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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 28 novembre 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Reconnaissance de l’État de Palestine

Discussion générale

M. Bruno Le Roux

Rappel au règlement

M. Christian Estrosi

M. le président

Présidence de M. Denis Baupin

Discussion générale (suite)

M. Pierre Lellouche

M. Philippe Vigier

M. François de Rugy

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. François Asensi

Mme Élisabeth Guigou

M. Axel Poniatowski

M. Meyer Habib

M. Gilbert Collard

M. Claude Goasguen

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Suspension et reprise de la séance

2. Ratification de l’amendement au protocole de Kyoto

Présentation

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de la commission des affaires étrangères

Mme Geneviève Gaillard, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Discussion générale

M. Boinali Said

Mme Sonia Lagarde

M. François de Rugy

M. Patrice Carvalho

Mme Chantal Guittet

Discussion des articles

Article unique

3. Modification du règlement de l’Assemblée nationale

Discussion des articles (suite)

Après l’article 8

Amendement no 100

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Article 9

Amendements nos 101 , 16 , 37 , 64 , 17 , 102

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Reconnaissance de l’État de Palestine

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux, Mme Élisabeth Guigou et plusieurs de leurs collègues portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine (n2387).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, mes chers collègues, je porte aujourd’hui avec humilité et gravité la parole de mon groupe à l’occasion de l’examen par notre assemblée de cette proposition de résolution portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine.

Avec humilité, parce que si notre force est d’être la voix de la souveraineté française et si nous savons que cette voix compte dans le monde, elle ne peut, à elle seule, inverser le cours des choses.

Avec gravité, parce que, en Israël, en Palestine, le chemin de la paix se rétrécit chaque jour et que nous ne pouvons l’accepter.

Le débat que nous engageons et notre vote sur ce texte sont particulièrement attendus, bien au-delà de nos frontières – en Israël, en Cisjordanie, à Gaza –, mais pas seulement. Le conflit israélo-palestinien a une résonance forte dans de très nombreux pays d’Europe et du monde, et la voix de la France y est écoutée et attendue.

Je sais que sur ces bancs, au-delà de nos sensibilités politiques, nous sommes tous des femmes et des hommes attachés à la paix. Nous voulons être des artisans de la paix dans cette région du monde.

Car, mes chers collègues, cette résolution est d’abord et avant tout une contribution à la paix. Elle reflète la position équilibrée de la France depuis la présidence de François Mitterrand. Personne ne doit en douter.

Je sais que sur ces bancs, quelle que soit notre génération, des plus jeunes aux plus anciens d’entre nous, nous aimerions connaître un jour, le plus rapidement possible, la fin de cette guerre, qui oppose deux peuples depuis plus de soixante-dix ans.

Mais si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, y croyons-nous vraiment ? Osons-nous simplement y croire ? Ce conflit fait tellement partie de l’image du monde que nous connaissons depuis toujours ; il semble tellement inscrit dans notre paysage, dans notre histoire collective. Il s’impose régulièrement à nous depuis tellement de temps déjà. Osons-nous simplement y croire ?

Cette guerre semble sans fin. Elle enrôle les générations les unes après les autres et les meurtrit toutes. Elle se réinvente dans ses formes, se poursuit dans la destruction, la tension et le chaos qu’elle organise à chaque fois. Par trois fois déjà, en quelques années seulement, la ville de Gaza a été détruite. La paix est, là-bas, toujours éphémère.

Oui, mes chers collègues, quelque chose nous empêche de simplement oser croire possible la fin de ce conflit. Il y a eu tant d’espoirs déçus ! Il y a eu tant de reprises des hostilités, tant de cessez-le-feu illusoires. L’histoire de ces dernières décennies nous a appris à nous méfier de nos propres enthousiasmes.

Recevant en septembre dernier, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, le Président de la République résumait le sentiment dominant des opinions publiques nationales et des responsables politiques. Il disait : « cela fait trop longtemps, qu’il y a des discussions, qu’il y a des négociations, des suspensions, des arrêts, des interruptions et qu’il y a l’idée qu’il n’y aura jamais de solution pour en terminer avec le conflit israélo-palestinien, alors que nous en connaissons tous les paramètres ».

Le Président de la République a raison, c’est cela aussi qui menace la paix : cette idée « qu’il n’y aura jamais de solution pour en terminer avec le conflit israélo-palestinien ». C’est précisément cette idée-là que nous devons extirper de nos têtes et de nos consciences.

La résolution que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui n’a d’autre but que de « concourir à l’effort international de paix au Proche-Orient ». Tel en est d’ailleurs le premier alinéa.

Elle s’inscrit dans une dynamique européenne de reconnaissance de l’État palestinien. Cette dynamique sortira renforcée par le vote qui sera le nôtre la semaine prochaine.

Ainsi, après le gouvernement suédois le 30 octobre dernier, après le Congrès des députés espagnols qui a adopté, à une écrasante majorité, tous groupes politiques confondus, une résolution de même nature que celle que nous examinons aujourd’hui, la représentation nationale française demandera à son gouvernement que soit reconnu par la France l’État de Palestine et qu’il soit mis fin à la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens, qui mine la viabilité même de cet État palestinien.

Cette dynamique européenne dépasse les clivages politiques. Le Parlement britannique, majoritairement conservateur a voté. En Espagne, une initiative sociale-démocrate a été reprise par la droite.

M. Meyer Habib. Ce n’est pas le même texte !

M. Bruno Le Roux. Pourquoi ce qui est possible autour de nous, l’union pour la paix, serait si difficile chez nous ? L’objet de notre débat aujourd’hui, de notre vote mardi, ce n’est pas un débat de politique intérieure. Ce n’est pas de satisfaire les uns ou de mettre en difficulté les autres. (« Très bien » sur les bancs du groupe SRC.) L’enjeu de ce débat, l’enjeu de ce vote, c’est de peser ensemble, d’oeuvrer ensemble à la paix dans cette région. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nous sommes la France, notre voix porte dans le monde. Il est nécessaire que nous nous exprimions. Cette initiative française se veut donc également une réponse à la situation de blocage que connaît le processus de paix, depuis les accords d’Oslo. En différer l’initiative et l’adoption ne servirait à rien, si ce n’est à renoncer à peser pour qu’une solution intervienne. Aux yeux de certains, il n’est jamais temps. Je crois que cet argument est toujours spécieux quand il s’agit de promouvoir la paix.

Il y a aujourd’hui urgence à agir. La communauté internationale doit pleinement faire entendre sa voix. Le statu quo n’est plus possible. Il n’est plus tenable. Chaque jour, la situation s’aggrave. La colonisation se poursuit, qui risque de compromettre la solution de deux États vivant côte à côte et en sécurité.

M. André Chassaigne et M. Gwenegan Bui. Tout à fait.

M. Bruno Le Roux. Beaucoup s’accordent à penser qu’une troisième Intifada est en germe. Le conflit est en train de prendre un caractère religieux. Les extrémismes prennent le dessus. La situation risque de devenir incontrôlable, et reste de toute manière explosive. Tout doit être fait pour enrayer cette escalade et éviter que les radicaux, les extrémistes, les terroristes et tous les fanatiques religieux fassent reculer irrémédiablement la perspective de discussions pour la paix, et la paix elle-même.

Le contexte incertain de tout le Moyen-Orient et la dissémination terroriste dans le monde sont des éléments qui devraient conduire à accélérer cette recherche de la paix, non l’inverse – et cela, au nom même de la sécurité d’Israël.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Bruno Le Roux. Les responsables politiques palestiniens et israéliens doivent prendre leurs responsabilités. La fuite en avant dans la violence et l’annexion des territoires ne sont plus possibles : la communauté internationale doit le dire, le répéter, le marteler avec force et sans cesse.

M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !

M. Bruno Le Roux. Ce que nous disons, en définitive, à travers ce texte, est que la reconnaissance de l’État de Palestine est un facteur de paix dans la région. Elle en est même une condition indispensable. Ce que nous disons encore est que la paix est inconcevable sans une reconnaissance mutuelle, donc une pleine reconnaissance de l’État d’Israël par toutes les parties. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Meyer Habib. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !

M. Bruno Le Roux. Ce que nous disons également est que cet État palestinien doit être viable, précisément pour ne pas compromettre les chances de paix et de paix durable. La paix, c’est la meilleure garantie de la sécurité pour chacun.

En invitant le gouvernement français à reconnaître l’État palestinien, c’est toute la France que nous souhaitons mobiliser pour la paix au Proche-Orient. Au-delà de ses communautés – et la République n’en reconnaît aucune –,…

M. Hervé Mariton. N’en parlez pas, alors !

M. Bruno Le Roux. …la France doit, en effet, redire son attachement à la paix et récuser toutes les manipulations de ce conflit sur notre territoire national. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

Je le dis avec force : il n’y a pas d’importation possible de ce conflit sur notre sol.

M. Meyer Habib. C’est pourtant ce que vous faites aujourd’hui ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bruno Le Roux. Nous devons le récuser fermement et ne jamais accepter comme explication possible à nos difficultés l’évocation même du conflit israélo-arabe.

Depuis trop longtemps, on attribue à ce conflit israélo-palestinien, un caractère symbolique, sans même prendre la peine de dire de quel symbole il s’agit. On lui attribue un caractère emblématique, sacré. On le présente comme le conflit par procuration pour les déracinés, les humiliés et qui sais-je encore ? Tout cela, toutes ces interprétations, toute cette emphase le nourrit, l’alimente et empêche même de le résorber. Le conflit israélo-palestinien est avant tout – puis-je dire banalement ? – un conflit territorial, qui doit être considéré comme tel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et rien ne doit venir le confondre avec les difficultés que connaît aujourd’hui notre République.

Dans notre pays, l’antisémitisme est français. Il puise sa source dans notre propre culture, dans ce qu’elle a de misérable, d’abject et d’odieux. L’antisémitisme dont on peut constater la recrudescence n’est pas alimenté par les événements du Proche-Orient. C’est se voiler la face que de penser cela.

M. Hervé Mariton. C’est précisément vous qui êtes en train de vous la voiler !

M. Bruno Le Roux. La lutte acharnée que nous menons, que nous devons tous mener contre l’antisémitisme, contre l’islamophobie et contre le racisme, se joue en France et pas au Moyen-Orient.

M. Jean-Luc Laurent. Exactement !

M. Bruno Le Roux. C’est ici, en France, que nous devons travailler à éradiquer cette haine de l’autre.

M. Christian Estrosi. Ce matin, vous l’encouragez !

M. le président. S’il vous plaît… Chaque groupe aura la parole.

M. Bruno Le Roux. Vous connaissez notre engagement en la matière. Vous savez que notre volonté sans faille ne faiblira pas.

Mes chers collègues, c’est parce que nous serons clairs sur le plan international que nous pourrons être fermes sur le plan national. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Laurent. Excellent !

M. Bruno Le Roux. Je le répète, cette proposition de résolution exprime une seule chose : deux peuples, qui aujourd’hui vivent dos à dos, doivent apprendre à vivre côte à côte. La reconnaissance d’un État palestinien doit permettre de nous placer dans cette perspective.

Je souhaite qu’à l’issue de notre vote, mes chers collègues, le Gouvernement s’engage rapidement, au moment qu’il jugera le plus opportun, dans un processus de reconnaissance de l’État de Palestine. Je souhaite qu’en Europe beaucoup de parlements et de gouvernements s’engagent à leur tour dans cette voie.

Je proposerai d’ailleurs que, sur le fondement du vote de mardi, nous puissions rencontrer la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères afin de pousser l’Union à s’engager plus encore en faveur de la paix.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Je souhaite, mes chers collègues, qu’à partir de la voix du Parlement français vienne, enfin, dans cette région le temps des faiseurs de paix ! (Applaudissements sur les bancs des groupeSRC, GDR et écologiste.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi, pour un rappel au règlement.

M. Christian Estrosi. Monsieur le président, je souhaite faire un rappel au Règlement fondé sur l’article 136 de notre Règlement, lequel fait référence à l’article 34 de notre Constitution, aux termes duquel la politique étrangère ne relève pas du pouvoir législatif.

Or, non seulement cette proposition de résolution ne respecte pas ce principe mais, pis encore, elle adresse un message négatif à un ami et un allié de toujours de la France, Israël, tout en encourageant un mouvement terroriste, le Hamas, allié au Djihad islamique (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC)

Mme Seybah Dagoma et M. Philip Cordery. C’est honteux de dire ça !

M. Christian Estrosi. …ennemi de la France.

Voilà pourquoi, en vertu de notre Règlement, je vous demande le retrait de cette proposition de résolution.

M. Meyer Habib. Bravo !

M. Jean-Luc Laurent. Quelle honte !

M. le président. Je vois bien à quoi les rappels au Règlement peuvent servir.

En l’occurrence, votre remarque a déjà été faite lors de la Conférence des présidents et ce sujet a été examiné. Nous avons décidé, conformément d’ailleurs à la réforme constitutionnelle de 2008…

M. Jean-Pierre Dufau. Honni soit qui mal y pense !

M. le président. …d’inscrire ce texte à l’ordre du jour.

M. le président. Je vous propose donc de continuer à l’examiner et à entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

(M. Denis Baupin remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, mes chers collègues, si elle était adoptée, la proposition de résolution proposée ce matin par le groupe socialiste entraînerait – je pèse mes mots – un changement radical de la ligne diplomatique de la France sur le conflit israélo-palestinien, ligne constamment soutenue depuis quarante ans sous tous les gouvernements, selon laquelle la France est favorable à la reconnaissance de deux États, israélien et palestinien, vivant côte à côte et dans la paix, la reconnaissance de la Palestine devant découler d’un tel accord, et non l’inverse.

Je rappelle que cette position qui, jusqu’ici, a fait l’objet d’un consensus bipartisan est également celle de l’Europe depuis 1978 et la Déclaration de Venise.

L’initiative du groupe socialiste soulève trois problèmes distincts.

Est-elle conforme à l’esprit de nos institutions ?

M. Jean-Luc Laurent. Oui.

M. Pierre Lellouche. Est-elle susceptible de contribuer à la reprise des négociations et donc à la paix ?

M. Jean-Luc Laurent. Oui.

M. Pierre Lellouche. Est-elle de nature à apaiser le débat en France…

M. Jean-Luc Laurent. Oui.

M. Hervé Mariton. Non, trois fois non.

M. Pierre Lellouche. …ou, à l’inverse, contribue-t-elle à accroître le climat d’inquiétudes et de tensions qui caractérise certaines parties de la communauté nationale ?

À ces trois questions, il faut hélas répondre…

M. Jean-Pierre Dufau et M. Jean-Luc Laurent. Par l’affirmative.

M. Pierre Lellouche. …par la négative.

Sur le premier point, et je le dis avec force, la novation introduite sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy en 2008 avec le pouvoir de résolution conféré aux deux Assemblées dans les conditions de l’article 34-1 de la Constitution ne donne ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat, le droit de réécrire la diplomatie de la France.

Aujourd’hui, il nous est demandé de reconnaître la Palestine mais quid, alors, demain du Sahara occidental, du Kurdistan irakien, du Haut-Karabagh, de l’Abkhazie, et de bien d’autres sujets encore ?

M. Jean-Luc Laurent. La diplomatie parlementaire, cela existe !

M. Pierre Lellouche. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’ « injonctions » au Gouvernement, rien ne s’oppose, en principe, à ce genre d’« invitations », rien… sauf l’esprit de nos institutions qui consacre dans les domaines touchant à la sécurité nationale la primauté de l’exécutif, ce que l’on appelait jadis le « domaine réservé » du Président de la République.

Sauf à considérer que le Parlement français a vocation à « se faire périodiquement plaisir » – comme le fait le Parlement européen – en multipliant les « vœux » sur toutes sortes de sujets, vous me permettrez de penser qu’une telle lecture n’a rien à voir avec les institutions de la Ve République.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Sur le fond – c’est ma deuxième interrogation –, les promoteurs de cette résolution, rejoints d’ailleurs par quelques voix de l’opposition, expliquent qu’il est impératif de sortir du blocage actuel des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens ainsi que du cycle de violences religieuses auquel on assiste et que seule une initiative de ce type peut servir d’électrochoc en vue de la reprise des négociations.

Si nous partageons le même constat devant la gravité du blocage actuel, l’argument avancé ne résiste malheureusement pas aux faits.

Dans l’état des choses, cette résolution n’aurait qu’une vertu : contrer les voix qui, au sein même du gouvernement israélien, semblent exclure désormais la création de tout État palestinien – évolution que, pour ma part, je considère comme très préoccupante, tout comme je trouve proprement choquante l’injonction faite par le Premier ministre israélien aux députés français de ne pas voter cette résolution.

Pour autant, une telle résolution ne fera que radicaliser un peu plus la position israélienne…

M. Jean-Luc Laurent. Elle l’est déjà beaucoup !

M. Pierre Lellouche. …qui est dangereuse à long terme pour la pérennité même de l’État d’Israël, sans aider aucunement le Président palestinien, M. Mahmoud Abbas, que je connais bien, à régler son problème numéro un, qui est d’asseoir son autorité sur le Hamas…

M. Hervé Mariton. Lequel fait partie du gouvernement palestinien !

M. Pierre Lellouche. …à Gaza, organisation reconnue comme terroriste et qui refuse l’existence même de l’État d’Israël.

Au pire, la reconnaissance vaudrait indirectement reconnaissance du terrorisme, terrorisme que nous combattons partout ailleurs, au Sahel, au Mali et en Irak.

Au mieux, cette reconnaissance parlementaire ne constituerait, pour reprendre l’expression même de Laurent Fabius, qui est en face de moi, que la « reconnaissance virtuelle » d’un État, ce qui, je le cite encore, « ne changera rien du tout sur le terrain ».

Dans un tel contexte, une résolution de l’Assemblée nationale n’aurait eu de sens que si elle était venue en appui à l’initiative diplomatique française actuellement discutée à New-York – et à laquelle travaille M. Fabius –…

M. Jean-Pierre Dufau et M. Jean-Luc Laurent. C’est exactement le cas.

M. Pierre Lellouche. …visant à organiser une conférence internationale chargée d’encadrer la reprise de la négociation de paix.

Cela aurait exigé alors que la gauche et la droite travaillent ensemble – je l’ai suggéré à Mme Guigou – au sein de la commission des affaires étrangères et c’est ainsi que nous aurions mis au point une résolution soutenant l’initiative diplomatique de la France.

Malheureusement, tel n’a pas été le cas. Le groupe socialiste a choisi de rompre le consensus bipartisan dans notre pays sur le Moyen-Orient.

M. Jean-Luc Laurent. Absolument pas.

M. Jean-Pierre Dufau. Vous n’avez pas lu la résolution.

M. Pierre Lellouche. Cela m’amène à examiner un dernier volet, celui de la politique intérieure française.

De l’aveu même de plusieurs collègues éminents de la majorité, le parti socialiste a surtout cherché ces deux dernières semaines à ne pas se laisser déborder par deux textes préalablement déposés au Sénat par le groupe communiste et le groupe des Verts…

M. Régis Juanico. Mais non !

M. Pierre Lellouche. …qui seront discutés le 11 décembre.

Ceci, sans parler d’autres arrière-pensées à caractère électoraliste sur lesquelles je ne m’étendrai pas…

M. Jean-Luc Laurent. Allez à l’essentiel !

M. Pierre Lellouche. …en direction d’une communauté musulmane qui avait massivement voté en faveur de François Hollande en 2012 mais qui s’en est détachée depuis. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce qui est d’autant plus regrettable, avec de tels calculs, c’est que cette initiative intervient – je le dis avec gravité – sur un terreau national caractérisé par des tensions et des inquiétudes intercommunautaires croissantes, notamment, depuis l’affaire Merah.

Ces dernières semaines, les plus hautes autorités de l’État n’ont cessé de rappeler, je cite, « qu’il fallait tout faire pour éviter d’importer en France des conflits du Proche-Orient ».

Je vous le demande avec gravité, mes chers collègues…

M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je termine, monsieur le Président.

Je vous le demande, mes chers collègues : cette résolution ne fait-elle pas exactement cela ?

Pour toutes ces raisons, et même si pour ma part je partage le constat qui est fait…

M. Jean-Luc Laurent. On ne le dirait pas !

M. Pierre Lellouche. …à savoir qu’il est urgent de ramener les parties à la table de négociations…

M. Jean-Pierre Dufau. C’est le grand écart !

M. Pierre Lellouche. ….je ne suis toutefois nullement convaincu, comme la majorité de mes collègues du groupe UMP, que la proposition de résolution présentée ce matin par le groupe socialiste puisse contribuer à atteindre cet objectif, bien au contraire. (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe UMP.)

M. Michel Issindou. Applaudissements finalement assez maigres !

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’œuvre de paix se construit à force de courage, de tolérance et de détermination.

La question de la reconnaissance du droit des Palestiniens à avoir un État, aux côtés de celui d’Israël, et la légitime préoccupation des Israéliens à vivre en paix et en sécurité ont toujours été un sujet de passion et de raison au sein de la famille centriste. Ce sont des questions graves, qu’il faut aborder avec modestie et lucidité.

L’UDI a toujours été présente pour aider et soutenir les solutions pérennes et audacieuses en faveur de la coexistence entre Israéliens et Palestiniens.

Ce fut le cas quand il s’est agi d’appuyer la légitime reconnaissance de la Palestine par l’Unesco, au mois de novembre 2011, puis, au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, au mois de novembre 2012.

Comment, mes chers collègues, l’Assemblée nationale peut-elle apporter aujourd’hui sa contribution à la paix entre Israéliens et Palestiniens ?

Notre groupe n’a jamais opposé et n’opposera jamais diplomatie et assemblées, convaincu que la voix des parlements au service de la paix, de la liberté et des droits complète l’action diplomatique des gouvernements.

M. Michel Issindou. Tout à fait !

M. Philippe Vigier. En Europe, des parlements nationaux ont pris des initiatives en ce sens mais, chez nous, cette question est particulièrement sensible puisque nous avons sur notre sol les plus grandes communautés juive et musulmane d’Europe. Il nous est par conséquent impossible de considérer que notre action diplomatique pourrait être comprise comme un simple témoignage ou comme un engagement symbolique.

J’ajoute que l’ambition de cette proposition de résolution tranche avec le flou de la diplomatie française, le ministre Laurent Fabius se contentant d’annoncer que la reconnaissance de la Palestine comme État se ferait « le moment venu ».

Quel décalage !

Cette proposition de résolution présentée par le seul groupe socialiste – Pierre Lellouche l’a dit – invitant le Gouvernement français à reconnaître l’État palestinien apparaît donc comme une prise de position par défaut, que le Gouvernement n’ose prendre ou qu’il n’a pas le courage de prendre.

J’observe que pour avoir une portée diplomatique réelle, cette résolution aurait dû faire l’objet d’une concertation avec l’ensemble des groupes parlementaires qui, d’ailleurs, sont tous convaincus de la nécessité d’un règlement global d’un conflit qui, depuis soixante-six ans, n’a que trop duré.

À l’UDI nous considérons aussi que ce débat aurait mérité la rédaction d’une résolution de nature bipartisane, ne se focalisant pas seulement sur la reconnaissance d’un État, si juste soit-elle, mais sur l’idée de deux États, palestinien et israélien, vivant en paix.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est le cas.

M. Jean-Luc Laurent. En effet, il suffit de lire le texte.

M. Philippe Vigier. Ainsi, alors que ce débat méritait consensus, clarté et cohérence, on se retrouve pris au piège d’un non-choix gouvernemental.

Monsieur le ministre, vous répétez à dessein que la solution de ce conflit devrait être globale. Vous appelez – du reste, à juste titre – à la tenue d’une Conférence de Paris à l’instar de celles qui ont eu lieu en 2007 et au mois de juillet 2010.

À mon tour de vous poser quelques questions qui découlent logiquement de la proposition de résolution, à l’aune de notre débat.

Quel est votre plan global pour la stabilité dans la région ? Avec quel calendrier et selon quelles modalités ? Avons-nous encore en France une ambition pour faire de Paris un des lieux centraux de la diplomatie internationale ?

De ces réponses découleraient les conditions préalables et nécessaires qui permettraient à la diplomatie française de revenir au cœur du Proche-Orient en défendant cette solution qu’est la coexistence de deux États.

À l’UDI, nous pensons que les partis centristes et réformistes israéliens sauront convaincre les Israéliens que la « solution de deux États est la seule », comme l’a rappelé au mois d’août dernier le ministre des finances israélien.

Enfin, nous, centristes, réformistes et humanistes mais avant tout européens convaincus, pensons surtout qu’une solution non concertée avec l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne – qui n’associerait donc que quelques Etats européens – risque de nous placer, une fois de plus, dans une position délicate pour ne pas dire en porte-à-faux, notre influence étant dès lors amoindrie. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Laurent. L’avis de la France ne compterait-il pas ?

M. Philippe Vigier. Je rappelle, mes chers collègues, que seule la Suède a reconnu officiellement l’État de Palestine.

M. Jean-Pierre Dufau et M. François Loncle. Non, cent trente-cinq États !

M. Philippe Vigier. Le Parlement britannique a certes voté, mais le vote n’a pas de valeur contraignante.

Quant à la proposition de résolution espagnole, que je vous invite à lire, elle conditionne la reconnaissance de la Palestine à l’accord de paix négocié entre Israéliens et Palestiniens, ce qui n’est pas le cas de votre proposition de résolution.

M. Hervé Mariton. En effet.

M. Philippe Vigier. Faisons confiance au président du Parlement européen, Martin Schulz, qui vient de déclarer qu’il espérait le vote d’une résolution du Parlement au mois de décembre, au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et à l’ambition ainsi qu’à la sincérité de la nouvelle Haute représentante européenne pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, qui a récemment déclaré qu’elle « serait heureuse si l’État palestinien existait au terme de son mandat ».

M. Jean-Pierre Dufau. Bref, wait and see !

M. François Loncle. Vous êtes à la traîne !

M. Philippe Vigier. À l’UDI, nous sommes convaincus que c’est par un travail de mobilisation consensuelle – non isolé, monsieur le président Le Roux – et de convergence diplomatique sur le plan européen…

M. Jean-Pierre Dufau. Soixante-dix ans que cela dure !

M. Philippe Vigier. …que la question israélo-palestinienne trouvera enfin la voie de la paix.

Le vote d’une telle résolution ne risque-t-il pas de raviver les tensions communautaires et de fragiliser la paix sociale ? Pouvons-nous prendre le risque d’attiser les haines, alors qu’un drame terrible se déroule quotidiennement dans la région ? Si nous partageons la volonté d’aboutir à un règlement définitif du conflit israélo-palestinien, chacun des députés du groupe UDI s’exprimera, en conscience, avec sa propre liberté de vote. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. François Loncle. Voilà qui est bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Parfait !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 30 octobre dernier, la Chambre des communes britannique a adopté une motion non-contraignante invitant le gouvernement anglais à reconnaître la Palestine en tant qu’État. Quinze jours plus tard, à l’initiative de son gouvernement, la Suède est devenue le premier État membre de l’Union européenne à s’engager dans cette voie. Depuis, l’Irlande et l’Espagne lui ont emboîté le pas. Au total, cent trente-quatre pays se sont prononcés pour la reconnaissance d’un État palestinien libre et souverain, dans les frontières définies par la résolution de l’ONU de 1967.

Alors que le président de l’Autorité palestinienne s’apprête, dans les prochaines semaines, à soumettre au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution prévoyant le retrait israélien complet des territoires occupés dans un délai de vingt-quatre mois, c’est au tour de la France, pays fondateur de l’Union européenne, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et ami historique des peuples israélien et palestinien, de se saisir de cette question, par le biais de son Parlement. Des sénateurs écologistes ont pris l’initiative de déposer une proposition de résolution dans ce sens dès le 23 octobre, ce que nous avons fait à notre tour à l’Assemblée nationale, tout comme les groupes GDR et SRC.

La proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui n’est pas une injonction. Elle est une invitation au dialogue, elle est un symbole. Après l’été meurtrier que nous avons connu et qui a fait, rappelons-le, plus de deux mille morts du côté palestinien, dont une majorité de civils, et plus de soixante du côté israélien ; après la recrudescence d’épisodes violents qui s’est traduite, ces dernières semaines, par une multiplication des actes terroristes à Jérusalem, il est des symboles qui comptent.

Que dit cette résolution ? D’abord, elle réaffirme le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et sa vocation à advenir en tant qu’État. Reconnaître que cela doit être le point d’aboutissement des négociations est la condition sine qua non de la reprise de celles-ci. Le dialogue suppose en effet que « chaque partie puisse aller jusqu’au bout de son droit, c’est-à-dire se constituer en État », comme l’avait déclaré François Mitterrand à la tribune du Parlement israélien, le 4 mars 1982.



Ensuite, cette résolution souligne que la colonisation annihile toute chance d’aboutir à un compromis négocié, et je veux, à cet égard, rappeler combien la situation est grave. La Cisjordanie, y compris Jerusalem-Est, Gaza et une partie du Golan sont des territoires occupés par Israël depuis 1967. Entre 2012 et 2013, les seules constructions israéliennes en Cisjordanie ont augmenté de 123 % ! Souvenons-nous un instant du retrait unilatéral du Gush Katif, ce groupement de colonies israéliennes situées au sud de la bande de Gaza. En 2005, il avait provoqué des tensions au sein de la société israélienne et occasionné de nombreux troubles à l’ordre public. Il concernait alors huit mille colons. Ils sont aujourd’hui près de quatre cent mille, soit cinquante fois plus !

La colonisation est une négation de l’esprit des accords d’Oslo de 1993 et une violation du droit international.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. François de Rugy. Elle menace de conduire le processus de paix à un enlisement irréversible. De même, l’édification d’un mur de séparation, qui heurte profondément notre sensibilité européenne…

M. Meyer Habib. Il s’agit d’un mur de sécurité !

M. François de Rugy. …est non seulement insupportable sur le plan moral, mais également inacceptable sur le plan du droit.

Récemment, de nombreux intellectuels israéliens, dont l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi, rappelaient que : « Il n’y a pas d’autre choix que la reconnaissance mutuelle de deux entités nationales, définies par les frontières du 4 juin 1967 susceptibles de modifications mineures agréées d’un commun accord. »

M. Hervé Mariton. Reconnaissance « mutuelle » !

M. François de Rugy. Enfin, cette résolution réaffirme l’urgente nécessité d’aboutir à l’établissement d’un État démocratique et souverain, aux côtés d’Israël, dont toutes les parties doivent reconnaître le droit à la reconnaissance et à la sécurité. Sur ce point non plus, il n’est pas d’ambiguïtés possibles ! Les violences perpétrées ces dernières semaines contre des civils israéliens sont intolérables. Elles ébranlent toute perspective de sortie de crise.

Ce type de résolution doit ramener l’espoir, signifier aux Palestiniens qu’une issue politique est possible, et dissuader ceux qui seraient tentés, ce qui, hélas, est encore trop souvent le cas, de recourir à la violence et au terrorisme. Notre initiative parlementaire d’aujourd’hui doit être prise pour ce qu’elle est : une contribution à l’avènement d’un climat international apaisé, serein et équilibré. Elle ne doit en aucun cas prétendre se substituer à une phase de négociation, dans laquelle les parties devront impérativement s’engager. Elle est notre modeste manière d’encourager, au niveau international, la reprise de véritables négociations.

Monsieur le ministre, je voudrais saluer votre action sur ce sujet si délicat et si difficile. La position que vous défendez, au nom du Gouvernement français, est ferme et claire. Ainsi, lors de votre intervention au Caire le 12 octobre dernier, vous avez donné un cap : « un État de Palestine indépendant, démocratique, contigu et souverain, vivant dans la paix et la sécurité aux côtés d’Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux États ». (Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)

Dans cette perspective, vous avez également indiqué une méthode, en proposant l’organisation d’une conférence internationale réunissant la partie palestinienne et la partie israélienne, ainsi que l’ensemble des États du Moyen-Orient. Je veux saluer cette initiative, que j’avais, au nom du groupe écologiste, appelée de mes vœux lors du débat sur l’intervention militaire française en Irak. Je crois en effet que la question palestinienne porte en elle une problématique régionale, qui tient tant aux délimitations territoriales qu’au respect des minorités.

Enfin, au moment où nous nous prononçons sur ce texte, il est indispensable que nous prêtions une attention particulière aux enjeux nationaux qu’il peut revêtir. Il ne fait malheureusement plus de doute que le conflit israélo-palestinien a été importé dans notre pays, et personne, dans cet hémicycle, ne peut contester que le mouvement de protestation contre l’opération « Bordure protectrice », l’été dernier, a donné lieu à de graves dérives antisémites en France. Il est de notre devoir de veiller à ce qu’aucune faille ne subsiste, dans laquelle des esprits malintentionnés s’engouffreraient automatiquement.

La responsabilité du politique, c’est de « tenir toujours et partout un seul et même langage », comme le disait le Président François Mitterrand, dans son discours à la Knesset du 4 mars 1982.

M. Jean-Luc Laurent. Exactement ! Il faut faire preuve de rectitude !

M. François de Rugy. Notre discours, c’est celui de la liberté, de la solidarité, mais également, lorsque cela s’impose, celui de la fermeté.

Voilà, en quelques mots, l’esprit dans lequel les écologistes accueillent ce texte, avec fierté, solidarité et responsabilité.

Avec fierté, parce que cette proposition est fidèle aux valeurs que nous défendons et qu’elle aura évidemment un écho particulier en Europe et dans le reste du monde.

Avec solidarité, parce que le droit du peuple palestinien à se doter d’un État doit être réaffirmé en toutes circonstances, comme doit l’être, en toutes circonstances également, celui d’Israël à exister en paix, en liberté et en sécurité.

Avec responsabilité, parce que nous avons conscience de toucher à une question sensible, qui appelle notre plus grande vigilance et notre plus grande clarté.

Les écologistes voteront en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le ministre, notre groupe arrêtera sa décision après ces débats et lors de sa prochaine réunion, mais, par-delà les divergences qui peuvent s’exprimer, je souhaite vous indiquer aujourd’hui son sentiment dominant.

Si l’article 34-1 de la Constitution autorise les assemblées à voter des résolutions, il précise néanmoins que sont irrecevables les propositions de résolution dont le Gouvernement estime qu’elles contiennent des injonctions à son égard.

M. François Loncle. Ce n’est pas le cas ici !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Il convient, en effet, de respecter la séparation des pouvoirs et la répartition des compétences entre le législatif, d’une part, et l’exécutif, d’autre part, à savoir le chef de l’État, chargé de diriger la politique étrangère aux termes de l’article 52 de la Constitution, et le Gouvernement, chargé de conduire avec lui la politique de la Nation aux termes de l’article 20.

M. Jean-Luc Laurent. C’est bien le cas !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Le droit de résolution est fait pour que l’Assemblée puisse exprimer sa position ou son opinion sur certains sujets. Mais il s’agit bien là de son opinion, et non de celle de l’exécutif, qu’elle n’a pas capacité à engager.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Or ce texte se termine ainsi : « L’Assemblée nationale invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. »

Mme Chantal Guittet. Il s’agit bien d’une invitation !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Selon le dictionnaire, « inviter » a pour synonymes « engager », « exhorter », « inciter ». Cette « invitation » est donc une forme, plus courtoise, d’injonction.

M. Christian Estrosi. Très bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Il s’agit de prescrire au Gouvernement d’accomplir un acte déterminé, de lui donner une directive, une instruction en ce sens.

M. Jean-Luc Laurent. Je parlerais plutôt d’un « vif encouragement ».

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Or chaque pouvoir doit agir dans son domaine constitutionnel de compétence, sans tentative de débordement, comme l’a écrit le professeur Jean Gicquel.

Autre point : telles qu’elles sont régies par la loi organique du 15 avril 2009 et par l’article 136 de notre Règlement, les propositions de résolution sont des instruments d’expression malheureusement très rigides. Notre Règlement précise en effet, d’une part, qu’elles ne sont pas renvoyées en commission, d’autre part, qu’elles ne peuvent faire l’objet d’aucun amendement. Bref, selon une formule familière, c’est à prendre ou à laisser !

M. André Chassaigne. Assez de juridisme ! Venez-en au fond du texte, cher collègue !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Le député qui n’appartient pas au groupe ayant déposé la proposition de résolution se trouve sans marge d’action. Il n’a qu’une alternative : adopter tel quel ou rejeter tel quel ce texte, sans pouvoir le modifier ou l’infléchir en quoi que ce soit.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est notre Règlement !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Dernier point : la diplomatie parlementaire a ses mérites, qui sont grands, mais aussi ses limites. Par la force des choses, telle commission parlementaire, même spécialisée, dispose d’une information moins complète et moins fréquente que le Quai d’Orsay pour pouvoir suivre et apprécier toutes les données d’un problème complexe.

Mme Élisabeth Guigou. C’est faux !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous avons, d’un côté, quelques administrateurs, d’ailleurs de grande qualité, à l’Assemblée nationale ; de l’autre, un très grand nombre de fonctionnaires, également de qualité, au ministère des affaires étrangères. Le risque, c’est que l’Assemblée ou telle commission, croyant bien faire, gêne éventuellement l’exécutif par ses prescriptions et limite sa liberté d’action ainsi que sa capacité de négociation internationale, par des initiatives imprévues ou inopinées.

M. Christian Estrosi. Très bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. C’est donc à l’exécutif qu’il appartient de décider de la diplomatie française.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pour ces diverses raisons, cette proposition de résolution ne peut être considérée comme recevable.

M. François Loncle. Quel embarras !

M. Hervé Mariton. C’est très clair, au contraire !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. En conséquence, comment serait-il possible de prendre part à son vote si l’on veut se conformer à la Constitution ?

M. François Loncle. Courage, fuyons !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Sur le fond, je connais la sincérité des auteurs de cette résolution. Comme eux, chacun souhaite profondément que s’établissent durablement la paix et la sécurité pour tous dans cette partie du Proche-Orient, meurtrie par tant de conflits et d’attentats.

M. Jean-Luc Laurent. Absolument !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer ici même, à l’Assemblée nationale, en 1996, en tant que vice-président de la commission des affaires étrangères, le Président Arafat.

Chacun déplore avec émotion le nombre des victimes, de part et d’autre. Chacun de nous est favorable à la solution des accords d’Oslo, qui continue d’être retenue, tant par Israël que par l’Autorité palestinienne, c’est-à-dire la coexistence pacifique et la reconnaissance mutuelle de deux États vivant côte à côte. Conformément à ces accords, la Cisjordanie est dirigée par l’Autorité palestinienne du Président Mahmoud Abbas, et Gaza a été totalement évacuée en 2005. Même si le processus de négociation est aujourd’hui interrompu, il est possible qu’il reprenne.

M. Michel Issindou. Les accords d’Oslo remontent à plus de vingt ans !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Il ne faut pas omettre l’action, toujours possible, du Quartet, qui réunit l’ONU, l’Union européenne, les États-Unis et la Russie.

M. Claude Goasguen. Dont nous sommes garants !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. De même, il ne faut pas oublier la médiation de John Kerry, qui avait réussi à relancer les négociations directes jusqu’en avril dernier, et qui espère y parvenir de nouveau.

M. Philippe Baumel. C’est un échec !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Comme le disait avec justesse Élisabeth Guigou dans Le Monde du 13 novembre : « Il semble que le secrétaire d’État américain, John Kerry, ait l’intention d’effectuer une nouvelle tentative de négociations. Il faut en tenir compte : S’il y arrive, tant mieux. »

M. Jean-Pierre Dufau. Justement, aidons-le !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Par ailleurs, autre difficulté, cette résolution intervient à un moment de grande tension, donc peu favorable. Elle risque d’être mal comprise vu la situation actuelle qui ne s’y prête guère, marquée par plusieurs attentats très meurtriers commis à Jérusalem ces jours derniers.

De plus, la nouvelle composition du gouvernement palestinien pose problème.

M. Hervé Mariton. Pour le moins !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. En effet, un gouvernement d’union a été formé le 2 juin par le Fatah de Mahmoud Abbas – dirigeant ouvert au dialogue – et le Hamas qui soutient des positions extrémistes.

M. Hervé Mariton. Dès lors, comment le reconnaître ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Le Hamas, mouvement de la résistance islamique, refuse catégoriquement l’existence même de l’État d’Israël, dont il veut la suppression.

M. Jean-Luc Laurent. On fait toujours la paix avec ses ennemis d’hier !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Il est important de lire sa charte, en se rappelant que la charte de l’OLP était beaucoup plus modérée.

M. Jean-Pierre Dufau. Pas du tout, elle prévoyait également la destruction d’Israël !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L’article 11 de la charte du Hamas prévoit : « La terre de Palestine est une terre islamique (…) Il est illicite d’y renoncer en tout ou en partie (…) aucun État arabe n’en a le droit (…) aucun roi ou président n’en a le droit. »

À l’article 13 : « Il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le djihad. Quant aux initiatives, propositions et autres conférences internationales, ce ne sont que pertes de temps et activités futiles. »

M. Hervé Mariton. Est-ce que vous approuvez cela, chers collègues ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Et l’article 33 proclame : « Vive le djihad ! »

Or cette résolution ne parle pas une seule fois du Hamas, représenté au gouvernement palestinien depuis juin. Elle passe totalement sous silence cette question et apparaît, pour cette raison, incomplète et donc déséquilibrée. Ignorer un problème, ce n’est pas le résoudre.

Il est très regrettable que ce texte n’évoque à aucun moment les conditions qui seraient à imposer au Hamas…

M. Hervé Mariton. Très juste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …c’est-à-dire l’acceptation de l’existence de l’État d’Israël, la reconnaissance mutuelle de deux États, chacun jouissant du droit à la sécurité, ce qui exclut notamment les tirs de roquette contre les villes voisines.

M. André Chassaigne. Et les colonies ? Et le mur ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La diplomatie française a toujours conçu la reconnaissance de l’État de Palestine, le moment venu, comme le résultat, l’aboutissement positif d’une négociation de paix et non l’inverse, non une reconnaissance unilatérale avant qu’il y ait eu accord entre les parties concernées.

M. Jean-Luc Laurent. Vous avez une vision unilatérale, vous ne servez pas la paix !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La France a toujours eu une position équilibrée au Proche-Orient, qui lui vaut d’avoir des relations de confiance et d’amitié avec les deux parties, avec Israël et avec l’Autorité palestinienne.

M. Philip Cordery. Ce texte aussi est équilibré.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Il ne faudrait pas que cette résolution, qui peut paraître déséquilibrée…

M. Claude Goasguen. Elle l’est !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …nous prive de notre position privilégiée et handicape la capacité d’action de la diplomatie française.

M. Claude Goasguen. Tout à fait !

M. André Chassaigne. C’est le contraire !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Dans son discours à la Knesset, François Mitterrand disait : « Le dialogue suppose la reconnaissance mutuelle du droit de l’autre à l’existence, le renoncement mutuel à la guerre directe ou indirecte. »

M. Jean-Pierre Dufau. La résolution aussi !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Il n’y a pas de fatalité du conflit. Israël a signé des traités de paix avec les États voisins qui acceptent son existence. Il vit en paix avec l’Égypte depuis 1979, soit trente-cinq ans, et avec la Jordanie depuis 1994, soit vingt ans. Rien n’est jamais irrémédiable. Il faut toujours faire confiance à la capacité des peuples à se parler,…

M. Jean-Pierre Dufau. Bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …à s’écouter et, finalement, à bâtir ensemble un destin de paix. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Élisabeth Guigou. Ça n’avait pas très bien commencé, mais c’est bien terminé !

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, la France a rendez-vous avec son destin. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de réparer une injustice vieille de soixante ans et de reconnaître enfin au peuple palestinien le droit inaliénable qui est le sien : celui de disposer d’un État.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. François Asensi. En 1947, sur les décombres des colonialismes européens et de la barbarie nazie, l’ONU redessinait la carte du Proche-Orient. Le monde affrontait une forme de responsabilité collective face à l’indicible extermination des Juifs et les Nations unies optaient pour la coexistence de deux États.

L’un, Israël, a vu le jour immédiatement. L’autre, la Palestine, n’en peut plus d’attendre sa reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Depuis soixante ans, l’histoire bégaie de conflits meurtriers en violences asymétriques. Elle confisque toujours un peu plus le territoire accordé aux Palestiniens en 1947.

M. Meyer Habib. Qui n’a pas accepté le plan de partage ?

M. François Asensi. Depuis soixante ans, l’identité culturelle palestinienne subit une véritable négation, propre à tout système colonial.

Depuis soixante ans, le joug de l’occupant ne cesse d’étouffer le peuple palestinien. Humiliations, privations et spoliations forment son quotidien.

M. Meyer Habib. Mensonges !

Mme Jacqueline Fraysse. La vérité vous gêne, cher collègue Habib ?

M. François Asensi. L’arbitraire devient la norme, jusqu’à conduire des députés et des enfants à être détenus pour leurs idées.

M. Claude Goasguen. On ne parle pas de l’Union soviétique !

M. François Asensi. Les vers du grand poète israélien Aharon Shabtai décrivent cette humanité qui vacille : « Les mots purs que j’ai sucés au sein de ma mère : homme, enfant, justice, compassion, sont dévalisés devant nos yeux, emprisonnés dans des ghettos, assassinés aux checkpoints. »

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas Berlin !

M. François Asensi. Le moment est venu de mettre fin à ce cycle de malheurs. Le moment est venu de remplacer les murs par des ponts (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC) entre deux peuples, israélien et palestinien, que tout rapproche : une histoire mêlée, une culture partagée, une même terre, et surtout, la même soif de paix.

M. Meyer Habib. Sauf le Hamas !

M. François Asensi. Car disons-le une fois pour toutes : ce conflit n’a rien d’un conflit religieux ou ethnique. Comme bien d’autres sur ces bancs, je suis animé d’une conviction, profonde et intangible : seule la reconnaissance immédiate de la Palestine comme État souverain et indépendant, dans les frontières de 1967, et avec Jérusalem-Est pour capitale, permettra d’asseoir une paix durable.

M. Marc Dolez et Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. François Asensi. Depuis le début de cette législature, à vingt-quatre reprises, notre groupe a réclamé cette reconnaissance dans cet hémicycle. Dès septembre 2012, nous avons déposé une résolution invitant le Gouvernement à reconnaître la Palestine. Je vous ai personnellement interrogé par trois fois à ce sujet, monsieur le ministre, lors des questions d’actualité.

Il s’agit là d’un combat historique pour les députés communistes et le Front de gauche. Je pense notamment à l’action de notre ancien collègue Jean-Claude Lefort, longtemps président de l’association France-Palestine. Hier avec l’Algérie ou l’Afrique du Sud, aujourd’hui avec la Palestine, nous sommes du côté du droit international. Comme le disait magnifiquement Nelson Mandela : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ».

M. André Chassaigne M. Marc Dolez et M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. François Asensi. Il s’agit là d’une question de principe. Et si, par le cours de l’histoire, les termes étaient inversés, si le peuple israélien se trouvait à l’heure actuelle sans État, nous adopterions bien évidemment la même position car on ne choisit pas la liberté d’un peuple au détriment d’un autre. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Deux options s’offrent à notre diplomatie : poursuivre dans l’impasse des négociations bilatérales, ou tenter une nouvelle approche fondée sur le droit international.

Mais s’il est un constat désormais largement partagé, c’est celui de l’échec du processus de paix. Depuis les accords d’Oslo, rien n’a fondamentalement changé. En jouant la montre et en pratiquant la politique du fait accompli, les gouvernements israéliens ont morcelé le territoire palestinien accordé par le partage de 1947. Entre 1993 et 2000, le nombre de colons a doublé, et l’immense majorité de la Cisjordanie est restée sous contrôle militaire et administratif israélien. Les checkpoints, le mur, les implantations illégales ont dessiné de véritables bantoustans.

Le constat est accablant : le processus de paix n’a servi qu’à renforcer la colonisation et à saper la viabilité du futur État palestinien. Yitzhak Rabin et Yasser Arafat ont incarné un véritable espoir parce que leur volonté de paix était sincère. Je tiens ici à rendre hommage à leurs choix courageux.

Mais il faut s’interroger sur l’échec d’Oslo. Comment négocier sur un pied d’égalité quand le rapport de forces est marqué par une inégalité fondamentale ? Quand l’une des parties occupe l’autre, qu’elle est dotée du monopole de la violence légitime et qu’elle exerce une véritable tutelle financière aux termes du protocole de Paris ? Le prisonnier peut-il négocier sa liberté ?

Naturellement, il n’y a d’issue au conflit israélo-palestinien que par la négociation entre les deux parties. Mais c’est la paix qui est à négocier, et non le droit international.

Les résolutions de l’ONU sont restées trop longtemps lettre morte par l’inaction du Conseil de sécurité et le veto américain sur la question du mur, de la colonisation, du respect des frontières de 1967, du blocus de Gaza, des réfugiés.

Aujourd’hui, nous n’avons d’autres choix que de reprendre la voie du droit. La création de l’État palestinien est consacrée par les résolutions 242 et 1 860 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui délimitent cet État occupé sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale.

M. Meyer Habib. Pas un mot sur le Hamas !

M. François Asensi. Sa légalité est confirmée par l’avis de la Cour internationale de justice en 2004. Plus de cent trente-cinq pays reconnaissent déjà la Palestine, soit l’immense majorité des nations à l’exception des puissances occidentales. Il est temps d’y remédier.

Mardi prochain, le vote de l’Assemblée nationale française sera un vote pour la paix, un vote pour la justice, un vote pour la sécurité de l’État d’Israël et de tout le Moyen-Orient. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Parce que nous sommes amis du peuple israélien et solidaires de ses composantes pacifistes, nous devons l’aider à sortir de l’illusion selon laquelle sa sécurité pourrait s’asseoir sur la négation des droits des Palestiniens.

Mme Marie-George Buffet et M. André Chassaigne. Très bien !

M. François Asensi. Le mur enferme les Israéliens eux-mêmes. Le système colonial mine la société entière. Comme le disait si justement Elias Sanbar : « Vous occupez nos territoires le jour ; nous occupons vos rêves la nuit. » C’est pourquoi tant de voix se lèvent aujourd’hui en Israël pour exiger la reconnaissance de l’État palestinien et la fin des colonies, à l’instar de l’ancien ambassadeur Élie Barnavi.

Ils ne reconnaissent plus les principes fondateurs de 1948 dans le projet d’État juif porté par le gouvernement Netanyahou.

Des centaines d’intellectuels, de hauts gradés, de militants de la paix ont compris que la création d’un État palestinien indépendant et démocratique était le plus sûr gage pour la sécurité d’Israël, à laquelle nous sommes attachés. Ils ont compris qu’il en va aussi de la sécurité du monde. Le conflit israélo-palestinien constitue la mère des conflits, mais aussi la mère des solutions. Reconnaître l’État de Palestine, c’est désarmer ceux qui instrumentalisent la cause palestinienne pour des visées totalitaires et terroristes. C’est battre en brèche la théorie absurde du choc des civilisations.

Je dois vous dire notre émotion, qu’enfin, la Palestine s’invite à l’Assemblée nationale. Le Sénat se prononcera dans la foulée, le 11 décembre prochain, à l’initiative des sénateurs communistes.

Au travers de la reconnaissance de l’État de Palestine, c’est de la voix de la France dont il est question. Cette voix transcende les clivages partisans. Il y a tout juste cinquante ans, la France du général De Gaulle accordait la reconnaissance officielle à la Chine et confortait notre choix singulier dans le concert des nations.

M. Claude Goasguen. Cela n’a rien à voir !

M. François Asensi. J’appelle notre assemblée à se montrer à la hauteur de cette vision diplomatique qui a su rassembler notre pays dans un souci d’indépendance et d’équilibre du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Pierre Dufau M. Philippe Baumel et M. Jean-Luc Laurent. Bravo !

M. François Asensi. En 2011, cette même France a voté l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO puis comme État observateur à l’ONU en 2012. J’espère que cette même France, au lendemain de notre vote, reconnaîtra officiellement l’État de Palestine. Il serait inconcevable que notre pays demeure à la remorque du concert des nations, après les initiatives espagnole, britannique, irlandaise et suédoise.

M. Claude Goasguen. Tout cela n’a rien à voir !

M. François Asensi. Il serait inconcevable que le Gouvernement ne reconnaisse pas officiellement la Palestine au lendemain du vote de cette résolution. Il y va de la crédibilité de la parole de notre pays auprès de ses partenaires.

En 2011, nous avions signé ici, avec les députés de toutes les sensibilités politiques de cette assemblée, une résolution portant sur la reconnaissance de l’État palestinien, administrant la preuve que nous pouvons nous rassembler quand l’enjeu est essentiel. Cette voie la plus large n’a pas été choisie, je le regrette, car elle aurait donné plus de force à la voix de la France et du Parlement.

Pour autant, ne nous trompons pas de débat. Mardi, chaque parlementaire sera responsable de son vote devant l’histoire.

Mme Marie-George Buffet. Exactement !

M. François Asensi. Il s’agira de dire : « oui » au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Oui à la paix et à des négociations fondées sur le droit international.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. François Asensi. Quelle discipline de parti pourrait s’y opposer ?

Soyons à la hauteur des pacifistes israéliens qui espèrent notre soutien pour relancer la paix. Soyons à la hauteur des espoirs du peuple palestinien qui a fait le choix de la lutte politique et du compromis, autour du président Abbas. Soyons à la hauteur de ce peuple pacifiste auquel on a voulu tout prendre mais qui n’a jamais perdu son âme, son extraordinaire dignité et son amour de la liberté.

À ceux qui auraient voulu dénier à ce peuple palestinien son droit à exister, j’adresserai ces vers de Mahmoud Darwich, l’immense poète palestinien : « Debout ici. Assis ici. Toujours ici. Éternels ici. Nous avons un seul but, un seul : Être. » Merci au peuple palestinien pour cette belle leçon d’humanité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me souviens avec émotion qu’un jour de septembre 1993, Yasser Arafat, le leader palestinien, et Yitzhak Rabin, le premier ministre israélien, se sont serré la main. « Nous sommes, a dit Yitzhak Rabin, destinés à vivre sur le même sol et sur la même terre ». Hélas, vingt ans plus tard, ces images d’archives ne sont qu’un souvenir. Les deux protagonistes ont disparu, et avec eux l’espoir immense de paix qu’ils avaient suscité.

Avec l’assassinat du premier ministre israélien en 1995, qui a porté le premier coup au processus de paix, les attentats sanglants qui ont touché les villes israéliennes, les échecs de Camp David et de Taba, la seconde Intifada, la construction du mur de séparation, la poursuite de la colonisation qui compromet chaque jour un peu plus l’idée même d’un État palestinien souverain, les guerres à répétition à Gaza, et enfin le nouveau cycle de violences qui s’est ouvert cet été et se poursuit sous nos yeux, nous le voyons, hélas, le processus d’Oslo n’en finit pas d’agoniser, et les principales victimes en sont des civils innocents.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

Mme Élisabeth Guigou. Cette tragédie se répercute dans toute la région et jusqu’en Europe. La permanence de ce conflit nourrit ici les pires confusions et les pires instrumentalisations que, pour ma part, je ne peux tolérer dans notre pays, qui est celui de la tolérance et de la fraternité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Il faut que cela cesse. Il faut que s’arrête le cycle terrifiant de la violence et de la vengeance.

J’entends dire que cette proposition de résolution serait inopportune car prématurée. Je crois au contraire que, pour celles et ceux qui pleurent les victimes de ce conflit, elle vient trop tard. Rester immobiles, c’est laisser le champ libre aux extrémistes qui se nourrissent de la poursuite de la guerre.

M. Jean-Pierre Dufau. Exactement !

Mme Élisabeth Guigou. Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction meurtrière.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. Or la solution est connue : la reconnaissance mutuelle de deux États vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Luc Laurent. Voilà la solution !

Mme Élisabeth Guigou. …fait depuis 1993 l’objet d’un accord des deux parties et, d’ailleurs, de l’ensemble de la communauté internationale. Comment se peut-il alors qu’un consensus aussi général ne se concrétise jamais ? Que proposent ceux qui refusent notre contribution, à part un statu quo mortifère ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Bravo !

Mme Élisabeth Guigou. Notre proposition de résolution est un message de paix et d’amitié adressé aux deux peuples israélien et palestinien.

M. Jean-Pierre Dufau. Tout à fait !

Mme Élisabeth Guigou. Nous voulons contribuer à la reprise des pourparlers car j’ai la conviction, comme Shimon Peres, que la gestion du conflit prônée par certains ne fait qu’exacerber la violence.

L’Européenne que je suis sait aussi que la paix ne s’obtient qu’en suivant le lent et difficile chemin de la négociation. Ce texte émane donc d’une volonté collective, que je sais partagée sur tous les bancs de cette assemblée, de concourir modestement à l’effort international de paix au Proche-Orient.

Évidemment, seuls les peuples en conflit peuvent faire la paix. Je sais qu’ils y aspirent, car cette guerre les épuise et nourrit les extrêmes. Je sais à quel point cela est difficile, combien il faut d’intelligence et de courage.

Notre pays a le devoir de faire entendre sa voix, celle du refus obstiné, partout, des discours de haine. En raison de son histoire, de ses valeurs, de son amitié pour les peuples du Proche Orient, mais aussi de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, la France est, comme le disait Mitterrand, comptable de la paix et de la stabilité dans la région. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

Mme Élisabeth Guigou. Notre pays a été l’un des premiers et plus fervents défenseurs de l’entrée d’Israël dans la communauté des nations. La France n’a jamais ménagé ses efforts pour que soit universellement admis le droit d’Israël à l’existence et à la sécurité. La reconnaissance mutuelle entre Israël et la Palestine et la reconnaissance par l’ensemble de la communauté internationale du droit à la paix et à la sécurité de ces États sont les meilleures garanties d’une paix durable. Notre démarche veut contribuer à un mouvement pour la paix et appuyer les efforts de la diplomatie française en ce sens. Je soutiens le projet de conférence internationale que vous avez avancé, monsieur le ministre, il y a quelques semaines, et qui a été confirmé hier par le Président de la République.

M. Claude Goasguen. C’est dire !

Mme Élisabeth Guigou. J’en suis convaincue : cette conférence internationale pourrait accompagner utilement les négociations entre les deux parties…

M. Claude Goasguen. Des négociations, pour quoi faire ?

Mme Élisabeth Guigou. …et j’espère qu’elle convaincra les pays arabes qui ne l’ont pas encore fait de reconnaître Israël (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR) car une telle reconnaissance réciproque est, nous en sommes convaincus, ce dont la paix a besoin.

M. Philippe Baumel. Bien sûr !

Mme Élisabeth Guigou. C’est au nom de ces principes, défendus par tous les Présidents de la VRépublique, que nous invitons aujourd’hui le Gouvernement à prendre l’initiative d’une reprise du dialogue et à reconnaître le droit du peuple palestinien à un État viable et souverain.

Ce texte est un signal d’alarme pour que, demain, il ne soit pas trop tard. Ce texte est un appel qui s’inspire de celui qu’a lancé François Mitterrand à la tribune de la Knesset en mars 1982, un appel pour que les deux peuples israélien et palestinien retrouvent chacun, selon les mots de François Mitterrand, « l’irréductible droit de vivre ». (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski.

M. Axel Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce matin et plus encore le vote solennel de mardi sont, à mon sens, caractéristiques du rôle que doit jouer la diplomatie parlementaire qui, dans une démocratie, prend toute sa place dans les processus politiques complexes et donc attachés aux symboles et aux signaux. Le processus de paix israélo-palestinien en fait partie. C’est la raison pour laquelle il aurait été bienvenu que cette proposition de résolution soit abordée dans la transparence, et non en cachette (Protestations sur les bancs du groupe SRC),…

M. Jean-Luc Laurent. Pas du tout !

M. François Loncle. Le terme « cachette » est tout à fait inapproprié !

M. Axel Poniatowski. …en y associant dès le début l’ensemble des députés, de la majorité comme de l’opposition, afin de présenter si possible une initiative commune qui n’aurait eu que plus de force.

Cette approche aurait été d’autant plus bienvenue que nous aurions pu enrichir utilement ce texte. Au-delà de l’action de François Mitterrand ou de François Hollande, que vous rappelez, mesdames et messieurs les députés du groupe SRC, vous passez un peu vite sur celle du Général de Gaulle…

M. Jean-Luc Laurent. Pas du tout !

M. Axel Poniatowski. …et sa vision de précurseur exprimée lors de sa fameuse conférence de presse de novembre 1967 – un morceau d’anthologie ! Vous omettez l’action de Valéry Giscard d’Estaing, qui fut le premier à accepter l’installation d’un bureau officiel de l’OLP à Paris,…

M. Razzy Hammadi et M. Philip Cordery. C’est vrai !

M. Axel Poniatowski. …celle de Jacques Chirac qui, au travers de ses relations privilégiées avec Yasser Arafat, fit beaucoup pour la Palestine,…

Plusieurs députés du groupe SRC. C’est vrai !

M. Axel Poniatowski. …ou encore celle de Nicolas Sarkozy,…

M. François Loncle. Ah non, pas lui !

M. Axel Poniatowski. …sous le mandat duquel la France a reconnu la Palestine comme membre de l’UNESCO.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. Axel Poniatowski. Enfin, je veux vous faire observer que cette proposition de résolution s’inscrit dans un vaste mouvement européen…

M. Claude Goasguen. Ça, c’est faux !

M. Axel Poniatowski. …initié il y a un mois par la Suède, suivie de l’Espagne, du Royaume-Uni ou encore de l’Irlande.

M. Jean-Luc Laurent. Rien ne vous échappe !

M. Axel Poniatowski. Le Parlement français viendra compléter ce mouvement mardi prochain, avant probablement d’autres parlements européens à brèves échéances.

Sur le fond, contrairement à la lecture que l’on fait souvent de notre débat d’aujourd’hui, je ne pense pas que la question porte sur le principe de la reconnaissance d’un État palestinien. La nécessité de ce dernier est actée, et depuis longtemps. Notre débat porte sur le moment. Est-ce le bon moment pour reconnaître un État palestinien ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Oui !

M. Axel Poniatowski. En effet, ce n’est pas une question de principe car la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies votée en 1947 prévoit le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe, entre lesquels devait d’ailleurs être instaurée une union économique, monétaire et douanière. De même, plus récemment, les accords d’Oslo en 1993 puis, surtout, les accords de Camp David en 2000 ont consacré la reconnaissance par Israël de la nécessité d’un État palestinien.

M. Claude Goasguen. D’un État palestinien négocié !

M. Axel Poniatowski. En revanche, la question du moment mérite effectivement d’être posée. Je comprends et respecte les réticences de certains à ce sujet. En ce qui me concerne, je pense que c’est précisément le moment (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) car j’ai une analyse inverse de ceux qui excipent de la situation actuelle pour justifier le statu quo. C’est le statu quo et le fait de repousser éternellement la reconnaissance de l’État palestinien à l’atteinte d’une paix durable,…

M. Marc Dolez et plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !

M. Axel Poniatowski. …aujourd’hui impossible, qui crée cette situation de tension devenue explosive, qui fait le jeu des extrêmes…

Plusieurs députés du groupe SRC. Exactement !

M. Axel Poniatowski. …et qui empêche l’aboutissement de tout processus de paix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Nicole Ameline. C’est vrai !

M. Axel Poniatowski. Mes chers collègues, cela peut durer encore longtemps,…

M. Jean-Luc Laurent. Hélas, oui !

M. Axel Poniatowski. …car cela fait déjà soixante-dix ans que cela dure.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est bien le problème !

M. Axel Poniatowski. Contrairement à ce que nous souhaiterions tous, je ne crois plus que la paix puisse être un préalable à ce processus.

Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !

M. Axel Poniatowski. Elle peut, en revanche, en être l’heureuse conclusion.

Plusieurs députés du groupe SRC. Très juste !

M. Axel Poniatowski. Le mouvement d’ensemble dont je parlais, presque coordonné au niveau européen, pour la reconnaissance d’un État palestinien n’est pas lié au hasard. C’est justement l’impasse actuelle qui crée les conditions de ce mouvement. C’est précisément l’absence de toute perspective de paix depuis l’échec de la modération américaine, en avril dernier, qui rend nécessaires de nouvelles initiatives.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien ! Voilà la vérité !

M. Axel Poniatowski. C’est le besoin, plus que jamais pressant, de reconstruction de Gaza, pour laquelle 5,4 milliards de dollars ont été promis, qui est l’occasion de renforcer l’Autorité palestinienne qui, pour la première fois depuis huit ans, reprend pied dans un territoire où régnaient sans partage les islamistes.

M. Alexis Bachelay. Très bien !

M. Axel Poniatowski. C’est le rapprochement du Fatah et du Hamas qui crée une nouvelle donne politique que nous devons encourager et soutenir pour la paix.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Axel Poniatowski. Il est donc grand temps, mes chers collègues, d’arrêter de se cacher derrière une vision improbable de la situation qui consiste à attendre, toujours attendre, attendre une paix miraculeuse qui ne peut et ne pourra se faire dans ces conditions. La paix ne peut être que le fruit de la reprise des négociations et du dialogue entre les deux parties.

M. Claude Goasguen. Tu parles ! Ce n’est pas ce qui est écrit dans la proposition de résolution !

M. Axel Poniatowski. Elle ne peut être que le résultat de la prise de conscience de cette évidence forte : Israéliens et Palestiniens ont le choix entre la poursuite du carnage et la coexistence acceptée.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Axel Poniatowski. Cette dernière n’est possible qu’à condition qu’au moins en droit, les deux parties soient dans un rapport mieux équilibré. Cela s’appelle la reconnaissance d’un État palestinien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme Nicole Ameline. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous rêvons tous d’amour entre les peuples, d’une paix juste et durable au Proche-Orient, d’une entité palestinienne vivant à côté de l’État d’Israël.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Meyer Habib. Malheureusement, la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui va à l’encontre de ces objectifs de paix. Elle est contre-productive et irresponsable.

Tout le monde souhaite un État palestinien.

M. Michel Issindou. Plus ou moins !

M. Jean-Luc Laurent. Certains moins que d’autres !

M. Meyer Habib. Là n’est pas le sujet. Pour la quasi-totalité d’entre nous, c’est une nécessité. Mais faut-il aujourd’hui, maintenant, de façon unilatérale, reconnaître un État palestinien alors qu’il serait dirigé par un gouvernement à moitié corrompu et à moitié djihadiste ? (Murmures sur plusieurs bancs du groupe SRC.) La réponse est clairement non. Il faut un État démilitarisé, résultant de négociations pour délimiter les frontières, vivant en paix aux côtés d’Israël, dont il reconnaîtrait préalablement l’existence.

À l’heure où Israël, seule minuscule démocratie portant nos valeurs au Moyen-Orient, connaît tous les trois jours un attentat touchant ses civils, à l’heure où les tensions intercommunautaires chez nous, en France, demeurent fortes, et où le djihadisme, cancer de notre temps, tue nos compatriotes et ceux de nos alliés, l’adoption d’une telle proposition de résolution va importer le conflit en France.

Mme Kheira Bouziane. Mais non !

M. Jean-Luc Laurent. Pas du tout ! Au contraire !

M. Meyer Habib. L’expérience nous montre que les règlements de conflits imposés unilatéralement ont été des échecs. Par exemple, le diktat issu du traité de Versailles a eu des conséquences catastrophiques pour la France et pour le monde. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Pourquoi reproduire les erreurs du passé ?

Palestiniens et Israéliens ont signé les accords d’Oslo, seul traité engageant les deux parties.

M. Michel Issindou. Respectez-les !

M. Meyer Habib. Il y est stipulé qu’un règlement du conflit ne peut être unilatéral.

Cette proposition viole donc ces accords. Comment réagiriez-vous, mesdames et messieurs les députés, si demain, Israël déclarait, comme certains le souhaitent, ces accords caducs, et annexait unilatéralement une partie ou la totalité des territoires de Judée -Samarie ?

M. Alexis Bachelay. C’est déjà ce qu’il fait !

M. Philip Cordery. Avec la colonisation.

M. André Chassaigne. Et les colonies ?

M. Meyer Habib. Sur le plan moral ensuite, alors que le terrorisme et le djihadisme menacent le monde libre, pouvons-nous promouvoir au rang d’État une organisation reconnue comme terroriste par l’Union européenne ? Car c’est bien ce que nous ferions en adoptant cette proposition. Mahmoud Abbas a en effet créé le 2 juin dernier, un gouvernement intégrant le Hamas, équivalent de Daech, ou d’Al Qaeda ! Il n’y a pas de bons ou de mauvais terroristes.

M. Michel Issindou. Restez calme, cher collègue !

M. Meyer Habib. Alors que nous venons de voter unanimement la loi Cazeneuve contre le terrorisme, l’adoption de cette proposition de résolution reviendrait indirectement à reconnaître le terrorisme comme moyen de pression politique légitime.

Mme Élisabeth Guigou. On ne peut pas dire cela.

M. Alexis Bachelay et Mme Geneviève Gaillard. Pas du tout !

M. Meyer Habib. Ceci quelques semaines seulement après l’assassinat de notre compatriote, ami du maire de Nice ici présent,…

M. Alexis Bachelay. Non, il est parti !

M. Meyer Habib. …notre compatriote, Hervé Gourdel, égorgé devant les caméras par les djihadistes, et seulement deux ans après le massacre de Toulouse. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Quelle erreur !

M. Philip Cordery. Vous mélangez tout !

M. Alexis Bachelay. Amalgame honteux !

M. Meyer Habib. Mes chers collègues, reconnaître l’État Palestinien aujourd’hui, reviendrait à dire au Hamas : « continuez à tuer, vous n’avez pas besoin de déposer les armes pour obtenir des droits ! » (« Honteux ! » sur les bancs du groupe SRC.) Ce serait récompenser une organisation qui tue volontairement des bébés et des civils à coups de voitures béliers.

M. André Chassaigne. Quelle honte en effet que cet amalgame !

M. Philip Cordery. Ce n’est pas acceptable. C’est du délire !

Mme Jacqueline Fraysse. Et Israël, alors ?

M. Meyer Habib. Député, entre autres, des Français qui résident en Israël, je connais la réalité du terrain.

M. Alexis Bachelay. Non !

M. André Chassaigne. D’un côté du mur !

M. Meyer Habib. Souffrez de m’écouter encore quelques minutes.

Depuis près de soixante-dix ans, ce minuscule État, dont la superficie fait deux fois la Dordogne, se bat pour sa survie dans un environnement terrible. Il n’a cessé de faire des concessions pour atteindre la paix. Il est sorti du Liban, de la bande de Gaza, du Sinaï et il est prêt à sortir d’autres territoires.

Mme Kheira Bouziane. De Cisjordanie ?

M. Meyer Habib. Mais il ne reçoit aucune main tendue en retour.

Le Hamas et l’Autorité palestinienne ne veulent revenir ni sur la question du retour de 3,5 millions de réfugiés, ni accepter l’existence du seul État juif. (M. Meyer Habib, intensément ému, s’interrompt un instant.) Avant 1967, il n’y avait pas de problème de territoires et personne n’évoquait le problème palestinien. L’objectif unique était la destruction de l’État d’Israël.

Les enjeux territoriaux peuvent être résolus, j’en suis persuadé, par des concessions mutuelles. Mais hélas, cette guerre est, selon moi, avant tout une guerre de religion…

M. Alexis Bachelay. Non.

M. Philippe Baumel. Caricature !

M. Alexis Bachelay. C’est un problème politique.

M. Meyer Habib. …ou plutôt la guerre de djihadistes qui dévoient l’islam. Pour ces djihadistes, il n’y a pas de place pour quiconque n’incarnant pas l’islam radical : 200 000 morts en Syrie, 40 000 morts en Irak, les Chrétiens d’Orient qui disparaissent…

Savez-vous qu’à Bethléem, ville natale du Christ, la population était à 81 % chrétienne en 1993 ?

M. Alexis Bachelay. Ce n’est pas le sujet.

M. Meyer Habib. Aujourd’hui sous administration palestinienne, vingt ans après, ils ne sont plus que 19 %, vivant dans la peur ?

Dans un tel contexte, comment construire la paix ?

M. Jean-Pierre Dufau. En la faisant.

M. Meyer Habib. Certainement pas en légitimant un mouvement terroriste dont la Charte appelle à détruire Israël. Je vous invite à la lire, et je vous l’enverrai. À ce jour, alors qu’Israël a soixante-six ans, seuls deux États du monde arabo-musulman sur cinquante-deux l’ont reconnu : la Jordanie et l’Égypte. Le saviez-vous ?

Savez-vous par ailleurs, chers collègues socialistes, que pas une seule fois le nom d’Israël n’est mentionné dans les manuels scolaires palestiniens du Fatah ? Ces manuels falsifient l’histoire (La voix de M. Meyer Habib se brise.) en indiquant que Jérusalem est composée de trois quartiers, alors que Jérusalem est la capitale du peuple juif depuis trois millénaires. (M. Meyer Habib s’interrompt à nouveau - Murmures sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. François Asensi. Soit, mais ça va !

M. Meyer Habib. Enfin, interrogeons-nous sur le rôle de la représentation nationale. Notre Assemblée va-t-elle se positionner sur tous les conflits territoriaux ou identitaires dans le monde ? Est-ce bien là son rôle ?

Pourquoi ne voterions-nous pas une résolution pour le

Kurdistan, pour ces malheureux Tibétains, la Chypre-Nord, la Crimée ? Ou encore la Catalogne ?

M. Jean-Pierre Dufau. Que vient faire la Catalogne dans ce débat ?

M. Meyer Habib. N’est-ce pas, enfin et surtout faire preuve d’un opportunisme politique flagrant et désolant, en instrumentalisant un conflit extérieur grave pour tenter de gagner des voix, et en ravivant les tensions intercommunautaires dans les banlieues ? (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Germain. Vous n’avez pas le droit de tenir de tels propos.

M. Philip Cordery et M. Pierre-Yves Le Borgn’. C’est honteux de dire cela.

M. Meyer Habib. Vingt manifestations pro-palestiniennes sont prévues aujourd’hui, déclaré « Jour de colère » ! Hélas, le PS va mettre le feu, réimporter le conflit en France. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Dois-je vous rappeler qu’on a crié « Mort aux Juifs » dans des manifestations l’été dernier ?

" Derrière un antisionisme de façade, c’est l’antisémitisme et la haine du Juif ". Ce propos n’est pas de moi, mais de Manuel Valls, le Premier ministre ! (« Amalgame » ! sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Dufau. Révisez Ben Gourion ! Vous mélangez tout.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Habib.

M. Meyer Habib. Mes chers collègues, je sais que, y compris au Parti socialiste qui a cédé sous les coups de butoir de l’extrême-gauche antisioniste et des mouvances proches des islamistes (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.), ce texte a semé le trouble, et que nombre d’entre vous, qui souhaitent un État palestinien vivant en paix aux côtés d’Israël, doutent de son bien-fondé. (« Lamentable ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philip Cordery. Arrêtez-le !

M. Alexis Bachelay. Vous êtes un fanatique !

M. Jean-Marc Germain. C’est une caricature indigne !

M. Meyer Habib. Parce que cette proposition va à l’encontre de la paix, de l’intérêt des peuples palestinien et israélien, parce qu’elle fera choisir à la France, ami historique d’Israël, un camp plutôt qu’un autre, et parce qu’elle attisera dangereusement les tensions entre les différentes communautés, je vous demande de voter contre ce texte.

M. Claude Goasguen et M. Christian Estrosi. Très bien !

M. Philippe Vigier. Vous auriez pu respecter l’intervention de notre collègue !

M. Jean-Pierre Dufau. Son intervention est la preuve même qu’il faut voter la résolution !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à voir vos réactions pendant que notre collègue Meyer Habib s’exprimait, on peut difficilement ne pas croire que cette proposition de résolution ne créera pas de graves tensions dans notre pays.

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais non !

M. Philip Cordery. C’est votre rêve.

M. Jean-Pierre Dufau et M. Philippe Baumel. Les propos du pompier pyromane !

M. Gilbert Collard. Vous n’avez supporté aucune de ses réflexions, aucun de ses arguments. Cette proposition de résolution est irrecevable, irréaliste et n’a pour but que de vous fournir « l’orthopédie » de combats idéologiques qui vous font aujourd’hui grandement défaut. Pour vous, le droit international, ce sont les banlieues qu’il faut reconquérir. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Dufau. Changez de lunettes !

M. Alexis Bachelay. Escroc !

M. Marc Dolez. C’est honteux !

M. Gilbert Collard. Je ne disconviens pas de la nécessité, indiscutable, de voir un jour un État palestinien exister. Je n’ignore pas les souffrances du peuple palestinien…

M. Jean-Pierre Dufau. Mais…

M. Gilbert Collard. …mais, je ne peux pas ignorer non plus, même si cela vous dérange, les souffrances du peuple israélien. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Guy Delcourt. Malhonnêteté intellectuelle.

M. Gilbert Collard. Tout à l’heure, j’ai entendu un député oser parler de l’Afrique du sud et établir une comparaison entre l’État d’Israël et l’Afrique du sud. Israël n’est pas un état raciste. Il n’y a pas d’apartheid. Mettez-vous cela dans la tête !

M. Meyer Habib. Bravo !

M. Claude Goasguen. Très bien.

M. Gilbert Collard. C’est un pays qui représente au Proche-Orient les valeurs de la démocratie que nous défendons.

M. Jean-Pierre Dufau. Je ne suis pas sûr que vous connaissiez très bien ce dont vous parlez.

M. Gilbert Collard. Si vous reconnaissez aujourd’hui l’État de Palestine à travers votre résolution, vous embrassez le Hamas ! (« Mais non ! » sur les bancs du groupe SRC. – M. Meyer Habib applaudit.) Vous embrassez le terrorisme. Vous embrassez la haine. Vous embrassez la mort dans les villes d’Israël et à Jérusalem.

M. Alexis Bachelay. Voilà l’extrême-droite !

M. François Loncle. Lamentable !

M. Gilbert Collard. Soyez lucides ! Qu’êtes-vous en train de faire ?

Nous voulons un État palestinien, nous le voulons tous.

M. Philip Cordery. Alors, votez la résolution.

M. Gilbert Collard. Qui pourrait ne pas en vouloir ? Mais dans les conditions requises, pas dans ce désordre,…

M. Gwenegan Bui. Mais quand ?

M. Gilbert Collard. …pas dans le terrorisme, pas dans la violence, pas dans cette Charte qui dans ses articles 13 et 11, veut éradiquer l’État juif, veut le nier ! Comment pouvez-vous accepter qu’on vote une résolution qui donne un panache aux tueurs, aux terroristes ?

Mme Kheira Bouziane. Dans quelles conditions ?

M. Jean-Pierre Dufau. On ne l’accepte pas.

M. Meyer Habib. Bravo, monsieur Collard !

M. Gilbert Collard. Oui, à un État palestinien, mais pas dans ces conditions. Oui, à la paix, non au terrorisme. Pourquoi avez-vous besoin alors que les tensions et les violences sont partout,…

M. Michel Issindou. C’est précisément la raison.

M. Gilbert Collard. …d’attiser encore plus le feu en proposant le vote de cette résolution ?

M. Jean-Pierre Dufau et M. Alexis Bachelay. Pompier pyromane !

M. Gilbert Collard. Quand on étudie l’histoire, de quoi se rend-on compte ? Qu’il y a une nécessité évidente de dialogue. Qu’il faut que les hommes se parlent. Ici, dès l’instant où l’un d’entre nous évoque des arguments qui vous déplaisent, vous proférez des insultes. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. C’est vous !

M. Meyer Habib. Écoutez au moins !

M. François Loncle. Vous insultez l’histoire !

M. Gilbert Collard. Vous criez, vous voulez nous empêcher de parler, de développer nos arguments. La contradiction vous dérangerait-elle ? Écoutez-nous !

On a peut-être tort.

M. Patrice Carvalho. Quel aveu !

M. Gilbert Collard. Nos arguments sont peut-être discutables, mais au moins écoutez-nous, comme on vous écoute !

Démontrez-nous une seule chose, à savoir qu’en reconnaissant aujourd’hui un État palestinien, vous ne reconnaissez pas en même temps le Hamas et ses crimes.

Mme Kheira Bouziane. On ne les reconnaît pas.

M. Gilbert Collard. Si, vous le reconnaissez, et cela, nous n’en voulons pas. C’est tout. Ne prétendez pas que nous ne voulons pas d’un État palestinien. Nous ne voulons pas de cette entité pleine de haine…

M. André Chassaigne. Qui porte la haine ici ?

M. Gilbert Collard. …bourrée de terrorisme, qui contamine aujourd’hui, ici, nos populations des banlieues, qui vous rejettent et que vous voulez récupérer. On a dit pompeusement que la France avait aujourd’hui rendez-vous avec son destin.

M. André Chassaigne. En effet.

M. Gilbert Collard. Mais enfin, le destin de la France ne réside pas dans une résolution ! C’est autre chose. C’est un vrai combat diplomatique, c’est l’intelligence des négociations. À quel jeu jouons-nous ? Vous êtes dans la communication alors qu’on est dans le sang, la souffrance, de part et d’autre part, entre deux peuples.

M. Alexis Bachelay. Ça va !

M. Meyer Habib. Bravo !

M. Gilbert Collard. Cessez de jouer avec les mots. Vous faites véritablement honte au droit international ! (M. Claude Goasguen et M. Meyer Habib applaudissent.)

M. Guy Delcourt. Bravo, monsieur le procureur !

M. André Chassaigne. Les applaudissements sont révélateurs.

Mme Jacqueline Fraysse. Lamentable !

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le ministre, en écoutant tout à l’heure le remarquable exposé de M. Schwartzenberg, j’aurais pu penser qu’il s’agissait de débattre de problèmes de droit international. Je me suis vite aperçu, à entendre les cris divers et variés, qu’il s’agissait en réalité d’un débat, ainsi que nous le redoutions, strictement politicien à visée interne. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ne vous y trompez pas, mes chers collègues, nous ne sommes dupes de rien.

Mme Kheira Bouziane. Nous, non plus.

M. Claude Goasguen. Vous avez engagé une course de vitesse entre le parti socialiste, les écologistes et le parti communiste…

M. Jean-Pierre Dufau. Et au-delà !

M. Claude Goasguen. …pour déposer rapidement une proposition de résolution afin de vous adresser à ceux qui vous ont quittés parce que le président Hollande a, pendant une journée, été considéré comme pro-israélien. Je ne fais là que reprendre le propos d’un député socialiste.

M. Jean-Pierre Dufau. Qui est politicien ici ?

M. Claude Goasguen. Vous ne tromperez personne.

M. Alexis Bachelay. Vous non plus.

M. Claude Goasguen. Il s’agit d’un petit concert entre vous, mais votre musique qui ne trompe personne. Vous devriez pourtant avoir conscience que ce débat intervient dans un pays qui n’est pas apaisé sur ce sujet.

M. André Chassaigne. Élevez le débat !

M. Claude Goasguen. Ne vous inquiétez pas, cher collègue. Mais puisque vous le rabaissez, permettez-moi de vous répondre et s’agissant du droit international, vous me donnerez des leçons un peu plus tard.

M. André Chassaigne. Sans problème.

M. Claude Goasguen. Il y a quelques mois, ce pays a connu des tensions incroyables, des manifestations au cours desquelles on a vu revenir un thème que l’on croyait oublié depuis les années trente, un peuple de France, car il n’y a pas de communautés, qui criait l’antisémitisme à pleins poumons, sur l’affaire de Gaza. Dans une situation où nous avons réussi à parvenir à un certain apaisement par des efforts mutuels…

Mme Marie-George Buffet et M. André Chassaigne. C’est faux ! C’est scandaleux !

M. Claude Goasguen. …des efforts mutuels, disais-je ! Vous n’étiez pas, que je sache, à la mosquée de Paris pour demander au CFCM une position d’apaisement, position qui a d’ailleurs été la sienne.

M. Meyer Habib. Bravo !

M. Claude Goasguen. Je n’y ai pas vu de communistes…

Mme Marie-George Buffet. Ce n’était pas justifié.

M. Claude Goasguen. …car vous ne voulez pas l’apaisement.

Il n’y avait pas beaucoup de socialistes non plus.

Mme Élisabeth Guigou. J’y étais, moi, ainsi que la maire de Paris.

M. Claude Goasguen. Nous avons essayé, avec les musulmans, de parvenir à un certain apaisement, et il y en a effectivement eu un au cours de l’été.

N’oubliez pas l’affaire du djihadisme où des Français, musulmans ou non, des sectaires sont allés combattre au nom du terrorisme, de la barbarie.

M. Jean-Pierre Dufau. Les croisades, c’est fini.

M. Claude Goasguen. Pensez-vous vraiment que ce débat que vous déplacez dans le champ politicien sera sans effet sur la situation politique de la France ? Nous avons parfaitement compris votre démarche.

Je vais maintenant m’adresser à M. le ministre.

Monsieur le ministre, en acceptant que cette proposition de résolution soit examinée au titre de l’article 34-1de notre Constitution, vous avez rompu avec l’engagement de la diplomatie française sur les accords d’Oslo dont je vous rappelle que la France est garante. Mardi prochain, il faudra donc que vous nous disiez que vous n’entendez plus désormais que la situation de la Palestine soit réglée par la négociation. Or les accords d’Oslo disent clairement qu’il n’est pas possible d’établir par une voie unilatérale la paix dans cette région du monde.

M. François Asensi. Les accords d’Oslo patinent.

M. Claude Goasguen. Vous changez de position. Soit.

Mme Kheira Bouziane. Non, nous persévérons.

M. Claude Goasguen. Permettez-moi de vous faire remarquer que nous sommes tout seuls dans cette démarche, c’est clair.

M. André Chassaigne. Non ! Ce sont cent trente-cinq États qui ont reconnu la Palestine.

M. Claude Goasguen. L’Espagne ne dit pas du tout la même chose que nous, l’Angleterre non plus.

M. Philippe Vigier. Il a raison.

M. Claude Goasguen. L’Espagne n’a pas une position unilatéralement palestinienne. Elle est absolument équilibrée avec Israël.

M. Meyer Habib. Tout à fait.

M. Claude Goasguen. Alors, ne vous servez pas des résolutions des autres pays européens, que vous n’avez pas lues et dont vous ignorez tout.

M. Philip Cordery. Vous, vous n’avez pas bien lu la nôtre.

M. Claude Goasguen. Nous sommes seuls, avec la Suède.

Vous avez isolé notre pays.

Et maintenant, quel État palestinien allons-nous reconnaître ? Depuis la Conférence de Montevideo, la reconnaissance unilatérale d’un État doit s’appuyer sur des règles de droit international très claires, que je vous rappelle.

Premièrement, qui représente la Palestine ? Celle-ci en effet n’a pas d’autorité politique et je vous rappelle que, depuis 2006, elle n’a pas connu d’élections. Mieux même : lorsque des élections ont eu lieu, elles ont été remportées par le Hamas et il a fallu recourir à une supercherie pour placer à Ramallah un représentant du Fatah, obligeant le Hamas à occuper Gaza. Il n’y a donc pas, je le répète, d’autorité politique.

Deuxièmement, quel est le territoire de cet État ? On nous cite les frontières de 1967, mais pour François Mitterrand, qui, croyez-moi, était un peu plus fin que vous…

Plusieurs députés du groupe SRC. Voilà que M. Goasguen cite François Mitterrand !

M. Claude Goasguen. …il s’agissait, dans la résolution 242, d’échanger des territoires disputés, c’est-à-dire que contrairement à vous qui, mécaniquement, considérez que le territoire est fixé une fois pour toutes, …

M. Meyer Habib. Très bien !

M. Claude Goasguen. …François Mitterrand, lui, avait remis cela en question pour ouvrir la négociation. En effet, François Mitterrand n’était pas favorable à une reconnaissance unilatérale.

M. Benoît Hamon. Il vous l’a dit ?

M. Claude Goasguen. Et à vous, qui étiez dans les limbes du syndicalisme étudiant, ou même plutôt lycéen, monsieur Hamon, il vous en a parlé ? Vous connaissez tout à cette affaire ?

M. Benoît Hamon. C’est une attaque personnelle !

M. le président. Monsieur Goasguen, je vous remercie de bien vouloir conclure.

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre, vous avez eu récemment une très belle formule devant l’Assemblée nationale.

M. André Chassaigne. Parlez-nous des colonies !

M. Claude Goasguen. Je connais mieux que vous le droit international !

M. André Chassaigne. Parlez-nous des enfants de Gaza !

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre, vous avez en effet déclaré qu’il fallait affirmer la reconnaissance d’un État palestinien, en disant qu’il s’agissait d’un droit, mais qu’il ne devait pas y avoir là de passe-droit. Ne recourez pas à un tour de passe-passe, car cela ne sert à rien. La diplomatie française n’est pas un jeu de bonneteau. Soit nous négocions, soit nous reconnaissons unilatéralement l’État palestinien mais, sur ce point fondamental, qui est le casus belli du traité international que nous devons produire, il faudra bien que vous nous disiez mardi quelle est exactement votre position.

M. Meyer Habib. Très bien !

M. Claude Goasguen. Bien entendu, nous ne voterons pas ce papier rapidement écrit, intitulé « résolution ». (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mardi prochain, après ce débat, vous allez vous prononcer dans un vote concernant la reconnaissance de l’État de Palestine. Un tel débat suivi d’un scrutin est inhabituel : la reconnaissance d’un État est en effet une prérogative de l’exécutif et il est rare que le Parlement se saisisse d’une telle question. Mais la situation elle-même est exceptionnelle : l’interminable et dramatique conflit israélo-palestinien, l’attachement de la France envers les deux peuples, le désir de notre pays de voir la paix enfin s’instaurer là-bas expliquent votre volonté, même si elle s’exprime par des positions diverses et contradictoires, de contribuer à une solution politique.

Je commencerai sur ce sujet par une évidence : la France est l’amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.) et ceci devrait guider le fond et le ton de nos prises de position.

Mme Nicole Ameline. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Nos seuls ennemis dans cette région sont les extrémistes et les fanatiques qui, de chaque côté, entravent la marche vers la paix par ce que j’appellerai leur « spirale du talion ».

Dans cette recherche de la paix, notre pays, comme vous l’avez souligné, s’est depuis longtemps déclaré favorable à la solution des deux États. C’est le 29 novembre 1947, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la création de deux États, que la France apporta sa voix décisive. Je rappelle le texte de la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, en 1947 : « les États indépendants arabe et juif (…) commenceront d’exister (…) le 1er octobre 1948 au plus tard ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) La France fut l’une des premières, après l’URSS et les États-Unis, à reconnaître le jeune État d’Israël, qui dut conquérir de haute lutte son droit à l’indépendance. Ce fut aussi, on l’a rappelé, la position du Général de Gaulle, de ses successeurs, quels qu’ils soient, et, par un discours resté fameux prononcé à la tribune de la Knesset en 1982, celle de François Mitterrand – dont je connaissais le fond de la position, cher ami (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.), qui traça la perspective en reconnaissant l’aspiration légitime du peuple palestinien à un État.

Au-delà des alternances politiques, c’est la position constante de la diplomatie française. Les votes récents de la France en faveur de la Palestine comme membre de l’UNESCO ou comme État observateur non-membre à l’ONU vont dans le même sens. C’est également la position du Président François Hollande et du Premier ministre Manuel Valls. Je réaffirme cette position à cette tribune. Notre conviction est que le règlement définitif du conflit et l’avènement d’une paix durable au Proche-Orient ne pourront être obtenus que par la coexistence de deux États souverains et indépendants. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La conséquence logique de cette position est claire et a été très bien soulignée par M. Poniatowski. Je veux dont l’exprimer clairement : la France reconnaîtra l’État de Palestine. Cette reconnaissance, je l’ai dit, n’est pas une faveur, un passe-droit, c’est un droit. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Meyer Habib. Avec le Hamas ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Chut !

M. Laurent Fabius, ministre. La question qui se pose à nous n’est donc pas celle des principes, puisque celle-ci est tranchée, mais celle des modalités : quand et comment ?

M. Claude Goasguen. Voilà !

M. Pierre Lellouche. Il a découvert l’eau chaude !

M. Laurent Fabius, ministre. Plus largement, quelle méthode pour essayer d’aboutir concrètement à la paix ? C’est le vrai débat qu’appelle la proposition soumise à votre Assemblée.

Mesdames et messieurs les députés, personne ne peut nier que l’espoir de paix au Proche-Orient soit plus que jamais menacé. Nous partageons tous devant ce conflit un sentiment d’urgence. Nous mesurons la gravité de la situation. Nous savons les ravages que crée des deux côtés, et ailleurs, l’absence de perspective concrète de solution. Nous voyons l’étendue des drames humains et les atteintes, toujours plus inquiétantes, portées à la solution des deux Etats.

C’est d’ailleurs pourquoi, qu’on le veuille ou non, plus de cent trente pays dans le monde ont reconnu la Palestine. C’est aussi pourquoi, au cours des dernières semaines, plusieurs pays ou parlements voisins ont pris des initiatives voisines : la Suède, le Parlement de Grande-Bretagne, d’Irlande et, très récemment, celui d’Espagne. Ils ont voulu exprimer, selon des formes diverses, que face à l’impasse actuelle, ils refusaient l’attente, le fatalisme et l’inertie. Nous sommes nous-mêmes convaincus qu’il faut agir pour faire avancer la paix.

La paix, nous en connaissons depuis longtemps les contours. Elle doit reposer sur l’existence de deux États souverains et démocratiques vivant côte à côte en paix et en sécurité, sur la base des lignes de 1967 et avec Jérusalem pour capitale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est d’ailleurs le paradoxe tragique du conflit israélo-palestinien et, d’une certaine façon, sa spécificité par rapport à d’autres conflits : les termes de sa résolution sont pour l’essentiel déjà connus, et cependant il apparaît depuis des décennies comme le symbole du conflit insoluble.

Car il est vrai que la méfiance est très forte entre les deux parties, même si les opinions publiques des deux côtés restent majoritairement favorables à la solution des deux États. La poursuite, jugée illégale en droit international, des implantations depuis les années 1970 dans les territoires occupés par Israël menace à un terme de plus en plus rapproché la viabilité d’un État palestinien, cependant que la position de certains groupes palestiniens comme le Hamas, qui appellent à la destruction d’Israël, rejettent les accords d’Oslo et exaltent la violence, est évidemment contraire à la volonté de solution et à nos choix. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Bref, face à une paix nécessaire et espérée, il faut constater que les obstacles se multiplient. Le processus de négociations entre les deux parties, que le secrétaire d’État américain Kerry a tenté avec ténacité de relancer en début d’année, apparaît à l’arrêt. L’explosion des violences provoque l’effroi, avec encore récemment l’attentat barbare commis contre des Israéliens dans une synagogue de Jérusalem et, cet été, la tragédie insupportable qui a frappé très cruellement les habitants de Gaza.

À Gaza précisément, rien n’est réglé, en Cisjordanie, à Jérusalem, partout la tension grandit : une étincelle peut, à chaque instant, conduire à l’embrasement général.

Cette situation dramatique, c’est à la fois l’expression et l’aboutissement de décennies de tensions, avec l’engagement périodique de négociations et l’échec périodique de ces mêmes négociations. À tel point qu’au fil des années, ce conflit est devenu une sorte de rocher de Sisyphe des relations internationales. À chaque reprise des discussions, l’espoir renaît mais, quand le but approche, quand chacun espère que les deux parties peuvent et vont conclure, la rechute, hélas, se produit. À Madrid, puis lors des accords d’Oslo, la paix a pu sembler à portée de main. Lors des sommets de Camp David, de Taba aussi, où l’issue paraissait proche. Mais la paix a fini toujours par se dérober, rendant chaque fois plus amères et plus brutales les désillusions de ceux qui croyaient en elle.

Face à cette impasse, c’est le devoir de la communauté internationale de réagir, en particulier le devoir de la France, puissance de paix, amie traditionnelle des Israéliens et des Palestiniens, même si nous savons que la tâche est et sera très difficile.

Mesdames et messieurs les députés, le texte qui vous est soumis « affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël ». Il « affirme que la solution des deux États, promise avec constance par la France et l’Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël ». Enfin, il « invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit ».

Certains parmi vous estiment que, pour des raisons constitutionnelles, ils ne peuvent prendre position favorable, ou position tout court, car cela empiéterait sur les pouvoirs de l’exécutif. Je veux être clair : ce qu’interdit l’article 34-1 de notre Constitution, c’est que le Parlement inscrive à l’ordre du jour des propositions de résolution contenant des « injonctions » à l’égard du Gouvernement. Or, la proposition examinée constitue – ce n’est pas une querelle sémantique –, non une « injonction », mais une « invitation » à l’adresse du Gouvernement. Il ne doit dont pas y avoir d’ambiguïté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Estrosi. Quelle hypocrisie !

M. Laurent Fabius, ministre. Respecter le droit, ce n’est pas être hypocrite – c’est le contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Sur la question de la reconnaissance de l’État de Palestine, je veux être clair : le Parlement peut se prononcer, il va le faire, mais aux termes de notre Constitution, l’exécutif, et lui seul, est juge de l’opportunité politique. C’est clair, c’est net et c’est la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vigier. Que fait le Gouvernement ? Rien !

M. Laurent Fabius, ministre. Mesdames et messieurs les députés, comment servir le plus efficacement possible la cause de la paix ?

M. Laurent Fabius, ministre. La France défend depuis longtemps, très longtemps, l’idée que la reconnaissance de l’État de Palestine doit intervenir dans le cadre d’un règlement global et définitif du conflit négocié par les deux parties, pour une raison simple et forte : nous ne voulons pas d’une reconnaissance symbolique qui n’aboutirait qu’à un État virtuel. Nous voulons un État de Palestine réel. Après vingt-cinq armées de « processus de paix » sans résultat, il est clair que l’on ne peut pas se contenter d’une reconnaissance qui serait en trompe-l’œil et qui ne serait suivie d’aucun effet concret.

M. Jean-Luc Laurent et M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Mais l’objectif souhaitable d’une reconnaissance inscrite dans le cadre d’un accord global n’a de sens que si les négociations s’engagent effectivement, si elles avancent et si elles aboutissent.

M. Claude Goasguen. Et voilà !

M. Pierre Lellouche. Retour à la case départ !

M. Laurent Fabius, ministre. En d’autres termes, nous soutenons la négociation, mais nous refusons que celle-ci devienne le mode de gestion d’un statu quo injuste et finalement intenable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Nous refusons ce qui serait un faux-semblant où les deux parties, livrées seules à elles-mêmes, ne parviendraient qu’à ressasser les mêmes questions sans qu’un cadre et un terme clairs soient donnés à la négociation.

M. Claude Goasguen. Relancez la négociation !

M. Laurent Fabius, ministre. Bref, la négociation accompagnant la reconnaissance ne peut pas devenir un moyen, voire le moyen d’éviter ou d’empêcher cette reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Dès lors, constatant le blocage actuel, nous pensons qu’il est légitime de retenir une approche permettant de donner une réelle et peut-être ultime chance à la négociation.

M. Claude Goasguen. Sophisme !

M. Laurent Fabius, ministre. Nous considérons qu’il est indispensable de sortir d’un face-à-face solitaire entre Israéliens et Palestiniens, méthode qui malheureusement a fait la preuve de son peu d’efficacité. Le constat historique de ces dernières décennies est en effet irrécusable : seules, ou même avec le concours très utile des États-Unis, les deux parties réussissent, difficilement, à discuter, mais elles ne parviennent jamais à conclure. Notamment – mais pas uniquement – pour des raisons de politique intérieure, elles ne parviennent pas à accomplir les derniers gestes, les dernières concessions qu’imposera nécessairement la signature d’un compromis.

Il faut donc essayer de faire évoluer cette méthode. Il faut un accompagnement, certains diront une pression de la communauté internationale pour aider les deux parties à faire le geste final indispensable et accomplir le pas ultime qui mènera à la paix. C’est ce à quoi le gouvernement français s’emploie en ce moment même aux Nations unies.

M. Alexis Bachelay. Excellent !

M. Laurent Fabius, ministre. Aux Nations unies, nous travaillons avec nos partenaires pour essayer, je dis bien essayer, de faire adopter une résolution du Conseil de sécurité en vue d’une relance et d’une conclusion des négociations, pour laquelle le terme de deux années est le plus souvent évoqué ; le Gouvernement peut reprendre ce chiffre à son compte.

Après tant d’efforts et d’échecs, le résultat est loin d’être assuré, mais nous ne voulons écarter aucune chance de paix. Les objectifs de cette résolution sont clairs : fixer un cap. Nous voulons éviter l’écueil de négociations sans fin, qui reprendraient depuis le départ des efforts déjà accomplis depuis des années. Des paramètres précis pour un règlement du conflit adoptés en amont par la communauté internationale fourniront la base des futures négociations. Nous devons aussi fixer un calendrier car sans cela, sans ce délai de deux ans que j’ai évoqué, comment convaincre qu’il ne s’agira pas d’un énième processus sans perspective réelle d’aboutir ?

Parallèlement à ces négociations aux Nations unies, la France plaide pour créer les conditions d’un effort collectif international au service de la paix. L’expérience nous enseigne, je l’ai souligné, que les Israéliens et les Palestiniens ne parviennent pas à aller jusqu’au bout, à conclure tout seuls. Les décisions à prendre sont si délicates qu’un accompagnement et un soutien internationaux sont indispensables, avec les États-Unis et au-delà même des États-Unis.

D’autres pays sont par ailleurs directement concernés par la solution du conflit. Je citerai seulement, même s’il y en a d’autres, l’Égypte ou la Jordanie, qui accueillent de nombreux réfugiés palestiniens depuis des décennies et qui, s’agissant de la Jordanie, exercent des responsabilités particulières sur les lieux saints.

La France souhaite entraîner dans cette démarche à la fois l’Union européenne, la Ligue arabe et l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, dont les États-Unis, dans une mobilisation collective en faveur de la paix au Proche-Orient. Une conférence internationale pourrait être organisée afin d’appuyer cette dynamique indispensable. La France est disposée à en prendre l’initiative. Dans cette négociation diplomatique, la reconnaissance de l’État palestinien constituera un instrument du règlement définitif du conflit, un levier au service de la paix.

Et si ces efforts échouent, dira-t-on ? Si cette ultime tentative de solution négociée n’aboutit pas ? Alors, il faudra que la France prenne ses responsabilités, en reconnaissant sans délai l’État de Palestine. Nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mesdames et messieurs les députés, la position du gouvernement français se veut à la fois équilibrée et positive. Il n’est pas question d’un statu quo qui, en réalité, menacerait la solution des deux États, il n’est pas question de céder sur la sécurité d’Israël et il n’est pas question d’importer chez nous le conflit israélo-palestinien.

M. Meyer Habib. C’est pourtant ce que nous faisons !

M. Pierre Lellouche. Quel cynisme !

M. Laurent Fabius, ministre. Dans notre esprit, les votes qui vont intervenir, je l’espère en tout cas, n’opposeront pas d’un côté ceux qui soutiennent les Palestiniens et de l’autre ceux qui soutiennent les Israéliens, car la reconnaissance de l’État de Palestine est nécessaire aussi pour assurer durablement le développement et la sécurité d’Israël.

M. Meyer Habib. Pas avec le Hamas !

M. Laurent Fabius, ministre. Elle devrait donc logiquement être soutenue par tous les amis d’Israël. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.) Mais, de façon symétrique, nous pensons qu’être un ami d’Israël n’est nullement, en aucun cas, être un ennemi de la Palestine. Le point de rencontre est la recherche de la paix qui implique de reconnaître l’État palestinien selon la méthode et au moment les plus efficaces pour servir cette paix. Sur ce chemin escarpé, nous ne ménageons pas et ne ménagerons nos efforts car nous savons comme vous, mesdames et messieurs les députés, que le temps est compté à celles et ceux qui, dans cette région et pour cette région, veulent sincèrement et profondément la paix. (Les députés des groupes SRC, écologiste et GDR se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

Je rappelle que la Conférence des Présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur la proposition de résolution auront lieu le mardi 2 décembre après les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Ratification de l’amendement au protocole de Kyoto

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification de l’amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (nos 1880, 2202, 2096).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames et messieurs les députés, le protocole de Kyoto est aujourd’hui le seul instrument international juridiquement contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il met en œuvre la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992, qui fixe les grandes orientations de la lutte contre le dérèglement climatique.

Après son adoption en 1997 et son entrée en vigueur en 2005, le protocole de Kyoto a permis de réduire les émissions des pays développés durant une première période d’application, de 2008 à 2012.

Vous le savez, le gouvernement français est pleinement mobilisé pour lui trouver un accord successeur, qui sera adopté à Paris en décembre 2015 lors de la 21conférence des Nations unies sur le climat, la COP21. Ce nouvel accord devra être applicable à tous les émetteurs et entrera en vigueur en 2020. Il est donc impératif que l’action internationale en faveur de la protection de notre climat se poursuive entre la fin de la première période du protocole de Kyoto, en 2012, et l’entrée en vigueur de l’accord de Paris en 2020.

C’est la raison pour laquelle je me présente devant vous aujourd’hui. Le projet de loi qui est soumis à votre approbation autorise en effet la ratification de l’amendement de Doha au protocole de Kyoto. Cet amendement, adopté en décembre 2012, prévoit une deuxième période d’engagement, de 2013 à 2020, afin de prolonger les efforts de réduction des émissions. Il fait partie de l’équilibre politique trouvé en 2011 lors de la conférence sur le climat de Durban : c’est la promesse d’une deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto qui a contribué à ouvrir la voie à l’élaboration d’un nouvel accord universel sur le climat.

Tel qu’il a été adopté, cet amendement est conforme aux positions de la France et des autres États membres de l’Union européenne, qui parlent d’une seule voix lors des négociations internationales sur le climat. L’Union européenne s’est en effet dotée en 2008 d’un paquet « énergie-climat » dont l’un des objectifs est de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, par rapport aux niveaux de 1990. L’objectif européen fixé pour la deuxième période du protocole de Kyoto découle directement de celui contenu dans ce paquet et c’est la raison pour laquelle l’Union européenne s’est engagée à mettre en œuvre l’amendement dès le 1er janvier 2013, sans attendre son entrée en vigueur. Tout porte à croire que l’objectif que s’est fixé l’Union européenne à l’horizon 2020 pourra être atteint, voire dépassé, puisque ses émissions ont déjà été réduites de 18 %.

D’autres partenaires ont également proposé un objectif de réduction de leurs émissions pour la période 2013-2020. Il s’agit de l’Australie, de la Biélorussie, du Kazakhstan, du Liechtenstein, de Monaco, de la Norvège, de la Suisse et de l’Ukraine. Mais le Canada, qui a décidé de se retirer du protocole de Kyoto en 2011, la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande n’ont pas souhaité se réengager. Les États-Unis sont également restés en retrait, puisqu’ils n’ont jamais ratifié ce protocole.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, vient de nous rappeler l’urgence d’une réaction, si nous voulons limiter l’augmentation de la température mondiale en-dessous de deux degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels.

Cette deuxième période du protocole ne couvrant que 15 % des émissions de gaz à effet de serre, vous devinerez aisément qu’elle ne permet pas, à elle seule, de faire face au défi climatique. De nombreux pays se sont fixé des objectifs en dehors de ce cadre, notamment les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et les pays émergents. Bien que cette deuxième période soit imparfaite d’un point de vue climatique, elle joue un rôle de transition essentiel.

Élaborer un nouvel accord avec 195 pays nécessite du temps et puisque le temps a manqué en 2009, à Copenhague, pour parvenir à l’adoption d’un successeur au protocole de Kyoto, ce dernier doit continuer à s’appliquer jusqu’à ce que l’accord de Paris entre en vigueur. L’abandon de cet instrument et le vide juridique qu’il aurait automatiquement entraîné auraient été perçus comme un recul de la communauté internationale dans sa lutte contre le dérèglement climatique.

Par ailleurs, cette deuxième période nous permet de continuer à accumuler de l’expérience sur les outils de mise en œuvre des politiques climatiques. Cela est vrai s’agissant des mécanismes de marché prévus par le protocole et qui permettent d’encourager des réductions d’émissions dans d’autres pays. Cela est également vrai s’agissant des règles de suivi des émissions de gaz à effet de serre, puisque l’amendement de Doha ajoute un septième gaz à ceux déjà couverts par le protocole de Kyoto : le trifluorure d’azote – non le moindre, puisqu’il a un pouvoir de réchauffement dix-sept mille fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.

Il convient également de noter que l’amendement introduit un mécanisme de révision des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour les rendre plus ambitieux en cours de période. En raison de la faible participation, ce mécanisme pourrait ne pas être utilisé, mais il est susceptible de nous inspirer pour élaborer l’accord de 2015. Plus globalement, nous allons tirer toutes les leçons possibles de l’application du protocole de Kyoto, de 2008 à 2020.

La ratification de l’amendement au niveau européen est un processus long, puisque trente instruments de ratification doivent être rassemblés avant que nous les déposions en même temps auprès du secrétaire général des Nations unies. Tous les États membres de l’Union européenne doivent en effet mener leur processus de ratification au niveau national. L’Islande a fait le choix de prendre un engagement conjoint avec ses partenaires de l’Union européenne. Et une décision du Conseil relative à la conclusion de l’amendement de Doha et à l’exécution conjointe des engagements qui en découlent est en cours de négociation à Bruxelles. Certaines réticences ont été formulées par la Pologne, réticences que nous nous efforçons de dépasser.

Dans la perspective de notre présidence de la conférence sur le climat de 2015, il est essentiel que l’amendement au protocole de Kyoto soit ratifié dans les meilleurs délais pour envoyer un signal positif sur la mise en œuvre des engagements.

Tout comme la capitalisation du Fonds vert pour le climat, qui est une grande attente des pays vulnérables, la ratification de l’amendement est une demande forte à laquelle nous devons répondre. En autorisant cette ratification, vous contribuerez donc à favoriser la confiance entre les États. Cette confiance est une des clés du succès de la COP21.

Telles sont les principales observations qu’appelle l’amendement au protocole de Kyoto qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues malheureusement si peu nombreux pour ce débat, dans un an exactement se tiendra la conférence « Paris climat 2015 » : un rendez-vous important, un rendez-vous fondateur, pour notre pays bien sûr, qui en assurera la présidence, mais surtout pour le monde – le monde qu’il s’agit de préserver d’une catastrophe annoncée si par malheur la communauté internationale, mobilisée depuis plus de vingt ans, ne parvenait pas à réduire la hausse redoutée de la température terrestre de cinq à six degrés d’ici à la fin du siècle.

Rarement une conférence internationale aura revêtu autant d’enjeux. Comme l’indiquait le secrétaire général des Nations unies dans une formule appropriée, lors du sommet sur le climat à New York le 23 septembre dernier, « à Paris en 2015, il n’y aura pas de plan B, tout simplement parce qu’il n’existe pas de planète B ». Nous avons une obligation impérieuse de résultat, au nom même de l’avenir de l’humanité.

En 1990, un premier rapport du GIEC a conclu à une augmentation de la température terrestre et à un changement climatique sous l’effet de la concentration dans l’atmosphère, en raison des activités humaines, de différents gaz à effet de serre. Depuis lors, quatre autres rapports successifs, le dernier datant de septembre 2014, ont confirmé ce lien et affirmé la nécessité de limiter le volume d’émissions des gaz à effet de serre pour maintenir à deux degrés le niveau de l’augmentation de la température terrestre par rapport à l’ère préindustrielle, de manière à éviter que les changements deviennent incontrôlables et menacent à terme l’habitabilité de notre planète.

En 1992 a été adoptée au Sommet de la Terre à Rio la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique. Une instance de suivi a ensuite été créée pour examiner annuellement la question climatique : la Conférence des parties ou COP, qui comprend aujourd’hui 195 membres. Et c’est en 1997 qu’a été signé le protocole de Kyoto, qui prévoit une réduction ou une limitation des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés et les pays à économie en transition. Entré en vigueur en 2005, il couvre la période 2008-2012, appelée première période d’engagement.

La conférence de Copenhague, en 2009, aurait dû permettre l’adoption du dispositif applicable à l’après-2012. Cela n’a malheureusement pas été le cas. En 2011, lors de la conférence de Durban, une procédure de négociations a été convenue par les États parties en vue d’un accord universel et contraignant : 2015 pour l’adoption du futur accord, 2020 pour son entrée en vigueur.

Dès lors, ces échéances ont fait apparaître la nécessité de couvrir la période intermédiaire comprise entre 2012 et 2020 par un instrument ad hoc. C’est l’objet de l’amendement au Protocole de Kyoto, adopté lors de la conférence de Doha en 2012, qui prévoit une prolongation et, pour les États européens, un renforcement du dispositif de Kyoto pour les années 2013-2020, dans le cadre d’une seconde période d’engagement. C’est la ratification de cet amendement qu’il revient aujourd’hui à l’Assemblée nationale d’autoriser.

Le protocole de Kyoto s’articule autour de deux objectifs : un objectif global de réduction de 5 % par rapport à 1990 des émissions des pays économiquement les plus forts et des objectifs nationaux de réduction pour ceux de ces pays qui les ont acceptés. Sur le plan technique, il comporte trois éléments essentiels : une liste des gaz à effet de serre concernés, un recensement des sources d’émissions et des mécanismes de flexibilité permettant aux pays d’atteindre plus facilement leurs objectifs.

L’amendement au protocole prolonge, pour les années 2013 à 2020, les obligations des États couverts par les engagements de réduction ou de limitation des émissions de gaz à effet de serre. De même que pour la première période, les objectifs chiffrés comprennent deux niveaux : un objectif global de réduction de 18 % pour les émissions des pays industrialisés, toujours par rapport à l’année 1990, et de nouveaux engagements pour trente-huit pays. Pour l’Union européenne et ses États membres, la réduction des émissions est de 20 %, conformément à l’objectif défini par le paquet énergie-climat de 2008.

Outre les États-Unis, qui n’avaient pas ratifié le protocole de Kyoto, et le Canada qui s’en est retiré il y a deux ans, plusieurs États n’ont pas souhaité s’engager dans une deuxième période, notamment la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande.

Cette deuxième période d’engagement ne concerne donc que 15 % des émissions mondiales de CO2. Sa portée est essentiellement pédagogique, mais elle a cependant toute sa valeur, d’autant que l’amendement au protocole ne se limite pas seulement à une actualisation arithmétique : il introduit dans le dispositif plusieurs éléments d’amélioration. Ainsi, la procédure permettant à un pays de relever son niveau d’ambition par rapport à l’année de référence est allégée. La question de l’air chaud, c’est-à-dire des quantités excédentaires d’émissions attribuées au cours de la première période d’engagement, est également abordée, avec l’annulation des quantités attribuées dépassant la moyenne des émissions des trois premières années. Enfin, la liste des gaz à effet de serre est actualisée et une nouvelle règle oblige à la comptabilisation des émissions et des absorptions résultant de l’affectation des terres.

Je considère l’amendement au protocole de Kyoto comme un texte opportun. C’est un dispositif conforme aux engagements de la France et de l’Union européenne. La première initiative européenne avait été la mise en place, à partir de 2005, du système d’échange de quotas d’émissions pour les grandes installations émettrices de CO2. Puis l’Union a adopté en 2008, avec le premier paquet énergie-climat, une stratégie intégrée de lutte contre le réchauffement climatique consistant pour 2020 à faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 %, à réduire les émissions de 20 % par rapport à 1990 et à accroître l’efficacité énergétique de 20 %. Ce rôle moteur de l’Union a été réaffirmé tout récemment par l’adoption du second paquet énergie-climat qui, à l’horizon 2030, prévoit une réduction de 40 % des émissions par rapport au niveau de 1990, une part de 27 % des énergies renouvelables et un objectif de 27 % d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Sans la France, sans l’Europe, il n’y aura dans un an à Paris aucun succès possible. La réussite dépendra des mécanismes d’incitation à inventer pour faciliter la rupture en matière énergétique, une rupture qui ne conduise pas à la décroissance économique mais au contraire à la création des richesses nécessaires pour que la lutte pour le climat serve et la planète et l’emploi. Tout dépendra de la capacité de la communauté internationale, dès la Conférence de Lima dans quelques jours, à faire passer le pic d’émissions à la majorité des pays et à tendre ensuite vers un taux de réduction qui soit volontariste, mais également réaliste. L’accord récent entre les États-Unis et la Chine est, de ce point de vue, un développement majeur et encourageant que nous saluons ici.

Cependant, d’importantes questions restent posées. La toute première est la définition de scénarios technologiques dynamiques. L’un des écueils de plus de vingt ans de négociations climatiques est qu’elles n’ont jamais raisonné autrement qu’à technologie constante, ce qui est une lourde erreur. Il est nécessaire de penser une stratégie reposant sur l’anticipation et la structuration du progrès technologique, notamment sur le stockage de l’électricité, sur le rendement de technologies renouvelables et sur le captage et la séquestration du CO2. Cette stratégie se doit de mieux intégrer le secteur privé, manufacturier et financier, à l’action des États et de la communauté internationale.

Une telle stratégie, et c’est ma seconde interrogation, sera d’autant plus facilitée que se redressera le marché du carbone, dont le cours est aujourd’hui si bas que l’élément incitatif qui devait s’y rattacher est devenu malheureusement inopérant. Comment redresser ce marché ? Des réponses et des décisions devront être apportées l’an prochain à Paris, car cette question est fondamentale.

Enfin, quelle capitalisation peut-on espérer au bénéfice du Fonds vert pour le climat ? Ce Fonds doit accompagner les pays en développement vers des trajectoires économiques compatibles avec l’objectif de contenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius. Une conférence des donateurs s’est réunie très récemment à Berlin. Le total des financements prévus s’élève à ce jour à 9,3 milliards de dollars, dont une contribution française d’1 milliard d’euros, mais cela reste encore en dessous des 10 à 15 milliards de dollars considérés comme nécessaires pour le financement initial du fonds, le plan étant à l’origine de tendre vers 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020.

Voilà les éléments, mais aussi le contexte de l’amendement au protocole de Kyoto, dont je recommande, comme rapporteur, à l’Assemblée nationale d’autoriser la ratification. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard, suppléant M. Arnaud Leroy, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme Geneviève Gaillard, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous savons ce qu’il peut arriver demain à la planète si nous ne faisons rien en matière de changement climatique et si nous ne nous décidons pas à prendre des mesures importantes pour éviter les grandes catastrophes qui sont aujourd’hui prévues. Tous les pays sont touchés. Les scientifiques sont formels : les aléas climatiques extrêmes vont devenir plus violents et plus fréquents. Le cinquième rapport du GIEC, dans sa partie publiée en septembre 2013, nous a montré ce qui pourrait advenir.

Les États, heureusement, sont mobilisés, comme en témoigne la construction d’un régime international du climat, dont l’amendement de Doha au protocole de Kyoto, qui nous est soumis aujourd’hui pour ratification, symbolise finalement l’ambition, mais aussi les difficultés. Le protocole de Kyoto de 1992 est, en effet, un contrat à durée déterminée d’engagements contraignants de réduction des gaz à effet de serre, qui ne concerne que trente-huit parties, pour une échéance fixée à vingt ans, soit en 2012, puisqu’il semblait improbable qu’un nouvel accord ne puisse être signé dans l’intervalle.

On sait ce qu’il en est advenu avec l’espoir déçu de l’adoption d’un accord post-Kyoto à Copenhague en 2009, où seuls des objectifs chiffrés volontaires de réduction ont été actés, même si c’est aussi Copenhague qui a marqué la reconnaissance de la nécessité de limiter le réchauffement climatique à deux degrés Celsius – acte politique majeur. La contrepartie à la relance des négociations pour obtenir un accord applicable à tous à partir de 2020, les années suivantes à Durban puis à Cancún, ce fut l’acceptation par les pays déjà soumis à engagement d’une deuxième période de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

C’est ce double compromis que traduit cet amendement au protocole de Kyoto, finalisé lors de la dix-huitième Conférence des parties à Doha, véritable passerelle pour éviter le vide juridique post-2012 : permettre la préservation de certains acquis importants du protocole et assurer la transition vers le nouvel accord global qui doit, pour pouvoir prendre le relais en 2020, être adopté au plus tard en 2015, à Paris. Complété par un volet financier, avec des engagements pris par les pays développés, et une structure pour les recevoir, le Fonds vert pour le climat à destination des pays du Sud, cet amendement renforce également l’intégrité environnementale du protocole, en incluant le trifluorure d’azote, gaz à très fort potentiel de réchauffement planétaire, et en proposant des mécanismes d’ajustement.

Cette deuxième période d’engagement a enfin une vertu essentielle : démontrer qu’un haut niveau de développement n’est pas contradictoire avec la sobriété énergétique, bien au contraire. La ratification de l’amendement de Doha au protocole de Kyoto par les pays qui se sont réengagés dans une deuxième période est donc, à la fois, un acte politique très attendu par nos partenaires, un objectif important pour l’Union européenne et une ardente obligation pour notre pays dans la perspective de la Conférence de Paris sur le climat l’année prochaine. C’est une étape de compromis. Il faut le ratifier, mais il ne faut certainement pas se contenter de cela. Comment partager l’effort ? Avec quels objectifs et quels moyens ? Ce dernier point pose, en particulier, la question des règles de vérification et de transparence des mécanismes de limitation des émissions de gaz à effet de serre et d’un marché carbone avec un prix significatif qui encourage les industriels à faire les investissements nécessaires dans des technologies moins carbonées.

Voilà en tout cas l’enjeu des négociations en cours, qui doivent aboutir en 2015 si nous voulons conserver une chance de respecter la trajectoire des deux degrés Celsius et ne pas atteindre le point de non-retour climatique. Des signes encourageants sont donnés : la concrétisation de l’ambitieux paquet énergie-climat 2030 de l’Union européenne en octobre, les annonces conjointes Chine-États-Unis sur de nouveaux engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre en novembre. La Conférence des parties de Lima pourrait être le lieu d’autres annonces encore. Ce sont autant de messages envoyés aux États qui, comme le Canada ou l’Australie, se désengagent des discussions.

Il est encore trop tôt pour savoir si tout cela débouchera sur des efforts à la hauteur des besoins et, surtout, sur des décisions. Mais il n’est jamais trop tard pour donner des signes de notre volonté d’aboutir. Ratifier cet amendement par un vote le plus large possible en sera un, mes chers collègues. C’est en tout cas ce que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire vous a invités à faire à l’unanimité, et j’espère que l’Assemblée la suivra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Boinali Said.

M. Boinali Said. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, à l’occasion de la ratification du protocole de Kyoto en 2002, la France avait déposé une déclaration interprétative, indiquant que la ratification s’inscrivait dans le cadre de l’engagement souscrit, conformément à l’article 4 du protocole, par l’Union européenne, et que par conséquent les pays et les territoires d’outre-mer français étaient exclus du champ d’application territorial du protocole puisqu’ils ne font pas partie intégrante de l’Union européenne. Ces PTOM se situant hors du champ d’application des traités européens, à l’exception de la quatrième partie sur le fonctionnement de l’Union européenne, ils ne sont pas soumis à l’ensemble du droit européen et sont donc exclus de nouveau de la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto.

Une réflexion serait rapidement engagée pour inclure ces PTOM dans le futur régime international de lutte contre le changement climatique qui sera négocié d’ici à 2015. Les objectifs de réduction des émissions à moyen terme doivent se situer pour les pays développés dans une fourchette de 25 à 40 % ; quant aux pays en développement, et bientôt les PTOM, ils doivent s’engager à faire dévier leurs émissions de 15 à 30 % par rapport à leur trajectoire tendancielle. L’implication du Gouvernement, la mobilisation des mécanismes appropriés, se fera via l’Agence française de développement ou l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

L’AFD a en effet développé une approche innovante de soutien budgétaire en faveur de pays mettant en œuvre une ambition nationale d’intégration du climat dans leur stratégie de développement. Ces aides budgétaires en faveur du climat, accompagnées d’un dialogue technique de haut niveau, permettent de soutenir et d’encourager l’évolution des politiques publiques et les investissements bénéfiques à la lutte contre le changement climatique. Ces plans climat sont, en outre, des instruments efficaces pour renforcer les flux de financement internationaux et nationaux en faveur de la lutte contre le changement climatique, et en particulier les investissements du secteur privé. Ainsi, en coopération avec d’autres financeurs internationaux, des pays comme l’Indonésie, le Mexique, le Vietnam et l’île Maurice, 1,7 milliard de dollars ont été engagés pour ces opérations depuis 2008.

Dans cette même optique, l’AFD entend aider des pays volontaires du continent africain à élaborer des stratégies nationales en faveur du climat, devant se décliner en plans d’actions et en projets dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’agriculture et de la protection des forêts. Les pays et les territoires d’outre-mer devront ainsi être inscrits dans un régime dont le financement reste multilatéral ; or, le plan climat de ces territoires, qui relèvent de la compétence des zones non interconnectées, pourrait être intégré dans des dispositions spécifiques, comme le prévoit l’article 61 du projet de loi relatif à la transition énergétique que nous venons d’adopter.

En effet, leur statut d’association, consacré par la quatrième partie du traité de l’Union européenne, leur permet de bénéficier du Fonds européen de développement mais la Commission et les États membres n’ont pas réussi à s’entendre sur la manière de concrétiser l’engagement d’augmenter le financement de la lutte contre le changement climatique d’ici à 2020. Aucun système solide de surveillance, de déclaration et de vérification fournissant des informations exhaustives et fiables sur les dépenses effectuées par la Commission et par les États membres, dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, et permettant de s’assurer du respect des engagements en matière de financement de la lutte contre le changement climatique n’a encore été mis en place. Il n’est pas possible d’établir clairement dans quelle mesure les engagements concernant le financement à mise en œuvre rapide ont été respectés.

Ainsi, face aux incertitudes quant à la maîtrise des politiques publiques de développement en lien avec les engagements internationaux, l’extension des dispositions de l’article 61 de la loi sur la transition énergétique à l’ensemble des territoires dits des « zones non interconnectés » permettrait de consolider un équilibre de nos engagements et serait aussi un gage de solidarité en faveur des PTOM dans la lutte contre les changements climatiques, pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour le développement de la transition énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, alors que se tient actuellement la troisième conférence environnementale, le groupe UDI ne peut que se féliciter de débattre aujourd’hui d’un projet de loi qui réaffirme l’importance de construire une véritable politique internationale de l’environnement. En effet, nous ne pourrons certainement pas relever les défis environnementaux et énergétiques qui nous attendent sans développer une réflexion commune, et surtout responsable.

Le cinquième rapport du GIEC, récemment publié, dresse un portrait particulièrement alarmant de la situation dans laquelle se trouve notre planète. L’augmentation probable des températures moyennes devrait en effet dépasser les deux degrés à l’horizon 2100 par rapport à la période 1986-2005. Selon le scénario le plus pessimiste, cette augmentation pourrait même atteindre les 4,8 degrés.

Il y a donc urgence. Urgence parce que les émissions annuelles de dioxyde de carbone d’origine humaine étaient, sur la période 2002-2011, 54 % au-dessus du niveau de 1990. Urgence parce que notre planète a connu un réchauffement global de près d’un degré en seulement 130 ans. Urgence aussi parce que le niveau des océans pourrait s’élever de quasiment un mètre d’ici à 2100. Et malheureusement, la liste des dommages est encore bien longue…

En 1992, le sommet de Rio avait permis de poser les premières bases d’un régime international du climat en adoptant un texte fondateur constitué de 27 principes particulièrement forts. Vingt ans après la conférence de Stockholm, qui avait eu le mérite de placer les questions écologiques sur la scène internationale, cette déclaration ambitieuse venait enfin mettre des mots sur des phénomènes de plus en plus dangereux pour notre Terre. Elle rappelait notamment que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable » et qu’ils ont ainsi le « droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».

Cinq ans après, la conférence des Parties, instaurée après la création de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, adoptait le protocole de Kyoto. C’était déjà en 1997. Ce protocole visait à réduire d’au moins 5 %, entre 2008 et 2012, les émissions de six gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990 pour les pays économiquement développés. Seul instrument international juridiquement contraignant à ce jour, il revêt encore une dimension symbolique particulière, un esprit qu’il me semble indispensable de préserver. En effet, cela n’a pas été évident de convaincre tous les pays signataires d’adopter une telle trajectoire : le protocole n’est d’ailleurs entré en vigueur qu’en 2005, après la ratification de cinquante-cinq États. Aujourd’hui, 195 pays, ainsi que l’Union européenne, sont signataires de ce protocole… qui souffre cependant de l’absence d’un État particulièrement émetteur de gaz à effet de serre : les États-Unis.

Après l’échec de la conférence de Copenhague en 2009, nous avions donc besoin d’être rassurés sur l’avenir de la politique climatique internationale commune. Le récent Sommet climat de New York, en septembre 2014, aurait permis certaines avancées, telles que le renforcement du Fonds vert de l’ONU. Mais est-ce suffisant pour notre avenir ? Je ne le crois pas.

La France a donc un véritable rôle à jouer en se positionnant comme l’un des chefs de file de la protection de l’environnement et de la transition énergétique. À la veille de la conférence sur le climat qui se tiendra au Pérou et à un an de la COP21 qui aura lieu à Paris, la France ainsi que l’Union européenne doivent, à nouveau, montrer leur implication et afficher des ambitions fortes.

Est-il nécessaire de rappeler que c’est grâce à Jean-Louis Borloo et au Grenelle de l’environnement que la France a pu se distinguer et devenir un véritable moteur dans les négociations, puis dans l’adoption du paquet énergie-climat en 2008 ? L’adoption du second paquet énergie-climat, le 24 octobre dernier, a montré que les difficultés à aligner tous les pays sur une trajectoire commune subsistaient encore, même au sein de l’Union européenne. Après quelques compromis malgré tout importants, les États membres ont finalement réussi à trouver un accord, un accord malheureusement peu ambitieux qui a souffert des réticences de nombreux pays tels que le Royaume-Uni ou les pays de l’Est.

Dix-sept ans après l’adoption du protocole de Kyoto, force est de constater que l’on reprend les mêmes et que l’on recommence ! Certains pays refusent encore de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sous prétexte de ne pas ralentir leur croissance. Fin 2011, le Canada faisait même le choix, celui de se retirer du protocole. Cette même année pourtant, la conférence sur le climat, à Durban, avait permis aux parties de faire le choix de prolonger le protocole, dans le cadre d’une deuxième période d’engagement de huit ans, de 2013 à 2020. La Russie et le Japon, deux pays fortement industrialisés, ont, quant à eux, choisi de ne pas s’engager dans une deuxième période. Sans parler des pays émergents, contribuant largement aux émissions de gaz à effet de serre mais qui ne subissent encore aujourd’hui aucune contrainte…

Notre planète, à bout de souffle, mérite pourtant une cohésion internationale forte et unanime sur des sujets aussi cruciaux pour notre avenir. En 2012, l’amendement au protocole de Kyoto, adopté à Doha, prenait enfin acte de cette poursuite des engagements. Cet amendement, dont la ratification est soumise à notre approbation aujourd’hui, a donc vocation à prolonger l’engagement des parties en portant la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre à au moins 18 % sur la période 2013-2020. Ce texte est censé intervenir avant la ratification d’un futur accord mondial, qui devrait normalement être adopté en 2015.

Le groupe UDI ne peut, bien entendu, qu’encourager la volonté ainsi exprimée par les parties de poursuivre leurs efforts à travers un tel amendement, conforme aux positions de la France et des autres États membres qui se sont exprimés d’une seule voix lors des négociations. Néanmoins, l’ambition de ce texte reste très modeste : il ne fait que reprendre les engagements européens du paquet énergie-climat, dont les objectifs à atteindre d’ici 2020 sont déjà sur la bonne voie. Je les rappelle : 20 % d’efficacité énergétique en plus, 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale et une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à leurs niveaux de 1990. Fin 2012, ces émissions avaient déjà été réduites de 18 %, et nous estimons qu’en 2020, elles auront diminué de 24 %.

L’Union européenne, qui s’est toujours positionnée en première ligne de l’action mondiale contre le réchauffement climatique, ne peut que souscrire à cette nouvelle période d’engagement. Pourtant, elle éprouve de grandes difficultés à construire une politique commune ambitieuse et durable, et peine surtout à s’impliquer dans le débat public. Nous devons donc peser de tout notre poids dans l’élaboration d’une ligne européenne commune qui saura enfin indiquer la trajectoire internationale à suivre. Notre pays, le moins émetteur de l’Union avec la Suède, doit donc continuer d’être un exemple pour les autres États membres.

La France a indéniablement une carte à jouer avec son projet de loi sur la transition écologique pour montrer enfin la voie vers un nouveau modèle énergétique durable. Je ne reviendrai pas ici sur les débats qui ont passionné l’Assemblée nationale pendant plusieurs semaines, mais notre groupe espère sincèrement que ce texte saura évoluer dans le bon sens en se montrant à la fois plus ambitieux sur certains points mais aussi plus responsable sur d’autres. La communauté internationale doit afficher des ambitions fortes en matière d’adaptation aux changements climatiques pour parvenir à un accord climatique global et contraignant.

L’adoption de ce projet de loi me semble une première étape vers cet objectif. Le groupe UDI votera donc en faveur de ce texte qui constitue une avancée indéniable en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous espérons néanmoins, pour l’avenir, que l’Union européenne parviendra à mettre en œuvre une politique énergétique plus attractive pour les acteurs de l’énergie, mais aussi pour les investisseurs.

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur et Mme Geneviève Gaillard, rapporteure pour avis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, à qui je souhaite la bienvenue sur le banc du Gouvernement pour traiter de ce sujet ô combien important, mes chers et si peu nombreux collègues – mais c’est souvent le cas lorsqu’il est question de ratifier une convention internationale – hier, le Président de la République a ouvert la troisième conférence environnementale. Il a rappelé que l’environnement n’était « pas seulement une cause nationale », mais qu’il s’agissait également d’un « enjeu européen et mondial ».

Le débat qui nous rassemble aujourd’hui porte précisément sur l’un des outils dont s’est dotée la communauté internationale pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Le protocole de Kyoto est en effet la première application concrète et contraignante de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Il a été adopté en 1997 par 192 parties, et est entré en vigueur en 2005. Ce protocole a imposé à trente-sept pays parmi les plus riches des réductions d’émissions de gaz à effet de serre d’environ 5 % par rapport à 1990 et d’environ 8 % pour les États européens, pour la période 2008-2012. Si les autres pays ayant ratifié ce protocole ne se sont pas vu imposer d’objectifs chiffrés, ils ont néanmoins été associés à une dynamique collective par le biais de mécanismes incitatifs. Entre 1990 et 2007, les émissions de gaz à effet de serre couvertes par le protocole de Kyoto ont diminué de 7 %, représentant 522,4 millions de tonnes équivalent CO2.

Alors que les rapports successifs du GIEC sont toujours plus alarmants, le constat du réchauffement climatique rappelle, s’il en était besoin, l’absolue nécessité non seulement de prolonger cette dynamique, mais surtout de l’amplifier et de l’intensifier. L’amendement de Doha, que ce projet de loi invite à ratifier, est une solution d’urgence pour préserver l’actuel protocole de Kyoto et maintenir ainsi une action collective internationale de lutte contre les changements climatiques.

Cette ratification s’impose au regard de l’agenda international puisque rappelons qu’à l’issue de la COP20, qui se déroulera à Lima du 1er au 12 décembre prochain, la France deviendra officiellement l’organisatrice de la vingt-et-unième conférence mondiale sur le climat, la COP21 – je dois dire qu’à titre personnel, cette formulation ne me paraît pas extrêmement parlante pour nos concitoyens… Dans ces circonstances, notre pays doit absolument être à jour s’agissant de ses engagements internationaux en matière de lutte contre le changement climatique.

En outre, ce dispositif est absolument indispensable au regard de la gravité de la situation à l’échelle planétaire. Rappelons les faits : entre 2000 et 2010, les émissions ont augmenté de 2,2 %, contre 0,4 % pendant les trois décennies précédentes, le niveau des mers s’est élevé jusqu’à un mètre, les épisodes météorologiques extrêmes se sont multipliés, des espèces et des écosystèmes se sont éteints, les risques sanitaires se sont intensifiés, l’insécurité alimentaire s’est accrue et les conflits liés à la raréfaction des ressources ou à la progression des déserts se sont multipliés – je pense notamment à la situation dans la bande sahélienne.

Enfin, cet amendement est concomitant de l’action menée par l’Union européenne, qui s’est dotée en 2008 d’un plan de lutte contre le réchauffement climatique à l’horizon 2030. À cet égard, il convient de souligner que l’Union n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Avec un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre inférieur aux préconisations des scientifiques, des dispositions non contraignantes, des décisions trop souvent reportées, notamment pour encadrer le prix du carbone, et des États charbonniers qui s’opposent à toute mesure ambitieuse, l’Europe ne se donne pas les moyens d’être à la place qui devrait être la sienne, à savoir celle de leader mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Certes, l’amendement de Doha ne concerne que peu de pays : certains des États qui avaient ratifié le protocole de Kyoto n’ont pas renouvelé leur implication et les pays signataires ne représentent qu’une part minoritaire des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Toutefois, ce dispositif doit faciliter la transition vers la COP21, qui constitue la véritable échéance.

Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers la France. La 21Conférence sur le climat sera l’occasion d’inscrire à l’agenda international des objectifs à la hauteur du défi climatique : limiter le réchauffement climatique à deux degrés Celsius d’ici à 2100 ; trouver une solution à la question, centrale, des financements, qui est source de blocage dans les négociations internationales – on peut à ce propos saluer ce qu’a dit hier Président de la République en ouverture de la conférence environnementale et se réjouir que l’engagement financier de la France ait été confirmé par le ministre des finances, qui a en outre indiqué que les négociations internationales avaient permis de réunir les sommes prévues, soit près de 10 milliards d’euros ; enfin, rassembler le plus grand nombre de pays possible dans le cadre d’un nouvel accord, qui deviendra effectif à partir de 2020.

Comme l’a souligné hier le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, on ne peut à cet égard que saluer, même en faisant preuve d’un optimisme mesuré, l’annonce d’un accord entre les États-Unis et la Chine, deux pays qui sont parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et qui, jusqu’à présent, faisaient plutôt blocage dans les négociations sur un accord contraignant. Espérons que l’annonce faite par le président Obama et son homologue chinois soit un signal positif, qui ouvrira des perspectives pour la conférence de l’an prochain.

Dans ce contexte, on ne le dira jamais assez, la France se doit d’être exemplaire. Cela a d’ailleurs été souligné par la ministre de l’écologie et le Président de la République à l’ouverture de la conférence environnementale. Nous devons toutes et tous lancer un appel à la mobilisation : mobilisation internationale en vue de la conférence mondiale de l’année prochaine, mobilisation européenne dans la perspective des prochaines échéances qui nous attendent, et mobilisation nationale.

À cet égard, un cap a été franchi avec l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la transition énergétique ; il s’agit d’une réforme extrêmement importante, qui va dans le bon sens et que le groupe écologiste a saluée. Il serait toutefois bon, monsieur le secrétaire d’État, que le calendrier parlementaire ne soit pas un prétexte pour une forme d’enlisement ! Il est impératif que ce texte soit rapidement adopté définitivement par le Parlement.

Au-delà, on sait qu’il existe dans le secteur de l’agriculture un problème d’émission de gaz à effet de serre trop souvent négligé, notamment dans notre pays, grand pays agricole qui a, du coup, une responsabilité majeure en la matière.

Enfin, il conviendrait de s’intéresser à la question des transports. Nous l’avions signalé au moment de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique : le volet transport de ce texte est trop mince. La politique en la matière aurait dû être évoquée. Nous appelons pour notre part à l’élaboration d’une nouvelle loi d’orientation des transports intérieurs, comme il y en avait eu une au début des années 1980, loi qui comprendrait des mesures volontaristes et aurait des effets réels. Le secrétaire d’État chargé des transports a reconnu, hier, à l’occasion de l’ouverture de la conférence environnementale, que la politique en matière de fret ferroviaire était un échec : il continue de reculer au profit du transport de marchandises par la route.

À cet égard, on ne peut que regretter l’abandon de la taxe sur les poids lourds – du moins à l’échelon national, puisque le Président de la République a, dans une récente interview, envisagé de la relancer à l’échelle régionale, et plus précisément en Alsace et en Lorraine, régions frontalières de l’Allemagne, où il existe depuis longtemps une taxe sur les poids lourds ; le rapporteur le sait bien, lui qui connaît bien ce pays. En Allemagne, la mise en œuvre de la taxe avait provoqué beaucoup de contestations et de tensions mais maintenant, plus personne n’envisage de la remettre en cause. Bien au contraire, tout le monde se félicite de ses effets positifs, non seulement sur la répartition des transports de marchandises, mais aussi sur le financement des infrastructures. Si le Président a évoqué le cas de l’Alsace et de Lorraine, c’est qu’il a dû réaliser que nous avions intérêt à faire dans les régions frontalières la même chose que ce que font nos voisins allemands. Je profite donc de l’occasion pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes un élu de Lorraine, de faire pression dans ce sens au sein du Gouvernement !

Voilà donc la tâche qui attend le gouvernement de la France. Le groupe écologiste sera à ses côtés pour essayer de parvenir à un accord satisfaisant au plan mondial et pour mener une politique ambitieuse aux échelons européen et national.

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour dix minutes.

M. Patrice Carvalho. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le protocole de Kyoto a été adopté en 1997 sur la base du deuxième rapport du GIEC. Il est à ce jour l’unique instrument juridiquement contraignant visant à réduire ou limiter les émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés, ainsi que dans les économies émergentes.

Entré en vigueur en 2005, il portait sur la période 2008-2012, dite première période d’engagement. La conférence de Copenhague, en 2009, aurait dû permettre l’adoption d’un dispositif applicable à l’après 2012. Il n’en a rien été, tant il est difficile de concilier développement, intérêts économiques et préservation de la planète, certains, et non des moindres, considérant que cette conjugaison est même impossible. Il aura fallu attendre 2011 et la conférence de Durban pour que soit décidée une procédure de négociation en vue d’un accord universel et contraignant, avec un calendrier : 2015 pour l’adoption du futur accord, au sommet de Paris, et 2020 pour son entrée en vigueur.

Eu égard à ces échéances, il est apparu nécessaire de couvrir la période intermédiaire, comprise entre la fin de 2012 et 2020. Tel est l’objectif de l’amendement au protocole de Kyoto, qui a été adopté lors de la COP18 de Doha, fin 2012, et qui prévoit une prolongation et, pour les États européens, un renforcement du dispositif de Kyoto pour les années 2013-2020, dans le cadre d’une deuxième période d’engagement.

C’est cet amendement qu’il s’agit de ratifier. Il serait temps, vu que son adoption remonte déjà à deux ans ! Il serait pour le moins paradoxal que la France ne le fasse pas, alors qu’elle doit accueillir, l’an prochain, le sommet des 195 pays de la convention cadre des Nations unies, qui doit déboucher sur le futur accord.

Que celui-ci soit à la hauteur des enjeux est loin d’être acquis. Les États-Unis ont signé le protocole de Kyoto, mais ils ne l’ont toujours pas ratifié. Or ils ont été le principal émetteur de gaz à effet de serre jusqu’en 2005. Si leur part a diminué, elle demeure supérieure à 20 % du total des émissions mondiales. En décembre 2011, le Canada a fait part de son intention de se retirer du protocole de Kyoto, et cette décision est entrée en vigueur le 15 décembre 2012. Plusieurs États, et non des moindres, n’ont pas souhaité s’engager dans une deuxième période : ainsi la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande.

Dans ces conditions, la deuxième période ne concerne plus que 15 % des émissions mondiales de CO2. Nous mesurons ainsi la difficulté qu’il y a à s’engager dans un mouvement volontariste de préservation de la planète.

Un mot sur l’engagement européen. Dans le monde, l’Europe apparaît comme le bon élève de la classe. Le paquet énergie-climat adopté en 2008 a fixé l’objectif ambitieux des « trois fois vingt » pour 2020 : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport à 1990, porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 20 %, et enfin accroître l’efficacité énergétique de 20 % d’ici à 2020.

Si les dernières données publiées par la Commission européenne montrent que, s’agissant de la réduction des gaz à effet de serre, les engagements pourraient être tenus en 2020, il en va différemment pour les deux autres objectifs.

La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique s’accroît, mais je ne suis pas sûr que les meilleurs choix aient été faits.

L’éolien semble en pointe. En France, nous ne cessons d’adapter notre législation afin d’assurer son développement, n’hésitant pas à nous engager dans un véritable mitage du territoire. Les Allemands, après avoir été précurseurs dans ce domaine, en reviennent, car ils ont pu vérifier, par l’expérience, que cette énergie était aléatoire et qu’il fallait la doubler de centrales au gaz ou au charbon émettrices de CO2.

L’éolien est en train de devenir un business qui n’a que peu à voir avec les énergies propres, alors que d’autres sources d’énergie, plus efficaces, sont sous-exploitées : ainsi la méthanisation, la géothermie, la biomasse ou l’énergie marémotrice.

Quant à l’objectif d’accroissement de l’efficacité énergétique, je ferai deux remarques.

D’une part, pour émettre du CO2, les industriels européens doivent acheter des permis. Or la tonne de dioxyde de carbone émis coûte 5 euros : pensons-nous vraiment qu’à ce niveau de prix, nous obtiendrons des résultats probants ? Ayons conscience que si nous obtenons des résultats aujourd’hui, c’est en grande partie du fait de la récession, qui affecte la production et réduit par conséquent les émissions de CO2.

D’autre part, Bruxelles a déployé une politique de soutien à l’industrie photovoltaïque made in Europe qui a été un fiasco. En 2011, la Chine a vendu pour 21 milliards d’euros de produits solaires à l’Europe, inondant un marché déjà fragilisé. Nous sommes ainsi passés à côté du développement d’une industrie européenne du photovoltaïque sans même nous interroger sur les conditions de production environnementales des produits chinois.

Je voudrais également souligner un point essentiel : la conférence de Doha n’a pas seulement débouché sur l’adoption de l’amendement, elle a aussi permis un compromis sur la question du financement.

Les pays développés ont pris l’engagement d’un financement de 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012, avec la perspective d’une montée en puissance pouvant aller jusqu’à 100 milliards par an à l’horizon 2020, et aussi de la création d’une structure pour recevoir ces fonds : le Fonds vert pour le climat, esquissé à Copenhague et lancé à Cancún en 2010.

Les contributions enregistrées sont loin d’atteindre les niveaux fixés, et il est à craindre que certains pays ne tiennent pas leurs engagements. C’est ce qu’ont déjà annoncé le Canada et l’Australie, tandis que la Chine et l’Inde ne sont plus parties prenantes. Tout cela fragilise les perspectives de réussite de la conférence sur le climat de Paris en 2015 et compromet l’objectif de réussir à conjuguer, dans les pays émergents en particulier, développement et environnement.

Je dirai un dernier mot concernant l’engagement de la France. Nous avons récemment adopté, en première lecture, le projet de loi relatif à la transition énergétique. Si j’en partage un certain nombre d’objectifs, je suis en désaccord avec d’autres. Je n’y reviens pas.

L’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, estime que pour avancer efficacement dans la transition énergétique, il faudrait mobiliser entre 10 et 30 milliards d’euros supplémentaires par an par rapport aux niveaux actuels des investissements énergétiques. Or il n’est retenu que 10 milliards d’euros sur trois ans, sous la forme de crédits d’impôt, de chèques énergie et de fonds pour accompagner les collectivités locales, les particuliers, les entreprises et les banques. Soyons patients, d’ailleurs, pour les collectivités locales : avec les ponctions qu’on fait sur leurs recettes, elles ont un peu de mal à investir elles-mêmes !

Cette insuffisance des moyens se retrouve bien dans le projet de loi de finances pour 2015. La transition énergétique ne fait pas bon ménage avec l’austérité, et celle-ci risque fort de compromettre les objectifs que nous nous fixons.

Au bénéfice de ces remarques, nous voterons ce projet de loi destiné à ratifier l’amendement de Doha,…

Mme Geneviève Gaillard, rapporteure pour avis. Très bien !

M. Patrice Carvalho. …tout en mesurant l’ampleur de la tâche et les obstacles qu’il faut affronter.

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur. Très bien !

Mme Geneviève Gaillard, rapporteure pour avis. Parfait !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues très nombreux – je ne doute pas que les autres sont devant leur poste de télévision à nous écouter tout en consommant de l’énergie (Sourires) – nous sommes ici réunis pour débattre de l’amendement de Doha au protocole de Kyoto et, je l’espère, l’approuver.

Pourquoi un amendement ? Vous l’avez tous rappelé : tout simplement pour permettre une période d’engagement intérimaire entre la fin du protocole de Kyoto et le futur accord climatique, puisque cet accord n’a pas pu être conclu lors de la COP15 à Copenhague.

Approuver cet amendement est tout d’abord un acte politique. Il couvre une deuxième période d’engagement en matière de gaz à effet de serre, qui va de 2013 à 2020. En l’approuvant, la France s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020 par rapport à 1990. L’approbation de l’amendement de Doha au protocole de Kyoto concrétisera donc l’engagement international de la France et de l’Europe dans la lutte mondiale contre les changements climatiques. La France enverra ainsi un signal fort, sur le plan international, quant à sa volonté de poursuivre sa lutte contre les changements climatiques. En contribuant selon ses responsabilités et ses capacités, elle réitérera son engagement dans ce processus international qu’elle soutient depuis l’adoption de la convention de 1992. Elle confirmera ainsi ce que sa législation prévoit déjà, et défendra ses intérêts, car nous sommes tous exposés aux effets néfastes des changements climatiques sur l’environnement et sur notre santé.

Oui, le problème de la réduction des gaz à effets de serre n’est que politique : ce n’est pas un problème technique comme certains voudraient nous le faire croire. Les moyens techniques, nous les avons : ceux nécessaires pour réduire ces gaz de manière à stabiliser le réchauffement du climat sans empêcher le développement économique, bien au contraire. Le découplage entre croissance des émissions et croissance économique constitue dès lors un élément central du développement durable et pauvre en carbone auquel tous les pays devraient désormais aspirer.

L’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère a des impacts négatifs, sur le long terme ou alors de façon immédiate sous la forme d’épisodes extrêmes, comme nous en avons connu dernièrement. Il est donc dans notre intérêt que les émissions mondiales soient réduites en vue de minimiser les effets négatifs de ces changements sur notre planète, qui entraîneraient des coûts économiques et sociaux considérables.

L’approbation de cet amendement est un acte politique majeur dans le calendrier de la préparation de la conférence sur le climat de 2015. La ratification de l’amendement s’inscrit dans un calendrier très dense, certains l’ont rappelé, entre la pré-COP20 qui aura lieu au Venezuela prochainement, la COP20 de Lima et, au cours du premier semestre 2015, le recueil des contributions des États parties, contributions qui constitueront la base du processus d’adoption des objectifs chiffrés lors de la conférence de Paris.

L’amendement, vous l’avez rappelé, définit des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre juridiquement contraignants pour les seules 38 parties signataires, dont l’Union européenne et ses États membres. Aux termes de cet amendement, l’Union européenne et d’autres, comme l’Islande, qui s’y est associée, sont tenus de limiter sur cette période 2013-2020 leurs émissions annuelles moyennes à 80 % des émissions constatées lors de l’année de référence, qui est 1990.

Approuver cet amendement, c’est aussi souligner la valeur du résultat de la difficile négociation de Doha. Une ratification est indispensable de manière à bien conforter l’engagement moteur de l’Union européenne. C’est d’autant plus nécessaire que cette conférence de Doha n’a pas donné lieu à la seule adoption de l’amendement, mais a également conduit à un autre compromis essentiel, sur la question du financement : les pays développés ont pris l’engagement d’un financement d’un montant de 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012, avec la perspective d’une montée jusqu’à 100 milliards par an à l’horizon 2020, ainsi que de la création de la structure pour les recevoir, le Fonds vert pour le climat, qui avait déjà été esquissé dès Copenhague et a été lancé à Cancún en 2010.

Approuver cet amendement c’est, enfin, répondre à une urgence, une urgence à agir qui commence à être reconnue même aux États-Unis. Le climato-scepticisme y a perdu du terrain. Le fait que le président Obama ait présenté au mois de juin 2013 un plan d’action pour le climat qui comprend plusieurs volets en est une illustration. Cela marque un véritable changement, dont je me réjouis, par rapport à la politique de son prédécesseur, le président Bush.

La société civile mesure aujourd’hui avec angoisse l’écart grandissant entre, d’une part, l’urgence, l’importance des enjeux environnementaux et, d’autre part, la faible confiance des citoyens et des acteurs en la capacité des politiques, à l’échelle locale comme à l’échelle internationale, à modifier le cours des événements et écrire notre avenir collectif. Notre avenir ne peut se dérouler ni même s’imaginer au rythme actuel de dégradation de la planète et de non-renouvellement de ses ressources.

Le XXIsiècle compte déjà treize des quatorze années les plus chaudes jamais observées. La dernière décennie, 2001-2010, a battu tous les records. Rappelons quelques éléments significatifs : le typhon Yolanda, l’un des plus violents que les Philippines aient connus ; les masses d’air glaciales sur une partie de l’Europe et du sud-est des États-Unis ; les graves sécheresses en Angola, au Botswana, en Namibie et dans le nord-est de la Chine ; les pluies abondantes en Russie ; les chutes de neige en Israël, en Jordanie et en Syrie ; le niveau des océans, qui a battu de nouveaux records.

Le changement climatique ne menace pas simplement notre environnement. Le changement climatique menace la paix, comme l’a rappelé au sommet de New York Ban Ki-moon : « Le changement climatique menace la paix chèrement acquise, la prospérité et les chances de réussite de milliards de personnes […]. Nous ne sommes pas là pour parler, nous sommes là pour écrire l’histoire. »

Il reste à peine plus d’une année avant le sommet de Paris, au cours duquel doit être adopté un accord international ambitieux pour freiner les bouleversements du climat planétaire. Il y a urgence. Oui, il y a urgence pour les États, pour la France et l’Europe de faire preuve de leadership et de s’engager à réduire significativement le réchauffement climatique.

Mes chers collègues, par l’adoption de cet amendement, nous prenons en compte de manière forte, claire et audible le message de la société civile. J’espère qu’ensemble nous saurons contredire la fameuse phrase de Talleyrand : « Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard. »

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur et Mme Geneviève Gaillard, rapporteure pour avis. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

Article unique

(L’article unique est adopté.)

(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)

3

Modification du règlement de l’Assemblée nationale

Suite de la discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Claude Bartolone tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale (nos 2273, 2381).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Mercredi soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles, s’arrêtant à l’amendement n100 portant article additionnel après l’article 8.

Après l’article 8

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement n100.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, la résolution de 2009 modifiant le règlement de l’Assemblée nationale a abouti à la suppression de l’annonce du dépôt des propositions de lois en séance publique, ce qui est finalement dommage. Il convient, comme vous le proposiez à l’occasion de l’examen de cette proposition de résolution, monsieur le rapporteur, de rétablir cette procédure : même si elle n’était pas utilisée systématiquement, elle pouvait permettre la très bonne information des députés présents dans l’hémicycle lorsque les propositions avaient passé avec succès l’examen de recevabilité.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est un avis défavorable. Comme vous l’avez très bien dit, monsieur le président Schwartzenberg, ces dispositions ont été supprimées en 2009 au motif que, en pratique, elles n’étaient plus appliquées, puisque les députés disposent maintenant de bien d’autres moyens d’information : le feuilleton de l’Assemblée, le site internet, la newsletter de l’Assemblée… J’avais d’ailleurs déjà évoqué cela en 2009, j’avais examiné la question, et je n’avais pas trouvé que les dispositions que vous évoquez apportaient beaucoup. Je crains que mon sentiment ne soit inchangé.

Si vous en étiez d’accord, monsieur le président Schwartzenberg, vous pourriez retirer cet amendement. À défaut, je serais contraint d’émettre un avis défavorable.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je le retire.

(L’amendement n100 est retiré.)

Article 9

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement n101.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L’article 86 du règlement dispose que, lorsque le délai entre le dépôt d’un texte de loi et son examen en séance est au moins égal à six semaines, le rapporteur de la commission saisie au fond met à la disposition des commissaires l’état d’avancement de ses travaux au cours de la semaine qui précède l’examen du texte en commission. Il s’agirait de prévoir au surplus que la commission tienne ses travaux dans les deux semaines qui précèdent l’examen du texte en séance. Cela permettrait d’assurer un déroulement plus satisfaisant encore du travail législatif, tout au moins lorsque les délais de droit commun de dépôt des textes sont respectés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. En pratique, monsieur Schwartzenberg, un tel délai est déjà respecté du fait d’une exigence réglementaire. L’alinéa de l’article 86 du règlement prévoit effectivement un délai de sept jours entre la mise en ligne du texte de la commission et l’examen en séance. En pratique, les commissions se réunissent donc quinze jours avant l’examen en séance. Elles peuvent ainsi, par exemple, rendre public le jeudi le texte adopté le mercredi. Il n’est donc pas nécessaire d’inscrire une nouvelle obligation dans le règlement, d’autant qu’on peut s’interroger sur les termes choisis : « se déroule » pose la question du moment précis de la computation du délai. S’agit-il du début de l’examen en commission ou de l’adoption du texte en commission ? Dans la pratique, votre amendement est déjà satisfait. Son adoption serait en revanche préjudiciable. Je vous invite donc à retirer votre amendement, cher collègue. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Schwartzenberg ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pour préserver cette atmosphère consensuelle, je le retire !

(L’amendement n101 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n16.

M. François de Rugy. Cet amendement porte sur la transmission d’un certain nombre de documents. Les documents faisant état de l’avancement des travaux sont utiles aux commissaires, et leur permettent de préparer leur travail sur le rapport. La numérisation des échanges a permis d’améliorer la diffusion et l’utilisation de ces documents. Dès lors, il n’apparaît plus opportun de les réserver aux cas où le délai de six semaines entre le dépôt et l’étude est respecté.

Il me semble que cette mesure est uniquement d’ordre technique. J’espère que le rapporteur donnera un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Monsieur de Rugy, je regrette que nous entamions ce débat par un désaccord ! L’avis de la commission est défavorable, mais je sais que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, une fois que vous aurez entendu l’argumentation que je vais développer ! (Sourires.)

Comme vous l’avez très bien dit, cet amendement vise à étendre l’obligation, pour le rapporteur, de faire connaître, dans la semaine qui précède l’examen du texte en commission, l’état d’avancement de ses travaux, au moyen de ce que nous appelons le pré-rapport. Actuellement, le pré-rapport n’est obligatoire que lorsque le délai constitutionnel de six semaines entre le dépôt du texte et son examen en séance a été respecté. Concrètement, cela ne concerne donc que les premières lectures, lorsque l’Assemblée nationale est la première saisie et en l’absence de procédure accélérée.

Supprimer ces conditions, comme vous le proposez, conduirait donc à produire des pré-rapports en première lecture lorsque le Sénat est la première assemblée saisie, en deuxième ou en nouvelle lecture et en lecture définitive. Cette formalité serait matériellement impossible dans certains cas, par exemple lorsque le Sénat achève l’examen d’un texte le vendredi soir et que la commission saisie au fond de l’Assemblée nationale l’examine le mercredi suivant. Vous imaginez bien qu’entre le samedi matin et le mardi soir, il n’est pas possible de produire un pré-rapport !

En pratique, toutefois, la commission des lois, comme sans doute d’autres commissions, s’efforce de produire le pré-rapport y compris dans des cas où elle n’y est pas obligée par le règlement, par exemple en deuxième lecture ou en cas de non-respect du délai de six semaines. Je vous demande donc d’être compréhensif et de retirer votre amendement. Vous pensez bien que si je pouvais élargir la pratique de la commission des lois, je le ferais avec plaisir, mais je crains que ce ne soit matériellement impossible.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Merci au rapporteur pour ses explications très précises. Je me range à son avis, et je retire cet amendement.

Par ailleurs, et même si je souhaite qu’à partir de maintenant nos débats se déroulent assez rapidement, je voudrais regretter d’un mot que l’examen de cette réforme du règlement ait été tronçonné de si étrange façon. Permettez-moi de remarquer, monsieur le président, que la journée d’hier était réservée à l’ordre du jour du groupe UDI – ce que nous appelons une « niche » – mais que si le groupe UDI l’avait accepté, nous aurions pu reprendre le débat sur la modification du règlement une fois achevé l’examen de tous les textes qu’il avait inscrits à l’ordre du jour, ce qui était le cas avant vingt heures.

Si nous pouvions, monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, faire évoluer les choses de ce point de vue, non seulement dans les règles mais aussi dans la pratique, ce serait une excellente chose. Il est assez désagréable de recommencer ce vendredi un débat que nous avions entamé mercredi.

M. le président. Ce sujet a été évoqué en conférence des présidents. Les groupes n’ont pas manifesté de volonté d’accepter l’arrangement que vous évoquez. Je crois par ailleurs que cette question se posera moins une fois que la modification du règlement aura été adoptée.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Monsieur le président, vous m’ôtez les mots de la bouche. À l’avenir, une fois adoptée la modification du règlement, il n’y aura plus de jeudis totalement dédiés aux groupes minoritaires ou d’opposition. Il n’y aura donc plus de ces gels de temps préjudiciables que M. de Rugy a dénoncés très pertinemment, avec son acuité coutumière.

(L’amendement n16 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n37.

M. Jean-Luc Laurent. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Défavorable.

(L’amendement n37 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 64, 17 et 102, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n64.

M. Marc Dolez. Cet amendement vise à supprimer toute exception au délai entre la publication par voie électronique du texte adopté par la commission et l’examen en séance. Légiférer dans de bonnes conditions suppose, en particulier pour exercer correctement le droit d’amendement, de disposer d’un temps suffisant entre la publication du texte adopté par la commission et le débat en séance.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n17.

M. François de Rugy. Il est très semblable et les arguments en sa faveur sont les mêmes.

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement n102.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cet amendement est relatif à la procédure accélérée, qui est utilisée beaucoup trop fréquemment. Chacun en convient, à commencer par le président de l’Assemblée nationale, mais aucune conséquence n’est tirée de cette analyse.

L’engagement de la procédure accélérée n’a pas seulement pour conséquence d’abréger l’examen d’un texte de loi ; elle présente également l’inconvénient de raccourcir l’ensemble des délais prévus tout au long de la procédure législative, en particulier le délai séparant la mise à disposition par voie électronique du texte de la commission et son examen en séance. Actuellement, le règlement précise que le texte doit être mis à disposition « dans les meilleurs délais ». On constate toutefois que dans les faits, ces délais sont souvent trop brefs. Prévoir un délai de trois jours apparaît donc raisonnable, étant donné que la procédure normale prévoit un délai de sept jours.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements en discussion commune ?

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je suis encore une fois navré de devoir donner un avis défavorable, car je suis très sensible à ces arguments. J’ai moi-même souvent dénoncé cet état de fait en d’autres temps. L’expérience que j’ai acquise du fonctionnement de la commission des lois m’amène cependant aujourd’hui à vous opposer des arguments matériels.

Je répondrai d’abord à Marc Dolez. Aujourd’hui, lorsqu’elles examinent des projets ou des propositions de lois en première lecture sans procédure accélérée, les commissions sont tenues de mettre en ligne le texte qu’elles ont adopté au moins sept jours avant l’examen en séance publique. Ce délai vise à permettre aux députés de prendre connaissance du texte et de préparer leurs amendements en vue de la séance publique – chacun s’accorde à reconnaître son utilité. Concrètement, cela signifie que les commissions se réunissent en général quinze jours avant le passage en séance. Elles peuvent ainsi, par exemple, rendre public le jeudi le texte adopté le mercredi.

En revanche, en cas de procédure accélérée, ce qui arrive de temps en temps…

M. Marc Dolez. C’est bien là le problème !

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. …ou en cas de deuxième lecture, ou de lecture ultérieure, comme ce sera bientôt le cas avec le projet de loi relatif à la délimitation des régions, le règlement n’impose une mise en ligne du texte que « dans les meilleurs délais ».

Votre amendement, monsieur Dolez, propose de respecter un délai de sept jours, de même que celui de M. de Rugy ; celui de M. Schwartzenberg propose un délai de trois jours. Je crois que c’est matériellement impossible. Par exemple, comment le délai pourrait-il être respecté dans le cas où une commission se réunit le mercredi pour examiner en texte dont l’examen en séance est prévu pour le mardi suivant ? Il est déjà très difficile aux commissions de mettre les textes en ligne dès le mercredi soir, en raison de la longueur des textes et du nombre d’amendements adoptés. Sans faire de cas d’école, il est légitime que des amendements soient adoptés : c’est le rôle de la commission ! Or même dans ce cas, même lorsque la commission parvient à mettre en ligne le texte dès le mercredi soir, il s’écoulera nécessairement moins de sept jours avant l’examen en séance.

Si nous acceptions ces amendements, nous serions confrontés à un problème de fixation de l’ordre du jour de l’Assemblée : nous serions obligés de décaler la date de l’examen du texte en séance, car il est impossible d’avancer l’examen du texte par la commission. Ne voulant pas empiler les difficultés et les contraintes, je suis obligé de donner un avis défavorable. Je reconnais cependant que le non-respect du délai peut être préjudiciable notamment aux petits groupes, qui n’ont pas les moyens nécessaires pour s’organiser, alors que les groupes plus importants peuvent toujours trouver des moyens de déléguer le travail.

J’aurais été ravi de pouvoir avancer sur ce point, mais ce n’est pas possible. Sachez que nous faisons vraiment le maximum, en exploitant les possibilités d’internet. Je me souviens toutefois qu’on nous a parfois reproché de mettre des documents en ligne sans qu’ils soient disponibles en version imprimée, car tous les députés ne disposent pas, à l’endroit où ils se trouvent, d’une connexion suffisante pour travailler correctement…

Je partage donc la philosophie de ces amendements, mais pour toutes les raisons matérielles que j’ai évoquées, je vous recommande de les retirer. À défaut, avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. J’avoue ne pas bien comprendre votre argumentation, monsieur le rapporteur. Le fait qu’un texte soit examiné en procédure accélérée n’est pas une raison suffisante pour se passer d’un délai suffisant entre le moment où le texte de la commission est publié et le moment où il est examiné en séance ! Le délai doit être le même que pour les textes qui ne sont pas examinés en procédure accélérée. Pourquoi le recours à la procédure accélérée obligerait-il à diminuer le temps entre la mise en ligne et l’examen en séance ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Parce que l’ordre du jour est maîtrisé par le Gouvernement ! C’est lui qui décrète à quel moment le texte est inscrit à l’ordre du jour. C’est à partir de la date à laquelle le texte est inscrit que l’on fixe les autres dates, en fonction des délais : il s’agit d’un rétroplanning. J’ai pris l’exemple d’un texte inscrit à l’ordre du jour le mardi : je ne vois pas comment une réunion de la commission le mercredi précédent permettrait de respecter les délais que vous souhaitez.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Pour le coup, je regrette que le Gouvernement ne soit pas présent ! (Sourires.)Il me semble qu’il suffirait que le Gouvernement tienne compte de cette donnée au moment d’inscrire les textes à l’ordre du jour. Si nous adoptons mon amendement, cette contrainte figurera dans le règlement de l’Assemblée nationale et le Gouvernement sera bien obligé de la respecter. Ce n’est pas une atteinte à ses prérogatives.

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L’objectif commun à ces amendements est simplement d’améliorer les conditions de travail des députés, qui sont gênés par les conditions matérielles souvent observées en cas de procédure accélérée. L’ordre du jour étant fixé en conférence des présidents, il pourrait y avoir une harmonisation plus forte entre les souhaits, ou la volonté, exprimés par le Gouvernement d’inscrire tel ou tel texte à l’ordre du jour et le planning des commissions qui en résulte.

Il est difficile, même en dehors de la procédure accélérée, d’intervenir avec pertinence à propos d’un rapport ou d’un texte dont on n’a connaissance que depuis la veille ou l’avant-veille. Puisque la présente proposition de résolution vise à améliorer les conditions de travail des députés, de tels amendements ne semblent pas absurdes.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je suis d’accord avec M. Schwartzenberg, mais j’aimerais ajouter deux éléments au débat. Tout d’abord, s’agissant de la procédure accélérée, que nous n’aimons pas beaucoup, nous avons adopté en commission un amendement afin que le Parlement puisse savoir sur quel texte le Gouvernement l’utilise. En l’état actuel, le Gouvernement peut décider d’engager la procédure accélérée jusqu’au moment où le texte est discuté. Nous avons décidé qu’il ne pourrait le faire qu’au moment où il dépose le texte et qu’après cela, il ne puisse plus y recourir. Cela donne déjà un cadre général.

Ce qu’a dit Roger-Gérard Schwartzenberg est évidemment très pertinent : c’est en conférence des présidents que tout se joue. En réalité, en deuxième lecture, on a souvent à peu près quinze jours. C’est la nouvelle lecture qui pose problème. Par exemple, le projet de loi de délimitation des régions a été examiné en commission mixte paritaire hier. La CMP a échoué et je ne peux faire autrement que faire examiner ce projet de loi par la commission mercredi prochain, car le Gouvernement en a ainsi décidé.

Vraiment, si je pouvais accepter ces amendements, je le ferais, mais c’est matériellement impossible. Je vous demande à nouveau de les retirer, et j’y suis défavorable.

(L’amendement n64 n’est pas adopté.)

(L’amendement n17 est adopté et l’amendement no 102 tombe.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly