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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du vendredi 13 février 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Denis Baupin

1. Croissance, activité et égalité des chances économiques

Discussion des articles (suite)

Article 66

Amendement no 1970

M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Amendements nos 504 , 2528 , 505 , 506

Article 67

Amendements nos 493 , 2529

Article 68

Amendement no 494

Article 69

Amendements nos 677 , 2439 , 2530 , 2531

Après l’article 69

Amendements nos 2443, 2441, 2444, 2559

Article 69 bis

Amendements nos 2532, 2533, 2534, 2535, 2536, 2537, 2538

Article 70 A

Amendement no 2539

Article 70

Amendement no 2804

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale

Amendements nos 2581 , 2582 , 2583 , 2585 , 2584 , 2586 , 2587

Article 70 bis

Article 70 ter

Amendement no 2145

Après l’article 70 ter

Amendements nos 1555 rectifié , 2314

Avant l’article 71

Amendement no 2991

Article 71

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Gérard Cherpion

M. Christophe Sirugue

M. Pascal Cherki

M. Jean-Yves Caullet

M. Benoît Hamon

M. Christian Paul

Mme Fanélie Carrey-Conte

M. Laurent Baumel

M. Pouria Amirshahi

M. Christophe Caresche

M. Bruno Le Roux

M. Jean-Luc Laurent

Mme Sandrine Mazetier

M. Frédéric Lefebvre

Mme Laurence Abeille

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Marie-George Buffet

Mme Aurélie Filippetti

M. Richard Ferrand, rapporteur général

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale

Suspension et reprise de la séance

Amendements nos 1326 , 2655 , 2023

Article 72

Mme Sandrine Mazetier

M. Pascal Cherki

Mme Sandrine Doucet

M. Christophe Caresche

M. Jean-François Lamour

Amendements nos 94 , 1031 , 1313 , 2198 , 3046

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Croissance, activité et égalité des chances économiques

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (nos 2447, 2498).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de quatre heures et vingt-neuf minutes pour le groupe SRC, dont 159 amendements sont en discussion ; une heure cinquante et une minutes pour le groupe UMP, dont 278 amendements sont en discussion ; une heure et cinquante-six minutes pour le groupe UDI, dont 49 amendements sont en discussion ; une heure et cinquante-sept minutes pour le groupe RRDP, dont 37 amendements sont en discussion ; trente-huit minutes pour le groupe écologiste, dont 20 amendements sont en discussion ; une heure et deux minutes pour le groupe GDR, dont 28 amendements sont en discussion, et trois minutes pour les députés non-inscrits.

Discussion des articles (suite)

M. le président. Ce matin, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 66.

Article 66

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement n1970.

Mme Marie-George Buffet. Cet amendement vise à ce que plusieurs tribunaux de commerce spécialisés puissent être créés dans le ressort d’une même cour d’appel, soit pour offrir aux justiciables une proximité suffisante, soit pour tenir compte de l’importance juridictionnelle de certains tribunaux.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n1970.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, mes chers collègues, cet amendement a pour objet de permettre la création de plusieurs tribunaux de commerce spécialisés dans le ressort d’une cour d’appel, alors que la rédaction actuelle de l’article ne permet la création que d’un seul tribunal de commerce spécialisé par ressort de cour d’appel, ou de tribunaux de commerce spécialisés compétents pour plusieurs ressorts de cour d’appel.

Je comprends l’intention des auteurs de cet amendement et leur souhait que, dans certains ressorts de cour d’appel, deux tribunaux de commerce puissent être spécialisés. Cependant, la spécialisation n’a de sens qu’à la condition que le nombre des tribunaux de commerce reste limité. Prévoir un tribunal de commerce spécialisé par cour d’appel métropolitaine conduit déjà à la création de 28 tribunaux de commerce spécialisés, si l’on ôte les deux cours d’appels d’Alsace-Moselle, qui ne seront pas concernées. Ce chiffre, déjà élevé, sera porté à 56 si l’on envisage de créer deux tribunaux spécialisés par cour d’appel. Cela n’aurait plus aucun sens pour la spécialisation. C’est pour ces raisons que la commission a repoussé cet amendement.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n1970.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Avis défavorable.

(L’amendement n1970 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n504.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n504 ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement vise à limiter la compétence des tribunaux de commerce spécialisés aux procédures collectives concernant les entreprises de plus de 400 salariés. Je m’en suis déjà expliqué ce matin.

Le seuil du nombre de salariés ne doit pas être fixé par la loi : sur ce point, il est logique de renvoyer au décret. Cela ne nous empêche pas, cependant, de discuter des seuils à retenir. L’étude d’impact évoque d’ailleurs les seuils envisagés par le Gouvernement, qui seraient de 150 salariés ou 20 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Le seuil de 150 salariés a été jugé trop bas par les nombreuses personnes que la commission spéciale a auditionnées.

J’invite donc le Gouvernement à approfondir le sujet, sur le fondement d’une étude d’impact plus étayée, et à explorer l’opportunité de fixer un seuil de salariés plus élevé, qui pourrait être de 250 salariés.

M. Jean-Frédéric Poisson. De 400 salariés !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. En tout état de cause, le seuil de 400 salariés  proposé par l’amendement est trop élevé. Il conduirait à vider la réforme de sa portée, car le nombre de procédures serait alors très limité, n’excédant vraisemblablement pas une vingtaine par an. Cela vaudrait-il encore la peine de mettre en place des juridictions spécialisées pour traiter un nombre si restreint d’affaires ?

Aussi, la commission spéciale a donné un avis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n504 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n504 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique, pour soutenir l’amendement n2528.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n2528, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n505.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n505 ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement, qui vise à supprimer la référence aux « centres des intérêts principaux du débiteur », a reçu un avis défavorable de la commission.

Le centre des intérêts principaux est en effet une notion bien connue du droit des entreprises en difficulté, qui est reprise du droit de l’Union européenne, plus précisément du règlement n1346/2000 du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité. De plus, elle figure déjà dans le code du commerce. Sa reprise ne pose donc aucune difficulté. Elle constituera au contraire une clarification pour déterminer la juridiction compétente. Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n505 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable.

(L’amendement n505 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement n506.

M. Gilles Lurton. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n506 ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n506 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n506 n’est pas adopté.)

(L’article 66, amendé, est adopté.)

Article 67

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement de suppression n493.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n493 ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement de suppression de l’article 67, comme les précédents amendements de suppression des articles 65 et 66, vise à supprimer la spécialisation des tribunaux de commerce en matière de procédures collectives. J’y suis défavorable. Nous avons déjà voté à ce sujet.

Comme M. le ministre l’a exposé ce matin, la spécialisation de certains tribunaux de commerce a déjà été retenue dans des matières complexes, telles que le droit de la concurrence, avec de bons résultats. Il en a été de même pour certains tribunaux de grande instance, comme en matière de propriété intellectuelle.

Je rappelle que la mission d’information de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le rôle de la justice en matière commerciale avait proposé les dispositions que nous retenons. La commission est donc défavorable à cet amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n493 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable.

(L’amendement n493 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique, pour soutenir l’amendement n2529.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il est rédactionnel.

(L’amendement n2529, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 67, amendé, est adopté.)

Article 68

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement n494.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n494 ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Avis défavorable. Cet amendement de suppression de l’article 68, comme les amendements précédents de suppression des articles 65, 66 et 67, vise à supprimer la spécialisation des tribunaux de commerce en matière de procédures collectives. La commission a rejeté les amendements précédents. Pour les mêmes motifs, j’appelle donc au rejet de l’amendement n494.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n494 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable.

(L’amendement n494 n’est pas adopté.)

(L’article 68 est adopté.)

Article 69

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement de suppression n677.

M. Jean-Frédéric Poisson. La nomination d’un second administrateur judiciaire ou mandataire judiciaire dans les procédures ne paraît pas suffisamment élaborée ni justifiée, à ce stade, pour figurer dans la loi. Compte tenu du peu de préparation dont cette disposition a fait l’objet et des incertitudes – le mot est faible ! – exprimées par les professions concernées, nous proposons de supprimer l’article 69 afin de nous laisser un peu de temps pour régler cette question, qui ne revêt pas d’urgence particulière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n677 ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Avis défavorable. Nous avons reçu les représentants de la profession de mandataire judiciaire ou liquidateur, qui ont au contraire souligné l’intérêt du recours à deux administrateurs judiciaires ou mandataires judiciaires.

Il semble d’ailleurs curieux que dans l’affaire de la Société nationale maritime Corse Méditerranée – SNCM –, qui concerne plus de 600 personnes, la possibilité de désigner un second mandataire n’ait pas été évoquée.

Mais laisser la possibilité de désigner un second mandataire ou administrateur judiciaire ne nous semble pas suffisant : cette désignation doit être rendue obligatoire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n677 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Avis défavorable. Cette mesure avait d’ailleurs été proposée par la Cour des comptes dans un référé de 2013, ainsi que par le rapport d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale de vos collègues Mme Untermaier et M. Bonnot. L’idée n’a donc pas jailli soudainement de l’esprit des rapporteurs, ni de celui du Gouvernement. Enfin, comme le rapporteur thématique l’a rappelé, des échanges ont eu lieu avec les professions concernées.

(L’amendement n677 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour soutenir l’amendement n2439.

M. Philippe Gomes. Cet amendement propose de confier au second mandataire judiciaire dont la nomination est prévue par l’article 69 la mission exclusive de trouver un repreneur pour l’entreprise concernée par la liquidation. Nous pensons en effet qu’il est nécessaire d’apporter une dimension différente, plus pragmatique, au métier classique de mandataire judiciaire, dont la vision doit être davantage axée sur le long terme, afin d’être en mesure d’aider réellement l’entreprise qui traverse ce type d’épreuve.

Si les administrateurs et les mandataires judiciaires sont déjà censés jouer ce rôle, à un autre stade des procédures collectives, il nous semble préférable, dans les cas de liquidation judiciaire, de le confier à un mandataire qui n’aura pas d’autre mission que celle de trouver un repreneur. Par la suite, il conviendra de déterminer si la nomination de ce deuxième mandataire est valable pour toutes les liquidations judiciaires, ou seulement lorsque le débiteur possède plusieurs établissements secondaires ou appartient à un groupe d’entreprises en difficulté, comme le prévoit l’étude d’impact du projet de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement prévoit qu’en cas de désignation d’un second mandataire judiciaire, ce dernier aurait pour seule mission de trouver un repreneur pour l’entreprise concernée par la liquidation. L’idée peut paraître séduisante, mais la rédaction de l’amendement soulève trois difficultés techniques.

En premier lieu, elle paraît cantonner la mission du second mandataire à cette seule tâche – alors qu’à l’évidence, ce n’est pas ce que vous souhaitez.

En deuxième lieu, elle crée un a contrario fâcheux, puisqu’elle semble exclure que le premier mandataire judiciaire puisse avoir lui aussi cette mission. Pourquoi lui ôter cette possibilité ?

En troisième lieu, cette disposition serait insérée dans l’article L. 621-4-1 du code du commerce, qui est relatif au redressement judiciaire, et non à la liquidation judiciaire.

Pour toutes ces raisons, la commission a repoussé l’amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n2439 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement rédactionnel, n2530, de M. Alain Tourret.

(L’amendement n2530, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement de coordination, n2531, de M. Alain Tourret.

(L’amendement n2531, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 69, amendé, est adopté.)

Après l’article 69

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour soutenir l’amendement n2443.

M. Philippe Gomes. Plutôt qu’une sanction qui priverait le mandataire judiciaire de toute rémunération en cas de constat de carence par le tribunal, le présent amendement prévoit de réduire sa rémunération de moitié. À l’issue d’une nouvelle période de trois mois, le tribunal se saisirait à nouveau de la liquidation pour en examiner l’état d’avancement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Monsieur Gomes, le groupe UDI a en réalité déposé non pas un, mais quatre amendements, alternatifs ou concurrents, qui ont pour objet d’encadrer la durée des liquidations judiciaires selon des modalités diverses. Les trois premiers, nos 2443, 2441 et 2444, proposent de modifier le code de commerce à cette fin, tandis que le quatrième, l’amendement n2559, prévoit la remise au Parlement d’un rapport sur le sujet.

Ledit sujet m’apparaît très important et digne d’intérêt, ainsi que je l’ai déjà indiqué aux membres de votre groupe. Il l’est même trop pour légiférer par voie d’amendement, sans étude d’impact et sans avoir consulté les parties intéressées, à commencer par les praticiens du droit des entreprises en difficulté et les représentants des entrepreneurs et des salariés. C’est pourquoi la quatrième option proposée par votre groupe, à savoir la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur le sujet, a paru à la commission être la plus adaptée, en dépit d’une réticence de principe envers les articles de loi prévoyant une telle procédure.

La commission a par conséquent repoussé les amendements nos 2443, 2441 et 2444 et accepté l’amendement n2559.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Compte tenu de ce qui vient d’être indiqué par le rapporteur et confirmé par le ministre, et eu égard aux travaux réalisés en commission, je retire les amendements nos 2443, 2441 et 2444. Seul l’amendement n2559, qui a recueilli l’avis favorable de la commission et du Gouvernement, est maintenu.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Très bien !

(Les amendements nos 2443, 2441 et 2444 sont retirés.)

M. le président. Je mets donc aux voix l’amendement n2559.

(L’amendement n2559, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Article 69 bis

M. le président. Sur l’article 69 bis, je suis saisi d’une série d’amendements rédactionnels ou de rectification de M. Alain Tourret. Il s’agit des amendements nos 2532 à 2538.

(Les amendements nos 2532, 2533, 2534, 2535, 2536, 2537 et 2538, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

(L’article 69 bis, amendé, est adopté.)

Article 70 A

M. le président. Je suis saisi de l’amendement rédactionnel n2539 de M. Alain Tourret.

(L’amendement n2539, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 70 A, amendé, est adopté.)

Article 70

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n2804.

M. Emmanuel Macron, ministre. Cet amendement tend à préciser que la modification du capital prévue par le projet de plan de redressement doit constituer la seule solution sérieuse permettant d’éviter la disparition de l’entreprise.

Le vote de l’augmentation de capital par un mandataire désigné par le tribunal à la place des associés ou des actionnaires prive les associés d’une partie des droits attachés à la propriété de leurs actions. Cette mesure doit donc être mise en œuvre avec prudence, et n’être décidée que s’il n’existe aucun autre moyen d’offrir les mêmes garanties de maintien de l’activité et de l’emploi. S’il existe plusieurs solutions, la cession forcée ne devra s’imposer que si elle est la seule susceptible d’aboutir sérieusement au sauvetage de l’entreprise.

Il convient par conséquent de préciser dans la loi qu’il s’agit, non pas d’« une solution » parmi d’autres, mais de « la seule solution sérieuse » ; cela nous paraît de nature à mieux encadrer le dispositif prévu par l’article 70.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Nous abordons là un point très important de cette loi, à savoir les droits des créanciers.

Depuis la réforme Badinter de 1985, les créanciers se trouvaient impuissants : ils pouvaient produire, mais ils ne pouvaient rien obtenir. En nous inspirant à la fois du « Chapter eleven » américain et de la loi allemande, nous avons essayé de leur redonner un certain pouvoir. L’article 70 offre ainsi la possibilité d’une modification du capital par transformation des créances, afin de permettre l’application du plan de redressement proposé sous la responsabilité du tribunal de commerce.

Nous souhaitions aller plus loin que le texte proposé par le Gouvernement, en indiquant qu’il s’agissait d’une solution parmi d’autres. Or le Gouvernement, sans doute avec sagesse, a estimé qu’une telle formulation encourait un risque sérieux de censure par le Conseil constitutionnel. Il nous demande donc de préciser que le dispositif s’appliquera dès lors que la modification de capital apparaîtra comme « la seule solution sérieuse » pour permettre la poursuite de l’activité.

J’admets parfaitement cette demande – j’avais d’ailleurs volontairement appelé l’attention du Gouvernement sur ce point. Toutes les personnes que j’ai reçues – et même le MEDEF, pourtant protecteur « naturel » des capitalistes d’origine – ont souligné que ce nouvel article constituait un apport essentiel. Il convient donc de protéger le texte.

C’est à cette même fin que nous avons prévu que, comme dans la loi américaine, les capitalistes d’origine puissent disposer d’un délai de trois mois pour présenter leur propre plan et que les créanciers ne puissent intervenir qu’à l’expiration de ce délai. C’est une façon comme une autre d’assurer la protection du droit de propriété.

Cet article, voulu par le Gouvernement, me semble constituer une véritable révolution par sa manière de concevoir des solutions pour les sociétés en difficulté et de donner aux créanciers la possibilité d’intervenir dans la dilution du capital.

Avis favorable, donc.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Si révolution il y a, monsieur le rapporteur, c’est d’entendre un député d’une majorité de gauche affirmer qu’il veut protéger les capitalistes !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Les nouveaux, pas les anciens !

M. Jean-Frédéric Poisson. Quel changement dans l’expression ! Je remarque d’ailleurs que cela provoque quelques sourires parmi mes collègues de la majorité…

M. Christophe Sirugue. Oh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela dit, je comprends votre intention, et je ne ferai que deux remarques – presque de pure forme.

D’abord, je ne pense pas que vous évacuiez pour autant tout risque de censure de la part du Conseil constitutionnel. Le dispositif présenté soulève en effet clairement la question de savoir si le détenteur d’actions dans une entreprise peut se voir contraindre à les vendre, quelles que soient les circonstances, surtout s’il n’a commis aucune faute. Il y a là un problème à régler – mais je pense que la navette avec le Sénat contribuera à clarifier ce point.

Ensuite, je m’interroge sur la portée juridique du terme « sérieuse » – on entend parfois aussi parler de question « substantielle » ou « d’une exceptionnelle gravité ». Tout cela ne semble guère conforme à la séparation des pouvoirs, monsieur le ministre ! Quoi qu’il en soit, je doute que ce terme ait une réelle portée juridique.

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Je voudrais me féliciter de cet article et de cet amendement, qui consistent non seulement à défendre, pour le plus grand bonheur de M. Poisson, les nouveaux capitalistes d’une entreprise,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ne reportez pas sur autrui vos turpitudes, monsieur le rapporteur général !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. …mais surtout à sauver des entreprises, et les emplois qui vont avec. On s’est trop souvent trouvé dans des impasses où les créanciers ne pouvaient pas, non seulement récupérer ce qui leur était dû, mais, par surcroît, mener à bien des plans de reprise, même lorsque ces derniers étaient jugés convenables. Cette disposition permettra de sauver nombre d’entreprises, mais aussi l’emploi et, effectivement, monsieur Poisson, un certain nombre de créanciers – car je ne vois pas pourquoi ceux-ci seraient lésés plus longtemps.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’ai pas dit autre chose !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, rapporteur thématique.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet article est véritablement très important.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela ne nous a pas échappé !

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il s’agit d’une transformation totale de notre droit des entreprises en difficulté ; nous nous rapprochons des solutions retenues par les lois américaine et allemande. Qu’avons-nous cherché à faire ? À protéger les créanciers qui, jusqu’ici, perdaient toutes leurs créances. Nous souhaitons les associer au redémarrage de l’entreprise.

Nous avons consulté le Conseil d’État, qui a donné un avis favorable à ce qui lui était proposé. Nous avons notamment fait attention, monsieur Poisson, à n’ouvrir le dispositif qu’aux entreprises de plus de 150 personnes. Le Conseil d’État avait en effet estimé qu’il ne fallait pas descendre jusqu’au seuil de 50 personnes. J’avais pour ma part proposé 100, mais M. le ministre m’a convaincu de retenir celui de 150, de manière à éviter tout risque de censure par le Conseil constitutionnel. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un premier pas : il faudra, à mon avis, aller plus loin dans les années à venir.

C’est en tout cas la première fois, et je l’assume totalement, que l’on protège les créanciers qui ont tout perdu et qui n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Vous admettrez que cette situation n’est pas acceptable, et qu’envisager de leur offrir un autre sort, comme le fait le Gouvernement, est tout de même très novateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je remercie M. le rapporteur thématique pour les explications tout à fait sérieuses qu’il vient de me donner.

Permettez-moi simplement de vous rappeler, chers collègues, que j’ai passé une petite minute, il y a quelques instants, à vous expliquer que nous étions d’accord sur le principe. Je vous alerte simplement sur ce que pour notre part, nous considérons comme des risques. Peut-être préférez-vous considérer systématiquement que nous avons besoin d’être convaincus, mais en l’occurrence, nous avions bien compris. Nous vous appelons simplement à la vigilance : de notre point de vue, vous courez des risques sur le plan juridique.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Tout le monde étant d’accord et se ralliant à l’étendard de cette mesure, je précise à mon tour, après le rapporteur thématique, que suite à nos échanges avec le Conseil d’État, nous avons réduit le risque d’inconstitutionnalité. Le dispositif auquel nous sommes parvenus nous paraît désormais tout à fait robuste.

Par ailleurs, monsieur Poisson, la notion de cause réelle et sérieuse est bien connue en droit du travail, comme dans d’autres domaines. Il n’y a donc rien de baroque à l’invoquer. Soyez pleinement et entièrement rassuré : la jurisprudence saura se construire et interpréter ces qualificatifs.

(L’amendement n2804 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2581.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. C’est un amendement rédactionnel, monsieur le président.

(L’amendement n2581, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2582.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. C’est un amendement rédactionnel, monsieur le président.

(L’amendement n2582, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2583.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il s’agit également d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement n2583, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2585.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il convient d’étendre le dispositif de cession forcée prévu par le 2° aux situations dans lesquelles la modification de capital indispensable au redressement de l’entreprise a été refusée par des associés ou actionnaires détenant une minorité de blocage.

(L’amendement n2585, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2584.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Je propose de compléter l’alinéa 6 par la phrase suivante : « Toute clause d’agrément est réputée non écrite. »

Il convient effectivement de préciser que, dans l’hypothèse visée par le présent article, une clause d’agrément ne peut faire obstacle à la cession forcée et à la modification de capital prévue par le plan de redressement.

(L’amendement n2584, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2586.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. C’est un amendement de précision, monsieur le président.

(L’amendement n2586, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n2587.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n2587, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 70, amendé, est adopté.)

Article 70 bis

(L’article 70 bis est adopté.)

Article 70 ter

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement de suppression n2145.

M. Pascal Cherki. Je vais être assez bref, le sujet ayant déjà été amplement débattu, mais je voulais quand même me rappeler à l’attention de mes collègues : un des éléments essentiels de la pédagogie, nous a-t-on expliqué à l’école publique quand nous étions jeunes, c’est la répétition. En outre, le président Le Roux est présent dans l’hémicycle, et il m’en voudrait de ne pas lui faire ce petit « câlin » politique.

Je m’explique à nouveau – je le ferai en style très télégraphique. Nous discutons d’un texte qui compte plus de 200 articles et traite de sujets extrêmement importants. Il le fait avec une philosophie assez affirmée, dont nous débattrons peut-être lorsque nous en viendrons au travail dominical ou aux modifications des critères d’ordre des licenciements. À de nombreux égards, les dispositions de ce texte représentent une novation par rapport à notre tradition politique et à nos combats de sociaux-démocrates. Cela nécessitait que l’on puisse en débattre amplement, puisque ce texte est présenté non pas comme la loi du siècle, mais comme la loi pour ce siècle, la loi de ce siècle, comme a dit le Président de la République. Il eût donc fallu prendre le temps d’en discuter plus avant, avec deux lectures dans chaque assemblée, conformément à la tradition.

Au lieu de cela, l’urgence a été déclarée, et il n’y en a qu’une. En outre, la procédure du temps programmé s’applique, ce qui contingente la parole d’un certain nombre de groupes – je ne parle pas seulement du groupe socialiste : je pense par exemple à nos collègues du groupe GDR, qui ont moins d’une minute par article. Enfin, suprême cadeau, couronne sur la religieuse, nous assistons à une multiplication des ordonnances. Or le recours aux ordonnances est une procédure dont nous, socialistes – je dis bien : nous socialistes – avons toujours considéré qu’elle relevait du domaine du petit coup d’État permanent, le grand coup d’État permanent étant l’article 16 de la Constitution, puisqu’elle dépossède le Parlement de son droit de discuter.

Les ordonnances peuvent avoir une utilité quand il s’agit d’agir très vite, en début de législature. Quand la gauche arrive au pouvoir et qu’elle décide, quand elle est de gauche, de nationaliser certains secteurs de l’économie, comme elle l’a fait en 1981, elle procède par ordonnances. La droite, quand elle est de droite, peut décider de privatiser, comme en 1986 ; il y a une bataille politique, un projet de société, un projet économique. On peut alors comprendre que le Gouvernement décide d’agir vite.

Mais là, en cours de législature, avoir recours aux ordonnances pour tout et rien, et surtout pour des questions qui relèvent parfois du travail législatif ordinaire… On nous explique que c’est en raison de la technicité qu’il faut confier cela aux services de l’administration, parce que nous, parlementaires, même avec l’appui des services de l’Assemblée nationale, serions peut-être un peu moins compétents malgré notre légitimité d’élus. C’est un argument que moi, jeune parlementaire – je vous le dis à vous, monsieur le jeune ministre –, j’ai du mal à avaler.

Par principe, j’ai donc présenté des amendements de suppression de tous les articles ayant pour objet d’habiliter le Gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à prendre des mesures par ordonnance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Je suis totalement défavorable à l’amendement de M. le député Cherki. Le recours aux ordonnances est une obligation, dès lors que tant l’Assemblée que le Conseil constitutionnel sont dans l’incapacité de faire la différence entre le domaine de la loi et le domaine du règlement. Tant qu’il en ira ainsi, le recours aux ordonnances se justifiera.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je suis sensible à l’argumentation constante de M. le député Cherki. Mais quand elle est de gauche, la gauche est pragmatique, et elle s’occupe des problèmes du réel !

M. Jean-Frédéric Poisson. Depuis quand ?

M. Gilles Lurton. C’est nouveau !

M. Emmanuel Macron, ministre. En l’espèce, monsieur le député, il s’agit d’un problème important qui a été soulevé par votre collègue M. Léonard, qui y a été confronté dans sa circonscription : le financement sur stock de nombreuses entreprises, qui est aujourd’hui l’une des faiblesses du financement de nos entreprises.

M. Bruno Le Roux. Très bien.

M. Emmanuel Macron, ministre. En Allemagne, une entreprise peut se financer sur ses stocks ; en France, elle ne peut pas le faire. C’est un sujet éminemment compliqué, qui suppose d’articuler le code de commerce et le code civil. Si nous avions pu trouver une solution immédiate, nous l’aurions fait. Je l’ai d’ailleurs dit en commission spéciale, et j’ai eu l’occasion de répondre en ce sens à une question d’actualité. Il y a donc deux options : soit nous considérons que nous n’avons pas le temps, qu’on sursoit et qu’on verra plus tard ; soit nous considérons que c’est un vrai problème, parce que les entreprises dont votre collègue M. Léonard nous parle ont de vraies difficultés, et nous prenons le problème à bras-le-corps,…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien ce qui nous inquiète !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et nous procédons par ordonnances, avec une habilitation puis une ratification – je vous rappelle là le cadre dans lequel tout cela s’inscrit. Nous menons alors le travail technique en temps masqué, pour pouvoir au plus vite soumettre tout cela au Parlement afin qu’il l’adopte. Voilà l’objectif de cette habilitation. Si vous défendez la suppression de cet article, je vous invite à en discuter avec votre collègue M. le député Léonard, et avec tous vos collègues qui sont confrontés à ce sujet qui n’est pas traité aujourd’hui.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Je ne pense pas, monsieur le ministre, que le monde soit partagé entre deux catégories, ceux qui ont les pieds dans le réel et ceux qui ont la tête dans les étoiles. Vous pouvez parfois faire preuve d’élévation et regarder le ciel.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je fais le maximum pour cela !

M. Pascal Cherki. Ce n’est pas la question qui est posée. Vous portez tout à coup une très grande attention à notre collègue Léonard – j’espère qu’elle sera soutenue tout au long de la législature, notamment pour éviter un certain nombre de fermetures d’usines – et je vous prends au mot. Sachez que j’en ai discuté avec mon collègue Léonard. Il comprend très bien ma démarche, car je me place sur le plan des principes politiques. Et je fais un pari, monsieur le ministre : vos ordonnances ne seront pas publiées, l’Assemblée nationale n’en sera pas saisie avant le vote définitif de la loi. Nous aurions donc pu traiter cela dans le cadre de la loi.

(L’amendement n2145 n’est pas adopté.)

(L’article 70 ter est adopté.)

Après l’article 70 ter

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1555 rectifié et 2314, portant article additionnel après l’article 70 ter.

La parole est à M. Philippe Gomes, pour soutenir l’amendement n1555 rectifié.

M. Philippe Gomes. Cet amendement a pour objet de modifier le code civil, pour préciser que l’entreprise est « gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ».

Cette proposition s’inscrit dans la droite ligne des avancés du Grenelle, qui prévoyait notamment d’inviter toutes les entreprises à s’interroger sur les impacts sociaux et environnementaux de leur activité, pour qu’elles puissent mettre en œuvre les mesures correctrices nécessaires. Il s’agit de permettre aux parties prenantes, notamment aux administrateurs et aux partenaires du dialogue social, de s’emparer pleinement des impacts environnementaux et sociétaux de leur entreprise.

Cette disposition poserait ainsi les jalons d’une nouvelle approche de la gouvernance des entreprises, et contribuerait à faire de l’intérêt social de l’entreprise un avantage compétitif.

M. le président. La parole est à Mme Ericka Bareigts, pour soutenir l’amendement n2314.

Mme Ericka Bareigts. Je le retire, monsieur le président.

(L’amendement n2314 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 1555 rectifié ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement vise à compléter l’article 1833 du code civil, aux termes duquel « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Il vise à préciser que toute société « doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ». Il s’agit d’une proposition du rapport d’un groupe de réflexion présidé par Jacques Attali, qui s’intitulait Pour une économie positive, remis au Président de la République au mois de septembre 2013. À titre personnel, je trouve l’idée intéressante, car elle permettrait d’inscrire la triple mission sociale, environnementale et économique de l’entreprise dans sa définition même. Cette piste de réforme mériterait d’être explorée.

Est-il cependant raisonnable de procéder, monsieur le ministre, à un tel changement au détour d’un amendement, qui ne présente pas, par ailleurs, de lien direct avec le projet de loi dont nous sommes saisis ? Toucher au code civil, c’est toucher à la Constitution civile de la France, comme le disait le doyen Carbonnier. Les effets juridiques de la modification de l’article 1833 ont-ils été évalués ? Je ne le pense pas. En outre, quel serait l’impact de la nouvelle rédaction sur la notion d’abus de majorité ou de minorité ? Ce n’est pas analysé – la question est pourtant très importante. Par ailleurs, l’élargissement de l’objet social aurait-il des conséquences, au niveau pénal, sur la définition de l’abus de bien social ? Il faudrait à l’évidence étudier ces questions avec soin avant d’envisager d’adopter un tel amendement.

En outre, il y a une certaine contradiction à affirmer dans la même phrase que l’intérêt de la société est supérieur et qu’il s’exerce par ailleurs dans le respect d’un autre intérêt, fût-ce l’intérêt général. À quoi donc cet intérêt est-il supérieur ? Certainement pas à l’intérêt général ! La rédaction de l’amendement, qui aboutit à ce qu’on appelle une aporie, est sans doute perfectible. Je pense que ses auteurs en conviendront, et je les invite donc à le retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n1555 rectifié n’est pas adopté.)

Avant l’article 71

M. le président. La parole est à Mme Ericka Bareigts, pour soutenir l’amendement n2991, portant article additionnel avant l’article 71.

Mme Ericka Bareigts. Je le retire, monsieur le président.

(L’amendement n2991 est retiré.)

Article 71

M. le président. De nombreux orateurs se sont inscrits sur l’article. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Au moment où nous attaquons l’examen du titre III de ce projet de loi, il me faut revenir sur un certain nombre de points, que nous allons développer au cours des heures qui viennent. Les sujets abordés par ce titre III sont très divers ; il y a, par exemple, les prud’hommes, les seuils, le travail tardif, le travail dominical, l’inspection du travail, le délit d’entrave, et j’en passe – sans compter les articles additionnels que nous ajouterons peut-être à ce projet de loi déjà dense et foisonnant !

À nouveau, je regrette les conditions dans lesquelles ce débat se déroule. Bien que nous soyons le principal groupe d’opposition – mais ce que je dis vaut aussi pour les autres groupes de notre assemblée –, nous abordons cette nouvelle phase des débats en ne disposant plus que d’une heure et quarante-cinq minutes de temps de parole, alors même que le temps personnel de notre président a été reversé dans notre temps de groupe.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. N’ayez crainte, cela a été décidé !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je le sais bien, monsieur le président de la commission spéciale ; d’ailleurs, c’est inscrit dans le décompte du temps de parole restant qui figure sur la « feuille jaune », c’est-à-dire le programme de notre séance.

Le projet de loi dont la commission spéciale a été saisie comptait 106 articles. À l’issue de ses travaux, il en comptait 203. Après nos travaux en séance publique, il en comptera plus de 240. Tout cela, avec un temps programmé de cinquante heures ! Nous aurons l’occasion de le redire, car ces considérations nourriront certainement des recours.

Je ne crois pas que l’opposition ait fait preuve de mauvaise volonté, ni essayé d’empêcher le débat d’avoir lieu. Depuis le début de l’examen de ce texte en séance, mes collègues ici présents et moi-même avons presque toujours renoncé à notre temps de parole personnel sur chacun des articles. Nous regrettons donc amèrement qu’au moment d’aborder des sujets aussi importants, il reste si peu de temps au principal groupe de l’opposition. Ce problème se pose pour d’autres orateurs, y compris de la majorité, qui ne sont pas tout à fait en phase avec les dispositions qui s’annoncent. Il faut en prendre conscience, monsieur le ministre ! Cette pratique des institutions, cette manière de faire, sont peut-être conformes à la lettre de notre Règlement, mais elles ne nous paraissent pas conformes à son esprit,…

M. Christophe Caresche. C’est vous qui avez révisé la Constitution et le Règlement de l’Assemblée nationale pour mettre en place le temps législatif programmé !

M. Jean-Frédéric Poisson. …ni aux circonstances politiques actuelles, ni à l’importance des sujets concernés.

Sur le fond, nous considérons avec bienveillance un certain nombre de dispositions de ce texte. Il s’agit en particulier de celles qui reviennent à des mesures que nous avons nous-même proposées, et qui ont été refusées en commission spéciale au motif qu’elles n’étaient pas pertinentes. Par miracle, la lumière s’étant frayé un chemin jusqu’à vous, vous avez déposé des amendements de rectification que nous examinerons en séance. À quelques jours d’intervalle, nous aurons donc entendu deux argumentations contraires, mais aussi péremptoires l’une que l’autre. Nous achèterons donc nos places pour assister au spectacle : cela promet d’être intéressant !

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Vous n’avez pas besoin de les acheter : elles sont gratuites !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous avez raison, monsieur le président de la commission spéciale, mais vous devriez songer à les vendre, puisque l’État cherche de nouvelles recettes ! Voilà une recette de poche à laquelle vous n’aviez pas pensé, monsieur le ministre ! (Sourires.) Mais il nous reste encore une bonne trentaine d’articles à examiner : vous avez tout le temps d’y réfléchir.

Je m’arrête là, car nous aurons largement le temps de débattre ces différents articles sur le fond.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il faudrait savoir ! Avons-nous le temps, ou ne l’avons-nous pas ?

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vous qui l’aurez, le temps ; nous vous regarderons ! Puisqu’un certain nombre de débats s’annoncent au sein de la majorité, nous y serons attentifs. Je vous vois prendre un air dubitatif, monsieur Sebaoun : c’est pourtant la vérité ! Ah, je vois qu’à présent vous souriez : c’est donc que nous nous sommes bien compris !

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion.

M. Gérard Cherpion. Selon son intitulé, ce projet de loi porte sur la croissance et l’activité. La croissance et l’activité, nous y arrivons enfin ! À cet égard, je regrette que ce titre III n’ait pas été le titre Ier ; en effet, la priorité de nos concitoyens, c’est bien le travail et l’emploi. Il faut répondre aux 5,521 millions de chômeurs, toutes catégories confondues, qui souhaitent travailler.

Votre objectif est de libérer le travail. Sur un certain nombre de points, nous sommes d’accord avec vous. Cela étant, il y a des points invraisemblables : vous nous avez ainsi reproché de déposer des amendements qui, selon vous, ne relevaient pas du domaine de la loi, mais du règlement, alors que vous méconnaissez parfois vous-mêmes le domaine de la loi. Par exemple, l’article 79 vise à permettre l’ouverture des commerces dans les gares le dimanche, mais il vous suffisait de le faire par décret, comme c’est le cas pour les commerces dans les aéroports. C’était, à mon sens, tout à fait possible.

Ce titre aborde d’autres sujets, comme la justice prud’homale. C’est la troisième fois que des dispositions relatives aux prud’hommes sont abordées à la fin d’un texte. Vous nous avez annoncé tout à l’heure, monsieur le ministre, une future grande réforme de la justice : nous examinerons donc à nouveau des dispositions relatives à la justice prud’homale dans un quatrième texte.

Je salue, moi aussi, l’ouverture d’esprit de M. Stéphane Travert, rapporteur thématique, et de M. le ministre. Nous allons examiner, pour ce titre III comme pour les précédents, des amendements déposés à la dernière minute. Ce sont des amendements de bon sens : il vous aura fallu quinze jours, presque trois semaines, monsieur le ministre, pour mûrir ces questions, et revenir, par amendement, à ce que nous avions proposé en commission. Certes, nous nous en réjouissons, mais nous nous étonnons que des amendements soient déposés à la dernière minute sur un texte dont nous discutons depuis aussi longtemps.

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Avec l’article 71, nous entamons les débats sur l’ouverture dominicale, qui nous permettront d’éclairer les véritables intentions de ce projet de loi. Nous avons entendu beaucoup de choses à ce sujet. Des avancées significatives ont été réalisées : elles méritent d’être mises en avant, surtout pour des personnes qui, comme moi, sont relativement peu favorables à l’ouverture dominicale.

Je pense que nous serons tous d’accord pour reconnaître que le dimanche n’est pas un jour comme les autres. Il faut donc prendre en compte ce que représente, pour les salariés, le fait de travailler le dimanche, ainsi que le bouleversement de leur vie quotidienne, sociale et familiale, que cela induit. Cet élément très important doit être mis en avant.

Deuxième élément : nous devons également tenir compte du fait que les habitudes de vie, de déplacement, de consommation, ne sont pas uniformes dans notre pays ; elles diffèrent d’un territoire à l’autre, tout comme les enjeux économiques. Nous pouvons comprendre que dans la réalité, certains secteurs se caractérisent par une forte dimension touristique internationale, et que des aménagements sont nécessaires pour bénéficier de l’argent ainsi dépensé sur notre territoire. Je pense qu’il n’en va pas de même dans des territoires comme celui dont je suis l’élu. Certes, nous promouvons le tourisme, mais il n’a pas la même importance que dans ce que l’on appelle habituellement les « zones touristiques ». Chez nous, autant de dépenses le dimanche, autant de dépenses en moins les autres jours de la semaine !

Nous devons donc être prudents quant à l’extension des jours d’ouverture dominicale. Ce texte propose d’augmenter le nombre de dimanches ouverts potentiels, pour le porter à douze. Il me paraît important de noter que les commerces peuvent ouvrir un dimanche, deux dimanches, etc., jusqu’à douze dimanches, dont cinq relèvent du maire, et les autres de l’intercommunalité. Cela étant, il ne faut pas comprendre ce chiffre de douze dimanches comme « un dimanche par mois », surtout pour un territoire comme le mien. Cela n’aurait pas de sens, car les choses ne fonctionnent pas ainsi. Sans doute, il est nécessaire d’ouvrir le dimanche à l’approche des fêtes de Noël, par exemple, ou à l’occasion d’une animation commerciale voulue par les collectivités et les commerçants. Cela peut aussi être utile pour donner une impulsion à nos territoires. Mais quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de dire : « nous avons besoin d’un dimanche par mois. »

Par ailleurs, parfois, ces magasins ouvrent certains jours fériés. Or lorsque ces jours fériés tombent un samedi, ils deviennent des jours travaillés. Nous sommes donc un certain nombre à considérer qu’il serait excessif de permettre l’ouverture des commerces jusqu’à douze dimanches par an – selon la libre appréciation du maire ou de l’intercommunalité – en plus de ces jours fériés qui tombent un samedi. Cela ne nous semble pas correspondre aux enjeux de territoires comme celui que je représente. Nous avons donc décidé de déposer un amendement visant à soustraire ces jours fériés des douze dimanches prévus. Cela permettrait de limiter l’ouverture le dimanche, qui dans certains territoires, rompt des habitudes.

Voilà les éléments liminaires que je voulais donner. Nous verrons, au cours de nos débats, que ce texte ne prévoit pas la libéralisation du travail du dimanche que certains ont pu dénoncer. Il tient compte des particularités de certains territoires ; je souhaite, pour ma part, qu’il tienne mieux compte de la réalité des territoires situés autour des villes moyennes. En effet, si nous laissons les grandes surfaces ouvrir le dimanche dans ces territoires, cela se fera inévitablement au détriment des commerces de centre-ville. Or il est impératif de soutenir les commerces de centre-ville, car ce sont eux qui dynamisent nos territoires, qui les rendent attractifs. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point.

Mme Audrey Linkenheld et M. Jean-Yves Caullet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Nous reviendrons tout à l’heure en détail sur ces articles qui prévoient d’étendre les possibilités de travail dominical et de travail de nuit. Dans cette intervention sur l’article, je m’en tiendrai donc à trois considérations de principe.

Premièrement, je rappellerai les propos d’un grand député corrézien, plusieurs fois président du Conseil sous la IVe République, Henri Queuille, qui sert de modèle politique à un certain nombre de personnes. Il disait : « les promesses n’engagent que ceux qui les croient. » Cet aphorisme a été repris, en son temps, par un autre député corrézien, devenu par la suite Président de la République : Jacques Chirac. Eh bien moi, je ne le pense pas ! Je pense au contraire que les promesses engagent ceux qui les formulent – à moins de considérer que la valeur de la parole publique est relative. Mais alors comment nous étonner qu’à force de ne pas tenir nos promesses, nos concitoyens doutent de la parole publique, se détournent des bureaux de vote, ou donnent leur voix à des formations qui proposent, purement et simplement, de renverser la République ?

Pourquoi dis-je cela ? Je ne suis député que depuis 2012, mais je m’intéresse à la politique, comme beaucoup de mes concitoyens, depuis plus longtemps. En 2009, la majorité de droite avait décidé d’élargir le travail du dimanche. Nous, socialistes, étions alors dans l’opposition, et avons violemment lutté contre cette décision. Nous ne contestions pas les modalités de cette extension, ses compensations, mais son principe même. Nous considérions alors que le dimanche n’était pas un jour comme les autres, et qu’il fallait préserver le repos dominical.

Cette lutte a pris une forme symbolique, qui a marqué les esprits. Je n’étais pas député alors, mais je me souviens que des parlementaires avaient publié une tribune intitulée « Yes week-end ». Cet appel avait été signé par nombre de députés socialistes, dont l’actuel secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, et peut-être même l’actuel Premier ministre. D’autres présidents de groupe l’avaient également signé.

Les signataires de cet appel estimaient, au fond, qu’au-delà de la question des compensations, il ne fallait pas toucher au principe du repos dominical, que le candidat du Parti socialiste s’est par ailleurs engagé publiquement à défendre lors de la campagne pour les élections présidentielles. Je rappelle cela car nous allons à présent étendre, dans un certain nombre de cas, le travail dominical. Certes, nous avons amélioré les compensations – sur ce point, je remercie notre collègue Stéphane Travert, qui a beaucoup œuvré en ce sens au sein de la commission spéciale. Mais au-delà du périmètre des compensations, auquel nous aurions pu nous tenir si nous étions restés sur la base de la loi de 2009, nous avons décidé, nous, socialistes, d’aller au-delà et d’étendre le travail de nuit.

Quelles que soient les contorsions et les circonvolutions,…

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale. C’est « circonlocution » qu’il faut dire !

M. Pascal Cherki. …ce fait politique restera.

Deuxièmement, puisque nous sommes dans un État de droit, la loi organise l’espace économique et social de notre vie collective. C’est l’évidence. Mais elle organise aussi l’espace symbolique. À ce sujet, je remarque que ce texte est le premier grand projet de loi dont nous discutons après les événements du 11 janvier. C’est paradoxal ! Pourtant, après cet immense sursaut de notre peuple, nous avons dit nous-mêmes que l’important était de revaloriser la République. Revalorise-t-on la République en favorisant l’hyper-consommation ?

De ce point de vue, je partage les propos très forts que  Martine Aubry a tenus à un quotidien : selon elle, le travail du dimanche n’est pas seulement une question de modalités, mais aussi de modèle de société. À cet égard, on ne peut pas, d’un côté, prétendre réaffirmer l’attachement des jeunes à la République en les incitant à respecter le drapeau, les valeurs et les symboles de la République, l’hymne national, à se lever en classe à l’entrée des adultes, et, de l’autre, donner comme modèle de société – du moins à ceux qui en ont les moyens – la frénésie de consommation le dimanche. Le pendant de leurs activités civiques de la semaine ne doit pas être la déambulation dans les centres commerciaux le dimanche, pour contempler des articles de consommation courante qu’ils n’ont parfois pas les moyens d’acquérir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Pascal Cherki. Troisièmement, je rappelle que nous sommes une majorité de gauche. Je me revendique social-démocrate, même si ce qualificatif a fait l’objet de débats au sein de la gauche, car, pour moi, celui-ci n’est pas abstrait : il s’inscrit dans une histoire collective, faite de moments glorieux et d’autres moins glorieux, que je reprends à mon compte. La genèse, le combat essentiel de la gauche – et pas seulement des sociaux-démocrates –, c’est de se battre pour la réduction du temps de travail. Nous avons toujours considéré que le travail salarié était à la fois un facteur d’émancipation et d’aliénation.

Ainsi, pendant toute la période de construction de nos formations politiques, le fil directeur des combats de la gauche a été la réduction du temps de travail – lorsque les gains de productivité la rendaient possible. Même pendant les périodes de chômage de masse, nous nous sommes battus pour la réduction du temps de travail, car nous considérions que c’était un des outils de la lutte contre le chômage.

Je conclurai par trois exemples. Premièrement, en 1936, le gouvernement du Front populaire conduit par Léon Blum, avec l’appui des salariés en lutte et d’une majorité politique composée de communistes, de socialistes et de radicaux, crée le droit à deux semaines de congés payés – le temps de travail a été réduit et rendu aux salariés – et la semaine de quarante heures, dans le prolongement de la loi de 1919 instaurant la journée de huit heures, qui faisait elle-même écho aux luttes initiées le 1er mai 1886 par les salariés américains de Chicago. Deuxièmement, en 1981, François Mitterrand et Pierre Mauroy, soutenus par une majorité de gauche à l’Assemblée nationale composée des socialistes, des communistes et des radicaux, instaurent le droit à la retraite à soixante ans, à la retraite à taux plein à soixante-cinq ans, et la cinquième semaine de congés payés. Troisièmement, en 1997, une majorité de gauche plurielle, composée de socialistes, de communistes, de radicaux, de membres du Mouvement républicain et citoyen – le MRC –, a soutenu la semaine de trente-cinq heures défendue par Martine Aubry, ministre du gouvernement de Lionel Jospin.

M. Gilles Lurton. Pour quel résultat ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Quelle bonne idée !

M. Pascal Cherki. Et voilà qu’aujourd’hui, le Gouvernement nous propose de rompre avec la tradition sociale-démocrate : il s’agirait non de poursuivre la réduction du temps de travail, mais d’étendre le travail du dimanche et le travail de nuit.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison !

M. Pascal Cherki. Je vous invite à réfléchir à la dimension symbolique de ces dispositions, au regard de la tradition social-démocrate, dont nous aurions tort de nous affranchir. Si nous cessons d’être des sociaux-démocrates, les électeurs pourraient en tirer des conséquences radicales. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Certains craignaient de manquer du temps pour l’examen de ce chapitre : ces craintes sont partiellement infondées, car nous disposons de temps pour en débattre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous allez finir par nous mettre de mauvaise humeur !

M. Jean-Yves Caullet. Je tiens à rappeler les dispositions prévues par la loi Mallié pour ce qui concerne non pas le travail dominical en général, mais les exceptions au repos dominical dans le commerce – je ne les détaillerai pas. En dehors des zones définies par la loi Mallié, les commerces de bouche sont autorisés à travailler le dimanche, souvent jusqu’à treize heures, pour satisfaire nos besoins de clients et de consommateurs. Certains jours fériés sont aussi travaillés, comme l’a dit M. Sirugue.

Nos territoires sont très différents. Je vis dans un territoire extrêmement rural, où l’attractivité des commerces peut  dépasser les 100 kilomètres. Dans ce contexte, revitaliser les commerces de proximité d’un centre-ville traditionnel est aussi un enjeu pour nous. C’est aussi à cette aune qu’il convient d’examiner ce texte.

Par ailleurs, de nouvelles formes de concurrence se développent : l’éloignement des offres, la mobilité de nos concitoyens, le commerce en ligne, les drive, très utilisés en zone rurale, induisent une nouvelle concurrence entre le commerce de contact et les commerces virtuels. Vous l’avez tous compris, il ne s’agit ni de banalisation, ni de généralisation, ni d’obligation. Cher collègue Cherki, si nous avons progressé au fil des siècles et des décennies en matière de temps de travail, les dispositions prévues par les articles en discussion n’ont pas d’incidence sur le temps de travail, mais sur l’organisation du temps. Ne versons pas dans la caricature, cela ne sert pas la clarté du débat !

J’en viens au présent projet de loi. Nous allons travailler sur l’objectivation des critères de zonage : c’est un progrès. Nous allons impliquer davantage les élus locaux dans les modalités de décision, afin qu’elles soient adaptées aux réalités du territoire : c’est également un progrès. Nous allons consolider le principe des compensations, ce qui sera un moyen d’enrichir le dialogue social, lequel fait souvent défaut dans un secteur économique où les salariés sont très peu organisés. Nous allons également consolider les conditions d’expression du volontariat, dont nous savons très bien qu’il s’exerce dans un rapport de force.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela n’existe pas !

M. Jean-Yves Caullet. Il était nécessaire de le faire et de prévoir une réversibilité. Après avoir supprimé les cinq dimanches obligatoires, qui ne nous paraissaient pas adaptés, comme l’a dit M. Sirugue, nous allons autoriser les élus locaux à permettre l’ouverture des commerces jusqu’à douze dimanches – mais ce n’est qu’une possibilité, et il ne faut pas considérer le texte à l’aune de cet assouplissement, mais aussi au regard de l’ensemble des progrès que je viens de citer.

Il était important de débattre sur l’article avant d’examiner les amendements. Je le répète, tout le monde a le temps d’en discuter.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est se moquer du monde que de parler ainsi !

M. Jean-Yves Caullet. Il reste quinze heures pour trente articles !

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela fait six minutes par article pour l’opposition !

M. le président. La parole est à M. Benoît Hamon.

M. Benoît Hamon. Je tiens à intervenir dans ce débat extrêmement important sur l’extension des exceptions au repos dominical, et me réjouis que nous ayons le temps d’en discuter dans l’hémicycle, car on sait que les positions diffèrent au sein du groupe socialiste et de la majorité, tant sur les propositions du Gouvernement que sur les principes. L’objectif initial du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, ce sont les créations d’emplois et la relance de l’activité. Le Gouvernement s’attend donc à ce que les dispositions relatives à l’extension des exceptions au travail dominical se traduisent par des créations d’emplois. Si tel était le cas, les Français consentiraient à abandonner leur droit au repos dominical.

Lorsque j’étais ministre délégué à la consommation, nous réfléchissions déjà à l’opportunité d’introduire dans le projet de loi relatif à la consommation certaines préconisations du rapport Bailly. À l’époque, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’y était pas favorable. Le gouvernement de Manuel Valls et vous-même, monsieur le ministre, avez fait le choix de reprendre certaines propositions, qui présenteront un avantage incontestable en matière de compensations pour ceux qui travailleront le dimanche, dès lors que toute ouverture supplémentaire est soumise à un accord préalable. À cet égard, je salue le travail du groupe socialiste, des rapporteurs Richard Ferrand et StéphaneTravert, et de vous-même, monsieur le ministre, puisque vous avez consenti à ces améliorations.

Mais j’en viens à notre désaccord sur les principes, qui est un désaccord politique – disons-le clairement. Notre tradition politique nous rattache à une certaine conception de la liberté. Isaiah Berlin, un philosophe libéral, plutôt classé à droite, a formidablement théorisé deux conceptions de la liberté : la liberté négative et la liberté positive. La liberté négative, c’est la liberté d’un individu dont les désirs ne sont entravés ni par les autres, ni par les lois, ni par les codes, ni par l’État. La liberté positive, c’est la liberté d’un individu qui est véritablement maître de ses choix. La tradition socialiste s’inscrit dans la conception de la liberté positive, quand la tradition libérale s’inscrit dans la logique de la liberté négative.

Nous avons toujours pensé que la maîtrise de ses choix, notamment pour les plus modestes, passe par l’accès à des droits, comme le droit à l’éducation ou à la santé. L’objectif de la gauche a toujours été de rendre ces droits fondamentaux accessibles aux Français, notamment les plus modestes et ceux qui sont victimes des inégalités. La conception socialiste du droit au repos dominical s’est ainsi distinguée de la conception libérale de la liberté individuelle de travailler le dimanche.

Je reconnais que vous cherchez à améliorer les compensations, monsieur le ministre, mais les dispositions  dont nous parlons reviennent à proposer à des Français de renoncer à ce droit en contrepartie de compensations. Je ne juge pas de la nature de votre intention, qui est sans doute bonne, mais je ne suis pas d’accord avec cette conception. En effet, qui va travailler le dimanche ? Puisque vous avez évoqué le réel, monsieur le ministre, je tiens à vous faire part de mon expérience de terrain. Je suis un élu d’une circonscription populaire, où beaucoup de Français travaillent le soir, la nuit ou le dimanche. Il s’agit souvent d’étudiants d’origine modeste, qui sont obligés de travailler pour payer leurs études. L’ancien ministre de l’éducation que je suis ne peut pas oublier que ce sont eux qui échouent le plus dans leurs études. Ce sont aussi les mères célibataires à temps partiel et à temps partiel subi, et elles sont nombreuses dans nos territoires, celles qui travaillent le dimanche quand leurs enfants se reposent et se reposent le lundi quand leurs enfants sont en classe.

Pour ceux-là, le travail du dimanche est une opportunité, mais elle relève moins de la liberté que de la nécessité. Pour eux, travailler le soir ou le dimanche est nécessaire pour avoir un emploi ou pour bien vivre de son travail et subvenir aux besoins de la famille. C’est à eux que je pense aujourd’hui, car je sais que, demain, dans un contexte où le rapport de forces n’est pas favorable aux salariés, ces Français consentiront souvent à abandonner leur droit au repos dominical pour travailler le dimanche. Est-ce mal ? Non ! Mais est-ce la société que nous voulons ? Je ne le crois pas.

Je suis convaincu que l’extension de la possibilité de travailler le dimanche est, non pas une renonciation, mais une remise en cause de ce qui devrait être une priorité pour un gouvernement de gauche : faire en sorte qu’une mère célibataire ne soit pas obligée d’en passer par là pour subvenir aux besoins de sa famille, qu’un étudiant d’origine modeste ne soit pas obligé d’en passer par là pour payer ses études.

Il y a beaucoup de solutions, qui sont des solutions classiques et de gauche, qui ne sont peut-être pas dans l’air du temps, mais qui peuvent être largement explorées pour lutter efficacement contre les inégalités.

Par philosophie, je ne suis pas favorable à ces extensions des exceptions au repos dominical. Mais si les articles relatifs à l’extension du travail le dimanche devaient être adoptés et soumis à un accord préalable, j’attends a minima de vous et du Gouvernement – sauf à ce qu’on ne s’y reconnaisse plus et à ce que nous vivions dans une forme de grand dérèglement où on ne sait plus qui est qui et où nous sommes – que des planchers sur les compensations soient prévus.

