscription
à l’université débute donc par un échec. Ce pourcentage est
vertigineux. Il révèle aussi une dégradation préoccupante de la
situation puisqu’en une décennie il a augmenté de dix points. De
plus, au lieu de se résorber, l’écart avec la moyenne nationale –
43 % – a encore augmenté.
Une part de l’explication de ce
chiffre est sans doute à rechercher dans les caractéristiques et le
contexte de cette jeune université, créée il y a tout juste trente
ans, et qui accueille un nombre important d’étudiants boursiers. Ces
particularités sociales sont d’ailleurs prises en compte dans les
évaluations officielles et elles aboutissent au calcul d’un taux
simulé. Pour la Réunion, ce taux simulé est de 31,3 %. En le
rapprochant du taux de réussite réel ou brut – 19,8 % –, l’écart est
encore de 11,5 points. Il est urgent d’interroger de manière précise
cet écart si l’on veut mettre un terme à la dégradation continue des
résultats.
L’autre indicateur, celui qui mesure le taux de
réussite en licence en trois ans, confirme cette inquiétante
évolution. Le retard avec la moyenne nationale est de 10 points et
l’écart entre le taux réel ou brut et le taux simulé est de moins
6.
Plus qu’ailleurs sans doute, il est indispensable de briser,
avant qu’il ne soit trop tard, le cercle vicieux qui menace notre
université. Avec des résultats toujours plus défavorables, elle
devient de moins en moins attractive aux yeux des étudiants et de
leurs familles qui la désertent dès qu’une autre filière leur est
accessible. L’université de la Réunion n’accueillerait plus, chaque
année, que 2 500 des 7 000 bacheliers de l’académie. Parmi eux, on
trouve une bonne partie des bacheliers issus des baccalauréats
technologiques et professionnels, contraints de suivre les filières
généralistes.
L’article 18 prévoit de leur donner – il faudrait
dire de leur redonner – un accès prioritaire aux sections de
techniciens supérieurs et aux instituts universitaires de
technologie, à ces STS et IUT créés à l’origine à leur intention.
Cette disposition, que nous saluons, risque toutefois de se heurter
très vite au grand décalage entre le nombre de bacheliers concernés
et les capacités d’accueil de ces filières. Il serait utile que
cette disposition phare s’accompagne, en liaison avec le rectorat
pour les STS, d’une réévaluation de ces formations.
Au-delà des
statistiques, nous ne devons pas perdre de vue le découragement,
l’incompréhension et parfois la colère générés par des échecs qui se
paient au prix fort, et peuvent aller jusqu’à déterminer un destin,
comme vous le savez.
Ce projet de loi prévoit un certain nombre
de mesures pour lutter contre l’échec à l’université. Qu’il s’agisse
d’une orientation mieux adaptée des étudiants, d’une plus grande
harmonisation entre le secondaire et le supérieur – le « -3 +3 » –,
ou d’une spécialisation moins précoce, elles ne peuvent qu’agir dans
la bonne direction.
Mais, par-dessus tout, il est crucial de
rétablir la confiance des étudiants, et plus généralement de la
société, dans l’université.
Cela passe bien sûr par la qualité
des formations dispensées, et par leur invitation constante à
comprendre et donc à interroger le monde.
Cela passe aussi par
une meilleure compréhension d’un système qui s’est beaucoup
complexifié au fil du temps. Le choc de simplification proposé dans
le maquis des licences et masters est bienvenu.
Rendre
l’université plus attractive, c’est aussi s’intéresser aux
perspectives qu’elle offre. La reconnaissance du doctorat, que la
France est le seul pays à négliger à ce point, ne peut que rejaillir
sur l’ensemble des diplômes délivrés par
l’université.
Programmer la résorption de la précarité qui est
le lot d’un trop grand nombre de personnels de l’enseignement
supérieur et de la recherche serait aussi un signal fort à la fois
en direction des jeunes, de la recherche, et de l’université.
La
question de l’insertion professionnelle est forcément présente dans
tous les esprits et conditionne souvent les choix. Cette
préoccupation légitime ne doit toutefois pas conduire à proposer des
formations régies par le court terme des marchés ou la conjoncture
d’un moment. Créer ou, au contraire, supprimer une filière ou un
cycle de formation est une décision encore plus lourde de
conséquences quand il s’agit d’une des rares universités
francophones de l’océan Indien.
Au début de cette semaine
encore, des étudiants m’ont fait part de leur vive inquiétude. Ces
jeunes terminent leur licence de chimie ou de physique en juin
prochain et craignent beaucoup de ne pas pouvoir mener leur cursus à
son terme. Non pas du fait de leurs résultats, non pas parce qu’ils
n’auraient pas réussi, mais tout simplement parce que l’université
de la Réunion où ils sont inscrits vient de décider de supprimer le
master Métiers de l’enseignement mention Physique-Chimie, qu’ils
avaient l’intention de suivre. Pour ceux qui en ont les moyens –
notamment financiers –, la fermeture de ce master signifie quitter
l’île et s’inscrire dans une université située en France
continentale. Pour les autres, la fin de ce master veut dire
réorientation par défaut ou alors abandon de leurs études et de leur
projet professionnel.
L’ultrapériphéricité de notre université
oblige à veiller encore davantage à ce que l’offre de formations
supérieures proposée aux étudiants soit aussi diversifiée que
possible. Tout comme elle nous rend particulièrement réceptifs à
l’ambitieux plan numérique des articles 6 et 16 dont la réussite
passera nécessairement par une égalité numérique réelle entre les
territoires. Précisons dès à présent qu’en raison des surcoûts dus à
l’éloignement, le débit dont dispose actuellement l’université de la
Réunion est dix fois inférieur à celui de la plus petite université
de France continentale.
Agir pour la réussite des étudiants
suppose forcément une action soutenue pour améliorer leurs
conditions de vie. Nous regrettons que ce texte n’aborde pas dès à
présent cet aspect si déterminant. La précarité est le lot d’un
nombre croissant d’étudiants, et le niveau de prise en compte de
cette réalité conditionnera les objectifs de cette loi. Dans
l’attente des résultats de la mission interministérielle, je veux
simplement mettre l’accent sur l’épineuse question du logement
étudiant. Dans l’académie de la Réunion, alors que la moitié des
étudiants sont boursiers, et le plus souvent à l’échelon maximum –
rappelons que 50 % de notre population vit en dessous du seuil de
pauvreté – , à peine 6 % d’entre eux sont logés par le CROUS. Le
retard accumulé depuis la parution du plan Anciaux est
considérable.
En ce qui concerne la recherche, qui constitue la
deuxième ambition de ce texte, il me revient de souligner que
l’agenda stratégique, qui sera inscrit dans la loi, doit aussi
prévoir des thématiques en phase avec les priorités des
établissements d’outre-mer, comme par exemple les recherches dans le
domaine maritime. J’insiste d’autant plus sur ce point que le
programme-cadre européen intitulé « Horizon 2020 », dans lequel
s’inscrira la stratégie nationale de la recherche, a, de manière
surprenante, totalement fait l’impasse sur les
océans.
L’université de la Réunion est le plus important
établissement européen d’enseignement supérieur et de la recherche
de l’océan Indien. Elle se trouve donc dans une zone qui se
caractérise par des investissements massifs dans la formation, la
recherche et l’innovation.Des accords de coopération ont déjà été
signés, par exemple avec des universités indiennes, mais il est
évident que les perspectives peuvent être bien plus larges.
De
manière certes moins exclusive qu’en 2007, ce texte s’intéresse à
nouveau aux questions de gouvernance avec une architecture
renouvelée à bien des égards. Il s’attache aussi à combler les
lacunes juridiques que l’application de la loi LRU a fait
apparaître, notamment – vous vous en souvenez, madame la ministre –
lors des élections à l’université de la Réunion. Une procédure est
proposée qui lie la destitution du président à la dissolution du
conseil d’administration et, indirectement, à celle du conseil
académique. Mais il est à craindre qu’appliquée au cas précis
d’annulation des élections, cette procédure générale n’amène à
substituer au vide juridique un trop-plein d’élections.
Plus
généralement constaté, l’autre vide juridique concerne la parité. La
diminution brutale, lors du dernier scrutin, du nombre de femmes
élues à la présidence d’une université impose une réponse forte.
L’obligation de présenter des listes paritaires strictes aux
élections des conseils centraux est donc saluée, surtout si elle
joue le rôle d’accélérateur de parité.
Ce projet de loi est le
rendez-vous par excellence avec la jeunesse. Il est donc attendu par
tous et sera apprécié tant sur ses effets immédiats que sur l’élan
qu’il aura su impulser. (Applaudissements surles bancs
du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe
SRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Claeys.
M. Alain Claeys. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, notre collègue Hetzel parlait tout à l’heure de précipitation et de manques de moyens. Dois-je rappeler qu’en 2007, la loi LRU a été soumise au conseil des ministres en juin puis examinée en toute hâte par le Parlement pendant la session extraordinaire de juillet ?
M. Yves Durand. Absolument !
M. Alain Claeys.
Quelle différence avec le choix retenu par Mme la ministre pour
préparer ce projet de loi : des assises de l’enseignement supérieur
et de la recherche, un rapport demandé au président de l’OPECST,
Jean-Yves Le Déaut, un travail en commission dont tout le monde
reconnaît la qualité, y compris M. Salles, et aujourd’hui notre
discussion.
Je crois que la précipitation a plutôt été le fait
de votre camp, mon cher collègue Hetzel.
Vous avez évoqué
timidement les moyens. Dois-je vous rappeler la situation qu’a
trouvée Mme la ministre à son arrivée au ministère de la recherche
et de l’enseignement supérieur ? Les bourses étudiantes n’étaient
pas financées.
M. Patrick Hetzel. Ce n’est pas vrai !
M. Yves Durand. Bien sûr que si !
M. Alain Claeys.
La masse salariale de certaines universités n’était pas non plus
financée car le GVT, le glissement vieillesse technicité, n’avait
pas été pris en compte. J’en resterai là s’agissant des moyens mais,
mon cher collègue, il faut se souvenir de cette période encore
récente.
Une seule question se pose : pourquoi ce projet de
loi ? Pour quatre raisons, à mon sens.
La première – et M.
Salles l’a soulignée honnêtement – tient à la volonté de remettre
l’État au cœur de la politique universitaire et de recherche de
notre pays. Car vous avez fait un contresens, mesdames, messieurs de
l’opposition. Vous avez pensé que l’autonomie des universités – qui
est utile, que nous défendons – passait par l’effacement de l’État.
Or une autonomie des universités bien comprise passe par le lien
avec un État qui définit, aux niveaux national et international, les
priorités de la recherche et de l’enseignement supérieur, lien qui
se noue par le contrat. Ce que rétablit aujourd’hui ce projet de loi
est quelque chose d’essentiel, souhaité, au-delà de nos différences,
par un grand nombre d’universitaires, de chercheurs et
d’observateurs de l’enseignement supérieur et de la
recherche.
La deuxième raison tient à la gouvernance, qui n’est
pas un gros mot. Il s’agit tout simplement de répondre à la question
de savoir comment concilier le pouvoir présidentiel, utile au sein
de l’université, et un travail collectif et démocratique. Je pense
que les propositions de Mme la ministre et le travail accompli en
commission parviennent à un juste équilibre.
La troisième raison
tient au rapport avec les territoires. Vous savez mon opinion sur ce
sujet : depuis très longtemps, je suis hostile à la régionalisation
des universités. Elles ne doivent pas passer d’une centralité totale
à une régionalisation, ce serait un complet contresens. L’État doit
avoir l’intelligence de travailler avec des universités autonomes,
en rapport étroit avec les collectivités locales, en particulier les
régions.
C’est ce à quoi tendent les communautés universitaires.
Une des limites du précédent projet de loi – nous l’avons bien vu
avec les investissements d’avenir – était qu’il reposait sur une
carte de France qui n’était pas satisfaisante pour nous avec des
pôles d’excellence d’un côté et de l’autre des
colleges au sens américain du terme, c’est-à-dire
des premiers cycles dans beaucoup d’universités.
M. Pascal Deguilhem. Très juste !
M. Alain Claeys.
C’était un contresens. Et je crois que la ligne qui est tracée
aujourd’hui rétablit les choses dans le bon sens.
La quatrième
raison renvoie à une question essentielle qui se posait à nous comme
au Gouvernement : celle de l’avenir des étudiants, de la lutte
contre l’échec et d’une meilleure orientation. Je crois que toutes
les propositions qui sont faites aujourd’hui participent de cette
volonté de lutter contre l’échec universitaire, qu’il s’agisse des
quotas – qu’on aime ou pas cette expression, c’est une solution
réclamée par le Conseil d’État – au niveau des IUT et des BTS, ou
qu’il s’agisse de l’orientation envisagée, ou encore des licences
pluridisciplinaires.
Enfin, l’essentiel est peut-être que le
Gouvernement, avant même la discussion ce projet de loi, a rouvert
notre université sur le monde en supprimant cette circulaire,
impossible, ignoble, qu’était la circulaire Guéant. Et je ne
comprends pas que les ministres de l’enseignement supérieur et de la
recherche de l’époque aient pu accepter une telle mesure, qui
fermait notre pays aux étudiants étrangers et donnait une image
épouvantable de notre pays. (Applaudissements sur les
bancs du groupe SRC.) C’est la fierté de ce
gouvernement de l’avoir supprimée.
M. Patrick Hetzel. La démagogie, c’est maintenant !
M. Alain Claeys. Je ne m’étendrai pas sur l’article 2. Pour en avoir discuté avec Mme la ministre, j’indiquerai simplement que l’idée que veut faire passer le Gouvernement est essentielle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Daniel Fasquelle. Ah bon, abandonner le français !
M. Alain Claeys. Il s’agit d’élargir le recrutement d’étudiants étrangers au-delà des zones de la francophonie.
M. Jacques Myard. Le Journal officiel paraîtra-t-il encore en français ?
M. Alain Claeys. Si nous voulons élargir la francophonie, il faut faire venir des étudiants étrangers, en particulier du Sud-Est asiatique, qui ne parlent pas notre langue : après avoir vécu un certain nombre d’années dans notre pays, ils repartiront en connaissant le français. C’est un combat noble, un combat important pour notre université.
M. Daniel Fasquelle. Cest une capitulation !
M. Alain Claeys.
Je terminerai par l’initiative relative aux doctorants. C’est
sans doute l’un des signes les plus forts : faire reconnaître enfin
la place du docteur dans les conventions collectives et dans les
administrations. Nous avons aujourd’hui un grand retard en ce
domaine par rapport à d’autres pays européens et extra-européens.
Cette mesure, dont la mise en place prendra du temps, est
utile.
Je ne jette pas à la poubelle tout ce qui a été fait
précédemment, chers collègues de l’opposition.
(Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Marie-Jo Zimmermann. Vous êtes trop bon !
M. Alain Claeys. Simplement, acceptez comme nous d’évaluer, à un moment ou à un autre, une loi votée il y a cinq ans et autorisez-nous à répondre à certaines questions, forts de nos convictions. Les réponses apportées aujourd’hui sont dans l’intérêt des étudiants, de l’université et de la recherche française. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard.
Madame la ministre, vous l’avez dit hier, une des fonctions de
l’enseignement supérieur est de permettre une bonne insertion des
étudiants. Comme l’ont écrit dans un quotidien du soir deux
universitaires, Philippe Aghion et Jean Tirole : « Une université
qui ne produit ni recherche de niveau européen, ni innovations et
brevets menant à des créations d’entreprises, ni bonne insertion
professionnelle, ne contribue ni à l’emploi, ni à la
croissance ».
On voit donc bien le lien essentiel qui existe et
qui doit être affirmé et renforcé entre l’enseignement supérieur et
la recherche, d’une part, et l’économie et les entreprises d’autre
part, donc l’emploi et la compétitivité. C’est aujourd’hui plus vrai
encore parce que la concurrence internationale oblige plus que
jamais à l’excellence et parce que la progression foudroyante du
chômage, y compris chez les diplômés, oblige à cette corrélation
entre formation et emploi.
Le dire est une bonne chose, le faire
en est une autre.
Deux types d’obstacles, pourtant, me font
douter de votre efficacité en la matière.
Le premier est d’ordre
idéologique. Cela m’est apparu lors de la discussion des amendements
en commission. Avec Sophie Dion, nous avions déposé un amendement
visant à ce que les enseignements universitaires puissent développer
l’esprit d’entreprise. Vous avez eu une réaction embarrassée et peu
favorable, préférant la notion de « formation à l’entreprenariat »,
moins compromettante sans doute à vos yeux. Cela révèle finalement
votre malaise et votre ambiguïté.
Accepter des amendements
visant à ajouter les mots « sociaux, environnementaux et culturels »
après le mot« économiques » ne semble vous poser aucun problème :
ils sont politiquement corrects. En revanche, favoriser l’esprit
d’entreprise, l’envie de créer son entreprise, c’est une tout autre
affaire. Au fond, il y a toujours pour vous une prééminence de la
fonction émancipatrice, donc individuelle, du savoir sur
l’innovation au service de l’économie. C’est aussi la ligne du
collectif Langevin. Je crois pourtant que les deux sont absolument
compatibles. Dira-t-on jamais assez la valeur émancipatrice du
travail ?
Le deuxième type d’obstacle est d’ordre technique,
voire tactique : il concerne le lien par transfert technologique
entre l’université et l’entreprise.
Il y a trente ans, on
pensait que notre économie pouvait se satisfaire des innovations
produites par notre recherche scientifique et qu’il importait peu
que la production soit laissée à des pays étrangers à moindre coût
de main-d’œuvre. La désindustrialisation qui en a résulté continue à
produire aujourd’hui encore ses effets dévastateurs. Funeste
erreur !
La question du transfert, qui met en relation recherche
et production, est insuffisamment développée dans votre loi. C’est
même, à en croire Gilbert Bereziat, président honoraire de
l’Université Pierre et Marie Curie, l’« une des causes de la
désindustrialisation qui résulte du fait que, dans notre pays, les
meilleures universités en recherche sont insuffisamment au contact
des entreprises grandes et petites et que le concept de "parcs
d’innovation" dans ou à proximité des universités a été pour le
moins négligé ». « Il faut, ajoute cet universitaire, mettre la
recherche au service de l’innovation et l’innovation au service de
la création de la valeur ajoutée. »
C’est aussi ce que confirme
Louis Gallois, président du Commissariat général à l’investissement,
récemment auditionné par le groupe d’études sur les PME, qui parle
même de « vallée de la mort » où se perdent des projets privés de
l’accès à l’industrialisation.
C’est donc selon moi une question
majeure.
Le lien entre l’enseignement supérieur et les
territoires n’est pas moins important à mes yeux et je vais pour
cela vous donner l’exemple de ma région, le Haut-Doubs, terre où
autrefois l’horlogerie était florissante, à deux pas de la Suisse
qui a su porter cette filière au niveau d’excellence technique et
esthétique qu’on lui connaît aujourd’hui.
Dans cette petite
région française, sont dispensées des formations supérieures en
microtechnique, en horlogerie et en bijouterie. Elles produisent
chaque année des promotions d’étudiants qui sont embauchés à 100 %
en Suisse où se trouvent les usines et aussi de bons niveaux de
rémunération. Bien sûr, on aimerait avoir en France un aussi beau
tissu industriel. Cela reviendra peut-être si dans notre pays, on
encourage un peu plus les chefs d’entreprise, si l’on éveille un peu
plus chez nos jeunes l’esprit d’entreprise, si l’on soutient
résolument le « fabriqué en France ».
Mais en attendant, nous
devons favoriser les expérimentations transfrontalières. Certains de
nos collègues ont du reste évoqué, par amendement, la question
transfrontalière. Ici, en France, la formation ; là, en Suisse, les
emplois : impossible aujourd’hui d’organiser la formation en
alternance entre nos deux pays, avec la formation assurée dans un
pays et l’alternance dans les entreprises de l’autre
pays.
Pourquoi ne pas imaginer la création de chaires
d’entreprises suisses dans des établissements d’enseignement
supérieur français ? Pourquoi ne pas imaginer des plateformes
transfrontalières de formation ? Il y a là des gisements
intéressants d’innovations. Le lien avec le territoire est
essentiel.
Si nous négligeons ce lien entre l’enseignement
supérieur et la recherche d’une part, et l’économie, les entreprises
et le territoire d’autre part, nous serons condamnés à voir nos
jeunes choisir l’exil, pour se former ou pour travailler
ailleurs.
La menace est réelle, si l’on en croit ce sondage
Viavoice pour W et Cie : à la question « si vous le pouviez,
aimeriez-vous quitter la France pour vivre dans un autre pays ? »,
50 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans, ceux-là mêmes qui sont
concernés par votre projet de loi, répondent « oui », tout comme
51 % des 25-34 ans.
Voici ce que dit Maureen, 25 ans : « En
France, on a du mal à se faire une place. ». Alexandre, 30 ans, se
demande : « Pourquoi vouloir tuer l’entrepreneuriat ? ».
« J’aimerais faire ma vie ailleurs », dit Clara, 20 ans, étudiante
en histoire.
Tout cela est triste, madame la ministre, car il
est triste qu’une jeunesse ne soit pas attachée à son pays. Je ne
crois pas que le visage que dessine votre loi pour l’enseignement
supérieur soit véritablement de nature à redonner espoir à nos
étudiants. (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP. )
M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.
M. Philippe Gomes.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission des affaires culturelles et de l’éducation,
monsieur le rapporteur, chers collègues, l’enseignement supérieur et
la recherche ne sont pas des priorités ; ils ne sont pas même
l’illustration d’une démarche, fût-elle tout entière consacrée à la
jeunesse.
L’enseignement supérieur et la recherche forment le
cœur même du modèle de société que nous voulons construire ; ils
sont l’expression de l’idéal républicain porté au plus haut niveau
de l’exigence. L’idéal républicain, c’est la volonté d’émancipation
de chacun ; c’est le pari de l’intelligence.
Cette intelligence,
cette émancipation se conçoivent à travers une idée, que j’aimerais
développer : le lien. Ce lien sera mon fil d’Ariane pour parcourir
ce texte.
L’idée première de ce texte est sans aucun doute
inspirée par de nobles motivations, dont celle de relier plus
efficacement enseignement et recherche.
Relier, c’est d’abord le
principe même du savoir, parce que le savoir est un domaine dont la
performance obéit peut-être moins que tout autre à l’individualisme
et à la concurrence systématique. L’émulation est bien plus
productive, quand elle prend source dans la collaboration et non
dans la seule compétition.
Cette compétition est avant tout
intellectuelle: il s’agit d’une compétition de coopération, de débat
et de curiosité. Nous devons avoir une conception large de l’utilité
du savoir, qui ne manque pas d’évoquer les débouchés professionnels,
le lien avec le monde économique ainsi que le plaisir de la
connaissance. Telle est l’université moderne, qui doit éviter de
faire sienne cette phrase de René Daumal : « Je sais tout, mais je
n’y comprends rien. »
Mais si les mots ont un sens, ils n’ont
pas nécessairement de traduction, surtout quand, une nouvelle fois,
une vraie fausse concertation préalable aboutit à faire saillir des
pierres d’achoppement là où régnait une certaine forme de consensus,
plutôt dirigée contre la LRU, dans un texte qui accumule, hélas,
vœux pieux et lieux communs.
Ce qui relie d’abord, c’est la
langue. Dans le Pacifique, l’abandon du français comme langue
d’enseignement constituerait un abandon de souveraineté,…
M. Jacques Myard. Bravo !
M. Philippe Gomes.
… une faute géopolitique, mais aussi une sorte de rupture du lien
que nous créons avec les autres peuples qui nous environnent, qui
sont curieux de la culture française, et y sont parfois
attachés.
À proximité immédiate de la Nouvelle-Calédonie se
situe le Vanuatu, ex-condominium des Nouvelles-Hébrides, dont la
Constitution retient deux langues officielles : le français et
l’anglais.
M. Yves Durand. Et le bichlamar !
M. Philippe Gomes.
Non, pas le bichlamar, monsieur Durand : le bichlamar est la
langue pratiquée, mais elle ne figure pas dans la Constitution de la
République. Les deux seules langues reconnues par la Constitution du
Vanuatu sont le français et l’anglais.
Nous possédons
aujourd’hui, au cœur du Pacifique, dans cet environnement
exclusivement anglo-saxon, trois territoires français. Rappelons
qu’en Nouvelle-Calédonie, la langue véhiculaire au sein de
l’ensemble de l’archipel, parmi les trente langues vernaculaires,
reste le français. Oui, défendre la langue française dans le
Pacifique aujourd’hui, dans ces territoires et dans l’ensemble
régional, c’est aussi permettre de faire en sorte qu’elle ne
disparaisse pas de nos universités.
Relier, c’est la
concertation. Un mot simplement à ce sujet : comment expliquer
cette contradiction entre la multiplicité des points abordés dans
les deux rapports préalables et le maigre contenu du projet de
loi ?
Pour ne prendre qu’un exemple, la communication a porté
pendant un temps sur l’orientation des étudiants de premier cycle,
en licence. Qu’est-il advenu des centaines de propositions pour la
réussite des étudiants en licence ? Comment expliquer également,
après ces discussions, que l’article 2 de la loi ait suscité une
véritable bronca ?
Relier, c’est aussi aménager la diversité :
diversité des diplômes, des structures d’enseignement, des
formations, des organisations territoriales. De ce point de vue,
vous avez choisi non pas de relier mais d’empiler, de contraindre
même et finalement de prendre le risque d’un blocage, ce que je ne
souhaite pas.
Relier, c’est simplifier. Mais manifestement, nous
ne nous lions pas de la même façon !
Les restructurations
engagées correspondent, du point de vue du Gouvernement, à une
simplification de sa gestion des universités, réunies à l’échelle de
sites au périmètre très variable et placées sous la direction de
quelques établissements coordinateurs, qui contracteront des
accréditations de l’État.
En somme, ce changement d’échelle
revient en tout ou partie à placer les prises de décision hors de
portée des acteurs universitaires. Il rendra inéluctablement
difficile l’élaboration d’une stratégie de recherche et d’innovation
extrêmement ciblée sur quelques domaines prioritaires, dans l’espoir
d’en tirer des applications socio-économiques utiles.
Quant au
transfert de ces innovations par l’université, le sujet est à peine
esquissé dans le projet de loi. Il n’est pas sérieusement traité ;
et pourtant, il est absolument fondamental.
Ces
restructurations, qui semblent de prime abord relier, vont au
contraire éloigner les acteurs de l’enseignement supérieur des
décisions stratégiques utiles.
De la même façon, le lien
impliquant la simplification, l’on pourrait saluer votre souhait
d’une certaine clarté des intitulés de formation. Mais en jouant sur
le nombre de diplômes proposés dans l’ensemble des universités
françaises, sans jamais prendre en considération les contenus
justifiant éventuellement ces intitulés, vous allez procéder de
façon drastique à la réduction de ce nombre.
En outre, sont
supprimées les déclinaisons spécifiques de chacun de ces diplômes
qui permettaient aux étudiants d’identifier des formations et des
débouchés plus précis. De la sorte, au nom de ces deux seuls
arguments répétés à l’envi - la lisibilité pour les étudiants et
leurs familles, ainsi qu’un supposé «bon sens» -, un bouleversement
radical de l’offre de formation a été mis en œuvre, sans le dire
explicitement. De cette façon, vous n’avez pas simplifié, mais
appauvri notre paysage universitaire, ce qui emportera
inéluctablement des effets négatifs.
La survie de certains
enseignements est en jeu, tandis que la remise en cause
d’enseignements professionnalisants, nécessairement spécialisés,
aura des conséquences sur l’emploi. De même, la possibilité de créer
de nouveaux enseignements est compromise ; si une telle
nomenclature avait été en vigueur depuis 1968, il n’y aurait jamais
eu de formations en genre, en géopolitique, en psychanalyse ou en
études européennes par exemple, ni même en informatique ou en
cinéma. Enfin, la capacité des universitaires à penser librement les
formations qu’ils dispensent et à en inventer de nouvelles est
également remise en question.
Cette simplification aura
mécaniquement pour effet de mettre en concurrence des diplômes qui
seront tous normalisés dans leur affichage, au détriment de la
complémentarité et de la coopération possibles entre des formations
inventant chacune leur spécificité.
Du même coup, dans le cadre
des communautés d’universités créées par le présent projet de loi,
on peut craindre que s’ensuive une rationalisation brutale de la
carte des formations, au bénéfice des établissements les plus
puissants et les plus riches, ou de ceux qui imposeront, à l’image
des grandes écoles, une sélection à l’entrée.
L’autonomie
budgétaire, parfois sans moyens adéquats, hélas, a déjà conduit un
quart des universités à disposer de budgets en déséquilibre. Voilà
que le ministère remet en cause l’autonomie qui est la plus chère
aux universités : l’autonomie pédagogique.
Bientôt il sera trop
tard : l’université ne proposera plus que des masters formatés et
des licences très génériques, prônant une interdisciplinarité
illusoire sans socle disciplinaire et une professionnalisation
abstraite sans analyse des débouchés possibles.
Relier, enfin,
ce n’est pas opposer des systèmes qui marchent - les écoles
d’ingénieurs et les classes préparatoires - avec d’autres qui
n’atteignent pas le même niveau de résultat, à savoir les
universités.
Relier signifie donner envie aux étudiants, motiver
la jeunesse, lutter contre l’échec. Cela est beaucoup plus fort que
les prêts-à-penser sur l’égal accès à l’enseignement, qui rétrécit
l’enseignement plutôt que de faire grandir les enseignés, pour des
résultats uniquement statistiques puisque, au bout du compte, ils
n’aboutissent que difficilement à l’intégration sur le marché du
travail.
La France, pour demeurer, dans dix ans, parmi les vingt
nations de tête, doit former et recruter 10 000 docteurs de plus par
an, soit le double d’aujourd’hui. Nous n’aurons pas la moindre
chance d’y parvenir sans une rénovation profonde des premiers cycles
universitaires, dans le but de démocratiser l’enseignement
supérieur, de mettre fin au taux très élevé d’échec et de répondre
aux besoins de notre économie et du pays.
Nous n’y parviendrons
pas non plus sans l’ouverture de perspectives enthousiasmantes pour
les jeunes qui s’engageront dans cette voie, faute de quoi ils
renforceront encore les bataillons qui passent par les écoles de
commerce.
Voilà, madame la ministre, ma lecture de ce texte
autour d’une idée, celle du lien, considéré comme une
caractéristique ontologique de la recherche et de l’enseignement
supérieur.
Ce texte prétend défendre une langue et une culture,
tout en réduisant les moyens pour y arriver.
Ce texte ne
construit pas de projet souple et véritablement moderne sur les
outils numériques ou sur le contenu pédagogique des enseignements
universitaires. Il n’impulse pas notre enseignement supérieur pour
faire gagner les étudiants, et non les décourager ou les
sélectionner par la déprime.
Ce texte, je le crois sincèrement,
ne servira pas notre université. Mais je crois encore plus en la
formidable ressource de la communauté éducative, qui, malgré tout,
continuera à servir et à sauver notre université.
(Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et
UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.
Mme Isabelle Attard.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je
veux saluer tout d’abord la priorité affichée par le Gouvernement :
la réussite des étudiants. De plus, l’inscription de la formation
tout au long de la vie comme première mission du service public de
l’enseignement supérieur est une avancée notable.
Je me réjouis
également de ce fameux article 2, ouvrant la possibilité de
dispenser des cours en anglais dans nos universités. Contrairement
aux idées reçues, nous sommes persuadés que la maîtrise des langues
étrangères n’est pas un renoncement à notre culture.
M. Jacques Myard. Les langues étrangères et l’anglais, ce n’est pas la même chose ! Apprenez l’arabe ! Apprenez le chinois ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Isabelle Attard.
Elle signifie bien au contraire l’ouverture de la boîte des
connaissances, la liberté de travailler et de publier dans le monde
entier, sans limite. Une telle mesure sera utile tant aux étudiants
francophones qu’aux étudiants étrangers.
Elle offre la
possibilité à celles et ceux qui ne pratiquent pas parfaitement
notre langue d’apprendre à leur rythme, tout en suivant leurs cours
en anglais. Les doctorants étrangers venant terminer leur cursus en
France devraient par ailleurs pouvoir rédiger leur thèse en anglais,
sans avoir à en demander l’autorisation. Ces docteurs, qui auront
été immergés dans la culture française pendant des années, seront
nos meilleurs ambassadeurs.
M. Jacques Myard. Non, ce sera le contraire !
Mme Isabelle Attard.
Je reconnais également, madame la ministre, que l’accréditation
des établissements peut contribuer à alléger les lourdeurs
administratives et renforcer l’autonomie pédagogique des
établissements. Il est toutefois essentiel que cette accréditation
se fasse dans le cadre de diplômes qui restent nationaux, uniquement
délivrés par des universités, et qu’elle soit réalisée de manière
transparente grâce au travail du Conseil national de l’enseignement
supérieur et de la recherche.
Cependant, je ne partage pas la
philosophie d’ensemble de ce texte. Nous débattons aujourd’hui d’une
loi d’orientation. Chaque mot compte ; or les mots "compétitivité",
"transfert", "innovation" et tout le champ sémantique de
l’entreprise sont mentionnés à maintes reprises. C’est un choix de
politique ministérielle que de remplacer "science" par "innovation",
et "portée scientifique" par "impact économique". C’est également
votre choix d’omettre toute allusion à la liberté scientifique, la
créativité, l’originalité et la curiosité.
Le savoir n’est pas
une marchandise : la connaissance donnée n’est pas perdue par celui
qui la donne. La connaissance scientifique est faite pour être
partagée sans limite. C’est ainsi qu’elle peut augmenter, au
bénéfice de toute l’humanité. Des dérives, telles que le brevetage
du génome humain, les brevets logiciels ou l’interdiction faite aux
agriculteurs de cultiver leurs propres semences, sont légion. II
faut faire cesser ces abus. Comme le dit Christophe Blondel,
physicien au CNRS : « Nous sommes perdus si nous oublions que les
fruits de la connaissance sont à tous et que la science n’est à
personne. »
Dans ce projet de loi, vous n’avez pas touché aux
créations des précédents gouvernements, aux Idex, aux Labex, à
l’ANR. Ils ont créé une compétition entre les établissements, entre
les laboratoires, entre les équipes, au lieu de renforcer les
coopérations transversales. Ils ont divisé et transformé les
chercheurs en rédacteurs d’interminables dossiers de subventions,
quasiment des mendiants. Les conclusions des assises faisaient
pourtant état de demandes clairement formulées qui auraient permis
d’ouvrir la voie à une véritable réforme de l’enseignement supérieur
et de la recherche. On y trouvait une remise en cause du
fonctionnement de l’AERES et une réforme en profondeur de l’ANR,
donnant enfin aux laboratoires la possibilité de travailler dans des
conditions sereines.
Je suis convaincue que le mode de
gouvernance des communautés d’universités et d’établissements prévu
dans ce projet de loi représente un grave recul de la démocratie
universitaire. Nous pourrions en effet aboutir à des conseils
d’administration composés de représentants élus, certes, mais au
suffrage indirect.
De plus, par la création de ces communautés,
des établissements privés pourront être accrédités indirectement à
délivrer des diplômes nationaux. Est-ce vraiment ce que nous
souhaitons ?
Par contre, le projet de loi innove en imposant à
l’enseignement supérieur les missions de transfert vers le monde
économique. Cette mission n’a jamais fait l’objet d’un débat
national et n’est pas apparue comme un sujet prépondérant au cours
des assises. Or ce transfert ne fait pas l’unanimité auprès de la
communauté universitaire et je suis profondément opposée à la
philosophie qui le sous-tend.
Je suis, bien entendu, consciente
que ce transfert technologique est important pour nos entreprises et
qu’il peut éventuellement avoir sa place dans la partie "Recherche"
de ce projet de loi consacrée à la recherche. Mais pourquoi en faire
l’une des missions principales de l’enseignement
supérieur ?
Aujourd’hui, madame la ministre, à travers ce projet
de loi, vous vous adressez également aux étudiants en sciences
politiques, en sociologie, en histoire, en géographie. Vous leur
dites en substance : « Nous soutiendrons vos recherches si elles
intéressent le marché, si elles permettent de comprendre les
demandes des clients. » Et pourtant, ces étudiants analysent et font
avancer la société, en répondant aux interrogations de nos
concitoyens. Ils forment même le gros du bataillon de nos
collaborateurs. Alors, madame la ministre, je vous laisse aller leur
dire que leurs études n’intéressent pas le Gouvernement. Mais vous
irez le leur dire sans les écologistes.
Disons-le clairement :
si, depuis un an, certains projets gouvernementaux ont pu susciter
insatisfactions ou doutes chez les écologistes, cette réforme
universitaire nous inspire, en l’état, une opposition fondée et
motivée. Il va sans dire que nous attendons beaucoup des travaux en
séance pour dissiper les inquiétudes que je viens d’évoquer.
(Applaudissements sur les bancs du groupe
écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Le Roch.
M. Jean-Pierre Le Roch.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le
projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche
est le fruit des nombreuses consultations menées dans le cadre des
assises de l’enseignement supérieur et de la recherche matérialisées
par le rapport de qualité de Jean-Yves Le Déaut. Il est marqué par
une double volonté de simplification et de cohérence. Par son
ambition, il répond aux défis que nous devons relever pour notre
jeunesse, notre société et notre économie.
Je mettrai en avant
trois avancées principales.
Tout d’abord, ce projet de loi fait
de la réussite des étudiants un impératif. Ainsi, il crée un
principe de continuité entre le second cycle de l’enseignement du
second degré et l’enseignement supérieur. Par ailleurs, il fixe un
objectif de 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement
supérieur.
La matérialisation de cette ambition passe
naturellement par les moyens alloués. C’est pourquoi, dès cette
année, 1 000 emplois dédiés à la réussite en licence ont été créés
dans les universités, et il y en aura 5 000 à l’échelle du
quinquennat. C’est pourquoi également les crédits en faveur de la
vie étudiante ont été augmentés de 7,4 %.
Dans la même logique
d’accompagnement des étudiants vers la réussite, ce projet de loi
remédie à l’orientation par défaut d’une importante part de
bacheliers professionnels et technologiques vers
l’université.
Ce n’est pas sans conséquences, en effet.
Actuellement, si plus du tiers des bacheliers généraux obtiennent
leur diplôme trois ans après leur première inscription, ce
pourcentage tombe à moins de 10 % pour les bacheliers technologiques
et à 2,2 % pour les titulaires d’un bac professionnel.
Mais,
dorénavant, grâce à ce projet de loi, les IUT et les sections de
techniciens supérieurs devront réserver une part minimale de leurs
effectifs aux bacheliers professionnels et
technologiques.
Deuxième avancée notable : la reconnaissance et
la valorisation des doctorants. Comme vous l’avez souligné dans
votre rapport, monsieur le rapporteur, en dehors des secteurs de
l’enseignement supérieur et de la recherche, seuls environ 300
titulaires d’un doctorat accèdent chaque année à des emplois de la
fonction publique, sur les 13 000 docteurs diplômés, et moins de 2 %
des cadres de la fonction publique sont titulaires du doctorat
contre 35 % aux États-Unis ou en Allemagne. Voilà une réalité
dévalorisante pour nos doctorants face à leurs homologues européens
et internationaux, mais aussi pour nos diplômes et notre système de
formation. C’est pourquoi ce projet de loi prévoit la possibilité
d’ouvrir des concours de la fonction publique aux titulaires d’un
doctorat.
Par ailleurs, je partage l’analyse de notre collègue
Christophe Borgel sur le crédit impôt recherche et son fléchage en
faveur de l’insertion des doctorants dans les
entreprises.
Enfin, et c’est la troisième avancée notable que
j’aborderai, ce projet de loi marque le retour de l’État stratège,
par la définition d’une stratégie nationale de la recherche. Il
incarne une nouvelle ambition par la promotion des activités de
transfert vers les secteurs socio-économiques, comme vous l’avez
souligné à juste titre, madame la ministre.
J’ajouterai que nos
PME et TPE ont absolument besoin de ce lien avec la recherche
publique. Pour nombre d’entre elles, esseulées, sans équipe de
recherche et développement, comment pourraient-elles innover ou
porter leurs innovations à maturité ? Dorénavant, grâce aux
modalités de transferts prévues par ce projet de loi, elles pourront
mieux innover, grandir, exporter et créer les emplois de
demain.
Je tiens à ce propos à saluer votre attitude ouverte et
constructive, madame la ministre, en favorisant l’adoption de
nombreux amendements destinés à approfondir cette dimension nouvelle
apportée par le projet de loi.
Ainsi, la possibilité pour les
chercheurs de voir prise en compte dans leur évaluation l’expérience
acquise dans les entreprises, lorsqu’ils sont amenés à revenir vers
leur corps d’origine, ou encore leur action de médiation
scientifique, technologique et industrielle, constituent un pas
décisif dans la valorisation des acquis de la recherche publique et
la reconnaissance professionnelle de ceux qui la font.
C’est
pourquoi je me joins à mes collègues pour soutenir ce projet de loi
relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche qui réaffirme
l’ambition gouvernementale de préparer la France de
demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe
SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Door.
M. Jean-Pierre Door.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, mes chers collègues, mes chers collègues,
"longtemps la puissance d’une nation s’est mesurée à celle de son
armée. Aujourd’hui, elle s’évalue à son potentiel scientifique". À
l’instar de toutes les formules, celle du prix Nobel de médecine, le
professeur François Jacob, n’échappe pas à une certaine forme de
caricature. Elle a toutefois le mérite de poser clairement et sans
détour les enjeux soulevés par l’évolution de nos sociétés et par le
rôle grandissant qu’y joue le progrès scientifique.
Il y a un
classement qui a toujours fait beaucoup de bruit, celui des
universités établi par l’université Tong de Shanghaï. L’on y
constate que la qualité du système d’enseignement supérieur français
n’est pas reconnue sur la scène internationale. J’en veux pour
preuve que la première université française, Pierre et Marie Curie,
n’apparaît que vers la quarantième position.
Même si certains
veulent le critiquer, ce classement ne peut être ignoré, car
lorsqu’ils choisissent leur université, les Américains, les
Australiens, les Chinois ou les Indiens le regardent. C’est la
mondialisation. On ne peut s’en abstraire, et nous devons, nous,
gagner des places, ce qui n’est pas contraire à l’exigence de
l’excellence de l’université française.
Et comme ce classement a
des influences directes sur la politique de recherche en France, il
était donc de l’intérêt de la création des pôles de recherche et
d’enseignement supérieur. C’était l’un des points forts de la loi
LRU de 2009 et je regrette que vous les rayiez d’un trait de
plume.
Et comme la loi LRU vous démange, vous n’hésitez pas,
ici, à supprimer ou fusionner, par exemple le Conseil supérieur de
la recherche et des technologies et le Conseil national de
l’enseignement supérieur et de la recherche, et, ailleurs, à
remplacer l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement
supérieur par une autre agence. En un mot, vous déshabillez purement
et simplement la loi LRU.
S’agissant de l’article 22, qui
concerne la première année commune des études de santé, vous
souhaitez expérimenter de nouvelles modalités d’accès à ces études
et vous fixez un délai d’expérimentation de six années. Il est
entendu que le constat du véritable enfer que vivent des dizaines de
milliers d’étudiants fait l’unanimité parmi les parlementaires.
C’est d’ailleurs pour cela qu’en 2008 la loi Domergue avait institué
la PACES, c’est-à-dire la première année commune des études de
santé. Des passerelles étaient déjà prévues en cas d’échec ou de
droit de remords à six mois, pour ceux qui ne peuvent pas suivre
l’évolution des études. Aussi, l’article 22 a reçu l’aval de tous
les membres de la commission des affaires sociales, y compris de
ceux du groupe UMP. C’est peut-être le seul bon point que je vous
accorde.
Madame la ministre, si je suis favorable à ces
expérimentations, je réitère une demande que je formule depuis un
certain temps : construire d’autres programmes que ceux de la
première année de médecine qui existent actuellement. Ces programmes
ne sont plus actuels et sont totalement éloignés des sciences
médicales. Voilà un sujet à revoir.
Madame la ministre, votre
projet de loi ne fait pas l’unanimité du monde de l’enseignement
supérieur et de la recherche. Une intersyndicale connue appelle à
une journée nationale de grève et au retrait de la loi. Même la
conférence des présidents d’université a émis des réserves. Cet
après-midi a eu lieu, devant l’Assemblée nationale, une
manifestation hostile à ce projet de loi, à laquelle je ne
m’attendais pas.
Souvenons-nous du collectif « Sauvons la
recherche » et de ses déclarations lucides, et des états généraux de
la recherche à Grenoble. Le pays avait été alerté, car sans outils
de recherche d’excellence nous serions "incapables de suivre
l’accélération de l’évolution économique associée à la production
des connaissances", et nous entrerions dans "une dépendance
économique difficilement réversible". C’étaient là les termes de la
déclaration des chercheurs dans leur ensemble.
À partir de là,
les gouvernements précédents se sont engagés dans la loi de
programme pour la recherche de 2006 et la loi LRU de 2007, avec des
avancées majeures, en particulier en ce qui concerne la gouvernance,
ainsi que le rapprochement avec le monde économique, ou encore
l’autonomie des universités. Ces dispositions avaient été plus
acceptées que vous ne voulez le dire, le faire croire ou le
dénoncer, comme vous le faites encore ici, dans le texte qui nous
est soumis.
M. Jean-Pierre Door.
Certes, cela ne vous convient pas et, par idéologie, vous décidez
de détricoter tout l’édifice scientifique et universitaire qu’il
aurait fallu au contraire faire évoluer. C’est votre choix, madame
la ministre ; ce n’est pas le nôtre.
Je vous remercie.
M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
M. François Rochebloine.
Madame la ministre, comme beaucoup d’autres dans cet hémicycle,
mais aussi dans le monde universitaire, je voudrais exprimer
l’émotion et l’inquiétude que m’inspire l’article 2 de votre projet
de loi : émotion et inquiétude dont l’opposition n’a pas
l’exclusivité – et je parle sous le contrôle de mon collègue
rapporteur de la mission sur la francophonie Pouria Amirshahi –, si
l’on en juge par les travaux de la commission des affaires
culturelles, qui ont consisté, en quelque sorte, à habiller de
précautions inopérantes un renoncement effectif.
Il s’agit bel
et bien, en renonçant au principe posé par la loi Toubon de 1994, de
remettre en cause la part nécessairement prépondérante de la langue
française dans les enseignements dispensés dans les établissements
français d’enseignement supérieur.
Le texte de la commission
indique que les formations ne peuvent être que partiellement
proposées en langue étrangères, grâce d’ailleurs à un amendement du
groupe UDI. Mais où commence le « partiellement » ? Il aurait fallu
aller beaucoup plus loin et écrire « minoritairement », ce qui, en
droit, aurait été la seule garantie formellement significative.
Votre refus est la preuve, madame la ministre, que vous n’avez pas
la volonté politique de faire respecter même cette illusoire
limitation. J’ai bien noté l’argument du rapporteur, qui revient
plus ou moins à s’incliner devant le fait accompli.
M. Jean-Pierre Dufau. Oh !
M. François Rochebloine.
C’est rarement une preuve de qualité de la décision
politique.
Le texte de la commission prévoit que les étudiants
auxquels seraient dispensés les enseignements en langues étrangères
« bénéficient d’un apprentissage de la langue française ». Curieuse
formule en vérité : à nouveau une belle intention sans sanction, en
d’autres termes un vœu pieux !
Enfin, le texte dit que le niveau
de maîtrise de la langue française des étudiants suivant des cours
en langue étrangère est pris en compte pour l’obtention du
diplôme.
Mais sauf erreur, les examinateurs sont déjà appelés à
une telle compréhension lorsque des étudiants étrangers se
présentent devant eux. Interprétée à la lettre, la disposition
proposée par la commission est paradoxale : elle appelle en effet à
la compréhension linguistique pour des étudiants qui, par hypothèse,
choisissent un mode d’enseignement moins exigeant au regard de la
maîtrise de la langue française. Autrement dit, la compréhension ira
en priorité à ceux qui choisiraient la voie la moins lourde pour
eux !
Plus largement, on invoque des raisons de prestige et de
concurrence, en s’appuyant notamment sur l’exemple de Sciences Po.
J’aurais pourtant cru, à la lecture d’informations récentes, que
Sciences Po n’était pas réellement un modèle à imiter et que sa
gestion était quelque peu sortie des clous.
M. Jean-Pierre Dufau. Ce n’est pas la même chose…
M. François Rochebloine.
Disons que cette école est exemplaire quand elle sert vos
thèses : mais après tout, a-t-elle jamais cessé d’être une machine à
produire la langue du pouvoir ?
On dit aussi que l’apprentissage
de la philosophie, par exemple, suppose l’organisation
d’enseignements dans cette langue. Cela évite de parler du vrai
problème, qui est la confrontation avec la langue anglaise. Mais, si
on suivait la logique de cet exemple, il faudrait prévoir – ou
restaurer, car Montaigne en a connus – des enseignements de
philosophie en grec ancien, car personne ne peut contester, en
suivant votre critère d’appréciation, que la connaissance de Platon
et d’Aristote soit aussi importante pour la compréhension
philosophique de notre temps que celle de Kant ou de Karl Marx. La
connaissance correcte d’une langue, ce n’est pas la même chose que
l’organisation délibérée, en France, de cours dans cette
langue.
Toutes ces apparentes justifications ne servent qu’à
masquer une réalité : vous cédez devant une pression qui n’a rien de
culturel et qui est proprement mercantile. Vous bradez cet élément
essentiel du patrimoine culturel qu’est la langue nationale, sans
prendre garde aux effets démobilisateurs et dissociateurs désastreux
qu’une telle attitude peut provoquer dans le monde
francophone.
Votre libéralisme culturel vient ainsi en appui au
libéralisme économique contre lequel votre majorité, et le Président
de la République à sa tête, n’ont pas de mots assez
durs.
M. Jacques Myard. Cela dépend des jours…
M. François Rochebloine.
Et il n’y a dans ce combat qu’un seul vainqueur : la langue
anglaise – non pas celle de Shakespeare dont vous vous prévalez,
mais le langage international appauvri qui en tient de plus en plus
lieu, avec votre consentement, dans les enceintes internationales
publiques et privées.
Le véritable atout de nos universités, ce
n’est pas le libéralisme linguistique, c’est un renouvellement de
leurs capacités d’ouverture, d’adaptation et de modernisation pour
lequel les mesures juridiques, si nécessaires fussent-elles, sont
moins importantes que la conversion des comportements.
Pour
toutes ces raisons, le groupe UDI votera contre cet
article 2…
M. Jacques Myard. Bravo !
M. François Rochebloine. … et contre l’attitude de consentement au déclin qu’il symbolise. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Léautey.
M. Pierre Léautey.
En commençant ce propos, je voudrais tout d’abord saluer la
concertation qui a été menée, notamment dans le cadre des assises de
l’enseignement supérieur, qui ont été un succès et ont permis de
formuler de nombreuses propositions riches et
intéressantes.
Dans cette loi, et c’est une bonne chose, l’État
reprend la main dans l’enseignement supérieur et la recherche, par
le renforcement de son rôle de stratège et de régulateur. Ainsi,
l’État assume sa mission incitative en donnant aux universités
l’autonomie nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il fixe, et
rompre avec les effets pervers et les dérives de la concurrence
excessive qui s’était instaurée entre universités.
Ce projet de
loi, qui englobe à la fois les questions relatives à l’enseignement
supérieur et à la recherche, assure la cohérence de l’ensemble ; et
sur les trois thématiques : formation, recherche et gouvernance, je
voudrais m’attacher plus particulièrement aux dispositions qui
constituent de véritables leviers pour la réussite de tous les
étudiants.
Certes, il s’agit d’une loi d’orientation et non de
programmation. Bien sûr, la question des moyens est importante, elle
devra être posée, mais d’ores et déjà la création de cinq mille
postes est prévue sur cinq ans et les dotations de fonctionnement
des universités sont maintenues.
Dans cette loi, il n’y a pas
d’arbre qui cache la forêt : on ne peut réduire l’ensemble des
dispositions du projet à une ou deux mesures phares qui
occulteraient les autres. Chacune des nombreuses dispositions
apporte sa pierre à l’édifice pour que cette loi soit une loi
d’égalité entre les étudiants, qui donne la priorité à la réussite
étudiante avec l’objectif de parvenir à passer de moins de 40 % de
diplômés de l’enseignement supérieur au niveau licence, à 50 % dans
chaque classe d’âge d’ici 2020 et ainsi de réduire de façon
significative le taux d’échec en premier cycle qui a augmenté ces
dernières années, passant en première année de 52 % en 2006 à 57 %
en 2011. Or ce sont les enfants des familles aux revenus modestes
qui sont le plus souvent largement pénalisés.
M. Pascal Cherki. C’est vrai.
M. Pierre Léautey.
Dans le projet de loi, nombreux sont les points qui représentent
soit des progrès incontestables, soit des compromis intéressants,
permettant dans bien des domaines des avancées
conséquentes.
Avancée, avec une première année
pluridisciplinaire et par une plus grande lisibilité de l’offre de
formation par une simplification des intitulés. Comme les débats des
Assises l’ont souligné, tout le monde s’y perd aujourd’hui parmi les
milliers de licences et de masters recensés qui génèrent des erreurs
d’orientation, sauf pour les enfants de ceux qui connaissent le
labyrinthe.
Amélioration importante, par une meilleure
orientation des bacheliers des sections professionnelles et
technologiques. La loi redonne enfin aux sections de techniciens
supérieurs et aux IUT leur vocation d’origine, en facilitant l’accès
aux bacheliers professionnels qui y réussissent beaucoup mieux qu’à
l’université.
Avancée encore, par la mise en œuvre d’une
continuité du service d’orientation entre le secondaire et le
supérieur. La continuité entre le lycée et l’université est un enjeu
majeur pour la démocratisation de l’enseignement supérieur et la
réussite des étudiants en premier cycle.
Progrès encore, par le
rapprochement entre toutes les filières post-bac, notamment les
classes préparatoires et les premiers cycles, pour favoriser les
parcours mixtes et les réorientations, afin de permettre aux
étudiants de rebondir et leur éviter de se retrouver dans des
impasses et donc dans l’échec.
Avancée, par le développement de
l’enseignement numérique pour que la France rattrape son retard dans
sa capacité à utiliser de nouveaux supports numériques et à
développer de nouvelles méthodes pédagogiques, avec la désignation
d’un vice-président en charge des questions et ressources
numériques, qui font partie intégrante de la politique des
établissements comme l’a précisé un amendement de la commission
intégré à la loi.
Progrès aussi, avec les passerelles d’entrée
en deuxième et troisième années de formation médicale pour les
étudiants ayant une licence adaptée, afin de remédier aux effets de
la PACES qui n’a pas donné les résultats espérés.
Évolution
positive, par le développement de la formation en alternance, avec
l’objectif d’en doubler d’ici 2020 le nombre d’étudiants, pour
faciliter l’insertion professionnelle. Il faut rompre avec l’image
négative de l’apprentissage et, comme l’a dit le Président de la
République, l’alternance est aussi une filière d’excellence.
M. François Rochebloine. Absolument !
M. Pierre Léautey.
C’est aussi une voie privilégiée pour permettre aux jeunes de
tous les milieux sociaux de se former et de trouver un emploi
durable. Cette voie permet de poursuivre des études à des jeunes qui
ne l’auraient pas envisagé autrement.
Enfin, progrès par la
valorisation du doctorat, qui est une formation professionnelle
exigeante et qui permettra l’accès à la haute fonction publique. Il
faut se féliciter de cet objectif, qui est en harmonie avec les
recommandations du Conseil supérieur de la recherche et de la
technologie pour l’accès à des corps de catégorie A de la fonction
publique d’État.
Mes chers collègues, le texte qui nous est
présenté par le Gouvernement fait suite à une large concertation et
contribue à la réussite de tous par la démocratisation des savoirs.
Le temps du débat parlementaire a maintenant débuté. Le projet de
loi a déjà été enrichi par la commission et je ne doute pas qu’il le
sera encore dans les débats qui débutent aujourd’hui dans
l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du
groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Dion.
Mme Sophie Dion.
Madame la ministre, en douze mois, votre majorité a conduit la
France dans la récession. (Protestations sur les bancs
du groupe SRC.) Et ce n’est malheureusement pas
votre texte sur l’enseignement supérieur et la recherche qui va
inverser la tendance.
Plutôt que de mener les réformes
structurelles dont la France a besoin, votre seule ambition a été de
détricoter ce que la précédente majorité avait mis en
place.
C’est vrai pour la politique familiale, c’est vrai pour
la politique économique et fiscale, c’est aussi vrai dans le domaine
de l’éducation. Après l’école, vous vous attaquez maintenant à
l’université.
M. Pascal Cherki. Heureusement !
Mme Julie Sommaruga. Bonne initiative !
Mme Sophie Dion. La dernière réforme d’ampleur date de 2007 : mais, il est vrai, c’était une réforme de la précédente majorité.
M. Pascal Cherki. Bâclée et injuste !
Mme Sophie Dion.
Vous considérez que votre projet est urgent. Vous avez donc
engagé la procédure accélérée.
C’est maintenant une méthode de
travail habituelle, imposée par votre Gouvernement sur la plupart
des textes. Sur seize lois publiées en 2013, hors conventions
internationales et lois sur les finances publiques, le Gouvernement
a eu recours huit fois à la procédure accélérée, autrement dit sur
la moitié des textes publiés ! Cette semaine, pas moins de deux
projets de loi seront examinés en séance publique selon la procédure
accélérée, avec une seule lecture dans les deux chambres. C’est
inacceptable.
M. Yves Durand. On voit que vous êtes nouvelle !
Mme Sophie Dion.
Cela empêche tout débat approfondi et serein au sein du
Parlement.
Madame le ministre, qui dit urgence, dit importance
et qui dit importance dit travail approfondi et non bâclé, fondé sur
un véritable dialogue avec les acteurs concernés.
Force est de
constater que ce texte ne répond à aucune de ces exigences. C’est
une loi bavarde qui finalement ne dit rien.
(Interruptions sur les bancs du groupe SRC.) Une
loi de façade, de précipitation, qui prive l’opposition de ses
droits les plus élémentaires.
Déjà, en commission, plusieurs de
nos amendements sur l’article 2 ont été déclarés irrecevables, alors
qu’un amendement similaire, issu de votre majorité, était quant à
lui en discussion.
M. Guillaume Larrivé. Scandaleux !
Mme Sophie Dion.
Les entraves au travail parlementaire ne s’arrêtent pas là. Le
texte issu de la commission n’a été disponible que vingt-quatre
heures avant le délai de forclusion. Disposer d’un délai aussi court
pour exercer notre droit d’amendement, qui est un droit fondamental
accordé à tout parlementaire, sur un texte qui ne fera l’objet que
d’une seule lecture, est tout simplement intolérable.
Enfin,
vous présentez ce texte comme issu de la concertation. Or de
nombreux organismes de recherche, des responsables d’université nous
ont fait part de leur insatisfaction au sujet de ce projet de loi
qui ne correspond pas à leurs attentes. Sans oublier, naturellement,
les critiques de votre majorité qui a déploré le manque de
concertation en amont.
Que dire de plus ? Finalement, il ne
reste qu’à supprimer le Parlement afin que le Gouvernement continue
sur sa lancée : légiférer par ordonnance, méthode que vous dénonciez
il y a peu et que vous utilisez aujourd’hui. J’en veux pour preuve
le texte sur la construction inscrit à l’ordre du jour cette
semaine !
M. Luc Belot. Quel est le rapport ?
Mme Sophie Dion. Sur le fond, votre projet de loi n’est pas exempt de critiques. Il est étonnant de constater que la plupart de d’entre elles émanent, là encore, de votre propre majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Luc Belot. Et vu ce que vous dites, cela suffit largement !
M. Jean-Pierre Dufau. On réfléchit, nous !
Mme Julie Sommaruga. Occupez-vous donc des problèmes de l’UMP !
Mme Sophie Dion. La loi d’autonomie de 2007 a permis aux universités d’améliorer leurs performances et de peser davantage dans la compétition internationale. Or les mesures que vous proposez vont bloquer cette dynamique et, à nouveau, rigidifier le système de gouvernance. Elles vont mettre nos universités en position de fragilité dans la compétition mondiale et, madame la ministre, vous en serez tenue pour responsable. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Luc Belot. C’est la fin du monde, comme avec le mariage pour tous !
Mme Sophie Dion. La principale innovation de votre texte est l’instauration de cursus d’enseignement en anglais dans nos universités pour les étudiants étrangers sans que ceux-ci suivent un enseignement en français. Nombreux sont ceux qui considèrent cette mesure comme attentatoire aux intérêts de la France et à l’avenir de notre langue. Vous me permettrez de citer M. Jacques…
M. Patrick Hetzel. Jacques Myard ?
M. Jacques Myard. Pas encore, ça viendra !
Mme Sophie Dion.
… Jacques Attali : « Je considère que les étudiants étrangers
suivant un cursus dans nos universités, y compris dans le domaine
scientifique, doivent suivre un enseignement en français. »
Vous
écrivez dans l’exposé des motifs que votre projet de loi est d’abord
conçu pour les étudiants.
M. Yves Durand. Eh oui !
Mme Sophie Dion.
Permettez-moi d’en douter. On ne trouve aucune disposition sur
leurs conditions de vie. Vous renvoyez la question du logement, la
création de centres de santé sur les campus, l’amélioration des
aides sociales, à des évaluations et à des textes ultérieurs.
Rappelons que la réforme de 2007 s’était accompagnée de mesures
fortes en faveur des étudiants, notamment envers les plus modestes
et les boursiers.
En ce qui concerne la réussite des étudiants,
vous l’affichez comme un objectif prioritaire. On cherchera
vainement ce qui donne corps à cette affirmation. De même, on ne
relève aucune mesure forte pour rapprocher l’université et
l’entreprise.
M. Patrick Hetzel. Très juste !
Mme Sophie Dion.
Stages obligatoires, mise en place d’une formation à la création
et à la gestion d’entreprise seraient pourtant des passerelles
nécessaires et efficaces ; mais, là encore, nous
attendons.
Enfin, et je terminerai par là,…
M. Yves Durand. Ah !
Mme Sophie Dion. … l’institution d’un quota de bacheliers technologiques dans les IUT n’a pas de sens. Les IUT sont attachés à la diversité des bacheliers recrutés.
M. Yves Durand. Justement !
Mme Sophie Dion. C’est là toute la richesse du mélange de l’intelligence de la main et de l’intelligence de l’esprit. Nous passons aussi à côté de cet objectif essentiel dans la mission prioritaire qu’est l’éducation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
M. Pascal Cherki. Relevez le niveau, chère collègue ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Hetzel. Quel goujat ! (Sourires.)
Mme Marie-Françoise Bechtel.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, monsieur le rapporteur, l’université française
souffre d’un paradoxe historique : héritière d’une tradition
ancienne et brillante, celle dont la Sorbonne porte encore haut et
fort dans le monde entier la renommée, elle peut avoir, depuis
quelques décennies au moins, le sentiment d’être en déclin. Six ans
après la loi LRU, le malaise persiste.
L’université garde le
sentiment d’être la mal aimée d’un système d’enseignement supérieur
qui l’oblige à accueillir massivement là où les grandes écoles,
renforcées par la montée de la professionnalisation et le besoin de
sécurité des débouchés, filtrent et sélectionnent leurs étudiants.
Que faire pour que ce paradoxe cesse d’être une maladie chronique ?
Faut-il en croire les regards portés sur notre université tels celui
de l’OCDE – mais on peut aussi penser au désormais fameux, quoique
boiteux, « classement de Shanghai ». Ils ont contribué à acclimater
un diagnostic ambigu: c’est l’idée que les États doivent viser une
qualité de niveau international pour leurs systèmes éducatifs afin
d’assurer une croissance économique à long terme. Cette idée, juste
en elle-même, s’est dévoyée dans un effet de mode qui décrète un peu
rapidement que la formation pour la formation serait le gage,
le nec plus ultra du retour à la
prospérité. Nous devrions pourtant savoir aujourd’hui que cette idée
néolibérale fait bon marché d’une contrainte essentielle, celle de
la tension sur le marché de l’emploi : pas de formation utile sans
débouché et pas de débouchés sans la condition nécessaire d’une
formation adaptée.
C’est dans cette perspective correctrice,
celle du redressement productif nécessaire à notre pays, que vous
avez situé, madame la ministre, le projet de loi dont nous allons
débattre. Il est en cohérence avec le pacte voulu par le
Gouvernement qui peut aider notre pays à se relever. C’est là son
grand mérite, même si le mouvement dont je suis l’élue, le mouvement
républicain et citoyen, pense qu’il faudrait aller plus loin sur
certains points importants.
Je me bornerai, dans le temps qui
m’est imparti, à pointer les deux objectifs majeurs qui recueillent
notre adhésion.
Tout d’abord, la nécessité reconnue d’un effort
particulier en faveur des jeunes qui sortent trop nombreux de leurs
études universitaires sans qualification suffisante. Les modalités
pour y remédier peuvent faire débat : je pense aux quotas à l’entrée
dans les IUT. Mais cet objectif doit en tout cas prendre toute sa
place dans la « stratégie nationale de l’enseignement supérieur » –
concept heureux. Nous pensons que cette stratégie devrait intégrer
le renforcement des filières professionnelles courtes au niveau de
la licence. Ces filières sont aujourd’hui un élément fort ; elles
demandent à être développées.
Mais il faut tenir les deux bouts
de la chaîne et favoriser aussi les formations longues. Former des
chercheurs de haut niveau dans des filières d’avenir en n’oubliant
pas que, comme enseignants-chercheurs, ils doivent aussi transmettre
un savoir sans cesse enrichi. Le projet de loi apporte une
innovation très utile, qui constitue même un tournant : la
valorisation de la recherche par le transfert des
résultats vers
les secteurs socio-économiques, transfert sur lequel l’université
doit garder la maîtrise grâce au mandataire unique que vous avez
évoqué, madame la ministre.
Quant à la stratégie nationale de la
recherche, autre innovation importante, elle ne pourra ignorer la
nécessité d’une solution mettant progressivement fin à la
précarisation du statut des chercheurs qui atteint aujourd’hui, vous
l’avez également souligné, une proportion préoccupante.
Je
voudrais souligner un point particulier qui me semble d’importance.
Cette stratégie doit s’attacher à garantir un équilibre entre
l’ensemble des disciplines en ce qui concerne les moyens de la
recherche et leur valorisation, sans oublier la place utile qu’y
tiennent la philosophie, les lettres, et l’ensemble des sciences
humaines. Il en va de la respiration de la société tout entière.
C’est aussi affaire du rayonnement de notre pays à
l’étranger.
Enfin, il convient de saluer la ferme affirmation du
rôle de l’État sans lequel tous ces équilibres ne pourraient être
garantis sur l’ensemble du territoire. Utile et même nécessaire dans
la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, ce rôle est
indispensable au cœur de la stratégie nationale de la recherche qui
ne peut se réduire à un simple face-à-face entre les universités et
les régions. Nous serons très attentifs sur ce point qui est à nos
yeux majeur.
Madame la ministre, ce projet de loi se veut une
réponse au défi du redressement économique, social et culturel,
même, de notre pays. Pour répondre à cet objectif que nous
approuvons, il peut encore être enrichi par des amendements qui n’en
dénaturent pas le sens. Dans cette attente, si l’Assemblée est
écoutée pour le renforcement de cet objectif, l’occasion n’aura pas
été perdue de rendre espoir à tous ceux qui, difficilement, font
vivre notre université. (Applaudissements sur quelques
bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Fasquelle. (Au début de son intervention, M. Fasquelle s’exprime en anglais, suscitant des exclamations continues sur les bancs du groupe SRC.)
M. Daniel Fasquelle. Mes chers collègues, je n’irai pas plus loin dans la langue de Shakespeare…
M. Pascal Deguilhem. Tant mieux ! On voit bien qu’il n’a pas eu de cours d’anglais depuis longtemps !
M. Daniel Fasquelle. Je ne veux pas plus longtemps vous faire vivre ce que vont vivre malheureusement très bientôt un certain nombre d’étudiants qui, bien que parlant le français, vont devoir suivre dans nos universités des cours en anglais.
M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. C’est déjà le cas ! Dans quel monde vivez-vous ?
M. Daniel Fasquelle.
Ne nous y trompons pas : on ne créera pas, dans la plupart des
cas, deux groupes, un pour les francophones et un autre pour les
autres. Au motif d’attirer des étudiants qui ne parlent pas
français, et sans exiger d’eux qu’ils apprennent notre langue, on
passera en réalité progressivement au tout-anglais. Et sans limite,
puisque l’exception en faveur de la mise en œuvre des conventions
internationales et européennes prévue par le projet de loi est
tellement large qu’elle permettra de faire basculer, en réalité,
n’importe quel licence ou master dans une autre langue que le
français. Les universitaires savent très bien que les universités
françaises ont multiplié les conventions de par le monde et que, par
ailleurs, le programme Erasmus permettra, je le répète, de faire
basculer n’importe quelle licence ou n’importe quel master dans la
langue anglaise. Le menace est triple : pour nos universités, pour
le rayonnement de notre pays et pour notre langue.
Il faut
dénoncer, en premier lieu, l’abaissement, inévitable, du niveau de
nos universités. Toutes les enquêtes le montrent : la qualité des
enseignements sera inévitablement affectée par le passage à
l’anglais. L’Allemagne, qu’on prend souvent en exemple, fait
d’ailleurs aujourd’hui marche arrière et revient à l’allemand pour
cette raison.
M. Pouria Amirshahi. Tout à fait !
M. Daniel Fasquelle.
On peut nourrir aussi des craintes pour le rayonnement de notre
langue, de notre culture et donc de notre pays.
La politique est
faite de symboles. A-t-on vraiment pris conscience, mes chers
collègues, du signal que l’on va envoyer dans le monde en direction
de tous ceux qui aiment et défendent le français ?
M. Pouria Amirshahi. Hélas non !
M. Daniel Fasquelle. A-t-on vraiment compris que l’accès aux universités françaises ne peut que fortement motiver nombre de jeunes à apprendre le français ? Comment défendre, d’un côté, l’exception culturelle face aux Américains, comme vous le faites et, de l’autre, abandonner le français dans notre pays ? Ce sont deux messages totalement contradictoires. Ce n’est pas sérieux.
M. Yves Durand. Il ne faudrait plus apprendre l’anglais au lycée alors !
Mme Audrey Linkenheld. Finalement, il était plus clair en anglais ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)
M. Pascal Deguilhem. Il aurait dû fréquenter un lycée bilingue !
M. Daniel Fasquelle. Ce n’est tout de même pas compliqué : on ne peut pas défendre l’exception culturelle et décider d’enseigner en anglais dans nos universités. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jacques Myard. Très juste !
M. Daniel Fasquelle.
Personne ne comprend rien à ces deux messages contradictoires.
Réveillez-vous, ouvrez les yeux !
Ce qui est en cause, plus
fondamentalement encore, et c’est le troisième enjeu, c’est l’avenir
de notre langue.
M. Jacques Myard. Qu’ils soient aveugles, passent encore ; qu’ils ne soient pas intelligents, ça, c’est un problème !
Mme Chaynesse Khirouni. C’est nul !
M. Daniel Fasquelle. Comme l’affirme Michel Serres, qui est « nul » d’après une députée que je viens d’entendre,…
Mme Chaynesse Khirouni. Je m’adressais à M. Myard !
M. Daniel Fasquelle. Pouvons-nous nous écouter ? On a tout de même le droit d’émettre une opinion différente de la vôtre sans être couverts par des vociférations ! C’est franchement désagréable.
M. Pouria Amirshahi. Reconnaissez que vous l’avez cherché !
M. Daniel Fasquelle.
Comme l’affirme Michel Serres, disais-je, « une langue
disparaît lorsqu’elle ne peut pas tout dire. Elle devient
virtuellement morte ».
M. Philip Cordery. Une fois encore, vous jouez sur les peurs !
M. Daniel Fasquelle. Or demain – mais nous découvrons, hélas, à l’occasion de ce débat, que c’est déjà le cas aujourd’hui – des équipes d’enseignants-chercheurs vont enseigner, mais aussi mener leurs recherches, exclusivement en anglais. Et peu à peu, il faut en prendre conscience, nous allons perdre notre capacité de penser et d’exprimer l’avenir en français dans certains domaines. Il n’y aura tout simplement plus de mots français pour embrasser ces nouveaux domaines : c’est extrêmement grave.
M. Yves Censi. Ça les laisse cois !
M. Jacques Myard. Ce projet est anticonstitutionnel !
M. Daniel Fasquelle.
Mes chers collègues, à moins d’accepter que la France et le
français n’aient plus qu’une vocation régionale et marginale, il
faut renoncer à l’article 2 du projet de loi lourde d’orages et de
défaites, comme l’a si bien dit Bernard Pivot ; mais peut-être
est-il aussi de ceux que vous ne voulez pas écouter.
Or c’est à
l’université de montrer l’exemple. Car, au-delà de nos
établissements d’enseignement supérieur, le même raisonnement est à
l’œuvre, qui conduira, pour reprendre les mots de Bernard Pivot, aux
mêmes défaites. On chante de moins en moins en français, on tourne
maintenant des films français en anglais pour les traduire ensuite
en français ; demain, au motif d’attirer des cadres, puisqu’on parle
sans cesse de l’attractivité de nos entreprises, on parlera
également anglais à la tête de nos entreprises.
M. Jacques Myard. C’est déjà le cas !
M. Daniel Fasquelle.
Il n’y a pas de limites : où cette folie va-t-elle
s’arrêter ?
Face à de telles menaces, existe-t-il une autre
issue que celle que vous proposez ? La réponse est oui: elle
consiste à essayer de concilier mondialisation et respect des
langues et des cultures, et cela passe par une volonté politique
forte.
Cette ambition nouvelle doit s’exprimer, dans le domaine
de l’enseignement, par une politique d’accueil des étudiants
étrangers complètement repensée et renouvelée.
La question n’est
pas de savoir – et la confusion est malheureusement entretenue –
s’il faut apprendre l’anglais à nos étudiants : bien sûr qu’il faut
apprendre l’anglais, mais aussi d’autres langues, aux étudiants
français. C’est évident, mais ce n’est pas la question. La vraie
question, c’est celle de l’attractivité des universités françaises
aux yeux des étudiants étrangers. Or en offrant des cours en
anglais, nous ne ferons qu’attirer les étudiants qui auront été
refusés par les universités anglophones : on préfère toujours
l’original à la copie.
M. Jacques Myard. C’est évident !
M. Luc Belot. Vous avez une piètre image de notre université !
M. Daniel Fasquelle.
Tous ceux qui ont enseigné à l’université savent très bien que
c’est ainsi que cela se passe.
Pendant ce temps, est-on certain
de tout mettre en œuvre pour accueillir les meilleurs étudiants des
pays francophones ? Aujourd’hui, hélas, de très bons étudiants ne
viennent plus se former en France. Voilà un vrai sujet, et ce n’est
pas en faisant basculer tous nos cours en anglais que nous rendrons
nos universités plus attractives aux yeux de ces
étudiants.
Est-on suffisamment mobilisé pour inciter les
étudiants des pays non-francophones à apprendre notre langue ? Voilà
le sujet. S’est-on vraiment posé la question de savoir si les freins
à l’accueil des étudiants étrangers n’étaient pas ailleurs que dans
la barrière de la langue ? Vous raisonnez comme si la seule barrière
s’opposant à l’accueil d’étudiants étrangers en France était celle
de la langue, mais c’est tout à fait faux.
Améliorer
l’attractivité de nos universités suppose une réflexion préalable et
approfondie sur le sujet, loin des procès en ringardise qu’on ne
manque pas de faire aux Français qui défendent tout simplement la
langue nationale, mais cette réflexion a malheureusement manqué.
Cela implique aussi et surtout une volonté politique forte,
française et européenne. À ce sujet, madame la ministre, on peut
s’étonner de ce que l’Europe consacre aussi peu de moyens à
l’apprentissage des langues étrangères…
M. Luc Belot. It’s time !
Mme Marie-Françoise Bechtel. Five minutes !
M. Daniel Fasquelle. … créant de ce fait un espace propice au développement exclusif de l’anglais : ainsi que l’affirme fort justement Umberto Eco, la langue de l’Europe, c’est la traduction.
M. Yves Censi. Bravo !
M. Daniel Fasquelle. On le voit, le débat qui s’est engagé est essentiel, n’en déplaise à ceux qui ne veulent pas entendre les arguments contraires aux leurs.
M. Philip Cordery. Ce ne sont pas des arguments !
M. Daniel Fasquelle. C’est dommage, car nous sommes ici pour débattre et pour nous écouter. Nous pouvons ne pas être d’accord avec vous ; vous pourriez au moins respecter notre point de vue et ne pas me traiter comme vous venez de le faire, en me demandant, par vos gestes, de mettre fin à mon intervention.
M. Jean-Pierre Dufau. Quels gestes ?
M. Daniel Fasquelle. J’irai jusqu’au bout de mon propos, ne vous en déplaise.
M. le président. Vous vous exprimez dans cadre du temps programmé, monsieur Fasquelle, et vous pouvez effectivement parler autant que vous le souhaitez.
M. Daniel Fasquelle.
On le voit, le débat qui s’est ouvert est essentiel, car il en
va, non seulement de la qualité de nos enseignements, mais aussi de
l’avenir de notre langue, et finalement de bien plus que cela car,
comme le disait Albert Camus : « Oui j’ai une patrie, c’est la
langue française. » Ce débat peut être salutaire, s’il permet une
urgente prise de conscience.
Le premier acte fort passe par le
renoncement à l’article 2 du projet de loi sur l’enseignement et la
recherche. Mes chers collègues, je compte sur vous pour réagir et
pour marquer, à l’occasion de ce projet de loi, le point de départ
d’une politique ambitieuse pour notre université, pour notre langue
et pour notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du
groupe UMP.)
M. Dino Cinieri. Bravo !
M. le président. Pour le bonne information de tous, je vous indique que seuls les propos de M. Fasquelle tenus en français figureront dans le compte rendu. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. Daniel Fasquelle. Modifiez le règlement de l’Assemblée !
M. Luc Belot. C’est dommage, c’était plus compréhensible en anglais !
M. Philip Cordery. Non, avec son accent, même en anglais on n’a pas compris…
M. Pascal Deguilhem. Essayez l’espagnol !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.
Mme Marie-Jo Zimmermann.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les
présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames et
messieurs, c’est avec une réelle inquiétude que j’ai pris
connaissance de la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur et
la recherche.
Le texte que vous nous présentez aujourd’hui,
madame la ministre, est un véritable retour en arrière. La loi du
10 août 2007 relative à la liberté et la responsabilité des
universités, courageusement portée par Valérie Pécresse, a permis
d’instaurer un juste équilibre dans l’application de l’autonomie des
établissements. Cet équilibre, vous le remettez totalement en cause
aujourd’hui, alors même qu’il est salué par la majorité des acteurs
de l’enseignement supérieur.
La loi Pécresse donnait au
président des universités une véritable autonomie d’action et le
ministre chargé de l’enseignement supérieur intervenait comme
facilitateur. Vous, vous proposez l’inverse : votre vision est celle
d’une gouvernance centralisée et administrative, où la tutelle du
ministre est renforcée et où les pouvoirs du président des
universités sont dilués.
La création du conseil académique, que
vous substituez au conseil des études et de la vie universitaire, et
qui ne sera plus présidé par le président de l’université, en est
une illustration. Il ne répond à aucune demande, ni de la part des
enseignants, ni de la part de l’administration, ni même de la part
des étudiants.
Votre objectif est donc avant tout d’affaiblir le
président de l’université, en retirant au conseil d’administration
des prérogatives qui semblent pourtant relever normalement de sa
compétence, à savoir le recrutement des enseignants, la gestion de
leur carrière et la discipline de l’université.
De même,
l’augmentation du nombre de membres au sein de ces conseils, qui
sont déjà pléthoriques, est une mesure démagogique, d’autant plus
que vous n’augmentez pas pour autant la proportion de représentants
du monde professionnel au sein de ces conseils. Bref, votre seul
objectif est d’affaiblir le président et de défaire l’autonomie des
universités.
Mais le plus grave, madame la ministre, c’est que
cette vision archaïque, vous ne l’appliquez pas aux seules
universités. Vous voulez aussi l’appliquer aux grandes écoles, en
plaçant systématiquement sous la coupe de l’enseignement supérieur
tous les établissements qui dépendent d’autres ministères.
Ce
faisant, vous niez totalement la spécificité de ces établissements,
qui n’ont ni la même culture, ni la même vision, ni la même histoire
que les universités. Ils n’ont pas non pas la même vocation, et
n’ont donc pas à être gérés comme des universités, ou comme les
autres établissements de l’enseignement supérieur. Et s’ils sont
rattachés à un autre ministère, c’est bien parce que ce dernier
correspond au domaine d’activité dans lequel les étudiants vont
ensuite se spécialiser.
Vous semblez également oublier, madame
la ministre, que ces établissements fondent une véritable exception
française, qu’aucun de nos voisins n’a véritablement réussi à créer,
mais que tout le monde nous envie. Au nom d’un égalitarisme que je
ne comprends pas, et d’une logique d’uniformité, vous êtes prête à
brader cet atout. C’est un véritable nivellement par le bas, et nous
ne l’accepterons pas !
Oui, madame la ministre, votre projet est
inquiétant. Il est inquiétant, parce qu’une fois de plus, vous cédez
au dogmatisme, alors que l’enseignement supérieur a besoin de
pragmatisme.
M. Pascal Cherki. Oh !
Mme Marie-Jo Zimmermann.
Il est inquiétant, parce qu’une nouvelle fois vous préférez
défaire plutôt que faire. Il est inquiétant, parce qu’il remet en
cause la notion d’excellence française, dont les grandes écoles sont
l’incarnation.
Alors, madame la ministre, je dirai non. Je dirai
non au retour en arrière que vous nous proposez. Je dirai non à la
cotutelle du ministre de l’enseignement supérieur, parce que vous
allez créer une usine à gaz que vous ne contrôlerez pas. Et je dirai
non à l’abaissement de notre méritocratie, qui fait de nous un
modèle social envié. (Applaudissements sur les bancs du
groupe UMP. )
M. le président. La parole est à M. Jean Jacques Vlody.
M. Jean Jacques Vlody.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le
projet de loi que nous examinons est un texte qui fait avancer
l’ensemble de notre système d’enseignement supérieur et de recherche
sur le chemin du XXIe siècle. On ne peut, comme on tenté de le faire
certains orateurs, résumer son ambition à la polémique soulevée par
son article 2 à la question de l’enseignement de l’anglais à
l’université.
C’est un texte qui propose des mesures fortes en
faveur de la réussite de tous les étudiants, et qui agit en
particulier sur les premiers cycles universitaires, pour faire en
sorte que 50 % d’une classe d’âge soit enfin diplômée de
l’enseignement supérieur.
M. Pascal Cherki. C’est très bien !
M. Jean Jacques Vlody.
C’est un texte qui promeut les valeurs de la coopération et de
l’émulation, plutôt que celles de la concurrence et de la
compétition, et qui renoue ainsi avec les valeurs qui sont au
fondement de la communauté de la science et de
l’enseignement.
C’est un texte qui donne un nouvel élan à la
recherche française, en la dotant d’une vision à long terme, sous
l’égide d’un État redevenu stratège, et l’ouvrant avec courage vers
l’international. Il est indispensable pour l’université de la
Réunion, que je connais un peu mieux que les autres et qui est la
seule université française de tout l’Océan indien, d’assumer
pleinement son rôle dans le rayonnement de la France, à travers des
coopérations universitaires avec les pays de sa zone
géographique.
C’est un texte qui réaffirme l’ancrage
territorial, le rôle et la mission de nos universités dans leur
environnement régional, notamment à travers la carte des formations
professionnelles et universitaires, et qui redonne aux universités
un rôle déterminant dans l’aménagement des territoires.
C’est un
texte qui réaffirme la détermination du Gouvernement à investir dans
le savoir, dans l’éducation, dans la jeunesse, parce que c’est la
clef pour préparer la France de demain, son redressement économique,
social et moral.
Mais c’est aussi un texte, madame la ministre
– et je sais que vous y êtes particulièrement attachée – dans lequel
la question des stages et des stagiaires devrait avoir toute sa
place. Bien plus, je suis convaincu que c’est dans ce texte, plus
que dans tout autre, que nous devons inscrire l’ambition du
Gouvernement en matière d’encadrement, de développement et de
sécurisation des stages.
Cette ambition pour les stages doit
avant tout rester une ambition pédagogique ; les stages n’ont de
sens que s’ils font partie intégrante d’un cursus de formation. Car
c’est précisément cette loi qui donne à l’université la mission de
préparer l’insertion professionnelle de ses étudiants.
Il y a,
en France, plus d’un million de stagiaires, et presque deux millions
selon certains. Leurs parents doivent subvenir à leurs besoins et il
y a, en ce domaine, beaucoup d’abus que nous ne pouvons plus
tolérer.
J’aurai le loisir, au cours de nos débats, de vous
présenter plusieurs amendements qui relèvent de cette question. Je
les soumettrai à votre approbation avec le soutien du groupe
socialiste, que je remercie de vouloir véritablement proposer une
nouvelle donne en matière de politique des stages.
Toutes ces
mesures, vous le verrez, sont des mesures simples et de bon sens,
sans contraintes excessives, ni pour les entreprises, ni pour les
universités. Toutes ces mesures forment un ensemble cohérent qui,
s’il venait à être adopté par cette assemblée, serait à l’origine
d’un véritable « New Deal » pour les
stagiaires.
M. Daniel Fasquelle. Encore de l’anglais !
M. Jean Jacques Vlody.
Expression anglaise, certes, mais historique ! New
Deal , parce que ces mesures reposent sur un
équilibre subtil entre droits nouveaux pour les stagiaires,
responsabilités renforcées pour les universités, mission
complémentaire pour les inspecteurs du travail, et enfin respect
d’un minimum de règles, notamment de transparence, par les
entreprises et les organismes d’accueil.
Entendons-nous bien :
il ne s’agit pas d’interdire les stages ou de les rendre impossibles
par le jeu d’une réglementation excessive. Il s’agit au contraire de
leur redonner un sens pour mieux les développer et les rendre
accessibles à tous les étudiants. Il s’agit d’affirmer qu’en France,
un autre stage est possible : un stage qui ne serait plus synonyme
pour nos jeunes d’emploi déguisé, d’inscription fantôme à telle
université, de mépris générationnel ou de précarité. Un stage qui ne
serait plus le bizutage organisé sur le marché du travail qu’il est
devenu, mais une formation tremplin vers l’emploi.
Je connais,
madame la ministre, la force de vos engagements sur cette question
qui se trouve à la confluence d’un ensemble de défis auxquels nous
devons faire face : celui de l’emploi des jeunes, celui du progrès
social et de la lutte contre la précarité, et celui de la
modernisation de notre système d’enseignement supérieur au service
de la réussite de tous.
J’ai la conviction que ce projet de loi
nous offre une chance unique de passer à l’action sur les stages et
de faire avancer ainsi beaucoup de nos combats collectifs pour la
conquête des droits sociaux, pour l’université de demain, pour la
jeunesse de France. Je ne peux que vous inviter collectivement à en
saisir l’opportunité. (Applaudissements sur les bancs du
groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues,
notre pays ne va pas bien dans un monde qui, lui, va mieux. La
France s’enfonce dans la croissance zéro, l’hyperendettement public
et le chômage de masse, au moment même où des continents
s’éveillent, où la pauvreté et l’ignorance reculent, où les libertés
progressent dans le monde.
Les jeunes Français s’interrogent :
ont-ils encore un avenir en France ? Seulement 36 % d’entre eux ont
confiance dans l’avenir de notre pays, alors qu’ils sont 75 % à
croire en celui de l’Allemagne. Plus préoccupant encore : 51 % des
jeunes de 25 à 34 ans aimeraient, s’ils le pouvaient, partir vivre
ailleurs qu’en France.
Nous sommes menacés par le déclin
industriel, commercial, mais aussi culturel et même intellectuel si
nous ne parvenons pas à rompre avec un certain nombre de
tabous.
C’est pourquoi notre système d’enseignement supérieur
doit faire preuve d’audace.
Pour commencer, nous ne devons pas
craindre de renforcer ardemment le lien entre l’enseignement
supérieur et le monde de l’entreprise. Chaque étudiant, dès le
premier cycle, doit pouvoir recevoir une formation d’initiation à la
vie de l’entreprise et bénéficier de stages. Dans le même temps, les
instances de gouvernance des universités doivent s’ouvrir, plus
qu’aujourd’hui, à des acteurs de l’industrie, du commerce et des
services.
Ma deuxième conviction est que nous devons assumer
l’existence classes préparatoires et de grandes écoles qui restent
indépendantes des structures universitaires. Prenons garde à ne pas
freiner les initiatives de nos grandes écoles ou à les contraindre ;
elles restent un formidable atout pour notre pays, un ascenseur
social et un instrument de méritocratie républicaine. Nous n’avons
pas à nous excuser de l’existence en France de ces filières
d’excellence.
Troisième impératif : nous devons favoriser une
plus grande ouverture internationale de notre système d’enseignement
supérieur. Notre attractivité auprès des étudiants talentueux des
pays émergents est un enjeu majeur pour maintenir l’influence de
notre pays dans les enceintes diplomatiques, mais aussi pour
conquérir des marchés. La question de la langue de l’enseignement
doit être abordée de manière apaisée. Bien sûr, il faut maintenir le
principe d’un enseignement en langue française. De même, il est
normal que des cours de langue et de culture françaises soient
obligatoires pour les étudiants étrangers.
Est-ce à dire que,
dans nos écoles et nos universités, tous les cours doivent être
assurés en français ? Je ne le crois pas.
Il serait évidemment
absurde qu’un enseignant français maîtrisant moyennement l’anglais,
parlant ce globish que Jacques Myard
dénonce à juste titre, soit obligé de donner une leçon dans un
anglais médiocre. Mais il serait tout aussi absurde d’empêcher un
professeur Américain, invité dans une grande école française, de
donner un cours de commerce international ou de finance en
anglais.
M. Pouria Amirshahi. C’est déjà possible !
M. Guillaume Larrivé.
Faisons preuve d’ouverture et de bon sens, et ne cherchons pas à
tout réglementer dans le détail par la loi. Faisons confiance aux
acteurs de l’enseignement supérieur.
J’en viens à ma quatrième
conviction : il faut renforcer l’ancrage territorial de nos
universités et de nos grandes écoles.
Dans le système
d’enseignement supérieur des années 2030, il ne doit pas y avoir
Paris, quelques métropoles régionales et, partout ailleurs, le
désert français !
Les villes moyennes ont besoin de formations
supérieures ciblées, cohérentes avec les besoins des entreprises, et
articulées avec l’offre d’enseignement des métropoles voisines. Je
suis persuadé qu’une ville comme Auxerre devra former demain plus
d’étudiants, en liaison avec l’université de Bourgogne, sans
s’interdire des partenariats avec des filières de
l’Ile-de-France.
M. Jacques Myard. En œnologie !
M. Guillaume Larrivé.
Vous avez raison, cher collègue, de souligner combien une filière
telle que la viticulture gagnerait à être encore plus valorisée dans
ma belle région de Bourgogne !
Plus sérieusement, je conclurai
en énonçant une cinquième conviction, sans doute la plus
audacieuse : n’ayons pas peur de mettre en œuvre une orientation
sélective des bacheliers vers les différentes filières
d’enseignement supérieur. Chacun a ces chiffres à l’esprit : un
quart des jeunes sortent de l’université sans aucun diplôme, et
seuls 47 % des étudiants inscrits en première année à l’université
passent en deuxième année.
Cet échec massif au cours des
premières années d’université doit être combattu vigoureusement. Il
faut mettre fin à la sélection par l’échec et oser organiser enfin
une orientation sélective active des bacheliers vers les filières
d’enseignement supérieur. C’est pourquoi je suis favorable à ce que
chaque lycéen ouvre un dossier personnel d’orientation et de
candidature qui serait examiné par les établissements d’enseignement
supérieur. Ceux-ci auraient alors non seulement le pouvoir de
refuser une inscription dans une filière, mais aussi l’obligation de
proposer une inscription alternative dans une autre filière. Ainsi,
tous les bacheliers auraient accès à une formation universitaire. La
vraie démocratisation de l’enseignement supérieur sera, demain, de
garantir aux bacheliers une orientation réussie et donc une
formation supérieure qui leur permette véritablement de s’insérer
sur le marché du travail.
Je regrette que votre projet de loi,
madame la ministre, soit à des années-lumière de cette nécessaire
audace. Vous allez bureaucratiser l’organisation de l’enseignement
supérieur tout en rognant les ailes de celles et ceux qui veulent
avancer plus vite et plus loin. Vous allez, hélas, faire prendre du
retard à la France. (Applaudissements sur les bancs du
groupe UMP. )
M. le président. La parole est à Mme Dominique Nachury.
Mme Dominique Nachury.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les
présidents de commission, monsieur le rapporteur, monsieur le
rapporteur pour avis, mesdames et messieurs, vous me permettrez de
commencer cette intervention par l’évocation des conditions dans
lesquelles ce projet de loi est examiné.
Son examen a été
repoussé, notamment pour faire place au texte sur l’ouverture du
mariage et de l’adoption aux couples du même sexe. L’examen des
amendements en commission a été déstructuré, s’achevant lors d’une
séance commencée le mercredi à vingt et une heures trente et achevée
le jeudi à cinq heures trente.
M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Cinq heures !
Mme Dominique Nachury. Le texte de la commission n’a été disponible le vendredi qu’après quinze heures, alors que le dépôt des amendements, prévu avant dix-sept heures, a été reporté au samedi d’un week-end pas ordinaire. Enfin, l’examen du texte se fait sans délai.
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’était bien pire avant ! Vous n’étiez pas encore là, mais si vous aviez vu !
Mme Dominique Nachury.
Ce n’est pas faire injure au président de la commission, qui
s’est adapté au mieux aux circonstances, que de dire que les
conditions n’ont pas été optimales pour débattre de ce projet de
loi.
Pourtant, enseignement supérieur et recherche sont les
outils de formation de notre jeunesse, de notre développement
économique et de notre attractivité
internationale.
Permettez-moi de soulever trois questions
générales avant de choisir quatre points parmi tous ceux qui
pourraient ou devraient être développés. Tout d’abord, quel est le
sens de cette loi qui revient sur une réforme récente, considérée
comme plutôt positive ? Vous-même, madame la ministre, vous en avez
régulièrement souligné la continuité. S’il s’agit d’améliorer un
dispositif, on peut être d’accord ; mais l’objectif semble plutôt de
défaire d’un point de vue technique ce qui a été fait, car les
orientations de réussite des étudiants en licence, de lien entre
secondaire et supérieur, de place du numérique ou des langues
vivantes étaient déjà dans la loi de 2007.
Deuxième question :
quels sont les moyens prévus pour accompagner ces engagements dits
nouveaux ? Le rapporteur a regretté, dans sa présentation en
commission ainsi que dans l’hémicycle, l’absence d’engagements
financiers et appelé de ses vœux un livre blanc de l’enseignement
supérieur et de la recherche, associant stratégie et moyens. La
réalité est que les universités ont dû réduire leur budget de
fonctionnement de 4 %. Quant aux 1 000 postes supplémentaires
destinés à la réussite en licence, ne s’agit-il pas d’un effet
d’annonce à l’heure des gels des postes et des difficultés
financières ? Aucune précision n’est donnée sur la nature de ces
postes et les qualités qui permettraient de s’adapter à un public
hétérogène en première année et de faire évoluer les pratiques
d’enseignement.
Troisième question : quelles sont les
orientations et les propositions pour la vie étudiante ? La réussite
passe pourtant aussi par les conditions de vie des
étudiants.
J’en viens aux quatre points que je souhaitais
développer plus précisément.
Quatrième question, celle de la
gouvernance. Le conseil d’administration s’élargit et ses
compétences se réduisent, tandis qu’à ses côtés est créé un conseil
académique, comptant de quarante à quatre-vingts membres, qui va
décider de la répartition des moyens, du recrutement et de la
gestion des carrières. En faisant coexister président de
l’université et président du conseil académique, ne risque-t-on pas
la confusion, la confrontation et au pire la paralysie ? Les sénats
académiques existent dans des universités étrangères, mais le
conseil d’administration y est très ramassé et plus ouvert à la
société civile qu’aux composantes universitaires.
S’agissant du
regroupement d’établissements, les pôles de recherche et
d’enseignement supérieur, fondés sur l’association volontaire autour
de noyaux durs, sont supprimés. Les communautés d’universités et
établissements sont créées dans une logique territorialisée. Le
risque est grand d’une modélisation mettant en cause l’autonomie et
les spécificités. Peut-on n’avoir qu’une vision
régionaliste ? Quid du rayonnement
national et international ? En Allemagne, où l’enseignement
supérieur est régionalisé, l’État a choisi d’intervenir pour
qu’existent des pôles d’excellence nationaux en capacité de
participer à la compétition internationale.
S’agissant des STS
et des IUT, le projet de loi instaure un pourcentage minimal de bacs
professionnels et technologiques dans ces deux filières. L’objectif
est partagé par tous les acteurs. Cette préoccupation est d’ailleurs
affichée depuis longtemps, et dans de nombreux établissements les
dossiers des candidats bacheliers techniques et professionnels sont
étudiés à part de ceux des candidats bacheliers généraux, et avec
une attention particulière.
Mais la solution des quotas fixés
d’en haut n’est pas nécessairement la bonne réponse, parce qu’elle
ne tient pas compte de la situation territoriale et de la spécialité
des diplômes, et parce qu’elle ne favorise pas le dialogue entre les
IUT, les STS et les lycéens. Or ce dialogue permet de mieux informer
et inciter les lycéens et d’assurer la continuité et
l’accompagnement adapté.
S’agissant enfin de l’évaluation de la
recherche, l’agence d’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur est remplacée par le Haut conseil de
l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur avec un
objet équivalent. Depuis six ans, l’AERES a construit un dispositif
national d’évaluation, acquit une reconnaissance européenne et
mondiale et est référencée sur le web. On ne voit donc guère
l’intérêt de ce changement, par ailleurs coûteux.
On peut aussi
avoir un doute sur l’indépendance et l’impartialité des évaluations
puisque le Haut conseil a pour mission de valider des procédures
d’évaluations réalisées par d’autres instances.
Enfin, je
regrette de n’avoir pas ou peu lu les mots « entreprise »,
« industrie », « excellence », « compétitivité » ou
« international ». (Applaudissements sur les bancs
du groupe UMP. )
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.
Mme Audrey Linkenheld.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission des affaires culturelles et de l’éducation,
messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour la première
fois, enseignement supérieur et recherche sont réunis dans un seul
et même projet de loi. Cela montre bien l’importance que revêt à vos
yeux la recherche, madame la ministre.
Les chercheurs que je
rencontre me disent tous combien ces deux sujets, enseignement
supérieur et recherche, sont inséparables. Et je peux vous dire
qu’ils sont nombreux, ces chercheurs, dans ma circonscription qui
compte deux universités, 200 labos publics et privés dont 31
associés au CNRS, cinq écoles d’ingénieurs et de nombreux instituts
renommés comme l’IEMN et l’INRIA.
La recherche est un levier
essentiel pour contribuer au redressement de notre pays, soutenir
l’activité et l’emploi, et pour développer l’innovation de nos
entreprises et de nos PME. C’est pourquoi il est heureux que ce
projet de loi prévoie le principe d’un agenda stratégique pour la
recherche, le transfert et l’innovation. Il est heureux aussi qu’on
élabore enfin une vraie stratégie nationale de recherche, tant il
est vrai que la SRI de 2009 est considérée par beaucoup comme peu
concluante.
Le nouvel agenda stratégique national devra être
conçu en concertation avec tous les acteurs, mais également, je
voudrais insister sur ce point, en lien avec les orientations
stratégiques européennes. Ces orientations sont tracées dans le 8e
programme-cadre pour la recherche et l’innovation, le programme
européen Horizon 2020.
Il se trouve que j’ai récemment eu
l’occasion, au sein de la commission des affaires européennes, de
présenter avec Jacques Myard…
M. Jacques Myard. Présent !
Mme Audrey Linkenheld. … un rapport d’information sur Horizon 2020 – en français, je le précise pour éviter toute polémique. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Dufau. La pauvre ! Quelle épreuve! (Sourires.)
Mme Audrey Linkenheld.
Ayant travaillé et auditionné de manière approfondie de nombreux
acteurs français concernés par Horizon 2020, je veux ici souligner
combien la cohérence entre le futur agenda français de recherche et
le programme-cadre européen est nécessaire. Cela doit se traduire
d’abord dans les mécanismes d’obtention des financements : il ne
faut plus que nos chercheurs aient, faute de temps ou de lisibilité,
à arbitrer entre répondre à un appel à projet français - et ils sont
devenus nombreux - et répondre à un appel à projet européen.
La
participation d’équipes françaises aux appels à projets européens
évolue trop faiblement en comparaison celle de nos voisins.
Pourtant, les chiffres montrent que le taux de succès, c’est-à-dire
le nombre de dossiers acceptés par la Commission européenne par
rapport au nombre de dossiers candidats, est de 25 % pour les
chercheurs français, ce qui est un taux satisfaisant, et même
largement supérieur à la moyenne européenne dans certaines
disciplines.
Quand nous répondons, donc, nous sommes souvent
sélectionnés. Mais comme nous ne répondons pas souvent, le taux de
retour pour la France, c’est-à-dire les crédits obtenus par les
laboratoires français par rapport à la contribution financière
française au programme européen, reste mitigé. Il est donc essentiel
que la mise en place de l’agenda stratégique national s’articule
bien par rapport au programme-cadre Horizon 2020 pour permettre à
nos chercheurs de répondre davantage aux appels à projets
européens.
L’accompagnement de nos chercheurs est, à cet égard,
un point important. Notre réseau de points de contacts nationaux
pourrait être encore perfectionné pour mieux diffuser l’information
sur nos territoires et accompagner partout les équipes dans
l’ingénierie du montage de projet. Mieux accompagner suppose aussi
de veiller à ce que les administrations françaises ne soient pas
parfois plus exigeantes, plus tatillonnes, voire plus
bureaucratiques que la Commission européenne elle-même, en matière
par exemple de justification des dépenses par les
chercheurs.
L’articulation entre notre agenda national de la
recherche avec Horizon 2020 doit donc se traduire sur le plan
organisationnel. Mais cette articulation doit aussi – et peut-être
surtout – être assurée aussi sur le fond et sur le plan
scientifique. Les axes prioritaires d’Horizon 2020 sont connus :
l’excellence scientifique, la primauté industrielle et l’innovation
dans les PME, sans oublier les grands défis sociétaux comme la
santé, la sécurité alimentaire ou encore la lutte contre le
changement climatique.
Ces priorités, la France les partage, les
porte même comme État membre dans les discussions au niveau
européen. Elle doit également faire en sorte qu’elles soient bien
présentes dans le futur agenda stratégique national avec, dans les
deux cas, un juste équilibre entre le soutien à la recherche
appliquée et le soutien à la recherche fondamentale.
Dans le
même temps, la France doit continuer de veiller, comme vous le
faites avec vos collègues, madame la ministre, à ce que les
différentes lignes de crédits du programme Horizon 2020 soient bien
fléchées vers les secteurs d’avenir, en particulier vers ceux dans
lesquels la France est puissante, comme l’énergie, la santé,
l’aéronautique ou le numérique.
C’est dans un esprit de
cohérence et de bonne articulation avec l’Europe pour et par la
recherche que, madame la ministre, vous avez tracé hier les grandes
lignes de notre futur agenda stratégique pour la recherche, de notre
agenda France Europe 2020, comme l’avez fort opportunément appelé.
Je m’en réjouis et je voterai donc, pour cette raison et bien
d’autres évoquées par mes collègues du groupe SRC, le projet de loi
que vous nous présentez, enrichi des améliorations que notre travail
parlementaire y a apportées et va y apporter encore.
M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
M. Jacques Myard.
Madame la ministre, j’ai deux mots à vous dire au sujet de
l’article 2… Cet article porte la marque des cervelles lavées qui
excellent à s’exprimer en globish et
pensent ainsi se faire comprendre de la terre entière. Certes, la
commission a apporté quelques modifications au texte initial, mais
ces modifications sont purement cosmétiques !
Il faut regarder
les choses avec responsabilité et objectivité. Parler une langue
étrangère est aujourd’hui une évidence ; deux, c’est encore mieux.
De ce point de vue, je crois que nous devons encourager
l’enseignement des langues étrangères pour tous les étudiants –- et
peut-être même pour certains députés.
(Sourires.) Comment faire ? Par les
échanges d’étudiants, notamment par le programme Erasmus Et,
croyez-moi, cela peut très bien fonctionner, même si certains ont
estimés que les crédits étaient excessifs. Faut-il pour autant
organiser un cursus dans une langue spécifique sur notre territoire,
dans nos universités, une telle pratique étant, paraît-il, censée
attirer les étudiants étrangers ?
On nous donne en exemple les
pays scandinaves, telle la Suède, ainsi que les Pays-Bas. Depuis
quand l’analogie avec ces États, valeureux, certes, constitue-t-elle
une politique publique pour notre pays ? Les bras m’en tombent !
Vous n’allez quand même pas comparer la France, avec sa stratégie
d’influence et la francophonie, à la Suède ou aux Pays-Bas ! Cela ne
tient pas la route !
Je relève d’ailleurs qu’à certains égards,
après avoir servi de modèles à certains bobos salonnards, ces États
ont opéré un changement à 180° de leur politique, par exemple en
matière de drogue. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi nous
devrions nous inspirer de ces prétendus exemples de l’étranger :
regardons plutôt où sont nos intérêts. Je relève d’ailleurs que la
République fédérale d’Allemagne, qui avait justement privilégié le
globish dans son enseignement et
démultiplié les cours en anglais, vient de se rendre compte, au
cours de la Hochschulerektorenkonferenz qui
a eu lieu il y a quelques mois, des dégâts de l’enseignement de la
recherche en globish général, qui a abouti
à une véritable catastrophe. Au point que les chercheurs et les
professeurs allemands commençaient même à se demander si la langue
allemande, cette très grande langue européenne qui a permis des
apports inestimables à la science européenne et mondiale, était
encore capable à l’avenir de forger des concepts !
Il y a là un
problème que vous refusez de voir, madame la ministre : ce n’est pas
en publiant uniquement dans une langue ânonnée dans un certain
nombre de publications que l’on va participer à ce qui se passe
aujourd’hui dans le monde : le maelström de la science dépasse
largement ce globish réducteur !
Il est
clair qu’aujourd’hui, si vous êtes en pointe dans votre recherche et
publiez en français, vous serez de toute façon lu dans le monde
entier, car il existe partout des services ayant vocation à éplucher
et traduire les revues scientifiques. Voir le monde scientifique
uniquement à travers ce globish réducteur
est donc une grave erreur.
Si l’on continue à publier uniquement
dans ce globish que certains de nos
chercheurs ont déjà décidé, paraît-il, de voir comme le
deus ex machina, la langue valable, à terme, la
bibliothèque scientifique de la francophonie ne va aller qu’en
s’appauvrissant, ce qui serait une catastrophe !
On nous dit
qu’il faut attirer les étudiants étrangers avec des cursus
entièrement en anglais. Mais de qui se moque-t-on ? Croyez-vous que
les étudiants que nous allons accueillir ne vont pas d’abord tenter
d’aller aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, avant de se rabattre
éventuellement sur la France ? Je vous rappelle que notre pays est
la troisième puissance au monde à accueillir des étrangers. Ce n’est
pas en renonçant à ce que nous sommes que vous allez attirer les
étudiants étrangers, bien au contraire !
Mais il y a plus grave.
La fascination pour cette langue, que l’on nous présente comme la
clé du monde d’aujourd’hui, me fait penser à celle qu’éprouvaient
les stratèges de 1940 à l’égard de la ligne Maginot, censée nous
protéger des chars de Guderian. Regardons les choses telles qu’elles
sont : l’anglais est aujourd’hui une langue en déclin, madame la
ministre ! Il suffit pour s’en convaincre de regarder les
statistiques sur Internet : alors qu’il y a quelques années,
celles-ci étaient exclusivement en anglais, elles sont désormais
dans une multitude de langues.
M. Dino Cinieri. Absolument !
M. Jacques Myard.
Nous sommes entrés de plain-pied dans le monde des puissances
relatives et, à ce titre, privilégier le
globish revient à porter une vision dépassée sur le
monde : ce n’est donc pas regarder la réalité. Les grandes langues
de l’avenir seront le chinois, l’espagnol et l’arabe. L’anglais
restera tout de même une grande langue – de même que le français,
grâce aux Africains qui, eux, ont le courage de le parler et de ne
pas refuser la réalité du monde.
Que nos ingénieurs n’espèrent
pas pénétrer le marché chinois sans parler le chinois ! Penser que
l’anglais constitue un sésame pour la Chine est une grave erreur !
Je sais de quoi je parle, ayant moi-même négocié avec les Chinois :
sortez de votre hôtel, pas un mot d’anglais ne pourra vous aider
pour traverser le pays: il faut être sinisant.
Tout cela est à
replacer dans le contexte de l’Union européenne. On assiste, à
Bruxelles, à un matraquage en anglais par la Commission, qui a pour
conséquence de faire disparaître peu à peu le français en tant que
langue de travail – avec du reste la complicité de nos diplomates,
qui se vautrent avec délices dans l’adoration de l’anglais dans
l’espoir d’avoir l’air intelligent. Et grâce à eux, le français
recule tous les jours!
Face à ce phénomène, que faites-vous,
madame, pour protéger et renforcer la langue française ? Comment se
fait-il que, comme Audrey Linkenheld et moi-même l’avons constaté,
presque toutes les publications qui sortent de Bruxelles soient
aujourd’hui en anglais ? Nous ne devons pas renoncer à exercer une
stratégie d’influence, en refusant ce que veulent nous imposer un
certain nombre de technocrates coupés de la réalité – une réalité
qui va leur revenir en boomerang dans la figure !
Comme nous
l’avons indiqué dans nos conclusions, il est clair que le français
doit continuer à être une langue scientifique, que nous devons
continuer à défendre bec et ongles. Pour cela, nous devons publier
en français, même s’il faut accompagner les textes d’un résumé en
chinois, en arabe et en espagnol – croyez-moi, si la publication est
de qualité, elle ne manquera pas d’être traduite par les chercheurs
du monde entiers, désireux d’en prendre connaissance.
Une
langue, c’est un monde de pensée. En enseignant notre langue, nous
ne donnons pas simplement accès à une technique, à la
nanotechnologie ou à la médecine, nous ouvrons la porte sur la
maison France : C’est un atout économique, madame la
ministre.
On ne segmente pas les connaissances et les
possibilités de la France, on les ouvre tout grand. Lorsque l’on
défend notre langue et qu’on l’enseigne à des étrangers, on leur
ouvre l’accès au cinéma français, à la littérature française, au
droit français. Sinon, on va droit dans la segmentation de la
connaissance, et on a tout faux !
M. Daniel Fasquelle vous l’a
dit tout à l’heure et il avait raison:, à un moment où le
Gouvernement, avec raison, essaie d’introduire dans l’accord qui va
être noué entre l’Union européenne et les États-Unis une exception
culturelle, que vous vous faites les fourriers des intérêts
anglo-saxons : ce n’est pas acceptable !
L’article 2 est
véritablement le « porteur de valises » d’un
imperium qui nous a certes apporté beaucoup, mais
qui ne saurait constituer une explication du monde suffisante. Dès
lors, prenez garde : les querelles linguistiques, madame, ont
toujours été les prémices de bouleversements fantastiques en Europe.
Voyez ce qui se passe en Belgique, voyez ce qui s’est passé dans
l’ex-Yougoslavie et en Union soviétique : ce sont véritablement des
bombes à retardement.
M. Jacques Myard.
Une langue, c’est un monde de pensée. En enseignant notre langue,
nous ne donnons pas simplement accès à une technique, à la
nanotechnologie ou à la médecine, nous ouvrons la porte sur la
maison France : C’est un atout économique, madame la
ministre.
On ne segmente pas les connaissances et les
possibilités de la France, on les ouvre tout grand. Lorsque l’on
défend notre langue et qu’on l’enseigne à des étrangers, on leur
ouvre l’accès au cinéma français, à la littérature française, au
droit français. Sinon, on va droit dans la segmentation de la
connaissance, et on a tout faux !
M. Daniel Fasquelle vous l’a
dit tout à l’heure et il avait raison:, à un moment où le
Gouvernement, avec raison, essaie d’introduire dans l’accord qui va
être noué entre l’Union européenne et les États-Unis une exception
culturelle, que vous vous faites les fourriers des intérêts
anglo-saxons : ce n’est pas acceptable !
L’article 2 est
véritablement le « porteur de valises » d’un
imperium qui nous a certes apporté beaucoup, mais
qui ne saurait constituer une explication du monde suffisante. Dès
lors, prenez garde : les querelles linguistiques, madame, ont
toujours été les prémices de bouleversements fantastiques en Europe.
Voyez ce qui se passe en Belgique, voyez ce qui s’est passé dans
l’ex-Yougoslavie et en Union soviétique : ce sont véritablement des
bombes à retardement.
M. Pouria Amirshahi. C’est vrai.
M. Jacques Myard. Faites attention : on ne se bat pas pour une boîte de petits pois, mais pour notre langue, fondement de notre identité (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Christophe Borgel, rapporteur pour avis. Quelle ovation !
M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.
M. Gilles Lurton.
Madame la ministre, beaucoup de choses ayant déjà été dites, je
centrerai mon intervention non sur l’article 2, mais sur l’article
18 du projet de loi.
Le dispositif institué à l’article 18 vise
à conférer une priorité d’accès vers les sections de techniciens
supérieurs aux titulaires d’un baccalauréat professionnel et vers
les instituts universitaires de technologie aux titulaires d’un
baccalauréat technologique.
Si, de prime abord, cette mesure
peut paraître séduisante – plusieurs collègues de la majorité l’ont
reconnu tout à l’heure –, en ce qu’elle peut éviter d’orienter un
trop grand nombre de ces bacheliers vers l’université et contribuer
ainsi à diminuer le taux d’échec contre lequel vous voulez lutter,
madame la ministre, elle peut aussi avoir très rapidement des effets
destructeurs sur les IUT : c’est ce que je veux essayer de vous
démontrer.
Une constatation, au préalable : il n’existe pas
toujours un nombre suffisant de bacheliers technologiques
susceptibles d’être accueillis en IUT, à moins de vouloir niveler
par le bas le niveau d’enseignement dispensé et donc de diminuer le
taux de réussite des IUT.
En effet, s’ils constituent
globalement un tiers des élèves en IUT, les bacheliers
technologiques ne forment que 20 % des effectifs, voire même 15 %
dans certaines filières comme l’informatique ou
l’information-communication. Je citerai un exemple concret : à
Nantes, alors que 94 % des places étaient ouvertes cette année, au
sein des IUT, aux bacheliers technologiques, seuls 20 % d’entre eux
s’y sont inscrits.
L’instauration d’un pourcentage minimal,
assimilé aujourd’hui par les directeurs et les enseignants d’IUT à
un quota, me paraît donc contre-productive.
En effet, dans la
situation actuelle, chaque conseil d’IUT détermine sa stratégie de
recrutement à l’aide de cibles claires qui dépendent de la
spécialité du diplôme dispensé et du marché local de l’emploi. Ces
conseils cherchent à adapter leurs formations et leurs recrutements
au contexte régional.
Cela explique, sans nul doute, le taux de
réussite et le taux d’accès au marché de l’emploi des étudiants
ayant suivi une telle formation. Nous savons aujourd’hui que le taux
de réussite des bacheliers technologiques titulaires d’un diplôme
universitaire de technologie est de 68 %, alors qu’à titre de
comparaison, il n’est que de 13,5 % en licence.
C’est la raison
pour laquelle, à des quotas imposés, je préfère des objectifs ciblés
qui émanent du terrain et des spécificités de chaque IUT. Il revient
à chaque jury d’admission de fixer des objectifs en fonction des
candidatures à examiner.
Il n’est bien entendu pas question de
refuser d’accueillir plus d’un certain nombre de bacheliers
technologiques ; c’est même tout le contraire qui doit être fait :
les 115 IUT de France y sont tout à fait favorables, ainsi qu’à une
co-construction avec les recteurs sur la base de conventions
d’orientation entre lycées et établissements d’enseignement
supérieur. C’est d’ailleurs une préoccupation qu’ils affichent
depuis longtemps et qui se traduit concrètement dans leur sélection.
Il est toutefois inutile que le recteur se substitue aux jurys
d’admission en proposant des quotas.
Le véritable problème tient
au fait, je le répète, que les IUT n’ont pas assez de candidats
issus des filières technologiques. Les obliger à renoncer à leurs
critères de sélection pour permettre l’admission en leur sein de
jeunes bacheliers technologiques qui ne sont pas motivés par les
formations dispensées en IUT et qui désirent, pourquoi pas, se
réorienter vers un cursus plus général en université, me paraît
totalement contraire au principe de liberté de choix des étudiants
et à la volonté de préserver une intégration dans l’emploi à l’issue
d’une formation en IUT.
Si la volonté du Gouvernement consiste,
par cet article 18, à augmenter le nombre de bacheliers
technologiques en IUT, il doit inscrire son action dans une
perspective de long terme et faciliter les campagnes d’information
dans les lycées pour inciter ces futurs bacheliers à s’intéresser
davantage à ce type de formations.
Comme vous le voyez, votre
article 18, s’il peut sembler réorienter les IUT vers leur véritable
destination, risque en réalité de réduire leur attractivité, leur
niveau de recrutement et, partant, leur taux de réussite. Je crains
malheureusement, s’il demeure en l’état, qu’il amorce la disparition
programmée d’un système d’études qui a fait ses preuves, constitue
un levier important de l’insertion professionnelle des jeunes et
joue un rôle d’ascenseur social en faveur de ceux qui sont souvent
le plus en difficulté (Applaudissements sur les bancs du
groupe UMP. )
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.
M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Enfin un propos équilibré !
M. Jean-Pierre Dufau.
Je veux tout d’abord féliciter le Gouvernement en raison de la
priorité qu’il accorde à l’éducation et, partant, à la jeunesse de
notre pays.
Les projets de loi sur la refondation de l’école de
la République et celui dont nous débattons, relatif à l’enseignement
supérieur et à la recherche, constituent, chacun à son niveau, les
deux volets d’une même démarche : celle du parti pris de l’éducation
et du savoir, celle de l’émancipation de l’individu, celle de
l’intelligence et du progrès.
Votre projet de loi, fort de
soixante-neuf articles, a pour objectif prioritaire la réussite des
étudiants mais aussi, par la prise en compte de la recherche dans
toute sa diversité, la réponse aux grands enjeux sociétaux à
venir.
Par ailleurs, puisque nous touchons à l’universel, votre
projet de loi comporte nécessairement des dimensions européenne et
internationale. Personne ne saurait contester de telles
orientations, qui permettent d’anticiper les défis de demain, sans
pour autant sacrifier les fondamentaux des cultures dont nous
héritons. Cela me fait songer à ces mots du poète André Chénier : «
Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques ».
Après
avoir souligné l’importance et l’ambition de cette loi – que, vous
l’aurez compris, je soutiens – permettez-moi néanmoins, madame la
ministre, de m’étonner que le débat et la médiatisation qui
l’entourent, loin de porter sur l’ensemble du texte, se focalisent
sur l’article 2. Je vous ai écrit à ce sujet en ma qualité de
président délégué de l’assemblée parlementaire de la francophonie.
Vous m’avez apporté une réponse argumentée, en soulignant la
possibilité « d’une dérogation encadrée au principe de l’usage du
français comme langue d’enseignement » par une interprétation
extensive de la loi Toubon. Trois arguments viennent à l’appui de
votre point de vue : premièrement, ce droit résulte d’une demande
des établissements d’enseignement supérieur ; deuxièmement, il
ajouterait à l’attractivité de notre enseignement supérieur, ce que
l’on peut admettre ; troisièmement, il précise et encadre un
mouvement déjà existant.
Tout en prenant acte de vos arguments,
je m’interroge : s’il s’agissait, notamment, de régulariser une
situation de fait, fallait-il recourir à des dispositions
législatives ou pouvait-on se contenter de mesures réglementaires ?
Était-il nécessaire de relancer un débat déjà tranché dans les
grandes écoles et certaines universités ?
M. Pouria Amirshahi. Très bonne question !
M. Jean-Pierre Dufau. Vous comprenez que ma volonté n’a jamais été de provoquer ni d’attiser ce débat. Les amendements déposés par le rapporteur et plusieurs de nos collègues démontrent que la volonté d’encadrer ce dispositif est largement partagée. Chacun, de bonne foi, essaie d’apporter sa pierre à l’édifice et nombre de suggestions méritent d’être regardées et analysées sans a priori plutôt que d’être balayées d’un revers de main.
M. Pouria Amirshahi. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Dufau. Par ailleurs, la prise en compte des amendements parlementaires n’est pas un aveu de faiblesse, mais participe de la coproduction législative.
M. Yves Censi. Ah !
M. Jean-Pierre Dufau.
En ce qui me concerne, je vous propose de considérer la
possibilité de mettre entre parenthèses cet article 2, pour donner
le temps à ceux qui le souhaitent de parvenir à une rédaction plus
consensuelle d’ici son adoption définitive. Je crois savoir que bon
nombre de députés ainsi que, pour leur avoir parlé, un certain
nombre de sénateurs, partagent cette volonté.
Il nous
appartiendra aussi de veiller, comme vous le dites, à ce que les
étudiants étrangers ayant fait leurs études en France soient
véritablement les ambassadeurs de la francophonie et de notre
culture universelle : c’est un objectif qu’il ne faut jamais perdre
de vue. La francophonie n’est pas une cause ringarde, comme l’a
souligné, en termes plus diplomatiques que les miens, M. Abdou
Diouf, secrétaire général de la Francophonie, dans un courrier
adressé à M. le Premier ministre. La francophonie milite pour la
diversité culturelle, contre l’uniformité. Nous le savons bien, nous
qui, par ailleurs – n’est-ce pas, monsieur le président de la
commission des affaires culturelles – nous battons aussi, parfois,
pour défendre l’exception française.
La langue n’est pas
simplement vernaculaire ; elle est aussi l’expression d’une culture,
d’une conception et d’une philosophie de société, chacun le sait
bien ici. Pour autant, il faut savoir en sortir. Le débat qui va
suivre permettra, si chacun le veut, de parfaire la coproduction
législative que j’évoquais précédemment.
M. Yves Censi. C’est un hommage rendu à Jean-François Copé !
M. Jean-Pierre Dufau. Il nous incombe à tous de dépasser des positions figées, par une écoute réciproque, et par là même de confirmer qu’impossible n’est pas français (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. )
M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.
M. Dino Cinieri.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les
rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi, issu d’une des
nombreuses promesses de campagne de François Hollande, est très loin
de répondre aux enjeux fondamentaux de l’enseignement supérieur et
risque, en rigidifiant leur gouvernance, de briser la dynamique qui
a été engagée depuis cinq ans dans les universités
françaises.
Après vous être attaqués à l’école de la République,
dans notre assemblée, il y a quelques semaines et ces jours-ci au
Sénat, vous détricotez une fois de plus le travail de la législature
précédente.
Avec mes collègues de l’opposition, nous reprochons
tout d’abord à ce texte de réduire presque à néant l’autonomie des
universités en accumulant notamment les contraintes
institutionnelles et administratives, et en faisant disparaître des
spécialités qui contribuent pourtant à l’attractivité de nos
universités. J’en suis désolé pour notre collègue Valérie Pécresse,
qui avait accompli un travail remarquable.
Vous prétendez
corriger ce que vous appelez les dysfonctionnements de la loi sur
les libertés et responsabilités des universités. J’admets que cette
loi a favorisé une concentration du pouvoir au bénéfice des
présidents d’université, mais il s’agissait de permettre aux
établissements d’enseignement supérieur de développer une véritable
vision stratégique.
Même sur vos bancs, et parmi vos amis,
notamment M. François Patriat, président du conseil régional de
Bourgogne, certains pointent le risque de dilution du pouvoir
universitaire et soutiennent la réforme ambitieuse mise en œuvre
sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Cette réforme a notamment
permis aux universités françaises de devenir autonomes : au plus
près des réalités du terrain, les établissements disposent ainsi de
tous les leviers pour conduire les stratégies les plus adaptées à
leur contexte, afin d’améliorer leurs performances et de peser
davantage dans la compétition internationale.
Cette loi a été
accompagnée par une augmentation sans précédent des moyens accordés
aux universités, avec une progression de 50 % du budget consacré à
l’enseignement supérieur entre 2007 et 2012, qui est passé de 10 à
15 milliards d’euros par an.
Tout comme vous, nous souhaitons la
réussite des étudiants. Mais nous sommes sceptiques, car ce texte,
par exemple, ne comporte aucune mesure en faveur du logement
étudiant ou du développement de filières d’excellence dans les
premiers cycles universitaires, alors qu’une telle disposition
contribuerait à rendre l’université plus attractive par rapport aux
grandes écoles.
La disparition des spécialités de masters que
vous envisagez contribuera également à la perte d’autonomie des
universités, à l’anonymat des diplômes et au nivellement par le bas.
À terme, elle risque de favoriser le développement d’un enseignement
supérieur privé à vocation étroitement professionnelle. Une fois de
plus, ce seront les étudiants modestes et issus des classes moyennes
qui seront mis sur le côté, ce qui n’est pas admissible.
Alors
qu’il aurait fallu poursuivre la démarche entamée par la loi LRU en
allant vers une autonomie encore plus claire au bénéfice
d’enseignements de qualité, la France engage son enseignement
supérieur à contre-courant de toutes les grandes organisations
universitaires du monde.
J’ajouterai quelques mots enfin sur
l’enseignement de la langue de Molière ; j’aurais l’occasion d’y
revenir lorsque nous examinerons l’article 2. Renoncer à enseigner
le français au sein de nos universités, comme vous le prévoyez à
l’article 2, madame la ministre,…
M. Yves Durand. Ce n’est pas cela !
M. Dino Cinieri. … représente un très grave abandon de souveraineté intellectuelle et culturelle. Si cet article devait être adopté, nos étudiants dans les disciplines scientifiques et de la recherche ne travailleraient plus qu’en anglais. Or, si nos étudiants doivent en effet progresser en langues étrangères, car leur niveau est plus faible que chez nos voisins, on ne peut pas accepter que le français soit ainsi déconsidéré, et bientôt oublié. J’en veux pour preuve l’exemple de la Commission européenne, où de plus en plus de textes ne sont malheureusement plus traduits en français.
M. Yves Censi. Et donc pensés en anglais !
M. Dino Cinieri.
De manière plus générale, ce texte manque d’ambition pour un
secteur qui touche pourtant à l’avenir de notre pays : les moyens
consacrés à l’enseignement supérieur sont en baisse, l’initiative
des acteurs va être bridée et rien n’est fait pour aider les
étudiants. Alors que l’enseignement supérieur a besoin de souplesse
et de marges e manœuvre pour se moderniser, votre projet de loi,
madame la ministre,ne fait que recentraliser le système et donner
des gages aux corporatismes internes.
Vous dénoncez, chers
collègues de la majorité, la réforme que nous avions mise en œuvre.
Pourtant, je tiens à vous rappeler que l’autonomie que nous avons
proposée a été plébiscitée par les universités : choisie librement
par cinquante et une universités sur quatre-vingt quatre au
1er janvier 2010, elle l’a été par
soixante-treize universités au 1er janvier
2011. Depuis le 1er janvier 2012, toutes les
universités,à l’exception des universités de La Réunion, des
Antilles-Guyane et de Polynésie française, bénéficient des
responsabilités et compétences élargies.
Pour toutes ces
raisons, madame la ministre, vous comprendrez que je vote contre ce
projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Censi.
M. Yves Censi.
Madame la ministre, avec une vingtaine de moutures successives
depuis le début de l’année, votre projet de loi va de compromis en
compromis, sans satisfaire personne, et finalement sans apporter
d’éléments réellement novateurs. Il est malheureusement sans vision
et sans aucune véritable ambition pour l’enseignement supérieur et
la recherche.
Comment en est-on arrivé là ? Votre texte est un
agrégat de mesures cosmétiques, idéologiques et, enfin, techniques,
essentiellement inspirées par le souci de défaire ce qui avait été
fait.
Vous n’hésitez pas à remettre en cause les pôles de
recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, qui réunissent
aujourd’hui l’ensemble des universités et la plupart des grandes
écoles dans des structures communes, alors que cela avait été un
travail gigantesque de les réunir.
Vous décidez de fondre les
quelque cent établissements français d’enseignement supérieur
actuels en une trentaine de sites, les « communautés
d’universités », qui n’auront comme compétences que celles que les
établissements voudront bien leur déléguer. Puisque ces
établissements seront minoritaires au sein de cette nouvelle entité,
on ne peut malheureusement s’attendre qu’à des problèmes de
gouvernance considérables qui risquent fort de faire de cette
communauté une coquille vide.
À l’heure où l’enseignement
supérieur et la recherche français doivent s’inscrire plus que
jamais dans une compétition internationale de plus en plus intense,
vous faites le choix de la régionalisation. L’Allemagne a connu la
régionalisation et elle en revient actuellement : le gouvernement
allemand a repris la main pour faire émerger des pôles d’excellence
nationaux capables d’entrer dans la compétition internationale.
Mais, après tout, pourquoi tirer les enseignements des échecs des
autres lorsque nous pouvons les éprouver nous-mêmes ? C’est la
question que l’on se pose à la lecture de votre projet de loi…
Votre ambition ne se résume qu’à prendre le contrepied de ce
que le gouvernement précédent a construit en détricotant l’autonomie
des universités et à avancer à contresens par rapport à ce qui est
fait dans les autres pays.
Vous choisissez de mettre un frein au
développement d’établissements de premier plan et de sacrifier toute
ambition de l’excellence sur l’autel d’un égalitarisme, au demeurant
tout à fait théorique, totalement incompatible avec la compétitivité
dont notre enseignement supérieur a besoin.
L’enseignement
supérieur et la recherche sont les meilleurs outils de notre
développement économique et de l’attractivité de notre territoire ;
encore faut-il leur donner les moyens financiers et structurels de
conserver et d’amplifier leur niveau d’excellence. Or votre
gouvernement manque cruellement d’ambition, au plan tant national
qu’international. Pire encore, vous vous attaquez aux réseaux
d’excellence. Ce peut être par exemple de grands établissements
spécialisés autour de thèmes d’enseignement et de recherche; c’est
aussi les établissements de l’enseignement supérieur associatif,
dont vous menacez 1’avenir tant vous avez coupé leurs subventions, à
hauteur de plusieurs millions d’euros. L’efficacité de ces
établissements est pourtant reconnue sur la scène internationale en
matière d’innovation pédagogique, d’accompagnement des étudiants, de
formation à l’entreprenariat, de recherche partenariale avec les
entreprises, d’ouverture sociale et internationale. Une fois encore,
c’est un rendez-vous manqué, madame la ministre.
Et puisque nous
parlons de recherche, je voudrais dire un mot sur la recherche
agricole, puisque votre texte s’en exonère totalement, alors que
notre agriculture est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs de
production et de durabilité, et ce dans un contexte de crise
économique et de croissance de la population mondiale, une
population qu’il faudra nourrir. La France a sa place et son rang à
tenir sur ce sujet.
Je crois très fortement à la complémentarité
entre recherche fondamentale, recherche finalisée et recherche
appliquée pour garantir la compétitivité et l’adaptation de notre
agriculture aux enjeux actuels. Et pour cela, nous devons nous
appuyer sur le fameux réseau ACTA qui regroupe les instituts
techniques agricoles, et le réseau ACTIA qui fédère les activités
des instituts techniques agro-industriels. Je regrette profondément
que ces têtes de réseau ne soient pas plus impliquées dans le débat
public et se retrouvent au final totalement absentes de ce projet de
loi. Là encore, c’est un rendez-vous manqué.
Globalement, madame
la ministre, votre projet de loi est désolant, au sens premier du
terme. Avec ce texte, c’est non pas d’un compromis que les assises
ont accouché, mais du plus petit dénominateur commun. Ce dernier
n’est donc absolument pas en phase avec les défis du XXIe
siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Faure.
Mme Martine Faure.
Á cette heure tardive, je voudrais rappeler que le projet de loi
que nous étudions est le fruit d’une démarche fondée sur le dialogue
et la confiance et qu’il s’inscrit dans la continuité de la loi de
refondation de l’école. Il traduit la volonté de notre gouvernement
de réformer l’enseignement en profondeur, ouvrant ainsi la porte
vers toutes les transformations et tous les possibles, de la
maternelle à l’université.
Logique, cohérence, soulagement : le
Président de la République et le Gouvernement, et vous-même, madame
la ministre, avez parfaitement compris que l’enseignement occupait
une place essentielle dans le redressement de noter pays.
Grâce
à la refondation de l’école, à l’investissement dans l’enseignement
supérieur et la recherche, nous pouvons former l’espoir de préparer
la France de demain ; soyez-en remerciée.
Hier, nous avons
étudié le texte de programmation qui posait la première pierre de la
refondation de l’école ; aujourd’hui, madame la ministre, nous
examinons un texte qui, à l’autre bout de la chaîne, s’attaque à un
nouveau maillon : l’enseignement supérieur et la recherche. Pour la
première fois de notre histoire, et beaucoup de nos collègues l’ont
souligné, l’ensemble des questions relatives à ces sujets sont
traitées par une seule et même loi d’orientation. Je souhaite
insister tout particulièrement sur la cohérence historique que vous
avez imprimée à ces travaux en examinant concomitamment ces deux
textes dont le lien indéfectible passe par la formation des maîtres
et des enseignants.
Nous le savons aujourd’hui, la coopération
entre les acteurs et les établissements est indispensable. La
performance collective passe par un renforcement souple de tous les
maillons de la chaîne de l’enseignement, des maillons forts et des
passerelles bien huilées. Nous devons donc tous travailler en
spécialistes, mais sans jamais oublier de nous retourner, et dans le
même élan regarder vers l’avant.
Je le disais à l’ancien
ministre de l’éducation : comment pouvons-nous parler de la réussite
à l’université si nous négligeons l’école maternelle et le
primaire ? Mais je parle d’un autre temps, où trop souvent
l’excellence avait droit de cité et où tous les moyens convergeaient
vers cette idéologie complètement inégalitaire.
Aujourd’hui, la
priorité essentielle est la réussite étudiante – je m’en réjouis –,
ce qui passe par l’objectif d’augmenter significativement le nombre
de diplômés du supérieur dans chaque classe d’âge.
La réussite
de nos étudiants dépend de la qualité des enseignements, d’une bonne
orientation, mais aussi des conditions de vie des étudiants à
l’intérieur des universités. La pérennisation du dixième mois de
bourse, la création de 40 000 logements sur cinq ans pour les
étudiants et l’accès aux soins de ces derniers sont les premières
mesures que nous avons prises dans ce sens.
Pour faciliter
l’accompagnement des étudiants vers la réussite, ce texte réforme le
cycle de la licence et affirme la continuité entre le secondaire et
le supérieur et le rapprochement entre toutes les filières
post-baccalauréat. Il s’appuie sur le renforcement des passerelles,
tout comme le projet de loi de refondation de l’école de la
République visaient à renforcer les liens entre la maternelle et le
primaire, le primaire et le collège, pour éviter le décrochage et
faciliter l’accès à chaque nouvelle étape de la scolarité. Il
réaffirme la nécessité d’un décloisonnement entre les disciplines,
entre les cursus, entre les établissements, entre les sites. La
simplification des procédures et des structures et leur
interactivité permettront aux jeunes étudiants de corriger leur
choix, de s’orienter en meilleure connaissance de cause et de jouir
d’une plus grande latitude dans leur ambition.
Je tiens
également à louer le fait que ce projet de loi accorde une attention
particulière à l’orientation, avec une spécialisation progressive
dans le premier cycle de la licence, et à l’accompagnement
personnalisé des étudiants par l’innovation pédagogique, avec le
développement de l’enseignement numérique et la formation par
alternance, véritable composante économique pour une intégration
réussie dans les milieux professionnels. Le secteur économique
attend beaucoup de cette insertion progressive dans le monde de
l’emploi. Enfin, ce texte incite largement à la mobilité des
étudiants et des chercheurs ainsi qu’à l’accueil d’étudiants
étrangers – je ne m’y appesantirai point.
Ce projet de loi
marque véritablement un progrès car il réaffirme l’importance de
toutes les composantes de l’université, le rapprochement des
universités et des grandes écoles. L’interaction entre les
différents acteurs garantira un développement plus harmonieux et
plus égalitaire entre les territoires.
De la réforme de la
formation des enseignants envisagée dans la loi sur la refondation
de l’école découlera la création des écoles supérieures du
professorat et de l’éducation dès la rentrée 2013. Ces ESPE seront
le noyau commun entre l’école, l’université et la recherche au
travers de la transmission des savoirs et savoir-faire. Elles
s’appuieront, si je puis me permettre cette comparaison, sur le
modèle d’organisation des IUT, un modèle qui a fait ses preuves.
Cette filière, qui est destinée à préparer à l’insertion
professionnelle, doit prendre très clairement sa place dans le cycle
licence.
Vous l’avez compris, madame la ministre : le
redressement de la France nécessite de considérer l’écolier et
l’étudiant comme des messagers de l’avenir.
Le temps de
l’éducation, rappelons-le, est nécessairement long. La culture de
l’école et de l’université n’est pas celle de l’émotion et de
l’instantanéité. Elle est celle de la raison et du temps patient et
persévérant.
Ce nouveau texte que vous nous proposez, madame la
ministre, conjugue objectifs et moyens. Investir dans le savoir,
surtout dans les moments où les moyens financiers sont rares, c’est
préparer la France de demain.
J’invite donc mes collègues de
l’opposition à regarder ce texte avec beaucoup plus d’objectivité:
il donne un nouvel élan à la recherche, il nous engage vers la
réussite d’un plus grand nombre d’étudiants et vers le rayonnement
de nos universités dans le monde.
Pour toutes ces raisons, et
pour toutes celles que je n’ai pas pu évoquer durant les cinq
minutes qui m’étaient imparties mais que mes collègues ont exposées,
nous soutiendrons ce projet, que nous espérons enrichir tout au long
de cette semaine. (Applaudissements sur les bancs du
groupe SRC. )
M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président
de la commission, messieurs les rapporteurs, chers collègues, la loi
relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi
Précresse, est l’une des premières grandes lois du quinquennat
précédent. Dès le mois de juillet 2007 la majorité s’était attelée à
un sujet prioritaire pour elle, la question des universités, en leur
permettant de devenir autonomes. Au plus près des réalités du
terrain, les établissements disposaient ainsi de tous les leviers
pour conduire les stratégies les plus adaptées à leur contexte, afin
d’améliorer leurs performances et peser davantage dans la
compétition internationale.
Cette réforme majeure allait dans le
sens des évolutions menées dans de nombreux pays européens. Elle
était accompagnée d’une augmentation substantielle des moyens
accordés aux universités, avec un budget consacré à l’enseignement
supérieur en progression de 50 % entre 2007 et 2012, passant de 10 à
15 milliards d’euros par an.
Cette loi renforçait le rôle des
présidents d’université en leur donnant une réelle responsabilité
sur leur masse salariale, leur recrutement et leur organisation, et
incitait à l’émergence de pôles d’excellence de niveau
international. La mutation a d’ailleurs été réelle, comme le
reconnaît l’éditorialiste du Monde ce
mercredi.
Vous auriez pu abroger la LRU, madame la ministre.
Vous ne l’avez pas fait, ce qui est déjà une certaine forme de
reconnaissance, alors que le parti socialiste n’a eu de cesse de la
dénoncer.
M. Jean-Pierre Dufau. Mais non !
Mme Virginie Duby-Muller.
En fait, comme vous avez l’habitude de le faire depuis votre
arrivée au pouvoir, vous procédez à un détricotage méticuleux. Ni
évolution ni révolution dans votre texte ; il s’agit plutôt d’une
loi de régression, avec des crédits en baisse. Les moyens restent en
effet les grands absents de votre texte, madame la
ministre.
Pourtant, la jeunesse n’était-elle pas censée être une
priorité de votre candidat ?
Mme Martine Faure. Elle l’est !
Mme Virginie Duby-Muller.
D’ailleurs, la conférence des présidents d’université – la CPU –,
qui vous était favorable au moment de la présentation de votre
projet de loi, critique désormais avec force ce qu’elle appelle
« une tromperie sur les moyens 2013 affectés aux universités ». Elle
parle même d’un projet LRU II non financé, et vous a demandé de
retirer votre texte afin de réfléchir à une révolution de l’ensemble
du premier cycle.On comprend alors, comme Patrick Hetzel l’a
clairement explicité mardi, pourquoi vous avez demandé tout à la
fois l’urgence sur ce texte et un temps programmé, avec des
conditions d’examen en commission improbables. Du reste, cette
fébrilité législative semble révélatrice d’une fragilité
politique.
Mais venons-en aux mesurettes qui ne sont, en
définitive, que des mesures techniques, essentiellement inspirées
par le souci de défaire ce qui a été fait. Permettez-moi d’évoquer
les quotas de places dans les IUT, une mauvaise solution aux
problèmes de débouchés des bacheliers des filières
technologiques.
M. Olivier Véran, rapporteur pour avis. Et quelle est la bonne solution ?
Mme Virginie Duby-Muller.
Même si vous avez évoqué la fixation de ces quotas dans la
concertation, vous n’avez pas réussi à calmer la colère des
directeurs et présidents d’IUT, en grève jeudi dernier. La
préservation des IUT n’était-elle pas, pourtant, une promesse de
campagne de votre candidat ? Concernant la nouvelle gouvernance des
universités, elle semble provenir de l’organisation délibérée d’un
face-à-face entre deux instances, un conseil académique pléthorique
que vous créez, et le conseil d’administration. Cette université
bicéphale semble vouée à paralyser et bloquer le système. Il ne peut
y avoir qu’une autorité décisionnelle, le président et son conseil
d’administration, sauf à vouloir la mort d’un système, au point que
certains ont évoqué un projet mortifère pour l’enseignement
supérieur, ou des universités transformées en navire ingouvernable,
voire en bateau ivre.
Continuons de détailler le détricotage :
que deviendront les pôles de recherche et d’enseignement supérieur –
PRES –, qui avaient pourtant été créés pour constituer des champions
de la formation et de la recherche ? Vous les supprimez, madame la
ministre, pour les remplacer par des communautés d’université et
d’établissement, dans une logique territorialisée qui risque de se
transformer en regroupements forcés, au mépris de l’autonomie des
établissements et de leur rayonnement, lequel doit être national et
international. Certains grands organismes de recherche, que vous
connaissez, m’ont fait part de leurs inquiétudes à ce
propos.
Enfin, vous détricotez le dispositif d’évaluation :
l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement – l’AERES
– reconnaissait elle-même qu’elle devait améliorer ses procédures.
Mais votre condamnation est sans appel, et répond à une commande
politique. Comment oser dire que cela ne marchait pas, que
l’évaluation n’était pas faite par les pairs, alors que l’AERES
faisait appel à des scientifiques reconnus, français et étrangers,
et même à des prix Nobel ? Elle était accréditée au niveau européen.
Quelle régression, et quelle image désastreuse en Europe, où nous
serons isolés !
Madame la ministre, malgré de longs débats
préliminaires, votre projet de loi manque d’ambition, d’audace et de
souffle. Il déçoit, alors que, comme l’écrit Valérie Pécresse, nous
aurions dû avoir un acte II de la réforme des universités. Il fait
ainsi plus de mécontents que d’heureux. Finalement, comme cela a
déjà été le cas avec la loi pour la refondation de l’école, votre
texte est un exercice raté, avec la même méthode –
quantité versus qualité – d’où un
nivellement vers le bas.
L’enseignement supérieur et la
recherche sont pourtant des outils stratégiques de notre
développement économique. Leur développement et leur excellence sont
les meilleurs vecteurs pour attirer les talents étrangers. Nier la
compétitivité internationale qui nous entoure, mettre des freins à
la marche vers l’excellence de nos universités et de nos écoles, que
la précédente majorité avait voulu initier, c’est saborder l’avenir
de notre pays et de nos enfants.
A l’UMP, nous pensons que
relancer la croissance et l’emploi passe par une université forte et
attractive. Votre réforme la fragilise et la déstabilise, alors
qu’elle aurait dû au contraire l’aider à franchir une nouvelle
étape. (Applaudissements sur les bancs du groupe
U MP.)
M. le président. La discussion générale est close.
M. le président.
Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :
suite du projet
de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche.
La
séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 23 mai 2013, à une heure cinq. )
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de
l’Assemblée nationale
Nicolas Véron