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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 26 janvier 2015

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Décès du roi Abdallah d’Arabie saoudite

M. le président. Nous avons appris le décès, la semaine dernière, du roi d’Arabie saoudite, Abdallah Ben Abdel Aziz Al-Saoud. J’adresse les condoléances de l’Assemblée nationale au peuple saoudien.

2

Croissance, activité et égalité

des chances économiques

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (nos 2447, 2498).

La Conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de cinquante heures.

Chaque groupe dispose du temps de parole suivant : quatorze heures cinq minutes pour le groupe SRC, vingt heures quarante-cinq minutes pour le groupe UMP, cinq heures quarante minutes pour le groupe UDI, trois heures dix minutes pour le groupe RRDP, trois heures quinze minutes pour le groupe écologiste, trois heures cinq minutes pour le groupe GDR, les députés non-inscrits disposant d’une heure.

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, mesdames et messieurs les députés, ce qui est aujourd’hui attendu de nous, c’est de prendre pour notre pays les décisions que la situation exige ; c’est de conduire les changements que nombre de nos concitoyens attendent ; c’est de retrouver les moyens de notre légitime ambition parce qu’au fond, la France a l’essentiel pour se redresser sur le plan économique. Elle a en elle ce qu’elle a montré le 11 janvier dernier au monde entier et, vous le savez comme moi, elle a cette volonté profonde d’être debout, d’avancer.

Vous connaissez comme moi l’énergie de tous ceux qui se battent pour travailler, pour embaucher ou pour investir. Vous savez comme moi que les Français ont envie de s’en sortir, d’aller de l’avant, qu’ils ont pour eux, pour leur famille et pour leur pays des ambitions nobles et réelles. Vous connaissez comme moi l’enthousiasme de notre jeunesse, qui a envie de conquérir le monde. Voilà ce dont notre économie a besoin. Voilà le vrai trésor de notre pays.

Mais nous transformons cet or en plomb depuis tant d’années : la défiance, la complexité, les corporatismes brident ces mouvements et les empêchent de se déployer. Cela crée pour l’ensemble des responsables politiques que nous sommes un double devoir : être à la hauteur des Français, alors que nous sommes trop souvent en retard sur eux, et mettre un coup d’arrêt à ce gaspillage d’énergie et d’enthousiasme. Car c’est lorsque notre économie va de l’avant que nous parvenons à faire progresser la société tout entière et que nous réalisons les plus belles avancées.

À l’inverse, lorsque l’économie se grippe, les victimes sont toujours les mêmes. Ce sont tous ceux qui sont privés d’opportunités et d’accès, qui habitent dans les territoires relégués de notre pays, qui partagent le même sentiment de se trouver dans une impasse.

L’actualité récente et les attaques meurtrières qui nous ont frappés au cœur en sont la triste démonstration : les dysfonctionnements, les injustices, la perte de sens et de repères peuvent participer à engendrer les drames humains les plus terribles. C’est pourquoi l’économie ne peut pas et ne doit pas être abordée de manière isolée, comme s’il s’agissait de chiffres et de statistiques sans lien avec la réalité sociale. Notre défi, c’est aujourd’hui, aussi, un défi économique. Et notre devoir, c’est de le relever.

C’est à ce titre que je suis heureux de pouvoir vous présenter, au nom de l’ensemble du Gouvernement, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Ce texte n’est rien d’autre que le fruit d’un engagement collectif.

C’est d’abord le gouvernement tout entier qui a contribué à sa rédaction, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre. Il porte donc la marque de pas moins d’une douzaine de ministres et c’est pourquoi Christiane Taubira et François Rebsamen sont présents avec moi aujourd’hui.

Ce sont également toutes les parties prenantes qui ont été associées à l’élaboration de ce projet de loi : les partenaires sociaux ; les professions concernées, notamment les professions réglementées du droit avec lesquelles nous avons échangé en continu ; les institutions de la société civile, les fondations, les experts, qui ont eu accès à tous les documents pertinents pour poser des questions, faire des propositions et évaluer le texte dans une démarche indépendante.

Enfin, c’est vous, parlementaires, qui avez directement participé à la rédaction de ce projet de loi, grâce à vos travaux préliminaires et à vos rapports mais surtout grâce à l’implication des 70 députés de la commission spéciale, présidée par François Brottes. Le rapporteur général, Richard Ferrand, et les huit rapporteurs thématiques que je veux ici remercier, ainsi que tous les commissaires présents, ont coécrit le texte que je vous présente aujourd’hui.

Je le sais, nous partageons tous la conviction qu’il est nécessaire d’aller de l’avant. Notre pays est dos au mur et le statu quo n’est plus une option. Nous avons besoin d’un nouveau souffle.

Cela suppose de prendre des décisions claires, et c’est pourquoi le Gouvernement a pris ses responsabilités. Car concerter, ce n’est pas se défausser. Discuter, ce n’est pas tout accepter. Et gouverner, ce n’est pas laisser choisir : c’est décider. C’est pourquoi cette loi ne fait pas mystère des orientations qu’elle porte : plus de vitalité ; plus de justice et de transparence ; des droits aux Français, et en particulier aux jeunes.

Ce sont par ces leviers, qui se renforcent mutuellement, que la cohérence de ce texte se construit : pour l’activité et l’égalité des chances économiques.

Vitalité, d’abord, car chacune de ses mesures apporte un élément de réponse à cette question : « comment redonner plus de force à notre économie ? ». Oui, cette loi traite de nombreux sujets. Oui, elle touche de nombreux domaines et une multitude de professions. C’est parce que les blocages sont partout, parce qu’ils ne sont pas cantonnés à un secteur, ni à une région, parce qu’il faut, pour transformer les choses en profondeur, accepter de partir de la réalité, du quotidien, du vécu, du ressenti, même trivial.

Donner plus de vitalité à notre économie, c’est d’abord simplifier. Trop souvent, la complexité étouffe, plutôt qu’elle ne protège, elle inhibe, plutôt qu’elle ne sécurise. Surtout, elle fragilise, et d’abord ceux qui sont déjà les plus fragiles d’entre nous. En dernier recours, elle peut devenir une redoutable incitation à ne rien faire, à ne rien tenter, à ne rien entreprendre.

Cette loi simplifie d’abord la vie de nos entrepreneurs. En étendant l’utilisation de l’autorisation unique et des certificats de projet, nous leur permettrons d’aller plus vite pour mener des projets utiles. De manière plus ambitieuse, nous voulons aussi pouvoir conduire les réformes des études d’impacts, de l’évaluation environnementale, de la concertation et de la consultation du public, telles qu’annoncées par le Président de la République. Le travail qui sera mené avec Ségolène Royal, après l’adoption de la loi, associera étroitement les parlementaires et la société civile, notamment les membres du Conseil national de la transition écologique.

Il s’agit de simplifier, d’accélérer, en ne retranchant rien de nos exigences démocratiques et environnementales. Cette loi permettra aussi de lancer les sociétés de projet indispensables à la réalisation du Charles-de-Gaulle Express et du Canal Seine-Nord : ce sont des grands projets structurants dont on parle depuis trop longtemps et sur lesquels nous devons, à présent, avancer concrètement.

Cette loi simplifie la vie des Français, des salariés et des petits patrons. C’est tout le sens de la réforme des prud’hommes, dont personne ne peut dire aujourd’hui qu’ils fonctionnent de manière satisfaisante, puisque la durée moyenne d’une procédure est de quinze mois, et jusqu’à vingt-neuf mois en cas de recours à la formation de départage.

Là aussi, ce sont les plus fragiles qui en font les frais : les salariés qui perdent leur emploi, sans avoir les moyens ou la force d’attendre une décision pendant des mois, quand ce n’est pas des années, et les patrons des petites et moyennes entreprises, sur qui la perspective des prud’hommes pèse parfois au quotidien au point de les dissuader d’embaucher. Voilà pourquoi la réforme que nous proposons rendra la justice prud’homale plus simple, plus rapide, plus prévisible et, finalement, plus efficace, en formant mieux les juges, en permettant des procédures accélérées, en resserrant les délais.

En permettant aux maires d’augmenter jusqu’à 30 % la constructibilité des zones tendues afin de développer le logement intermédiaire, ce texte permet d’aller plus loin. Le logement intermédiaire, c’est le logement de ceux qui ont des revenus trop élevés pour avoir accès au logement social, mais trop faibles pour se loger au prix du marché dans les zones particulièrement denses.

L’État lui-même investira plus d’un milliard d’euros pour construire des logements intermédiaires, comme l’a annoncé le Président de la République le 15 septembre dernier. C’est pour cela, entre autres, que ce projet de loi prévoit des cessions d’actifs moins stratégiques, à la fois pour nous désendetter et pour réinvestir dans nos priorités, économiques et industrielles.

Investir dans le numérique, ensuite. La fracture numérique est d’abord une fracture économique. La réduire, c’est créer de l’activité : l’activité de ceux qui déploieront la fibre partout sur le territoire, bien sûr, de ces 20 000 emplois qui seront créés pour accompagner les 20 milliards d’euros qui vont être investis d’ici la fin de la décennie. Le présent texte porte ainsi des mesures concrètes pour faciliter le déploiement de la fibre le long de nos rues, pour accélérer son installation dans nos immeubles, afin qu’aucun obstacle ne ralentisse ce grand chantier. Le travail en commission a enrichi le texte, en étendant cette mesure à l’ensemble des logements individuels.

Donner plus de vitalité à notre économie, c’est améliorer son financement. Par cette loi, nous permettrons aux entreprises de pouvoir en financer d’autres, grâce au développement des bons de caisse. C’est, là aussi, une avancée concrète pour beaucoup de très petites entreprises et de petites et moyennes entreprises.

Une réforme ambitieuse du capital-investissement est aussi proposée, à travers la création d’un statut ad hoc, la société de libre partenariat, qui aidera nos entreprises les plus innovantes.

Donner plus de vitalité à notre économie, c’est ouvrir de nouveaux secteurs. La France est le plus grand pays d’Europe et la mobilité y est essentielle. Qu’il soit impossible de se rendre où on le souhaite sans devoir prendre le train ou un véhicule particulier fait problème ; comment, par exemple, rejoindre aisément Nantes depuis Bordeaux ? L’an dernier, seules 110 000 personnes ont voyagé en car dans notre pays, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. C’est pourquoi le présent projet de loi entend ouvrir ce secteur, afin de mettre en place de nouvelles mobilités, plus justes, de favoriser l’intermodalité, de créer de nouveaux emplois.

Donner plus de vitalité à notre économie, c’est autoriser, dans certaines zones à fort potentiel économique et touristique, les commerces à ouvrir en soirée et le dimanche, à condition de donner aux salariés des compensations et des droits : c’est ainsi que l’on pourra capter de l’activité et créer plusieurs milliers d’emplois.

Donner plus de vitalité à notre économie, c’est enfin récompenser le risque et décourager la rente. La rente est le symptôme d’une économie à l’arrêt, tandis que le risque est le moteur d’une économie en expansion, aux changements rapides et brutaux. Il convient de faire en sorte que nos entreprises, petites et grandes, attirent et conservent les meilleurs éléments et que les jeunes entreprises innovantes s’attachent les talents d’exception, en les fidélisant grâce à des actions susceptibles de leur faire partager le destin de l’entreprise. Ce projet de loi le permettra, via une réforme des actions de performance et des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise. Nous ne pouvons continuer à former de grands chercheurs, de grands experts, de grands décideurs et à voir nos start-ups et nos grands groupes soit échouer à les recruter, soit devoir les expatrier.

Parce qu’il combat la rente, ce texte souhaite mettre fin aux dérives de certaines retraites-chapeaux perçues par des mandataires sociaux. Une rémunération doit toujours être liée à une prise de risque ou à une performance, sinon, ce n’est rien d’autre qu’un cadeau ou un don – que reçoivent, en l’occurrence, ceux qui en ont le moins besoin.

Parce qu’il récompense le risque, ce texte apporte de nouvelles garanties à ceux qui veulent se lancer – notamment, celle de pouvoir entreprendre sans risquer de tout perdre. Une disposition protégera ainsi la résidence principale des entrepreneurs individuels : par défaut, leur logement ne pourra plus être saisi.

Le présent texte comprend d’autre part des réformes visant à rendre notre économie plus transparente et plus juste. Justice et transparence permettent de lutter contre la défiance, d’avancer, d’être, in fine, plus efficace. Elles sont bonnes pour l’activité.

La puissance des intérêts acquis, qui prospèrent dans l’opacité, est un frein souvent difficile à lever. La vie quotidienne de nos concitoyens est sans cesse compliquée et rendue plus injuste par la progression continue des dépenses engendrées par les actes courants : faire les courses, se déplacer, faire appel aux services de certains professionnels.

Si l’on fait de la réforme un instrument de transparence, alors la vie quotidienne des Français en sera améliorée. L’expérience montre que l’opacité a un prix, d’autant plus élevé que les revenus sont faibles. La transparence est la condition d’une réforme permanente, d’un meilleur fonctionnement, de la fin des petites ententes, des arrangements complices et coupables.

C’est pourquoi le présent projet de loi tend à accroître la transparence et l’exigence dans le suivi des concessions autoroutières, afin de faire valoir l’intérêt des usagers et l’intérêt général ; l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, verra pour ce faire ses compétences étendues. Le texte renforce aussi la transparence dans la fixation des prix des péages, afin de limiter leur progression au strict nécessaire ; à accroître la transparence dans les équilibres économiques des contrats et les travaux engagés par les sociétés d’autoroutes, afin d’éviter que celles-ci ne favorisent les entreprises de travaux publics auxquelles elles sont organiquement liées ; enfin, à accroître la transparence dans l’accès aux marchés passés par les concessionnaires : les autoroutes demeurant la propriété de l’État, il paraît normal que l’ensemble du tissu économique de notre pays soit associé à leur entretien.

Ce projet de loi souhaite aussi rendre la concurrence entre les grandes surfaces plus utile aux Français dans les zones où elle est aujourd’hui trop faible pour avoir un effet sur les prix. Le renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence permettra de mettre fin à des situations inacceptables : une position dominante peut encourager des pratiques nuisibles tant aux consommateurs qu’aux producteurs.

Le projet de loi vise aussi à faire payer aux Français le juste prix pour les services, importants, rendus par les professions réglementées du droit. Il propose la refonte, avec le concours de l’Autorité de la concurrence, des tarifs réglementés de ces professions, de manière à ce que ceux-ci reflètent les coûts réels tout en conservant leur proportionnalité. Il ne s’agit pas de stigmatiser quiconque : c’est une nécessité ; les prix de l’immobilier ancien ont augmenté de plus de 250 % depuis 1996 et le coût pour les Français des services associés a pareillement progressé, puisqu’il est strictement proportionnel aux prix de ces biens. La discussion nous permettra, j’en suis sûr, d’améliorer les mécanismes retenus ; mais en tout état de cause, les prix seront désormais revus de manière régulière, sur une base transparente et objective. Il s’agira d’une avancée pour tous les Français.

Plus de transparence et de justice, c’est aussi l’esprit de la réforme conduite pour le bâtiment et les travaux publics : accroître les sanctions en cas de travail détaché illégal, créer une carte professionnelle.

Plus de transparence pour plus de justice, c’est l’ambition qui est la nôtre pour réformer l’ouverture des commerces de détail le dimanche.

En 2009, la loi avait consacré quarante et une zones d’exception permettant aux grandes surfaces commerciales d’ouvrir tous les dimanches avec des règles de compensation généreuses. Banalisation du travail dominical, cinquante-deux dimanches par an, avantage octroyé aux zones périphériques au détriment des centres-villes, injustice des mesures de compensation, puisque les « dimanches du maire », et les dérogations accordées aux commerces de centre-ville et aux plus de 640 zones touristiques ne faisaient l’objet d’aucune compensation pour les salariés : autant de bonnes raisons de s’opposer à la loi Mallié.

En outre, depuis, notre pays a changé. Le commerce en ligne progresse d’environ 10 % par an : les Français consomment le dimanche sur internet. Nos centres-villes sont souvent souffrants. Plusieurs secteurs ont demandé des dérogations, soulignant l’incohérence des zonages. Le consensus social a évolué : une majorité de Français sont désormais favorables à l’ouverture des commerces de détail le dimanche ; à Paris, ils sont eux-mêmes prêts à travailler ce jour-là.

Cela a conduit le gouvernement de Jean-Marc Ayrault à demander un travail de concertation à Jean-Paul Bailly. C’est ce rapport, remis le 2 décembre 2013, que le présent texte tend à traduire dans la loi.

Il prévoit, d’abord, de simplifier les zonages existants, ensuite, de permettre aux maires d’autoriser l’ouverture des commerces jusqu’à douze dimanches par an. Au-delà de cinq dimanches, il sera nécessaire d’obtenir un avis au niveau intercommunal. C’est une liberté supplémentaire accordée aux élus afin que, là où cela se justifie, les commerces de centre-ville soient autorisés à ouvrir.

Cette mesure répond aux besoins de nombre de villes et de secteurs. Il était nécessaire qu’une liberté soit offerte pour une ouverture entre cinq et cinquante-deux dimanches. Toutefois, dans de nombreuses villes, cela ne concernera qu’un ou deux dimanches – sinon, cela n’aurait aucun sens ! Jusqu’à douze dimanches : tel est le point de consensus dégagé par le rapport Bailly.

Le texte prévoit enfin des compensations. Pour la première fois, il est prévu de rendre obligatoire un accord de branche, d’entreprise ou de territoire pour qu’un commerce de détail puisse ouvrir le dimanche. Sans accord, pas d’ouverture ! Il reviendra à cet accord de définir les règles de compensation.

Cette réforme laisse donc plus de liberté aux maires et, surtout, rend plus juste l’ouverture le dimanche, pour les territoires comme pour les salariés.

Enfin, le projet de loi tend à donner plus de droits aux Français, en particulier aux plus jeunes.

Il fait un pari : celui de faire confiance aux Français plutôt que d’exiger leur confiance. Il n’est dirigé contre personne ; il n’interdit rien ; il n’enlèvera rien à quiconque ; il n’ajoutera aucune barrière, aucune contrainte à la vie quotidienne des Français. Il vise au contraire à créer de nouveaux accès et de nouveaux droits, d’abord pour les jeunes, pour celles et ceux que l’on appelle les outsiders, et qui, par définition, sont en dehors du système. C’est indispensable si l’on veut développer l’activité.

Tel est l’objet de la réforme des professions réglementées du droit. Cette réforme vise à faire en sorte que tous ceux qui ont les mêmes diplômes puissent exercer à leur propre compte. Il n’est pas normal qu’à compétence et expérience égales, certains puissent s’installer et d’autres non. Ainsi, 63 % des administrateurs judiciaires ont plus de 50 ans ; la moyenne d’âge des notaires ou des huissiers de justice est de 49 ans ; celle des commissaires-priseurs judiciaires, de 53 ans : ces chiffres ne doivent rien au hasard, encore moins au mérite ; ils sont le symptôme d’une injustice flagrante. Voilà pourquoi nous devons moderniser les professions de notaire, d’huissier, de greffier des tribunaux de commerce, de commissaire-priseur judiciaire, d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire. Il convient d’ouvrir ces professions aux jeunes, et de les ouvrir les unes aux autres.

M. Sébastien Huyghe. C’est un leurre !

M. Emmanuel Macron, ministre. Une tentative en ce sens avait été faite en 2009, qui s’était soldée par un échec. Cela fait longtemps qu’on en parle ; il est temps d’agir.

D’où l’ouverture des procédures d’installation – qui permettra, sans remettre en cause la sécurité juridique ni fragiliser les professionnels en place, d’autoriser dans certaines zones la création d’offices – et la création d’une interprofessionnalité fonctionnelle : autant de mesures à la fois bonnes pour les jeunes et favorables au maillage territorial, puisqu’il s’agit d’offrir des libertés là où il y a des manques. D’où, enfin, la mise en place d’un mécanisme de péréquation réelle entre professionnels du droit.

Redonner des droits aux salariés est une autre ambition de ce projet de loi. La réforme de l’épargne salariale permettra à tous les salariés d’en profiter, et pas seulement ceux des grands groupes. Aujourd’hui, seuls 10 % des salariés de PME y ont accès : ce n’est ni acceptable ni justifiable. Ouvrir l’accès à l’épargne salariale n’est pas seulement une mesure technique et une mesure de justice ; c’est aussi un moyen de repenser l’entreprise, en associant plus étroitement les salariés aux fruits de leur labeur. C’est faire de l’entreprise une véritable communauté de destins, quand elle n’est pour certains que l’aventure individuelle des seuls dirigeants. La réforme permettra aux salariés d’être associés à la réussite de leur entreprise, tout en améliorant le financement de notre économie.

Redonner des droits, c’est aussi donner aux entreprises en difficulté la possibilité d’échapper à la faillite. Dans de trop nombreux cas, des entreprises placées en redressement judiciaire sont liquidées et vidées de leurs actifs, ou détruisent tous leurs emplois parce que les actionnaires n’ont pas la possibilité ou la volonté d’apporter le financement nécessaire au sauvetage de l’activité, quand bien même celui-ci serait possible.

Notre droit consacre la primauté absolue de l’actionnariat au nom de la protection du droit de propriété, même lorsque cette primauté conduit à la destruction de l’entreprise, des emplois et d’autres droits, comme celui des créanciers : c’est ce principe que le présent projet de loi vise à remettre en cause en réformant les procédures collectives. Lorsque les dirigeants et les actionnaires ne pourront plus sauver leur entreprise, le tribunal pourra en dernier recours autoriser des créanciers ou de nouveaux investisseurs à en prendre le contrôle, contre l’avis des actionnaires ; la contrepartie sera l’obligation de mettre en place et de financer un plan offrant une nouvelle chance à l’entreprise afin de maintenir l’activité et le plus grand nombre d’emplois possible.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale. Excellent !

M. Emmanuel Macron, ministre. Redonner des droits, c’est enfin permettre aux plus jeunes de rentrer plus vite et plus facilement dans la vie professionnelle, en ayant un égal accès aux opportunités. Les mesures incluses dans ce texte permettront de réduire les délais d’attente, de réduire le coût et de moderniser l’organisation de l’examen du permis de conduire ; il est inacceptable que nos jeunes attendent parfois un an et dépensent en moyenne 1 500 euros pour pouvoir se déplacer librement dans le cadre de leur vie professionnelle ou familiale.

Mesdames et messieurs les députés, ce que je viens de vous présenter, nous l’avons construit ensemble. Sur tous les sujets, dans tous les domaines, nous avons réussi à progresser et à améliorer le texte – pour plus de vitalité, plus de transparence et de justice, plus de droits pour notre jeunesse. J’espère que nous poursuivrons sur ce chemin prometteur ; je suis certain que le texte actuel peut encore être enrichi et amélioré. Si vous en êtes d’accord, tel est l’objectif commun que je fixerai. Je vous garantis que toute proposition allant dans le sens de l’intérêt général trouvera auprès du Gouvernement une oreille attentive.

Nous avons trop souvent remis à demain ce qui devait être fait aujourd’hui – quand ce n’était pas hier. Professions réglementées, travail du dimanche, épargne salariale, procédures collectives, justice prud’homale – et j’en passe : ce projet de loi contient des réformes dont on a beaucoup parlé, mais qui n’ont jamais été réalisées.

Je m’engage par ailleurs auprès de vous à traduire dans les actes, et dans les plus brefs délais, le texte que vous aurez voté. Je vous soumettrai également une évaluation régulière de ses effets.

Cette loi offre une chance pour les responsables politiques que nous sommes : elle permettra de nous prouver à nous-mêmes et de prouver à tous les Français, que nous sommes capables de bouger, que nous ne sommes prisonniers d’aucun dogme, ni d’aucun intérêt en place. Elle insufflera une nouvelle dynamique. Elle nous redonnera confiance en nous-mêmes. Elle nous autorisera aussi à être plus exigeants avec nos partenaires et avec l’Europe. Comment leur demander plus, si nous ne faisons pas nous-mêmes nos propres réformes pour nous-mêmes ? C’est la clé de notre croissance, de notre crédibilité, de notre avenir commun.

Cette loi est une première étape. Elle sera suivie d’autres décisions. Elle montre simplement que nous reprenons notre destin en main. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC)

Mme Michèle Bonneton, M. Alain Tourret et rapporteur thématique. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, il est rare, en effet, qu’un texte brasse des matières aussi différentes. Le fait n’est pas courant, mais il n’est pas inédit. Ce texte gouvernemental, par les ambitions qu’il affiche et la pluralité de ses sujets, a conduit le Parlement à mener un travail transversal, sur des cultures et des pratiques professionnelles, dans des champs économiques et sociaux divers, avec un souci de cohérence et d’efficacité. Je veux, à mon tour, saluer le travail de très grande qualité qui a été fourni par le président de la commission spéciale François Brottes, par le rapporteur général Richard Ferrand, par les rapporteurs thématiques également – Gilles Savary, Laurent Grandguillaume, Clotilde Valter, Christophe Castaner, ainsi que Stéphane Travert.

Je voudrais m’arrêter un instant sur les rapporteurs qui se sont très fortement impliqués sur le sujet des juridictions et celui des professions qui relèvent de mon autorité – je parle de Cécile Untermaier pour les professions réglementées, de Denys Robiliard pour la justice prud’homale – dont la tutelle est partagée par le ministère du travail et celui de la justice – et d’Alain Tourret pour la justice commerciale. Je veux aussi souligner le travail de très, très grande qualité et les contributions remarquables de députés comme Jean-Yves Le Bouillonnec, Colette Capdevielle, Karine Berger, Jean-Michel Clément. Le travail qu’ils ont fait, avec Marc Dolez, Arnaud Leroy et Audrey Linkenheld, a contribué à nous éclairer sur la question de l’accès au droit et de ses enjeux et à nous permettre de cerner les thématiques et les problématiques concernées.

Évidemment, le Gouvernement est parfaitement légitime pour s’interroger sur le fonctionnement des professions qui sont appelées à exercer par délégation de la puissance publique des missions de service public. De même, il est fondé à s’interroger sur la part que ces professions prennent dans la vitalité économique et sur le rôle plus grand qu’elles pourraient jouer dans la dynamisation de l’économie.

En l’occurrence, cette légitimité se fonde sur trois piliers. Le premier tient à la nécessité de s’interroger sur la pertinence d’organisations et de dispositions dont certaines sont vieilles. Il en est qui remontent aux années qui ont suivi la Révolution française. Je pense notamment, bien entendu, à la loi du 25 ventôse an XI – c’était le 16 mars 1803. Je pense également à des dispositions qui remontent à la période délicate de la Seconde guerre mondiale et de la collaboration, mais également à d’autres qui relèvent d’ordonnances prises à la suite de la Libération. On peut aussi s’interroger sur des lois plus récentes : les lois de 1991, de 2000 ou de 2009. Les principes qui ont inspiré ces organisations, les principes dont procèdent ces dispositions correspondent-ils aujourd’hui encore à la manière dont nous concevons le service public et son esprit ?

Les dates ne permettent pas à elles seules, d’emblée, de décréter l’obsolescence. Si c’était le cas, nous jetterions en même temps l’esprit du Conseil national de la Résistance, nous jetterions aussi la Sécurité sociale, puisqu’elle date de 1945, nous jetterions aussi les comités d’entreprise, qui datent de février 1945. Néanmoins, leur longévité ne nous interdit pas de nous interroger sur les dispositions régissant ces professions et de les moderniser, précisément, au titre des mutations de la société, notamment celles liées aux technologies numériques mais aussi les évolutions qualitatives de la demande d’accès au droit, de les moderniser, aussi, pour tenir compte des réalités sociologiques et territoriales.

Cependant, lorsque nous interrogeons ces professions, il est bon de savoir dans quel contexte elles évoluent. Ainsi notre appartenance à l’Union européenne est-elle la deuxième raison qui nous conduit à les examiner et à procéder cette nécessaire modernisation. Cette appartenance à l’Union européenne nous conduit évidemment à interroger la plasticité de ces professions, leur modernité, leur capacité concurrentielle, elle nous conduit également à nous interroger sur les règles d’échange et de service, à nous interroger aussi, d’ailleurs, sur le magistère que nous exerçons et sur l’amélioration de notre influence juridique, mais, nous l’avons déjà dit, et les parlementaires ont exercé leur vigilance, cela ne peut se faire au détriment du droit continental, ce droit codifié, prévisible, le même pour tous, cela ne peut se faire non plus au préjudice des justiciables et des citoyens.

La troisième raison pour laquelle il est fondé de nous interroger sur la modernisation de ces professions, c’est l’histoire, l’histoire même du droit et de sa force, de sa puissance unificatrice dans la démocratie française. Dans un cours au Collège de France, Pierre Bourdieu analyse ce qu’il appelle le processus d’unification du marché juridique.

M. Christian Paul. Il faut en effet relire Bourdieu…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il expose à la fois la dynamique et les contradictions qui ont conduit à la modification de ce champ juridique du XIIsiècle à la Révolution. Il rappelle qu’ont coexisté des droits qui étaient mutuellement exclusifs – par exemple, les juridictions ecclésiastiques, les juridictions laïques, ce qui incluait la justice royale, mais également la justice seigneuriale, la justice des villes et des communes, la justice des corporations. J’ajouterai aussi, pour ma part, le droit des colonies, parce qu’à travers le code noir, par exemple, c’est aussi une justice personnelle, à l’instar de la justice seigneuriale, qui est instaurée. Bourdieu montre comment un double mouvement de concentration, d’une part, avec l’affirmation du monopole royal sur le pouvoir judiciaire contre les seigneurs, et de différenciation, d’autre part, avec la séparation du champ juridique et sa constitution en champ autonome, un double mouvement qui apparaît contradictoire mais dont les deux composantes sont en fait solidaires, va conduire, en fait, à une agrégation, parce que la concentration n’est pas la reprise des anciennes règles mais, au contraire, l’élaboration de règles uniques. Évidemment, ce pouvoir va buter contre les contre-pouvoirs. Nous connaissons tous ici le rôle des parlements de l’Ancien Régime, ces parlements qui pouvaient refuser d’enregistrer les ordonnances royales, ces parlements qui exerçaient leur juridiction sur des territoires qui correspondent d’ailleurs à peu près, actuellement, aux ressorts de nos cours d’appels. C’est donc en raisonnant sur cette évolution du champ juridique au moment où il s’autonomise que nous nous sommes interrogés sur la responsabilité de l’État dans une économie caractérisée par une vive concurrence, une économie ouverte, une économie où la réactivité des structures doit permettre le maintien de l’activité.

Depuis deux ans, nous avions déjà entamé cette nécessaire modernisation des professions réglementées. Vous l’aviez vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, actée dans la loi du mois de janvier 2014 et, avant cela, dans la loi de décembre 2013 et également, partiellement, dans la loi d’août 2014. Elle s’est traduite aussi par des ordonnances et des décrets pris sur le fondement de ces textes législatifs – il y en a eu une demi-douzaine pendant l’année 2014. Il nous faut reconnaître que, dans un premier temps, l’approche qui a prévalu pour cette modernisation était effectivement économiste et fiscale, elle s’articulait autour des revenus et des prix, sans tenir compte ni des particularités ni des obligations de ces professions réglementées. Nous n’en sommes plus là. Dans ce texte, le corps de métier des professions réglementées est préservé, l’acte authentique n’est pas remis en cause, la notification et la signification ne le sont pas non plus, l’installation est encadrée, les barreaux de province ne sont pas fragilisés et la pluridisciplinarité demeure juridique, conformément aux règles déontologiques et aux règles de contrôle des conflits d’intérêts.

Autrement dit, notre souci fut de nous assurer d’un accès au droit avec une présence territoriale qui assure l’égalité sur tout le territoire, une sécurité juridique, à la fois dans l’élaboration des actes et également dans leur authentification, dans leur contrôle et dans leur conservation, une tarification qui n’exclue pas les plus vulnérables et dont un contrôle et une révision périodiques permettront d’assurer qu’elle préserve le pouvoir d’achat. Notre souci fut aussi de nous assurer que le service public assuré par ces professions devienne performant non pas si l’on mesure la performance à l’aune du revenu mais si l’on considère la qualité des actes, leur coût et, bien entendu, l’économie générale, aussi bien des tarifs que des études. C’est donc avec ces règles, avec ces dispositions, qui s’ajoutent à celles qui existent déjà et que j’ai citées tout à l’heure, et qui concernent la formation, la déontologie, le contrôle juridique et financier, qu’il sera possible, effectivement, d’assurer un meilleur accès des jeunes, garçons et filles, à ces professions, d’assurer aussi l’accès des femmes aux postes de responsabilité, mais également de garantir la protection des collaborateurs et des salariés.

En fait, nous avons travaillé sur ces professions, sur la justice commerciale et sur la justice prud’homale avec le souci d’appliquer ce que l’on peut appeler la loi sociale du ministère de la justice, loi sociale définie comme un principe de morale politique et d’organisation sociale. Malgré son grand âge, nous restons très attachés à l’esprit du Conseil national de la Résistance, parce que c’est lui qui a permis, comme l’a défini Robert Castel, la création d’une citoyenneté économique et sociale qui vient parachever l’égalité républicaine. Nous en retenons bien entendu la péréquation tarifaire unique sur le territoire, notamment dans l’énergie, mais nous en retenons également la continuité territoriale des services publics, principe inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946. Ces dispositions vont renforcer la réforme J21, la réforme de la justice civile que nous avons engagée pour mettre la justice au service du citoyen, assurer la proximité de la justice et sa simplicité. Non seulement la complexité de l’institution judiciaire, normale et inévitable, doit devenir neutre pour les citoyens, mais il s’agit d’assurer la simplicité, aussi, des décisions de justice.

Nous savons que l’État est un parce que la société est multiple. Plus la société est plurielle, plus l’État doit, précisément, combler les inégalités, compenser les disparités territoriales, tout en laissant respirer les capacités et les potentialités locales.

Nous voulons faire advenir la justice commerciale du XXIe siècle, avec ses juridictions spécialisées, qui ont été pensées intelligemment, pour ne pas déséquilibrer le système général des procédures collectives. Nous voulons aussi faire advenir la justice prud’homale du XXIe siècle. La justice prud’homale est ancienne : le premier conseil de prud’hommes a été créé par Napoléon en 1806. Nous pouvons donc remettre en question son organisation ! Ce système est par ailleurs unique au sein de l’Union européenne. Avec François Rebsamen, nous avons travaillé à le réformer, sur la base de l’excellent rapport d’Alain Lacabarats.

L’objectif de cette réforme est de réduire les délais et d’éviter que les procédures desservent les parties. Nous avons décidé de ne pas recourir à l’échevinage. Nous voulons nous assurer que ces délais, ces procédures et ces modalités servent les parties ; que les décisions soient rendues avec plus de célérité ; surtout, que ces décisions soient diligentes et acceptables pour la jeunesse. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé en commun, ce qui nous permet de présenter un texte qui apporte les garanties nécessaires au bon fonctionnement des professions réglementées.

Nous sommes actuellement confrontés à une situation très difficile. La crise économique, sociale, culturelle et morale absorbait déjà une partie importante de l’énergie de la société ; c’est dans ce contexte que les attentats monstrueux des 7, 8 et 9 janvier nous ont frappés. Dans ces moments particuliers de l’Histoire, il semble que tout est prêt à s’effondrer ; mais dans le même temps, l’on perçoit bien que tout peut se rétablir grâce à la volonté commune. Il revient alors à l’État de s’assurer, par sa présence physique mais également par son action directe ou déléguée, de l’égalité républicaine sur le territoire. Il lui revient de faire de l’égalité républicaine plus qu’un sentiment : une réalité.

L’État était absent. Il s’est retiré de nombreux territoires, de quartiers, de territoires ruraux.

M. Jean-Louis Dumont. Et il continue à le faire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a supprimé des classes, voire des écoles entières, ou des centres de soutien scolaire ; il a supprimé des bibliothèques, des services sociaux, des bureaux de poste, des commissariats de police ; il a permis que le lien social se distende.

Aujourd’hui, il faut que la République recommence à séduire. Pour séduire, il faut non seulement qu’elle recommence à formuler des promesses, mais qu’elle les tienne. C’est une condition cardinale pour la cohésion nationale. Comme l’écrivait Montesquieu, « il n’y a rien de si puissant qu’une république où l’on observe les lois non pas par crainte, mais par passion. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques – je salue particulièrement MM. Stéphane Travert et Denys Robiliard, les deux rapporteurs du titre III de ce projet de loi, titre consacré au travail –, mesdames et messieurs les députés, je remercie tout d’abord les rapporteurs, la commission spéciale, et le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour le travail qu’ils ont accompli.

Le titre III de ce projet de loi est intitulé, comme vous le savez, « Travailler ». Il est cohérent avec le titre I, consacré à l’activité, et avec le titre II, consacré à l’investissement ; les réformes du marché du travail sont en effet facteur de croissance, et donc de création d’emplois, ce sont là deux objectifs majeurs du Gouvernement.

Cette cohérence se retrouve à l’intérieur du titre III : si l’on veut que le travail contribue mieux au fonctionnement de notre économie, il faut plus d’efficacité et d’équité sur le marché du travail et dans les relations de travail. De fait, comme vous pouvez le constater, pour chacun des sujets abordés par ce titre, efficacité et équité sont constamment liées.

C’est le cas, tout d’abord, en matière d’exception au repos dominical dans les commerces de détail. Il nous faut aboutir à un dispositif plus sûr juridiquement et plus simple, pour plus d’efficacité. Mais le système doit aussi être plus équitable : c’est pourquoi le Gouvernement veut étendre les compensations salariales partout où, dans le commerce de détail, les salariés travaillent le dimanche. La précédente majorité avait introduit des dérogations au principe du repos dominical, sans prévoir de telles compensations, notamment pour les zones touristiques. Nous avons pris un autre parti, et fait un choix inverse : là où il y a des exceptions, les salariés doivent bénéficier d’une compensation.

Deuxième exemple : le détachement. Les fraudes au détachement constituent incontestablement un dumping social qui remet en cause notre modèle social. Cela n’est pas acceptable ! Des salariés sont traités de façon indigne, contrairement aux progrès sociaux construits par des siècles de luttes dans notre pays – droit à un salaire minimum, à un hébergement digne, à un temps de repos minimal. Ces droits doivent être respectés.

De plus, les entreprises qui jouent le jeu se retrouvent dans une situation d’inégalité criante par rapport à celles qui recourent à des salariés détachés dans des conditions illégales. Ces dernières mènent une course insupportable au moins-disant social, qui est délétère pour tous, salariés comme entreprises. Contrairement à ce que l’on dit, les intérêts des premiers sont souvent identiques à ceux des secondes.

Pour lutter contre ce phénomène, j’ai souhaité que le projet de loi comporte trois mesures phares. Premièrement, une hausse très forte des amendes en cas de fraude au détachement : celles-ci décuplent, puisque leur plafond est désormais fixé à 150 000 euros. Deuxièmement, l’instauration d’une procédure de cessation immédiate d’activité à la main de l’administration lorsqu’une entreprise commet des infractions graves. C’est très important : les préfets demandent régulièrement une telle procédure pour les cas où une entreprise commet des infractions graves. Cela permettra de réagir vite, donc de porter un coup d’arrêt réel à la fraude. Troisièmement, la généralisation de la carte d’identification professionnelle du BTP, non seulement pour les salariés affiliés à une caisse de congés payés du BTP, mais également pour les intérimaires et les salariés détachés par une entreprise établie hors de France présents sur les chantiers. Cette mesure est très forte et emblématique ; elle est attendue par les professionnels du bâtiment : j’insiste sur ce point. Elle facilitera les contrôles de l’inspection du travail.

Au-delà de la question du détachement, pour améliorer l’efficacité de notre droit du travail, il convient de le doter de sanctions crédibles, proportionnelles, donc effectives et efficaces. C’est l’objet de la réforme de l’inspection du travail et de la réforme du délit d’entrave, qui sont prévues par ordonnance. Il nous faut donner aux inspecteurs du travail le pouvoir d’intervenir efficacement, en temps utile, avec des moyens appropriés. La réforme de l’inspection du travail menée l’an dernier par décret rendra son fonctionnement plus collectif, et améliorera la définition des priorités de contrôle, notamment en matière de travail illégal. Comme cela a été annoncé depuis le début de cette réforme, nous devons à présent la compléter, notamment grâce à l’instauration d’une sanction administrative plus rapide et plus efficace que la voie pénale actuellement en vigueur.

La même nécessité de se doter de sanctions effectives se retrouve en matière de délit d’entrave. La peine de prison pour entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel n’a plus de sens aujourd’hui : elle est disproportionnée par rapport à certains faits – par exemple, le non-respect des délais de transmission de certains documents – et n’est jamais appliquée par les juges. Elle a donc pour principal effet de dissuader les investisseurs étrangers de venir en France, sans remplir sa finalité première. Nous proposons donc de la supprimer et, à la place, de créer une amende effectivement applicable et réellement dissuasive, sans pour autant freiner l’investissement étranger. C’est aussi, en effet, l’attractivité de la France qui se joue là.

Plus d’équité et d’efficacité, cela passe aussi par une justice prud’homale qui fonctionne. Mme la garde des sceaux vient de le rappeler de manière éclairante. Le constat est aujourd’hui largement partagé : la justice prud’homale souffre de dysfonctionnements importants. La conciliation est réduite à la portion congrue – elle ne représente plus que 7 % des affaires terminées – et les délais de jugement sont beaucoup trop longs, comme l’a rappelé M. le ministre de l’économie. Ce sont les personnes les plus faibles qui en pâtissent le plus.

Un premier pas a été franchi, avec la réforme du mode de désignation des conseillers prud’homaux. Cette réforme visait à mieux asseoir leur légitimité. La réforme qui vous est proposée aujourd’hui va plus loin : elle revoit en profondeur, dans le sens de l’égalité et de l’efficacité, la procédure devant les prud’hommes. À ce sujet, je reviendrai sur deux dispositions, deux innovations importantes de ce projet de loi : premièrement, la mise en place d’une formation initiale obligatoire des conseillers de prud’hommes ; deuxièmement, la création d’un véritable statut du défenseur syndical.

Concernant la formation, en premier lieu : aujourd’hui, chaque organisation syndicale, du côté des salariés comme des employeurs, assure une formation à ses conseillers. Cette formation est bien évidemment légitime – il ne s’agit pas de la contester –, mais elle n’est pas exclusive d’une formation initiale commune obligatoire qui concernerait tous les conseillers prud’homaux, qu’ils soient issus des rangs des salariés ou de ceux des employeurs, et cela, quelle que soit leur organisation. Notre souhait est donc de créer un véritable tronc commun. Cette formation serait ainsi le creuset d’une justice prud’homale plus cohérente et plus homogène. Je suis convaincu que le respect des différences et de l’identité de chacun n’est pas contradictoire avec la promotion d’une culture commune, notamment pour ce qui touche aux questions procédurales et contentieuses. Il y va de l’intérêt de tous, employeurs comme salariés.

Deuxième avancée : le statut du défenseur syndical. Vous le savez, cette proposition a reçu un accueil très favorable de l’ensemble des organisations syndicales. Aujourd’hui, le statut du défenseur syndical n’est pas satisfaisant : il n’existe aucune règle quant aux conditions de recrutement, de formation, de travail des délégués syndicaux. Le code du travail prévoit simplement qu’ils peuvent bénéficier de dix heures par mois d’autorisation d’absence, non rémunérées. En fixant de telles règles, ce projet de loi détermine un véritable statut du défenseur syndical, qui assurera une défense de meilleure qualité pour les salariés.

L’efficacité et l’équité sont ici étroitement liées. Il faut en effet garder à l’esprit que 99 % des demandes introduites devant la justice prud’homale sont le fait des salariés. Ceux-ci aspirent à un meilleur fonctionnement des prud’hommes : une justice prud’homale plus efficace, c’est donc aussi une justice prud’homale plus équitable.

Pour conclure sur ce sujet, je réaffirme mon attachement au caractère paritaire de la juridiction – nous y sommes tous attachés –, et ma confiance en elle. À ceux qui y verraient une institution incapable d’évoluer, je rappelle qu’elle a accordé le droit de vote aux femmes en 1907 et les a rendues éligibles en 1908, soit quarante ans avant que ces droits leur soient reconnus aux élections politiques ! Il s’agit donc bien d’une juridiction capable d’innover.

Dans ce même souci d’efficacité et d’équité, ce projet de loi vise à sécuriser certaines dispositions introduites par la loi relative à la sécurisation de l’emploi, en matière de licenciement économique. La voie négociée pour les plans de sauvegarde de l’emploi, voulue par les signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, est un véritable succès : les PSE se terminent désormais, hors procédures collectives, à plus de 60 %, par des accords collectifs majoritaires. Cependant, certaines imprécisions du texte fragilisent les homologations faites par l’administration. Le juge peut, par exemple, considérer que la décision de l’administration est insuffisamment motivée, alors que le PSE considéré est incontestablement de qualité. Les salariés et l’employeur se retrouvent alors dans une situation de grande insécurité juridique, en raison d’une décision sans rapport avec la qualité du PSE.

Ce projet de loi éclaircit ce point. Il rend le droit plus sûr sur d’autres points, en particulier pour ce qui concerne le reclassement à l’international ou le périmètre d’application de l’ordre des licenciements, afin d’éviter des situations dommageables à tous. Je tiens, à ce sujet, à saluer la commission spéciale pour les modifications qu’elle a adoptées. Je les soutiens, car elles précisent le droit tout en maintenant un haut niveau de garantie pour les salariés.

Je conclurai, mesdames et messieurs les députés, par quelques mots sur le dialogue social. Vous savez que nous vivons une période particulière à cet égard, puisque la négociation relative à la modernisation du dialogue social s’est soldée par un échec jeudi dernier.

Mais je tiens à vous faire partager ma profonde conviction : non, le dialogue social n’est pas mort ; oui, il reste la méthode du Gouvernement ; oui, nous continuerons d’avancer sur la modernisation du dialogue social au sein de l’entreprise, comme sur les autres sujets.

À la demande du Premier ministre, je reçois d’ailleurs dès cette semaine les partenaires sociaux pour réfléchir avec eux à la suite. Le projet de loi qui vous est soumis ici apporte une innovation majeure dans le code du travail, en matière de travail le dimanche : il prévoit un dispositif par lequel, sans accord collectif, qu’il soit de branche, territorial ou d’entreprise, les commerces de détail ne pourront pas ouvrir le dimanche. Emmanuel Macron a rappelé ce principe il y a quelques instants : sans accord, il n’y aura pas d’ouverture.

Ce rôle central dévolu aux partenaires sociaux marque la confiance du Gouvernement dans ce dialogue social, que ce soit au niveau de l’entreprise, du territoire ou des branches. Les événements de la semaine passée n’ont en aucun cas remis en cause cette confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, citoyennes et citoyens qui assistez au débat, la France est un pays de progrès ; l’appréciation positive dans l’opinion publique du projet de loi que nous examinons aujourd’hui l’illustre une fois encore. J’y vois là d’ailleurs une réelle nouveauté : nos concitoyens ne voient plus la réforme comme une punition. Pourtant sœur naturelle du mouvement et du progrès, le terme même de réforme passe souvent pour la mère porteuse d’austérité et de reculs sociaux.

Or, la singularité de ce texte est précisément de réconcilier réforme et progrès social, réforme et initiative économique. Votre commission spéciale ne s’y est pas trompée, puisqu’elle a adopté ce texte, désormais dénommé projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Nous allons, durant deux semaines, débattre, expliquer, montrer en quoi ce texte important répond tout à la fois aux impératifs économiques et aux attentes des Français. Nous pourrons définitivement, j’en suis sûr, dissiper les malentendus, casser les idées reçues et dégonfler certains a priori idéologiques. Ce travail d’échange, d’explication et d’amendement, nous l’avons mené en commission, dont tous les participants ont salué la très grande qualité des travaux, sous la présidence de François Brottes. Les débats ont été longs mais il n’y a jamais eu d’obstruction d’un côté ou de l’autre. Les discussions furent argumentées, approfondies et ont très souvent abouti à un véritable enrichissement du texte.

Pourtant, que n’a-t-on pas entendu sur ce texte ? Tout et son contraire, bien souvent. Pour certains, il s’agit d’un texte fourre-tout, sans colonne vertébrale, et qui prévoit des réformes superficielles et insuffisantes, réformes que ces mêmes esprits critiques ont pourtant été incapables de conduire avant nous. Toujours moins pendant dix ans, mais toujours plus aujourd’hui, comme si la surenchère tenait à elle seule lieu de pensée !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale. C’est vrai !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Pour d’autres, ce texte est l’incarnation d’une idéologie libérale mortifère dont l’objectif, forcément caché, serait de mettre à bas notre modèle social. Mais, qu’il suscite des critiques aussi antinomiques n’est pas en soi l’assurance qu’il n’est, précisément, ni l’un, ni l’autre, mais plutôt que son caractère inédit, par son ampleur, par sa transversalité, par la multiplicité des leviers qu’il actionne, désarçonne les habitués de critiques binaires, sommaires et à l’emporte-pièce.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est d’abord un texte qui contribuera à restaurer la confiance dans l’avenir, car la confiance ne se décrète pas ; elle se construit, pas à pas, elle s’inspire, elle se démontre. C’est un texte qui propose d’innombrables mesures concrètes et pragmatiques. Il prévoit des centaines de mesures micro-économiques, car tout notre travail est d’agir partout où nous le pouvons, simultanément. Semblable au travail de l’acupuncteur, la démarche proposée consiste à débloquer ici un système, là un verrou administratif, ailleurs à ouvrir l’initiative fermée, à élargir le champ des possibles, dans un dosage équilibré qui crée autant de droits nouveaux pour tous, salariés, entrepreneurs ou professions indépendantes. Mobiliser une saine concurrence régulée pour faciliter l’accès à des droits et à des services irrite le libéral, hostile à la régulation, bouscule le conservateur, fidèle à des ordres établis intouchables et fait douter le dirigiste pour qui la concurrence est le mal et la régulation un cautère sur une jambe de bois.

L’intelligence novatrice de ce texte est de pouvoir recevoir toutes ces critiques, sans en mériter complètement aucune, parce que, précisément, il répond à des questions d’aujourd’hui par des moyens issus de toutes les écoles de pensées, dans une construction cohérente, sans a priori idéologique, ce qui constituerait en soi pour certains son péché originel – son crime de lèse-pensée –, alors que c’est justement sa marque de fabrique. Oui, il est possible d’abolir des privilèges et de créer des libertés économiques nouvelles ; oui, il est souhaitable d’imaginer de nouvelles voies de croissance pour un développement durable ; oui, il est nécessaire de donner une nouvelle jeunesse à notre pays !

Avant que mes collègues rapporteurs n’évoquent les différentes parties du texte, je voudrais insister sur les trois objectifs transversaux de ce projet de loi. L’objectif premier est bien sûr de lever les freins à l’activité en France, notamment pour les jeunes, et cela passe par des mesures très concrètes. Je pense au développement de lignes d’autocars, qui offrira un complément de services de transports collectifs au train et, surtout, qui facilitera et créera de la mobilité. Je pense à l’externalisation des épreuves théoriques du permis de conduire, qui permettra de réduire les délais d’attente et le coût du permis, dont chacun sait l’importance. Je pense à l’instauration de la liberté d’installation régulée pour certaines professions réglementées du droit – mesure emblématique : permettre à celui qui le mérite de s’installer, c’est préférer l’égalité des chances à la cooptation aujourd’hui en vigueur.

Je pense encore à la nouveauté que constituera la création de structures d’exercice commun entre plusieurs professions du droit et du chiffre, service attendu par nos entreprises, qui induira de nouvelles collaborations et inspirera de nouvelles pratiques professionnelles. Je pense à la dynamisation des participations publiques pour garantir l’utilisation efficiente de l’argent public : permettre à nos pépites, comme le laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, de se développer, permettre l’émergence d’un leader européen de l’armement terrestre, voilà deux sujets majeurs.

Je pense enfin à la rénovation et à l’adaptation des règles qui encadrent l’ouverture dominicale des commerces. Tout en réaffirmant que le travail du dimanche doit rester une exception, nous créerons de la valeur là où elle existe, c’est-à-dire, en particulier, dans les futures zones touristiques internationales. D’autres territoires pourront être concernés grâce à l’extension possible et facultative de l’ouverture à douze dimanches, mais toujours au prix de contreparties.

C’est ce qui nous mène au deuxième champ d’action transversal de ce projet de loi : donner plus de droits aux salariés et mieux réguler l’activité économique. Je viens de l’évoquer, œuvrer en faveur de la justice et du dialogue social, c’est faire en sorte que, d’ici moins de trois ans – nous proposerons deux ans, monsieur le ministre –, l’ensemble des salariés travaillant le dimanche dans un commerce de détail le feront volontairement et seront couverts par un accord collectif, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Je veux souligner cette avancée considérable : seules les entreprises couvertes par un accord collectif – j’insiste sur le terme accord – pourront ouvrir le dimanche, cet accord devant fixer les contreparties, en particulier salariales, accordées aux salariés privés de repos dominical, mais aussi en matière de créations d’emplois.

J’entends certains, y compris parmi nos amis, dire qu’il s’agit d’un moindre mal et qu’on ne fait qu’accompagner une dérive. À ceux-là je veux dire que c’est faux. En effet, les progrès ne se cantonnent pas aux ouvertures nouvelles, puisque nous avons voté en commission que le volontariat et les contreparties s’appliqueront désormais également là où ils ne sont pas obligatoires aujourd’hui.

Au rang des nouveaux droits pour les salariés, la rénovation de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié est, j’en suis sûr, un objectif partagé par tous. Parce que ces outils sont le gage de l’implication des salariés dans le développement de leur entreprise, parce qu’ils permettent de dépasser cette idée un tantinet désuète selon laquelle l’entreprise est un lieu de conflits plutôt qu’une possibilité de bien commun construit par le travail.

Quant à la régulation de l’économie, le renforcement des pouvoirs des autorités administratives indépendantes, parmi lesquelles l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – l’ARAFER – ou l’Autorité de la concurrence, l’alourdissement des sanctions du recours abusif aux travailleurs détachés, l’injonction structurelle ou encore la cession forcée d’actifs, sont autant d’exemples qui prouvent une fois de plus le volontarisme mis en œuvre par notre majorité, en s’inscrivant dans la continuité de la loi Florange.

Lorsque l’on considère, comme la gauche l’a toujours fait, que la régulation par la norme est indispensable à la conciliation entre la performance économique et la garantie des droits individuels et collectifs, alors il est également de notre devoir de pouvoir la rendre réellement efficace. Parce que le régulateur, en raison de sa noble ambition, ne peut faillir, il doit constamment être à la hauteur s’il veut que le modèle dont il est fier perdure. C’est là tout l’enjeu de l’évolution, de l’adaptation et de la modernisation des normes, qui font l’objet d’une partie de ce texte.

Enfin, troisième et dernier objectif transversal de ce projet de loi : simplifier et moderniser les législations et réglementations en vigueur. Il vise à faciliter l’activité de l’ensemble des acteurs économiques, sans jamais remettre en question le niveau de protection juridique et environnementale. Je tiens à cet égard à souligner l’effort considérable fourni depuis 2012 en matière de simplification, effort qualifié de « révolution silencieuse » par le Premier ministre.

Mes chers collègues, vous le voyez, ce projet de loi est un texte authentiquement progressiste et adapté à notre temps, à notre besoin et à notre volonté de développer l’économie, mais aussi de promouvoir toujours simultanément le progrès social dans le respect des exigences de protection de l’environnement. La gauche a toujours été la muse du mouvement et du progrès, à nous de ne pas la condamner à en devenir le musée.

Mme Sandrine Mazetier et M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Très bien !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Passer des droits conceptuels aux droits réels : telle est bien l’ambition de ce projet de loi ; tel doit être le sens du mot « réformer ».

Mes chers collègues, du rassemblement autour de ce texte dépend la capacité de notre pays à prouver qu’il sait se réformer en faveur d’une économie dynamique, source de nouvelles avancées sociales. Renouer avec le progrès, c’est renouer avec la matrice originelle de la gauche : le mouvement, l’imagination, l’inventivité, pour créer plus de justice et plus d’égalité. Traquer ici ou là les imperfections idéologiques, peser au trébuchet la vertu de telle ou telle disposition et l’enserrer dans de très nombreuses règles pour mieux l’étouffer, voilà des spécialités auxquelles il nous faudra renoncer.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Très bien !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il nous incombe de décontracter la France pour qu’elle respire mieux, de décrisper des tensions inutiles, de permettre un nouveau souffle, un nouvel élan, de donner, prioritairement à la jeunesse, de nouvelles espérances. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très bien

M. le président. La parole est à M. Laurent Grandguillaume, rapporteur thématique de la commission spéciale.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, le ministre nous a écoutés en commission, ce qui doit nous inviter à un débat harmonieux plutôt que dissonant.

La complexité du droit et des procédures administratives constitue un frein au développement de l’activité économique et au dynamisme des entreprises françaises. Elle pèse sur leur capacité à innover et à créer des emplois. Elle frappe plus durement encore les petites et moyennes entreprises, qui disposent de moins de moyens pour y faire face. Le Gouvernement est déterminé à soutenir les entreprises, afin de redonner de la force à l’économie et faire reculer le chômage. Cela suppose la simplification de l’environnement fiscal et réglementaire des entreprises. Il faut simplifier à tous les étages : les micro-entreprises, les très petites entreprises – les TPE –, les PME et les entreprises de taille intermédiaire, les ETI, dont on ne parle pas suffisamment.

Elles représentent la France des solutions. Ce sont celles qui, dans les territoires, prennent des risques, innovent, créent et développent. Elles représentent une des clés de l’objectif de réduction du chômage, monsieur le ministre, car elles sont porteuses d’emplois durables et non-délocalisables. Elles ont une empreinte sociale dans nos territoires et nous devons leur garantir un écosystème favorable et stable. Aussi, soyons attentifs non seulement au stock des normes, mais aussi à leur flux, notamment lorsque nous légiférons.

L’entreprise est une communauté de destin, à l’origine de laquelle se trouvent des femmes et des hommes. Ils prennent des risques et y investissent leur temps, leur énergie et leurs moyens. Il s’agit parfois de réaliser un rêve, une ambition ou simplement de tester une idée. Créer une entreprise est un acte de volonté et de courage.

Simplifions donc la vie des entrepreneurs pour qu’ils se consacrent entièrement à leurs projets et au redressement de notre pays.

Le choc de simplification qui a été engagé a permis, dans de nombreux domaines, d’alléger les normes et les procédures. Mais le chemin est long et parfois semé d’embûches.

Le titre II du projet de loi comprend des dispositions visant à stimuler l’innovation et l’investissement, en simplifiant et en accélérant les procédures qui s’appliquent aux projets industriels tout autant qu’à l’innovation. Ces dispositions allègent les obligations, notamment comptables, des entreprises, mais également celles issues de différents dispositifs. Ces allégements ont pu être intégrés par voie d’amendement.

Vous avez fait, monsieur le ministre, référence à l’article 55. Par voie d’amendement, nous y avons intégré la protection d’office de la résidence principale affectée à un usage non professionnel par la suppression de la déclaration obligatoire devant notaire. Cela permettra de protéger les entrepreneurs individuels qui n’ont pas forcément conscience, lorsqu’ils créent leur entreprise, qu’ils engagent l’ensemble de leur patrimoine.

Je crois que nous allons beaucoup plus loin dans cette protection que l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’EIRL, statut qui avait été adopté, il y a plusieurs années, notamment grâce à Hervé Novelli. Nous dépassons, là aussi, les clivages : cette proposition fait l’unanimité. Cette disposition va donc protéger les artisans et les auto-entrepreneurs, sans opposer les uns aux autres.

M. François Brottes, Président. Très bien !

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur thématique. L’amendement adopté en commission à l’article 56 vise, en ce qui concerne l’acte notifiant le refus de renouvellement d’un bail suite à une demande du locataire, à maintenir l’obligation de procéder par signification. Il s’agit en effet d’un acte grave : les parties méritent donc d’être davantage protégées. Cette modification va également enrichir le projet de loi.

Le texte adopté en commission comporte d’autres mesures. Je pense à la procédure de recouvrement des petites créances, qui se voit simplifiée et qui permettra de recourir aux huissiers. Cela permettra aux dirigeants de petites entreprises, pour faire face à leurs difficultés de trésorerie, de recouvrer ces créances.

Du point de vue des entreprises également, de nombreuses mesures visent à simplifier le travail de l’Autorité de la concurrence. Je crois que nous avons, là aussi, beaucoup enrichi le projet de loi.

Viendra enfin le débat relatif aux « retraites chapeau », même s’il a déjà eu lieu en commission spéciale. Par le biais de nouveaux amendements, nous nous apprêtons à les encadrer.

Mais plusieurs amendements ont déjà été adoptés en commission. Je pense notamment à ceux relatifs à la transparence ainsi qu’aux liens entre ces dispositifs et les performances de l’entreprise, car ils s’en trouvaient jusqu’à présent déconnectés.

Avec notre collègue Razzy Hammadi, nous défendrons un amendement relatif à la vitesse d’acquisition des droits, qui prendra également en compte le temps de présence dans l’entreprise, afin d’éviter les abus qui ont été constatés par le passé.

Monsieur le ministre, votre texte est ambitieux. Face à l’esprit de la rente se dresse la réussite individuelle. Face à l’esprit de la rente se dresse la responsabilité individuelle. Face à l’esprit de la rente se dresse la sécurité collective. Face à l’esprit de la rente se dresse enfin l’audace du réformisme de gauche. Je souhaite, avec tous mes collègues, que ce texte puisse aller dans le bon sens et soit enrichi de nombreux amendements. Cela nous permettra d’aller de l’avant et de redresser notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, rapporteur thématique de la commission spéciale.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Il va avoir du mal à tenir ses cinq minutes ! (Sourires.)

M. Denys Robiliard, rapporteur thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, je vais tenter de rapporter de façon synthétique et, évidemment, non exhaustive, le travail de la commission spéciale sur les articles 83 à 104.

Je m’attacherai essentiellement, d’une part, aux modifications apportées au droit du licenciement économique, d’autre part à la problématique de la réforme des prud’hommes. Je pense que l’inspection du travail, tout autant que le délit d’entrave, mériteraient également de longs développements, mais je n’en aurai pas le temps...

S’agissant des réformes, ou plutôt des modifications apportées en matière de licenciement économique, notre texte touche à trois domaines, et d’abord au périmètre de l’ordre des licenciements. Il nous fallait corriger le tir insuffisamment ajusté de la loi sur la sécurisation de l’emploi, afin d’assurer une sécurité juridique aux employeurs comme aux salariés.

Il fallait que les choses soient bien claires : en l’absence d’accord collectif dans le cadre de l’adoption d’un plan de sauvegarde de l’emploi, il revenait bien à l’employeur d’arrêter le périmètre de l’ordre de licenciement. Mais cette opération ne pouvait se faire comme il l’entendait, mais bien dans un cadre minimal, celui du bassin d’emploi – pour plus d’exactitude, et en conformité avec l’INSEE, nous avons choisi de faire référence aux zones d’emploi. L’employeur pourra aller en deçà de ce périmètre, mais il devra alors négocier un accord collectif, de sorte que la disposition adoptée reste incitative.

L’obligation de reclassement international a été profondément modifiée par le projet de loi, au point qu’on pouvait penser qu’elle allait disparaître. Elle a clairement été rétablie, mais les modalités de sa mise en œuvre ont été allégées et, me semble-t-il, clarifiées.

S’agissant des licenciements en cas de redressement ou de liquidation judiciaires, la réforme porte sur deux éléments. Tout d’abord, en cas de procédure collective, les plans de sauvegarde de l’emploi seront établis en fonction des moyens de l’entreprise, alors qu’ils devaient l’être en fonction des moyens du groupe. Mais l’administrateur judiciaire n’avait jusqu’à présent pas la possibilité d’appeler les moyens du groupe. Il se trouvait donc dans une position kafkaïenne, puisque seuls les mécanismes de solidarité comme le régime de garantie des salaires (AGS), ou l’État, avaient à répondre de la situation.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Très bien.

M. Denys Robiliard, rapporteur thématique. En revanche, ce n’est pas parce qu’une société se trouve placée en redressement judiciaire que sa société mère et ses filiales ne peuvent pas communiquer les offres de reclassement. Nous avons par conséquent maintenu la nécessité d’un reclassement au sein du groupe.

S’agissant des prud’hommes, vous savez qu’ils forment une juridiction importante : avec ses 15 000 conseillers, elle traite 200 000 affaires par an. Les chiffres ont été donnés : la conciliation représente 6 %, le départage 20 %, l’appel intervenant dans 67 % des cas, ce qui est énorme. Les délais s’élèvent à 15,1 mois en bureau de jugement, et, en cas de départage, à 29,7 mois, c’est-à-dire presque le double.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de rendre responsables de cette situation les conseillers prud’homaux. Encore une fois, quand on constate que le délai double lorsqu’il est fait appel au juge départiteur, il n’est pas possible de les mettre en cause.

Il est tout aussi inutile de désigner comme boucs émissaires les avocats, comme le font un peu trop facilement certains.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ils ne sont pas en cause !

M. Denys Robiliard, rapporteur thématique. Ils ne peuvent être rendus responsables du ralentissement du processus, même si une réforme de procédure doit intervenir. En effet, l’allongement des délais – de 18 % s’agissant du bureau de jugement et de 34 % s’agissant du juge départiteur – ne peut être imputé aux avocats.

Je fais donc la démonstration que si, toutes choses égales par ailleurs, on constate un allongement des délais, les avocats n’en sont pas responsables, contrairement à ce que certains voudraient faire croire.

Que faire, donc ? Soyons clairs : une partie de la réforme est d’ordre procédural. La procédure étant d’ordre réglementaire, seul un des aspects de la réforme est ici traité, et non sa totalité. La réforme porte d’abord sur le statut des conseillers prud’homaux, qui est presque calqué sur celui des magistrats professionnels. Cela ne me semble pas être une mauvaise mesure.

La réforme porte également sur la déontologie et la discipline. Elle prend pour référence, là encore, les mesures s’appliquant dans ces domaines aux magistrats professionnels. La réforme porte également sur la formation, et prévoit, pour les conseillers employeurs et salariés, une semaine commune de formation.

La réforme porte aussi sur le bureau de conciliation, qui devient un bureau de conciliation, d’orientation et, ajoutons-le, de mise en état. En effet, c’est grâce au cumul de ces possibilités que nous pourrons peut-être obtenir un meilleur résultat en matière de conciliation, ainsi que davantage d’efficacité dans les deux autres domaines.

Il nous reste à faire en sorte que ces réformes ne s’accompagnent pas d’une baisse du paritarisme. Celui-ci recoupe une double notion : un nombre égal d’employeurs et de salariés, mais également une justice rendue par des pairs.

Enfin, le statut du défenseur syndical constitue une nouveauté, même si existait jusqu’à présent le délégué syndical. Sur ce point, plusieurs amendements auront pour objet d’améliorer sa protection. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur thématique de la commission spéciale.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre de la justice, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, les articles du projet de loi qu’il me revient de rapporter devant vous aujourd’hui ne démentent ni l’éclectisme du texte, puisqu’il traite de sept thèmes, ni son parti pris de pragmatisme.

En matière de mobilité, ces thèmes induisent un profond changement de perspective dans nos politiques de transport, mais aussi une volonté affirmée d’améliorer les conditions d’accès de tous les Français à la mobilité ainsi qu’à la liberté de circulation.

En réalité, ce n’est pas tant l’autorisation que les dispositions concernées donnent aux autocaristes établis dans notre pays de proposer des lignes régulières nationales de transport routier de voyageurs qui constitue un événement que le fait que nous demeurons l’un des rares pays d’Europe où cela n’était pas encore permis. Cela était en effet jusqu’à présent interdit.

Cette interdiction est d’ailleurs devenue d’autant plus précaire et désuète, ces dernières années, que l’Europe nous a contraints, depuis 2011, à ouvrir des lignes internationales de car. Ces lignes cabotent, sans régulation, entre différentes villes du territoire.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur ne peut par exemple pas exciper de la défense de lignes d’intérêt général ou de service public pour s’opposer à une ligne de transport exploitée par IDBUS, une filiale de la SNCF, qui opère depuis l’Italie jusqu’à Marseille.

Demain les régions pourront, grâce au projet de loi, protéger leurs lignes de service public chaque fois qu’une ligne de car s’ouvrira.

En offrant la possibilité à nos concitoyens de choisir le transport par car, nous parachevons en réalité l’évolution tardive de notre pays. Celui-ci est passé de politiques de transport modal cloisonnées – politiques routière, ferroviaire, aérienne et maritime – à une politique de mobilité multimodale. Celle-ci permettra à chaque Français de choisir, en fonction de ses arbitrages budgétaires, de ses besoins et de ses choix de déplacement, son propre bouquet de mobilité.

L’État et les pouvoirs publics pourront se consacrer plus largement au rattrapage de notre retard d’investissement public en matière de pôles d’échange et d’information multimodale. Ces pôles permettent d’assurer une complémentarité des différents modes de transport et, par conséquent, une amélioration de la qualité de service.

La France a trop longtemps privilégié des politiques d’offre modale stérilement concurrentes, entre le train, la route, le maritime et l’aérien, en oubliant de placer l’usager au cœur de sa politique de transports.

Avec le recul, on observe que c’est le chemin de fer qui a été la principale victime de cette stratégie, qui l’a en effet privé de la possibilité d’irriguer les aéroports et les ports. Cette stratégie a été caricaturale au point, pour ne citer que deux exemples, d’abandonner à la route et aux poids lourds la quasi-totalité du trafic terrestre du port du Havre, et à l’automobile l’essentiel des dessertes de nos aéroports de province.

La Commission spéciale a adopté deux dispositions majeures. En premier lieu, celle qui prévoit la régulation de ce nouveau trafic routier de voyageurs par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, transformée en Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER. Cette transformation permet ensuite d’instaurer un parallélisme avec le train, et surtout de disposer d’une vision complète, et non plus uni-modale, des politiques de transports.

La commission spéciale a adopté une disposition de sauvegarde, sur avis conforme de l’ARAFER, des lignes de train et de car de service public organisées par les régions, les départements et l’État. La commission a opté pour une protection de sections de service public de cent kilomètres, tout au long de liaisons plus longues incluant les sections inter-régionales.

Ce seuil kilométrique permet de réguler le cabotage entre liaisons d’autocar et liaisons de service public. À défaut d’une telle disposition, aucune autorité organisatrice de transport ne peut aujourd’hui faire, je l’ai dit, obstacle à un cabotage entre deux villes françaises opéré au moyen d’une liaison internationale par car.

Pour autant, ce dispositif de protection des lignes de service public ne permet pas, par symétrie, à un autocariste privé de contester la concurrence d’une ligne de train ou de car de service public conventionné. En d’autres termes, les autorités organisatrices de transport ne perdent aucune de leurs prérogatives. Elles peuvent, au contraire, se protéger et protéger leurs services publics des nouvelles lignes d’autocar.

La seconde grande disposition du volet relatif à la mobilité du projet de loi vise à consolider et à amplifier les effets attendus de la réforme du permis de conduire. Cette dernière a été lancée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en juin dernier, avec des résultats déjà tangibles.

M. François Brottes, Président. Très bien !

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Seront ajoutées aux 120 000 places d’examen annuelles supplémentaires déjà libérées 150 000 places nouvelles, soit un total de 270 000 places par an au total, alors que le déficit s’élevait jusqu’à présent chaque année à 200 000 places.

Il y aura donc 70 000 places de plus au-delà de ce qui est absolument nécessaire afin de résorber progressivement l’extravagant stock de places manquantes. Celui-ci coûte cher à la jeunesse de ce pays, à la fois en temps perdu et en argent, compte tenu de la nécessité de reprendre des cours en cas d’échec à l’examen.

Chaque nouveau candidat devrait y gagner entre 200 et 600 euros au minimum. Surtout, il y aura plus de justice, notamment sociale, dans un pays où il faut au moins douze mois pour obtenir son permis en Seine-Saint-Denis, contre deux mois dans l’Aude, avec une moyenne française de quatre-vingt-dix-huit jours contre quarante-cinq en Europe.

Les contributions de collègues de tous les rangs de notre assemblée en commission spéciale nous autorisent à penser que l’on va enfin apporter une solution à ce véritable scandale national, notamment en érigeant le permis de conduire en droit universel accessible à tous dans des conditions de prix et de délais raisonnables.

Toujours dans ce volet concernant la mobilité, nous plaçons les concessions d’autoroutes sous la régulation de l’ARAFER, pour ce qui concerne notamment la transparence des contrats et des révisions tarifaires, ainsi que les très opaques marchés de travaux qui les déterminent. Ce n’est pas anecdotique, puisque c’est la fin d’une opacité publique quasi totale. Surtout, l’ARAFER pourra engager une procédure judiciaire dès lors qu’elle constatera une irrégularité, ce que ne pouvait pas faire la commission nationale des marchés, qui ne rendait compte que devant les autorités publiques.

J’exprime le vœu que le groupe de travail que le Gouvernement envisage de constituer, dans la continuité des travaux parlementaires, des missions d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat et des propositions de notre collègue Jean-Paul Chanteguet, ne s’interdise d’approfondir aucune option, notamment les conditions d’une éventuelle résiliation anticipée des contrats de concession. En tout cas, je suis de ceux qui considèrent qu’il n’est pas acceptable que des contrats de concession se traduisent pour des décennies par une perte quasi totale de souveraineté de l’État sur son propre patrimoine public.

Enfin, mes chers collègues, d’importantes dispositions d’urbanisme commercial visant à améliorer les conditions de concurrence entre grandes enseignes commerciales, ou, du moins, à éviter des collusions et de subtiles stratégies de monopolisation de zones de chalandise, aux dépens du consommateur, seront soumises à nos délibérations.

Je ne doute pas, et j’en exprime le souhait, que ce souci légitime de veiller aux conditions de concurrence prenne en compte l’extrême diversité des situations locales et intègre les dimensions urbanistiques et d’aménagement du territoire attachées aux implantations commerciales.

En voyant les quelque 500 amendements qui concernent ces seuls quarante-deux articles, je suis sûr que nos débats enrichiront substantiellement le texte qui nous est proposé, et, surtout, que nos concitoyens en mesureront les enjeux très concrets pour l’amélioration de leurs conditions de vie. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale. Grâce vous soit rendue, monsieur le ministre de l’économie. Cette loi portera votre nom. Vous le méritiez bien, elle le mérite bien. (Sourires.)

Vous avez décidé de répartir ses dispositions en huit chapitres différents et de me confier, en tant que rapporteur thématique, ce qui concerne l’entreprise en difficulté. Il fallait que ce thème soit confié à un radical. Tout ce qui va bien va vers le parti socialiste, tout ce qui va mal vers le parti radical, chacun l’aura bien compris... (Rires.)

Il fallait donc un homme de consensus, ce que j’espère être, car il fallait écouter à la fois la Chancellerie, le ministère de l’économie et tous les présidents des tribunaux de commerce. Chacun avait sa vérité mais, finalement, c’est une vérité commune que nous allons vous proposer.

Lors de nos travaux en commission l’écoute a été très grande, je le rappellerai tout à l’heure. J’en rends hommage à tous, à l’opposition également, qui a parfaitement joué son rôle.

S’il fallait un homme de consensus, c’est parce que l’entreprise qui dépose son bilan, ce sont des salariés qui souffrent, des propriétaires qui sont perdus, des créanciers qui vont tout perdre.

Il faut alors regarder avec une attention toute spéciale les 63 000 défaillances d’entreprise que nous connaissons chaque année, les 55 524 jugements d’ouverture, dont 15 531 seront des redressements judiciaires et 35 000 des liquidations.

Ce qui me semble intéressant, c’est de voir que, plus l’entreprise est importante, soit par le nombre de salariés, soit par son capital, plus l’on s’oriente vers un redressement judiciaire et non vers une liquidation. Ainsi, sur 185 entreprises de plus de 100 salariés qui déposaient leur bilan chaque année, 46 étaient mises en liquidation et 139 pouvaient bénéficier d’un redressement judiciaire. Naturellement, plus l’entreprise est grande, plus, en raison de la pression sociale et des nécessités économiques qui se font jour, on essaie de trouver des solutions.

Pour trouver ces solutions, nous avons d’abord proposé qu’il y ait des tribunaux de commerce spécialisés. Je veux d’ores et déjà rendre hommage à tous les magistrats consulaires, qui remplissent leur mission de façon remarquable, et bénévole, je tiens à le souligner, dans cette société où tout s’achète. Ce sont incontestablement des gens de compétence.

Il nous a semblé également indispensable que des spécialistes puissent s’intéresser au redressement judiciaire d’entreprises dépassant un certain niveau, tant en nombre de salariés qu’en capital. Un décret en conseil des ministres déterminera par la suite l’importance de l’entreprise, de même qu’un décret déterminera le nombre des tribunaux qui pourront remplir cette mission de tribunal de commerce spécialisé.

Cela me paraît indispensable puisque tout se spécialise, tout se complique, et que nous voulons absolument que l’entreprise puisse poursuivre son activité le plus longtemps possible, avec le plus grand nombre possible de salariés.

Pour cela, nous avons essayé de réfléchir sur les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires, mais également sur la possibilité, totalement révolutionnaire, je tiens à le dire, même si elle s’inspire de la loi allemande et de la loi américaine, de prendre en compte la situation des créanciers.

La loi Badinter de 1985 avait oublié le sort des créanciers. Nous avons voulu que leurs créances puissent se transformer en capital et qu’ils aient la possibilité de jouer un rôle décisif, décisionnel, pour l’avenir de l’entreprise. Je vous donnerai de plus longues explications mais j’ai vu à quel point les uns et les autres se sont rendu compte qu’après ce qu’on a appelé l’arrêt Florange, une réflexion était indispensable pour aller plus loin et faire en sorte que le créancier puisse désormais jouer un rôle irremplaçable dans le cadre du devenir de l’entreprise alors que, jusqu’à présent, il n’avait plus que ses yeux pour pleurer.

Cette solution juridique que nous allons vous proposer est complexe, car le Conseil constitutionnel se veut le gardien précis, sourcilleux, du droit de propriété, et c’est normal. Nous avons prévu la possibilité d’indemniser le propriétaire capitalistique initial ; de lui substituer éventuellement, avec les créanciers, d’autres propriétaires qui viendront ainsi assurer le devenir de l’entreprise.

C’est quelque chose de totalement nouveau, de totalement révolutionnaire, et tout le monde, y compris le MEDEF, a souhaité que nous puissions aller plus loin dans le cadre de cette recherche. Voilà pourquoi, sur ce chapitre qui m’a été confié, j’ai le sentiment d’un devoir non pas accompli mais en perpétuel mouvement.

Monsieur le ministre, lors de nos travaux en commission, vous avez fait preuve d’une grande ouverture vis-à-vis des uns et des autres. Il faut encore aller plus loin, élargir le cadre de la loi et ne jamais le rétrécir. C’est dans cet élargissement que je me retrouve en parfait accord avec ce que vous proposez. Alors oui, nous allons faire une belle loi ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le chapitre Ier du titre III du projet de loi pour la croissance et l’activité, que j’ai l’honneur de rapporter, concerne l’ouverture dominicale des commerces et, de manière très restreinte, l’ouverture de certains commerces en soirée.

Monsieur le ministre de l’économie, je veux tout d’abord saluer votre qualité d’écoute, votre esprit d’ouverture et votre engagement à nos côtés pour que nous proposions ensemble de véritables avancées sociales pour nombre de salariés.

Qu’il me soit permis également de saluer le travail collectif mené avec les autres rapporteurs thématiques sous la houlette de Richard Ferrand. À l’heure où notre mobilisation doit être totale face à la montée du chômage, nous devons, à travers ce projet de loi, répondre à l’exigence de nos concitoyens par des mesures fortes sur le pouvoir d’achat et le progrès social.

Sur la base des préconisations du rapport Bailly, le texte opère une harmonisation des différents régimes géographiques dérogatoires existants, en particulier les zones touristiques et les zones commerciales, pour les soumettre désormais aux mêmes conditions d’ouverture, autrement dit, l’obligation de conclure un accord collectif assorti de contreparties sociales pour les salariés, et le volontariat de ces mêmes salariés. L’ouverture dominicale demeure une exception. Le texte procède aussi à un élargissement des possibilités d’ouverture dominicale des commerces situés dans l’emprise d’une gare, mais aussi des commerces alimentaires de ces gares ou des commerces alimentaires situés en zone touristique internationale. Enfin, il prévoit l’augmentation du nombre des dimanches du maire.

Je souhaiterais simplement rappeler, sur chacun de ces points importants du texte, les principales améliorations qui lui ont été apportées grâce au travail mené par la commission spéciale durant près de quatre-vingt-deux heures de séance.

La commission spéciale, et je veux ici saluer l’esprit de responsabilité qui a prévalu durant tous nos débats, a ainsi souhaité renforcer le rôle joué par les structures intercommunales, en prévoyant que l’initiative de la délimitation ou de la modification d’une zone touristique ou d’une zone commerciale doit relever du président de l’EPCI lorsque le périmètre demandé excède les limites du territoire d’une seule commune. Cela va dans le sens du renforcement de la compétence des EPCI, qui se voit encore réaffirmée dans le cadre du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République que nous examinerons prochainement.

S’agissant des accords collectifs qui seront désormais exigés tant en zone touristique internationale qu’en zone touristique et en zone commerciale, la commission a apporté plusieurs modifications importantes, en prévoyant en particulier que les contreparties accordées aux salariés privés de repos dominical devaient bien, d’une part, être obligatoirement d’ordre salarial, d’autre part, faciliter la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle des salariés.

Elle s’est également penchée sur la possibilité concrète pour les TPE de conclure un accord. Pour répondre à ce problème spécifique, la commission a adopté un amendement prévoyant que, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, la mise en place du travail dominical pouvait se faire sur la base d’une proposition de l’employeur approuvée à la majorité des deux tiers des salariés concernés. Nous sommes toutefois d’accord pour dire que cela remet en question cette colonne vertébrale du texte qui consiste à conditionner l’ouverture dominicale à la conclusion d’un accord. C’est pourquoi nous vous proposerons, dans le cadre de l’examen en séance publique, une nouvelle manière de favoriser la couverture des TPE par un accord collectif, sans réintroduire la voie unilatérale, qui a été volontairement écartée.

J’espère que les débats sur cette question permettront en tout cas de trouver une solution satisfaisante pour les tout petits commerces, qui ne disposent souvent même pas des interlocuteurs indispensables pour négocier un accord et pour lesquels il convient donc de trouver une réponse appropriée.

Je veux ici rappeler la nécessité de protéger les petits commerces de détail dans nos centres-villes et centres bourgs, qui font l’animation de nos territoires mais créent aussi des espaces économiques forts, garants de dynamisme et d’équilibre territorial pour nos concitoyens.

La commission spéciale a également prévu que, pour les commerces alimentaires situés en gare ou en zone touristique internationale, et qui auront désormais la possibilité d’ouvrir le dimanche après treize heures, le régime qui s’applique est bien un régime unique, correspondant au mieux-disant pour les salariés. Il ne peut en être autrement. À ces nouvelles conditions, nous devons répondre par des marqueurs sociaux équilibrés.

S’agissant des dimanches du maire, la commission spéciale a souhaité maintenir à douze le nombre de ces dimanches, comme le prévoyait le texte initial, tout en redonnant aux maires une entière liberté en la matière, entre zéro et douze dimanches. Nous serons certainement amenés à discuter encore du nombre de ces dimanches.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça, c’est sûr !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Je tiens néanmoins à vous rappeler que le dispositif initial était inadapté en raison de la fixation de cinq dimanches de droit, ce nombre ne correspondant pas aux besoins de la grande majorité des communes et des territoires.

En revenant à une entière latitude des maires, nous réintroduisons de la souplesse, tout en confirmant la confiance que nous avons dans les élus locaux et notre maillage territorial. La commission spéciale a également souhaité appliquer aux dimanches du maire la procédure de volontariat du salarié applicable dans les zones géographiques dérogatoires. Cela aussi me semble aller dans le bon sens. C’est inscrit dans la loi pour les intérêts des salariés, mais aussi pour sécuriser l’organisation des employeurs, notamment dans les petites structures.

S’agissant du travail en soirée, je tiens avant tout à rappeler que la mise en place d’une autorisation de travail en soirée, entre vingt et une heures et minuit, est particulièrement restreinte, puisqu’elle ne concernera que les commerces de détail situés en zone touristique internationale. Ceux-ci seront soumis à la condition de conclure un accord collectif qui doit obligatoirement prévoir un doublement de la rémunération et un repos compensateur équivalent en temps. La commission spéciale a, sur ce sujet également, souhaité renforcer les garanties apportées aux salariés travailleurs de soirée. Enfin, la commission a souhaité que l’ensemble des garanties dont bénéficient les travailleurs de nuit, en particulier en matière de surveillance médicale, puissent également s’appliquer aux travailleurs en soirée.

Le texte adopté par la commission spéciale a permis de répondre à toute une série de difficultés qui avaient été identifiées. Lors des débats en commission, des interrogations ont émergé sur certains points, comme sur la définition des zones touristiques internationales ou sur le sujet spécifique des commerces alimentaires. J’espère que les débats dans cet hémicycle permettront, notamment grâce à des amendements que nous avons déposés, de répondre au mieux à ces interrogations.

Le titre III a suscité bien des commentaires, lesquels étaient justifiés et légitimes parfois ; mais beaucoup créaient des amalgames entre les différents régimes et jouaient aussi sur les peurs. Notre seule responsabilité, c’est de répondre au besoin de proximité de nos concitoyens et d’adapter la société aux nouveaux modes de vie dans certains territoires. Nous devons répondre aux enjeux économiques et touristiques sans jamais renier nos valeurs. Plus de compensations, le volontariat, sa réversibilité, les droits accordés aux salariés, la confiance dans la négociation sociale, c’est cela qui répond à notre ambition commune : progrès, réduction des inégalités, justice sociale et solidarité. C’est dans ce sens que nous servons la République et le peuple de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, chers collègues rapporteurs thématiques, mes chers collègues, certains ont pu s’étonner que la réforme des professions du droit soit inscrite dans un projet de loi pour la croissance et l’activité. Pourtant, si le droit n’est en aucun cas une marchandise, il existe assurément un marché du droit dont il est légitime que le ministre de l’économie se préoccupe, conjointement avec la garde des sceaux, ministre de la justice.

Il existe, dans la réglementation de ces professions, des verrous, des trappes qui vicient un système, qui renforcent l’entre-soi, qui limitent l’égal accès au droit et aux métiers du droit. Ce projet de loi ne fait pas reculer le droit, comme nous avons pu le lire dernièrement dans une page sans éclat du Monde. La majorité, plutôt qu’un statu quo stérile, a choisi de prendre à bras-le-corps la modernisation juridique et économique de notre pays. Ce projet de loi met le droit en conformité avec son temps, puisqu’il supprime certains dispositifs devenus anachroniques, voire des dérives injustifiables, afin d’ouvrir à la jeunesse de notre pays, parfois si malmenée, la porte des métiers qu’elle souhaite exercer.

Certains ont prétendu que l’élaboration du projet de loi soumis à notre examen s’était faite sans concertation avec les professions concernées. C’est vite oublier le rôle primordial joué par la représentation nationale qui s’est saisie de la réforme de ces professions par le biais de deux missions : outre celle qu’a menée notre rapporteur général, la commission des lois de notre assemblée a créé, le 17 septembre 2014, une mission d’information sur les professions juridiques et judiciaires réglementées dont j’ai eu l’honneur d’être la présidente-rapporteure aux côtés du député Philippe Houillon, co-rapporteur.

Au Palais Bourbon, la mission d’information a procédé à quarante-deux auditions et elle a entendu près de cent soixante personnes. Depuis lors, aux fins d’examen du projet de loi, j’ai procédé à une dizaine d’auditions supplémentaires. J’ai personnellement ouvert un site sur lequel j’ai recueilli près de 1 500 contributions de toutes sortes et j’ai entendu à ma permanence de nombreux professionnels dont j’ai constaté l’inquiétude, mais que j’ai trouvés aussi convaincus de la nécessité d’une réforme d’ampleur. Tous ces travaux ont été menés avec le souci constant de permettre aux points de vue les plus variés de s’exprimer. Rappelons qu’à l’issue de leurs travaux, les députés composant la mission ont adopté, à l’unanimité, un rapport formulant vingt propositions, en faisant prévaloir les impératifs de promotion du droit continental, de préservation de l’égal accès au droit sur l’ensemble du territoire et de garantie de la sécurité juridique pour les usagers.

Bon nombre des préconisations formulées par la mission d’information rejoignaient les mesures figurant dans le projet de loi, tel qu’il a été déposé sur le bureau de notre assemblée, le 11 décembre dernier. Il en est ainsi d’un concours pour l’exercice de la profession de greffier des tribunaux de commerce ; de la reconnaissance d’une compétence de principe de l’autorité de la concurrence pour intervenir dans le processus d’installation des officiers publics ou ministériels ; de l’établissement d’une tarification transparente des prestations ; de la suppression du tarif de la postulation, sauf cas particuliers, ainsi que de la généralisation de l’obligation d’établir des conventions d’honoraires pour les avocats ; de l’octroi à l’Institut national de la propriété industrielle d’une mission d’assurer la diffusion gratuite des données contenues dans le registre national du commerce et des sociétés.

Les réflexions approfondies ainsi menées par la représentation nationale ont permis à la commission spéciale d’apporter des modifications substantielles au texte initial. C’est ainsi qu’à l’initiative de vos rapporteurs ont été adoptés le principe d’une révision quinquennale des tarifs, laquelle constituait la proposition numéro 12 de la mission d’information de la commission des lois, et celui d’une péréquation nationale destinée à associer toutes les professions du droit au financement de l’accès au droit et de l’aide juridictionnelle. Le contrôle a priori des barreaux sur l’établissement des bureaux secondaires des avocats a été rétabli.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est très important !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le dispositif de simplification des conditions d’installation des officiers publics ou ministériels a été récrit dans un souci de clarification et de simplification. La possibilité pour les notaires d’habiliter des clercs assermentés à recevoir des actes a été supprimée, conformément à une proposition de la mission d’information. L’habilitation sollicitée à l’article 21 pour créer, par la voie d’ordonnance, la profession d’avocat en entreprise a été supprimée, conformément à une autre proposition de cette mission d’information. C’était pour moi, et pour nous, un point majeur, les considérations déontologiques d’indépendance faisant obstacle à une telle mesure. Je remercie le Gouvernement d’avoir très vite admis que cette proposition allait à contresens de ce que nous voulions.

Dans le même esprit de modernité, la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation voit ses conditions d’installation assouplies. S’agissant de la multipostulation, nous avons abandonné l’idée d’une expérimentation au niveau d’une cour d’appel, comme nous l’avions proposé dans la mission. Des raisons objectives justifient cette décision qui ne tourne pas le dos à nos préoccupations que sont le maillage territorial et le maintien de barreaux au niveau des TGI. Nous y reviendrons dans le débat.

Nous avons toutefois différé d’un an après la promulgation de la loi l’entrée en vigueur du dispositif de multipostulation au niveau du ressort des cours d’appel, afin de ménager le temps nécessaire au déploiement du réseau privé virtuel des avocats. La commission spéciale a approuvé des propositions de vos rapporteurs tendant : à différer d’un an après la promulgation de la loi l’entrée en vigueur des dispositions étendant la compétence territoriale des huissiers de justice ; à instaurer la limite d’âge de soixante-dix ans pour les officiers publics ministériels ; à réduire l’amplitude du corridor tarifaire et à en exclure un certain nombre d’actes. Cela vient en réponse au peu d’enthousiasme que votre rapporteure a manifesté dès le départ pour cette mesure et au souci partagé par tous d’éviter des effets néfastes sans un encadrement strict. On ne peut toutefois pas ignorer les objectifs utiles aux usagers ainsi poursuivis ; mais nous y reviendrons également dans le débat public.

Nous comptons poursuivre avec vous ce travail d’enrichissement du texte lors des débats que nous aurons dans cet hémicycle, en vous proposant des amendements visant : à écarter l’Alsace-Moselle du dispositif d’installation des officiers publics ou ministériels ; à supprimer les dispositions de l’article 16 relatives aux commissaires-priseurs judiciaires ; à étendre aux avocats aux Conseils l’obligation faite aux avocats d’établir une convention d’honoraires, ainsi que la possibilité ouverte à ceux-ci de recourir à toute forme juridique pour exercer ; enfin, à revenir à un plafond de recrutement de notaires salariés de « un pour deux », avec un dispositif dérogatoire jusqu’en 2020, à raison de la suppression des clercs habilités et de la nécessaire prise en compte de leur évolution professionnelle.

Le texte issu de la commission des lois est le fruit d’une délibération très dense entre les courants politiques, au cours de laquelle l’expertise parlementaire a pleinement joué son rôle. Je forme le vœu, mes chers collègues, que nous puissions, en séance publique, poursuivre le travail utile que nous avons réalisé en commission. « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. », a écrit Sénèque. Alors, osons sans détruire, mais osons pour la jeunesse, la justice sociale et le développement ! Tel est le sens de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique de la commission spéciale.

Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, chers collègues, avec la partie du texte qui m’a été confiée, laquelle traite des participations de l’État, le Gouvernement souhaite inscrire dans la loi la nouvelle doctrine de l’État actionnaire et proposer au Parlement de se prononcer sur plusieurs opérations en capital.

En commission, nous avons voulu, monsieur le ministre, marquer clairement qu’un État actionnaire adapte certes les outils dont il dispose, mais qu’il doit s’appuyer plus que jamais sur les fondamentaux, à savoir les intérêts essentiels de la nation qu’il s’agit de préserver. Adapter la doctrine de l’État actionnaire était indispensable. L’État a engagé une réflexion pour se doter d’une nouvelle doctrine mieux adaptée à la période. Dans un contexte de redressement des finances publiques, mais également de redressement productif, et soucieux de la nécessité de conforter notre industrie dans la compétition mondiale, nous avons besoin d’intervenir pour défendre nos fleurons industriels. La question centrale est celle-ci : « Comment et avec quel argent ? »

Avec une nouvelle doctrine d’emploi, le décret du 14 mars 2014 et l’ordonnance du 20 août 2014 que nous ratifions et modifions aujourd’hui procèdent à cette remise en cohérence dans la loi. Globalement, l’ordonnance modifie peu le droit en vigueur. Elle comporte néanmoins quelques dispositions nouvelles qui clarifient la représentation de l’État dans les conseils d’administration et renforcent les règles relatives aux opérations de cession dès lors qu’il s’agit de franchir des seuils de contrôle. Cela est très important dans l’état d’esprit qui est le nôtre.

Votre commission spéciale a souhaité compléter et préciser le dispositif proposé par le Gouvernement, lequel n’est pas allé, monsieur le ministre, au bout de la démarche. Les auditions ont permis d’analyser l’opération de privatisation de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse, dont on a beaucoup parlé. Ce cas est emblématique de ce qu’il ne faut plus faire, me semble-t-il. Il a montré les limites et les insuffisances, sinon de la doctrine, au moins des pratiques en vigueur. Le projet de loi nous propose d’autres opérations en capital. Votre rapporteure a proposé à la commission spéciale de tirer les leçons de l’opération de Toulouse. Plusieurs amendements ont été votés qui constituent pour nous autant de marqueurs pour l’avenir.

Nous souhaitons renforcer le rôle du Parlement dans le processus de privatisation, avec la baisse des seuils qui élargit le champ d’intervention du Parlement. De même, les infrastructures autoroutières et aéroportuaires, jusqu’ici soumises à ces seuils, feront désormais toutes l’objet d’une autorisation parlementaire. Avec ces dispositions, une opération comme celle de Toulouse relèvera désormais du Parlement.

Nous souhaitons également encadrer le processus de privatisation pour prendre en compte les intérêts essentiels de la nation. Le cas de l’aéroport de Toulouse a montré que le seul critère en vertu duquel la commission des participations et des transferts a dû apprécier les dossiers des candidats au rachat des participations de l’État était le prix. Dans les faits, cela équivaut purement et simplement à une espèce de mise aux enchères. S’agissant de participations publiques, cela n’est pas acceptable. Il faut changer et le droit et les pratiques. C’est pourquoi votre rapporteure a proposé à la commission spéciale de renforcer le contrôle de la commission des participations et des transferts, mais aussi d’introduire d’autres critères de choix, afin de prendre en compte les intérêts essentiels de la nation. Nous avons apporté ces modifications à l’article 49 qui concerne le transfert du capital des aéroports de Nice et de Lyon. Monsieur le ministre, ce chantier est appelé à se prolonger au-delà du vote de la loi.

Le travail effectué par les parlementaires reste insuffisant, car trop ponctuel. Il devra être poursuivi de telle sorte que l’analyse des prérogatives de la puissance publique soit systématiquement menée et que la question de la préservation des intérêts essentiels de la nation devienne centrale pour chaque opération en capital.

Une gestion dynamique du portefeuille des participations publiques ne veut dire ni vente aux enchères ni que l’on vend les bijoux de famille pour payer les dettes : l’objectif est la meilleure utilisation possible de ces actifs au regard des intérêts de la nation. Les opérations de transfert doivent être guidées par le souci de libérer des moyens, c’est-à-dire de l’argent qui dort sans donner à l’État de prérogatives particulières, pour investir, soit là où un intérêt essentiel de la nation est en cause, soit pour permettre à l’État d’accompagner, temporairement ou dans la durée, des entreprises appelées à se développer à l’international, comme dans le cas de PSA, ou à se protéger contre les prédateurs pour éviter de nouvelles OPA telles que celles que nous avons connues avec Arcelor ou Pechiney, OPA qui ont détruit certains de nos fleurons industriels.

Enfin, monsieur le ministre, il reste à adapter au cas par cas les outils dont l’État dispose car il n’est pas sûr que la propriété majoritaire du capital soit toujours le meilleur outil. Mais il est indispensable que les intérêts essentiels de la nation soient préservés de manière efficace, c’est-à-dire en donnant des prérogatives à l’État. Plus que de rechercher des références dans la sphère privée, n’oublions donc pas que les grands pays libéraux disposent d’un arsenal bien plus protecteur et précis que le nôtre pour défendre leur économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, président de la commission spéciale.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, travailleurs méticuleux et acharnés – j’en suis le témoin –, mes chers collègues, internet et BlaBlaCar travaillent le dimanche… Ni l’un ni l’autre ne créent beaucoup d’emplois ni ne paient beaucoup d’impôts, mais l’un comme l’autre sont appréciés par les nouveaux consommateurs et sources de rémunérations dynamiques pour leurs opérateurs – c’est un euphémisme – tout en mettant tous deux en péril les modèles économiques historiques et les centaines de milliers d’emplois qui vont avec.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très juste !

M. François Brottes, Président. Ils mettent en cause dans le commerce des emplois pour tous, et pas toujours les plus qualifiés parce que la proximité d’un conseil, celle d’un regard, d’un sourire ou d’une poignée de main n’a rien à voir – et je suis sûr que vous vous sentez, vous aussi, parfois concernés – avec la proximité compulsive d’un clic sur un clavier d’ordinateur. Ils les mettent en cause également dans le transport parce que moins les trains se remplissent plus les tarifs augmentent.

Loin de moi l’idée ringarde et dépassée de remettre en cause l’économie des tribus et la modernité d’un monde virtuel qui fait dépenser de l’argent réel sans forcément s’en rendre compte – sauf lorsque votre banquier vous invite à stopper vos colloques frénétiques et permanents avec votre écran d’ordinateur… Loin de moi l’idée de priver de covoiturage la communauté des rencontres improbables au pays des voyages qui forment la jeunesse et dont le coût d’accès est enfin compatible avec l’indemnité d’un stagiaire. Ces modèles sont pertinents, voire malins, ils génèrent de nouveaux flux… sauf pour la collectivité. Mais il est vrai qu’ils peuvent contribuer à apporter de vraies réponses pour se débrouiller dans une vie de galère.

En 2009, j’étais de ceux qui pourfendaient la loi Mallié, qui visait à dédouaner de leur situation irrégulière des zones de non-droit commercial. Je considère aujourd’hui encore qu’une société qui impose – j’insiste sur le mot – un modèle sans dimanche, sans journée universelle de repos, pour faire autre chose ensemble que bosser, est une société de régression sociétale.

Dès lors, de quoi parlons-nous exactement aujourd’hui ?

Tout d’abord, il faut préciser à nouveau qu’il ne s’agit pas du travail du dimanche en général mais seulement de l’ouverture des magasins de détail le dimanche, question qui ne se pose d’ailleurs avec pertinence que si le dimanche reste bien un jour de repos et d’oisiveté pour l’immense majorité de ceux qui ont un travail en semaine. Le rapporteur général l’a dit tout à l’heure : il faut, d’une part, arrêter l’hypocrisie, et, d’autre part, organiser la riposte pour sauver l’emploi dans le commerce de contact et l’existence même des magasins. Ne soyons pas les artisans d’une ville demain sans magasin. Imaginez une ville avec des boxes de livraison en pied d’immeuble, et des drives sans fenêtre qu’on confond parfois avec des stations-service déshumanisées en périphérie – cela commence d’ailleurs…

La riposte, c’est laisser aux magasins la possibilité de ne pas subir les nouveaux modes de consommation. Depuis 2009, le commerce en ligne a augmenté de 155 %, il atteint aujourd’hui les 56 milliards d’euros, et ce n’est pas fini. Le jour viendra peut-être ou l’on paiera pour entrer dans les derniers magasins, devenus simples halls d’exposition, pour des achats en ligne livrés instantanément par drones – chers à notre président de séance. Imaginez ce que Marius aurait pu raconter comme histoire si la boulangère avait été un drone… La riposte, c’est aussi ne pas se priver d’un chiffre d’affaires créateur d’emplois liés à l’afflux de touristes internationaux dans certaines zones ciblées du territoire.

Mais la riposte ne peut fonctionner que si tout le monde est d’accord, et le texte issu de la commission spéciale, comme l’a dit notre rapporteur général, marque clairement le pas pour aller dans ce sens : il faut des territoires qui pratiquent la concertation et qui décident en fonction de leur réalité propre et pas de celle du voisin, des salariés volontaires pour une durée donnée, qui travailleront dans un cadre décidé par un accord de branche pour leur garantir les compensations qui s’imposent : pas d’accord, pas d’ouverture le dimanche. La riposte pour sauvegarder les commerces de détail, ce n’est donc ni l’anarchie du non-droit, ni la contrainte de l’argument d’autorité. Ce texte donne l’initiative, partagée et liée, aux territoires, aux commerçants et à leurs salariés.

Sur le transport par autocar, je me suis livré à des calculs simples et j’ai compris que soixante personnes dans un bus, rapporté à chaque voyageur, polluaient moins que quatre personnes dans une voiture. Sur le plan des rencontres improbables déjà évoquées et au vu du prix pour l’usager, je ne suis pas certain que la communauté BlaBlaCar trouve à redire à cette nouvelle offre de transport par bus. Je note au passage qu’à l’inverse, cela va créer des dizaines de milliers d’emplois et que les sociétés de transport seront contributrices en impôts et en taxes pour que la solidarité nationale bénéficie aussi de cette nouvelle activité.

Pour clore mes cinq minutes d’intervention et alors que comme président de la commission spéciale, j’ai parfaitement suivi les dispositions contenues dans les 208 articles du texte issu de la commission, je pourrais dire un mot sur le permis de conduire, sans bla-bla particulier et sans vouloir en rajouter par rapport à ce qu’a dit le rapporteur Savary, car s’il est vrai qu’un chapelet de mesures destinées à changer et faciliter la vie quotidienne ne fait pas une idéologie, cela peut tout de même aider à rendre l’action politique efficace, il ne faut donc pas s’en priver.

Ainsi, les jeunes veulent avoir tous les atouts pour entrer dans la vie d’adulte actif. On leur explique qu’il y a parfois loin de chez eux des centaines de milliers d’emplois non pourvus – n’est-ce pas, monsieur le ministre du travail ? Ils aspirent à devenir autonomes en passant leur permis de conduire, mais voilà : c’est trop cher et vraiment trop long.

Le ministre de l’intérieur a parfaitement conscience de tout cela comme du reste, et nous voulons l’aider par ce texte à réduire les coûts et à baisser les prix, y compris à partir du lycée et des autres lieux de rendez-vous de la jeunesse ; nous voulons l’aider à diminuer drastiquement le stock de ceux qui attendent leur tour depuis trop longtemps ; nous voulons qu’enfin le droit au permis de conduire devienne réellement sur tout le territoire un véritable service universel, accessible à tous dans des délais raisonnables et à un prix abordable.

M. Florent Boudié. Très bien !

M. François Brottes, Président. Madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, je n’aurai évoqué que trois sujets alors que les quatre-vingt-quatre heures que nous avons passées en commission me laissaient une latitude beaucoup plus grande, mais je n’ai pas pris le risque de tisser mon propos comme on réalise du macramé : certains auraient pu me reprocher de faire du patchwork du dimanche.

Je ne veux pas quitter cette tribune sans saluer l’élégance de l’opposition, qui n’a pas jugé utile – alors que c’est souvent l’usage – de déposer une motion de renvoi en commission. Je veux aussi saluer tous les collègues de la commission spéciale, qui n’ont jamais perdu l’esprit de la confrontation ferme et utile au service de la démocratie, ce qui nous honore tous, en présence d’un ministre disponible pour un débat franc et constant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très bien !

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Lefebvre. Monsieur le président, en vertu de l’article 58, alinéa 1, je veux évoquer la question du temps programmé, non pas pour me plaindre que cela n’ait pas permis à mon président de groupe de me donner un temps de parole dans la discussion générale – parce que je suis sûr qu’il en a éprouvé beaucoup de regret –, ni non plus pour faire un quelconque chantage vis-à-vis du Gouvernement à propos des amendements qui pourraient ne pas être examinés puisque, je l’ai dit, je voterai ce texte même si mes quatre-vingt-quinze amendements n’étaient pas adoptés, mais pour appeler votre attention sur un point : malgré le fait que la Conférence des présidents ait décidé de fixer à cinquante heures la durée maximale d’examen du texte, je rappelle que l’article 49, alinéa 12 de notre règlement prévoit la possibilité de l’augmenter.

Nous allons aborder à la fin de l’examen du texte beaucoup de questions extrêmement importantes : je pense à la justice prud’homale, aux simplifications pour les sociétés, au dialogue social dans l’entreprise. De plus, nombre d’amendements se retrouvent, et c’est normal, en fin de texte du fait qu’ils ne sont pas rattachés à un article. Je pense dès lors, compte tenu de l’esprit d’ouverture qui doit prévaloir tant du côté de l’opposition que de la majorité, et pour préserver la qualité de nos débats, que la Conférence des présidents devrait se poser la question d’allonger ce délai ou, si ce n’était pas possible, qu’on se mette d’accord, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le ministre de l’économie, pour traiter certains sujets en priorité afin de ne pas donner le sentiment d’un débat brutalement tronqué par la seule application de la procédure du temps programmé. Je vous prie, monsieur le président, de soumettre ma requête au président de l’Assemblée.

M. le président. Monsieur Lefebvre, l’application du temps programmé et sa durée ont été décidés par la Conférence des présidents, mais notre règlement en permet la révision. Il y aura une conférence demain matin, et la question pourra y être soulevée.

M. Frédéric Lefebvre. Je vous en remercie.

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Il faut préserver en séance l’ambiance de travail qui a prévalu en commission et qui a permis, sur le fond, à chacun d’exposer ses arguments et au Gouvernement d’y répondre. Il y a aussi eu le temps du travail, lequel se poursuit à partir d’aujourd’hui dans l’hémicycle. Monsieur Lefebvre, je tiens à vous dire qu’en tant que président du groupe majoritaire, je relaierai votre demande s’il en est besoin. Je rappelle qu’afin de consacrer plus de temps à l’examen au fond des articles et des amendements, le groupe SRC a décidé de ne prendre que cinq minutes pour s’exprimer dans la discussion générale, ce qui est rarissime pour ce genre de texte. Tous les débats étant d’importance, s’il apparaît que nous manquons de temps pour travailler dans des conditions normales – dès lors, bien entendu, que cela ne résulterait pas d’une manœuvre d’obstruction –, comptez bien que j’appuierai votre demande.

M. Frédéric Lefebvre. Je vous en remercie.

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. François Fillon.

M. François Fillon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, mes chers collègues, notre république vient de traverser une épreuve difficile. Elle l’a fait avec dignité et fermeté. Désormais, il est urgent de donner aux Français ce qui leur manque : la fierté de vivre dans une France où les promesses de liberté, d’égalité et de fraternité ne s’enlisent pas dans les marais de la stagnation économique ; le droit pour eux et pour leurs enfants de bâtir une vie meilleure, d’être récompensés de leurs efforts, de croire en l’avenir et de se mobiliser ensemble pour lui.

Ces dernières semaines, les tensions qui enveniment notre société sont apparues ; une partie de notre jeunesse, notamment, se dissocie petit à petit de notre communion nationale. Aux côtés de cette jeunesse égarée qu’il faut recadrer, il y a ces quartiers perdus de la République qu’il faut reconquérir par le développement et l’emploi, il y a tous ces Français dont le niveau de vie se détraque et qui ont la rage au cœur.

Le péril de la désunion s’alimente de la faiblesse de notre croissance, accentuant la paupérisation des familles et des territoires qu’elle blesse, épuisant les rêves de progrès. Notre solidité démocratique dépend aussi de notre sursaut économique. Le chalenge est de taille parce que le mal est profond.

Depuis longtemps, les gouvernements se succèdent et cherchent à maintenir un passé dépassé, agissant comme si la mondialisation n’avait pas renversé la hiérarchie des puissances d’autrefois. Là où d’autres pays n’ont pas hésité à se remettre en cause, nous avons choisi d’avancer à petits pas, à crédit, reculant parfois même devant les réalités. Réduction du temps de travail, prolifération réglementaire, fardeau fiscal : nous avons précipité l’affaissement de notre appareil productif, et j’ai le regret de dire que si la droite fut parfois pusillanime dans l’action, la gauche fut souvent exemplaire dans l’immobilisme. Désindustrialisation, chômage de masse, dette étouffante, fuite des talents : voilà la rançon de nos hésitations.

Il est vain de nous écharper devant les décombres. À des degrés divers, nous avons tous notre part de responsabilité. J’assume la mienne et me reproche de ne pas avoir fait davantage pour réformer notre pays, mais j’en tire une conclusion : si nous ne changeons pas radicalement de politique, la France déclinera inexorablement.

Ce constat, monsieur le ministre, est probablement aussi le vôtre, mais étant l’otage de trop d’ambiguïtés politiques, vous êtes à mi-chemin de ce qu’il conviendrait de faire. Il vous faut, tout à la fois, aimer l’entreprise sans trahir le socialisme, célébrer la compétitivité tout en pactisant avec l’adversaire de la finance, donner des gages aux Européens sans assumer la rigueur. Il vous revient de sauver, autant que faire se peut, une politique économique qui depuis trois ans s’est révélée inefficace.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. François Fillon. Trop d’impôts, beaucoup trop d’impôts ont sapé la confiance des ménages et l’investissement, aucune réforme structurelle n’a été entreprise pour libérer l’activité et l’emploi, et les dépenses publiques sont encore trop lourdes pour que nous puissions espérer nous affranchir des déficits et de la dette. Mais je ne suis pas là pour faire le bilan économique du Président de la République : les faits parlent d’eux-mêmes, et je ne serai jamais aussi cruel que ses alliés d’hier qui évoquent aujourd’hui un « voyage au pays de la désillusion ».

Évitons les excès et accordons-nous au moins sur deux points essentiels.

Le premier, c’est que les circonstances sont graves. Nous venons de perdre notre rang de cinquième puissance économique mondiale, nous flirtons avec la déflation, la production industrielle est tombée à son niveau de 1994, le nombre de faillites d’entreprises atteint des records et, quant à notre richesse par habitant, elle est désormais inférieure de 6 % à la moyenne des pays développés. Atteindrons-nous 1 % de croissance l’année prochaine ? La commission de Bruxelles n’y croit pas, l’OCDE et le FMI non plus, et le Haut conseil des finances publiques a quant à lui fait part de son scepticisme vis-à-vis des scénarios gouvernementaux.

Depuis 2012, plus de 500 000 personnes se sont déjà engouffrées dans le cortège des 5 millions de Français sans emploi ou en activité partielle. Pour l’UNEDIC, aucune inversion de la courbe du chômage n’aura lieu en 2015 ; pis, il faut s’attendre, selon ses prévisions, à 100 000 demandeurs d’emploi de plus.

Certes, toute l’Europe est touchée par le ralentissement économique, mais il y a, pour nos entrepreneurs qui font faillite et tous ceux qui pointent à Pôle emploi, des nuances qui font la différence : en termes de croissance, la France se classe au quinzième rang des 18 pays que compte la zone euro, et en matière d’emploi, au onzième rang. L’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas – et je ne parle pas du Royaume-Uni – sont en situation de quasi-plein emploi. À l’évidence, notre pays va plus mal que beaucoup d’autres, et cela n’est pas sans risque pour toute la zone euro que nous entraînons vers le bas alors que nous devrions être, avec l’Allemagne, sa locomotive.

Si j’insiste sur les circonstances dégradées dans lesquelles se débattent les Français, si j’affirme que la cote d’alerte est dépassée et que le pire peut surgir de cette désespérance qui ronge notre peuple, c’est pour souligner, mes chers collègues, combien notre débat s’inscrit dans un contexte pressant.

À cet égard, et c’est le second point sur lequel nous devrions nous rejoindre, ce projet de loi n’a de sens que s’il permet d’obtenir des résultats tangibles et rapides. C’est en effet maintenant, et non pas demain, qu’il faut un choc salutaire, parce que les Français souffrent et perdent patience, et parce qu’avec la baisse du prix du pétrole, celles de l’euro et des taux d’intérêts s’ouvre une fenêtre opportune dont il faut, dès à présent, profiter.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. François Fillon. Cet « alignement des trois astres », selon la formule de François Hollande, ne durera pas éternellement et des éclipses sont toujours possibles.

C’est maintenant qu’il faut accélérer, non seulement pour ordonner les astres, mais aussi pour accompagner la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Cette politique de rachat de dettes ne peut réussir que si les États européens amplifient leurs efforts de modernisation.

M. Frédéric Lefebvre. Absolument !

M. François Fillon. Rien ne serait plus dangereux que d’imaginer que cette mesure nous décharge de nos obligations. Au contraire ! La France doit donner l’exemple et ne pas s’abandonner au vertige de la Grèce. Si par malheur le Gouvernement voyait dans ce remède monétaire une occasion de se donner encore du temps, alors le pire serait devant nous et devant l’Union européenne, car rien ne serait plus risqué que de faire tourner la planche à billets pour couvrir la faillite de nos structures.

C’est maintenant qu’il faut agir, parce qu’il est vain de tout attendre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et du pacte de responsabilité, qui ne suffiront pas à inverser la tendance. Ces deux instruments sont utiles, mais ils ne font qu’alléger à la marge la chape de plomb fiscal qui a pesé ces dernières années.

C’est maintenant qu’il faut agir, et non pas demain, parce que, monsieur le ministre, vous aurez beaucoup de mal à nous faire croire qu’un nouveau train de mesures interviendra au printemps ou à l’automne prochain. Lors de ses vœux aux forces économiques et sociales, le Président de la République n’a évoqué aucune nouvelle initiative pour la deuxième partie de son quinquennat, comme s’il ne voyait pas que la crise nous tient à la gorge.

Tout milite pour une riposte ambitieuse ; cependant, loin de cela, nous sommes invités à débattre d’un projet microéconomique qui ne changera rien à cette dépression qu’il faudrait pourtant combattre de toutes nos forces.

Beaucoup de bruits et de controverses ont entouré la présentation de ce projet. En réalité, de quoi parlons-nous ? De quelques professions réglementées dont le poids dans notre redressement économique et la création d’emplois est infime, et dont, au passage, les arguments ont été injustement caricaturés.

Qu’il faille moderniser certaines de leurs pratiques, les intéressés eux-mêmes y consentent. Mais deux éléments ont fait défaut à l’approche gouvernementale : un dialogue apaisé et le sentiment, parmi ces professions juridiques, qu’elles n’étaient pas les seules à devoir se réformer.

M. Jean-François Lamour. Très juste !

M. François Fillon. L’équité aurait commandé que l’État se montrât aussi sourcilleux sur les corporatismes publics, qui sont légions au sein de nos administrations, que sur les corporations des notaires ou des avocats.

M. Pierre Lellouche. Eh oui ! Mais ceux-là, on n’en parle pas !

M. François Fillon. De quoi parlons-nous ? De l’ouverture – bienvenue, je le dis – du travail dominical, mais d’une ouverture qui, du fait des contraintes qui l’accompagnent, ne concernera qu’une partie très limitée de l’activité nationale ; d’une libéralisation opportune de l’offre de transport en autocar ; d’une utilisation de l’épargne salariale pour mieux financer notre économie et, au passage, monsieur le ministre, corriger les mauvaises décisions qui ont été prises dans ce domaine ces deux dernières années ; de l’amélioration du fonctionnement de la justice prud’homale et des tribunaux de commerce ; d’une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle ; des auto-écoles ; de l’urbanisme.

Tout ceci témoigne d’une bonne volonté, au sujet de laquelle je ne veux pas persifler, mais cela n’est pas à la hauteur de la situation ! Le Gouvernement est d’ailleurs dans l’incapacité d’évaluer sérieusement l’impact de son projet. En octobre, l’OCDE l’estimait à environ 0,1 point de croissance supplémentaire par an à l’horizon de cinq ans, tandis que les services de Bercy tablaient sur 50 000 à 60 000 emplois créés à l’horizon de dix ans…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Tout ça pour ça !

M. François Fillon. Ce n’est pas « la loi du siècle », a prévenu le Président de la République, ramenant ainsi de manière abrupte le débat à son niveau exact en dissipant lui-même l’écran de fumée. Car il y avait, c’est vrai, une tromperie intellectuelle. On nous a présenté cette loi comme un grand « déverrouillage » de l’économie française. En réalité, ce texte en pointillé ne sera nullement décisif pour la France.

Soyons justes cependant : c’est une brèche dans le mur de la « gauche passéiste » avec laquelle Manuel Valls proposait d’« en finir ». Ces mots ne sont pas dénués de sens à en juger par les attaques dont ce projet a été la cible au sein de votre majorité : « Régression », « grand bond en arrière », « déconstruction du droit social », « remise en cause de tous les combats historiques de la gauche » ; vos amis n’abusent pas de la nuance…

Qu’un dépoussiérage idéologique soit entrepris au sein de votre famille, je suis prêt à en convenir, mais accordez-nous de penser que ces débats domestiques sont secondaires face aux défis que notre pays doit relever. Voilà cinq mois, j’ai recommandé au Président de la République d’établir, en lien avec l’opposition, un agenda national ciblé sur quatre ou cinq réformes radicales et immédiates. Les intérêts de la France peuvent bien transcender ceux des partis, mais cet appel fut laissé sans réponse… Alors je le renouvelle ici, en proposant à notre assemblée et au Gouvernement de muscler ce projet de loi pour en faire un véritable déclencheur de croissance.

Je vous propose, monsieur le ministre, d’aller au bout de vos convictions intimes. « Pas un Français », avez-vous dit, « ne pense que la France peut continuer comme elle le fait depuis vingt ans ! ». Vous avez mille fois raison, alors passons aux actes !

Nous devons mobiliser la force de travail de la nation. Pour cela, levons enfin le verrou des 35 heures : elles sont un handicap pour notre productivité et un frein pour les salariés qui veulent améliorer leur situation.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique et M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Il fallait le faire quand vous étiez aux responsabilités !

M. Michel Vergnier. Vous avez eu dix ans pour le faire !

M. François Fillon. Je propose de le faire par le biais d’accords d’entreprise qui définiront le seuil effectif de déclenchement des heures supplémentaires, l’annualisation ou la modulation du temps de travail et la compensation salariale éventuelle.

En 2011, Manuel Valls appelait à « déverrouiller » les 35 heures. Vous-même, monsieur le ministre, avez, en un temps pas si lointain, affirmé : « le cadre légal des 35 heures n’est pas suffisant, car les salariés, comme les entreprises, ont besoin de plus de souplesse ». Réclamé par les gouvernements français et allemand, le rapport rédigé par Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein vous recommande explicitement d’assouplir les 35 heures. Eh bien, passons à l’action !

Et si ce pas en avant vous est impossible, alors ayez au moins l’audace d’amender la loi de juin 2013 ! Autorisons les entreprises, dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunérations.

M. Gérard Cherpion. Très bien !

Mme Brigitte Bourguignon. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

M. François Fillon. La loi de 2013 le permet sur un mode défensif, pour les entreprises en difficulté. Toute la France étant en difficulté, accordons alors à toutes nos entreprises le pouvoir de négocier des accords offensifs pour s’adapter à leurs marchés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Et faisons en sorte qu’un accord majoritaire s’impose au contrat de travail, car sans cela, la souplesse d’action se heurtera toujours à ceux des salariés qui refusent toute modification de leur contrat.

M. Michel Vergnier. C’est de la langue de bois !

M. François Fillon. « Pourquoi ne pas étendre le dispositif de la loi de 2013 à toutes les entreprises ? », vous demandiez-vous en août dernier, monsieur le ministre.

Eh bien, là encore, passons aux actes ! Tous les entrepreneurs disent et répètent qu’ils étouffent sous le poids des réglementations. Ce gouvernement prétend les entendre, mais il leur a imposé sans expertise préalable et sans discernement le compte pénibilité, qui n’a pas d’égal en Europe.

Nul parmi nous n’ignore la difficulté de certains métiers, et j’ai d’ailleurs la fierté, avec la droite et le centre, d’avoir fait voter en 2003 le principe des carrières longues, autorisant ceux qui ont commencé à travailler avant 17 ans de partir en retraite avant l’heure.

Mme Isabelle Le Callennec. La gauche ne l’a pas voté !

M. François Fillon. Mais le compte pénibilité est une machine à complexifier la vie des entreprises. La gauche a d’ailleurs l’art d’imaginer des mesures insensées aux plus mauvais moments : retour à la retraite à 60 ans alors que l’espérance de vie s’allonge ; application des 35 heures en plein cycle de désindustrialisation ; compte pénibilité en pleine crise de croissance.

Tous les entrepreneurs vous disent que ce compte pose problème et vous-même, monsieur le ministre, en étiez convenu : selon vos propres termes, « cette réforme n’est pas comprise […] et ne correspond pas à la réalité des PME ». Alors abrogez-la ou, au moins, suspendez-la !

Les dispositions concernant les seuils symbolisent à elles seules cette complexité qui afflige notre économie. Nombreuses sont les petites entreprises qui pourraient recruter mais qui reculent devant les règles supplémentaires que déclenche chaque seuil.

M. Michel Vergnier. Et le droit des salariés ? N’a-t-il aucune importance pour vous ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. S’ils n’ont pas de travail, ce ne sont plus des salariés, ce sont des chômeurs !

M. François Fillon. Les partenaires sociaux ont été saisis de ce sujet mais ils n’ont remis aucune conclusion. Il faut reprendre la main. Pour nos petites et moyennes entreprises, je propose à notre assemblée que les seuils de 10 et 50 salariés soient remplacés par les seuils de 20 et 100 salariés. Là encore, monsieur le ministre, je ne suis que votre interprète : « Rehausser les seuils sociaux », disiez-vous, « permettrait de lever un obstacle traumatisant pour beaucoup de petits patrons, sans pour autant changer la vie des salariés ». Alors agissons !

M. Pierre Lellouche. Mettez-le dans la loi !

M. François Fillon. Sur le front du chômage tous les voyants sont passés au rouge, et parmi les États européens, la France est l’un des rares à le voir continuer à progresser. « Soyons honnêtes : nous sommes en échec », a consenti François Rebsamen. Près de 1,9 million de jeunes de 15 à 29 ans ne suivent aucune formation scolaire ou professionnelle et ne disposent d’aucun emploi. Il faudrait mettre le paquet sur l’apprentissage, en déportant les financements des emplois d’avenir et des contrats de génération vers l’alternance et les voies professionnalisantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Il faut fluidifier le marché de l’emploi et, parmi tant d’initiatives possibles, reprenez l’idée du contrat unique développée par Jean Tirole ! Notre prix Nobel a été célébré par le Gouvernement, qui a vu dans cette récompense « un pied de nez au french bashing ». Mais que valent ces éloges si l’on n’en tire aucune conclusion pratique ?

La bataille contre le chômage mérite toutes les audaces. En aval, en libéralisant le marché du travail ; en amont, en accompagnant fortement les demandeurs d’emploi, trop souvent livrés à eux-mêmes. Avec 2 millions de chômeurs en inactivité depuis plus d’un an, la question de l’assurance-chômage « doit être reposée ». Ce n’est pas ma formule, mais celle du Premier ministre.

Chacun sait que notre système d’indemnisation est particulièrement favorable et peu motivant. Afin de renforcer l’incitation à la reprise d’emploi, ayons le courage d’introduire une dose de dégressivité dans le montant des allocations. Le Premier président de la Cour des comptes le préconise. La Belgique, l’Espagne, l’Italie, la Norvège la pratiquent. Au lieu de renvoyer inlassablement le sujet vers les partenaires sociaux qui gèrent I’UNEDIC et qui n’oseront jamais trancher, agissons en responsabilité !

Voilà, monsieur le ministre, des propositions qui donneraient à votre projet une densité qu’il n’a pas. Chacun se grandirait à trouver les voies d’un consensus puissant pour redresser le pays et non pas le gérer au fil de l’eau, en godillant entre les étocs dangereux. La compétition mondiale ne fait pas de cadeau aux nations qui hésitent. Pour défendre notre mode de vie dans la mondialisation, pour aller chercher la croissance et le plein-emploi, c’est une thérapie de choc qui est nécessaire, alors que nous nous contentons d’homéopathie.

Monsieur le ministre, le peuple français est lucide et prêt à prendre des risques. Soyez-en sûr, le jeune qui se fracasse contre le mur du marché de l’emploi, la famille qui a du mal à terminer le mois, l’entrepreneur et l’artisan qui croulent sous la paperasse, ceux-là n’ont pas peur du changement ! Avec des paroles de vérité, avec de l’action, avec le courage d’oser – oser ce que nous n’avons pas osé faire, les uns comme les autres –, nous pouvons relancer la France !

Ce qui est en cause, ça n’est pas le génie français, mais notre système. D’ailleurs, malgré ses blocages réglementaires, ses 35 heures, ses impôts, ses dettes, notre pays arrive encore à se distinguer. Alors, imaginons ce qu’il pourrait être si nous avions le cran de libérer son potentiel productif ! Imaginons ce qu’il serait si nous valorisions le travail, le mérite, la réussite. Imaginons-le réconcilié avec le culte de l’audace et du succès, convaincu par la nécessité d’entreprendre, motivé par l’innovation, plutôt que paralysé par le risque zéro.

Tout pourrait réussir dans une France modernisée et rassemblée ! C’est mon souhait le plus cher, et c’est le défi que le Gouvernement n’a pas le droit d’esquiver. Qu’il prenne en compte l’urgence à agir et l’instabilité du monde, qu’il ne se contente pas de miser sur une éclaircie internationale et sur la mansuétude des partenaires européens, qu’il cesse de croire que le pacte de responsabilité suffira à faire repartir la croissance – en somme, qu’il ne prenne plus ses désirs pour des réalités.

Depuis 2012, trop de temps a été perdu, trop d’erreurs commises, mais avec la France, rien n’est définitif. Une inflexion de ce projet de loi est encore concevable, à condition que le Gouvernement veuille bien écouter nos avertissements et se rallier à des mesures vigoureuses. Qu’elles viennent de la droite ou de la gauche n’a pas d’importance, dès lors que ces mesures sont utiles au sursaut.

Monsieur le ministre, je vous sais de bonne volonté, mais la France est en état d’urgence économique et nous ne pouvons pas nous satisfaire de vos petites retouches. Reconsidérez votre projet, fédérez les idées les plus fortes pour relancer notre économie, soyons audacieux pour notre peuple qui attend le rebond.

Ce projet n’est pas recevable en l’état, parce qu’il passe à côté de la nécessité vitale de nous renouveler rapidement et ensemble. Voilà le sens de cette motion, que je soumets à l’Assemblée nationale et au Gouvernement, avec le ferme espoir qu’elle éveille auprès de chacun de nous la volonté d’agir pour le redressement de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux répondre en quelques points à cette motion en vous remerciant, monsieur le premier ministre, du ton courtois que vous avez employé et de l’esprit de bonne volonté collective auquel vous appelez.

Le constat que vous dressez est, en partie, celui qui a conduit à élaborer ces propositions et à présenter ce projet de loi : une urgence économique, la nécessité de donner plus de vitalité à notre économie, de rouvrir des opportunités et d’accroître ce que les économistes appellent la « croissance potentielle ». Oui, il y a urgence et la situation, tant des finances publiques, de la croissance que de l’emploi, nous impose de faire ces choix. Mais il y a une forme de paradoxe à faire ce constat tout en refusant d’enclencher le mouvement avec ce texte.

Je souhaite revenir sur quelques points que vous avez soulevés. Non, il ne s’agit pas d’un traitement homéopathique : nombre de réformes ici proposées sont des réformes que beaucoup auraient voulu faire, et qui n’ont pas été faites. Je pense à la justice prud’homale, aux procédures collectives ou encore aux professions réglementées, professions réglementées que vous-même avez échoué à réformer en 2009 : suite à un accord amiable, ces professions s’étaient engagées à faire des réformes, qu’elles n’ont jamais mises en œuvre. Vous le savez fort bien !

Oui, ces réformes sont une nécessité, oui, certaines d’entre elles sont des « premières », oui, elles sont bonnes pour notre économie ! Qu’il s’agisse du permis de conduire, de l’ouverture d’un secteur comme celui du transport par autocar ou de l’accélération des grands projets, ce ne sont pas des mesures anecdotiques ; elles doivent conduire, de manière concrète, à la création de milliers d’emplois, partout où c’est possible. À cet égard, je ne peux accepter la vision que vous donnez de ce projet de loi.

Deuxième point, que je me dois d’aborder : ce projet de loi ne peut être le réceptacle de tout ce que vous auriez aimé faire, mais que vous n’avez pu accomplir. Cela ne correspond ni à l’esprit ni à la logique politique qui sont les nôtres. Aussi, je veux, devant vous, et de la manière la plus honnête qui soit, dire quelles sont nos différences. Les 35 heures sont un cadre législatif, dans lequel nous nous inscrivons. S’il était besoin d’y revenir…

M. Pierre Lellouche. C’est le cas !

M. Emmanuel Macron, ministre. Votre majorité a gouverné pendant dix ans. Que ne l’avez-vous fait ?

M. Pierre Lellouche. Pourquoi ne le faites-vous pas, vous ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Nous devons préserver ce cadre, quitte à en aménager les modalités, ainsi que nous l’avons fait dans la loi de 2013. Le 19 février, le Premier ministre en discutera avec les partenaires sociaux. Vous savez bien que le livre Ier du code du travail prévoit que tout projet de réforme fait d’abord l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux, ce que les différentes majorités ont toujours respecté. Cette discussion aura lieu, et si François Rebsamen vient de nous quitter, c’est précisément pour retrouver certains partenaires sociaux et préparer cette échéance. Il ne serait ni responsable ni sérieux de faire croire aux Français que ce texte ne peut être voté en l’état parce qu’il ne contient pas de dispositions tendant à réformer les 35 heures !

Vous avez aussi évoqué la question des seuils. Sur ce sujet, les partenaires sociaux, au terme de la phase de concertation prévue par la loi Larcher, ont échoué à trouver un accord, il y a de cela quelques jours. Ces prochaines semaines, les ministres compétents et le Premier ministre, qui recevra les partenaires sociaux le 19 février, en tireront les conséquences. Mais quel sens y aurait-il à vous proposer de légiférer sur ce sujet, alors même que le stylo n’est pas posé et que le Gouvernement affirme, depuis le début, sa volonté de trouver une solution concrète et respectueuse du dialogue social sur ce sujet connu de tous ? Le Président de la République lui-même, au mois d’août, n’a-t-il pas expliqué qu’il prendrait ses responsabilités en cas d’échec ?

Monsieur le premier ministre, nous devons, collectivement, trouver une solution pour l’économie française. Dire que ces quelques réformes symboliques ne figurent pas dans cette loi, c’est exprimer une réalité. Mais affirmer que leur absence justifie de voter cette motion de rejet préalable ne me paraît pas sérieux, au regard des douze années qui viennent de s’écouler.

Ce texte pose la nécessité d’entreprendre plusieurs dizaines de réformes, à la fois pour restaurer la justice sociale – en ouvrant pour les salariés des droits en matière de compensation ou d’épargne salariale – et pour permettre à notre économie de se développer.

La situation que vous décrivez n’est pas le fruit des deux dernières années ; elle vient de ce que, depuis de nombreuses années, et malgré le constat que vous avez établi, nous n’avons pas bougé ! Vous êtes le premier ministre qui parlait en 2007 d’une France en faillite et qui a augmenté la dépense publique de 120 milliards d’euros et la dette de 600 milliards.

Quelle peut être, en effet, la crédibilité de la France, lorsqu’elle va voir ses partenaires et qu’elle leur demande de bouger ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je ne crois pas au grand soir ; mais je pense qu’il est de notre responsabilité collective de recréer des opportunités, de rouvrir des droits, de remettre la France en mouvement, de montrer à nos concitoyens que nous redémarrons.

M. François Fillon. Vous tombez dans la facilité !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je l’ai toujours dit, et je reste très cohérent : notre économie ne se redressera pas avec plus d’argent public. Elle ne redémarrera pas non plus grâce à ce texte – je vous l’accorde volontiers –, mais pas davantage grâce à la remise en cause des seuils sociaux et des 35 heures… Notre économie ne repartira qu’à la condition d’une reprise de l’investissement privé et d’une relance de la dynamique européenne.

L’investissement privé repartira si, collectivement, nous montrons à nos concitoyens que nous savons réformer notre économie, lever les blocages lorsqu’ils existent, mettre l’économie en mouvement. Alors oui, lorsque nous aurons voté les mesures de simplification et les mesures de protection des entrepreneurs individuels, les investisseurs réinvestiront.

Ces réformes, qui vont des professions réglementées au transport par autocar en passant par l’épargne salariale et l’actionnariat salarié sont largement microéconomiques – je l’assume – mais elles sont importantes pour ces secteurs et pour notre jeunesse. Sur ce point, il faut être cohérent : on ne peut pas dire – parce que l’idée nous dérange – qu’il est inutile de toucher aux notaires, mais que, pour le coup, il faudrait revoir les seuils ou réformer les 35 heures. Ce n’est pas sérieux ! Chacun de ces secteurs, chacune de ces mesures contient un potentiel d’activités.

M. Jean-François Lamour. C’est la politique des petits pas !

M. Emmanuel Macron, ministre. Et si nous parvenons à réformer, alors oui, nous serons crédibles et nous nous pourrons aller voir nos partenaires. La tête haute, nous pourrons leur dire que nous savons réformer le pays ; nous pourrons être plus exigeants ; nous pourrons demander aux Allemands de réinvestir ; nous pourrons aspirer à une nouvelle politique macroéconomique, à plus de flexibilité.

Nous n’avons plus toutes les clés en main, il faut bien le dire ; il n’est donc pas sérieux, et vous le savez, de penser que la France, seule, sur le plan macroéconomique, pourrait redresser son économie. C’est en entamant ce processus de réformes microéconomiques que nous pourrons convaincre nos partenaires que nous sommes en mouvement. Nous pourrons ainsi apporter une nouvelle dynamique, dans une Europe où la France retrouvera son rang, où elle portera cette voix demandant une politique économique et macroéconomique plus adaptée, davantage d’investissements au niveau européen.

M. Jean-François Lamour. Ce texte n’est pas à la hauteur !

M. Emmanuel Macron, ministre. Parce que tout se tient, parce que les autres nous regardent, je vous invite à ne pas céder à la facilité et à ne pas exiger de cette majorité qu’elle conduise des réformes qui ne sont pas les siennes, et que vous auriez pu librement mener si vous l’aviez voulu. Je vous demande de revenir à votre constat premier, celui de l’urgence économique, et de partager cet esprit de responsabilité collective ; je vous invite à rentrer dans ce texte, point par point, à l’enrichir, à le renforcer, afin de rénover notre économie.

Les Français attendent de nous que nous réformions, que nous allions de l’avant. Ils ne souhaitent pas que vous arrêtiez ce mouvement pour proposer d’autres mesures, que vous avez souvent invoquées mais qui n’ont jamais été prises en douze ans. J’en appelle à la confiance collective, à celle de la majorité. Oui, nous devons avancer ! Oui, nous devons réformer, parce que c’est ce que les Français attendent de nous, parce que nous pouvons le faire de manière juste et efficace ! Tel est l’esprit de ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le ministre, monsieur le président, M. François Fillon vient d’établir un constat implacable, celui des cinq années qu’il passa à la tête de son gouvernement. Jadis, il nous avait déjà convaincus en insistant sur la situation de faillite de la France mais qu’a-t-il fait ? Il le reconnaît lui-même : peu ou en tout cas, pas assez, pendant ces cinq longues années.

Ses propositions se veulent en contrepoint du programme de M. Nicolas Sarkozy, chacun l’aura bien compris. Il faut, nous dit-il, prendre des décisions maintenant et non pas demain. Il a raison. Qu’il vienne donc nous soutenir, nous saurons l’écouter comme nous écoutons M. Lefebvre.

Pour les Radicaux, la situation est simple : notre économie est bloquée, il faut couper les nœuds gordiens et donner leur chance aux créateurs, à tous ceux qui ont de l’imagination, dans les start-ups ou au sein des auto-entreprises.

C’est à tous ceux qui veulent créer, imaginer, construire des ponts et abattre des murs, que ce projet de loi s’adresse. Oui, nous avons confiance dans l’avenir et d’abord dans celui de notre jeunesse.

Monsieur le premier ministre, votre gaullisme sent trop la naphtaline alors qu’il pourrait soutenir notre action créatrice. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il n’est pas trop tard, monsieur Fillon, pour appuyer la volonté créative du Gouvernement. C’est à cette condition que votre gaullisme pourra redevenir ce qu’il devrait être, une modernité radicale, c’est ce vers quoi, en tout cas, nous vous demandons de nous rejoindre. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour le groupe écologiste.

M. Jean-Louis Roumegas. Quelle étrange motion de rejet ! Pendant toute la première partie, j’ai pensé qu’il s’agissait au contraire d’une motion de soutien au texte du Gouvernement tant il n’y avait pas de différence de vision mais de degré. M. Fillon veut simplement aller plus loin : plus de travail le dimanche, fin des 35 heures, encore moins de protection environnementale ou sociale, comme s’il s’agissait là de la recette miracle pour ramener la mythique croissance que tous appellent de leurs vœux et dont il faudra pourtant apprendre à se passer.

Nous ne pouvons pas, bien évidemment, voter les attendus de cette déclaration de motion de rejet mais nous ne pouvons pas davantage en accepter la méthode. C’est vrai, la densité de ce texte empêche son examen en un délai si court – quatre-vingt-quatre heures de débats en commission dont je ne conteste pas la qualité. La présidence a très bien fait son travail, M. le ministre a été fort courtois mais il était impossible de réformer le code de l’environnement, le code de l’urbanisme, le code des transports, de modifier les professions réglementées, de privatiser au passage des sociétés de gestion d’aéroport, et j’en passe, dans le délai normalement imparti à l’étude d’un seul de ces thèmes.

Pour autant nous ne refuserons pas le débat car nous avons des arguments à faire valoir et que nous ne nous enfermons pas dans une position de refus. Nous ferons des propositions et nous verrons bien quels amendements seront acceptés par le Gouvernement. L’on ne pourra pas nous reprocher, en tout cas, d’avoir fui le débat. Nous voterons par conséquent contre cette motion de rejet.

M. Bruno Le Roux. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Caullet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, chers collègues, en fin de compte, c’est notre capacité à mobiliser notre conviction pour conduire l’évolution nécessaire au pays qui est en question. C’est notre volonté de le faire qui est à l’épreuve et que nos concitoyens observent. En écoutant nos collègues rapporteurs, il est assez évident de constater l’ampleur des chantiers à conduire. Je ne reprendrai pas l’énumération des mesures prises, envisagées, des progrès à accomplir, des verrous à lever, cette simple énumération démontrerait, d’ailleurs, à l’envi, l’importance du texte et l’attente de nos concitoyens. Ils souhaitent savoir si nous sommes capables de mettre en mouvement le pays, si, au-delà des toute-puissances supposées au moment des campagnes électorales qui se fracassent sur l’impuissance révélée ou lorsque l’on est mis face à son bilan, nous sommes capables de briser ce cercle vicieux.

Ils veulent que nous montrions notre capacité à gravir une colline plutôt que de nous perdre en incantations sur les grandes montagnes que nous voudrions escalader demain si seulement d’autres conditions pouvaient nous en rendre à nouveau capables. Ce sont ces éléments de preuve, d’efficacité, de capacité à agir qui sont attendus. Chacun sait qu’il faut le faire, qu’il faut oser pour pouvoir conjuguer les opportunités économiques et le progrès social, la simplification et l’efficacité du droit, mais encore une fois, monsieur Fillon, monsieur le premier ministre, tant d’années d’incantations sans action ont fini par lasser et interroger. Nous avons là l’occasion, par le débat qui s’annonce, de montrer que nous avons compris la leçon et que nous sommes sur la bonne voie.

Refuser un débat en acceptant une motion de rejet préalable, un débat déjà bien construit par la commission spéciale dont la qualité des travaux a été soulignée, serait mettre la poussière sous le tapis, retomber dans l’incantation de ce qu’il aurait fallu, de ce qu’il faudrait, sans être capable de faire les petites choses utiles. Je reprends bien volontiers à mon compte la formule de Martin Schulz qui affirme que 1 % de quelque chose est toujours mieux que 100 % de rien. Montrons notre capacité à nous mettre en mouvement. Nos concitoyens ne nous pardonneraient pas une proclamation d’immobilisme et d’impuissance et ils auraient raison.

En rejetant votre motion, ouvrons résolument ce débat utile au pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, chers collègues, la motion de rejet du premier ministre François Fillon présente au moins un intérêt, celui de tirer au clair quelques-unes des ambiguïtés qui continuent de fleurir autour de ce projet de loi. Partageons-nous ou pas l’analyse de la situation de la France d’aujourd’hui ? Premier constat.

M. Yves Durand. C’est tout l’intérêt du débat, justement !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxième constat : si nous avons la même analyse de la situation de la France d’aujourd’hui, sommes-nous d’accord sur les solutions principales à y apporter ?

S’il semble naître un certain nombre de différences sur le premier constat, le second témoigne à l’évidence d’un désaccord assez profond. J’aurai l’occasion d’en dire davantage au cours de la discussion générale.

Un argument revenait sans cesse sur les bancs de la majorité au cours de l’intervention de M. Fillon et des explications de vote : « Que n’avez-vous fait vous-mêmes le travail ? » Admettons mais je vous rappellerai dans un instant quelques-unes des mesures qui seraient nécessaires au redressement de la France d’aujourd’hui et que votre gouvernement a balayées. Monsieur le ministre, vous n’en faisiez pas encore partie mais vous n’en étiez pas très loin.

M. Patrick Hetzel. Excellent !

M. Jean-Frédéric Poisson. Balayées d’un revers de la main, sinon d’un trait de plume, parfois des deux, par votre majorité depuis deux ans et demi.

Surtout, il faudra bien vous faire à l’idée, un jour, qu’au bout de deux ans et demi, presque trois, on peut considérer à bon droit que ces résultats sont aussi les vôtres, et pas seulement ceux d’une politique qui aurait laissé le pays dans un état insupportable – je m’associe bien évidemment à la majorité précédente.

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est vrai.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’état de la France s’est beaucoup aggravé depuis deux ans et demi, que vous le vouliez ou non, et il ne peut pas être porté au débit de la majorité sortante. C’est une réalité.

Avant d’en venir à l’orientation de votre texte, monsieur le ministre, je voudrais tout d’abord saluer la disponibilité et le respect que vous avez montré pour le Parlement et l’opposition, ce qui n’est pas si fréquent. Cela n’empêche pas l’affirmation des désaccords. Vous reconnaissez vous-même que ce texte ne comporte pas de solution miraculeuse mais permettez-nous de douter ne serait-ce que de l’effet réel des mesures que vous prendrez et de leur bénéfice pour la France.

J’ai beaucoup aimé la présentation que vous avez faite en réponse à François Fillon. Au fond, votre lecture de ce texte est uniquement économique alors qu’il contient, selon nous, beaucoup d’autres éléments, pas forcément macro-économiques, mais, si je puis me permettre ce néologisme, « méta-économiques », dont nous avons débattu en commission et qui nous conduiront à présenter un certain nombre d’amendements. Au bout du compte, le premier reproche que l’on peut formuler contre ce texte est qu’il ne répond pas à la situation du pays, malgré les efforts que vous faites pour persuader les Français du contraire grâce à une rhétorique parfaitement au point.

Ce texte, je le répète à la suite de François Fillon, ne comporte pas que des mesures favorables. Il est probable au bout du compte qu’il conduise à un certain nombre de déséquilibres dans un pays en crise qui n’en a pas besoin. Nous y reviendrons.

Une première dans cet hémicycle : je n’ai pas entendu que M. Fillon aurait centré tout son discours sur l’inconstitutionnalité de ce texte. Soit, mais soulevons tout de même le problème de l’étude d’impact. Jugée lacunaire par le Conseil d’État quand ce texte ne comptait que 106 articles, imaginez son avis aujourd’hui qu’il en compte 208 ! Laissons à la majorité sénatoriale le soin de vous dire ce qu’elle en pense.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Zumkeller. Les députés de notre groupe, comme beaucoup de nos collègues, se sont beaucoup investis sur ce sujet. Nous avons participé aux travaux de la commission qui se sont déroulés dans une atmosphère très sincère que nous saluons et nous ne pouvons que vous en remercier.

Malheureusement, à ce niveau du débat, même si nous saluons quelques avancées, elles nous semblent encore très modestes et nous partageons beaucoup de sujets évoqués dans cette motion. Nous en avions défendu quelques-uns dans le cadre de nos amendements – les seuils sociaux, le contrat unique, le temps de travail auxquels nous avons ajouté le permis de conduire, la mobilité. À cet instant du débat, nous souhaitons nous associer à la motion pour permettre d’avancer sur ces thèmes et nous la voterons par conséquent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants52
Nombre de suffrages exprimés51
Majorité absolue26
Pour l’adoption19
contre32

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, permettez-moi, au nom du groupe RRDP, de formuler quelques observations dans le cadre de cette discussion générale.

L’histoire économique de la France, ce n’est pas celle de la libre entreprise. L’histoire économique de la France, c’est celle du colbertisme. C’est celle de l’économie administrée puis des nationalisations de 1981. Il ne s’est jamais agi de mieux entreprendre, mais de mieux contrôler l’entreprise.

Je me souviens, monsieur le ministre, de la signature en 1972 du programme commun de gouvernement – un fait important. Les communistes et les socialistes avaient alors décidé de nationaliser neuf grands secteurs économiques ainsi que l’ensemble du secteur bancaire et financier.

À l’époque, le modeste mouvement auquel j’appartiens – les radicaux de gauche, avec Robert Fabre et Henri Caillavet –,…

M. Jean-Louis Dumont. Quelle histoire !

M. Alain Tourret. … avait demandé à signer ce programme tout en souhaitant l’ajout d’un chapitre supplémentaire, qu’il est intéressant de relire aujourd’hui : nous y constations qu’il était absolument nécessaire de s’engager en faveur de la libre entreprise. C’est quelque peu contradictoire, diront certains, mais telle était alors la situation des radicaux.

Nous n’avons pas depuis changé d’avis en la matière. Nous pensons que l’économie n’a pas à être administrée. Nous pensons aussi qu’au fil du temps, des nœuds sont apparus dans la créativité économique.

En définitive, tout cela a été remis en cause par une série de privatisations. Que se passe-t-il donc aujourd’hui ?

Relisons Jacques Attali qui a, en son temps, présenté plusieurs propositions à M. Fillon – lesquelles l’ont beaucoup intéressé – dont leur auteur lui-même reconnaît – comme je suis prêt à le faire – que certaines ont été adoptées et d’autres non. Jacques Attali a intéressé la droite comme il a intéressé la gauche, car il est au-dessus de la droite et de la gauche.

M. Jean-Luc Laurent. Il n’est pas républicain pour autant !

M. Jean-Louis Dumont. Et ses propositions n’en sont pas meilleures !

M. Alain Tourret. Vous pouvez estimer qu’il n’est pas républicain ; j’estime pour ma part que c’est un esprit transcendant. À relire les propositions qu’il a formulées, j’ai l’impression qu’il est en quelque sorte le mentor du texte qui nous est proposé aujourd’hui.

M. Jean-Louis Dumont. Il y a sûrement des complicités…

M. Alain Tourret. Au fond, que voulons-nous ? Nous ne voulons ni le collectivisme, ni le libéralisme, mais ce que j’appellerais une « créativité raisonnée ». Qu’est-ce donc que la créativité raisonnée ? C’est la possibilité de mettre l’action de l’État au service de la liberté d’entreprendre. Il faut entreprendre pour créer ; il faut entreprendre pour investir. C’est alors seulement que la richesse se crée et qu’elle peut être répartie.

La créativité, au fond, est le maître mot. Or, comment peut-on favoriser et retrouver la créativité, monsieur le ministre ?

Dans son discours, le Président de la République a dit que tout devait être orienté vers la jeunesse. Selon moi, la notion de jeunesse est intimement liée à celle de créativité. Les start-ups, les auto-entreprises, toutes me donnent le sentiment de la confiance qui doit être faite à notre jeunesse pour investir dans l’économie.

Il se trouve que j’ai récemment participé à un voyage en Israël. J’ai été très surpris d’y constater que le taux de chômage n’est que de 4 %, dans un petit pays qui vient d’accueillir plus d’un million d’immigrés venant de Russie. Avec des responsables économiques locaux, j’ai examiné le nombre de start-ups créées et leur part dans l’économie. Sachez simplement ceci : Israël crée chaque année autant de start-ups que toute l’Europe réunie. Il s’y manifeste une volonté absolue de faire confiance à la créativité. Or, lorsque vous faites confiance à la créativité, vous créez des emplois et diminuez le taux de chômage.

C’est un peu ce que nous voulons, et c’est pour cela que nous souhaitons que ce projet de loi soit un modèle.

Ce texte est multiple et divers, il comporte de nombreux chapitres. Pourtant, tous ces chapitres sont complémentaires les uns des autres. Certes, le texte n’obéit pas à un plan en deux parties elles-mêmes divisées en deux sous-parties, comme à Sciences-Po. Il correspond bien davantage à la matière universitaire où l’on raisonne chapitre par chapitre, la vérité n’émergeant qu’à la fin.

Tout cela permet d’avoir une bien plus grande liberté en matière de complémentarité et de coproduction législative, surtout lorsqu’il s’agit de se présenter devant la commission spéciale. Pourquoi avons-nous finalement pu enrichir le texte à ce point ? Je rappelle que plus de 400 amendements ont été adoptés, ce qui est unique dans l’histoire de la République – unique, je le répète. Pourquoi donc ?

Parce que le plan proposé dans ce texte est une addition de paragraphes, et non une suite de syllogismes juridiques telle que l’on peut en lire dans un devoir de droit. Dès lors que le texte était abordé chapitre par chapitre, il a pu être fait confiance à la créativité des députés.

Cette coproduction législative m’apparaît comme quelque chose de complètement nouveau. On reproche souvent aux députés de ne pas s’écouter entre eux. Je puis le dire : jamais la majorité n’a été autant écoutée – ce sont bien les premiers qu’il faut entendre – et il en va de même pour l’opposition, laquelle doit également être entendue. De ce point de vue, monsieur le ministre, je voudrais vous féliciter pour votre capacité, sur chaque article, à écouter, à intervenir, à ne jamais aller trop vite et à traiter les dossiers les uns après les autres – le président Brottes y ayant pris toute sa part. Voilà quelque chose de nouveau, un signal que vous avez donné et qui nous permettra peut-être, à l’avenir, de continuer de travailler ainsi.

C’est de cette manière que je me suis efforcé, avec Georges Fenech, de travailler à la commission des lois. Nous avons ainsi abouti à des dispositions adoptées à l’unanimité – sur les sujets les plus consensuels, certes, mais il m’a semblé très utile que la capacité d’écoute aboutisse à une forme d’unanimité.

Sans aller trop loin, il me semble que sur de nombreux chapitres, vous avez, avec l’appui des rapporteurs, fait bouger les choses. Vous les avez notamment fait bouger pour ce qui concerne les participations de l’État – de ce point de vue, je félicite mon amie Clotilde Valter pour la manière dont elle a présenté un sujet pourtant bien difficile.

Qu’il s’agisse des transports, de la prud’homie ou encore des professions dites réglementées, ce sont in fine tous les pans de l’économie qui, l’un après l’autre, ont été revus et analysés.

On nous dira certes que c’est insuffisant. Vous avez eu la bonne réponse, monsieur le ministre : il ne suffirait pas de remettre en cause les 35 heures ou la retraite ; il faut d’abord réinvestir et relancer l’économie. C’est parfaitement possible dans les mois qui viennent, car l’Europe vient de prendre conscience – les nouvelles parvenues hier de Grèce le démontrent à l’évidence – que l’on ne saurait se contenter d’une récession, et que l’inflation lui serait encore préférable. Or, toute l’activité que déploie l’Union européenne depuis des décennies consiste à lutter contre l’inflation en nous persuadant qu’elle est la source de nos troubles, alors que l’inflation peut susciter la relance – contrairement à la récession.

Tel est le message qu’il faut faire passer, et celui auquel je crois. À cet égard, j’ai été très intéressé par la contribution qu’ont fournie plus de trente intellectuels, économistes et entrepreneurs, dont les plus célèbres d’entre eux, qui, derrière Philippe Aghion, disent ceci : « il faut voter la loi Macron ».

Écoutons-les : ils nous disent tout d’abord qu’il faut réconcilier la justice sociale et l’efficacité économique, car il ne saurait y avoir de progrès économique sans répartition des richesses. Or, nous disent-ils, ces réformes ont été repoussées depuis des décennies, car « les corporatismes se prétendent défenseurs de l’intérêt général, alors qu’ils ne sont animés que par la volonté de préserver les rentes ». On ne saurait mieux dire. Dans chaque situation, il existe un chien dans sa niche qui empêche de progresser. Dans ces conditions, il est très difficile de se heurter aux avantages acquis. C’est le rôle de ce projet de loi : s’opposer à tous les corporatismes.

Il faut dans le même temps défendre notre modèle de société. Le défendre, ce n’est pas le figer ; c’est le moderniser, le rendre plus efficace et plus juste. Il faudra ainsi démontrer à la France et aux Français, à l’Europe et aux Européens, que notre vieux pays est capable de se mettre en mouvement.

Rien n’est plus pareil depuis le 7 janvier. La France entière s’est mobilisée et s’est retrouvée, quelles que soient les opinions politiques des uns et des autres. Au fond, j’ai le sentiment que nous abordons la vie politique française d’un œil nouveau, celui qui a vu 4 millions de Français de toutes opinions marcher ensemble dans la rue. C’est celui qui a vu à deux reprises l’opposition et la majorité se lever pour applaudir de concert le discours extraordinaire de notre Premier ministre. Ce discours avait pour socle la fraternité, la laïcité, la nécessité de retisser le lien social qui nous manque tant et dont l’absence se traduit – le Premier ministre a eu raison de le dire – par des apartheids. Telle est la réalité ! Telle est la force du discours que le Premier ministre nous a présenté à raison !

Le Président de la République a montré le chemin ; le Premier ministre a renforcé la démarche. Avec cette loi, nous irons plus loin. J’ai le sentiment que nous avons l’occasion exceptionnelle d’aboutir car la relance économique à tous les niveaux en Europe et la baisse des taux d’intérêt nous offrent une incontestable chance de relance économique dans les mois qui viennent.

Nous allons passer des heures difficiles, monsieur le ministre, car la première phase du débat en commission s’est déroulée au sein d’un club sympathique.

M. Jean-Louis Dumont. Et choisi !

M. Alain Tourret. Ici, les choses ne sont plus les mêmes. Les arguments seront plus durs et plus politiques. Je n’ai aucun conseil à vous donner, mais il faut faire évoluer le texte davantage. Vous avez deux possibilités : soit vous considérez que tout a été décidé en commission, et alors tout est fini, soit vous acceptez certaines des propositions qui vous seront faites, tant par votre majorité que par votre opposition. C’est cette voie que je me permets de vous conseiller, pour préserver l’unité du texte, pour l’enrichir et pour aller au-delà de ce qui a déjà été retenu sur un certain nombre de sujets. Tel est mon conseil, et je vous sais assez intelligent pour faire vôtres les propositions de vos amis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le texte qui est aujourd’hui soumis à notre débat prétend moderniser l’économie française pour renouer avec une croissance durable et soutenir l’activité. Signalons d’emblée une divergence quant au vocabulaire : une relance durable repose sur l’équilibre vertueux de trois piliers – social, économique et environnemental. Le Gouvernement semble marcher à rebours, à la poursuite d’une croissance illusoire.

Un mot sur la forme : peut-on qualifier de « démocratique » la méthode qui consiste à recourir massivement aux ordonnances et à débouler – tel un éléphant dans une boutique de porcelaine – dans le code du travail, dans le code du commerce, dans le code de l’urbanisme, dans celui de l’environnement ou encore celui des transports en quelques heures, dans un seul texte et sous la houlette d’un seul ministre ?

S’il n’y avait que la méthode, au nom de l’urgence… mais, pour les députés écologistes, c’est avant tout l’efficacité de ce texte qui est en cause.

Derrière la multiplicité des sujets abordés, une seule logique : celle de la dérégulation.

Qu’il ne nous soit pas opposé ici un refus de travailler de façon constructive avec le Gouvernement car à chaque fois qu’il a proposé une vision réellement moderne de l’économie, nous avons répondu présent.

Ce fut le cas lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique, pilier d’une relance de l’activité et de la création d’emplois dans les domaines des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.

Puis en matière d’agro-écologie, dans le cadre du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous avons travaillé en bonne intelligence avec le ministre Stéphane Le Foll.

De la même manière, nous avons salué et enrichi le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.

Notre collègue Cécile Duflot a défendu la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – afin de garantir un droit au logement détaché de la spéculation immobilière.

Monsieur le ministre, la philosophie de votre projet de loi est en totale contradiction avec tous ces textes qui ont été longuement débattus au sein de la majorité. En outre, il fait resurgir des propositions supportées par la droite et combattues par les députés socialistes.

Ainsi, tandis que la loi de transition énergétique organise la réduction de la part du nucléaire en France, ce texte contient des dispositions visant à encourager l’exportation de centrales plus sûres. Mais le nucléaire le plus sûr, monsieur le ministre, est encore celui qu’on n’exporte pas !

Tandis que la loi d’avenir pour l’agriculture sanctuarise des terres arables et réaffirme leur vocation à produire des aliments de qualité, distribués en circuits courts, vous encouragez l’artificialisation des sols au bénéfice de la grande distribution.

Autre affront au travail récent de la majorité, la vente à la découpe sera facilitée au seul profit de la spéculation immobilière et au détriment des locataires, mais sans qu’aucun logement ne soit construit grâce à ce dispositif.

Vous voulez des lignes d’autocars, pourquoi pas, mais à conditions de prendre des précautions pour ne pas nuire au rail et aux politiques de transports publics menées par les régions. Ne retombons pas dans les erreurs du passé, qui ont conduit à l’effondrement du fret ferroviaire et à l’envahissement des routes par les camions !

Vous voulez enfin banaliser le travail le dimanche. Ce sera un recul pour les salariés, qui sont souvent des femmes, en particulier des mères célibataires sans solution pour garder leurs enfants. Ce sera un recul pour le petit commerce, soumis à la rude concurrence des grandes surfaces. Ce sera un recul pour la société tout entière, à laquelle on propose comme seul idéal celui de la consommation sept jours sur sept.

Votre texte ne contient aucun article sur l’économie sociale et solidaire, l’économie collaborative, l’économie circulaire. Vous voulez moderniser l’économie, mais avec les recettes du passé.

Au terme du débat en commission, nous pouvons dresser un premier bilan. Il y aura des gagnants et des perdants. Au rang des gagnants : Bercy, les sociétés autoroutières, les grandes enseignes, le nucléaire, la publicité, la spéculation immobilière. À celui des perdants : les salariés, toujours plus précaires, les femmes, les locataires, le petit commerce, le rail, et naturellement la protection de l’environnement.

Comme nous l’avons fait en commission et malgré un désaccord global sur la méthode et la vision, nous allons continuer à présenter des amendements constructifs. Mais à la fin du débat, si être moderne revient à faire primer les intérêts de quelques lobbies économiques sur toute autre considération, les députés écologistes s’opposeront à ce texte.

Mme Marie-George Buffet et Mme Michèle Bonneton. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le président de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs, vous avez au début de ce débat exposé les enjeux du texte et vous-même, monsieur le ministre, avez décrit l’ampleur du chantier qui est devant nous. Vous avez ainsi mis en exergue le contenu, l’ambition et la cohérence du projet de loi que nous examinons. Je voudrais profiter de ces quelques minutes pour souligner deux autres enjeux de nos débats.

Le premier enjeu est tout simplement le renouvellement des modalités d’élaboration de la norme : une commission spéciale, huit rapporteurs thématiques, un projet présenté par un gouvernement ouvert aux amendements, bref une véritable co-construction. De ce point de vue, ce texte constitue une étape.

Cette nouvelle façon plus coopérative d’élaborer notre norme a permis un dialogue entre les différents groupes de l’Assemblée au sein de la commission spéciale et cette nouveauté est ressentie dans l’hémicycle.

Il en va de la reconquête de la crédibilité de nos travaux devant nos concitoyens. Comme je l’ai souligné dans mon explication de vote contre la motion de rejet préalable, nous devons rompre avec ce cercle vicieux de la toute puissance prétendue, souvent suivie du constat de l’impuissance révélée… C’est cette usure que ressentent nos concitoyens.

Nous devons écouter l’appel de tous les républicains, qui n’est pas seulement un appel à la défense des principes qui fondent notre République mais aussi un appel à la modestie des responsables publics, qui doivent à tout moment prouver qu’ils travaillent utilement.

Les questions qui sont soulevées par le texte se posent tous les jours à nos concitoyens. Ils les connaissent. Ils nous regardent et ils jaugent notre capacité à saisir leurs attentes et à y répondre.

Saisir les opportunités économiques est une nécessité. Démontrer qu’on peut le faire en conjuguant progrès social et progrès économique est une obligation pour ceux qui, comme nous, défendent l’idéal de progrès et de solidarité.

Non, l’agilité économique ne condamne pas à la destruction des protections sociales et ceux qui utilisent la garantie et la défense de ces protections pour s’opposer à la modernité leur rendent un bien mauvais service. Ceux qui par ailleurs prétendent que le progrès économique ne peut se faire que dans la destruction de notre système social portent un mauvais coup à la République et découragent nos concitoyens.

L’efficacité des procédures est compatible avec les garanties du droit. Voilà les enjeux les plus profonds de ce débat.

Et pour faire écho aux propos de notre collègue Roumégas, je dirai que personne ne peut nier que les progrès qui touchent les transports collectifs sont bons pour l’environnement. Car quel que soit le mode, le transport collectif est toujours préférable au transport individuel. Permettre la mobilité de nos concitoyens sur tout le territoire en facilitant l’accès au permis de conduire n’est pas une petite affaire dans le quotidien de nos concitoyens. Donner des compensations à celles et ceux qui travaillent dans les commerces d’ores et déjà ouverts le dimanche n’est pas une disposition sans intérêt !

Nous avons devant nous un grand nombre de tâches intéressantes. Faciliter les décisions en regroupant les autorisations administratives en une autorisation unique n’est pas affaiblir notre droit, c’est simplement faire en sorte que l’application des garanties que le droit apporte ne soit pas antinomique avec l’esprit d’entreprise et la concrétisation de projets d’avenir, au contraire ! Opposer la protection de l’environnement à la capacité de faire des projets et d’investir est un mauvais service à rendre au droit de l’environnement.

Nous pouvons retrouver cet enjeu dans chaque partie du texte. Les professions du droit, si elles sont efficaces et respectables, doivent aussi se moderniser. Elles en ont conscience. À nous d’apporter des solutions ! L’immobilisme nous serait, à juste titre, reproché. Les solutions qui vous sont proposées seront encore améliorées dans l’hémicycle, à l’aune de ce que j’appelais tout à l’heure les nouvelles modalités d’élaboration de la norme qui sont plus ouvertes, plus prospectives. Nous mettrons ces cinquante heures de débat au service de ce noble enjeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, j’aurais pu donner à cette intervention la forme d’une motion de renvoi en commission, mais le groupe UMP, au vu de la qualité et de la densité du travail réalisé en commission, a considéré qu’une telle démarche aurait presque été inconvenante et qu’il fallait savoir rompre avec certaines traditions ayant cours dans cette maison. Nous préférons conserver le peu de crédit qu’à titre putatif, vous nous accordez, monsieur le président, monsieur le ministre, pour les débats au fond qui auront lieu dans cet hémicycle au cours des prochains jours.

M. François Brottes, Président. C’est tout à votre honneur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir salué cette démarche. Le président de notre groupe et mes collègues y ont été très sensibles.

Monsieur le ministre, ce texte comportait 106 articles avant le début des travaux de la commission spéciale et 208 à leur terme, et plus de 3 000 amendements sont annoncés pour notre débat en séance : décidément, votre texte peine à susciter l’unité, y compris sur le plan quantitatif. Du coup, chacun peine à lui trouver une cohérence, que le titre lui-même est loin de justifier ou même d’expliquer. À moins que ladite cohérence ne se trouve dans tout ce que votre texte ne dit pas et qui précisément motive nos interrogations et nos oppositions.

Quatre difficultés persistent dans ce projet de loi et justifient d’ailleurs pleinement le qualificatif de « trompe-l’œil » que j’ai déjà eu l’occasion d’employer, pour ne pas dire qu’il constitue en réalité une authentique manœuvre de diversion. La conjonction de ces deux caractères conduit à cette appréciation d’ensemble : ce texte n’est pas ce qu’il prétend et sa présentation, au demeurant fort talentueuse, conduit à regarder avec attention, voire parfois avec sympathie, certains de ses aspects qui sont tout sauf essentiels.

Voici quelles sont ces difficultés que, de notre point de vue, les travaux en commission n’ont pas supprimées.

La première tient davantage à ce que votre projet de loi ne contient pas qu’à ce qu’il contient. Ce texte est en effet très éloigné des réformes indispensables au redémarrage économique de notre pays. Ces réformes, qui ont été rappelées par François Fillon, sont connues : allégement des charges des entreprises, réforme du financement de la protection sociale, assouplissement des normes inutiles qui pèsent sur les entreprises et les collectivités locales, et réformes de structure de la puissance publique.

Le reproche nous a été fait quelquefois, la dernière il y a seulement quelques minutes, de ne pas avoir nous-mêmes, pendant la mandature précédente, engagé de telles réformes. Sans entrer dans un détail fastidieux, je souhaite tout de même rappeler ici très clairement que le pays ne serait pas dans la situation que nous connaissons si vous n’aviez pas supprimé d’un trait de plume la TVA sociale et la défiscalisation des heures supplémentaires, pour ne citer que ces deux dispositions.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Gilles Lurton. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce manque de réformes amples et nécessaires pour la France handicape d’une manière définitive votre projet de loi et n’autorise qu’au titre d’un signal faible, pour ne pas dire très faible, à l’intituler « projet de loi pour la croissance et l’activité ».

La deuxième difficulté est qu’il rompt avec la tradition de notre droit pour installer en ses lieu et place une conception très anglo-saxonne des activités à caractère libéral. Sous ce rapport, votre texte doit être lu non pas seulement à l’aune des réformes visant les professions réglementées, mais en lisant conjointement les articles portant sur ces professions et la perspective de réformes plus générales concernant les sociétés d’exercice libéral.

À terme, ces différentes dispositions auront plusieurs effets que nous considérons comme extrêmement néfastes pour notre société. Ainsi l’ouverture programmée du capital de l’ensemble des sociétés libérales à tous les types d’investisseurs européens, soit la possibilité pour n’importe qui, ou presque, de prendre des parts dans des sociétés aujourd’hui protégées, affaiblira indubitablement la sécurité juridique et l’accès à des services dont bénéficient aujourd’hui les Français.

M. Gérard Cherpion. C’est sûr !

M. Jean-Frédéric Poisson. On peut raisonnablement penser que la porte ainsi ouverte par votre loi aura pour effet de faire prévaloir, à la fin du compte, la logique dominante du contrat privé entre les parties sur l’articulation actuelle qui fait de la puissance publique, directement ou indirectement, un garant de ces contrats. Et si l’on observe par exemple le nombre très important ainsi que la complexité, la durée et le coût des contentieux liés aux cessions immobilières dans certains pays anglo-saxons, on ne voit pas comment les citoyens français pourraient tirer avantage des dispositions que vous envisagez. On voit en revanche très bien comment les investisseurs, eux, pourront en tirer un avantage certain !

M. Philippe Armand Martin. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. À ce sujet, il serait naïf de croire que les professions réglementées s’opposent à la réforme uniquement pour faire prévaloir leurs intérêts. Élu local, je constate chaque jour le sens du service dont ces professions sont animées afin de proposer aux Français des prestations et des conseils de qualité.

La troisième difficulté que présente le projet de loi, liée à la précédente, est qu’il soumet aux lois du marché des pans entiers de notre activité économique, en particulier ceux qui sont aujourd’hui protégés par une réglementation. À cet égard, le renforcement des prérogatives de l’Autorité de la concurrence est emblématique de l’entrée dans une logique de marché de services que la tradition française a préféré réglementer depuis parfois des siècles, non sans succès. Il laisse croire que l’on peut considérer sans conséquences particulières un acte notarié, un exploit d’huissier et demain sans doute la vente de médicaments comme des marchandises semblables à toutes les autres, ce qui n’est évidemment pas le cas en raison des impératifs de sécurité juridique et sanitaire inhérents à la vente de ces prestations et produits !

Mais le foisonnement de votre loi, monsieur le ministre, empêche de mener un débat en profondeur traitant de quelques-unes de ces questions essentielles : quels sont les biens et les services que la mondialisation de l’économie nous amènera à traiter autrement à l’avenir ? Pourquoi devrions-nous les traiter autrement ? Comment le renforcement des logiques de territoire, en particulier par le maintien des services à caractère public, peut-il fortifier la France dans les bagarres internationales qu’elle doit mener ? Comment articuler les réformes territoriales déraisonnables et incessantes de l’actuel gouvernement avec la nécessité de rendre les collectivités plus fortes et plus libres de leurs choix ? À quoi sert de conduire des réformes économiques si ce n’est entre autres pour créer une richesse suffisante afin d’alimenter les budgets d’investissement de ces mêmes collectivités ?

M. Philippe Armand Martin. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. Une loi sur la croissance et l’activité aurait dû être l’occasion d’un débat de fond sur toutes ces questions et bien d’autres portant essentiellement sur la prospérité de la France dans le contexte mondial et pas simplement du toilettage de quelques textes mal travaillés, mal écrits ou qu’on a omis de réformer. La réponse que vous formulez, monsieur le ministre, est malheureusement univoque. La solution consiste selon vous à engager la déréglementation partout où cela est possible, parfois même au détriment de notre exception française qui en définitive fonctionne et donc de la qualité de service et de la sécurité que nos concitoyens sont en droit d’attendre de la puissance publique, en particulier des professions judiciaires.

Et si je mets en relation tous les articles que je viens de mentionner avec le futur pacte transatlantique dont nous n’avons d’ailleurs pas de nouvelles de la part des instances européennes qui le négocient, j’en viens à penser qu’il y a là des potentialités d’ouverture de portes qui, loin de renforcer la France dans le concert mondial, l’affaibliront au contraire dans la compétition internationale à l’égard de nos amis – soit dit parfois entre guillemets – nord-américains.

M. Jean-Luc Laurent. Voilà qui se discute !

M. Jean-Frédéric Poisson. La quatrième difficulté, enfin, réside dans les déséquilibres que connaîtront nos territoires et dont ils n’ont clairement pas besoin. Tout d’abord, l’implantation des professions du droit connaîtra sans doute un phénomène de concentration tant capitalistique que géographique qui ne sera pas compensé par la dématérialisation des échanges et des actes.

M. Philippe Armand Martin. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ensuite, les dispositions relatives au travail dominical ménageant la possibilité d’ouvrir douze dimanches par an affaibliront considérablement de nombreux commerces de centre-ville dans les villes moyennes et les bourgs au profit des zones d’activités et des centres commerciaux. Elles ne règlent en outre aucune des difficultés sociales soulevées lors de l’examen de la loi du 10 août 2009 sur le travail dominical.

Certaines dispositions du projet de loi vont certes dans le bon sens et nous en avons d’ailleurs adopté quelques-unes avec la majorité lors des travaux en commission, soucieux que nous sommes de soutenir les réformes utiles pour les Français et pour nos territoires ! Nous les soutiendrons à nouveau au cours des débats, sous bénéfice d’inventaire bien sûr !

Pour autant, si pertinentes soient-elles, ces mesures dont l’impact sera à l’évidence très limité n’amèneront pas notre groupe à voter le projet de loi, à moins que le Gouvernement et la majorité n’adoptent au cours des échanges nos amendements reprenant les réformes structurelles que j’évoquais au début de mon intervention dont certaines ont été rappelées tout à l’heure par François Fillon. Tout en étant parfaitement conscient que l’époque est à trouver dans le camp d’en face des soutiens qui lui manqueraient dans le sien propre, tout en saluant la réelle volonté de dialogue dont font preuve M. le ministre et nos rapporteurs, je doute qu’ils cherchent à ce point un soutien. Nous entrons donc dans le débat avec la double intention déjà formulée lors des travaux en commission : travailler dans l’intérêt des Français, le cas échéant signaler les incohérences ou les difficultés de tel ou tel article, comme nous l’avons déjà fait, et ne pas mégoter notre soutien aux orientations favorables. Nous sommes toutefois sans illusion sur le terme de nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, vous présentiez en octobre dernier, monsieur le ministre, les grandes lignes de votre projet de loi pour la croissance et l’activité, censé selon vous soigner la France des trois principales maladies qui l’affectent : « la défiance », « la complexité » et « le corporatisme ». Le groupe UDI partage votre terrible constat. Depuis plus de deux ans, la confiance des Français s’est en effet largement détériorée, ce dont résulte un désagréable climat de défiance à l’égard de nos institutions, de notre classe politique tout entière et plus généralement de notre modèle social et économique.

Si la confiance est si difficile à retrouver, c’est certainement parce que notre pays fonctionne au ralenti depuis plusieurs années. En effet, le retour de la compétitivité tant espéré se fait encore et toujours attendre. Le Gouvernement peine à trouver des réponses à une crise qui n’a que trop duré et n’a jamais su prendre de véritables mesures d’envergure ambitieuses et visionnaires.

Or, comme nous n’avons cessé de le répéter au cours de ces trois années, seules des réformes structurelles permettront à la France de se relever et de retrouver son attractivité comme sa compétitivité. Nous n’avons cessé de répéter aussi que le groupe UDI est prêt à soutenir une telle démarche car l’intérêt de la France dépasse pour nous toute logique partisane. Force est de constater que vous n’avez pas su transformer l’essai, monsieur le ministre ! Les annonces du Gouvernement n’ont finalement trouvé ni le moyen ni la voie de se concrétiser. Lorsque vous parlez de complexité, par exemple, le groupe UDI ne peut que soutenir votre engagement pour une simplicité accrue à la fois pour les salariés, les entreprises et plus généralement tous les ménages français. Nous demeurons cependant perplexes face à une telle annonce. En effet, pouvez-vous dire en toute sincérité, monsieur le ministre, où est passé le fameux choc de simplification pourtant invoqué à tout bout de champ ?

Les Français ont besoin de mesures aux conséquences directes sur leur vie quotidienne, visibles et applicables dès maintenant, concrètes et compréhensibles par tous. Prenons par exemple la réforme du permis de conduire. Des millions de personnes attendent chaque année de décrocher le fameux papier rose. Le groupe UDI, par la voix de notre collègue Jean-Christophe Fromantin, proposera des mesures de simplification objectives. Nous vous demandons donc d’opter pour l’esprit qui nous anime consistant à dépasser enfin les clivages politiques en montrant que vous voulez l’adoption de mesures fortes changeant réellement la vie des Français.

Vous parlez de « corporatisme » et les membres du groupe UDI ont conscience que certains verrous empêchent la France de gagner en compétitivité et donc de jouer à armes égales avec ses voisins européens. Mais pensez-vous réellement, là encore, apporter les bonnes réponses dans le texte ? Pensez-vous qu’en pointant du doigt quelques professions la France se libérera réellement de ce que vous appelez son « corporatisme » ?

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, le groupe UDI approuve le tableau que vous avez esquissé d’une France qui souffre mais cherche à s’en sortir. En revanche, le groupe UDI n’approuve pas les moyens que vous mettez en œuvre pour remettre notre pays sur la bonne voie. Annoncé comme l’un des textes les plus importants du quinquennat, votre projet de loi peine en effet à convaincre. Un texte pour la croissance, l’activité et maintenant l’égalité des chances économiques aurait dû se montrer bien plus ambitieux face aux enjeux cruciaux auxquels sont confrontés quotidiennement les Français. Nous aurions aimé débattre de mesures concrètes mais surtout durables afin d’assurer l’avenir de notre pays et de nos compatriotes. À défaut, nous devons examiner un texte plutôt timide.

Pour autant, si nous ne pensons pas que le texte résoudra les principaux maux qui gangrènent notre pays, nous lui reconnaissons tout de même le mérite de proposer des pistes qui ne peuvent qu’alimenter notre réflexion. À nous de vous convaincre de le faire évoluer dans la bonne direction !

Par exemple, la partie portant sur la mobilité soulève des questions intéressantes. Le groupe UDI ne peut que se réjouir du renforcement des pouvoirs de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires qui voit son champ de compétences élargi aux secteurs routier et autoroutier. La création d’une grande entité de régulation du transport terrestre est en effet absolument primordiale à nos yeux. Les mesures prévues par le texte, que nous avons d’ailleurs su faire évoluer dans le bon sens, sont un premier pas non négligeable vers une haute autorité de régulation qui jouera assurément un rôle dans le renforcement de la compétitivité de nos transports.

Quant à la libéralisation du secteur des autocars, nous avouons ne pas vraiment comprendre l’engouement que suscite une mesure qui, selon nous, ne changera pas la face de notre pays. Si vous voulez réellement proposer des mesures libérant l’activité, monsieur le ministre, renforcez par exemple la compétitivité de notre rail régional et laissez enfin aux régions le choix des opérateurs, ce qui aura un impact à la fois sur la fréquentation du ferroviaire mais aussi sur les coûts du train au kilomètre ! Le groupe UDI est en effet persuadé que le transport ferroviaire, à la fois plus écologique et plus compétitif, doit être préféré aux autres modes de transport.

À propos des professions réglementées, nous déplorons les divers effets d’annonce dont a malheureusement abusé le Gouvernement au cours des derniers mois, laissant de nombreuses professions dans l’inquiétude la plus complète. Que de chemin parcouru entre la sortie du rapport de l’Inspection générale des finances qui avait mis le feu aux poudres, les propos déplacés de votre prédécesseur sur les prétendus « rentiers » et autres « conformistes » et le texte que nous étudions aujourd’hui !

Le groupe UDI n’a pas caché dès le début de l’examen du texte en commission son incompréhension face à cette partie du projet de loi. Tout d’abord, les professions réglementées juridiques étant seules concernées par la réforme, il nous semble utile que le sujet soit traité par Mme la garde des Sceaux, mieux à même de mener une réforme si importante. Malgré ce point de rupture, le groupe UDI n’est absolument pas hostile à une évolution des professions réglementées juridiques, bien au contraire ! Nous faisons preuve là comme ailleurs d’un esprit constructif afin de les aider à avancer dans le bon sens. Il importe de rappeler que tous les professionnels concernés par le texte n’ont à aucun moment rejeté l’idée de faire évoluer leur métier vers un pragmatisme et une modernité accrus.

Le groupe UDI ne peut que se réjouir des maigres avancées obtenues lors des travaux en commission spéciale, en particulier la consultation des ordres professionnels au sujet des tarifs mais aussi de l’élaboration de la carte. Citons aussi le principe de révision quinquennale des tarifs ou encore la suppression du dispositif d’habilitation des clercs assermentés.

Pour autant, il reste de véritables points de fracture sur lesquels nous souhaitons qu’un véritable débat soit mené en séance. Il faudra ainsi clarifier le rôle de l’Autorité de la concurrence comme la mise en œuvre du « corridor tarifaire » qui, même modifié en commission, n’est pas acceptable pour les professions. Allant à l’encontre même de la notion de service public, il risque d’engendrer une importante hausse des tarifs qui sera directement supportée par le client. Enfin, l’article relatif à la « libre installation encadrée » est particulièrement flou. Si l’idée de limiter les nominations aux zones qui en ont particulièrement besoin est une bonne chose, l’application du dispositif nous laisse songeurs.

En effet, dans les zones dites « en carence », le ministre en charge de la justice ne pourra refuser une demande de création d’office. Mais comment la sélection s’opérera-t-elle si plusieurs demandes sont formulées ? La mise en place d’un concours serait bien plus équitable et respecterait le principe même de mérite qui anime ces professions. Quant au système d’indemnisation, véritable usine à gaz, il nous est difficile de comprendre sa pertinence et son utilité.

Je laisserai à mes collègues Jean-Christophe Fromantin et Francis Vercamer le soin de détailler nos positions sur les titres relatifs à l’investissement et au droit du travail qui font l’objet de deux parties à propos desquelles le groupe UDI s’est une nouvelle fois montré force de propositions. Convaincu en effet que la France a besoin, pour sortir de la crise, d’un véritable choc de compétitivité massif et immédiat, nous défendrons la suppression de la durée minimale de travail de vingt-quatre heures par semaine ou encore l’évolution des seuils sociaux.

Nous pensons également que le dialogue social doit être davantage renforcé en l’absence d’une véritable réforme structurelle du temps et de l’organisation du travail que nous ne pouvons que déplorer.

Pour conclure, le groupe UDI n’est absolument pas hostile à un texte dont l’objectif premier est de libérer la croissance et l’activité de notre pays. Conformément à l’esprit qui nous a animés au cours de l’examen du texte en commission spéciale, nous proposerons de nombreux amendements qui nous semblent indispensables afin de faire évoluer le texte dans une voie à la fois plus ambitieuse et surtout plus applicable à la réalité de notre pays. Nous lions donc notre vote aux avancées qui seront obtenues lors de l’examen du projet de loi en séance publique.

M. Yves Jégo. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs thématiques, chers collègues, depuis 2008, la France traverse une crise économique et sociale grave. Depuis plus de quinze ans, hormis quelques petites embellies passagères, la France connaît globalement une croissance potentielle en berne et une situation de l’emploi délétère, en dépit des réformes qui se sont succédé pour répondre à ces défis.

Pourtant, la croissance et le plein-emploi doivent être nos préoccupations constantes. Ce sont des questions majeures, car elles en contiennent et conditionnent beaucoup d’autres. Depuis 2012, le Gouvernement et sa majorité s’attellent à cette tâche. La France a connu une importante réforme de la fiscalité, avec des mesures d’économies structurelles sans précédent dans les dépenses publiques, et un allégement massif de cotisations sociales au moyen du CICE, dont nous regrettons toutefois et toujours le caractère non-sélectif.

Notre tissu industriel est en phase de reprise après une longue convalescence et les effets positifs des actions mises en œuvre depuis 2012 commencent à se faire sentir. D’ailleurs, la progression de l’attractivité de la France se confirme mois après mois.

Pourtant, nous peinons à concrétiser ces progrès et de grands chantiers sont encore devant nous pour relancer la croissance et améliorer la situation de l’emploi.

Aujourd’hui, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sur lequel le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois, arrive dans notre hémicycle pour quinze jours d’examen. Il engage de nombreuses réformes structurelles, sur une palette de sujets très large, et vise à consolider notre stratégie économique.

Tordons le cou immédiatement à une critique récurrente faisant de ce texte un projet de loi « fourre-tout ». S’il contient effectivement des mesures éparpillées, c’est tout simplement parce que l’économie est elle-même très diverse. Nous devons aller chercher de la croissance potentielle partout où nous pouvons. Nous devons réduire les poches d’inefficacité et d’iniquité économiques partout où elles se trouvent pour améliorer la régulation économique, soutenir la demande et renforcer la confiance.

Renforcer notre économie, c’est d’abord encourager nos entrepreneurs, encourager le risque et limiter les rentes liées à des monopoles. Il existe des situations dans notre économie où le consommateur, ou une partie à un contrat, peut se trouver captif, subir une relation complètement asymétrique ou être confronté à un blocage dû à des engagements trop rigides ou insuffisamment respectés. Il s’agit donc d’améliorer le fonctionnement du marché et la régulation économique pour réduire les inégalités, limiter les pratiques inéquitables, libérer l’activité et lever les entraves à l’initiative. En poussant les acteurs économiques à se différencier, nous les incitons à innover et à améliorer la qualité de leur offre, et, in fine, nous les encourageons à développer leur compétitivité. Une multitude de sujets microéconomiques sont donc concernés, qui ont une influence macroéconomique majeure.

À l’instar de l’action de groupe, toujours promise de 2002 à 2012 mais jamais instaurée avant le changement de majorité en 2012, le projet de loi que nous allons examiner contient de très nombreuses mesures de modernisation de l’économie qui n’avaient jamais été mises en œuvre jusqu’à présent, en dépit des promesses et de velléités diverses. Il vise à promouvoir l’« égalité des chances économiques », expression inscrite dans son titre depuis son examen en commission, à la faveur d’un amendement de notre rapporteur général, et a pour objet de dynamiser la mobilité sociale, notamment celle des jeunes.

Je citerai un exemple des mesures à forte valeur symbolique de ce projet de loi ayant pour objet la relance de l’activité et de l’initiative privée et qui ont connu un retentissement médiatique particulier : je veux parler de la possibilité offerte de recourir au transport par autocar, notamment sur des lignes où le transport ferroviaire n’est aujourd’hui pas satisfaisant. Les services réguliers de transport collectif sont pour l’instant organisés par les pouvoirs publics et exécutés par des entreprises disposant d’une licence de transport intérieur. Seuls les transports internationaux peuvent être librement assurés par des autocaristes privés, sous réserve de plusieurs contraintes, s’agissant du cabotage. Nous connaissions donc une situation paradoxale en Europe.

Les articles 2 et 3 du projet de loi permettent l’initiative privée pour l’organisation de lignes de transports collectifs réguliers non urbains par autocar. Nous sommes très favorables à cette ouverture, d’autant que la régulation sera effectuée par une institution en qui nous avons une confiance forte, l’ARAF, renommée dans le même mouvement « ARAFER » – Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – pour intégrer le domaine routier. Cela permettra incontestablement de proposer une nouvelle offre aux voyageurs intéressés par un transport au coût plus faible, et en particulier aux plus défavorisés d’entre eux. De plus, en se substituant à la voiture individuelle sur les liaisons les moins bien desservies, ce mode de transport contribuera à l’amélioration du bilan carbone global. Cette mesure, longtemps restée dans les cartons, concerne 5 millions de passagers potentiels par an et redonnera 800 millions d’euros de pouvoir d’achat aux Français.

Quant à la crainte d’une concurrence des transports express régionaux par l’autocar, les exemples étrangers nous prouvent qu’elle est largement infondée dès lors que l’opérateur historique fonctionne normalement. À cet égard, l’ARAFER se voit dotée de pouvoir nouveaux afin de garantir une protection de l’équilibre économique des services publics de transport.

Autre point du texte important pour nos jeunes : les différentes mesures visant à désengorger l’examen du permis de conduire et à en réduire le coût. En effet, nous savons à quel point l’absence de permis est un frein à l’emploi des jeunes. La situation est aujourd’hui devenue insoutenable dans de très nombreuses zones en tension et nous avons le devoir de mener une réforme d’ampleur pour donner à nos jeunes toutes les chances d’améliorer leur employabilité.

Aujourd’hui, l’organisation des épreuves du permis de conduire est assurée par les préfectures et la fonction d’examinateur est remplie par les inspecteurs du permis de conduire. L’article 9 du projet de loi dispose que l’organisation de certaines épreuves du permis pourra également être assurée par des organismes agréés. Ce dispositif réduira les délais de présentation de l’épreuve pratique sans aucun impact sur la sécurité routière, ce dont nous nous félicitons. Rappelons que les périodes d’attente peuvent s’élever jusqu’à cinq mois en Île-de-France, ce qui augmente considérablement le coût du permis. Le projet de loi contribue ainsi, avec cette mesure, au rétablissement de l’égalité des chances économiques.

Ensuite, le projet de loi comporte une grande réforme à laquelle il est d’ailleurs souvent réduit : la liberté d’installation régulée de plusieurs professions réglementées du droit. Cette réforme a été largement commentée et critiquée. Elle a suscité des craintes et des espoirs, notamment s’agissant de nouvelles possibilités offertes aux jeunes diplômés. Monsieur le ministre, vous le savez, les députés sont attachés à la présence de professionnels du droit de proximité, y compris dans les territoires ruraux et montagnards. Des questions se posent clairement à ce sujet, auxquelles des réponses ont certes été apportées en commission, mais qui appellent des dispositions supplémentaires afin de sécuriser cette proximité et de répondre aux angoisses légitimes des professionnels concernés. Il est vrai que cette réforme fait bouger des lignes auxquelles on n’avait parfois pas touché depuis plus de 200 ans.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, le « corridor » tarifaire prévu pour les notaires pose quelques problèmes. Le schéma qui résulte des amendements adoptés en commission est complexe et sans doute pas très satisfaisant. Il faudra certainement y revenir, quitte à supprimer le corridor lui-même.

Plus généralement, le projet de loi modernise l’encadrement juridique de ces professions, afin de leur donner plus de souffle et de les adapter aux évolutions démographiques. Nous serons vigilants pour que la composante territoriale ne soit pas oubliée.

Autre réforme emblématique, le travail le dimanche n’a laissé personne indifférent et a suscité des commentaires parfois acerbes et injustes. Monsieur le ministre, vous le savez, si de très nombreuses cultures ont consacré un jour de repos commun dans la semaine, peut-être n’est-ce pas anodin sur le plan anthropologique. Dans le projet de loi, la règle du repos dominical est réaffirmée, tout en étant assouplie. Le texte propose en effet de créer de l’activité grâce à la mise en place de zones touristiques internationales et rend plus souvent possible, là où cela peut s’avérer utile, l’ouverture de commerces le dimanche.

Dans ce cadre, nous croyons à la nécessité de donner plus de droits aux salariés concernés par le travail dominical. Nous devons par exemple renforcer la garantie du volontariat et la majoration salariale. Le projet de loi rend nécessaires des accords collectifs, ce qui constitue indéniablement une avancée sociale considérable. Nous saluons le principe : « pas d’accord, pas d’ouverture », ainsi que l’inscription dans la loi de celui de la contrepartie. Soyons honnêtes, toutefois : cette avancée sociale n’est pas révolutionnaire puisqu’elle nous permet simplement d’être en conformité avec les conventions de l’Organisation internationale du travail, que la France a signées depuis longtemps.

Pour sécuriser la situation des salariés, le présent texte propose de créer un véritable statut du défenseur syndical et de lutter contre la prestation de service internationale illégale. Il rénove aussi la participation des salariés, garantie de leur implication dans la croissance et le destin de leur entreprise. L’élargissement de l’épargne salariale était un chantier nécessaire et complexe ; nous saluons votre audace en la matière, votre volonté de mettre à plat cette question afin de lui apporter des réponses concrètes.

J’en viens à présent au chantier transversal du texte : je veux parler de la simplification et de la modernisation des législations et réglementations en vigueur. Plusieurs questions particulières devaient être réglées. Nous saluons l’effort globalement entrepris, qui va faciliter l’activité de l’ensemble des acteurs économiques en maintenant un certain niveau de protection juridique et environnementale.

Tout au long des travaux portant sur l’examen du projet de loi en commission, les députés du groupe RRDP membres de la commission spéciale, à savoir mon collègue Alain Tourret, par ailleurs rapporteur thématique – dont je salue ici la quantité et la qualité du travail qu’il a mené sur le sujet important de la continuité de la vie des entreprises –, ainsi que votre serviteur, ont proposé de nombreux amendements. Si toutes nos propositions n’ont pas obtenu satisfaction, nous avons eu la joie de constater que nous avons su convaincre le Gouvernement et la majorité de nos collègues sur plusieurs points significatifs.

De manière générale, nous tenons à saluer l’immense travail effectué en commission. Le texte a été nettement enrichi et de nombreux progrès sont désormais inscrits dans le texte, qui est passé de 106 à plus de 200 articles. Certes, nous avons encore des points de désaccord, et vous pouvez compter sur notre énergie pour tenter de vous convaincre, au cours des quinze jours d’examen qui nous attendent, d’adopter les amendements que nous avons déposés.

Avec probablement l’immense majorité des députés qui ont participé aux travaux, nous nous félicitons de l’endurance et du savoir-faire dont notre président a su faire preuve lors de la conduite des débats – ce qui n’est pas une surprise –, de même que nous saluons la capacité d’endurance et le sens de l’écoute et du respect des parlementaires qui ont caractérisé notre ministre de l’économie.

Je suis particulièrement attaché aux amendements concernant les volets transports et mobilité : le rôle de l’ARAFER, le régulateur des transports, a ainsi été utilement renforcé et modernisé s’agissant des règles applicables aux gares routières, notamment en termes d’accessibilité, de sécurité et d’intermodalité avec les « transports doux » et concernant le stationnement des vélos. Autre avancée notable : un avis de l’ARAFER est rendu obligatoire pour les concessions d’autoroutes et notamment sur la tarification des péages.

Toutefois, sur le volet « transports » comme sur d’autres points, nous pouvons aller plus loin. Nous vous proposerons d’avancer sur le sujet de l’open data, afin de favoriser le développement de services d’information des usagers. Nous vous proposerons également de continuer à renforcer le régulateur : nous ne pouvons pas, en effet, accroître la concurrence sans consolider le rôle et les compétences de ce dernier. Nous tenterons de vous convaincre de l’utilité de notre amendement visant, dans la prolongation des initiatives du Gouvernement, à rendre le service des trains d’équilibre du territoire compétitif face à la concurrence, en adaptant la législation française au règlement européen dit d’« obligation de service public ». Nous tenons aussi aux amendements prévoyant une analyse fine des risques d’interruption de l’exploitation d’une ligne par une entreprise ferroviaire en raison de la concurrence exercée par une autre entreprise intervenant dans le secteur non urbain de transport routier de personnes. Enfin, concernant les autoroutes, nous voulons que l’ARAFER puisse rendre un avis non seulement sur les projets de révision des formules tarifaires mais également sur les projets d’allongement de la durée de la concession ou sur la durée de la convention de délégation. Nous souhaitons aussi ajuster le dispositif envisagé pour le contrôle des marchés des concessionnaires d’autoroutes en tirant au mieux parti des procédures déjà mises en place.

De manière plus générale, pour améliorer la rédaction des amendements en vue de leur examen en séance publique, nous avons travaillé en concertation avec les collaborateurs des cabinets ministériels concernés dans un état d’esprit marqué par une confiance réciproque. C’est assez rare pour être souligné, et je profite d’ailleurs de cette tribune pour les en remercier chaleureusement. Je forme le vœu qu’une telle qualité dans les relations soit plus fréquemment observée dans les autres cabinets.

Ces amendements porteront notamment sur la liberté de choix en matière de cautionnement bancaire pour les prêts immobiliers, à l’instar de ce qui est prévu pour l’assurance emprunteur depuis la loi Lagarde. Ils porteront aussi sur l’accompagnement des particuliers par les associations de consommateurs dans le cadre de contentieux, afin de garantir l’effectivité des droits de ceux qui subissent un préjudice, ou encore sur l’effectivité de l’action en suppression des clauses abusives et la fin de la limitation du cadre de l’action préventive.

En définitive, monsieur le ministre, les députés du groupe RRDP soutiennent dans leur grande majorité la plupart des mesures contenues dans le projet de loi. Avec mon groupe, nous avons déposé 130 amendements pour améliorer le texte. Sachez que nous tenons particulièrement à ceux d’entre eux qui visent à fixer un plancher de majoration salariale et à renforcer la garantie du volontariat pour le travail dominical. Je suis pour ma part attaché – vous le savez – aux amendements portant sur les volets relatifs aux transports, à la consommation et aux travailleurs saisonniers.

À l’heure où nous sommes saturés d’historicité, il convient de ne pas tomber dans la facilité. Il serait ainsi probablement outrecuidant de prétendre que le projet de loi « croissance, activité et égalité des chances économiques » constituera une étape historique. Pourtant, il marque sans aucun doute un moment important de cette législature, et nous ne doutons pas qu’il sera fécond et engagera notre pays dans la bonne direction économique.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique et M. Richard Ferrand, rapporteur général. Très bien !

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly