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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Troisième session extraordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 24 septembre 2014

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Ouverture de la session extraordinaire

M. le président. En application des articles 29 et 30 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire convoquée par décret du Président de la République du 22 septembre 2014.

2

Déclaration du Gouvernement sur l’intervention des forces armées en Irak et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat sur l’engagement des forces armées en Irak.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, un péril mortel s’étend au Moyen-Orient. La stabilité de la région et, au-delà, la sécurité du monde sont menacées par le groupe terroriste Daech.

La France est une grande puissance. Elle assume ses responsabilités, parce qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité, parce que la sécurité de l’Europe est menacée, parce que notre sécurité nationale est en jeu, comme elle ne l’a jamais été au cours de ces dernières années. Le Président de la République a donc décidé d’employer la force en Irak, à la demande expresse des autorités de Bagdad. Conformément à l’article 35 de notre Constitution, lorsque les forces armées sont engagées à l’extérieur, le Gouvernement informe le Parlement dans les meilleurs délais. J’ai écrit au président de votre assemblée dès que les premières frappes ont été réalisées, vendredi dernier, 19 septembre. J’ai reçu ce matin avec Jean-Yves Le Drian, qui s’exprime à l’instant au Sénat, Bernard Cazeneuve, Jean-Marie Le Guen, avec le chef d’état-major des armées et les directeurs des services de renseignement, les présidents des deux assemblées, les chefs de groupes parlementaires ainsi que les présidents des commissions de la défense et des affaires étrangères.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux exprimer, à travers la représentation nationale, tout le soutien de la Nation aux militaires engagés dans l’opération Chammal. (Applaudissements sur l’ensemble des bancs.) Le moment est venu, à nouveau, de faire corps derrière les armées françaises, de nous rassembler et de faire preuve d’unité – je ne doute pas que ce sera le cas. Grâce notamment au travail souvent très risqué des journalistes, les crimes du groupe Daech sont connus de tous. Actes de barbarie, massacres de masse, exécution d’otages : ces terroristes ne connaissent pas de limite à l’horreur, une horreur qu’ils propagent dans le monde entier par le biais d’internet. Daech, c’est l’acronyme de la terreur, celui d’un groupe qui prétend établir un califat au cœur du Moyen-Orient, un groupe qui n’offre comme choix que la conversion forcée ou la mort.

Lutter contre Daech, c’est combattre une organisation dont l’appellation « État islamique » constitue un double mensonge : elle n’a rien d’un État et ne représente en rien l’islam. C’est un rassemblement d’assassins, pour qui la vie humaine est sans valeur. Ce groupe, comme l’ont exprimé les plus hautes autorités de l’islam, est une insulte à cette religion ; et c’est une triple menace, pour l’Irak, pour le monde et pour la France.

Depuis la chute de Mossoul, en juin dernier, Daech contrôle près du tiers du territoire irakien. Il maîtrise les points de communication et les axes stratégiques. Il a accumulé d’immenses richesses lui permettant de recruter et de payer des supplétifs venant des quatre coins du monde, d’Europe et de France. Son trésor de guerre a aussi servi à constituer une vraie armée : près de cent cinquante blindés légers, environ cinquante chars de combat, plusieurs dizaines de missiles anti-char. Ces troupes, extrêmement mobiles, pourraient être renforcées par l’acquisition de nouveaux matériels.

Aujourd’hui, la stabilité de l’Irak est menacée ; son existence même est en danger. En Irak, un nouveau gouvernement s’est mis en place. Il est maintenant constitué autour de quelques priorités : lutter contre cet ennemi de l’intérieur et tenter de réconcilier – c’est essentiel – les communautés irakiennes, sunnites, chiites et kurdes. Il doit aussi protéger les minorités, les chrétiens d’Irak ou les Yazidis. Cette tension entre les différentes communautés qui composent l’Irak est naturellement source d’inquiétudes, et depuis bien longtemps. Le système politique irakien doit trouver un point d’équilibre, tout comme il doit construire, dans la durée, avec ses voisins, dont l’Iran, des relations de confiance.

Le gouvernement irakien nous appelle à l’aide ; il a demandé le soutien militaire de la France. C’est notre devoir de l’entendre. Aider l’Irak, éviter sa désintégration, c’est aussi éviter une déstabilisation massive de la région. Nous agissons ainsi en conformité avec la Charte des Nations Unies, car tout État peut demander souverainement à un autre de lui porter assistance.

Daech est né dans le chaos syrien. Il a prospéré avec la complicité du régime de Damas et s’est nourri de l’inaction de la communauté internationale. Ses effectifs seraient aujourd’hui proches de trente mille combattants. Mais Daech ne s’arrêtera pas à l’Irak. Ses membres, qui forment une deuxième génération de djihadistes après celle d’Al Qaeda, sont, au-delà de ce pays, une menace pour tout l’Orient. Ils contrôlent plus du quart du territoire syrien. Ils cherchent à déstabiliser le Liban. Voilà le vrai plan de cette internationale du crime : la création d’un sanctuaire terroriste allant des rives de la Méditerranée jusqu’à celles du Golfe persique.

Mais Daech, c’est aussi une menace pour l’Europe et pour la France. J’ai souligné le risque que représentent ces filières qui conduisent des individus français ou résidant en France à s’enrôler et à partir combattre là-bas. Je vous ai déjà donné les chiffres : ils sont inquiétants. C’est aussi pour cela que nous devons agir. Les filières terroristes trouvent dans ces régions déstabilisées les moyens de se développer et de frapper les pays occidentaux.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous avons tous à l’esprit, en ce moment même, le sort de notre compatriote enlevé en Algérie. C’est à Hervé-Pierre Gourdel, à sa famille et à ses proches que s’adressent nos pensées. Je veux dire, à travers vous, aux Français que nous ne nous laisserons pas intimider. En s’en prenant à notre compatriote, les djihadistes s’en prennent à nous, à chacun d’entre nous. Si nous nous montrons faibles face à cette menace, nous encouragerons ces lâches à poursuivre leur œuvre de mort. Nous ne faillirons pas et nous ne tremblerons pas. Face à la menace, face au chantage, face à la terreur, la France ne cède pas, et c’est ce message que nous devons aujourd’hui, tous ensemble, adresser au monde. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et sur de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.) Ce n’est pas notre intervention qui nous expose au terrorisme. Cette menace, elle est là, elle existe depuis longtemps, et c’est pour cela que nous agissons et que nous intervenons. Aider l’Irak, c’est protéger la France et c’est agir pour notre sécurité nationale.

Depuis plusieurs mois, la France a pris l’initiative, parce que notre pays a toujours été présent au Moyen-Orient, et parce que nous avons des responsabilités et des devoirs envers cette région. Nous en comprenons la complexité. Nous examinons la situation précisément, dans le détail, avec la profondeur historique d’une vieille nation, en évitant le simplisme et les caricatures qui ont fait tant de mal précisément à cette région depuis plusieurs années. Début août, alors que l’intégrité territoriale de l’Irak était mise à mal, que des minorités étaient menacées et que la situation humanitaire se dégradait, la France a décidé de s’engager, tout d’abord, par de l’assistance humanitaire, puis par la fourniture d’armes et la formation de combattants.

Ce sont désormais nos avions de chasse qui survolent le territoire irakien, pour des missions de reconnaissance et, depuis vendredi dernier, pour des frappes. Les opérations aériennes en cours sont conduites en plein accord avec les forces armées irakiennes et en coordination avec nos alliés, en particulier les États-Unis et leurs partenaires arabes. Notre objectif est clair. Il a été mûrement réfléchi. Il a été annoncé par le Président de la République.

Cet objectif, je le rappelle devant vous : nous répondons à la demande de soutien des autorités irakiennes, pour affaiblir l’organisation terroriste Daech, car il faut aider les forces de sécurité irakiennes et les combattants kurdes à restaurer la souveraineté de l’Irak.

Cet engagement militaire se traduit par des opérations aériennes sur le territoire irakien. En revanche, nous n’engagerons pas de troupes françaises au sol. Nous resterons impliqués, le temps nécessaire, jusqu’à ce que l’armée irakienne ait repris le dessus sur Daech.

Nous n’agissons pas seuls. L’action de la France s’inscrit dans le cadre d’une coalition politique et militaire. Cette coalition s’est constituée à Paris, lors de la conférence sur la sécurité et la paix en Irak, à l’initiative du Président de la République, le 15 septembre dernier.

J’en viens à la Syrie, où le régime de Bachar al Assad continue de semer le chaos qui profite aux terroristes. Le Président de la République l’a rappelé lors de sa conférence de presse de jeudi dernier : la France était prête à prendre ses responsabilités, il y a un an, lorsque les preuves de l’usage d’armes chimiques par Assad contre son propre peuple ont été rassemblées. Nous n’en serions certainement pas là, en Syrie, si la communauté internationale était alors intervenue.

M. Jacques Myard. Rien n’est moins sûr !

M. Pierre Lellouche. C’est très discutable !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les États-Unis, aidés des principaux pays de la région, ont décidé de mener des opérations contre les fiefs de Daech sur le territoire syrien.

Pour notre part, nous avons fait le choix de nous concentrer sur l’Irak et de continuer à soutenir l’opposition modérée au régime de Bachar al Assad. Dans un contexte particulièrement difficile, ces forces d’opposition luttent avec détermination aussi contre les terroristes. Nous sommes résolus, avec nos partenaires, à leur apporter un soutien civil et militaire accru. Nos efforts sont complémentaires de l’action militaire que mènent les Américains.

Mais nous l’avons déjà dit et je le répète ici devant vous : Bachar al Assad ne peut absolument pas être un partenaire dans la lutte contre Daech.

L’action militaire, mesdames et messieurs les députés, répond à l’urgence. Le combat est un combat de longue haleine contre le fanatisme, cette idéologie de mort qui détourne, corrompt le message de l’islam. Ce combat, ce n’est pas l’Occident contre le Moyen-Orient. Ce combat, ce n’est pas une croisade. Et il appartient aussi aux pays arabes, ensemble, d’agir. Ils sont d’ailleurs engagés dans les opérations.

Mais sans un accompagnement de long terme, sans une réponse diplomatique, et surtout politique, aux causes de la menace, cette action militaire risque d’être vaine. Ce que vit cette région aujourd’hui le démontre, confirmant la position défendue avec force par la France en 2003, par la voix de Jacques Chirac.

La conférence internationale de Paris a donc constitué une étape importante. Je veux à ce propos saluer l’action du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, qui a organisé ce rendez-vous avec une telle efficacité.

Elle a permis de déterminer les grandes lignes d’une stratégie commune et de démontrer la mobilisation de vingt-neuf pays et organisations internationales pour soutenir les nouvelles autorités irakiennes, engagées dans la reconstruction de l’État irakien et la réconciliation du pays, il ne pourra en être autrement, autour d’un gouvernement inclusif.

Les participants se sont entendus pour lutter contre la radicalisation, pour améliorer le contrôle des frontières, pour tarir les flux de combattants étrangers et assécher toutes, je dis bien toutes, les sources de financement de Daech.

C’est en effet une stratégie d’ensemble qui est nécessaire pour combattre ce terrorisme. L’action militaire n’en est qu’un des aspects. Au-delà de l’engagement militaire, il faut poursuivre les efforts déployés en matière d’aide humanitaire. Les partenaires de cette conférence s’y sont engagés. La France est en première ligne. Nous avons déjà affrété 87 tonnes d’aide ; nous continuerons cette assistance, notamment en direction des minorités : je pense tout particulièrement aux chrétiens d’Orient, pourchassés et massacrés depuis des années.

Pour stabiliser la région, le sort des populations déplacées doit également faire l’objet d’une mobilisation internationale. C’est vrai pour l’Irak, pour la Jordanie et pour le Liban, ce pays ami qui mérite notre solidarité et notre soutien. Face à l’urgence, nous accueillons des réfugiés ayant un lien avec la France. Samedi, le ministre des affaires étrangères a ainsi accueilli, une nouvelle fois, près de cent cinquante réfugiés irakiens à l’aéroport de Roissy.

La France assume à nouveau ses responsabilités en agissant pour sa sécurité, ses intérêts et la défense de ses valeurs.

Je dis « à nouveau », car nos armées restent déployées en Afrique sahélo-saharienne, au Mali, au Tchad, au Niger pour lutter contre le terrorisme dans le cadre de l’opération Barkhane. De même, nos soldats sont engagés en République centrafricaine pour aider à stabiliser ce pays. Nos forces sont aussi engagées au Liban, où elles participent à la sécurisation du sud du pays et appuient les forces armées libanaises.

Je veux saluer de ce point de vue l’action du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian.

Je l’ai dit hier lors de mon déplacement en Allemagne : la France agit lorsque sa sécurité est en jeu ; mais elle agit aussi pour l’Europe. L’Europe ne peut toutefois pas remettre sa sécurité à un seul de ses États membres, fût-ce la France. C’est pourquoi nous n’abandonnons pas notre volonté de voir progresser une véritable Europe de la défense.

M. Pierre Lellouche. Et Merkel est d’accord pour payer ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Tous ces engagements militaires confirment la nécessité de disposer des ressources adéquates pour notre défense et notre sécurité nationale. Le Président de la République a fait le choix de maintenir les crédits de la défense au cours des prochaines années, malgré un contexte budgétaire particulièrement difficile.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons traduit ce choix dans la loi de programmation 2014-2019 que vous avez votée l’an dernier.

En effet, la situation en Irak et au Moyen-Orient a des conséquences majeures sur notre sécurité intérieure. C’est notre principal sujet de préoccupation. Car si nous devons agir hors de nos frontières, nous devons aussi lutter contre le terrorisme sur notre sol, parce que les groupes radicalisés constituent une menace chez nous.

Comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, hier comme ministre de l’intérieur, aujourd’hui comme Premier ministre, c’est une menace inédite. Face à cette menace, il faut faire preuve d’un grand sang-froid. Chaque mot compte, chaque attitude compte et va compter, notamment dans les jours qui viennent.

Et je veux le dire avec force devant la représentation nationale : la France fait clairement la distinction entre l’islam, qui est la deuxième religion de France et un atout pour notre pays, et l’islamisme dont le prolongement terroriste, le djihadisme, n’est qu’un message violent, perverti et contraire aux valeurs universelles de l’Islam. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et sur plusieurs bancs des groupes UDI et UMP.) Le dire, ici devant vous, est aussi une façon de convaincre nos concitoyens.

Oui, la France doit faire face à un défi sans précédent. Je l’ai déjà dit ici, devant vous, près de mille Français ou résidents sont aujourd’hui concernés par les filières syro-irakiennes. Ils étaient trente il y a deux ans, la moitié au début de cette année. Cinq cent quatre-vingts d’entre eux combattent ou ont combattu là-bas. Trente-six y sont morts. Cent quatre-vingt-neuf djihadistes sont revenus de Syrie. Jamais notre pays n’a eu à affronter un tel défi, une telle menace, un tel danger en matière de terrorisme. Il ne s’agit pas de faire peur : il s’agit de dire la vérité à nos compatriotes sur un phénomène qui sévit non seulement en France, mais dans de nombreux pays d’Europe. Au-delà de l’Europe, cette menace pèse sur l’Afrique du Nord ou de grands pays comme l’Amérique, l’Australie, l’Indonésie.

Au-delà de ces chiffres, c’est la diversité des profils de ces personnes qui doit nous interpeller : des mineurs, des femmes, des convertis, des individus jusqu’alors inconnus des services. Ils viennent des lieux les plus divers, de nos quartiers, de nos territoires, y compris ruraux ou d’outremer. Quatre-vingt sept départements sont concernés aujourd’hui. Ces mêmes profils, très divers, on les retrouve dans de nombreux pays européens. Sur des jeunes sans repères, le djihadisme violent exerce une fascination morbide qui les conduit à la radicalisation et les mène à l’action directe. Le parcours de Nemmouche, l’assassin du musée juif de Bruxelles, en est un terrible exemple.

Il nous faut donc être implacable dans la lutte contre le terrorisme. C’est pourquoi, dès décembre 2012, faisant suite à des dispositifs existants ou annoncés par le gouvernement précédent après les meurtres commis par Merah, une première loi antiterroriste a renforcé la lutte contre le cyber-djihadisme, a facilité la répression de l’incitation à la haine et à la violence terroriste sur internet. Elle a aussi prévu la possibilité de sanctions pénales contre les terroristes français ou résidents dont l’intégralité des actes ont été commis à l’étranger.

Ce travail s’est poursuivi et enrichi avec le plan de prévention de la radicalisation, présenté en avril dernier par Bernard Cazeneuve, et le projet de loi adopté le 18 septembre à la quasi-unanimité de votre assemblée...

M. Alain Marsaud. Malheureusement !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … et qui est désormais examiné par le Sénat.

Vous en connaissez les quatre objectifs principaux : prévenir et contrarier les départs ; mieux lutter contre la diffusion de la propagande terroriste, notamment sur l’internet ; prendre en compte les nouveaux modes opératoires des terroristes, notamment de ceux agissant seuls ; enfin doter la justice et les services de police de moyens d’investigation adaptés à la menace et à ses évolutions.

En complément de ces mesures, le Gouvernement est engagé dans une démarche visant à lutter contre les phénomènes d’endoctrinement et de radicalisation et à accompagner les familles, hélas nombreuses, qui y sont confrontées.

À ce stade, je tiens, pour donner la mesure de la menace, à rappeler que, dans le cadre de la lutte contre les filières terroristes vers la Syrie, cent quatorze individus ont été interpellés, soixante dix-huit ont été mis en examen et cinquante-trois ont été incarcérés au cours des derniers mois.

M. Alain Marsaud. Et trois se sont échappés !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des départs de combattants, dont des mineurs, ont été empêchés. Et surtout, plusieurs projets d’attentats sur notre territoire ont été déjoués – ou ont échoué. Souvenons-nous de celui qui devait viser une épicerie casher de Sarcelles le 19 septembre 2012.

Comme vous le savez, trois djihadistes présumés venant de Turquie sont arrivés hier sur le sol national. Ils sont maintenant à la disposition de la police et de la justice.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas grâce à vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le ministre de l’intérieur s’est exprimé à ce sujet et aura l’occasion d’y revenir. Cette affaire ne s’est pas déroulée comme il aurait fallu.

M. Éric Ciotti. C’est clair !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Chaque fois que nous devons faire face à ce type de danger, nous devons tous, que nous appartenions à la majorité ou à l’opposition, rendre un hommage appuyé à l’ensemble de nos services intérieurs et extérieurs qui agissent avec courage et détermination pour protéger nos compatriotes (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP, ainsi que sur quelques bancs des groupes UDI et UMP).

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, la décision prise par le Président de la République d’engager les forces armées en Irak, à la demande des autorités irakiennes, repose sur un triple objectif.

Un objectif de sécurité, car nous sommes confrontés à une menace directe, immédiate et, j’insiste, d’une gravité exceptionnelle.

Un objectif de stabilité, car Daech met en péril la survie et l’unité de l’État irakien, dans une région stratégique.

Un objectif de crédibilité, car lorsqu’un pays ami nous appelle à l’aide, quand des populations sont massacrées, quand nos partenaires dans la région sont menacés, quand un groupe terroriste d’une violence inouïe s’attaque à tout ce en quoi nous croyons, la France, oui, la France ne détourne pas le regard.

Ce triple objectif ne peut s’inscrire que dans une solution politique, dont cette opération militaire n’est qu’un des volets. Elle participe donc d’une stratégie de long terme.

L’action de la France est nécessaire. Le Président de la République l’a décidée. Elle est légitime et conforme au droit international. Elle s’appuiera sur le professionnalisme et le sens du devoir de nos armées. Elle doit pouvoir s’appuyer sur le soutien de la nation tout entière et je souhaite donc pouvoir compter, aujourd’hui, sur l’appui de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP ainsi que sur quelques bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Monsieur le Président, mesdames et messieurs les ministres, mesdames les présidentes de commission, chers collègues, jeudi 18 septembre, le Président de la République a donc annoncé la décision de la France d’engager les forces aériennes françaises dans la coalition internationale qui combat l’État islamique en Irak et au Levant.

Sur la forme, je tiens à rappeler – comme je l’ai fait lors de précédents débats sur l’intervention au Mali, sur la Syrie, ou encore lors de l’opération en République Centrafricaine – que les écologistes souhaitent toujours que l’engagement des forces armées françaises soit précédé d’un vote.

D’ailleurs, en 1991, avant l’engagement de la France dans la coalition qui allait libérer le Koweït envahi par l’Irak, le Président de la République de l’époque, François Mitterrand, avait demandé au gouvernement d’organiser un vote à l’Assemblée.

Sur le fond, disons-le sans détour, au regard des principes qui guident l’action internationale de la France depuis deux ans et demi, la décision d’engager les forces françaises en Irak est cohérente.

D’abord parce qu’elle s’inscrit dans le cadre du droit international. La France intervient à la demande du gouvernement irakien. Notre pays est partie prenante d’une coalition internationale approuvée par une déclaration du président du Conseil de sécurité de l’ONU signée vendredi dernier par quarante représentants d’État. Elle opère sur la base de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, qui consacre le « droit légitime de défense individuelle ou collective dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée ».

Ensuite, cette intervention est conforme à nos priorités stratégiques. La France n’est certes plus menacée dans son intégrité territoriale et est fort heureusement en paix avec ses voisins. Elle n’a plus d’ennemi étatique. En revanche, elle est la proie d’un adversaire qui ne connaît pas de frontières, est en mutation perpétuelle et agit de manière diffuse. C’est le djihadisme, qui opère dans de nombreuses régions du monde et met régulièrement à exécution sa menace terroriste, y compris contre des ressortissants français. Nous venons encore de le voir il y a quelques jours avec l’enlèvement d’Hervé Gourdel, menacé d’être assassiné par ses ravisseurs. Nous partageons la douleur de sa famille et de ses proches dans cette horrible attente.

Nous partageons aussi la position exprimée par le Président de la République devant cet odieux chantage, qui en dit long sur la nature barbare de la pensée et des actes de ces groupes qui n’ont plus rien à voir avec des préceptes religieux, quels qu’ils soient.

L’État islamique en Irak et au Levant – et nous employons à dessein cette expression, car tel est le projet revendiqué de ce mouvement –, depuis plusieurs mois, tend à devenir une réalité dans sa capacité à exercer une quasi-souveraineté sur un vaste territoire.

En revanche, il est clair que l’appellation « islamique » est usurpée : il s’agit d’un dévoiement de l’islam et nous réaffirmons à cette occasion notre solidarité avec tous les musulmans qui subissent cette insulte, comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, et qui reconnaissent, eux, la séparation entre le politique et le religieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Ici, en France, la radicalisation de quelques individus ne justifie en rien que nos compatriotes musulmans soient mis en cause, bien au contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et quelques bancs du groupe SRC.)

L’État islamique en Irak et au Levant est en passe de devenir l’une des organisations les plus riches et les plus puissantes du terrorisme international. Il a pris Mossoul, la deuxième ville irakienne, a capté des armements lourds, s’est accaparé des puits de pétrole au nord de l’Irak et au nord-est de la Syrie, et prélève l’impôt dans les régions qu’il administre. Selon certaines sources, son trésor de guerre s’élève aujourd’hui à plus de 2 milliards de dollars.

L’État islamique en Irak et au Levant, l’EIIL, est d’abord et avant tout un danger pour les populations civiles d’Irak et de Syrie. À ce sujet, monsieur le Premier ministre, nous avons entendu vos propos sur les réfugiés et nous invitons les vingt-huit États de l’Union européenne à se coordonner pour accueillir encore davantage les réfugiés, qui en ont bien besoin. L’État islamique en Irak et au Levant constitue également une menace pour la paix et la sécurité au Moyen Orient et dans le monde entier. Au-delà de possibles attentats sur le sol français, la pratique d’enlèvements de ressortissants français s’est intensifiée, et cela bien avant cette intervention, et même bien avant l’intervention au Mali.

Enfin, cette intervention répond à la mise en cause des droits humains les plus élémentaires et à une urgence humanitaire.

L’intervention à laquelle participe la France est, de ce point de vue, totalement légitime. Elle a vocation à porter un coup d’arrêt à l’expansion territoriale des combattants de l’État islamique en Irak et au Levant, et à mettre fin aux crimes qu’ils commettent contre les minorités – au premier rang desquelles se trouvent les chrétiens d’Orient et les Yazidis. Depuis le mois de juin, les massacres ethnico-religieux perpétrés par l’État islamique ont fait près de huit mille morts et des centaines de milliers de réfugiés et de déplacés. De l’aveu du chef de la Mission d’assistance des Nations Unies dans ce pays, les actions commises par l’État islamique pourraient constituer « des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et même un crime de génocide ».

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, monsieur le Premier ministre, les députés écologistes soutiennent la décision du Président de la République d’intervenir militairement en Irak.

Pour autant, le débat que nous avons aujourd’hui doit nous permettre de répondre à plusieurs interrogations sur les contours de cette opération. Ces interrogations appellent des réponses, auxquelles les Français ont droit.

La première d’entre elles concerne les modalités de l’intervention militaire. Tout doit être fait, monsieur le Premier ministre, pour que la coalition internationale ne puisse jamais être perçue comme menant une croisade occidentale. C’est sans aucun doute la situation que voudraient engendrer ceux qui se revendiquent du djihad. C’est le souvenir aussi – disons-le – laissé par la guerre menée en Irak par les États-Unis en 2003. Il est donc très important d’avoir recherché à impliquer les pays arabes.

D’autre part, les buts stratégiques et les étapes successives de cette intervention méritent d’être précisés. Est-ce l’enchaînement de trois phases d’endiguement, puis de refoulement et enfin d’anéantissement ?

Les frappes aériennes seules ne permettent évidemment pas d’atteindre ces objectifs. Il faudra une intervention au sol. Et si nous soutenons le choix du Président de la République de ne pas mobiliser nos forces terrestres, compte tenu de nos engagements lourds au Mali et en République centrafricaine notamment, la question se pose de savoir si les autres États membre de la coalition sont prêts à le faire, et surtout quels relais, parmi les acteurs irakiens, vont hériter de cette lourde tâche.

Deuxième clarification attendue : quelles sont les finalités politiques de cette intervention ?

Les opérations conduites en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, ou plus récemment en Libye en 2011, ont montré leurs limites. Au Moyen-Orient, plus que nulle part ailleurs, ce qu’on a pu appeler le « kit interventionniste », s’il n’est pas suivi d’un projet politique inclusif et ambitieux, est inopérant à moyen et long terme.

Le retour de la stabilité et de la sécurité en Irak passe nécessairement par la reconstruction d’un État représentatif des diversités ethniques et confessionnelles qui composent la société irakienne, et par l’édification d’une armée à l’image de cette diversité, intégrant les milices sunnites opposées à l’État islamique en Irak et au Levant.

Enfin, troisième clarification souhaitée : quels débouchés politico-diplomatiques à cette intervention ?

La crise irakienne transcende les limites territoriales des États. Elle appelle des réponses globales, dans lesquelles l’Union européenne doit s’engager, faute de pouvoir, faute de vouloir le faire militairement. Aussi, du point de vue diplomatique, le groupe écologiste propose l’organisation d’une conférence internationale pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient qui aurait pour objet prioritaire la question des minorités.

En 1991 d’ailleurs, la France avait obtenu la tenue d’une telle conférence lors de son engagement dans la coalition pour libérer le Koweït. Convoquée par l’ONU, les États-Unis, l’URSS mais aussi l’Union européenne, qui s’appelait à l’époque la Communauté économique européenne, elle avait à l’époque obtenu de nombreux résultats, on l’oublie trop souvent, notamment les accords d’Oslo entre Israël et la Palestine.

Une telle conférence aurait, entre autres, pour but de dépasser les problèmes hérités du découpage territorial issu des accords Sykes-Picot, après la Première guerre mondiale. Il est temps de garantir les droits et la sécurité des minorités, et de favoriser leur intégration dans les États par des statuts d’autonomie politique adaptés.

Le choix d’une intervention militaire ne constitue jamais une fin en soi et reconnaissons qu’à ce stade, on distingue mal la feuille de route pour ce qu’on pourrait appeler le « jour d’après ». En la matière, tous les espoirs sont permis, mais les inquiétudes sont aussi légitimes.

Les écologistes attendent donc des initiatives fortes de la France en la matière. Compte tenu de son refus – et c’était une bonne chose – de participer à l’intervention américaine en Irak en 2003 et de son implication récente dans d’autres régions du monde face au djihadisme, comme au Mali, la France est attendue et légitime sur ce terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, vendredi matin, deux Rafale de l’armée française ont détruit un dépôt logistique du prétendu État islamique, dans le nord-est de l’Irak, près de Mossoul, conformément à ce qu’avait déclaré la veille le Président de la République lors de sa conférence de presse.

Le même jour, comme le prévoit la Constitution, les présidents de l’ensemble des groupes parlementaires ont été convoqués à la Conférence des présidents de ce matin, et le décret du lundi 22 septembre a fixé l’ordre du jour de cette séance, au cours de laquelle les membres de la représentation nationale sont informés de la situation.

D’autres survols d’avions de chasse ont eu lieu et nos forces aériennes sont pleinement engagées dans ce théâtre d’opération, le troisième pour la France : après le Mali, la Centrafrique, nos soldats combattent en Irak aux côtés des Américains, mus par la conférence internationale sur l’Irak dont Paris est à l’origine, tandis que les États-Unis ont hâté leurs préparatifs militaires, jusqu’à aller bombarder l’une des bases du mouvement djihadiste Haraka dans la nuit de lundi à mardi.

Les États-Unis sont présents dans la région depuis plus longtemps, malgré leur départ du pays en 2006, dans les circonstances que chacun connaît et sur lesquelles je ne m’étendrai pas.

Non qu’il serait inutile de rappeler la responsabilité de nos alliés américains dans le délabrement des structures politiques et sociales de l’Irak ni de s’attrister sur le triste état de la Mésopotamie, abîmée par l’ignorance des peuples – je parle des peuples occidentaux, cela va de soi – et le mépris de leurs commis.

Je ne le ferai pas, car ce débat est derrière nous. Nous sommes confrontés à une menace qui dépasse toutes les autres, une menace à laquelle il est impérieux de répondre, rapidement et en coordination avec l’ensemble des membres de la coalition internationale rassemblée par le Secrétariat d’État américain.

L’heure n’est plus aux rancunes ni aux faux-semblants. Nous devons à tout prix stopper la progression des combattants du djihadisme international, annihiler leurs capacités de nuire, par tous les moyens, y compris psychologiques : les nommer sous le vocable Daech pour tenter de les couper de leurs bases syriennes en est un.

L’État islamique est politiquement un leurre destiné à figurer l’affrontement avec les pays occidentaux, une provocation dont l’objet est de faire croire à un illusoire pied d’égalité dans la belligérance : un État se confronte à d’autres États.

En outre, l’État islamique est juridiquement un oxymore : « l’État islamique » n’existe pas en tant que tel. Premièrement, parce que la théorie de l’État est étrangère à l’islam politique : le Dar-al-lslam, par définition, ne connaît pas de frontières et pas de frontières signifie pas d’État. D’ailleurs, le prétendu État islamique entend maintenant abolir ces frontières dans et hors du Moyen-Orient.

Deuxièmement, parce que l’idée de « terre conquise » n’est qu’un avatar grossier de celle de « terre promise » et que le prétendu « califat », proclamé en juin 2014, ne saurait être comparé au gouvernement d’une communauté humaine avant tout constituée de mercenaires.

L’État islamique est une mystification. Les États doivent démontrer que les hordes de « combattants » radicaux qui sévissent dans cette région ne sont pas les plénipotentiaires d’un régime institutionnalisé. Nous y aide, d’ailleurs, la violence du message publié par le porte-parole de ce groupe, le lundi 22 septembre, qui, s’il n’était pas absolument sinistre, serait risible par le ridicule de son emphase. La barbarie est clairement revendiquée et, le lendemain, Hervé Gourdel était enlevé et menacé de mort en Algérie par un groupe dénommé « Jund al-Khalifa » dont le chef est un affidé du prétendu État islamique. La guerre contre le fanatisme sunnite se jouera donc des frontières.

Si les deux pays membres de la coalition internationale participant directement aux opérations de combat – la France et les États-Unis – interviennent en Irak à la demande de Bagdad, intervenir en Syrie dans ces conditions est évidemment impossible.

Cependant, comme l’a estimé le ministre des affaires étrangères à la veille de l’ouverture des débats à l’Assemblée générale des Nations unies, une interprétation extensive de l’article 51 de la Charte pourrait permettre juridiquement d’agir en Syrie. Ce point doit être précisé, monsieur le Premier ministre.

Alors que les États-Unis viennent de livrer leurs premiers raids aériens contre l’État islamique en Syrie, nous interdisons-nous de le faire – ce qui ne signifie pas que nous devions abandonner notre capacité de décision autonome, essentielle dans cette partie du Moyen-Orient et indispensable du point de vue politique et militaire ?

Politique, car les Français et les Américains peuvent ne pas utiliser les mêmes procédés pour saper la base sociologique des djihadistes.

Militaire, ensuite, pour des raisons évidentes lorsque l’on se souvient du revirement de l’administration présidentielle américaine renonçant, il y a plus d’un an, à intervenir militairement en Syrie.

La lutte contre le terrorisme international, aujourd’hui, diffère de celle menée après les attentats du 11 septembre en ce qu’elle est conduite plus étroitement avec les pays arabes, dont la diplomatie s’est clarifiée.

La frappe américaine en Syrie a été menée conjointement avec cinq alliés régionaux des États-Unis : l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Jordanie, le Qatar et le Bahreïn.

La question de la place de l’Iran est évidemment essentielle.

La Turquie, après la libération récente de ses otages, semble vouloir ne plus louvoyer même si elle négocie encore sa participation à la coalition internationale alors que la question de la sphère politique du Kurdistan doit être posée à l’échelle régionale et que la réduction du flux de réfugiés syriens doit être une priorité.

Il faut se féliciter de la clarification turque sans négliger la nécessité de clarifier les conditions de l’expulsion, hier, des trois djihadistes présumés en provenance de Syrie ayant transité par Istanbul, ainsi que la nature des responsabilités des autorités turques dans cette lamentable affaire.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Tout à fait.

M. Gérard Charasse. Le défi est de la plus haute importance et il doit être relevé par l’ensemble des pays membres de la coalition internationale. Cela signifie que chacun doit participer activement à cette lutte en ne laissant pas aux seuls pays participant aux opérations de combat la charge, en particulier financière, de la guerre internationale contre le terrorisme. Il n’est pas admissible que la France, qui est le seul pays européen à se projeter militairement sur plusieurs théâtres d’opérations, en supporte seule le coût.

Vous savez, monsieur le Premier ministre, que les parlementaires radicaux sont particulièrement attentifs au maintien de l’intégrité du budget de la défense.

M. Olivier Falorni. Tout à fait !

M. Gérard Charasse. Les opérations extérieures – les fameuses OPEX – font l’objet de crédits évaluatifs dont nous pensons qu’ils devront être réévalués dans le projet de loi de finances qui sera bientôt soumis à notre examen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. Gérard Charasse. Nous soutenons l’action du Président de la République et nous nous félicitons de la rapidité ainsi que de la réactivité des autorités françaises de même que de la volonté, maintes fois réaffirmée, de placer notre action dans le cadre du droit international.

Nous soutenons la décision de procéder à des frappes aériennes en Irak pour affaiblir durablement et profondément le prétendu État islamique et ses avatars barbares, tout en sachant qu’un appui de forces spéciales au sol est souvent nécessaire pour décupler l’efficacité de telles opérations.

Nous souhaitons être constamment informés de leur suite ainsi que de l’activité des services de renseignement français en matière de lutte contre le terrorisme.

Il existe une délégation parlementaire au renseignement. Nous souhaitions créer une délégation parlementaire à la lutte contre le terrorisme sur le même modèle mais la Constitution serait ainsi faite qu’un parlementaire ne peut proposer de modifier la structuration des travaux de l’Assemblée dont il est membre, ce que l’on ne peut que regretter.

Cependant, la Constitution prévoit l’autorisation expresse du Parlement lorsque l’intervention militaire à l’étranger excède quatre mois. À n’en pas douter, nous devrons de nouveau délibérer des moyens que la France se donne pour lutter contre le djihadisme international qui menace la sécurité de nos concitoyens et défie notre ordre républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord exprimer la solidarité des députés du Front de gauche envers les otages français Hervé Gourdel et Serge Lazarevic – qui vivent des heures terribles aux mains de fanatiques sans foi ni loi – ainsi qu’envers leur famille.

Daech, cette créature monstrueuse qui sévit aujourd’hui de la Syrie à l’Irak, n’est pas un phénomène spontané. Daech a une histoire dont les racines sont ancrées dans la situation de chaos provoquée par l’intervention américaine de 2003.

Depuis la guerre en Afghanistan, les foyers du terrorisme se sont multipliés. Daech est le fruit de la politique occidentale néocolonialiste dans cette région.

Ruse de l’histoire, les tenants de l’actuelle intervention militaire contre Daech sont les principaux responsables de sa montée en puissance.

Déjà une décennie s’est écoulée depuis l’opération « Liberté pour l’Irak », nom cynique de l’invasion anglo-américaine justifiée par le mensonge d’État sur les supposées armes de destruction massive.

M. Jean-Luc Laurent. Exact.

M. François Asensi. Et pourtant, le peuple irakien n’a cessé de payer le prix de cette folle idée de refaçonner le Moyen-Orient en imposant la pax americana par la force.

Le bilan de cette croisade moderne est dramatique. Plus de 250 000 civils irakiens ont péri, qui s’ajoutent au million d’enfants morts à cause de l’embargo, sans parler des millions de réfugiés et, notamment, du départ de plus de plus des trois cinquièmes des chrétiens irakiens présents sur cette terre depuis deux millénaires.

La division de facto de l’Irak n’est pas uniquement liée à l’avancée des djihadistes. Les États-Unis ont soutenu l’émergence d’un système politique et institutionnel calqué sur ces fractures, avec l’exacerbation de la fitna entre sunnites et chiites, la montée des tensions entre Arabes et Kurdes.

Le choix américain d’installer au pouvoir un Premier ministre irakien, M. El Maliki, partisan de la marginalisation des sunnites, fut une décision désastreuse.

En 1991, le secrétaire d’État américain promettait de ramener l’Irak à l’âge de pierre. Dix ans d’embargo, une deuxième guerre suivie de l’occupation américaine, ont fini de démanteler l’État irakien.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. François Asensi. L’hypothèse de la balkanisation de l’Irak n’a cessé de se renforcer, à croire qu’il s’agissait de l’un des objectifs de l’intervention américaine pour mieux contrôler les immenses ressources pétrolières de ce pays.

Cette guerre justifiée par la « guerre globale contre le terrorisme » a finalement fait naître un nouveau foyer de terrorisme international.

Al Qaeda, « création américaine », selon les propres mots d’Hillary Clinton, est aujourd’hui supplantée par les forces armées de Daech. Ces assassins qui n’ont rien à voir avec l’islam, qu’ils instrumentalisent, disposent d’une puissance de feu et de moyens financiers supérieurs. Jamais Al Qaeda, même en Afghanistan sous le règne des talibans, à la fin des années 1990, n’avait contrôlé pareil territoire.

Face aux avancées des forces djihadistes, le silence et l’inaction ne peuvent être de mise. La responsabilité de la communauté internationale est de protéger les civils et de conforter les États.

Oui, il faut venir en aide au peuple irakien sous le joug du fanatisme ! Oui, il faut apporter une aide militaire à ceux qui résistent aux djihadistes ainsi qu’un soutien politique, humanitaire, économique, mais pas n’importe comment et certainement pas sous un commandement américain et sous tutelle de l’OTAN.

La lutte indispensable contre la barbarie des djihadistes aurait dû réunir l’ensemble de la communauté internationale, sous l’égide de l’ONU. Si le mandat de l’ONU n’était pas impératif, l’Irak usant de son droit à la légitime défense, il eût été préférable.

J’en veux pour preuve l’adoption, au mois d’août dernier, par l’ensemble des membres du Conseil de sécurité, de la résolution 2170 contre le pouvoir djihadiste. En s’attaquant au nerf de la guerre, à savoir le financement des mouvements djihadistes, cette résolution a marqué une avancée importante.

Au lieu de cela, la France se retrouve en première ligne, isolée aux côtés des États-Unis alors que la Grande-Bretagne tergiverse et que nombre de pays membres de la coalition internationale traînent des pieds, quand ils ne jouent pas un double jeu.

En 2003, la France a refusé à juste titre de mettre ses pas dans ceux des faucons américains. L’Histoire nous a donné raison. Quel sens y a-t-il aujourd’hui à s’engager dans une coalition menée par les responsables de ce chaos ? Non, la France n’a pas à faire le service après vente des États-Unis ! Elle doit retrouver sa voix et, comme dans les pages fortes de son histoire, soutenir la liberté des peuples.

Or, une dérive atlantiste ne cesse de s’affirmer dans la conduite de notre diplomatie. Le président Hollande poursuit la politique internationale du président Sarkozy.

M. Jean Glavany. Oh !

M. François Asensi. La prééminence accordée par la France à l’OTAN affaiblit chaque jour un peu plus l’ONU et le multilatéralisme. Sans vision propre pour la paix au Moyen-Orient, la diplomatie française prend le contre-pied de la doctrine gaulliste, garante de notre indépendance nationale, et qui faisait consensus dans le pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Je ne donnerai que deux exemples.

Cet été, le Gouvernement français a abandonné le peuple palestinien sous les bombes alors que, pour la stabilité et la paix dans la région, nous devrions sans plus tarder reconnaître enfin l’État palestinien.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Absolument.

Mme Marie-George Buffet. Tout à fait.

M. François Asensi. Depuis deux ans, le peuple kurde résiste courageusement aux assauts djihadistes et appelle à l’aide. Sous la pression de la Turquie, qui réprime les revendications nationales de ce peuple, notre diplomatie lui a tourné le dos pendant des mois avant de revenir à la raison.

Il est temps également de s’interroger sur le jeu ambigu de certains de nos supposés alliés. Nous pensons, en particulier, aux monarchies saoudienne et qatarie qui sont impliquées dans le financement direct ou indirect des différents groupes djihadistes, ceux-là même qui ont assassiné les deux journalistes américains et le journaliste britannique.

Monsieur le Premier ministre, comment comprendre que la France conserve des liens privilégiés avec ces personnages princiers qui attisent le chaos au Moyen-Orient et entretiennent des relations féodales avec leurs peuples ? La vente de quelques Rafales et de quelques palaces parisiens suffit-elle à réduire au silence notre diplomatie ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. Jean Glavany. François, ce n’est pas raisonnable !

M. François Asensi. Et que dire du double jeu de la Turquie, pourtant membre de l’OTAN, qui a abrité sur son territoire les bases arrière des djihadistes et par laquelle transitent aujourd’hui les filières internationales de combattants ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean Glavany. Applaudi par la droite extrême !

M. François Asensi. Outre le cadre insatisfaisant de l’actuelle intervention, beaucoup de questions restent sans réponse.

Quels sont les objectifs réels de l’intervention ? Est-elle la réponse la plus efficace et combien de temps durera-t-elle ? Que se passera-t-il « le jour d’après » – nous savons ce qu’il en fut pour la Libye ? Comment assécher les sources de financement des groupes djihadistes et impliquer l’ensemble de la communauté internationale ? Comment enrayer la partition de l’Irak et mettre fin aux conflits identitaires, véritable terreau du terrorisme ? Après cette énième intervention en Irak, ne risquons-nous pas de renforcer le prétendu État islamique en lui donnant la reconnaissance qu’il attend ? Ne nourrissons-nous pas le cercle vicieux de la haine et de la frustration qui animent les combattants de Daech, ces assassins qui n’ont rien à voir avec l’islam, qu’ils instrumentalisent ?

De la désastreuse intervention en Libye au bourbier afghan, en passant par le fiasco irakien, les interventions occidentales ont fait l’étalage de leur inefficacité, en délitant plus encore des États fragiles et en armant nos ennemis de demain. Monsieur le Premier ministre, vous comprendrez, dans ces conditions, les réserves qui conduisent les députés Front de gauche à la plus grande prudence.

Nous avons soutenu l’intervention au Mali, car le combat contre le terrorisme ne supporte pas l’inaction ; mais nous sommes aujourd’hui troublés par les conditions de cette intervention, et nous exprimons de fortes réserves sur la stratégie pour le moins vague de la coalition. Comment pourrions-nous approuver l’engagement militaire de la France dans une coalition sous bannière américaine à laquelle manquent des acteurs régionaux et onusiens essentiels ?

La réponse au défi lancé par Daech ne saurait se résumer à la seule solution militaire. Notre responsabilité est de travailler à des solutions politiques et diplomatiques durables pour isoler la bête immonde. Les députés du Front de gauche souhaitent des initiatives audacieuses de la diplomatie française pour poursuivre la mobilisation contre le terrorisme amorcée dans le cadre onusien par la résolution 2170. Cela passe également par la reconstruction de l’État irakien, que la France doit appuyer. C’est l’avenir de l’Irak comme État-nation qui est en jeu, dans le respect de ses composantes chiite, sunnite, kurde, chrétienne et yazidie. Cela passe, enfin, évidemment, par la lutte sans faiblesse contre ceux qui, groupes ou États, financent les djihadistes et font le terreau de leurs violences. Voilà quels sont, pour les députés du Front de gauche, les meilleurs moyens d’aider le peuple irakien sur le long terme, bien au-delà du seul volet militaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme Marie-Françoise Bechtel M. Jean-Luc Laurent et M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, il y a maintenant un an – le 4 septembre 2013 – nous nous réunissions ici même pour débattre de la Syrie. Comme aujourd’hui, chaque groupe politique avait pu s’exprimer et j’avais, au nom des députés socialistes, républicains et citoyens, affirmé que la situation dans ce pays portait en germe de nouvelles menaces pour la sécurité collective. J’aurais alors voulu être dans l’erreur !

Certes, depuis, l’arsenal chimique du régime de Bachar al Assad a été démantelé sous la pression internationale, notamment grâce à l’action diplomatique de la France. Mais sa politique effroyable s’est poursuivie à l’encontre de la population civile, poussant le cynisme jusqu’à faire le jeu des islamistes les plus radicaux pour défaire l’opposition modérée. Ainsi, à l’heure où nous parlons, les peuples du Tigre et de l’Euphrate sont pris entre le marteau et l’enclume, entre une dictature de la terreur d’un côté, et un califat de la barbarie de l’autre.

Face à cette situation, le Président de la République, chef des armées, a décidé, au nom de la France, de répondre favorablement à l’appel à l’aide que lui ont lancé les autorités irakiennes pour lutter contre Daech, un mouvement terroriste dont la cruauté n’a d’égale que la prédation territoriale. Contrôlant aujourd’hui près d’un tiers des terres syriennes et irakiennes, il agit tel un rouleau compresseur emportant toute opposition sur son passage, avec pour objectif de s’emparer de l’ensemble des pays du Levant : l’Irak, la Syrie, la Jordanie, le Liban.

Grâce à sa mainmise sur de grands axes de communication, sur des puits de pétrole, sur des barrages hydrauliques qui approvisionnent les populations en eau et en électricité, ou encore sur du matériel militaire sophistiqué dont disposaient les forces irakiennes, l’organisation dispose de moyens substantiels et renforce chaque jour son influence sur les populations locales. C’est la raison pour laquelle la France demande au Conseil de sécurité des Nations unies de continuer à prendre des sanctions – et nous avons raison de le faire –, comme le gel des avoirs ou l’interdiction de voyager, contre les individus qui financent cette organisation terroriste.

Forte de trente mille combattants, elle est aussi rompue aux coups de force militaires qu’aux sinistres et sanguinaires coups d’éclats médiatiques. Par ses actions de propagande sur internet, elle incite de nouvelles recrues à quitter l’Afrique du Nord, le Caucase, l’Europe, en tout plus de quatre-vingts pays dont l’Australie et les États-Unis, pour venir grossir ses rangs. À leur retour, ceux-ci représentent un risque considérable pour leur pays d’origine, comme nous l’avons malheureusement constaté et longuement débattu lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme que nous avons adopté la semaine dernière, et qu’examinera sous peu le Sénat.

Nous devons, chacun à notre niveau, rappeler sans cesse – M. le Premier ministre vient de le faire : je veux le faire à mon tour, à cette tribune – que malgré le nom qu’elle s’est donnée, l’organisation terroriste Daech n’est ni un État, ni le représentant de l’islam. Non, le prétendu choc des civilisations, qui opposerait un bloc occidental à un bloc musulman, n’existe pas – les Français et tous les Européens doivent l’entendre. Les communautés musulmanes de tous les pays, y compris le nôtre, ont dénoncé et condamné, à juste titre, les innombrables exactions commises par Daech, qui n’obéissent qu’à une seule loi : celle de la surenchère dans la barbarie.

Que reste-t-il d’humanité à des personnes qui enlèvent et décapitent des civils, forcent des femmes, des enfants et des hommes sans défense à l’exode dans des montages arides, sans vivres, en raison de leur ethnie ou de leur confession ? De quel califat s’inspirent-elles pour exiger qu’on leur prête allégeance, alors qu’elles piétinent, à chacun de leurs actes odieux, les principes fondamentaux de la religion dont elles disent s’inspirer, dont le caractère sacré de la vie ? Si choc il y a, ce n’est pas entre l’Occident et l’islam, mais entre l’humanisme et la barbarie, entre la liberté et le joug totalitaire que représente cette organisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C’est pourquoi la détermination de la France à combattre Daech et le terrorisme sous toutes ses formes ne doit pas faiblir, quelles que soient les menaces que cette mouvance proférera. C’est également pourquoi la coalition internationale qui s’est formée pour venir en aide à l’Irak est aussi large. Certains ont promis d’apporter un soutien militaire, d’autres ont opté pour une assistance humanitaire ou financière. Pour ce qui est de la France, monsieur le Premier ministre, nous nous félicitons qu’elle continue d’acheminer des convois humanitaires en direction des réfugiés. Nous nous félicitons qu’elle continue de procéder à la formation et à la livraison d’armes auprès des combattants kurdes, les peshmergas, et auprès de l’armée irakienne, aussi longtemps que nécessaire. Nous souhaitons aussi que la mobilisation autour de toutes les minorités chassées et pourchassées se poursuive – chrétiens d’Orient, arméniens de Syrie, yézidis, chiites, turkmènes et shabaks, kakais et mandéens sabéens. Tous doivent savoir notre soutien ; après avoir cité leur nom ici, nous devons agir et mobiliser la communauté internationale pour protéger leur avenir, empêcher leur massacre et éviter les exodes qui ont lieu aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Depuis la semaine dernière, notre pays a lancé, sous l’autorité du chef de l’État, l’opération Chammal, qui mobilise les moyens aériens de notre base prépositionnée d’Al-Dhafra aux Émirats arabes unis. Par ces vols de reconnaissance, mais aussi par les moyens satellitaires déployés, la France gardera, au sein de l’action internationale actuellement à l’œuvre, toute sa liberté d’appréciation. Nos moyens de renseignement seront précieux pour identifier des cibles stratégiques et tactiques, au profit de nos forces comme de celles des membres de la coalition – en premier lieu, les forces irakiennes – pour lutter contre Daech et ses affidés.

Chaque fois que nous engageons nos soldats et nos moyens militaires nous devons garder cette liberté : c’est fondamental. C’est cette même liberté d’appréciation qui nous avait manqué lors de la guerre du Golfe, et qui avait poussé Pierre Joxe à créer la Direction du renseignement militaire il y a deux décennies. C’est cette capacité autonome qui nous a évité l’erreur d’intervenir en Irak en 2003 – erreur dont la sécurité collective paie aujourd’hui le prix.

Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, le recours à la force est justifié. Il est nécessaire. Mais il ne suffira pas à lui seul à juguler la crise qui secoue le Moyen-Orient. En Irak, mais aussi dans tous les pays de la région, il doit être assorti d’une politique de rassemblement national, seule à même de redonner des perspectives démocratiques à des peuples en proie au désespoir, et donc de les éloigner de la tentation extrémiste. Toute intervention militaire doit s’accompagner d’une stratégie de suivi politique. Cela doit être le sens de l’action globale mise en œuvre par la coalition, cela doit être le sens donné par la France à son intervention dans le cadre de cette coalition.

Mujao, AQMI, Boko Haram, Ansar al-Charia, Al Shabaab, AQPA, Jabhat al-Nosra, Daech : ces appellations, mises bout à bout, constituent un axe djihadiste qui pourrait faire vaciller la sécurité de millions de kilomètres carrés, du Mali à l’Irak en passant par le Niger, le Nigeria, la Libye, l’Égypte, la Tunisie, le Yémen et la Syrie. La convergence de ce que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale désigne comme « les risques de la faiblesse » nécessite une mobilisation large et dans la durée pour éviter que le monde ne plonge dans le chaos d’une barbarie sans nom.

Vous me permettrez, en ce moment, de penser à Hervé-Pierre Gourdel, enlevé par une organisation djihadiste se réclamant de Daech, ainsi qu’à sa famille et à ses proches, et de formuler des souhaits de réussite à ceux qui travaillent aujourd’hui à sa libération.

La France n’a pas peur. Surtout, nous savons que c’est en agissant que nous protégerons nos concitoyens et même, au-delà, notre continent. Face à sa responsabilité, la France a répondu comme elle l’a toujours fait quand il s’agit de défendre ses principes et sa sécurité. Elle ne pourrait le faire sans le courage des hommes et des femmes qui servent nos armées. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à tous nos soldats engagés, que ce soit en Irak, au Mali ou en République centrafricaine. La France prend sa part, toute sa part – peut-être même un peu plus que sa part – à la sécurité du monde et à la sécurité de l’Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Voilà, mes chers collègues, un facteur que nous ne saurions laisser oublier à ceux qui commentent, ailleurs, notre action. La France, monsieur le Premier ministre, a pris ses responsabilités. J’en appelle – mon groupe en appelle – à l’ensemble des pays de l’Union européenne pour faire de même. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait conclu il y a un an son discours à cette tribune sur la question syrienne en disant que « la passivité ne peut jamais être une option ». La main de notre gouvernement, la main du Président de la République, ne tremblent pas quand il faut défendre les intérêts de la liberté. La France n’a jamais failli à sa responsabilité : le groupe socialiste, républicain et citoyen s’en félicite. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP)

M. le président. La parole est à M. François Fillon, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. François Fillon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, avec plusieurs membres du groupe UMP, je me suis rendu au début du mois en Irak pour témoigner notre solidarité aux chrétiens d’Orient. Ils sont là depuis 2 000 ans, témoins d’une très longue histoire qui vit peut-être ses derniers jours. Aujourd’hui, ils n’ont pour choix que la fuite ou la mort, et ils voient dans la France la nation protectrice qu’ils appellent à la rescousse.

Dans les camps de réfugiés, j’ai écouté les témoignages. À cinq heures d’avion de Paris, on tue, on viole, on torture, on vend des femmes sur les marchés, on détruit des églises, on dynamite des mosquées séculaires. Des milliers de morts, près de deux millions de personnes déplacées.

Les fanatiques de l’État islamique ne forment pas une organisation terroriste comme nous avons pu en affronter autrefois. Cette organisation ne vit pas dans l’ombre : elle a pris le pouvoir sur des provinces et des villes. Elle a des moyens financiers, avec les revenus tirés de la vente de pétrole. Elle a une assise territoriale, qu’elle veut étendre en bousculant les frontières si fragiles du Moyen-Orient. Elle détient de puissants moyens militaires tirés – en partie – du chaos irakien. Elle a une connaissance intime de nos sociétés et de nos points de vulnérabilité. Elle s’appuie sur des groupes vassaux qui nous défient directement, comme en Algérie où l’un de nos compatriotes est menacé d’exécution. Monsieur le Premier ministre, tout doit être entrepris pour sauver Hervé Gourdel, vers qui vont, à cet instant, toutes nos pensées. Mais nous ne pouvons pas céder aux ravisseurs.

Dans son histoire, la France a souvent été exposée au terrorisme. Dans chaque cas, ce terrorisme prenait la forme d’un chantage macabre, mais l’idée d’une revendication, d’une négociation, était presque toujours présente. Avec l’État islamique, on a changé de monde : on ne négocie pas, on tue ; on ne cherche pas à sauver sa propre vie, on souhaite la mort, dans un combat salvateur contre un monde prétendu décadent – l’Occident infidèle, bien sûr, mais aussi les mauvais musulmans –, et ce jusqu’à ce que le califat règne sur la terre et impose sa lecture de la charia.

Refuser d’intervenir ? Ce serait assurer, aux portes de la Méditerranée, l’instauration d’un État fanatique ; ce serait être complice d’un crime contre toutes les valeurs de l’humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Lorsque l’essentiel est en jeu, c’est-à-dire la liberté et la démocratie, lorsque la sécurité des Français est directement menacée, l’opposition ne se dérobe pas. Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, il n’y a pas de droite, il n’y a pas de centre, il n’y a pas de gauche ; il y a la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. François Fillon. Face au terrorisme, le groupe UMP ne tergiverse pas, il est pour l’action et pour l’unité nationale. Nos armées peuvent compter sur notre soutien pour porter des coups décisifs à la capacité offensive de l’État islamique et pour appuyer tous ceux qui, sur le terrain, se battent pour faire reculer les djihadistes.

Mais ce moment d’unité nationale doit aussi être un moment de transparence. On ne part pas en guerre les yeux fermés. Pour cela, j’invite le Gouvernement à clarifier sa position sur des points décisifs.

Nous sommes engagés dans une coalition internationale. Vingt-neuf pays ou organisations se sont réunis à Paris pour répondre à l’appel de la France, mais qu’en est-il aujourd’hui de cette coalition ? Seuls la France et les États-Unis sont réellement engagés dans la bataille : où est l’Europe ?

Vous étiez en Allemagne hier, monsieur le Premier ministre. Y avez-vous reçu l’assurance d’un renforcement du soutien allemand et d’une participation à la coalition sur un plan autre qu’humanitaire ? De même, où est l’Italie, pays particulièrement sensible, lui aussi, à la cause des chrétiens d’Orient ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Absolument !

M. François Fillon. Il faut donc intensifier la mobilisation diplomatique et battre le rappel. L’action de la France répond à une demande formelle des autorités irakiennes, mais cela ne nous dispense pas de passer par le Conseil de sécurité des Nations unies. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Très bien !

M. François Fillon. La résolution 2170 ne prévoit pas de recours à la force. Il en faut une nouvelle, sans laquelle la coalition pourrait n’être internationale que de façade.

Mme Marie-Jo Zimmermann. C’est vrai !

M. François Fillon. Et il faut le faire maintenant, alors que les chefs d’État sont réunis à New York et que le Conseil de sécurité doit adopter ce soir une déclaration sur les filières djihadistes. Malgré les blocages de l’année 2013 sur la Syrie, ne nous laissons pas entraîner par dépit dans le contournement du Conseil de sécurité pour éviter la Russie et la Chine. La lutte contre l’État islamique constitue une occasion pour renouer à l’ONU avec ces deux puissances qu’il faut réintégrer dans le jeu diplomatique. Car ce n’est qu’unie que la communauté internationale pourra vaincre cette menace globale. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Face au danger, où sont les pays de la région ? Ils sont les premiers concernés par cette crise, par ces crimes, par cet affront lancé à la haute spiritualité de l’Islam.

Mme Nicole Ameline. Très bien !

M. François Fillon. Où sont les héritiers d’Averroès ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. On se le demande !

M. François Fillon. Où est la révolte que devraient leur inspirer ces fanatiques ? Nul n’a intérêt à laisser accréditer l’idée que cette intervention serait celle de l’Occident. Certains pays s’engagent concrètement, mais la plupart sont sur leurs gardes, pour éviter une conflagration encore plus grande entre sunnites et chiites, entre Arabes et non-arabes.

Grâce à sa tradition diplomatique, la France peut jouer un rôle. Pour parler à l’Iran, dont on ne pourra se passer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Très bien !

M. François Fillon. Pour parler à la Turquie, qui voit la menace à ses portes mais s’inquiète des ambitions kurdes. Pour parler aussi aux États du Golfe auxquels nous sommes liés, en particulier à l’Arabie Saoudite et au Qatar. Sur ce point, il est impératif que notre diplomatie conduise nos partenaires arabes à clarifier leur position. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je le dis solennellement : la retenue ne saurait être l’ambiguïté. On ne peut pas dire aux Européens : « Intervenez et nous vous soutenons financièrement » tout en fermant les yeux sur tous ces financements privés qui partent du Golfe ou d’ailleurs pour alimenter les réseaux fondamentalistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Marie-Jo Zimmermann. Bravo !

M. François Fillon. Cette duplicité a trop duré.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. François Fillon. C’est pour y mettre un terme que j’ai proposé que la Cour pénale internationale puisse être saisie contre les auteurs des crimes de masse sur les territoires contrôlés par l’État islamique et contre ceux qui les financent.

Dernière interrogation : dans cet Orient en miettes, notre stratégie diplomatique et militaire est-elle claire ?

M. Eduardo Rihan Cypel. Affaiblir l’organisation terroriste Daech !

M. François Fillon. Depuis plusieurs mois, nous agissons au fil des événements, et souvent dans le sillage de nos amis américains. J’ai dit en son temps qu’il me paraissait hasardeux d’intervenir en Syrie sans mandat de l’ONU, que pour moi la solution passait – même si c’est difficile – par un accord avec la Russie et l’Iran.

La suite des événements n’a fait que confirmer cette conviction. En découlent alors plusieurs interrogations : si la France intervient aujourd’hui, à juste titre, contre l’armée islamique, comment entend-elle conserver son autonomie de décision par rapport à une stratégie américaine, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a été difficilement lisible ces dernières années ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Quel est le but de guerre assigné à nos forces aériennes dans ce conflit ?

M. Nicolas Dhuicq. C’est la vraie question !

M. François Fillon. Est-il raisonnable de considérer que la mission s’arrêtera à la frontière de la Syrie, alors même que les bases arrières de l’État islamique sont situées dans ce pays ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) J’ai été surpris d’entendre le Président de la République indiquer le 18 septembre que nos frappes viseraient uniquement l’Irak, et dire que les Américains s’éloigneraient de la légalité internationale s’ils frappaient la Syrie. Curieux revirement, alors qu’il y a un an il expliquait qu’il fallait frapper en Syrie, même sans autorisation du Conseil de sécurité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Eduardo Rihan Cypel. Qui n’a pas suivi ?

M. François Fillon. Aujourd’hui, les États-Unis ont choisi d’agir sur le territoire syrien. Très vite, cette question se posera à nous. Que cherchons-nous ? Un simple repli des combattants de l’État islamique, ou leur destruction ?

Si nous cherchons leur destruction, alors nous n’aurons pas le choix, car en matière de stratégie, rien n’est pire que les demi-interventions. L’État islamique dispose d’une solide implantation en Syrie, où il est parvenu à rallier certains groupes extrémistes. De Syrie, il peut se projeter vers la Turquie, déstabiliser le Liban et la Jordanie. Resterons-nous les bras croisés ?

Nous avons livré des armes en Syrie, sans d’ailleurs que le Parlement n’en soit informé. À qui ont été livrées ces armes ? Où sont-elles aujourd’hui ? Vous nous devez une réponse sur ce sujet, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je connais le raisonnement selon lequel l’État islamique et Bachar al Assad seraient des alliés objectifs. Je mesure l’argument, mais je vois aussi l’impasse. Qu’on le veuille ou non, le combat contre l’État islamique ne sera victorieux que s’il est livré sur tous les fronts et sous toutes ses formes.

Dans les airs, nous faisons le travail, mais c’est sur le terrain que la victoire décisive devra être obtenue par les peshmergas Kurdes et l’armée irakienne, et, le moment venu, avec l’appui des tribus sunnites qu’il faudra convaincre.

M. Nicolas Dhuicq. Tout à fait !

M. François Fillon. J’ai rencontré les soldats kurdes. Ils sont vaillants, ils sont expérimentés, mais leur armement reste rudimentaire malgré les livraisons d’armes, qui restent insuffisantes à mon sens pour faire la différence.

M. Claude Goasguen. Et tardives !

M. François Fillon. Enfin, monsieur le Premier ministre, nous devons la vérité aux Français. La vérité est que cette intervention expose notre territoire a des risques de représailles. La vérité est que la force de notre démocratie se juge à sa capacité à tenir le choc. Le groupe UMP s’est pleinement associé au projet de loi visant à lutter contre la menace djihadiste, même si nous regrettons que tous nos amendements pour renforcer ce texte n’aient pas été retenus, et si le cafouillage qui vient de se produire avec la famille Merah nous conduira à demander la constitution d’une commission d’enquête.

La vérité, c’est que parmi les recrues étrangères de l’État islamique figurent un certain nombre de nos concitoyens. Le virus est en France. Il faut voir les messages insensés qui pullulent sur les réseaux : anti-France, antijuifs, antimusulmans. Un souffle malsain mine notre concorde nationale.

Il faut entendre les appels à la barbarie de ces Français musulmans, ou convertis à l’Islam, pour mesurer l’ampleur du défi qui est devant nous. Pourquoi l’appel djihadiste rencontre-t-il un tel écho chez eux ? Échec de notre modèle d’intégration ? Faiblesse de nos valeurs ? Impuissance des instances musulmanes officielles, pourtant les mieux placées pour montrer en quoi la dérive djihadiste n’a rien à voir avec la pratique de la religion ?

Ces questions ne doivent pas être taboues, et la réponse ne doit pas se réduire à la surveillance étroite de ces jeunes qui préfèrent mourir pour un califat intégriste plutôt que de vivre dans le pays des droits de l’Homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La vérité, enfin, c’est que cette guerre peut être longue et difficile. La question de la durée et du coût de cette opération est posée. À l’occasion de la loi de programmation militaire,…

M. Eduardo Rihan Cypel. Qui corrigeait la vôtre !

M. François Fillon. …j’avais tiré le signal d’alarme : malgré le dévouement et le professionnalisme de nos soldats – à qui nous rendons hommage – nos armées peinent à remplir des missions déjà très lourdes. Le budget de nos armées baisse, mais le nombre et le rythme de leurs interventions augmentent.

M. Claude Goasguen. Eh oui !

M. François Fillon. Prenez garde à ce décalage, monsieur le Premier ministre, car il n’y a pas de faute plus grave, pour un gouvernement, que celle qui consiste à ne pas se donner les moyens de sa politique extérieure.

M. Eduardo Rihan Cypel. Préjugés !

M. François Fillon. Faire la guerre est parfois nécessaire, mais penser à ceux qui la font au péril de leur vie l’est encore plus !

Mes chers collègues, face au terrorisme, l’intérêt national est notre seul guide. Unité face à la menace, solidarité avec nos armées, vigilance vis-à-vis des questions que soulève notre intervention : tel est, monsieur le Premier ministre, le choix responsable de l’UMP. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, ce qui se passe au Moyen-Orient est très grave pour la sécurité de la France, de l’Europe et du monde. Depuis le mois de janvier 2014, un véritable drame se joue en Irak : 25 000 civils ont déjà été les victimes de la barbarie du groupe Daech, dont 8 500 ont été assassinées.

Près de 2 millions de personnes ont été déplacées. il y a quelques heures, la ville de Kobane, située dans le territoire kurde syrien, est tombée. Elle était assiégée par Daech depuis des semaines. Ce sont près de 130 000 Kurdes de Syrie qui ont fui vers la Turquie. Selon l’ONU, des centaines de milliers pourraient suivre, et nous ne sommes pas à l’abri d’une contagion de ce conflit à l’Afrique du Nord. Les pires scénarios sont désormais possibles, ils doivent être envisagés.

Nous saluons, monsieur le Premier ministre, le ton empreint de gravité et l’esprit de responsabilité et d’unité qui a marqué votre discours. Comme ce fut le cas pour l’intervention au Mali, ainsi qu’en Centrafrique, les députés du groupe UDI ont apporté leur soutien au Président de la République et au Gouvernement dès les premières frappes françaises en Irak, vendredi dernier.

Nous renouvelons aujourd’hui notre soutien à cette opération, animés par ce même esprit de responsabilité et forts de la conviction qu’en cet instant, l’union nationale doit prévaloir sur toute autre considération.

Au nom du groupe UDI, je veux avant tout de saluer l’action des militaires français qui servent leur pays avec courage et abnégation, qui s’engagent pour les valeurs que nous avons ici tous en partage, parfois au prix de leurs vies. Ils sont et font la fierté de la France.

Cet engagement de la France en Irak doit répondre à deux questions.

Première question : la France devait-elle intervenir ? La réponse est « oui », sans réserve, car la ligne rouge a été franchie et l’immonde a été atteint avec la persécution des minorités. Je pense aux Yézidis, aux Kurdes, aux chrétiens d’Irak et plus récemment aux décapitations insupportables des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff et de l’humanitaire écossais David Haines. Je veux saluer leurs mémoires.

Oui, la France doit intervenir car le danger islamiste qui menace tant au plan national qu’au plan international, est l’affaire de tous. Il en va de notre sécurité. La récente prise d’otage en Algérie de notre compatriote Hervé Gourdel, par un groupe lié à l’État islamique, démontre que nos démocraties sont en danger. Ces terroristes sont prêts à frapper partout dans le monde et la France est directement menacée.

Les événements d’hier, qui ont vu trois présumés djihadistes français revenir de Syrie sur notre territoire sans être inquiétés, nous interrogent sur la capacité de l’État français à protéger sa propre population, et j’imagine, monsieur le Premier ministre, que vous nous répondrez sur ce point.

Notre engagement en Irak était donc indispensable. Cet engagement, c’est la voix singulière de la France qui résonne dans le monde, la voix d’un peuple qui porte les droits de l’homme, d’un pays qui porte le progrès et les libertés en étendard et qui se lève chaque fois que ces valeurs sont mises en danger et qu’elles sont menacées par les extrémismes de toutes sortes.

Il faut donc lutter, avec nos partenaires, contre Daech comme nous le faisons au quotidien contre Al Qaeda car ne nous y trompons pas : si les deux mouvements divergent dans leurs tactiques militaires, leurs buts et leurs sombres desseins demeurent les mêmes. Rappelons que Daech est puissante, c’est une armée de 20 000 à 30 000 djihadistes, dotée d’un trésor de guerre estimé à plus de 2 milliards de dollars.

Cet engagement de la France doit répondre à une seconde question : la France peut-elle intervenir ? Oui elle le peut, mais le Gouvernement doit dire la vérité aux Français sur les réalités stratégiques que cette intervention implique et répondre directement aux nombreuses interrogations qu’elle soulève.

Combattre Daech implique bien plus que mener quelques frappes, car on n’éradiquera pas l’hydre Daech en frappant uniquement sa tête en Irak.

Daech veut construire dans la région un califat génocidaire rassemblant les sunnites de Syrie et d’Irak sur le territoire de ces deux pays. N’oublions pas que c’est en Syrie que Daech puise ses ressources humaines et logistiques et qu’il est soutenu financièrement par plusieurs puissances de la région, de la même façon que les crises malienne et centrafricaine étaient nourries d’interactions avec des pays voisins.

Lundi dernier, il y a seulement quarante-huit heures, monsieur le Premier ministre, cette guerre a changé d’échelle avec la mise en place d’une coalition composée des États-Unis et de cinq pays arabes. Il y a donc bien une régionalisation du conflit. Cette implication des pays arabes est essentielle car elle permet de démontrer que ce n’est pas l’Occident qui cherche à imposer un modèle démocratique, mais qu’il s’agit d’une lutte internationale contre le fondamentalisme.

La communauté internationale, en particulier la France, redoute qu’un nouveau conflit se ravive au Liban, dont la situation politique et institutionnelle est fragile.

Lors de la conférence de Paris, le 15 septembre dernier, le Président de la République a écarté « toute implication » de la France – je le cite – dans des bombardements en Syrie. Qu’en est-il maintenant ? La position de la France est-elle toujours la même ?

Lors de sa conférence de presse de jeudi dernier, il s’est montré déterminé, évoquant autant la sécurité des populations irakiennes que celle des populations françaises. Mais l’offensive de Daech fait courir un vrai risque d’extension du conflit aux pays voisins de l’Irak, ce qui aurait pour conséquence de mettre en danger des populations au Liban et en Jordanie, qui vient d’ailleurs de fermer sa frontière. On sait, mes chers collègues, que l’Arabie saoudite a renforcé ses positions militaires le long de sa frontière avec l’Irak. Si le conflit devait s’étendre, quelle serait l’attitude de la France, eu égard à notre responsabilité particulière vis-à-vis du Liban ?

Monsieur le Premier ministre, je veux poser une autre question majeure : où est l’Europe ? Où est l’Europe alors que sa sécurité est également mise en péril, comme l’a expliqué le Président de la République la semaine dernière ? Comment est-il possible que l’Europe, comme lors des interventions au Mali et en Centrafrique, soit encore dramatiquement absente ?

De même, nous devons nous interroger sur la répartition des tâches entre les États-Unis et l’Europe. Rappelons que cette opération en Irak a été engagée sans nous, et que nous avons longtemps été exclus de sa préparation en amont.

En août dernier, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, demandait fort justement à ses vingt-sept collègues européens de sortir de leur torpeur face au drame irakien. Pourquoi, alors, ne pas les avoir réunis ces derniers jours pour les associer et proposer une initiative commune européenne, juste avant que la France ne commence ses bombardements ?

Si le soutien humanitaire et financier de l’Union européenne est indispensable, il ne sera jamais à la hauteur des enjeux auxquels l’Europe est confrontée. Si l’Europe veut enfin prendre toute sa place sur la scène internationale, une véritable Europe de la défense doit enfin être mise en place. C’est la France, monsieur le Premier ministre, qui doit porter cette ambition en fédérant nos partenaires européens.

M. Jacques Myard. Tu parles !

M. Philippe Vigier. Nous devons être le moteur d’une Europe capable de parler d’une seule voix et d’agir comme un seul homme lorsque les enjeux sont si graves.

Une autre question majeure se pose : une telle intervention de la France serait-elle encore possible sur d’autres théâtres d’opérations ? La France sera-t-elle en mesure de continuer à défendre ses valeurs fondamentales que sont la démocratie, la liberté et la lutte contre le terrorisme ? Le dernier Livre blanc de la défense ainsi que les budgets de 2013 et de 2014 ont mis en lumière l’incohérence entre nos ambitions stratégiques et nos contraintes budgétaires.

M. Jean Launay. Pas du tout !

M. Philippe Vigier. Les opérations menées en Côte d’Ivoire, en Libye, en Afghanistan, au Mali, en Centrafrique et maintenant en Irak sont une preuve supplémentaire, si besoin en était, de la nécessité de maintenir le budget de la défense à un niveau suffisant pour les années 2015 et suivantes,…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Eh oui !

M. Philippe Vigier. …sachant que les dépenses militaires ont augmenté de plus de 50 % dans le monde depuis 2001.

Nous posons également, monsieur le Premier ministre, la question du budget consacré aux opérations extérieures, qui est déjà dépassé pour 2014.

M. Arnaud Richard. C’est vrai !

M. Philippe Vigier. Pouvez-vous à présent nous dire la vérité sur les efforts supplémentaires qui seront demandés aux autres départements ministériels ? Alors que 450 millions d’euros étaient initialement inscrits, ce sont près de 1,2 milliard d’euros qui seront dépensés.

Le groupe UDI le répète donc aujourd’hui avec solennité : la France ne pourrait supporter une nouvelle diminution de son budget militaire. Il en va non seulement de la sécurité de notre pays et de tous les Français, mais aussi de la grandeur et de l’honneur de la France.

Monsieur le Premier ministre, comme vous, nous sommes convaincus qu’une intervention aérienne de la France en Irak était nécessaire. Aux côtés des États-Unis et de la France, une large coalition internationale doit désormais se former pour lutter contre les terroristes de Daech. Chaque pays est concerné, puisque des combattants du monde entier, y compris venant de France, viennent grossir les rangs de Daech.

C’est donc une réponse globale, à la fois militaire et politique, qui doit être apportée pour que soit enfin trouvée une solution durable là où est né ce mouvement terroriste, en Syrie. Il est de la responsabilité de la France de mobiliser la communauté internationale autour d’initiatives diplomatiques, en particulier dans le cadre du Conseil de sécurité où nous devons obtenir le vote d’une nouvelle résolution. Il convient également de saisir le Tribunal pénal international, car nous ne pouvons laisser ces crimes contre l’humanité impunis.

Vous l’avez compris, monsieur le Premier ministre, il s’agit pour le groupe UDI d’une exigence afin que l’intervention que nous soutenons aujourd’hui puisse être utile demain à la paix et la stabilité de cette région du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, nous menons en Irak une action responsable et courageuse qui mérite d’être largement soutenue par notre Assemblée, particulièrement au moment où un chantage odieux s’exerce sur notre pays depuis l’enlèvement de notre compatriote Hervé Gourdel. Ni la nécessité de notre intervention, ni sa légitimité politique, ni sa légalité au regard du droit international ne peuvent être sérieusement mises en doute.

Daech ne recule devant aucun crime, aucune atrocité, pour soumettre les populations à la barbarie, pour persécuter et chasser les minorités confessionnelles et ethniques, notamment chrétiennes, yézidies ou encore turkmènes, et pour étendre son emprise territoriale. Cette organisation terroriste est parvenue à accumuler des capacités militaires et des ressources financières sans précédent, en grande partie prélevées sur l’État irakien en déroute. Daech a réussi à prendre le contrôle de vastes territoires en Irak et en Syrie, à l’issue d’avancées foudroyantes.

Daech fait peser un péril mortel sur les Irakiens, mais aussi sur les pays voisins, tout en menaçant nos compatriotes à l’étranger. L’enlèvement d’Hervé Gourdel en est, hélas, un témoignage poignant. Jamais la menace terroriste n’a été aussi élevée pour notre pays.

Devant la gravité extrême de cette menace, le Président de la République et le Gouvernement ont décidé immédiatement que notre pays devait prendre ses responsabilités, en apportant d’abord, à l’initiative du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, un secours humanitaire aux populations civiles, puis en fournissant des armes aux forces irakiennes et aux peshmerga kurdes sur le point d’être submergés. Par la suite, à la demande de l’État irakien, en coordination avec nos alliés et pour appuyer les combattants sur le terrain, la France a procédé à ses premières frappes aériennes en Irak le 19 septembre dernier.

Aucune comparaison ne peut être établie avec l’intervention américaine de 2003. Cette dernière avait été justifiée par un mensonge, menée contre les autorités irakiennes de l’époque et sans l’accord du Conseil de sécurité des Nations unies. Aujourd’hui, la menace est avérée. La légalité de notre intervention se fonde sur l’article 51 de la Charte des Nations unies et ce sont les autorités irakiennes qui nous ont appelés à l’aide.

Notre intervention est très clairement délimitée. Comme le Président de la République l’a annoncé, notre action militaire ne concerne que l’Irak et ne comporte pas l’envoi de troupes au sol. Elle a pour but d’aider l’Irak à affaiblir Daech ; elle passe par un appui aérien aux combats menés par l’armée irakienne pour contenir Daech puis, espérons-le, pour reconquérir les territoires perdus. Je salue à cet égard l’action du ministre de la défense, ainsi que la compétence et le courage de nos militaires.

En Syrie, où la situation est politiquement et juridiquement très différente, même si Daech est présent des deux côtés de la frontière, nous refusons toute coopération avec Bachar al Assad. Nous soutenons très concrètement l’opposition syrienne modérée qui se bat sur deux fronts, contre Daech et contre les forces de Bachar al Assad.

En Syrie comme en Irak, nous concevons surtout l’intervention militaire comme un soutien à une solution politique, car nous savons qu’une solution durable ne peut être que politique. Nous avons ainsi veillé à soutenir la formation, en Irak, d’un gouvernement qui inclue les principales composantes de la société irakienne, notamment les chiites, les sunnites et les kurdes. Le nouveau premier ministre, issu de la communauté chiite, s’est engagé à mettre un terme à la politique d’exclusion des sunnites que menait son prédécesseur et qui a provoqué le ralliement de tribus sunnites à Daech. La solution politique viendra d’abord des Irakiens, mais aussi des États de la région.

Les principaux États sunnites voisins de l’Irak ont annoncé leur participation à la coalition internationale. Certains d’entre eux ont contribué ces jours derniers aux opérations militaires. Leur concours est en effet indispensable dans la lutte globale et de longue haleine qui s’est engagée contre Daech pour tarir ses sources de financement, pour entraver l’action des filières de combattants étrangers qui viennent grossir ses rangs, pour mener le combat sur le terrain idéologique en dissociant l’islam et ses valeurs des actes barbares commis par Daech, et pour apporter une réponse humanitaire à l’afflux des réfugiés.

Pour notre part, nous devons à chaque instant refuser tout amalgame entre l’islam et le terrorisme, saluer les prises de position des responsables des musulmans de France, et mener chez nous des actions répressives, mais aussi préventives, à l’égard de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui se radicalisent. Je salue à cet égard l’action du ministre de l’intérieur et de ses services, qui ont déjà empêché des dizaines de départs et livré à la justice de nombreux candidats djihadistes à leur retour de Syrie.

Je termine en remerciant le Gouvernement des précisions qu’il pourra nous apporter quant à la nature de la contribution des pays voisins de l’Irak. L’Iran a aussi un rôle à jouer dans la lutte contre Daech. Il serait évidemment souhaitable que nous puissions coopérer avec l’Iran en Irak, mais aussi en Syrie. Le Président Hollande vient de rencontrer M. Rohani à New-York. Une porte est-elle en train de s’ouvrir ? Là aussi, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, pour les indications complémentaires que le Gouvernement pourra nous apporter sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, à ce stade de notre débat, j’essaierai d’éviter de répéter des propos déjà tenus par l’un ou l’autre des orateurs. Je m’en tiendrai à exprimer, bien sûr, mon soutien à cette intervention.

Si je crois profondément que l’action militaire a des limites, je constate aussi que, dans cette zone, face à cet ennemi-là, l’inaction serait la pire des choses – le précédent syrien nous a malheureusement montré qu’elle renforçait les extrémistes.

C’est un processus courant, lorsque l’on se prépare à l’affrontement, de tenter de décrédibiliser son ennemi pour justifier son engagement, voire pour se rassurer. Je ne me livrerai pas à ce type d’exercice, tant la simple réalité du programme totalitaire et des moyens utilisés par Daech sont parlants. En revanche, je veux souligner ici trois éléments dont l’importance est fondamentale pour l’analyse de la situation.

Le premier de ces éléments est l’échelle à laquelle agit ce mouvement. En raison de la situation préexistante en Irak, l’ampleur des moyens et des buts de guerre affichés doit nous alerter. L’adversaire veut sortir d’une logique d’affrontement asymétrique, à laquelle nous étions habitués, pour s’élever en alternative aux régimes politiques existants dans la région, voire au-delà. D’une certaine façon, la situation est bien plus grave qu’avec Ben Laden, dont les buts de guerre étaient limités géographiquement.

Le deuxième élément est la contagion du fléau. Au-delà de l’instauration d’un régime totalitaire en Irak, on sait que l’objectif suivant est celui d’un affrontement direct avec le monde chiite, donc avec l’Iran, sachant que l’idée est aussi d’obtenir une jonction avec les divers groupes djihadistes armés en Syrie, au Liban, et pourquoi pas – car tel est ce qui est en train de se profiler – en Égypte, en Libye, au Sahel, voire jusqu’au golfe de Guinée.

Il existe aujourd’hui une porosité entre les différents mouvements existants et, malheureusement, l’otage français en Algérie en est la démonstration.

Le troisième élément est le risque que la situation fait peser sur notre pays et la capacité de résilience de notre population. Je ne développerai pas ce point, mais il est fondamental. Depuis le 11 septembre 2001, la conflictualité croît sans cesse dans notre environnement, y compris dans notre environnement proche. Je n’évoquerai pas ici les errements de la Russie qui sont d’un autre ordre, mais je signale toutefois que l’ensemble des théories sur la paix éternelle en Europe et sur le rôle pacificateur de l’économie de marché ont été balayés par les faits. Il en résulte un problème pour l’Europe et, bien sûr, pour la France.

Ce problème est l’inadéquation des moyens et des menaces au sein de l’Union européenne. Si deux Livres blancs successifs ont permis d’établir la continuité entre sécurité et défense, et si des efforts sont faits dans le domaine du renseignement, les chiffres sont néanmoins inquiétants. Depuis 1990, la part de PIB des dépenses de défense de notre pays en normes OTAN est passée de 3,3 % à 1,9 %, soit une baisse de 1,4 point de PIB.

M. Gérard Charasse et M. Serge Grouard. Exact

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. En dix ans, le budget de la défense a diminué de 20 %. Quant aux pays européens, ils sont allés encore plus loin : ils ne consacrent que 1 % de leur PIB aux dépenses de défense contre, je le répète, près de 2 % pour la France.

Monsieur le Premier ministre, vous avez avec le ministre de la défense le meilleur élève toutes catégories de la maîtrise des dépenses publiques. Nous le vérifions régulièrement à la commission de la défense. Nous sommes arrivés au bout de l’exercice et nous sommes, hélas, rattrapés par de sombres réalités.

M. Serge Grouard. C’est bien de le dire.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. La loi de programmation militaire et l’investissement personnel du ministre de la défense nous permettent de passer un cap difficile, mais ayons conscience que l’augmentation de nos capacités militaires est désormais indispensable en attendant, comme cela a été dit par le ministre lui-même, de pouvoir retrouver meilleure fortune ainsi que les 2 % du PIB.

M. Alain Marleix. Très bien.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Le Livre blanc avait identifié les menaces auxquelles nous sommes confrontés. Ceux qui ont travaillé sur ces questions ne sont pas surpris par ce qui arrive. La loi de programmation militaire a décliné les préconisations du Livre blanc, ce qui nous permet aujourd’hui d’intervenir dans de bonnes conditions. Monsieur Fillon, votre gouvernement avait créé la délégation parlementaire au renseignement à l’occasion du précédent Livre blanc.

M. Jean Glavany. Bonne initiative.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous avons renforcé son pouvoir de contrôle et je vous informe que la délégation parlementaire au renseignement se réunira dès demain pour auditionner les différents services, examiner les erreurs éventuellement commises à Marseille, ainsi que vous l’avez évoqué. Tenue au secret-défense, la délégation parlementaire au renseignement est désormais une institution de notre Parlement et dispose de toutes facultés pour examiner la situation et faire des propositions si cela s’avérait nécessaire. À cet égard, je précise que la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme votée la semaine dernière émane de cette délégation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le Président de la République,… (Rires sur tous les bancs)

M. Jacques Myard. Beau lapsus !

M. le président. Vous voulez vraiment me créer des problèmes, monsieur le Premier ministre ! (Sourires.)

M. Jacques Myard. La République est ici, c’est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …monsieur le président de l’Assemblée nationale, j’en appelle à votre patience légendaire, mais il est normal que je demande la parole pour répondre à un certain nombre d’interrogations ou de commentaires. J’ai constaté pour m’en féliciter, mais il ne pouvait pas en être autrement, la gravité qui a été de mise sur tous les bancs s’agissant de la réalité de la menace extérieure et intérieure. J’ai remarqué aussi un soutien très large, même si cela n’a pas empêché des questions, toujours légitimes dans cette enceinte, concernant l’action diplomatique et militaire de la France. Même pour faire part de désaccords, j’ai été sensible, monsieur Asensi, au fait que vous ayez adopté un ton de gravité et de responsabilité. Nous ne partageons certes pas votre analyse, mais elle a vocation à s’exprimer naturellement ici.

J’ai noté l’attachement de l’Assemblée à notre autonomie de décision, et j’ai aussi entendu des interrogations légitimes sur le rôle de certains pays, dont certains ont été cités,  et sur la place de l’Europe, pas seulement dans la coalition, mais également eu égard à sa capacité d’action. Ces interrogations, je les ai retrouvées aussi bien dans les interventions des orateurs des groupes que dans celles des deux présidentes de commission.

Patricia Adam a fort justement fait référence au Livre blanc dont le but n’était pas seulement de définir les engagements financiers et de préparer la loi de programmation militaire, mais également de faire le constat des menaces.

Pour avoir participé à cette réflexion en tant que ministre de l’intérieur, je la rejoins lorsqu’elle fait valoir à quel point la menace a évolué s’agissant du type de terrorisme et des individus concernés, de caractère hybride, sachant, ainsi que vous l’avez fait observer, monsieur Fillon, que la nature de la menace terroriste a changé. C’est sur cette base que le ministre de la défense a conduit les changements et les réformes nécessaires pour nous permettre – ce qui a changé par rapport à un certain nombre d’années – de mener des opérations extérieures et que nous avons engagé ensemble les moyens qu’il fallait donner à la DGSE comme à la DGSI. Au demeurant, la réforme de la Direction centrale du renseignement intérieur en Direction générale par les moyens techniques et financiers comme par les recrutements sur cinq ans obéissent précisément aux termes de cette menace.

En tant que ministre de l’intérieur, j’avais, dès l’été 2012, été frappé par le danger potentiel de ces individus qui voulaient aller combattre en Syrie. J’en ai fait part aujourd’hui à l’ensemble des représentants des groupes et aux présidents des assemblées et des commissions lors de notre réunion à Matignon. Lors du débat sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, j’avais d’ailleurs moi-même évoqué – ce qui m’a été reproché dans certaines gazettes – cet ennemi extérieur et intérieur, les leçons ayant été tirées trop tardivement, par exemple par nos amis américains, après les attentats du 11 septembre 2001.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Exact.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le terrorisme s’est modifié. Nous devons manier ce concept avec intelligence en raison des répercussions dans nos propres sociétés, en France et en Europe. Mais le changement fondamental de la nature de la menace doit nous obliger à tout faire pour y faire face.

Je remercie François de Rugy pour le soutien de son groupe, certes avec ses interrogations, et j’appuie ses propos sur l’islam de France. S’agissant de l’accueil des réfugiés, je veux lui dire que nous continuons à en accueillir, ainsi que cela a été souvent rappelé ici même par Laurent Fabius et par moi-même il y a un instant.

Pour ce qui est de la coalition, que d’autres ont évoqué, il faut l’élargir. Les Européens doivent se mobiliser davantage. La Grande-Bretagne s’exprime dans ce sens. J’ai évoqué hier ces questions avec la chancelière d’Allemagne. Pour ma part, j’ai l’impression – même s’il revient à ce pays de s’exprimer souverainement – que l’évolution que l’on notait depuis quelques années s’est confirmée. Non seulement l’Allemagne veut apporter un soutien financier, mais également participer à un certain nombre d’actions.

Quant à la présence des pays arabes – Émirats Arabes unis, Qatar, Jordanie, Arabie Saoudite –, elle est évidemment essentielle. Les discussions qui ont eu lieu entre le Président de la République, les différents ministres, moi-même avec le roi de Jordanie – l’un d’entre vous y a fait allusion –, et avec les autorités saoudiennes – présentes également en France – ont permis, me semble-t-il, de créer les conditions de cette coalition.

Je remercie aussi M. Charasse de son soutien. Il a raison s’agissant de la responsabilité – je l’ai évoquée – des États-Unis d’Amérique dans la situation de l’Irak. Aujourd’hui, car il ne s’agit pas de la même administration et parce que dix ans se sont écoulés, il faut dépasser les polémiques et agir ensemble, à condition que chacun tire les leçons de ce passé. À cet égard – François Fillon a également évoqué ce sujet –, c’est nous qui, en Afrique, avons pris le leadership au Sahel, et les Américains nous ont aidés en matière de renseignement et de soutien par les drones pour assurer la surveillance nécessaire. De même, si les Américains détiennent un leadership en Irak pour les raisons qui ont été évoquées par M. Vigier, nous les aidons avec nos propres objectifs – dont je dirai un mot – en toute autonomie.

On ne peut pas faire remarquer que le monde change, que le leadership n’est plus celui que l’on connaissait, que nous prenons nos propres responsabilités en Afrique, et nous mettre en cause – cela n’a pas été le cas dans cette enceinte aujourd’hui, mai on a pu l’entendre à l’extérieur – en expliquant – M. Asensi l’a fait à sa manière – que nous courrions derrière les Américains. Ces derniers sont des alliés. L’Amérique est un grand pays. Nous avons des objectifs communs et nous partageons des valeurs. Mais c’est la force de la France – il n’y a aucun changement à cet égard, monsieur le député – que de garder – c’est sa tradition – son indépendance, sa force, son autonomie. Si nous sommes intervenus en Afrique, c’est parce que cela relevait de notre responsabilité. À chaque fois, nous avons agi dans le cadre international.

Évitons les caricatures que l’on entend souvent selon lesquelles tel ou tel gouvernement suivrait les États-Unis. Je me souviens d’un moment d’unité quasi nationale lorsque Dominique de Villepin s’exprimait – je l’évoquais tout à l’heure – au nom de la France au Conseil de sécurité des Nations unies, Jacques Chirac ayant pris la position que nous connaissons. Les quelques rares députés qui soutenaient à l’époque l’intervention des États-Unis, nous reprochent aujourd’hui d’intervenir, alors que le cadre et l’histoire sont tout autres et que nous le faisons à la demande des autorités irakiennes. Les contradictions de quelques-uns restent leurs contradictions. Pour ma part, je me réjouis, comme il y a dix ans, de l’unité qui prévaut.

Lorsque François Mitterrand a décidé l’intervention de la France après celle du régime de Saddam Hussein au Koweït, l’unité était également très grande. Les situations – par trois fois en Irak –, n’obéissent pas aux mêmes règles et au même contexte. Essayer de tirer une ligne droite entre ces trois moments revient à faire fausse route et à se tromper sur les engagements et les intentions de la France.

S’agissant de la conduite des opérations, nous gardons notre autonomie. Il n’y a pas de commandement intégré, nous choisissons nous-mêmes les actions que nous menons : choix des cibles et du moment. Le ministre de la défense, le général de Villiers, chef d’état-major de nos armées, sont prêts à donner les explications nécessaires aux commissions, ce qu’ils ont déjà commencé de faire aujourd’hui.

Pour ce qui est de l’information du Parlement via la délégation parlementaire pour le renseignement – M. Charasse a évoqué la question –, je précise que cette délégation créée en 2008 au cours de la précédente législature a fait la preuve de sa pertinence et de son utilité pour traiter des questions de renseignement – c’est évidemment dans l’intérêt du Parlement. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a choisi de soutenir l’élargissement de ses compétences en 2013. La délégation a désormais le pouvoir de convoquer les directeurs des services et est en capacité de travailler sur le plan national d’orientation du renseignement. Je suis donc tout à fait favorable à ce qu’elle soit régulièrement informée de notre stratégie en Irak et en Syrie avec le degré du détail qu’autorise son statut. S’il serait regrettable de se focaliser sur cette seule difficulté en laissant de côté une vision d’ensemble, j’approuve évidemment la décision de son président de convoquer le directeur général des services intérieurs et le directeur central de la police des airs et des frontières pour tirer les enseignements de l’affaire de Marseille.

Nous vivons dans une démocratie. Il est normal que l’on puisse s’interroger sur ce qui n’a pas fonctionné avec les autorités turques – l’origine du problème est là – et c’est ce qui explique pourquoi les choses se sont passées ainsi.

Il n’y a absolument rien à cacher. Ce sont là des interrogations légitimes des parlementaires et de nos concitoyens. Là aussi, transparence, vérité et responsabilité doivent s’imposer.

Monsieur Asensi, je partage votre constat quant au désastre de la politique menée par l’ancien Premier ministre irakien, M. Maliki, qui est sans aucun doute l’une des raisons de ce qui se passe depuis quelque temps en Irak. Il faut maintenant parier sur les nouvelles autorités irakiennes, le président Massoum et le Premier ministre al Abadi – c’est précisément la raison du déplacement en Irak du Président de la république. Vous avez raison de souligner que nous n’avons aucune responsabilité dans le chaos irakien. Pouvons-nous pour autant demeurer passifs ? Un grand nombre d’entre avez répondu par la négative. Il est de notre devoir d’assumer en Irak nos responsabilités.

Pour ce qui est du Qatar, évoqué par M. François Fillon et – ce n’est pas dévoiler un secret que de le dire – par les présidents de groupes et de commissions aujourd’hui à midi, je retiens deux faits.

Tout d’abord, le Qatar a participé, le 19 septembre, à la conférence de Paris sur l’Irak et en a approuvé les conclusions, qui demandent à tous les États de lutter contre le financement du terrorisme. Le Qatar devra bien appliquer ce qu’il a approuvé.

Cet État a également décidé de s’engager sur le terrain en participant ces derniers jours aux frappes. La communauté internationale est engagée dans la lutte contre les financements de Daech et je suis favorable, monsieur Fillon, à la plus grande transparence pour ce qui concerne toutes les formes de financement de l’islamisme radical et des réseaux terroristes. Nous pouvons nous retrouver tous sans ambiguïté ni aucune arrière-pensée lorsqu’il s’agit de dénoncer ce qui pourrait, aujourd’hui ou demain, alimenter le terrorisme. Ces pays, je le répète, ont décidé de participer à cette coalition.

Monsieur Le Roux, je salue la justesse de votre analyse du contexte politique du Moyen-Orient. J’approuve pleinement votre formule, qui fait écho à ce qui a pu être dit dans le passé : nous ne sommes pas dans un choc de civilisation, et surtout pas dans un choc entre l’Orient et l’Occident, entre les chrétiens et les musulmans. Les premières victimes de ce terrorisme sont ceux qui vivent là-bas, à commencer par les musulmans, les chrétiens et d’autres minorités. Il est très important de le dire, car on voit très bien les tensions que cette situation peut créer dans notre société et combien certains peuvent s’emparer de ces sujets pour jeter les uns contre les autres.

Vous avez eu raison d’insister, monsieur Fillon, sur la nécessité des aides sous forme de livraisons d’armes et de formation. S’il faut faire plus, nous le ferons. Les peshmerga et les forces de sécurité irakiennes doivent en bénéficier. Il faut, je le répète, souhaiter que d’autres pays européens se mobilisent à nos côtés pour accorder ces soutiens et je vous remercie de votre appel à la mobilisation européenne – tout en rappelant avec immodestie que j’ai évoqué ces questions dans mon discours de la semaine passée. L’Europe est en effet à la croisée des chemins, tant sur le plan économique que pour ce qui concerne sa responsabilité, si elle ne veut pas – pardonnez-moi cette formule lapidaire –« sortir de l’histoire ». Dans un monde qui change, face à ces pays émergents et ces évolutions démographiques et économiques, l’Europe doit peser partout dans le monde, y compris sur les questions diplomatiques et de défense. C’est l’honneur de la France que de peser et de s’engager, mais il faut que l’Europe agisse dans ce domaine, y compris sur le plan budgétaire, en tenant compte de l’engagement financier des uns et des autres.

Vous avez raison, monsieur Le Roux, d’évoquer la continuité des théâtres – Mali, Libye, Syrie et Irak – où nous sommes confrontés à une menace que nous retrouvons et qui nous oblige à avoir toujours à l’esprit, comme le Président de la République, qui a encore évoqué cette question lors de l’assemblée générale des Nations unies, non seulement l’intervention militaire, mais aussi ce qui suit. Cela vaut pour le Mali, où la situation reste fragile, comme pour l’Irak et pour la Libye, dont nous savons la situation et où nous connaissons les risques en termes de terrorisme, tant pour nos intérêts que pour ce que nous avons réussi à reconstruire au Mali ou pour des pays amis, comme la Tunisie.

Oui, monsieur Fillon, tout doit être entrepris pour sauver notre compatriote, M. Gourdel. J’ai également une pensée évidemment pour Serge Lazarevic, qu’il ne faut pas oublier. Nous coopérons très étroitement avec l’Algérie. Le Président de la République s’est entretenu avec le Premier ministre algérien, M. Sellal, et nous faisons confiance aux services algériens, dans une situation très difficile et qui suscite de grandes inquiétudes pour notre compatriote et pour sa famille, mais aussi pour l’Algérie, car nous savons ce que cette situation peut représenter pour elle. S’il est en effet un pays qui a vécu la guerre civile et ces années noires du terrorisme, c’est bien l’Algérie, qui l’a combattu en se sentant peut-être parfois un peu seule. Nous faisons donc confiance aux Algériens pour tout faire pour que nous puissions récupérer notre compatriote.

Aujourd’hui, il n’y a ni droite, ni gauche : il y a la République, il y a la France, mais il y a quand même des questions.

Vous avez justement souligné qu’il fallait élargir la coalition – je ne reviens pas sur les propos que je viens de tenir à cet égard. Pour ce qui est du recours au Conseil de sécurité des Nations unies, je rappelle que se tient aujourd’hui même une réunion de ce conseil spécialement consacrée aux filières de combattants étrangers.

La Russie et la Chine ont participé, le 19 septembre, à la conférence de Paris sur l’Irak. Il faut avancer. Il faut éviter, comme le démontre l’expérience du passé, tout ce qui serait susceptible de bloquer un processus. Tout doit être fait pour dialoguer avec les grands pays membres du Conseil de sécurité, comme la Russie, qui a ses propres intérêts stratégiques dans la région, et l’Iran, avec qui un dialogue existe – le Président de la République a rencontré hier le président iranien. Là encore, il y a des questions légitimes. Sans reprendre ici l’idée d’une grande conférence internationale, je répète qu’il faut avancer pour que le dialogue soit présent, car il y a un ennemi, un adversaire qui représente un vrai danger pour ce que nous sommes et pour nos valeurs universelles : Daech, cette organisation terroriste. Le but de notre action, de nos avions, est de l’affaiblir et de la réduire, et cela sans fixer de durée.

Je vous ai exposé la décision française à propos de la Syrie : nous aidons l’opposition modérée et agissons dans le cadre de notre autonomie stratégique et tactique. Nous pourrions avoir un long débat sur la Syrie, en remontant aux printemps arabes. Il faut aussi considérer – vous qui avez été Premier ministre, monsieur Fillon, vous vous souvenez bien de ces sujets difficiles et délicats – ce qui s’est passé en Libye, notamment le fait que la Russie a pu avoir, à tort ou à raison, le sentiment qu’on ne respectait pas les résolutions du Conseil de sécurité auxquelles elle avait donné son accord : cela a joué aussi sur son attitude à propos de la Syrie. Vous connaissez bien, je le répète, ces questions complexes.

Nous avons pensé, avec le Président de la République, qu’après la découverte de l’utilisation d’armes chimiques, la France devait proposer une solution. Elle n’a pas été retenue, et cela a sans doute pesé sur le cours des choses, même si la situation en Syrie nous oblige à éviter les idées simplistes et caricaturales.

Quant au risque de représailles, ce n’est pas, je le répète, notre intervention qui nous y expose en soi : nous sommes menacés quelles que soient nos actions sur le terrain en Irak. Ils nous visent pour ce que nous sommes, non pas seulement pour ce que nous faisons.

M. Jacques Myard. Tout à fait.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le risque ne remonte pas à six mois, ni même à un ou deux ans : il est présent depuis des années, même si ce terrorisme a évolué. On aurait même pu penser que notre soutien à des modérés et notre condamnation du régime de Bachar al Assad auraient pu nous mériter quelque indulgence, mais nous ne l’avons jamais pensé. Nous avons toujours su que nous étions évidemment une cible.

Je confirme par ailleurs la décision de maintenir les moyens de la défense. Je ne reviendrai pas sur les chiffres que vient de donner la présidente de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, mais le ministre de la défense se tient évidemment à votre disposition pour y répondre précisément. Les opérations extérieures – les OPEX –, que j’évoquerai dans un instant en répondant à M. Vigier, permettent d’agir.

M. Philippe Folliot. Ces crédits sont exceptionnels !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne doit pas y avoir à ce propos le moindre doute : la France est en capacité d’intervenir au Mali et d’être présente en Centrafrique, de remplir ses obligations au Liban et d’intervenir dans le contexte que vous connaissez en Irak. La question de savoir comment faire encore davantage d’économies budgétaires tout en augmentant le budget de la défense peut donner lieu à un débat noble et démocratique, mais il ne peut y avoir de doute quant à notre capacité à intervenir à l’extérieur et à être au rendez-vous.

Pour ce qui concerne la radicalisation, je rappelle que, pour la première fois, ce gouvernement a choisi de développer une politique de prévention et de réinsertion à l’égard des jeunes tentés par la violence radicale. Il s’agit là d’un sujet majeur. Entre le texte présenté par M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et la loi antiterroriste, j’ai moi-même évolué sur cette problématique en confrontant nos points de vue et nos opinions avec ceux d’autres gouvernements et avec les travaux menés au niveau de la Commission européenne. Il n’est pas dans notre tradition d’agir dans le domaine de la « contre radicalisation », qui est plutôt une pratique anglo-saxonne, mais il nous faut échanger pour déterminer les meilleurs moyens d’agir en la matière.

Cette politique ne se substitue évidemment pas à l’action judiciaire et pénale qui doit sanctionner les comportements illicites et contraires à nos valeurs, même lorsque ces actes sont commis à titre individuel – nous faisons bien évidemment évoluer notre droit dans ce domaine. Elle est cependant nécessaire face au rajeunissement et à l’évolution des profils qui se fourvoient dans une idéologie nihiliste et négatrice des valeurs fondamentales.

J’ai moi-même déclaré ici la semaine dernière, qu’il y avait eu – même s’il faut se garder des mélanges et des raccourcis – une trentaine d’années d’échec de nos politiques d’intégration. Il faut bien sûr nous garder de tout mélanger et de confondre un échec avec l’attitude d’une minorité, de quelques centaines d’individus qui, pour beaucoup, ont déjà connu la délinquance – dans le Nord de l’Europe, ces individus ont même connu le crime organisé. C’est pour nous en tout cas une alerte majeure : jamais nous n’avons vu dans notre société, en notre sein, au moins dans le passé récent, des résidents, des Français, se retourner contre leur propre pays. Cela nous oblige à une réflexion et je souhaite que nous puissions y travailler tous ensemble – c’est ce que vous avez fait notamment à partir du texte présenté par Monsieur Cazeneuve.

Monsieur Vigier, madame Guigou, vous m’avez interrogé sur notre capacité opérationnelle – nous en avons la volonté politique et les moyens – et sur le fait qu’il faut impliquer davantage l’Europe. Nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle.

S’agissant, monsieur Vigier, du coût des OPEX, il sera, en tout cas à ce stade, limité par rapport à celui de l’opération du Mali, car nous agissons à partir de bases prépositionnées aux Émirats Arabes Unis.

Je n’ai pas, en cet instant, d’indication à vous donner concernant les coûts, et vous comprenez bien pourquoi, mais nous veillerons, comme pour l’ensemble des autres opérations extérieures, à ce que les surcoûts soient compensés.

Madame Guigou, je vous remercie de vos propos sur les musulmans de France et sur le refus de tout amalgame. Quant aux contributions des pays voisins de l’Irak, nous avons besoin de leur soutien politique, et tel est le cas pour nombre d’entre eux : le Qatar, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, le Koweït. Nous avons besoin de leur soutien militaire, sachant que ces pays participent aux opérations. Nous avons aussi besoin de leur soutien financier pour l’aide humanitaire, pour l’aide aux réfugiés et pour le financement de la modernisation des armées, car ces questions-là se posent – je pense notamment au Liban, où nous sommes actifs, ainsi qu’à la Tunisie, où je me suis rendu voilà quinze jours.

Voilà une première réponse, mesdames, messieurs les députés.

On me passe un mot, mais il est difficile pour moi de m’exprimer sur l’information en question – elle nous avait malheureusement déjà été donnée ce midi – tant que je n’ai pas reçu de confirmation. Je fais attention à toute déclaration à l’Assemblée.

Pour terminer, je tiens une fois encore à saluer la responsabilité dont ont fait preuve l’ensemble des groupes et la gravité des propos qui ont été tenus face à la menace et au danger. Des compatriotes ont été enlevés, le pire est à attendre. Et c’est dans ces moments-là, au-delà de nos différences, que la France est grande.

M. Marc Goua. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est dans ces moments-là que chacun d’entre nous, à commencer par le chef du Gouvernement que je suis, sait que nous devons être à la hauteur des événements, dire la vérité aux Français, et nous rassembler. Car c’est bien la République, la France, nos valeurs, c’est-à-dire quelque chose qui nous dépasse, qui est en jeu ; je voulais remercier l’ensemble de la représentation nationale à ce sujet. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SRC et RRDP, dont les députés se lèvent, ainsi que sur les bancs des groupes UMP, UDI et écologiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je sais l’attention que vous portez, les uns et les autres, à la situation de notre compatriote détenu en otage en Algérie, mais tant que rien n’est confirmé, l’espoir doit demeurer. Je vous propose que nous en restions là sur ce sujet.

Le débat est clos.

3

Clôture de la session extraordinaire

M. le président. L’Assemblée a achevé le débat qui était inscrit à son ordre du jour.

Je prendrai acte de la clôture de la session extraordinaire par avis publié au Journal officiel.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 1er octobre, à neuf heures trente :

Ouverture de la session ordinaire ;

Nomination du bureau.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures vingt.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly