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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 03 février 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Lutte contre le chômage

M. Laurent Marcangeli

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Réorientation de la politique européenne

Mme Annick Lepetit

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Banque des Antilles françaises

M. Ary Chalus

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Réorientation de la politique européenne

M. Jean-Jacques Candelier

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Politique du logement

M. Yves Jégo

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Assouplissement du temps de travail

Mme Virginie Duby-Muller

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Cyberdéfense

M. Gwendal Rouillard

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

LGV Poitiers-Limoges

Mme Véronique Massonneau

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Dialogue social

Mme Arlette Grosskost

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Politique de l’emploi

M. Franck Reynier

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Politique du logement

M. Michel Terrot

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité

Projet de loi pour la croissance et l’activité

M. Hervé Pellois

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Réforme de la justice des mineurs

M. Nicolas Dupont-Aignan

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Difficultés financières de certains hôpitaux

M. Jean-Pierre Door

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Lutte contre Boko Haram

M. Philippe Baumel

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Projet de Center Parcs à Roybon

M. Jean-Pierre Barbier

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

2. Croissance, activité et égalité des chances économiques

Discussion des articles (suite)

Rappel au règlement

M. Jean-Frédéric Poisson

Article 13 (suite)

Amendements nos 391 , 541 , 962

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale

Amendements nos 201 , 272 , 392 , 538 , 1366 , 2000 , 2845 , 334 , 393 , 1860 , 335 , 394 , 1861 , 2485 , 725, 1188 , 265 , 1793 , 2486 , 1003 , 2033 , 395 , 1862

Suspension et reprise de la séance

Rappel au règlement

M. Jean-Frédéric Poisson

Article 13 (suite)

Amendements nos 540 , 1841 , 2487 , 2716 , 202 , 3104 , 2036 , 2913 , 274 , 742 , 1640 , 1999 , 2488 , 273 , 741 , 1203 , 1367 , 1639

Après l’article 13

Amendements nos 314 , 2273 , 317 , 318 , 266 , 743 , 1327 , 315 , 316

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. Laurent Marcangeli, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Laurent Marcangeli. Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous parler de la première préoccupation du peuple français, celle qui devrait être la nôtre, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons : l’emploi !

Je vous rappelle les chiffres, ils sont terribles : plus de 8 000 chômeurs supplémentaires en décembre, soit près de 190 000 de plus en 2014, après 175 000 en 2013.

On dénombre 572 000 chômeurs de plus qu’au début du quinquennat, près de 5,5 millions de demandeurs d’emploi toutes catégories confondues. Force est de constater qu’on est bien loin de l’inversion de la courbe !

Pourtant, monsieur le Premier ministre, en ce moment même chez nos voisins, en Italie par exemple, le taux de chômage a baissé de 0,4 %, soit 109 000 chômeurs de moins en un mois. En Espagne, le chômage baisse pour la deuxième année consécutive.

Et ces bonnes nouvelles s’inscrivent dans un contexte d’amélioration générale dans la zone euro puisque, d’après Eurostat, le chômage a reculé de 0,4 % sur un an avec près de 700 000 chômeurs de moins.

Pourquoi notre pays va-t-il à rebours ? L’Italie vient de mettre en œuvre une réforme visant à assouplir le marché du travail, pourquoi pas nous ? Monsieur le Premier ministre, ne croyez-vous pas qu’il est temps de mettre en œuvre des réformes en France afin d’agir efficacement dans la lutte contre le chômage ?

Malgré la création des emplois d’avenir et des contrats de génération, le chômage a continué d’augmenter et atteint des records. N’est-il pas temps de réformer le contrat de travail pour qu’il soit plus souple et plus protecteur tant pour les employeurs que pour les salariés ?

N’est-il pas temps de revoir les seuils sociaux, de modifier les règles d’assurance chômage, de parler enfin du temps de travail et des 35 heures ? N’est-il pas temps de parler véritablement du chômage dans ce pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député Marcangeli, j’ai eu l’occasion la semaine dernière de répondre sur ce sujet, mais je le fais bien volontiers à nouveau. Oui, les chiffres du chômage pour le mois de décembre ne sont pas bons. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Oui, l’année 2014 s’est soldée par une augmentation du nombre de chômeurs de près de 190 000.

M. Charles de La Verpillière. Bravo !

M. François Rebsamen, ministre. Cela est vrai, mais mérite une réflexion. J’avais suggéré que nous l’ayons ensemble. Depuis maintenant six ans, le chômage augmente régulièrement tous les ans.

M. Dominique Dord. Eh oui !

M. François Rebsamen, ministre. Je ne citerai pas le taux d’augmentation du chômage pendant la période 2008-2012, parce que le résultat n’est pas plus glorieux.

M. Christian Jacob. Il était moins important.

M. François Rebsamen, ministre. Pour face à une telle situation, le Gouvernement ne baisse pas les bras. Il a mis en place des dispositifs, notamment en direction des jeunes avec les emplois d’avenir : près de 100 000 jeunes ont ainsi été mis en situation d’emploi. Que se serait-il passé si nous n’avions pas créé ce dispositif ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Rien !

M. François Rebsamen, ministre. Et puis, il y a le pacte de responsabilité et de solidarité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Oui, mesdames, messieurs les députés, onze branches ont signé des accords sur lesquels nous pouvons compter en matière de formation, d’apprentissage, d’investissement, pour les jeunes et l’emploi. (« Bla, bla, bla ! » sur les bancs du groupe UMP.)

C’est ainsi que, dès l’année prochaine, plus de 3 500 emplois seront par exemple créés dans la restauration rapide. Ce pacte et les nouvelles conditions économiques sont de nature à apporter les réponses nécessaires attendues par l’ensemble de la communauté nationale.

Réorientation de la politique européenne

M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Annick Lepetit. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, alors que l’économie mondiale est soumise à de fortes turbulences, la régulation à laquelle notre majorité est attachée reste plus que jamais indispensable.

Inlassablement, le Président de la République défend sur la scène européenne et sur la scène internationale, le principe de nouvelles régulations. Son objectif est le même depuis 2012 : faire reculer les logiques de l’austérité qui nuisent aux intérêts des peuples.

Cette ambition et ce volontarisme correspondent pleinement à ce que les Français attendent des responsables politiques. C’est ainsi que la France avait combattu l’idée d’une sortie de la Grèce de la zone euro, option qui avait les faveurs de l’Allemagne.

C’est ainsi que la France a porté l’idée d’une union bancaire qui protège contre les dérives de la finance. C’est ainsi que la France a obtenu une sortie du carcan de l’orthodoxie monétaire. Baisse historique des taux d’intérêt, baisse de l’euro face au dollar, programme de rachat de titres publics : la croissance et l’emploi sont enfin au cœur de la politique de la Banque centrale européenne.

C’est ainsi que la France a défendu l’idée d’un plan de 315 milliards d’euros dans les États de l’Union pour favoriser l’investissement, les infrastructures, l’écologie et le numérique.

Alors que le dossier de la dette grecque mobilise les attentions, alors que le Président de la République recevra demain le nouveau Premier ministre grec, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment la France va continuer à entraîner l’Europe vers plus de croissance et plus d’emploi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la députée, ce dont la France, l’Europe, chaque pays européen ont besoin aujourd’hui, c’est plus de croissance pour plus d’emploi. (« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Ce n’est pas une question propre à tel ou tel pays, c’est une question pour l’ensemble de l’Union européenne, et tout particulièrement pour l’ensemble de la zone euro qui, depuis plusieurs années, année après année, connaît une croissance trop faible, un chômage trop élevé. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)



C’est le combat qui nous a, les uns, les autres, rassemblés et qui a permis à la France, vous l’avez dit, de montrer le chemin et d’entraîner autour d’elle pour aller vers une réorientation progressive de la politique européenne.

M. Pierre Lellouche. Quel talent !

M. Michel Sapin, ministre. De la croissance en plus, c’est une politique monétaire adaptée à la situation. C’est ce qu’a fait la Banque centrale européenne. Aujourd’hui, le niveau de l’euro est beaucoup plus en adéquation avec la valeur raisonnable de cette monnaie par rapport aux autres monnaies du monde.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont extrêmement faibles en Europe de manière générale et tout particulièrement en France, ce qui est le signe de la confiance des investisseurs.

Aujourd’hui, nous soutenons, mais il faut aller plus vite et plus fort, un plan d’investissement qui permette de relancer l’activité tout en modernisant en profondeur l’ensemble de notre économie et de nos territoires.

Madame la députée, nous voulons que la Grèce reste dans l’Europe et la zone euro, car sa place est dans l’euro ; c’est qui est le meilleur moyen pour la Grèce de faire face à ses difficultés et pour l’Europe de progresser. Ce dont la Grèce a besoin, c’est d’une croissance supplémentaire. Elle a perdu 25 % de sa richesse en l’espace de quelques années.

On comprend qu’une telle situation soit insupportable pour le peuple grec comme pour l’économie. Telle est la direction dans laquelle nous nous orientons avec tous les Européens pour qu’il y ait plus de croissance, plus d’investissement, plus d’emploi et afin que chacun trouve une place sereine au sein d’une Europe en marche. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Banque des Antilles françaises

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Ary Chalus. Monsieur le ministre des finances, la Banque des Antilles françaises – la BDAF –, héritière des banques d’émission des territoires des Antilles françaises fondées en 1853, est née de la fusion des activités bancaires de dépôt et de crédit de la Banque de la Guadeloupe et de la Martinique en 1967. Dès lors, et dans le prolongement de sa tradition de banque des entreprises et des particuliers, comme naguère pour l’économie sucrière et l’activité de négoce, elle joue un rôle essentiel dans le financement de l’économie des Antilles, et récemment à la Guyane, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

La BDAF, plus ancienne institution financière de nos territoires, est à ce titre la mère de beaucoup d’entreprises guadeloupéennes et martiniquaises. Plus qu’une banque, c’est une icône vielle de 161 ans. D’ailleurs, le secteur bancaire souffre d’une image qui épargne la BDAF en raison de son antériorité. De par sa proximité et sa bonne connaissance d’un marché qu’elle a contribué à faire émerger et dont elle accompagne les évolutions, la BDAF est devenue un acteur indiscutable du paysage financier des Amériques françaises par la qualité des services qu’elle offre à sa clientèle.

La viabilité et la pérennité de l’unique réseau bancaire ancré dans nos territoires sont incontestablement un atout pour une économie trop souvent en panne de financement, à cause de la rareté d’une offre de crédits adaptés à ses besoins. Ce rôle ne saurait être dévolu à la seule Banque publique d’investissement, la BPI, tout juste installée dans nos îles.

La cession de la BDAF à la Caisse d’épargne de Provence-Alpes-Corse – la CEPAC – dans le cadre d’une fusion-acquisition laisse planer de véritables inquiétudes sur le devenir même de cette institution, qui risque de perdre son autonomie, et menace fortement 350 emplois qui permettent de faire vivre sur place de nombreuses familles.

Monsieur le ministre, eu égard à ces incidences économiques, sociales et culturelles, quelles sont les dispositions que vous pensez arrêter pour le maintien de cet outil de financement des entreprises, des ménages et de l’économie de ces territoires, singulièrement de la Guadeloupe ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

Un député du groupe UMP. Et du chômage !

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député Chalus, vous appelez à juste titre mon attention sur le devenir de la Banque des Antilles françaises, dont on connaît l’histoire et l’importance pour l’économie de l’ensemble des Antilles, et pour laquelle on connaît votre intérêt raisonné et raisonnable.

Comme vous le savez, un projet de fusion-absorption de la Banque des Antilles françaises par la Caisse d’épargne Provence-Alpes-Corse est en cours et des initiatives sont à prendre pour sauvegarder l’emploi et l’identité même de la de la BDAF.

Je voudrais d’abord noter que cette opération s’inscrit dans une reconfiguration générale du paysage bancaire local, qui va dans le sens du regroupement des acteurs et de leur consolidation, pour leur permettre de faire face en particulier à de nouvelles règles en matière de sécurisation du système bancaire et de l’ensemble de ceux qui leur font confiance et déposent leur argent dans ces banques.

Il y a donc quelque chose de positif dans ce rapprochement entre la BDAF et une autre banque, à condition bien entendu que le groupe BPCE, qui m’a informé de ses intentions, s’engage, comme il l’a fait, à ce qu’à l’issue de ces opérations soient constitués des groupes de travail associant les représentants de la direction et du personnel et permettant d’analyser les dimensions de ce projet en termes économiques et en termes d’emploi et d’organisation. La préservation de l’emploi et de l’identité de la BDAF sont bien entendu au cœur des travaux qui devront être menés par ces groupes.

Nous serons nous-mêmes très attentifs au déroulement de ce travail pour faire en sorte que cette opération soit positive pour les Antilles et ne se traduise pas par un amoindrissement de leurs capacités économiques.

M. Ary Chalus et M. Paul Giacobbi. Très bien !

Réorientation de la politique européenne

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le Premier ministre, la semaine dernière, notre groupe vous a interpellé sur la nécessité d’une alternative à l’austérité en France et en Europe. Au-delà de quelques considérations sur la victoire de la gauche antilibérale en Grèce, vous n’avez pas répondu sur le fond.

Pourtant, l’alternative à l’austérité prend de plus en plus d’ampleur en Europe. Samedi, en Espagne, le parti Podemos a réuni une foule considérable au nom d’une autre Europe et d’une autre politique.

L’avènement de tels mouvements est la réponse des peuples aux humiliations et aux injustices imposées par l’Europe des marchés. Il porte l’espoir d’une réorientation fondamentale de la construction européenne.

Les partis et gouvernements de gauche, partout en Europe, font face à une responsabilité historique : celle de changer le cap de la construction européenne en amorçant une politique ambitieuse de relance et en desserrant l’étau budgétaire.

Ce week-end, le ministre des finances grec a rencontré son homologue français et lui a rappelé que « tout ceci n’est pas qu’une crise grecque. Nous avons l’Italie dont la dette n’est pas viable, la France qui sent le souffle de la déflation sur sa nuque, même l’Allemagne est entrée en déflation ». Ce que le ministre grec conteste, c’est « le programme d’austérité mené jusqu’ici non seulement parce qu’il n’est pas bon pour la Grèce, mais parce qu’il est très mauvais pour toute l’Europe ».

La création d’un fonds européen solidaire de développement économique, social et environnemental pour répondre aux besoins sociaux est indispensable.

Face à cette responsabilité historique de la gauche en Europe, ma question est simple : allez-vous vous contenter de vous poser en arbitre entre l’intransigeance d’Angela Merkel et les mouvements de solidarité qui prennent de l’ampleur dans le Sud de l’Europe, ou allez-vous saisir l’opportunité de construire une autre Europe en soutenant publiquement la démarche du gouvernement grec ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

Un député du groupe UMP. Et du chômage !

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député Candelier, en Europe, la France n’est pas arbitre, mais acteur, en particulier pour faire en sorte que la nouvelle majorité grecque, le nouveau gouvernement que le peuple grec s’est donné majoritairement, trouve totalement et complètement sa place en Europe.

M. Pierre Lellouche. Vous êtes ridicule, monsieur Sapin !

M. Michel Sapin, ministre. Je ne suis pas quelqu’un qui commente, mais quelqu’un qui agit. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est ce que j’ai fait lorsque, dimanche dernier, à sa demande, j’ai rencontré le ministre grec des finances, qui a souhaité que nous travaillions ensemble. (Mêmes mouvements.) Pendant plus de deux heures, nous avons travaillé précisément sur la situation en Grèce et sur la capacité pour la Grèce de renouer, d’une manière générale, un dialogue nécessaire et confiant avec l’Europe, dont elle est une composante historique fondamentale.

Avec le ministre grec, nous avons travaillé pour savoir comment rompre avec certaines images qui ont eu des conséquences très négatives pour la Grèce. Quand le Premier ministre grec dit que « la troïka, c’est fini », je peux parfaitement le comprendre, mais en même temps, je lui dis que ses interlocuteurs – nos interlocuteurs – sont la Banque centrale européenne, dont la Grèce a évidemment besoin, l’Union européenne, dont la Grèce est une composante, et même le Fonds monétaire international, à propos duquel le ministre grec a du reste rappelé à juste titre que son pays était présent à Bretton-Woods lors de la création de cette institution.

Il y a des interlocuteurs avec lesquels la Grèce doit débattre et discuter. J’ai dit que je souhaitais que la France soit le trait d’union – et non pas l’arbitre – pour permettre que les préoccupations des Grecs soient prises en compte aujourd’hui dans le concert européen, par le dialogue, en construisant et en mettant en place un nouveau programme qui tienne compte, évidemment, du programme de ceux qui ont gagné ces élections, …

M. Pierre Lellouche. Avec quel argent ?

M. Michel Sapin, ministre. …car nous n’allons pas faire l’inverse de ce qu’eux-mêmes ont promis. Nous les accompagnerons. Nous sommes amicaux, nous sommes efficaces et nous avons la volonté que la Grèce réussisse dans une Europe unie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Politique du logement

M. le président. La parole est à M. Yves Jégo, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Yves Jégo. Ma question s’adresse à Mme la ministre du logement. Aujourd’hui même, la Fondation Abbé Pierre, pour la vingtième année consécutive, remet son rapport annuel. Ses conclusions sur le mal-logement dans notre pays sont dramatiques et viennent corroborer les chiffres publiés il y a quelques jours sur le nombre de logements construits l’an passé dans notre pays : avec 297 352 logements mis en chantier, c’est le plus bas chiffre de construction de logements en France depuis dix-sept ans.

Il y a, dans cette réalité, un drame qui se joue sous nos yeux : un drame pour les 10 millions de Français qui aspirent à se loger, un drame pour les 3,5 millions de Français qui sont mal logés et un drame encore plus grand pour les 140 000 Français, dont 30 000 enfants, qui, ce soir, vont dépendre des lieux d’hébergement.

Cette réalité doit vous conduire, madame la ministre, non pas à gérer la pénurie, comme le Gouvernement le fait depuis maintenant deux ans, non pas à commenter les chiffres, mais à agir pour inverser cette tendance jamais vue dans notre pays, et qui a évidemment des conséquences tant sociales qu’économiques : chacun sait combien le secteur du logement est porteur en matière économique et combien, de ce fait, ce levier est fondateur pour l’avenir.

Madame la ministre, ma question est simple : quelles conclusions tirez-vous tant de la publication des chiffres catastrophiques de l’année 2014, qui est pleinement à mettre au bilan du Gouvernement, que du rapport alarmiste de la Fondation Abbé Pierre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député, vous venez de rappeler très justement la situation de ceux de nos concitoyens qui peinent à accéder au logement et qui rencontrent des difficultés en matière d’accès à l’hébergement.

Un député du groupe UMP. Situation catastrophique !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Ce matin, la Fondation Abbé Pierre a publié son rapport annuel ; à cette occasion, j’ai développé la politique du logement que nous souhaitons mener. Vous avez raison : ce sujet doit nous mobiliser et nous rassembler afin d’agir sur l’ensemble des segments de l’offre.

Pour cela, nous avons, avec le Premier ministre, présenté cet été un plan de relance en faveur de la construction, pour produire des logements là où sont identifiés les besoins : logements sociaux, logements intermédiaires, amélioration de l’accession à la propriété, simplification, mobilisation du foncier public et privé. Ces outils sont d’ores et déjà en place, depuis le vote de la loi de finances ; il nous appartient maintenant collectivement de les utiliser, de nous mobiliser, car l’État a besoin de l’ensemble des acteurs – bailleurs, investisseurs et bien sûr collectivités territoriales – pour réussir la mobilisation en faveur du logement.

Concernant les plus démunis, j’ai eu l’occasion de présenter ce matin un plan de résorption des nuitées hôtelières : vous le savez, ces conditions d’hébergement d’urgence ne sont satisfaisantes pour personne. Nous allons donc redéployer un certain nombre de crédits des nuitées hôtelières en faveur de nouveaux dispositifs alternatifs qui proposeront un meilleur accompagnement social et permettront à ces personnes d’accéder à un logement pérenne. Pour cela, monsieur le député, c’est aussi à l’ensemble de la représentation nationale de se saisir de tous ces dispositifs.

Assouplissement du temps de travail

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Virginie Duby-Muller. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Alors qu’en 2000, notre pays bénéficiait d’un excédent de recettes – une cagnotte fiscale de près de 80 milliards de francs qui aurait permis d’amorcer la baisse du déficit –, le gouvernement d’alors avait préféré mettre en place les 35 heures. Cette réforme portée par Martine Aubry sur l’assouplissement du temps de travail était certes séduisante pour les salariés, mais c’est une aberration d’un point de vue économique. Le partage du temps de travail est en effet un concept idéologique qui a eu de lourds impacts sur notre économie.

Alors que nous en fêtons le quinzième anniversaire, nous en payons toujours la facture, le coût budgétaire annuel ayant été estimé à 12 milliards d’euros ! Cette réforme a engendré un renchérissement du coût du travail, plus élevé qu’ailleurs, et une perte de compétitivité pour notre pays qui vient de perdre son statut de cinquième puissance économique mondiale.

Elle a également désorganisé l’hôpital, univers implacable pour les 35 heures, dont l’application a été précipitée selon l’aveu même de Lionel Jospin, ce qui en fait un véritable casse-tête et un gouffre financier.

C’est aussi une exception européenne, puisque les Français sont ceux qui travaillent le moins en Europe ; nous travaillons même cinq semaines de moins par an que nos principaux partenaires et concurrents allemands !

Enfin, la défiscalisation des heures supplémentaires avait redonné du pouvoir d’achat aux salariés. Sa suppression par votre majorité a privé des millions de salariés modestes de pouvoir d’achat supplémentaire, comme le reconnaissait en 20013 Thierry Mandon, votre actuel secrétaire d’État.

Alors, monsieur le Premier ministre, tenez l’engagement que vous avez pris en 2011 consistant à « déverrouiller les 35 heures », et que vous avez confirmé à Londres en octobre dernier ! Votre ministre de l’économie s’est lui aussi montré favorable à une adaptation de la durée du travail.

Assouplissez le temps de travail des Français ! C’est l’une des dispositions qui permettront de retrouver la confiance, de libérer l’activité et de renouer avec la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

S’il vous plaît ! Cela ne sert à rien ! Il y a des choses qui ne sont pas acceptables !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, j’ai écouté votre question avec le plus grand intérêt. Les 35 heures ont en effet été mises en place, permettant à la France de connaître entre 1998 et 2002 une période de croissance et de baisse du chômage que l’on souhaiterait retrouver.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

M. le président. S’il vous plaît !

M. François Rebsamen, ministre. Je vous indique à cet égard qu’en 2002, l’ensemble des comptes sociaux étaient à l’équilibre, ce qui n’était plus le cas dix ans plus tard, en 2012.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est toujours pas le cas !

M. François Rebsamen, ministre. En effet, vous avez dans l’intervalle dégradé tous les comptes sociaux de ce pays ! Je vous rappelle également – mais vous le savez pertinemment – que vous avez été au pouvoir pendant dix ans et que, pendant ces dix ans, vous n’avez pas touché aux 35 heures !

M. Jean-Pierre Gorges. Ça, c’est vrai !

M. François Rebsamen, ministre. Et aujourd’hui, vous nous en faites à nouveau le reproche (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), alors même qu’un excellent rapport parlementaire, rédigé par Mme la députée Barbara Romagnan ainsi que par le président UDI de cette commission parlementaire, a démontré l’intérêt que pouvait représenter le passage aux 35 heures, qui a donné à notre économie la souplesse dont elle avait besoin en 2002.

Pour terminer, je rappellerai que depuis que nous sommes arrivés, nous avons, au travers des accords passés par les partenaires sociaux, mis en place une loi de sécurisation de l’emploi. L’Accord national interprofessionnel – ANI – ayant été transposé dans la loi, des accords de maintien dans l’emploi peuvent être aujourd’hui passés par les entreprises à travers les partenaires sociaux. Nous avons là un dispositif qui donne satisfaction : c’est une mesure de progrès social ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Cyberdéfense

M. le président. La parole est à M. Gwendal Rouillard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gwendal Rouillard. En cette journée de deuil pour la France, je tiens, avec mes collègues, à rendre hommage à nos militaires de l’armée de l’air morts en Espagne. Nos pensées vont vers eux, vers leurs familles, leurs camarades et les gens de Lorraine qui les connaissaient si bien. Notre pays ne les oubliera pas.