Pourquoi ? Je reviens au réel pour prendre un exemple : nous savons tous que, là où un accord permettra à un grand magasin d’ouvrir, son concurrent sera fortement incité, sauf à perdre des clients, à faire de même. Par conséquent, il entamera des négociations. Celles-ci se dérouleront et, de facto, les salariés signeront pour ne pas perdre leur emploi. Il y aura donc un accord, qui Il entraînera lui-même une série d’autres accords en cascade dans toutes les entreprises sous-traitantes qui concourent à l’ouverture des magasins, qui seront bien obligées, elles aussi, d’ouvrir et de travailler le dimanche pour que ces grandes surfaces soient approvisionnées.

Je remercie les rapporteurs d’avoir obtenu une forme d’homogénéisation des principes d’un accord. Mais s’il n’y a pas de plancher à ces compensations, nous serons très en-deçà de ce que nous sommes en droit d’attendre si nous étendons le principe du travail le dimanche et les exceptions au repos dominical. Je le dis comme une invitation à améliorer le texte, si nous décidions que ces articles doivent être adoptés. Mais, par principe, je reste fidèle à la position qui était la mienne il y a cinq ans comme il y a un an : je n’en ai pas changé. Je ne suis pas favorable à ces dispositions qui prévoient l’extension des exceptions au repos dominical. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je voudrais, à mon tour, m’adresser au ministre ainsi qu’à tous les députés présents cet après-midi, et tout particulièrement à ceux de notre groupe. Pourquoi ? Monsieur le ministre, je ne crois pas un instant que donner la possibilité de travailler douze dimanches par an au lieu de cinq constitue, en soi, un changement de civilisation. Mais j’ai la conviction que si ces articles étaient adoptés, et en particulier l’article 80, dont nous reparlerons tout à l’heure, puisque des amendements ont été déposés, une brèche irréversible serait ouverte. C’est la raison pour laquelle nous sommes nombreux à souhaiter que cet article – et quelques autres – ne soient pas adoptés.

Quelle serait à l’avenir, si nous l’adoptions, la position de la gauche française ? Quand se posera, tôt ou tard, par le fait d’une alternance ou pour d’autres raisons, la question d’aller plus loin et même, comme le demande une partie du patronat français, vers une généralisation du travail le dimanche, quels seront nos arguments, notre force collective ? Comment pourrons-nous poser des limites et colmater la brèche que, du fait de la proposition du Gouvernement, beaucoup ici s’apprêtent à ouvrir ? 

Sur cette affaire, il faut des idées claires et point trop de nuances : nous reviendrons par la suite sur les éléments plus techniques, qui ne sont pas des détails. Mais, à ce stade, puisque nous avons la possibilité d’avoir un débat général sur cette question du travail dominical, il faut choisir. On peut considérer qu’il existe une tendance historique à l’ouverture le dimanche. En ce cas, nous ne nous arrêterons pas à douze dimanches travaillés, comme le prévoit cette loi. Mais on peut aussi considérer qu’il faut placer clairement un butoir. C’est d’ailleurs, Benoît Hamon l’a utilement rappelé, la décision qu’avait prise un gouvernement. Il n’est pas nécessaire de revenir plusieurs décennies, ni même plusieurs années en arrière : elle l’a été il y a un an. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait en effet fait un choix, et nous étions alors, au sein du groupe SRC, très nombreux à penser que c’était le bon choix : ne pas ouvrir cette brèche.

Je nous invite, donc, à réfléchir aux conséquences de cette décision. Je reprends une formule que le ministre aime bien : devons-nous être, selon que nous sommes dans l’opposition ou dans la majorité, la victime ou le bourreau ? Sommes-nous amenés à changer radicalement de point de vue, six ans après avoir débattu de la loi Mallié ? Je ne ferai l’injure à personne de reprendre l’ensemble des déclarations ou des écrits qui ont été publiés à ce moment-là.

M. Gérard Cherpion. Cela serait pourtant intéressant !

M. Christian Paul. Je les tiens, cependant, à la disposition de qui voudra les relire. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Je ne dis pas, monsieur le ministre, que vous êtes en train de refaire la loi Mallié : des éléments de progrès existent par rapport à celle-ci. J’y reviendrai. Mais qu’est-ce qui a changé depuis l’adoption de cette loi et qui permettrait de dire clairement que, le monde ayant évolué, il est désormais nécessaire d’ouvrir les commerces le dimanche ? 

M. Jean-Frédéric Poisson. Rien.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Le e-commerce : son développement est phénoménal.

M. Christian Paul. Jean-Yves Caullet y a justement fait allusion. Mais je ne vois pas en quoi son développement, et nous n’en sommes qu’aux prémices, conduit à ouvrir des supermarchés le dimanche ! Il y a là une étape de raisonnement économique qui m’échappe. Je le dis également à mon collègue François Brottes, dont j’apprécie beaucoup les connaissances économiques : je ne vois pas en quoi l’essor du commerce en ligne conduit inévitablement à ouvrir le dimanche des commerces en général, et des supermarchés en particulier. Nous n’avons donc pas de raison d’être, aujourd’hui, porteurs de cette régression alors que nous avions donné, il y a six ans, des arguments tout à fait définitifs.

Je le redis : notre majorité doit défendre ses principes, parce qu’ils sont le fruit de longs combats. Monsieur le ministre, il ne s’agit pas d’une histoire qui commencerait aujourd’hui. Ne cédez pas au vertige de la page blanche : vous seriez victime d’une illusion politique, ce dont vous – mais surtout nous – nous rendrions coupables. Je revendique donc notre constance : celle des paroles prononcées en 2009 par la plupart des dirigeants de la gauche française. Comme l’a dit Pascal Cherki, nous sommes comptables de ces engagements. Et nous ne nous trouvons pas, chaque matin, devant une page blanche. Peut-être certains le regrettent-ils.

Enfin, en ce début de débat sur le travail dominical, je veux poser à notre majorité trois questions. Cette extension du travail et de l’ouverture des commerces le dimanche est-elle économiquement efficace ? Nous avons tous pris connaissance des études : elle débouchera, certes, sur des créations, mais aussi sur des destructions d’emplois. Des milliers d’emplois seront probablement créés, mais des milliers seront aussi détruits dans le même temps. Cela avait d’ailleurs été parfaitement dit en 2009 dans cette tribune signé par 122 parlementaires de gauche : « Loin des créations d’emplois annoncées, c’est plutôt une destruction d’emplois qui nous attend, et particulièrement ceux du commerce de proximité ». La façon dont la grande distribution a cannibalisé le commerce de proximité n’est pas quelque chose que nous découvrons : c’est une longue histoire, qui s’étend sur plusieurs décennies. Or nous allons l’amplifier. Donc, sur le plan de l’efficacité économique, un doute profond subsiste.

Deuxième question : cette loi permet-elle d’engranger des garanties nouvelles ? La réponse est oui. Notre rapporteur, Stéphane Travert y a, avec d’autres députés de la commission spéciale, particulièrement oeuvré. Mais enfin celle-ci a été, en l’occurrence, la commission du moindre mal. Il est vrai que des garanties nouvelles sont prévues. Mais est-il indispensable, pour une majorité de gauche, de  considérer qu’il faut les échanger contre l’extension du travail le dimanche ? Notre mission ne consiste t-elle pas, dans la fidélité aux engagements que nous avons pris en 2012 avec le Président de la République, à dire : la loi Mallié n’était pas une bonne loi, car il fallait des garanties sur les contreparties salariales ? Le volontariat, tel qu’il se pratique aujourd’hui, est tellement subjectif, compte tenu de la situation du salariat français – Benoît Hamon a eu raison de le dire. Était-il impensable qu’à l’occasion de l’examen de cette loi, des garanties nouvelles portant sur les contreparties salariales, le volontariat des salariés et les décisions des élus locaux soient apportées, sans avoir à rouvrir pour autant, et pour longtemps, et dangereusement, une brèche dans le droit social ? Telle est la question qui nous est posée.

Enfin, troisième question : cette extension – et, monsieur le ministre, pardonnez-moi si je reprends, là encore, un terme que vous affectionnez, mais cela constitue la preuve que nous vous écoutons – est-elle orthogonale avec le modèle de société que nous voulons ? Je réponds : oui, c’est vrai, comme nous l’avions écrit en 2009, il s’agit plutôt de la civilisation du supermarché et de la consommation vue comme un loisir.

M. Pascal Cherki. C’est désobligeant.

M. Christian Paul. Vous l’avez dit, nous ne légiférons pas ici sur les âmes. Mais les lois que nous votons ont des conséquences sur la vie quotidienne de millions de salariés et sur leur vie de famille, tout particulièrement le dimanche. Le travail du dimanche produira peu de richesses nouvelles, mais il aura un impact effectivement difficile à mesurer, mais terriblement qualitatif : il dégradera la vie réelle de beaucoup de Français qui vivent dans des grandes villes, mais aussi dans les petites villes dont Jean-Yves Caullet et Christophe Sirugue ont parlé, à propos de territoires que nous connaissons bien les uns et les autres.

Pour cette raison, nous sommes nombreux à souhaiter soit un retrait par le Gouvernement de ces articles, dont je ne crains pas de dire qu’ils fragilisent aussi notre majorité, soit, au minimum, un vote dans quelques instants des amendements de suppression qui seront présentés, en particulier sur l’article 80.

M. le président. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. À mon tour, je voudrais profiter de cette discussion générale sur les dispositions du texte portant sur le travail dominical pour revenir sur trois éléments qui me donnent véritablement le sentiment qu’avec cette partie du projet de loi, la gauche agit malheureusement à contre-emploi.

Le premier argument, qui sous-tend la présence dans le texte de ces dispositions, ainsi que la volonté d’étendre le travail dominical, est bien économique : on nous explique que cette extension aura un impact économique positif, sans quoi ces dispositions n’auraient pas lieu de figurer dans le texte. L’étude d’impact réalisée à l’appui de ce projet de loi par France Stratégie affirme d’ailleurs très clairement que l’efficacité économique du dispositif sera d’autant plus importante que l’ouverture dominicale sera massive.

Au-delà de la faible crédibilité scientifique de ces arguments économiques, qui ont déjà été rappelés par plusieurs collègues avant moi, je voudrais surtout relever que le monde économique est loin de soutenir, dans son ensemble, cette extension du travail dominical. Parmi les plus fervents opposants aux projets d’extension du travail dominical figurent ainsi, avant tout, les artisans et les représentants du petit commerce et du commerce de proximité. Encore une fois cette extension n’est pas soutenue par l’ensemble des acteurs économiques : il existe aujourd’hui une vraie crainte relative à l’avenir de l’artisanat et du commerce de proximité eu égard aux dispositions présentes dans le texte.

Le deuxième argument que je voudrais évoquer, et qui me fait dire que nous agissons clairement à contre-emploi, c’est que j’ai beaucoup de mal à accepter que ce soit la gauche qui, à travers les dispositions relatives aux zones touristiques internationales, ouvre une brèche en poussant à la banalisation du travail de nuit après vingt et une heures. Auparavant, le travail de nuit ne pouvait se justifier que pour certaines activités particulières. Désormais, avant minuit, il pourra être autorisé dans l’ensemble des commerces de détail de toute une zone. Certes, des protections et un certain nombre de dispositifs ont été prévus pour essayer de protéger au mieux les salariés qui travailleront la nuit. Mais enfin, est-ce vraiment le rôle de la gauche que d’être à l’initiative de cette brèche ? Est-ce vraiment ce projet-là que nous voulons aujourd’hui présenter aux salariés de notre pays ? Encore une fois, cela ne va pas dans le sens des conquêtes sociales que notre majorité de gauche devrait continuer à porter, dans le droit fil de son histoire et des conquêtes passées, comme cela a été dit précédemment par plusieurs collègues.

Troisième argument, je voudrais souligner à quel point les notions de liberté et de volontariat que nous évoquons régulièrement me semblent toutes relatives.

On a parlé de la gauche pragmatique. Pour moi, c’est celle qui sait ce qu’est la réalité sociale, celle qui sait que, face aux pressions des employeurs, aux pressions économiques, qui, on le sait, existeront toujours, la liberté d’un salarié, ou d’une salariée parce que, dans le commerce de détail, 64 % des salariés sont des femmes, et le volontariat ne sont en réalité que des notions relatives. Faisons donc attention à ne pas paraître cyniques quand nous les utilisons.

Pour moi, le rôle de la gauche, c’est de protéger les plus fragiles et les moins armés face aux inégalités qui existent dans le marché du travail, et non de considérer que nous avons fait notre travail parce que, pour les protéger, nous prévoyons la soupape de sécurité du volontariat, qui, encore une fois, est loin de la réalité sociale que vivent grand nombre de salariés de notre pays dans les entreprises.

J’appelle encore une fois l’attention sur ce que nous sommes en train de faire. À mon sens, les dispositions de ce texte concernant l’extension du travail dominical risquent d’accroître encore la défiance de tous ceux qui comptent sur la gauche pour porter à chaque époque de nouvelles conquêtes sociales et non des régressions, fussent-elles encadrées ou aménagées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Baumel.

M. Laurent Baumel. Avec cet article, monsieur le ministre, nous entrons dans la discussion des aspects de votre loi qui suscitent le plus de controverses dans une partie de la majorité de gauche issue des élections de 2012. C’est en effet sur le travail du dimanche, puis sur le droit du travail, que la philosophie générale qui inspire votre projet nous apparaît comme la plus problématique.

Je ne sais pas si vous accepteriez que l’on qualifie votre loi de libérale, mais, en tout cas, il me semble qu’elle a un fil directeur, votre volonté de vous attaquer à la règle, la règle qui entrave, bride, étouffe, cette espèce de nouvel ennemi sans visage dont il faudrait libérer les Français, les Français qui veulent créer, qui n’ont pas suffisamment de six jours pour consommer leur excédent d’épargne.

Nous qui vous parlons cet après-midi, nous ne sommes pas des fétichistes de la règle. Nous sommes nous aussi des pragmatiques, nous sommes des élus de terrain, nous pouvons nous aussi citer des exemples où l’application bureaucratique de la règle entrave le développement de nos territoires, mais nous sommes ici les représentants et les dépositaires d’une tradition politique, d’un héritage intellectuel, selon lequel la règle dans le domaine du droit du travail a plutôt une valeur positive et protectrice.

Comme cela a été souligné par d’autres collègues, nous sommes des sociaux-démocrates, et, en tant que sociaux-démocrates, nous pensons deux choses.

Nous pensons d’abord que la réforme de l’État-providence n’est possible, n’est souhaitable que si elle contribue effectivement à stimuler l’économie et la production, ce qui ne sera à l’évidence pas le cas de votre loi. Votre texte a probablement le mérite de répondre au critère caractérisant une réforme structurelle tel qu’il est posé par la technocratie bruxelloise, la technocratie libérale, mais, à l’évidence, il ne créera pas des milliers d’emplois sur le territoire français.

Et puis, parce que nous sommes sociaux-démocrates, nous essayons à chaque instant de nous souvenir, d’avoir conscience que, face au pouvoir des détenteurs de capitaux, face à la domination qu’ils exercent sur les salariés – ce n’est pas une image d’Épinal, vous savez très bien que la mondialisation libérale n’a fait qu’exacerber les rapports de forces en faveur du capital – les salariés n’ont comme ressource pour se défendre, outre les combats sociaux et syndicaux qu’ils peuvent mener par eux-mêmes, que la possibilité, grâce au suffrage universel, d’envoyer à l’Assemblée nationale des représentants qui auront à cœur d’inscrire dans la loi des limites, des contraintes que le capitalisme, vous le savez, ne consent jamais de lui-même.

C’est ce principe, qui correspond à notre identité et à notre histoire, que nous défendons cet après-midi. C’est pour cette raison que, dans les heures qui viennent, nous refuserons de renier les garanties que des générations précédentes de législateurs, portés par un combat pluriséculaire d’émancipation, ont voulu inscrire dans la loi, sur le repos dominical, ou sur la protection des salariés face au licenciement, par exemple.

Monsieur le ministre, j’ai lu dans un journal hier que, pour vous, la discussion qui s’engageait opposait les défenseurs de l’intérêt général à ceux qui seraient dans la posture. Je ne sais pas si vous avez réellement tenu ces propos et je vous crois trop respectueux des positions des uns et des autres pour le penser vraiment, mais je vous invite en tout état de cause à prendre au sérieux notre sincérité.

Notre sincérité, c’est celle d’hommes et de femmes qui sont réellement inquiets devant les conséquences qu’a déjà et qu’aura pour la démocratie française le brouillage idéologique des repères auquel ce type de loi contribue ; c’est celle d’hommes et de femmes qui ne résolvent pas à l’idée que le rôle des députés socialistes, c’est de limiter les ardeurs libérales de leur gouvernement en jouant la carte de la moindre casse sociale.

Cette sincérité, c’est celle d’hommes et de femmes qui sont entrés dans l’hémicycle en 2012 avec l’idée de défendre une certaine idée du progrès social, sans imaginer un instant que leur majorité les obligerait un jour à se prononcer sur l’extension du travail du dimanche ou sur des dispositions remettant en cause les protections accordées aux salariés en matière de licenciement, avec l’idée, plutôt, qu’ils pourraient partager l’enthousiasme d’avoir voté une grande réforme fiscale ou réellement lutté contre la finance.

Cette sincérité, c’est celle d’hommes et de femmes engagés depuis longtemps dans le combat socialiste, qui portent en eux une certaine idée de ce que signifie le fait d’être député socialiste, et qui attendent de leur gouvernement, de leur majorité les moyens d’être fiers d’avoir contribué à inscrire dans la législation française non pas de nouveaux reculs sociaux, fussent-ils aménagés, mais de nouveaux progrès sociaux.

Monsieur le ministre, je vous invite à prendre sérieusement en compte cette sincérité et nos convictions. Je pense que c’est l’intérêt du Gouvernement et de notre majorité dans les heures qui viennent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. D’abord, monsieur le ministre, je suis surpris de devoir discuter d’une disposition que personne ne demandait dans cette majorité, ni les députés du parti socialiste et de tous les partis membres du groupe majoritaire, ni les partis de la gauche, et pour cause. Non seulement ce n’était pas un engagement des campagnes présidentielle ou législatives, mais c’est même une disposition à laquelle, ensemble, nous nous étions opposés en 2006 et en 2009.

Avant d’entrer dans les dispositions techniques de la loi, dont nous parlerons au fur et à mesure des amendements, il est une chose sur laquelle je voudrais appeler votre attention, en tant que ministre de la République.

Lorsque l’on est dans une telle crise démocratique, profonde, on s’interroge, pour reprendre la formule du Premier ministre, sur la portée de la parole publique. Si nous condamnons quelque chose pour le mettre en œuvre après, si nous mettons nous-mêmes en place ce que nous condamnions, la parole publique devient une langue morte, et il faut faire très attention à ce que cela peut susciter comme frustrations, rancœurs, résignation, renoncements démocratiques ensuite lors des périodes électorales.

On peut toujours reconnaître, avec raison, l’attention que vous avez portée aux remarques des parlementaires, notamment ceux qui, dans la majorité, ont cherché à minimiser les risques de dérive qui étaient inscrits dans la philosophie initiale du projet que vous aviez présenté, il n’empêche que nous parlons bien de l’extension du travail du dimanche et de l’extension du travail en soirée.

Ce qui était jusqu’à présent exceptionnel, la nuit, devient maintenant banal jusqu’à minuit et, là, mesdames, messieurs de la majorité, cela ne peut être la philosophie, le fil directeur qui nous conduit, ensemble, à dire aux salariés et aux chômeurs de ce pays que nous allons les représenter et leur proposer une solution à la crise économique par ce genre de dispositions.

D’abord, en effet, les personnes les plus concernées sont les plus fragiles, cela a été parfaitement souligné par les intervenants précédents. Ce sont, parmi nos concitoyens, ceux qui ont le moins le choix, ceux qui subissent le travail du dimanche, le travail en soirée, le travail de nuit, ceux-là mêmes, Laurent Baumel vient de le rappeler, que nous avons eu à cœur de représenter ardemment pendant des décennies, relayant les luttes sociales, en leur permettant, de législature de gauche en législature de gauche, de progresser dans la société avec des sécurités collectives – c’est ce que l’on appelle le droit du travail.

Permettez-moi enfin d’insister sur un autre aspect.

On parle beaucoup des travailleurs, à juste titre, et vous avez entendu dans mes propos, ainsi que dans ceux d’autres intervenants, des arguments en leur faveur ; mais il y a aussi des arguments, que je ne comprends pas, en faveur des consommateurs. Il serait plus agréable, plus simple, plus moderne même, pour des citoyens consommateurs, de pouvoir aller consommer à n’importe quel moment de la semaine : ce serait d’une certaine façon une preuve de modernité. J’ai même entendu le Premier ministre vanter à nos amis chinois, lors de son voyage en Chine, l’assouplissement du code du travail et des règles collectives, l’attractivité nouvelle de la France, en expliquant que, désormais, en France, ils pourraient aller au musée ou au cinéma ou se promener le samedi et consommer le dimanche.

Je vous rappelle juste, monsieur le ministre, qu’aujourd’hui, on peut parfaitement consommer le samedi et aller au musée, au théâtre ou au cinéma le dimanche. Si on pouvait préserver un tel modèle, je pense que nous en sortirions renforcés dans un moment particulier pour la France. Au lendemain des événements que nous avons vécus, nous avons sans doute d’autres perspectives à proposer à notre pays qu’une extension qui risque demain, malheureusement, de se généraliser à la faveur d’un autre gouvernement ou d’une autre philosophie politique, avec des risques de précarité, d’aggravation de la fragilité d’un corps social qui doute de plus en plus. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Je suis un peu embarrassé, parce que je ne voudrais pas que nous transformions cet hémicycle en salle de réunion du parti socialiste.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien parti ! Quelle gauche voulons-nous pour demain ? C’est intéressant !

M. Christophe Caresche. Nous devons tout de même essayer de préserver la nature de nos débats.

Monsieur Poisson, j’avais prévu de commencer par vous répondre que le temps programmé est un héritage de la majorité précédente.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est exact !

M. Gérard Cherpion. C’était pour lutter contre l’obstruction à l’époque.

M. Christophe Caresche. Je trouve donc un peu curieux que vous vous éleviez aujourd’hui contre une mesure que vous avez proposée et votée ; mais je me suis dit aussi que le fait d’être réduits au silence était peut-être une aubaine pour vous, parce que j’ai compris que, sur les bancs de l’UMP, l’opinion n’était pas non plus unanime, et qu’il y avait des divergences d’appréciation.

Je veux d’abord souligner un paradoxe, monsieur le ministre. Le débat a en effet commencé depuis longtemps dans la presse. Ceux qui considèrent qu’il faut relancer l’économie par la demande, la consommation, le pouvoir d’achat nous expliquent en même temps qu’il ne faut pas ouvrir le dimanche et font une critique presque philosophique de la société de consommation. Or ce texte va justement ouvrir des espaces de consommation et donner plus de pouvoir d’achat. Dans une période de crise profonde pour l’économie française, on ne peut évidemment pas faire l’impasse sur cette dimension. Selon l’évaluation de France Stratégie, plus on ouvre le dimanche, plus l’impact économique est fort, mais les dispositions que nous allons prendre auront un impact économique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas démontré.

M. Christophe Caresche. C’est en tout cas ce que pensent des économistes sérieux qui ont travaillé sur la question.

Deuxième élément, nous serions devant un choix de société et même de civilisation. C’est incontestablement un choix de société pour ceux qui seront amenés à travailler le dimanche. Personne ici ne nie la contrainte que représente le fait de travailler le dimanche pour les salariés, pour les familles,…

M. Jean-Frédéric Poisson. J’espère bien !

M. Christophe Caresche. …et il est évident qu’il faut en tenir compte.

C’est un des points du débat que nous allons avoir, mais j’ai le sentiment que le texte donne des réponses, notamment avec la garantie du volontariat ou encore les compensations.

Par ailleurs, si l’on considère que le travail du dimanche est à ce point une remise en cause de notre modèle de civilisation, il est urgent de le restreindre pour ceux qui travaillent déjà le dimanche !

M. Jean-Luc Laurent. Bonne remarque !

M. Christophe Caresche. Je pense par exemple aux fonctionnaires qui travaillent le dimanche sans qu’on leur demande leur avis. Je pense à ceux qui assument non seulement les fonctions minimum, mais toutes les fonctions qui servent à notre société le dimanche. Il faut faire attention à certaines contradictions : on ne peut pas critiquer le travail du dimanche et demander à ouvrir toujours plus les services publics en soirée, le dimanche ou la nuit – certains proposent d’ouvrir le métro la nuit ! Pourquoi ce qui vaudrait pour les uns ne vaudrait-il pas pour les autres ? Pourquoi la contrainte qui s’exercerait sur les salariés ne s’exercerait-elle pas sur les agents du service public travaillant le dimanche et en soirée ?

Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures. Si l’on considère qu’il est possible d’aménager des conditions satisfaisantes pour faire travailler les fonctionnaires le dimanche, c’est possible aussi pour les salariés dans les commerces et dans les entreprises.

Mme Chantal Guittet. Vous ne regardez pas l’intérêt général !

M. Christophe Caresche. Justement ! Venons-en à l’intérêt général, car c’est cela le vrai sujet. Nous parlons d’un choix de société qui ne pèse pas en réalité sur ceux qui travaillent le dimanche, mais que vous voudriez faire porter sur les Français. C’est le fond de notre débat. Mais cette loi n’oblige pas les Français à se rendre dans les magasins le dimanche !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je l’espère bien ! Il ne manquerait plus que cela !

M. Christophe Caresche. Elle donne une liberté supplémentaire. Je ne vois pas au nom de quoi nous devrions dire aux Français ce qu’ils doivent faire le dimanche. Je ne suis pas de ceux qui pensent que les élus doivent faire le bonheur des gens malgré eux.

M. Jean-Frédéric Poisson. Que l’on s’en souvienne !

M. Christophe Caresche. Si nous donnons effectivement la possibilité de travailler le dimanche aux magasins, il faut également, à mon sens, que les services publics, culturels ou sportifs soient plus ouverts le dimanche.

Le texte qui nous est soumis est équilibré. Il ne propose pas une généralisation du travail le dimanche, mais un assouplissement, avec des garanties qui me paraissent suffisamment sérieuses pour nous permettre de l’adopter.

M. Jean-Yves Caullet. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. La sincérité est certainement une notion subjective, mais c’est avec sincérité que je vais vous faire part de ma position. Mais avant, je veux dire, pour le compte rendu, que c’est la première fois depuis l’instauration de la procédure du temps programmé, par l’actuelle opposition, que la guillotine ne s’abat pas au moment où le temps de parole se termine.

M. Frédéric Lefebvre. Je vous l’ai demandé, et je vous en remercie !

M. Bruno Le Roux. À mon sens, le texte l’exige, mais c’est tout de même la première fois. Ce genre de considération ne l’a jamais emporté auparavant, même pour des débats importants, comme celui sur les retraites où l’opposition avait été privée de parole à un moment important.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est faux ! C’était pour les explications de vote ! Cela n’a rien à voir !

M. Bruno Le Roux. Je souhaiterais que cela soit noté. Le temps de parole que le président Jacob n’a pas utilisé dans l’hémicycle vous a été accordé. C’est un précédent, et c’est nous qui le créons, qui vous permet d’aller plus loin que ce que nous avons pu faire lorsque nous étions dans l’opposition.

M. Frédéric Lefebvre. J’espère que ce ne sera pas la dernière fois !

M. Bruno Le Roux. Venons-en au travail du dimanche. Je répète : il s’agit de dimanche, et de travail. Bien sûr, le sujet pose question, parce que nous avons tous ici des idées qui sont un héritage de nos formations politiques, de notre histoire et de ceux qui ont agi et pensé avant nous. Toutefois, à écouter certains de mes collègues, il semblerait que la question soit de savoir si nous devons vraiment faire en sorte que ce pays se transforme le dimanche en un véritable supermarché. Mais ce n’est pas le débat !

M. Pascal Cherki. Mais si !

M. Bruno Le Roux. Je ne le pense pas. Soyons un tant soit peu sérieux, ce n’est pas le débat. Ce dont nous parlons, c’est d’exceptions. Il suffit d’ailleurs de relire le titre du rapport de Jean-Paul Bailly : « Exceptions au repos dominical dans les commerces : vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs ». Tout est là ! Est-il nécessaire d’imposer une ouverture des commerces le dimanche sur l’ensemble du territoire ? À l’évidence, non, et nous ne le proposons pas. Au contraire, nous allons établir des garde-fous pour éviter des ouvertures là où elles ne sont ni demandées, ni nécessaires aujourd’hui. Le plus facile serait clairement de donner une autorisation générale d’ouverture le dimanche et de laisser les commerces libres de faire leur choix ! Ce n’est pas ce que nous faisons. Nous conservons le principe selon lequel le travail dominical n’est pas autorisé, tout en précisant les exceptions à cette règle.

Sommes-nous heureux de la façon dont les choses se passent aujourd’hui ? Pour ma part, je ne le suis pas du tout. Pour parler une nouvelle fois de mon territoire, il suffit de voir la multiplicité des contentieux ! D’un côté de la Seine, il est permis de travailler le dimanche, de l’autre non ! Des salariés, des étudiants préfèrent aller travailler pour une certaine enseigne de l’autre côté de la Seine, parce qu’ils ne craindront pas qu’une procédure vienne les empêcher de travailler, alors que de l’autre côté, un syndicat obligera le magasin à fermer ! C’est incompréhensible, et cela ne peut pas marcher. Nous devons mettre de l’ordre dans une loi qui a généré du fouillis : pour ceux qui veulent de la régulation, c’est plutôt une avancée ! Avoir une loi plus claire, qui dise clairement où l’on peut travailler et où l’on ne le peut pas, c’est une avancée !

De ce point de vue, le principe de l’exception qui était posé dans le rapport Bailly est confirmé. Il nous revient de l’adapter. Qui, dans cet hémicycle, serait prêt à voter un texte qui empêcherait toute ouverture de commerce le dimanche ? Qui ferait cela au nom d’un certain modèle de société ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Il ne s’est jamais agi de cela ! Qui l’a dit ?

M. Bruno Le Roux. Ceux qui ne veulent pas que nous mettions de l’ordre dans la situation actuelle ! Il n’y a pas de demi-mesure : quand on ne veut pas mettre de l’ordre, c’est que l’on veut que tout ferme.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais non ! Il n’a jamais été question de cela !

M. Bruno Le Roux. Ce qui nous mène à l’autre débat, que M. Caresche a bien posé. Avant d’aller faire ses courses, avant d’aller choisir le carrelage que l’on voudrait chez soi, on fait autre chose, on va à la piscine ! On a raison de vouloir aller à la piscine… sauf qu’il y a des salariés qui travaillent le dimanche, à la piscine !

M. Jean-François Lamour. À Paris ? Pas souvent, ils sont en grève…

M. Bruno Le Roux. Faut-il leur dire qu’il ne faut pas travailler le dimanche ? Bien sûr que non ! Compte tenu de l’état de la parentalité, des problèmes que nous avons, il me semble qu’il devrait être possible d’aller le dimanche dans une bibliothèque, ou dans le centre du quartier, bref dans un endroit où l’on puisse se retrouver, quand on n’a pas réellement la possibilité d’être véritablement en famille. Mais cela pose la question de ce qu’est le dimanche : est-ce un jour d’enfermement, ou un moment où l’on peut faire autre chose, partager autre chose ? Je refuse la vision de ceux pour lesquels le dimanche on ne fait rien, on se retrouve en famille.

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne ne dit cela !

M. Bruno Le Roux. Je vois la réalité de la famille aujourd’hui, et je sais à quel point une socialisation est nécessaire.

Enfin, et là encore c’est la sincérité qui me pousse à vous le dire, j’ai rencontré des salariés qui travaillent le dimanche, notamment des jeunes. J’y suis allé avec la sincérité de quelqu’un qui, lui aussi, s’il n’avait pas travaillé la nuit, n’aurait pas pu être étudiant le jour. Car je devais travailler, non pas que je vienne d’une famille pauvre qui ne pouvait pas payer mes études, mais comme moyen de vivre normalement.

Mme Jacqueline Fraysse. Alors proposez quelque chose pour les étudiants !

M. Bruno Le Roux. Bien entendu ! Moi aussi, je préférerais que la situation soit différente. Quand une femme qui élève seule ses enfants vient me voir et me dit que le week-end où elle n’a pas ses enfants, elle travaille pour pouvoir sortir avec eux le week-end suivant, je préférerais qu’elle gagne beaucoup plus pendant la semaine, que l’on augmente son salaire de 30 % !

Mme Marie-George Buffet et Mme Jacqueline Fraysse. Mais oui ! C’est cela qu’il faut faire !

M. Bruno Le Roux. Je préférerais que tous les étudiants aient une bourse, et j’aurais préféré en avoir une ! Mais j’ai travaillé, parce que je pensais que je devais le faire. Quoi qu’il en soit, j’ai donc demandé aux étudiants qui travaillent dans les commerces autour de nous s’ils étaient prêts à faire autre chose. La plupart du temps, ils m’ont répondu qu’ils avaient des collègues qui enviaient leur travail, dans les conditions où ils le font. Et ils m’ont dit qu’ils faisaient cela pour financer leurs études bien sûr, mais aussi pour faire un premier pas dans la vie professionnelle, pour avoir une expérience à valoriser.

Mme Marie-George Buffet. Mais non !

M. Bruno Le Roux. Arrêtons de résumer la question de façon manichéenne, en disant qu’il suffirait de donner plus d’argent aux étudiants pour leur éviter de travailler le dimanche. Ce n’est pas vrai. Il faut être totalement déconnecté de la réalité dans laquelle vivent nos concitoyens pour penser que les choses sont aussi simples que cela. La question qui est posée aujourd’hui, c’est celle des exceptions, afin de sauvegarder le modèle que nous souhaitons pour notre société, et afin que ce ne soit pas la loi de la jungle. On ne doit pas pouvoir faire n’importe quoi, il faut des contreparties. Ceux qui travaillent le dimanche doivent le faire avec des garanties, des garanties qu’ils devront à notre majorité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je rappelle à tous que l’usage veut qu’il n’y ait qu’une seule intervention par personne dans le cadre de la discussion sur l’article. Ceux d’entre vous qui veulent s’exprimer à nouveau pourront le faire sur les amendements. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Justement, monsieur le président, je n’ai pas encore parlé, et j’ai par ailleurs la caractéristique de ne pas être socialiste, et, partant, d’être libre par rapport à certains débats.

M. Christophe Caresche. Vous l’avez été ! C’est un repenti !

M. Jean-Luc Laurent. Je l’ai été, mais je ne le suis plus…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il a compris ! Il a accédé à la lumière !

M. Jean-Luc Laurent. …pour un certain nombre de raisons dont je vous ferai grâce aujourd’hui afin de ne pas trop consommer le temps du groupe. (Sourires.)

Pour en revenir au travail du dimanche, et dans la suite de nos échanges en commission spéciale, je voudrais dire au ministre, et je rejoins sur ce point précis le président Le Roux, qu’il est effectivement nécessaire de mettre un peu d’ordre,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela dépend où !

M. Emmanuel Macron, ministre. Un ordre juste !

M. Jean-Luc Laurent. …un ordre républicain, en bon républicain du MRC que je suis, sur cette question. Quand, dans l’une des villes de ma circonscription, un commerce de bricolage est autorisé à ouvrir le dimanche et qu’à moins d’un kilomètre, dans la même commune, un autre commerce d’une autre enseigne n’a pas cette autorisation, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la législation. Il faut la clarifier et définir des règles égales et valables sur l’ensemble du territoire de la République.

Cela dit, j’ai toujours des réserves sur la logique présidant à l’extension de l’ouverture des commerces le dimanche. Si le travail du dimanche et de nuit existe dans un certain nombre de services publics, notamment dans la santé, dans les transports ou dans les services sportifs et culturels, c’est que cela répond à des sujétions liées à leur nature de service public. On ne peut donc pas mettre les deux situations sur le même plan. En outre, le fonctionnement du service public connaît des contreparties sociales. Ce n’est pas pour rien que certains, sur d’autres bancs que ceux de la gauche, considèrent que les fonctionnaires sont des privilégiés ou des nantis parce qu’ils ont des salaires supérieurs ! Ces salaires se justifient par ces sujétions, par le pacte social qui est ressorti d’un certain nombre de conquêtes, par les obligations qui pèsent sur l’activité des agents du service public.

Mais l’objet de notre débat, c’est la sphère marchande.

M. Pascal Cherki. Exactement !

M. Jean-Luc Laurent. Dans ce cadre, je considère que l’extension de l’ouverture le dimanche est une concession à l’air du temps, au fait qu’il faudrait aller encore plus loin dans la société de consommation, dans la déréglementation, dans la dérégulation ; bref, qu’il faudrait revenir sur des conquêtes sociales, sur des acquis obtenus de haute lutte et inscrits dans une législation qui prévoit un droit du travail et un droit à ne pas travailler, autrement dit qui garantit un temps pour le repos, le loisir, la vie familiale, la vie sociale, la vie civique.

Second point : sans croissance et sans pouvoir d’achat supplémentaire, l’extension de l’ouverture le dimanche mettra à mal, je tiens à le souligner, le petit commerce, dont l’activité sera aspirée par les grandes surfaces. Il y a un danger qu’il faut garder en tête : celui des logiques de concentration, y compris des branches d’activité selon qu’elles bénéficieront ou pas du nouveau dispositif. Il faut aussi avoir en tête que l’extension du travail le dimanche sans garanties, c’est plus de temps partiel, plus d’emplois précaires, de petits boulots, et que ce sont le plus souvent les jeunes et les femmes qui sont les plus directement concernés, comme pour le travail de nuit.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, en tant que député MRC, je ne suis pas favorable à l’extension du travail le dimanche, et encore moins à celle du travail de nuit. Il doit rester dérogatoire et ne pas être possible sans avoir été clarifié par la loi, avec un seuil minimum de contreparties légales : ensuite seulement interviendrait la négociation pour aller plus loin en fonction des territoires et des branches d’activité concernées. Le socle inscrit dans la loi doit pour le moins prévoir les droits de base concernant le volontariat, le nombre de dimanches, la majoration de salaire et le principe du congé compensatoire. Je ne pourrai donc pas voter en l’état le dispositif que vous proposez.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Nous abordons une partie du texte qui a été beaucoup débattue en commission. Celle-ci a d’ailleurs modifié le titre même du projet, à dessein. Il est devenu : Croissance, activité « et égalité des chances économiques ».

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça change quoi ?

Mme Sandrine Mazetier. On reconnaît bien dans ce fait la majorité qui siège désormais dans cet hémicycle, et sa recherche éperdue d’égalité des chances. C’est ce qui préside, Christophe Sirugue l’a évoqué tout à l’heure, à une grande partie de nos débats sur les exceptions au repos dominical : le groupe socialiste poursuit un objectif d’équilibre, un objectif d’égalité des chances entre tous les salariés du commerce, y compris ceux d’une même enseigne. Car je rappelle qu’avec les textes précédents, singulièrement ceux que la droite avait votés, les salariés d’une même enseigne travaillant le dimanche pouvaient toucher trois rémunérations différentes, selon qu’ils se trouvaient en PUCE – Périmètres d’usage de consommation exceptionnel – en zone touristique ou en zone de droit commun. Une telle situation est insupportable pour la gauche, et ce projet de loi s’emploie à y mettre fin.

Oui, nous voulons l’égalité des chances économiques entre les formes de commerce, entre le commerce indépendant, le petit commerce de proximité et le grand commerce. Oui, nous voulons aussi l’égalité des chances pour les territoires. Nous combattrons toute forme de mise en compétition et de guerre de tous contre tous,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il ne faut pas alors voter le projet de loi !

Mme Sandrine Mazetier. …qu’il s’agisse de la guerre des territoires les uns contre les autres ou de la pire des guerres, celle de ceux qui cherchent du travail contre ceux qui en ont déjà un. Cela nous est insupportable.

Avoir une telle préoccupation n’est pas indigne. Je ne crois pas d’ailleurs qu’elle soit opposée à celles du ministre. Ce dernier, dans son grand pragmatisme, n’est pas gêné par notre recherche d’égalité et par notre souci de bien mesurer l’impact des décisions que nous allons prendre, pas seulement en termes d’exceptions au repos dominical dans le commerce de détail, mais aussi en termes de conséquences sur la société. On le voit bien dans toutes nos interventions : il ne s’agit pas seulement d’une question économique, mais aussi d’une question sociale et sociétale. Il faut assumer le fait que ce sujet, même s’il semble de portée limitée, même si certains voudraient le restreindre à une problématique extrêmement précise, réveille en réalité nombre d’autres questions. Il n’est donc pas indigne d’en débattre longuement.

Benoît Hamon vous a dit tout à l’heure, monsieur le ministre, ce qu’il attend de vous. Pour ma part, je vais dire ce que j’attends de nous, plus particulièrement des parlementaires de la majorité, et encore plus particulièrement des membres du groupe SRC : que nous ne nous fassions pas mutuellement de procès en sorcellerie.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Très bien !

Mme Sandrine Mazetier. Je n’entends pour ma part que des députés qui cherchent à incarner le sens du nouveau titre du projet de loi, qui cherchent à poursuivre les mêmes objectifs que nos rapporteurs, Richard Ferrand et Stéphane Travert, à qui je veux rendre hommage. Il me semble que des avancées se sont d’ores et déjà produites en commission et que des principes tels que « pas d’ouverture sans accord collectif » sont d’excellents principes dont nous n’avons pas à rougir.

Ces avancées doivent encore être complétées dans l’hémicycle, tout de suite, dès l’Assemblée nationale. Mais de grâce, ne nous faisons pas de faux procès, ne nous accusons pas de ne penser qu’à des joutes de congrès quand nombre d’entre nous ont eux-mêmes signé des contributions très riches. Ne nous accusons pas de faire de la politique interne au parti socialiste, alors que, d’une certaine manière, nous en faisons tous et que c’est normal en tant que parlementaire socialiste. Il faut garder tout cela à l’esprit et éviter les arguments qui n’en sont pas.

Ainsi, opposer l’exception au repos dominical dans le commerce de détail à la continuité du service public, ce n’est pas à la hauteur des enjeux. L’opposer au code du travail écrit par nos lointains prédécesseurs, ce n’est pas faire preuve de grande humilité. Quand on légifère, il faut abandonner toute arrogance. Nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles le repos hebdomadaire est fixé légalement le dimanche : c’est le fruit de l’histoire, mais aussi l’expression du besoin d’une société de partager du temps en commun. S’il y a des exceptions, pour la continuité du service public ou de la production, elles s’expliquent par des réalités factuelles.

Ne nous jetons pas non plus à la tête des sondages qui n’ont pas lieu d’être : nous ne légiférons pas en fonction des sondages mais en fonction de réalités que nous avons constatées, d’analyses que nous étayons, d’études d’impact, partielles ou complètes, à chacun son avis, d’égalités que nous voulons garantir ou créer. De ce point de vue là, beaucoup ont parlé d’étudiants susceptibles de travailler le dimanche. Sans polémique aucune, j’aimerais que nous soyons attentifs à ce que les emplois créés vaillent pour tous et que certaines tranches d’âge n’en soient pas évincées, alors même que nous cherchons à oeuvrer pour l’emploi des salariés âgés.

Veillons aussi à ce que certains étudiants n’aient pas à travailler pour pouvoir poursuivre leurs études alors que d’autres n’ont pas du tout cette contrainte.

M. Jean-François Lamour. Mais c’est une réalité !

Mme Sandrine Mazetier. Soyons attentifs à ce que l’égalité des chances économiques démarre dès les études et se poursuive tout au long de la vie, que l’on soit salarié, demandeur d’emploi ou éventuellement employeur – en tout cas un consommateur. N’opposons pas les uns aux autres. Essayons de donner des chances économiques à tous les territoires, à toutes les formes de commerce, à toutes les fonctionnalités urbaines, à tous nos concitoyens.

Je serai aussi extrêmement attentive à l’impact du dispositif sur le travail des femmes. Fanélie Carrey-Conte a bien rappelé tout à l’heure que le salariat, dans le commerce de détail, a un sexe ; que dans la grande distribution, où le temps partiel est subi, il a un sexe aussi. Et le sexe de l’exploitation, il est féminin ; les prolétaires des prolétaires, ce sont les femmes.

Mme Marie-George Buffet. Eh oui !

Mme Sandrine Mazetier. Quand nous légiférons, nous devrions assumer cette réalité sur laquelle certains voudraient pudiquement tirer le rideau. Si nous entendons poursuivre un objectif de croissance, d’activité et d’égalité des chances économiques, nous devons être attentifs aux inégalités, de départ et d’ensuite, aux compétitions qui traversent le salariat, pour essayer de les réduire au lieu de risquer de les accentuer.

Sans nous croire en pleine abolition des privilèges,…

Mme Marie-George Buffet. En effet !

Mme Sandrine Mazetier. …nous ne devons pas non plus occulter certaine réalités de la compétition extraordinairement dure qui traverse le salariat – le lumpenprolétariat auraient dit certains – dans une ère de chômage de masse et de concurrence pour grappiller quelques heures de travail. Il faut aussi penser à cette réalité quand nous légiférons.

Mme Audrey Linkenheld. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre.

M. Frédéric Lefebvre. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, je voudrais d’abord appeler chacun d’entre nous, sur tous les bancs, à s’éloigner des postures idéologiques et aller vers les réalités. Je vais m’y efforcer.

Mme Audrey Linkenheld. C’est ce qu’a fait Mme Mazetier !

M. Frédéric Lefebvre. À ceux, sur les bancs de l’actuelle majorité, qui craignent de ne pas être fidèles aux engagements pris devant les Français lors de la dernière campagne présidentielle, je voudrais remettre en mémoire les déclarations faites par les deux principaux candidats en février 2012. J’étais alors ministre et M. Sarkozy et M. Hollande avaient profité des états généraux du commerce, très peu de temps avant l’élection, pour dire leur part de vérité sur la question du travail le dimanche et sur ce que devaient devenir les textes votées par la majorité d’alors, à laquelle j’appartenais..

Nicolas Sarkozy avait annoncé qu’il voulait poursuivre les assouplissements au nom de la croissance et au nom de l’emploi. François Hollande avait envoyé un message à tous les commerçants, qui devrait rassurer tous nos collègues, comme Pouria Amirshahi et d’autres, qui craignent que ce projet de loi ne soit pas fidèle aux engagements qu’il avait pris. Pour ne pas trahir ses propos, je les ai notés : « Il faut trouver un équilibre entre les droits des salariés et le souci des commerçants de répondre à de nouvelles formes de concurrence. »

Il est assez cohérent qu’une mission ait été confiée à M. Bailly, dont je salue le travail. Comme à peu près toutes les personnes représentant le commerce en France, j’ai été auditionné par lui. Le rapport aboutit à un équilibre, dont je regrette qu’il ait été rompu en commission spéciale. De fait, un certain nombre de dispositions sont en recul par rapport au rapport Bailly.

Pour ma part, je défendrai une trentaine d’amendements sur ce sujet – je le ferai rapidement, c’est la raison pour laquelle j’aborde la question dans sa globalité maintenant. Ils vont plus loin que le rapport Bailly, et donc plus loin que votre texte. Néanmoins, je le voterai, comme je l’ai dit, car il constitue une avancée par rapport à la loi que nous avions nous-même votée et qu’il est conforme à la volonté des deux candidats à la dernière présidentielle d’un assouplissement de la législation.

Je veux rappeler la réalité, car nous nous en sommes éloignés depuis tout à l’heure. D’abord, qu’en pensent les Français ? Car c’est une question qui devrait préoccuper chacun de nous. Au fil des ans, ils sont de plus en plus nombreux – plus de 60 % selon les derniers sondages – à considérer que la possibilité d’ouvrir le dimanche doit exister.

J’ai soutenu les salariés de Bricorama. Il y a quelques jours, l’enseigne a été condamnée en appel à une astreinte de 500 000 euros, qui ira dans la poche du syndicat qui la poursuivait. En interne, les référendums montrent que tous les salariés veulent travailler le dimanche, une question de survie pour certains. La société est tellement schizophrène qu’un syndicat se fait 500 000 euros sur le dos de salariés, parce que l’entreprise, contrainte de fermer le dimanche, devra baisser les salaires ou supprimer un certain nombre d’emplois. Quand on est aveuglé par l’idéologie, voilà ce que l’on se retrouve à défendre !

Parlons de Paris, puisque certains ont évoqué la question. Connaissez-vous les Abbesses ? De l’autre côté de la rue, c’est la zone touristique de Montmartre. Mais les Abbesses, c’est une zone « Paris respire ». Les deux sont piétonnes, les touristes sont les mêmes, mais sur un trottoir, les commerçants ont le droit d’ouvrir le dimanche et pas sur l’autre. Allez donc les voir, ces petits commerçants, ces boulangers, ces bouchers qui ont vu leur loyer multiplié par trois ou quatre, à cause de Paris respire ! Leur seule chance de s’en sortir, c’est de travailler le dimanche. Et comme ils ne peuvent pas faire travailler quelqu’un d’autre le dimanche, ils finissent par travailler eux-mêmes sept jours sur sept. De l’esclavagisme moderne !

C’est cela, la société que vous voulez ? Des Français qui n’aient d’autre choix que de travailler tous les jours de la semaine ? Des maris, cadres dans une entreprise toute la semaine, qui viennent aider le dimanche leur épouse commerçante parce qu’elle n’a pas le droit d’embaucher un des étudiants qui font la queue pour travailler, pour pouvoir payer leurs études ? Il y a bien un moment où il faut regarder la réalité !

En tant qu’ancien secrétaire d’État au tourisme, je me désole de voir Londres passer devant Paris cette année en matière touristique. Mais cela s’explique facilement : quand on demande à un tour-opérateur d’organiser un week-end, il ne propose pas Paris !

M. Pascal Cherki. C’est faux !

M. Frédéric Lefebvre. Je suis l’élu de la circonscription des Français établis en Amérique du Nord. Quand les Américains viennent en Europe, ils ne visitent pas Paris le dimanche ! Cela signifie que la France est la première destination touristique du monde en nombre de touristes, mais qu’elle est troisième ou quatrième pour ce qui est des recettes. Nous subissons les nuisances – les touristes sont là, il faut les gérer – mais nous n’en tirons pas le meilleur profit en matière de croissance et d’emplois.

Quant aux grands magasins… L’établissement de ZTI, les zones touristiques internationales, est une très bonne mesure. Je considère même que Paris en son entier devrait être une ZTI. Mais à défaut, on pourrait créer un certain nombre de zones. C’est le cas pour les Champs-Élysées, mais à Saint-Germain, par exemple ? Allez au Bon Marché…

M. Benoît Hamon. Trop cher !

M. Frédéric Lefebvre. Mais il y a beaucoup de touristes qui sont prêts à payer ce prix ! Est-ce un problème pour la croissance et les emplois qu’ils aillent au Bon Marché ? N’est-il pas dans l’intérêt du pays que le Printemps, les Galeries Lafayette, le BHV puissent ouvrir le dimanche ? Bien sûr que si !

Terminons par une question de bon sens. J’ai fait beaucoup de réunions avec les commerçants, partout en France. Pendant des années, on a parlé de la concurrence que faisaient les grandes surfaces aux petits commerces. Aujourd’hui, vous le savez bien, c’est la vente en ligne qui les menace. Ils savent fort bien que dans certaines activités, s’ils ne peuvent pas ouvrir le dimanche, le client ira tout simplement sur un site internet ! L’ouverture le dimanche, ça ne leur donnera pas de clients en plus, mais ça évitera que les clients aillent acheter en ligne.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. C’est vrai !

M. Frédéric Lefebvre. Comme tout ce que je viens de dire !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il ne faut tout de même pas exagérer…

M. Frédéric Lefebvre. J’aimerais que les élus ici présents osent regarder cette réalité en face et abandonnent les oripeaux de l’idéologie…

Mme Marie-George Buffet. Oh, arrêtez ! La politique, c’est changer les choses, c’est du pragmatisme !

M. Frédéric Lefebvre. …qui les éloignent de la réalité et des attentes des Français. Les Français, à plus de 60 %, réclament davantage de souplesse. Les commerçants, aux états généraux du commerce, demandaient plus de souplesse. Les deux candidats à la présidentielle aussi. Et c’est ce à quoi conclut le rapport Bailly, après une large consultation. Voilà la réalité !

Va-t-on maintenant se décider à essayer de penser aux Français, plutôt qu’à nos petites histoires de boutique ? Car parfois, j’ai l’impression que la politique est un commerce : mes clients, mes électeurs… Non, c’est aux Français qu’il faut penser, il faut écouter ce qu’ils demandent !

Mme Marie-George Buffet. Pensez-vous vraiment qu’ils demandent à travailler le dimanche ?

M. le président. La parole est à Mme Laurence Abeille.

Mme Laurence Abeille. En vous entendant, j’ai l’impression que votre rêve pour la France et les Français ressemble à un immense supermarché, avec des travailleurs qui vendent et des riches qui achètent. Ce projet me semble totalement déconnecté de la réalité. Surtout, il ne ressemble à rien : ce n’est tout simplement pas vivre !

Il y a une notion qui est souvent évoquée dans nos débats : celle de pouvoir d’achat. Même s’il leur arrive d’employer l’expression, les écologistes préfèrent parler de bien-vivre, de bien-être. C’est une différence avec les socialistes. En effet, la notion d’achat conditionne, dans le discours politique, toute une idéologie que je récuse. Je revendique la possibilité de vivre sans constamment acheter, sans même parler des autres formes d’échange, comme le troc ou l’économie collaborative.

Je ne comprends pas que l’on puisse comparer la possibilité de faire ses courses le dimanche à celle de se faire soigner. Que je sache, très peu de personnes ont envie, choisissent d’aller à l’hôpital ou aux urgences le dimanche et la nuit ! Généralement, on essaie de se faire soigner à des moments plus opportuns. Heureusement que nous avons des services publics qui travaillent et sauvent des vies le dimanche, et je leur rends hommage.

Dans ce débat, la question de la société dans laquelle nous voulons vivre demeure centrale. Encourager la société de surconsommation que nous subissons aujourd’hui, c’est aller dans le mur ! Souhaitons-nous un système où certains jouiront de plus en plus de temps libre tandis que d’autres seront obligés de travailler tout en se retrouvant plongés dans une plus grande précarité ? Je pense surtout aux femmes : la question du travail des femmes et de leur précarité constitue un grave problème de société et je remercie les intervenants qui ont abordé ce sujet.

Les écologistes défendent l’idée de partage du travail. Ce n’est pas ce soir que nous relancerons le débat sur les 32 heures, mais j’ai l’impression que nous sommes aujourd’hui en pleine vague qui nous pousse à travailler tout le temps. La vie, ça n’est pas que le travail ! En outre, le travail est difficile à trouver : il ne faut pas croire que c’est en étendant les plages horaires durant lesquelles on peut travailler qu’il y aura plus de travail. Enfin, ceux qui se trouveront à travailler à ces moments-là n’auront pas choisi de le faire. En aucun cas, les dispositifs qui visent à étendre les possibilités de travail dominical et de nuit ne permettront de réduire les fractures sociales.

Ce que j’ai pu entendre sur les bancs de la droite m’inquiète beaucoup. Ces propos relancent l’idée d’une société de surconsommation.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est une plaisanterie !

Mme Laurence Abeille. Je préfère cela.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous n’avez pas entendu les premières interventions !

Mme Laurence Abeille. Il ne s’agit pas de « parler boutique ». Le débat est trop important, et de nombreux Français écoutent. Le groupe écologiste s’oppose à l’extension du travail dominical et de nuit, qui va à l’encontre de ce que l’on appelle les acquis sociaux. Le terme est peut-être archaïque, mais tout de même, les Français se sont battus pour ne pas travailler sept jours sur sept ! La semaine de cinq jours a été un combat, les 39 heures un autre. Aux 35 heures succéderont peut-être les 32 heures déjà appliquées dans certaines entreprises.

Nous ne devons pas aller dans la direction qui nous est proposée, mais préserver ce qui fait notre spécificité. Nous n’avons pas besoin de ces ouvertures supplémentaires et de surconsommer, mais de consommer mieux, et de mieux vivre.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. On entend tout et son contraire dans ce débat, mais nous ne devons pas noyer le poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ah non ! (Rires).

Mme Jacqueline Fraysse. Je voudrais rappeler une règle, monsieur Poisson, que vous connaissez : dans notre pays, le droit, c’est le repos dominical. À ce principe qui s’applique à tous sont posées quelques dérogations, strictement encadrées par le code du travail car elles portent atteinte à la vie des gens, à leur famille et à leur santé – je pense en particulier au travail de nuit.

En général, ces exceptions découlent du principe de continuité du service public : cela concerne les transports, car on doit pouvoir se déplacer le jour et la nuit, la santé – hôpitaux, médecins – ou la sécurité, dans le cas d’accidents liés au gaz ou à l’électricité par exemple. Cela concerne aussi certaines activités industrielles qui ne peuvent être interrompues.

M. Jean-François Lamour. Comme les bouchers, les boulangers ou les forains qui travaillent sur les marchés.

Mme Jacqueline Fraysse. Ces exceptions sont très strictement encadrées.

L’on nous propose aujourd’hui d’inverser le principe et de faire sauter les limites imposées au travail du dimanche et au travail de nuit, autrement dit de les banaliser pour qu’il soit possible de travailler ces jours-là comme les autres jours de la semaine.

J’ai entendu les propos de M. Caresche à propos des fonctionnaires qui, eux, n’ont pas le choix. Décidément, ces braves fonctionnaires, ils sont soit nantis, soit contraints !

M. Bruno Le Roux. Les fonctionnaires ne sont pas des nantis, vous ne pouvez pas dire cela !

Mme Jacqueline Fraysse. Pas moi ! Ne faites pas semblant de ne rien comprendre… Dans la bouche de la droite, les fonctionnaires sont tour à tour des nantis ou de pauvres gens que l’on contraint à travailler le dimanche.

J’entends dire qu’il y aurait des compensations financières, que les salaires seraient doublés. Espérons-le, mais pour le moment, rien n’est fixé dans la loi. Or, la moyenne actuelle oscille entre 20 et 30 % d’augmentation. Déjà que la relance de l’économie et la création d’emplois par la hausse du pouvoir d’achat est une hypothèse d’école floue que personne n’a jamais démontrée… Si la compensation n’est que de 20 à 30 %, elle passera dans les frais de garde pour les mères isolées, majoritairement, ou les pères qui ne pourront s’occuper de leurs enfants le dimanche ou la nuit ! (« C’est vrai » sur les bancs du groupe UMP.)

Tous vos arguments sont donc des arguties. En réalité, vous voulez tout simplement remettre en cause la règle du repos dominical. C’est un recul de société.

Et M. Lefebvre de prétendre que les gens rêvent de travailler le dimanche ! Mais je n’en doute pas, monsieur Lefebvre ! J’imagine bien tous ces gens qui rêvent de pouvoir enfin travailler le dimanche, enfin travailler la nuit ! Tellement c’est formidable ! On entend vraiment tout et n’importe quoi, ici.

M. Pascal Cherki. Bravo !

M. Frédéric Lefebvre. Vous embrouillez la démonstration !

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président Le Roux, vous venez de vous livrer à une excellente démonstration.

M. Bruno Le Roux. Merci.

Mme Marie-George Buffet. Vous nous racontez que, étudiant, vous avez dû, tout comme moi d’ailleurs, travailler pour financer vos études, ce qui n’était tout de même pas évident. Vous nous expliquez que le travail dominical et le travail de nuit permettent à des étudiants de payer leurs études quand leurs familles ne peuvent les aider. Vous nous citez encore l’exemple magnifique d’une femme qui pourra, lorsque ses enfants seront chez leur père, travailler le dimanche pour constituer une petite cagnotte et mieux les nourrir.

On pourrait multiplier ce genre d’exemples, mais une maman qui élève seule ses enfants, si elle ne trouve personne dans son entourage pour les garder le dimanche ou la nuit, elle devra bien payer une assistante maternelle ! Cela lui fera perdre le bénéfice de son travail. Et la signature de l’Accord national interprofessionnel a mis en évidence bien d’autres situations, qui se résument ainsi : « si vous n’acceptez pas de travailler plus sans gagner plus, nous n’aurons d’autre recours que le plan social ».

Où est la liberté de choix dans ces exemples ? Il n’y en a aucune ! C’est une nouvelle fois les plus faibles, les plus en difficulté qui souffriront de ces mesures.

Mme Mazetier invoque la nécessité d’accorder les mêmes chances à tous les étudiants. Elle a raison. Mais cela ne passe pas par un meilleur encadrement ! Allons-nous ou non réfléchir, comme le Président s’y était engagé dans sa campagne électorale, à l’allocation d’autonomie, aux salaires, au pouvoir d’achat, au droit des femmes soumises au travail partiel, aux conditions de travail dans le commerce ? En voilà des bons chantiers sur lesquels la gauche devrait travailler.

M. Pascal Cherki. Très bien !

Mme Marie-George Buffet. J’en viens à la notion d’exception. Le code du travail existe pour répondre, dans un État républicain, à l’inégalité du rapport de forces qui oppose ceux qui possèdent à ceux qui vivent de leur travail. Il accorde aux seconds les moyens de se défendre en leur donnant des droits, comme le droit au repos dominical ou le droit au repos hebdomadaire.

M. Frédéric Lefebvre. C’est droit contre droit : le droit au travail compte aussi.

Mme Marie-George Buffet. Dès lors que l’on ouvre des exceptions, ce droit est affaibli. À force de l’affaiblir, on finira par le remettre en cause. Il est tout de même dommage que ce soit la gauche qui affaiblisse les salariés face à ceux qui possèdent.

M. Pascal Cherki. Très bien !

Mme Marie-George Buffet. Quant à l’efficacité de ces mesures en termes de création d’emplois, tant qu’on n’aura pas fait progresser la réflexion sur les salaires, les allocations et le pouvoir d’achat, l’ouverture des commerces le dimanche et le soir jusqu’à minuit rendra peut-être service à de riches touristes venus de Chine, de Russie ou d’ailleurs, mais pas à l’immense majorité de nos concitoyens qui ne pourront pas plus acheter le dimanche que les autres jours de la semaine. Soyons sérieux ! Vous connaissez l’état du pouvoir d’achat de nos concitoyens !

Et puis, vous parlez des réalités, mais nous les connaissons nous aussi, nous savons comment les commerces de proximité se meurent dans les centres-villes parce que de grands centres commerciaux ont ouvert. Qu’en sera-t-il maintenant qu’ils pourront aussi ouvrir le dimanche ? Cette mesure fera donc disparaître, au final, d’autres emplois.

Enfin, vous nous parlez « pragmatisme ». J’ai envie de vous répondre « projet de société » ! Nous sommes des hommes et des femmes politiques, nous partons des réalités pour les changer, et pour ma part cela doit aller dans le sens du progrès. Le progrès réside-t-il dans la société de consommation ou dans celle qui remettrait le travail à sa juste place pour que les hommes et les femmes puissent s’épanouir dans un environnement culturel et artistique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Cherki. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Mme Buffet évoquait un projet de société. C’est vrai, le dimanche peut être consacré à des activités variées, dont un certain nombre exigent que des salariés, des employés, des fonctionnaires travaillent. C’est notamment le cas d’activités culturelles, comme le cinéma ou les musées. Je profite donc de cette discussion pour attirer l’attention de mes collègues sur l’ouverture des bibliothèques.

Nous sommes aujourd’hui engagés dans une lutte contre un certain obscurantisme, et dans un combat sans cesse renouvelé contre l’illettrisme. Nous nous battons pour faire triompher l’égalité des chances, comme en témoigne le fait que le titre de ce projet de loi ait été modifié. Or les bibliothèques, les médiathèques sont, sur tout notre territoire, des lieux où se joue l’égalité des chances, où nos concitoyens les plus éloignés de la culture ou du marché du travail peuvent y accéder, notamment via internet. C’est particulièrement vrai dans les quartiers difficiles ou les zones rurales.

Nous avons aujourd’hui besoin d’ouvrir le plus largement possible ces bibliothèques, mais il faut au préalable lever les difficultés que rencontrent les collectivités locales et les élus locaux lorsqu’ils négocient avec les salariés à propos d’une ouverture le dimanche.

Puisque le texte de loi avait pour objectif de lever certains blocages de la société française, j’aurais aimé qu’on puisse envisager cette question, mais cela ne semble pas aussi facile. Il ressort de certains échanges avec le ministre que la simple question de l’ouverture des bibliothèques le dimanche semble poser problème au Gouvernement. En revanche, on s’apprête à autoriser l’ouverture des commerces de vêtements ou de meubles ! On encourage la société de consommation plutôt que de défendre un projet culturel qui favoriserait l’accès à l’éducation artistique et culturelle, la démocratisation culturelle, l’égal accès de tous nos concitoyens, notamment via internet, aux outils qui permettent leur épanouissement et leur émancipation.

D’ailleurs, ne négligeons pas les effets de la concurrence qui s’exercera entre les activités commerciales, consuméristes et les activités culturelles auxquelles aujourd’hui un certain nombre de nos concitoyens consacrent une partie de leur dimanche. S’ils vont dans les magasins, ils n’auront pas le temps d’aller dans les musées, dans les bibliothèques ou même dans certaines de nos librairies ouvertes elles aussi le dimanche matin !

M. Jean-François Lamour. Ils iront un autre jour !

Mme Aurélie Filippetti. Cette concurrence existera bel et bien, et elle se fera au détriment des activités culturelles, des activités de proximité. Nous devons être très attentifs et remettre en ordre nos priorités au service d’un projet qui favorise l’égalité des chances, l’égalité dans l’accès aux arts et à la culture.

M. Jean-François Lamour. Et au sport !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Merci, mes chers collègues, pour l’ensemble de vos contributions, dont la hauteur aura sans doute gâché la joie de ceux qui, à droite de cet hémicycle, croyaient pouvoir assister à un spectacle.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous n’avons pas été déçus !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce ne fut pas un spectacle mais un débat d’une grande dignité où les uns et les autres ont pu apporter leur contribution pour éclairer notre assemblée.

Depuis quelques semaines, nous avons tous acquis la conviction que ce texte avait pour vocation de permettre aux initiatives de se développer là où c’était utile tout en apportant de la régulation lorsque c’était nécessaire, en fluidifiant des processus économiques, en assouplissant des dispositifs et en ouvrant l’accès à certains services ou certaines professions.

Mais l’objectif de ce texte n’est pas seulement de réguler ou de développer l’initiative économique, il est aussi de favoriser le progrès social. Cet aspect aura pu vous échapper, soit qu’il n’aura pas été suffisamment mis en valeur, soit que les préjugés l’auront emporté.

Le texte issu des travaux de la commission, je m’en tiendrai à cela, a été l’occasion d’examiner la proposition faite par le Gouvernement de modifier les règles de l’ouverture dominicale dans le commerce de détail. Nous avons, comme ici, examiné cette proposition de la même manière que les autres : en nous interrogeant tout à la fois sur son utilité économique, son utilité sociale – notamment sa capacité à corriger les errements de la loi Mallié et les injustices liées à l’absence persistante de règles en la matière – et, bien entendu, sa cohérence politique avec la majorité.

Je rappelle que l’une des premières décisions que la commission spéciale a prises, alors même que le Gouvernement souhaitait que les cinq dimanches optionnels deviennent obligatoires et qu’on y ajoute sept autres dimanches optionnels, à la main des élus…

M. Frédéric Lefebvre. Ce n’est pas le Gouvernement qui l’a voulu, c’est une proposition du rapport Bailly formulée à la demande des commerçants !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La commission, disais-je, a donc exprimé la conviction que puisqu’il s’agit de donner davantage de latitude d’action aux territoires et d’associer les élus locaux à l’élaboration du dispositif le plus pertinent à l’échelle de leur territoire, ce qui était une obligation devait devenir une liberté offerte à la responsabilité des élus locaux.

M. Frédéric Lefebvre. Et les commerçants ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai entendu ici de nombreuses expressions de sincérité. Il va de soi que personne n’a le monopole de la sincérité – et personne ne le croit, j’en suis persuadé. Personne n’a, non plus, besoin d’exposer ici ses états de service et d’engagement, militant ou politique, pour se parer d’une quelconque légitimité.

Ce volet du projet de loi dont nous discutons, et dont je persiste à dire, sans vouloir offenser mon collègue et ami Stéphane Travert, qu’il ne constitue pas l’élément le plus important du texte, a, sans doute en raison de sa portée symbolique, donné lieu à la convocation de références philosophiques et idéologiques que nous partageons tous dans la plupart des cas.

Il est vrai qu’une certaine grille de lecture pourrait porter à croire que ce texte comporte des aspects « libéraux ». Cela a d’ailleurs eu le mérite d’énerver vivement les plus conservateurs d’entre nous, sur les bancs de la droite.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il n’y a pas de conservateurs à gauche, c’est bien connu !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. D’autres aspects, au contraire, sont plus dirigistes et prônent nettement une régulation. Les plus libéraux s’en sont à leur tour sentis offensés, comme si la régulation s’opposait nécessairement à leurs convictions.

N’opposons pas le pragmatisme et la sincérité. Ce n’est pas parce que tel ou tel se revendique du pragmatisme qu’il est insincère. Inversement, je ne connais pas de gens sincères qui ne sont pas en même temps pragmatiques !

Mme Marie-George Buffet. Qui a dit cela ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est pourquoi, je le répète, il n’est jamais utile d’opposer le pragmatisme à la sincérité.

M. Jean-Frédéric Poisson. Et réciproquement !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Que serait en effet la sincérité sans la volonté d’agir en fonction des réalités ? Ce serait une sincérité masticatoire, en quelque sorte. Et que serait un pragmatisme dénué de sincérité envers ce qui fonde l’action ? Il serait bien inutile.

Il faudrait beaucoup de temps pour reprendre tout ce qui a été dit sur le « travail du dimanche » et qui ne figure pas dans le texte. C’est le cas de la généralisation du travail dominical, par exemple : personne n’en veut ! Disons clairement qu’elle ne figure pas dans le texte.

Ensuite, Stéphane Travert – qui a animé ce dossier, mené les auditions, négocié, formulé des propositions – reviendra sur le fait que parallèlement aux possibilités d’ouverture des commerces de détail, dont nous verrons pourquoi elles ont été proposées, des garanties sociales sont systématiquement prévues pour les travailleurs, et ce sur un pied d’égalité.

Je n’avais pas imaginé que le simple fait de donner la faculté à des élus locaux d’autoriser l’ouverture des magasins zéro ou douze dimanches par an appellerait l’évocation d’un si grand nombre de réflexions philosophiques, ni susciterait le sentiment de traverser un si grand moment de régression – ou de progression, selon les cas.

M. Jean-Frédéric Poisson. Choisissez votre camp ! Cette mesure est-elle symbolique, oui ou non ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. En dépit de ce que j’ai pu entendre, il ne s’agit pas d’un choix de société ni, a fortiori, de civilisation. Certes, nous sommes tous attachés à l’émancipation et à la liberté de chacun, comme l’a indiqué M. Cherki. Nous demeurons vigilants pour qu’il ne se produise aucune régression, comme l’a dit M. Paul. À chacun de nos actes, nous tâchons de défendre le sens du progrès, comme l’a évoqué M. Baumel.

Au fond, la question sous-jacente dans bien des interventions était la suivante : la faculté d’ouvrir les commerces de détail douze dimanches par an est-elle de nature à remettre en cause l’identité de pensée de la majorité de cette Assemblée ? Sans doute n’est-ce qu’un sentiment personnel, mais je n’aurais pas spontanément imaginé que l’on puisse confronter un tel enjeu – l’identité de la gauche parlementaire – avec la question des douze dimanches.

D’où sortent-ils donc, ces fameux dimanches ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Du calendrier grégorien !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il faut bien se demander pourquoi ils sont douze, et non pas sept ou dix-huit ! Nous ne sommes pas au tiercé ! C’est parce qu’au fil du temps, il a été simplement et humblement constaté que cinq jours ne suffisaient pas à celles et ceux qui souhaitaient ouvrir plus largement leur commerce de détail, et qu’ils n’avaient d’autre solution que de se constituer en zones touristiques ou en PUCE, ce qui impliquait d’ouvrir cinquante-deux dimanches par an. Il n’y avait aucune solution intermédiaire entre cinq et cinquante-deux dimanches.

M. Gilles Lurton. Cela fonctionnait très bien !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Fondé sur les expériences et les réflexions des élus locaux, le rapport de M. Bailly a estimé que le juste point d’équilibre entre les deux se trouvait à douze. Douze dimanches, ce n’est peut-être pas beaucoup, mais cela équivaut à un dimanche par mois. C’est sur la base de cette idée quelque peu simplette que ce chiffre a été retenu.

Ensuite, dès lors que l’utilité économique de cette mesure est avérée, se pose la question des règles qu’il faut fixer, contrairement à ce qui avait été fait dans la précédente loi que certains, ici, ont tant combattue, pour permettre à celles et ceux qui vont travailler le dimanche de le faire dans des conditions plus honorables et, surtout, d’en retirer des compensations dignes de l’effort fourni.

Le projet de loi dans son ensemble comporte une série de mesures micro-économiques visant à accompagner dans un certain nombre de secteurs les choix macro-économiques qui sont faits.

Le dispositif concernant le travail du dimanche se traduira par un dialogue social obligatoire : pas d’accord, pas d’ouverture, comme vous le dira M. Travert. Les accords devront impérativement être négociés.

M. Jean-Frédéric Poisson. Qu’est-ce qu’un accord qui n’aurait pas été négocié, monsieur le rapporteur général ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai entendu les propos sincères de ceux qui estiment que le dimanche n’est pas fait pour consommer. Mais si la consommation s’interrompait le dimanche, cela se saurait ! Qu’il s’agisse du commerce électronique ou d’autres modes, la consommation ne s’interrompt pas le dimanche ! Se pose même la question de savoir comment éviter que le commerce de contact, qu’a évoqué M. Caullet, ne se retrouve pas profondément affaibli face à de nouvelles formes de consommation qui excluent précisément le contact.

En clair, il me semble donc que cette mesure ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité. Elle consiste, parmi d’autres, à accompagner un mouvement visant à ce que notre économie se porte mieux.

Enfin, sans aborder la question des zones touristiques, sur laquelle nous reviendrons plus loin, je trouve qu’il est curieux de vouloir promouvoir la capacité d’accueil touristique de la France tout en privant de touristes notre activité commerciale et économique dans certains endroits.

Sur ce sujet, certains ont des convictions profondément ancrées, voire définitives. Je ne suis là ni pour les ébranler, ni pour les convaincre, mais je souhaite au moins qu’ils mesurent combien ce dispositif s’inscrit dans un ensemble cohérent qui doit servir à donner du travail et des emplois. Qu’est-ce que la liberté et l’émancipation lorsqu’on est au chômage, lorsqu’on n’a plus d’argent pour boucler les fins de mois ?

De quoi parlons-nous, au fond ? Voudrions-nous nous priver de possibilités au motif que ce que l’on peut faire ne suffit pas à l’aune de ce qu’il faudrait faire ? À mon sens, ce n’est pas un choix judicieux. C’est pourquoi la commission a adopté les articles qui suivent et soutenu les propositions de notre rapporteur thématique Stéphane Travert, qui, depuis la fin des travaux en commission, a encore fait progresser le texte.

En ce qui me concerne, je ne me pose au fond qu’une seule question, en toute sincérité et par souci de pragmatisme : le projet de loi dans son ensemble, et singulièrement cet aspect-là du texte, sont-ils utiles à notre pays et à notre peuple ? J’ai la conviction qu’ils le sont, et qu’il faut donc soutenir les propositions qui vont être présentées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, chers collègues, chacun entre ici, comme l’a dit M. Ferrand, avec sa sincérité et sa sensibilité. Permettez-moi de vouloir être ici le premier contributeur à un débat serein et apaisé.

Nous avons entamé ce débat voici quelques mois déjà, en avril 2013, lorsque le groupe socialiste a créé en son sein un groupe de travail destiné à traiter la question du travail dominical. Nous avons multiplié les auditions et avons nous-mêmes été auditionnés par le président Bailly, chargé de rédiger un rapport. Au fil de nos travaux et réflexions, nous avons formulé un certain nombre de contributions que nous souhaitons livrer aujourd’hui, à l’occasion de ce débat.

Toujours avec le souci d’un débat serein, je rappelle que nous avons, depuis les travaux de la commission spéciale, entendu un certain nombre d’erreurs et d’approximations de la part de celles et ceux qui, n’ayant pas lu le texte, portent des jugements sans appel sur notre volonté de « libéraliser » la société.

Ce n’est pas ce que nous voulons faire. Comme l’a indiqué M. Ferrand, nous voulons adapter notre société aux exigences du monde moderne et faire respecter nos valeurs. Nous ne sommes pas favorables à la libéralisation du travail dominical. Nous défendons l’idée selon laquelle le dimanche doit demeurer un jour consacré à faire société, à vivre ensemble, à placer la vie associative et familiale au cœur de nos priorités.

Pour autant, il faut être sincère et pragmatique. Les modes de vie qui existent sur certains territoires nous obligent à fixer de nouvelles exigences pour fluidifier la vie de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, nous vous présentons un certain nombre de propositions. Je souhaite être dans ce débat celui qui apportera la démonstration la plus exacte possible de ce que nous voulons faire, non pas celui qui va apporter la vérité, car chacun détient la sienne propre, mais celui qui présentera de la façon la plus exacte possible les intentions de ce texte.

À l’heure où ce débat s’engage, je souhaite faire deux séries d’observations. La première est relative à la situation existante, la seconde porte sur les principales avancées que nous avons obtenues – parce que nous avons discuté et trouvé à nos côtés un gouvernement très réceptif à nos propositions.

Je commencerai donc par rappeler la grande diversité des dérogations en vigueur en matière d’ouverture dominicale des commerces et les nombreux régimes qui les caractérisent.

Il existe des dérogations permanentes de droit qui s’appliquent dans certains commerces – tabacs, fleuristes, stations-service – du fait de la spécificité des activités. Nous avons cinq régimes dérogatoires, qui se caractérisent par d’amples différences, notamment s’agissant du régime applicable aux salariés.

Il existe également des dérogations préfectorales individuelles, destinées à répondre aux besoins du public ou à assurer le bon fonctionnement d’un établissement. Elles sont soumises à des accords collectifs ou à une décision unilatérale de l’employeur, moyennant des contreparties et la garantie du volontariat.

Il existe des dérogations propres aux zones touristiques, qui ne sont donc soumises ni à la conclusion d’un accord ni à une quelconque obligation de contrepartie salariale ou de respect du volontariat. Il y a aussi les dérogations propres aux PUCE, qui sont soumises à accord en cas de décision unilatérale de l’employeur ou comportent des contreparties et la garantie du volontariat.

Il y a aussi les cinq dimanches du maire : dans ce cas, pas d’obligation d’accord ni de respect du volontariat mais un doublement de la rémunération des salariés et un repos compensateur.

Enfin, il existe des autorisations permanentes. Celles-ci sont propres aux commerces alimentaires, quel que soit le secteur géographique, et s’appliquent jusqu’à 13 heures. Elles ne comprennent ni l’obligation d’accord, ni contrepartie salariale, ni garantie du volontariat, mais prévoient un repos compensateur.

Depuis la fin des travaux en commission spéciale, ce texte a connu un grand nombre d’avancées et nous allons, au cours du débat, lui en apporter d’autres.

Le sujet nous a divisés, à droite comme à gauche. Je rappelle que la loi Maillé contient déjà un certain nombre de dispositifs, dont un encadrement géographique et territorial, mais qu’elle oublie une chose importante : les salariés ! Elle ne traite pas de leur sécurisation, ni de la question du volontariat. Elle ne traite pas de la compensation salariale qui est due à tout travailleur qui accepte de travailler un jour supplémentaire de la semaine. Ces questions sont traitées dans le présent projet de loi.

Tout d’abord, il harmonise le régime applicable à l’ensemble des dérogations géographiques, autrement dit aux zones touristiques internationales, créées par ce projet de loi, aux zones touristiques et aux zones commerciales, avec l’obligation de conclure un accord comportant des contreparties salariales et le respect du volontariat, désormais inscrit dans la loi.

Deux remarques complémentaires. D’abord, les zones touristiques actuelles ou les PUCE qui n’ont pas encore prévu d’accord ou de contrepartie disposeront de trois ans pour se mettre en conformité avec ces nouvelles règles. En outre, un aménagement doit être envisagé pour les petits commerces qui pourraient avoir des difficultés pour conclure un accord – il s’agit essentiellement des petits commerces dans les zones touristiques. Si la commission spéciale a pu envisager de rétablir pour eux la possibilité de procéder par décision unilatérale, nul doute qu’au cours de cette séance nous allons en rediscuter et proposer d’en revenir à l’obligation d’un accord, tout en aménageant au mieux leurs conditions d’ouverture le dimanche.

S’agissant des dimanches du maire, la seule différence portera sur leur nombre. Richard Ferrand en a brillamment parlé. Aujourd’hui, ce nombre est de cinq. Il passerait à douze sans que cela change la nature des choses. En effet, un maire qui ne veut pas ouvrir ses commerces aujourd’hui ne sera pas obligé de les ouvrir à l’avenir ! Un maire qui les ouvre cinq dimanches pourra en rester là !

M. Luc Belot. Exactement !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Un maire qui, comme c’est le cas chez moi dans le Cotentin, ouvre trois dimanches pourra continuer à n’ouvrir que trois dimanches. Alors pourquoi une telle cristallisation autour des douze dimanches. Est-ce du fétichisme ?

Mme Jacqueline Fraysse. Parce qu’on a changé le texte !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Nous avons toutefois souhaité prévoir la consultation systématique du conseil municipal, estimant qu’il appartient au territoire de décider de la manière dont doivent être gérées les ouvertures des commerces. Nous avons jugé nécessaire, vous voudrez bien excuser la trivialité de cette expression, de faire sauter le taquet des cinq dimanches pour pouvoir réagir en fonction du mode de vie dans chacun de nos territoires.

Il faut pouvoir ouvrir plus de cinq dimanches là où c’est nécessaire, c’est-à-dire dans les zones urbaines et les grandes zones péri-urbaines, tandis que dans les zones rurales ou qui connaissent des saisonnalités différées, il convient d’ouvrir les magasins en fonction des habitudes des consommateurs. Les commerces dont le chiffre d’affaires n’augmenterait pas certains dimanche pourraient ouvrir par exemple deux dimanches avant Noël ou un dimanche pendant les soldes de printemps.

C’est le mode de vie de nos concitoyens qui doit nous inspirer. Nous n’avons aucune raison de nous écarter des réalités territoriales.

Nous avons donc choisi la voie de la délibération. Vous connaissez la situation aujourd’hui : c’est le maire qui, après avoir reçu les organisations syndicales et les patrons des grandes surfaces, prend seul, sur un coin de table, la décision d’ouvrir ou non les magasins le dimanche. Nous avons décidé de porter le débat au sein du conseil municipal de manière à ce que les représentants politiques assument leur décision d’ouvrir ou de ne pas ouvrir les commerces le dimanche et que cette décision soit prise devant leurs concitoyens.

Nous avons pensé aussi qu’il appartenait aux communautés de communes, communautés urbaines et communautés d’agglomération, qui détiennent la compétence économique, comme nous le verrons à l’occasion de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, d’assurer la cohérence territoriale et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de concurrence entre les territoires. C’est pourquoi, à partir du sixième dimanche, l’avis conforme de l’EPCI dont la commune est membre sera requis. Cette disposition assurera la cohérence territoriale et supprimera les luttes qui opposent aujourd’hui certaines communes.

Une autre avancée majeure concerne les commerces alimentaires. Elle ne figure pas encore dans le texte mais pour moi, elle représente un progrès social essentiel.

Nous avons tous connu dans nos territoires des grèves perlées. Nous en avons subi dans le Cotentin, d’avril 2010 jusqu’à l’élection du Président de la République en 2012, nous en avons subi dans la Manche, en Corrèze, en Gironde. Ces grèves perlées étaient le fait de salariés non pas parce qu’ils refusaient de travailler le dimanche matin, dans les commerces ayant obtenu la dérogation pour ouvrir de 9 à 13 heures, mais parce que ces heures n’étaient pas compensées. Ces femmes, car il s’agissait souvent de femmes, étaient souvent forcées de travailler le dimanche matin.

Mme Marie-George Buffet. C’est vrai !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Nous devons prendre en compte la spécificité du travail des femmes. Ces femmes étaient volontaires de force ! Souvent, elles devaient faire garder leurs enfants et le salaire qui leur était versé ne couvrait pas celui de la nourrice ! Il fallait donc répondre à cette préoccupation.

Mme Jacqueline Fraysse. Mais vous ne fixez rien dans la loi !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. C’est ce que nous allons faire dans ce texte puisque désormais, toutes celles et tous ceux qui travailleront le dimanche dans un magasin ayant obtenu la dérogation d’ouverture de 9 à 13 heures percevront une rémunération majorée d’au moins 30 %. Cette majoration est déjà appliquée par un certain nombre d’enseignes. Je pense que nous pourrons trouver un accord sur ce point qui est un véritable progrès social pour ces salariés.

Ce texte va amener les commerces alimentaires à offrir des contreparties à leurs salariés. En cela, il va dans le sens de l’harmonisation des régimes applicables aux salariés.

Je voudrais conclure avec le travail de soirée. La modification proposée par le projet de loi en la matière reste extrêmement limitée puisque le travail de soirée ne s’appliquera que dans les zones touristiques internationales. Le ministre aura à cœur de préciser quelles seront ces zones et quels critères permettront de les définir.

Les zones touristiques internationales ont un caractère exceptionnel, puisqu’elles se caractérisent par une très grande affluence de touristes étrangers. Dans ces zones, les commerces de détail pourront déroger aux limites du travail de nuit, pour la période comprise entre 21 heures et minuit, sous réserve d’un accord collectif prévoyant au moins le doublement du salaire, un repos compensateur et le rapatriement du salarié à son domicile à la charge de l’employeur. C’est ce que nous avons obtenu en commission spéciale.

Nous avons pris des mesures permettant la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle : participation à la garde des enfants, prise en compte du changement de vie pour le salarié et possibilité pour lui de changer d’avis. Nous avons en effet inscrit dans le texte la réversibilité du volontariat. C’est un progrès social que ne contenaient pas les textes précédents.

L’ouverture du dimanche sera désormais garantie par un accord. Pas d’accord, pas d’ouverture : tel est l’esprit du texte.

Ce qui a été fait dans ce texte est donc bien loin des caricatures que l’on a pu entendre ici ou là : ce texte serait anti-ouvriers ou anti-salariés… Comment imaginer que Richard Ferrand, Denys Robiliard, moi-même…

M. Gilles Lurton. Et nous alors ? Je trouve cela un peu fort de café !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. …et tous ceux qui ont contribué à enrichir ce texte ont pu soutenir de telles valeurs dans un texte comme celui-là ? Comment imaginer que nous sommes chaque matin dans l’attente des décisions de Bruxelles ? Il y a des limites à ne pas franchir !

M. Gilles Lurton. Vous n’avez pas le monopole du cœur !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Nous ne sommes pas aux ordres de Bruxelles lorsque nous légiférons sur un texte comme celui-là.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est encore plus grave si c’est un choix !

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Nous essayons de le faire avec le bon sens que méritent nos territoires. En donnant cette liberté à nos territoires, nous sommes au rendez-vous du progrès social, de la solidarité et du progrès en général.

Par ailleurs, la société évolue. N’oublions pas qu’en 2008 le e-commerce ne connaissait pas l’essor d’aujourd’hui. Bon nombre de petits commerçants, notamment en région parisienne, ouvrent maintenant un portail internet pour offrir à leurs clients la possibilité de faire des achats en ligne. C’est un signe qui ne trompe personne. Or le e-commerce travaille 24 heures/24, y compris le dimanche, et pénalise nos petits commerces.

À travers les propositions que nous présentons, nous voulons protéger nos territoires et les petits commerces qui doivent continuer à animer nos bourgs et nos centres-villes, et faire en sorte que demain les salariés de la grande distribution perçoivent une compensation pour le travail supplémentaire qu’ils effectueront pour leur employeur.

À toutes ces questions auxquelles la loi Maillé n’avait pas répondu, nous essayons de répondre aujourd’hui en respectant une règle simple : la nécessité de soutenir l’activité. Ce n’est pas à une régression de la société qui se produit. Nous ne banalisons pas le travail du dimanche, nous renforçons le vivre-ensemble. Il y aura des compensations, que nous vous proposerons de voter au cours des heures à venir.

Tout cela, c’est un travail de la gauche ! C’est la gauche qui fait voter des compensations pour les salariés, c’est la gauche qui favorise le volontariat et le consacre dans la loi et le droit du travail, c’est la gauche qui promeut la réversibilité, c’est la gauche qui prévoit de dispenser les femmes enceintes de travail de nuit et de les affecter à d’autres postes sans délai particulier. C’est la gauche qui défend les mesures de justice sociale que nous sommes fiers de vous présenter aujourd’hui ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 71 (suite)

M. le président. Nous en venons aux amendements à l’article 71.

La parole est à Mme Laurence Abeille, pour soutenir l’amendement n1326.

Mme Laurence Abeille. Les cas visés par l’article L. 3132-20 du code du travail sont de nature exceptionnelle ou, à tout le moins, ponctuelle. Une entreprise peut demander une dérogation pour effectuer une mise à jour ou une migration de son système informatique qui ne peut bien sûr pas être réalisée pendant que l’entreprise est en pleine activité. Une dérogation peut dans d’autres cas être accordée pour qu’une autre entreprise puisse s’installer pour un salon.

Ces cas ne posent pas de problème et les dérogations qui sont visées ici ne font pas l’objet de conflits. Il est difficile de comprendre que la durée des dérogations prévues pour ces cas ponctuels ait été fixée à trois ans. Cette durée nous semble d’ailleurs bien trop longue. C’est la raison pour laquelle nous proposons par cet amendement de la ramener à un an.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Cet amendement propose de fixer la durée des autorisations préfectorales individuelles non pas à trois ans, comme le prévoit le projet de loi, mais à un an. Une telle durée ne paraît pas adaptée à la diversité des activités économiques concernées par ces dérogations, madame la députée.

En effet, contrairement à ce que vous présupposez dans votre amendement, les dérogations accordées à ce titre ne sont pas toujours d’ordre ponctuel. Elles peuvent parfois concerner de manière structurelle certaines activités : c’est ainsi le cas pour les commerces situés en bordure de zone commerciale ou de zone touristique, qui sont à même d’établir que l’obligation de fermeture dominicale leur porte préjudice en créant des distorsions de concurrence. Ce fut souvent le cas pour les magasins de bricolage par le passé, pour lesquels le dépôt chaque année d’une demande de renouvellement de l’autorisation n’aurait guère de sens.

Je vous propose donc d’en rester à la rédaction actuelle du texte s’agissant de la durée pour laquelle une telle autorisation dérogatoire est octroyée. L’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

(L’amendement n1326 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général, pour soutenir l’amendement n2655.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement de précision. La consultation, le cas échéant, de l’établissement public de coopération intercommunale dont la commune est membre ne concerne que les EPCI à fiscalité propre. Les EPCI sans fiscalité propre – les syndicats intercommunaux à vocation unique ou à vocation multiple, les SIVU ou les SIVOM, lesquels sont par ailleurs en voie de disparition – ne sont pas visés par l’alinéa.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.

(L’amendement n2655 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Travert, rapporteur thématique, pour soutenir l’amendement n2023.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. L’objet de cet amendement est d’autoriser à se passer de la consultation des différents acteurs en cas de situation d’urgence. Il propose en effet d’adapter la procédure de demande individuelle d’autorisation de déroger au repos dominical adressée au préfet à la diversité des situations.

Si ces demandes peuvent émaner de commerces, et c’est la majorité des cas, elles peuvent également relever d’autres activités et sont parfois accordées pour répondre à une urgence, par exemple la nécessité de terminer des travaux de chantier. Il est donc proposé que, dans un tel cas d’urgence dûment justifiée, il ne soit pas requis du préfet qu’il consulte le conseil municipal, le cas échéant l’EPCI, non plus que les chambres consulaires et les partenaires sociaux concernés de la commune.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je profite de la discussion du dernier amendement sur cet article pour faire plusieurs remarques, tout d’abord sur l’article en tant que tel, puis sur les différentes interventions des orateurs qui s’étaient inscrits. Nous laisserons le vote sur cet article se dérouler sereinement.

J’aimerais tout d’abord faire à nouveau deux remarques de forme sur l’alinéa 3 de l’article. Je vous le répète : la métropole de Lyon n’est pas visée par le texte ; si nous avions des collègues lyonnais présents dans cet hémicycle, peut-être le préciseraient-ils. La mention « établissement public de coopération intercommunale » n’inclut pas, en l’état actuel du droit sur les métropoles, la métropole de Lyon, qui n’a pas le statut d’EPCI. Je ne sais pas comment le formuler autrement. Voilà qui est dit.

Mme Audrey Linkenheld. Et vous l’aviez déjà dit !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxième remarque : s’agissant de la mention « le cas échéant, de l’établissement public de coopération intercommunale dont la commune est membre », elle n’est pas pertinente, car il y en a toujours au moins un. Je le signale au passage, m’interrogeant sur le caractère superfétatoire de cette formulation.

Sur le fond, mes chers collègues, le débat que nous entamons maintenant sur le travail dominical est compliqué. On a tout entendu, y compris – et on en est heureux – que la gauche s’intéresse au sort des salariés. Figurez-vous qu’il arrive aussi aux élus siégeant du côté droit de l’hémicycle de s’en préoccuper – je le signale afin que ce soit dûment inscrit au compte rendu – et je remercie M. Goldberg de nous en faire le crédit.

Ce débat est compliqué, disais-je, car il met en jeu trois libertés, qu’il s’agit d’articuler : la liberté de commercer, pour celui qui a une entreprise, la liberté de travailler ou non, ce qui signifie d’ailleurs que l’on ne peut y être contraint, et la liberté de consommer pour celui qui le souhaite. En principe, personne ne s’oppose à aucune de ces trois libertés, personne ne s’oppose à ce que ceux qui veulent en jouir – je reprends à mon compte, s’il me le permet, la distinction faite par Benoît Hamon tout à l’heure – le puissent, même de manière proactive. La question est de savoir dans quel ordre on les place.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, j’ai bien entendu que vous essayiez de rassurer l’ensemble des Français, en leur disant que le fait de passer de cinq à douze dimanches ne constituait pas une révolution, que cela ne bouleverserait pas la civilisation, que cette mesure serait appliquée avec justice grâce au volontariat et au doublement du salaire – lequel, je le dis au passage, ne figure pas dans le texte. Comment pouvez-vous vouloir favoriser une mécanique d’accords de branche, de groupe ou d’entreprise tout en imposant le contenu de ces accords s’agissant du doublement du salaire ? Je ne vois pas pourquoi, dans ces conditions, vous exigez qu’un accord soit conclu, mais vous expliquerez tout cela, le moment venu, aux partenaires sociaux. Cela ne relève plus de notre débat.

Sur le fond, nous ne contestons pas qu’il y ait une difficulté d’articulation de ces libertés. J’avais participé de manière suffisamment active – et dans un sens qui est connu ici – aux débats sur la loi Mallié pour assumer complètement ce texte et ne pas en méconnaître les imperfections.

Mais je m’étonne aujourd’hui de deux de vos affirmations. Premièrement, vous dites aux Français que le fait de passer de cinq à douze dimanches, même s’il ne s’agit là que d’une faculté, constitue une avancée sociale, car les effets de cette mesure sont contrecarrés par certains dispositifs – qui, je le rappelle, ne figurent pas dans le texte. Deuxièmement, vous prétendez que, par ce texte, vous réglerez la question du volontariat, alors qu’elle ne peut pas l’être, pour une raison très simple, évidente, à moins de considérer que la notion de lien de subordination n’a plus de sens.

M. Pascal Cherki. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est quand même pas à la gauche française que je vais rappeler que le contrat de travail est caractérisé par un lien de subordination. Les bras m’en tombent ! Acceptez le fait que la notion de volontariat est nécessairement limitée, restreinte, plus que fragile : vouloir asseoir des pratiques sociales sur ce seul principe est aventureux et le propre de l’aventure est que l’on ne sait pas comment cela se termine.

L’ouverture cinq dimanches par an qui existe aujourd’hui dans le droit positif n’est pas obligatoire mais à la discrétion de ceux qui sollicitent cette possibilité d’ouvrir : aucun commerce n’est contraint d’ouvrir cinq dimanches par an, dans aucune ville de France. En donnant la faculté de pouvoir ouvrir douze dimanches, vous ne ferez rien d’autre que de faire peser sur les salariés concernés des contraintes qu’ils ne choisiront pas. Beaucoup d’entre eux, de par leur situation professionnelle, n’ont pas de réelle liberté de choix, c’est aussi simple que cela. Ne le niez pas, la réalité est celle-là.

Je comprends bien que les commerçants de la ville d’à côté, constatant que les commerces sont ouverts dans la commune voisine, demanderont à pouvoir faire de même. Tout cela existe, mais je vous ferai remarquer, mes chers collègues, que nous discutons quelque peu à front renversé : nous tenions exactement les mêmes débats il y a six ans, à ceci près que c’est de l’autre côté de l’hémicycle qu’on entendait les arguments que je suis en train d’exposer. J’étais à l’aise, puisque ces arguments étaient aussi les miens.

Un intervenant demandait tout à l’heure ce qui avait changé depuis 2009. La réponse est : rien.

M. Bernard Roman. La majorité, quand même !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le développement de l’e-commerce et de l’achat en ligne dans les habitudes des consommateurs n’a pas réglé le problème des disparités territoriales : il ne les a pas réduites, il n’a pas empêché que les activités commerciales se concentrent dans telle ou telle région, et ce problème n’a pas été réglé et ne le sera pas davantage, il n’a pas changé le fait qu’un salarié ne peut pas être pleinement volontaire – fût-il protégé par un accord de groupe, de branche ou d’entreprise. Tout cela n’est pas vrai, je le répète, même si vous prétendez le contraire et affirmez qu’il n’y a aucun danger. Vous dites, monsieur le rapporteur, que cette mesure est symbolique, et c’est bien là le seul point sur lequel vous ayez raison car c’est en effet bel et bien symbolique. Vous dites que cette mesure n’aura pas de conséquences si graves que cela, car tout est réglé, mais sur ce point-là, ce n’est pas vrai, c’est de l’illusion.

Mes chers collègues de la majorité, monsieur le ministre, nous vous redisons que personne ici, en tout cas sur les bancs de l’UMP, ne pense que vous avez décidé, comme cela peut exister dans le cadre du body shopping – activité bien connue d’un certain nombre de grands cabinets de conseil, à Paris ou ailleurs – de transformer en chair à masse salariale les salariés qui seront contraints de travailler le dimanche : personne ne dit ça. Nous disons simplement qu’avec ces dispositions, vous entrebâillez une porte, vous l’ouvrez même beaucoup plus grand que vous ne le dites et vous ne protégerez pas les salariés par la loi, quoi que celle-ci contienne, contre un certain nombre de choses qu’au fond, sans doute, vous ne voulez pas. C’est d’ailleurs ce que vous rappellent, comme nous, un certain nombre de députés de la majorité. Je vous le redis : nous avons déjà discuté de ces sujets il y a quelques années ; M. Paul était déjà là, installé un peu plus bas et un peu plus à gauche qu’il ne l’est aujourd’hui, ce qui relève sans doute du hasard (Sourires.) Nous avons déjà eu ces échanges avec beaucoup d’entre vous. Je vous le répète : si vous pensez que les circonstances et les modalités ont changé depuis 2009, vous vous trompez. Voilà ce que nous vous disons : les dispositions de votre texte comportent, pour la France et un certain nombre de salariés, des dangers que vous ne contrecarrerez pas.

Enfin – je l’ai dit en commission à une heure tardive et je vais le redire ici pour que cela figure bien au compte rendu –, tout cela n’existerait pas s’il n’y avait pas à régler le problème de Paris.

M. Christophe Caresche. Vous l’avez dit et vous le redites !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est aussi simple que cela. J’observe en effet que dans beaucoup de villes de France, la mécanique des zones touristiques permet de donner satisfaction aux commerces et aux élus locaux. Elle existe déjà.

M. Jean-François Lamour. À Paris aussi !

M. Jean-Frédéric Poisson. S’il faut inviter la majorité du Conseil de Paris à prendre ses responsabilités, faites-le, mais ne prenez pas en otage le Parlement pour régler de manière détournée quelque chose qui relève de plein droit de la responsabilité des élus locaux dans l’état actuel du texte. Voilà ce que je souhaitais dire afin d’éclairer l’ensemble des positions que le groupe UMP adoptera sur les différents articles ayant trait à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Je vous remercie, monsieur Poisson, de votre remarque au sujet de la métropole de Lyon. Monsieur le ministre, nous en avions déjà parlé en commission spéciale, et j’avais appelé votre attention sur ce sujet, cette métropole n’étant ni un EPCI ni une commune. Vous m’aviez répondu que le texte serait revu afin d’y intégrer systématiquement la métropole de Lyon, qui présente la particularité d’être une collectivité unique en France, et qui doit donc être citée en tant que telle pour que les mesures prises lui soient applicables. J’appelle à nouveau votre attention sur cette question, afin que cela puisse être corrigé.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. N’étant pas sûre d’avoir parfaitement compris l’amendement du rapporteur, je souhaiterais lui poser une question très pratique : lorsque l’avis des organisations syndicales intéressées de la commune ne sera pas requis, comment s’appliquera l’accord qui, si j’ai bien compris, est rendu obligatoire pour toutes les dérogations aux règles sur le travail dominical ? Je me pose la question surtout lorsque, le cas échéant, cette dérogation trouvera à s’appliquer pour la première fois. J’ai bien entendu l’exemple que vous avez pris d’une dérogation accordée pour terminer des travaux de chantier, et je suppose que, dans ce cas de figure, l’entreprise concernée ne sollicite pas une dérogation pour la première fois. Pourriez-vous préciser ce qu’il arrivera quand il s’agira d’une dérogation pour la première fois ?

Par ailleurs, en termes rédactionnels, ne faudrait-il pas remplacer le mot « lorsque » par les mots « à condition » ? Je comprends bien que c’est lorsqu’il y a à la fois urgence dûment justifiée et un nombre de dimanches inférieur à trois que l’avis n’est pas requis, mais, dans la rédaction actuelle, on pourrait croire que le « et » a le sens de « ou ». Il me paraîtrait préférable d’écrire « en cas d’urgence dûment justifiée et à condition que le nombre de dimanches (…) »

M. le président. La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. Je souhaiterais réagir aux propos de mon collègue Jean-Frédéric Poisson. Le problème parisien est déjà résolu, techniquement parlant. Les zones touristiques existent, même si elles doivent certainement être aménagées. C’est tout simple, nul besoin de passer par la loi. C’est un sujet que nous avions évoqué lors de la discussion de la proposition de loi Mallié. Ces zones touristiques peuvent être étendues jusqu’aux grands boulevards, voire à d’autres secteurs – on en a cité quelques-uns : Bercy, le XIIIe arrondissement. La création des PUCE, les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, a permis de faire un pas vers celles et ceux qui avaient besoin de garanties sociales.

J’ai bien entendu la discussion qui a eu lieu tout à l’heure, en particulier s’agissant des femmes seules qui seraient dans l’obligation de travailler le dimanche. Le volontariat sera peut-être inscrit dans la loi mais, on le sait, il revêt un caractère purement virtuel, quand on sait la difficulté qu’il y a à trouver un travail. Il est donc nécessaire d’offrir un accompagnement social pertinent, qui s’inscrive dans la durée.

Mais, je le répète, les dispositifs existent déjà pour Paris. Ce qui bloque est que Mme Hidalgo, comme l’avait en son temps fait son prédécesseur Bertrand Delanoë, refuse d’ouvrir ce débat. Un excellent rapport d’information a été présenté il y a quelques jours devant le Conseil de Paris, qui est allé au fond des choses et comportait une proposition, reprise par notre collègue Frédéric Lefebvre tout à l’heure, à savoir faire de Paris une zone touristique unique, dispositif auquel je ne suis pas très favorable, en particulier s’agissant des arrondissements périphériques de Paris, où les petits commerces souffrent déjà beaucoup et – notre collègue Pascal Cherki le sait – ne peuvent que difficilement s’adapter.

M. Pascal Cherki. C’est juste !

M. Jean-François Lamour. Ces petits commerces seraient à mon avis mis en grande difficulté si des groupes venaient installer, en particulier dans l’alimentaire, des succursales qu’ils pourraient ouvrir le dimanche sans aucun problème.

Ce qui me navre, notre collègue Poisson a raison, est que l’on soit obligé de discuter à nouveau d’un cadre législatif, alors qu’il aurait suffi qu’au sein du Conseil de Paris, nous nous ouvrions à quelques évolutions de bon sens, à quelques évolutions en matière géographique. Monsieur le ministre, vous les connaissez, vous avez d’ailleurs commencé à les rappeler, lors de plusieurs débats, notamment en commission. Je pense qu’on va les voir à nouveau apparaître, parce que vous êtes vous-même dans l’obligation d’imposer par la loi des zones touristiques internationales. On est un peu à la limite de l’exercice. La situation de Paris aurait pu être réglée depuis bien longtemps. Cela nous aurait peut-être fait gagner du temps, monsieur le ministre, dans le cadre de l’examen de votre projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Je confirme ce que vient de dire mon collègue. De fait, la loi Mallié permet déjà beaucoup en matière de zones touristiques ; elle permet, avec un bon accord, de définir des zones touristiques dans lesquelles les commerces peuvent être ouverts le dimanche. Elle permet aux maires d’imposer, s’ils le souhaitent, que la compensation accordée aux salariés soit pleine et entière.

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce n’est qu’une possibilité.

M. Gilles Lurton. Monsieur le ministre, en commission spéciale, je vous ai cité l’exemple de la ville de Saint-Malo, dont je ne suis pas maire, contrairement à ce qui figure dans le compte rendu de la commission spéciale, mais dont j’ai été adjoint au maire. Dans cette ville, le maire a imposé d’emblée un accord collectif, en vertu duquel l’ouverture des commerces dans la zone touristique est conditionnée à l’octroi d’une compensation pleine et entière pour les salariés. C’est ce qui s’est passé, et cela fonctionne très bien.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je vais saisir cette occasion pour clarifier un ou deux points techniques et, peut-être, apporter des réponses ou, à tout le moins, faire quelques commentaires à la suite des différentes interventions qui ont eu lieu sur l’article. D’abord, je veux dire à M. Poisson que nous avons procédé à des vérifications auprès du ministère de l’intérieur pour ce qui concerne la métropole de Lyon ; cette dernière fait l’objet de l’article L. 3611-4 du code général des collectivités territoriales, aux termes duquel – je cite : « pour l’exercice de ses compétences, la métropole de Lyon dispose des mêmes droits et est soumise aux mêmes obligations que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ». Voilà pourquoi elle n’a pas été mentionnée dans ce texte.

Monsieur Blein, il ne s’agit donc pas d’un oubli. C’est le fruit d’une analyse juridique conduite, à la suite d’ailleurs des remarques que vous aviez formulées en commission spéciale, et dont je vous remercie.

Permettez-moi de revenir sur quelques points que vous avez mentionnés, de manière très concrète, dans le droit fil de ce que le rapporteur général et le rapporteur thématique ont très bien dit tout à l’heure, pour clarifier le débat et remettre en perspective le texte.

D’abord, si la loi Mallié avait vraiment tout réglé, nous ne serions pas là en train de discuter. Avoir combattu la loi Mallié n’est en aucun cas contradictoire avec le fait de présenter ce texte. Qu’était-ce en effet que la loi Mallié ? Une heure supplémentaire d’ouverture des commerces alimentaires le dimanche. Un régime dérogatoire accordé aux zones touristiques autorisant le travail le dimanche sans qu’il y ait de compensation prévue, j’y insiste, par la loi – car c’est une source systématique de confusion : ainsi, monsieur Lurton, s’il a été décidé à Saint-Malo qu’il y aurait une compensation, cela n’est aucunement garanti par la loi. La création des périmètres d’usage de consommation exceptionnels – les PUCE –, quarante et une zones extra-urbaines de grands commerces, dans lesquelles on a imposé de passer un accord ou, à défaut, de payer double les heures effectuées, ce qui a provoqué le « détricotage » des centres commerciaux. C’est cela la loi Mallié : une loi qui a entraîné le détricotage du commerce de centre-ville, qui n’a pas instauré d’égalité de traitement entre les salariés, par exemple en prévoyant une règle de compensation systématique, et qui, dans certaines zones, a banalisé le travail du dimanche, avec cinquante-deux dimanches travaillés dans les zones touristiques et les PUCE. Et il existe actuellement 640 zones touristiques de notre pays, soit 640 zones où il n’existe aucune obligation légale de compensation ! Voilà la situation dont nous parlons.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est vrai.

M. Emmanuel Macron, ministre. Et voilà ce que vient corriger ce texte ; l’obligation légale, il l’apporte. Car que voulons-nous faire, à travers ce texte ? Nous voulons uniformiser…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien ça le problème !

M. Emmanuel Macron, ministre. …et systématiser les règles de compensation, et cela dans une volonté de protection, monsieur Poisson – contrairement à ce que vous avez dit.

Cela passe par le principe du volontariat – mais je ne veux pas donner à celui-ci plus d’importance qu’il ne doit en avoir. Certes, il est fondamental et inscrit dans le droit du travail, et se concrétise par une signature réitérable chaque année, mais vous avez raison, l’asymétrie de la relation entre le salarié et l’employeur fait qu’il ne correspond pas toujours à une réalité. J’en ai pleinement conscience.

Mais le principe essentiel, et totalement nouveau, c’est, pour toutes les formes de travail dominical – dimanche du maire, zone touristique, zone commerciale, zone touristique internationale –, l’obligation de conclure un accord, de branche, de territoire ou d’entreprise. Sans accord, pas d’ouverture : voilà la garantie, et voilà le changement.

M. Gérard Cherpion. Bisounours !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous savez bien comment ça va se passer !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce sont ces accords qui fixeront les règles de compensation : voilà l’avancée, et voilà la justice.

M. Jean-Frédéric Poisson. Approche purement théorique !

M. Emmanuel Macron, ministre. Non, monsieur Poisson, ce n’est pas une approche théorique. Et oui, monsieur Baumel, c’est une approche pleinement sociale-démocrate.

M. Jean-François Lamour. Oh ! Ce n’est pas un gros mot ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce texte ne prévoit pas d’abolir les règles. La loi définit des règles ; mais ma conviction profonde – notre conviction –, c’est que la loi ne doit pas définir tous les cas de figure. Il convient de donner aux élus la liberté de décider ce qui est bon pour eux. C’est pourquoi la règle des douze dimanches, avec consultation de l’EPCI au-delà de cinq dimanches travaillés, est une bonne règle ; et c’est pourquoi j’ai accepté en commission spéciale que l’on revienne sur le système des cinq dimanches obligatoires, qui allait dans un sens contraire.

Liberté est aussi donnée aux partenaires sociaux de fixer, au niveau de la branche, de l’entreprise ou du territoire, les règles de compensation. Monsieur Hamon, j’ai pris bonne note que vous souhaitiez que les compensations soient définies par la loi. Nous en avons longuement débattu au sein du Gouvernement. Dans la première mouture du texte, on avait d’ailleurs défini un seuil applicable en l’absence d’accord. Or, si l’on veut harmoniser les règles et les protections, il ne faut pas fixer de seuil. Pourquoi ? Parce que si l’on en fixe un, on prévoira la même chose que pour les PUCE, c’est-à-dire un doublement du salaire. Non seulement cela n’incitera pas à conclure un accord, mais surtout le doublement est quasi-mortel dans les centres-villes et dans beaucoup de zones touristiques, car nombre des commerces qui ouvrent le dimanche ne peuvent pas payer des heures doubles.

M. Gérard Cherpion. Évidemment !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ils paieront 30 à 40 % de plus.

Quand on est social-démocrate, on l’est jusqu’au bout. Il y aura donc certains territoires où il n’y aura pas d’ouverture le dimanche, faute d’accord.

M. Jean-François Lamour. Eh oui !

M. Pascal Cherki. Fixez un seuil !

M. Emmanuel Macron, ministre. Et vous savez quoi, monsieur Cherki ? Si c’était aussi simple que vous le dites, il n’y aurait pas dans la presse, à longueur de colonnes, toutes ces plaintes de grands magasins, de grands distributeurs, qui jugent que le texte ne va pas assez loin. Et qu’est-ce qui les gêne ? La règle de l’accord. Vous le savez fort bien : ne soyez pas hypocrite !

Nous allons jusqu’au bout de cette logique, parce que cet accord d’entreprise, de branche ou de territoire est la meilleure protection pour les salariés, ce qui permet de définir les règles de compensation au plus près du terrain. Je partage votre philosophie, monsieur Hamon, et c’est précisément pourquoi nous avons pris ce risque – parce que c’en est un. Notre ambition est de créer de l’activité là où il peut y en avoir, de saisir les opportunités d’activité et d’emploi partout où c’est pertinent. Peut-être se retrouvera-t-on dans des situations de blocage, où faute d’accord, il n’y aura pas d’ouverture dominicale. Nous en assumons le risque. Et je le dis d’ores et déjà : je retirerai l’amendement du Gouvernement relatif à l’approbation de la décision unilatérale de l’employeur par référendum, afin de suivre cette logique jusqu’au bout et de rester cohérent. Nous prenons ce risque, parce que nous faisons un choix social-démocrate,…

M. Jean-François Lamour. Encore ! Et toujours pas de réactions !

M. Emmanuel Macron, ministre. …qui n’est pas celui d’une absence de règles. On ne peut pas dire cela : c’est faux.

Nous pensons en revanche que dans les territoires, les élus sont plus à même que le législateur ou que le Gouvernement pour décider où il est bon de créer de l’activité. C’est précisément l’un des problèmes, non pas de la loi Mallié, mais du droit existant.

Pourquoi passer de cinq à douze dimanches ? D’abord, parce qu’il y a eu un travail préalable sur le sujet – car il ne s’agit pas d’une « invention », messieurs Amirshahi et Cherki : nous ne nous sommes pas réveillés un matin, au lendemain des événements dramatiques du début du mois de janvier. En ce qui me concerne, jamais vous ne m’entendrez utiliser la gravité des circonstances ; de même, je ne considère pas que l’on puisse utiliser ce contexte pour déprécier ce débat. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs.) Il me semble que ce que nous devons, au contraire, aux victimes de ces événements, c’est de poursuivre le débat démocratique jusqu’au bout. Cela ne doit pas être une source d’intimidation ou un argument d’autorité, mais cela ne doit pas être non plus un facteur de délégitimation.

M. Laurent Baumel. Adjugé !

M. Emmanuel Macron, ministre. Merci.

Le travail en question a été lancé dès la campagne présidentielle par François Hollande lui-même, qui avait souhaité que l’on puisse concilier les différents temps de la vie, ainsi que les contraintes économiques et l’engagement qu’il avait pris concernant la loi Mallié. Sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, une mission a été confiée à M. Bailly, qui a remis son rapport en décembre 2013 ; les parlementaires se sont ensuite saisis de cette réflexion, quelques mois donc après l’élection présidentielle ; on a alors observé des dysfonctionnements sectoriels, notamment dans le bricolage, et une trentaine de villes ont fait le constat que cinq dimanches d’ouverture, ce n’était pas suffisant, surtout quand, dans leur périphérie, il y avait des PUCE ou des zones touristiques bénéficiant de cinquante-deux dimanches, mais qu’il serait toutefois néfaste pour les centres-villes de passer de cinq à cinquante-deux dimanches.

On a donc vu une ville comme Bordeaux demander le classement en zone touristique, parce que la loi n’était plus adaptée aux cadres. Savez-vous ce qu’est-elle en train de faire ? Elle revient à un dimanche par mois – soit douze dimanches. De même, Bricorama a réclamé à cor et à cri une dérogation sectorielle pour ouvrir cinquante-deux dimanches, avant de constater que c’était trop, et qu’un dimanche suffirait – soit douze dimanches.

Ce nombre ne sort donc pas du néant ! Il est le fruit d’un consensus, résultant d’un long travail sur le fond, et notamment de l’analyse conduite par M. Bailly.

La copie qui vous est présentée par le Gouvernement, non seulement a été substantiellement améliorée par les rapporteurs, mais s’inscrit donc dans une logique nouvelle, porteuse d’un cadre et de droits.

Et plutôt que de raisonner en termes de liberté « positive » ou « négative », je ferai pour ma part plutôt référence à la théorie des capacités d’Amartya Sen. Car il s’agit bien de donner aux élus la capacité de décider et de donner aux territoires – on reviendra sur la question des ZTI, qui disposent d’un traitement spécifique – la capacité de saisir de nouvelles opportunités.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ils l’ont déjà !

M. Emmanuel Macron, ministre. Pas d’ouvrir douze dimanches, monsieur Poisson, à moins que vous n’ayez pas lu la loi actuelle !

Il s’agit de donner aussi aux Françaises et aux Français la capacité de travailler, en leur apportant les protections nécessaires, des protections qui, dans de nombreux cas, n’existent pas aujourd’hui, en particulier pour les plus fragiles – et notamment les femmes, les mères de famille.

Nous l’avons fait à travers ce texte, notamment durant l’examen en commission spéciale, et des amendements permettront d’aller encore plus loin, en reconnaissant les contraintes, en imposant des obligations de reconduite jusqu’au domicile, en tenant compte des contraintes de garde des enfants. Alors oui, ce sont des avancées !

M. Jean-Frédéric Poisson. Argument à la Ségolène Royal !

M. Emmanuel Macron, ministre. À la fin des fins, on ne réglera pas par cette loi le sujet fondamental, qui sous-tend nombre de prises de positions dans cet hémicycle, à savoir la possibilité de concilier la vie de famille et la vie au travail. Ce qui est en cause, ce n’est pas le travail dominical, mais la synchronisation des temps au sein de la famille. Il s’agit de prendre en considération certaines pratiques, qui ne se limitent pas au travail, certains objets, dont nous sommes tous victimes et qui sont sans doute les premiers à endommager notre vie familiale. Il s’agit de savoir comment établir les conditions d’une meilleure synchronisation des temps familiaux. Voilà le véritable enjeu – bien davantage que de savoir si le fait de travailler le dimanche briserait ou non la vie familiale.

Je n’ai pas de religion sur le sujet. Je vous le disais tout à l’heure en aparté, madame Buffet : j’émettrai un avis favorable à votre amendement relatif aux bibliothèques. En effet, pouvoir ouvrir les bibliothèques le dimanche est un apport pour ce temps de vie, qui ne se réduit pas à du consumérisme, mais qui doit aussi permettre l’accès à la culture. Voilà l’ouverture que nous préconisons, avec les protections qui s’imposent. (Applaudissements sur certains bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le ministre, il peut m’arriver d’être en désaccord avec vous. Nous avons aussi des points d’accord – heureusement. Mais quand je ne suis pas d’accord avec vous, c’est sur le fond, et je vous dis pourquoi. Et quand vous employez des arguments qui ne me plaisent pas, je ne vous traite pas d’hypocrite ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

J’ai trouvé désobligeant de votre part que vous me traitiez d’hypocrite. Il aurait suffi que vous disiez que vous n’étiez pas d’accord avec moi et que vous vous en expliquiez sur le fond.

Comme il m’est arrivé une fois de « déraper » durant le débat à votre détriment, et de m’en excuser, j’attends que vous me rendiez la pareille.

D’autre part, personne ici n’a employé d’arguments d’autorité, ni a usé d’intimidation – on y reviendra éventuellement lors du débat sur les ZTI, où l’on découvrira, après la figure du plombier polonais, celle du touriste chinois…

J’ai simplement dit une chose à laquelle vous n’avez pas répondu – ce dont vous avez parfaitement le droit. Cela m’étonne toutefois de la part de quelqu’un qui est à la fois pragmatique et féru de philosophie – ce qui est pour moi une qualité. J’ai dit que la loi organisait l’espace économique, juridique et social d’une société, mais aussi son espace symbolique. Il y a une symbolique dans la loi. Et j’ai ajouté que du fait de ce caractère symbolique de la loi, le fait que la première grande loi examinée après le 11 janvier consiste en une extension de la consommation, donc en une apologie, au sens étymologique, de l’hyper-consommation, me paraissait décalé par rapport à ce qui était arrivé. (Protestations sur plusieurs bancs.)

M. Philippe Gomes. Assez !

M. François Loncle. C’est un argument lamentable !

M. Pascal Cherki. Cela, je l’ai dit et je le maintiens – ne vous en déplaise, mes chers collègues. Vous avez le droit d’avoir un avis différent, mais souffrez que j’exprime le mien !

Vous avez raison, monsieur le ministre, d’affirmer que ce texte apporte des améliorations – notre collègue Travert les a d’ailleurs soulignées avec chaleur. Bien sûr, il y aura des compensations. Mais ce qui nous oppose aujourd’hui, ce ne sont pas les compensations, c’est…

M. Yves Durand. L’idéologie !

M. Pascal Cherki. …le fait que vous ayez étendu le périmètre du travail du dimanche. Le rôle de la gauche eût été de prévoir des compensations dans le périmètre existant. Qu’est-ce qui justifie, politiquement, que la gauche propose une nouvelle mesure, qui consiste à faire commencer le travail de nuit à minuit ? Nous n’avons pas eu de réponse sur ce point.

En l’occurrence, nous compensons une régression que nous introduisons nous-mêmes, alors que l’objet de ce texte aurait dû être de compenser les régressions précédemment introduites par la droite.

Je veux bien que tout soit dans tout et réciproquement, mais aux collègues qui disent que ce que nous ne tolérerions pas pour les salariés du privé, nous le tolérerions pour les salariés du public, je réponds qu’on ne peut pas tout mettre sur le même plan : d’un côté, la nécessité pour une société d’avoir des commissariats et des hôpitaux ouverts sept jours sur sept ; de l’autre, aller acheter une paire de Nike dans un magasin !

Mme Jacqueline Fraysse. Évidemment !

M. Pascal Cherki. De même, certaines activités privées s’avèrent obligatoires, comme les courses alimentaires. Quand le pain occupait une place centrale dans l’alimentation des Français, il fallait éviter les émeutes de la faim ; on a donc été jusqu’à faire fixer par le préfet les dates de vacances des boulangers ! On a évolué, et c’est une bonne chose.

Le fait qu’il soit normal que des commerces alimentaires soient ouverts le dimanche jusqu’à 13 heures, que des stations-service soient ouvertes et qu’un certain nombre d’activités soient possibles ce jour-là ne doit pas servir d’argument idéologique pour étendre le domaine de la marchandisation de nos relations sociales.

Et je terminerai par quelque chose qui me paraît, j’y insiste, tout aussi important. Les dispositions que nous allons voter aujourd’hui ont, sur cette question, une dimension éminemment symbolique. Je maintiens ce que j’ai dit : pour la première fois, une majorité de gauche ne défend pas une conquête sociale, comme c’était le cas auparavant, mais elle met en œuvre des dispositions dont beaucoup représenteront une régression pour les salariés qui seront contraints de se plier aux nouvelles règles – je ne reprendrai pas l’excellente argumentation de Benoît Hamon, de Marie-George Buffet, de Daniel Goldberg, de Pouria Amirshahi ou d’autres.

Enfin, monsieur le ministre, vous dites qu’il est formidable d’ouvrir les bibliothèques le dimanche, j’en suis d’accord. Oui, il faudrait que plus de de services publics soient ouverts le dimanche. Mais avec quels moyens ? Si vous voulez que cela se fasse, commencez par rendre les 11 milliards que vous avez pris aux collectivités locales…

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Pascal Cherki. …car, si les communes n’ont pas les moyens de financer ces ouvertures, elles seront obligées d’augmenter leurs impôts locaux.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vous remercie, monsieur le ministre, de chercher, minute après minute, à convaincre, mais, malgré l’énergie que vous déployez, ce sera compliqué. Je suis assez sensible aux arguments qui viennent d’être développés.

M. François Loncle. Cela, c’est de l’hypocrisie !

M. Jean-Frédéric Poisson. Non, ce n’est pas de l’hypocrisie, monsieur Loncle ! Si vous assistiez au débat depuis le début, vous le sauriez. Au bout du compte, le reproche que nous vous faisons, c’est de considérer que la liberté des salariés, parmi les trois libertés que je mentionnais tout à l’heure, vient en dernier.

M. Emmanuel Macron, ministre. Non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr que si ! Elle vient en dernier ! Vous privilégiez en réalité la liberté des consommateurs et celle des commerçants par rapport à la liberté des salariés. Voilà le problème de fond !

M. Christophe Caresche. Vous vous êtes trompé de banc, monsieur Poisson !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous êtes pris dans une nasse – et, chère Madame Fraysse, les Poisson s’y connaissent, en matière de nasse, si je peux me permettre cette plaisanterie. (Sourires.) Très franchement, je ne vois pas comment vous pouvez en sortir. Vous cherchez désespérément à instaurer des compensations, mais vous ne les trouverez pas.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Il faudra un accord préalable !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais enfin, monsieur Brottes, l’accord préalable, comment cela va se passer ? Vous rêvez ou quoi ?

M. Marc Le Fur. Vous n’y croyez pas vous-même, monsieur Brottes !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous imaginez une seconde comment on va signer un accord d’entreprise, dans un commerce où il y a trois personnes ? Faut-il vous l’expliquer en détail ? Qu’est-ce que vous racontez ? C’est très curieux, cette manière de voir !

Votre approche est complètement théorique, monsieur le ministre. Je vous le dis, cela ne marchera pas.

M. Emmanuel Macron, ministre. Sur le temps partiel, il n’y a pas eu d’accord ! Vous êtes en complète contradiction avec vous-même.

M. le président. La parole est à M. Poisson et à lui seul.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’autorise parfaitement le ministre à m’interrompre s’il le souhaite, monsieur le président !

M. le président. C’est moi qui préside, quand même, mais allez-y, monsieur le ministre. (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le député Poisson, votre propos pessimiste ne me semble pas cohérent avec ce que nous avons collectivement observé à propos du temps partiel, et qui, à plusieurs reprises, a suscité des reproches de la part de plusieurs d’entre vous. S’il était si facile d’obtenir en toutes circonstances un accord de branche, cela ne se serait pas passé de la sorte. Donc, oui, la négociation de branche peut échouer, et, oui, nous aurons des situations de blocage. C’est évident.

M. le président. J’ai l’impression, monsieur Poisson, que vous voulez reprendre la parole…

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, il faut comparer ce qui est comparable. Vous comparez un accord national interprofessionnel sur le temps partiel, alors que, moi, je vous parle de l’accord que vont signer dans leur boutique deux employés avec leur employeur boulanger ou autre commerçant. C’est ainsi que cela va se passer ! Si vous imaginez une seule seconde qu’on acceptera partout, dans tous les commerces de France, de payer double, avec la crainte de devoir fermer un certain nombre de commerces, mais enfin, vous rêvez ! Il n’y aura jamais de compensation, jamais de double salaire ! C’est un mensonge ! Cela n’arrivera pas, et j’en prends le pari ici.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Bien sûr que si !

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président Brottes, vous êtes exaspéré. Je vous comprends : c’est sans doute la fatigue, mais parlez avec les employeurs. Vous verrez ce qui se passera.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Ce qui se passera, c’est l’application de la loi !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le texte ne prévoit pas de doublement du salaire, monsieur le président Brottes. Cela n’y figure pas. Ne venez pas me dire le contraire !

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Ce sera dans l’accord de branche !

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, eh bien, vous verrez… On comptera les accords de branche.

Votre approche est purement théorique. Au bout du compte, puisque vous ne fixez pas de seuil de compensation mais cela serait antinomique avec la logique d’un accord – c’est ce que nous ne cessons de vous dire –, les salariés ne seront absolument pas protégés. Mais il est vrai que vous avez fait passer leur liberté au troisième rang, après celle des commerçants et des consommateurs. C’est ce que nous contestons, dût-ce cela vous insupporter à ce point, monsieur Loncle.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Travert, rapporteur thématique.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Avant que l’on ne vote sur l’amendement, je réponds à la question de Mme Linkenheld. Le mot « et » figure dans le texte de l’amendement n2023. Il faut donc bien que soit remplie une double condition pour que ces exceptions au repos dominical soient autorisées.

(L’amendement n2023 est adopté.)

(L’article 71, amendé, est adopté.)

Article 72

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je serai brève, car j’aurai l’occasion de défendre des amendements pour préciser ce que sont les zones touristiques internationales, régime nouveau créé par ce projet de loi et très dérogatoire, comparé à celui proposé pour les zones commerciales et les zones touristiques.

Vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le ministre : vous avez fait en sorte, vous-même et surtout les rapporteurs, que les dérogations au repos dominical dans les zones commerciales ou touristiques donnent lieu à des compensations, ce qui, dans un premier temps, n’était pas prévu. Cependant, le régime de la zone touristique internationale ne bénéficie pas du même encadrement, et le texte n’est pas du tout aussi précis.

Les amendements que j’aurai l’occasion de défendre visent donc d’abord à ce que des critères précis définissent ce qu’est une zone touristique internationale – c’est bien le moins quand il est proposé de permettre d’y ouvrir cinquante-deux dimanches par an et tous les soirs jusqu’à minuit. Il faut donc des critères, des compensations, et il me semble également indispensable de prévoir que les élus locaux, les maires, soient étroitement associés – on ne comprendrait pas qu’il en aille différemment dans les zones touristiques internationales que sur le reste du territoire. Je n’irai pas plus loin pour l’instant, puisque mes amendements me permettront de développer ces différents points.

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le président, monsieur le ministre, William Shakespeare écrivait qu’il n’est pas de vie si sainte qui n’affiche des dehors de vertu. Je ne parle pas des personnes, je parle du contenu. Comment est née cette affaire de zones touristiques internationales ? Nous avons un ministre au portefeuille élargi…

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce n’est pas moi ! (Sourires.)

M. Pascal Cherki. …qui, tout d’un coup, s’est pris de passion pour la question du tourisme. Nous avons déjà eu un avant-goût de ce débat lorsque nous avons examiné les articles relatifs à la taxe de séjour en loi de finances. Une certaine conception de la promotion touristique conduisait finalement à protéger les palaces, alors que nous, élus de gauche, avions la volonté d’y appliquer une taxe de séjour – exorbitante ! – de huit euros.

Et voici maintenant que certains se sont mis en tête l’idée qu’il faudrait à tout prix éviter que ne fuie le touriste chinois, et qu’il faut donc créer des zones touristiques internationales, par un privilège régalien, un fait du prince, sans demander leur avis aux élus.

Cela me rappelle le débat que la directive Bolkestein avait suscité en son temps, en 2005, par sa défense de la libéralisation et de la concurrence libre et non faussée. On nous disait à l’époque que nous avions besoin du plombier polonais, parce qu’on ne trouvait plus de plombiers en France !

On nous dit que ce touriste chinois arrive avec des valises, des mallettes pleines de billets et que, si nous n’ouvrons pas les magasins le dimanche, il partira à Londres. Billevesées ! Les tour-opérateurs expliquent fort bien que le touriste chinois, très sympathique au demeurant, peut choisir beaucoup de destinations, mais il n’ira pas à Londres, pour la bonne et simple raison qu’il lui faudrait un visa, Londres étant hors espace de Schengen. Le touriste chinois rechigne donc, c’est normal, à se rendre à Londres pour un court séjour. Et quand il va à Londres, généralement, il y reste.

Le problème est intéressant, et je vous invite à lire les conclusions des travaux de la mission d’information du Conseil de Paris qui s’est penchée sur le sujet. Elles sont assez éclairantes.

Ensuite, comment capte-t-on le pouvoir d’achat, le contenu du porte-monnaie du touriste chinois ? Parce que ce n’est pas au consommateur français mais bien au touriste chinois que l’on s’intéresse dans les zones touristiques internationales. Quand on discute avec les représentants des organisations de salariés – nous les avons auditionnés dans le cadre de la mission d’enquête que nous avons conduite au niveau de la ville de Paris –, que disent-ils ?

Les tour-opérateurs reçoivent des commissions des grands magasins afin de rabattre les touristes présents sur le territoire parisien. Et finalement que se passe-t-il ?

M. François Brottes, président de la commission spéciale. Il découvre le monde, là ?

M. Pascal Cherki. Si vous créez des zones touristiques internationales, par effet boule de neige, vous allez être obligés de traiter tous les grands magasins de la même façon : en effet, vous donnez à ceux qui seront ouverts le dimanche un avantage concurrentiel que les autres vont réclamer. Si vous créez une zone touristique internationale sur les grands boulevards – j’y reviendrai plus tard –, vous serez obligés d’en créer une dans le quartier du Bon Marché, puis dans celui de la Samaritaine, puis autour de tous les grands magasins. Sinon, certains se demanderont pourquoi ils sont, d’une certaine manière, discriminés par le Gouvernement. Or le Gouvernement ne veut pas se fâcher avec les propriétaires des grandes enseignes, puisque c’est sous leur pression qu’il a décidé de créer ces zones. De fil en aiguille, vous le verrez, on fera de Paris une immense zone touristique internationale, sans régler en rien le fait que ce qui rabat les touristes chinois dans les grandes enseignes, c’est le montant des commissions que les patrons de ces enseignes versent aux tour-opérateurs. On n’est pas là dans un rapport poétique mais dans un rapport marchand, mercantile – cela existe et c’est même tout à fait normal.

Par ailleurs, avant qu’on ne fasse de 80 % du territoire parisien une immense zone touristique internationale, avez-vous vérifié, monsieur le ministre que la population parisienne était favorable à ce qu’on transforme sa ville en Disneyland du shopping le dimanche ? Moi, j’ai cru comprendre que les représentants parisiens, dans leur écrasante majorité – il y a quelques exceptions ici, qui s’exprimeront –, avaient un avis un peu différent. Si vous aviez écouté les débats au Conseil de Paris…

D’ailleurs, je suis très heureux que notre collègue Lamour insiste sur le fait qu’on n’a pas besoin de passer par la loi pour avancer. Pour notre part, nous disons deux choses : bien sûr qu’il y a besoin de faire évoluer quelques zones. Par exemple, le Marais est aujourd’hui classé en zone PUCE, mais il se trouve qu’une rue se trouve exclue des critères de définition. De cela, on peut discuter, tout comme pour un certain nombre d’autres zones. Mais pourquoi cela devrait-il être tranché par le fait du prince,…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce n’est pas le prince, c’est le Parlement !

M. Pascal Cherki. …en vertu d’un privilège régalien ? Pourquoi est-ce dans un bureau, au Quai d’Orsay ou à Bercy, qu’on décréterait, tout d’un coup, ce qui est bon pour Paris ?

S’agissant des salariés, je n’en dirai pas plus. Notre collègue Mazetier a dit un certain nombre de choses très importantes. Des amendements ont été déposés. En matière d’amour, monsieur le ministre, ce qui compte, ce sont les preuves, pas les déclarations.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. C’est un expert qui parle !

M. Pascal Cherki. C’est lorsque nous débattrons de notre amendement portant sur le montant de la compensation salariale horaire que nous verrons si, finalement, le droit du salarié à une compensation n’est pas un mot creux.

Monsieur le ministre, vous avez dit, j’ai noté ce propos religieusement, quoique d’un point de vue laïc (Sourires.) : « Je souhaite donner aux élus la liberté de ce qui est bon pour eux. » Voilà mot à mot ce que vous avez dit. Eh bien, monsieur le ministre, si c’est le cas, supprimons l’article 72 et qu’on laisse les élus décider !

Certes, nous pouvons avoir besoin de l’avis éclairé du Gouvernement. Nous ne prétendons pas détenir la vérité, mais nous disposons d’un certain nombre de données objectives. Si les services du tourisme de la ville de Paris, l’office du tourisme, étaient si mauvais que cela, alors Paris ne serait pas l’une des premières destinations touristiques du monde ! Je pense, au contraire, que jusqu’à présent nous ne nous sommes pas trop mal débrouillés. Nous n’en sommes pas moins disposés à écouter les conseils éclairés du Gouvernement. Nous sommes d’accord avec l’état d’esprit dont vous avez fait preuve, monsieur le ministre, en disant : « Je veux donner aux élus la liberté de ce qui est bon pour eux. »

M. Jean-François Lamour. Ça c’est vrai !

M. Pascal Cherki. J’espère, monsieur le ministre, que vous n’en resterez pas aux effets de tribune. Prouvez-le ! Laissez donc aux élus la liberté de choisir ce qui est bon pour eux, en supprimant cet article 72 !

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Doucet.

Mme Sandrine Doucet. Je souhaite vous parler de la ville de Bordeaux, que je connais bien. En 1995, un arrêté préfectoral a classé cette ville en zone touristique, et à ce titre, il a été possible pour certains commerces d’ouvrir le dimanche. Des arrêtés municipaux ont ensuite permis à certaines zones d’ouvrir tous les dimanches. Je ne pense pas que le maire de Bordeaux souhaite limiter l’ouverture de ces magasins à douze dimanches par an car – heureux hasard ! – nous avons appris aujourd’hui dans la presse locale que Bordeaux est la ville européenne la plus prisée pour le tourisme international. Les intentions du maire de Bordeaux ne sont peut-être pas celles que vous avez citées, monsieur le ministre.

De nombreux arrêtés pris pour autoriser l’ouverture des magasins le dimanche ont notamment été justifiés par le fait que le repos simultané de l’ensemble du personnel le dimanche compromettrait le fonctionnement normal des établissements. J’imagine mal, dans les circonstances actuelles, des salariés contredire cet argument, puisqu’il a été entériné par des arrêtés préfectoraux après avis du conseil municipal. Selon cet argument, je le répète, les entreprises estiment que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés, compromet le fonctionnement normal des commerces. Je ne vois pas comment des salariés précarisés, dans la situation que nous avons décrite au cours de nos débats, pourraient s’opposer à cet argument, lorsqu’il est avancé par leur patron.

Selon un autre argument, ces dispositions représenteraient un avantage pour la France dans la concurrence internationale, car les touristes seraient incités à venir à Paris plutôt qu’au Royaume-Uni ; en réalité, en multipliant ces zones touristiques internationales, nous allons aggraver la concurrence à l’intérieur de notre pays.

M. Frédéric Lefebvre. Cette phrase a mieux commencé qu’elle ne finit !

Mme Sandrine Doucet. Les salariés seront la seule variable d’ajustement, alors qu’ils souffrent de la précarité que nous avons évoquée. C’est pour cela que je pense qu’il faut être très vigilants,  et même s’opposer à la multiplication de ces ZTI.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Un mot, monsieur le président. Tout d’abord, je signale à notre collègue Pascal Cherki qu’il faut arrêter de parler de la Samaritaine, puisque ce magasin est fermé depuis plusieurs années, et qu’à ma connaissance, il ne rouvrira pas de sitôt ! J’ai beau ne pas être conseiller de Paris, je sais cela !

Nous abordons à présent les dispositions relatives aux zones touristiques internationales. Il est certes légitime de débattre des effets économiques de l’ouverture du dimanche dans un certain nombre de territoires, car un effet de report est toujours possible, mais il me paraît difficile de nier que dans certains territoires, en particulier Paris, l’afflux touristique justifie pleinement la création de zones touristiques qui permettent d’ouvrir le dimanche. Je rappelle que Paris est la première destination mondiale touristique pour les courts séjours.

Avec l’avènement du tourisme de masse, les conditions ont beaucoup changé. Les métropoles européennes sont en concurrence, il ne faut pas le nier. Or l’étude d’impact précise que dans beaucoup d’autres métropoles, les commerces sont ouverts le dimanche. Par ailleurs, les voyagistes incluent le shopping dans les voyages qu’ils proposent à leurs clients. C’est même un critère important pour les clients : il est nécessaire de le prendre en compte.

Pour toutes ces raisons, je pense que les dispositions de cet article sont parfaitement légitimes. Je rejoins cependant M. Lamour sur un point : si cette question avait été réglée, il n’aurait pas été nécessaire de recourir à ce dispositif. Comme M. Lamour, je constate que cette question, précisément, n’a pas été réglée ; il faut donc le faire, et à cet égard, le Gouvernement a raison de prendre ses responsabilités. Les collectivités territoriales ont leur liberté, mais le Gouvernement est fondé à présenter ce dispositif, qui me paraît tout à valide sur les plans législatif et constitutionnel.

Je pense que les ZTI sont un outil indispensable – j’insiste sur ce terme – pour assurer le développement d’un certain nombre d’activités, qui ne contribueront pas seulement à créer des emplois dans les magasins, mais aussi dans les territoires. La France a en effet une forte tradition de production artisanale de produits de luxe, qui sont souvent fabriqués en province. Les ZTI offriront des débouchés supplémentaires pour ces produits : il y aura donc un effet d’entraînement pour cette activité. Je pense que nous aurions tort de négliger cette dynamique économique.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. Je suis heureux de voir que grâce à la mission d’information du Conseil de Paris, notre collègue Pascal Cherki est devenu un sinologue averti ! Vous nous avez expliqué, mon cher collègue, les us et coutumes des touristes chinois, mais vous auriez dû aller un peu plus loin. Ce que les organisateurs de voyages nous demandent, c’est un peu de fluidité, car les flux de touristes sont très tendus dans beaucoup de musées nationaux, à Paris et en région parisienne. Permettre d’ouvrir ces magasins le dimanche serait une évolution de bon sens, car cela donnerait aux organisateurs de voyage cette fluidité : je pense que c’est une bonne idée, à condition, bien sûr, que l’aspect social soit pris en compte. Cela dit, j’ai entendu tout à l’heure que 80 % du territoire parisien serait concerné par les ZTI : si c’est le cas, je suis contre !

Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit notre collègue Christophe Caresche sur un autre point. Vous dites, monsieur Cherki, que ce sont les conseils municipaux qui devraient décider. Mais cela fait cinq ans que l’on travaille sur cette question, et à Paris, il ne s’est strictement rien passé. Il n’y a pas eu l’ombre d’une évolution. Pas une rue, pas un numéro de rue n’ont bénéficié d’une extension : on ne peut pas en rester là ! Je comprends que nos positions soient différentes pour ce qui concerne les aspects sociaux du problème, notamment la prise en charge du travail le dimanche, mais nous devrions arriver à un consensus, en tenant compte de l’avis des uns et des autres, pour le bien de Paris. Il s’agit de créer des emplois pour ceux qui n’en ont pas, et de protéger l’emploi de ceux qui en ont un !

M. Christophe Caresche. C’est pour le bien des Parisiens !

M. Jean-François Lamour. Oui, et des Franciliens ! Beaucoup de gens en bénéficieront, d’une manière ou d’une autre.

Il ne s’est rien passé, monsieur Cherki, depuis cinq ans, rien : ce n’est pas normal ! Quand une collectivité s’arc-boute de manière aussi butée, il est normal que le Gouvernement passe outre et impose des règles. Comme vous, je le regrette, mais je pense que nous sommes obligés d’en passer par là.

M. le président. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos 94, 1031, 1313, 2198 et 3046, de suppression de l’article.

Je vous annonce d’ores et déjà que sur les amendements identiques nos 94, 1031, 1313, 2198 et 3046, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n94.

M. Marc Le Fur. Monsieur le ministre, je crois que vous avez tort de remettre en cause le compromis très complexe auquel nous sommes parvenus en 2009. Chacun se souvient des débats qui ont eu lieu à l’époque. La majorité n’était alors pas univoque : je m’étais, pour ma part, prononcé très clairement pour la défense du principe du repos dominical. Cette position n’était pas partagée par tous, y compris dans la majorité de l’époque. Nous n’en étions pas moins arrivés à un compromis qui, tout en permettant des évolutions, réaffirmait très nettement un certain nombre de principes, comme le repos dominical.

Je n’exclus pas que ce compromis puisse évoluer – à ce propos, le discours tenu par notre collègue Jean-François Lamour est frappé au coin du bon sens – mais il ne doit évoluer qu’à la marge : ne sacrifions pas l’essentiel ! C’est pour cela que je m’oppose vigoureusement à la systématisation des douze dimanches.

J’insiste sur ce point : il me semble que nous sommes sur le point d’enclencher un processus qui aura des conséquences considérables sur notre société. Je sais bien, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas sensible à ce registre : vos arguments sont souvent comptables, quand je me soucie d’abord de notre société. Je considère que le dimanche n’est pas un jour comme les autres, car c’est le jour de la rencontre. La rencontre spirituelle, d’abord, j’ose le dire : c’est bien ainsi que cela a commencé ! C’est aussi le jour de la rencontre sociale, et familiale.

M. Jean-Luc Laurent. C’est aussi la journée du civisme, ne l’oubliez pas !

M. Marc Le Fur. Vous voulez individualiser les calendriers de chacun. Je considère, pour ma part, qu’il faut un moment où le rythme social s’impose aux individus. Ce rythme social, c’est la rencontre du dimanche. La vie de certaines familles est compliquée à l’excès, que ce soit par la défaillance des transports en commun, la réorganisation des activités périscolaires – n’oublions pas les effets de cette réforme-là –, le manque de cohérence croissant du temps de travail. Avec ces dispositions, vous risquez de rendre la vie de ces familles encore plus difficile.

Le 11 janvier dernier, nos compatriotes ont insisté sur l’un des mots de notre devise : la fraternité. Pour qu’il y ait fraternité, encore faut-il qu’il y ait rencontre. Cette rencontre, vous allez nous en priver !

Quelques exemples concrets. Les employés du commerce sont à 80 % des employées. Les évolutions que vous proposez concerneront pour l’essentiel des femmes, souvent des jeunes, seules, et à charge de famille. Pour elles, le fait de travailler le dimanche aura de multiples conséquences – parce qu’on leur imposera de travailler le dimanche, j’y reviendrai. Parmi ces conséquences, il y a la garde de leurs enfants qu’elles devront organiser. Monsieur le ministre, imposerez-vous aux crèches municipales, et plus largement aux services publics liés à la garderie, à la petite enfance, d’ouvrir le dimanche ?

Vous voyez bien que par capillarité, c’est l’ensemble de la société qui sera touché par ces mesures, alors même que beaucoup de nos compatriotes travaillent déjà le dimanche. C’est le cas pour les services publics qui doivent fonctionner en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme les services de sécurité ou de transport – encore que ceux-ci soient souvent défaillants. Il n’empêche que c’est l’ensemble de la société que vous allez toucher.

Là aussi, prenons des exemples précis, qui reflètent la vie de nos concitoyens. Je discutais récemment avec un jeune homme qui travaille dans le commerce, et qui me disait qu’à partir de dix dimanches travaillés dans l’année, il lui devient impossible de pratiquer une activité sportive – le football en l’occurrence. On ne peut pas s’engager pour une saison, si on ne peut pas assumer cet engagement en venant aux matchs le dimanche !

On est donc en train de casser un modèle de société.

Je tiens également à récuser certains mots que vous avez prononcés, monsieur le ministre. J’ai compris tout à l’heure à vos propos que la social-démocratie, c’était le travail le dimanche, vous nous en avez fait la démonstration, nous en prenons acte. Mais nous sommes plusieurs ici à récuser le terme « volontariat » : il s’agit de salariés du commerce, souvent modestes, souvent précaires et soumis à une pression d’ailleurs compréhensible de la part de leurs employeurs, ceux-ci se trouvant souvent eux-mêmes dans une situation précaire. Le commerce de centre-ville est aujourd’hui l’une des activités économiques les plus fragiles. Ne nous faisons pas d’illusion, il n’y aura pas de volontariat. L’ensemble des salariés concernés devront, hélas, se plier à toutes les exigences.

Ensuite, il n’y aura pas davantage de volontariat des collectivités. Quand, dans un bassin commercial, une collectivité commencera à ouvrir les commerces le dimanche, les autres seront de fait obligées de suivre le mouvement, et ce sera la course à l’échalote. Le maire sera sensible à l’inquiétude des commerçants qui verront leurs concurrents ouvrir le dimanche. Chacun suivra une logique rationnelle, et tout cela conduira à une généralisation du travail du dimanche. En l’état du droit, ce risque existe déjà, mais vos dispositions ne feront que l’accroître.

En outre, bien des incertitudes demeurent quant à l’indemnisation. Je suis incapable de résumer votre logique, c’est dire que je ne la comprends pas. Très concrètement, à combien auront droit les salariés qui travailleront le dimanche ? Comment seront indemnisés ceux et celles qui travaillent déjà le dimanche ? Les salariés des commerces alimentaires, qui sont ouverts le dimanche, entendront dire qu’il existe un droit à compensation financière dans d’autres secteurs commerciaux, et ils se demanderont pourquoi ils n’y ont pas droit, eux, car, pour l’heure, ils n’en bénéficient pas, ou marginalement. Là aussi, mes questions sont restées sans réponse.

Je ne suis pas hostile à une évolution à la marge, qui d’ailleurs n’exige absolument pas d’évolution législative. Les élus ont déjà des possibilités d’ouverture le dimanche ; on ne va pas passer par la loi pour régler quelques problèmes parisiens, que le Conseil de Paris devrait résoudre ! C’est d’ailleurs là un débat interne à votre famille politique. En tout état de cause, ces évolutions ne doivent pas toucher l’ensemble de notre territoire. Or, tel est bien le risque car les consommateurs n’hésiteront pas à s’éloigner de leur lieu de résidence pour effectuer je ne sais quels achats.

Nous avions trouvé un compromis, peut-être difficilement applicable, mais qui avait le mérite de stabiliser la situation. Vous commettez une erreur en le mettant à mal. En conséquence, je suis favorable à la suppression de cet article et de tous les articles visant à casser cette réalité sociale de la fraternité qui s’incarne le dimanche.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n1031.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet article vise à créer des zones touristiques internationales – ZTI –, qui sont emblématiques de votre projet de loi. Le travail du dimanche y sera totalement banalisé, puisqu’il sera autorisé cinquante-deux dimanches par an. La législation encadrant le travail de nuit sera contournée pour autoriser le travail en soirée de vingt et une heures à minuit tous les soirs de la semaine. Face à de tels enjeux, les seuls critères de délimitation du périmètre des ZTI seraient : « leur rayonnement international » et « l’affluence exceptionnelle de touristes, notamment résidant hors de France. »

De toute évidence, ces critères sont beaucoup trop flous. Ils offrent un très large éventail de possibilités de création de telles zones dérogatoires au repos dominical et au travail de nuit. La délimitation des ZTI doit s’appuyer sur des éléments objectifs. En effet, comment mesurer le rayonnement international d’une zone ? À son nombre de touristes de toutes origines ? À partir de quand une influence devient-elle exceptionnelle ? Tout cela est laissé à l’appréciation de chacun.

Interpellé en commission spéciale sur ce sujet, vous avez convenu de ce flou et avez assuré, monsieur le ministre, que des critères quantitatifs et qualitatifs plus précis seraient intégrés au texte avant son examen en séance. L’amendement du rapporteur, qui tient en une phrase, ne saurait en tenir lieu. Évidemment, plus les critères de délimitation seront flous, plus faciles et plus nombreuses seront les créations de ces zones. Ainsi, le travail du dimanche et le travail de nuit seront généralisés.

J’ajoute que la décision finale de la création de ces zones touristiques internationales reviendrait au Gouvernement, non pas aux élus locaux, qui seront certes consultés – merci pour eux –, mais qui n’auront pas le dernier mot sur des choix dont les impacts seront pourtant réels en matière d’aménagement et d’entretien de leur territoire. Ce parti pris est d’autant plus incompréhensible que vous affirmez votre volonté de redonner de la liberté aux élus. Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 72. Comme annoncé par le président, nous demandons un scrutin public sur cet amendement, compte tenu de son importance.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Abeille, pour soutenir l’amendement n1313.

Mme Laurence Abeille. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n2198.

M. Jean-Luc Laurent. Le présent amendement vise également à supprimer l’article 72, qui prévoit la création de zones touristiques internationales. Cela conduirait à une généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche et du travail de nuit. Cet état d’esprit, cette philosophie témoignent d’une vision datée du tourisme, comme l’ont montré les échanges qui ont eu lieu sur le tourisme chinois. Je profite de la présence dans l’hémicycle de M. Bruno Le Roux, qui préside le groupe d’amitié France-Chine de l’Assemblée nationale, pour dire qu’il faut arrêter de caricaturer ainsi la Chine et les motivations des touristes chinois à venir dans notre pays.

Par ailleurs, ces dispositions témoignent également d’une vision datée de la ville, notamment pour ce qui est du Grand Paris – car il s’agit essentiellement d’un sujet parisien. Je ne souhaite pas que Paris devienne, en raison de la présence de deux aéroports internationaux, un gigantesque hub pour touristes désireux de faire du shopping et de repartir aussitôt.

M. Jean-François Lamour. Il vaut mieux qu’ils viennent à Paris !

M. Jean-Luc Laurent. Ce n’est pas parce que c’est déjà le cas qu’il faut en prendre acte, monsieur Lamour !

Je ne me résignerai pas à considérer cet état de fait comme inéluctable et ne me résoudrai jamais à accepter la logique qui sous-tend la création de ces zones.

J’ajoute que la survalorisation des quartiers touristiques de l’hyper-centre de Paris est à rebours de la conception polycentrique de la métropole du Grand Paris, qui repose sur une répartition plus équilibrée de ses pôles d’attractivité. Voilà pourquoi en tant que député du Mouvement républicain et citoyen, j’ai déposé cet amendement de suppression de l’article 72.

M. Jean-François Lamour. On pourrait démonter la Tour Eiffel pour la mettre dans l’Essonne !

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement n3046.

M. Daniel Goldberg. Je profite de mon arrivée dans ce débat pour rappeler un certain nombre de points concernant les zones touristiques internationales. Tout d’abord, comme l’a fort bien pointé le rapporteur thématique, le rapport Bailly ne préconisait pas la création de telles zones ; il retenait une seule catégorie de zones touristiques, qu’il avait dénommées « périmètres d’action concertés touristiques ». Pourquoi créer une seconde catégorie de zones touristiques, si ce n’est pour l’imposer aux élus par arrêté ministériel, comme de nombreux orateurs, dont M. Lamour, se le sont demandé ? Il s’agit là d’un premier point de désaccord pour moi. Il existe certes des zones d’affluence de touristes étrangers dans notre pays, mais on ne comprend pas pourquoi ce ne serait pas les élus qui y décideraient de l’ouverture dominicale des commerces.

Ensuite, par le biais de ces zones touristiques internationales, on en viendrait à dissocier le travail de nuit du travail de soirée, une première dans notre droit du travail ! Et quand on parle de soirée, ce n’est pas jusqu’à vingt-deux heures, mais jusqu’à minuit, avec tout ce que cela emporte de conséquences sur les rapports sociaux et la vie de famille. De plus, aucune étude ne démontre que des touristes étrangers fuient la capitale de la France pour aller consommer à Londres ou ailleurs. Il aurait été pourtant bienvenu de pouvoir justifier la création d’une nouvelle catégorie de zones touristiques en s’appuyant sur des faits précis.

J’en viens à la question de la consultation des élus concernés, notamment des EPCI, qui a été abordée en commission spéciale, dont j’ai pu suivre de loin les travaux. Pour ce qui concerne Paris, qui sera consulté pour décider de l’ouverture des commerces, par exemple dans les quartiers du centre ? Sans doute les élus de la future métropole du Grand Paris. Et leur décision comptera au moins autant que celle des élus parisiens, pourtant eux directement concernés certes par l’activité qui en résultera dans un certain nombre de quartiers mais aussi les nuisances et les dépenses supplémentaires, de voirie par exemple, qu’elle y générera. Dans les territoires potentiellement concernés par les zones touristiques internationales, se pose vraiment la question de « l’EPCI concern».

S’agissant du volontariat, la réversibilité du choix du salarié est garantie dans tous les cas d’ouverture dominicale, sauf dans les zones touristiques internationales définies par arrêté ministériel. Un salarié ayant accepté à un moment donné de travailler le dimanche, parce que sa situation personnelle le lui permettait, pourra difficilement revenir sur sa décision quelques années plus tard, si entre temps le lieu où il travaille a été classé en zone touristique internationale. Le salarié devra donc continuer à remplir ses obligations, même si sa situation personnelle a évolué.

Par ailleurs, plusieurs quartiers du centre de Paris ont été mentionnés dans le rapport et cités par le ministre : les Champs-Élysées, le faubourg Saint-Honoré, la place Vendôme ou encore l’avenue Montaigne.

L’article 72 du projet de loi prévoit de prendre particulièrement en compte, afin de définir le périmètre de ces quartiers, l’affluence exceptionnelle de touristes étrangers résidant hors de France. Je peux l’entendre. Mais comment va-t-on les compter ? Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, un certain nombre de quartiers accueillent par exemple beaucoup de touristes ne possédant pas la nationalité française, et qui viennent en vacances rendre visite à leur famille. Mais sans doute fréquentent-ils moins la place Vendôme et l’avenue Montaigne que d’autres. Donc, si l’on se fonde sur le seul critère de la nationalité des touristes venant en France, on voit bien le problème que cela peut soulever.

Cela m’amène au point suivant, celui de l’effet que pourrait avoir sur les communes limitrophes la création de ces zones touristiques internationales dans peu ou prou tout le centre de Paris. Cela pourrait toucher, par capillarité, les quartiers les plus éloignés de ce centre, et, de la même façon, notamment en prenant en compte les touristes étrangers, un certain nombre de communes de banlieue. Si on ne retient pas celui de la nationalité des touristes, il faut dire sur quel critère on se fondera pour décider de l’ouverture le dimanche. En outre, les touristes qui fréquentent le centre de Paris et notamment les enseignes du boulevard Haussmann, dont je ne citerai pas les noms, logent souvent en banlieue, vu le prix des hôtels et autres formules d’hébergement. Ils pourraient donc, également, demander à consommer à proximité de leur lieu d’hébergement

Deux points encore. On nous dit que pour les tour-opérateurs qui choisissent d’inclure ou non Paris dans les circuits qu’ils organisent, la fermeture des commerces le dimanche dans un certain nombre de zones pose problème.

M. Marc Le Fur. Si c’est vrai, c’est bien triste.

M. Daniel Goldberg. Or je ne crois pas, mais je peux me tromper, que le facteur principal dans le choix de la capitale comme destination de vacances soit ses commerces. Je pense que la tour Eiffel et le Louvre, les musées et certains quartiers, comptent bien plus. Si ces musées étaient fermés le dimanche, la question pourrait alors se poser, mais leur jour de fermeture est le mardi. Il faudrait donc être favorable à l’ouverture des commerces le mardi, jour de fermeture des musées, parce que les touristes peuvent légitimement avoir envie de faire les magasins ce jour-là parce qu’il ne leur est pas possible d’avoir d’autres activités ! (Sourires.)

Enfin, je voudrais vous relater un événement qui a eu lieu à la toute fin du mois de décembre, à proximité du monument le plus connu de Paris, la tour Eiffel. Les salariés des commerces avoisinants, qui étaient en discussion avec leurs divers employeurs afin d’essayer de parvenir un accord, se sont mis en grève aux alentours du 20 décembre parce que les propositions de revalorisation qui leur ont été faites leur paraissaient vraiment trop basses par rapport à leur revendication, à savoir 300 euros d’augmentation pour travaille le dimanche. Dans quelle situation ces salariés vont-ils se trouver après le vote de la loi, même s’ils continuent à rechercher un accord ? Imagine-t-on qu’ils seront durablement protégés par cet accord et qu’aucun commerce autour de la tour Eiffel ne pourra ouvrir puisqu’on subordonne l’ouverture dominicale à la signature d’un accord ? Mais peut-on assurer aux salariés des multiples boutiques concernées – je ne souviens plus de leur nombre exact – que sera appliqué exactement ce qui a été dit ? Quand on demande à l’un d’entre eux ce qu’il pense du débat que nous avons cet après-midi sur les zones touristiques internationales, sans que la loi ne précise un certain nombre de critères plancher, notamment en termes de rémunération, il répond : « quand on aura fait de Paris une grande zone touristique, tout le monde sera au régime de la tour Eiffel ». 

Mme Jacqueline Fraysse. Évidemment : c’est tout le problème !

M. Daniel Goldberg. Personne n’est fermé au point de nier l’attractivité d’un certain nombre de quartiers de Paris comme d’autres régions de notre pays, mais la question qui se pose est celle de la loi qui devrait protéger mieux que des dispositions contractuelles. Les salariés, en particulier les salariées, qu’ils ou elles travaillent en CDD ou en intérim, mais cela vaut aussi pour ceux en CDI, devraient pouvoir négocier avec leur employeur de façon un peu plus équilibrée. Or, je ne crois pas que le contenu de cet article 72 leur en offre la possibilité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression de l’article ?

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Monsieur Le Fur, vous avez souhaité entamer une nouvelle discussion générale, mais vous avez peu parlé des ZTI.

M. Marc Le Fur. Je vais y venir.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Ne vous méprenez pas, mais je ne pense pas qu’il soit dans les intentions du Gouvernement de venir ouvrir une ZTI autour de la ville de Lamballe, dans votre belle circonscription.

M. Marc Le Fur. Nous sommes les députés de la nation.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Vous ne serez donc pas concernés par le titre III du projet de loi. Vous vous opposez, par principe, au recours au travail dominical, au nom de la sacralisation du dimanche. Mais ce projet de loi – vous avez dû être mis au courant de ce qui s’est dit ici plus tôt dans l’après-midi – ne banalise le travail dominical.

M. Marc Le Fur. Il ne fait que cela : le banaliser.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Votre conception du dimanche n’est pas celle que nous défendons et ne correspond pas aux réalités de la société.

M. Marc Le Fur. Vous faites du dimanche un jour comme les autres.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. Nous sommes donc défavorables aux arguments que vous avez avancés tout à l’heure.

Madame Fraysse, il existe une vraie différence entre le concept de zone touristique tel qu’il existe actuellement et les zones de rayonnement touristique internationales que la France peut escompter. Vous reprochez aux critères figurant dans le texte d’être trop flous. J’ai moi-même souhaité, avec ma collègue Sandrine Mazetier, qu’ils soient plus précisément définis. Nous y reviendrons, car ils font l’objet d’un amendement que nous présenterons à cet article. Monsieur le ministre y reviendra également, sans nul doute.

Ces amendements de suppression de cet article relatif aux ZTI ne tiennent pas compte des exigences qui figurent dans le texte : il y aura bien un accord collectif, qui prévoira des contreparties salariales. Le volontariat du salarié sera également garanti.

Monsieur Laurent, pour évaluer les futurs enjeux pour la future métropole du Grand Paris, ayez bien à l’esprit que dans d’autres grandes villes comparables, les commerces sont ouverts le dimanche. Je pense, pour les plus proches, à Londres, Madrid ou Rome. Aujourd’hui, pour le plus grand bonheur de ces villes, les commerces y sont ouverts le dimanche, au sein de ce qui ne s’appelle peut-être pas des zones touristiques internationales. Nous considérons que Paris, avec son statut de capitale, et l’affluence touristique très forte qu’elle connaît, justifie l’ouverture d’une ZTI.

La démarche que nous proposons à travers ce texte est assez originale, puisqu’il s’agit bien de zones dont le rayonnement dépasse largement les considérations locales, dans la mesure où elles accueillent un très grand nombre de touristes étrangers. La compétence ministérielle se justifie pleinement eu égard à la spécificité de ces zones.

Nous préciserons, dans un amendement à venir, monsieur Goldberg, les critères justifiant la création de ces zones, comme l’importance des achats réalisés par les touristes étrangers qui viennent à Paris et en région parisienne. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je ne reviendrai pas sur les réflexionsdu ministre, car en la circonstance il ne dit rien…

M. Emmanuel Macron, ministre. J’ai déjà répondu.

M. Yves Durand. Monsieur Le Fur, il fallait le dire avant ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Marc Le Fur. …Allez- le dire à la SNCF qui m’a imposé deux heures et demi de retard ! Avec M. Pepy, elle fonctionne, la SNCF !

M. le président. Ce sont les Bonnets rouges ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. Monsieur Travert, vous nous expliquez que Paris est une zone touristique exceptionnelle, mais nous le savons déjà. En l’état actuel de notre droit positif, il existe déjà tous les outils permettant de prendre en compte le critère touristique. Il n’est besoin d’aucune disposition nouvelle. Simplement, il faut qu’un compromis intervienne au niveau de Paris : nous n’avons, pas plus que l’ensemble des Français, à être les victimes d’un débat purement parisien. Voilà le sujet : vous allez généraliser l’ouverture à Paris, et de fait, par capillarité, provoquer une crise réelle du commerce en banlieue proche et même plus lointaine. Cet article me paraît totalement déplacé. Notre droit positif nous permet de résoudre le problème spécifique de Paris : encore faut-il que certains soient animés de la volonté politique de le faire. Aujourd’hui, elle fait défaut.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je regrette le silence du ministre : il a été, à d’autres moments de notre débat, un peu plus disert. Il n’a en effet pas répondu aux arguments défendus par les auteurs de ces amendements.

M. Jean-Luc Laurent. Il s’auto-censure !

Mme Sandrine Mazetier. Je voudrais d’abord dissiper une illusion d’optique dont sont victimes nos collègues de l’opposition : il ne s’agit pas que d’un débat parisien. Rien ne précise dans le projet de loi, à propos des ZTI, que ne serait concernée que la capitale. Je vous propose même de vous interroger sur les territoires dans lesquels le dispositif pourrait également s’appliquer. En tout cas, dans le projet de loi, rien ne dit que la création de telles zones serait circonscrite à Paris.

M. Jean-Frédéric Poisson. À Rambouillet, nous n’en avons pas besoin !

Mme Sandrine Mazetier. Par ailleurs, en dehors de la capitale, je pense par exemple à Disneyland Paris, d’autres sites attirent également nombre de touristes. Attention, donc, à ne pas se tromper en voulant faire de la basse polémique.

Cela étant dit, il n’y aucune raison que la délimitation des ZTI relève de la seule de la compétence ministérielle. Aucune ! Rien ne le justifie. Il faudrait, par ailleurs, donner quelques indications relatives aux critères car, comme nous y avons insisté, la création d’une ZTI, ce n’est pas rien. Cela implique en effet une ouverture cinquante-deux dimanches par an mais également tous les soirs de la semaine jusqu’à minuit, c’est-à-dire sept jours sur sept jusqu’à minuit. À tout le moins, une telle dérogation au droit commun mérite d’être justifiée, et ce sont les critères qui y présideront que nous voulons connaître. J’aurais espéré quelques réponses, car à défaut, je ne vois pas comment on pourrait contrer les objections soulevées par l’ensemble de mes collègues.

M. Jean-François Lamour. Il y avait toutes les possibilités de le faire avant. Or vous avez bloqué toutes les solutions d’évolution.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Madame la députée, j’ai en effet simplement indiqué, compte tenu des précisions apportées par M. le rapporteur, que je partageais son avis défavorable sur les amendements de suppression. J’apporterai toutes les précisions requises sur chacun des amendements que vous avez déposés, qu’il s’agisse des critères ou des compensations, ainsi que sur l’intégralité du dispositif envisagé par le Gouvernement. Vous avez vous-même renvoyé dans votre prise de parole liminaire à ces amendements à venir. Je veux donc vous rassurer : mon silence ne durera pas. (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements de suppression identiques nos 94, 1031, 1313, 2198 et 3046.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants52
Nombre de suffrages exprimés50
Majorité absolue26
Pour l’adoption20
contre30

(Les amendements identiques nos 94, 1031, 1313, 2198 et 3046 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. François Brottes, président de la commission spéciale. J’imagine, monsieur le président, que la séance de ce soir ne commencera qu’à vingt et une heures quarante-cinq. Puisque vous me confirmez que tel est le cas, j’informe les membres de la commission spéciale qu’elle se réunira à vingt et une heures trente dans la salle de la commission des finances, au titre de l’article 91 du règlement.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, à vingt et une heures quarante-cinq :

Suite de la discussion du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly