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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 29 mai 2013

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique.

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique (nos 845, 1047).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter ce soir le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique.

Ce projet de loi s’inscrit en cohérence avec le projet de loi constitutionnelle portant sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui tend à consolider les conditions d’impartialité de d’indépendance des magistrats du ministère public et que nous avons étudié hier soir.

Le texte que je vous ai présenté hier contient des dispositions essentielles sur le statut des magistrats du ministère public, notamment en matière de nominations. Le régime des nominations par avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature sera aligné sur les modalités de nomination des magistrats du siège. Le régime disciplinaire sera également aligné sur celui des magistrats du siège. C’est sans précédent, et constitue une modification tout à fait substantielle du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. L’intention, clairement annoncée par le Président de la République et confirmée par le Premier ministre, est de garantir l’impartialité et l’indépendance des magistrats dans l’exercice de la justice en faveur des justiciables, et en particulier les plus vulnérables d’entre eux.

Le projet de loi que je vous présente ce soir a pour objet de préciser les attributions du garde des sceaux, et il réorganise les relations du garde des sceaux avec les procureurs généraux et les procureurs.

Nous pouvons toujours être tentés de bouleverser les choses. Cette tentation est souvent dictée par la vanité, par le souhait de laisser son empreinte. Mais nous considérons que nos institutions sont solides, et du fait qu’elles portent la marque de l’histoire et celle de la culture, elles ont pu s’installer et s’ancrer dans le temps. Par conséquent, nous avons choisi de ne pas les bouleverser, et nous maintenons donc le parquet « à la française », comme il est habituellement appelé.

En clair, cela veut dire que le garde des sceaux va veiller aux conditions dans lesquelles les magistrats du ministère public vont pouvoir exercer leur mission, et cela en satisfaisant à deux nécessités. La première est que ces magistrats du ministère public rendent compte au garde des sceaux, et la deuxième est de veiller à ce qu’ils continuent à pleinement appartenir à l’autorité judiciaire.

S’agissant de l’obligation de rendre compte au garde des sceaux, nous avons décidé de maintenir le principe hiérarchique posé par l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. Cet article énonce précisément : « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. »

Cette obligation se justifie par le fait que seul le Gouvernement est légitime pour définir une politique pénale et veiller à son application, conformément à l’article 20 de la Constitution. De plus, le Gouvernement, et en l’occurrence le garde des sceaux, doit rendre compte au Parlement. Il a donc besoin de disposer des éléments qui lui permettent d’exercer correctement cette obligation à l’égard des parlementaires.

C’est en effet le garde des sceaux qui définit la politique pénale, qui veille à son exécution et son application sur la totalité du territoire. C’est une nécessité, et c’est une obligation républicaine. À défaut, des inégalités territoriales apparaîtraient et exposeraient les justiciables à une justice inégalitaire, et au risque d’un découpage géographique en véritables fiefs à la tête desquels seraient placés des procureurs.

Cette obligation à l’égard du justiciable permet d’assurer l’égalité d’accès à la justice et l’égalité face à la justice. Ces inégalités territoriales, si elles apparaissaient, contribueraient à creuser des inégalités sociales. Le gouvernement a donc la responsabilité, sous le contrôle du Parlement, de s’assurer que les justiciables sont traités de la même façon sur l’ensemble du territoire de la République.

La seconde nécessité est de veiller à ce que les magistrats du ministère public continuent bien d’appartenir totalement et pleinement à l’autorité judiciaire. Cela conduit le Gouvernement à veiller à leur neutralité dans leurs rapports avec l’exécutif et à s’assurer de leur totale indépendance et de leur impartialité lorsqu’ils exercent l’action publique et qu’ils sont conduits à prendre des décisions dans des affaires individuelles.

Je sais bien que la question de savoir si les magistrats du parquet appartiennent bien à l’autorité judiciaire fait l’objet de débats récurrents. À cette question clairement et brutalement formée, deux types de réponse sont apportés. Le Conseil constitutionnel a estimé de façon constante que le parquet appartient bien à l’autorité judiciaire, conformément à ce qui est inscrit dans notre Constitution. Une réponse bien différente est apportée par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de cassation, qui ont clairement formulé que les magistrats du ministère public français n’appartiennent pas à l’autorité judiciaire.

En fait, la contradiction n’est qu’apparente, malgré la différence des réponses apportées. Il faut distinguer la conception conventionnelle de l’autorité judiciaire de sa conception constitutionnelle. Au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, l’autorité judiciaire est une autorité de jugement. C’est pour cela que la Cour européenne considère que le magistrat public, du fait de ses relations avec l’exécutif, ne peut pas être une autorité de jugement, c’est-à-dire qu’il ne peut pas prononcer de décisions privatives de liberté. Au sens de la Constitution, l’autorité judiciaire est perçue différemment, et le magistrat du ministère public appartient bien à cette autorité judiciaire. Cela ne signifie pas qu’il puisse prendre des décisions qui relèvent du seul juge, mais il faut le reconnaître comme garant des libertés individuelles. C’est assez flagrant pour les gardes à vue. Surtout, et c’est aussi le sens de ce projet de loi, nous devons veiller à ce que lorsqu’il exerce l’action publique, il soit autonome et impartial.

C’est pour cela que ce projet de loi contient de telles dispositions qui, je le répète, sont complémentaires à celles du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ce projet nous permet donc d’inscrire le magistrat du ministère public dans la permanence de l’unité de l’autorité judiciaire, dans la permanence de l’unité du corps judiciaire. Rappelons que les magistrats du ministère public suivent la même formation que les magistrats du siège, ils sont recrutés de la même façon selon les mêmes modalités, ils prêtent le même serment, ils obéissent à la même déontologie et au cours de leur carrière, ils peuvent exercer au ministère public ou au siège.

Cette clarification des attributions du garde des sceaux et de ses rapports avec le parquet général et le parquet a une seule finalité : faire en sorte que la justice soit impartiale et efficace pour le justiciable. Comment faire en sorte que la suspicion, qui a pesé trop longtemps sur la justice en général et sur les magistrats du ministère public en particulier, soit éradiquée, déracinée, et que l’on fasse disparaître toutes les causes réelles ou fantasmées laissant croire que les magistrats du ministère public sont à la main du pouvoir politique et exécutent ses consignes ? En clair, comment faire en sorte que la confiance revienne à l’égard de cette institution majeure, essentielle, qui constitue la colonne vertébrale de la démocratie ?

Le projet de loi que je vous présente contient quatre articles. Le quatrième énonce simplement : « La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. » Le premier article réécrit totalement l’article 30 du code de procédure pénale, qui dispose aujourd’hui en son premier alinéa : « Le ministre de la justice conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. »

L’article 35, portant sur les attributions du procureur général, est également modifié, et nous introduisons un article 39-1 qui concerne les attributions et l’exercice de sa mission par le procureur.

Le premier article du projet de loi réécrit donc l’article 30. Son premier alinéa nouveau se lira ainsi : « Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. »

En son deuxième alinéa, l’article 30 prévoit que le garde des sceaux adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Enfin, en son troisième alinéa, il précise qu’il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles. En clair, il ne peut pas diligenter une enquête, il ne pourra plus décider de poursuivre, ni requérir la relaxe dans un dossier individuel ou donner des consignes en matière de choix de peines à requérir.

Ces dispositions ont existé de façon inégale et variable dans l’histoire des rapports entre l’exécutif et le ministère public et dans le code de procédure pénale. En 1958, le code de procédure pénale reconnaît au garde des sceaux le pouvoir d’adresser des instructions individuelles. Les lois de janvier et d’août 1993 préciseront que ces instructions individuelles doivent êtres écrites et versées au dossier. J’ouvre une parenthèse très intéressante  : en 1999, la garde des sceaux, Elisabeth Guigou, a présenté au Parlement un projet de loi visant à mettre un terme aux instructions individuelles. Toutefois, ce projet de loi était corrélé à la réforme constitutionnelle discutée au Parlement de 1998 à presque 2000 sans jamais être soumise au Congrès.

Comme nous l’avons rappelé hier soir, bien que ce projet de loi constitutionnelle eût été adopté par les trois cinquièmes des deux chambres du Parlement, il n’a jamais été soumis au Congrès réuni à Versailles car tel fut le choix du Président de la République. Il n’en demeure pas moins que la garde des sceaux avait choisi, pendant tout le quinquennat, de respecter les dispositions du projet de loi qu’elle avait présenté en ne donnant aucune instruction individuelle. Nous pouvons donc nous référer à un quinquennat entier pendant lequel l’exécutif s’est interdit de donner des instructions dans les dossiers individuels.

La loi du 9 mars 2004 a modifié le code de procédure pénale. Elle maintient le fait que les instructions individuelles doivent être écrites et versées au dossier, mais elle introduit également dans le code un chapitre consacré aux attributions du garde des sceaux, dont elle élargit les prérogatives en lui confiant la conduite de l’action publique. L’article 30 du code de procédure pénale, totalement réécrit, dispose que « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement ». Aux termes de l’article 20 de la Constitution, il relève de la responsabilité du Gouvernement de conduire cette politique publique majeure qu’est la politique pénale. De plus, le Gouvernement doit rendre des comptes au Parlement à longueur de session, que ce soit en répondant aux questions écrites, lors des questions au Gouvernement ou lors des séances assez désertiques consacrées aux questions orales sans débat. Ainsi, le Gouvernement doit rendre compte devant le Parlement de l’application de la loi pénale qu’il lui a proposée et que le Parlement a choisi d’adopter. Sur la base de cette loi pénale, c’est le garde des sceaux qui doit définir les priorités et orientations, et veiller à la mise en œuvre des moyens pour l’application de cette loi. Pour toutes ces raisons, le garde des sceaux doit effectivement disposer des informations nécessaires pour les restituer chaque fois que de besoin devant le Parlement. Le garde des sceaux dispose donc d’un certain nombre de prérogatives, qui doivent être exercées. Le fait d’inscrire dans la loi l’interdiction des instructions individuelles n’affaiblit pas le rôle du garde des sceaux  : au contraire, il renforce son obligation de veiller, au nom du Gouvernement, à l’exécution et à l’application de la politique pénale.

C’est ce que je fais, principalement par le biais de circulaires. Dans la circulaire générale sur la politique pénale, adoptée le 19 septembre 2012 en conseil des ministres, j’ai rappelé que nous ne donnerions pas d’instructions individuelles  ; j’y définissais déjà une nouvelle architecture concernant les attributions du garde des sceaux et ses relations avec le parquet général et le parquet  ; surtout, j’y ai indiqué les grands principes de la politique pénale, notamment le principe essentiel de l’individualisation, la nécessité d’une démarche éclairée quant aux choix de procédure, l’importance des droits de la défense, ou encore l’attention qu’il faut accorder aux victimes. Outre ces orientations, la circulaire du 19 septembre 2012 comportait des dispositions pratiques et soulignait l’importance des relations entre le parquet et les services d’enquête.

Certes, aux termes du code de procédure pénale, c’est le procureur qui dirige la police judiciaire. Mais j’ai aussi instauré l’habitude, pour les procureurs, d’un retour auprès des enquêteurs de police judiciaire au sujet des informations relatives aux procédures dans lesquelles ils ont été impliqués. J’ai pu constater la mise en œuvre de cette pratique au cours des divers déplacements que j’ai effectués en juridictions. Je suis également appelée à diffuser des circulaires de politique territoriale, lorsqu’une partie du territoire est confrontée à un type de délinquance particulier qui appelle une politique pénale plus ciblée. Évidemment, une circulaire de politique territoriale reste cohérente avec la politique pénale générale, mais elle décline un certain nombre de priorités, d’orientations ou de procédures spécifiques au territoire concerné. Par exemple, dans la circulaire territoriale que j’ai diffusée en Corse et dans l’agglomération de Marseille, je demande aux procureurs de pratiquer l’autosaisine des services d’enquête - police et gendarmerie - à chaque fois qu’ils perçoivent que cette méthode permettrait de faciliter la conduite des enquêtes et d’augmenter leur efficacité.

Ces circulaires peuvent aussi concerner des thématiques particulières : je pense par exemple à la circulaire contre le racisme et l’antisémitisme, ou à la circulaire sur la détention des armes.

Enfin, les circulaires peuvent accompagner une loi adoptée par le Parlement lorsque les débats ont fait apparaître que certaines dispositions, qui ne peuvent être inscrites dans la loi, contribueraient pourtant à une meilleure compréhension de l’intention du législateur et, par conséquent, à une meilleure application de cette loi. Il m’est déjà arrivé à deux reprises de diffuser, parallèlement à la promulgation d’une loi par le Président de la République, une circulaire d’application de cette loi.

Voilà donc, parmi les moyens à la disposition de l’exécutif et, plus directement, du garde des sceaux, des prérogatives qui permettent de s’assurer de la bonne exécution de la politique pénale et de son application cohérente sur l’ensemble du territoire sans avoir à intervenir dans les affaires individuelles. L’article 2 du présent projet de loi, qui modifie l’article 35 du code de procédure pénale, précise les attributions du procureur général. De même, l’article 3 du projet de loi introduit dans le code un nouvel article 39-1 qui précise les attributions du procureur et les relations entre procureur général, procureur et garde des sceaux.

J’ai rappelé tout à l’heure l’article 5 de l’ordonnance de décembre 1958  : le procureur général doit rendre compte au garde des sceaux, à partir des éléments qui lui sont transmis par le procureur. Le procureur général est chargé de décliner les orientations de la politique pénale générale en fonction des particularismes de son ressort. Quant au procureur de la République, il tient compte encore plus finement des circonstances locales pour adapter cette politique pénale générale.

Le procureur général, alimenté par les informations que lui remonte le procureur de la République, rend compte au garde des sceaux par le biais d’un rapport annuel de politique pénale. Ce rapport porte sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort, ainsi que sur l’application de la loi et des instructions générales reçues au titre du nouvel alinéa de l’article 30 du code de procédure pénale.

Le procureur général rend également compte de son action par le biais de rapports particuliers. Ceux-ci concernent des thématiques : il peut s’agir de contentieux spécifiques ou de l’application particulière d’une disposition de la loi sur une portion du territoire du ressort.

Par exemple, les services du ministère de la justice étaient impliqués dès l’amont dans la mise en place des zones de sécurité prioritaires, c’est-à-dire dès la conception de ces zones, lesquelles sont assez fortement inspirées des groupes locaux de traitement de la délinquance, qui sont des instances purement judiciaires. J’ai mobilisé dès le mois d’août les procureurs et les procureurs généraux, qui m’ont fait des propositions de périmètres territoriaux pour ces zones de sécurité prioritaires ; ils m’ont transmis des rapports de politique pénale à ce propos et, ensemble, nous avons mis en place des méthodes. Le ministre de l’intérieur Manuel Valls et moi-même avons participé à une journée d’évaluation avec eux, le 13 mai à Lyon, il y a un peu plus de deux semaines.

Ces rapports thématiques nous permettent donc de connaître et d’analyser l’application de la politique pénale, y compris dans une zone géographique très clairement délimitée. Quelle est l’utilité de cette remontée d’informations ? Les rapports annuels de politique pénale et les rapports particuliers, qui peuvent d’ailleurs aussi concerner des affaires particulières, servent d’abord à ajuster la politique pénale et la répartition des moyens sur l’ensemble du territoire. Ils servent aussi à informer la chancellerie sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, à lui permettre d’anticiper et de prendre des mesures lorsqu’un contentieux particulier nécessite une concentration de moyens provisoire pour qu’un procès se déroule correctement. Je pense, par exemple, à des contentieux de santé publique.

Lors d’un procès qui s’est achevé récemment à Marseille, nous avons dû faire un effort particulier en matière de frais de fonctionnement  : compte tenu du nombre de victimes - 3 800 dans un premier temps, près de 6 000 finalement -, il a fallu délocaliser le procès, ce qui a nécessité des moyens. Ce sont ces remontées d’informations qui permettent à la chancellerie d’anticiper et, parfois, d’ajuster les moyens lorsque la situation le nécessite. Je résume les principales attributions du procureur et du procureur de la République  : décliner la politique pénale, faire remonter l’information, contribuer à une répartition correcte des moyens sur le territoire, et s’assurer finalement que la justice est rendue de façon équitable dans notre pays, c’est-à-dire que les justiciables, où qu’ils se trouvent, sont égaux devant la justice. Toutes ces considérations paraissent très abstraites si nous ne relions pas les textes que nous examinons à la réalité dans laquelle nous vivons et sur laquelle nous voulons agir.

Pour donner plus de chair et de nerfs à ces mesures, je conclus mon intervention en évoquant une grande et belle figure de magistrat du ministère public. Je remonte loin, puisque j’évoquerai à l’affaire Dreyfus. J’ai un attachement particulier pour cette affaire, pour ce qu’elle représente, pour ce qu’elle signifie et pour ce que sa conclusion révèle de la société française et du courage de la justice. C’est la figure du procureur général Jean-Pierre Manau qui, au nom du ministère public, a défendu sa conception de la vérité et de l’impartialité.

Je suis particulièrement sensible à cette affaire pour ce qu’elle dit de la société française et parce que Dreyfus a été condamné au bagne en Guyane. Dans la ville de Kourou, la tour Dreyfus existe toujours sur le littoral. Elle servait à surveiller ce bagnard en particulier qui se trouvait sur l’île du Diable que l’on appelle aujourd’hui les Îles du Salut. Ce grand procureur général a eu le courage de requérir la cassation de la première condamnation d’Émile Zola par la cour d’assises, puis de requérir la cassation de la condamnation de Dreyfus par le conseil de guerre en dépit du climat politique ambiant.

Pour le président de la chambre criminelle de la cour de cassation, ce grand magistrat représentait l’un des plus beaux exemples du courage civil des magistrats du ministère public. En tant que magistrat amovible, il a en effet eu le courage de préférer la vérité et l’impartialité. Il a choisi une parole libre. En dépit d’une situation tumultueuse, des positions du gouvernement, il a eu le courage de requérir la cassation de deux jugements, de deux condamnations manifestement injustes. Voilà une très belle figure qui rappelle que ce que nous faisons n’a rien d’une chicanerie d’écriture ni d’une chimère sur les relations entre l’exécutif et le ministère public. Nous consolidons une institution majeure au service des justiciables afin que ceux qui sont conduits à désespérer de la vie puissent espérer toujours en la justice et donc en l’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la nuit dernière, notre Assemblée a examiné le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Je n’ignore pas davantage que les magistrats du ministère public ne disposent pas des mêmes garanties statutaires que ceux du siège, l’indépendance des premiers ne pouvant avoir la même portée que celle reconnue aux seconds, en raison même du principe de subordination hiérarchique des membres du ministère public, principe que je n’ai jamais eu l’intention de remettre en cause. Je demeure, en effet, convaincu que, dans un État de droit comme le nôtre, c’est la condition pour avoir une égalité des citoyens devant la loi pénale sur l’ensemble du territoire.

Il n’en demeure pas moins que, dans le respect de cette organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et caractéristique propre au « parquet à la française », il existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je traduisais en voulant inscrire dans l’article 31 du code de procédure pénale relatif à l’exercice de l’action publique les principes d’indépendance et d’impartialité.

Je soulignerai enfin qu’aux termes de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère, de manière constante, que le parquet est une autorité judiciaire indépendante et impartiale, apte, sous certaines réserves, à garantir la liberté individuelle, et ce nonobstant les particularités de son statut.

C’est bien dans le prolongement de cette jurisprudence que j’ai souhaité tirer les conséquences de l’exclusion du garde des sceaux de l’exercice direct de l’action publique, désormais réservé aux seuls magistrats du ministère public, en rappelant dans cet article 31 du code de procédure pénale les principes d’indépendance et d’impartialité qui s’appliquent, sous certaines réserves certes, aux magistrats du parquet, membres de l’autorité judiciaire au sens de l’article 64 de la Constitution, dans l’exercice de leur mission.

Il n’en demeure pas moins que le « parquet à la française » a pour particuliarité une dualité fonctionnelle : en tant que juge, le parquet est garant de la protection de la liberté individuelle ; en tant qu’autorité de poursuite, il constitue une partie au procès. Or cette dualité fonctionnelle a conduit à l’émergence d’appréciations divergentes sur la notion d’indépendance entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle, divergences dont je n’ignore rien comme je vous l’ai dit et dont mon rapport se fait naturellement l’écho.

Dans ces conditions, je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, un amendement proposant de ne pas faire figurer à l’article 31 du code de procédure pénale la référence au principe d’indépendance dans l’exercice de l’action publique par les magistrats du ministère public, d’autres amendements ayant d’ailleurs été déposés en ce sens. L’action publique se doit d’être impartiale.

En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision sur une QPC du 21 octobre 2011, le parquet n’est pas une partie au procès comme une autre, le ministère public n’étant pas « dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ». N’étant pas une partie au procès comme une autre, le ministère public doit conduire l’action publique de manière impartiale, nonobstant les particularités de son statut. Tel est d’ailleurs tout l’objet de la prohibition des instructions individuelles du garde des sceaux, prohibition destinée à rendre insoupçonnable l’impartialité du parquet aux yeux des justiciables.

Voilà, mes chers collègues, les principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je vous demanderai, naturellement, d’adopter, afin de faire rentrer notre justice dans une nouvelle ère d’indépendance, pour le plus grand bénéficie de tous les justiciables. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Ce texte vise, de manière générale, à renforcer l’autorité du CSM et plus largement à garantir l’indépendance de la justice, afin que les magistrats rendent leurs décisions en toute impartialité et que les citoyens aient la conviction que les décisions prises par la justice ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des justiciables.

Cette réforme constitutionnelle cherche, en particulier, à entourer la nomination des magistrats du parquet ainsi que les conditions dans lesquelles ces derniers exercent leurs fonctions, de nouvelles garanties statutaires - comme l’avis conforme désormais requis pour les nominations des magistrats du parquet, comme l’institution du CSM en réel conseil de discipline de ces magistrats  : tout cela dans le souci de rendre l’impartialité de la justice insoupçonnable pour les justiciables.

Complétant et prolongeant cette réforme du CSM avec laquelle il forme un « tout » cohérent, le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, que nous examinons ce soir, après son adoption par la commission des lois de notre assemblée le 21 mai dernier, est un texte qui marquera indéniablement une évolution très positive pour notre justice.

En effet, le présent texte entend, pour reprendre les propos de la commission de réflexion sur la justice, installée en 1997 et présidée par M. Pierre Truche, alors Premier président de la Cour de cassation, ne laisser aucune « place au soupçon de pressions partisanes qui mine la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Ces dix dernières années ont trop souvent été marquées - et je le regrette profondément - par la suspicion d’interventions de l’exécutif dans telle ou telle affaire dite sensible.

Afin, d’une part, de remédier à cette situation dont nul ne saurait raisonnablement se satisfaire et, d’autre part, de restaurer l’impartialité de l’autorité judiciaire, dont l’article 64 de la Constitution consacre l’indépendance et dont les magistrats du parquet font partie intégrante au nom même du principe d’unité du corps de la magistrature, le projet de loi que nous examinons poursuit trois axes, que je me propose de vous présenter brièvement.

En premier lieu, le présent texte clarifie les attributions respectives du ministre de la justice et des magistrats du ministère public. À cette fin, il entend restituer au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, et confier le plein exercice de l’action publique aux seuls magistrats du ministère public.

Dans le cadre de sa mission, le garde des sceaux devra veiller, comme cela est actuellement le cas, à la cohérence de l’application de la politique pénale sur l’ensemble du territoire de la République et pourra adresser, à cette fin, des instructions générales de politique pénale aux magistrats du ministère public.

Les procureurs généraux deviennent, pour leur part, les garants de l’application effective, cohérente et homogène de la politique pénale dans leur ressort  : à cet effet, ils se voient confier un pouvoir de déclinaison territoriale des instructions générales du garde des sceaux et ce, afin de tenir compte du contexte propre au ressort de la cour d’appel.

Il revient, enfin, aux procureurs de la République de mettre en œuvre, dans leur ressort respectif, la politique pénale définie au niveau national par les instructions générales du ministre de la justice et adaptée au niveau régional par les procureurs généraux. À l’instar du pouvoir de déclinaison reconnu à ces derniers, les procureurs de la République se voient également reconnaître la faculté d’adapter les instructions générales au contexte propre à leur ressort.

En définitive, la lecture croisée des articles 1er à 3 du présent projet de loi nous permet de prendre la pleine mesure de la clarification de la responsabilité de chaque échelon en matière de conduite de la politique pénale. Les instructions générales de politique pénale sont définies par le ministre de la justice. Puis, elles sont précisées et, le cas échéant adaptées, par le procureur général dans le ressort de la cour d’appel. Elles sont enfin mises en œuvre, sous réserve d’éventuelles adaptations propres aux circonstances locales, par le procureur de la République dans le ressort du tribunal de grande instance.

En deuxième lieu, ce projet de loi prohibe désormais toute instruction du garde des sceaux à l’occasion d’une affaire individuelle. Tirant les conséquences de la restitution au bénéfice des seuls magistrats du parquet de l’exercice de l’action publique et conformément à l’engagement n° 53 du Président de la République lors de la campagne de l’élection présidentielle - « J’interdirai les interventions du gouvernement dans les dossiers individuels » -, le projet de loi que nous examinons inscrit, à l’article 30 du code de procédure pénale, la prohibition désormais faite au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du ministère public toute forme d’instruction dans des affaires individuelles.

Cette interdiction de toute instruction du ministre de la justice dans les affaires individuelles revêt une valeur symbolique d’autant plus forte qu’elle consacre la volonté indéfectible du Gouvernement, comme du législateur, de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin au soupçon, qui trop souvent pèse sur le déroulement des procédures judiciaires et plus particulièrement pénales, en altérant la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.

J’entends dire, ici et là, que les instructions individuelles seraient en nombre infime et qu’il n’y aurait donc pas lieu de les prohiber. Je rappelle que le principe même de l’instruction individuelle constitue une immixtion directe du pouvoir exécutif dans une procédure juridictionnelle, qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs.

Nul ne peut, par ailleurs, sérieusement contester l’existence d’un soupçon lourd, tenace, et ces dernières années amplifié.

Cette prohibition des instructions individuelles, désormais gravée dans le marbre de la loi, a déjà été envisagée dans l’histoire de notre justice. Entre 1997 et 2002, les gardes des sceaux successives, Mme Élisabeth Guigou et Mme Marylise Lebranchu, auxquelles je souhaite rendre hommage, avaient renoncé à la possibilité d’adresser de telles instructions individuelles, de quelque nature qu’elles soient.

Après une lecture devant chaque chambre, du projet des deux propositions constitutionnelles, vous avez rappelé, madame la garde des sceaux, le sort qui fut réservé au dispositif du Congrès. Dès votre prise de fonction en mai 2012, madame la garde des sceaux, traduisant votre volonté d’assurer l’indépendance de l’institution judiciaire, vous avez décidé non seulement de renouer avec la pratique de vos prédécesseurs sous le gouvernement de M. Lionel Jospin, mais vous avez également décidé d’inscrire expressément le principe de prohibition de toute instruction individuelle dans la loi en l’érigeant en principe de procédure pénale. Tel est l’objet du présent projet de loi, qui constitue une avancée majeure dans le fonctionnement indépendant et impartial de notre justice.

En dernier lieu, ce texte organise la remontée d’information pour la définition et la conduite d’une politique pénale juste et cohérente sur l’ensemble du territoire. Le troisième axe qui structure le projet de loi que nous sommes conduits à examiner ce soir est d’organiser la remontée de l’information entre les procureurs de la République, les procureurs généraux et le garde des sceaux, sur la mise en œuvre et la déclinaison locale de la politique pénale définie au niveau national.

Ainsi, il reviendra désormais aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d’adresser respectivement au ministre de la justice et aux procureurs généraux, d’une part, un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et la mise en œuvre des instructions générales ainsi que, d’autre part, un rapport annuel sur l’activité et la gestion du ou de leurs parquets.

Comme aujourd’hui, la transmission de ces rapports s’exercera sans préjudice des rapports particuliers que les procureurs généraux et les procureurs de la République seront amenés à établir soit d’initiative, soit sur demande respective du ministre de la justice et du procureur général.

Plus qu’elles n’innovent, ces dispositions tendent à conforter la pratique existante en matière de remontée d’information et ce, dans le souci de nourrir en particulier la réflexion du garde des sceaux dans la définition des instructions générales de politique pénale adressées en retour aux magistrats du ministère public. Comme l’avait souligné à juste titre le rapport Truche de la commission de réflexion sur la justice, « la politique nationale se nourrit des informations venues des parquets et parquets généraux à l’occasion d’affaires particulières et par un rapport annuel ».

La conduite de la politique pénale implique, en effet, que le garde des sceaux, qui en assume la responsabilité au titre de l’alinéa 1er de l’article 30 du code de procédure pénale, reçoive régulièrement des parquets généraux et des parquets une information fiable et complète sur le fonctionnement de la justice.

Tel est l’objet des rapports annuels et des rapports particuliers établis par les procureurs généraux et les procureurs de la République.

En organisant la remontée d’information, ces rapports permettent au garde des sceaux de veiller à une application homogène, juste et cohérente de la loi pénale sur l’ensemble du territoire de la République et, ainsi, de garantir l’égalité des citoyens devant la loi à laquelle nous sommes tous très attachés.

Dans le respect de l’économie générale du texte présenté par le Gouvernement, la commission des lois de notre assemblée s’est efforcée, sur ma proposition, de donner à ce texte sa pleine mesure et ce, à trois égards.

Tout d’abord, il m’est apparu nécessaire de garantir l’information annuelle du Parlement et des magistrats sur l’application de la politique pénale. La clarification des attributions du garde des sceaux dans la conduite de la politique pénale est vaine, si nous, parlementaires, ne sommes pas mis en mesure de la contrôler et de l’évaluer, conformément à la lettre même de l’article 24 de la Constitution.

C’est pourquoi, sur mon initiative, la commission des lois de notre assemblée a souhaité que soit organisée une information annuelle du Parlement sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, ainsi que sur la mise en œuvre des instructions générales adressées à cette fin, par le ministre de la justice aux magistrats du ministère public.

Il reviendra désormais, chaque année, au garde des sceaux de publier un rapport de politique pénale et, sur cette base, d’informer le Parlement par une déclaration pouvant être suivie d’un débat, des conditions de mise en œuvre de la politique pénale déterminée par le Gouvernement ainsi que des instructions générales adressées à cette fin.

Tirant les conséquences de l’information annuelle du Parlement au niveau national, la commission des lois a estimé souhaitable et nécessaire que soit organisée, par cohérence, au niveau local et chaque année, l’information de l’ensemble des magistrats de la cour d’appel et du tribunal de grande instance sur l’application, dans leur ressort, de la politique pénale.

Dans cette perspective, il reviendra au procureur général et au procureur de la République de communiquer leur rapport annuel de politique pénale respectivement au premier président de la cour d’appel et au président du tribunal de grande instance. Ce rapport fera ensuite l’objet d’un débat lors de la prochaine assemblée générale des magistrats du siège et du parquet au sein de chaque ressort.

Ensuite, sur ma proposition, la commission des lois, a souhaité garantir la publicité des instructions générales de politique pénale adressées par le garde des sceaux.

Toujours dans ce souci de transparence qui a constamment guidé nos travaux préparatoires, la commission a donc inscrit dans la lettre même du code de procédure pénale, le principe de la publicité des instructions générales de politique pénale, qui sont adressées par le garde des sceaux aux magistrats du ministère public.

Nous considérons en effet - et je suis convaincu que tous partagent ce sentiment - que la fin du soupçon, auquel le présent texte entend mettre fin, exige que chaque citoyen puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le ministre de la justice et qui seront désormais débattus, chaque année, au Parlement.

À mon initiative, la commission des lois a enfin voulu rappeler les principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice de l’action publique par les parquets. Dans le prolongement de la prohibition de toute instruction individuelle, j’ai estimé nécessaire que soient rappelés, à l’article 31 du code de procédure pénale, les principes d’indépendance et d’impartialité, dans l’exercice de l’action publique par les magistrats du ministère public.

Cette disposition a fait l’objet d’un débat particulièrement riche et nourri en commission, certains collègues ayant exprimé leurs réserves sur l’opportunité de rappeler, notamment, le principe d’indépendance.

Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la discussion des articles, mais je n’ignore pas que la notion d’indépendance fait l’objet d’appréciations divergentes entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux.

Je n’ignore pas davantage que les magistrats du ministère public ne disposent pas des mêmes garanties statutaires que ceux du siège, l’indépendance des premiers ne pouvant avoir la même portée que celle reconnue aux seconds, en raison même du principe de subordination hiérarchique des membres du ministère public, principe que je n’ai jamais eu l’intention de remettre en cause. Je demeure, en effet, convaincu que, dans un État de droit comme le nôtre, c’est la condition pour avoir une égalité des citoyens devant la loi pénale sur l’ensemble du territoire.

Il n’en demeure pas moins que, dans le respect de cette organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et caractéristique propre au « parquet à la française », il existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je traduisais en voulant inscrire dans l’article 31 du code de procédure pénale relatif à l’exercice de l’action publique les principes d’indépendance et d’impartialité.

Je soulignerai enfin qu’aux termes de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère, de manière constante, que le parquet est une autorité judiciaire indépendante et impartiale, apte, sous certaines réserves, à garantir la liberté individuelle, et ce nonobstant les particularités de son statut.

C’est bien dans le prolongement de cette jurisprudence que j’ai souhaité tirer les conséquences de l’exclusion du garde des sceaux de l’exercice direct de l’action publique, désormais réservé aux seuls magistrats du ministère public, en rappelant dans cet article 31 du code de procédure pénale les principes d’indépendance et d’impartialité qui s’appliquent, sous certaines réserves certes, aux magistrats du parquet, membres de l’autorité judiciaire au sens de l’article 64 de la Constitution, dans l’exercice de leur mission.

Il n’en demeure pas moins que le « parquet à la française » a pour particuliarité une dualité fonctionnelle : en tant que juge, le parquet est garant de la protection de la liberté individuelle ; en tant qu’autorité de poursuite, il constitue une partie au procès. Or cette dualité fonctionnelle a conduit à l’émergence d’appréciations divergentes sur la notion d’indépendance entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle, divergences dont je n’ignore rien comme je vous l’ai dit et dont mon rapport se fait naturellement l’écho.

Dans ces conditions, je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, un amendement proposant de ne pas faire figurer à l’article 31 du code de procédure pénale la référence au principe d’indépendance dans l’exercice de l’action publique par les magistrats du ministère public, d’autres amendements ayant d’ailleurs été déposés en ce sens. L’action publique se doit d’être impartiale.

En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision sur une QPC du 21 octobre 2011, le parquet n’est pas une partie au procès comme une autre, le ministère public n’étant pas « dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ». N’étant pas une partie au procès comme une autre, le ministère public doit conduire l’action publique de manière impartiale, nonobstant les particularités de son statut. Tel est d’ailleurs tout l’objet de la prohibition des instructions individuelles du garde des sceaux, prohibition destinée à rendre insoupçonnable l’impartialité du parquet aux yeux des justiciables.

Voilà, mes chers collègues, les principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je vous demanderai, naturellement, d’adopter, afin de faire rentrer notre justice dans une nouvelle ère d’indépendance, pour le plus grand bénéficie de tous les justiciables. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. À vous entendre, madame la garde des sceaux, il s’agirait de garantir enfin à l’institution judiciaire son indépendance et son impartialité, comme si, jusqu’à la présentation de ce texte, pour reprendre un terme utilisé par le rapporteur dès le début de son propos, il y avait matière à soupçon, un fort soupçon, amplifié, nous a-t-il dit d’ailleurs, au cours des dernières années.

Si nous pouvons être d’accord avec vous, et nous le sommes volontiers, c’est sur ce qui nous réunit, nous, parlementaires, acteurs de la vie publique, depuis très longtemps, à savoir la nécessité d’avoir dans notre pays une institution judiciaire marquée du double sceau de l’indépendance et de l’impartialité, lesquelles, d’ailleurs, ne vont peut-être pas toujours si bien l’une avec l’autre.

Quelques exemples récents nous permettent en effet de dire que l’indépendance dont se prévalent à très juste titre les magistrats ne les conduit pas automatiquement et obligatoirement à exercer leurs fonctions en toute impartialité. Il aurait pu y avoir des erreurs judiciaires si les décisions n’avaient pas été rectifiées en cours de route. Je veux parler en particulier de cette douloureuse affaire d’Outreau, qu’un certain nombre d’entre nous ici avons d’autant mieux connue que nous avons fait partie de la commission d’enquête placée sous la double houlette positive d’André Vallini, qui la présidait, et de notre excellent collègue Philippe Houillon, qui en rapportait les conclusions. Nous avions noté à cette époque combien, sans que nous puissions porter un doute sur sincérité, des magistrats pouvaient ne pas être tout à fait impartiaux dans la conduite de leur instruction et, pourquoi pas éventuellement, s’agissant des magistrats du siège, dans la conduite de leurs jugements.

Indépendance et impartialité, tout le monde est donc d’accord, mais faut-il pour autant mettre en place un nouveau dispositif comme celui que vous avez décidé en toute cohérence, affirmez-vous et réaffirmez-vous, de concocter et de nous présenter à travers deux projets de loi, l’un, constitutionnel, que notre assemblée a examiné hier, et l’autre, ordinaire, celui que nous évoquons ce soir ?

Très sincèrement, je ne le pense pas, et le texte dont nous discutons semble à la fois, – je ne voudrais pas que le terme soit mal compris –, relativement insignifiant et pour tout dire assez inutile.

Le premier paragraphe de l’exposé des motifs, en lui-même, pose un problème : « L’indépendance de la justice constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs. » Cela ressemble étrangement à un encouragement à ce qu’il est de bon ton d’évoquer lorsque l’on parle de la justice et de la magistrature, c’est-à-dire l’existence d’un pouvoir judiciaire.

Pourquoi évoquer la séparation des pouvoirs en parlant de l’institution judiciaire, si ce n’est pour laisser penser ou, pire, penser soi-même qu’il existerait dans notre pays un pouvoir judiciaire qui, aux côtés du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, constituerait le troisième pouvoir ?

Or le constituant, et cela n’a jamais été remis en cause, a donné à l’institution judiciaire un statut bien particulier, un statut qui en fait son originalité, sa spécificité et qui en garantit justement l’indépendance, le statut constitutionnel d’autorité judiciaire. Parler de séparation des pouvoirs lorsque l’on parle de la justice est un excès de langage qui trop souvent conduit à une vision déformée.

Au nom du Gouvernement, vous avez présenté un projet de loi constitutionnelle qui prétend renforcer l’indépendance de la magistrature mais qui a été sérieusement édulcoré par l’Assemblée à la demande de son rapporteur et sur l’initiative conjointe de la commission des lois.

Votre projet, on le sait, a été totalement réécrit, et ce qui en ressort, ce n’est plus l’engagement du Président de la République de redonner une majorité aux magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature, c’est tout simplement le droit actuel issu des dispositions que nous avions proposées après l’affaire d’Outreau.

Il s’agit pour vous de revenir à une situation qui montre que les magistrats font leurs affaires entre eux, notamment lorsqu’il s’agit des questions disciplinaires. Nous savons exactement ce qu’en pensent les Français. Ils sauront vous dire ce qu’ils pensent de ce que vous avez tenté de faire avec la révision constitutionnelle que vous nous avez proposée et qui est loin, vous le savez vous-même, d’avoir de grandes chances d’aboutir.

Aujourd’hui, vous nous présentez un texte que je qualifierai, sans être inconvenant, de texte bisounours, puisque vous enfoncez quelques portes bien ouvertes, le Gouvernement, à des périodes différentes, comme le Parlement ayant largement eu l’occasion de dire ce que nous devions faire.

Il y a un peu plus de vingt ans, existaient des instructions orales sur des affaires particulières. Il a été décidé, sous une majorité de gauche, que de telles instructions devraient être non plus orales mais écrites. Sous une autre majorité, de droite celle-ci, vous avez oublié de le dire, me laissant probablement le soin de le préciser, nous sommes allés au bout de cette logique, dont nous partageons tous l’évidence : s’il doit y avoir des instructions particulières sur un dossier particulier, autant qu’elles soient connues de tous les acteurs du dossier et en particulier de la défense. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, les instructions particulières doivent être écrites et figurer dans le dossier afin que chacun sache exactement de quoi il s’agit.

Selon l’article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la justice « peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes ».

Cela concerne une dizaine de cas par an, qui, depuis 2004, nous l’avons vérifié, vont d’ailleurs tous dans le même sens. Quand le ministre constate que, dans une affaire particulière, des poursuites ne sont pas engagées alors qu’en application de la loi, elles devraient l’être, l’article 30 du code de procédure pénale s’applique, mais pour que des poursuites soient engagées et non l’inverse. Et c’est cela que vous voulez modifier au motif de garantir l’impartialité de la justice et son indépendance.

Ce n’est pas un bon chemin que vous prenez. Vous prétendez régler une question ou laver encore plus blanc que blanc sans véritablement donner la solution. Je me permettrai de donner tout à l’heure un exemple qui fera probablement réfléchir un certain nombre d’entre nous, à commencer par vous.

J’ai fait une autre remarque en commission, et j’ai été surpris qu’elle ne soit pas reprise. C’est une remarque de forme mais elle va toucher le fond. Elle concerne le texte tel qu’il est issu des travaux de la commission. Le quatrième alinéa de l’article 1er  maintient une formule qui, vous en conviendrez, est un peu embarrassante. Alors que le troisième alinéa parle d’instructions générales, le quatrième parle d’instructions dans des affaires individuelles. Comme je l’ai expliqué en commission, je pensais que le pendant des instructions générales serait les instructions de nature particulière. Le Conseil supérieur de la magistrature, récemment sollicité par vous sur l’affaire dite du « mur des cons » a d’ailleurs répondu qu’il ne pouvait pas se saisir, en l’état actuel, d’une "affaire particulière". J’ai proposé de reprendre cette notion de « particulier », qui s’opposerait à « général », mais cela n’a pas été retenu.

Je note au passage que la lecture et l’application strictes du texte, tel qu’il nous est présenté, pourraient conduire à une incongruité. Que faire dans le cas d’une affaire non individuelle mais collective, concernant plusieurs personnes ? On pourrait penser, d’après le texte, qu’il y aurait alors la possibilité d’instructions. Vous voyez bien, par l’absurdité relative de cet exemple, qu’il fallait récrire le texte ; je regrette, monsieur le rapporteur, que vous ne l’ayez pas fait. Cela ajoute à la confusion et ôte au projet de loi la valeur que l’on pouvait en attendre.

Vous avez insisté, de manière précise et cohérente, sur les rapports qui devront être remis au procureur général par le procureur de la République et au garde des sceaux par le procureur général : il s’agira non seulement du rapport annuel de politique pénale, mais aussi de rapports particuliers. Ces derniers pourront, d’après le texte, être soit à l’initiative du procureur de la République ou du procureur général, soit à la demande du garde des sceaux. Ainsi le même texte dit ainsi qu’il ne saurait y avoir d’instructions de nature particulière du ministre vers les parquets, mais par contre que le ministre peut demander un compte rendu de ce qui s’est passé sur des affaires particulières. N’y a-t-il pas là quelque incohérence ? Allez jusqu’au bout : puisque vous ne souhaitez pas que le garde des sceaux dise par écrit, de manière particulière, des choses sur un dossier, pourquoi lui laisser le droit de demander des comptes rendus particuliers ?

J’en viens aux deux raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu de débattre de ce texte. Tout d’abord, nous avons voté sous la précédente législature la très belle loi du 9 juillet 2010, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, et qui a fait l’objet d’un consensus de l’ensemble des groupes de notre assemblée. Je suis sûr que si nous refaisions ce travail aujourd’hui, il donnerait lieu au même beau consensus. Cette loi, qui améliore notre législation dans la lutte contre les violences conjugales, a défini plusieurs nouvelles incriminations pénales, dont celle de violence psychologique au sein du couple. Nous constatons, au contact des juridictions, à l’écoute de celles et ceux qui ont des choses à nous dire et des comptes à nous demander sur la manière dont est appliquée la loi, que celle-ci est mise en œuvre de manière tout à fait inégale dans les différentes juridictions.

Certaines se sont emparées de l’ordonnance de protection – nous ne sommes pas, c’est vrai, tout à fait dans le pénal – et surtout du délit de violence psychologique, de manière spontanée et volontaire. Nous avons déjà des débuts de résultats encourageants ; c’est le cas en particulier au tribunal de grande instance de Bobigny. Mais il y a aussi des juridictions qui peinent à utiliser cette nouvelle incrimination pénale, alors que, nous le savons, les violences psychologiques au sein du couple existent partout, dans tous les milieux, dans tous les territoires, en province comme en région parisienne, dans les villes comme dans les campagnes. Nous savons, nous qui accompagnons les victimes de ces violences, combien ce droit nouveau, voté à l’unanimité du Parlement, est insuffisamment appliqué.

Sur ces questions, ne serait-il pas utile et efficace qu’à côté des instructions générales transmises par la chancellerie aux parquets généraux, il y ait, quand c’est nécessaire, quand cela paraît absolument indispensable, une prise de responsabilité de nature politique, au sens noble du terme, visant à ce que la loi soit effectivement appliquée, que des poursuites soient engagées là où elles ne le sont pas, là où les instructions générales ne suffisent pas ?

M. Étienne Blanc. Très belle pensée !

M. Guy Geoffroy. Cela devrait vous permettre de réfléchir à ce que texte prétend apporter et qu’il n’apportera pas. Par l’abandon de l’alinéa de l’article 30 du code de procédure pénale qui permet au garde des sceaux de dénoncer au procureur général des faits qui ne sont pas encore poursuivis, ce texte risque de conduire à un recul de l’application générale de la loi et de la protection des victimes. Je tenais à vous le dire pour vous inviter à réfléchir avant qu’il ne soit trop tard.

Ensuite, l’adoption de ce texte risque de mettre notre législation et nos pouvoirs publics, notamment le Gouvernement, dans une situation bien particulière. Personne ne peut ignorer que la révision constitutionnelle que vous nous proposez afin de modifier les dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature est loin d’être acquise. Que se passera-t-il, quelle sera la situation de notre droit, de l’organisation de l’institution judiciaire si le Congrès se réunit et échoue ou si, ce qui est également possible, le Congrès ne se réunit finalement pas, et que par conséquent la réforme du CSM n’est pas adoptée, alors que la présente loi le serait ?

Vous venez d’affirmer, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, que cette révision constitutionnelle et cette loi ordinaire formaient un tout. La réalité viendrait vous démentir ; ce tout serait morcelé, l’un de ses éléments, la fin des instructions individuelles du ministre aux parquets, même écrites, même versées au dossier, serait appliqué, alors que les autres dispositions que vous estimez importantes pour la cohérence de l’ensemble, et qui figurent dans la révision constitutionnelle, n’auraient pas abouti.

Cette loi, pleine de bonnes intentions mais qui peut avoir – j’espère l’avoir démontré – quelques effets pervers, risque donc de se retrouver orpheline dans un ensemble que vous avez voulu cohérent mais qui sera dépareillé. N’aurait-il pas été plus raisonnable de procéder dans un premier temps à la révision constitutionnelle et d’y ajouter ensuite, si vous le jugiez nécessaire, cette disposition par la loi ordinaire ? Vous avez tout voulu faire en même temps. Vous avez souhaité, au nom du sacro-saint respect des engagements du Président de la République, tout faire ensemble, même si cela doit conduire à un résultat disparate. Vous y avez au passage laissé quelques plumes, eu égard aux engagements pris.

Bref, ce texte, s’il n’est pas nocif dans son intention, peut avoir des effets pervers dans son application ; il n’est pas à sa place aujourd’hui dans l’ordre de notre législation. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, je crois qu’il ne faut pas l’adopter, ni même en débuter l’examen. J’espère avoir convaincu notre assemblée qu’il y avait suffisamment de matière à voter cette motion de rejet préalable. C’est ce que je vous invite à faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député Guy Geoffroy, je vous ai attentivement écouté. Vous avez commencé par fustiger le concept de pouvoir judiciaire, que je n’ai pas utilisé, mais que j’ai en revanche rappelé hier soir. Nous avons passé en revue les grandes étapes de l’institution judiciaire dans la Constitution depuis 1791. Il y a eu des périodes où il était en effet question de « pouvoir judiciaire », et j’ai même rappelé que, dans les débats actuels, certains réclament un pouvoir judiciaire et un Conseil supérieur de la justice. J’ai expliqué pourquoi le Gouvernement n’avait pas fait ce choix. À cet égard, je vous rappelle les déclarations de l’ancien Président de la République devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : il parlait du pouvoir judiciaire.

M. Guy Geoffroy. Et alors ? C’était une erreur !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons passé en revue les grandes étapes de l’institution judiciaire dans la Constitution depuis 1791. Il y a eu des périodes où il était en effet question de « pouvoir judiciaire », et j’ai même rappelé que, dans les débats actuels, certains réclament un pouvoir judiciaire et un Conseil supérieur de la justice. J’ai expliqué pourquoi le Gouvernement n’avait pas fait ce choix. À cet égard, je vous rappelle les déclarations de l’ancien Président de la République devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : il parlait du pouvoir judiciaire. C’est juste pour rappeler qu’il s’agit d’un débat qui traverse et travaille la société. Parfois c’est juste une question sémantique, de l’inadvertance, mais le plus souvent c’est un débat de fond.

La Constitution traite de l’autorité judiciaire et de son indépendance. J’ai parlé de nécessité, mais l’on peut aussi bien parler de contrainte ou d’obligation. Le Gouvernement a choisi de ne pas toucher à l’ordonnance de 1958, qui indique la relation hiérarchique liant les magistrats du parquet, donc ceux du ministère public. Cette relation, nous avons tenu à la maintenir, car c’est la condition républicaine de la conduite d’une politique pénale sur l’ensemble du territoire et surtout de l’égalité devant la justice.

Nous avons choisi de ne pas y toucher, mais nous souhaitons que dans l’exercice de l’action publique, lorsque le magistrat traite d’un dossier particulier, qu’appelé à prendre des décisions impartiales, en aucun cas il ne puisse être soupçonné d’agir sur instruction de l’exécutif.

J’ai rappelé tout à l’heure que le magistrat du ministère public était le garant des libertés individuelles ; la seule considération de cette qualité fait qu’il convient de le dégager des instructions individuelles. Il ne faut pas qu’il puisse être soupçonné, dans des cas où il a à se prononcer sur la liberté individuelle, d’avoir pris une décision contraire aux droits fondamentaux, d’avoir exécuté des consignes de la chancellerie.

Vous avez également évoqué les rapports. Que le procureur général fasse remonter un rapport particulier, c’est-à-dire après une procédure, ce n’est absolument pas la même chose que le fait qu’il reçoive une instruction individuelle de la part d’un garde des sceaux souhaitant intervenir dans la procédure. Ne laissez donc pas entendre qu’il y aurait une contradiction entre la décision qu’il n’y aura plus d’instructions individuelles et le maintien en même temps des conditions pour que le Gouvernement assume sa responsabilité, en matière de politique pénale mais pas seulement : en matière civile également il faut veiller à ce que la justice soit équitable sur l’ensemble du territoire. De même, j’ai déjà diffusé une circulaire en matière économique ; c’est un type de contentieux sur lequel nous travaillons. Il n’y a pas de contradiction.

Vous dites en outre qu’il s’agit encore d’un « sacro-saint » engagement du Président de la République. Je n’arrive pas à comprendre en quoi il serait critiquable - on a même le sentiment à vous entendre que ce serait infamant - de respecter ses engagements. Intellectuellement, cela me perturbe beaucoup de voir que l’on reproche au Gouvernement de réaliser des engagements du Président de la République.

Pour finir, j’en viens à un point qui vous tient à cœur et que vous avez évoqué, monsieur Geoffroy : les violences faites aux femmes. Nécessitent-elles des instructions individuelles ? Les instructions générales donnent très précisément les orientations de la politique pénale. Or je vous ai déjà dit que j’ai fait diffuser des circulaires thématiques sur des contentieux particuliers – cette situation étant particulièrement typique d’un cas pour lequel une circulaire s’applique.

S’agissant du harcèlement sexuel, par exemple, j’ai fait diffuser en même temps que la promulgation de la loi, le même jour, une circulaire d’application reprenant scrupuleusement toutes les intentions du législateur lorsque celles-ci n’avaient pas fait l’objet d’une disposition explicite, de façon à ce que les parquets puissent requérir.

Mme Catherine Coutelle. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons eu des débats sur les mineurs de quinze à dix-huit ans. Nous en avons eu également sur le risque de qualification basse en cas de harcèlement sexuel. La circulaire a très clairement demandé sur tous ces points de toujours veiller à requérir la qualification la plus haute. La demande ne concerne pas un dossier individuel, mais bien l’ensemble des parquets, lorsqu’ils sont confrontés à ce type de contentieux. Il est inutile de donner une instruction individuelle pour un dossier particulier.

Nous ne sommes pas désarmés, car viennent s’ajouter aux instructions générales de ces circulaires d’autres outils. Monsieur Geoffroy, pour connaître votre implication de longue date, je sais que vous partagez mon avis sur ce drame qui frappe notre société et pour lequel vous êtes comme moi convaincu qu’il faut faire tomber un taux d’acceptabilité encore trop élevé : c’est grâce à des politiques publiques que nous y parviendrons.

Avec Mme Vallaud-Belkacem, la ministre du droit des femmes, nous avons lancé une politique publique contre les violences faites aux femmes ; nous avons diligenté ensemble une double mission sur l’ordonnance de protection, dont sont chargées l’Inspection générale des services judiciaires et l’Inspection générale de l’administration ; nous travaillons ensemble sur un certain nombre de dispositions d’une loi-cadre que Mme Vallaud-Belkacem va bientôt présenter.

Enfin, il y a deux semaines environ, à l’Assemblée nationale, et la semaine dernière au Sénat, j’ai présenté la transposition d’une douzaine d’instruments juridiques européens et internationaux, parmi lesquels se trouvait la transposition de la directive sur la traite des êtres humains qui frappe prioritairement les femmes et fortement les enfants, mais également la transposition de la convention d’Istanbul du 11 mai 1958.

Nous disposons donc d’instruments qui nous permettent de conduire une politique offensive, déterminée, résolue et efficace contre les violences faites aux femmes. Nous devons veiller à ce que la société elle-même contribue à rendre intolérable cette violence-là. Cela ne nécessite pas d’instructions individuelles. Il s’agit d’un contentieux important, lourd et insupportable, mais nous avons des instruments pour agir et rien qui ne permette de justifier le maintien des instructions individuelles. Je respecte votre bonne foi et ne doute pas un instant de votre conviction, selon laquelle le Gouvernement pourrait rendre la politique pénale plus efficace grâce à ces instructions individuelles. Cependant, vous ne l’avez pas démontré dans cette question préalable. Il appartient au Parlement de s’exprimer, mais je tenais auparavant à vous faire ces observations.

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour le groupe socialiste, radical et citoyen.

M. Sébastien Denaja. Un texte « Bisounours », un texte « insignifiant » et « inutile » : tels sont les arguments qui fondaient les propos de M. Geoffroy pour appuyer sa motion de rejet préalable.

M. Guy Geoffroy. Il y en a eu d’autres !

M. Sébastien Denaja. Ce qui est insignifiant, monsieur Geoffroy, c’est votre critique, tant elle est excessive - cela d’ailleurs ne vous ressemble pas. Personne ne prétend ici ce soir qu’il s’agisse d’un texte historique, mais nous pourrions convenir ensemble qu’il s’agit d’un texte important.

M. Étienne Blanc. L’ère du changement…

M. Sébastien Denaja. Ce texte est-il inutile ? Assurément, il est parfaitement et absolument inutile pour une raison simple : c’est la gauche qui gouverne et c’est Christiane Taubira la garde des sceaux. Mais nous sommes bien obligés de prévoir votre retour au pouvoir, un jour.

M. Étienne Blanc. Cela viendra !

M. Sébastien Denaja. Pour éviter que vos dérives passées ne resurgissent, (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) nous voulons consacrer dans la loi la pratique vertueuse de la gauche : celle d’Élisabeth Guigou, celle de Marylise Lebranchu, celle de Christiane Taubira. C’est pourquoi, en bons Bisounours, nous allons commencer ce soir par rejeter votre motion. (Rires et applaudissements sur les bancs SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe union pour un mouvement populaire.

M. Guillaume Larrivé. Les députés de l’UMP ont rejeté hier votre projet de loi constitutionnelle relatif au CSM, parce que nous considérons qu’il éloignerait la magistrature d’un véritable contrôle démocratique. Pour les mêmes raisons, nous sommes très sceptiques face à ce projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale. S’il s’agit seulement d’écrire, comme vous le faites, que le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement, on croit entendre M. Jourdain ravi d’apprendre qu’il s’exprime en prose. Mais il ne s’agit pas que de cela, bien évidemment.

L’objet principal de votre texte est d’interdire expressis verbis les instructions écrites versées au dossier du ministre de la justice au parquet dans des affaires individuelles. Cela est-il raisonnable ou souhaitable ? Assurément non.





Comme l’a brillamment démontré notre excellent collègue, Guy Geoffroy, ce pouvoir est un pouvoir encadrant et nous pensons qu’il demeure pleinement légitime pour mettre en œuvre la politique pénale au service de l’intérêt général. Madame la garde des sceaux, n’ayez pas peur de vous-même et de votre propre pouvoir. Ne soyez pas kantienne, au sens où Charles Péguy disait que les kantiens ont les mains propres puisqu’ils n’ont pas de mains. Il faut que le ministre de la justice, quelle que soit la personne qui occupe ce ministère – car vous n’êtes pas éternelle, madame –, ait, en tant qu’expression du pouvoir démocratique, des mains pour agir au service des Français. Telle est en tout cas notre conception : nous pensons que le pouvoir politique doit agir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), dans le respect des règles de l’État de droit, défendre les Français, combattre la délinquance, s’engager et donc parfois donner des instructions individuelles écrites au parquet. C’est pourquoi le groupe UMP votera avec détermination cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Houillon. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR ne partage pas l’appréciation que notre collègue Guy Geoffroy a portée sur le projet de loi que nous examinons ce soir. Pour reprendre ses termes, il n’est pas insignifiant de clarifier l’architecture des relations entre la garde des sceaux et les magistrats du ministère public ; il n’est pas insignifiant de prohiber les instructions individuelles et de donner au parquet le plein exercice de l’action publique ; il n’est pas inutile dans le climat de défiance que nous connaissons en ce moment de mieux garantir l’indépendance et l’impartialité du parquet, dans le respect des exigences tant constitutionnelles que conventionnelles ; il n’est pas inutile de renforcer cette indépendance. Nous considérons qu’il y a là un impératif démocratique. C’est pourquoi nous nous opposerons à cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Nous sommes saisis par une motion de rejet préalable et, à chaque fois, je suis un peu surpris par les arguments de l’UMP, à l’exception quelquefois de M. Larrivé. Vous devez démontrer que le texte est contraire à la Constitution.

M. Guy Geoffroy. Pas seulement ! Il n’y a pas que cela. Allez voir le règlement !

M. Alain Tourret. Si. Vous devez d’abord démontrer que le texte est contraire à la Constitution : c’est cela la motion de rejet préalable. Or vous vous retrouvez à vous demander si le projet est souhaitable ou raisonnable, ce qui est sans aucun intérêt. Vous aviez pourtant matière à réflexion. Est-ce que le fait de redéfinir les pouvoirs du garde des sceaux est contraire ou conforme à la Constitution ? Est-ce que le fait de redéfinir les pouvoirs du procureur général et du procureur de la République y est ou non contraire ? Nous pouvons nous interroger, mais je pense que cela n’est pas contraire à la Constitution. Je me serais également demandé si l’homogénéité de l’action publique sur l’ensemble du territoire de la République est conforme ou non à la Constitution : voilà qui pose problème.

M. Philippe Houillon. En effet !

M. Alain Tourret. Il n’en reste pas moins – et je le développerai tout à l’heure – que vous ne l’avez pas démontré : c’est pourquoi nous nous opposerons à votre motion.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. J’ai trouvé un peu durs les propos de notre collègue Guy Geoffroy et je ne les partage vraiment pas. Les instructions officielles me semblent venir d’un autre âge et d’une autre France. Il y a parfois dans cette République – je salue bien sûr les pères de la République qui ont inventé une véritable démocratie représentative à la fin du XIXe siècle, mais dans le courant du XIXe siècle, nos pratiques n’ont pas toujours été démocratiques, c’est le moins que l’on puisse dire – des choses qui reviennent, comme les instructions dans les affaires individuelles. Les proscrire me paraît une excellente décision.

J’ai cru comprendre que l’on craignait une République des magistrats où ceux-ci seraient parfaitement indépendants et pourraient se servir de la justice à des fins personnelles ou politiques. Nous en sommes très loin en France. Nous ne sommes pas dans un pays où les juges sont élus : ce changement ne va dans ce sens. C’est pourquoi nous voterons contre cette motion de rejet.

Mme la présidente. Les explications de vote sont terminées.

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis un an notre majorité a pris des décisions qui prouvent une volonté sans faille de probité et de respect des citoyens. Elle a en toutes circonstances respecté l’indépendance de la justice. Aucune affaire n’a été cachée, ralentie ou entravée. Pour édifier une république exemplaire et accomplir pleinement l’effort de redressement de notre pays, il faut d’abord œuvrer à son redressement moral. Pourtant, comme une marée sans cesse renouvelée, chaque semaine nous voyons remonter à la surface une affaire ancienne mettant en cause des personnalités du monde politique, du monde économique ou encore ce soir une haute personnalité du monde judiciaire. Chaque fois le soupçon de possibles interventions, de possibles intrusions politiques dans des affaires pénales pour favoriser le sort de puissants ou d’amis de puissants renforce chez nos concitoyens un sentiment de suspicion durable à l’égard de nos institutions, au point qu’a succédé à la méfiance la défiance généralisée.

Cette suspicion, compréhensible, est parfois fondée, car des citoyens minent en profondeur le pacte social national. Comment faire accepter à un citoyen une amende légitime de quelques dizaines d’euros quand des millions d’euros sont parfois en jeu dans des affaires troubles, sans que jamais leurs acteurs ne soient inquiétés ?

Nous ne pouvons laisser perdurer un tel soupçon. Il faut rompre avec la logique judiciaire qui a présidé à l’avènement de la Constitution de 1958. Ses concepteurs développaient la thèse d’une certaine droite, selon laquelle un pouvoir politique fort doit contrôler l’appareil judiciaire, en maintenant les juges sous son joug. Comme nous avons pu le voir ce soir, cette thèse est encore vivace. Ce pouvoir devrait nommer les magistrats du parquet, décider de leur carrière, promouvant les uns, placardisant les autres, en un mot s’assurer d’une soumission complète aux intérêts politiques des puissants du moment. Dans cette logique, le pouvoir politique a donc souhaité également autoriser les interventions gouvernementales dans des affaires individuelles. L’ordonnance de 1958 comme la récente loi de 2004 ont même expressément prévu la possibilité d’instructions individuelles. La droite a toujours été partisane de la subordination organique des parquets, elle a toujours refusé qu’il en soit autrement, notamment lorsqu’elle s’est opposée à la réforme engagée par notre collègue Élisabeth Guigou.

Cette logique d’un autre temps n’est pas la nôtre. Nous, nous sommes favorables à l’ordre public, favorables tout simplement à un ordre juste. Nous voulons donc une prohibition claire, consacrée par la loi, de toute instruction individuelle, c’est-à-dire nominative. C’est là le pendant essentiel de l’équilibre entre l’opportunité des poursuites et le respect de l’intérêt général. Madame la ministre, dès septembre 2012, vous avez très expressément mis fin aux instructions individuelles par voie de circulaire, mettant enfin un heureux terme à des décennies de dérives, dont les dernières sont encore récentes et pour certaines d’une gravité sans précédent ! Nous savons très bien que des instructions individuelles peuvent être orales, et il est donc impératif de rendre illégale toute forme d’instruction et de garantir l’impartialité la plus totale des procureurs. Tel est l’objet de ce texte. Notre assemblée va enfin protéger l’impartialité en ce domaine et permettre la préservation de l’intérêt général.

Bien plus, nous allons établir un nouvel équilibre institutionnel entre, d’une part, un CSM réformé, garant de l’indépendance de la justice aux côtés du Président de la République, notamment s’agissant de la nomination des magistrats du parquet, et, d’autre part, une meilleure définition de la manière dont sera désormais conduite et définie la politique pénale dans notre pays.

Plusieurs points importants méritent d’être soulignés.

Nous réaffirmons la volonté de déterminer et de faire appliquer une politique pénale nationale, décidée par le Gouvernement, conduite par la ministre de la justice, mise en œuvre par chaque procureur, mais dont la garde des sceaux assure la cohérence sur l’ensemble du territoire de la République, que l’on soit à Neuilly ou à Bobigny. Disons-le clairement : le Gouvernement doit disposer de la capacité à déployer sur l’ensemble du territoire national ses grandes orientations de politique pénale afin que la loi soit la même pour tous et partout. C’est le sens même des instructions générales du ministère de la justice, garantes du principe sacré d’égalité des citoyens devant la loi.

Mais pour être efficaces, les instructions générales ne peuvent se multiplier. Or elles sont passées d’une vingtaine par an durant le gouvernement de Lionel Jospin à près de cent en moyenne durant le dernier quinquennat. Mes chers collègues, comment peut-on penser qu’un parquet recevant une feuille de route tous les quatre jours puisse organiser sérieusement une politique efficace, lisible et cohérente ? Mais je sais, madame la ministre, que sur ce point, votre vigilance est entière.

Je me félicite également que le texte apporte une définition plus claire des missions des procureurs généraux, chargés de la mise en œuvre sur le plan local des orientations nationales. De plus, la responsabilisation des procureurs généraux et des procureurs de la République, l’obligation d’information et de transparence, et le renforcement de la logique d’évaluation des résultats vont également dans le bon sens. À ce titre, je m’inquiète des dégâts causés par des années de défiance, d’abandon même, des gouvernements de droite à l’égard de la justice. Les victimes doivent être sûres que leur droit à obtenir justice sera mis en œuvre rapidement, que les peines prononcées contre leurs agresseurs seront effectivement exécutées. À cette fin, et je sais que la garde des sceaux doit rattraper des années de retard, des moyens humains sont nécessaires. Ainsi, en décembre 2011, la conférence des procureurs n’hésitait pas à appeler « solennellement l’attention sur la gravité de la situation » en demandant les moyens nécessaires.

Un tel appel doit être entendu car un État qui n’est plus en mesure d’assumer ses missions régaliennes et donc de faire partager le contrat social républicain cesse, de facto, d’exister, laissant le champ libre à toutes les aventures populistes les plus sombres. Pour éviter ce funeste destin, il nous faut aujourd’hui un choc régalien parce que, plus que jamais, nous avons besoin de consolider les piliers qui soutiennent l’édifice républicain, et la justice est l’un de ces piliers. Paul Valéry – pardonnez au Sétois que je suis de citer cet éminent poète natif de l’Île Singulière – : « Si l’État est fort, il nous écrase ; s’il est faible, nous périssons. » Comme vous l’avez dit en concluant votre propos, madame la garde des sceaux, pour espérer en l’État, il faut encore pouvoir espérer en la justice.

En vous épaulant, madame la garde des sceaux, nous pouvons faire de cette législature si ce n’est un moment historique, du moins un tournant important où le peuple français retrouvera confiance dans sa justice, dans ses institutions, si malmenées par nos prédécesseurs.

Avec la réforme du CSM adoptée cette nuit même par notre assemblée, la future réforme du Conseil constitutionnel, qui aura bien lieu.

M. Guy Geoffroy. Oh, ça !

M. Sébastien Denaja. et l’adoption de la présente loi, nous posons les fondations d’un nouvel équilibre des pouvoirs plus juste et plus efficace dans notre République ; en votant ce texte ensemble, nous ferons œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Madame la présidente, le projet de loi que je viens d’entendre à l’instant même qualifié d’historique…

M. Sébastien Denaja. Non, justement !

M. Philippe Houillon. … a quasiment pour seul objet de supprimer la faculté donnée au garde des sceaux par l’actuel article 30 du code de procédure pénale de dénoncer au ministère public des infractions dont il a connaissance et de lui enjoindre de les poursuivre par instruction écrite versée au dossier. Voilà l’objet de ce texte historique… C’est donc la question bien connue de la suppression des instructions individuelles voire collectives, qui, comme le prévoit la loi, ne peuvent être que des instructions de poursuivre et en aucun cas de ne pas poursuivre,…

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Philippe Houillon. …la juridiction de jugement appréciant ensuite, souverainement bien sûr, le bien-fondé de la poursuite ainsi engagée. Cela a été longtemps un sujet de débat, jusqu’en 1993, année où la gauche a fait adopter l’obligation que ces instructions soient écrites, puis, à la suite de l’alternance, la droite a, la même année, ajouté qu’elles devraient être versées aux dossiers pour assurer ainsi leur publicité et leur communication à la défense. On pouvait donc penser que la question était réglée, d’autant plus que l’étude d’impact jointe au projet de loi ne recense qu’une dizaine d’instructions par an et ne relève aucun manquement.

Mais par ce texte, de manière sans doute habile, par amalgame, on veut donner l’impression que le Gouvernement accroît l’indépendance des parquets en communiquant sur le fait qu’il s’agit d’assurer aux justiciables que le gouvernement en place ne profite pas de ses pouvoirs pour protéger ses amis – alors que, je le redis, il ne peut s’agir que d’instructions de poursuite. A priori, qui ne donnerait son accord à une aussi vertueuse intention ? En revanche, il est toujours aussi difficile de s’assurer qu’un procureur ami du pouvoir ou ami de l’opposition sera imperméable à une intervention orale.

Mais, de mon point de vue, le vrai débat n’est pas ici tant celui de l’indépendance que celui de l’impartialité, notamment parce que notre système pénal repose sur le principe de l’opportunité des poursuites et non sur celui de la légalité des poursuites. En d’autres termes, c’est le parquet qui décide en opportunité, celle-ci au demeurant variable d’un point du territoire à un autre, de poursuivre ou non. En cas de carence, le garde des sceaux ne pourra plus par conséquent enjoindre de poursuivre. En outre, il est difficile de s’assurer qu’un procureur ne laisse pas prescrire volontairement des infractions – même si le cas n’est pas fréquent –, ne préfère pas ouvrir une enquête préliminaire plutôt que faire désigner un juge d’instruction ou encore procéder à une saisine directe pour ne pas informer davantage. Qui contrôle cela ? Les voies de recours et de contrôle sont beaucoup moins évidentes en la matière qu’à l’égard du siège.

Les relations entre l’exécutif et le judiciaire constituent une problématique complexe, discutée de manière récurrente depuis plusieurs siècles. Bien entendu, la justice doit être impartiale et l’on a souvent soutenu à juste titre qu’il fallait pour cela qu’elle soit indépendante. Mais indépendante de qui et de quoi ? Les esprits simples répondent immédiatement : indépendante du pouvoir politique. Certes, mais qu’est-ce que le pouvoir politique ?

Les mêmes répondent : le pouvoir politique, c’est d’abord le Gouvernement. Sans doute, mais c’est aussi bien plus. Prenons un exemple : l’avancement des magistrats, du siège comme désormais du parquet, ne dépend pratiquement plus du Gouvernement, mais des commissions d’avancement et du Conseil supérieur de la magistrature, qui sont dominés par les syndicats de magistrats. Pour avancer, il ne faut pas déplaire à ceux-ci. Il n’y a plus besoin de courage pour résister aux politiques, c’est même le meilleur moyen d’être considéré.

Or à plusieurs reprises, on a pu vérifier que des syndicats de magistrats donnaient des orientations sur la manière de juger, commentaient l’actualité, stigmatisaient certaines catégories de justiciables, voire affirmaient leur hostilité à certaines personnes pouvant devenir des justiciables. Contre cela, le Gouvernement ne paraît pas décidé à agir. Saisir le Conseil supérieur de la magistrature d’une dérive syndicale, c’est ne pas voir le conflit d’intérêts avec les syndicalistes qui y siègent !

Le vrai devoir du magistrat, c’est de respecter scrupuleusement la loi, dans sa lettre et dans son esprit. Pour le siège, ce n’est pas toujours le cas, mais convenons qu’avec trois degrés de juridiction – même si la Cour de cassation n’est pas véritablement un troisième degré –, le système offre des garanties sérieuses pour le justiciable. En revanche, pour les magistrats du parquet, l’aléa est plus grand : à qui rendent-ils compte de leur choix de poursuivre ou non ? Devant qui en sont-ils responsables ? Quand le parquet est hiérarchisé jusqu’au garde des sceaux qui en est le chef naturel et légal, le Gouvernement est responsable devant le Parlement et l’opinion des décisions prises : désormais il ne le sera plus.

Paradoxalement, au moment où le Gouvernement fait le choix de la fausse vertu et du véritable abandon de responsabilité, il crée un procureur financier, qui va dépouiller en particulier le parquet de Paris, comme si le procureur de la République de Paris lui déplaisait et que le futur procureur financier pourrait, lui, être moins indépendant.

En résumé, il me semble que c’est évidemment habile de vouloir faire croire qu’on assure une bonne administration de la Justice en supprimant une disposition qui en fait n’offre aucun danger, mais je me demande si le but n’est pas d’éluder ainsi la véritable question qui se pose et qu’on se refuse à aborder : qui sera désormais responsable des éventuels errements du parquet ?

Au total, on le voit bien, ce projet de loi procède plus d’une action de communication que d’une réflexion aboutie. On ne peut être favorable à une indépendance du parquet vers laquelle, pas à pas, l’on semble se diriger, qu’à la condition que les nombreuses et lourdes questions qu’elle soulève, et que je n’ai pu qu’effleurer, soient débattues et réglées. Ce n’est pas le cas. Ne légiférer que sur un aspect des choses sans traiter l’autre manque de sagesse et c’est la raison pour laquelle le groupe UMP ne votera pas ce texte en l’état. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Étienne Blanc. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat sur la nature des relations entre le ministre de la justice et les magistrats du parquet, plus globalement entre l’exécutif et le judiciaire, est ancien. Déjà, en 1997, la commission Truche en avait fait l’un de ses principaux thèmes de réflexion. Le rapport de la commission de réflexion sur la justice évoquait alors la nécessité « d’éliminer tout soupçon qui affecte l’indépendance de la justice …   du fait de la subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux ». Depuis, le sujet a été abordé à maintes reprises au sein de notre assemblée, notamment en 2004, lors de l’examen de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

La question s’articule autour d’un principe fondamental dans une démocratie qui se veut respectueuse de la séparation des pouvoirs : celui de l’indépendance de la justice.

De ce principe, de cette exigence, dépendent non seulement la crédibilité des institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays.

Or, mes chers collègues, un constat s’impose : la justification d’une intervention du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires individuelles est contestée car pèsent sur elle les soupçons d’une éventuelle motivation politique des instructions adressées par le garde des sceaux.

En outre, les récentes décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que le procureur de la République ne peut être une autorité judiciaire en raison de son manque d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, ont relancé le débat sur le rôle, le statut et l’indépendance de ce parquet à la française. C’est en effet de cette subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux que découlent les soupçons pouvant affecter l’indépendance de la justice.

Ainsi, tout l’enjeu réside dans la nécessaire conciliation de deux principes, entre une organisation hiérarchique, caractéristique propre de notre système judiciaire, et la nécessité du respect de l’indépendance. D’un côté, l’article 20 de la Constitution indique que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation dans tous ses aspects. De l’autre, l’action publique est exercée par des magistrats juridiquement indépendants et théoriquement impartiaux, bien qu’ils soient hiérarchiquement subordonnés dans un système qui remonte jusqu’au garde des sceaux, membre du Gouvernement.

La suppression de la possibilité pour la chancellerie de donner des instructions individuelles aux magistrats du parquet constitue la principale proposition du texte que nous examinons aujourd’hui. L’éventuelle prohibition des instructions individuelles est effectivement au cœur du débat sur les relations entre la chancellerie et les magistrats du ministère public. Il s’agit là de consacrer la volonté du législateur de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin aux doutes pouvant s’insinuer dans le déroulement des procédures judiciaires.

Nous pourrions difficilement nous opposer à une telle mesure qui relève d’une intention louable et qui de plus revêt une portée symbolique forte.

En revanche, nous considérons qu’il est des moments, lorsque la sécurité de l’État est en jeu, où le garde des sceaux doit conserver la responsabilité de la cohérence de l’action publique. De ce fait, nous estimons que le ministre de la justice doit être en mesure de donner des instructions individuelles aux procureurs généraux dans les seules affaires mettant en jeu les intérêts fondamentaux de l’État.

Les infractions relatives aux atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État, notamment au terrorisme, que le code pénal qualifie de "crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique", touchent à la sécurité qui est des domaines de responsabilité essentiels de l’État, dont il est inconcevable qu’il se dessaisisse. Cette exception permettrait de maintenir la régulation de l’action publique tout en écartant les risques de suspicion politique.

En outre, comme l’a prévu la commission des lois concernant les instructions générales, les instructions individuelles devraient être non seulement écrites et versées au dossier, comme le stipule le droit actuel, mais également justifiées et non confidentielles, dans un souci de transparence. Tel est le sens d’un amendement porté par les députés UDI.

Plus généralement, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’indiquer hier à propos de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la question de l’indépendance de la justice et les problématiques qui l’entourent sont vastes. Elles ne sauraient se limiter à la seule question des instructions individuelles.

Les instructions individuelles, ainsi que le rappelle l’étude d’impact, ne sont que de l’ordre d’une dizaine chaque année. En outre, la ministre de la justice a mis fin aux instructions individuelles, comme l’indique la circulaire générale du 19 septembre 2012. Il s’agit donc d’institutionnaliser une pratique dont nous savons bien qu’elle ne suffira pas à elle seule à garantir pleinement l’indépendance de la justice.

Par ailleurs, le projet ambitieux, affiché par ce projet de loi, de rénover la confiance de nos concitoyens dans leur justice, impliquerait sans doute d’entreprendre une réforme en profondeur de celle-ci.

Notre système judiciaire ne se résume pas aux relations entre la chancellerie et les magistrats du ministère public. Il englobe toute une chaîne de compétences qui va de l’agent qui reçoit les justiciables à l’accueil d’un tribunal jusqu’au juge, en passant par tous les personnels de la chaîne juridique.

De même, les dysfonctionnements de la justice sont nombreux : c’est le service public de la justice lui-même qui est en cause, menacé dans sa complexité, dans une société en pleine judiciarisation.

Nous pensons néanmoins que les réponses qui sont apportées sont insuffisantes. Ce dont nous avons besoin c’est de repenser en profondeur la justice en prenant en compte l’ensemble des acteurs de notre système judiciaire et toutes les problématiques qui l’entourent, de manière à améliorer son fonctionnement et à préserver son indépendance.

Mes chers collègues, en dépit de ces réserves, le groupe UDI, dans une très large majorité votera pour ce projet de loi qui entend clarifier les rapports entre la chancellerie et les magistrats du ministère public.

De ce principe, de cette exigence, dépendent non seulement la crédibilité des institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays.

Or, mes chers collègues, un constat s’impose : la justification d’une intervention du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires individuelles est contestée car pèsent sur elle les soupçons d’une éventuelle motivation politique des instructions adressées par le garde des sceaux.

En outre, les récentes décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que le procureur de la République ne peut être une autorité judiciaire en raison de son manque d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, ont relancé le débat sur le rôle, le statut et l’indépendance de ce parquet à la française. C’est en effet de cette subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux que découlent les soupçons pouvant affecter l’indépendance de la justice.

Ainsi, tout l’enjeu réside dans la nécessaire conciliation de deux principes, entre une organisation hiérarchique, caractéristique propre de notre système judiciaire, et la nécessité du respect de l’indépendance. D’un côté, l’article 20 de la Constitution indique que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation dans tous ses aspects. De l’autre, l’action publique est exercée par des magistrats juridiquement indépendants et théoriquement impartiaux, bien qu’ils soient hiérarchiquement subordonnés dans un système qui remonte jusqu’au garde des sceaux, membre du Gouvernement.

La suppression de la possibilité pour la chancellerie de donner des instructions individuelles aux magistrats du parquet constitue la principale proposition du texte que nous examinons aujourd’hui. L’éventuelle prohibition des instructions individuelles est effectivement au cœur du débat sur les relations entre la chancellerie et les magistrats du ministère public. Il s’agit là de consacrer la volonté du législateur de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin aux doutes pouvant s’insinuer dans le déroulement des procédures judiciaires.

Nous pourrions difficilement nous opposer à une telle mesure qui relève d’une intention louable et qui de plus revêt une portée symbolique forte.

En revanche, nous considérons qu’il est des moments, lorsque la sécurité de l’État est en jeu, où le garde des sceaux doit conserver la responsabilité de la cohérence de l’action publique. De ce fait, nous estimons que le ministre de la justice doit être en mesure de donner des instructions individuelles aux procureurs généraux dans les seules affaires mettant en jeu les intérêts fondamentaux de l’État.

Les infractions relatives aux atteintes aux intérêts fondamentaux de l’État, notamment au terrorisme, que le code pénal qualifie de "crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique", touchent à la sécurité qui est des domaines de responsabilité essentiels de l’État, dont il est inconcevable qu’il se dessaisisse. Cette exception permettrait de maintenir la régulation de l’action publique tout en écartant les risques de suspicion politique.

En outre, comme l’a prévu la commission des lois concernant les instructions générales, les instructions individuelles devraient être non seulement écrites et versées au dossier, comme le stipule le droit actuel, mais également justifiées et non confidentielles, dans un souci de transparence. Tel est le sens d’un amendement porté par les députés UDI.

Plus généralement, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’indiquer hier à propos de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la question de l’indépendance de la justice et les problématiques qui l’entourent sont vastes. Elles ne sauraient se limiter à la seule question des instructions individuelles.

Les instructions individuelles, ainsi que le rappelle l’étude d’impact, ne sont que de l’ordre d’une dizaine chaque année. En outre, la ministre de la justice a mis fin aux instructions individuelles, comme l’indique la circulaire générale du 19 septembre 2012. Il s’agit donc d’institutionnaliser une pratique dont nous savons bien qu’elle ne suffira pas à elle seule à garantir pleinement l’indépendance de la justice.

Par ailleurs, le projet ambitieux, affiché par ce projet de loi, de rénover la confiance de nos concitoyens dans leur justice, impliquerait sans doute d’entreprendre une réforme en profondeur de celle-ci.

Notre système judiciaire ne se résume pas aux relations entre la chancellerie et les magistrats du ministère public. Il englobe toute une chaîne de compétences qui va de l’agent qui reçoit les justiciables à l’accueil d’un tribunal jusqu’au juge, en passant par tous les personnels de la chaîne juridique.

De même, les dysfonctionnements de la justice sont nombreux : c’est le service public de la justice lui-même qui est en cause, menacé dans sa complexité, dans une société en pleine judiciarisation.

Nous pensons néanmoins que les réponses qui sont apportées sont insuffisantes. Ce dont nous avons besoin c’est de repenser en profondeur la justice en prenant en compte l’ensemble des acteurs de notre système judiciaire et toutes les problématiques qui l’entourent, de manière à améliorer son fonctionnement et à préserver son indépendance.

Mes chers collègues, en dépit de ces réserves, le groupe UDI, dans une très large majorité votera pour ce projet de loi qui entend clarifier les rapports entre la chancellerie et les magistrats du ministère public.

M. Étienne Blanc et M. Philippe Houillon. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons  répond à une exigence fondamentale de notre démocratie, celle de l’indépendance de la justice. Les philosophes des Lumières, Locke au XVIIe  siècle puis Montesquieu, lui-même magistrat au Parlement de Bordeaux, avaient théorisé la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

Durant la première Révolution, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, les magistrats étaient élus, certes au suffrage censitaire mais tout de même, ce qui faisait que la majorité des gens étaient exclus de cette désignation.

Ne soyez donc pas surpris de notre attachement à une plus large indépendance du système judiciaire et à celle de tous les magistrats, ceux du siège comme ceux du parquet. S’ils sont chargés de mettre en œuvre la politique pénale, les magistrats du parquet ne doivent dépendre que d’elle et non pas du pouvoir politique.

C’est là toute l’importance de ce projet de loi qui vise à empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures judiciaires et notamment des procédures pénales. L’enjeu est important : nous avons tout intérêt à lever les soupçons de nos concitoyens à l’égard des liens, qui ont été parfois partisans, entre le pouvoir politique et la justice. Le lien de confiance s’est fissuré entre la justice et les citoyens au fil des chroniques judiciaires, au point que la cote de désamour des juges en vient à côtoyer celles des hommes politiques et des banquiers.

C’est pourquoi il importe d’inscrire clairement dans la loi la prohibition des instructions individuelles du ministre de la justice aux magistrats du parquet. Nous apportons tout notre soutien à ce projet de loi qui permet d’entrevoir une fin à cette pratique contestable pour notre démocratie.

Rappelons toutefois que si les instructions individuelles sont peu fréquentes – il n’y en a eu aucune entre 1997 et 2002 et seulement une petite dizaine par an au cours des dernières années –, les instructions orales ont pu être plus fréquentes et porter évidemment sur des affaires délicates.

Les instructions orales, par leur nature, ne sont pas versées au dossier, et il n’est pas totalement fantaisiste de croire que nombre d’entre elles aient été suivies. Plusieurs journaux ont ainsi souligné les interventions de membres du cabinet de différents gardes des sceaux ou celles de la direction des affaires criminelles et des grâces pour transmettre oralement des consignes aux parquets.

Cela est permis par l’organisation très hiérarchisée du parquet dont le ministère de la justice est maître des carrières. Tant que l’évolution de ces dernières restera en partie entre les mains de la chancellerie, il subsistera un doute sur la soumission, consciente ou non, des magistrats du parquet à leur environnement politique proche. Le fait que les substituts puissent être dessaisis à tout moment par leur procureur pose également des problèmes pour leur indépendance. L’affaire de l’hélicoptère envoyé dans l’Himalaya pour récupérer un procureur de la République d’Évry afin de mettre au pas un procureur adjoint trop indépendant est restée fameuse.

Même si cela relève moins des liens entre la chancellerie et le parquet que de l’organisation du parquet lui-même, il faudra veiller à ce que l’autonomie et la protection des magistrats du parquet rejoignent à terme celle des magistrats du siège.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, examinée hier dans notre hémicycle, prévoit des avancées importantes dans ce domaine en confiant au CSM un rôle substantiellement renforcé dans la nomination des magistrats du parquet. Il est proposé que la nomination de ces derniers soit désormais subordonnée à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, de même que lui revienne la procédure disciplinaire qui appartient actuellement au ministre de la justice.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature est donc une nécessité si l’on souhaite que la fin des instructions individuelles par le pouvoir exécutif ait une réelle incidence sur l’indépendance des magistrats du parquet.

Dès lors, nous ne pouvons que regretter le refus exprimé par l’opposition de soutenir ce texte, car l’indépendance de la justice aurait mérité un consensus transpartisan. L’opposition pourra ainsi continuer à s’élever dans la presse contre les décisions de justice qui ne lui conviennent pas, au mépris du respect le plus élémentaire de l’indépendance de la justice, ce dont le juge Gentil a fait la triste expérience récemment. C’est le système judiciairein extenso la démocratie qui sont décrédibilisés par de telles critiques venant de parlementaires.

En tout état de cause, il convient de mettre fin dans la loi aux types de pressions qui peuvent déjà être prohibées. Les instructions individuelles sont autorisées par le dernier alinéa de l’article 30 du code de procédure pénale résultant de la loi du 9 mars 2004. Mettons-y fin en veillant donc à ce que le terme d’instructions individuelles recouvre le spectre le plus large des pratiques, qu’elles soient écrites, orales ou autres. C’est le sens de l’un de nos amendements qui vise à renforcer le caractère impératif de l’interdiction de toute instruction individuelle.

Il ne faudrait pas qu’avec la suppression des instructions écrites, versées au dossier, nous oubliions les instructions orales qui, pour être moins visibles car non versées au dossier, n’en existent pas moins.

Nous affichons notre satisfaction de voir exprimée la volonté d’une plus forte publicité de ces instructions générales de politique pénale, comme l’a souhaité le rapporteur.

Je tiens également à remercier Mme la garde des sceaux de soutenir sans hésiter une demande de la commission des lois : que le Gouvernement informe tous les ans le Parlement de la mise en œuvre de sa politique pénale par le biais d’une déclaration éventuellement suivie d’un débat. C’est la preuve de l’engagement sans faille de Mme la garde des sceaux en faveur d’une transparence retrouvée de l’action politique et du fonctionnement de la justice en France.

L’organisation d’un débat autour du rapport annuel de politique pénale établi par le procureur de la République au cours des assemblées générales des magistrats du siège et du parquet des tribunaux de grande instance procède de la même logique de transparence.

Pour aller encore plus loin dans cette transparence, nous présenterons deux amendements visant à ce que les éventuels rapports particuliers des procureurs généraux au ministre de la justice, portant sur une ou plusieurs affaires individuelles, puissent être versés à la procédure.  Dès lors qu’ils n’ont pas pour objet d’aboutir à une quelconque instruction, il convient que les éventuels rapports individuels soient donnés à la connaissance de l’ensemble des parties et des magistrats travaillant sur le dossier, notamment pour l’exercice des droits de la défense.

En définitive, cette réforme est emblématique des principes directeurs qui guident la nouvelle politique pénale qu’a décidé d’impulser notre garde des sceaux – et bien sûr le Président de la République –, et nous la soutenons totalement dans cette voie.

Cette réforme est également fidèle à la ligne de conduite du Gouvernement qui, depuis le début, s’est efforcé d’être responsable et garant de l’indépendance de la justice, comme en témoigne la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac. En instaurant des rapports plus sains et transparents entre la Chancellerie et le parquet, la gauche désire mettre fin aux soupçons d’une justice aux ordres dont les citoyens ont plus qu’assez d’apprendre les ressorts dans la presse.

Consacrer l’indépendance de la justice était un engagement du Président de la République. Nous sommes fiers de pouvoir y contribuer aujourd’hui. C’est donc avec enthousiasme et conviction que nous voterons pour ce projet de loi.

M. Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des lois et et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 20 de la Constitution est lapidaire : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » C’est simple ; cela sonne comme un coup de canon.

Cet article permet bien évidemment, en période de cohabitation, de rappeler que le Premier ministre n’est pas simplement le directeur de cabinet du Président de la République. Il permet aussi d’affirmer que c’est au Gouvernement qu’il revient de conduire la politique pénale de la nation. Pourquoi faudrait-il qu’il n’existe qu’une exception, la justice, alors même que les magistrats du parquet, procureurs et substituts, sont hiérarchiquement soumis au garde des sceaux, ministre de la justice ?

Rappelons par ailleurs qu’aux termes de la loi du 9 mars 2004, le ministre de la justice conduit la politique d’action publique déterminée par le Gouvernement. Il revient donc, en application de l’article 31 du code de procédure pénale, aux procureurs, au ministère public, d’exercer l’action publique et de requérir l’application de la loi. Quant au ministère public, il lui appartient d’exercer l’action publique dans le respect des principes d’indépendance et d’impartialité. Tout cela était très clair, sans doute trop dans notre République.

Les rôles respectifs du Gouvernement, du garde des sceaux et des procureurs étaient bien structurés. Mais depuis toujours, en matière de justice, avec la pression des affaires, des textes européens et de l’opinion, tout ce qui aurait dû être simple dans une République vertueuse est devenu insupportable. Car il est bien vrai que le citoyen, aiguillonné par la presse, soupçonne le pouvoir d’utiliser la justice au profit de ses amis, et le peuple ne veut ni de la République des copains ni de la République des coquins.

Alors, il a fallu trouver, bien évidemment, un certain nombre de responsables.

Les premières visées ont été les instructions individuelles données par le garde des sceaux. Elles devaient pourtant, depuis 1993, être écrites, versées au dossier, communiquées à la défense, communiquées aux parties. C’est ce bon M. Méhaignerie, dont nul n’oserait ici mettre en cause une quelconque intention malicieuse, et le président de la commission des lois dira en plus que c’était un Breton, qui était à l’origine de ce système qui, au demeurant, ne fut utilisé qu’une dizaine de fois par an.

Mais le politiquement correct ne pouvait supporter plus longtemps le pouvoir du garde des sceaux.

Désormais, le garde des sceaux ne pourra plus adresser aucune instruction dans les affaires individuelles. Il y renonce. Il ne pourra plus – et, ça, c’est plus grave, madame la garde des sceaux – dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a eu connaissance, puisque le texte sur le fondement duquel il pouvait le faire est supprimé.

Le garde des sceaux était jusqu’à présent un acteur. Il devient un arbitre, avant de devenir un témoin.

Un homme ressort renforcé de cette réforme. C’est, à l’évidence, le procureur de la République.

Tout d’abord, si le procureur général avait, dans l’exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique, en application de l’article 35 du code de procédure pénale, c’est désormais le procureur qui pourra exercer l’action publique.

Il sera précisé par ailleurs, aux termes de l’article 39-1 du code de procédure pénale, que le procureur de la République aura tous les pouvoirs de l’action publique, certes dans le cadre des instructions générales du ministre de la justice et du procureur général, mais tout cela reste bien vague. Le procureur pourra en réalité diligenter à sa guise, selon son bon vouloir, l’action publique. Il est même précisé qu’il pourra tenir compte du contexte propre à son ressort.

J’ai écouté vos explications, madame la garde des sceaux. Elles sont subtiles, mais je n’arrive pas à être convaincu par votre subtilité. En effet, en s’appuyant sur ce nouvel article 39-1 du code de procédure pénale, le procureur pourra, par exemple en matière de consommation de stupéfiants, poursuivre ou ne pas poursuivre, en estimant qu’il lui appartient d’apprécier souverainement le contexte propre à son ressort.

Il existe là un véritable danger de voir l’action publique se décliner de manière différente, et en toute légalité, sur le territoire français. Autant de procureurs, autant de baronnies !

Que restera-t-il du principe d’égalité de chacun devant la loi pénale ? La justice sera-t-elle appliquée et diligentée de la même façon ici en Amérique, ici en Océanie, ici dans l’Océan indien, ici en Afrique  ? Car la France est partout. La France est une et indivisible, même dans ces parties du monde, dans toutes les parties du monde où flotte le drapeau français.

La justice sera sans doute indépendante du pouvoir politique. Sera-t-elle pour autant impartiale ? Finalement, c’est la seule chose qui compte car que demande le justiciable, s’il n’est pas journaliste judiciaire au Monde ou à Libération ? Ce n’est pas une justice indépendante, c’est une justice impartiale qu’il revendique. Il ne veut dépendre ni du gouvernement des juges ni du bon vouloir des responsables politiques.

Le système que vous nous proposez aurait cependant pu trouver son équilibre, à la condition que fût renforcé, paradoxalement, le pouvoir du garde des sceaux, à condition que l’on en fît, au sein du Gouvernement, un ministre à part, désigné pour la durée de la législature, débarrassé des aléas politiques, débarrassé de la crainte du remaniement. Le garde des sceaux aurait alors été incontestable. C’eût été une personnalité de haut niveau – comme actuellement  ! – de par son statut différent de celui du simple ministre. Peut-être parviendra-t-on à cet idéal sous la VIème République, si chère à quelques membres du Gouvernement.

Un autre équilibre aurait pu être trouvé si l’on avait abandonné le système de l’opportunité des poursuites. On semble penser qu’il va de soi, mais ce n’est pas le cas. Vous le savez bien, monsieur le rapporteur : ce système n’existe pas dans nombre de législations en Europe et dans le monde. En effet, à ce principe d’opportunité s’oppose le principe de légalité, qui permet une action publique uniforme sur tout le territoire de la République. Or, en l’occurrence, on retient à la fois le système de l’opportunité et le système de l’action propre dans le ressort de tel ou tel procureur.

Sous l’influence aveugle des Anglo-Saxons mais aussi européenne, nous nous détachons de l’interprétation jacobine de l’article 20 de la Constitution. Certes, rien n’a été parfait dans le passé. Est-on pour autant certain que tout sera parfait à l’avenir ? Est-ce que la République des procureurs sera une garantie pour les justiciables ? J’en doute.

Notre conception de la République est simple : le garde des sceaux conduit l’action publique, il doit rendre compte au chef du Gouvernement, il doit rendre compte au Parlement. Plus que quiconque, il doit être et vertueux et incorruptible. Il est la clé de voûte du système républicain.

Ce projet de loi aurait donc pu s’organiser autour du garde des sceaux, et non autour du procureur de la République. C’eût été une garantie pour le justiciable d’avoir la même politique pénale sur tout le territoire de la République. Nous ne sommes donc pas convaincus par la pertinence de ce projet de loi, en dépit de la conviction et des talents conjugués de Mme la garde des sceaux et de M. le rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le renforcement des garanties d’indépendance et d’impartialité du parquet est aujourd’hui un impératif démocratique. En effet, ainsi que le souligne à juste titre l’exposé des motifs du projet de loi que nous examinons ce soir, « l’indépendance de la justice constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs. »

Oui, le renforcement de l’indépendance des magistrats du parquet est une nécessité afin que soit levé tout soupçon sur leur impartialité. La confiance du justiciable s’en trouvera assurément grandie. C’est d’ailleurs ce que le premier président de la Cour de cassation a rappelé à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée du 7 janvier 2011 : « La justice doit recevoir de la société autant qu’elle lui apporte. Ce qu’il lui faut obtenir et ce qu’il lui appartient de donner, c’est de la confiance. L’indépendance et la déontologie des magistrats en sont les ressorts majeurs. » Les magistrats du parquet gagneraient en sérénité, car, en l’état actuel du droit, le doute peut toujours germer sur les conditions dans lesquelles ils travaillent.

Nous partageons donc pleinement l’ambition de ce projet de loi qui entend, par la clarification de l’architecture des relations entre le garde des sceaux et les magistrats du ministère public, empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales.

Le projet de loi restitue ainsi au garde des sceaux la responsabilité d’animer la politique pénale du Gouvernement sur l’ensemble du territoire, conformément à l’article 20 de la Constitution, et le parquet se voit confier le plein exercice de l’action publique. En clair, il revient au ministre de la justice de définir les priorités de la politique pénale et aux procureurs généraux et aux procureurs de décliner ces orientations générales dans leur ressort.

Le principe de subordination hiérarchique n’est aucunement inconciliable avec l’indépendance des magistrats. Comme le souligne le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004, le pouvoir du garde des sceaux d’adresser au ministère public des instructions de portée générale et de l’enjoindre à exercer des poursuites ne porte atteinte à aucune exigence constitutionnelle, notamment pas au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire.

Si les instructions formulées dans le cadre de la politique d’action publique peuvent aisément se concevoir, que ce soit pour garantir une bonne conduite de la politique pénale de la nation ou l’égalité des citoyens devant la loi, en revanche, les instructions individuelles ne sont pas de nature à éloigner le spectre de la politisation du pouvoir juridictionnel.

L’inscription explicite dans la loi de l’interdiction des instructions du garde des sceaux dans les affaires individuelles constitue donc une avancée importante. Cette disposition majeure du projet de loi permet de concilier le principe selon lequel le Gouvernement conduit la politique de la nation, en l’occurrence la politique pénale, avec l’exercice de l’action publique par des magistrats indépendants et impartiaux, bien que hiérarchiquement subordonnés.

Cette interdiction explicite marque une profonde rupture, salutaire, avec un passé récent, notamment avec la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui avait renforcé le pouvoir hiérarchique du garde des sceaux en maintenant les instructions individuelles et en étendant ses prérogatives à la conduite de l’action publique, jusqu’alors réservée aux seuls magistrats du parquet.

Les consignes particulières données par le ministre dans le cadre d’affaires spécifiques ne relèvent pas, en effet, d’une politique pénale légitime. Elles s’apparentent au contraire à des pressions exercées sur l’autorité judiciaire. La séparation des pouvoirs étant nécessaire dans tout système démocratique, l’exécutif doit s’abstenir de s’immiscer dans les procédures judiciaires.

Sur ce point, je veux ici rappeler la position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, exprimée dans son avis de 2010 sur la réforme de la procédure pénale : « Si la CNCDH reconnaît la nécessité d’asseoir une politique pénale au moyen d’instructions générales adressées au parquet, elle estime que des garanties d’indépendance du parquet devraient être assurées, d’une part, par une nomination sur avis conforme d’un Conseil supérieur de la magistrature rénové et, d’autre part, par la suppression pure et simple dans les textes des instructions individuelles. »

En lien avec la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, ce projet de loi, même s’il ne propose pas, à juste titre, un statut véritablement rénové du parquet, permet de trouver un point d’équilibre entre la compétence du ministre de la justice dans la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement et l’attribution au ministère public de l’exercice de l’action publique.

J’ajoute que des améliorations apportées par notre commission des lois à l’initiative de notre rapporteur donnent des garanties supplémentaires en termes de transparence.

Nous souscrivons en particulier au principe de publicité des instructions générales de politique pénale, qui sont adressées par le garde des sceaux aux magistrats du ministère public, afin que chaque citoyen puisse connaître des choix du ministre de la justice en matière de politique pénale. Dans le même esprit, nous sommes favorables à une déclaration, chaque année, du Gouvernement devant le Parlement, qui pourrait être suivie d’un débat, sur la mise en œuvre de sa politique pénale.

L’interdiction désormais faite au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du ministère public aucune forme d’instruction dans les affaires individuelles revêt une forte valeur symbolique. Cette prohibition sera gravée dans le marbre de la loi, même si aucune disposition du texte n’en garantit l’effectivité dans la pratique. L’on pourrait également s’interroger sur l’incidence réelle de cette interdiction sur certaines pratiques professionnelles telles que celles relatées par le Syndicat de la magistrature dans ses observations du 16 mai 2013 sur le projet de loi. Il serait, selon lui, encore d’usage, dans de nombreux parquets, d’imposer aux substituts de demander à leurs supérieurs hiérarchiques l’autorisation d’ouvrir une information judiciaire, ou de faire signer par ces mêmes supérieurs leurs réquisitoires définitifs en matière criminelle, alors que chaque magistrat du parquet est censé, aux termes de la loi, pouvoir choisir les modalités des poursuite qu’il estime adaptées. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé qu’un magistrat du parquet « puise en sa seule qualité, en dehors de toute délégation de pouvoir, le droit d’accomplir tous les actes rentrant dans l’exercice de l’action publique. »

Au-delà de ces interrogations, nous considérons que ce projet de loi constitue une avancée réelle et importante pour lever les soupçons de dépendance et de partialité qui décrédibilisent l’institution judiciaire aux yeux de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche voteront pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons ce soir, avec l’examen de ce projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, le travail législatif engagé hier lors de l’adoption en première lecture des articles du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Avec ces textes, nous portons une ambition simple, claire et forte : consacrer par la loi - qu’elle soit constitutionnelle ou pas - le principe de l’indépendance de la justice dans notre pays. Il s’agit de conforter des pratiques saines, qui - certes - se sont construites dans une progression continue au cours des dernières décennies, mais dont la mise en œuvre demeure encore aujourd’hui soumise à la volonté, qui peut être plus ou moins sincère, du pouvoir exécutif du moment.

Avec la candeur qui sied au néophyte, j’imaginais que nous saurions nous retrouver, au-delà des clivages partisans, dans l’émotion et le plaisir qui marquent les rares moments d’unité advenant dans cet hémicycle, autour de cette belle idée républicaine : consacrer dans le marbre de la loi l’indépendance de la justice en France.

En lieu et place, nous avons eu droit hier, de la part de l’opposition, à un florilège d’arguments souvent contradictoires : les uns jugent que nous proposons trop, les autres que nous n’en faisons pas assez ; certains nous trouvent trop précipités, d’autres que nous ne sommes pas assez prompts. Derrière ce tir de barrage, assez moyennement nourri sur le fond, affleuraient en permanence deux motifs inavoués.

Le premier motif, largement partagé sur tous les bancs de la droite, relève d’une posture politicienne. Il peut ainsi se résumer : « fût-ce pour une belle cause, nous ne voulons en aucune manière vous offrir le succès de l’adoption d’une quelconque réforme constitutionnelle. »

En lieu et place, nous avons eu droit hier, de la part de l’opposition, à un florilège d’arguments souvent contradictoires : les uns jugent que nous proposons trop, les autres que nous n’en faisons pas assez ; certains nous trouvent trop précipités, d’autres que nous ne sommes pas assez prompts. Derrière ce tir de barrage, assez moyennement nourri sur le fond, affleuraient en permanence deux motifs inavoués.

Le premier motif, largement partagé sur tous les bancs de la droite, relève d’une posture politicienne. Il peut ainsi se résumer : « fût-ce pour une belle cause, nous ne voulons en aucune manière vous offrir le succès de l’adoption d’une quelconque réforme constitutionnelle. »

M. Gérald Darmanin. C’est vrai !

M. Pascal Popelin. « Et puisque nous avons le pouvoir numérique de bloquer toute réforme de cette nature, quel qu’en soit le motif, nous bloquerons ! »

M. Gérald Darmanin. Tout à fait !

M. Pascal Popelin. Vous l’avouez vous-même ! Triste stratégie !

M. Guy Geoffroy. La gauche n’aurait jamais fait cela, bien entendu !

M. Pascal Popelin. Nous avons clairement compris le second motif en écoutant les interventions de nos collègues de l’UMP les plus désinhibés. Fondamentalement, l’idée même d’indépendance de la justice contrarie une partie d’entre eux. Qu’un procureur ordonne souverainement une enquête préliminaire, puis ouvre librement une information judiciaire afin de faire la lumière sur les révélations médiatiques concernant Jérôme Cahuzac, vous êtes d’accord – tout comme nous. Mais qu’un collège de juges d’instruction ose mettre en examen Nicolas Sarkozy, alors là, non !

M. Gérald Darmanin. Vous vous égarez !

M. Guy Geoffroy. Relisez l’article 30 du code de procédure pénale !

M. Pascal Popelin. Pour vous, ces magistrats « déshonorent » forcément l’institution judiciaire, pour reprendre le terme employé par l’un de nos collègues, qui par un prompt renfort, se vit emboîter le pas par une centaine d’autres.

Tout le problème est malheureusement là, mes chers collègues. Nous avons le devoir de contribuer au changement de cette manière de penser et de réagir.

J’ignore quel sort sera réservé à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui nécessite une majorité des trois cinquièmes du Congrès pour voir le jour. Chacun rendra compte de ses choix et de ses attitudes devant l’opinion. Pour ma part, je ne désespère jamais définitivement de voir la sagesse prendre le pas sur d’autres considérations.

En revanche, nul besoin de la permission de l’opposition pour inscrire dans la loi les bonnes pratiques qui caractérisent les relations que vous avez instaurées, madame la garde des Sceaux, entre la chancellerie, et les parquets, comme l’avaient fait avant vous certains de vos prédécesseurs, de gauche comme de droite. Oui, nous sommes favorables à la nouvelle rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale, qui est d’ailleurs plus conforme au contenu de l’ordonnance du 22 décembre 1958 que ne l’étaient les dispositions modifiées par la loi du 9 mars 2004.

Oui, nous pensons qu’il est opportun de confier au garde des Sceaux la responsabilité d’animer, en toute transparence, la politique pénale du Gouvernement sur l’ensemble du territoire de la République, conformément à l’article 20 de la Constitution, tandis que le parquet disposera du plein exercice de l’action publique.Oui, nous estimons qu’il est bon que la loi interdise au ministre d’adresser aucune instruction dans des affaires individuelles, et de ne pas laisser cette question à sa seule appréciation.

Oui, nous pensons qu’il est important que la loi prévoie aussi les conditions dans lesquelles le parquet informe la chancellerie de son application et de la mise en œuvre des instructions générales.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous voterons ce texte, qui n’en déplaise à certains, constitue d’évidence un progrès pour notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Paul Molac. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Madame la garde des sceaux,  monsieur le rapporteur, vous nous soumettez aujourd’hui un texte portant sur l’article 30 du code de procédure pénale. Ce texte promeut, selon vous, une nouvelle indépendance des magistrats du parquet. Le moins que l’on puisse dire, monsieur le rapporteur, c’est que  vous n’avez pas manqué de prétention dans votre exposé. Vous nous avez dit que cette réforme, essentielle, considérable, allait ouvrir une ère nouvelle : voici que cette ère nouvelle s’ouvre devant une vingtaine de nos collègues, dans une ambiance un peu lourde, voire un peu terne. Si  réforme de fond il devait y avoir, elle n’est en tout cas pas portée politiquement par votre majorité  !

En réalité, ce texte traduit l’échec prévisible de votre réforme constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature. Tout le monde s’attend à cet échec. Le Président de la République capitulera-t-il en rase campagne au vu de l’éclatement de sa majorité et du peu de soutien qu’il a obtenu des autres formations politiques sur ce texte qu’il considère essentiel ? Tentera-t-il, à l’inverse, l’aventure de réunir le Parlement en Congrès à Versailles ? Vous voulez pouvoir dire aux Français : « Nous avons tout fait, regardez : nous avons même adopté un texte pour rendre les magistrats du parquet indépendants. » Ce texte-là n’est pas un texte fondateur : c’est une roue de secours pour pallier l’échec prévisible de votre réforme constitutionnelle.

Par ailleurs, ce texte est  inutile. Vous l’avez écrit vous-même, monsieur le rapporteur, et l’étude d’impact que nous a transmise Mme la garde des sceaux le montre clairement : en dix ans, de 2003 à 2013, 37 instructions individuelles ont été prises, soit moins de quatre par an ! Et voici qu’en supprimant ces instructions individuelles, vous modifieriez considérablement le cours des choses et vous rendriez notre justice plus indépendante ? Non, bien évidemment !

Ce texte aura surtout des conséquences funestes et éminemment politiques. Madame la garde des sceaux, vous êtes légitime aux yeux des élus du peuple car vous répondez devant eux la politique que vous menez. Désormais, entre le peuple français et les magistrats, vous ne jouerez plus le rôle de fusible. En cas de dysfonctionnement, le peuple se retrouvera seul face aux juges, car vous aurez renoncé à ces instructions individuelles. Elles sont pourtant essentielles. Qui plus est, elles assurent, sur l’ensemble du territoire national, la cohérence de la politique pénale. Il y a, bien sûr, des instructions générales, mais que vaudront-elles si vous ne vous donnez pas les moyens de vous assurer qu’elles sont mises en œuvre ? Si vous ne pouvez plus vous assurer qu’elles sont bien appliquées sur telle ou telle portion du territoire national ?

Enfin, madame la garde des sceaux, vous tentez, en nous présentant ce texte, de cacher le véritable problème de notre justice. Le problème de la justice, en France, n’est pas celui de son indépendance. J’ai entendu M. Truche parler de la manière dont un procureur de la République considère les instructions qui lui sont envoyées, ou les ordres qui lui sont transmis. Les magistrats de France, y compris ceux du parquet, font preuve de discernement, et savent faire la part des choses lorsque l’autorité politique tente de s’immiscer de manière excessive dans une affaire individuelle.

La réalité, madame la garde des sceaux, c’est que notre justice souffre d’une politisation extrême, une politisation qui jette une suspicion bien compréhensible sur l’impartialité de nos juges.

M. Guy Geoffroy. Eh oui ! Voilà d’où vient la suspicion !

M. Étienne Blanc. Madame la garde des sceaux, je figure sur ce fameux « mur » exposé au siège du Syndicat de la magistrature, dans des locaux qui appartiennent à la chancellerie. Je peux, comme un autre, être cité à comparaître demain devant un tribunal correctionnel. Dans ce cas, j’attendrais de la justice de mon pays qu’elle soit impartiale. Bénéficierais-je de cette impartialité alors que le juge qui siégerait face à moi serait peut-être membre d’un syndicat qui aura affiché mon nom sur ce « mur des cons » ? M. le Président de la République, qui est pourtant garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, n’est pas intervenu dans cette affaire. Vous-même, vous avez saisi le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne vous a pas vraiment répondu, mais a fui cette question !

Mme la présidente. Merci de conclure, cher collègue.

M. Étienne Blanc. Lui avez-vous, à dessein, posé une mauvaise question ? Je ne sais. En revanche, ce que je sais c’est que vous tentez, en présentant ce texte à notre assemblée, de masquer le véritable problème de notre justice : sa politisation et sa partialité. C’est sur ce sujet, madame la garde des sceaux, que la représentation nationale vous attendait. Vous n’êtes pas au rendez-vous : vous manquez aux Français, et à la justice française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Brigitte Bourguignon. Quelle mauvaise foi !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame la garde des sceaux, je crains fort que si cette réforme s’applique, vous ayez toujours des sceaux mais que vous n’en ayez plus l’usage,. ce qui serait bien dommage.

On le sait, le procureur de la République détient d’énormes  pouvoirs. Il a la possibilité d’engager des poursuites, ce qui est une faculté extraordinaire. Il peut décider, seul, de renvoyer quelqu’un devant le tribunal correctionnel, de prolonger une garde à vue  ; de même, il a la direction des enquêtes et le droit de requérir.

Je ne m’élève pas contre la suppression des instructions individuelles, qui est une bonne chose. Cependant, si le garde des sceaux n’avait plus l’autorité nécessaire sur les procureurs de la République, s’il ne pouvait pas indiquer, quand il le faut, que des poursuites doivent être engagées, cela, malheureusement, reviendrait plus ou moins à ce que l’Etat abdique. On ne peut pas concevoir l’idée de justice sans l’idée de l’État. Le garde des sceaux est donc à sa place quand il donne, par exemple, des instructions générales de politique pénale dans l’intérêt supérieur de l’État. Il ne s’agit pas là de pressions exercées sur la justice, ni d’atteinte à l’indépendance des magistrats. Quand le garde des sceaux dit à un procureur : « Vous devez poursuivre, car les faits commis requièrent des poursuites », il agit conformément à sa mission de représentant de l’État. Malheureusement, ce texte dépouillera le garde des sceaux de ses moyens, ce qui est bien dommageable.

Qui de nous ne rêve d’une justice indépendante et impartiale ? Or, pour passer suffisamment de temps devant les tribunaux, je peux vous dire que ce n’est pas franchement souvent le cas ! Ce n’est pas forcément un manque d’indépendance qui vient d’une quelconque pression. Ce n’est pas forcément un manque d’impartialité qui vient d’une partialité profonde ! Non, c’est plus large, c’est plus petit, c’est plus mesquin ! Cela tient à un phénomène qui, aujourd’hui, me fait peur. Je sais que vous ne m’entendrez pas dans ce que je vais vous dire, mais tant pis ! Cela tient au fait qu’il y a, de tous côtés, une politisation absolument effroyable de la justice. Je n’ai, pour ma part, pas envie de dire que ce n’est que d’un côté, c’est de tous côtés ! Tout à l’heure, s’est exprimé à la tribune, un décoré du mur des cons et il n’est pas seul, car c’est aussi mon cas ! Nous sommes une grande promotion !

Ce n’est pas forcément un manque d’indépendance qui vient d’une quelconque pression. Ce n’est pas forcément un manque d’impartialité qui vient d’une partialité profonde ! Non, c’est plus large, c’est plus petit, c’est plus mesquin ! Cela tient à un phénomène qui, aujourd’hui, me fait peur. Je sais que vous ne m’entendrez pas dans ce que je vais vous dire, mais tant pis ! Cela tient au fait qu’il y a, de tous côtés, une politisation absolument effroyable de la justice. Je n’ai, pour ma part, pas envie de dire que ce n’est que d’un côté, c’est de tous côtés ! Tout à l’heure, s’est exprimé à la tribune, un décoré du mur des cons et il n’est pas seul, car c’est aussi mon cas ! Nous sommes une grande promotion !

M. Guy Geoffroy. Avec le ministre de l’intérieur !

M. Gilbert Collard. Nous devrions faire un club !

Que l’on me comprenne  : quand un justiciable se présente face à des juges qui ont commis cette vilenie, quelle idée peuvent-ils se faire de l’indépendance de la justice ?

Dans le peu de temps dont je dispose dans cette aumône de parole, je me contenterai de m’interroger. Comment peut-on oser parler d’indépendance de la justice alors qu’il y a des juges que l’on décore, alors qu’il y a des juges que l’on nomme dans des ministères pour occuper des postes et qui, ensuite, retournent dans les tribunaux. Juges de droite, juges de gauche, peu importe ! Ce qui compte, c’est le justiciable. Comment peut-on parler d’indépendance quand on constate, en dépit de tout, aujourd’hui, un tel syndicalisme ? Si on aime la justice, commençons par dire qu’on ne les décorera plus, qu’ils n’iront plus dans les ministères et que leur syndicalisme, pour nécessaire qu’il soit, devra être relativement neutre pour que l’on n’ait pas peur d’être fusillé contre le « mur d’une vraie connerie » !

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Huyghe, dernier orateur inscrit.

M. Sébastien Huyghe. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement a présenté en conseil des ministres, le 27 mars dernier, un projet de loi « relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique ». Le texte qui nous occupe est composé de quatre articles, sachant que seul l’article 1er n’est pas purement rédactionnel.

Je ne m’attarderai pas sur l’article 2, qui modifie la rédaction de l’article 35 du code de procédure pénale relatif aux attributions des procureurs généraux pour préciser davantage, même si la rédaction actuelle de l’article 35 le dit autrement, qu’ils ont pour mission de procéder à la déclinaison locale des orientations nationales.

Je ne m’attarderai pas non plus sur l’article 3 qui insère un nouvel article 39-1 dans le code de procédure pénale relatif à la mission des procureurs de la République, afin de préciser une évidence, à savoir que le procureur de la République met en œuvre dans son ressort la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice et du procureur général, en tenant compte du contexte propre au ressort, et qui rappelle également l’obligation d’information du procureur vis-à-vis du procureur général.

Seul l’article 1er donc, qui réécrit l’article 30 du code de procédure pénale, constitue un véritable ajout : il a pour objet d’interdire les instructions individuelles données par le ministre de la justice à ses procureurs.

Je veux débusquer le préjugé idéologique dangereux qui conduit, par pure stratégie, le Gouvernement à mettre en discussion un projet de loi sur les instructions données au parquet. Il s’agit, en théorie, d’assurer aux justiciables que le Gouvernement en place ne profite pas de ses pouvoirs pour protéger ses intérêts. Je vois mal comment l’on pourrait ne pas souscrire à cet objectif louable et à cette belle et vertueuse déclaration de principe !

Je tiens cependant à faire remarquer que l’étude d’impact produite par le ministère de la justice fait état, en réalité, pour les instructions visées, d’une moyenne de dix instructions par an ! Plus encore, ces instructions, dans les faits, ne présentent aucune anomalie, puisque l’examen des principales instructions données depuis 2004 révèle que toutes les instructions données visent à diligenter des poursuites ou des enquêtes, ou à former des recours dans l’intérêt de la loi.

Ce projet de loi, est donc, je le regrette, empreint d’une certaine hypocrisie de la part de la majorité. Admettez-le : la vérité, c’est que cet article 30 du code de procédure pénale, issu d’une ordonnance de 1958, sert, depuis bien longtemps, de chiffon rouge à la gauche pour accuser l’ancienne majorité d’avoir étouffé des affaires ! Mais vous savez pertinemment qu’il n’y a aucune instruction qui vise à étouffer quoi que ce soit. Soutenir le contraire serait mensonge et pure démagogie !

Si cet article 30 a été, dans le passé, objet de polémique, je tiens à rappeler que le 4 janvier 1993, la gauche avait – et c’était opportun – fait adopter une disposition précisant que les instructions individuelles devaient être écrites. Je tiens également à rappeler que le 24 août 1993, notre majorité a voté une disposition visant au versement automatique de ces instructions au dossier pénal et, par conséquent, à leur communication à la défense. Vous le voyez, l’essentiel est donc réglé depuis vingt ans. Mais cela ne garantit pas l’absence d’instructions verbales. Cela ne garantit pas que, verbalement, l’on s’abstienne de donner des conseils aux magistrats. Soyez honnêtes et reconnaissez avec nous que ce projet de loi ne le garantira pas non plus. Ce n’est pas la suppression des instructions individuelles qui empêchera que cette pratique condamnable perdure et, en la matière, personne n’a de leçon à recevoir de personne.

Je ne peux que déplorer que nous soyons encore face à un projet de loi plein de bonnes intentions, mais, somme toute, assez creux, si ce n’est de symbole. Je ne peux que déplorer que la majorité persiste à ne donner que de timides signaux politiques, incapable qu’elle est de remédier à la crise profonde que traverse la justice !

La vérité, c’est qu’au-delà des mots, vous n’avez rien à proposer aux Français, sinon l’effet d’annonce d’une série de mesurettes inefficaces qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. C’est sans doute la raison pour laquelle, en professionnels de la diversion que vous êtes, vous vous êtes saisis du prétexte d’accorder plus d’indépendance au Parquet, pour organiser, une fois de plus, un débat tout à fait accessoire, dans le simple but de détourner l’attention de l’opinion, et de tenter, en vain, de lui faire oublier la crise sans précédent que traverse la France et votre incapacité à faire preuve du courage politique que la situation réclame ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je souhaite remercier tous les orateurs qui se sont exprimés, particulièrement ceux qui ont su montrer l’importance de ce projet de loi. Il y a manifestement une convergence d’appréciation quant à l’importance de dégager le garde des sceaux de l’exercice de la conduite de l’action publique, de reconnaître que le procureur général doit animer et coordonner cette action publique et de faire en sorte que le procureur l’exerce directement. En revanche, la responsabilité du garde des sceaux est nette et clairement assumée : il répond de la politique pénale. Nous mettons donc, d’une certaine façon, un terme à la confusion des genres avec cet article 30 du code de procédure pénale, dont la rédaction était, en effet, confuse et brouillonne, et qui a été réécrit sur la base de la loi d’août 2004. Les choses sont redevenues claires : l’action publique relève des parquets et le garde des sceaux définit la politique pénale, veille à son exécution et s’assure de son application sur la totalité du territoire.

J’ai bien entendu vos interrogations, monsieur Marc Dolez,  sur le rapport entre le substitut et le procureur. Il peut exister des cas d’espèce, mais la règle n’est pas effectivement qu’ils agissent tel que vous vous en inquiétiez.

J’ai également entendu toutes vos réserves, monsieur le député Tourret, sur ce texte. Je peux comprendre que vous vous posiez des questions – cela fait partie du débat. Il convient simplement de faire preuve de responsabilité politique, donc d’accepter qu’en dépit de certains inconvénients, nous choisissions une ligne, nous lui donnions sa cohérence et nous l’appliquions.

Incontestablement, il y a en la matière confrontation d’appréciations différentes  : la vision de la justice qu’a l’opposition n’est pas la même que celle que nous promouvons, sachant bien que certains termes désagréables qu’elle a employés n’est que de l’ordre de l’exercice parlementaire. Je ne m’y attarderai donc pas. Toutefois, nous avons tout de même le devoir de prendre un peu de hauteur et de nous interroger sur ce qui consolide nos institutions et sur ce qui fait qu’elles font vivre la démocratie en nous assurant que l’égalité entre citoyens est intrinsèquement reconnue, en particulier lorsqu’ils rencontrent des difficultés et qu’ils ont besoin de recourir à l’État.

Je relèverai quelques inexactitudes qui pourraient induire en erreur non les personnes qui se trouvent dans cet hémicycle, mais certains de nos concitoyens qui portent une attention à nos débats et qui lisent le Journal officiel. En effet, les propos des députés de l’opposition ont parfois été quelque peu contradictoires.

Vous vous interrogez, ainsi, sur l’opportunité de supprimer les instructions individuelles, puisqu’elles sont très peu nombreuses. Or dans le même temps, vous soutenez qu’il est essentiel que le garde des sceaux conserve la possibilité de donner des instructions individuelles. Apprécier toute la nuance de tels propos, qui me paraissent contradictoires, exige une performance intellectuelle que je n’ai probablement pas !

Permettez-moi, monsieur le député Geoffroy,  de vous relire l’alinéa 3 de l’actuel article 30 du code procédure pénal, afin de bien vous montrer que c’est moi qui ai raison lorsque je soutiens que, lorsque nous mettons un terme aux instructions individuelles, nous mettons un terme à la capacité pour le garde des sceaux de poursuivre mais aussi  de requérir, par exemple la relaxe ou un quantum de peine : « Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites », ce qui confirme ce que vous dites, sauf que cet article se poursuit de la façon suivante  :…

M. Guy Geoffroy. J’ai lu la suite !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … « ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes. »

En clair, cela signifie que le garde des sceaux peut effectivement demander au procureur de poursuivre – c’est la première partie de l’article –, mais, puisqu’il peut saisir la juridiction compétente, il pourra, une fois que le procureur aura poursuivi, intervenir encore en instruction individuelle, par exemple demander de requérir la relaxe ou tel quantum de peine. Ne nous faites donc pas entendre ce que ne dit pas l’article 30 du code de procédure pénale ! Celui-ci précise parfaitement qu’il est possible d’intervenir en matière tant d’instruction individuelle pour poursuivre, que de décision. Il était bon, je crois, d’éclairer ceux qui s’intéressent à ces débats.

Je vous rappellerai, ensuite, puisque cela semble vous inquiéter, que nous n’avons pas touché à l’article 36 du même code. Certains d’entre vous étaient présents hier soir, et les thèmes que vous avez développés avec constance dans toutes vos interventions montrent bien que nous avons une vision différente de la justice – ce n’est pas injurieux de le dire, c’est un constat. En tout cas, je le répète, nous n’avons pas touché à cet article 36.

Vous vous êtes inquiétés sur ce qu’il se produirait si le procureur ne poursuivait pas. Je le rappelle, dans le texte que nous vous présentons, nous réorganisons les attributions du garde des sceaux, celles du procureur général et celles du procureur.

Les attributions du procureur général figurent dans le code de procédure pénale. Il peut donner des instructions individuelles dans des dossiers individuels, par instructions écrites et versées au dossier. Nous éclaircissons encore les choses. Deux d’entre vous ont affirmé qu’il appréciait « souverainement ». Non ! Nous ne sommes pas dans un État de non-droit, nous ne sommes pas dans une addition de fiefs…

M. Alain Tourret. De baronnies !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. … ou de baronnies, comme dirait M. Tourret. Le procureur général – cela est déjà précisé et nous le précisons encore plus fortement – décline la politique pénale du garde des sceaux. Il ne fait pas souverainement ce qu’il veut dans son territoire.

Monsieur le député Tourret, vous vous demandiez s’il était normal et souhaitable que sur l’ensemble du territoire, la politique pénale soit la même. Vous savez qu’en certaines circonstances, le garde des sceaux peut diffuser une circulaire de politique territoriale pour qu’il soit tenu compte d’un ressort en particulier, d’un type de délinquance singulier, de la nécessité dans un territoire particulier d’exécuter les peines d’une certaine façon. Cette circulaire peut ainsi venir ajuster la politique pénale et faire en sorte que la réponse judiciaire soit plus efficace parce qu’elle se situe au plus près du terrain. Le procureur général la décline et le procureur tient compte lui-même des circonstances et du contexte, en l’adaptant au mieux. Les procureurs généraux et les procureurs se sont ainsi impliqués dans la définition des périmètres des zones de sécurité prioritaires. Nous avons pris en compte les types de contentieux et de réponses à prendre en compte en la matière pour déterminer les lieux où établir ces ZSP.

Les choses sont claires. Qu’elles ne plaisent pas, je peux le concevoir sans difficulté. Et que l’argumentation déployée pour expliquer pourquoi elles ne plaisent pas soit contradictoire, cela ne me paraît pas spécialement inédit – je fréquente cette maison depuis très longtemps.

Je demande pardon aux orateurs si je n’ai pas répondu aux questions précises qu’ils ont posées, mais sachant que certaines questions ont été récurrentes d’un certain côté de l’hémicycle, je crois avoir rectifié certaines inexactitudes.

Pour ce qui nous concerne, il existe une claire différence entre l’action publique et la politique pénale. La responsabilité, nous l’assumons pleinement. Nous ne nous préoccupons pas de savoir si nous serons fusibles ou pas. Ici, nous faisons le droit et non pas l’électricité  ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement no  3.

M. Paul Molac. Vous avez compris, madame la garde des sceaux, notre aversion pour les instructions individuelles. Nous nous félicitons donc qu’il y soit mis fin. Toutefois, il nous paraît nécessaire de renforcer cette interdiction en précisant que sont prohibées non seulement les instructions écrites – par courrier, fax ou mail –, mais également orales ou faites par un tiers. En effet, si le nombre d’instructions écrites est relativement limité, comme le montre l’étude d’impact, des consignes orales ont pu exister et ne bénéficient pas du même encadrement.

Nous proposons donc d’insérer à l’alinéa 4, après le mot : « instruction », les mots : « sous quelque forme que ce soit, ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous avons bien mesuré l’intention de cet amendement qui vise à aller le plus loin possible dans la suppression des instructions individuelles. Toutefois il me paraît important de respecter les traditions du code de procédure pénale. Quand une prescription y est inscrite, elle est impérative et est d’autant plus forte que si elle n’est pas, comme je vous l’ai indiqué en commission, assortie de précisions. La rédaction de votre amendement altère de ce fait votre intention. Mieux vaut conserver son caractère impératif à la prescription.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le député, je vous propose de retirer votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Molac, je comprends la préoccupation que vous exprimez. Je vous propose simplement que nous rompions avec la période antérieure de suspicion et d’interrogation dont la prégnance est révélée, d’une certaine façon, par certaines interventions des députés de l’opposition qui craignent que l’arrêt des instructions écrites n’empêche pas l’arrêt des instructions orales. Mais depuis un an, il n’y a ni instructions écrites ni instructions orales.

Le fait que nous inscrivions clairement dans la loi que les instructions individuelles sont interdites est une façon de protéger les magistrats contre des instructions qui pourraient être aussi orales.

Tout en entendant vos préoccupations, j’estime que la simple indication que les instructions individuelles sont interdites se suffit à elle-même, quelle que soit la forme que peuvent prendre ces instructions.

Je vous suggère donc à mon tour de retirer votre amendement.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Molac ?

M. Paul Molac. Je suis prêt à le retirer après avoir été convaincu.

M. Gérald Darmanin. Mais c’est une instruction orale qui vient de vous être donnée !

M. Paul Molac. Si j’ai insisté, c’était pour que des précisions soient portées au compte rendu quant à l’intention qui me guidait.

M. Gérald Darmanin. Les Bretons ne sont plus ce qu’ils étaient !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pas de fait personnel, monsieur Darmanin ! (Sourires.)

(L’amendement no  3 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no  7 rectifié.

M. Alain Tourret. Cet amendement vise à rappeler que le garde des sceaux peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi dont il a connaissance et lui demander quelles poursuites il compte engager, ces instructions étant versées au dossier de la procédure.

Plusieurs orateurs du groupe UMP. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable avec regret – à votre égard, monsieur Tourret, et non pas à l’égard de nos collègues de l’opposition, je le précise.

M. Guy Geoffroy. Quelle délicatesse !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je le dis avec le sourire, mon cher collègue.

Il est vrai que l’article 30 dans sa rédaction nouvelle modifie l’alinéa 3 qui prévoyait des spécifications pour la dénonciation de faits. Je rappelle cependant que le garde des sceaux, à l’instar de toutes les personnes détentrices de l’autorité publique, est, aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale, dans l’obligation de dénoncer toute infraction dont il a connaissance : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »

C’est la raison pour laquelle cette prescription rendait quasiment superfétatoire le troisième alinéa de l’article 30. Sa suppression dans le projet de loi n’entame en aucune manière la responsabilité du garde des sceaux et de toute autorité publique en la matière.

Avis défavorable donc.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je comprends votre préoccupation, monsieur Tourret : s’il y a de façon flagrante un manquement à poursuite, comment procéder en l’absence d’instruction individuelle ?

D’abord, il faut rappeler que nous sommes dans une société où les choses se disent plus qu’elles ne se taisent. Et c’est une tendance de plus en plus marquée, grâce notamment à l’action des journalistes, même si parfois la mesure n’y est pas toujours – je n’en dirai pas plus, sachant qu’il est bon que la presse soit impertinente dans une démocratie.

Ensuite, je précise qu’à la suite de votre amendement, nous avons recherché s’il y avait eu des situations où il était flagrant qu’il fallait poursuivre et où ni le procureur ni le procureur général n’auraient poursuivi. Il peut arriver que le procureur ne poursuive pas, cela relève de la responsabilité du procureur général. Vous le savez très bien puisque, dans votre amendement, vous proposez que le garde des sceaux saisisse ce dernier.

Enfin, nous ne sommes pas juridiquement totalement démunis puisque, comme vient de le dire le rapporteur, l’article 40 du code de procédure pénale permet à « toute autorité constituée » de procéder à la dénonciation de certains faits auprès du procureur de la République. Le garde des sceaux pourra donc intervenir en cas de nécessité au titre de cet article sans qu’il soit besoin de créer une exception à l’interdiction des instructions individuelles comme vous le souhaitez.

Votre préoccupation est donc satisfaite et je vous suggère, si vous en convenez, de retirer votre amendement.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tourret ?

M. Alain Tourret. Je voudrais simplement poser une question pour que la réponse figure au Journal officiel : ces instructions données dans le cadre de l’article 40 seront-elles versées au dossier ?

M. Guillaume Larrivé. Non, d’où l’utilité de votre amendement !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il ne s’agit pas d’instructions, monsieur Tourret. Lorsqu’une personne détentrice de l’autorité publique informe le procureur de la République d’une infraction, elle ne lui donne aucune injonction. Elle se contente de transmettre des informations dont le procureur fait l’usage qu’il veut, en fonction de sa compétence et de sa responsabilité, au moyen de tous les éléments dont il dispose – procès-verbaux, rapports, etc. Je vous renvoie à l’article 40.

C’est une situation que beaucoup connaissent dans divers cadres de l’exercice de l’autorité publique, je pense en particulier aux élus.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Ce que nous venons d’entendre est totalement extraordinaire ! Le rapporteur – et cela figurera dans le compte rendu – nous explique que l’article 40 du code de procédure pénale aurait dû nous empêcher d’écrire le troisième alinéa de l’article 30 puisqu’il dit la même chose.

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas ce que le rapporteur a dit !

M. Guy Geoffroy. Si, je l’ai entendu. Et Mme la garde des sceaux nous a dit la même chose. Autrement dit, on va supprimer le troisième alinéa de l’article 30, lequel n’était pas nécessaire parce que l’article 40 ne nous donne pas la possibilité de dénoncer mais exige que nous le fassions  !

L’article 30 apporte une protection grâce aux ajouts apportés par l’ancienne majorité de 1993 qui ont permis de préciser que les instructions étaient versées au dossier. L’article 40, lui, ne le prévoit pas. Nous sommes donc avec ce texte dans une situation absolument extravagante.

J’estime que malgré l’imperfection de sa rédaction, l’amendement de notre collègue Tourret est très bénéfique. Il nous a permis de révéler la totale cacophonie dans laquelle la majorité agit et le total surréalisme qui préside à l’élaboration de ce texte, à sa discussion et à son éventuelle approbation.

Franchement, si notre collègue Tourret cédait aux amicales pressions de Mme la garde des sceaux, nous devrions reprendre cet amendement car il faut le voter.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Geoffroy, c’est votre droit d’essayer de construire une dramaturgie toute en tensions.

M. Guy Geoffroy. Pas du tout ! Je dis seulement que ce que vous faites est extravagant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous invite à prendre le temps de lire l’amendement que vous vous dites prêt à reprendre. Cela vous permettrait de saisir l’esprit dans lequel M. Tourret l’a rédigé, sachant que les pièces concernées seront les premières à être versées au dossier, dans la mesure où elles auront déclenché une procédure à l’initiative du procureur de la République.

M. Tourret indique dans son amendement que le garde des sceaux « peut dénoncer au procureur général » des infractions. Autrement dit, sa démarche ne consiste pas à demander que le garde des sceaux…

Mme Nathalie Nieson. M. Goffroy n’écoute même pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela n’a pas d’importance, car je ne crois pas que le sujet soit de savoir si l’on se comprend ou non, ou si l’on a vraiment le souci de construire une loi forte. Je pense que les désaccords se situent sur un autre terrain.

L’amendement, disais-je, indique que le ministre de la justice «  peut dénoncer au procureur général » certaines infractions. Je comprends bien la préoccupation de M. Tourret : je le connais depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il n’utilise pas les mots de façon approximative. Mais outre que nous avons répondu à ses questionnements, cela ne peut pas servir à nourrir la démonstration un peu spécieuse que vient de nous faire M. le député Geoffroy concernant un hypothétique remplacement de l’article 40 par un article 30.

M. Guy Geoffroy. C’est ce que vient de dire le rapporteur !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’article 30 concerne des instructions individuelles, tandis que l’article 40 concerne des signalements. Nous sommes ici dans la maison où l’on écrit le droit ; je ne crois pas que qui que ce soit confonde les instructions individuelles avec les signalements.

Mme Nathalie Nieson. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Ce qui gêne les députés du groupe SRC pour voter cet amendement, c’est la deuxième partie de la première phrase : ce n’est pas tant le fait de porter à la connaissance du procureur général des faits, ainsi que cela ressort de la lecture que vous avez faite de l’article 40, monsieur Tourret, mais de préconiser que le garde des sceaux puisse lui demander quelles poursuites il compte engager.

En effet, cela revient à donner une instruction, ou du moins à orienter la décision qui pourrait ensuite être prise, contrevenant ainsi à la philosophie qui nous anime ce soir.

(L’amendement no  7 rectifié est retiré.)

(L’article 1er est adopté.)

Après l’article 1er

Mme la présidente. À la demande du Gouvernement, l’amendement n° 10 portant article additionnel après l’article 1er est réservé.

Article 1er bis

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos  4 et 8.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement no  4.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je souhaite donner un éclaircissement sur le dépôt de cet amendement. Lors du travail en commission, j’ai proposé, par cohérence avec le dispositif législatif que nous instaurons, mais également dans le souci de rapprocher les appréciations constitutionnelle et conventionnelle divergentes concernant notre parquet, que nous affirmions dans l’article 31 que le parquet exerce l’action publique dans le respect des principes d’indépendance et d’impartialité auxquels il est tenu.

Je rappelle que ces principes d’indépendance et d’impartialité sont constitutionnels puisqu’ils relèvent de l’ordonnance de 1958 qui a construit un corps judiciaire unique, composé des magistrats du siège et du parquet, leur conférant une égale responsabilité de constituer l’autorité judiciaire.

Telle est l’appréciation du Conseil constitutionnel, qui l’a d’ailleurs réaffirmée en proclamant dans plusieurs décisions, dont une que j’ai évoquée lors de mon intervention liminaire, que le parquet était soumis au respect des principes d’indépendance et d’impartialité.

Dans le même temps, la Cour européenne des droits de l’homme dénie au parquet français la qualité d’autorité judiciaire pour une raison importante : une autorité judiciaire ne fait que juger et non poursuivre, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme. Or le parquet assume une responsabilité dans le déclenchement de l’action publique. Il possède d’ailleurs des instruments extrêmement importants, qui ont été rappelés par certains d’entre vous. Il est de ce fait en situation de participer tant à l’action de poursuite qu’à l’action de juger.

Dans ces conditions, j’ai estimé nécessaire de montrer que le principe constitutionnel pouvait être intégré dans le code de procédure pénale. Tel était le sens de la précision concernant l’indépendance et l’impartialité encadrant l’activité du procureur de la République, membre du parquet.

Toutefois, après le débat en séance et afin de ne pas accentuer les questionnements que susciterait la précision de la notion d’indépendance par rapport au lien de subordination hiérarchique existant entre un membre du parquet et la chancellerie, je vous propose de supprimer la référence à l’indépendance, pour ne conserver que la référence à l’impartialité.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le député.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je termine, madame la présidente. Ce débat nous a beaucoup mobilisés et constitue l’un des deux points les plus importants de notre échange ce soir. Avec votre aimable autorisation, je souhaiterais donc pouvoir achever mon intervention.

Rappeler le principe d’impartialité permet aussi de donner des instruments à toute personne concernée pour appréhender dans quelles conditions une action de poursuite, un classement ou une réquisition sont susceptibles d’altérer cette exigence d’impartialité.

Tel est le sens de cet amendement qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec les compétences du Conseil supérieur de la magistrature telles qu’elles sont maintenant arrêtées.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no  8.

M. Alain Tourret. L’impartialité est une vertu, l’indépendance une qualité – Robespierre aurait pu le dire. Si chacun des justiciables comprend ce qu’il attend de l’impartialité, l’indépendance en revanche revêt deux sens, et c’est tout le problème. Le magistrat peut être indépendant en lui-même, ce qui est reconnu comme une qualité ; mais l’indépendance peut également signifier une volonté de s’opposer au pouvoir politique. Dès lors, c’est très différent de l’impartialité.

Je pense donc que l’indépendance n’avait pas à figurer à cet endroit, contrairement à la notion d’impartialité.

Je pense donc que l’indépendance n’avait pas à figurer à cet endroit, contrairement à la notion d’impartialité.

M. Étienne Blanc. Exactement !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements identiques ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons eu un premier échange en commission des lois à propos de ces amendements.

Je partage les raisons pour lesquelles leurs auteurs estiment qu’il faut ôter de cet article 1er bis la périphrase concernant l’indépendance. Je suis également préoccupée par l’impartialité – non pas en tant que qualité, si tant est que  l’indépendance est, comme vous le disiez, monsieur Tourret, une vertu.

M. Alain Tourret. Non, une qualité.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si donc l’impartialité est plutôt une vertu, cette vertu nous l’attendons des magistrats du parquet comme des magistrats du siège. C’est toute la difficulté avec cet amendement qui, certes, améliore incontestablement la rédaction précédemment retenue par la commission des lois, mais qui continue de poser problème car l’impartialité est attendue tant des magistrats du parquet - donc du ministère public - que des magistrats du siège.

Je me pose donc la question suivante : pouvons-nous évoquer dans cet article ce principe d’impartialité pour les seuls magistrats du ministère public, alors que nous ne le rappelons pas dans tous les autres articles du code où il est simplement question du juge ?

Cette interrogation me conduit donc à m’en remettre à la sagesse de votre assemblée, car il me semble préférable de ne pas créer une situation dans laquelle on pourrait considérer - avec malveillance probablement - que le juge du siège n’exercerait pas en impartialité.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Puisque Mme la ministre s’en remet à la sagesse de notre assemblée, les députés du groupe SRC se rangeront à l’avis défendu par le rapporteur.

En effet, pour avoir également bien suivi la discussion en commission des lois sur ce sujet, nous lui savons gré d’avoir enlevé dans la première version l’indication que le procureur était tenu à l’indépendance. L’indépendance est une situation de fait. On ne peut pas être tenu à l’indépendance : on est indépendant ou on ne l’est pas. En revanche, on est tenu à l’impartialité.

Telle était la précision que nous avions, de manière consensuelle, demandée à notre rapporteur d’effectuer ; c’est désormais chose faite.

Pour répondre aux propos de Mme la garde des sceaux concernant les différences entre le siège et le parquet, nous sommes là en pleine théorie des apparences, chère à la Cour européenne des droits de l’homme - souvenons-nous de l’arrêt Kress rendu en 2001.

M. Guillaume Larrivé. Funeste arrêt !

M. Sébastien Denaja. Cet arrêt s’appliquait certes au commissaire du Gouvernement devant les juridictions administratives. Mais l’important ici, pour le parquet davantage que pour le siège, est de donner à voir qu’il est impartial.

Mme la présidente. La parole es à M. le rapporteur.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je vais me permettre de maintenir cet amendement, d’abord parce qu’il s’inscrit dans le sens de nos débats en commission, ensuite parce que nous sommes là face à une difficulté. Celle-ci tient au fait que le parquet, dans le corps unique des magistrats, est tenu au respect des principes d’indépendance et d’impartialité, tout en étant dans une situation de subordination hiérarchique instituée par l’ordonnance constitutionnelle adoptée en 1958.

Le Conseil constitutionnel a reconnu qu’il existait deux situations de nature différente. L’impartialité – comme l’indépendance, je tiens à le rappeler, même si j’ai abandonné cette notion – appréhendée par le Conseil constitutionnel s’agissant des magistrats du parquet, n’est pas la même que celle d’un magistrat du siège.

De ce fait, l’impartialité d’un membre du parquet exerçant l’action publique n’est pas appréhendée selon les mêmes contenus et les mêmes critères que celle d’un magistrat du siège : elle est de nature différente.

Sans confusion sur la nature de l’impartialité des magistrats du siège et des magistrats du parquet, il peut être rappelé que lorsqu’il exerce l’action publique, le membre du parquet le fait en impartialité.

M. Étienne Blanc. Voilà qui est beaucoup plus clair !

(Les amendements identiques nos  4 et 8 sont adoptés.)

(L’article 1er bis, amendé, est adopté.)

Après l’article 1er bis

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no  9.

M. Alain Tourret. Cet amendement prévoit que, lorsque le ministre de la justice, garde des sceaux, estime, en l’absence de poursuites pénales, que l’intérêt général commande de telles poursuites, il met en mouvement l’action publique. Il peut alors saisir par voie de réquisitoire ou de citation directe la juridiction compétente. Il ne peut, à cette fin, déléguer sa signature.

J’avais déjà fait cette proposition en 1998 qui, à l’époque, avait recueilli une forme de consensus ; c’est pourquoi je la reprends aujourd’hui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable, avec mes regrets à l’égard de notre collègue, car cet amendement ferait en réalité revenir le garde des sceaux dans la situation antérieure, que nous ne voulons justement plus conserver.

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’exercice de l’action publique appartient au ministère public, tandis que la politique pénale relève du Gouvernement et de la garde des sceaux. Ces deux aspects sont distincts, ce que nous écrivons dans le code de procédure pénale.

La suggestion de notre collègue est tout à fait honorable – comme l’est notre collègue, d’ailleurs –, son objectif étant de s’assurer que l’action publique sera mise en mouvement. Toutefois, cet objectif ne peut plus relever de la responsabilité du garde des sceaux quant à l’exercice de l’action publique.

En revanche, il appartiendra au garde des sceaux, lorsqu’il recevra le retour des politiques pénales, d’indiquer à l’Assemblée nationale s’il considère qu’elles ont été plus ou moins bien exécutées.

Par conséquent, la confusion dans laquelle nous placerait l’amendement de notre collègue Tourret risque de balayer le sens de cette réforme.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je dois saluer votre constance, monsieur Tourret, car cet amendement est dans le même esprit que les amendements précédents que vous avez déposés.

Pour les raisons que j’ai déjà exposées, je vous demande de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la garde des sceaux, je ne peux pas retirer cet amendement, sinon ce serait admettre que j’accepte la position du Gouvernement. Or ce n’est pas la mienne. J’estime qu’il faut laisser la possibilité au ministère de la justice d’avoir un droit propre quand il n’y a pas de poursuite.

Que fait-on, par exemple, si un procureur décide de ne plus du tout poursuivre les consommateurs de cannabis  ? Je le dis d’autant plus avec le sourire que mon parti a décidé de priver de sanction pénale la consommation de cannabis.

(L’amendement no  9 n’est pas adopté.)

Après l’article 1er  

(amendement précédemment réservé)

Mme la présidente. Nous en venons à un amendement après l’article 1er précédemment réservé.

La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n10.

M. Alain Tourret. Cet amendement vise à aider le ministre de la justice puisque je propose qu’il soit, dans chaque ressort de la cour d’appel, représenté par un avocat, désigné pour une durée de trois années par arrêté ministériel. Cet avocat est choisi parmi les bâtonniers ou anciens bâtonniers du ressort de la cour d’appel. Il agit, dans le cadre de l’action publique diligentée par le ministère de la justice, avec les mêmes droits que le procureur de la République.

Il faut en effet savoir que dans un certain nombre d’actions de l’État, les ministres ont à leur disposition des avocats.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.

Une fois de plus, monsieur Tourret, vous rappelez l’hypothèse d’une prise en charge des intérêts de l’État par le ministère d’un avocat, hypothèse que des professeurs, des doctriniens et des avocats célèbres, dont vous-même, suggèrent pour remplacer le dispositif actuel de parquet assumé par des magistrats.

Bien entendu, chacun aura compris qu’il y aurait alors concurrence entre le procureur de la République, le ministère public et cet avocat dans la mesure où il est précisé que l’avocat agit dans le cadre de l’action publique diligentée par le ministre de la justice. Cela mettrait directement en cause les compétences et l’exercice de l’action publique que le code de procédure pénale reconnaît à l’initiative exclusive du ministère public.

On n’imagine pas que, s’agissant de l’engagement de l’action publique, d’autres que les magistrats qui en sont chargés par le code de procédure pénale l’exercent. Cette hypothèse me paraît en totale contradiction avec le parquet à la française que l’on essaie ici de défendre malgré tout.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

Monsieur Tourret, il m’est très désagréable de vous être à ce point désagréable ce soir. Cependant, il ne me paraît pas logique de confier au procureur l’exercice de l’action publique et au procureur général le contrôle de cette action publique, son animation, sa coordination et son contrôle, et de leur substituer un avocat général. Cela reviendrait à défaire ce que nous vous demandons de faire avec le présent texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Comme je suis un historien, ma logique était celle de la notion de l’avocat du roi. Mais comme nous sommes en République, je retire mon amendement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Très bien  !

M. Guy Geoffroy. Cela plaide en votre faveur  !

(L’amendement no  10 est retiré.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement no  5, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement n2.

M. Paul Molac. Madame la présidente, eu égard à l’heure tardive, je défendrai dans le même temps mon amendement n1 à l’article 3.

Je propose que les rapports particuliers qui porteraient sur des affaires individuelles soient versés au dossier, notamment pour l’exercice des droits de la défense.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Mme la garde des sceaux explicitera mieux encore que moi le sens de la remontée des informations du procureur de la République vers le procureur général et du procureur général vers le garde des sceaux, mais, je le rappelle,  nous ne nous situons plus dans le cadre des instructions du garde des sceaux faites dans le cadre de l’ancienne rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale. Nous sommes maintenant dans l’hypothèse d’instructions générales données par le garde des sceaux – sachant qu’il peut y avoir des instructions spécifiques, comme cela a été évoqué tout au long de la discussion.

En tout cas, si le procureur de la République et le procureur général peuvent faire remonter des informations et si celles-ci peuvent avoir des contenus totalement divers, elles ne constituent en aucune manière des éléments susceptibles d’influer sur l’engagement de la poursuite ni sur le sort qui a été réservé par le ministère public à la question posée. On est dans le cadre d’une information.

Voilà pourquoi ces deux amendements n’entrent pas du tout dans le cadre des instructions individuelles qui, je le rappelle, seront définitivement prohibées.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis défavorable.

Je confirme que ces rapports particuliers n’ont aucune incidence sur la procédure, ni lorsqu’ils sont communiqués, ni compte tenu de leur nature et de leur contenu. Voilà pourquoi il n’y a aucune raison de les verser au dossier.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Je vais me ranger à ces arguments et retirer les amendements nos  2 et 1, en soulignant toutefois que je ne suis que partiellement convaincu.

(L’amendement no  2 est retiré.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. L’amendement no  1 a été retiré.

(L’article 3 est adopté.)

Après l’article 3

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement no  6.

M. Alain Tourret. Je propose que le procureur de la République notifie la décision de classement de l’affaire au plaignant ainsi qu’à la victime lorsque celle-ci est identifiée. Lorsque l’affaire est classée pour un motif autre que l’absence d’identification d’une personne susceptible d’être mise en cause, la décision de classement est motivée.

Le code de procédure pénale prévoit à peu près la même chose, mais la rédaction que je propose me semble plus claire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La question que vous posez, monsieur Tourret, comme toutes celles que vous avez soulevées d’ailleurs, est d’une extrême pertinence parce qu’elle concerne un problème extrêmement important  : quelle information peut avoir le justiciable sur la décision prise par le procureur  ?

Permettez-moi de vous rappeler que l’article 40-2 du code de procédure pénale dispose  : « Le procureur de la République avise les plaignants et les victimes si elles sont identifiées, ainsi que les personnes ou autorités mentionnées au deuxième alinéa de l’article 40, des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement. Lorsqu’il décide de classer sans suite la procédure, il les avise également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunité qui la justifient. » Cet article satisfait donc l’intention légitime que vous traduisez.

Je me permets à cette occasion de m’adresser à vous, madame la garde des sceaux. Nous savons que dans la pratique, pour des raisons de travail, de surmenage, l’information du justiciable se résume souvent à une lettre qui comporte exclusivement l’indication que l’affaire a été classée sans suite pour l’instant, la personne dont il peut être question en l’occurrence n’ayant pas été identifiée ou retrouvée. Ce seul élément est à mon avis insuffisant pour combler l’exigence d’information introduite dans le code de procédure pénale. De ce fait, il sera nécessaire de préciser les modalités d’information du justiciable par le parquet, sachant que la question de M. Tourret nous est posée par nombre d’administrés.

Des expériences ont été conduites, notamment avec les correspondants du parquet qui, interlocuteurs entre le procureur et le justiciable dans certains territoires, ont pu expliquer à ce dernier ce qui se passait.

Tout en donnant un avis défavorable sur cet amendement,  la pertinence de la question posée devra à mon avis nous conduire dans les mois et les années qui viennent…

M. Étienne Blanc. Plutôt les années  !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. … à travailler sur l’information que les procureurs de la République donnent aux justiciables.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. le Gouvernement a émis un avis défavorable parce que le droit actuel satisfait, avec l’article 40-2 du code de procédure pénale issu d’une loi de 2004 que M. le rapporteur vient de lire, la demande de M. Tourret.

Normalement, la victime peut déposer un recours contre la décision de classement du procureur en s’adressant au procureur général. Je cherche dans le code la disposition qui le permet, mais je n’arrive pas à lire en parlant  ! (Sourires) Je suis sûre que vous, vous saurez la trouver.

En tout état de cause, il y a probablement un travail d’information à faire en direction des victimes. Il faut qu’elles sachent que le procureur doit motiver sa décision de classement, ce qu’il fait généralement.

M. Alain Tourret. Cette obligation de motiver la décision de classement ne figure pas dans le code de procédure pénale.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si  ! Cela figure à l’article 40-2 du code de procédure pénale que vient de lire le rapporteur. L’alinéa 2 de cet article précise en effet  : « Lorsqu’il » – le procureur de la République – « décide de classer sans suite la procédure, il les avise » – il s’agit des plaignants et des victimes - « également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunité qui la justifient. » Il est donc bien tenu de motiver sa décision de classement.

Pour autant, nous aurons à nous rapprocher des associations des victimes, comme nous l’avons d’ailleurs  fait s’agissant du harcèlement sexuel, pour faire savoir que le classement doit être motivé et qu’un recours est possible auprès du procureur général.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

Mme la présidente. La suspension est de droit.

(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise à une heure.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Je tiens à préciser pour les juristes, car cela figurera ainsi au compte rendu, que les obligations d’information qui existent dans le code de procédure pénale sont des obligations de motivation. J’emploie à dessein ce dernier terme pour bien montrer qu’il y a bien en la matière une véritable obligation, contrairement à ce qui se passe dans la pratique.

Je retire mon amendement.

(L’amendement no  6 est retiré.)

Article 4

(L’article 4 est adopté.)

Titre

Mme la présidente. J’indique à l’Assemblée que la commission a ainsi rédigé le titre du projet de loi  : « Projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique ».

Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 4 juin après les questions au Gouvernement.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à vingt et une heures trente :

Débat en salle Lamartine sur la sûreté nucléaire.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 30 mai, à une heure cinq.)