Monsieur le ministre de la défense, ma question porte sur la cyberdéfense. Depuis les attentats de Paris, il me paraît important de rappeler à nos concitoyens les trois éléments qui fondent la politique de la France dans le domaine de la cyberdéfense. Premièrement, le Livre Blanc de la défense considère la cyberdéfense comme un pilier de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique. Deuxièmement, notre loi de programmation militaire fait de la cyberdéfense une priorité, avec un milliard d’euros de crédits et la création de plus de cinq cent postes de 2014 à 2019. Troisièmement, nous considérons le cyberespace comme un nouveau territoire de conflictualités, d’influences et de menaces.

Notre pays doit donc se mobiliser et passer de la lutte informatique à la défense active. Pour ce faire, monsieur le ministre, vous êtes depuis plusieurs mois à l’initiative d’un « pacte Défense Cyber », qui fixe plusieurs objectifs : mieux protéger les citoyens ; mieux intégrer le volet cyberdéfense à nos opérations militaires et de sécurité ; mieux articuler les volets formation, recherche et entreprise, comme je peux le constater en Bretagne, au sein du pôle d’excellence cyber.

Monsieur le ministre, pouvez-vous dresser un premier bilan de votre politique en matière de cyberdéfense et fixer des perspectives en la matière ? Chacun sait combien c’est important pour la France. C’est l’esprit du 11 janvier, c’est l’esprit de la République.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir salué la mémoire des neuf aviateurs qui ont trouvé la mort la semaine dernière en Espagne. Un hommage solennel leur a été rendu ce matin par le Président de la République, le Premier ministre et les plus hautes autorités de l’État et de la nation.

C’est vrai, monsieur le député, la cybermenace s’accroît. Le nombre des attaques contre les sites du ministère de la défense, pour ne parler que d’eux, double tous les ans. Au cours de la dernière période, elles ont été de plus en plus agressives. Grâce au Centre d’analyse de lutte informatique défensive, nous réussissons à les contenir, comme nous réussissons à contenir celles menées contre les opérateurs d’infrastructures vitales.

Mais il faut poursuivre l’anticipation. C’est le sens du pacte Défense Cyber, dont j’ai été à l’initiative en application de la loi de programmation militaire, qui permet la valorisation du centre de la Direction générale de l’armement de Rennes, mais aussi prévoit les recrutements nécessaires pour faire face à cette menace.

Je voudrais surtout vous dire trois choses, mesdames et messieurs les députés. Premièrement, il va falloir vivre désormais avec un risque permanent d’agression informatique, et c’est d’autant plus vrai pour la défense. Deuxièmement, la lutte pour la cybersécurité fait désormais partie intégrante de notre souveraineté et il faut s’en donner les moyens. La loi de programmation s’est déjà engagée dans cette voie et il faudra continuer. Troisièmement, il y a aura sans doute demain une quatrième armée, à côté des armées de l’air, de la marine et de l’armée de terre : l’armée cyber sera nécessairement une priorité pour l’avenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

LGV Poitiers-Limoges

M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe écologiste.

Mme Véronique Massonneau. Le 11 janvier, madame la ministre de l’écologie, vous avez signé un décret déclarant d’utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de la ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges. Pourtant ce projet, que vous connaissez très bien, semblait avoir été repoussé par le gouvernement Ayrault en considération des conclusions accablantes de la commission Mobilité 21.

Mais c’est certainement la Cour des comptes, en octobre 2014, qui a été la plus ferme à l’encontre de ce projet, estimant qu’il « n’avait fait l’objet d’aucune réflexion préalable et ne s’appuyait pas sur une définition des besoins de mobilité des habitants des régions concernées. » Elle ajoute que « le financement n’est pas déterminé, ni même envisagé » et affirme que cette ligne n’atteindra jamais le seuil de rentabilité, même selon les estimations les plus optimistes.

Au-delà des contestations environnementales, qui mobilisent les écologistes, au-delà du déni de démocratie, pointé à juste titre par certaines associations, c’est bien la question du modèle économique fondant ce projet qui est posée. Sa concrétisation ne ferait qu’aspirer les subventions de nos collectivités, alors que celles-ci permettent aujourd’hui de développer et soutenir les réseaux existants, dont le maillage territorial est l’atout majeur, indispensable à la vitalité de nos territoires.

Est-ce que vingt-cinq minutes gagnées par un nombre réduit d’utilisateurs peuvent justifier le déséquilibre financier de toute la politique transport d’une région ?

J’ai apprécié, madame la ministre, la position que vous avez défendue à Poitiers il y a quelques jours. Cependant, vous conviendrez que les habitants de Poitou- Charentes attendent davantage que la simple expression d’une solidarité gouvernementale : ils attendent tout simplement d’être entendus. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Madame la députée, les décisions concernant les grandes infrastructures de transport de notre pays s’appuient sur des principes clairs, dont vous avez d’ailleurs rappelé un certain nombre. Aujourd’hui, la déclaration d’utilité publique est signée, mais cela n’empêche pas la transparence, en particulier sur deux points. Premièrement, la rentabilité économique du projet devra être démontrée. Le deuxième point est l’articulation entre un tel projet et les infrastructures existantes, notamment les trains régionaux.

La commission présidée par Philippe Duron est saisie de ce projet. En ce qui concerne le bien-fondé de cette articulation, elle rendra son rapport avant l’été. Quant à la rentabilité économique du projet, c’est-à-dire son intérêt public, ils relèvent du contrôle du juge. Le juge administratif a été saisi d’un certain nombre de recours et la décision définitive interviendra une fois que le juge administratif se sera prononcé.

Telles sont les démarches de transparence, de rationalité, de prise en compte des différents avis qui doivent conduire à prendre les décisions les plus judicieuses concernant les grandes infrastructures de transport du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Dialogue social

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République avait appelé de ses vœux la modernisation du dialogue social, que vous avez érigée en pilier de votre gouvernance.

Le constat, aujourd’hui, est que les négociations sont houleuses et des plus conflictuelles. Pour l’heure, aucun horizon d’apaisement ne se présente. Une fois de plus, les résultats sont loin d’être à la hauteur des préconisations.

Face à cet échec patent, vous songez de plus en plus à recourir à la loi ou à un médiateur afin de faire avancer vos idées. Est-ce là le dialogue tant vanté ?

Cette problématique pourrait paraître accessoire si le sort de 5,5 millions de chômeurs n’était pas en jeu. L’Alsace n’échappe d’ailleurs pas à la dégradation profonde du marché du travail.

À tout le moins, ni le dialogue social ni le pacte de responsabilité ne sont près d’aboutir.

Monsieur le Premier ministre, le monde économique ne fonctionne pas comme le monde politique. Il répond à des impératifs que vous semblez méconnaître.

Il ne vous aura pas échappé que la France ne peut plus attendre au regard de sa perte de compétitivité, de sa croissance anémique et, plus généralement, des menaces qui pèsent sur l’avenir de l’Europe et de l’euro.

Il n’est plus temps d’user d’une parole lénifiante, car les blocages enfoncent notre pays encore un peu plus dans la morosité.

Au contraire, il est urgent de s’attaquer au principal fléau qui menace la France, à savoir le marasme économique avec son chômage endémique. Les phénomènes exogènes n’y suffiront pas, pas plus que le manque d’ambition de la loi Macron.

Que pensez-vous faire pour parvenir à une négociation apaisée afin de confirmer au plus vite le pacte de responsabilité espéré par le plus grand nombre – quand bien même ce n’est pas un outil d’excellence, il a le mérite d’exister ?

Pour autant, avançons, car nous n’avons plus le temps de tergiverser ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. le président. …dont on écoute la réponse en silence, s’il vous plaît !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, je vous remercie de votre question car elle situe bien le problème du dialogue social, lequel est essentiel dans notre pays.

Il ne m’appartient pas ici de donner les raisons de l’échec de cette négociation, que je regrette, sur un sujet aussi difficile que celui de la modernisation du dialogue social liée aux instituts représentatifs du personnel, les IRP.

Je rappelle, à cet égard, que de 2009 au mois de mars 2012, vingt et une réunions n’ont pas débouché sur un accord. Pourtant, le dialogue social s’est poursuivi, souvent avec succès.

Dans ce cas-là, nous avons transposé dans la loi les conclusions des accords, comme ce fut le cas non seulement avec la loi de sécurisation de l’emploi, mais aussi avec cette réforme essentielle que nous avons mise en œuvre – et que, j’en suis sûr, vous soutenez : le compte personnel de formation.

Cette réforme est entrée en vigueur au début du mois de janvier et elle permettra à des chômeurs d’accéder à des formations de leur choix afin de répondre aux besoins de l’emploi – tel n’était d’ailleurs pas le cas avant avec le droit individuel à la formation, le DIF.

C’était l’un des problèmes auxquels nous étions confrontés, et nous avons agi.

La semaine dernière, à la demande du Premier ministre, j’ai rencontré les partenaires sociaux. Je continue à le faire cette semaine et le Premier ministre les réunira quant à lui le 19 février.

M. Christian Jacob. Et concrètement ?

M. François Rebsamen, ministre. Nous prenons acte de leur position. Nous les écoutons et, ainsi qu’on me l’a demandé, je préparerai une loi pour permettre d’avancer sur cette question essentielle pour notre avenir qu’est la modernisation du dialogue social.

M. Christian Jacob. Voilà l’Assemblée éclairée !

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Franck Reynier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Franck Reynier. Monsieur le Premier ministre, la croissance est nulle, le pouvoir d’achat est en berne, le chômage atteint mois après mois des niveaux records, la dette explose et la réduction des déficits publics est toujours repoussée.

Nous n’avons cessé de vous alerter sur les conséquences désastreuses de vos décisions, mais vous ne nous avez ni écoutés ni entendus et je crains que le projet de loi pour la croissance et l’activité – dont le Président de la République lui-même reconnaît qu’il ne s’agit pas de la loi du siècle – ne permette pas à lui seul de pallier les manquements de votre politique.

Il ne permettra d’ailleurs pas de répondre à la première des urgences, celle du chômage qui vient à nouveau d’augmenter pour atteindre un niveau record.

Notre groupe s’inquiète de voir votre gouvernement devenir peu à peu le commentateur passif d’une crise à laquelle il a contribué. Votre inertie et votre passivité ne sont plus acceptables.

Derrière les chiffres, monsieur le Premier ministre, ce sont des drames humains, ce sont des femmes et des hommes qui chaque jour perdent leur emploi, qui ne peuvent plus payer leur crédit, qui ont des difficultés pour se loger, qui peinent à élever leurs enfants et pour qui l’avenir n’est plus porteur d’espérance.

Alors, monsieur le Premier ministre, mes questions sont simples. Quand le Gouvernement prendra-t-il enfin conscience de l’urgence ? Quand allez-vous stopper votre litanie de commentaires et enfin regarder les réalités économiques en face ?

Reconnaissez vos erreurs et lancez, enfin, une vraie politique pour l’emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

…dont on écoute la réponse dans le calme et la dignité !

Un député du groupe UMP. Il n’y a plus de Premier ministre !

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je vous ai écouté avec intérêt et j’ai déjà eu l’occasion de répondre aux questions posées sur le chômage, problème que notre société connaît depuis fort longtemps, vous ne l’avez pas nié.

Je vous rappelle que nous avons mis en place un dispositif restituant des marges de manœuvre aux entreprises afin qu’elles puissent investir, préparer des jeunes à l’apprentissage, faire en sorte de développer la formation et, au bout du compte, créer des emplois.

Ces marges de manœuvre, cet effort que le peuple français consent à l’égard de ses entreprises, s’élèvent à deux points de PIB : 40 milliards, ce n’est pas rien !

En contrepartie, bien évidemment, la représentation nationale et les Français attendent que les entreprises s’engagent dans les différents secteurs qui font l’objet du relevé de conclusions qui a été signé.

C’est ainsi, par exemple, que dans le secteur Syntec des bureaux d’affaires, 38 000 emplois seront créés d’ici à la fin de 2017.

Des entreprises se sont donc concrètement engagées. Pour autant, seulement 11 branches ont aujourd’hui signé ces accords.

Je profite donc de l’occasion que vous me donnez pour lancer un nouvel appel : toutes les branches doivent résolument s’engager dans ces négociations et formuler des propositions dans le domaine de l’apprentissage, de la formation, de l’embauche de jeunes, des contrats de génération ou directement de l’emploi. En tout état de cause, il s’agit toujours d’investissements.

Nous pensons que ce pacte de responsabilité et de solidarité est la clé de voûte qui permettra à la croissance de repartir et à la situation de l’emploi de s’améliorer en 2015.

Politique du logement

M. le président. La parole est à M. Michel Terrot, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Michel Terrot. Monsieur le Premier ministre, la politique du logement, en France, est coûteuse et inefficace. Ce n’est malheureusement pas une parole en l’air, mais la conclusion du rapport accablant de l’Inspection générale des finances, de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, présenté en fin de semaine dernière.

Les chiffres sont vertigineux : 46 milliards d’euros ont été dépensés l’an dernier, et 48 milliards le seront d’ici deux ans ; ces sommes sont consacrées pour 49 % au soutien de la demande et pour seulement 17 % au soutien de l’offre de logement. Ce ratio est le symbole de l’incohérence de votre politique. Beaucoup d’argent est dépensé, pour des résultats très discutables : alors que le candidat François (« François ? » sur quelques bancs du groupe SRC) s’était engagé à bâtir 500 000 logements par an, le bilan du président Hollande n’atteint que 266 000 logements véritablement neufs construits l’an dernier, soit un recul de 10,3 % par rapport à 2013.

Or la construction de logements neufs est une nécessité pour réduire la pénurie de logements et le mal-logement, régulièrement dénoncés par la fondation Abbé Pierre. Comme pour le chômage, les annonces et les promesses ne sont plus supportables pour les Français. Il y a donc urgence.

Le rapport public formule des propositions pour un total de 4 milliards d’euros et préconise notamment de réformer en profondeur les aides personnalisées au logement et les politiques de soutien à l’accession à la propriété. Trop souvent, depuis deux ans et demi, la politique du logement s’est avérée contradictoire dans ses objectifs, comme dans les mesures votées. Les professionnels et les Français ont besoin de clarté et d’efficacité.

Monsieur le Premier ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour rationaliser la politique du logement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le député Michel Terrot, vous interrogez le Gouvernement au sujet d’un rapport qui avait été commandé en 2013, et vous évoquez les sommes importantes que nous consacrons au secteur du logement. Je rappelle que ce secteur joue un rôle essentiel du point de vue économique, puisqu’il soutient les entreprises du bâtiment et des travaux publics, qui connaissent de graves difficultés…

M. Dominique Tian. Cela, on le sait !

Mme Sylvia Pinel, ministre. …et qu’il répond également à un impératif social et à une exigence humaine, comme le rapport de la fondation Abbé Pierre l’a démontré, ce matin encore.

Face au constat du déficit de construction et de production de logement, l’objectif et la priorité du Gouvernement sont bien la relance de la construction et la production de tout type de logement correspondant aux besoins de nos concitoyens.

M. Dominique Dord. Il faut accélérer !

Mme Sylvia Pinel, ministre. C’est la raison pour laquelle nous avons présenté, au mois de juin et au mois d’août, un plan de relance de la construction et du logement.

M. Yves Nicolin. Cela ne marche pas !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Nous entendons agir sur tous les leviers dont nous disposons : le logement social, le logement intermédiaire, la réforme de l’accession à la propriété – elle est préconisée par ce rapport et nous l’avons déjà mise en œuvre – ou encore la mutualisation des fonds des bailleurs sociaux, pour produire des logements très sociaux, mais aussi pour rénover le parc existant.

M. Dominique Dord. On commence quand ?

Mme Sylvia Pinel, ministre. Nous agissons avec détermination, mais, pour relever ce défi qui devrait tous nous rassembler au sein de cet hémicycle, nous avons besoin du concours des collectivités, …

M. Jean-Pierre Barbier. Elles n’ont plus d’argent !

Mme Sylvia Pinel, ministre. …des bailleurs, ainsi que des acteurs associatifs et des investisseurs. Il ne s’agit pas d’opposer les Français les uns aux autres, mais bien de se mobiliser pour relever ce défi. C’est ce qu’attendent de nous les Français.

M. Dominique Dord. Il faut construire !

Projet de loi pour la croissance et l’activité

M. le président. La parole est à M. Hervé Pellois, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Hervé Pellois. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, que vous défendez, ne sert qu’un seul intérêt : l’intérêt général. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) Et c’est parce qu’elle sert l’intérêt général que tous les Français bénéficieront de ses bienfaits : les salariés, qui seront mieux protégés, les entreprises, qui seront plus compétitives, et les consommateurs, bien sûr, qui verront leur pouvoir d’achat augmenter et leur vie facilitée.

Pour servir l’intérêt général, cette loi s’articule autour de trois grands principes : libérer, investir et travailler. Cette loi lève des obstacles, non seulement inutiles, mais surtout néfastes à l’activité de notre pays, et dont certains sont solidement ancrés dans notre culture économique. Mais ce gouvernement a enfin le courage de les regarder en face.

Chers collègues, la loi pour la croissance est une réforme ambitieuse. Et, parce qu’elle est ambitieuse, elle suscite des interrogations, des crispations, et même des contestations. Mais rien ne justifie la diffamation et l’intimidation. Face aux menaces qui vous ont visé, monsieur le ministre, nous voulons vous dire notre soutien le plus absolu. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Censi. La ficelle est un peu grosse !

M. Hervé Pellois. Car ce qui fait la démocratie, ce n’est pas la menace, mais l’audace. Et de l’audace, cette loi, forte de plus de cent articles, n’en manque pas. Ce qui fait la démocratie, ce n’est pas la force des passions, mais celle des convictions. C’est pourquoi je voudrais ici saluer, monsieur le ministre, votre sens de l’écoute, le respect du Parlement et l’honnêteté intellectuelle qui sont les vôtres. (« Rien que cela ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) De la concertation avec les acteurs concernés, en passant par la commission spéciale, et jusqu’à l’examen du texte dans l’hémicycle depuis huit jours, à aucun moment vous n’avez dérogé à ces grands principes démocratiques.

M. Claude Goasguen. N’en jetez plus !

M. Hervé Pellois. Fidèle à vos convictions, vous n’avez pas hésité à vous lancer dans un débat long et difficile, au cours duquel chacun a pu nourrir sa réflexion.

M. Yves Censi. Vous passez la brosse à reluire !

M. Étienne Blanc. Encore, encore !

M. Hervé Pellois. Si bien que cette loi s’annonce comme le fruit d’un travail collectif, entre le gouvernement et le Parlement, d’une part, et entre la majorité et l’opposition, d’autre part. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je vais répondre à votre question…

M. Bernard Accoyer. Il n’y a pas de question !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et surtout essayer de récapituler où nous en sommes, parce que ce projet de loi a suscité beaucoup de bruit et de commentaires. Grâce au travail collectif qui a été mené, nous avons déjà pu procéder à plusieurs avancées. Je voudrais revenir sur quatre d’entre elles, qui ont déjà été votées au cours des derniers jours. (Exclamations continues sur les bancs du groupe UMP.)

La première avancée importante, c’est l’ouverture du marché des autocars (« Hourra ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui permettra de créer des emplois – 22 000 selon France Stratégie –, tout en préservant les équilibres territoriaux, grâce à un mécanisme de régulation.

La deuxième avancée, c’est une meilleure régulation du secteur des autoroutes et des sociétés concessionnaires d’autoroutes. (Mêmes mouvements.) En effet, pour corriger les effets d’une privatisation malheureuse et d’une mauvaise régulation, vous avez voté des dispositions qui permettront de mieux réguler le secteur autoroutier, de mieux contrôler les prix et de mieux réguler les travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Troisième disposition votée la semaine dernière : la réforme du permis de conduire. (« Hourra ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Une réforme importante avait été proposée par le ministère de l’intérieur, qui a été renforcée par le travail des parlementaires et par vos propositions. Je veux saluer, sur ce dossier en particulier, le travail conjoint du groupe SRC et de l’UDI (Sourires sur les bancs du groupe UDI –« Bravo ! sur plusieurs bancs du groupe UMP) qui nous a permis d’avancer et d’arriver à un dispositif qui réduira à la fois les délais et les coûts.

Dernier point : la réforme des tarifs des professions réglementées (« Ah ! sur les bancs du groupe UMP) permettra, par une transparence accrue et par une plus grande ouverture, de mieux réguler les coûts. Voilà où nous en sommes, monsieur le député.

Je salue l’enthousiasme qui se manifeste sur tous les bancs (Rires sur les bancs du groupe UMP) et qui continuera, j’en suis sûr, à accueillir ces travaux. Puisque tout le monde est favorable à la réforme et au déblocage de l’économie, nous irons encore plus loin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.)

Réforme de la justice des mineurs

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan, au titre des députés non inscrits.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le Premier ministre, suite aux événements tragiques du mois dernier, vous avez prononcé, on s’en souvient ici, un discours fort et apprécié de fermeté républicaine. Malheureusement, cette fermeté républicaine s’est arrêtée aux portes du ministère de la justice.

Votre garde des sceaux, Mme Taubira, vient d’annoncer un projet de réforme de la justice des mineurs qui va aggraver l’impunité des délinquants, laquelle décourage nos policiers et nos gendarmes qui passent leur vie à arrêter des délinquants qu’ils sont obligés de relâcher.

La justice, vous le savez, est indispensable pour assurer une sécurité durable et faire respecter les lois de la République. Mais comment faire respecter les lois de la République quand des peines de prison ferme sont transformées en peines alternatives dérisoires et jamais contrôlées ?

Comment faire respecter les lois de République – auxquelles vous tenez tant – lorsque les réductions de peine aboutissent à la mise en liberté de dangereux individus comme Amedy Coulibaly ?

Comment faire respecter les lois de la République quand le désordre règne dans nos prisons où l’on ne peut plus fouiller les détenus ? Comment faire respecter les lois de la République quand 100 000 peines de prison sont en attente d’exécution, dont 25 000 ne seront jamais appliquées dans notre pays ?

Mme Catherine Coutelle. Parce qu’il y en a trop !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ma question est très simple : les discours, c’est bien, mais en pratique, quand allez-vous lancer le programme de 20 000 places de prison dans notre pays ? Quand allez-vous mettre fin à la disposition de la loi Taubira et à la circulaire du 9 janvier qui alignent les réductions de peines des multirécidivistes sur celles des primodélinquants ? Quand allez-vous vous séparer de Mme Taubira ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vais commencer par la fin. Vous avez évoqué un programme de 23 000 places, il faudra finir par renoncer à cette fiction, car vous savez que c’en était une : il n’y avait pas un seul euro prévu pour financer ces 23 000 places. Par contre, ce Gouvernement a décidé de consacrer 2,2 milliards d’euros à la construction de 6 300 places réelles. Dans le prochain triennal, 1 milliard d’euros sera consacré à la construction de 3 000 places réelles.

Vous avez évoqué un texte sur la justice des mineurs, en faisant là aussi référence à une fiction.

M. Guy Geoffroy. Malheureusement, Mme Taubira n’est pas une fiction !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce texte n’est pas finalisé, vous n’en connaissez pas le contenu. Il prévoit au contraire une justice des mineurs plus efficace, de la même façon que la réforme pénale prévoit une justice plus efficace.

Vous avez conduit une politique pénale fondée sur des automatismes, résultat : la récidive a été multipliée par trois en dix ans. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez mené une politique carcérale fondée sur des automatismes, résultat : sortie automatique sans contrainte et sans contrôle. La réforme pénale fondée sur l’individualisation, au contraire, veille à l’efficacité de la politique pénale.

M. Guy Geoffroy. Paroles, paroles !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La réforme pénale met un terme aux automatismes de réduction de peine que vous avez introduits par la loi du 9 mars 2004. Dorénavant, c’est le juge d’application des peines qui appréciera.

La réforme pénale se donne les moyens, par des recrutements de conseillers d’insertion et de probation, de surveillants pénitentiaires, de magistrats, de greffiers. Je vous donne rendez-vous pour nos résultats, monsieur le député ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Difficultés financières de certains hôpitaux

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Door, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le Premier ministre, nous vous avons déjà interrogé sur la question des emprunts à risque, autrement dit emprunts toxiques, souscrits par un certain nombre de collectivités qui ont vu leur situation s’aggraver par la décision de la Banque nationale de Suisse d’abandonner le taux plancher de conversion du franc suisse.

Les collectivités ne sont malheureusement pas les seules concernées. Cette décision de la banque suisse a un effet mortifère et plonge en très grande difficulté un certain nombre d’hôpitaux. Une centaine d’entre eux ont ainsi vu une dette de 800 millions d’euros d’emprunts toxiques se transformer en près de 3 milliards d’euros. Les taux d’intérêt sont à peine croyables : certains, assis sur le franc suisse, sont montés à 40 % voire à 50 %.

Les établissements hospitaliers concernés sont dans une situation inextricable depuis la loi 29 juillet 2014 qui limite les contentieux qu’ils auraient pu engager contre les banques.

Dans ce contexte, le fonds de soutien gouvernemental, doté d’environ 100 millions d’euros, apparaît bien dérisoire, d’autant qu’il est financé en quasi-totalité par les hôpitaux eux-mêmes à travers un prélèvement sur l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Et il ne répond pas du tout à la hauteur astronomique de cette dette.

Monsieur le ministre, confirmez-vous l’exclusion des hôpitaux de ce dispositif de soutien gouvernemental ? Les hôpitaux ont déjà fait de considérables efforts d’économies et expriment de grandes craintes pour l’avenir. La Fédération hospitalière française tire la sonnette d’alarme et vous réclame en urgence des précisions sur le dispositif d’aide apporté. Ma question est donc simple : qu’allez-vous leur proposer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, vous avez raison, la question des emprunts structurés touche, au-delà d’un millier de collectivités territoriales, quelques dizaines d’hôpitaux qui, à un moment donné, ont pu être séduits – le mot est faible – par des organismes financiers qui leur ont vendu des prêts qui se révèlent aujourd’hui très dangereux.

M. Pascal Terrasse. Ils ont joué ; ils ont perdu !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Face à une situation aussi complexe, il y a bien entendu lieu de réagir, mais pas de surréagir. Je ne partage pas forcément les chiffres que vous venez d’évoquer. Le franc suisse est maintenant par définition à un cours variable, et il convient d’apprécier exactement l’ampleur des difficultés qui se posent aux hôpitaux.

Votre question était précise. Vous demandiez si le fonds qui a été mis en place pour les collectivités excluait les hôpitaux. La réponse est oui, pour une raison très simple : au sein de l’ONDAM, un fonds spécifique a été réservé à un appui aux hôpitaux.

Je rencontrerai en début de semaine prochaine, lundi et mardi, les représentants des associations d’élus. J’ai également l’intention de rencontrer la FHF, pour trouver le meilleur moyen de sortir de cette difficulté. Il ne s’agit pas simplement de dire qu’il faut en sortir tout de suite, il faut choisir le bon moment, et je ne suis pas sûr que le moment de l’envolée du franc suisse soit le meilleur. En tout cas, une attention particulière sera apportée à la question des hôpitaux par le Gouvernement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Lutte contre Boko Haram

M. le président. La parole est à M. Philippe Baumel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Philippe Baumel. Monsieur le ministre des affaires étrangères, massacres, viols, égorgements et pillages orchestrés par la secte Boko Haram sont le quotidien de la population au nord du Nigeria, à l’extrême-nord du Cameroun, près du lac Tchad et de la République centrafricaine. Ces exactions constituent évidemment une menace de déstabilisation supplémentaire pour toute une partie de l’Afrique centrale. C’est une zone grande comme deux fois le Liban qui est aujourd’hui sous le joug de cette secte.

Début janvier, au Nigeria, à Baga, durant cinq jours, Boko Haram a massacré hommes, femmes et enfants. Des milliers d’habitants ont fui par bateau vers le lac Tchad ; d’autres se sont réfugiés au Cameroun où ils sont aujourd’hui regroupés dans un camp de réfugiés qui rassemble près de 250 000 personnes.

Dimanche dernier, les 2 millions d’habitants de la ville de Maiduguri, au Nigeria, ont dû subir pendant cinq heures une attaque à l’arme lourde.

Enlèvements de jeunes filles, massacres de familles – enfants compris –, assassinats d’otages et organisation de trafics en tous genres : voilà la triste activité de cette secte. Amnesty International estime que plusieurs milliers de victimes civiles sont déjà décomptées.

Les gouvernements camerounais et tchadien ont décidé de réunir leurs forces pour résister militairement à cette folie meurtrière.

Monsieur le ministre, face à cette grave crise, beaucoup se tournent à nouveau vers la France. Quelles initiatives internationales, africaines et européennes peuvent être rapidement engagées ou soutenues ? La France soutiendra-t-elle une résolution au Conseil de sécurité pour mobiliser les forces des Nations unies ? Sur les plans humanitaire et militaire, quel soutien fort pouvons-nous apporter aux populations dans le désarroi, peut-être cette fois avec l’Union européenne, tant au Cameroun qu’en République centrafricaine, au Tchad et au Nigeria ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur Baumel, qui sont les dirigeants de Boko Haram ?

M. Jean-Pierre Gorges. Des islamistes !

M. Claude Goasguen. Des sauvages !

M. Laurent Fabius, ministre. Ce sont de faux religieux et de vrais criminels.

M. Guy Geoffroy. Bravo !

M. Laurent Fabius, ministre. Vous étiez récemment dans la région et vous avez mesuré le degré d’atrocité qui augmente chaque semaine.

Certains disent que ces événements se passent loin de chez nous. On ne peut pas réagir comme cela, d’abord pour des raisons humanistes évidentes, ensuite parce que sont concernés non seulement le Nigeria, mais également le Cameroun, le Niger, le Tchad, l’Afrique centrale et l’ensemble de l’Afrique.

C’est la raison pour laquelle la France, la première, s’est mobilisée. Au mois de mai dernier, une conférence a été organisée à l’Élysée, à l’initiative du Président de la République. Peu à peu, d’autres pays ont réagi positivement, bien que très tardivement. Le Tchad a eu le courage d’engager ses troupes aux côtés du Cameroun.

Récemment, l’Union africaine a décidé de lancer un appel à lever jusqu’à 7 500 personnes pour mener la charge contre Boko Haram. Pour répondre à votre question, la France soutient bien sûr cette initiative, qui sera sans doute bientôt discutée devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Mais la France ne peut pas résoudre cette question toute seule :…

M. Pascal Terrasse. Absolument !

M. Laurent Fabius, ministre. …elle a besoin de l’ensemble des nations d’Afrique, des États-Unis…

M. Pascal Terrasse. De l’Union européenne !

M. Laurent Fabius, ministre. …et de l’Europe. C’est dans ce sens que nous allons agir. Nous avons commencé à agir, mais il faut mobiliser encore bien plus l’ensemble de la communauté mondiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe RRDP.)

Projet de Center Parcs à Roybon

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Barbier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Barbier. Monsieur le Premier ministre, alors que notre pays compte plus de 3,4 millions de chômeurs, le projet de Center Parcs à Roybon est bloqué par l’occupation illégale du site orchestrée par des anarchistes venus de la France entière.

Comme vous le savez, monsieur le Premier ministre, le défrichement pourrait se poursuivre légalement malgré les procédures juridiques en cours. D’ailleurs, ici même en décembre dernier, votre ministre de l’intérieur a rappelé avec fermeté la position de l’État sur ce dossier, ce que j’ai apprécié. Mais aujourd’hui, il faut aller au-delà des mots et passer à l’acte.

La population est excédée. Chaque jour, je reçois des courriers – encore quinze aujourd’hui – d’habitants en proie au désarroi et à l’abandon. Je les comprends. La population gronde. La colère est prête à éclater. En effet, l’État de droit et l’autorité républicaine sont bafoués, chaque jour, publiquement et de manière inadmissible.

M. Bernard Accoyer. Comme à Sivens !

M. Jean-Pierre Barbier. Comble de la provocation, un festival « Open Barrikad » organisé par les « zadistes » doit avoir lieu ce week-end dans la commune et sur le site. Ce festival, monsieur le Premier ministre, est organisé à grand renfort de communication. Il est vécu, à juste titre, par la population et les élus locaux comme une véritable insulte.

Les risques de confrontation sont réels et ceux de troubles à l’ordre public ne peuvent être méconnus ou sous-estimés. Laisser se dérouler ce festival, sur un terrain privé occupé illégalement, serait une nouvelle fois considéré comme un recul de l’État,…

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Jean-Pierre Barbier. …un affaissement de l’autorité républicaine face à des occupants hors-la-loi. Un tel signe de mansuétude, voire de complicité de l’État serait incompris.

Monsieur le Premier ministre, il en va de notre responsabilité et de notre crédibilité. Je vous demande solennellement d’interdire cette manifestation et de faire évacuer le site afin de faire respecter enfin le droit à Roybon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, je comprends tout à fait l’exaspération de ceux qui subissent l’occupation illégale d’un territoire. Cela dit, vous connaissez les différentes péripéties qui ont émaillé la préparation et l’installation de cet équipement, ainsi que les décisions qui ont été prises.

Cet équipement doit créer près de 500 emplois : il est donc important pour ce territoire. Mais, en même temps, nous avons la responsabilité de concilier les constructions et la protection de l’environnement.

Vous le savez : suite à une décision de justice, le maître d’ouvrage a pris ses responsabilités, en accord avec les élus responsables du département qui se sont engagés, qui ont travaillé et qui sont en train de revoir le projet afin de respecter les dispositions du code de l’environnement. Le ministère de l’écologie est à leurs côtés pour leur permettre d’améliorer ce projet.

Monsieur le député, dès lors que le projet sera redéfini et décidé, le site sera évacué afin que le bon ordre républicain reprenne ses droits.

M. Bernard Accoyer. Qu’en est-il du festival ?

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

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Croissance, activité et égalité des chances économiques

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances (nos 2447, 2498).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de onze heures quarante-six minutes pour le groupe SRC, dont 573 amendements sont en discussion, neuf heures et cinquante-huit minutes pour le groupe UMP, dont 1 117 amendements sont en discussion, trois heures et trente-trois minutes pour le groupe UDI, dont 130 amendements sont en discussion, deux heures et vingt minutes pour le groupe RRDP, dont 65 amendements sont en discussion, deux heures et dix minutes pour le groupe écologiste, dont 145 amendements sont en discussion, deux heures et sept minutes pour le groupe GDR, dont 103 amendements sont en discussion, et quarante-quatre minutes pour les députés non inscrits.

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant après avoir entendu les orateurs inscrits à l’article 13.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Sur la base de l’article 58, alinéa 1.

Madame la présidente, la conférence des présidents de ce matin a décidé que l’Assemblée ne siégerait pas ce week-end, ce dont nous nous réjouissons, pour tout un tas de raisons, mais, contrairement à ce qui avait été évoqué par le président du groupe socialiste dans cet hémicycle, n’a pas allongé le temps programmé pour la discussion de ce texte bien qu’une disposition de notre règlement lui en donne la faculté.

Je tiens à le dénoncer car, à l’évidence, si j’en juge à ce qu’il nous reste à étudier, c’est-à-dire la bagatelle de 170 articles, si j’inclus les propositions de suppression qui ont été examinées tout à l’heure par la commission spéciale, je ne vois pas comment nous pourrions disposer du temps nécessaire, sans abuser, et personne ne fera le reproche aux orateurs du groupe UMP d’avoir jusqu’à présent exagéré sur l’utilisation de leur temps de parole, pour étudier ces sujets sans doute mineurs que sont le travail dominical, le travail tardif, le délit d’entrave, le licenciement collectif et autres points prévus au titre III, sans compter qu’à la fin du titre II, il y a également des dispositions importantes sur la défense, la vente des aéroports et deux ou trois autres points.

Je proteste donc à nouveau contre cette manière d’organiser les débats. Il n’appartient pas au Parlement de juger de la pertinence de délibérer sur ce texte de manière rapide. Peu importe après tout que le Gouvernement ne soit pas en mesure de permettre au Parlement de délibérer dans de bonnes conditions de la loi si importante qu’est la loi NOTRe, dont l’examen commence dans les commissions au moment où nous parlons, un grand nombre d’entre nous ne pouvant pas y participer puisque nous sommes ici.

Je vous remercie de bien vouloir transmettre à la conférence cette protestation énergique de notre groupe.

Mme la présidente. Il y a effectivement eu un débat ce matin en conférence des présidents, mon cher collègue. Il ne vous a pas échappé qu’à ce stade, il reste une quarantaine d’heures de discussion, que des séances ont été ouvertes vendredi et lundi, ce qui d’ores et déjà nous permet de travailler jusqu’à mardi. Il a été décidé que l’ensemble de la situation serait réexaminée lors de la prochaine conférence des présidents, qui est fixée à mardi matin. Il ne vous a pas échappé non plus que le vote n’a pas été inscrit la semaine prochaine.

Article 13 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 391, 541 et 962, tendant à supprimer l’article 13.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n391.

M. Philippe Houillon. Monsieur le ministre de l’économie, j’ai développé longuement hier soir les raisons pour lesquelles je défendais cet amendement de suppression. Compte tenu de l’heure tardive, vous n’avez pas pu répondre. J’attends donc surtout que vous répondiez à mes différents arguments.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n541.

M. Patrick Hetzel. À travers l’article 13, mais aussi d’autres dispositions de ce projet de loi, on voit bien que le Gouvernement a pour objectif d’ouvrir la profession d’avocat en détruisant aussi l’installation réglementée.

Ce texte aura inévitablement pour conséquence d’ouvrir le capital des études et des offices à des fonds capitalistiques, essentiellement anglo-saxons. Même si M. le ministre le conteste, il y a tout de même une bataille et il faut défendre le droit continental, ce que ne fait pas le Gouvernement.

Une telle ouverture aura pour conséquence la salarisation de certaines professions libérales, qui perdront leur déontologie et leur autonomie. Leur statut, nous avons déjà insisté sur ce point, leur donne une grande indépendance.

À terme, nous assisterons à une désertification juridique, plus particulièrement en milieu rural. Sur ce point d’ailleurs, le Gouvernement ne dit rien. Il affirme haut et fort qu’il n’en sera rien, mais il n’apporte aucun argument concret.

Plus embêtant encore, avec les dispositions envisagées par le Gouvernement, on entre dans la logique d’une véritable marchandisation du droit, c’est-à-dire que le droit est considéré comme un bien comme un autre. L’état d’esprit n’est plus du tout le même. Or il est évidemment essentiel que le droit soit exercé de manière autonome, efficace, et que nous ayons une véritable sécurisation des actes juridiques et des conseils juridiques de la part des principaux acteurs du droit en France.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n962.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, nous vivons dans un pays assez extraordinaire : il se réveille brutalement, en découvrant le monde tel qu’il est, un monde souvent violent, dans lequel, pourtant, la France peut s’honorer d’offrir à l’ensemble de ses citoyens un système juridique continental, certes unique, mais qui fonctionne. Dans ce système, nombre d’avocats exerçant en province sont contraints de sous-traiter à vil prix des affaires que leur confient de grandes structures parisiennes.

Dans ce monde que vous connaissez, monsieur le ministre, nous ne sommes pas de taille à lutter contre l’ouverture du capital des cabinets, qui engendrera baisse des salaires des collaborateurs et licenciements. Ceux-ci sont déjà prévus pour d’autres professions de justice.

En effet, à l’article 14, monsieur le ministre, vous envisagez de détruire la profession de notaire. Quant aux huissiers, qui comptent aujourd’hui 8 000 collaborateurs, ils en licencieront au moins 6 000 si votre funeste loi aboutissait, par inexpérience, à des décrets d’application. S’agissant des avocats, le capital et le poids des cabinets, y compris parisiens, ne sont pas suffisants pour résister à l’offensive inéluctable qui viendra d’outre-Manche.

Ainsi, monsieur le ministre, vous allez déstructurer entièrement l’accès au droit des habitants des zones rurales et des plus démunis de nos compatriotes, alors que, jusqu’à présent, le système fonctionne tant bien que mal. Je ne comprends pas cette forme de pensée unique, qui ouvre les portes des cabinets au grand capital, comme ce sera le cas pour les laboratoires d’analyse médicale. Vous allez détruire toutes les professions libérales, toutes les professions de santé et toutes les professions juridiques, pour une croissance nulle. En effet, votre loi ne créera aucun emploi supplémentaire. En revanche, elle rendra l’accès au droit encore plus difficile pour les citoyens des zones rurales et nos compatriotes les plus démunis.

Votre loi, monsieur le ministre, constitue un processus global, massif, de destruction du système français qui, pour autant, fonctionne. Ce n’est pas parce qu’il est unique qu’il est mauvais.

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique de la commission spéciale. S’agissant de l’article 13 qui traite de la profession d’avocat, chacun sait que le ministère d’avocat s’exerce sans limitation territoriale. Seules les règles de postulation posent une contrainte géographique.

Sur ce sujet, j’ai entendu la volonté forte du Gouvernement, qui m’a contrainte à reprendre le travail réalisé par la mission d’information sur les professions juridiques réglementées.

J’ai alors pu constater des divergences entre l’avis du Conseil national des barreaux – CNB – et celui du Conseil de l’Ordre de Paris. Par ailleurs, les présidents des cours d’appels, entendus dans le cadre de la mission, émettaient des réserves sur la postulation, en raison des insuffisances techniques liées à la dématérialisation des procédures. La chancellerie m’a également fait savoir que le vaste programme Portalis, lancé en 2005, deviendra opérationnel dans les mois qui viennent. De même, le réseau privé virtuel des avocats – RPVA –, où sont conservées les procédures dématérialisées des avocats, doit se déployer en 2015.

Enfin, dans le cadre du projet de loi, j’ai procédé, le 6 janvier 2015, en présence de certains députés de l’opposition, à une audition des bâtonniers des barreaux expérimentant la multipostulation, tant à Paris que dans les zones rurales proches de Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès. Selon ces bâtonniers, qui ne souhaitent pas revenir sur le dispositif dont ils ont l’expérience, la postulation étendue à la cour d’appel ne devrait pas poser problème.

Ces arguments m’ont semblé sérieux. Comme vous, mesdames et messieurs les députés, nous avons le souci que la multipostulation n’affecte pas le maillage territorial et la présence des avocats auprès des tribunaux de grande instance. Il nous a été recommandé de limiter la postulation et de ne pas l’autoriser pour les saisies immobilières, les licitations et partages, l’aide judiciaire et les plaidants au fond. Nous avons pris en compte ces préconisations.

Hormis ces réserves, il a été clairement dit que la possibilité offerte aux avocats d’aller et de venir sur le territoire d’une cour d’appel, ne posait pas de difficulté. Nous avons donc considéré que les avantages de cette multipostulation – lisibilité accrue, coût moindre, en raison également de la dématérialisation des procédures, que nous comptons impulser et qui obligera les cours d’appel à renforcer leurs exigences en la matière – satisfaisaient aux exigences de précaution. Comme vous, mesdames et messieurs les députés, nous voulons qu’au sein des TGI, les barreaux vivent.

Dernièrement, Mme Dati avait remanié de façon violente la carte judiciaire. Or c’est bien la suppression des tribunaux d’instance, non la postulation, qui a créé la difficulté, pour les avocats, de rester en place sur le territoire.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Très bien !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Un principe de précaution devait donc être appliqué à ce stade. Je m’engage à l’appliquer concernant les TGI car il est essentiel que la carte judiciaire ne soit pas modifiée, mais que la postulation soit autorisée, car elle représente un espace de liberté.

Enfin, les études récentes considèrent l’extension de postulation comme utile. Serge Guinchard, professeur émérite, dont la compétence est connue, a ainsi conclu à la nécessité d’en terminer avec le dispositif actuel, considérant qu’outre son manque de lisibilité, il n’apportait rien au client, notamment en termes de qualité.

C’est pourquoi, contrairement aux orientations prudentes que j’avais prises à la suite d’une expérimentation, j’ai décidé de suivre l’impulsion du Gouvernement, qui me paraît sage. Le principe de précaution a été appliqué dans cette situation, sachant qu’une expérimentation a déjà été menée. Ses effets positifs peuvent nous aider à aller un peu plus loin.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Comme je m’y étais engagé hier, je répondrai aux différentes questions soulevées dans la discussion sur l’article 13, et aux seuls propos en lien avec celui-ci. En effet, les allusions à la marchandisation du droit ou aux notaires constituent des prises de parole libres, auxquelles j’ai pu répondre lors de la discussion sur d’autres articles, notamment l’article 12. Je ne répéterai donc pas ce que j’ai déjà dit, afin de consacrer le temps nécessaire aux nouvelles dispositions.

L’article 13 vise à élargir la postulation aux cours d’appel. Il ne s’agit pas, comme j’ai pu l’entendre, de remettre en cause la totalité du fonctionnement de notre droit. Ces propos semblent légèrement excessifs, puisque la disposition dont nous parlons, qui vaut pour le civil, n’existe pas en matière pénale.

Pourquoi faisons-nous cette réforme ? Afin de réduire les coûts acquittés par le justiciable et d’éviter ceux liés à la postulation sur de nombreux actes, entre les TGI d’un même ressort. En effet, ces honoraires ne se justifient plus : chacun sait que, généralement, la constitution du dossier devant être présenté devant le tribunal d’un autre TGI est une procédure extrêmement matérielle. Celle-ci ne justifie pas aujourd’hui les honoraires payés, fruits d’un système qui s’est pérennisé et qui n’a pas pris en compte la suppression des avoués, évoquée hier par M. Houillon. Or nous devons tirer toutes les conséquences de cette bonne mesure, prise en 2011.

Aujourd’hui, le réseau dématérialisé existant, le RPVA, est connecté et mis en place dans les TGI du ressort d’une cour d’appel. Dans des tribunaux comme ceux de Besançon ou Mulhouse, entièrement équipés, le réseau fonctionne. Dans d’autres, quelques éléments restant à la charge de certains professionnels empêchent le complet déploiement du réseau. Le système existe pourtant. En voie de développement accéléré, il n’entrave pas cette mesure. Surtout, les dispositions de la loi du 25 janvier 2011, notamment la suppression des avoués, entrée en vigueur au 1er janvier 2012, ne correspondent plus à la logique que l’on souhaiterait maintenir.

De plus, je rappelle que les quatre cours d’appel de Paris, Versailles, Bordeaux et Nîmes, ont mis en place le RPVA : le système fonctionne…

M. Philippe Houillon. Ce sont des cours d’appel. Vous confondez cour d’appel et TGI !

M. Emmanuel Macron, ministre. …les retours d’expérience sont bons. Nous ne nous aventurons donc pas dans l’inconnu. On peut certes décider d’expérimenter sur l’expérimentation, mais celle-ci constitue déjà une base.

Sur ce sujet, qu’a proposé la commission spéciale pour préserver les équilibres financiers des barreaux, une préoccupation légitime, qui a été évoquée hier ? Considérant que certains barreaux, parmi les plus petits, pourraient se trouver fragilisés par une telle mesure, la commission spéciale a voté le principe selon lequel les ventes immobilières, les partages, les licitations et l’aide juridictionnelle resteront du ressort exclusif des barreaux des TGI. Après en avoir longuement débattu en commission spéciale, nous pouvons continuer d’en discuter ici.

Ces actes permettront d’assurer l’équilibre financier des barreaux. Nous nous inspirons ici directement de la pratique des quatre cours que j’évoquais il y a un instant, pour lesquelles les bâtonniers des barreaux concernés n’ont mentionné ni désertification ni perte d’activité.

Ainsi, le dispositif issu des travaux de la commission spéciale nous permet d’évoluer, pour un mieux-être de nos justiciables : conserver certains actes au niveau des plus petits barreaux garantit le maintien de leur équilibre économique.

Lors de l’examen du projet de loi en commission spéciale, nous n’avons en revanche pas eu l’occasion de discuter de l’étude d’impact du CNB. J’éprouve toujours le même respect et la même prudence à l’égard d’une étude d’impact émanant des professions, surtout lorsque ces dernières ont longtemps considéré comme inutile de transmettre l’information qui leur était demandée.

S’agissant de la méthodologie, les chiffres de l’étude sont issus d’un sondage de l’institut CSA, mené en décembre 2014 auprès de 614 avocats exerçant en individuel ou en association – je n’ai pas davantage de détails –, au sein de cabinets, dont 60 % pratiquent la postulation. Celle-ci ne représente, en moyenne, que 5,4 % du chiffre d’affaires des cabinets.

Le CNB souligne que « l’activité d’un cabinet liée à la postulation provient majoritairement d’un autre ressort que celui de sa cour d’appel », un point qui n’est pas concerné par la réforme. Ainsi, l’étude estime que l’incidence d’un élargissement de la territorialité de la postulation au ressort de la cour d’appel est limitée à 23 % de l’activité des cabinets, dont l’origine première réside dans le ressort de la même cour d’appel. En moyenne, il est donc question de 1 % de l’activité des 600 professionnels que j’évoquais.

Ensuite, le CNB évalue la perte de chiffre d’affaires à 52 millions d’euros, sans autre explication méthodologique.

M. Philippe Houillon. Pourquoi supprimer la postulation en ce cas ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Si vous savez expliquer à vos concitoyens qu’il faut payer 400 voire 500 euros pour faire passer le même acte d’un TGI à l’autre, faites-le ! Pour ma part, j’en serais incapable.

M. Philippe Vigier. Les frais de déplacement seront encore plus chers !

M. Emmanuel Macron, ministre. Cela n’est pas une bonne disposition, et je le regrette. Je regrette aussi, d’ailleurs, que celles et ceux qui voulaient que l’on aille plus loin pour d’autres dispositions considèrent qu’il s’agit ici d’un dispositif mineur, car ce n’est pas le cas. Les 52 millions d’euros avancés ne sont pas perdus pour les avocats : ils sont redistribués. Quand le prélèvement était injustifié, c’est du gain de pouvoir d’achat pour le justiciable. Ensuite, c’est de la redistribution entre différents avocats du même ressort.

Cette estimation confond les frais de postulation et les honoraires réels, puisque quand vous dites que 52 millions d’euros de chiffre d’affaires sont concernés par la postulation, vous englobez la totalité des frais – les frais de postulation et le chiffre d’affaires lié à la défense du dossier en lui-même, lequel n’a plus rien à voir avec la postulation et les tarifs réglementés.

M. Philippe Houillon. Vous confondez tout !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ces éléments sont approximatifs et ils remettent largement en cause, me semble-t-il, ce que vous avez pu décrire hier soir.

Venons-en maintenant aux raisons de fond de la réforme. C’est un gain pour les justiciables. Objectivement, nous ne pouvons plus justifier certains frais à l’heure où nous parlons. C’est également un gain pour certains professionnels, puisque c’est permettre à l’avocat qui ne peut aujourd’hui plaider qu’à Saint-Malo d’aller plaider à Rennes, et réciproquement.

M. Philippe Houillon. Mais ils peuvent déjà tous plaider partout !

M. Emmanuel Macron, ministre. Cela permet, au sein d’une cour d’appel, de redonner des marges de manœuvre à des professionnels et de leur offrir la possibilité d’exercer une activité au-delà des limites actuelles, ce que rend également possible l’évolution technologique en cours que j’évoquais tout à l’heure.

Deuxièmement, l’article 13 définit un régime d’autorisation plus court pour l’ouverture d’un bureau secondaire. Nous n’allons pas développer le salariat généralisé comme j’ai pu l’entendre. De fait, est bien rappelée la nécessité pour l’avocat de satisfaire ses obligations, en particulier en matière d’aide judiciaire et de commission d’office, également au sein du barreau dans le ressort duquel il dispose d’un bureau secondaire. J’insiste sur ce point, qui a été l’un des apports de notre précédente discussion : un avocat ouvrant un bureau secondaire prendra sa part des obligations pesant sur les avocats de ce barreau. Ce point semble avoir échappé à plusieurs des interlocuteurs avec lesquels je me suis entretenu et à plusieurs députés qui ont pris la parole hier soir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Sûrement pas !

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le député Poisson, vous n’étiez pas là. Je réponds aux inexactitudes parfois prononcées dans vos rangs. C’est également rendre justice à votre travail de rappeler ce que la commission spéciale a pu apporter. Ces obligations nouvelles participeront d’une meilleure couverture territoriale du service public, puisque les avocats ouvrant un bureau secondaire seront exposés aux mêmes obligations que les avocats de ce barreau.

Troisièmement, l’article 13 dispose que les avocats sont tenus d’établir une convention d’honoraires écrite. Cela va dans le sens d’une plus grande transparence, parce que cette convention déterminera le montant et le mode de détermination des honoraires qui couvrent les diligences prévisibles. Dans bien des cas, c’est ce qui manque à nos concitoyens. Je reviendrai plus tard sur les modalités de contrôle.

Enfin – excusez-moi d’être un peu bavard, mais j’avais promis de répondre point par point aux différents arguments –, monsieur Houillon, je veux revenir sur l’obligation d’indemnisation des avocats. Nous ne supprimons pas une profession…

M. Philippe Houillon. Je n’ai jamais dit cela !

M. Emmanuel Macron, ministre. …nous ne lui enlevons pas un monopole en termes d’actes. Le monopole territorial des avocats est élargi au niveau de la cour d’appel, il n’est pas supprimé. La compétence exclusive de l’avocat est entièrement maintenue. Aucune autre profession ne se voit attribuer cette compétence. Les justiciables seront toujours obligés de passer par un avocat pour agir au civil devant les TGI et les cours d’appel. Le monopole est élargi, mais il n’est pas supprimé, pas plus que la profession, ce qui nous aurait en effet conduits à prévoir une indemnisation, mais ce n’est pas le cas ici. Le Conseil d’État a validé notre raisonnement, quand il a examiné ce projet de loi.

De plus, le monopole de première instance et d’appel pour les ventes immobilières, les partages, les licitations et les aides juridictionnelles est intégralement maintenu, en première instance et en appel. Je confirme donc le raisonnement que j’avais tenu lors de notre discussion en commission spéciale : en aucun cas, ce qui est prévu ici, compte tenu des caractéristiques que je viens de rappeler, ne justifie un quelconque dispositif d’indemnisation. J’espère avoir répondu de la manière la plus exhaustive aux différents points soulevés pour émettre un avis défavorable aux amendements de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, la technologie permet désormais de suivre les débats parlementaires à distance : cela s’appelle Internet. (Sourires.) Vous devriez essayer, c’est très intéressant.

En vous écoutant, deux questions me sont venues. Tout d’abord, comment se fait-il que les bureaux de province renâclent tant, si le monde est aussi beau que vous le décrivez ? À vous entendre, l’article 13 n’a pas d’impact et il ne concerne qu’un chiffre d’affaires minoritaire. Tout est réglé. Pour les justiciables, c’est merveilleux, et pour les avocats il n’y a pas de danger. C’est à se demander pourquoi ils râlent !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Parce que la droite les énerve en leur racontant des mensonges !

M. Jean-Frédéric Poisson. À lire certains documents très sérieux – et il n’y a pas de raisons de douter de la bonne foi du Conseil national des barreaux –, on se demande si vous parlez bien de la même chose. Ensuite, lorsque je vous entends parfois mettre sur le même plan, quand cela n’est pas confondu, les frais de mise en état, les frais de plaidoirie et les tarifs réglementés dans la même phrase tout à l’heure – nous mettrons cela sur le compte de la rapidité d’expression –, en fait,…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce sont eux qui les confondent !

M. Jean-Frédéric Poisson. …je constate que vous ne savez absolument rien de l’impact qu’aura votre texte sur les barreaux. Madame la rapporteure, nous avons le droit de changer d’avis, même dans un court laps de temps. Toutefois, les expérimentations sur lesquelles vous vous fondez pour argumenter devant la représentation nationale…

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Pas seulement !

M. Jean-Frédéric Poisson. …ont-elles une durée de vie assez significative pour que l’on puisse dès maintenant en tirer vos conclusions ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Oui ! Elles remontent à 2011 !

M. Jean-Frédéric Poisson. Si effectivement, comme vous le répétez par ailleurs, de manière parfois insistante, ce sont des professions très inertes, chez lesquelles les mouvements sont lents et les ruptures étalées dans le temps, ne leur demandez pas de tout régler en trois ans ! Au fond, je continue de penser que la crainte exprimée par un certain nombre de barreaux de province est parfaitement fondée. Je suis tout à fait satisfait que nous ayons défendu cet amendement de suppression. Nous parlerons tout à l’heure de la postulation. Le risque de double concentration sur les plans capitalistique et géographique, que j’ai pointé depuis cette tribune et même depuis l’origine du débat, votre texte ne l’évitera pas. Vous n’êtes pas en mesure aujourd’hui de démontrer que vous êtes en train de prendre les décisions qui permettront de l’éviter.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Monsieur le ministre, vous avez expliqué que cet élargissement de la zone géographique dans laquelle les avocats vont désormais pouvoir plaider existait déjà dans le cas du pénal. Mais regardons ce qui s’est passé. Vous savez très bien que l’impact économique est lié à l’implantation des avocats, et je vous ai déjà cité en commission l’exemple des assises de Carpentras. Un jour, le Gouvernement a décidé de déplacer les assises de Carpentras à Avignon. L’impact économique, pour cette ville traditionnellement dotée d’une culture juridique et judiciaire très forte, a été immédiat. Un très grand nombre de cabinets d’avocats se sont déplacés là où se tenaient les assises, soit à Avignon, en ne gardant que quelques représentations beaucoup plus légères à Carpentras.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pas pour les assises !

M. Julien Aubert. L’impact en matière d’activité économique a été fort. Je veux dire, avec cet exemple, que les bouleversements que vous pourriez induire par votre réforme doivent être envisagés avec précaution, parce que c’est tout l’écosystème économique d’une ville qui est en jeu.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous exagérez !

M. Julien Aubert. Certains points de vos explications m’ont interpellé. Premièrement, vous avez expliqué que vous laisseriez l’aide juridictionnelle en place, de manière à conserver un volant d’activités pour les barreaux concernés. Or, ce n’est pas sur ce volume d’aide juridictionnelle que les avocats et les cabinets réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires. Vous savez très bien aussi que, pour un certain nombre d’avocats, il s’agit même d’une activité à perte.

De plus, vous mélangez parfois, dans votre argumentation et dans votre vision des incitations qu’ont les cabinets d’avocats pour s’installer, des choses qui relèvent de l’accès au droit et d’autres qui relèvent de l’activité économique. Or, aucun cabinet ne réfléchit en tenant compte de la thématique de l’accès au droit et de son amélioration pour les citoyens. Vous confondez ce qui relève de l’État – le fait que votre réforme permette un meilleur accès au droit – et le calcul économique des cabinets qui n’obéit pas à ce principe.

Dans votre argumentaire, un terme n’apparaît pas, et cela me semble assez mystérieux : celui de clientèle institutionnelle. Je vous avais expliqué en commission que ces clientèles institutionnelles représentaient une part significative – et cela avait d’ailleurs été pointé par les cabinets d’avocats auditionnés au sujet de la multi-postulation – dans la vie économique des cabinets. En les mettant en concurrence, vous allez produire un regroupement de cette clientèle autour de quelques avocats dans les zones géographiques dessinées et, partant, causer la mort clinique des avocats qui perdront avec elle une partie de leur chiffre d’affaires.

Concrètement, comment pensez-vous régler le problème de la répartition de cette clientèle institutionnelle, d’autant que vous avez attaqué l’étude menée par le Conseil national des barreaux, en pointant que la postulation ne représente que 5 % du chiffre d’affaires des cabinets ? Il est bien indiqué que ce sont essentiellement les barreaux de province de moins de 1 000 avocats qui sont concernés pour 7,2 % du revenu. Votre loi va bel et bien avoir un effet sur les zones les plus rurales et les territoires provinciaux. D’un point de vue économique, la clientèle institutionnelle représente un enjeu majeur. Comment votre loi répond-elle à ce problème et comment pouvez-vous certifier aux avocats qu’ils ne perdront pas l’accès à cette clientèle ?

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale. La première chose qu’il faut se demander, c’est : pourquoi devient-on avocat ? Devient-on avocat pour toucher de la postulation ? Quand je suis devenu avocat, il y a quarante ans, je ne pensais pas à toucher ou non de la postulation.

M. Philippe Houillon. Vous ne pensiez pas devenir député non plus !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Deuxièmement, comment vit-on quand on est avocat ? On vit dans un rapport avec des clients qui s’inscrit autour d’un honoraire global, lequel est discuté avant d’être traduit par une convention écrite. Telle est la réalité. On parle beaucoup de postulation, mais existe-t-elle devant le conseil des prud’hommes qui est désormais l’une des grandes juridictions ? Non ! Existe-t-elle devant le tribunal de commerce ? Non ! Existe-t-elle devant le tribunal d’instance ? Non ! Existe-t-elle devant toutes les juridictions pénales ? Non ! Existe-t-elle devant les commissions paritaires des baux ruraux ? Non ! Existe-t-elle devant toutes les juridictions de la Sécurité sociale ? Non ! Vous admettrez, à partir de là, que réduire l’activité de l’avocat à la postulation, c’est complètement ahurissant.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique et M. Richard Ferrand, rapporteur général. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne ne fait cela !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Ce qui compte, c’est la présence des juridictions. Or, la désertification, c’est vous qui l’avez causée avec la loi Dati, en supprimant les tribunaux d’instance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. La désertification, c’est vous qui l’avez causée, en supprimant les conseils de prud’hommes ! Vous avez profondément contribué à la désertification. Ce qu’il fallait faire, c’était maintenir les tribunaux d’instance et les vivifier très simplement, en leur confiant tout ce qui relève du droit de la famille. Quand on a une modification de droit de visite ou de paiement de pension alimentaire, on n’a pas besoin de faire cinquante kilomètres. La question peut être réglée par le tribunal d’instance. C’est cela qu’il fallait faire !

Non seulement vous avez détruit la proximité, mais vous n’avez pas répondu aux besoins que ressentent tous ceux que vous évoquez quand vous parlez de désertification. Arrêtez dès lors de faire un faux procès au Gouvernement.

La suppression des avoués près la cour d’appel était une bonne chose. Ils ont été indemnisés – même s’ils trouveront toujours que c’était insuffisant. Je rappelle que cette suppression a bénéficié aux avocats, qui ont pu alors reprendre leurs activités. Il est vrai qu’un certain nombre d’avoués sont devenus avocats, et ils ont été bien évidemment intégrés par les barreaux, suite aux relations privilégiées que ceux-ci entretenaient avec eux, même si ce n’était pas une obligation. En tout cas, cette suppression a permis d’avoir une nouvelle réflexion sur la postulation : on doit tenir compte du fait que l’avocat remplaçant l’avoué près la cour d’appel, c’est à ce niveau que se fait sa postulation et pas seulement au niveau du tribunal de grande instance auquel il est rattaché.

Voilà pourquoi j’estime que la solution proposée est de bon sens.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Eh oui !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Je pense, monsieur le ministre, qu’il ne faut aller ni en deçà, ni au-delà. Certains barreaux, je pense à celui de Paris, étaient plus ou moins favorables à la suppression de la postulation, mais il faut la conserver et surtout s’engager à ce que la carte judiciaire ne soit pas à nouveau réformée dans le cadre d’une désertification rurale dont vous êtes les responsables, chers collègues de l’opposition. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Houillon. Il y aura mécaniquement encore plus de désertification avec cette réforme !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je veux prolonger la réflexion très pertinente de M. Tourret, en rappelant d’abord que le problème de la désertification, s’agissant des avocats, renvoie au nombre de juridictions sur un territoire donné.

Deuxièmement, je tiens à attirer l’attention de tout le monde sur le fait que plus de la moitié des avocats travaillent dans des territoires à multipostulation, comme c’est le cas des tribunaux de Paris, Créteil, Bobigny et Nanterre depuis plus de vingt ans, la multipostulation concernant même les cours d’appel – ceux près la cour d’appel de Nanterre pouvant siéger à celle de Versailles.

M. Philippe Houillon. Ils veulent en sortir !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Avec l’arrivée dans ce système des tribunaux de Nîmes, d’Alès, de Toulouse et de Libourne, le nombre d’avocats concernés devient assez important. Nous savons bien que la position des barreaux varie sur le sujet : certains veulent entrer dans le processus de multipostulation, tandis que d’autres s’y refusent. Je note qu’il existe des barreaux installés au niveau départemental – je pense à Niort en particulier – et que d’autres ont opté pour une prise en charge mutuelle, notamment au niveau des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats. Ainsi, la grande CARPA de l’Ouest couvre maintenant plusieurs cours d’appel et TGI, ce qui montre bien que les avocats sont capables de s’associer avec intelligence, pertinence et beaucoup d’innovation. On sait bien sûr que certains barreaux craignent cette évolution, et c’est pourquoi notre mission d’information avait pensé qu’il ne fallait pas céder à la demande, notamment, du barreau de Paris, d’une postulation étendue à l’ensemble du territoire national, car ce serait confondre les compétences de postulation avec celles liées à la plénitude de l’exercice du métier d’avocat.

Il était nécessaire de proposer un dispositif qui tienne compte des réalités territoriales, notamment s’agissant des barreaux. C’est pourquoi la mission s’était demandée si on pouvait temporiser, mais beaucoup de barreaux nous ont dit que ce n’aurait pas d’intérêt, ajoutant qu’il serait d’ailleurs difficile d’en apprécier les effets. Du coup, limiter la postulation au niveau de la cour d’appel devrait permettre assez rapidement à l’ensemble des barreaux situés dans le ressort de la même cour de trouver leurs propres équilibres.

Il faut reconnaître que la postulation est incomprise des justiciables. Je rappelle au passage que certains avocats ne perçoivent pas d’honoraires au titre de la postulation, du fait des échanges entre confrères relevant de tribunaux différents. La suppression du barème pour ces honoraires devrait signifier une économie pour les justiciables. Je pense que le dispositif proposé est le plus approprié dans la situation actuelle et que les barreaux, auxquels je fais totalement confiance, vont entrer dans des débats collectifs, internes puis inter-barreaux, pour que cette nouvelle postulation ne conduise pas à la mort de certains d’entre eux dans des territoires désertifiés. Notre collègue a très justement rappelé que ce n’est pas la postulation qui maintiendra ces barreaux, mais la présence d’une juridiction. Sinon, ils viendront s’installer dans les grandes aires urbaines, auprès des grandes cours d’appel et des juridictions pour lesquelles il n’y a pas de postulation.

Voilà l’enjeu fondamental. C’est pourquoi je soutiens la proposition du Gouvernement : entrons dans un dispositif de postulation à l’échelle de la cour d’appel. C’est un ressort suffisamment important pour que les barreaux s’approprient le dispositif dans les conditions les plus pertinentes.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Nous assistons à une prise de contrôle par Bercy, alors qu’il s’agit d’une question juridique. C’est tout de même assez hallucinant. On l’a déjà dit hier plusieurs fois : Mme Taubira brille par son absence. C’est consternant. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Elle n’est pourtant pas en déplacement puisqu’elle a répondu, tout à l’heure, lors des questions au Gouvernement. Elle devrait être dans l’hémicycle pour préciser des points de droit. (Mêmes mouvements.)

Il y a deux explications possibles : soit Mme Taubira est contre ce texte, soit elle méprise la représentation nationale – ce qui est aussi grave – puisqu’elle brille par son absence alors que nous débattons de questions essentielles pour la profession d’avocat. C’est choquant. Voilà pourquoi j’ai parlé de prise de contrôle par Bercy. Hier, il s’agissait des professions réglementées – notaires, greffiers, huissiers de justice, liquidateurs judiciaires, commissaires-priseurs –, auxquelles vous reprochiez, monsieur le ministre, d’être trop chères et de pratiquer leurs tarifs de manière peu transparente… Mme Taubira n’était pas plus présente qu’aujourd’hui.

Vous êtes seul au banc du Gouvernement parce que c’est vous qui portez cette réforme, dont le titre vaut d’être rappelé : « Croissance, activité et égalité des chances économiques ». Je note au passage qu’on ne voit pas trop ce que viennent y faire le problème de la postulation et le métier d’avocat, sinon que c’est un texte fourre-tout – et par ailleurs assez inutile. C’était assez impressionnant de vous entendre, hier, dire que vous alliez créer un fonds de péréquation en prenant de l’argent aux professions réglementées pour aider financièrement les avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Cela veut dire que l’État n’a plus les moyens de la financer et qu’il choisit de prendre une partie des revenus tirés de métiers censés être rémunérateurs.

Monsieur Le Bouillonnec, vous êtes même allé hier très loin dans votre analyse, en estimant qu’il serait aussi possible d’établir un système de péréquation entre avocats, puisque certains perçoivent l’aide juridictionnelle tandis que d’autres ne plaident pas, notamment à Paris. Mais je remarque que cet après-midi, vous vous avancez moins… Sans doute y a-t-il eu une réunion de recadrage (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC)

Mme Valérie Fourneyron. Ça ne se passe pas du tout ainsi !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce qui est excessif est insignifiant !

M. Dominique Tian. …concluant qu’on ne pouvait tout de même pas mettre en cause deux fois les avocats : supprimer la postulation tout en leur demandant de participer à un système de péréquation interne.

Votre texte, monsieur le ministre, est absolument inapplicable faute d’étude d’impact. Vous nous avez annoncé 52 millions, mais on ne sait pas exactement d’où ils sortent, et ils ne représenteraient de toute façon qu’une infime partie de ce qui serait nécessaire pour indemniser les avocats. Une grande majorité des avocats de notre pays étaient dans la rue il y a quelque temps pour clamer que cet article était une erreur historique qui allait conduire à la désertification du territoire et que ce serait un coup fatal porté à une profession malheureusement appauvrie au cours des années.

Je regrette qu’il n’y ait pas d’étude d’impact et plus encore que les professionnels, notamment les barreaux, ne soient pas écoutés. Je souhaite que Mme Taubira, qui est tout de même le garde des sceaux, s’exprime sur le sujet. Il paraît qu’elle serait quelque peu réservée sur cette réforme.

M. Philippe Houillon. Euphémisme !

M. Dominique Tian. Ce serait bien qu’elle en parle. Ce n’est pas au ministre de l’économie de s’occuper de la carte judiciaire de notre pays et de l’avenir d’un certain nombre de professions juridiques.

Mme Valérie Fourneyron. Ce n’est pas un projet de loi sur la carte judiciaire !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. J’ai bien écouté la plaidoirie de mon collègue Alain Tourret, mais lorsqu’il a dit que la majorité précédente avait organisé les déserts juridiques, je me suis demandé ce que le Gouvernement avait fait depuis deux ans et demi. Je me souviens que la gauche nous disait : « C’est scandaleux ! Vous fermez des tribunaux de grande instance et des conseils de prud’hommes ! ». Mais depuis, bizarrement, je constate que le tribunal de Chateaulin est toujours fermé.

Mme Véronique Louwagie. Celui de Nogent-le-Rotrou aussi !

M. Philippe Vigier. Une chose à toujours éviter parce que c’est la concrétisation de l’inaction des pouvoirs publics : dire qu’on va rétablir et ne rien faire après. Or malheureusement, ce sera votre trace, inscrite dans le marbre.

Monsieur le ministre, si vous voulez porter la postulation au niveau des cours d’appel, c’est parce que cela coûterait moins cher à nos concitoyens qui font appel à un avocat. Alain Tourret l’a clairement dit : la postulation n’existe pas vraiment pour les tribunaux d’instance, pour les tribunaux de commerce et les conseils de prud’hommes. La seule marge de manœuvre, c’est donc la cour d’appel. Quelle est alors l’économie attendue pour chaque client qui va faire appel à un avocat ?

M. Philippe Houillon. Zéro !

M. Philippe Vigier. Madame la rapporteure thématique, vous avez évoqué les concentrations, et je suis élu d’Eure-et-Loir – comme Laure de La Raudière –, un département dont la cour d’appel est à Versailles. Le jour où la postulation sera élargie au ressort de la cour d’appel, la plupart des avocats seront basés à Versailles.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais si, bien sûr !

M. Philippe Vigier. Vous pouvez le nier, monsieur Le Bouillonnec, mais les faits ont la tête dure. La concentration, quoi que vous fassiez, sera au rendez-vous. On le mesure malheureusement un peu plus chaque année.

Je note que la commission spéciale a limité les activités pour lesquelles les avocats pouvaient postuler auprès de l’ensemble des TGI…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est la règle actuelle.

M. Philippe Vigier. …parce que vous vous êtes rendu compte, monsieur le ministre, que vous commenciez à commettre une erreur, que vous alliez un peu loin car la concurrence risquait de s’exercer et qu’il fallait donc restreindre le champ de la mesure. Je suis à cinquante kilomètres du tribunal de grande instance de Chartres et à cent kilomètres de la cour d’appel… Que se passera-t-il demain ? Il n’y a même pas de train quotidien pour se rendre à Versailles. Vous n’avez pas de solution à proposer au justiciable.

M. Bruno Le Roux. L’autocar !

M. Philippe Vigier. Respectez au moins ceux qui, dans leurs territoires, connaissent ces difficultés au quotidien ! Je sais bien que vous savez tout sur tout, mais acceptez tout de même, d’une part, qu’il peut y avoir des situations un peu particulières, et, d’autre part, que vous aboutirez à des concentrations. De toute façon, les faits le démontreront.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. De l’excellent Vigier !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Je ne comprends pas ce qui empêcherait de se donner le temps de l’analyse et de vérifier les conséquences de l’extension de la postulation au ressort des cours d’appel. Monsieur le ministre, vous aviez déjà reconnu en commission que vous n’avez pas vraiment d’étude d’impact à faire valoir en l’espèce. Hier, lors de l’examen de l’article 12, c’est la raison pour laquelle vous avez su faire preuve d’un certain pragmatisme que nous avons salué comme il convenait – même si, ensuite, nous avons dû mettre quelques bémols.

Certes, il y a une étude du Conseil national des barreaux, qui est d’ailleurs particulièrement inquiétante quant aux conséquences de la réforme – je comprends que vous l’appréhendiez avec une certaine réserve. Mais ce qui devrait encore davantage vous interpeller, ainsi que Mme la rapporteure thématique, ce sont les conclusions de la mission d’information : elle a rendu à l’unanimité un rapport particulièrement circonspect et justifiant, selon elle, de se livrer au moins à une expérimentation avant toute décision définitive en la matière. Mme la rapporteure thématique nous a expliqué tout à l’heure qu’après réflexion, elle se distanciait de l’orientation du rapport, qu’elle a qualifiée de prudente – c’est bien le moins qu’on puisse dire. C’est parfaitement son droit.

Je rappelle que ce sont la mission d’information et la commission des lois qui, dans toute leur diversité…

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Marc Dolez. …ont, il y a quelques semaines, pris sur le sujet une position extrêmement prudente et souhaité qu’avant d’étendre la postulation, on mesure toutes les conséquences de cette décision, en se livrant à tout le moins à une expérimentation.

J’admets, monsieur le ministre, ne pas bien comprendre l’urgence qu’il y aurait à passer outre les réserves émises et les inquiétudes exprimées !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission spéciale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Quel que soit le sujet abordé, on entend sur certains bancs toujours les mêmes arguties et faux arguments pour expliquer qu’il convient de ne rien faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Tian. N’importe quoi !

M. Julien Aubert. Bel esprit d’ouverture !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. M. Dolez, comme M. Woerth hier, considère que puisque ce n’est pas urgent, il ne faut rien faire.

M. Yves Censi. Auriez-vous mal compris M. Woerth ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. S’agissant de la déterritorialisation de la postulation, la mission d’information a certes abordé la question, mais j’avais au préalable remis un rapport sur le sujet. Dans ce cadre, je m’étais entretenu avec plusieurs premiers présidents de cour d’appel, un grand nombre d’avocats et d’autres professionnels du droit. En réponse à la question de savoir s’il était souhaitable, prudent ou utile de déterritorialiser au plan national le monopole de la postulation des avocats, il s’est progressivement dégagé un consensus – étant entendu que personne n’a répondu sous la torture ! – pour estimer qu’il serait sage de le faire au niveau de la cour d’appel, parce qu’il était temps que le réseau privé virtuel des avocats – le RPVA – donne toute sa mesure, que le système de postulation était de fait assez antique, que l’on ne voyait pas très bien la valeur ajoutée qu’il apportait à l’administration de la justice et que, par conséquent, il convenait de le faire évoluer – et ce d’autant plus que, comme Alain Tourret l’a fort brillamment expliqué, il n’y a plus guère que devant le tribunal de grande instance qu’il fonctionne.

Il est bien évident qu’il ne s’agit pas d’une mesure urgente, mais si l’on ne traitait les problèmes que lorsqu’ils deviennent urgents, on ferait en permanence le pompier. Ne soyons pas pyromanes et tâchons de faire évoluer les choses au rythme où elles doivent évoluer !

M. Yves Censi. C’est effectivement de la combustion lente… (Sourires.)

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Comme la mission d’information, j’ai reçu le président du Conseil national des barreaux et le président de la Conférence des bâtonniers ; et quand j’ai demandé si l’on disposait de données chiffrées susceptibles de nourrir les craintes d’appauvrissement numérique des barreaux – car là est l’enjeu essentiel, plutôt que la réduction du chiffre d’affaires, même si les deux peuvent être liés –, on m’a invariablement répondu que c’étaient les juridictions, et non la postulation, qui déterminaient le nombre d’avocats, et que s’il était vrai que, pour ce qui est de la clientèle institutionnelle – banques, assurances, etc. –, on pouvait craindre, à la marge, une diminution du chiffre d’affaires…

M. Philippe Houillon. Pas à la marge !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. …aucun de ces arguments ne devait pour autant aller contre la nécessaire évolution du système.

M. Julien Aubert. Mensonge !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est pourquoi, je le répète, la commission émet un avis défavorable à ces amendements de suppression.

Et maintenant, s’il vous plaît, chers collègues, il nous faut avancer !

Mme la présidente. Chers collègues, après une heure passée à examiner ces amendements de suppression de l’article, je propose que nous passions à la mise aux voix. Je vous rappelle que la commission et le Gouvernement ont tous deux émis un avis défavorable sur ces amendements.

(Les amendements identiques nos 391, 541 et 962 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’une série d’amendements, nos 201, 272, 392, 538, 1366, 2000 et 2845, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 272, 392, 538, 1366, 2000 et 2845 sont identiques.

La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n201.

Mme Michèle Bonneton. Le présent amendement reprend la proposition, émise par la rapporteure de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées, que l’extension du monopole de la postulation des avocats au ressort de la cour d’appel fasse l’objet d’une expérimentation.

Actuellement, les conditions de cette postulation ne sont pas satisfaisantes, en raison de son manque de transparence et des coûts qu’elle peut engendrer. Toutefois, la disposition incluse dans le projet de loi soulève nombre d’interrogations ; on ignore quelles en seront les conséquences et sa préparation nous paraît insuffisamment aboutie. D’autre part, il faut prendre garde à ne pas fragiliser certains barreaux éloignés des grandes métropoles.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme Michèle Bonneton. L’expérimentation prévue par l’amendement se déroulerait sur trois ans dans le ressort de deux cours d’appel. Six mois avant sa fin, un rapport d’évaluation serait remis au Parlement.

Mme Laure de La Raudière. Voilà une bonne façon de légiférer !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n272.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cet amendement tend à supprimer les alinéas 2 à 9 de l’article 13, qui modifient profondément la loi de 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques en prévoyant d’étendre le monopole de la postulation des avocats au ressort de la cour d’appel. L’alinéa 2 de l’article tire les conséquences de cette décision en maintenant la multipostulation pour les avocats inscrits aux barreaux de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et en la supprimant pour ceux inscrits, d’une part, aux barreaux de Bordeaux et de Libourne, d’autre part, aux barreaux de Nîmes et d’Alès.

Plusieurs arguments justifient le maintien du monopole de la postulation des avocats au ressort de chaque tribunal de grande instance.

La disposition prévue aurait des conséquences sur l’équilibre économique et numérique des barreaux situés dans des régions rurales – notamment dans mon département, la Lozère, que vous évoquiez hier, monsieur le ministre –, dans lesquels peu d’avocats sont inscrits.

Une remise en cause du maillage territorial tel qu’il résulte de la carte judiciaire en vigueur restreindrait l’accès au droit des populations habitant dans les zones rurales du territoire. Les avocats doivent pouvoir s’acquitter de leurs obligations d’assistance, de conseil et de représentation en matière d’aide juridictionnelle pour les personnes les plus démunies et en matière de commission d’office.

La diminution prévisible du nombre des avocats appartenant aux barreaux dont les effectifs sont les moins importants pourrait être source de difficultés, notamment en matière pénale. Cette désertification ne pourra pas être compensée par la libéralisation de l’ouverture de bureaux secondaires par des avocats inscrits à de barreaux extérieurs, car ceux-ci ne pourront, compte tenu de l’éloignement territorial, accomplir au quotidien les missions de proximité liées au statut de l’avocat.

Mme la présidente. Sur les amendements identiques nos 272, 392, 538, 1366, 2000 et 2845, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n392.

M. Philippe Houillon. Cet amendement vise lui aussi à supprimer les alinéas relatifs à la déterritorialisation de la postulation.

Les explications du ministre et du rapporteur général comportent beaucoup d’inexactitudes et d’amalgames.

Madame la rapporteure thématique, vous avez dit tout à l’heure qu’il fallait être attentif au principe de précaution. Or, quand on dépose un projet de loi visant à modifier la règle du jeu, le principe de précaution s’appelle « étude d’impact ». En l’occurrence, d’étude d’impact, il n’y en a pas. Il est inacceptable de modifier les règles du jeu sans avoir préalablement examiné les conséquences de ces dispositions !

J’ajoute que la mission d’information a entendu 160 personnes pendant plus de cinquante heures – excusez du peu. Je vous accorde que l’on a le droit de changer d’avis, mais notre mission d’information n’a pas sorti ses conclusions de son chapeau ! Celles-ci, qui ont été adoptées à l’unanimité, avaient été longuement mûries et conduisaient à vouloir d’abord étudier les conséquences qu’aurait une telle mesure. Or, pour l’heure, nous ne disposons que d’une étude d’impact réalisée à la demande du Conseil national des barreaux. Vous considérez, monsieur le ministre, que le montant en jeu serait de 54 millions d’euros, donc pas grand-chose ; mais vous semblez avoir confondu le tarif de postulation, qui correspond à un acte bien déterminé, avec le chiffre d’affaires ! En réalité, si j’ai bien lu l’étude d’impact, ces 54 millions correspondraient au manque à gagner lié à la seule activité de postulation.

Par conséquent, on peut considérer qu’il y aura bien un préjudice. Or, dès lors que ce dernier découle de la loi, cela engage la responsabilité de l’État, et il devrait y avoir une indemnisation. Votre réponse consiste à dire que vous ne supprimez pas un monopole, mais que vous l’étendez. Pourtant, il est bien évident que vous modifiez le système de manière substantielle, puisque vous injectez sur un territoire jusqu’alors soumis au monopole de la postulation, des centaines voire des milliers de concurrents supplémentaires. Il n’est pas sérieux d’écarter cette question d’un revers de la main ! Il aurait fallu pouvoir débattre de la question de l’indemnisation.

Vous dites que le système est dépassé et que le nouveau dispositif coûtera moins cher au justiciable. Mais c’est faux ! Vous avez là encore, monsieur le ministre, écarté d’un revers de la main la question de la mise en état. Or, puisque votre texte ne modifie pas le code de procédure civile, celle-ci existera toujours, et il y aura toujours des diligences intermédiaires entre l’acte introductif d’instance et la plaidoirie. Vous soutenez que dorénavant, n’importe quel avocat de France pourra plaider à Saint-Malo ; certes, mais c’était déjà possible – et, surtout, ce n’est pas le problème !

Le problème, c’est que le déroulement de la procédure donne lieu à des diligences intermédiaires, et que cela continuera même après l’adoption de votre texte. Or celles-ci auront un coût, qui devra être réglé, même si l’on supprime le tarif de postulation. Par conséquent, il est erroné de dire que le justiciable paiera moins cher : les honoraires de diligences resteront.

Les exemples pris par M. Tourret sont à cet égard intéressants, puisqu’il s’agit de procédures sans diligences intermédiaires. Ainsi la procédure devant les prud’hommes – qui va être réformée – prévoit une audience de conciliation ; si celle-ci échoue, l’affaire est portée devant le bureau de jugement pour plaidoiries. Entre ces deux phases, il y a un échange direct entre les parties, mais pas d’audience de mise en état, pas de diligence où le tribunal ou la juridiction concernée interviendrait.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Et la demande de renvoi ?

M. Philippe Houillon. La demande de renvoi n’est pas une mise en état !

En revanche, devant le tribunal de commerce, il y a une mise en état – même s’il n’y a pas de postulation au sens technique du terme. Or, M. Tourret le sait aussi bien que moi, faute de moyens techniques, on saisit des avocats locaux pour assurer ces audiences de procédure. Il me semble d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous avez confondu la juridiction d’appel avec la juridiction de grande instance quand vous avez dit le système fonctionnait au niveau de la cour d’appel ; s’il fonctionne en effet dans le cadre de la procédure d’appel, il ne fonctionne pas pour l’heure entre les tribunaux de grande instance du ressort d’une même cour d’appel : ce sont deux choses distinctes. Si les diligences devenaient plus compliquées, soit parce que l’avocat devrait se déplacer, soit parce que les moyens techniques seraient insuffisants, elles coûteraient au final plus cher.

Que va-t-il donc se passer, monsieur le ministre ? Vous n’avez pas répondu hier soir – ce que je comprends, puisque, comme nous ne disposons d’aucune étude d’impact, il est difficile de quantifier avec exactitude les conséquences d’une telle mesure. Mais c’est mécanique ! Bien évidemment, la clientèle institutionnelle, que le rapporteur général considère comme négligeable, ce qui révèle sa méconnaissance profonde de la profession d’avocat…

M. Dominique Tian. Bien sûr !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je n’ai jamais dit qu’elle était négligeable !

M. Philippe Houillon. La clientèle institutionnelle est en effet de moins en moins « négligeable », puisque, avec la multiplication des prestations telles que la protection juridique ou la défense recours, un nombre croissant d’affaires proviennent des clients institutionnels.

À l’heure actuelle, compte tenu des règles de postulation, ces clients institutionnels ont besoin d’un avocat postulant par barreau, par juridiction. Demain, cela ne sera plus le cas. Par conséquent, non seulement vous ne ferez pas gagner un centime au justiciable, puisque les diligences demeurent, mais encore vous assisterez à un regroupement des cabinets secondaires au niveau des cours d’appel.

Vous parliez tout à l’heure de ces cabinets, monsieur le ministre, en vous glorifiant que les avocats ayant un cabinet secondaire seront obligés de souscrire aux obligations ordinales correspondantes. Sur ce point encore, aucune évaluation n’a été faite ! Cela signifie que ces avocats devront non seulement souscrire aux obligations ordinales de leur barreau, mais également, à cause de leur cabinet secondaire, à celles d’un autre barreau. Les conséquences de cette obligation n’ont pas été étudiées.

On peut se poser la question : ceux qui feront le double de travail, ne le feront-ils pas moins bien ? Si vous voulez une justice de moindre qualité, alors allons vers ces mesures. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, mais qu’il faut au moins y réfléchir.

Tout ceci démontre que vous allez beaucoup trop vite en besogne, pour un intérêt que l’on a du mal à voir. Le justiciable n’y gagnera rien, en effet. Vous voulez – et sur ce point je peux vous rejoindre – des conventions d’honoraires systématiques. Mais dans ces conventions d’honoraires, croyez-vous qu’il n’y aura rien sur la postulation ? Vous demandez que l’on détaille les diligences dans les conventions : la postulation y figurera donc. Et vous croyez que ce ne sera pas chiffré ? Mais bien sûr que si, c’est évident !

Le justiciable n’y gagnera donc rien. De plus, vous n’avez réalisé aucune étude d’impact à propos du chiffre d’affaires que cela fera perdre, et vous ne proposez aucune indemnisation. Enfin, vous prenez le risque de délocaliser un certain nombre de cabinets qui créent des antennes, des cabinets secondaires. Tout cela aboutira mécaniquement à un résultat inverse de celui que vous souhaitez.

J’entendais M. Le Bouillonnec dire : ce sont les juridictions qui font les barreaux. Certes, mais s’il n’y a plus de barreau près d’une juridiction, alors ce seront les barreaux qui déferont les juridictions !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n538.

M. Dominique Tian. Philippe Houillon a été éblouissant… (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Arnaud Leroy. Rien que ça !

M. Dominique Tian. …et surtout très précis.

J’ai remarqué, monsieur le ministre, que vous l’avez écouté avec attention. J’ai lu dans Le Monde – journal que vous lisez, et qui vous aime bien par ailleurs – les déclarations que vous avez faites hier à propos du corridor tarifaire, sur lequel votre jugement a changé.

M. Yves Censi. Et dans quelles circonstances ?

M. Dominique Tian. Vous disiez : « Je n’avais pas vu l’effet pervers que cette mesure pouvait avoir du côté de la demande. » Comme l’écrit Le Monde, ce mea culpa vous honore. Nous pensons d’ailleurs que vous ne pourrez pas éviter de faire à nouveau amende honorable dans quelques minutes, à cause de la brillante démonstration de Philippe Houillon.

Malgré votre brillant parcours, vous reconnaissez avoir quelques lacunes ; Mme Taubira n’étant pas présente pour apporter quelques compléments d’ordre juridique, je pense qu’il serait plus prudent, monsieur le ministre, de revenir sur votre décision.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’était mieux quand M. Houillon parlait ! C’était plus construit !

M. Dominique Tian. Après tout, cela ne ferait jamais qu’un mea culpa par jour !

M. Yves Censi. C’est votre chemin de croix, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour soutenir l’amendement n1366.

Mme Arlette Grosskost. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n2000.

M. Marc Dolez. Cet amendement est défendu, pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure.

Je profite de cette prise de parole pour dire à M. le rapporteur général de la commission spéciale qu’à aucun moment je n’ai dit qu’il fallait ne rien faire ! Je rappelle que l’ensemble des professions juridiques réglementées acceptent tout à fait de discuter de l’évolution de leurs conditions d’exercice, et qu’elles veulent le faire avec leur ministre de tutelle.

Ce que j’ai dit, c’est qu’il n’y a aucune urgence à mettre en place des mesures dont on ignore complètement les conséquences. Les quelques éléments dont nous disposons, que ce soit grâce à la profession elle-même ou grâce à la mission d’information qui s’est penchée très précisément sur le sujet, laissent transparaître beaucoup d’inquiétudes.

Je me permets de vous rappeler, monsieur le rapporteur général, que vous-même avez cru bon de faire état de propos tenus par le bâtonnier de Libourne à la page 51 du rapport sur les professions réglementées, que vous avez remis au ministre de l’économie au mois d’octobre dernier. Selon ce bâtonnier, ses confrères ont « perdu, depuis la mise en place de la multipostulation, 70 % à 80 % des dossiers de postulation. »

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce n’est pas mon rapport que vous tenez à la main !

M. Marc Dolez. C’est en effet le rapport de Mme Untermaier sur les professions juridiques réglementées que j’ai ici, mais ce rapport cite le vôtre, monsieur le rapporteur général. L’extrait que j’ai lu provient ainsi de votre rapport. Je confirme donc qu’à la page 51 de votre rapport sur les professions réglementées, vous faites état des déclarations du bâtonnier de Libourne que j’ai citées.

Vous conviendrez qu’avec de tels éléments, le temps de l’analyse et de la réflexion s’impose.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour soutenir l’amendement n2845.

Mme Jeanine Dubié. Plusieurs arguments, largement développés par les précédents orateurs, justifient la suppression des alinéas prévoyant d’étendre le monopole de la postulation des avocats au ressort de la cour d’appel. Il convient de maintenir ce monopole au niveau du ressort de chaque TGI. En effet, cette disposition aurait des conséquences sur l’équilibre économique et numérique des barreaux situés dans les zones rurales et périurbaines, dans lesquelles un nombre peu important d’avocats sont inscrits.

Ce maillage territorial est essentiel, notamment en milieu rural, pour que l’ensemble de la population puisse accéder de manière égale au droit. Il n’y a pas de raison pour que les populations de territoires de montagne ou de territoires ruraux en soient exclues. C’est pour cette raison d’équité que nous demandons la suppression des alinéas 2 à 9 de cet article 13.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable, madame la présidente, pour les motifs que nous avons évoqués précédemment.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable, pour les motifs précédemment évoqués.

Permettez-moi de revenir sur les arguments qui m’ont été opposés. Je n’ai pas confondu ce qui relève de la mise en état avec les autres frais ; je faisais simplement référence à la notion de chiffre d’affaires telle qu’évoquée par le rapport du Conseil national des barreaux. Or les montants de chiffre d’affaires avancés par le CNB sont flous, on le voit bien : ils reposent sur des estimations. Le CNB invoque en permanence l’argument selon lequel cette réforme déstabilisera en profondeur les barreaux, sans pour autant étayer cette affirmation par des chiffres solides. On voit bien que le CNB raisonne à partir de moyennes, sans décrire stricto sensu l’impact supposé de la réforme.

Pardonnez-moi si je me suis mal expliqué tout à l’heure ; je voulais précisément dire que la réforme aura un impact beaucoup plus limité que l’imagine le CNB. Celui-ci se fonde en effet sur le chiffre d’affaires, qui ne se résume pas à la mise en état.

Pour répondre à présent à Mme Dubié, en aucune façon cette réforme n’affectera le droit de tous à accéder à la justice. En effet, tout avocat pourra non seulement plaider, mais aussi mettre en état auprès d’autres barreaux, d’autres TGI ! M. Houillon avait tout à fait raison de dire que les avocats peuvent d’ores et déjà se déplacer. Ce qui est impossible, c’est ce qui relève de la postulation stricto sensu, en particulier la mise en état du dossier. Cela entraîne des frais supplémentaires pour le justiciable, frais qui n’ont plus rien à voir avec la réalité de notre justice.

Enfin, je confirme que le système informatique actuel fonctionne bien au sein des TGI et au sein des cours d’appel pour les actes qui relèvent d’elles. C’est le branchement entre les différents TGI d’un même ressort de cour d’appel qui n’est pas opérant à l’heure actuelle ; il n’a en effet pas de sens pour les actes qui font l’objet d’une postulation. Mais toutes les informations y sont, et les systèmes sont branchés. D’ailleurs, dans les TGI qui ont fait l’objet d’une expérimentation, ces connexions ont été réalisées. Je crois donc que cet élément ne devrait pas poser de problème. En tout cas, cela ne remet en rien en cause la carte judiciaire et l’égal accès de tous à la justice, sur tous les territoires.

Pour finir, je répondrai à M. Poisson. Monsieur le député, vous jouez sur la répétition, en me parlant systématiquement de l’étude d’impact. En effet, quand les professionnels ne transmettent pas d’informations, il est difficile de faire une réelle étude d’impact !

M. Philippe Houillon. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est pourquoi la réforme qui a été adoptée hier, en particulier sur les tarifs, sera importante, parce qu’elle permettra de disposer d’analyses objectives sur la plupart des sujets. En tout cas, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, je peux vous garantir que cette réforme ne supprimera pas vingt-trois tribunaux de grande instance ni cent soixante dix-huit tribunaux d’instance : cela, c’est ce que vous avez fait ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

(L’amendement n201 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 272, 392, 538, 1366, 2000 et 2845.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants56
Nombre de suffrages exprimés55
Majorité absolue28
Pour l’adoption22
contre33

(Les amendements identiques nos 272, 392, 538, 1366, 2000 et 2845 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Heinrich, pour soutenir l’amendement n334.

M. Michel Heinrich. Monsieur le ministre, je vous confirme que les avocats de ma ville, Épinal, comme le bâtonnier, que j’ai rencontré hier encore, estiment que la suppression de la postulation territoriale va progressivement créer des déserts judiciaires. Elle aura aussi un impact économique sur cette ville moyenne où les avocats et leurs cabinets représentent environ quatre ou cinq cents emplois. Il y aura donc un impact économique assez fort puisque progressivement, les jeunes avocats privilégieront la ville siège de la cour d’appel, ou une ville universitaire.

Cet amendement n’est pas un amendement de suppression, mais un amendement de substitution. Il vise à maintenir le dispositif existant pour la postulation dans le ressort du tribunal de grande instance pour les affaires judiciaires relevant des secteurs professionnels et impliquant des personnes morales. Monsieur le ministre, vous m’avez dit en commission spéciale que vous aviez beaucoup de sympathie pour cet amendement. Vous avez néanmoins donné un avis défavorable. J’ai constaté que sur un certain nombre de sujets, vous avez évolué depuis la commission spéciale. J’espère que vous évoluerez sur celui-ci également et que vous y donnerez, ce soir, un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il est vrai que cet amendement n’est pas inintéressant, mais il ne nous semble pas possible, sur le plan du droit, d’opérer une distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. Mieux vaut raisonner en termes d’activité des avocats, et étendre ce périmètre territorial, comme nous l’avons évoqué. L’avis de la commission spéciale est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis, pour les mêmes raisons que j’ai évoquées en commission spéciale.

(L’amendement n334 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 393 et 1860.

La parole est à M. Michel Heinrich, pour soutenir l’amendement n393.

M. Michel Heinrich. Monsieur le ministre, vous nous avez dit en commission spéciale que vous n’étiez pas opposé à élargir le périmètre des exceptions – c’est-à-dire les cas où la territorialité de la postulation serait maintenue. Lorsque nous avons débattu de ce point, vous nous avez dit : « Je suis prêt à réfléchir sur ce point. »

M. Philippe Houillon. En conséquence, je m’attendais à ce qu’un amendement du Gouvernement complète le texte, mais tel n’a pas été le cas. En essayant de reconstruire votre raisonnement, j’ai compris que le projet de loi initial privilégiait le maintien de la postulation telle que nous la connaissons, c’est-à-dire pour les affaires de saisie immobilière et de licitation – sujet voisin. Vous conveniez donc de la pertinence de maintenir une attache territoriale, en matière immobilière. C’est pourquoi, dans le droit fil de ce que vous avez vous-même proposé, je propose d’étendre la territorialité de la postulation aux litiges en matière immobilière, de construction ainsi que ceux relatifs aux baux commerciaux. En effet, la situation de l’immeuble est évidemment du ressort du tribunal de grande instance concerné. Cela s’inscrit dans la logique de votre projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n1860.

M. Philippe Gosselin. Je ne répéterai pas ce qui vient d’être dit, mais j’insiste sur l’importance de maintenir une attache territoriale pour les litiges en matière immobilière, de construction ainsi que ceux relatifs aux baux commerciaux. Cet amendement prévoit de compléter en ce sens l’alinéa 6 de l’article 13, déjà longuement évoqué.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je comprends l’intérêt de cet amendement, mais nous émettons un avis défavorable car nous en mesurons mal les effets. Il nous semble plus pertinent d’en rester, dans une logique de simplification, aux mesures d’exception qui ont, elles, été expérimentées dans les tribunaux dont j’ai fait mention précédemment.

(Les amendements identiques nos 393 et 1860, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Heinrich, pour soutenir l’amendement n335.

M. Michel Heinrich. Défendu.

(L’amendement n335, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 394 et 1861.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n394.

M. Philippe Houillon. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n1861.

M. Philippe Gosselin. Défendu.

(Les amendements identiques nos 394 et 1861, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements, nos 2485, 725 et 1188, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 725 et 1188 sont identiques.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2485.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Rédactionnel.

Mme la présidente. Les amendements, nos 725 et 1188 sont également rédactionnels.

(L’amendement n2485, accepté par le Gouvernement, est adopté et les amendements nos 725 et 1188 tombent.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 265 et 1793.

La parole est à M. Yves Censi, pour soutenir l’amendement n265.

M. Yves Censi. Le texte qui résulte des travaux de la commission spéciale prévoit qu’un avocat doit satisfaire à ses obligations en matière d’aide judiciaire et de commission d’office au sein du barreau dans le ressort duquel est établie sa résidence professionnelle et au sein du barreau dans le ressort duquel il dispose d’un bureau secondaire.

Un tel dispositif ne peut être mis en œuvre et doit être supprimé. En effet, un avocat ne peut être inscrit au tableau que d’un seul barreau, celui dans le ressort duquel il a établi sa résidence professionnelle. Le bâtonnier du barreau dans lequel un avocat aura établi son bureau secondaire ne pourra donc pas le commettre d’office, puisque cet avocat n’est pas inscrit au tableau de ce deuxième barreau. De plus, rien n’oblige un avocat à accepter le dossier d’un client éligible à l’aide juridictionnelle. Il s’agit d’une démarche volontaire. C’est pourquoi nous proposons de supprimer les alinéas 12 et 13.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n1793.

M. Philippe Houillon. Vous imposez à un même avocat de satisfaire aux obligations de l’ordre au sein à la fois de son barreau d’origine et de celui dans le ressort duquel il a établi un bureau secondaire. Cela revient à doubler les obligations. C’est sans doute parce que vous remplissez à la fois le rôle du ministre de la justice et celui du ministre de l’économie, que vous pensez que d’autres peuvent le faire ! Mais vous avez sans doute des capacités exceptionnelles, que n’ont pas forcément tous les avocats. Cela risque de nuire à la qualité du travail, puisque la charge de la commission d’office et celle de l’aide juridictionnelle peuvent être importantes. Alors même qu’il s’agit d’un sujet important, nous n’avons, là encore, pas d’étude d’impact ni de chiffres. Dans l’immédiat, le mieux est de supprimer cette disposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. Je tiens à préciser que nous avons recueilli l’avis de la chancellerie, qui est tout à fait intéressée par cette disposition.

M. Philippe Houillon. On aurait apprécié que Mme la garde des Sceaux vienne nous le dire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Elle n’a pas l’air si intéressée !

(Les amendements identiques nos 265 et 1793, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n2486.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il est rédactionnel.

(L’amendement n2486, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1003 et 2033.

La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1003.

M. Marc Dolez. Nous avons déposé un amendement en commission prévoyant de limiter le contrôle des agents de la DGCCRF sur le respect par les avocats de l’obligation de conclure avec leurs clients une convention d’honoraires en toute matière, en limitant celui-ci au respect du secret professionnel, qui couvre un certain nombre d’éléments relatifs aux honoraires.

La commission spéciale a adopté un amendement visant à préciser que le contrôle par ces agents de l’obligation du respect de la convention d’honoraires dans les cabinets d’avocats se ferait dans le respect du secret professionnel mentionné à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Or, au titre de l’article L. 141-1 du code de la consommation, le secret professionnel n’est pas opposable aux agents agissant dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés par cet article. C’est la raison pour laquelle nous proposons l’amendement n1003, qui vise à donner compétence au Conseil de l’ordre de vérifier le respect par les avocats de leurs obligations en matière d’honoraires.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n2033.

M. Philippe Houillon. Défendu.

(Les amendements identiques nos 1003 et 2033, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 395 et 1862.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour soutenir l’amendement n395.

M. Philippe Houillon. Je suis déjà intervenu sur le sujet de l’indemnisation, qui n’est pas prévue par le texte. Nous ne pouvons pas non plus déposer d’amendements en ce sens, à cause de l’article 40 de la Constitution. En revanche, nous souhaitons que, six mois après la promulgation de la loi, le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur le préjudice subi par les avocats en raison de la suppression de la postulation. Je m’interroge d’ailleurs sur ce délai de six mois.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement n1862.

M. Philippe Gosselin. À défaut d’une étude d’impact, nous avons besoin de connaître les conséquences du présent projet de loi. Je m’interroge également sur le délai de six mois prévu par cet amendement. Nous pourrions le rectifier en séance en prévoyant un délai d’un an, car il n’est pas possible d’évaluer les conséquences dans un délai de six mois. Nos débats montrent d’ailleurs que ce délai est trop court. Je vous propose, si vous en êtes d’accord, mes chers collègues, de remplacer les mots : « Dans les six mois » par les mots : « Dans les deux ans ». Je me tourne vers mes collègues, qui semblent après quelques hésitations approuver unanimement cette rectification.

Mme la présidente. L’amendement n1862 est donc ainsi rectifié : « I bis. – Dans le délai de deux ans suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux conséquences économiques et financières de l’extension de la postulation au niveau des cours d’appel. » Cette rectification vaut-elle également pour l’amendement identique n395, monsieur Houillon ?

M. Philippe Houillon. Oui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. L’indemnisation n’est pas du tout envisagée comme un risque certain, ni même prévisible. Les barreaux concernés par la multipostulation ne nous ont fait valoir à aucun moment la nécessité d’une indemnisation en raison d’une éventuelle perte de revenus liée à cette multipostulation.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est la meilleure !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous ne voyons donc pas l’intérêt d’alourdir le dispositif administratif en exigeant un rapport supplémentaire. Enfin, je précise que la postulation ne sera opérationnelle qu’un an après la promulgation de la loi. Le délai de six mois prévu par ces amendements paraissait donc quelque peu étonnant !

M. Philippe Gosselin et M. Philippe Houillon. C’est pour cela que nous étendons ce délai à deux ans !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je répondrai de la même façon qu’en commission spéciale. Au fond, on revient à l’argumentation développée tout à l’heure en réponse à M. Houillon. Il est certain qu’il n’y a pas de risque d’indemnisation, car nous ne supprimons pas un monopole, mais nous l’élargissons. Au demeurant, le Conseil d’État a validé ce raisonnement. Vous le savez d’ailleurs très bien, proposer un tel rapport est, d’une certaine manière, une tentative de nous faire adhérer à votre logique, que nous ne partageons pas, et qui vise à reconnaître la possibilité de cette indemnisation ; or, tel n’est pas le cas.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous ne ferions pas cela !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je préfère vous parler toujours avec la même franchise : il n’y aura pas d’indemnisation, car il y a, non pas suppression du monopole, mais extension de la territorialité de la postulation.

M. Philippe Houillon. C’est une modification substantielle !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je suis tout à fait pour l’évaluation des réformes – on y reviendra tout au long de l’examen de ce texte –, c’est de bonne politique. Mais, comme vous insistez sur l’indemnisation pour, en quelque sorte, instiller le doute, je vous dis, à vous comme aux professionnels, qu’il n’y a pas de doutes dans notre esprit. Avis défavorable, donc.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est formidable, la langue française ! Si j’ai bien compris, vous ne supprimez pas le monopole mais, en élargissant la territorialité de la postulation, vous augmentez simplement le nombre de participants.

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce sont les mêmes !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il va falloir arrêter de jouer avec les mots, monsieur le ministre !

Vous nous dîtes qu’il n’y a pas de perspective d’indemnisation. Je suis surpris que vous ayez toujours recours au wishful thinking, c’est-à-dire à la pensée magique. Ni vous, ni personne n’en sait rien ! Contrairement aux propos tenus à l’instant par la rapporteure, les représentants des barreaux de province ont dit, pendant les auditions, qu’il existait un danger sur les institutionnels – cela doit figurer dans les comptes rendus – et que tous ceux disposant aujourd’hui de représentations locales réparties barreau par barreau pourraient recourir à d’autres systèmes.

Vous ne pouvez pas nier que la modification du périmètre géographique et des attributions aient un effet sur l’activité des cabinets d’avocat et des barreaux ; sinon, à quoi serviraient de telles dispositions ? Vous ne pouvez pas évacuer ainsi, d’un revers de la main ou d’un artifice de rhétorique, monsieur le ministre, les risques de dévalorisation de leurs activités. Si de tels risques existent, la question de l’indemnisation se pose, donc autant l’étudier – je ne vois pas ce que cela coûte –, même si le rapport prévu par cet amendement est destiné à enrichir, dans les bibliothèques, la collection déjà riche de rapports n’ayant jamais vu le jour ou que personne n’a lu – ce qui revient au même.

Cet amendement, en revanche, est très nécessaire, car nous n’avons pas fini de faire l’inventaire des « mines à contentieux » qui figurent, monsieur le ministre, dans votre projet de loi. Sur un tel rapport, je vous invite à changer d’avis et à être un peu plus précautionneux car, pour le coup, vous avez affaire à une profession qui sait manier ce genre de choses.

Nous avons proposé de rectifier notre amendement car nous nous sommes rendu compte que le délai de six mois n’était effectivement pas tout à fait cohérent avec le reste du texte. Nous avons donc porté ce délai à deux ans.

Si j’étais à votre place, je ferais preuve, sur ce sujet, d’un peu plus de circonspection.

M. Philippe Houillon. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. À ce stade du débat, je voudrais, sur la question de la multipostulation, dire une chose au ministre. J’ai été, jusqu’en 2001, avocat au barreau de Paris. Quand j’avais des clients en province, je prenais un postulant : c’était beaucoup plus pratique, même si cela occasionnait un petit surcoût. Cela facilitait certaines formalités. Cela valait pour les clients individuels, et je pense que cette pratique perdurera.

Mais dans certains petits barreaux – je pense par exemple au barreau de Dunkerque – certains avocats ont une clientèle locale et individuelle, généralement peu fortunée et composée de particuliers. Ils peuvent également représenter ce qu’on appelle les institutionnels, c’est-à-dire, notamment, les entreprises. Certains de ces avocats, sont, s’agissant de la première catégorie, rémunérés au titre de l’aide juridictionnelle. D’autres pratiquent des tarifs différents.

Mais cela ne suffit pas à assurer pas l’économie d’un cabinet. Ce qui contribue également à l’équilibre économique du cabinet c’est une partie du contentieux institutionnel : les compagnies d’assurance, mutuelles ou autres sont en effet obligées, dans le cadre de la postulation, d’avoir recours à un avocat local lorsqu’elles ont des affaires dans le ressort du barreau.

Avec la multipostulation vous prenez le risque de générer un effet de siphon vers les ressorts de sièges de cours d’appel où siègent les grosses juridictions.

M. Philippe Gosselin. C’est ce que nous disons !

M. Philippe Houillon. Très bien !

M. Pascal Cherki. Je dis que c’est un risque car je n’ai aucune certitude en la matière. M. le ministre a eu raison de dire que l’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui est que le Conseil national des barreaux ne donne pas les chiffres. Et c’est par un principe collectif de précaution que nous pouvons sortir de cette ambiguïté.

Si vous instaurez cette mesure de multipostulation, nous devons pouvoir l’évaluer dans un délai qui soit raisonnable.

M. Philippe Houillon. C’est le bon sens même !

M. Pascal Cherki. Un délai de six mois ne me paraît pas raisonnable, mais un délai de deux ans le serait. Cela permettrait de rassurer la profession en offrant la possibilité de corriger le dispositif au bout de deux ans si des difficultés apparaissent. Vous êtes en effet quelqu’un d’assez plastique, monsieur le ministre, ce qui est une qualité, et vous êtes capables de revenir, le cas échéant, sur des dispositions dont vous n’imaginiez pas au départ qu’elles pourraient avoir tel ou tel impact. Cela ne vous empêcherait pas de prendre votre mesure relative à la multipostulation, mais cela constituerait un garde-fou qui permettrait d’y revenir dans deux ans, le cas échéant, si une difficulté surgissait.

M. Philippe Gosselin. On ne saurait mieux dire !

M. Pascal Cherki. Cela permettrait de concrétiser votre volonté d’avancer sur ce sujet tout en respectant les craintes légitimes de certains collègues s’agissant des petits barreaux de province.

M. Philippe Gosselin. C’est plein de sagesse !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le député Cherki, je serais d’accord avec vous si le rapport demandé était un simple rapport d’évaluation. Or il s’agit d’un rapport relatif à l’indemnisation. Cela vous a sans doute échappé. Il ne s’agit pas de la même chose.

Une expérimentation relative à la multipostulation a déjà eu lieu dans plusieurs tribunaux de grande instance. Nous avons donc un premier retour d’expérience. Je confirme l’avis défavorable du Gouvernement concernant un rapport relatif à l’indemnisation, qui ne correspond pas tout à fait à ce dont vous parlez.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. Monsieur le ministre, vous avez hier évolué dans vos concepts. Vous avez en effet évoqué le corridor complexe, puis le corridor simplifié et, enfin, le corridor disparu. Cela nous a d’ailleurs largement convenu.

Vous êtes aujourd’hui dans une sorte de distorsion cognitive : s’agissant des petits barreaux, il y a un problème que vous ne reconnaissez pas. Je suis bien placé pour le savoir : à Rodez, il y a une activité judiciaire qui aurait pu connaître une vraie perte de vitesse et disparaître petit à petit s’il n’y avait pas eu toute une série de mobilisations. Je pense par exemple à la rénovation du tribunal et à la reconstruction de la maison d’arrêt. Lors de la réforme de l’instruction, je m’étais battu pour que l’instruction reste à Rodez, et cela pour les mêmes motifs.

Malheureusement avait alors cours une idéologie un peu uniformisatrice, qui considérait malheureusement les activités d’un point de vue macro-économique et national, sans voir le détail de la vie de ces petits barreaux qu’a d’ailleurs évoquée Pascal Cherki.

Il faut donc faire très attention à cela. Nous avons l’impression, monsieur le ministre, que vous évoluez dans un système conceptuel qui est très national et qui a sa propre logique. Vous devez y admettre le principe de diversité. Nous vous proposons, bien évidemment, que le Gouvernement remette ce rapport au Parlement, mais notre proposition a été modifiée, pour être conforme avec la réalité, et prévoit un délai non plus de six mois mais de deux ans.

Vous êtes défavorable à cet amendement au motif que l’accepter serait reconnaître qu’il puisse exister un problème. Conceptuellement, cela ne tient pas. C’est justement pour vérifier s’il existe ou non un problème que nous souhaitons voir cette disposition adoptée.

Comme le disait Lacan, ce qui n’est pas nommé n’existe pas. C’est pour cette raison que j’ai ouvert mon propos par une remarque relative à la distorsion cognitive : cela ne suffit pas à empêcher les problèmes d’exister. Il vous suffit donc d’accepter : croyez-moi, cela ne fait pas mal du tout et cela sera très profitable à tout le monde.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Je voulais proposer une deuxième rectification à l’amendement n1862. Une première évolution a été proposée avec un délai de deux ans au lieu de six mois. Ce qui a été dit par Pascal Cherki va tout à fait dans ce sens. Mais puisque M. le ministre semble permettre l’ouverture de la porte, sans conséquence pour sa rigueur intellectuelle, nous pourrions peut-être élargir un peu la portée de cet amendement en précisant que « dans les deux ans suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux conséquences de l’extension de la postulation au niveau des cours d’appel. » Pourrait y figurer, notamment, l’éventuelle indemnisation des avocats qui subiraient, le cas échéant et du fait de cette extension, un éventuel préjudice anormal et spécial.

M. Emmanuel Macron, ministre. La ficelle est un peu grosse !

M. Philippe Gosselin. Il ne s’agit que d’un des aspects de ce rapport, et je ne vois pas comment il pourrait ne pas prendre en compte cet élément. De façon beaucoup plus large, il s’agirait de soulever, de regarder, d’examiner et d’évaluer les conséquences de l’extension de la postulation.

M. Philippe Houillon. À défaut de l’avoir fait avant, faisons-le après !

M. Philippe Gosselin. Nous nous trouverions dans un cadre beaucoup plus large qui répondrait aux préconisations formulées ainsi qu’aux interrogations soulevées par M. le ministre.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous faisons là pratiquement un travail de commission. Si un amendement doit être réécrit, il vous faut demander une suspension de séance.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, au nom du groupe UMP, je demande une suspension de séance de deux minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La suspension de séance a été plus longue que prévu en raison d’un dysfonctionnement d’Eloi. Bien évidemment, le temps décompté sera celui qui a été annoncé.

Je vous donne maintenant lecture des amendements no395 et 1862 tels qu’ils viennent d’être rectifiés :

« Après l’alinéa 20, insérer l’alinéa suivant :

« I bis. - Dans le délai de deux ans suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux conséquences économiques et financières de l’extension de la postulation au niveau des cours d’appel. »

Quel est l’avis de la commission sur cette rectification ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je veux bien tout ce que l’on veut, mais « C’est un peu court jeune homme », comme dirait Cyrano de Bergerac. Je parle en général, monsieur le ministre, je ne me permettrais pas de m’adresser ainsi à vous. (Sourires.)

Vous n’étiez pas d’accord avec la rédaction initiale des amendements en raison de la présence du mot « indemnisation ». Vous sembliez ensuite d’accord pour dire que l’on pourrait finalement l’envisager même si le mot indemnisation ne vous convient pas. Dans la nouvelle version, on vous parle des conséquences financières et économiques de l’extension de la postulation, et il y en aura, à n’en pas douter.

M. Pascal Cherki. Elles peuvent être positives.

M. Jean-Frédéric Poisson. N’est-il pas normal que le Gouvernement informe le Parlement sur ces conséquences ? Je ne comprends pas votre refus et celui de Mme la rapporteure. Il n’y a aucun motif valable pour refuser d’informer le Parlement sur un sujet qui n’est tout de même pas une mince affaire.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ça suffit avec les rapports.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Mon cher collègue Poisson, les moyens d’être informés existent, notamment avec le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques où nous siégeons. Il existe toute une série de dispositifs permanents qui nous permettent de contrôler l’efficacité des politiques publiques sans pour autant multiplier les demandes de rapports, autant de surcharges légales inutiles !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pas vous, pas ça !

Mme la présidente. Je vais mettre aux voix les amendements identiques tels qu’ils viennent d’être rectifiés. (Après une procédure de vote à main levée déclarée douteuse, l’Assemblée procède à un vote par assis et levé.)

(Les amendements identiques nos 395 et 1862, tels qu’ils viennent d’être rectifiés, ne sont pas adoptés.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il y a eu des « votes en mouvement » sur la partie gauche de l’hémicycle, madame la présidente, mais je sais que cela n’a pas échappé à votre vigilance. (Sourires.)

Madame la présidente, nous venons d’apprendre que la séance allait être levée à dix-neuf heures trente pour permettre à M. le ministre de respecter une obligation. Si tel était le cas, il serait bon que le Gouvernement diligente un autre de ses membres, la garde des sceaux par exemple…

Plusieurs députés du groupe UMP. Au hasard !

M. Jean-Frédéric Poisson. …– mais ce n’est qu’une proposition –, afin de le suppléer. À défaut peut-être le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui aura, nous n’en doutons pas, une expertise parfaitement pertinente sur ce texte, pourra-t-il suppléer utilement M. le ministre de l’économie !

Madame la présidente, quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ?

Mme la présidente. J’ai en effet été saisie d’une demande de levée de séance à dix-neuf heures trente. Je fais demander si un membre du Gouvernement pourrait remplacer le ministre, mais je n’ai pas de réponse au moment où je vous parle.

Article 13 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 540 et 1841.

La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement n540.

M. Dominique Tian. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 21 et 22 qui donnent compétence aux agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF – pour contrôler le respect des règles en matière d’honoraires d’avocat. Les prestations juridiques ne doivent en effet pas être considérées comme des prestations économiques et concurrentielles.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n1841.

M. Pascal Cherki. Ne prenez pas mal ce que je vais dire, monsieur le ministre, car j’ai énormément de considération pour vos immenses capacités intellectuelles, même si je ne partage pas toujours vos points de vue.

M. Philippe Gosselin. Quand ça commence comme ça !

M. Pascal Cherki. Pour ma part, je déplore également l’absence de la garde des sceaux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je m’explique. Nous serions en train d’examiner un texte sur les agents de l’éducation nationale, nous n’imaginerions pas l’absence du ministre de l’éducation nationale.

M. Marc Dolez. Non.

M. Pascal Cherki. De même, si nous étions en train d’examiner un texte concernant les professions de santé, nous n’imaginerions pas que le ministre de la santé soit absent.

M. Marc Dolez. Évidemment !

M. Pascal Cherki. Même s’il n’est pas essentiel, cet article est symptomatique. S’agissant de la question des conventions d’honoraires, il existe aujourd’hui un contrôle ordinal et dans la déontologie, il existe le principe de délicatesse. Certaines choses sont interdites par la loi, notamment sur les honoraires de résultat qui doivent être contingentés.

Introduire un regard de l’Autorité de la concurrence s’oppose à la logique des professions réglementées, traditionnellement soumises à un contrôle ordinal et, en cas de problème, à un contrôle juridictionnel. Faire intervenir l’Autorité de la concurrence ne me semble donc pas vraiment s’imposer et je vous invite, monsieur le ministre, à y réfléchir. J’attends votre réponse avec beaucoup d’intérêt.

M. Christophe Caresche. Voilà une intervention de fond ! C’est excellent !

M. Pascal Cherki. Si vous n’êtes pas d’accord, monsieur Caresche, vous me répondrez sur le fond. Quoi qu’il en soit, il serait de bonne politique de supprimer les alinéas en question.

Plusieurs députés du groupe UMP. Tout à fait !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le projet de loi ne remet nullement en cause le principe de la compétence des instances ordinales pour les litiges relatifs à la fixation ou au recouvrement des honoraires. La compétence ici reconnue aux agents de la DGCCRF consiste à vérifier l’existence d’une convention d’honoraires, qui est précisément l’une des dispositions que nous mettons ici en œuvre. Je ne ferai pas injure aux uns, ni à M. Cherki…

M. Dominique Tian. Qui sont « les uns » ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. …en disant que, si le droit n’est pas une marchandise, il existe bien cependant un marché du droit – c’est, de fait, difficile à contester. Il est donc parfaitement justifié de permettre aux agents de la DGCCRF d’enquêter sur d’éventuels manquements aux règles imposant la conclusion d’une convention d’honoraires. Il n’y a là rien d’extravagant ; c’est au contraire très cohérent et je suis certain que la garde des sceaux en serait parfaitement d’accord.

M. Dominique Tian. Eh bien alors, qu’elle vienne !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable, donc, à ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons. Il ne s’agit nullement, en effet, d’empiéter sur des compétences ordinales. Il s’agit de contrôler l’existence d’un document qui a une valeur contractuelle avec un client et de vérifier l’information donnée au client selon une approche consumériste.

Pour ce qui est du secret, je rappelle, sans reprendre la longue discussion que nous avons eue sur ce point en commission spéciale, que la DGCCRF procède exactement au même contrôle pour les professionnels de santé, eux-mêmes couverts par le secret médical et par leur propre déontologie professionnelle, qu’elle ne modifie en rien. Il est donc normal que, cette convention étant établie, le consommateur puisse être protégé par un contrôle portant sur la stricte existence de ce document. Il ne faut pas y voir un contrôle plus étendu, ni prêter ici à la DGCCRF un autre pouvoir que celui qui existe dans bien d’autres domaines. Je tiens donc à vous rassurer, tout en prononçant un avis défavorable à ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Je regrette, monsieur le ministre, que vous n’ayez pas accepté tout à l’heure un rapport d’évaluation, car l’écriture difficultueuse de ce texte générera certainement de nombreux contentieux qui auront finalement pour effet d’augmenter le chiffre d’affaires des cabinets d’avocats.

Cela étant, le texte soumet l’intervention de la DGCCRF au respect du secret professionnel, dans les termes de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, qui couvre du secret tout ce qui est échangé entre le client et son avocat. Selon vous, il est bien normal que la DGCCRF s’assure de l’existence d’une convention d’honoraires, étant donné que le texte impose précisément qu’il en existe une. Dès lors cependant que la DGCCRF contrôlera l’existence de la convention, il faudra bien – c’est élémentaire – qu’elle prenne connaissance du nom du client de l’avocat. Les dispositions couvrant les actes du secret professionnel ne seront donc plus respectées et la DGCCRF saura évidemment que M. ou Mme Untel, ou la société Une Telle, est engagé dans une procédure confiée à Maître Untel, avocat.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le ministre, nous ne sommes pas loin d’être d’accord. Je reconnais et me félicite que la loi prévoie l’obligation de conclure une convention d’honoraires : c’est un progrès qui, paradoxalement, aura même pour effet de mieux protéger les avocats dans certains contentieux. De fait, dans certains cas, et surtout lorsque le résultat escompté par le client n’est pas atteint – notamment quand celui-ci ne gagne pas son procès –, il peut contester et, lorsque les avocats n’ont pas été assez prudents pour prévoir des écrits, ils peuvent être obligés d’engager une procédure devant le bâtonnier.

Ce qui me pose problème c’est non pas l’existence d’une convention d’honoraires, mais qui est l’instance chargée de la vérifier. Pourquoi les barreaux ne seraient-ils pas compétents pour le faire et pourquoi transférer cette compétence à la DGCCRF ? Je ne conteste pas, je le répète, la nécessité d’une convention d’honoraires, qui existe du reste dans certains cas, mais je me demande qui doit être chargé d’en vérifier l’existence. Sans même évoquer la question du secret professionnel, faisons simple : confions cette obligation de contrôle aux barreaux, aux ordres, comme c’est actuellement le cas s’il y a litige ou contestation par le client du montant des honoraires ou de l’existence d’une convention d’honoraires. Inutile donc de nous emballer.

Ayant été avocat, je connais ce sujet un peu mieux, par exemple, que le service civique obligatoire et je puis m’exprimer en spécialiste. Voilà donc ma recommandation, monsieur le ministre, pour que nous puissions parvenir ce soir, en bonne intelligence, à une convergence acceptée par les professionnels, lesquels reconnaissent finalement, alors que cela n’allait initialement pas de soi, que le Gouvernement a raison d’imposer l’établissement d’une convention d’honoraires pour toutes les matières.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Lors du débat en commission spéciale, nous avons fait ajouter la référence au secret professionnel. Le dispositif, ainsi complété, visait à répondre aux questions posées par certains d’entre nous. La nature du secret professionnel et ses effets au regard de l’article 66 de la loi de 1971 devront être appréciés notamment par le bâtonnier. Je considère quant à moi qu’aucune autorité externe ne peut entrer dans un cabinet d’avocat sans la présence du bâtonnier. C’est là une règle actée.

C’est la raison pour laquelle nous avons introduit en commission spéciale la référence au secret professionnel et à l’article de la loi qui traite de ce point. Il nous est en effet apparu que le dispositif ainsi amélioré répondait aux questions soulevées quant aux conditions de sa mise en œuvre.

M. Philippe Houillon. Comment fera-t-on ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous avons considéré que le problème était réglé par les précisions apportées par le texte, notamment par la référence au secret professionnel tel que prévu par la loi de 1971.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Pour vous rassurer pleinement, je tiens à préciser que le pouvoir que ce texte donnera à la DGCCRF existe déjà pour contrôler l’existence des factures : il s’agit de l’étendre à la convention d’honoraires instaurée pour les prestations ici définies. Il n’y a donc rien de neuf sous le soleil. En outre, comme pour les factures, l’anonymisation est prévue et le respect du secret professionnel est donc assuré.

M. Philippe Houillon. Si c’est anonyme, comment vérifiera-t-on ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce que l’on vérifie, c’est l’existence du document.

(Les amendements identiques nos 540 et 1841 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général, pour soutenir l’amendement n2487.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n2487, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour soutenir l’amendement n2716.

Mme Arlette Grosskost. Il va sans dire que je souscris aux analyses de M. Cherki – une fois n’est pas coutume ! J’estime en effet que le contrôle, tel qu’il est prévu, est superfétatoire et pourrait être laissé aux instances ordinales.

Par ailleurs, bien que le secret professionnel ait été prévu par la commission, qui s’est référée à la loi de 1971, il me semble préférable que cette disposition figure noir sur blanc dans le texte. Tel est l’objet de cet amendement de repli.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Défavorable, car cet amendement est satisfait par la mention de la référence à l’article.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr que non, madame la rapporteure !

(L’amendement n2716, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n202.

Mme Michèle Bonneton. Il paraît important de pouvoir, au minimum, bien encadrer les contrôles qui seront opérés par la DGCCRF. C’est pourquoi, dans le sens indiqué par M. Le Bouillonnec, cet amendement vise à spécifier les règles applicables aux visites des cabinets d’avocat, qui devront s’effectuer en présence du bâtonnier, comme c’est du reste le cas pour les perquisitions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le souci des auteurs de l’amendement de voir le secret professionnel de l’avocat protégé lors des visites souhaitées par les agents de la DGCCRF est satisfait, semble-t-il, par l’amendement adopté par votre commission à l’initiative des rapporteurs,…

M. Philippe Houillon. C’est incroyable !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. …qui vise à préciser que les investigations des agents s’effectueront dans le respect du secret professionnel couvrant les pièces du dossier.

Qui plus est, en l’état actuel du droit, les agents ne peuvent effectuer des visites que sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.

M. Dominique Tian. Ce n’est pas la question et ce n’est pas la bonne réponse !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je propose donc le retrait de cet amendement, sans quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je demande le retrait de cet amendement. À défaut, avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Il s’agit bien du bâtonnier ou de son délégué, comme dans le cas des perquisitions. Je ne retire donc pas l’amendement. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n202 n’est pas adopté.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Il faut recompter les voix !

M. Richard Ferrand, rapporteur général et M. Bruno Le Roux. Respectez donc la présidence !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n3104.

M. Emmanuel Macron, ministre. Cet amendement de coordination vise à insérer la référence à l’article 53 à l’alinéa 23 de l’article 13 du projet de loi relatif aux dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie Française et à Wallis et Futuna, en cohérence avec la nouvelle rédaction de l’article 13 issue des travaux parlementaires en commission spéciale.

(L’amendement n3104, accepté par la commission, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n2036.

M. Pascal Cherki. Cet amendement devrait susciter l’intérêt du ministre, car il reprend l’une des conclusions de la commission Attali, dont il a été, si j’en crois ce que j’ai lu dans la presse, l’une des chevilles ouvrières.

Monsieur le ministre, vous nous dites depuis le début, et je vous crois, que vous voulez lutter contre les rentes. Il faut certes trouver un point d’équilibre entre les professions réglementées et le droit commun de la concurrence, mais votre volonté de lutter contre les rentes est louable. En effet, si nous sommes favorables aux monopoles publics, le sommes-nous pour autant aux monopoles privés ?

La respectable et estimable corporation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, qui compte actuellement en France 107 membres, soit 60 charges, qui se partagent environ 30 000 dossiers devant la Cour de cassation et 10 000 devant le Conseil d’État, hors questions prioritaires de constitutionnalité, avec des bénéfices d’un montant assez conséquent, de l’ordre de 700 000 euros en moyenne par an pour un avocat au Conseil d’État exerçant seul, alors que le revenu moyen d’un avocat à la Cour, comme cela a été rappelé par plusieurs collègues, est de 39 000 euros.

La France est du reste l’un des seuls pays au monde – sinon le seul – à maintenir encore en 2015 un dispositif d’origine monarchique comportant un corps d’officiers ministériels qui jouissent du monopole de représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Ce corps est constitué d’une centaine de professionnels nommés à vie par le garde des sceaux et ce barreau est encore régi à ce jour par une ordonnance royale de 1817 qui lui confère ce monopole de représentation. Nul ne peut donc exercer la profession s’il n’est titulaire d’un office ou membre d’une société civile professionnelle titulaire d’un tel office, autrement dénommé « charge », bien que ces avocats ne participent en aucune façon à l’exercice de l’autorité publique.

L’amendement tend donc à demander aux barreaux de constituer une spécialisation « Hautes juridictions » dont les titulaires pourraient représenter devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

Si je dis cela, c’est parce que l’on nous oppose deux objections pour préserver ce monopole, cette rente : d’une part, il faut que ces avocats soient des spécialistes – sur ce point, on peut avancer – et, d’autre part, on nous dit qu’il faut des gens très compétents. Mais je rappelle que certaines matières, devant le Conseil d’État, ne nécessitent pas le ministère d’un avocat : on peut dès lors se faire défendre par un avocat qui n’est pas membre de ce corps des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Prenons l’exemple, en droit administratif, du contentieux électoral : mes chers collègues, c’est une matière très importante pour nous ! Quand nous sommes attraits devant les juridictions administratives ou quand nous-mêmes sommes demandeurs, il est bien évident que nous nous entourons des conseils des meilleurs spécialistes. Or nous pouvons dans certains cas avoir affaire à des avocats qui ne sont pas avocats au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. En matière de contentieux de l’excès de pouvoir, qui est aussi très important, il n’est pas non plus nécessaire de recourir aux avocats au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

Dès lors qu’il s’agit de casser les rentes et de fluidifier l’accès à ces professions, dans le même esprit que ce que vous avez fait pour les notaires, monsieur le ministre, en facilitant l’installation de nouveaux notaires, je pense que vous aurez à cœur d’élargir la possibilité d’accéder à cette activité. Je compte donc sur la cohérence de votre démarche intellectuelle, que je sais très grande, et sur votre esprit d’écoute pour donner une traduction législative concrète à cet aspect des conclusions de la commission Attali : vous aviez beaucoup œuvré, lorsque vous y étiez, pour qu’elle aboutisse ; maintenant que vous êtes en responsabilité, vous avez la possibilité d’agir.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je remercie M. Cherki d’avoir posé cette question importante des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. La mission a examiné cette question : le projet de loi comporte désormais un article 17 bis, issu d’un amendement des rapporteurs,…

M. Philippe Houillon. Un monument !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. …qui pose justement la question de la liberté d’installation des avocats aux conseils.

M. Pascal Cherki. Quel article ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. L’article 17 bis, dans lequel nous envisageons une liberté d’installation des avocats aux conseils, une liberté bien évidemment régulée, avec un dispositif d’examen, sans nier la compétence extrême de ces avocats aux conseils s’agissant de la procédure devant le Conseil d’État et la Cour de cassation, mais avec aussi ce souci de mettre en évidence le travail conséquent apporté par les avocats à la cour…

M. Philippe Houillon. Les avocats au barreau ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. …qui participent à ces pourvois par des analyses techniques extrêmement fines.

Je vous propose donc de retirer votre amendement et de soutenir l’article 17 bis qui sera discuté un peu plus tard.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. J’aurai la même argumentation au fond que Mme la rapporteure. Je comprends l’objectif qui est le vôtre, monsieur Cherki, et j’y souscris dans l’esprit ; toutefois, tel que l’amendement est rédigé, et même si vous renvoyez à un décret, le risque d’indemnisation serait acquis puisque vous procédez à une ouverture complète, sans progressivité…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Très libérale !

M. Emmanuel Macron, ministre. … et sans la moindre régulation.

Dans l’esprit, je suis favorable à cette ouverture, raison pour laquelle j’ai émis un avis favorable à l’article 17 bis qui prévoit d’augmenter substantiellement le seuil. Mais, en l’espèce, je pense que nous ferions face à un problème d’indemnisation de manière à peu près certaine.

Je partage l’objectif qui est le vôtre, qui est d’ouvrir davantage l’accès à ces professions et en particulier la possibilité de plaider devant la Cour de cassation comme devant le Conseil d’État – vous avez d’ailleurs rappelé à juste titre que, pour certains contentieux, c’était d’ores et déjà possible. Mais même si je souscris à la philosophie de votre amendement, je vous renvoie plutôt à l’article 17 bis en raison des risques sous-jacents de la rédaction que vous proposez.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Il faudrait que vous m’expliquiez quelque chose, monsieur le ministre : vous voulez créer dans la loi, et c’est discutable – ce n’est pas péjoratif : cela signifie que cela mérite d’être discuté –, une grande profession de l’exécution du droit. Or là, vous voulez créer une petite profession de la représentation devant la Cour de cassation et le Conseil d’État.

Je vous le dis très franchement, les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation sont aujourd’hui comme une rivière sortie de son lit : ils n’instrumentent pas que devant la Cour de cassation et le Conseil d’État. Eux-mêmes sont en situation de monopole pour ce qui concerne la représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation – à l’exception des cas que j’ai évoqués devant le Conseil d’État pour le contentieux électoral et le recours pour excès de pouvoir –, mais ils peuvent aller en toute liberté braconner sur les terres des avocats pour d’autres contentieux, sans que la réciproque soit possible.

Je sais qu’ils constituent un lobby très puissant, très organisé, très parisien, dans lequel on se donne souvent du « Cher ami », ayant l’oreille du Conseil d’État ; je comprends donc que le Gouvernement soit extrêmement prudent. Mais, monsieur le ministre, quand on se bat avec votre énergie pour l’égalité des chances, je ne vois pas pourquoi, de ce point de vue, on ne franchit pas ce pas supplémentaire !

Avec mon amendement je propose deux choses : premièrement, il faut une spécialisation « Hautes juridictions », dont on peut confier la charge au barreau et, deuxièmement, je demande que cela se fasse par décret, donc sous votre contrôle, monsieur le ministre, et sous le contrôle de la garde des sceaux, de manière à ce que dans la rédaction du décret vous réfléchissiez aux voies et moyens – je vous fais confiance pour éviter ce risque d’indemnisation.

Je pense qu’il faut adresser un signal. Or, à partir du moment où les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation peuvent librement braconner sur les terres des 60 000 avocats, je ne vois pas pourquoi quelques avocats ne pourraient pas eux aussi, dès lors qu’ils seraient dûment titulaires de cette spécialisation délivrée par les barreaux, et comme ils le font avec bonheur en contentieux électoral ou en recours pour excès de pouvoir, tenter leur chance en faisant des pourvois devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Si ce sont de bons avocats, s’ils ont un bon taux de réussite, alors les justiciables iront vers eux ; mais s’ils ont un mauvais taux de réussite, alors les justiciables resteront entre les mains protectrices des avocats aux conseils.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Eh oui !

M. Pascal Cherki. C’est la raison pour laquelle je tente ma chance, monsieur le ministre : je maintiens donc mon amendement et, s’il est rejeté, alors nous en rediscuterons à l’article 17 bis. Je vais donc dans votre sens : moi qui ne suis pas un fan du rapport de la commission Attali, je trouve qu’en l’occurrence, elle avait fait du bon travail ! Je vous tends donc la main pour vous encourager à aller au bout de cette démarche !

Mme Arlette Grosskost. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Je n’aurais vraiment pas cru que ce texte permettrait d’aborder ainsi, et aussi simplement, un certain nombre de sujets tabous – ou que je considérais tabous ! Même si j’ai raté un petit peu le week-end, je me rends compte que c’est le cas et je voudrais vous en remercier.

S’agissant de ce que vient de dire notre collègue concernant les avocats ayant la capacité d’intervenir devant le Conseil d’État, je pense qu’il y a beaucoup à dire – parce qu’il s’en dit beaucoup ! Je peux vous assurer, et je ne suis certainement pas le seul à l’entendre, que nombre de nos concitoyens émettent beaucoup de réserves.

Certes, ce n’est pas un texte sur la justice ; mais si on écoute les Français, ils détestent d’abord les hommes politiques, puis les journalistes, et en troisième position la justice. Il faudrait remédier à tout cela parce que nous sommes là sur un terrain extrêmement sensible. Je vais me permettre de vous relater un cas que j’ai vécu. Avec l’avocat d’une association de notre territoire, nous avons préparé un travail très important pour lutter contre la disparition des cantons très ruraux – ce n’est pas vieux : cela remonte à quelques mois –, et nous avons même mis quelque argent pour y arriver.

Puis il a fallu ester en Conseil d’État et prendre un avocat spécialisé pour ce faire. Nous avons rencontré cet avocat : je peux vous dire qu’il aurait mieux valu que l’on se couche plutôt que d’avoir affaire à un avocat qui nous a écoutés gentiment, avec qui on a fixé des honoraires, en les échelonnant, et qui après coup nous a indiqué que de toute façon, il ne ferait pas grand-chose. Il nous a dit la chose suivante : « Le Conseil d’État est à la fois le conseiller du Gouvernement et la grande institution que l’on sait : on ne va pas s’élever contre eux, d’autant qu’ils nous font travailler à 60 % et nous confient aussi des travaux, des études d’impact, etc. On ne va pas se les mettre à dos ! »

Résultat des courses : je n’ai rien compris à ce que mon avocat a défendu devant le Conseil d’État ; pourtant, j’ai su que j’allais le payer – je n’ai pas tout à fait fini ! (Sourires.) Il n’a pas repris un seul mot des éléments de fond que j’avais mis en avant. Je ne sais pas si c’est cela que vise mon collègue Cherki ou si c’est autre chose, mais franchement, s’agissant du Conseil d’État et de la Cour de cassation, cela fait quand même un peu désordre !

J’aurais beaucoup à dire sur le sujet, mais comme vous me donnez la parole très gentiment et que vous restez calme et sympathique, madame la présidente, je ne veux pas abuser ! Mais c’est un sujet lourd ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n2036 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique, pour soutenir l’amendement no 2913.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il est défendu.

(L’amendement n2913, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements identiques, nos 274, 742, 1640 et 1999.

La parole est à M. Yves Censi, pour soutenir l’amendement n274.

M. Yves Censi. Les alinéas 2 à 7 de l’article 13 modifient les articles de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Il s’agit d’étendre le monopole de la postulation des avocats au ressort de la cour d’appel.

En raison du caractère incertain des effets que pourrait avoir la mise en œuvre de ces dispositions dans l’ensemble des cours d’appel, résultant notamment de l’absence d’étude d’impact documentée, que nous avons déjà évoquée, cet amendement reprend l’une des propositions de la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale relative aux professions juridiques réglementées.

Il s’agit de procéder à une expérimentation préalable à la mise en œuvre de cette réforme. Cette expérimentation serait faite durant deux années dans deux cours d’appel – encore une fois, monsieur le ministre, ne craignez pas de reconnaître l’existence des problèmes en organisant une procédure d’évaluation. La mission d’information suggérait que l’une de ces cours d’appel soit composée de territoires à dominante rurale – pourquoi pas l’Aveyron ? – et l’autre cour d’appel de territoires à dominante urbaine.

Il reviendrait au garde des sceaux, ministre de la justice, de choisir les deux cours d’appel, objets de l’expérimentation – la garde des sceaux n’est pas là : on aurait aimé recueillir son avis ! Six mois avant la fin de l’expérimentation, une évaluation en serait faite par le Gouvernement dans un rapport au Parlement.

Cette expérimentation et le retour d’expérience qui en résulte permettraient de décider en toute connaissance de cause et de façon partagée d’étendre cette réforme à l’ensemble des cours d’appel ou, au contraire, de maintenir le régime existant.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n742.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1640.

M. Dino Cinieri. Je souhaite simplement confirmer ce qu’a dit mon collègue ; comme ces amendements sont identiques, j’en reste là.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n1999.

M. Marc Dolez. Notre groupe a également repris cette proposition de la mission d’information, qui s’est réunie sur le sujet il y a quelques semaines. Elle permettrait, en toute connaissance de cause, de prendre une décision dont on voit bien qu’elle suscite de nombreuses interrogations et inquiétudes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements identiques ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable, pour les mêmes motifs que ceux évoqués précédemment.

(Les amendements identiques nos 274, 742, 1640 et 1999, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général, pour soutenir l’amendement n2488.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n2488, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements identiques, nos 273, 741, 1203, 1367 et 1639.

La parole est à M. Yves Censi, pour soutenir l’amendement n273.

M. Yves Censi. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n741.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n1203.

Mme Colette Capdevielle. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour soutenir l’amendement n1367.

Mme Arlette Grosskost. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n1639.

M. Dino Cinieri. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Dans une certaine mesure, ces amendements sont satisfaits par celui de vos rapporteurs visant à différer l’entrée en vigueur du dispositif de multipostulation à un an après la promulgation de la loi, soit approximativement aux alentours du 1er juillet 2016.

Si le législateur se doit de ménager les délais nécessaires à l’adaptation des professions à des dispositifs techniques comme le réseau privé virtuel des avocats, il nous semble que les citoyens doivent aussi pouvoir voir les lois votées entrer en vigueur dans un délai raisonnable après leur adoption.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Défavorable.

(Les amendements nos 273, 741, 1203, 1367 et 1639, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 13, amendé, est adopté.)

Après l’article 13

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n314 portant article additionnel après l’article 13.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Cet amendement propose d’abroger à la fois l’article L. 127-2-3 du code des assurances, qui oblige le justiciable à avoir recours automatiquement à un avocat, sans prendre en compte la question de savoir s’il peut s’acquitter des honoraires, et l’article L. 127-5-1 du même code, qui empêche de fixer le montant de ces honoraires dans le cadre d’un accord avec l’assureur de protection juridique.

Il me semble, monsieur le ministre, que l’égalité entre les citoyens est un acquis de l’histoire de notre pays. Cependant, force est de constater qu’en matière d’égalité d’accès à la protection juridique, de grands progrès sont encore à faire pour mettre fin à des situations parfois comparables aux féodalités d’ancien régime, ce qui est intolérable au sein de notre République.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. La suppression de l’obligation pour l’assuré d’être assisté ou représenté par un avocat lorsque la partie adverse est défendue par un avocat porterait atteinte à la qualité de la défense de l’assuré et serait donc une rupture de l’égalité des armes et un recul en termes de sécurité juridique pour les assurés.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pourquoi ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement contribuerait à affaiblir la protection des assurés qu’il prétend renforcer.

Nous émettons donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même si je comprends l’objectif de votre proposition, madame la députée, elle comporte le risque de donner aux assureurs la mainmise sur le conseil juridique, puisqu’il n’y aurait plus pour le justiciable de recours automatique à un avocat dans le cadre de la protection juridique.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 février 2007, qui a imposé leur représentation par un avocat, les assurés étaient incités, durant la phase amiable, à se tourner vers leur assureur, et c’est ce dernier qui était leur unique interlocuteur.

Cet amendement priverait l’assuré d’un conseil juridique optimal et des garanties de déontologie et d’indépendance inhérentes au statut d’avocat. En outre, les assurés se retrouveraient dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’assureur, notamment pour juger de l’opportunité d’un recours contentieux. C’est pourquoi je pense que cette disposition affaiblirait la protection dont bénéficient aujourd’hui les assurés.

Il faudrait mieux travailler sur les coûts induits par le dispositif actuel plutôt que de s’engager dans cette voie, qui risquerait de générer des inégalités en permettant aux assureurs d’avoir la haute main sur le dispositif, à rebours de ce que vous recherchez.

C’est pourquoi je vous inviterai à retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je ne comprends pas pourquoi remédier à une inégalité risquerait de renforcer la position de l’assureur, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Si l’obligation pour l’assuré de recourir aux services d’un avocat dans le cadre de la protection juridique est supprimée, ceux qui n’y auront pas recours, par souci d’économie, je vous l’accorde, se retrouveront dans la dépendance des assureurs.

Par ces articles, la loi de 2007 entend protéger tous les assurés. C’est pourquoi je vous invite au retrait de cet amendement.

(L’amendement n314 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Delcourt, pour soutenir l’amendement n2273.

M. Guy Delcourt. Il s’agit, dans un esprit assez similaire à celui de la proposition de Mme Zimmermann, de compléter l’article L. 127-2-3 du code des assurances par un alinéa qui préciserait que « sans préjudice des dispositions figurant à l’alinéa précédent, l’assuré peut demander en toute situation à être assisté ou représenté par toute personne qualifiée par la législation ou la réglementation en vigueur pour défendre, représenter ou servir ses intérêts. »

Je présente cet amendement notamment à la demande des associations qui défendent les infirmes civils, les personnes handicapées ou les personnes en état de faiblesse.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Si cet amendement était adopté, l’article en cause deviendrait incohérent puisque, alors que le premier alinéa impose au justiciable l’assistance ou la représentation par avocat, le deuxième alinéa l’en dispenserait.

Quelles seront les personnes qualifiées pour défendre, représenter, servir les intérêts de l’assuré : les organisations syndicales ? Les associations de consommateurs agréées pour ester en justice ? Il nous semble qu’il vaut mieux faire confiance à ceux dont c’est le métier, c’est-à-dire aux avocats, pour l’assistance et la représentation en justice de l’assuré.

C’est pourquoi je propose que vous retiriez cet amendement. Nous émettrons sinon un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je vous invite également à retirer votre amendement pour les raisons que Mme la rapporteure vient de détailler. Je comprends l’objectif des associations, mais il me semble qu’il vaudrait mieux travailler sur la question des frais d’avocat plutôt que d’ouvrir une brèche dans le système, au prix d’une incertitude, ou à tout le moins d’une inégalité de fait.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Delcourt.

M. Guy Delcourt. Vous avez raison, monsieur le ministre : ce sont bien les honoraires d’avocat  qui posent  problème pour les plus démunis.

(L’amendement n2273 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n317.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Cet amendement propose d’encadrer les assurances de protection juridique par la mise en place d’un délai maximal de trois mois pour la procédure de médiation. Dans l’état actuel du droit, une procédure de médiation peut mobiliser près d’une année.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agirait de supprimer les dispositions du code de l’assurance qui, dans un contrat d’assurance de protection juridique, prévoient que l’assuré doit être informé du fait qu’il est libre de choisir son avocat. En lieu et place, les contrats d’assurance de protection juridique devraient systématiquement prévoir que l’assuré peut recourir à une médiation en cas de refus de la prise en charge du dossier par l’assureur.

L’assuré serait finalement moins bien protégé qu’il ne l’est aujourd’hui : il perdrait toute garantie légale imposant aux contrats d’assurance de protection juridique de préserver la liberté de choix de son avocat, ce qui serait à notre sens un recul inacceptable. Nous émettons donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je souscris totalement à l’argumentation de la rapporteure. Je ne vois pas d’objection de principe à fixer un délai maximal de trois mois pour régler un différend entre assureur et assuré, mais votre rédaction va plus loin. En effet vous supprimez le recours au président du tribunal de grande instance, notamment lorsque l’assureur et l’assuré n’arrivent pas à se mettre d’accord, et la prise en charge des frais exposés par l’assureur, deux éléments prévus à l’article L. 127-4 du code des assurances.

En outre, votre amendement introduit le terme de médiation, qui ne figure pas à l’article L. 127-4, ce qui risque d’être une source de confusion.

Si votre objectif est simplement d’encadrer la procédure dans un délai, il faut que nous trouvions une rédaction qui reste circonscrite à ce point et ne modifie pas l’article L. 127-4. Je suis tout à fait prêt à ce que nous travaillions dans ce sens.

Voilà pourquoi je vous suggère de retirer cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je maintiens l’amendement car, faute de deuxième lecture, je ne pourrai pas en proposer une nouvelle rédaction.

(L’amendement n317 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n318.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Cet amendement complète l’encadrement des assurances de protection juridique et de ce fait la protection juridique du justiciable. Il propose une indemnisation des frais exposés par ce dernier dans une procédure contentieuse quand celle-ci a abouti à une solution plus favorable que celle proposée par l’assureur ou par la tierce personne, indemnisation elle-même plafonnée à trois fois le montant de la garantie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Un avis défavorable : nous n’avons pas bien compris la raison d’être d’un tel montant, alors que la garantie constitue une indemnisation suffisante.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je crains que votre amendement, tel qu’il est rédigé, ait pour effet d’inciter l’assuré à engager une procédure contentieuse, même contre l’avis de l’assureur et de la tierce personne, dans l’espoir d’obtenir le triplement de la garantie.

Il me semble par ailleurs contraire au droit des contrats de prévoir le remboursement des frais à hauteur de trois fois le montant de la garantie, le plafond des garanties ainsi remis en cause appartenant aux caractéristiques essentielles du contrat.

C’est pourquoi je vous suggérerai de le retirer. J’émettrai sinon un avis défavorable.

(L’amendement n318 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 266, 743 et 1327.

La parole est à M. Yves Censi, pour soutenir l’amendement n266.

M. Yves Censi. Comme nous l’avons déjà dit, monsieur le ministre – et c’est pourquoi nous regrettons, notamment, l’absence de Mme la garde des Sceaux –, vous avez l’air de céder régulièrement aux offensives un rien rampantes et sournoises du système de la common law aux dépens de notre système juridique continental.

Je souhaite maintenant faire référence à un accord – vous savez que notre système juridique français est soumis aux conventions internationales et aux accords bilatéraux et internationaux que nous signons régulièrement.

Il convient aujourd’hui de modifier la loi de 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Pourquoi ?

Sur mandat de ses États membres, l’Union européenne a négocié et conclu de manière bilatérale des accords de libre-échange comportant des dispositions ouvrant le marché de la prestation de services juridiques des États membres dans le cadre d’un statut particulier de consultant juridique étranger – je me permets de citer la formule anglaise : il s’agit du foreign legal consultant.

Ce point est important puisque notre rôle est d’adapter le mieux possible le fonctionnement de notre système juridique, évidemment, mais aussi de protéger les professions juridiques telles que nous les avons pensées, dans une philosophie de droit continental.

La France a ratifié les accords conclus entre l’Union européenne et les États dits du « Cariforum » par la loi du 28 décembre 2012. Elle a fait de même avec les accords UE-Corée du Sud ratifiés par les lois du 13 novembre 2013.

Ces accords contiennent l’engagement de permettre aux avocats des parties signataires d’exercer dans les États membres de l’Union européenne, et par conséquent en France, en tant que consultants juridiques étrangers.

C’est un point dont nous ne pouvons pas nous désintéresser – à la différence de la garde des Sceaux, qui est apparemment dans ce cas : s’il est bien un sujet sur lequel elle aurait dû accepter de débattre, c’est pourtant celui-ci, même s’il n’en manque pas !

Afin de respecter ces accords mais, également, d’encadrer notre système juridique et les professions juridiques en France, il convient de modifier les textes applicables à l’exercice de la profession d’avocat et de créer un statut et les conditions de l’exercice de ces consultants juridiques étrangers dans notre pays.

La profession d’avocat, au terme d’une concertation ouverte et très fructueuse, d’ailleurs, avec le ministère de la justice, a souhaité en décembre 2013 la création d’un statut général de consultant juridique étranger ouvert sous réserve – et nous devons y veiller – de réciprocité.

Ce statut exige l’inscription des consultants juridiques étrangers sur une liste spéciale du tableau après décision du Conseil national des barreaux, le CNB, les autorisant à solliciter cette inscription auprès du barreau de leur choix.

Ils pourront donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé pour autrui en droit international public, dans le droit de leur État d’origine et dans le droit de tout État pour lequel ils sont habilités, à l’exception du droit des États membres de l’Union européenne et du droit de l’Union européenne. Ils ne pourront pas représenter en justice ou devant une administration.

Pour pouvoir bénéficier de ce statut et être inscrit sur une liste spéciale du tableau des ordres, le consultant juridique étranger devra exercer dans son État d’origine la profession d’avocat ou une activité équivalente à celle d’avocat, n’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs, n’avoir pas été l’auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation, etc. Grossièrement, il doit être soumis aux mêmes règles que ses confrères nationaux.

Afin de donner une information claire et sincère au public, le consultant juridique étranger exercera sous son titre professionnel d’origine, auquel sera adjoint le titre de « consultant juridique étranger ».

Enfin, du fait de son inscription au tableau d’un barreau, le consultant juridique étranger est tenu au respect de la déontologie et des règles professionnelles. Il sera ainsi soumis à la discipline et au contrôle de l’ordre des avocats.

D’autres dispositions existent mais celles que nous insérons à la loi de 1971 visent à assurer non seulement un bon fonctionnement de la profession mais, également, au fond, à protéger une certaine pratique professionnelle et à lutter contre ce qui relèverait simplement d’une déréglementation, d’une libéralisation.

Il n’est pas question – et vous savez de quoi je parle, monsieur le ministre – de nous laisser imposer le droit anglo-saxon de la common law.

Je le répète, il s’agit là d’une sorte de combat doctrinal que nous ne devons pas abandonner sur le plan européen, et surtout pas sur notre territoire national.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n743.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n1327.

Mme Colette Capdevielle. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cette mesure est bienvenue et je tiens à féliciter les rédacteurs pour la qualité de ces amendements.

Néanmoins, ils trouveraient mieux leur place dans le projet de loi en cours de préparation sur la justice du XXIsiècle.

Nous nous sommes renseignés : la Chancellerie travaille actuellement à un dispositif très proche. À notre sens, il serait donc plus sage d’attendre qu’il ait été finalisé.

Mme la présidente. Vous émettez donc un avis défavorable ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Oui, à moins que ces amendements ne soient retirés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je confirme que Mme la garde des Sceaux s’occupe de près de cette question puisqu’elle a reçu à plusieurs reprises le syndicat des avocats de France…

M. Philippe Houillon. La gauche, donc ! Je rêve !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et que son cabinet a mené des discussions à ce sujet – entre autres, comme vous pouvez l’imaginer.

Nous savons que cette question est importante pour ces professionnels, qui sont d’ailleurs nombreux à défendre ces dispositions sur lesquelles la Chancellerie continue de travailler activement.

Je partage pleinement votre volonté de protéger le modèle continental du droit, monsieur le député Censi, et cela implique un contrôle parfait du caractère effectif de la réciprocité prévue par votre amendement.

La rédaction que vous proposez mérite néanmoins d’être améliorée sur ce point-là et c’est précisément l’un de ceux sur lesquels la garde des Sceaux souhaite travailler afin de parfaire l’ensemble du dispositif. Le projet « Justice du XXIsiècle » satisfera de la sorte l’objectif poursuivi par ces amendements, qui est en effet important.

Je vous invite donc à les retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable à leur adoption.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. S’agissant de votre intention et, si j’ose dire, sur un plan sentimental, j’ai envie de me réjouir du sort que vous réservez à cet amendement.

En revanche, vous venez de nous expliquer qu’il serait mieux venu dans le texte « Justice du XXIsiècle » dont l’examen nous permettra apparemment de rencontrer la garde des Sceaux.

Vous considérez donc que cet amendement est tellement important qu’il ne peut être discuté dans votre texte, monsieur le ministre, et qu’il faut attendre un projet spécifiquement dédié à la justice !

Je rappelle, au passage, que nous évoquons depuis plusieurs jours les notaires, les greffiers, les huissiers de justice, les avocats, toujours en l’absence de celle que nous finirons par appeler l’ « Arlésienne » – c’est d’ailleurs une jolie référence car nous pourrions porter un jugement bien pire !

Nous parlons du droit, du ministère de la justice, de rencontres et de négociations. Je me suis moi-même félicité de celles qui ont eu lieu entre certains organismes représentant la profession et la Chancellerie mais, enfin, aucun n’est là.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que votre texte, monsieur le ministre, n’est pas assez important, raison pour laquelle Mme la garde des Sceaux est absente ?

Comme on dit : « Si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère viendra à toi ! » (Sourires) En l’occurrence il s’agit plutôt de l’inverse : il faudra que nous nous déplacions !

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Vous pouvez entretenir les rapports que vous voulez avec Lagardère ! (Sourires)

M. Yves Censi. Votre Lagardère à vous, visiblement, c’est Mme Taubira !

Mais reconnaissez tout de même qu’il y a là une grande incohérence, voire, une très mauvaise manière faite à l’Assemblée nationale.

Comme vous le dites, nous avons effectué un travail considérable – et je vous remercie d’en avoir souligné la qualité.

Je le répète : il s’agit non seulement d’une question d’organisation « interne », dira-t-on, ou nationale, mais également de la possibilité de prendre conscience de la position qui doit être la nôtre dans le cadre des grands enjeux et débats européens mais, aussi, internationaux.

Il s’agit aussi d’une occasion pour intéresser nos concitoyens, qui nous regardent, à des sujets concernant l’Union européenne.

Vous nous dites donc que c’est trop important, que le travail accompli est certes très bon mais qu’il est impossible d’agir sans la garde des Sceaux…

M. Dominique Tian. En effet, c’est ce qu’ils disent !

M. Yves Censi. …qui, elle, doit donner son avis éclairé grâce à la Chancellerie sur l’ensemble de ces textes. Et vous dites qu’il faudra le retravailler !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. On a compris !

Mme Annick Lepetit. On pourrait peut-être en rester là !

M. Yves Censi. Vous, monsieur Macron, vous dites humblement que vous n’êtes que le ministre représentant Bercy.

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous entendez des voix ?

M. Yves Censi. Je ne ferai pas de comparaison qui pourrait donner lieu à des interprétations blessantes mais, pour l’instant, on entend la voix de quelqu’un qui n’est pas là ! Nous aimerions donc bien qu’elle soit là, tout simplement ! Nous imaginons sa voix et son appréciation !

Je tiens tout de même à insister sur ce point ! Vous n’arrêtez pas de dire qu’elle est venue parler pendant quinze minutes…

M. Christophe Caresche. Ce n’est pas une loi sur la justice mais sur l’économie !

M. Yves Censi. …et qu’elle a écouté les avis des uns et des autres formulés pendant la discussion générale.

Quand il s’agit de prendre une décision, vous arguez vouloir attendre la discussion d’un prochain texte de nature spécifiquement juridique afin de bénéficier de l’avis éclairé de la Chancellerie !

Permettez-moi de vous dire, puisque nous avons déjà évoqué Canossa, que c’est maintenant un véritable chemin de croix, monsieur le ministre, que vous êtes en train de vivre et que, malheureusement, vous nous imposez également !

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Censi, ou bien puis-je le mettre aux voix ?

M. Yves Censi. Je ne le retire pas. L’Assemblée doit se prononcer à son propos aujourd’hui même.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je retire l’amendement n1327.

(L’amendement n1327 est retiré.)

(Les amendements identiques nos 266 et 743 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n315.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il donne au justiciable ayant choisi d’opter pour le recours à un avocat le droit d’intervenir par lui-même auprès de toute juridiction en cas de carence de ce dernier. Un décret en Conseil d’État aménagerait l’incidence de ce point au sein des divers champs juridictionnels.

Une des difficultés que présente ce texte est en effet que l’office d’un avocat demeure obligatoire dans la quasi-totalité des cas, et ce, en contradiction avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Un avocat peut ainsi refuser à son client, selon son bon plaisir ou comme moyen de chantage pour imposer ses honoraires, d’élever les moyens de droit les plus établis pour défendre sa cause.

Je souhaiterais donc que cet amendement soit adopté car l’obligation à laquelle est soumise le justiciable ne paraît pas forcément justifiée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable.

La formule « en cas d’une carence de ce professionnel du droit » est beaucoup trop floue pour que l’amendement puisse être adopté en l’état.

En outre, en l’état du droit, toute personne ayant fait appel à un avocat est libre d’en changer sans se justifier. Elle doit simplement l’en informer par écrit et régler les honoraires correspondant au travail qu’il a déjà accompli. Ce n’est pas par hasard que le ministère d’avocat a été rendu obligatoire dans un certain nombre de litiges, pour lesquels il est impératif de protéger aussi la partie potentiellement faible et d’assurer la qualité de la défense.

Je comprends le souci que vous exprimez, madame Zimmermann, mais face à un avocat incorrect, il existe d’autres voies, notamment le recours au bâtonnier.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Votre objectif, madame Zimmermann, n’est pas de remettre en cause le monopole de représentation des avocats.

M. Philippe Houillon. Pour une fois !

M. Emmanuel Macron, ministre. Si tel était le cas, votre collègue Philippe Houillon vous aurait immédiatement rappelée à l’ordre. (Sourires.)

Si votre objectif est de permettre à un justiciable de changer d’avocat, sachez que c’est d’ores et déjà possible. S’il est de donner un droit supplémentaire à celui ou celle qui n’a pas les moyens de se payer un avocat, je vous dirai que l’aide juridictionnelle a été créée précisément pour cela, pour fournir un avocat à ceux qui n’en ont pas les moyens.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Bien sûr !

M. Emmanuel Macron, ministre. Du reste, vous avez toutes et tous noté avec satisfaction, hier, la création d’un fonds de péréquation qui contribuera à financer cette aide juridictionnelle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Dominique Tian. Nous ne l’avons pas voté !

M. Emmanuel Macron, ministre. Tout cela se tient, madame la députée ! Votre amendement est satisfait par le vote d’hier, et je vous invite donc à le retirer.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Ce serait une catastrophe, madame Zimmermann, si votre amendement était adopté. Le justiciable peut toujours choisir de remplacer son avocat s’il estime que celui-ci n’est pas compétent. Mais le droit, c’est tellement compliqué, tellement spécialisé…

M. Yves Censi. C’est bien pour cela qu’il faut appeler la garde des sceaux ! (Sourires.) Ce ne sont pas des voix que nous voulons, c’est une apparition !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. …que, ce faisant, il risque de commettre des erreurs et d’agir contre son propre intérêt. Croyez-moi : adopter un tel amendement serait catastrophique pour le justiciable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Maître Tourret, sachez que votre argument ne me convainc absolument pas.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Évidemment, vous ne connaissez rien au droit !

M. Dominique Tian. Le ministre non plus : cela ne l’empêche pas d’en parler !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le ministre, j’ai entendu vos explications concernant l’aide juridictionnelle qui sera financée par cette fameuse péréquation, mais je suis très sceptique quant aux résultats de ce dispositif. Je ne retirerai donc pas mon amendement.

M. Emmanuel Macron, ministre. Madame Zimmermann…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je suis désolée de ne pas vous satisfaire, mais c’est ainsi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je tiens à vous rassurer, madame Zimmermann.

M. Dominique Tian. Vous non plus, vous n’y comprenez rien au droit ?

Mme Colette Capdevielle. Sauf dans les cas où la loi prévoit le monopole, et donc l’obligation d’avoir recours à un avocat, tout justiciable a la possibilité de se défendre lui-même. Que ce soit devant une juridiction pénale ou une juridiction civile, devant le tribunal d’instance, le juge aux affaires familiales, le tribunal des affaires de Sécurité sociale, le conseil de prud’hommes, le tribunal du contentieux de l’incapacité, un justiciable a toujours la possibilité, même s’il est assisté d’un avocat, de demander à prendre la parole et de déposer des écrits.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Heureusement !

Mme Colette Capdevielle. Tout justiciable est libre de recourir, ou pas, à un avocat. Il a toujours la possibilité d’assurer lui-même sa défense devant toutes les juridictions françaises, sauf lorsque le ministère d’avocat est obligatoire, comme cela vous a été expliqué. Votre amendement, tel qu’il est rédigé, est donc inutile, puisque la loi permet déjà à tout justiciable de se défendre lui-même.

M. Yves Censi. Jusqu’à quand ?

Mme Colette Capdevielle. La loi prévoit également une procédure d’urgence pour le recours à l’aide juridictionnelle. Lorsqu’il y a urgence, le bureau d’aide juridictionnelle peut accorder cette aide à titre provisoire ; et lorsqu’il y a urgence absolue, le magistrat, à l’audience, peut également accorder le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Il existe des matières particulièrement urgentes, comme le droit des étrangers ou la matière pénale, où l’avocat intervient immédiatement.

Votre amendement est donc totalement satisfait, madame Zimmermann.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Nous avons tous bien noté, monsieur le ministre, que nous avons créé un fonds de péréquation qui servira à financer l’aide juridictionnelle. Nous avons bien entendu que ce fonds sera financé en grande partie par les notaires, qui ne recevront rien en retour.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est faux !

M. Gilles Lurton. C’est exactement ce qui va se passer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous êtes à la limite de la malhonnêteté intellectuelle !

M. Gilles Lurton. Vous avez dit au cours de nos débats, monsieur le ministre, que tous les avocats pourront désormais siéger au tribunal de grande instance de Saint-Malo. Je vous informe que les avocats du barreau de Saint-Malo sont extrêmement mécontents des mesures que nous venons de prendre. Ils l’ont manifesté lors de l’audience de rentrée du tribunal, en arborant des rabats rouges, de la même couleur que nos fauteuils, au lieu de leur habituel rabat blanc.

Mme Catherine Coutelle. Ils sont passés au rouge !

M. Gilles Lurton. Ils ont distribué des tracts rappelant l’utilité de la postulation, dont notre collègue Philippe Houillon a fort bien parlé au cours de nos débats. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je voudrais abonder dans le sens de notre collègue Colette Capdevielle.

Madame Zimmermann, je peux comprendre que certains cas posent question, mais la présence de l’avocat reste une protection pour le justiciable. Il est certes des matières où l’on peut se passer du ministère d’avocat. Mais ceux qui s’y risquent sont soit des kamikazes, soit des spécialistes du droit. La plupart du temps, l’avocat est une protection, une protection fondamentale dans notre société démocratique.

Ce que je crains, c’est que les bons sentiments qui animent votre amendement ne se retournent contre celles et ceux que vous cherchez très légitimement à protéger. Puisque je sais que vous n’êtes animée que de bons sentiments, je vous invite donc, chère collègue, à retirer cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je remercie Mme Capdevielle d’avoir volé au secours de M. le ministre pour m’expliquer ce que je n’avais pas compris. Néanmoins, j’aurais souhaité que la garde des sceaux soit présente au côté du ministre de l’économie. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Houillon. Eh oui !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Les avocats qui siègent ici ont le droit de s’exprimer, mais il me semble qu’ils sont juge et partie !

M. Jean-Yves Caullet. Tout le monde a le droit de s’exprimer !

Mme Marie-Jo Zimmermann. J’aurais souhaité, en plus des explications de M. le ministre, avoir l’expertise de la garde des sceaux. Je maintiens donc mon amendement.

Mme la présidente. Madame Zimmermann, je vous rappelle que ce sont des parlementaires qui s’expriment dans cet hémicycle, des députés de la nation.

Plusieurs députés du groupe SRC. Merci de le rappeler, madame la présidente !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Je voulais seulement faire une remarque, pour le compte rendu. En conférence des présidents, nous avons discuté ce matin de l’organisation de nos débats. Il va de soi que chaque groupe est libre d’utiliser son temps de parole comme il le souhaite. En temps programmé, il ne peut être question d’obstruction, puisque chaque groupe se voit attribuer un temps de parole, qu’il utilise comme il l’entend.

J’ai fait remarquer ce matin que beaucoup de temps avait été perdu, non seulement à cause d’amendements identiques défendus un nombre incalculable de fois, mais surtout à cause d’interventions vaines tendant à réclamer la présence au banc de Christiane Taubira, la ministre de la justice. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Compte tenu des réponses que fournit le ministre de l’économie, sa présence est inutile.

Le moment viendra très certainement de voir comment chacun a utilisé son temps. Je souhaitais donc que soit noté au compte rendu, en vue des débats que nous aurons dans les prochains jours, que les interventions répétées demandant la présence de la ministre de la justice au banc nous ont fait perdre beaucoup de temps, notamment au cours de cette séance.

M. Yves Censi. Vous n’êtes pas le porte-parole du Gouvernement, monsieur Le Roux ! Défendez plutôt les députés !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Monsieur le président Le Roux, ce que vous venez de dire est inacceptable. (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Yves Censi. C’est indigne !

M. Philippe Houillon. Vous n’avez pas à nous donner votre avis sur la manière dont nous utilisons notre temps de parole.

M. Bruno Le Roux. Vous faites ce que vous voulez !

M. Philippe Houillon. Le mieux eût donc été de vous taire.

Par ailleurs, demander, même de manière réitérée, la présence de la garde des sceaux lors de l’examen d’un projet de loi qui la concerne, c’est la moindre des choses. Vous cautionnez ce qui s’apparente à une forme de mépris pour le Parlement.

M. Bruno Le Roux. Utilisez votre temps de parole comme vous l’entendez ! C’est votre problème !

M. Philippe Houillon. Quand vous n’étiez pas dans la majorité, on vous a connu bien plus regardant pour beaucoup moins. Vos leçons, gardez-les pour votre majorité, et épargnez-les nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Roux. Faites ce que vous voulez, mais ne venez pas pleurer, demain, quand votre temps de parole sera épuisé !

(L’amendement n315 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann, pour soutenir l’amendement n316.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pour ne pas perdre de temps et ne pas indisposer M. Le Roux, je me contenterai de dire qu’il est défendu.

(L’amendement n316, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. À la demande du président de l’Assemblée nationale, la séance sera levée plus tôt qu’à l’accoutumée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly