Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 19 juin 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Politique de développement et solidarité internationale

Présentation

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la commission mixte paritaire

Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

Discussion générale

M. Jean-Marie Tetart

M. François Rochebloine

Mme Barbara Pompili

M. Paul Giacobbi

M. François Asensi

M. Jean-René Marsac

M. Jean-Luc Bleunven

M. Guy-Michel Chauveau

Mme Annick Girardin, secrétaire d’État

Vote sur l’ensemble

2. Activités privées de protection des navires

M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Discussion générale

M. Paul Giacobbi

M. François Asensi

M. Christophe Bouillon

M. Martial Saddier

M. François Rochebloine

Texte de la commission mixte paritaire

Amendements nos 1 , 2

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

3. Réforme ferroviaire

Discussion des articles (suite)

Article 2 (suite)

Amendement no 134

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Amendements nos 261 , 53 , 52 , 72 , 74 , 75 , 262 , 316 , 150

Rappel au règlement

M. Christian Jacob

Article 2 (suite)

Amendements nos 161 , 214 , 263 , 162, deuxième rectification

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Politique de développement et solidarité internationale

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (n2005 rectifié).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme de nos débats sur le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

En première lecture, nous avions eu des discussions nourries, tant en commission des affaires étrangères qu’en séance publique, et nous avions considérablement modifié le texte initial du Gouvernement. Je ne mentionnerai ici que l’unanimité qui s’était dégagée sur le fait qu’il n’était pas acceptable que ce projet de loi d’orientation et de programmation ne prévoie aucune disposition relative à la programmation des moyens.

Notre assemblée avait tenu à faire apparaître la référence aux engagements internationaux de notre pays en faveur de l’objectif de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement. Elle avait précisé la responsabilité sociale des entreprises. Elle avait évoqué les enjeux de l’économie sociale et solidaire, le micro-crédit et les autres formes d’intervention. Elle avait aussi renforcé l’information du Parlement en matière de politique de développement en prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement un rapport « sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement et sur l’équilibre entre les prêts et les dons » – questions auxquelles nous sommes tout particulièrement attachés –, et en veillant à la transparence de l’action de cette agence.

Nos collègues sénateurs ont fait de même de leur côté ; j’y reviendrai dans un instant de façon détaillée. Ainsi, le texte se trouve considérablement enrichi grâce au travail parlementaire.

Je me réjouis que la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 4 juin au Sénat sous la présidence de Jean-Louis Carrère, ait réussi, sans grande difficulté, à trouver un accord sur les points qui restaient à harmoniser.

Lors de la CMP, nous n’avons pas souhaité revenir sur l’ensemble des modifications formelles, de structure, de rédaction ou de terminologie que le Sénat a cru devoir introduire pour donner plus de cohérence au texte. Vous aurez peut-être constaté, en examinant le tableau comparatif, que ces modifications sont nombreuses, à tel point qu’une lecture un peu rapide pourrait donner l’impression que certains des éléments que nous avions tenu à introduire, et que nous avions parfois conquis de haute lutte en séance publique, avaient été supprimés. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien.

L’exemple le plus manifeste concerne l’amendement relatif au rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement, que j’ai mentionné à l’instant et qui résultait d’un compromis trouvé en séance avec le ministre Pascal Canfin. Cette disposition avait été insérée à l’article 4 du texte adopté par l’Assemblée nationale, mais le Sénat l’a déplacée à l’article 10, qui contient désormais l’ensemble des dispositions relatives à l’évaluation, tandis que l’alinéa 141 du rapport annexé apporte des précisions utiles. Nous pourrions faire des commentaires semblables sur d’autres dispositions qui, de la même manière, ont été déplacées par le Sénat. Le principal est de s’y retrouver.

Au-delà de ces changements formels, qui donnent sans doute plus de cohérence à l’ensemble du projet, nos collègues du Sénat ont également renforcé le texte sur d’autres points. Convenons que ces modifications sont bienvenues. Dans plusieurs cas, d’ailleurs, il s’agissait de sujets déjà évoqués à l’Assemblée, mais qu’il était prématuré que nous tranchions car le Gouvernement attendait alors les résultats d’évaluations ou d’expertises qui n’étaient pas encore achevées. D’un commun accord avec le ministre, il avait été décidé que ces questions seraient traitées par le Sénat, et que l’Assemblée nationale aurait la possibilité de se prononcer à nouveau sur ces points. Je pense à la réforme de notre dispositif d’expertise internationale et, pour ce qui concerne l’action des collectivités territoriales, à l’extension du dispositif de la loi Oudin-Santini à la gestion des déchets.

S’agissant de l’expertise internationale, un amendement avait été retiré en attendant les travaux du Sénat. L’éparpillement et la faiblesse du dispositif français étaient dénoncés depuis longtemps. Les agences françaises, trop nombreuses, ont des statuts juridiques et des moyens fort différents ; elles sont très fragmentées et ont des modalités d’action diverses, alors même qu’elles interviennent sur des secteurs qui peuvent se recouper. Cet éparpillement nuit à leur capacité d’être présentes et réellement compétitives dans les appels d’offres internationaux. Le regroupement de ces agences était donc à l’étude.

Cette question apparaît cruciale lorsqu’on examine les moyens de la GIZ, opérateur unique en Allemagne, qui pèse près de 1,7 milliard d’euros, ou lorsqu’on observe que le DFID britannique dispose d’une société privée agissant comme opérateur d’expertise dont le chiffre d’affaires dépasse les 115 millions de livres sterling. Face à ces poids lourds de l’expertise internationale, que peuvent faire des opérateurs dont le chiffre d’affaires plafonne à 1, 1,5 ou 2 millions d’euros, comme c’est le cas pour certaines agences françaises ?

L’avenir de nos agences passe donc évidemment par la fusion. C’est la raison pour laquelle le Président de la République avait souhaité, en clôturant les Assises du développement et de la solidarité internationale, que notre dispositif soit réformé. Le chantier avait été engagé quelques semaines plus tard, et le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique a rendu ses conclusions en avril dernier. Récemment, un arbitrage a été rendu lors d’une réunion interministérielle, qui a opté pour une solution ambitieuse ; le texte adopté par le Sénat va même un peu plus loin. Selon les informations qui m’ont été communiquées, non seulement le Gouvernement se satisfait des axes tracés par le Parlement, mais il travaille déjà à la mise en œuvre de la réforme pour respecter les délais assez contraints prévus par le texte.

Concrètement, il est prévu qu’une agence française d’expertise technique internationale soit créée, sous la forme d’un établissement public industriel et commercial placé sous la double tutelle des ministres des affaires étrangères et de l’économie. Un délégué interministériel à la coopération technique internationale devra la mettre en place au 1er janvier prochain, en fusionnant les six principales agences, dont France Expertise internationale, l’ADETEF et le GIP ESTHER. Les autres opérateurs ont vocation à rejoindre le dispositif au plus tard le 1er janvier 2016. Une attention particulière doit être portée aux opérateurs intervenant dans le domaine sanitaire et médical, dont la gestion est parfois paritaire : ils doivent donc être traités spécifiquement.

S’agissant des collectivités territoriales, la loi de 1992 les a autorisées à financer des actions de coopération décentralisée sur leur budget général. En 2005, la loi dite « Oudin-Santini » a modifié le code général des collectivités territoriales au profit des communes, des établissements publics de coopération intercommunale et des syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d’eau potable et d’assainissement, en leur permettant de mobiliser jusqu’à 1 % des ressources affectées à leur budget. L’amendement adopté par le Sénat et confirmé par la commission mixte paritaire étend cette possibilité aux déchets. Cette extension, que nous avions déjà évoquée, était unanimement souhaitée, car la gestion des déchets et ordures est un problème crucial dans les pays en développement. Le Gouvernement n’attendait que les résultats d’études d’impact, qui n’ont été connus qu’en mars dernier : dont acte.

Lors de la discussion au Sénat, le Gouvernement a également présenté des amendements qui ont été adoptés. Les dispositions correspondantes figurent aujourd’hui aux articles 5 quater et 5 quinquies du projet de loi.

L’article 5 quater autorise l’AFD à gérer des fonds de dotation multi-bailleurs ou à déléguer, en cas de besoin, la gestion de ses propres crédits à ce type de fonds, qui se révèlent être des outils essentiels pour mieux coordonner l’aide multilatérale. Ce dispositif vise à confier à une structure de gouvernance ad hoc les fonds que les bailleurs se sont engagé à apporter pour atteindre un certain nombre d’objectifs sectoriels ou géographiques. Il permet de renforcer l’efficacité de l’aide grâce à des procédures communes de programmation et de gestion, de réduire les coûts, d’assurer des échanges d’informations, une meilleure transparence et une coordination systématique entre les opérateurs. Ce dispositif s’avère particulièrement pertinent dans les pays en crise, pour lesquels des interventions multilatérales complexes et coûteuses sont nécessaires.

L’article 5 quinquies, que le Gouvernement a également proposé d’insérer dans le texte adopté par l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi au Sénat, vise à renforcer le potentiel de solidarité et d’investissement des migrants, dont les transferts représentent théoriquement le double de l’APD au niveau mondial. Pour ce faire, un chapitre VIII vient désormais compléter le titre Ier du livre III du code monétaire et financier. Il donne aux établissements de crédit ayant leur siège social dans un État figurant sur la liste de l’OCDE des pays bénéficiaires de l’APD la possibilité d’offrir, sous des conditions prudentielles strictes, des opérations de banque à leurs clients. Cette initiative rappelle les anciens dispositifs de co-développement ; j’espère qu’elle aura davantage de succès.

Sur toutes ces questions, il faut souligner qu’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat a été trouvé en CMP, sans aucun problème.

En revanche, un sujet a fait l’objet d’une longue discussion : celui de l’évaluation de la politique d’aide au développement. Le Sénat avait tout d’abord renforcé le texte voté par l’Assemblée nationale en posant, à l’article 4 du projet de loi, le principe d’une évaluation continue et indépendante. Pour garantir cette indépendance, il avait prévu, dans le rapport annexé, la fusion des trois unités d’évaluation relevant actuellement des ministères des affaires étrangères, des finances et de l’AFD, lesquelles auraient été rattachées au Premier ministre.

Nous sommes aisément tombés d’accord, en CMP, sur l’importance de renforcer les mécanismes d’évaluation, même si je me permets de rappeler que, lors de la dernière revue de la politique française en 2013, le comité d’aide au développement de l’OCDE avait souligné leur qualité. Après un long débat, la CMP a finalement adopté un mécanisme intermédiaire partagé, dans un objectif de mutualisation, de rationalisation des moyens et d’impartialité des évaluations. Un observatoire regroupera désormais ces services d’évaluation et définira un programme de travail. Émanation du Conseil national du développement et de la solidarité internationale, confirmé par la loi, l’observatoire sera composé de manière à souligner le poids renforcé du Parlement dans ce processus de contrôle, puisque quatre de ses onze membres seront des parlementaires ; la présidence de l’observatoire sera assurée alternativement par un représentant de l’Assemblée nationale et un représentant du Sénat.

Si la plupart des modifications que j’ai présentées portent sur les articles du projet de loi et ont été introduites lors de la lecture du texte au Sénat, cette dernière modification est la plus importante de celles touchant le rapport annexé qui, par comparaison, a été relativement peu modifié. Ce dispositif figure à l’alinéa 136 du rapport annexé, et il appartiendra au Gouvernement de le mettre en œuvre.

Quoi qu’il en soit, au terme de ce processus législatif, le présent projet de loi se trouve considérablement renforcé par rapport au texte initial qui nous a été soumis. Ces changements traduisent l’importance du travail parlementaire, la bonne coordination avec le Gouvernement et, surtout, le consensus que nous partageons tous aujourd’hui sur la nécessité d’une meilleure transparence et d’une meilleure information, impartiale, sur cette politique publique complexe et longtemps demeurée opaque. Je formule le vœu que le vote que nous allons exprimer tout à l’heure soit franc et massif, afin de confirmer ce consensus sur tous les bancs de l’hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie.

Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur de la commission mixte paritaire, mesdames et messieurs les députés, c’est un honneur de vous présenter aujourd’hui le texte définitif du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Un honneur parce que j’ai eu le plaisir de siéger dans cette assemblée depuis 2007, et je sais combien ce moment de vote définitif est important pour vous tous : c’est la fin d’un processus riche et intense en travail, en échanges et en débats. Un honneur aussi, dans ce cas précis, car c’est la première fois depuis le début de la VRépublique qu’une loi sur le développement est présentée au Parlement ; c’est la première fois que le Parlement débat, non pas sur les seuls documents budgétaires, mais sur l’ensemble des orientations de notre politique de solidarité internationale.

Le projet de loi a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 février et par le Sénat le 26 mai. Le 4 juin, le texte, examiné en procédure accélérée, a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire. La lecture définitive dans chacune des chambres du Parlement clôt l’élaboration d’une loi voulue par le Président de la République et annoncée dès le printemps 2013 lors des Assises du développement. Ce projet de loi a été élaboré par mon prédécesseur, Pascal Canfin, soutenu par Laurent Fabius.

Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur : ce texte résulte d’une large concertation avec l’ensemble des acteurs de la solidarité internationale – les ONG, du Nord comme du Sud, les entreprises privées, les syndicats, les universitaires, les élus locaux – et d’un examen approfondi par vous, les parlementaires, qui l’avez véritablement enrichi, aussi bien sur la forme que sur le fond. Je vous en remercie.

Avec cette loi, la France va se doter d’un cadre d’action moderne dans le domaine du développement, pour apporter des réponses aux enjeux du XXIsiècle et promouvoir un développement durable et solidaire, notamment dans le cadre des négociations de l’Agenda post-2015.

Tout d’abord, ce projet de loi répond à la mobilisation d’un nombre croissant d’acteurs non étatiques. Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, le CNDSI, jouera un rôle majeur pour permettre une consultation régulière des divers acteurs du développement.

Le projet de loi donne également plus de place aux collectivités territoriales en reconnaissant leur action extérieure. Il faut s’en réjouir. Le rôle de coordination de la Commission nationale de la coopération décentralisée sera renforcé et, à l’initiative des parlementaires, la loi Oudin-Santini sera étendue aux déchets. Ainsi, comme pour l’eau, les collectivités pourront désormais, si elles le souhaitent, affecter 1 % de la taxe sur les ordures ménagères à leurs actions extérieures.

Le rôle des collectivités d’outre-mer sera également mieux reconnu. Désormais, elles devront être informées des projets menés dans leur environnement régional. Notre politique de développement doit pouvoir s’appuyer sur leurs savoir-faire et leurs réseaux. D’ailleurs, j’arrive ce matin de l’océan Indien et je peux témoigner que, dans les départements de La Réunion et de Mayotte, beaucoup de projets de coopération sont mis en place, parfois en coordination avec des collectivités territoriales de métropole.

Ce projet de loi institue également plus de cohérence entre les politiques publiques qui ont des effets sur les pays en développement. Le CICID, comité interministériel qui rassemble tous les ministères concernés par la politique de développement, devra veiller à la cohérence de l’ensemble des politiques nationales. À l’initiative des parlementaires, il est également prévu une rationalisation de l’expertise technique internationale, notamment au travers du regroupement des expertises aujourd’hui éparpillées dans plusieurs ministères.

Le projet de loi apporte aussi des réponses quant à un indispensable accroissement de la transparence au travers de son élaboration, réalisée dans la concertation, mais aussi par la mise en place d’une grille de trente indicateurs de résultats de l’action de la France ainsi que par l’obligation de remettre au Parlement un rapport – vous l’avez souhaité – faisant la synthèse de la politique de développement tous les deux ans. La transparence est aujourd’hui indispensable.

Le projet de loi prévoit également une évaluation plus indépendante de cette politique. Ainsi, le Gouvernement a engagé le processus formel d’adhésion à l’initiative sur la transparence dans les industries extractives. Enfin, sachez que la présentation sur Internet de l’ensemble des projets d’aide au développement de la France au Mali sera généralisée d’ici à quelques mois à l’ensemble des seize pays prioritaires. Lors d’une visite au Mali, j’ai pu constater combien cela était apprécié tant par nos concitoyens français que par les citoyens maliens, qui consultent ce site pour suivre l’évolution des différents projets soutenus par la France.

La France concentrera ses efforts en intervenant prioritairement dans seize pays et dans un nombre limité de secteurs, définis conjointement avec les pays partenaire en fonction de leurs besoins. Le renforcement des partenariats différenciés permettra une meilleure prise en compte de la diversité des pays. Nous l’avons tous souhaité, la France travaille avec ses partenaires d’égal à égal, gagnant-gagnant, en toute transparence, là aussi, c’est une grande avancée.

L’intervention dans les pays à revenu intermédiaire se concentrera avant tout sur la préservation des biens publics mondiaux, tout en veillant à un meilleur partage des richesses et à la lutte contre la corruption. Pour les pays en crise, il est désormais précisé, à la demande des parlementaires, que l’action de la France se fera selon une logique de continuum entre urgence, reconstruction et développement. L’AFD pourra également porter des fonds multibailleurs, traduisant ainsi en termes de projet la mobilisation de la communauté internationale autour de thèmes qui nous sont chers.

Vous le savez, quatre domaines font l’objet de la priorité de la politique française de développement. Lors de l’examen du projet de loi, ceux-ci ont été précisés. Je profite de ma première intervention en tant que secrétaire d’État devant votre assemblée pour insister sur l’un de ces domaines, le développement humain. Je veux vous parler de la jeunesse, une thématique négligée ces dernières années dans le domaine du développement. La jeunesse, c’est l’éducation de base, et il reste encore beaucoup à faire si l’on veut mettre fin au déclin de la pratique du français chez les jeunes générations des pays francophones.

La jeunesse, c’est aussi l’insertion et la formation professionnelle, qui fait tant défaut dans de nombreux pays, alors que c’est une absolue priorité au vu de la démographie et de ces millions de jeunes qui rentrent chaque année sur le marché du travail.

La jeunesse, c’est l’enseignement supérieur, les échanges universitaires et le soutien à la recherche. La jeunesse, c’est aussi la formation à la citoyenneté, à la sensibilisation aux droits des femmes, aux problématiques environnementales, à la nutrition des enfants, à l’hygiène ou encore à la santé des plus jeunes.

Les plus grands maux de notre temps doivent être combattus à la racine. La jeunesse doit être la grande priorité de notre politique de développement, comme elle l’a été dans l’histoire de la République, et comme elle l’est actuellement en France sous le mandat de François Hollande.

Enfin, je voudrais évoquer le financement, qui a donné lieu à des critiques portant sur l’absence de programmation budgétaire. Je tiens à redire que les lois de programmation ne doivent pas nécessairement comporter des éléments budgétaires. Dans le contexte actuel et au vu du triennum budgétaire, cela n’aurait pas été opportun. Il est apparu plus judicieux de s’appuyer sur les moyens inscrits dans les lois de finances.

Toutefois, à votre initiative, l’objectif international de 0,7 % du revenu national brut dédié à l’aide publique au développement est mentionné. Comme l’a rappelé le Président de la République, la France reprendra une trajectoire ascendante vers ses engagements internationaux dès que la situation économique le permettra. Mais au-delà, nous devons encourager d’autres sources de financement. La France joue un rôle majeur dans le domaine des financements innovants. Le financement du développement passe aussi par la mobilisation des ressources nationales. Le projet de loi le précise : la France soutient la lutte contre l’opacité financière et les flux illicites de capitaux.

Les diasporas contribuent également – je l’ai vu aux Comores, il y a deux jours – au financement du développement et, à l’initiative des parlementaires, ces transferts d’argent seront facilités, pour éviter qu’une grande partie ne soit captée par des commissions exorbitantes.

Enfin, il est crucial d’amener les entreprises à être plus responsables et à transformer le développement économique en progrès social. Lors de l’examen à l’Assemblée nationale, vous avez particulièrement insisté sur ce point. Les entreprises sont de véritables partenaires de notre politique de développement, nous devons reconnaître leur capacité à nous aider. Elles doivent s’impliquer et être responsables.

Ainsi, le texte rappelle que la France promeut le renforcement des critères de RSE auprès des pays partenaires et des autres bailleurs de fonds. Il souligne la volonté de la France d’encourager les sociétés françaises à mettre en œuvre les principes directeurs de l’OCDE et ceux adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

La loi précise également que les entreprises doivent mettre en place des procédures de gestion des risques pour identifier, prévenir et atténuer les dommages sur l’environnement et sur les droits de l’homme. De plus, il est rappelé que l’agence française de développement – l’AFD – doit être exemplaire et intégrer la responsabilité sociale et environnementale dans son système de gouvernance et dans ses actions. J’ai pu constater à l’île Maurice, que l’AFD est très en avance dans ce domaine dans son action menée avec le gouvernement mauricien et les entreprises.

Le mandat donné par le Gouvernement à la plate-forme nationale d’actions globales et l’engagement de la France à promouvoir cette démarche sont également rappelés avec force.

Enfin, la loi donnera la possibilité de soutenir les initiatives des entreprises dans les pays en développement, qui ont une mission explicite de générer un impact social ou environnemental. Les entreprises se mobilisent de plus en plus pour le développement : nous devons innover pour les inciter et les accompagner dans cette démarche.

Tous ces aspects rendront notre politique plus efficace, plus cohérente et plus transparente. Mais au-delà, je pense qu’il ne faut pas oublier l’essentiel, c’est-à-dire notre soutien aux populations qui en ont le plus besoin. Pour être le plus utile auprès des pays que nous aidons, la France se devait de mettre de l’ordre dans sa politique de développement, de réaffirmer ses objectifs, d’identifier des priorités, de rationaliser certains dispositifs. C’est ce que propose ce projet de loi.

Le Parlement a joué tout son rôle et au nom du gouvernement de Manuel Valls, je vous en suis très reconnaissante. Je tiens tout particulièrement à remercier les trois rapporteurs de cette assemblée, messieurs Jean-Pierre Dufau, Dominique Potier et Philippe Noguès ainsi que les présidents de commission Élisabeth Guigou, François Brottes et Jean-Paul Chanteguet.

À l’heure où le repli sur soi menace, où les égoïsmes nationaux se font plus forts, il est indispensable que l’Assemblée nationale réaffirme la solidarité de la France. Cette solidarité a construit notre République et fait aujourd’hui sa grandeur et sa fierté. Cette solidarité est universelle. Elle contribue à bâtir un monde où il fait mieux vivre, un monde plus humain. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères, vice-présidente de la commission mixte paritaire.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour du chemin parcouru en quelques mois. Au terme d’une longue et inédite série de débats, qui a débuté avec la convocation par le Président de la République des Assises du développement et de la solidarité internationale, nous aboutissons à un cadre général pour notre politique d’aide au développement, radicalement différent, pour le Gouvernement comme pour le Parlement.

Avec cette loi d’orientation et de programmation, le Gouvernement aura désormais entre les mains la feuille de route qu’il devra suivre pendant les cinq prochaines années, que ce soit en termes de secteurs d’intervention ou de priorités géographiques. Pour la première fois dans notre pays, les objectifs et orientations de l’aide au développement ne relèveront plus de décisions du seul exécutif, sur lesquelles nous regrettions depuis longtemps de ne pouvoir porter qu’un regard partiel car en dehors des discussions budgétaires, nous n’avions que de rares possibilités d’en débattre. Cela méritait d’être souligné car cela seul, améliorera considérablement le cadre de notre contrôle.

Nous avons été nombreux à souhaiter que le volet programmation de ce texte soit étoffé. Nous comprenons cependant que les contraintes budgétaires fortes pèsent aussi sur le respect des engagements internationaux de notre pays envers les plus pauvres. Mais il est heureux que le cap de 0,7 % du produit national brut demeure toutefois un objectif désormais inscrit dans la loi et cela est positif.

Il est également essentiel que dans ce contexte difficile, l’Assemblée nationale et le Sénat aient obtenu que les mécanismes de transparence d’évaluation de contrôle de la politique d’aide au développement soient considérablement renforcés. Désormais, tous les deux ans, des rapports seront remis par le Gouvernement aux assemblées et au Conseil national de développement et de la solidarité internationale. Ils présenteront la synthèse de notre politique tant dans le cadre bilatéral que multilatéral ainsi que les évaluations qui auront été réalisées.

Ce rapport détaillera les modalités d’utilisation des différents instruments, l’équilibre entre les dons et les prêts, les activités de l’Agence française de développement et l’utilisation de son résultat, élément très important. Il portera sur les activités de l’ensemble des organismes européens et multilatéraux auxquels la France contribue ou dont elle est partie. Il sera débattu publiquement à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il nous faut mesurer à leur juste valeur, mes chers collègues, ces changements majeurs, changements importants par rapport à la situation qui avait prévalu jusqu’ici et personnellement, je me réjouis, comme les rapporteurs, de ces avancées.

Pour le reste, notre rapporteur, Jean-Pierre Dufau, a rappelé les modifications apportées par le Sénat, entérinées par la CMP il y a quelques jours. Je n’y reviens pas.

Je voudrais toutefois m’arrêter sur un sujet important, qui est celui de la réforme de notre dispositif d’expertise internationale. Chacun sait qu’il est essentiel de renforcer cet outil de diplomatie d’influence car il doit être en mesure de rivaliser avec ses concurrents étrangers dans les appels d’offres internationaux ; or le moins que l’on puisse dire, est que ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.

Le Président de la République a eu raison de s’attaquer à ce chantier et les décisions qui ont été prises me semblent correspondre aux nécessités, pour que notre pays occupe toute la place à laquelle il peut prétendre grâce à la grande qualité des experts qu’il envoie à l’étranger. Elles permettront de regrouper des organismes aujourd’hui épars, parfois faibles, et de sortir d’une situation qui nous fait perdre des positions.

Pourtant, au moment de la mise en œuvre de cette réforme, le Gouvernement devra veiller à tenir compte du rôle des partenaires sociaux, qui se sont parfois impliqués depuis fort longtemps et avec une grande compétence dans des actions de coopération internationale, notamment dans le domaine sanitaire et social. Ils ont acquis une expérience dont il serait évidemment très dommage de se priver. Au moment où le Gouvernement va procéder à la fusion des principaux acteurs du secteur dans une Agence française d’expertise technique internationale comme l’y invite le projet que nous allons voter, je souhaitais appeler votre attention, madame la secrétaire d’État, sur cet aspect de la question, afin que les partenaires sociaux soient étroitement associés à la mise en œuvre de cette réforme.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je soutiens, vous l’avez compris, la démarche du Gouvernement. Je suis convaincue que cette loi d’orientation et de programmation marquera un tournant dans la politique de développement et de solidarité internationale de notre pays qui, ce faisant, se dote du cadre qui lui faisait défaut pour lui donner toute son ambition et en renforcer l’efficacité et la visibilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart.

M. Jean-Marie Tetart. Madame la secrétaire d’État, le Président de la République et votre prédécesseur, Pascal Canfin, avaient souhaité inviter tous les acteurs qui concourent à la politique d’aide au développement et de solidarité internationale à des assises nationales du développement. Cette annonce avait provoqué à la fois scepticisme et espoir : scepticisme, avec la crainte que ces assises ne soient qu’un machin de plus ; espoir, celui qu’elles débouchent sur un diagnostic équilibré de l’état des lieux, des forces et faiblesses de notre pays, de ses priorités, des moyens consacrés et des modes opératoires, afin de formuler des propositions propres à recentrer les priorités, donner une meilleure efficacité et assurer une meilleure lisibilité.

Pour avoir participé avec assiduité aux travaux de ces assises, je veux dire ici que l’esprit de concertation y a prévalu et saluer l’excellence du travail réalisé par les services concernés.

L’annonce que le résultat de ces travaux donnerait lieu à l’élaboration d’un projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale avait aussi été accueillie avec satisfaction. Il était en effet nécessaire de revoir la politique d’aide au développement de notre pays et de fixer ses nouvelles lignes directrices. Il était même primordial de le faire à la veille d’échéances telles que les discussions du programme de développement pour l’après-2015.

Bien des évolutions l’exigeaient : la multiplication des pays émergents et des rapports qu’ils entretiennent avec les pays les plus pauvres ; la consolidation des politiques liées aux objectifs du millénaire ; les nouveaux défis que posent le réchauffement de la terre, la lutte contre l’extrême pauvreté et la malnutrition, les grandes pandémies pour ne citer que ceux-là ; l’évolution politique de nombre de pays en quête de démocratie ; la nécessité d’inscrire tous les champs de la coopération, y compris économique, dans une démarche d’éthique sociale et environnementale ; la consolidation du rôle de nouveaux acteurs de coopération dans notre pays, au premier rang desquels les collectivités locales.

Tous ces facteurs conduisent en effet à redéfinir et à faire connaître les nouvelles priorités d’intervention de notre pays, du point de vue des pays bénéficiaires comme des thématiques prioritaires, de l’articulation entre le bilatéral et le multilatéral, des modes opératoires et, enfin, de l’articulation entre les différents opérateurs.

Le principe du réalisme imposait aussi cette inflexion : dans un contexte de crise économique persistant et d’obligation de maîtrise de la dépense publique, il convenait de rechercher la meilleure affectation des moyens, qu’ils soient humains ou financiers.

La version du projet de loi que nous avions examinée dans cet hémicycle nous avait laissés sur notre faim : si certains amendements avaient pu en changer quelques points, elle restait, au sortir de cette lecture, bavarde, confuse et idéologique. Surtout, elle ne proposait pas de mesures permettant d’adapter les modes opératoires de notre coopération aux nouvelles priorités, à la recherche d’efficacité et à la prise en compte de nouveaux acteurs.

Dans ce contexte, je ne peux que me réjouir de l’amélioration ou plutôt de la transformation que les sénateurs ont apportée à ce texte. Ils n’ont pas pu le rendre moins bavard, c’est sa marque de fabrique, ils n’ont pas pu le rendre moins idéologique, c’est aussi sa marque de fabrique, mais ils ont atténué ces aspects en lui donnant une nouvelle architecture, qui lui confère une portée plus directive et plus opérationnelle. Ils ont aussi adopté des dispositions que notre assemblée n’avait pu accepter comme l’extension des principes de la loi Oudin aux déchets, le renforcement de la reconnaissance de l’action extérieure des collectivités locales, en l’élargissant et en la sécurisant. Ils ont surtout adopté des dispositions que notre assemblée n’avait même pas abordées comme le regroupement de l’expertise internationale française en un organisme unique, l’indépendance de l’évaluation des politiques d’aide au développement, la facilitation des transferts de fonds affectés par les migrants au développement de leurs pays d’origine.

Ces vraies avancées, que nous attendions, permettent aujourd’hui à mon groupe de donner son appui à ce texte, qu’elles ont structuré et renforcé dans sa portée opérationnelle.

Toutefois, la dimension de programmation n’est pas allée au-delà du titre de la loi qui va être adoptée aujourd’hui. Aucune volonté budgétaire autre que de principe n’est réellement affirmée. Je ne peux donc que regretter, madame la secrétaire d’État, comme nombre de mes collègues, que le Gouvernement ne veuille pas s’engager à atteindre le plus rapidement possible – et non pas en fonction des évolutions de la situation économique de notre pays – l’objectif des Nations unies consistant à consacrer 0,7 % du RNB à l’aide au développement. Plus d’aide au développement maintenant, c’est moins d’aide au développement demain, c’est moins de souffrances, moins d’atteintes à l’environnement, plus de démocratie, plus de paix rapidement.

Certes, les financements nouveaux et innovants sont encouragés. À cet égard, je salue l’affectation exclusive de la taxe sur les billets d’avion à la lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida : ce choix permet à la France d’être au premier rang dans la lutte contre ces grandes pandémies. Je ne peux cependant que dénoncer, madame la secrétaire d’État, le fait qu’une partie de la taxe sur les transactions bancaires soit affectée au simple équilibre du budget de votre ministère. En effet, ces nouvelles recettes pourraient être efficacement dédiées aux grandes causes, telles la couverture sociale universelle en matière de santé, pour ne parler que de cela.

Votre projet de loi affiche deux priorités transversales, définit dix secteurs prioritaires d’intervention, propose des partenariats géographiques différenciés. Nous les partageons !

L’appui au développement territorial est l’un des secteurs prioritaires. À titre personnel, je regrette qu’il ne soit pas donné assez d’importance à la nécessaire émergence d’autorités locales efficaces, associant les populations à leur gestion et au financement des services offerts. Cette émergence est reconnue par la communauté internationale comme le facteur principal de réussite des politiques de développement, particulièrement dans certains domaines d’intervention sectoriels comme la santé, l’agriculture, l’éducation et l’information, l’environnement et l’énergie ou l’accès aux services de base.

D’un côté, la France revendique et assume le fait d’être pilote pour la mise en œuvre des lignes directrices internationales pour la décentralisation et l’accès aux services de base. De l’autre, on semble reléguer le renforcement de la décentralisation et la mise en capacité des collectivités locales des pays en développement au rang d’un outil parmi d’autres. Cela devrait pourtant être au centre des dynamiques de développement et de démocratie à un moment où le processus de décentralisation paraît être en panne dans certains pays partenaires.

L’implication de la société civile par ses réseaux d’ONG est aussi au cœur de votre projet et joue déjà un rôle déterminant. Il conviendrait cependant de s’assurer que cela ne conduira pas à un éparpillement de l’aide au développement. Il faudra aussi veiller à ce que l’ensemble de ces ONG ne deviennent pas progressivement, à l’instar de certaines d’entre elles, de simples groupes de pression ou des bureaux d’études ordinaires.

Enfin, l’implication des populations immigrées résidant dans notre pays dans l’aide au développement est primordiale en raison de l’importance de l’épargne qu’elles consacrent à leurs proches, à leurs villages mais aussi, de plus en plus, aux cofinancements des projets de développement portés par les collectivités locales de leur pays d’origine. Le projet de loi le reconnaît et propose de faciliter les transferts financiers consacrés aux investissements dans leur pays d’origine. Mais ces migrants sont aussi de plus en plus capables d’apporter une expertise pertinente dans les projets d’aide au développement, au niveau de l’État comme des collectivités locales. Cela nécessite que leur mobilité et leur implication soient facilitées.

Madame la secrétaire d’État, je regrette enfin que la coopération dans le domaine économique ne soit pas réellement prise en compte et que le lien entre coopération, aide au développement, appui à nos entreprises et à notre exportation ne soit pas mieux soutenu alors qu’il est bien évidemment au cœur des démarches des pays anglo-saxons mais aussi, ne nous y trompons pas, des pays émergents de la Chine au Brésil.

Ce texte donne légitimement à nos entreprises plus de contraintes en matière de responsabilité sociale et environnementale mais n’en fait pas pour autant les acteurs privilégiés de la mise en œuvre des équipements et infrastructures que permet l’implication de notre pays dans la solidarité et l’aide au développement. Cette question mérite sans doute de nouvelles assises !

En attendant, madame la secrétaire d’État, je vous redis notre appui à ce projet de loi.

M. Jean-René Marsac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où la crise économique et financière menace en divers points du globe les acquis d’années d’efforts et de solidarité en direction des pays les moins développés, l’aide publique au développement demeure une composante importante de notre politique étrangère. Elle est toutefois d’abord et avant tout, une obligation morale, une véritable exigence éthique pour une puissance économique comme la nôtre, soucieuse de développement, de stabilité et de paix.

Si le monde a connu ces dernières années, ainsi que l’a souligné le rapport annuel de l’ONU sur les objectifs du millénaire pour le développement, de profondes évolutions et des progrès indéniables en termes de développement, reconnaissons que ces progrès n’en sont pas moins inégaux et disparates selon les régions du monde, les pays et les groupes de population. En affirmant cela, il nous faut admettre que le monde est soumis au changement, un changement à grande vitesse, c’est une évidence, à la mesure d’ailleurs des besoins et des attentes des pays partenaires de la France.

De nombreux objectifs du millénaire pour le développement pourront être atteints à l’échéance de 2015. Certains pays, notamment les très grands pays émergents, bousculent les équilibres, plus particulièrement depuis les années quatre-vingt-dix. En dépit de ces bouleversements, de profondes inégalités et fragilités persistent. Si la pauvreté a reculé dans certaines régions de la planète, elle n’a pas disparu pour autant, tant s’en faut, puisque le nombre de personnes pauvres est, lui, plus important.

L’Afrique reste sans aucun doute le continent qui illustre le mieux ce paradoxe : alors qu’il enregistre un rebond économique tout à fait remarquable, les taux de croissance peuvent y varier d’une manière incroyablement inégale, si l’on en juge par les disparités de situations. Pour l’essentiel, les concentrations de richesses ne peuvent faire oublier le fait que la majeure partie des populations vit dans la pauvreté et le dénuement, ce qui est inacceptable en ce début de XXIe siècle.

Partant de ce constat, notre politique de développement doit tenir compte des facteurs objectifs changeants mais aussi de cette constante du sous-développement : la différenciation des niveaux de développement des pays et des régions, l’émergence de nouvelles puissances étrangères, l’extension et la généralisation des aspirations démocratiques, mais aussi la globalisation des enjeux environnementaux et des politiques qu’il convient de mener dans le cadre de la lutte contre les changements et désordres climatiques et, par voie de conséquence, la protection des populations les plus exposées.

La politique d’aide au développement doit aussi faire face à son plus grand paradoxe, celui d’une politique ambitieuse, généreuse, à laquelle la France consacre près de 10 milliards d’euros par an – ce qui la place au quatrième rang des donateurs du Comité d’aide au développement – pourtant critiquée quant à son pilotage, sa cohérence, sa visibilité et ses difficultés à respecter ses engagements internationaux.

À la veille d’un nouveau sommet entre les États membres de l’ONU en septembre 2015, ces constats révèlent de façon criante la nécessité de s’engager dans une loi d’orientation qui hiérarchise les objectifs, améliore la gouvernance et analyse au mieux les impacts.

Nous soutenons bien évidemment une politique de développement et de solidarité internationale ambitieuse. Il en est de notre responsabilité. Nous saluons, à ce titre, cette initiative, qui s’inscrit dans le prolongement des travaux des assises du développement et de la solidarité internationale menés dans la concertation et en cohérence avec les décisions prises par le Gouvernement lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 13 juillet 2013.

Il n’en demeure pas moins que les objectifs de la politique de développement de la France font régulièrement l’objet de critiques. Ils sont jugés insuffisamment hiérarchisés. Bénéficiant à un trop grand nombre de pays, nos actions seraient dépourvues de lignes stratégiques spécifiques et devraient davantage se concentrer sur les zones géographiques qui en ont le plus besoin, notamment l’Afrique subsaharienne.

D’aucuns jugeraient nécessaire de profiter de ce projet de loi pour refonder nos objectifs et nos orientations de manière plus adaptée à nos moyens et aux besoins.

Bien évidemment, nous approuvons d’autres apports incontestables de ce texte. Je pense à la recherche d’efficacité par la concentration de l’aide et la mise en place de partenariats différenciés selon les besoins et la situation des pays partenaires.

Je pense également aux mesures qui permettront de renforcer la cohérence de la politique de développement avec l’ensemble des politiques publiques. Je pense enfin aux avancées de ce texte en matière de transparence et d’évaluation. Néanmoins, refonder la politique de développement et de solidarité internationale supposerait un travail en profondeur. Malheureusement, une simple évaluation qualitative ne saurait suffire et, au-delà des déclarations de principe, il y aurait lieu de se donner tous les moyens de l’efficacité.

Permettez-moi de rappeler, nous l’avions déjà souligné en première lecture, que ce projet de loi élude complètement un point essentiel de la politique de développement : je veux parler ici des moyens que nous entendons lui consacrer. Il s’agit là pourtant d’un aspect essentiel de la politique de développement car c’est ainsi que se concrétise l’aide publique au développement.

Depuis le Sommet du millénaire en 2000, les pays des économies développées se sont engagés à consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide publique au développement. Ce niveau d’engagement a été maintes fois rappelé et confirmé lors des nombreux sommets sur le développement qui ont suivi. Il est aussi fixé par la plupart des instances internationales auxquelles la France adhère, notamment l’OCDE, l’ONU et l’Union européenne – et, soit dit en passant, il constituait un des nombreux engagements du président François Hollande lors de sa campagne présidentielle. Nous nous rapprochons à grande vitesse de l’échéance de 2015, mais l’objectif de 0,7 % fixé dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement semble, lui, s’éloigner. Je rappelle que la France y consacre aujourd’hui 0,48 % de son revenu national brut. En première lecture, cet objectif a été inscrit dans le corps du texte mais les moyens financiers, les pistes concrètes de financement, y sont quasiment absents.

Le groupe UDI estime, madame la secrétaire d’État, que des pistes concrètes de financement de l’aide publique au développement auraient dû figurer dans ce projet de loi et être exploitées pour se rapprocher de l’objectif de 0,7 %, comme la taxe sur les transactions financières, l’élargissement des moyens financiers que peuvent consacrer les collectivités locales à la solidarité internationale, les fondations d’entreprise, les assurances vie défiscalisées dans le domaine de l’épargne responsable ou encore la taxe sur les billets d’avion, etc. Or, le projet de loi évoque timidement ces financements innovants destinés à accroître l’effort d’aide global. La commission des lois du Sénat a elle-même regretté l’absence de toute programmation financière qui aurait fixé le cadre budgétaire de la politique de développement pour les années à venir. Une réelle ambition aurait permis de déployer ces produits additionnels et d’être en cohérence avec l’ampleur annoncée de ce projet de loi. Innover, donner de l’élan à l’aide au développement en la dotant des moyens concrets de son efficacité : voilà un vrai combat contre l’extrême pauvreté, contre les inégalités et pour la défense des libertés fondamentales !

De toute évidence, après deux lectures au sein de nos assemblées, force est de constater que ce projet de loi ne répond pas à cette ambition : ce texte n’est ni une loi de programmation, ni un texte à grande portée normative, et les objectifs financiers sont insuffisants.

Vous comprendrez donc, au vu de ces différentes considérations, que le groupe UDI ne pourra pas approuver ce projet de loi issu des travaux de la commission mixte paritaire et qu’il s’abstiendra. S’il est animé des meilleures intentions – et je sais, madame la secrétaire d’État, que tel est votre sentiment –, il n’est pas suffisamment ambitieux pour l’avenir de notre politique de développement et de solidarité internationale, ce que vous me permettrez de regretter.

M. Guy-Michel Chauveau. C’est bien dommage !

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voilà arrivés à la fin du débat sur ce projet de loi sur le développement. Les écologistes, avec Pascal Canfin, se sont battus pour que ce texte puisse être adopté. Cette loi, même si elle reste modeste, est un premier pas vers l’encadrement d’un secteur qui avait toujours vécu à l’ombre de l’entreprise coloniale. Jamais, depuis les indépendances, la politique d’aide au développement n’avait fait l’objet d’un débat de fond, hormis lors de la traditionnelle discussion budgétaire où il se réduisait souvent à un bilan comptable. Avoir débattu des orientations de notre aide, de son périmètre, de ses critères est donc une avancée importante.

Nous nous félicitons particulièrement de quatre éléments essentiels consacrés par la loi. Premièrement, la consécration de l’approche par les droits est une avancée majeure. Cette approche soutient qu’il ne peut y avoir de progrès dans le respect des droits humains sans dynamique de développement, ni de développement sans une meilleure réalisation des droits humains. Elle propose de considérer les populations bénéficiaires comme des acteurs et des sujets de droit, et non comme des récipiendaires passifs. Fonder sa politique de développement sur les droits donne à la fois une légitimité aux politiques publiques en découlant, mais aussi un devoir de responsabilité accru.

Deuxièmement, la mise en cohérence des politiques d’aide. Celle-ci peut se définir comme l’obligation de garantir que les politiques commerciales, agricoles, industrielles, celles concernant le domaine des migrations ou du climat, ne contredisent pas l’objectif d’éradication de la pauvreté dans les pays en développement et de respect des droits, notamment des populations les plus vulnérables du Sud. Trop souvent, l’aide au développement a été perçue comme le paravent d’une politique privilégiant, par exemple, nos exportations agricoles ou textiles, qui empêchaient les pays aidés de se développer. Celle loi n’empêchera malheureusement pas de telles dérives, mais il était nécessaire de faire de ce principe, déjà consacré par l’Union européenne, un pilier de la politique de développement de la France, ce que la présente loi d’orientation et de programmation met en avant dès l’article 3. Il faudra, comme il est précisé dans le rapport annexe, le traduire par un plan d’action opérationnel.

Troisièmement, la transparence de l’aide. La loi d’orientation et de programmation se fixe comme objectif l’efficacité et la transparence de l’aide. Des données accessibles et actualisées régulièrement, en utilisant les normes promues internationalement par l’Initiative internationale pour la transparence de l’aide, permettront un suivi et un contrôle effectif de l’aide, ici et dans les pays concernés. Ces informations seront un vecteur de valorisation et de légitimation de la politique française d’aide au développement. De plus, la loi d’orientation et de programmation adopte pour la première fois une grille d’indicateurs de résultats de l’aide bilatérale et multilatérale. Alors que la France est la quatrième contributrice mondiale de l’aide publique au développement – 9,4 milliards d’euros par an –, cette politique restait jusqu’ici peu transparente avec une mission « Aide publique au développement » éclatée sur vingt-trois lignes budgétaires et l’insuffisance d’informations accessibles et lisibles.

Quatrièmement, la priorité accordée au domaine de l’environnement en matière d’aide est un élément positif. Concernant le climat, cet aspect a même été renforcé par le travail de nos collègues sénateurs et par la commission mixte paritaire. C’est une bonne chose par rapport à la prochaine conférence sur le climat qui se tiendra à Paris fin 2015. La France peut et doit être à l’origine d’une alliance privilégiée en matière de développement des énergies renouvelables et de maîtrise de l’énergie avec des pays du Sud menacés par le changement climatique.

Je me réjouis également que plusieurs notions apparaissent dans la loi ou le rapport. Désormais la France soutient le développement de l’économie circulaire, s’inscrivant dans le cadre du développement durable, qui concrétise l’objectif de produire des biens et des services tout en limitant la consommation et le gaspillage des matières premières, de l’eau et des sources d’énergie. Il s’agit de promouvoir un modèle centré sur l’utilisation locale des ressources disponibles et les circuits courts partout où cela est possible. D’autres avancées, comme l’importance de l’agriculture agrofamiliale et vivrière, de l’autonomie des paysans, de la souveraineté alimentaire ont été reconnues soit dans le corps même de la loi, soit dans le rapport annexé qui permettra aux ONG de se revendiquer d’une base législative substantielle.

En revanche nous sommes inquiets du fait que, sur d’autres aspects, un compromis acceptable n’ait pu se faire jour. C’est le cas notamment sur la RSE, la responsabilité sociale et environnementale, pourtant présentée comme une dimension transversale de la politique de développement et de solidarité internationale. Sa place est affirmée comme essentielle mais les dispositifs sont inexistants pour les assurer. Or l’incendie l’année dernière de l’usine textile Rana Plazza au Bangladesh a montré comment le respect des droits humains par les acteurs privés était bafoué. Le décalage entre l’affirmation de la RSE comme enjeu clef et la promotion des investissements directs à l’étranger comme opportunité majeure de développement, en faisant l’impasse sur les défis capitaux les concernant en termes d’encadrement et de régulation, pose un problème central. Là encore, l’obsession de la compétitivité des entreprises contredit dans les faits les principes de la loi. Nous souhaitons donc que soit précisée dans ce débat la définition de la RSE, qu’elle intègre le devoir de vigilance incombant aux entreprises dans le cadre de leurs activités, de celles de leurs filiales et de leurs sous-traitants, afin de prévenir les dommages sanitaires et environnementaux qui peuvent en résulter. À ce titre, nous sommes toujours dans l’attente des avancées législatives spécifiques à ce propos.

De même, la responsabilité fiscale et la notion d’exemplarité de l’État dans le soutien apporté à des acteurs privés ont été réduites à la portion congrue. Nous serons vigilants sur cet aspect essentiel de toute politique de coopération solidaire. La loi d’orientation et de programmation devrait rappeler le lien existant entre fiscalité et développement et devrait se prononcer clairement en faveur des nouvelles règles de fiscalité internationale. Le sujet n’est abordé que sous l’angle de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, limitant la compréhension des enjeux. Les ressources qui échappent aux pays en développement sont principalement liées, non pas aux manquements de ces États, mais à l’évasion fiscale et au déplacement par les entreprises multinationales de leur assiette fiscale. Le récent débat sur l’accord entre Areva et le Niger illustre fort bien ce point.

S’il y a des progrès au niveau international sur ces questions, il n’y a pour l’instant aucune garantie que les pays en développement en bénéficient, parce qu’ils sont exclus des négociations menées principalement au sein de l’OCDE. Tous les efforts les concernant portent sur le renforcement de capacités, mais leurs besoins spécifiques pour redéfinir les règles ne sont pas pris en compte. Nous regrettons également vivement que la programmation budgétaire soit absente de la loi d’orientation, alors même que le budget de l’aide a encore régressé de 10 % en 2013. La cohérence entre les engagements politiques pris et les moyens budgétaires nécessaires n’est donc en aucun cas assurée à l’avenir, même si nous pouvons nous féliciter de la clause de révision de la loi de programmation.

De plus, les choix en matière d’aide européenne et multilatérale, compléments de l’aide bilatérale, ne sont pas explicités. La question du pilotage de l’aide, essentielle pour maîtriser la complexité institutionnelle et son caractère dispersé et non hiérarchisé n’est pas non plus précisée. Le vrai pilote de l’aide risque donc de continuer à être l’Agence française de développement, la loi d’orientation et de programmation ne faisant aucune proposition pour remédier à ces carences. Le rôle du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement – ou CICID –, mentionné dans la partie sur la cohérence, mériterait pourtant d’être encore renforcé. Nous regrettons que les objectifs de l’AFD, son fonctionnement et son rôle n’aient pas été encadrés par la loi. À moyen terme, ne faudrait-il pas revoir cette conception à peu près unique dans le monde d’une agence à la fois banque et opératrice des subventions ? Comment procéder au minimum à un rééquilibrage entre les prêts et les dons bilatéraux ? En prêtant sans annuler les dettes, on enfonce les pays les plus pauvres comme le Mali ou Haïti dans une spirale de la pauvreté.

Pour conclure, cette loi va dans le bon sens, celui d’une éthique de la solidarité responsable, fondée sur la logique d’une interdépendance positive entre les peuples du Nord et ceux du Sud. Elle restera un marqueur fort pour l’avenir car la coopération solidaire au développement reste à nos yeux un outil majeur servant à éradiquer la grande pauvreté et la faim. Le groupe écologiste votera évidemment ce texte qui tient, malgré toutes les réserves émises, un des engagements de l’accord de législature et du contrat présidentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, vous connaissez mon aversion instinctive pour les lois non normatives, les dispositions putatives, que nous appelons, nous, « lois d’orientation et de programmation » et que le peuple qualifie de bouillie pour les chats ou d’eau tiède – sans parler d’autres métaphores liquides ou pâteuses qui témoignent de l’absence d’éléments solides ou d’une quelconque ossature dans cette catégorie toute particulière de texte.

Pour autant que ce texte ait une portée pratique, il repose tout de même, il faut le reconnaître, et en attribuer le mérite au Gouvernement et à ses auteurs, sur des éléments très classiques de l’analyse économique du développement. L’idée générale, l’épine dorsale – si j’ose dire, s’agissant d’une substance pâteuse –, c’est que l’aide au développement doit se diriger en priorité vers les pays les plus pauvres, s’attacher à respecter le principe de « soutenabilité » – traduction qui me semble meilleure que « durabilité » – et promouvoir les valeurs de solidarité et de démocratie, voire d’exemplarité. On ne peut qu’être d’accord avec ces principes qui semblent aller de soi, et on peut d’ailleurs considérer que les choses qui vont sans dire vont encore mieux en les disant.

Il faut tout de même apporter quelques nuances critiques car le monde change, et en définitive pas toujours de la manière dont les économistes du développement l’avaient prévu, voire à l’inverse. Je citerai Gunnar Myrdal, lauréat du prix Nobel d’économie en 1974 qui avait prévu que deux grands pays ne pouvaient pas s’en sortir : la Chine et l’Inde. Son analyse avait donné lieu à un livre admirable, plein d’équations et très convaincant, Asian Drama : an Inquiry into the Poverty of Nations. Or aujourd’hui, l’Inde connaît une croissance très basse de 5 % et celle de la Chine s’élève à un peu moins de 10 %, avec des succès industriels incontestables. Rétrospectivement, son analyse peut paraître risible, mais elle comporte beaucoup de vrai dans la mesure où les très fortes croissances de la Chine et de l’Inde sont incroyablement inégalitaires. Ces pays négligent souvent, surtout pour l’Inde, santé et éducation ; ils font trop largement fi de l’environnement, en particulier en Chine, ce qui est dramatique non seulement pour ce pays mais aussi pour le monde entier, au point que le caractère soutenable de ce développement exceptionnel, spectaculaire, peut connaître très vite des limites – c’est le cas actuellement. Ces limites ont d’ailleurs été récemment analysées avec une grande pertinence, notamment par un autre prix Nobel d’économie, le professeur Mortensen de l’université d’Harvard qui a souligné à quel point l’inégalité, la négligence pour la santé et l’éducation constituaient pour l’Inde un obstacle au développement.

La nuance s’impose donc au plan de l’analyse économique : ce que l’on prévoyait en 1974 s’est révélé complètement faux. Pour autant, les critiques qui étaient faites et les avertissements lancés à cette époque se sont révélés en partie exacts. Si ces pays se sont spectaculairement développés d’un point de vue quantitatif, les difficultés qu’ils rencontrent au plan qualitatif dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’environnement sont des obstacles à un développement durable. Au fond, on pourrait dire que le texte souligne assez bien que le développement quantitatif est important mais qu’il n’est soutenable que s’il comporte l’attention nécessaire à la santé, à l’environnement, à l’éducation qui sont des valeurs fondamentales. Si nous négligeons ces domaines, nous n’aurons pas grand-chose à terme, tandis que si nous mettons l’accent là-dessus, nous pouvons gagner.

L’autre nuance que j’apporterai concerne l’intérêt national de la France dans la politique de coopération et de développement. Je sais bien qu’il n’est pas de mise en France de parler de nos intérêts nationaux pour fonder notre action internationale. Mais je me permets d’insister parce que tous les autres pays de la planète le font.

Prenons l’exemple d’un grand pays émergent comme l’Inde. Dans ce pays, des infrastructures de transport considérables sont en train de se créer : aéroports, modernisation ferroviaire de grande ampleur, ouverture de voies autoroutières et de transports en commun en ville. Beaucoup d’entreprises françaises participent à ces investissements. La RATP, Alstom et bien d’autres contribuent de manière importante à apporter technologie, savoir-faire, et c’est excellent. Il se trouve que le crédit est assez rare dans ce pays, l’intervention des banques insuffisante. Le financement se fait souvent sur fonds propres. De ce fait, une institution financière comme l’Agence française de développement, dont le rôle pourrait paraître relativement marginal en volume et très coûteux en taux d’intérêt face à de tels programmes d’investissement, peut contribuer à rendre possibles des opérations considérables avec des effets très positifs pour nos entreprises nationales.

Si l’on abandonne ce vecteur d’activité et d’emploi, de coopération technique, de partenariat industriel, je le dis très clairement : on se tire une balle dans le pied. Même s’il peut paraître marginal de donner quelques dizaines de millions de dollars à des taux qui paraissent extrêmement élevés mais qui, finalement, ne le sont pas en raison d’une inflation très forte dans un pays comme l’Inde, on constate en pratique que cela a pour effet de donner à la France des marchés conséquents. Après tout, un métro à Bangalore, pour citer un exemple précis, cela développe de manière très positive l’économie, mais aussi l’environnement, la vie urbaine. Cela contribue au développement social, permet à des gens d’aller travailler, et favorise l’emploi et l’activité, y compris pour notre pays.

Je cite ces exemples et donne ces nuances en indiquant que ce projet de loi, pour autant qu’il ait une signification et une portée pratique, ne doit pas être un dogme idéologique mais plutôt une base de réflexion ouverte et lucide. Nous devrions parfois abandonner l’idée – cela ne figure pas tout fait dans le projet et c’est un peu regrettable – que c’est nous qui avons donné notre intelligence, notre technologie, notre savoir-faire, mais que nous ne pouvons pas prendre de leçons dans ces pays.

Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples simples, dont l’un est très connu et l’autre moins. Premier exemple, le microcrédit. Après tout, ce ne sont pas nos fertiles cerveaux occidentaux qui l’ont découvert : c’est une invention probablement plus spécifiquement bangladeshie. La Grameen bank fut en effet créée par Muhammad Yunus, homme tout à fait remarquable. Aujourd’hui, nous aussi nous servons un peu du microcrédit. On voit bien, par cet exemple financier, qu’une technologie bancaire peut être utile, y compris dans nos pays.

Le deuxième exemple est moins connu, mais je le rappelle souvent. L’Inde vient de voter en utilisant des machines de vote électronique. J’ai rencontré récemment un ami indien qui me disait avoir vu aux actualités françaises les gens utiliser le bulletin de vote papier. Et il ajoutait : j’ai quarante ans et je n’ai jamais voté avec le papier, je ne sais pas comment on fait. On pourrait très bien s’inspirer de cet exemple très économe en papier, donc en forêts, et en faveur du développement durable. Vous pouvez imaginer ce que représente, en termes d’abattage d’arbres, le vote de 800 millions d’inscrits : c’est considérable.

Il faudrait aussi arriver à dire que l’on peut trouver, dans ce monde en développement, des leçons intelligentes pour nous-mêmes, une sagesse, une connaissance, une innovation qui parfois sont utiles.

Je compte sur le pragmatisme et l’intelligence, que je connais, de Mme Annick Girardin pour mettre en œuvre dans le meilleur esprit ce texte que le groupe RRDP approuvera bien évidemment dans sa globalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un monde où les écarts de richesse entre les populations des pays du nord et du sud ne cessent d’augmenter, l’aide publique au développement joue un rôle fondamental pour corriger les excès de la mondialisation et œuvrer pour un monde plus juste et plus égalitaire.

La crise ne doit en aucun cas servir de prétexte pour réduire l’ambition et la portée de notre aide publique au développement. Celle-ci est nécessaire au progrès économique et à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations locales.

Ce projet, qui arrive aujourd’hui au terme du processus législatif, poursuit une ambition légitime : inscrire la politique d’aide au développement française dans une loi de façon à donner un cadre pérenne à cette politique. Il répond en cela aux exigences des acteurs français du développement, ONG, fondations, collectivités territoriales, qui attendaient des avancées en termes de transparence et de lisibilité de notre aide.

Ce projet va dans la bonne direction. Plusieurs éléments positifs sont à mentionner. Tout d’abord, le texte énonce des objectifs et principes auxquels nous ne pouvons que souscrire : la lutte contre la pauvreté, pour la promotion de la paix, du développement durable, de l’égalité homme-femme, pour un développement économique durable et créateur d’emplois dans les pays du sud. La priorité donnée aux pays les plus pauvres dans l’aide au développement française est évidemment tout à fait justifiée.

Je rejoins également le Gouvernement sur l’objectif visant à garantir plus de transparence à notre aide au développement. C’est une revendication de longue date des élus et des acteurs du développement, en raison de l’insuffisance de publications accessibles et lisibles. Nous avons besoin de connaître avec précision l’engagement financier de l’État, de savoir à qui profite l’aide au développement et selon quelles modalités. La publication d’un rapport remis au Parlement tous les deux ans afin d’évaluer l’efficacité et la transparence de l’aide est une avancée certaine.

On peut aussi apprécier l’effort de mise en cohérence de notre politique commerciale et industrielle avec les objectifs qu’entend poursuivre notre politique d’aide au développement. On ne peut ignorer l’impact économique néfaste des multinationales aidées par l’État qui font des pays du sud un immense terrain de chasse pour réaliser toujours plus de profits.

Il est tout aussi révoltant de voir l’aide publique au développement détournée de sa fonction première pour soutenir certains régimes politiques, pas toujours recommandables. L’exigence de cohérence est donc une nécessité absolue qui doit imprégner l’ensemble de nos politiques publiques à l’étranger.

Je tiens également à souligner que l’examen du projet de loi au Sénat a contribué à améliorer le texte sur plusieurs points. Je pense notamment au renforcement des instruments d’évaluation de l’aide publique au développement, avec la fusion des trois services existants aujourd’hui dans un nouvel observatoire indépendant des donneurs d’ordre.

Autre avancée : l’ajout dans le rapport remis au Parlement de l’équilibre entre les prêts et les dons ainsi que l’affectation du résultat de l’AFD, deux sujets qui cristallisent nombre de critiques à l’égard de notre politique d’aide au développement.

Enfin, j’approuve la reconnaissance dans ce texte du rôle des collectivités territoriales comme acteurs majeurs de la coopération. La coopération décentralisée crée un lien fort avec les pays du sud, en s’appuyant notamment sur les populations de notre pays issues de l’immigration. Cette solidarité internationale recueille l’adhésion de nos concitoyens et produit des résultats appréciables pour les populations des pays en développement, même si cette coopération n’a pas vocation à se substituer à la solidarité nationale.

Au-delà de l’affirmation de grands principes auxquels je souscris, le présent projet de loi ne donne pas une impulsion suffisamment forte à notre politique d’aide au développement. L’aspect programmation financière en est totalement absent. Quels moyens financiers seront alloués à l’aide publique au développement dans les prochaines années ? Le présent projet de loi ne répond pas à cette question.

La réalité est que notre pays ne cesse de réduire les budgets qu’il consacre à la solidarité internationale. Je rappelle que les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont diminué de 10 % en 2013 puis de 6 % dans la loi de finances pour 2014. L’objectif d’allouer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement ne semble plus qu’un lointain souvenir. Cet engagement, maintes fois répété depuis les années soixante-dix, n’apparaît pas dans le projet de loi. Il n’est que mentionné de façon allusive au détour du rapport publié en annexe.

Le positionnement de l’Agence française de développement me paraît en outre contestable. « L’AFD est une banque et une agence de développement ». Cette expression utilisée par sa directrice générale, Mme Anne Paugam, lors de son audition par la commission des affaires étrangères, résume bien les travers de l’opérateur pivot de l’aide française au développement. Seulement 12 % des 7,5 milliards de financement octroyés par l’AFD ont été accordés sous forme de subventions. Une grande partie de l’activité de l’AFD consiste en fait à accorder des prêts à des pays émergents comme la Chine ou la Turquie qui n’en ont vraiment pas besoin et qui, de surcroît, concurrencent directement notre économie. Les pays les plus pauvres, notamment en Afrique subsaharienne, reçoivent quant à eux des subventions dérisoires. Ainsi, le Mali n’a bénéficié que de 8 millions d’euros de subventions de l’AFD en 2011, à rapporter aux 400 millions d’euros de l’opération Serval.

En même temps, on apprend que l’AFD réalise chaque année des bénéfices confortables. En dix ans, l’Agence a reversé 1,4 milliard d’euros d’excédents à l’État. Est-ce toujours dans l’esprit de l’aide publique au développement, ou est-ce la recherche de rentabilité qui finit par primer dans les choix faits par cette agence ? La question mérite d’être posée.

Enfin, le projet européen de taxe sur les transactions financières permettrait de dégager des moyens financiers importants en faveur de l’aide au développement. On parle de 30 milliards d’euros. Or cette taxe est actuellement plus que jamais dans l’impasse. Plus de la moitié des pays européens ne veulent pas participer au dispositif. Quand allons-nous enfin avancer sur cette question, ou plutôt les faire avancer sur cette question, véritable serpent de mer depuis plusieurs années ?

De même, la taxe sur les transactions financières votée en juillet 2012 par le Parlement français se trouve progressivement dévoyée. Seulement 10 % de son rendement finance le développement. Comme nous le redoutions, ces financements ne sont plus additionnels, puisqu’ils servent à masquer un désengagement budgétaire de l’État.

Un projet de loi sur l’aide au développement ne peut avoir de sens sans une refondation totale de nos orientations diplomatiques. Nous devons ainsi rompre définitivement avec la Françafrique et les logiques néocoloniales. Vous connaissez les positions du groupe GDR sur cette question, je n’insisterai donc pas sur ce point.

En dépit des réserves que je viens de formuler, le projet de loi relatif à l’aide publique au développement contient des avancées que nous ne sous-estimons pas. Attendu par les acteurs de la solidarité internationale, il constitue un premier cadre qui pourra ensuite être affiné, notamment sur l’aspect de programmation budgétaire. En conséquence, le groupe GDR votera ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Jean-René Marsac.

M. Jean-René Marsac. Pour la première fois, nous est soumis un projet sur les objectifs, l’organisation et les modalités de mise en œuvre de l’aide publique au développement et de la solidarité internationale. Nous remercions le Gouvernement d’avoir pris cette initiative et d’avoir été à l’écoute des parlementaires.

Le texte issu de la commission mixte paritaire est le fruit d’un long processus. Tout a commencé par une large concertation avec l’ensemble des acteurs, à travers les Assises du développement conclues par le Président de la République le 1er mars 2013 et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement présidé par le Premier ministre le 31 juillet 2013. Ce comité ne s’était pas réuni depuis 2009.

Lors de son examen à l’Assemblée nationale, ce texte a été complété par les parlementaires : renforcement de la notion de responsabilité fiscale, rappel des engagements internationaux de la France, débat sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de Développement et sur l’équilibre entre les prêts et les dons.

Ce texte fondateur sera suivi d’évaluations impliquant les parlementaires de manière régulière, tous les deux ans, à travers la présentation d’un rapport gouvernemental ; c’est un progrès incontestable dans l’effort de transparence et de rénovation de la politique de développement et de solidarité internationale.

Par des amendements, nous avons réaffirmé les engagements internationaux pris par la France en matière de financement de l’aide publique au développement, s’agissant notamment de la part consacrée aux pays les moins avancés.

Dans le cadre du consensus de Monterrey adopté par les Nations-Unies en 2002, la France s’est engagée à respecter l’objectif global de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement, dont 0,2 % aux pays les moins avancés. Nous devons reprendre une trajectoire ascendante vers les objectifs internationaux que nous nous sommes fixés.

Par ailleurs, la réduction des moyens budgétaires publics doit nous amener à rechercher toujours plus d’efficacité. Afin de renforcer cette efficacité, la loi définit des priorités sectorielles et géographiques.

Les pays d’Afrique subsaharienne demeurent la priorité de la France : 85 % de l’effort financier en faveur du développement sera dirigé vers ces pays et les pays voisins du Sud et de l’Est de la Méditerranée.

L’efficacité passe aussi par une meilleure coordination entre les acteurs de la solidarité internationale, notamment dans l’articulation entre la coopération bilatérale, communautaire et multilatérale, mais aussi dans de nombreuses opérations conduites dans les pays concernés.

Nous avons également pu, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, avancer sur l’affectation des dividendes provenant des prêts de l’Agence française de Développement.

En effet, le produit des prêts alloués aux états étrangers par les organismes d’aide publique au développement ne bénéficie pas toujours à cette politique, celui-ci étant reversé au budget général de l’État. Nous souhaitons que l’AFD conserve le produit perçu des prêts octroyés, dans un premier temps pour renforcer ses fonds propres, puis, nous le souhaitons, pour développer une autre politique en direction des pays prioritaires – sachant que les pays les plus pauvres ne bénéficient pas de prêts, car peu ou pas solvables. Il s’agit donc d’aider les pays les plus en difficulté à travers une politique de dons, de subventions, voire de soutien à l’émergence d’activités économiques par des micro-crédits leur permettant de s’engager sur une voie nouvelle de développement. Le Gouvernement s’est engagé à produire un rapport sur ce sujet.

Je souhaite également mettre l’accent sur les amendements qui ont permis à l’Assemblée nationale et au Sénat de réaffirmer le rôle crucial des collectivités territoriales dans la politique de développement et de solidarité internationale de la France. En effet, plus de 13 000 projets de coopération sont conduits par près de 5 000 collectivités françaises. Des partenariats sont ainsi engagés avec quelque 10 000 collectivités étrangères dans 145 pays.

Nous avons pu aussi, je crois, lors de nos travaux à l’Assemblée nationale, trouver la voie de l’exigence et de la progressivité dans l’effort en matière de responsabilité sociétale, c’est à dire de responsabilité sociale et environnementale des acteurs publics et privés.

Nous avons affirmé la nécessité de renforcer le devoir de vigilance incombant aux entreprises dans le cadre de leurs activités, de celles de leurs filiales et de leurs sous-traitants, afin de prévenir les dommages sociaux, sanitaires et environnementaux.

Nous avons également insisté pour que l’Agence française de Développement intègre davantage la responsabilité sociétale dans sa gouvernance et dans ses interventions, notamment sur le plan fiscal : on a vu ces derniers jours qu’il reste encore beaucoup de progrès à faire.

Ce texte est une première étape, nous en sommes tous conscients. Le Parlement a désormais la capacité d’impulser, de co-construire cette politique d’aide au développement avec le Gouvernement et d’en évaluer les effets dans la durée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven.

M. Jean-Luc Bleunven. Nous arrivons au terme de la procédure législative qui permettra à notre pays de disposer d’un texte ambitieux en faveur du développement et de la solidarité internationale.

La politique de développement est une composante essentielle de notre politique étrangère. Elle concourt à son rayonnement culturel, diplomatique et économique.

Pour la première fois dans cet hémicycle, nous avons pu débattre de notre politique de développement et de solidarité internationale. C’était un engagement, nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’il est tenu.

Comme d’autres pays, nous allons nous doter d’une législation qui permettra de définir les objectifs et orientations sur lesquels notre politique d’aide au développement sera fondée et structurée. C’est bien là l’enjeu de ce texte : disposer des outils qui nous permettront d’établir une politique de solidarité et de développement claire et transparente, une politique de solidarité internationale, en phase avec les enjeux du XXIe siècle.

Ce projet de loi répond par ailleurs à une demande ancienne et récurrente de la société civile et des parlementaires. L’opinion publique et la représentation nationale ont régulièrement stigmatisé notre politique de développement, à juste titre. La mise en œuvre d’outils de contrôle va nous permettre enfin de rompre avec les pratiques trop systématiques de l’entre-soi, dont le système de la Françafrique était l’exemple le plus emblématique et le plus consternant.

Nous passons d’un monopole de l’exécutif à un contrôle parlementaire démocratique, Élisabeth Guigou l’a déjà dit. Ce texte constitue également une avancée importante au regard de l’échéance de 2015 qui marquera la révision des Objectifs du millénaire pour le développement. Il lie ainsi la lutte contre la pauvreté et les inégalités, le développement durable et la promotion d’une économie dite inclusive.

Dans un contexte budgétaire et financier contraint, l’État ne peut agir seul. En reconnaissant le rôle et la complémentarité de l’ensemble des acteurs impliqués dans la politique de développement et de solidarité internationale, le projet de loi apporte la nécessaire cohésion dont nous avions besoin.

Une ambition affirmée, une politique transparente, une cohérence dans les actions des différents acteurs : ce projet de loi met également l’accent sur l’efficacité de l’aide au développement.

L’Afrique subsaharienne présente la prévalence de sous-alimentation la plus élevée puisqu’elle touche un quart de sa population ; 80 % des enfants touchés par des retards de croissance dans le monde vivent dans vingt pays. Notre politique reposera désormais sur la concentration géographique et sectorielle des aides, et sur la prévisibilité des ressources publiques. Elle évitera ainsi la dispersion de l’aide. Le fait de concentrer notre aide en Afrique subsaharienne et dans les pays des rives méridionale et orientale de la Méditerranée est à ce titre particulièrement pertinent. C’est tout le sens de l’article 4.

Concernant le rapport annexé au projet de loi, et plus précisément le point relatif aux priorités sectorielles, il est fait mention du rôle-clé de l’agriculture familiale, productrice de richesses et d’emplois et respectueuse des écosystèmes. C’est un thème sur lequel je souhaite m’attarder : celui de la souveraineté alimentaire des peuples.

La souveraineté alimentaire découle du droit des peuples à définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires, sans dumping vers les autres pays. Elle encourage, au niveau local, le maintien d’une agriculture de proximité destinée en priorité à alimenter les marchés locaux, régionaux et nationaux. Elle privilégie des techniques agricoles promouvant l’autonomie des paysans et un plus grand respect de l’environnement

Les politiques en faveur des pays en développement ont parfois des effets négatifs. Il existe en effet une contradiction entre l’objectif louable de développer les régions en difficulté et la volonté de favoriser le développement de notre propre économie. On peut citer la question des agrocarburants.

De la même façon, les marchés occidentaux sont globalement fermés aux importations de produits agricoles en provenance du Sud, alors que nous imposons à ces pays nos produits.

Se pose donc concrètement la question de mettre en cohérence notre politique de développement.

En inscrivant dans cette loi la notion d’exigence de responsabilité sociétale des acteurs publics et privés, nous devons parvenir à prévenir ou à atténuer les dommages sociaux, sanitaires et environnementaux, ainsi que les atteintes aux droits de l’homme susceptibles de résulter de nos activités dans les pays partenaires.

Ce projet de loi constitue une avancée importante. Il ne changera pas le monde, certes, mais il permettra à notre pays, contributeur mondial très observé, de mettre en œuvre une politique de développement ambitieuse, lisible, transparente, efficace et moderne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy-Michel Chauveau.

M. Guy-Michel Chauveau. Efficacité, cohérence, visibilité, transparence, traçabilité : nous souhaitons tous retrouver les qualités de toute politique publique. La politique de développement et de solidarité internationale ne pouvait s’affranchir de ces objectifs.

Ajoutons à cette volonté une prise en compte de l’évolution du contexte géopolitique, avec des objectifs resserrés et des rééquilibrages géographiques – je pense notamment à l’Afrique subsaharienne –, comme on l’a fait déjà lors du comité interministériel du 31 juillet 2013.

La création du Comité national du Développement et de la Solidarité internationale conforte votre volonté de concertation et confirme le rôle des ONG du Sud comme du Nord, ainsi que celui des acteurs privés de l’économie.

Ce texte reconnaît également le rôle essentiel des collectivités locales. On estime que 4 800 collectivités françaises ont des échanges avec 10 000 collectivités étrangères. Cette aide publique concourt évidemment à l’action organisée par l’État dans un champ très large. Les lois de décentralisation de 1992 et 1993, puis la loi Thiollière de 2007, ont encadré la coopération décentralisée. Elles font de l’action internationale une compétence à part entière des collectivités territoriales et leur permettent de conclure des conventions de partenariat avec des autorités locales étrangères : l’article 9 le précise de nouveau.

La loi Oudin-Santini de 2005 a autorisé les collectivités à consacrer jusqu’à 1 % des recettes de leurs services d’eau et d’assainissement à des actions de solidarité internationale dans ce même secteur. Soulignons d’ailleurs que cet effort est souvent accompagné par nos agences de l’eau.

Le texte qui nous est proposé, à l’article 9, tend à étendre ces dispositions aux collectivités compétentes en matière de collecte et de traitement des déchets ménagers. Il y aura là aussi, il y a déjà un accompagnement de l’AFD dans ce domaine.

Enfin, la Commission nationale de la coopération décentralisée, nouvellement créée, poursuivra le travail de coordination et renforcera la concertation en examinant les propositions des collectivités territoriales.

Ce texte prend donc en compte les souhaits de la commission du Parlement européen que le dialogue s’étende aux partenaires, avec la participation la plus large possible de la société civile et des autorités locales, pour répondre aux Objectifs du millénaire.

Le tout s’appuie sur une meilleure gouvernance, inscrite dans un processus de décentralisation. J’aurais pu dire à mon collègue Jean-Marie Tetart qu’il y a longtemps que l’aide publique, notamment par l’intermédiaire du Fonds européen de développement, aide beaucoup de pays, en Afrique en particulier. Quand on améliore l’état civil, et ainsi le système démocratique en contribuant à l’établissement de listes électorales, on aide. De même, dans le forum Africités, depuis plus de dix ans, la plupart des débats portent sur la décentralisation. Nous sommes bien dans le processus que nous souhaitons.

Enfin, l’article 9 précise que des campagnes d’information seront mises en place par l’éducation nationale et par les collectivités, afin de sensibiliser l’ensemble de la population, dès le plus jeune âge, à l’action extérieure des collectivités territoriales.

Nous le voyons, madame la secrétaire d’État : la coopération française est riche d’englober un nombre important d’acteurs entre lesquels, grâce aux dispositions contenues dans ce texte, des passerelles pourront être établies en France certes, mais aussi et surtout, dans les pays partenaires, renforçant ainsi l’ensemble de leurs capacités et favorisant une meilleure efficacité et une meilleure cohérence, comme nous le souhaitions. Assurément, nous approuvons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Annick Girardin, secrétaire d’État. Je tiens à remercier tous et chacun d’entre vous pour vos propos.

Monsieur le rapporteur, cher ami, je vous remercie pour le travail conséquent que vous avez accompli et pour le rôle que vous avez joué dans la préparation de cette CMP car votre implication a permis d’améliorer encore le texte dans le cadre d’un consensus avec les sénateurs.

Mme la présidente de la commission des affaires étrangères, chère Élisabeth, j’ai bien noté votre interpellation : nous veillerons tous ensemble à la bonne implication des partenaires sociaux dans la mise en place de l’expérimentation. Il importe en effet que tous les acteurs aient leur place, vous avez raison, et nous les associerons au travail à venir. Même si cela prendra un peu de temps, je crois que tout se passera le mieux possible.

Je remercie M. Tetart, de même que l’ensemble du groupe UMP, pour leur soutien à ce projet de loi, signe important en faveur de la solidarité internationale. Notre présent rassemblement autour de cette question me paraît essentiel.

À l’origine, la taxe sur les transactions financières ne servait pas à financer le développement mais, depuis 2012, une part peut y être affectée, ce dont il faut se réjouir.

Sur la contribution des entreprises, nous avons beaucoup fait évoluer le texte. Parallèlement à cette reconnaissance accrue du rôle de ces dernières en matière de développement, il convient de souligner la responsabilité qui est la leur : elles doivent changer et intervenir dans le domaine de la solidarité et du progrès social partout où nous agissons.

Oui, M. Tetart a raison : le gouvernement Valls a aussi choisi d’accompagner les entreprises comme en témoigne la récapitulation, sous l’égide du ministère des affaires étrangères, de la politique de développement et de solidarité, du commerce international, du tourisme, de la francophonie et des questions liées aux Français de l’étranger. Nous disposons ainsi de tous les moyens permettant de mener une véritable politique du développement cohérente, c’est le mot qui s’impose. La vision du Gouvernement répond ainsi aux nécessités de notre temps.

Madame Pompili, nous travaillons à la question de la responsabilité sociale des entreprises, dont les enjeux sont forts. Vous savez que cette maison, plus précisément, travaille à la rédaction d’une proposition de loi. Nous suivons ce travail, nous y serons associés, tout comme d’ailleurs le groupe auquel vous appartenez. Je tiens à vous dire, y compris au nom de mon prédécesseur, Pascal Canfin, combien le travail a été collectif et concerté. Je vous remercie de votre soutien.

Monsieur Rochebloine, cher ami, je ne vous comprends pas ! Je pensais que l’UDI s’associerait à notre unanimité dans le domaine de la solidarité et du développement !

M. François Rochebloine. Notre abstention est positive et vise à vous encourager !

Mme Annick Girardin, secrétaire d’État. J’ai bien entendu vos critiques, mais nous avançons – certes, peut-être d’une façon trop modérée, dites-vous, mais nous avançons ! Il n’est d’ailleurs pas trop tard pour nous rejoindre et pour que nous fassions preuve d’unanimité, cher ami, puisque nous n’avons pas encore voté cette première loi de développement et de solidarité.

Monsieur le député Paul Giacobbi, cher Paul, je vous remercie pour vos réflexions. Je sais combien vous alertez le Gouvernement et le Parlement et nous invitez à prendre du recul sur toutes les questions liées au développement. Nous nous sommes montrés attentifs aux inégalités et à la croissance de certains pays qui évoluent de manière très différente mais, aussi, à la question des pays émergents – je sais combien vous êtes impliqués à ce propos et combien vous suivez les évolutions du développement, notamment, en Inde.

Il importe de nous rappeler que nous devons également apprendre de nos partenaires. Tel est d’ailleurs le sens, aussi, de cette loi : la France a des partenaires dans le domaine du développement et nos actions visent à parvenir à un système « gagnant-gagnant ». Le respect et la transparence sont de rigueur, nous avons tous à apprendre les uns des autres sur ces questions et nous ne devons pas nous en priver, vous avez entièrement raison.

Je remercie M. Asensi de son soutien. Comme je peux le constater lors de mes déplacements, l’Agence française de développement, l’AFD, est un acteur pivot dont tout le monde se félicite de l’action, de l’expertise, du soutien technique, au-delà des prêts ou des dons qui ne répondent pas aux mêmes besoins, qui n’ont pas le même sens ou qui n’accompagnent pas les mêmes projets. Il convient de garder ces deux modes d’intervention. L’AFD est un vrai vecteur d’influence et accomplit un excellent travail.

J’arrive juste de l’Île Maurice, dont le Premier ministre a souligné combien l’AFD avait été un élément pivot durant ces dernières années, notamment, pour l’orientation de sa politique énergétique et de développement durable.

Monsieur Marsac, je vous remercie de votre soutien et de votre suivi attentif de ce texte. Nous continuerons d’ailleurs à travailler ensemble. Vous veillerez à ce que l’application de ce projet soit conforme à l’orientation que vous souhaitez, de même que le Gouvernement. Vous avez parlé de « co-construction », terme qui résume fort bien la situation : c’est ensemble que, au-delà de cette loi, nous parviendrons à mettre en œuvre notre politique de développement en faveur des plus défavorisés.

Enfin, monsieur Bleunven, vous avez souligné le rôle de l’agriculture familiale. Croyez bien que j’y suis attentive et qu’il s’agit là d’une priorité que nous partageons, notamment, au G20. Vous avez raison de le souligner : il faut absolument que nous continuions dans cette voie.

Merci à tous pour ce travail, merci aux équipes qui ont œuvré sur ce texte, merci à cette maison qui nous a accueillis !

Un dernier petit message pour l’UDI : un dernier petit geste serait bienvenu ! (Sourires. - Applaudissements sur tous les bancs.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

2

Activités privées de protection des navires

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires (n1960).

La parole est à M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous voici réunis pour l’ultime étape de l’examen du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires.

La commission mixte paritaire, qui s’est tenue le 21 mai dernier à l’Assemblée nationale, est parvenue à adopter un texte commun. C’est une bonne nouvelle ! Nous pouvons donc espérer une promulgation de la loi avant la fin du mois de juin si, comme je l’espère, l’opposition ne défère pas ce texte au Conseil constitutionnel – compte tenu de la logique des votes unanimes, je pense que ce ne sera pas le cas. Nous donnerons alors satisfaction à toute la filière maritime française, qui attend ce grand moment.

Mon rôle, ici, est de vous rendre compte des travaux de la CMP. Je les résumerai rapidement en distinguant nos échanges sur le fond de nos discussions sur la forme.

Sur le fond, j’ai la joie de vous indiquer que les sénateurs et les députés ont partagé la même ambition : voter le projet de loi dans les mêmes conditions pour répondre aux besoins économiques de la filière maritime. Le texte n’a finalement été amélioré que sur trois points.

A l’article 3, nous avons souhaité que la contribution des entreprises privées de protection des navires au financement du Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, ne soit pas limitée aux seules sociétés françaises, ce qui est logique.

À l’article 21, nous avons prévu un renvoi général au code pénal pour l’application des dispositions relatives à la légitime défense afin de ne pas introduire d’ambiguïté sur le rôle du capitaine du navire dans la décision d’ouvrir le feu – un doute s’était en effet installé suite à nos diverses discussions mais cette clarification et cette simplification vont dans le bon sens.

Enfin, nous avons apporté une précision rédactionnelle à l’article 34 bis relatif au contrôle des douanes.

Ces modifications ont été adoptées par la CMP sans opposition. Elles concourent à la réalisation de nos objectifs depuis l’origine de ce texte : une application simple, rapide, qui ne soit pas tributaire de multiples décrets, qui mette les armateurs français à égalité avec les concurrents européens. Il en va de même pour les sociétés de gardes privées qui verront le jour sur le sol français.

J’en viens maintenant à la discussion de forme, qui a fait apparaître une petite divergence avec le Sénat sur la question de la codification. Nous avons trouvé une solution intelligente en acceptant de reporter une partie de cette dernière dans le code de sécurité intérieure – ce fut simplement un épisode de plus dans la guerre parlementaire. Je pense que nous sommes parvenus à un équilibre.

Maintenant, monsieur le ministre, la balle est dans votre camp. À l’issue de la CMP, ce texte est mûr. Il ne reste plus qu’à promulguer les décrets d’application au plus vite pour que nous puissions répondre à une attente majeure et qui demeure d’actualité contre le développement de la piraterie – vous savez ce qui s’est récemment passé dans le détroit de Malacca.

Lors de nos débats, nous nous sommes référés à plusieurs reprises au film Pirates des Caraïbes. Ceux qui souhaitent avoir une vision un peu plus sérieuse de la piraterie dont les navires de commerce font l’objet peuvent aussi regarder un film avec Tom Hanks, Hollywood s’étant emparé de ce problème pour bien montré les réalités de ce fléau.

Je terminerai mon intervention par une pensée pour les marins qui, aujourd’hui, sont encore retenus en otages, en attente de rançons et du dénouement d’une situation grave pour les familles et les entreprises. J’espère donc que cette loi contribuera à mettre fin à ces drames et donnera une perspective à la flotte française.  (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le Secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi visant à autoriser et à encadrer le recours à des entreprises privées de protection à bord d’un navire français dans les zones les plus exposées à la piraterie arrive ainsi au terme de son examen parlementaire. Nous ne pouvons que nous en réjouir et saluer la qualité des travaux qui nous ont occupés ces derniers mois.

Nous avons œuvré ensemble, avec une volonté commune – celle que vous venez encore d’exprimer à l’instant, monsieur le rapporteur – qui est d’assurer la sécurité de nos navires et de renforcer la compétitivité du pavillon français ainsi que du transport maritime.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Ce projet de loi était, je vous le rappelle, un des engagements forts pris par le Gouvernement après le comité interministériel de la mer.

Je tiens à souligner les apports importants du débat parlementaire sur le contenu de la loi. Tout d’abord, le processus de sélection des agents des entreprises de protection, gage de qualité et de fiabilité du dispositif, a été précisé, avec la mise en place d’une autorisation provisoire d’un an. Cette autorisation ne sera prolongée que si l’agent n’a rencontré, au cours de cette première année, aucune difficulté opérationnelle ou relationnelle avec les équipages. C’est là un point essentiel, qui garantit la solidité du dispositif.

Les tâches respectives du capitaine et de l’armateur, qui avaient fait débat, ont elles aussi été clarifiées, de sorte que le capitaine puisse se concentrer sur les vérifications liées à l’embarquement et au débarquement de l’équipe et de son matériel. La notion de chef de l’équipe de protection a été introduite, afin que le capitaine ait un interlocuteur désigné et responsable, avec une répartition très claire des responsabilités de chacun.

Ces améliorations, nous les devons au débat parlementaire, particulièrement au sein de cette assemblée. Il faut dire que votre rapport, monsieur Leroy, avait déjà proposé un certain nombre d’orientations, que nous avons reprises. Les débats ont également permis de confirmer que le recours à la force n’est permis que dans le cadre de la légitime défense. Il s’agit là d’un point très important, qui différencie cette activité de celle des forces armées ou de police, et bien entendu de toute forme de mercenariat. Nous avons pu démontrer, avec de nombreuses dispositions de ce texte, que les éventuelles suspicions en la matière pouvaient être très facilement et définitivement écartées.

Des dispositions ont par ailleurs été introduites, à l’initiative de M. le rapporteur, concernant la gestion de pirates éventuellement capturés lors d’une attaque, dans le souci de garantir le respect des droits de l’homme, auquel notre pays est attaché, et que la France se fait un devoir de défendre partout où elle est présente.

Après un débat qui a permis d’éclairer la question du nombre minimum d’agents à bord, débat né d’une proposition de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le texte prévoit aujourd’hui un minimum de trois agents. Il s’agit là, me semble-t-il, d’une disposition équilibrée et efficace ; ce qui nous importait, c’était le caractère opérationnel du dispositif, et le débat a été intéressant à cet égard. Un drame récent a malheureusement montré qu’en dessous de ce seuil de trois agents, c’est toute la sécurité des agents et de l’équipage qui pouvait être remise en cause. Je rappelle qu’il s’agit là d’un nombre minimum, qui peut être dépassé.

Le Parlement a par ailleurs insisté sur la nécessaire réactivité du dispositif, tant les attentes sont vives, notamment en ce qui concerne la définition des zones où l’exercice de cette activité est autorisé. Je remercie l’ensemble des parlementaires pour le travail qu’ils ont mené, tout particulièrement Mme et MM. les rapporteurs, et j’espère que l’adoption de ce texte sera aussi large que lors des séances précédentes. Lors de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire au Sénat, j’ai présenté deux amendements de forme : l’un de cohérence, l’autre visant à corriger une référence erronée, due à une erreur de plume. Après le vote de la loi, il sera nécessaire de prendre des dispositions réglementaires. Le Parlement insiste à juste titre, et je m’y étais engagé lors des débats parlementaires, pour que les décrets d’application soient adoptés rapidement.

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’attellera à la rédaction de ces textes le plus rapidement possible. Il faut que le dispositif soit rapidement mis en œuvre, puisqu’il y va de la sécurité de nos équipages et de nos intérêts économiques. Le Parlement a d’ailleurs précisé ce qui devait relever du décret en Conseil d’État et ce qui pouvait être édicté par des normes réglementaires de niveau inférieur, afin de faciliter l’adoption des mesures les plus techniques.

Je dois également saluer la concertation qui a caractérisé l’élaboration de ce texte : elle a été engagée avec les entreprises françaises et les armateurs dès le mois de janvier, avec une série de réunions visant à préparer le texte. La prochaine réunion, qui aura lieu demain, permettra de tirer les conséquences du vote de ce jour, mais également des modifications apportées par le débat parlementaire. L’objectif est de saisir le Conseil d’État au début de l’été, en vue de la parution du décret en Conseil d’État à la rentrée, et de permettre dans la foulée la signature des décrets simples, relatifs au nombre d’armes, aux modalités de gestion des embarquements et débarquements, aux navires non éligibles, ainsi que des arrêtés, relatifs au contenu précis de la formation et à la tenue des registres.

En parallèle se tiennent les réunions concernant le référentiel de formation des agents, élément extrêmement important pour la qualité du dispositif. Ce travail devrait être terminé à la fin de l’été.

Je veux également souligner la participation active des armateurs et des entreprises françaises susceptibles d’exercer cette activité ou de dispenser les formations – le débat relatif aux conditions de formation des agents fut riche. Je tiens à saluer tous les ministères concernés, car ce sujet est par essence interministériel. Nous avons accompli un travail très complet avec tous mes collègues, ce qui montre que l’ensemble du Gouvernement est engagé sur cette question. Le sujet nous a tous mobilisés, parce que des réponses étaient attendues : elles seront bientôt effectives et contribueront à la compétitivité du pavillon français.

Afin que le dispositif soit pleinement opérationnel, il est également nécessaire que les entreprises soient en mesure de demander les autorisations et de présenter des agents répondant aux différentes conditions de moralité et de compétence : elles doivent donc se préparer à l’opposabilité de ces différentes règles. Les armateurs, pour leur part, doivent faire évoluer leurs procédures internes et l’information des capitaines. Les entreprises de protection des navires doivent s’engager dans une certification et former leurs agents. Le travail, vous le voyez, est de taille, et il importe de donner des règles et des orientations suffisamment précises pour que les entreprises puissent anticiper l’adoption de ce texte et la publication des décrets d’application.

Nous avons associé les entreprises françaises au travail de préparation des textes et elles disposent donc de toutes ces informations. Si je précise cela, c’est parce que je sais combien les parlementaires tiennent à ce que le texte soit rapidement effectif. Il est important de voter des textes, mais il est plus important encore de les appliquer…

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …et peut-être même d’anticiper leur mise en œuvre, lorsque les attentes sont très fortes et les enjeux aussi importants.

Je tiens à nouveau à vous remercier pour la qualité de votre travail. Nous avons su, me semble-t-il, nous écarter de certaines images stigmatisantes pour cette activité, qui en exagéraient les risques et faisaient craindre une dérive du système. Nous nous sommes montrés responsables, et il est heureux que la représentation nationale, au-delà de ses divergences…

M. Martial Saddier. Sur tous les bancs !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. J’allais le dire, monsieur Saddier, car je ne manque jamais, lorsque l’opposition se joint à nous sur des textes importants, de le souligner. Il ne s’agit pas là, en effet, d’un engagement partisan, mais d’un engagement pour la France. Il s’agit de fixer des règles de sécurité, qui doivent assurer la protection de nos navires et de leurs équipages, mais aussi la compétitivité et le dynamisme de notre pavillon français, auquel nous sommes si attachés – et ce n’est pas Paul Giacobbi qui dira le contraire.

M. Paul Giacobbi. En effet, monsieur le secrétaire d’État !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Mesdames et messieurs les députés, par le dispositif mis en place, par l’information complète qui l’accompagne et par les dispositions de qualité qui ont été adoptées et qui ne souffrent aucune ambiguïté, nous allons répondre, comme l’ont voulu les Premiers ministres successifs Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, aux difficultés que rencontrent les hommes de la mer. Cette avancée, qui doit être soulignée, nous la devons à votre travail, mené en confiance et en responsabilité, ainsi qu’aux échanges, ô combien fructueux, entre le Gouvernement et le Parlement. Désormais, les équipages qui embarqueront sur les navires portant pavillon français seront mieux protégés.

J’adresse une nouvelle fois mes remerciements à M. le rapporteur et à l’ensemble des parlementaires qui ont contribué à ce débat et qui l’ont enrichi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, UDI et UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce projet de loi est évidemment indispensable, puisque les échanges commerciaux de marchandises, au plan international, se font essentiellement par voie maritime. L’une des routes maritimes principales, celle qui relie l’Asie à l’Europe, passe par des zones minées par la piraterie – je pense en particulier aux rivages de la Somalie, et plus particulièrement à l’entité autonome du Puntland. Dans cette seule zone – et je ne parle pas du golfe de Guinée – ce sont 1 900 personnes qui ont été prises en otage par des pirates depuis 2008.

Il existe trois moyens de lutter contre la piraterie. Le premier, c’est la police en mer dans les zones à risques, qui est assurée en coopération par les grandes nations maritimes – et notre marine nationale y contribue. Le deuxième, c’est la coopération juridique, menée sur le plan international envers les pays côtiers où la piraterie sévit. S’agissant de la piraterie en Somalie, les Nations unies ont d’ailleurs fondé leur action sur un excellent rapport rédigé en 2010 et approuvé à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies. Ce remarquable rapport émanait d’un excellent professeur de droit international public spécialisé dans le droit maritime et qui est bien connu de cette assemblée, puisqu’il s’agit de notre ancien collègue et ami Jack Lang. Le troisième moyen de lutter contre la piraterie, c’est d’organiser la protection à bord des navires eux-mêmes. L’État, en France en tout cas, met déjà à disposition des navires de notre pavillon des personnels militaires de la marine nationale, mais la marine nationale ne peut répondre à toutes les demandes. Il est donc indispensable d’autoriser, mais aussi d’encadrer, l’activité privée de protection des navires.

C’est l’objet même de ce projet de loi, qui est donc parfaitement bienvenu. L’excellent rapport de notre collègue Arnaud Leroy, expert maritime reconnu et dont j’ai pu apprécier personnellement – sur un autre sujet maritime que M. le secrétaire d’État connaît bien puisque, malheureusement, il nous préoccupe tous deux – la compétence et la détermination.

Le droit de la mer m’a toujours personnellement fasciné. Peut-être est-ce une rémanence de mes origines insulaires. Il est fondé sur la libre circulation des navires de toutes les nations. Cela nous paraît aller de soi aujourd’hui, mais ça n’est pas toujours allé de soi. Les Britanniques voulaient imposer, au XVIIsiècle, un monopole de transport des marchandises à destination de leur pays, de leurs ports en faveur de leurs navires nationaux. Les Hollandais s’y sont opposés. C’est un Hollandais célèbre et remarquable, Huit de Groot, ou Grotius, avocat mais également théologien, qui a développé la théorie de la liberté des mers. C’est l’objet d’un livre admirable, Mare Liberum. Il a, en fait, créé le droit maritime des mers et, d’ailleurs, le droit international tout court.

Aujourd’hui, les violations de la liberté des mers par les nations ont été réduites. Il n’y en a plus beaucoup d’exemples, et la liberté des mers s’impose. Restent parfois des zones où, pour des raisons pratiques, il y a quelques entraves, mais enfin, globalement, les États respectent la liberté des mers. Ce qui pose problème, ce sont les zones côtières où le trafic est rendu dangereux, lorsque vous avez à la fois un trafic immense, vital pour l’humanité, et une zone politiquement instable et très pauvre, où la piraterie s’est développée.

Je saisis cette occasion – le secrétaire d’État aurait été déçu que je ne le fasse pas – pour rappeler que, s’il n’est pas question, dans mon esprit, d’assimiler toute entrave à la liberté de circulation en mer à la piraterie, il appartient à l’État d’assumer et d’assurer cette liberté de circulation et d’accès aux ports. J’ai donc d’ailleurs saisi le Premier ministre récemment pour lui rappeler cette obligation et son corollaire : si l’État décide – il peut le faire, au nom de l’ordre public dont il a la charge – de ne pas garantir ponctuellement cette circulation, il sera financièrement responsable de toute entrave qu’il aura tolérée. Cela vaut donc même si la tolérance de cette entrave pourrait se justifier pour des raisons d’ordre public. Le secrétaire d’État connaît ma détermination ancienne et renouvelée en ce domaine.

S’agissant de la piraterie, il va de soi que le groupe RRDP soutient totalement et approuve ce projet de loi. Il tient à remercier le secrétaire d’État et ses services, le rapporteur et tous les parlementaires qui y ont contribué.

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de nos débats sur le projet de loi, les députés du groupe GDR, du Front de gauche, ont été amenés à poser un certain nombre de questions. Au terme de notre discussion, je dois avouer que peu de réponses nous ont été fournies.

La piraterie maritime constitue, à l’évidence, une menace, qui s’est accrue, sur le commerce international et la sécurité des approvisionnements. L’enjeu est d’autant plus important que 90 % du transport des marchandises au niveau mondial s’effectuent par voie maritime.

Néanmoins, le recours à des entreprises privées armées constitue-t-il la réponse adaptée ? Ne pose-t-il pas plus de problèmes qu’il n’en résout ? Parmi les nombreuses interrogations, qui en découlent, figurent celles qui touchent au recrutement de ces personnels, aux critères qui y président, à la validation professionnelle au regard de la formation et du parcours du postulant. Qui, en effet, va former ces agents, qui devront bien connaître et maîtriser la vie et l’activité maritimes ? D’un point de vue pratique, qui décide, à bord, de faire usage des armes ? Quelle est la responsabilité du capitaine du navire et, d’ailleurs, en a-t-il encore une en la matière ? Si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’il existe plusieurs instances de décisions à bord. En outre, nous le savons par expérience, la constitution de ces entreprises privées ouvre la porte aux risques de marchandisation de leurs activités avec toutes les dérives qui peuvent les accompagner, notamment le recrutement de mercenaires sans foi ni loi.

Parmi les difficultés juridiques figure en bonne place la question de la légitime défense. L’intervention armée relève du droit régalien des États dans le respect du droit international, et des agents privés ne peuvent faire usage de leurs armes qu’en cas de légitime défense. Or ces personnels auront à faire face à des actes de piraterie qui consistent notamment à prendre un navire d’assaut, actes qui relèvent, par leur forme, d’actes de guerre. Ils seront donc amenés à organiser une riposte à la hauteur de l’attaque, comme ont mission d’y procéder des militaires. Nous sommes loin des évaluations de la légitime défense, mais bien dans une logique d’affrontement militaire.

Or, à cette ambiguïté juridique, s’en ajoute une autre, qui relève du droit international. La convention des Nations unies, sur le droit de la mer, prévoit que la haute mer est affectée à des fins pacifiques. Les activités militaires ne sont donc autorisées que si elles sont conformes aux principes du droit international prévus dans la Charte des Nations unies, comme les opérations militaires de l’OTAN et de l’Union européenne pour lesquelles l’exercice de la force a été autorisé par le Conseil de sécurité. Dans une résolution du 2 juin 2008, ce dernier a considéré que les sociétés militaires privées n’avaient pas la compétence pour exercer des activités militaires en haute mer. Elle autorise uniquement les États à utiliser la force pour réprimer des actes de piraterie et les vols à main armée en mer.

Cela a d’ores et déjà eu des conséquences concrètes. Au mois d’octobre 2013, dix marins et vingt-cinq gardes privés travaillant pour une société de l’Ohio ont été arrêtés en Inde alors qu’ils convoyaient un navire de protection anti-piraterie pour le compte d’une société militaire privée américaine. Ils ont été accusés de possession illégale d’armes. Par conséquent, l’agrément de gardes privés au niveau national, sur lequel nous légiférons, ne préjuge en rien le statut de leur présence et de leur utilisation dans les eaux internationales ou dans les eaux territoriales d’autres pays, au regard du droit international.

De même, la législation nationale sur les armes de l’État côtier s’applique dans ses eaux territoriales et lui permet donc d’engager des poursuites pour non-respect de sa législation. Des États interdisent ainsi explicitement l’utilisation de gardes armés dans leurs eaux territoriales, considérant cela comme une violation de leur souveraineté.

Les actes de piraterie se concentrent sur des espaces limités et identifiés, en général, à proximité de passages étroits, dans l’Océan Indien, en particulier dans le golfe d’Aden, qui constitue le passage obligé vers le canal de Suez, par lequel transite 15 % du pétrole mondial et la totalité des échanges par conteneurs entre l’Europe et la Chine. Le Bassin somalien, le Golfe de Guinée, l’Indonésie, les détroits de Singapour et le Bangladesh sont d’autres endroits à risques. Des initiatives ont été prises au niveau international et européen pour sécuriser ces espaces et la France y a pris sa part.

La question du renforcement de ces dispositions doit être posée, par une coopération multilatérale, afin de les rendre plus efficaces. Nous constatons que, là où elles ont été appliquées, les actes de piraterie reculent. À l’inverse, la piraterie s’accroît là où rien n’a encore été entrepris. Je crois davantage à ce déploiement de la coopération qu’à la création de ces gardes armés privés, dont nous voyons toutes les difficultés matérielles et juridiques, auxquelles elle nous expose et les risques de dérives, vers lesquelles elles peuvent nous entraîner.

M. le président. La parole est à M. Christophe Bouillon.

M. Christophe Bouillon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Arnaud Leroy n’est pas simplement un fin connaisseur des enjeux maritimes, c’est aussi, il l’a démontré dans son propos, un cinéphile averti. En 2012 sortait sur les écrans de cinéma un film danois intitulé Hijacking. Son histoire est celle de marins danois pris en otage par des pirates somaliens. La force du film réside dans son réalisme, dans le rendu cru de situations de tension extrême. La peur se lit sur les visages, s’entend dans le son des voix contraintes, se ressent lorsque le héros, chef cuisinier, hésite entre deux actions à faire. Le film passe également beaucoup de temps à relater les négociations qui ont lieu, depuis Copenhague, siège de la compagnie affréteuse. On y voit le PDG de cette entreprise tiraillé entre les directives de son conseil d’administration et ses convictions personnelles, son attachement authentique à son équipage. L’intérêt des marins, le sort de leurs familles, revient finalement toujours, tout au long du film, se heurter aux intérêts économiques.

C’est malheureusement la situation actuelle telle que nous la vivons : dans certains endroits du globe, la piraterie est devenue une source de revenus comme une autre. Cette criminalité, car il s’agit bien de criminalité, pèse sur les hommes, à bord des bateaux, bien sûr, et j’y reviendrai, à terre aussi. N’oublions pas, en effet, les dégâts causés par cette criminalité sur les populations locales. Le développement de la violence liée à la piraterie, les trafics en tous genres qu’elle engendre, minent les économies locales déjà bien fragiles. En enlevant à leurs familles des jeunes hommes partis chercher fortune en mer, elle prive les pays concernés d’une jeunesse qui pourrait contribuer au développement local.

La seconde facette de la piraterie, c’est le danger qu’elle fait peser sur les hommes. Lorsque l’on s’embarque sur un navire, ce n’est pas pour se battre. Ce n’est pas le rôle du marin que d’être un soldat, ni celui du capitaine que d’être un chef de troupe. Pourtant, sur certaines mers, c’est ce qui peut attendre les marins. La pire des solutions serait bien évidemment de ne rien faire, ou de considérer que les opérations de maintien de l’ordre internationales comme Atalante seraient suffisantes. Demander aux marins de s’armer pour se défendre eux-mêmes, serait contre-productif. On ne s’improvise pas militaire. On apprend à un marin à manœuvrer un bateau, pas une arme. Cette solution armée ouvrirait la voie aux bavures et aux accidents. De même, l’ouverture de ce marché aux sociétés privées sans réglementation préalable serait périlleuse.

Nous devons en effet bien comprendre que cette activité de sécurité n’est pas une activité comme les autres. Elle met en jeu des intérêts humains et économiques particuliers. Elle intervient dans un cadre lui-même particulier, celui de la mer, qui possède ses propres contraintes. Longtemps, cela a déjà été dit, la piraterie était restée cantonnée à certaines régions du globe. Il était alors plus facile, en quelque sorte, d’y échapper, en modifiant, par exemple, les routes maritimes, en prenant des précautions supplémentaires à l’approche de certaines zones, mais la mondialisation de la piraterie, née de divers facteurs, a rendu ses précautions insuffisantes. Le nombre d’attaques a lui-même été multiplié par dix entre la fin des années quatre-vingt-dix et la fin de l’année 2007, qui fut celle d’un bien triste record, avec plus de 2 400 attaques recensées.

Face à ces constats, la question de légiférer ne se pose donc plus. De nombreux pays ont d’ores et déjà franchi ce pas. La plupart des États de l’Union européenne ont autorisé la mise en place d’entreprises de protection privée à bord des navires. La France restait, jusqu’à présent, un des seuls grands pays de tradition maritime à ne pas autoriser cette présence à bord ; saluons donc, une nouvelle fois, l’initiative prise par Arnaud Leroy. Pour le pavillon français, cette indisponibilité représentait véritablement un désavantage. Ce risque supplémentaire imposé aux hommes mais aussi aux cargaisons, rendait le pavillon français moins compétitif, alors même qu’il pouvait se targuer d’une formation particulièrement excellente de ses équipages.

La question économique joue un rôle dans l’ouverture des activités privées de sécurité à bord des navires, cela a été maintes fois répété lors de nos discussions, tant en commission que dans l’hémicycle. On chiffre en effet entre 7 et 9 milliards d’euros l’impact de la piraterie sur le commerce mondial qui emprunte, toujours, à 80 %, la voie maritime. Ce coût ne mesure toutefois pas le coût humain, qui dépasse, bien évidemment, tous les enjeux économiques.

Les opérations militaires, je le disais, ont leur utilité. Personne, aujourd’hui, ne songerait à les remettre en cause. Elles permettent de sécuriser des zones au moyen de technologies de pointe. L’usage de celles-ci est indispensable, nécessaire à la gestion globale de l’espace maritime. Elles ne sauraient toutefois permettre de protéger, à elles seules, la circulation de l’ensemble des navires. Là aussi, les chiffres mesurent le niveau d’intervention et la nécessité, pour couvrir les déplacements des navires, d’avoir cette alternative que nous proposons aujourd’hui.

Cette mission ne pouvait donc être dévolue qu’à des professionnels de la sécurité. Nous possédons déjà une certaine expérience des activités privées de sécurité, avec par exemple le convoyage de fonds. Si des améliorations sont toujours possibles, ce modèle a clairement établi sa pertinence. Il a montré qu’une activité régulée peut être source de sécurité, qu’elle peut protéger à la fois les hommes et l’activité économique.

La possibilité de recourir aux gardes armés sur les navires sera encadrée : c’est nécessaire. Il ne s’agit pas, en effet, d’un marché comme un autre. Des garanties doivent être posées d’emblée : contrôle du casier judiciaire, limitation à certaines zones maritimes et à certains types de navires, interdiction de la sous-traitance, suivi strict des armes embarquées, détention d’une carte professionnelle d’agent de protection, usage de la force en cas de légitime défense uniquement. Tels sont les garde-fous mis en place pour encadrer ce marché pas comme les autres – j’insiste sur ce point, car cela me semble nécessaire ; du reste, nos débats l’ont montré. Ainsi, nous mettons en place un dispositif suffisamment encadré, dont nos navires pourront bénéficier dans un bref délai – sur ce dernier point, la volonté du législateur est claire, et s’est exprimée à de nombreuses reprises au cours de nos débats.

Des interprétations différentes se sont fait jour dans la discussion parlementaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est tout l’intérêt de la navette parlementaire. Il ne faut pas rejeter cette pluralité des points de vue, ni la regarder comme une difficulté ; au contraire, il faut la saluer et la considérer comme bénéfique pour nos travaux. Les rapporteurs du texte dans les deux chambres ont accompli un travail remarquable, qui a permis de nourrir nos discussions. Ils ont aussi permis d’apporter, par voie d’amendement, les corrections nécessaires au projet de loi.

Leur dialogue permanent a permis d’assurer une parfaite rédaction de ce texte. La codification était un enjeu pour le Sénat, notamment pour le sénateur Alain Richard, qui a été entendu sur ce point, notamment en commission mixte paritaire. La mise à contribution des entreprises européennes pour le financement du Conseil national des activités privées de sécurité était un enjeu pour notre rapporteur : cette avancée a également été réalisée. Nous voyons là une évolution positive entérinée grâce aux discussions qui ont eu lieu tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.

Cet enrichissement mutuel des deux assemblées – mais également de l’ensemble des groupes politiques – a permis, je le crois, de déboucher sur un texte équilibré qui protégera d’abord nos marins. J’insiste sur ce point : il s’agit de protéger d’abord nos marins, puis le pavillon français et notre économie. Ce texte témoigne d’une vision globale des réponses à apporter au problème de la piraterie. L’expérience que nous avons acquise dans ce domaine, notamment par l’intervention des forces publiques, nous a permis d’éprouver certaines solutions.

Nous savons, par exemple, que pour résorber le phénomène de la piraterie, il faut emprunter les chemins de la solidarité internationale – le groupe écologiste l’a rappelé lors de la discussion générale au Sénat. Je le disais au début de mon intervention : il faut considérer que la piraterie est d’abord une difficulté pour les populations locales qui se voient privées de ressources humaines, de jeunes, qui pourraient contribuer au développement local. Nous savons également que le droit international mérite d’être harmonisé : le groupe Communiste, républicain et citoyen au Sénat l’a souligné, et cela a été rappelé il y a quelques instants. Ces éléments esquissent des réponses aux enjeux liés à la piraterie, réponses auxquelles cette loi contribue largement.

Ces difficultés sont connues : elles ne sont pas insurmontables, à condition de construire, en permanence, un droit maritime fort. Notre collègue Arnaud Leroy a montré, dans son rapport, en quoi les enjeux maritimes sont essentiels pour notre pays, et constituent un levier formidable en termes économiques, à condition que nous soyons très actifs sur la question du pavillon français. Je sais, M. le secrétaire d’État, que vous agissez pour faire jouer ce levier dans le combat économique que nous menons.

C’est à ce chantier que nous nous sommes attelés ces dernières semaines. La majorité comme l’opposition ont mené un travail constructif de l’opposition.

M. Martial Saddier. Merci !

M. Christophe Bouillon. Il faut rappeler que l’ensemble des groupes ont contribué à ce texte, qui a été bien accueilli sur l’ensemble des bancs de cet hémicycle. Il faut à présent travailler pour qu’il entre en vigueur le plus rapidement possible. S’il fallait ne retenir qu’un seul message des propos tenus par M. le rapporteur et l’ensemble des intervenants, ce serait celui-ci : allons vite ! Les propos que vous avez tenus tout à l’heure, M. le secrétaire d’État, nous ont largement rassurés : nous sommes à présent certains de votre volonté – et de celle du Gouvernement – de prendre très rapidement, après l’adoption de ce texte, les dispositions qui permettront de le rendre applicable.

Nous avons là un texte excellent qui résulte d’un travail législatif constructif et d’une volonté très forte du Gouvernement. À partir du moment où l’ensemble de ces éléments sont réunis, nous ne sommes plus dans le domaine de la fiction, du cinéma, mais dans le domaine de la réalité, de la volonté politique : dans le travail qui a été réalisé, c’est cela que nous saluons.

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Monsieur le secrétaire d’État, cela faisait longtemps ! (Sourires.)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Quelques heures à peine !

M. Martial Saddier. Au nom du groupe UMP, je vous remercie pour les propos que vous avez tenus à l’endroit de la représentation nationale, majorité et opposition confondues. Cet hémicycle est par définition le lieu du débat, pour la République et pour le peuple.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Martial Saddier. Nous démontrons que lorsque l’intérêt supérieur de la Nation et de nos concitoyens est en jeu, nous savons aussi nous unir. Je vous remercie donc pour vos propos.

Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, commencé il y a près de deux mois dans notre assemblée au sein de la commission des lois, puis au sein de la commission de la défense, saisie pour avis, et enfin au sein de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie au fond, l’examen du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires arrive aujourd’hui à son terme.

Ce texte, attendu depuis de nombreuses années par les armateurs, a été considérablement amélioré, dans un premier temps, par nos travaux en commission du développement durable et en séance publique, puis, dans un second temps, par la navette parlementaire et le travail du Sénat, avec le concours actif de M. le secrétaire d’État et du Gouvernement. Vous avez annoncé que le volet réglementaire suivra l’adoption de ce texte dans des délais très brefs : j’y suis très sensible : ces mesures réglementaires sont très attendues par les familles des marins et les professionnels du secteur.

Je salue une nouvelle fois le travail et l’implication de notre rapporteur, Arnaud Leroy, dont les amendements ont permis de lever de nombreuses ambiguïtés et de répondre aux interrogations suscitées par le projet de loi initial. Merci, monsieur le rapporteur, et félicitations pour votre engagement. Je vous remercie également pour votre écoute. Vous avez su prendre en compte les observations que nous avons formulées les uns et les autres – et plus particulièrement mes collègues du groupe UMP – tout au long de nos débats. Nos débats ont eu lieu dans un climat propice à un travail parlementaire efficace et de qualité.

Mes collègues du groupe UMP et moi-même sommes particulièrement satisfaits des modifications apportées au projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires. Nous nous sommes montrés, dès le début de son examen, largement favorables à son adoption et à sa mise en œuvre dans les meilleurs délais. J’en veux pour preuve l’adoption à l’unanimité de ce projet de loi en commission du développement durable, puis notre vote favorable en séance publique.

En effet, mes chers collègues, il est urgent d’agir. Plus de 200 attaques ont été recensées en 2013, toutes zones géographiques confondues ; plus spécialement, les actes de piraterie n’ont cessé de se multiplier dans le golfe d’Aden, au large des côtes somaliennes et dans l’océan Indien, faisant peser un danger constant sur les équipages à bord des navires. La violence de certaines prises d’otages a également suscité un vif émoi au sein de l’opinion publique, des familles, des entreprises, et des armateurs.

Nous avons tous conscience, quelle que soit notre place sur les bancs de cet hémicycle, que le fret maritime est un secteur primordial pour le transport de marchandises ; il représente entre 90 % et 95 % du transport mondial. Notre marine marchande et ses 12 500 navigants français contribuent fortement à la valorisation et à la représentation de la France dans le monde. De ce fait, les armateurs et les professionnels ont rapidement fait part de leur souhait de disposer d’outils susceptibles d’assurer efficacement leur protection. Seul le recours à des forces de sécurité privées est aujourd’hui capable de répondre à cette demande, car ni les agents du GIGN ni notre armée ne peuvent être présents sur l’ensemble des navires traversant les zones de piraterie potentielle.

Grâce à ce projet de loi, nous pouvons répondre aux attentes fortes des armateurs tout en préservant l’attractivité et la compétitivité du pavillon français, et en limitant corrélativement les risques de dépavillonnement face à la concurrence étrangère.

Tout d’abord, alors que la définition par décret des zones à l’intérieur desquelles les activités de protection pourront s’exercer avait suscité de nombreuses interrogations, un amendement du rapporteur a proposé la réunion d’un comité composé de représentants des armateurs, de la marine nationale, du ministère chargé des transports et du ministère des affaires étrangères, afin de redéfinir de façon réactive l’opportunité d’une redéfinition de ces zones. Par la suite, cette proposition a été entérinée au Sénat. Ensemble, nous avons fait en sorte que ce comité puisse se réunir dans un délai très bref.

Autre dispositif maintenu lors de l’examen au Sénat, et dont l’Assemblée avait eu l’initiative : l’encadrement de l’activité des entreprises concernées. Le nombre minimum d’agents embarqués à bord du navire exerçant une activité de protection privée sera dorénavant fixé conjointement par l’armateur, les assureurs, et l’entreprise privée de protection, et non plus par décret. Les conditions d’exercice de l’activité privée de protection des navires apportent également pleinement satisfaction, avec l’obtention d’une autorisation d’exercice, puis d’une certification, et enfin la délivrance obligatoire d’une carte professionnelle.

L’examen en commission mixte paritaire du projet de loi a aussi apporté de grandes améliorations. À ce titre, nous pouvons noter tout particulièrement l’élargissement du cadre de la légitime et du recours à la force par les agents de la protection privée, ce qui a pour conséquence de lever le flou potentiel qui planait sur l’article 21 et de sécuriser leur travail.

Enfin, la contribution des entreprises privées de protection des navires au financement du Conseil national des activités privées de sécurité n’est plus limitée aux seules entreprises françaises. Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, nous voterons à nouveau en faveur de ce projet de loi, comme nous l’avons fait en commission, puis en CMP. Ce texte est très attendu par les armateurs ; il leur apportera – n’en doutons pas – les outils nécessaires pour assurer leur protection.

Comme je l’ai dit en introduction, il est bon, dans une époque aussi mouvementée que la nôtre, que les Françaises et les Français, que la République tout entière sache que, sur des sujets aussi importants que celui-ci, le Parlement peut être uni.

Permettez-moi de terminer sur un clin d’œil : c’est un symbole aussi qu’un député montagnard, élu d’une circonscription qui compte parmi les plus hautes de France, où se trouvent Chamonix et Valmorel, soit capable de monter à la tribune de cet hémicycle…

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Et de belle manière !

M. Martial Saddier. …pour défendre l’intérêt de la mer. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, permettez-moi de dire à notre collègue Martial Saddier, qu’il est un véritable centriste ! (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires, texte annoncé lors du Comité interministériel de la mer le 2 décembre 2013, et très attendu par tous les armateurs.

Même si son intitulé ne le dit pas explicitement, c’est bien de la lutte contre la piraterie maritime qu’il est question ; une piraterie maritime de plus en plus violente, qui connaît un renouveau inquiétant depuis le début des années 1990. En effet, entre 1993 et 2003, le nombre d’attaques de pirates a triplé dans le monde.

Selon le Bureau international maritime, l’année 2011 a même été une année record pour les attaques de pirates, notamment en Somalie. Cependant, nous ne pouvons que nous féliciter de voir que le nombre d’actes de piraterie constatés en 2013 est en baisse de 12 % par rapport à 2012 – deux cent soixante-quatre incidents restent tout de même à déplorer l’an passé.

Ces chiffres doivent donc nous alerter sur l’importance d’assurer une véritable protection à nos navires, régulièrement confrontés au risque d’attaques de pirates en mer. Il n’est plus possible, aujourd’hui, de considérer la piraterie maritime comme un simple phénomène ponctuel qui n’aurait pas de réelle incidence sur le trafic maritime.

Malheureusement, force est de constater que la piraterie maritime reste un fléau encore mal connu, insuffisamment pris en compte dans les débats publics et trop souvent sous-estimé, alors qu’elle représente une menace réelle pour la sécurité maritime.

Certes, il est difficile de concevoir qu’à des milliers de kilomètres de chez nous, des navires se fassent attaquer par des pirates qui n’hésitent plus à utiliser un armement lourd, à les dépouiller mais aussi à prendre en otage des membres de l’équipage. Nous sommes donc bien loin du folklore des livres et des films dans lesquels les pirates sont tour à tour caricaturés en personnages un peu simplets ou en héroïques aventuriers.

En effet, nous avons désormais tous en tête les récentes attaques qui ont pu faire la Une des médias, alertant pour la première fois l’opinion publique sur les dangers de certaines zones maritimes, comme en a fait état le rapporteur.

Je pense notamment à l’attaque très médiatisée du voilier breton Tanit, en avril 2009. Les trois pirates, jugés pour avoir pris en otage l’équipage au large de la Somalie, ont été condamnés en octobre 2013 à neuf ans de réclusion criminelle. Cette prise d’otage sanglante s’était soldée par la mort dramatique du skipper Florent Lemaçon.

Au cours de leur procès, ces trois pirates se sont présentés comme étant « affamés », « dans la difficulté », et n’ayant pas trouvé d’autres solutions pour survivre que celle de commettre des actes de piraterie.

Loin de nous l’idée de justifier des actes aussi violents, mais il me semble tout de même important de rappeler que la piraterie maritime est l’une des conséquences modernes de la pauvreté et du sous-développement de certains pays.

Alors que le fret maritime assure 95 % du transport mondial de marchandises, la piraterie est devenue une menace terrible pour le commerce maritime et la sécurité des approvisionnements.

En effet, au-delà des dramatiques pertes humaines, la criminalité maritime représente aussi un coût économique non négligeable, affectant le commerce international. Entre les dépenses de carburant, celles de sécurité, les frais d’assurance ou encore les primes de risque versées aux équipages, les surcoûts liés à la piraterie pour les armateurs sont évalués entre 7 et 12 milliards de dollars chaque année.

D’un côté, de nombreux États ne sont plus capables de gérer la sécurité de leurs eaux face à des mafias parfaitement organisées, très bien équipées et qui n’hésitent plus à recourir à la violence ; de l’autre, les navires ne sont absolument en mesure de se défendre seuls et se laissent rapidement rattraper par des pirates prêts à tout.

Autoriser les activités privées de protection des navires est donc devenu une absolue nécessité pour la France, qui pourrait ainsi renforcer la compétitivité du pavillon français et du transport maritime, qui souffre aujourd’hui d’une concurrence étrangère toujours plus rude.

Notre pays avait déjà pris conscience de l’importance de trouver des solutions concrètes pour lutter contre le développement des actes de piraterie en permettant, en 2008, aux navires battant pavillon français d’embarquer des équipes de protection composées de fusiliers marins.

Malgré un tel dispositif, la France est aujourd’hui en mesure de ne répondre qu’à environ 70 % de la trentaine de demandes de protection reçues chaque année, n’ayant pas les moyens de mettre des fusiliers marins ou des agents du GIGN à la disposition de tous les navires, ni d’organiser des convois dans toutes les zones.

Face à ce constat, il était donc nécessaire de recourir à des forces de sécurité privées. De nombreux pays en Europe, comme les Pays-Bas, l’Italie ou bien encore la Grande-Bretagne, ont déjà autorisé le recours à des sociétés privées de protection. Nous devons rattraper notre retard en la matière et permettre aux entreprises privées de protection des navires de venir compléter les missions de la marine nationale.

Grâce à ce projet de loi, nous pourrons désormais empêcher les armateurs de « dépavillonner » et permettre l’usage de gardes armés, dont la présence est autorisée par une dizaine de pays de l’Union européenne.

De plus, il ne faut pas se leurrer, certains bateaux battant pavillon français utilisent déjà des équipes de sociétés privées, et ce en toute illégalité. Il est donc urgent d’établir un cadre législatif clair afin d’éviter de tristes débordements.

Au cours de nos débats, le groupe UDI avait justement émis quelques craintes quant aux conditions dans lesquelles les agents de ces entreprises privées pourraient faire usage de la force. Il nous semble aujourd’hui que le recours à celle-ci est suffisamment encadré par ce projet de loi, puisqu’il n’est possible qu’en cas de légitime défense. Les conditions d’armement devront également être surveillées.

Même si le contrat commercial est signé entre l’entreprise de protection et l’armateur, l’État conserve un rôle de régulateur indispensable. Il s’assure notamment de l’aptitude de ces entreprises à exercer une telle activité, ce qui nous paraît une très bonne chose.

Le travail parlementaire, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, a su faire évoluer ce texte dans le bon sens, en le renforçant et en le rendant applicable plus rapidement.

Par ailleurs, le renforcement des prérogatives du comité qui formule des recommandations au Premier ministre pour redéfinir ces zones, au regard de révolution des menaces, va également dans le bon sens. Dans un souci d’efficacité, le groupe UDI approuve la mesure, votée en séance à l’Assemblée nationale, permettant au comité de se réunir dans les quinze jours suivant la demande d’un de ses membres.

Le groupe UDI réaffirme donc son soutien à ce texte. Nous le voterons, considérant qu’il est absolument fondamental pour la sécurité maritime et que la mer est au cœur des enjeux géostratégiques de notre siècle. Aussi, il est de notre devoir d’assurer la sécurité du trafic maritime. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisi.

La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n1.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Il s’agit d’un simple amendement de cohérence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur de la commission mixte paritaire. Avis favorable.

(L’amendement n1 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n2.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Cet amendement vise à corriger une erreur de référence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n2 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.

(L’ensemble du projet de loi est adopté. Applaudissements sur tous les bancs.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à douze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Réforme ferroviaire

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant réforme ferroviaire (nos 1468, 1990, 1965).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement n134 à l’article 2.

Article 2 (suite)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n134.

M. Joël Giraud. Cet amendement propose de compléter l’alinéa 11 relatif aux lignes à faible trafic. Je souhaiterais que soit précisé que cette possibilité inclue la circulation des trains touristiques. En effet, il est fort difficile de faire circuler des trains touristiques sur un certain nombre de lignes à faible trafic, voire à trafic nul.

J’ai conscience que cet amendement n’est ni bien rédigé ni placé au bon endroit. Nous devons toutefois trouver une solution. En effet, des référentiels de Réseau ferré de France vont forcément s’améliorer grâce à la nouvelle gouvernance. Or ils interdisent, de fait, la circulation de ces trains, lesquels sont importants pour l’économie touristique d’un certain nombre de territoires.

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, pour donner l’avis de la commission.

M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Avis défavorable. Cette possibilité d’inclure les trains touristiques est prévue en d’autres endroits du texte. Je me suis laissé dire que le Gouvernement allait prochainement présenter un amendement portant sur les lignes à voie métrique dans les régions. Cela inclut cette opportunité.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Même avis. J’adresserai un message à M. Giraud qui vient de présenter cet amendement d’interpellation. Nous sommes convenus avec Mme Fleur Pellerin, en charge du tourisme, d’examiner très précisément l’état des lignes ferroviaires touristiques. L’enjeu est essentiel alors que la France souhaite faire du tourisme une priorité.

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Je retire mon amendement, compte tenu des propos très positifs du secrétaire d’État et du rapporteur.

(L’amendement n134 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n261.

M. André Chassaigne. Cet article 2 s’inscrit dans un cadre financier, puisqu’il consacre la mise en œuvre des conséquences du refus que la dette de 40 milliards et plus se transforme en dette d’État, ladite dette demeurant, de ce fait, à la charge de la SNCF. Ce choix imposé à ceux qui ont rédigé ce texte de loi se traduit concrètement par l’édiction de la règle de retour à l’équilibre financier. Dans la logique de ce que je défends depuis le début de nos débats, mon amendement tend donc à supprimer les conséquences de ce choix.

J’aimerais appeler votre attention sur trois points. Premièrement, le retour à l’équilibre financier aura des conséquences pour les usagers en termes de qualité de service et de prix des billets. Les personnes qui perçoivent de modestes revenus empruntent de moins en moins le TGV, tant les coûts ont augmenté. Une telle règle aggravera la situation.

Deuxièmement, cela signifiera pour les cheminots la recherche de productivité, la suppression d’emplois, donc des conditions de travail dégradées, ce qui se répercutera sur leur quotidien et, bien évidemment, sur la qualité du service.

Troisièmement, il suffit de se rendre dans nos territoires pour constater la situation de notre réseau ferré. Il est indispensable de procéder à sa régénération et de créer des lignes nouvelles qui ne sont d’ailleurs pas forcément des lignes à grande vitesse, comme le propose la Commission « Mobilité 21 ». Les choix opérés dans le cadre de ce projet de loi représentent, là aussi, un poids, une contrainte, un carcan pour les investissements.

Cela me conduit donc à demander la suppression de la mise en œuvre de la règle de retour à l’équilibre financier.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Avis défavorable. On ne peut pas supprimer l’alinéa 12, lequel prévoit un rapport qui doit être transmis, grâce à l’alinéa 13, au Parlement.

M. André Chassaigne. Je m’aperçois que j’ai défendu en fait mon amendement suivant !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n261 ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Je vous remercie pour votre souci d’anticipation, monsieur Chassaigne ! (Sourires.)

S’agissant de l’amendement 261, je suis du même avis que le rapporteur.

(L’amendement n261 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n53.

M. Joël Giraud. L’exposé des motifs de ce projet de loi parle clairement d’un « contrat de performance » entre l’État et SNCF Réseau. Je propose donc que le terme « contrat de performance » soit mentionné dans la première phrase de l’alinéa 12 et que l’on ne s’en tienne pas au seul mot de « contrat ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Avis défavorable. « Contrat de performance » est le terme juridique européen. Nous pensons, pour notre part, qu’il s’agit, là, d’un contrat d’objectifs qui doit aller au-delà des performances et traiter de l’état des réseaux et de la programmation des travaux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Je demanderai à M. le député de bien vouloir retirer son amendement.

M. le président. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Giraud ?

M. Joël Giraud. Je le retire, même si je suis un fédéraliste européen convaincu !

(L’amendement n53 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n52.

M. Joël Giraud. Il me semblerait intelligent d’apporter une précision juridique, donc de qualifier la nature du contrat et de mentionner qu’il s’agit d’un contrat administratif. Ainsi, l’ordre de juridiction compétent en cas de litige sera clairement établi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gilles Savary, rapporteur. La commission a jugé que cette mention était inutile, ce qui n’ôte pas, bien au contraire, la qualité de contrat administratif à ce contrat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Je demanderai à son auteur de bien vouloir retirer cet amendement dans la mesure où il n’y a pas de doute sur la qualification du contrat.

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Certains professeurs de droit avaient des doutes, mais je retire tout de même cet amendement.

(L’amendement n52 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement de précision, n72, présenté par M. Gilles Savary.

(L’amendement n72, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. M. Gilles Savary a présenté un amendement rédactionnel, n74.

(L’amendement n74, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary pour soutenir l’amendement n75.

M. Gilles Savary, rapporteur. Par cet amendement, je suggère que le seul contrat conclu entre l’État et SNCF Réseau, contrat qui sera intégré dans le contrat-cadre comme nous l’avons décidé hier, soit soumis à l’avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires qui surveille SNCF Réseau. Le rapport d’activité établi à partir du contrat signé entre l’État et SNCF Réseau et l’avis de l’ARAF devront être remis au Parlement. Je propose, en conséquence, de supprimer l’alinéa 32.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Cela va dans le sens de ce que nous demandons depuis le début de l’examen de ce texte en commission, à savoir le renforcement du rôle de l’ARAF.

(L’amendement n75 est adopté et l’amendement n7 tombe.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n262.

M. André Chassaigne. Défendu !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Avis défavorable. Je m’inscris en faux contre ce que vous avez mentionné dans l’exposé sommaire de votre amendement, monsieur Chassaigne. Il ne s’agit pas de conduire une politique d’austérité, mais de protéger un système financier ferroviaire qui ne l’a pas été suffisamment au cours des dernières années et qui sombre justement faute de l’avoir été.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Même avis que M. le rapporteur. Nous mettons en effet en place un certain nombre de dispositifs, monsieur Chassaigne – nous les détaillerons dans de prochains amendements. Cela permettra de connaître le coût total du réseau et de poser un certain nombre de garde-fous pour éviter que ne perdure la situation malheureuse à laquelle vous faites référence et qui prouve combien il est nécessaire que nous prenions des mesures afin de protéger le système ferroviaire.

(L’amendement n262 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 316 et 150, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Barbara Pompili, pour soutenir l’amendement n316.

Mme Barbara Pompili. Les écologistes sont naturellement favorables à la mise en place de règles strictes relatives aux investissements de développement du réseau pour permettre de maîtriser l’endettement du système ferroviaire. Ils considèrent toutefois que l’application de cette règle d’or aux investissements de maintien en état du réseau va à l’encontre de leur volonté commune de donner la priorité au réseau existant.

Cet amendement propose, en conséquence, de limiter cette règle d’or aux projets de développement du réseau et aux lignes nouvelles afin que les budgets alloués au développement du réseau relevant de choix politiques n’amputent pas le budget dédié au financement du réseau existant qui s’appuie essentiellement sur les redevances d’infrastructure. Pour nous, la priorité doit être donnée à la maintenance et à la rénovation des lignes existantes afin d’offrir un haut niveau de service aux usagers.

Si règle d’or il doit y avoir, elle doit s’appliquer aux projets pharaoniques et sans utilité réelle, tels que la nouvelle ligne Lyon-Turin qui coûte 14 milliards, alors qu’il existe déjà une ligne,…

M. Bertrand Pancher. Excellent !

Mme Barbara Pompili. …ou au développement du réseau comme le développement simultané de quatre lignes LGV, ce qui plombe littéralement les comptes de RFF et, demain, de notre groupe public ferroviaire.

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n150.

M. Joël Giraud. Je ferai la même remarque que ma collègue du groupe écologiste. Je préfère la régénération et la maintenance du réseau de la ligne des Alpes à un certain nombre de projets pharaoniques !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Je suis défavorable non pas tant aux arguments développés, mais parce que je ne souhaite pas qu’il y ait deux vitesses de financement. J’ai, de plus, déposé un amendement n162, lequel a été longuement travaillé avec le Gouvernement, après, comme vous vous en souvenez, que notre commission lui a imposé une règle prudentielle et de précaution s’agissant du financement du futur réseau.

Les amendements nos 316 et 150 sont trop partiels, considérant la règle prudentielle dont nous allons prochainement débattre. Je pense donc que nos collègues trouveraient un intérêt à voter l’amendement n162, deuxième rectification en l’occurrence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Lorsqu’il sera appelé, je dirai tout le bien que je pense de cet amendement n162, deuxième rectification, le Gouvernement ayant « imposé » à la commission de bien le rédiger pour éviter des conséquences non souhaitables pour l’ensemble du réseau. Il me paraît répondre aux préoccupations des auteurs de ces deux amendements tout en apportant des précisions.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour un rappel au règlement.

M. Christian Jacob. Mon rappel au règlement, fondé sur l’article 58, a pour objet le bon déroulement de nos séances.

Hier, monsieur le secrétaire d’État, vous aviez répondu à M. Saddier que vous lui feriez parvenir une copie de la lettre de M. Kallas, expliquant tout au long des débats que vous aviez pris un certain nombre d’assurances auprès de la Commission. J’aimerais que vous nous éclairiez sur un point à propos de l’EPIC de tête.

M. Rémi Pauvros. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Christian Jacob. Si, parce que cela éclaire nos débats.

Pour M. Kallas, il est très important que la composition du conseil d’administration de cet EPIC ne permette pas à l’opérateur SNCF Mobilités d’exercer une influence directe ou indirecte.

M. le président. Monsieur Jacob, ce n’est pas vraiment un rappel au règlement, vous en conviendrez.

M. Christian Jacob. Je finis simplement par une phrase cette citation.

M. le président. Finissez votre phrase et nous poursuivrons ensuite nos débats. Ce n’est pas un rappel au règlement que vous faites, vous le savez très bien.

M. Christian Jacob. Merci de votre grande clémence, monsieur le président.

À cet effet, poursuit M. Kallas, il conviendrait de veiller à ce que les membres du conseil d’administration de SNCF Réseau n’exercent pas d’autres fonctions au sein des autres entités du groupe en charge des activités de transport.

Vous avez prétendu exactement le contraire hier, monsieur le secrétaire d’État. Avouez que cela bouleverse totalement les choses.

M. Rémi Pauvros. Ce n’était pas un rappel au règlement !

M. le président. Je vous rappelle, monsieur Jacob, qu’un rappel au règlement correspond à des règles bien particulières que vous ne pouvez ignorer.

Article 2 (suite)

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Je voulais tout simplement souligner le très vif intérêt que nous portons aux travaux de notre rapporteur et à sa suggestion d’introduire une règle d’or pour les investissements futurs de la branche ferroviaire française – je le dis d’autant plus aisément que, parlementaire de l’opposition, je pourrais porter en permanence des regards critiques sur tout.

Si ce type de règle avait été mise en place précédemment, il n’y aurait peut-être pas eu autant de dérives. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne nous opposerons pas à ce texte sachant qu’il pourra encore être amélioré lors des débats d’aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je voulais quant à moi apporter mon soutien à l’amendement n316 du groupe écologiste et à l’amendement n150 du groupe radical, qui sont les mêmes à un ou deux mots près, dont l’intérêt est de bien affirmer la ferme volonté de pérenniser un réseau ferré national de qualité.

Nous constatons sur nos territoires que le réseau se dégrade et qu’il est impossible financièrement d’en assurer la régénération. Les premiers chiffres qui sont arrivés dans les conseils régionaux pour préparer les prochains contrats de Plan montrent que les sommes dévolues au ferroviaire sont extrêmement limitées. Pour prendre un exemple que je connais bien, la part de l’État pour les travaux de régénération serait de 50 millions d’euros dans la région Auvergne, c’est-à-dire rien du tout.

Ce texte doit marquer l’exigence de maintenir un réseau ferré national de qualité. En fait, si M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État s’opposent à ces amendements, c’est tout simplement parce que, derrière l’alinéa 22, il y a l’alinéa 23, qui définit le carcan budgétaire. Pour qu’il n’y ait pas une augmentation mécanique de la dette, il faut prendre en charge les frais financiers sur le fonctionnement de la SNCF, l’alinéa 23 faisant référence à la rémunération et à l’amortissement des investissements.

Ce choix de faire porter par la SNCF la totalité de la dette, avec l’ambition non pas de la rembourser – on réglera cela plus tard –, mais de faire en sorte qu’elle n’augmente pas, aura forcément des conséquences sur le maintien en l’état du réseau national et la possibilité d’avoir des infrastructures de qualité.

Il serait donc intéressant de retenir l’un de ces deux amendements, peu importe lequel. Ce serait vraiment un signe fort de notre assemblée.

(Les amendements nos 316 et 150, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n161.

M. Gilles Savary, rapporteur. C’est un amendement de sémantique, mais il n’est pas neutre. Pour définir le coût complet, nous préférons parler de charges de toute nature supportées par SNCF Réseau plutôt que de dépenses de toute nature.

(L’amendement n161, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement n211 tombe.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n214.

M. Joël Giraud. Cet amendement propose que les entreprises ferroviaires n’aient pas à subir en termes financiers les inefficacités dont le gestionnaire d’infrastructures est le seul responsable alors qu’elles ont déjà vocation à en couvrir les coûts.

(L’amendement n214, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n263.

M. André Chassaigne. Réformer le système ferroviaire et permettre au gestionnaire de réseau de régénérer et de moderniser le réseau suppose d’allouer les moyens financiers suffisants. Force est de constater que le présent projet de loi a pour ambition de stabiliser la dette sans pour autant la traiter ni créer les conditions de sa défaisance. De plus, aucune ressource nouvelle n’est proposée.

Actuellement, Réseau ferré de France ne peut engager des dépenses qu’à hauteur des recettes qu’il perçoit. Ce type de règle d’or n’a pas empêché qu’il y ait une dette abyssale de 40 milliards d’euros, qui se creuse chaque année de 1,5 milliard.

L’austérité obligatoire, dommageable au programme d’investissement, n’est que la conséquence d’une absence de solutions pour traiter la dette d’une part, et d’une absence de financement, d’autre part.

Sur la question des investissements, l’école polytechnique de Lausanne, dont on parle souvent, a indiqué dans son rapport que les investissements massifs n’avaient pas permis de stopper le vieillissement du réseau et n’avaient fait que le ralentir. Les investissements futurs de Réseau ferré de France, déclinés dans son grand plan de modernisation, doivent contribuer à stopper le vieillissement du réseau.

Avec un encadrement financier strict, qui apparaît notamment dans les alinéas dont je demande la suppression, comment répondre au souhait du Gouvernement d’accorder la priorité à la rénovation du réseau existant ? Vous affichez très fermement une très forte exigence de rénover le réseau existant, monsieur le secrétaire d’État, et, dans le même temps, le texte met en place un carcan qui ne permettra pas de répondre à cet affichage vertueux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Je vais moi-même proposer par l’amendement n162 deuxième rectification la suppression des alinéas 25 à 28, bien que ce ne soit pas pour les mêmes motifs.

M. Chassaigne ne veut aucune contrainte financière, c’est-à-dire que l’on continue à alimenter une dette sans fin.

M. André Chassaigne. Je veux de nouvelles recettes !

M. Gilles Savary, rapporteur. Moi, je fais en sorte de préserver le système ferroviaire de la dette. Je croyais que c’était le combat de M. Chassaigne et des gens que nous avions entendus dans la rue mais, visiblement, cela ne l’est plus.

Nous n’avons pas les mêmes motifs, mais l’effet sera le même. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à l’amendement n263.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. L’occasion m’est donnée de préciser la volonté du Gouvernement – qui est dénaturée par vos propos, monsieur Chassaigne –, car il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté.

Vous avez mis à mon crédit le fait de vouloir prioritairement entretenir le réseau existant. Lorsque le Premier ministre et le Président de la République m’ont confié cette mission, j’ai commencé par tirer toutes les conséquences du rapport réactualisé de l’École polytechnique de Lausanne, selon lequel le réseau était en train de se dégrader et qu’il était urgent d’agir. Quelques jours après que ce rapport a été rendu public, il y a eu ce drame affreux de Brétigny, dont ce sera dans quelques jours la date anniversaire.

Les contrats de Plan État-région dont vous avez parlé sont en pleine discussion concernant notamment le volet mobilités. Je salue d’ailleurs la contribution du Parlement et de Jean-Paul Chanteguet sur le devenir de la fiscalité permettant d’assurer le financement des infrastructures de transport. Nous aurons à trancher sur ces questions, et nous avions hier le témoignage du président de l’AFITF s’agissant des contraintes financières.

Pour autant, ce n’est pas la seule source de financement du renouvellement de l’existant – je ne parle pas de l’investissement. J’avais en effet demandé à l’époque au président de RFF de lancer un grand plan de modernisation du réseau de 2,5 milliards. Jamais il n’y avait eu une telle volonté de mettre la priorité sur la remise à niveau du réseau. La volonté politique affichée et répétée du Gouvernement, vous devez le reconnaître, est donc bien d’y parvenir.

S’agissant plus précisément de votre amendement, je souscris totalement à l’analyse du rapporteur, qu’il complétera avec son amendement qui suit : le ferroviaire ne peut pas aller à vau-l’eau, faute de traiter les problèmes structurels de financement. Notre parti pris est d’abord de le stabiliser. Pour autant, ne réduisez pas notre action à la simple satisfaction d’une stabilisation à terme de l’évolution de la dette, il n’en est rien. Mais si nous devons évidemment chercher des modes de financement alternatifs complémentaires, nous devons d’abord régler ce problème.

L’on fait souvent référence au modèle allemand : c’est précisément ce qu’ils ont fait ! Lorsqu’ils ont constaté les difficultés du système, ils ont d’abord mis de l’ordre, ce que nous proposons de faire.

Nous souhaitons mutualiser, unifier, optimiser, afin de stabiliser quelque chose qui est incompréhensible et dénoncé : plus de 1,5 milliard – et si nous intégrons les lignes LGV près de 3 milliards – de charges de dette supplémentaires automatiquement chaque année, sans même avoir engagé le début du commencement de travaux de rénovation et de modernisation.

Nous ne pouvons accepter l’idée d’un trou sans fond. Il faut considérer les réformes structurelles nécessaires pour avoir un système ferroviaire qui réponde aux enjeux de l’efficacité financière. Par ailleurs, un certain nombre de pistes ont été présentées, notamment par Olivier Faure, sur la gestion à terme de la dette.

N’ayez pas, monsieur Chassaigne, une vision restrictive de la volonté gouvernementale sur cet enjeu du ferroviaire. Mon propos me permet de compléter le vôtre, en éclairant la volonté ferme du Gouvernement sur cette question.

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Le débat est intéressant, mais il doit paraître surréaliste aux usagers qui nous écoutent ainsi qu’aux acteurs du chemin de fer, notamment les cheminots. Une partie de la majorité dit qu’elle ne veut pas de contraintes tant que les moyens ne sont pas là. Ce n’est pas illogique, mais ce n’est pas ainsi que nous comblerons le gouffre financier du système ferroviaire. Une autre partie de la majorité, la majorité de la majorité, dit qu’il faut cadrer le système. Pour cela, il faut des moyens. Or il y a zéro moyens, et aucun investissement ne sera réalisé dans les prochaines années si l’on ne remet pas en place tout ce qui devait l’être au titre de la taxe poids lourds, à savoir la totalité de cette taxe. Sinon, c’est jouer au poker menteur.

Les contrats de plan État-régions comportent zéro moyens sur l’aspect territorial. Interrogez le président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France : il n’y a rien ! Ce qui a été engagé en 2014 sera disponible pour 2015 si l’on débloque la taxe poids lourds, et comme ce ne sera pas le cas, car on se trouve, je le répète, dans une partie de poker menteur, cela aboutira au plus petit dénominateur commun ; le président Chanteguet, qui a écrit un rapport, le sait sans doute. Et je ne parle pas du troisième appel à projets de transports en site propre : pour les collectivités qui veulent engager des appels d’offres, c’est zéro, elles repasseront un autre jour ! Je ne vois pas comment le train pourra sortir du tunnel dans de bonnes conditions.

La question des moyens financiers est fondamentale. Par pitié, sortons par le haut ! La taxe poids lourds est le minimum minimorum. Cela rassurera peut-être les syndicalistes de bon sens, notamment de la CGT que j’ai rencontrés il n’y a pas longtemps et qui ne disent pas que des sottises, en particulier quand ils affirment qu’il faut des moyens et de la lisibilité. S’il vous plaît, parlons vrai !

M. Gilles Savary, rapporteur pour avis. Ça va venir !

M. Martial Saddier. Appelez Mme Royal !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je vais donc parler vrai, en évitant deux écueils. Le premier, c’est le réflexe de Pavlov qui me ferait réagir très violemment aux propos de M. le rapporteur ; le second serait de foncer tête première sur la muleta rouge que l’on agite, comme vient de le faire M. Pancher quand il a dit que je faisais partie de la majorité gouvernementale. Avec les électeurs du Front de gauche, j’ai certes participé à l’élection du Président de la République, mais il y a une nuance.

Chacun ici est tout à fait conscient que sa dette de 40 milliards plombe la SNCF. Cette dette, il faudrait, non par inconséquence mais pour la crédibilité même de notre projet ferroviaire, la sortir de la SNCF et la faire porter soit par l’État,…

M. Martial Saddier. Eh oui ! C’est du Saddier, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. …ne serait-ce que pour partie, car tout le monde est d’accord sur le fait qu’une part de cette dette est considérée comme une dette maastrichtienne – une part évaluée, je crois, à 10,8 milliards –, et ce serait possible si certains verrous sautaient ; soit, comme des amendements le proposeront, par une caisse de défaisance dotée de recettes propres.

Quels que soient les propos tenus à des fins de communication, la réalité est là : tant que l’on n’aura pas réglé cette question, on n’arrivera pas à maintenir notre activité ferroviaire, que ce soit en termes de maintien ou de développement des infrastructures, à un niveau correct. M. le secrétaire d’État a d’ailleurs répondu par anticipation à cette question, en évoquant une réflexion en cours, et M. le rapporteur a la même approche. Ce n’est pas par inconséquence que je fais cette proposition mais pour que ce débat soit posé, car il doit l’être.

(L’amendement n263 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur, pour soutenir l’amendement n162, deuxième rectification.

M. Gilles Savary, rapporteur. Je prendrai un peu de temps pour le présenter car nous sommes au cœur de l’apport parlementaire à cette loi – nous avons pu bénéficier de la compréhension ministérielle, qui nous a permis d’aboutir à cette nouvelle rédaction des alinéas 25 à 28 après un vote en commission.

Je suis bien d’accord avec André Chassaigne que le problème de la reprise de la dette devra être traité. D’ailleurs, 10,8 milliards de cette dette ont été requalifiés maastrichtiens par Eurostat, ce qui signifie qu’il s’agit pour Bruxelles d’une dette non gagée par des recettes futures, donc d’une dette d’État intégrale. La question de savoir où la loger est désormais ouverte. Je suis, comme M. Chassaigne, de ceux qui pensent qu’il ne faudra pas qu’elle pèse éternellement sur le système ferroviaire. Il ne s’agit pas de refiler des patates chaudes aux uns ou aux autres, et le système ferroviaire n’a pas vocation à être une société de cantonnement de la dette d’État.

Cette affaire sera traitée tout à l’heure par Olivier Faure, qui donnera rendez-vous au Gouvernement, à l’occasion d’un amendement qu’il n’a pu présenter en commission des finances.

Nous ne disons pas seulement qu’il faudra traiter la dette : nous ne voulons plus retricoter une dette sur le dos du système ferroviaire, comme cela s’est pratiqué au cours des dernières années. Il faut donc qu’un principe de responsabilité soit posé dans le choix des investissements. Jusqu’à présent, le Gouvernement décidait des investissements pharaoniques, faisant injonction à RFF de les réaliser, y compris au prix de prévisions de trafic faussées et du refus de tout projet alternatif. Nous avons en France des projets de lignes à huit milliards et on refuse d’étudier des alternatives qui permettraient de gagner cinq ou six minutes sur un même trajet. Tel a été le fonctionnement du système jusqu’à présent : des projets politiques, distribués à l’encan, partout, totalement figés, sous forme d’injonctions à RFF dont une grande part de la dette provient de ces projets. C’est cela que nous voulons prévenir aujourd’hui.

À cette fin, l’amendement 162, deuxième rectification, s’inspire de ce qu’ont fait les Allemands pour protéger leur système ferroviaire d’un nouvel effondrement. Car supprimer la dette d’aujourd’hui pour créer une dette demain n’est pas la solution. Il faut en finir avec cette maladie qui ronge le système ferroviaire français.

Le principe de cet amendement, dont j’ai déjà dit qu’il répondait largement aux préoccupations de M. Giraud et de Mme Pompili, est que deux types de travaux doivent être réalisés sur le réseau : d’un côté, les travaux de maintenance du réseau ferré national, qui doivent être assurés par SNCF Réseau – le contrat entre l’État, la SNCF et SNCF Réseau déterminera tous les trois ans les types de travaux à accomplir –, et, de l’autre, les investissements de développement du réseau, les lignes nouvelles. Sur ces dernières, interviendra un calcul dont le principe est le suivant : on n’exigera pas de financements de SNCF Réseau qui seraient insusceptibles de lui être remboursés, c’est-à-dire qui seraient à des niveaux tels que l’établissement ne pourrait, par l’exploitation de ses infrastructures, retrouver, sur la longue durée, dix ans – c’est prévu dans le texte –, ce qu’elle a investi. Dans ce cas, ce seraient ceux qui ont décidé ces investissements qui en assumeraient le financement : il s’agirait donc de crédit de l’État ou des régions. Il ne s’agit pas de sevrer de crédits le système ferroviaire mais de faire en sorte que ceux qui veulent développer des projets les financent.

Voilà, chers collègues, la règle qui vous est proposée, avec une précaution supplémentaire : éviter que les éventuelles patates chaudes de projets au coût trop élevé soient refilées aux péages d’infrastructures et finissent par tuer le train.

Je suis très fier que nos collègues aient adopté en commission cet amendement, qui est aujourd’hui rédigé de façon beaucoup plus claire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Je prendrai à mon tour un peu de temps pour présenter la position du Gouvernement, après l’exposé très complet de Gilles Savary. C’est dommage que M. Chassaigne ne soit plus parmi nous ; je pourrai toutefois lui redire en aparté la position du Gouvernement.

M. Martial Saddier. Il est effrayé, il est parti en courant !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Cet amendement, auquel je donnerai un avis favorable, exprime une volonté commune de la commission et du Gouvernement. Oui, il est important de clarifier le financement. La situation financière du ferroviaire a été grevée par les comportements décrits à l’instant par M. le rapporteur. Oui, il est important, par ailleurs, de distinguer, dans le droit fil de la réponse que nous avons donnée à M. Chassaigne, ce qui relève d’une part du renouvellement et d’autre part du développement du réseau.

Cette distinction est très importante. Nous avons eu hier une discussion nourrie concernant la place des régions au sein des structures de la SNCF et de SNCF Réseau. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, l’inconséquence de l’État faisant supporter au système ferroviaire le coût des investissements – et ils ont été nombreux : par exemple, quatre lignes LGV concomitamment lancées –, mais il y a aussi les demandes formulées par les territoires qui pressent l’État afin d’obtenir de nouvelles infrastructures. Eh bien, c’en est fini !

Si nous souhaitons sauver le système ferroviaire, il faut, en responsabilité, de la clarté sur ce que l’on peut et ne peut financer. Si les collectivités et l’État souhaitent développer un projet, il convient, quand SNCF Réseau ne peut en assumer le financement, que ce projet soit porté financièrement par ceux qui le demandent. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur la dette. Je ne souhaite pas que l’on nous reproche ce que nous reprochons à nos prédécesseurs, à savoir de ne pas avoir fait montre de responsabilité et de préparation de l’avenir.

Cet amendement est fondamental ; il est au cœur des attentes et des préoccupations exprimées par tous les acteurs du ferroviaire et mérite que nous y passions quelques instants. Il convient en outre de saluer le travail commun entre le Gouvernement et la commission.

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Nous sommes à un moment extrêmement important du débat. Nous ne pouvons qu’être d’accord sur le principe d’acter qu’il faut mieux investir à l’avenir et responsabiliser ceux qui demandent l’investissement.

M. Gilles Savary, rapporteur. Bien sûr !

M. Martial Saddier. Pourquoi, dans ce cas, avoir refusé la nuit dernière tous les amendements qui visaient à donner plus de place aux régions, y compris des amendements de la majorité, notamment de M. Rousset, président de l’Association des régions de France ? Pourquoi rédiger un texte qui ne règle en rien la capacité nouvelle des futures régions sur le plan financier ? Le futur projet de loi sur l’aménagement du territoire et le renforcement du rôle des régions nécessite que nous posions la problématique de leur financement, si l’on veut réellement qu’elles aient un rôle plus actif. Qu’en est-il également de la solidarité territoriale ? On peut dire à une région que si elle souhaite une desserte ferroviaire, il faudra la payer puis l’entretenir ; mais n’allons-nous pas vers une désertification de la desserte des transports publics ? Mes collègues des zones de montagne s’interrogent. Ces trois questions m’inquiètent au plus haut point.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, nous avons, depuis le début de l’examen de ce texte en commission, soulevé un certain nombre d’interrogations, que ce soit sur l’EPIC de tête ou sur l’eurocompatibilité. Vous nous aviez promis alors d’y répondre et l’on a vu d’ailleurs, tout au long du débat, que vous vous appliquiez avec le rapporteur et vous-même, par alternance, à rendre par amendement le texte un peu mieux compatible avec la législation européenne.

Toutefois, la fameuse lettre du président Kallas que m’a fournie le président Jacob – que vous voudrez bien excuser car il doit assister à la conférence des présidents – soulève deux vraies questions : sur l’indépendance de l’EPIC de tête et son éventuelle influence sur l’opérateur historique, et sur le fait que les différents responsables ne pouvaient pas se retrouver dans différents EPIC – vous avez refusé tous mes amendements à ce sujet hier. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, répondre avant cette nuit au président Jacob ?

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. Une fois de plus, nous abordons un sujet important. L’entretien du réseau est un élément essentiel bien sûr, mais nous avons le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que, s’agissant de la grande vitesse, vous allez nous dire, une fois terminés les dossiers en cours, qu’il n’y a plus de moyens pour faire quoi que ce soit d’autre en la matière. Assistons-nous en fait à la fin de la grande vitesse en France ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. C’est un procès d’intention !

M. Laurent Furst. Je ne vous fais pas de procès d’intention, monsieur le secrétaire d’État, mais répondez alors à nos questions et tout se passera agréablement ! Celle que je pose concerne notre pays, mais plus particulièrement les travailleurs des usines où se construisent les trains.

Votre texte soulève une interrogation supplémentaire. S’il y a des demandes en matière de lignes, il faut que ceux qui les font payent, dites-vous. Soit. Nous voyons bien que vous pointez du doigt les collectivités. Mais en leur ôtant 10 milliards d’euros de dotations et en réduisant leur capacité d’investissement, elles n’auront pas les moyens de répondre demain à l’équation que vous posez aujourd’hui ! Vous signez aujourd’hui la fin de la grande vitesse ! Ce n’est pas un procès d’intention, c’est la réalité !

Où allons-nous, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Martial Saddier. Vers la désertification des territoires !

M. Laurent Furst. Vers plus d’entretien du réseau ? Probablement. Mais surtout vers la fin d’une vraie ambition nationale en matière ferroviaire.

M. Martial Saddier. On ne pourra plus aller en train à la montagne !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gilles Savary, rapporteur. Ce chœur à deux voix est parfaitement contradictoire.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Absolument !

M. Gilles Savary, rapporteur. L’un nous dit qu’il n’y aura plus de trains du quotidien, quand l’autre dit que nous tuons la grande vitesse. À ce rythme, il n’y aura plus rien ! En réalité, vous accréditez l’idée qu’il n’y aura plus de train du tout.

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. C’est le chaos !

M. Gilles Savary, rapporteur. Nous ne tuerons pas la grande vitesse, parce que notre règle prudentielle n’interdit aucun investissement : elle dit simplement qu’il faut les calibrer le plus rationnellement possible pour que cela n’endette pas de façon indue le système ferroviaire. Il sera tout autant loisible à l’État et aux collectivités locales de faire des trains d’aménagement du territoire…

M. Laurent Furst. Vous n’en aurez pas les moyens !

M. Gilles Savary, rapporteur. Monsieur Furst, laissez-moi répondre, je ne vous ai pas interrompu.

…non rentables, comme il y en a beaucoup aujourd’hui. La plupart des TET, voire des TER, ne sont pas rentables. Les TER sont payés à hauteur de 28 % seulement par l’usager et ils ne sont d’ailleurs pleins qu’à 29 % – il y a donc de la marge pour rationaliser le système ferroviaire.

Par ailleurs, sachez qu’en Europe la définition de la grande vitesse est « plus de 250 kilomètres par heure ». Chez nous, les voies sont faites pour 340 kilomètres par heure. Voilà pourquoi notre technologie de la grande vitesse est la plus chère du monde ! Et de la même façon que l’on venait jadis voir le Concorde, tout le monde vient voir ce très bel objet qu’est notre TGV. Mais ce n’est pas le Concorde qui a fait le succès de la gamme Airbus ! Si nous ne faisons pas attention, nous ferons la même erreur dans l’industrie ferroviaire.

Vous êtes légitimement attentif au personnel des usines, monsieur Furst. Mais une grande partie des investissements ont été des investissements de lobbying : étant donné que la grande vitesse ne se vendait pas dans le reste du monde, nous l’avons appuyée sur le seul réseau français. Nous avons ainsi entretenu la charge des usines uniquement par un TGV qui a plombé le système ferroviaire, tout cela parce que Alstom n’a pas proposé une gamme ! Et aujourd’hui, nous en sommes à recycler des TGV qui usent plus que d’autres les réseaux TER. Telle est la situation actuelle, parce que nous n’avons pas aidé notre industrie à évoluer et à avoir une gamme à l’allemande ou de type CAF.

Chers collègues, nous serons probablement plus modestes que vous dans la grande vitesse, mais il y aura toujours de la grande vitesse.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. La démonstration vient d’être remarquablement faite : les contradictions ne font pas une conviction. Il faut une pensée construite. Aussi est-il nécessaire d’avoir un lieu de débat et de stratégie, et le haut comité du ferroviaire doit permettre d’identifier les besoins tant nationaux qu’industriels. Nous avons mis en place les conditions du  développement de la filière ferroviaire, j’y reviendrai, mais ce qu’a dit Gilles Savary sur la conception et l’utilité de la grande vitesse est particulièrement juste. À un moment où nous devons avoir des liaisons européennes, la grande vitesse a sa pertinence ; mais lorsqu’il s’agit d’aménager le territoire national, force est de constater qu’elle ne l’a pas nécessairement. Ce ne sont pas les seules capitales régionales qui revendiquent des arrêts de TGV. Ces revendications se multiplient, ce qui pénalise les vitesses de trajet.

Mais puisque le président Jacob est de retour dans l’hémicycle, je vais répondre à sa question de tout à l’heure.

M. Christian Jacob. C’était une question importante !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Vous avec beau essayer de mettre ne serait-ce qu’une feuille de papier à cigarette entre les positions du ministre français et celles de Siim Kallas, je vous redis qu’il n’y a pas de divergences. Je vous invite à lire sa lettre qui prend « bonne note des différentes précautions mentionnées pour garantir l’indépendance effective du gestionnaire d’infrastructures » et avance que « certaines de ces garanties sont en effet déjà prévues par le projet de loi ». Monsieur Jacob, M. Saddier n’aurait pas commis la même erreur ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) M. Saddier est un besogneux du texte sur le ferroviaire et il connaît jusqu’à la moindre virgule du dernier alinéa des sous-amendements présentés par le Gouvernement.

En l’occurrence, il est écrit dans ce qui sera l’article L. 2111-16-1, soit à l’alinéa 60 de l’article 2 du texte de la commission : « Pendant leur mandat, les dirigeants de SNCF Réseau ne peuvent exercer d’activités, ni avoir de responsabilités professionnelles dans une entreprise exerçant directement ou par l’intermédiaire d’une de ses filiales une activité d’entreprise ferroviaire, ou dans une entreprise filiale d’une entreprise exerçant une activité d’entreprise ferroviaire, ni recevoir directement ou indirectement aucun avantage financier de la part de telles entreprises. L’évaluation de leur activité et leur intéressement ne peuvent être déterminés que par des indicateurs, notamment de résultats, propres à SNCF Réseau. » Vous avez ainsi votre réponse, monsieur Jacob ! Cette disposition nous permet d’affirmer un modèle français, avec un groupe public unifié, tout en étant eurocompatible. Je suis persuadé que mes explications vous auront convaincu, monsieur Jacob,…

M. Olivier Faure, rapporteur pour avis. C’est de la haute couture !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …et que vous n’aurez plus besoin de revenir sur cette question qui vous inquiétait. Tout ce que dit depuis deux ans le Gouvernement sur ses relations avec la Commission européenne n’est que la stricte vérité.

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai pu vérifier votre compétence et vos qualités de grand juriste qui sont remarquables.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Merci !

M. Christian Jacob. Toutefois, je n’ai toujours pas compris cette phrase de la lettre de M. Kallas : « il est en effet important que la composition de son conseil d’administration ne permette pas à l’opérateur SNCF Mobilités d’exercer une influence directe ou indirecte » ? À partir du moment où le président de la SNCF est président de l’EPIC de tête, expliquez-moi comment l’on s’assure qu’il ne peut exercer aucune influence directe ou indirecte ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Vous ne faites que renforcer notre dispositif, monsieur Jacob ! Hier, M. Saddier a présenté un amendement demandant que le directoire soit composé de trois personnes, rendant ainsi possible des cas d’influence. Le directoire à deux permet, lui, de bien scinder les activités et d’éviter toute confusion. En cas de divergence, le président du conseil de surveillance décidera en dernier recours.

M. Christian Jacob. D’où vient ce président ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Le président du conseil de surveillance ? Il est nommé par l’État.

Vous n’avez pas bien compris, me semble-t-il, ce qu’est le directoire : composé par les présidents de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités, cette bicéphalie permet de renforcer l’eurocompatibilité puisque le président du conseil de surveillance sera là pour prendre les décisions en cas de difficulté.

M. Martial Saddier. Que se passe-t-il si ces présidents ne sont pas d’accord ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. C’est précisément ce que je viens de vous répondre. Vous me donnez ainsi raison s’agissant de votre amendement d’hier soir.

(L’amendement n162 deuxième rectification est adopté et les amendements nos 151 et 317 tombent.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite du projet de loi portant réforme ferroviaire et de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 19 juin, à treize heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron