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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 11 juin 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Denis Baupin

1. Maintien des classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand

Discussion générale

M. Bernard Accoyer

M. François Rochebloine

Mme Barbara Pompili

M. Jacques Krabal

Mme Anne-Christine Lang

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Explications de vote

M. Alain Leboeuf

M. François Rochebloine

Vote sur la proposition de résolution

2. Expérimentation d’un service civique de défense

Présentation

M. Yves Fromion, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire

Discussion générale

Mme Marianne Dubois

M. François Rochebloine

Mme Jeanine Dubié

M. Joaquim Pueyo

M. Édouard Courtial

Mme Marion Maréchal-Le Pen

Discussion des articles

Article unique

M. Guillaume Chevrollier

Amendements nos 2 , 4

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées

Suspension et reprise de la séance

3. Signalement de la maltraitance par les professionnels de santé

Présentation

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes

M. Olivier Marleix, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Daniel Gibbes

M. François Rochebloine

Mme Jeanine Dubié

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Maintien des classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Bernard Accoyer visant au maintien des classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand (n2796).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, la proposition de résolution que j’ai l’honneur de vous présenter, cosignée par nos collègues du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, dépasse évidemment les clivages politiques de notre assemblée.

Elle rassemble au-delà de nos différences car il s’agit, avec les classes et sections bilangues, d’un des piliers de la relation, de l’amitié franco-allemande et de la construction européenne,…

M. Pierre Lellouche. Absolument !

M. Bernard Accoyer. …cette œuvre pacifique, historique et de progrès voulue par les pères fondateurs de la grande aventure européenne, fondée sur le lien entre les peuples de ces deux grandes nations qui se sont tant déchirées au cours des siècles.

C’est pour tout cela que la suppression annoncée des sections bilangues suscite beaucoup d’inquiétudes et beaucoup d’émotion.

Elle suscite beaucoup d’inquiétudes parmi les élus dans notre assemblée, en particulier au sein du groupe d’amitié France-Allemagne, mais aussi parmi les professeurs des collèges et des lycées, comme parmi les parents d’élèves.

Elle suscite beaucoup d’incompréhension parmi nos amis allemands, en particulier parmi nos collègues du Bundestag, tous groupes confondus. Le président du Bundestag, Norbert Lammert, a d’ailleurs écrit à notre président, Claude Bartolone, pour rappeler la priorité mise sur l’apprentissage privilégié de la langue du partenaire dans la déclaration commune adoptée par les députés de l’Assemblée nationale et du Bundestag, réunis à Berlin, le 22 janvier 2013 – il y a à peine deux ans –, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la signature du traité de l’Élysée.

M. Pierre Lellouche. Eh oui ! Nous y étions !

M. Bernard Accoyer. Avec la suppression annoncée des sections bilangues, qui ont fait la preuve de leur efficacité pédagogique, il ne s’agirait pas d’une simple réorganisation des enseignements au collège, par ailleurs fort contestée. Non ! Cette suppression serait tout autre chose et, en effet, une erreur grave fondée sur une triple méconnaissance.

Une méconnaissance de l’histoire d’abord : en 1963, la priorité donnée à l’éducation et à la jeunesse ainsi qu’à l’apprentissage de la langue du partenaire figurait, dès son origine, parmi les trois grands chantiers de la réconciliation franco-allemande définis par le traité de l’Élysée.

M. Pierre Lellouche. Absolument !

M. Bernard Accoyer. Cette priorité en faveur de l’apprentissage privilégié de la langue du partenaire a d’ailleurs été réaffirmée, quarante ans après, par la déclaration commune franco-allemande du 22 janvier 2003 lors d’une réunion solennelle de nos deux assemblées, Bundestag et Assemblée nationale, à Versailles.

Ainsi, depuis cinquante-deux ans, les pouvoirs publics ont poursuivi une politique volontariste d’apprentissage de l’allemand dans les écoles françaises, ce volontarisme trouvant son pendant outre-Rhin dans les actions d’enseignement du français conduites par l’État fédéral et par les Länder.

L’allemand est la troisième langue vivante enseignée en France, alors que le français constitue la deuxième langue vivante parlée en Allemagne. Les liens ainsi tissés entre les jeunesses des deux pays ont nourri l’espérance de réconciliation, de paix, de développement et de progrès sur notre continent après le cataclysme des deux guerres mondiales.

Deuxième méconnaissance, celle de la richesse et de la diversité culturelles européennes. L’anglais ne peut s’imposer, au détriment de la diversité linguistique européenne, comme la seule langue permettant aux jeunes européens de communiquer entre eux.

Avec la suppression des sections bilangues, que deviendraient les sections européennes, les classes AbiBac dans les lycées, les échanges scolaires et autres types de rencontres de jeunes, les programmes de coopération culturelle, les cursus de l’université franco-allemande ?

Les deux présidents des groupes d’amitié France-Allemagne, Pierre-Yves Le Borgn’, que je salue, et Andreas Jung l’ont rappelé récemment : « Là où la connaissance linguistique réciproque fait défaut, le débat philosophique et littéraire s’essouffle. »

En les citant, je veux aussi avoir une pensée pour notre regretté collègue Andreas Schockenhoff, longtemps président du groupe d’amitié Allemagne-France au Bundestag, inlassable militant de l’amitié entre nos deux peuples et nos deux pays, qui nous a quittés en décembre dernier, trop prématurément.

La troisième méconnaissance est celle des réalités économiques et sociales. L’Allemagne est notre premier partenaire commercial. Après l’anglais, l’allemand est en France, comme en Europe, la langue la plus demandée par les employeurs, à 62 % contre 23 % pour l’espagnol. L’apprentissage de l’allemand constitue donc aussi un formidable atout pour l’emploi des jeunes.

Madame la ministre, mes chers collègues, l’Histoire, la diversité culturelle européenne, l’économie : tout incite, par conséquent, à conforter l’enseignement de l’allemand en France, et non à conforter la suppression des sections bilangues, qui affaiblirait considérablement cet apprentissage par les élèves français.

Ces sections bilangues sont, dans les faits, devenues un outil privilégié, essentiel et incontournable. Depuis dix ans, elles ont indéniablement permis de stabiliser autour de 12 % des effectifs, et même plus, le nombre de collégiens apprenant l’allemand dès la sixième, alors qu’il était en baisse constante au cours des vingt années précédentes. Le nombre des sections bilangues a triplé en dix ans, permettant aux élèves d’avoir, en fin d’études, un niveau comparable dans les deux langues apprises en parallèle.

Madame la ministre, cet atout considérable pour beaucoup de jeunes Français serait pourtant remis en cause. Je ne veux pas croire que cela interviendrait sur la base de préjugés idéologiques, de surcroît infondés.

M. Luc Belot. Il ne faut pas exagérer !

M. Bernard Accoyer. Pourquoi vouloir casser ce qui marche ?

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Bernard Accoyer. En dépit des annonces du Gouvernement, la suppression des sections bilangues entraînerait une baisse inéluctable du nombre de jeunes Français apprenant l’allemand, en même temps qu’une baisse de niveau de ceux qui continueraient de l’apprendre.

Malgré la fixation d’objectifs ambitieux aux recteurs sur l’apprentissage de l’allemand dès le cours préparatoire, le choix des familles, madame la ministre, ne se décrète pas. D’ailleurs, 95 % des petits élèves en primaire commencent par l’apprentissage de l’anglais, ce qui correspond à la demande des familles qui souhaitent que leurs enfants n’attendent pas le collège pour débuter cet apprentissage – apprentissage qui reste d’ailleurs, vous le savez, d’une qualité fort discutable. L’allemand est donc très peu enseigné dans l’école primaire, sauf en zone frontalière, dans les académies de Strasbourg et de Nancy.

Madame la ministre, vous affirmez aussi que l’apprentissage de la langue vivante 2, dès la cinquième, serait en quelque sorte « la classe bilangue pour tous ». En réalité, cet égalitarisme affiché aboutirait à pénaliser l’ensemble des élèves !

D’une part, pour ceux qui sont en sections bilangues, pour ceux ayant le plus d’appétence pour les langues vivantes, on supprimerait 162 heures d’allemand en cumulé sur l’ensemble de la scolarité au collège, soit 40 % d’enseignement en moins.

D’autre part, pour les collégiens qui sont en difficulté dans les matières fondamentales, la réforme reviendrait à leur imposer dès la cinquième une deuxième langue vivante et cinquante-quatre heures de cours supplémentaires. Ce temps, à l’évidence, ne serait-il pas mieux utilisé à conforter leurs connaissances des fondamentaux en français ou en mathématiques ?

Mme Elisabeth Pochon. Alors là, c’est extraordinaire !

M. Bernard Accoyer. Aussi, la crainte exprimée le plus largement, bien au-delà des seuls rangs de l’opposition – vous le savez bien, chers collègues de la majorité ! –, est le risque de pénaliser les meilleurs, tout en alourdissant le programme pour les élèves décrocheurs.

M. Luc Belot. Tout pour l’élite, bien sûr !

M. Bernard Accoyer. Quant à l’annonce d’une augmentation des postes ouverts au CAPES pour 2016, elle se heurte malheureusement à la dure réalité : chaque année, au moins 30 % des postes de professeurs d’allemand ouverts ne sont pas pourvus, et cette année 2015 n’échappe pas à la règle.

Ajoutons qu’après une telle réforme des collèges affaiblissant l’apprentissage de l’allemand, alors que les prochains départs à la retraite nécessiteront le recrutement de 3 100 nouveaux enseignants d’ici à 2020, comment imaginer que le nombre de candidatures pourrait augmenter ?

En vérité, comme pour le latin ou le grec, l’apprentissage de l’allemand en section bilangue n’est pas une forme d’élitisme social. D’ailleurs, la moitié des collèges proposent des classes ou des sections bilangues, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire ou en milieu rural. Elles participent ainsi à une meilleure renommée des établissements, ainsi qu’à leur mixité sociale et éducative.

M. Alain Leboeuf. C’est vrai !

M. Bernard Accoyer. Les rapports de l’Inspection générale de l’éducation nationale, en décembre 2014, et du Conseil national d’évaluation du système scolaire, le 28 mai dernier, le confirment : « Les sections bilangues préservent une forme de diversité dans l’enseignement des langues et une forme de mixité sociale dans les établissements les moins favorisés ».

Mes chers collègues, au lieu de supprimer les classes et sections bilangues, il faudrait plutôt développer et augmenter cet outil d’excellence de l’école républicaine.

M. Pierre Lellouche. Absolument !

M. Bernard Accoyer. Il faudrait le développer ces classes car l’apprentissage de l’allemand a besoin d’une politique volontariste et d’un nouveau plan de relance au bénéfice d’abord des élèves, mais tout autant de l’amitié franco-allemande et, ainsi, de l’Europe, du progrès et de la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les liens singuliers et profonds qui unissent les peuples français et allemand sont, je le crois, l’essence même de l’Europe.

En tout état de cause, ils traduisent une conviction commune, exprimée, cinq années seulement après la capitulation sans conditions de l’Allemagne, par Jean Monnet et Robert Schuman : l’unité des nations européennes exige qu’il soit mis fin à l’antagonisme séculaire entre la France et l’Allemagne.

Ils disent également l’ardente volonté de la France et de l’Allemagne de faire de leur histoire commune une œuvre de paix, une paix construite sur les cendres de la Seconde guerre mondiale. La guerre ayant laissé nos nations orphelines de leur jeunesse, il apparaissait vital que la paix soit scellée en son nom, qu’elle devienne son héritage le plus précieux.

Le 22 janvier 1963, lors de la signature du traité de l’Elysée qui plaçait l’éducation et la jeunesse au cœur de nos relations avec l’Allemagne, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer se sont fait la promesse d’une jeunesse unie par la fraternité.

Aux termes de ce traité, la force de cette fraternité résidait notamment dans la connaissance, dans chacun des deux pays, de la langue de l’autre, comme l’a encore rappelé très récemment la chancelière allemande. L’intuition des dirigeants français et allemands était juste. N’est-il pas vrai qu’à travers la langue se révèle l’âme du peuple devenu frère, avec lequel tout devient possible : renouer des liens, les entretenir et ainsi construire la paix, une paix durable ?

Le traité de l’Elysée a ainsi constitué le point de départ d’une politique volontariste d’apprentissage de l’allemand dans nos écoles et du français dans les écoles allemandes ; une politique, madame la ministre, dont la constance n’a fait que se renforcer depuis cinquante-deux ans et qui a créé les conditions d’une compréhension mutuelle.

Sous l’égide de l’Office franco-allemand pour la jeunesse – OFAJ –, 8,2 millions de jeunes Français et Allemands ont ainsi participé à 300 000 programmes d’échanges favorisant l’apprentissage des langues et permettant de renforcer nos liens culturels avec l’Allemagne.

Dans la même perspective, la création de l’AbiBac, qui permet la délivrance simultanée du baccalauréat français et de l’Abitur, la création des sections européennes et des classes bilangues, ont constitué autant de démonstrations manifestes de cette volonté partagée de favoriser l’apprentissage de la langue du partenaire.

Les classes bilangues, dont notre assemblée est amenée à débattre aujourd’hui, ont joué un rôle déterminant pour stabiliser le nombre d’élèves apprenant l’allemand en France, alors même que cet enseignement connaissait un net recul durant les années précédant leur création. Elles ont même permis de faire passer le pourcentage de collégiens apprenant l’allemand de 5,5 % en 2004 à 16 % en 2015, madame la ministre.

Ainsi que vous l’a fait remarquer l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ce sont les classes bilangues qui ont permis à l’allemand de demeurer la troisième langue vivante enseignée en France.

M. Alain Leboeuf. Et c’est un spécialiste !

M. François Rochebloine. Au mépris de cette réussite éprouvée, la réforme du collège adoptée à la hussarde par le Gouvernement bouleverse le fonctionnement des classes bilangues. Si celles qui permettent de commencer l’anglais en sixième, parallèlement à l’apprentissage d’une autre langue, continueront d’exister, un élève ayant commencé à apprendre l’anglais en primaire devra en revanche attendre la classe de cinquième pour envisager l’apprentissage d’une deuxième langue vivante, ce qui a pour conséquence de supprimer un certain nombre de classes, et plus particulièrement celles qui privilégiaient l’allemand dès la primaire.

Madame la ministre, la mise en œuvre de votre projet de réforme du collège, prévue pour 2016, fera chuter le nombre d’élèves dans les classes d’allemand : ce ne seront plus 15% comme aujourd’hui, mais seulement 5% des élèves qui apprendront l’allemand ! C’est pourquoi nous considérons que cette réforme constitue un signal extrêmement négatif quant à la volonté des autorités françaises de privilégier l’enseignement de la langue allemande.

Pourtant, le Gouvernement s’apprête bel et bien à sacrifier les classes bilangues sur l’autel de l’égalitarisme parce qu’il juge l’enseignement de l’allemand trop élitiste. Lourde erreur, madame la ministre !

C’est une erreur au regard de la vocation de l’école républicaine, qui vise l’excellence pour tous les élèves qu’elle accueille sur ses bancs et récompense le travail et le mérite.

C’est une erreur également sur la réalité même de ces classes bilangues. Ne savez-vous pas, madame la ministre, que leurs élèves sont recrutés sans sélection, sur le seul fondement de leur motivation ? Ne voyez-vous pas, madame la ministre, que les classes bilangues enregistrent l’inscription d’enfants de catégories sociales moyennes ou favorisées dans les collèges des zones urbaines sensibles et qu’elles participent ainsi à la mixité sociale de l’établissement et favorisent un effet d’entraînement positif au sein des classes ?

En affaiblissant les classes bilangues, vous allez inciter des parents à envoyer leurs enfants dans le privé : quel sera le gain pour l’enseignement public ?

Surtout, en fragilisant cet apprentissage, vous vous rendez coupables de quatre fautes majeures.

En affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous enclenchez un processus d’éloignement de nos deux jeunesses et de nos deux pays. Songez-y : n’existe-t-il pas un risque quasi certain que les contacts entre les jeunes Français et les jeunes Allemands se distendent et que leurs échanges finissent par s’éteindre si l’apprentissage de la langue n’existe plus pour les encourager ? Or, au-delà de l’apprentissage de la langue, ces échanges permettent la compréhension de l’autre et renouvellent le ciment de l’amitié entre nos deux peuples.

En affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous mettez à mal la diversité culturelle européenne, qui ne peut s’exprimer que grâce à la connaissance réciproque de nos deux langues. Que deviendront les filières universitaires intégrées franco-allemandes qui font vivre la culture européenne ? Que deviendront les échanges culturels entre la France et l’Allemagne ?

En affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous semblez oublier que 17 % de nos échanges commerciaux se font avec l’Allemagne, avec qui la France entretient également des relations denses dans le domaine de la coopération culturelle, scolaire, scientifique et technique.

L’Allemagne est en effet notre principal partenaire et forme avec la France le moteur de l’Europe. Vous n’avez pas le droit de fragiliser cette relation si essentielle à l’avenir de l’Europe, à un moment où la jeunesse européenne a le sentiment d’être laissée pour compte, où elle se réfugie dans l’indifférence ou la défiance et où, en proie à la désespérance, elle est désormais tentée par le rejet de l’Europe prôné par les extrémistes.

Enfin, en affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous allez favoriser le recul de l’apprentissage de la langue française en Allemagne alors qu’elle demeure aujourd’hui encore la deuxième langue vivante parlée outre-Rhin.

Oui, madame la ministre – voir que cela vous fait sourire me surprend et m’attriste –, le groupe UDI affirme avec force qu’en défendant l’allemand, vous défendriez le français.

Votre réforme ne fera que contribuer à la perte de terrain du français en Allemagne, alors même que la concurrence de l’espagnol comme seconde langue dans les filières professionnelles est de plus en plus rude.

Madame la ministre, ce débat revêt une importance toute particulière pour notre groupe, dont les membres sont les héritiers obligés de l’esprit européen, incarné dès les années 50 par les pères fondateurs, Robert Schuman et Jean Monnet, et dans un second temps par le président Valéry Giscard d’Estaing ou encore Simone Veil.

L’éducation doit être au cœur de tout projet politique, et la manière dont vos réformes conçoivent l’éducation révèle malheureusement une approche dogmatique, en rupture avec notre modèle républicain.

Nous ne pouvons accepter que ces classes bilangues soient fragilisées, pas plus que nous ne pouvons nous résoudre à admettre la suppression de tout parcours d’excellence. En imposant une interdisciplinarité floue, soumise aux modes et à l’esprit du temps, comme le fait votre réforme, on ouvre la porte à cet égalitarisme qui ne pourra qu’amener le nivellement par le bas et l’abandon d’un projet républicain pour l’école.

M. Alain Leboeuf. Très juste !

M. François Rochebloine. Nous pensons au contraire, comme les auteurs de cette proposition de résolution, au premier chef desquels Bernard Accoyer, qu’il est de votre devoir de conforter ces classes.

Nous soutenons sans réserve le texte qui nous est soumis ce matin parce que nous sommes convaincus qu’il est impératif de consolider un enseignement vital pour l’éducation de nos enfants, parce que de cette ambition dépend, en réalité, l’avenir de l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe Les Républicains et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, cette proposition de résolution n’étonnera personne sur ces bancs. Depuis des semaines, votre groupe politique, monsieur Accoyer, ne cesse d’intervenir de façon caricaturale sur la réforme du collège. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lellouche. C’est vous qui êtes caricaturale !

Mme Barbara Pompili. Propos outranciers, de posture, relayant de fausses vérités,…

M. Patrick Ollier. C’est la réforme qui est outrancière !

Mme Barbara Pompili. …dignes d’un élitisme conservateur que je combats profondément au nom, justement, des valeurs de la République que vous invoquez.

M. Yves Fromion. Pour la provocation, vous êtes toujours à l’heure !

M. Pierre Lellouche. Agrégée en provocation !

Mme Barbara Pompili. Car il ne s’agit pas de s’accrocher comme vous le faites à un système méritocratique complètement illusoire, mais il s’agit bel et bien de rétablir l’égalité, c’est-à-dire les meilleures chances pour chaque élève, dans l’école de la République.

Pourtant, à vous entendre, cette réforme peut être accusée de tous les maux : du pédagogisme au sacrifice de l’enseignement des langues anciennes ou de l’allemand.

M. Patrick Ollier. Ce sont des faits !

Mme Barbara Pompili. Ce serait finalement le niveau de l’ensemble des collégiens qui serait tiré vers le bas. Aujourd’hui, c’est même l’amitié franco-allemande qui serait menacée. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. François Rochebloine. C’est le cas !

Mme Barbara Pompili. Je suis presque étonnée que vous n’ayez pas osé aller jusqu’à prétendre que réformer le collège pourrait menacer la construction européenne, voire la paix en Europe. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Alain Leboeuf. Lamentable !

M. Éric Straumann. Et c’est vous qui parlez de caricature !

Mme Barbara Pompili. C’est ce que vous insinuez sans le dire clairement à travers vos références à « l’amitié franco-allemande » ou à « la réconciliation franco-allemande ».

Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, notamment lors des débats sur les nouveaux rythmes scolaires, instrumentaliser à des fins politiciennes les craintes exprimées par certains pour l’avenir de nos enfants, je ne trouve pas cela très « républicain » – et ne voyez là aucun jeu de mots.

M. Éric Straumann. Et le chômage, vous trouvez ça républicain ?

Mme Barbara Pompili. Alors dépassionnons ce débat et soyons pragmatiques : regardons vraiment, et de près, ce que prévoit cette réforme.

La réponse est simple : il s’agit, ni plus ni moins, de renforcer pour tous les élèves l’apprentissage des langues vivantes. En avançant l’enseignement de la deuxième langue vivante à la cinquième, au lieu de la quatrième aujourd’hui, le nombre d’heures dédiées à cet enseignement va augmenter, et ce pour chaque élève.

M. Claude Goasguen. Avec quels enseignants ?

Mme Barbara Pompili. Cinquante-quatre heures d’enseignement de LV2 en plus durant toute la scolarité au collège, ce n’est pas, me semble-t-il, ce que l’on peut appeler une régression !

M. Claude Goasguen. Combien d’agrégés, combien de certifiés en plus ?

Mme Barbara Pompili. L’apprentissage en langue sera également renforcé via les enseignements pratiques interdisciplinaires – EPI –, approche innovante permettant de donner plus de sens aux apprentissages et qui favorise par là-même l’appropriation des connaissances.

Or, non seulement un EPI dédié aux langues et cultures régionales et étrangères est créée, mais d’autres EPI pourront aussi servir à l’apprentissage des langues via des disciplines non linguistiques.

M. Pierre Lellouche. Tout le monde est contre votre réforme, les parents d’élèves comme les professeurs !

Mme Barbara Pompili. Enfin, autre avancée majeure à souligner, la première langue vivante sera désormais enseignée dès le cours préparatoire.

Cette augmentation des heures d’enseignement de la LVl comme de la LV2 doit contribuer à la diversité linguistique.

M. Claude Goasguen. Combien de postes à l’agrégation ?

Mme Barbara Pompili. Les professeurs d’allemand, d’espagnol ou encore d’italien nous ont alertés sur leur crainte de voir leur profession disparaître au prix d’une uniformisation des langues enseignées. Loin de la posture politicienne, on comprend aisément que ces enseignants soient vigilants sur ces questions qui les touchent directement dans leur métier et dans leur vocation.

Concernant l’allemand, qui fait l’objet de toute votre attention au point que votre texte en oublie les autres langues, européennes et régionales, les expérimentations conduites dans les académies de Toulouse et de Rennes sont rassurantes. Elles démontrent que débuter l’enseignement de la seconde langue vivante dès la cinquième, comme le propose cette réforme, conforte l’apprentissage de de cette langue, davantage choisie comme LV2 que lorsque ce choix ce fait en quatrième.

Le Gouvernement a en outre annoncé l’ouverture de plus de 500 postes d’enseignants en allemand pour 2015.

M. Claude Goasguen. Comment seront-ils formés ? Par qui ?

M. Éric Straumann. Les postes ne sont pas pourvus !

Mme Barbara Pompili. Et contrairement à ce que mes collègues Les Républicains entendent colporter, les classes bilangues de continuité sont maintenues.

La diversité linguistique doit être permise, promue et organisée. C’est pourquoi la LVl, enseignée au CP, ne sera pas systématiquement l’anglais. L’allemand, l’italien, ou encore l’espagnol seront proposés dans certaines classes de CP, dans les régions frontalières, mais aussi dans chaque académie.

M. François Rochebloine. Vous ne croyez pas vous-même à ce que vous dites !

Mme Barbara Pompili. Pour organiser cette offre linguistique, le Gouvernement a annoncé la mise en place d’une carte scolaire des langues. Nous sommes persuadés que cette carte sera déterminée en bonne intelligence, afin qu’elle ne génère pas de nouvelle compétition entre établissements et qu’elle concoure pleinement à la diversité linguistique. Nous y veillerons bien entendu.

Toujours est-il que, lorsque l’allemand sera enseigné dès le CP, les élèves débuteront alors l’apprentissage de la deuxième langue vivante dès la sixième. C’est cela qu’on appelle les classes bilangues de continuité, qui sont bel et bien maintenues.

Quant aux classes bilangues dites de « contournement », ou les sections européennes, c’est-à-dire ces classes qui sont souvent utilisées pour contourner la carte scolaire ou qui concourent à la création de filières d’excellence au sein des établissements, elles seront supprimées.

M. François Rochebloine. Pourquoi ?

Mme Barbara Pompili. Des exceptions existent, bien sûr. Ces sections peuvent parfois aider certains élèves en difficulté,…

M. Bernard Accoyer. Vous allez dégoûter les derniers soutiens de l’école publique !

Mme Barbara Pompili. …mais elles ne doivent pas faire oublier la réalité globale et le fait que ce système conduit à concentrer davantage de moyens pour les élèves déjà les plus favorisés ou qui s’inscrivent déjà dans un processus de réussite, au détriment de ceux qui en ont le plus besoin.

M. François Rochebloine. Vous allez tirer l’ensemble vers le bas ! Bravo !

Mme Barbara Pompili. Avec cette réforme, l’excellence et la réussite ne seront donc plus réservées à ceux qui prennent ces options et choisissent ces classes : la réussite et l’excellence concerneront enfin, réellement, chaque collégien !

Au lieu de proposer à seulement 16 % des collégiens une deuxième langue dès la sixième, comme c’est le cas aujourd’hui, cette réforme s’intéresse enfin à 100 % des collégiens en systématisant pour tous les classes bilangues dès la cinquième au lieu de la quatrième. Une année sera donc gagnée pour 84 % des collégiens !

M. Claude Goasguen. L’élite républicaine, quel défaut !

Mme Barbara Pompili. Mais cela, j’en conviens, ne doit pas nous exonérer d’une réflexion plus globale sur les méthodes d’enseignement des langues. Car malgré l’existence de ces classes bilangues, le niveau des élèves français en langues vivantes est bien en deçà de celui de nos voisins européens.

M. Yves Fromion. Pourquoi ?

M. Claude Goasguen. Combien de postes à l’agrégation et au Capes ?

Mme Barbara Pompili. En Allemagne, puisque vous en parlez beaucoup et qu’elle est très présente dans ce débat, le fait que les élèves aient de meilleurs résultats en langues vivantes n’est pas lié à l’existence des classes bilangues puisqu’il n’y en a pas, ou quasiment pas !

M. Bernard Accoyer. C’est faux !

Mme Barbara Pompili. Bien au-delà de la réforme du collège, la question essentielle est donc celle de la façon dont on appréhende l’enseignement des langues en France, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’allemand, de l’italien, de l’espagnol ou même de l’anglais. Comment améliorer ces apprentissages ?

M. Claude Goasguen. Avec de bons professeurs, agrégés !

Mme Barbara Pompili. Comment revoir les méthodes d’enseignement pour que les résultats soient au rendez-vous ?

Bien sûr, les questions des moyens financiers, humains et de la formation se posent, mais le nœud du problème, c’est bien notre capacité à faire évoluer la façon dont on enseigne les langues vivantes.

M. Yves Fromion. C’est vrai !

Mme Barbara Pompili. Les EPI proposent une approche nouvelle – c’est un bon début – mais, au-delà de la réforme du collège, il est primordial de poursuivre les réflexions pour imaginer d’autres approches, d’autres méthodes d’apprentissage des langues vivantes. N’ayons pas peur de regarder ce que font nos voisins et innovons !

Pour en revenir à la réforme du collège, il s’agit de sortir d’un conservatisme élitiste…

M. Claude Goasguen. Ah ! Quelle horreur, l’élite républicaine ! Elle est terrible, cette idée de Jules Ferry !

Mme Barbara Pompili. … qui réserve la réussite scolaire à certains, pour démocratiser réellement la réussite – je sais que cela gêne certains, qui préfèrent ranger les gens dans des cases !

À ceux qui agitent le spectre d’une régression du niveau des lycéens en raison d’un égalitarisme idéologique, rappelons que les études sont claires à ce sujet : les pays où l’élite est la plus abondante et novatrice sont ceux où la formation du plus grand nombre est privilégiée et l’échec le plus rare possible.

M. Claude Goasguen. Personne ne dit le contraire !

Mme Barbara Pompili. Je vous renvoie au très bon livre sur l’élitisme républicain de Christian Baudelot et Roger Establet.

M. Claude Goasguen. Justement !

Mme Barbara Pompili. Or, à l’opposé de cette analyse, la réalité de notre système scolaire mène aujourd’hui à une impasse puisque celui-ci reproduit et aggrave les inégalités sociales.

M. Claude Goasguen. Nivelons par le bas, cela ira mieux !

Mme Barbara Pompili. Ce sont 150 000 jeunes qui se retrouvent chaque année sans diplôme. Si la moitié des décrocheurs ont un père ouvrier, seuls 5 % ont un père cadre – d’où l’urgence d’agir et de faire évoluer le collège, maillon faible de notre système scolaire, pour permettre à chaque collégien de maîtriser les fondamentaux et de réussir sa scolarité, mais aussi pour permettre à l’école de la République de renouer avec ses valeurs, c’est-à-dire donner à chacun les outils permettant de devenir des citoyens éclairés et ne laisser personne sur le bord du chemin.

M. Luc Belot. Très bien !

Mme Barbara Pompili. D’où le changement d’approche proposé par cette réforme, qui accorde une plus grande liberté pédagogique aux équipes, favorise le travail en petits groupes et renforce l’accompagnement personnalisé.

Ces principes, évidemment, les écologistes les soutiennent.

M. Claude Goasguen. Vous ne connaissez pas le sujet !

M. Patrick Ollier. Cessez de massacrer Jules Ferry !

Mme Barbara Pompili. Nous souhaitons même aller plus loin avec, par exemple, la constitution de classes verticales, une plus grande ouverture des établissements vers l’extérieur, le renforcement des liens avec les familles ou, encore, une plus grande implication des jeunes.

En effet, chaque fois que les jeunes participent plus activement à la construction de leur parcours, chaque fois qu’ils sont considérés comme des acteurs et non comme de simples auditeurs, les résultats sont là : les élèves se sentent mieux et la réussite scolaire est au rendez-vous.

M. Claude Goasguen. Quel rapport avec le sujet ?

Mme Barbara Pompili. Pour en revenir aux langues vivantes, le changement de méthode et la généralisation de la LV2 dès la cinquième participent de cette volonté d’œuvrer à la réussite de tous, sans réserver à quelques-uns certains apprentissages. N’est-ce pas là un réel progrès dont nous devrions toutes et tous nous réjouir ?

Le système « méritocratique » porte en effet en soi une organisation en deux niveaux : une minorité qui réussit, face aux autres, pourtant majoritaires.

Ce système alimente la fracture sociale et il nuit au vivre ensemble ainsi qu’à la cohésion nationale.

Aujourd’hui, il s’agit de cesser d’ignorer la majorité de nos collégiens pour que tous, quels que soient leur origine, leurs revenus ou leur lieu d’habitation, puissent réussir individuellement et participer de la sorte à une réussite collective !

M. Claude Goasguen. Savez-vous que l’école publique est gratuite ?

Mme Barbara Pompili. Alors, non, l’amitié franco-allemande n’est pas en péril ! La ministre a très clairement répondu sur ce point : jumelages, lancement du réseau des maternelles bilangues, développement de l’allemand dans l’enseignement professionnel,…

M. Patrick Bloche. C’est la vérité.

Mme Barbara Pompili. …je ne vais pas citer ici tout ce qui est fait en faveur de la coopération éducative franco-allemande, ni revenir sur les garanties qui ont été apportées pour le maintien et la diversité de l’apprentissage des langues vivantes, que j’ai évoquées précédemment.

Pour conclure, mes chers collègues, et cela ne vous surprendra pas, je ne m’associerai pas, nous ne nous associerons pas à cette proposition de résolution dont les auteurs agitent des chiffons rouges à des fins politiciennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Claude Goasguen. C’est triste !

M. Patrick Ollier. Cela sent le remaniement !

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, madame la ministre, c’est un amoureux et un défenseur de la langue française qui s’exprime aujourd’hui devant vous.

Député de l’Aisne, j’ai dans ma circonscription une ville qui symbolise tout l’attachement que nos concitoyens peuvent avoir pour le français : Villers-Cotterêts où, en 1539, fut signée l’ordonnance édictée par François 1er, acte fondateur faisant du français la langue officielle du droit et de l’administration, en lieu et place du latin.

Parler une même langue, pouvoir la lire, pouvoir posséder une législation et une Constitution rédigées dans une langue commune est un bien inestimable. C’est le fondement même de l’idée de nation.

Mais pouvoir également acquérir une ou plusieurs autres langues est une richesse, une chance que les législateurs que nous sommes doivent encourager car c’est la voie qui mène à la connaissance, à la compréhension et à l’estime de l’autre.

À notre époque, où les distances s’amenuisent avec des moyens de transport de plus en plus performants et dans le cadre du développement des relations internationales, économiques et culturelles, nous devons tout faire pour permettre le bilinguisme ou le multilinguisme. Tel est l’objet de cette proposition de résolution « visant au maintien des classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand ».

Petite parenthèse : j’avoue être quelque peu désorienté par le terme « bilangue », qui n’existe pas dans notre dictionnaire mais qui est largement utilisé depuis peu dans le langage du ministère de l’éducation nationale, là où, naguère, on parlait de classes « bilingues ».

L’académie d’Aix-en-Provence s’est essayée à une définition des deux termes « bilingue » et « bilangue ». Ainsi, on parlerait de classe « bilangue » lorsque les élèves étudieraient deux langues en parallèle, dont l’anglais. Il s’agirait donc d’une classe dans laquelle seraient dispensés des cours de langue pour deux langues étrangères, à côté de l’enseignement, en français, des autres matières.

Quant au cursus « bilingue », il correspondrait à celui dans lequel les élèves étudieraient d’autres disciplines, comme l’histoire ou les sciences, dans la langue étrangère ou régionale choisie.

Parenthèse fermée et dans le souci d’user avec vous d’une même langue, je m’adapterai au vocabulaire officiel de l’éducation nationale et parlerai donc des classes « bilangues », bien que ce terme soit digne de la novlangue inventée par George Orwell.

M. Éric Straumann. C’est vrai !

M. Jacques Krabal. Nous partageons une histoire commune et toute particulière avec l’Allemagne. Nos pays sont issus d’un même État, l’empire carolingien, l’empire de Charlemagne, divisé entre ses trois petits-fils par le traité de Verdun de 843 : la Francie occidentale, la Francie orientale et la Lotharingie.

Au fil des siècles, les frontières entre nos deux pays se sont dessinées au fur et à mesure des conflits qui nous ont opposés : la guerre franco-allemande de 1870, qui conduisit à la formation de l’Allemagne l’année suivante ; la Première guerre mondiale, sanglante et meurtrière, durant laquelle nos deux États furent deux des principaux protagonistes ; et, enfin, la Seconde guerre mondiale, fruit des rancœurs d’un peuple allemand humilié lors de la signature du traité de Versailles du 28 juin 1919 et ayant basculé dans le nazisme.

Depuis 1945, nos deux États vivent côte à côte, conscients de ce passé à la fois commun et douloureux et désireux de renforcer une paix qui dure maintenant depuis soixante-dix ans. La paix est un bien fragile qu’il faut savoir cultiver, jour après jour, et toute politique qui va dans ce sens doit être stimulée.

À Château-Thierry, la ville dont je suis maire, nous vivons des heures intenses, en émotion, lors des séjours de jumelage avec les deux villes allemandes de Mosbach – jumelage historique au lendemain de la deuxième guerre mondiale – et Pössneck.

M. Bernard Accoyer. Tant de villes vivent cela !

M. Jacques Krabal. Les liens sont forts s’ils sont solidement ancrés entre nos villes.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

M. Jacques Krabal. Ils dépendent en grande partie des échanges scolaires, notamment au lycée.

L’affaiblissement de l’apprentissage de l’allemand dans nos collèges et lycées affaiblirait conséquemment ces échanges que nous devons plus que jamais renforcer (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants) pour la paix et pour continuer de faire progresser l’Europe, laquelle ne peut évoluer que si le couple franco-allemand est fort.

L’an passé, plus de cent lycéens, jeunes de France et d’Allemagne, de Château-Thierry, de Pössneck et de Mosbach, chantaient ensemble la Messe pour la paix de Karl Jenkins, en français. Cette année, Français et Allemands interprétaient ensemble le Requiem de Brahms, en allemand. Belle leçon de paix et de fraternité retrouvée entre deux peuples qui, au siècle dernier, se déchiraient.

Ces jeunes ont poursuivi leurs échanges, hors du cadre scolaire, contribuant ainsi à renforcer la fraternité et l’idée d’une Europe positive.

Bâtir un avenir commun est la meilleure garantie pour une paix pérenne. Cet avenir suppose une intensité des relations diplomatiques et une politique qui promeut à la fois le renforcement des échanges commerciaux et culturels.

En effet, au-delà de la construction de la paix via le couple franco-allemand, demain, ce même couple, pilier de l’Europe, se devra de faire évoluer notre continent.

Or, sans caricature aucune, limiter l’apprentissage de l’allemand, c’est d’une certaine façon restreindre également l’évolution de l’Europe (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants) et nous savons à quel point nous devons tout mettre en œuvre pour favoriser cette évolution aujourd’hui déjà trop fragilisée.

M. Patrick Ollier. Le bon sens à la tribune !

M. Jacques Krabal. Avoir en partage la langue de Molière – ou, permettez-moi de le dire, de Jean de La Fontaine – avec celle de Goethe contribue à ces efforts que nous devons fournir au quotidien.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Jacques Krabal. Et puis, limiter l’apprentissage de l’allemand, c’est contribuer à la domination d’une langue sur toutes les autres. L’impérialisme des langues anglo-saxonnes, langues des affaires, du commerce et des institutions, si nous laissons faire les choses en provoquant quelque peu l’affaiblissement de l’allemand, entraînera de fait l’affaiblissement de la francophonie, enjeu culturel majeur pour lutter contre cette domination linguistique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Patrick Ollier. C’est un homme de gauche qui dit cela ! Il est courageux !

M. Jacques Krabal. Rappelons-nous, à l’instar de Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, que la diversité doit être notre culture, madame la ministre.

Aujourd’hui, l’allemand est la troisième langue vivante enseignée en France et le français constitue quant à lui la deuxième langue vivante parlée en Allemagne. C’est un fait que nous ne pouvons obérer mais, au contraire, sur lequel nous devons miser.

En juin 2012, les résultats d’une enquête de la Commission européenne sur les compétences langagières acquises dans les deux langues étrangères au terme du premier cycle de la scolarité dans le secondaire situent les prestations des élèves français dans le bas du tableau.

Face à ce constat peu reluisant, le Gouvernement a réagi de manière extrêmement positive en faisant adopter la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013.

Ce texte ambitieux a introduit un enseignement obligatoire de langue vivante étrangère dès le cours préparatoire. Il s’agit donc aujourd’hui de préserver et d’amplifier une telle ambition.

En décembre 2014, l’Inspection générale de l’éducation nationale et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche ont rendu un rapport sur les classes bilangues et les sections européennes ou de langues orientales en collège, les SELO.

En premier lieu, le rapport relève que les sections bilangues, qui offrent l’apprentissage de deux langues vivantes étrangères dès la classe de sixième, se sont développées, touchant 5,4 % des élèves de sixième en 2004 et 15,9 % en 2013.

Il estime par ailleurs que « les classes bilangues préservent une forme de diversité dans l’enseignement des langues et une forme de mixité sociale dans les établissements les moins favorisés ».

Les deux organismes, qui dépendent du ministère de l’éducation nationale, proposent, dans le prolongement de la situation actuelle, la mise en place d’une carte académique optimisée pour les sections bilangues et les SELO – je ne reviens pas sur les autres propositions, qui ont déjà été rappelées. Toujours est-il que le rapport conjoint de l’Inspection générale de l’éducation nationale et de l’Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche ne remet pas en cause l’existence des classes bilangues, bien au contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Vous l’aurez compris, madame la ministre, à côté de l’introduction d’un enseignement obligatoire de langue vivante étrangère dès le cours préparatoire, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste ne peut que soutenir la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui par l’opposition. (Mêmes mouvements.)

Je tiens néanmoins à ajouter, madame la ministre, que nous sommes favorables à votre réforme du collège et que nous la soutenons, parce qu’il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour la réussite de tous nos enfants.

Au-delà des clivages politiques, il s’agit bien d’œuvrer pour l’intérêt de nos enfants, de ces êtres en devenir qui deviendront les citoyens de demain. Nous devons encourager leur réussite individuelle, car celle-ci est en réalité le gage d’une réussite collective, d’une société consciente du rôle qu’elle doit jouer pour l’avenir et la construction d’un monde plus confraternel et apaisé. La bataille pour ce monde plus fraternel, c’est par la formation de notre jeunesse à cet état d’esprit d’ouverture que nous la gagnerons car, comme l’écrivait Alexandre Dumas, né à Villers-Cotterêts, c’est avec les petites armées qu’on gagne les grandes batailles.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Jacques Krabal. Les classes bilangues et l’apprentissage de l’allemand dans ce cadre participent à cette réussite de chacun, et donc de tous. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se prononcera donc pour l’adoption de la présente résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Christine Lang.

Mme Anne-Christine Lang. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 8 juillet 2013, notre assemblée adoptait la loi de refondation de l’école, pour mettre enfin un terme à la casse organisée par la droite sous le quinquennat précédent. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion et M. François Rochebloine. Voilà qui commence bien !

M. Michel Ménard. Vous avez supprimé 80 000 postes ! Dont un certain nombre de professeurs d’allemand !

Mme Anne-Christine Lang. Après le vote de la loi et dans un premier temps, c’est sur l’école primaire que se sont concentrées les premières mesures, car c’est là que tout se joue et que se forment les inégalités. Le dispositif est désormais en place pour donner à tous les meilleures chances de réussite. À présent, et en toute logique, vous annoncez, madame la ministre, la mise en place de la réforme du collège à la rentrée 2016. Oui, le collège va mal, et c’est là un point de consensus sur tous les bancs de cet hémicycle.

Il n’est pas inutile de rappeler ici les résultats des enquêtes internationales pour resituer les enjeux. Le système éducatif français est un des plus inégalitaires de l’OCDE. La France est le pays où la trajectoire scolaire des élèves est la plus étroitement corrélée à leur origine sociale. La France de l’échec scolaire est, dans son immense majorité, issue des catégories défavorisées. Chaque année, 140 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune qualification, majoritairement des garçons issus de milieux populaires.

M. Yves Fromion. Où est la parité ?

Mme Anne-Christine Lang. Alors, oui, ce qui est essentiel pour le pays, c’est la lutte contre les inégalités, c’est la réussite de tous…

M. Bernard Accoyer. En effet, voilà le sujet !

Mme Anne-Christine Lang. …indépendamment de l’origine, du milieu social, du collège de secteur ou du lieu de résidence.

Tels sont les objectifs de la réforme du collège, tant décriée à la droite de cet hémicycle, et à laquelle notre groupe souscrit pleinement. Car la réforme du collège permettra de renforcer l’acquisition des savoirs fondamentaux ; d’accompagner de manière personnalisée tous les élèves ; de travailler en petits groupes pour une meilleure appropriation des connaissances ; d’adapter les groupes aux besoins et au niveau des élèves ; d’inventer de nouvelles façons de travailler ensemble et de nouvelles pratiques pédagogiques, afin d’accroître la curiosité des élèves, l’appétence scolaire et le plaisir d’apprendre.

M. Claude Goasguen. Il est vrai que les élèves s’ennuient ! Comme nous, madame, en vous écoutant !

Mme Anne-Christine Lang. Enfin, cette réforme propose à tous les élèves de commencer une deuxième langue dès la cinquième, quand 85 % d’entre eux ne la commençaient qu’en quatrième.

Dans ce contexte, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui à l’initiative de la droite vise au maintien des classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand. Nul ne conteste la nécessité de s’engager dans une politique volontariste d’apprentissage des langues vivantes, d’autant plus que les études révèlent que seuls 14 % des élèves français maîtrisent une langue étrangère. Nul ne conteste qu’au nom des relations particulières entre la France et l’Allemagne, et des déclarations communes des deux pays de 2003 et de 2013, nous devons veiller à renforcer l’enseignement de l’allemand. Mais, sur tous ces points, les annonces de la ministre devraient être de nature à apaiser toutes les inquiétudes qui se sont exprimées de part et d’autre du Rhin. Plus de 500 postes seront ouverts au concours.

M. Claude Goasguen. C’est faux !

Mme Anne-Christine Lang. À la rentrée 2016, l’offre de l’allemand à l’école élémentaire sera renforcée dans toutes les académies, et le nombre d’élèves débutant l’allemand en cours préparatoire sera fixé à 200 000.

M. Éric Straumann. Vous ne trouverez même pas les professeurs nécessaires !

Mme Anne-Christine Lang. Dès la rentrée 2016, 515 000 collégiens apprendront l’allemand en LV1 et LV2, ce qui représente une augmentation de 6 %. Tous les élèves qui commencent une langue vivante autre que l’anglais dès l’école primaire poursuivront cet enseignement au collège et pourront commencer l’anglais dès la sixième. Dès lors que la réforme envisagée donne toutes les garanties pour le renforcement de l’enseignement de l’allemand,…

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas vrai !

M. François Rochebloine. N’importe quoi !

Mme Anne-Christine Lang. …conformément aux déclarations des deux pays et aux engagements de la France, et qu’elle permet d’accroître très sensiblement le nombre d’élèves germanistes, on ne comprend pas bien où vous voulez en venir.

M. Claude Goasguen. Parce que vous n’avez pas lu le projet de réforme !

Mme Anne-Christine Lang. Ou alors on le comprend trop bien. S’agit-il de défendre l’enseignement de l’allemand ?

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Oui !

Mme Anne-Christine Lang. Personne n’est dupe. Il est clair que votre première préoccupation n’est ni l’allemand ni même les performances linguistiques des jeunes français.

M. Claude Goasguen. Vraiment ?

Mme Anne-Christine Lang. Cette proposition de résolution n’est rien d’autre qu’une tentative un peu grossière de torpiller la réforme du collège et de s’assurer, surtout, que rien ne change.

M. François Rochebloine. Vos propos sont scandaleux !

M. Claude Goasguen. Nous ne sommes pas les seuls à critiquer votre réforme ! Regardez les manifestants !

Mme Anne-Christine Lang. Il s’agit de se faire le porte-voix de tous ceux qui, depuis 1975, refusent le collège unique, parce qu’ils refusent, au fond, la démocratisation de l’école. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il s’agit de défendre les formations d’excellence réservées à quelques-uns et de s’assurer qu’une certaine catégorie de la population garde toujours un avantage comparatif.

Mme Annie Genevard. Ce sont des caricatures !

Mme Anne-Christine Lang. Peu importe que 100 % des élèves aient désormais accès à une deuxième langue en cinquième.

M. Claude Goasguen. Vous n’aurez pas les enseignants nécessaires !

Mme Anne-Christine Lang. Ce qui importe, c’est que certains enfants aient plus que d’autres. C’est bien de cela qu’il s’agit. Une récente étude du Conseil national de l’évaluation du système scolaire – CNESCO – a montré qu’il existait en France une forte ségrégation, à la fois entre les établissements et à l’intérieur même de ceux-ci, notamment en raison des stratégies qui sont mises en place pour contourner la carte scolaire ou pour créer une ou deux bonnes classes homogènes au sein d’un établissement, ce qui se fait forcément au détriment des autres.

Aujourd’hui, 50 % des collèges français ont mis en place des classes de niveau, et ce chiffre atteint même 60 % en Île-de-France ; et 50 % de ces classes de niveau sont constituées par les classes bilangues.

M. Claude Goasguen. Mais c’est terrible !

Mme Anne-Christine Lang. Si l’on ajoute toutes les stratégies de choix de la LV1, russe en sixième, ou coréen, on voit bien que les langues vivantes sont incontestablement l’outil privilégié pour contourner la carte scolaire ou créer des classes de niveau au sein d’un même collège. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Et le rapport de l’Inspection générale ne dit pas autre chose. C’est un fait.

M. Luc Belot. Absolument !

Mme Anne-Christine Lang. La ségrégation au collège n’est pas seulement due aux disparités résidentielles. Elle est due aussi, et au même niveau, au système scolaire et aux choix qui sont effectués en matière d’options et de langues vivantes.

M. Claude Goasguen. Ce sont les enfants d’enseignants qui en bénéficient ! Seuls les professeurs connaissent ces astuces !

Mme Anne-Christine Lang. La suppression des classes bilangues de contournement est donc une mesure d’équité.

M. Claude Goasguen. De contournement ?

Mme Anne-Christine Lang. Voilà de quoi il s’agit, et voilà au fond les raisons de cette proposition de résolution. Il s’agit surtout de s’assurer que rien ne change. Vous vous battez pour que perdure cette ségrégation, alors que l’objet même de cette réforme est de lutter contre toutes les formes de ségrégation. Vous refusez le collège unique, alors qu’il n’est remis en cause nulle part en Europe. Vous défendez ceux qui ont toujours cherché, depuis quarante ans, grâce à des stratégies diverses, à dévoyer les missions qui ont été assignées au collège par René Haby lui-même, lequel, parce qu’il était d’origine populaire, refusait, dans un souci d’égalité, que les jeux soient faits dès l’âge de dix ans.

M. Bernard Accoyer. Vous ne pouvez pas dire cela !

Mme Anne-Christine Lang. C’est pourtant ce que vous proposez, et ce que propose un de vos collègues, à travers l’orientation précoce dès la sixième, reprenant ainsi la philosophie de l’apprentissage précoce prônée par Nicolas Sarkozy, qui a pourtant été un échec retentissant. Vous proposez d’orienter précocement vers l’enseignement professionnel la majorité des enfants issus des classes populaires, quand nous proposons de leur donner toutes les chances pour qu’ils choisissent leur orientation.

M. Patrick Ollier et Mme Claudine Schmid. C’est faux !

M. Claude Goasguen. Quel est le rapport ?

Mme Anne-Christine Lang. Ce que propose la droite, c’est un retour en arrière, c’est le renoncement à toute avancée en matière de démocratisation. Vous refusez le collège unique parce que, au fond, vous refusez la mixité. Quant à nous, nous la défendons, car nous nous battons pour une école plus juste, pour une école qui serve les intérêts de tous. C’est cela, l’école de l’exigence.

M. Patrick Ollier. Caricature et dogmatisme !

M. Claude Goasguen. Il n’y a pas assez de professeurs !

Mme Anne-Christine Lang. La mixité a des effets notables sur la réussite des élèves, car on apprend aussi de ses pairs et de ses voisins de classe. Un environnement mixte et hétérogène favorise la réussite de la très grande majorité des élèves, qui sont ainsi tirés vers le haut. Mais au mot « mixité », la droite répond : « nivellement par le bas ». (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Au mot « égalité », elle répond : « égalitarisme et médiocrité ». Et cela n’a aucun sens, car la mixité n’empêchera personne de réussir.

Dans le contexte actuel, marqué par de fortes tensions, et alors que des milliers d’adolescents issus de milieux populaires ont un sentiment de relégation et de ségrégation, la question du collège unique est pourtant un enjeu central. C’est bien plus qu’une question de savoirs académiques : il s’agit de créer un bien commun, où l’on travaille et où l’on grandit ensemble, quelle que soit son origine. Il s’agit de créer des références, des valeurs, une culture commune. Le collège, c’est l’endroit où se prépare la cohésion sociale.

Quelle image du collège donne-t-on aux enfants ? Quelle crédibilité voulez-vous que les jeunes accordent aux adultes quand, tout en prônant sans relâche le vivre ensemble, ceux-ci mettent en place un système qui fait tout pour ne pas les scolariser ensemble et pérennise la ségrégation scolaire, sociale et, disons-le, bien souvent ethnique. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Ollier. Vos propos sont scandaleux !

Mme Anne-Christine Lang. La ségrégation abîme le collège et la République. Exclure une partie d’une génération d’élèves finira par poser des problèmes à notre République.

Notre réponse, c’est de créer du commun en renforçant la scolarité commune, notamment à travers le socle commun de connaissances et de compétences, et en garantissant à tous une part significative d’enseignement collectif dans des classes hétérogènes ; être ensemble, apprendre de ses pairs, être ouvert à la diversité et à la différence et travailler ensemble.

M. Patrick Ollier. Arrêtez de réciter votre catéchisme !

Mme Anne-Christine Lang. Car l’éducation, c’est aussi une question de solidarité, d’entraide et de fraternité. Contrairement à ce que la droite voudrait laisser croire, et loin des caricatures, la gauche ne se désintéresse pas des bons élèves. Nous ne refusons ni l’émulation, ni la sélection, ni la diversité des talents, ni l’excellence, et il n’est pas question d’entraver les progrès des meilleurs élèves. Mais nous pensons que la sélection peut se faire à la fin du collège, sans que personne en pâtisse, au contraire.

M. Yves Fromion. Et tout le monde à l’université : on voit le résultat !

Mme Anne-Christine Lang. Au travers cette proposition de résolution sur un sujet qui pourrait sembler anecdotique, c’est toute la philosophie de la droite et sa conception de l’école qui se fait jour. Elle est aux antipodes de notre vison de l’école et de notre conception de l’égalité des chances. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Claude Goasguen. C’est Lionel Jospin qui a créé les classes bilangues ! Il n’était pas de droite, que je sache !

Mme Anne-Christine Lang. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, républicain et citoyen appellera à voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens d’abord à remercier M. Accoyer d’avoir pris l’initiative de cette discussion. Cela va me permettre de répéter publiquement ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire à certains d’entre vous, lorsque je les ai reçus au ministère. Il faut croire que mes propos n’ont pas été assez clairs. Je me réjouis en tout cas de pouvoir m’exprimer à nouveau devant vous tous.

Dans la discussion qui a commencé à s’engager, j’ai noté que certaines inexactitudes avaient été corrigées, ce dont je me réjouis. Je remercie M. Krabal, en particulier, d’avoir précisé la différence entre les classes bilingues et les classes bilangues. Les confusions sont fréquentes sur ce sujet, et il était important de rappeler que les classes bilangues se distinguent, par exemple, des écoles bilingues. Il existe aujourd’hui des maternelles bilingues, qui ne seront absolument pas touchées par la réforme, au contraire. Nous voulons en effet développer les maternelles allemand-français, qui permettent aux enfants de baigner complètement dans les deux langues dans toutes les matières.

Si M. Krabal a dissipé cette confusion, vous en avez entretenu une autre, monsieur Rochebloine, qu’il me revient de corriger. Vous avez indiqué que la proportion d’élèves apprenant l’allemand au collège était passée de 5,5 % en 2004 à 16 % en 2015. Vos chiffres ne sont pas exacts : ce pourcentage est en réalité passé de 14,2 % en 2004 à 14,7 % en 2014. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà !

M. François Rochebloine. Nous n’avons pas les mêmes chiffres !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je n’entends pas polémiquer ; je souhaite seulement que nous raisonnions à partir des mêmes données.

M. Claude Goasguen. Nous vous écoutons !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mesdames, messieurs les députés, l’amitié entre la France et son premier partenaire, l’Allemagne, se nourrit, vous l’avez dit, de liens culturels profonds, d’intérêts politiques et économiques partagés, et nous avons pleinement conscience de l’immense responsabilité qui est la nôtre dans la construction d’une Europe forte et à la hauteur des valeurs qu’elle porte dans le monde.

À l’heure où le tandem franco-allemand est appelé à jouer un rôle de plus en plus important sur la scène mondiale et alors que les échanges économiques ne feront que s’intensifier entre nos deux pays, il est en effet essentiel de renforcer la place de la langue allemande dans la formation des élèves français qui, de manière plus générale, ont besoin de s’ouvrir davantage aux langues vivantes pour s’ouvrir au monde et à ses opportunités, quel que soit le métier qu’ils exerceront plus tard.

C’est pourquoi j’ai décidé de conduire et de structurer pour le long terme – c’est inédit – une politique volontariste et pilotée au niveau national de développement des langues vivantes sur tout le territoire français, et notamment de l’allemand. Sans rien sacrifier aux exigences, au contraire en les rehaussant, nous voulons ouvrir l’acquisition de l’allemand à un nombre toujours plus grand d’élèves. Quand on est attaché au développement de la langue allemande, ce qui doit d’abord nous préoccuper, c’est le nombre d’élèves qui y ont accès plutôt que la concentration du nombre d’heures offertes à quelques-uns d’entre eux.

L’amélioration des compétences en langues vivantes étrangères des élèves français devrait faire consensus entre nous. Elle devrait nous réunir ; elle est en tout cas une de nos priorités, non seulement parce que les langues vivantes étrangères tiennent une place fondamentale dans la construction de la citoyenneté, dans l’enrichissement de la personnalité de ces jeunes, dans leur ouverture au monde, mais aussi parce que ces langues vivantes étrangères sont un atout dans l’insertion professionnelle des jeunes, en France comme à l’étranger.

J’en viens donc aux mesures adoptées par le Gouvernement. S’agissant de la langue vivante 1, l’introduction de son apprentissage est prévue dès le CP à partir de la rentrée 2016, tout en maintenant les horaires au collège. Contrairement à certaines rumeurs que j’ai pu entendre ici ou là, il n’est nullement porté atteinte aux horaires de la langue vivante 1. En d’autres termes, les enfants seront exposés plus précocement à la langue vivante 1, plus longtemps, sans que soit jamais remis en cause le nombre d’heures auquel ils ont droit au collège.

Cette nouvelle donne pour la langue vivante 1 permettra de faciliter son acquisition. Surtout, elle s’accompagne de la mise en place d’une carte des langues dans chaque académie, que nous rendrons publique en décembre 2015, et qui permettra, monsieur le président Accoyer, de répondre à votre juste interrogation sur ce qu’est aujourd’hui l’apprentissage de la langue vivante 1 à l’école primaire. Oui, cet apprentissage peut être amélioré, notamment en garantissant la continuité d’une année sur l’autre et la transition entre l’école primaire et le collège. C’est tout l’objet de la carte académique des langues sur laquelle nous sommes en train de travailler.

Cette carte a également vocation à favoriser la diversité des langues que l’on peut choisir en LV1 à l’école primaire. Nous travaillons pour offrir davantage de possibilités aux familles, et notamment promouvoir l’apprentissage de l’allemand en LV1. Cette cartographie des langues permettra de flécher les postes de professeurs des écoles susceptibles d’enseigner les langues vivantes 1 diversifiées que nous souhaitons dans les différentes académies, pour que nous n’ayons pas, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, une concentration des professeurs d’écoles susceptibles d’enseigner l’allemand en LV1 dans les zones frontalières, et pour que ces professeurs soient répartis sur l’ensemble du territoire.

En plus des professeurs des écoles qui seront formés pour cela, nous laisserons la possibilité à des professeurs du second degré volontaires de venir renforcer cet apprentissage de la langue vivante 1, notamment l’allemand, à l’école primaire. Je vous rappelle aussi que nous allons recourir beaucoup plus largement à des assistants de langue et à des intervenants extérieurs que votre majorité – allez savoir pourquoi ! – avait décidé de supprimer.

Voilà comment nous mobilisons des moyens à l’école élémentaire au service de la diversité linguistique dans le choix de la première langue vivante.

S’agissant de la seconde langue vivante, la réforme du collège avance d’un an son apprentissage qui, au lieu d’attendre la classe de quatrième, débutera en classe de cinquième. Monsieur le président Accoyer, vous souhaitez faire passer le nombre d’élèves dans les dispositifs bilangues – actuellement de 16 % – à 50 %. Je vous réponds que la réforme du collège a vocation à faire passer le nombre d’élèves de cinquième apprenant deux langues vivantes – donc bilangues – à 100 %. La réforme du collège, c’est donc le bilanguisme pour tous les élèves.

M. Claude Goasguen. Avec combien de professeurs ?

M. Éric Straumann. Et à quel niveau ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Tous les élèves suivront désormais deux heures et demie hebdomadaires de langue vivante 2 de la cinquième à la troisième, contre trois heures hebdomadaires en classes de quatrième et de troisième actuellement. Concrètement, cela signifie cinquante-quatre heures de plus de langue vivante 2 au cours de la scolarité au collège pour tous les élèves. Tous bénéficieront par conséquent, grâce à la réforme du collège, de plus d’heures de cours en langues vivantes étrangères.

M. Patrick Ollier. Qui va enseigner ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Qui plus est, la réforme du collège offre la possibilité d’un véritable renforcement linguistique grâce à la présence des langues vivantes étrangères dans les enseignements pratiques interdisciplinaires, sur le modèle de la discipline non linguistique dans les sections européennes de lycée que vous connaissez bien et qui ont fait leurs preuves, et que nous transposons en quelque sorte au collège.

Si je devais la résumer, la politique que je conduis en matière de langues vivantes s’appuie donc sur la mobilisation de plusieurs instruments : la mise en place d’une carte des langues dans chaque académie et la mobilisation de nouvelles ressources humaines. S’agissant de l’allemand en particulier, je veux rappeler que nous passons de quelque 200 postes ouverts au concours par votre majorité en 2010 à 515 postes ouverts par notre majorité à la rentrée prochaine.

M. Bernard Accoyer. Il n’y a pas assez de candidats, vous le savez bien !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. A priori, cela devrait vous laisser penser que nous souhaitons développer le nombre non seulement de professeurs d’allemand, mais aussi de classes.

Je vous ai entendus, messieurs de la droite, nous mettre au défi de pourvoir les postes que nous ouvrons. Il est sûr que ce défi se pose beaucoup moins lorsque l’on n’ouvre pas de postes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Claude Goasguen. On veut des agrégés !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Bien sûr, lorsque l’on ouvre des postes au CAPES ou à l’agrégation,…

M. Claude Goasguen. Combien ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …cela vaut d’ailleurs pour l’allemand comme pour le latin, comme pour les lettres classiques,…

M. Claude Goasguen. Combien ?

M. Patrick Ollier. Deux postes !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je tiens les chiffres à votre disposition.

M. le président. Un peu de calme, chers collègues !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. On vous a beaucoup moins entendus lorsqu’il s’est agi, sous la précédente majorité, de supprimer quasiment la moitié du nombre de postes ouverts pour les lettres classiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Luc Belot. Exactement !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je ferme la parenthèse, et je veux vous rassurer cependant…

M. Patrick Ollier. Vous ne nous rassurez pas du tout !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …– parce que je veux croire malgré tout que vous êtes de bonne foi et que les résultats d’admissibilité aux concours des enseignants vous intéressent sérieusement – en rappelant une chose. Oui, il a été difficile pour notre majorité, en 2012, de faire comprendre à ceux qui sont encore étudiants que la politique de l’éducation nationale est désormais toute autre, que l’on ouvre des postes et que l’on peut trouver des perspectives dans l’éducation nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Claude Goasguen. Lesquelles ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous ouvrons 60 000 postes sur cinq ans, sans doute cette information vous avait-elle échappé !

M. Claude Goasguen. Combien de postes de valeur ? Combien d’agrégés ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cela a été difficile, parce que vous aviez considérablement asséché le vivier, monsieur le député, et c’est la raison pour laquelle les concours de 2013 et 2014 ont eu du mal à être pourvus.

M. Pierre Lellouche. Tout le monde est contre vous, parents et enseignants !

M. le président. La parole est à Mme la ministre, et à elle seule !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cette année, les résultats d’admissibilité confirment une amélioration du recrutement, y compris dans les disciplines qui connaissent des difficultés depuis plusieurs années. En mathématiques, pour donner un exemple, nous comptons 33 % d’inscrits au concours en plus par rapport à 2013…

M. Claude Goasguen. Quel sera leur niveau ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …et en anglais, 27 % de plus par rapport à 2013. Je suis sûre que ces informations vous intéresseront, monsieur le député, vous pourrez vous pencher dessus un peu plus tard. Puisque vous posez la question du nombre d’agrégés, il y a eu cette année 5,47 inscrits pour un poste à l’agrégation d’allemand, et plus de deux admissibles pour un poste,…

M. Claude Goasguen. Combien de postes au total ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …contre moins de deux admissibles pour un poste lors de la session 2013.

M. Claude Goasguen. Combien de postes ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Donc, oui, nous aurons des postes au concours ; il y aura des candidats pour passer le concours. Je vous remercie par avance de cesser de nourrir ces fantasmes et ces inquiétudes, nous n’avons pas besoin de cela…

M. Claude Goasguen. L’agrégation, vous ne connaissez pas !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …et si vous êtes si attaché que cela à l’allemand, vous devriez tenir un discours positif plutôt qu’un discours alarmiste en permanence.

Comme je vous l’ai annoncé, nous allons nommer de manière imminente un délégué ministériel à l’apprentissage de l’allemand en France, parce que je souhaite que les objectifs ambitieux – je vous remercie de l’avoir souligné – que j’ai fixés aux académies puissent être rigoureusement évalués.

Mais revenons sur les dispositifs bilangues. Je veux le rappeler : à l’origine, l’objectif de la création du dispositif bilangue était – je suis sûre que vous avez regardé les textes ! – de permettre la continuité de l’apprentissage de l’allemand entre l’école primaire et le collège.

L’appellation de classes bilangues apparaît dans le contexte du développement de l’apprentissage de l’allemand suite au conseil des ministres franco-allemand de Berlin du 26 octobre 2004.

M. Patrick Ollier. Qui était alors ministre de l’éducation nationale ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. L’objectif du dispositif bilangue est d’encourager le développement de l’allemand à l’école élémentaire. Je vous cite ici la circulaire de rentrée 2005 : « L’enseignement de l’allemand sera (…) systématiquement encouragé à l’école élémentaire. Là où les élèves auront choisi l’allemand au cycle III, les inspecteurs d’académie veilleront à assurer la continuité de cet apprentissage dans la classe de sixième du collège de secteur. L’enseignement de l’anglais pourra alors être proposé dès la sixième à des élèves germanistes par la formule de "classe bilangue". Elle peut être étendue aux élèves ayant choisi en primaire une langue à faible diffusion scolaire ». Voilà ce que sont les classes bilangues.

Cet objectif initial a été dévoyé par la suite : on observe très rapidement le développement conjoint de classes bi-langues dites de contournement, ou de grands commençants, pour des élèves qui ont appris l’anglais à l’école élémentaire, et pas l’allemand.

M. Pierre Lellouche. C’est honteux de dire cela !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il s’en est suivi un effondrement de la diversité linguistique dans le premier degré.

M. Pierre Lellouche. Écoutez les parents !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mais écoutez-moi ! Si le sujet vous intéresse, je vous communique les données pour que vous puissiez juger.

M. Claude Goasguen. On connaît, c’est nous qui avons créé les classes bilangues !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. La diversité linguistique s’est ainsi effondrée dans le premier degré tout au long des années 2000 : entre les rentrées 2001 et 2013, le pourcentage des élèves apprenant l’allemand à l’école élémentaire est passé de 19 % à 6 %, celui des élèves apprenant l’espagnol de 2 % à 1,3 %, celui des élèves apprenant l’italien de 1,1 % à 0,6 %, et celui des élèves apprenant le portugais de 0,2 % à 0,1 %.

En d’autres termes, si 89 % des élèves qui apprennent l’allemand en sixième sont aujourd’hui dans un dispositif bilangue, cela ne signifie pas que la survie de l’allemand est liée au maintien du dispositif bilangue, mais cela traduit un dévoiement du dispositif bilangue, le plus souvent au détriment de l’offre d’allemand en langue vivante 2. Car dans le collège actuel, dans les établissements où des classes bilangues se sont ouvertes, lorsqu’un élève cherche à prendre l’allemand en classe de quatrième, il arrive souvent qu’on lui dise que ce n’est pas possible. En effet, ces enseignants qu’il est difficile de recruter – vous le dites vous-même – sont concentrés sur les classes bilangues qui concernent 16 % des élèves. Ils ne peuvent donc pas répondre à la demande de ceux qui voudraient faire allemand en seconde langue en quatrième.

M. Claude Goasguen. Il faut mettre partout des classes bilangues !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Que change la réforme du collège ? D’abord, elle consolide les bilangues de continuité qui, aujourd’hui, n’ont aucun statut juridique. Vous admettrez que c’est un progrès. La réforme du collège les renforce en effet, puisqu’au lieu d’offrir une possibilité, elle garantit à tous les enfants qui auront appris en primaire une autre langue vivante que l’anglais – notamment l’allemand – de commencer l’anglais, qui paraît toujours essentiel aux parents, dès la classe de sixième.

C’est ce que stipule l’article 8 de l’arrêté du 19 mai 2015 relatif à l’organisation des enseignements dans les classes de collège : « Les élèves qui ont bénéficié de l’enseignement d’une langue vivante étrangère autre que l’anglais à l’école élémentaire peuvent se voir proposer de poursuivre l’apprentissage de cette langue en même temps que l’enseignement de l’anglais dès la classe de sixième. » Cela viendra renforcer la diversité linguistique dans le premier degré, vous le comprenez bien.

Par ailleurs, je le redis, la réforme du collège introduit le bilanguisme pour tous en classe de cinquième, quand seulement 16 % des élèves bénéficient aujourd’hui des dispositifs bilangues.

Mesdames, messieurs les députés, oui, il faut faire vivre la solidarité franco-allemande et ce doit être avant tout l’œuvre de la jeunesse – je cite ici le général de Gaulle.

M. Pierre Lellouche. Il doit se retourner dans sa tombe !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Oui, la politique que je conduis en matière de langues vivantes accorde une place importante, essentielle, à l’apprentissage de l’allemand. Pour cette raison, j’ai voulu fixer des objectifs chiffrés très ambitieux – les autres langues pourraient m’en réclamer autant, mais j’ai conscience de la particularité de la relation entre la France et l’Allemagne.

À l’école élémentaire, comme vous le savez, le nombre d’élèves qui apprennent l’allemand en LV1 passera de 178 000 à 200 000 dès la rentrée 2016, soit une augmentation de 12 %. Dans l’ensemble des académies, l’offre d’allemand sera renforcée.

M. Patrick Ollier. Avec quels professeurs ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Au collège, le nombre d’élèves qui apprennent l’allemand en LV2 passera de 487 000 à 515 000 dès la rentrée 2016, soit une augmentation de 6 %.

M. Patrick Ollier. Tout cela est théorique ! Vous n’en avez pas les moyens !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. En d’autres termes, la politique que je mène conduira, dès 2016, au développement de l’allemand, en première comme en seconde langue vivante.

Le niveau des élèves augmentera. En effet, ils commenceront l’apprentissage de l’allemand dès la classe de CP, avec une véritable continuité que nous garantissons enfin sur l’ensemble de l’école primaire, et ils bénéficieront de cinquante-quatre heures supplémentaires de LV2 au collège. Alors que nous augmentons l’exposition à l’allemand, que nous renforçons la continuité de l’apprentissage et que nous garantissons les transitions pour les élèves, il serait particulièrement difficile de prétendre que le niveau de langue pourrait baisser ! Le délégué ministériel à l’apprentissage de l’allemand aura pour mission de garantir l’atteinte de ces objectifs chiffrés.

Nous conduisons par ailleurs de nombreuses actions en faveur du renforcement de la mobilité des élèves français vers l’Allemagne et de la coopération entre nos deux pays. Je pense en particulier au réseau d’écoles maternelles bilingues que j’évoquais tout à l’heure et dans lequel plus de 110 établissements sont aujourd’hui engagés. Je vous prie de croire que, contrairement à une idée reçue, ces maternelles bilingues ne se développent pas seulement dans les régions frontalières ;…

M. Claude Sturni. Il en faudrait plus !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …on en trouve dans d’autres régions qui ne sont pas a priori à proximité géographique immédiate de l’Allemagne – je pense à Toulouse, Bordeaux ou à La Réunion. Il faut poursuivre cette démarche, de même que le développement des sections linguistiques dans les lycées professionnels, qui progressent fortement. À la rentrée prochaine, je vous invite, si vous le souhaitez, à venir avec moi inaugurer la section franco-allemande automobile liant la Sarre et la Lorraine.

M. Éric Straumann. La Sarre est bilingue !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Enfin, il convient de développer les jumelages entre établissements scolaires, comme nous le faisons avec l’Office franco-allemand pour la jeunesse.

Je termine en rappelant les termes du traité de l’Élysée signé le 22 janvier 1963 : « Les deux gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. »

M. François Rochebloine. Eh oui !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. « Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande. »

M. Pierre Lellouche. C’est ce que vous sabordez, madame !

M. Éric Straumann. Il faut donc voter cette proposition de résolution !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mesdames, messieurs les députés, non seulement la France respecte ses engagements internationaux, mais ce sont les termes du traité de l’Élysée qui guident aujourd’hui notre politique en matière de langues vivantes et de promotion de l’allemand. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

M. Claude Sturni. Vous êtes donc favorable à cette proposition de résolution !

M. le président. Sur la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Explications de vote

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Alain Leboeuf, pour le groupe Les Républicains.

M. Alain Leboeuf. À vous écouter, madame la ministre, nous ne vivons pas tout à fait dans le même monde. J’ai été chef d’établissement au moment où il a fallu mettre en place ces classes bilangues, dont l’objectif initial était de poursuivre l’enseignement de l’allemand, en particulier dans les classes primaires, comme vous l’avez rappelé à raison tout à l’heure. J’ai eu la chance de diriger une école primaire qui était située non pas dans une zone frontalière, mais au bord de l’Atlantique, donc très loin de l’Allemagne. Les chefs d’entreprise déploraient alors de ne pas avoir les ressources leur permettant de travailler avec nos amis allemands : c’était, pour les établissements de l’ouest de la France, une raison supplémentaire d’enseigner deux langues vivantes.

Nous avons donc permis l’enseignement de deux langues vivantes, l’allemand et l’anglais, en incitant les familles à choisir l’allemand dès le primaire. Or, pour faire ce choix, il était impératif de permettre aux élèves apprenant l’allemand en primaire de poursuivre cet apprentissage en sixième, parallèlement à l’anglais qui est, comme les parents le savent, la langue que tous les enfants doivent absolument étudier. Pour que les parents acceptent que l’allemand soit enseigné à leurs enfants, il faut donc proposer ces deux langues dès la sixième. C’est une erreur fondamentale que de supprimer cette possibilité.

Vous dites, madame la ministre, que vous voulez faire du chiffre. Vous n’avez cessé de citer des chiffres et d’arguer qu’en supprimant les classes bilangues de sixième, vous allez proposer l’apprentissage de l’allemand beaucoup plus largement à partir de la cinquième. Faire du chiffre, qu’est-ce que cela veut dire ?

Nous voyons bien que les enfants ne choisissent plus l’allemand, parce qu’ils considèrent que cette langue est compliquée.

M. Jean-Claude Mathis. En effet !

M. Alain Leboeuf. En proposant des classes bilangues dès la sixième, on donnait aux élèves une chance supplémentaire de commencer cet apprentissage dès la cinquième. Vous prétendez donner la même chance à tous les enfants, mais les parents nous disent exactement l’inverse. Auparavant, en sixième, on proposait aux élèves apprenant les deux langues trois heures d’allemand et trois heures d’anglais, et on laissait aux autres une chance supplémentaire en leur proposant quatre heures d’anglais. Aujourd’hui, vous voulez donner le même niveau à tout le monde, mais pourquoi ne proposez-vous pas un peu plus d’heures d’anglais à ceux qui ne choisiraient pas deux langues, afin de leur donner la chance de réussir au moins une langue ? Vous le savez au fond de vous-même, mais vous ne voulez pas le reconnaître ici : vous n’allez pas permettre à l’ensemble de nos enfants de réussir en empêchant ceux qui pourraient aller plus loin de le faire et ceux qui rencontrent des difficultés de relever leur niveau.

Vous vous trompez de réforme, simplement parce que vous êtes dans l’idéologie, comme vous l’avez démontré une fois de plus.

M. Michel Ménard. Ce n’est pas très convaincant !

M. Alain Leboeuf. Je ne suis peut-être pas convaincant, mais je suis un praticien. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Elisabeth Pochon. Vous n’êtes pas le seul !

M. Alain Leboeuf. Allez rencontrer les familles dans les établissements ! Aujourd’hui, les enseignants ne vous suivent pas non plus.

Mme Elisabeth Pochon. Mais bien sûr !

M. Alain Leboeuf. Les enfants ne pourront pas suivre.

M. Bruno Le Roux. Nous, on n’arrive pas à vous suivre, en tout cas !

M. Alain Leboeuf. Quant aux chiffres, quand on vous demande le nombre de professeurs agrégés et certifiés, vous répondez avec des pourcentages plutôt qu’avec des valeurs absolues.

M. Pascal Popelin. Les explications de vote ne sont-elles pas limitées à deux minutes, monsieur le président ?

M. Alain Leboeuf. Combien de postes d’agrégés en allemand sont-ils ouverts cette année ? Deux postes.

Mme Elisabeth Pochon. Et avec vous, c’était combien ?

M. Alain Leboeuf. Est-ce avec ces deux postes-là que vous allez pouvoir proposer un enseignement d’allemand de qualité sur l’ensemble du territoire national ? Vous voyez bien que vous nous trompez, madame la ministre.

M. Jean Launay et M. Michel Ménard. Il faut lui couper la parole, monsieur le président !

M. Alain Leboeuf. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas continuer à vous croire. Vous énoncez une belle théorie mais, dans la pratique, ce que vous proposez n’est pas à la hauteur de ce dont la France a besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. Je serai très bref, car je crois avoir suffisamment démontré dans la discussion générale que le groupe UDI était favorable à cette proposition de résolution.

Il faut parler en connaissance de cause. Je vous rappellerai très simplement, madame la ministre, les propos de l’ancien premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, qui est lui-même agrégé d’allemand…

M. Bernard Accoyer. Non, il n’est pas agrégé !

M. Claude Goasguen. Il est professeur d’allemand certifié !

M. François Rochebloine. …et qui a condamné la suppression de ces classes bilangues. Cela vous fait sourire, madame la ministre, et je le regrette. Prenez en compte l’avis des praticiens, de ceux qui ont de l’expérience en ce domaine ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vous avez cité des pourcentages. Mais comme vient de le souligner notre collègue du groupe Les Républicains, ce pourcentage ne correspond, en valeur absolue, qu’à deux postes. Il faut parler en nombre de postes, et non en pourcentages ! Pour ma part, je n’ai pas du tout les mêmes pourcentages. J’aimerais donc que vous puissiez confirmer vos chiffres et citer vos sources – vous savez que l’on peut faire dire aux chiffres beaucoup de choses,…

M. Michel Ménard. Vous êtes un expert !

M. François Rochebloine. …selon que l’on parle en pourcentages ou en nombre de postes.

Le groupe UDI votera avec beaucoup d’enthousiasme cette excellente proposition de résolution, que soutiennent d’ailleurs tous les professeurs d’allemand, lesquels sont très défavorables à votre réforme, comme vous le savez très bien, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Le Roux. N’importe quoi !

Vote sur la proposition de résolution

M. le président. Je mets aux voix la proposition de résolution.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants64
Nombre de suffrages exprimés64
Majorité absolue33
Pour l’adoption25
contre39

(La proposition de résolution n’est pas adoptée.)

2

Expérimentation d’un service civique de défense

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Yves Fromion et plusieurs de ses collègues visant à expérimenter un service civique de défense (nos 2732, 2831).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Yves Fromion, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Yves Fromion, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mes chers collègues, les débats qui ont suivi les attentats du début du mois de janvier ont remis en évidence deux réalités trop souvent occultées : d’une part, l’insuffisante imprégnation d’un certain nombre de jeunes par les valeurs de la République, et plus largement par les valeurs et principes de notre société ; d’autre part, la situation d’échec dans laquelle se trouvent près de 10 % des jeunes qui abordent la vie active sans maîtriser les savoirs fondamentaux. À cette occasion, beaucoup de voix se sont exprimées pour regretter le service national obligatoire,…

M. François Rochebloine. C’est vrai !

M. Yves Fromion, rapporteur. …creuset de mixité mais aussi d’appropriation des valeurs de discipline, d’engagement et de citoyenneté.

Pour de multiples raisons, il n’est pas raisonnable de revenir sur l’abandon de la conscription. La question se pose cependant de savoir si les armées, compte tenu des qualités propres qui sont les leurs, sont susceptibles d’apporter des réponses aux deux constats que je viens d’évoquer.

Outre qu’elles constituent déjà un vecteur d’intégration considérable pour les milliers de jeunes accueillis chaque année au sein de leurs forces professionnalisées, nos armées mettent en œuvre avec succès, depuis 1961, le service militaire adapté dans les outre-mer. Elles apportent aussi une contribution indirecte mais importante à l’établissement public de la défense – EPIDE – créé en 2005. La loi de programmation militaire, qui vient d’être actualisée, crée à titre expérimental un service militaire volontaire pour 1 000 jeunes, qui correspond en réalité à une transposition du service militaire adapté en métropole.

Au demeurant, les divers dispositifs dont je viens de rappeler l’existence ne sont pas à la mesure de l’ampleur du besoin qui s’exprime.

Conscient de la situation, le Président de la République vient de décider de donner une nouvelle impulsion au service civique, créé en mars 2010, en le rendant universel et en portant à 150 000 le nombre de bénéficiaires potentiels.

La création d’un service civique de défense s’inscrit donc pleinement dans l’orientation fixée par le Président de la République, tout en visant à répondre à une critique souvent faite au service civique, accusé de ne pas offrir aux jeunes, notamment à ceux qui sont le plus en difficulté, un cadre d’accueil suffisamment structuré pour les aider à construire une personnalité mieux préparée à l’insertion citoyenne dans la communauté nationale.

Qu’est-ce que le service civique de défense ? Il s’adresse aux jeunes français de 18 à 25 ans. Il s’effectue sur la base du volontariat, sur une période continue de six mois, reconductible une fois. Sa principale particularité est d’intégrer ces jeunes dans des unités militaires : en effet, il se déroule en totalité au sein des formations des forces armées de terre, de mer et de l’air.

Les volontaires défense reçoivent une formation militaire de base d’environ deux mois visant à les rendre aptes à l’exécution des missions qui leur sont confiées. Ils participent ainsi à l’ensemble des activités se rapportant à la préparation et à l’emploi des forces opérationnelles. Ils participent aux missions de sécurisation, de protection et d’intervention au profit des populations.

En revanche, il ne peut en aucun cas être engagé dans les zones de conflits armés hors du territoire national.

Le volontaire défense bénéficie d’un statut spécifique et d’une rémunération prévue dans le service civique, adaptés au fait que ce service, d’un type particulier, dépasse largement les vingt-quatre heures hebdomadaires du service civique.

En complément du temps consacré aux activités militaires, les volontaires bénéficient de séquences de mise à niveau des savoirs de base et d’un accompagnement personnalisé par des organismes spécialisés pour effectuer une évaluation de leurs potentialités et de leurs aspirations. Tout cela dans le but de les préparer à l’insertion future dans la sphère professionnelle.

Pour finir, le service civique de défense doit nécessairement présenter aux jeunes des éléments d’attractivité suffisants pour susciter leur intérêt. Outre les avantages qui accompagnent déjà le contrat de service civique et outre l’obtention gratuite du permis de conduire pour chacun des volontaires, on devra leur proposer notamment : un accès à la réserve opérationnelle, un accès facilité aux emplois civils ou militaires de la défense ou encore aux entreprises de défense, un accès prioritaire dans les filières de formation professionnelle, un accès facilité aux aides à l’installation professionnelle. En fait, ces jeunes doivent bénéficier d’un retour eu égard à leur engagement au service de la nation.

Ainsi, chaque année, le service civique de défense pourrait accueillir 10 000 jeunes – 5 000 par semestre –, aujourd’hui éloignés des valeurs de la République et de l’insertion professionnelle, laquelle est la base de l’insertion dans la République.

Par ailleurs, le service civique de défense, tel que je vous le propose, est un dispositif gagnant-gagnant à la fois pour nos jeunes en difficulté d’insertion et surtout pour la défense.

Il est tout d’abord gagnant pour les jeunes et la nation, car il s’agit d’un vecteur puissant d’intégration citoyenne, dont le besoin n’est plus à démontrer. En effet, grâce à l’intégration de ces jeunes dans les unités militaires, c’est le moyen pour eux, par un effet d’osmose, d’adhérer aux valeurs et aux références qui leur font défaut, et de contribuer à construire leur personnalité.

Ensuite, ce dispositif est gagnant pour la défense.

M. Jean-François Lamour. Très juste !

M. Yves Fromion, rapporteur. En contrepartie de l’effort qui leur est demandé pour accueillir les jeunes volontaires en service civique de défense, nos forces armées disposent d’un effectif de plusieurs milliers de jeunes, aptes à participer sur le territoire national aux missions qui leur incombent. C’est cela la différence fondamentale avec les autres dispositifs aujourd’hui en vigueur et qui, d’une façon ou d’une autre, pèsent sur la défense sans apporter de contrepartie.

M. Jean-François Lamour. Très bonne analyse.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’opportunité de renforcer l’armée à titre permanent par une capacité de 10 000 volontaires par an, formés et encadrés, est très positive et peut être prise en considération comme une solution véritablement crédible au problème de l’intervention de l’armée dans la sécurisation du territoire national, comme ce fut d’ailleurs toujours le cas par le passé.

Ainsi proposé, le service civique de défense est à même d’offrir une perspective à la fois profitable pour les jeunes Français « en mal d’insertion républicaine » et pour nos forces armées.

Il me paraît important à présent d’évoquer les dispositions concernant le financement de cette proposition, question que l’on ne peut pas évacuer. La création du service civique de défense, dont une partie du financement serait imputable au dispositif du service civique, présente pour le ministère de la défense des charges nouvelles, assorties cependant des contreparties que je viens de mentionner.

La dépense supplémentaire, non prévue dans la loi de programmation militaire, et de toute évidence impossible à intégrer dans le périmètre budgétaire en vigueur, implique l’attribution d’une dotation compensatoire au budget de la défense, ce qui devrait d’ailleurs être cas pour le service miliaire volontaire dont on ne connaît pas le financement.

L’encadrement des volontaires de défense exige également le renforcement des unités en personnels officiers et sous-officiers, professionnels évidemment. C’est pourquoi la mise en œuvre du service civique de défense s’inscrit parfaitement dans l’annulation de la déflation des effectifs de nos forces armées prévue dans la loi de programmation militaire 2014-2019. Le coût du dispositif pour la défense peut être évalué à environ 150 millions d’euros à pleine charge et non dans la phase de démarrage qui interviendra petit à petit. Lorsque je parle de coût, je me réfère à ce qui existe aujourd’hui – le service militaire adapté, des structures identiques.

Pour conclure, la création d’un service civique de défense répond à un triple objectif que je tiens à rappeler.

Premièrement, il apporte une réponse adaptée à la problématique de la jeunesse « en mal de citoyenneté » et il enrichit ainsi le service civique des « savoir-être » et « savoir-faire », remarquablement mis en œuvre dans nos armées pour la formation des jeunes. Personne ne peut le contester.

Deuxièmement, il propose un dispositif gagnant-gagnant permettant à la défense de bénéficier d’un effectif de 5 000 volontaires, soit 10 000 par an, formés aux activités militaires.

Troisièmement, il renforce le lien armée-nation, quelque peu distendu depuis l’abandon du service national,…

M. François Rochebloine. C’est vrai !

M. Yves Fromion, rapporteur. …et il contribue à alimenter l’effectif de la réserve opérationnelle, dont le renforcement est un des objectifs affichés par la majorité au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire.

Ce dernier point est particulièrement important et c’est sur cette remarque que je terminerai mon intervention. Le service civique de défense constituera une contribution visible et essentielle au renforcement du lien armée-nation en apportant une nouvelle preuve concrète que l’armée est toujours un véritable creuset de mixité sociale et une remarquable machine d’apprentissage des valeurs républicaines.

Compte tenu des appréciations favorables qui ont été portées ici même sur cette initiative, lors du débat sur l’actualisation de la loi de programmation militaire par le ministre de la défense et par la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, je ne doute pas qu’un avis positif soit porté sur cette proposition et je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la défense nationale est des forces armées, mesdames, messieurs les députés, le ministère de la défense partage cette idée que la formation à la citoyenneté et la transmission des valeurs de la République sont des missions importantes, qu’elles nous incombent à tous, et pas seulement au ministère de la défense, que le ministère de la défense en prend toute sa part dans son champ de compétence en menant de nombreuses actions.

Rappelons tout d’abord que le ministère de la défense accueille chaque année plus de 765 000 jeunes lors de la Journée défense et citoyenneté – JDC. Cela représente la totalité d’une classe d’âge, garçons et filles de 17 à 25 ans, regroupés pour ce grand rendez-vous citoyen. La JDC est l’occasion de rappeler les valeurs de la République et d’aider les jeunes à mieux comprendre le fonctionnement des institutions de leur pays. Moment d’information, non seulement elle offre une sensibilisation aux enjeux de défense et de sécurité, mais elle permet également d’informer les jeunes sur leurs droits et devoirs de citoyens, et de leur présenter les nombreuses formes d’engagement qui s’offrent à eux.

Le plan égalité des chances du ministère de la défense, fondé sur l’éducation et la promotion sociale, vise précisément à favoriser la mixité et la diversité en permettant à des jeunes de 14 à 25 ans, au sein d’un environnement militaire, de faire valoir ce qu’ils sont et ce qu’ils peuvent accomplir en développant le sens de la citoyenneté, la confiance en soi et l’envie d’aller de l’avant.

Pour ne citer que quelques exemples, les onze centres de cadets accueillent plus de 300 cadets de la défense, dont 30 % sont scolarisés en établissements "éducation prioritaire" ; 15 % des places des lycées de la défense sont dévolues aux élèves boursiers méritants ; les périodes militaires accueillent plus de 12 000 jeunes par an ; enfin, les stages offerts par les armées et services du ministère permettent chaque année à 10 000 jeunes bénéficiaires d’y être accueillis. Au total, ce sont plus de 30 000 jeunes qui bénéficient chaque année de l’une des actions du plan égalité des chances.

Promoteur incontournable de la diversité, le ministère de la défense s’affirme également comme le premier recruteur public en France. Plus de 20 000 jeunes rejoignent ainsi chaque année les rangs de nos armées, et le ministère de la défense continue d’accroître et d’élargir ses recrutements. Ce sont autant de jeunes qui s’engagent et font ainsi l’expérience de la citoyenneté, développant le sens de l’effort et le goût de la discipline.

Les armées disposent aussi de dispositifs particuliers qui permettent d’offrir aux jeunes une première expérience professionnelle. Le volontariat permet ainsi aux jeunes Français de moins de vingt-cinq ans de connaître une première intégration parmi les acteurs de la défense nationale, qui peut aller jusqu’à cinq ans.

Le volontariat peut être effectué dans chacune des armées – Terre, Mer, Air – et dans la gendarmerie, les autres directions et services de la défense, comme la Direction générale de l’armement, le service de santé ou le service des essences.

Le volontaire participe alors aux missions de la force armée à laquelle il est affecté et reçoit une solde mensuelle. Il peut également obtenir la validation de l’expérience professionnelle acquise au cours du volontariat.

Ce dispositif permet aux jeunes, dans le contexte difficile que l’on connaît, de bénéficier d’une première expérience professionnelle enrichissante qu’ils peuvent aisément valoriser par la suite auprès d’un employeur, tant par les savoir-faire que par les savoir-être qu’ils ont acquis. Le volontariat a attiré près de 2 150 jeunes en 2014.

La réserve opérationnelle permet encore un autre type d’engagement, plus ponctuel, mais tout aussi enrichissant. Militaires à temps partiel, formés et entraînés, pleinement intégrés dans leur unité, les réservistes opérationnels permettent de renforcer les capacités des forces armées et incarnent le lien entre la nation et ses forces armées, faisant vivre de belle manière l’esprit de défense. Vous le savez d’ailleurs, le ministère souhaite s’appuyer davantage encore sur la réserve tout en favorisant un rajeunissement de ses recrutements.

Par ailleurs, depuis 1961, et vous le rappelez à juste titre, les armées mettent également en œuvre, avec un succès jamais démenti, le service militaire adapté, dispositif militaire d’insertion socioprofessionnelle au profit de la jeunesse des outre-mer.

S’inspirant de ce dispositif existant pour les territoires ultramarins, le Président de la République a d’ailleurs annoncé, le 5 février dernier, l’expérimentation en métropole d’un service militaire volontaire, le SMV.

Et c’est encore le ministère de la défense qui, en partenariat avec des entreprises et des acteurs régionaux de l’emploi et de la formation, s’attache à mettre en œuvre cette expérimentation, apportant ainsi les outils nécessaires aux jeunes bénéficiaires pour qu’ils s’insèrent professionnellement dans les meilleures conditions.

Menée à compter de la rentrée scolaire 2015 par la défense pendant deux ans, cette expérimentation concernera un millier de volontaires. Et à l’instar du SMA outre-mer, ce service volontaire se distingue des autres dispositifs d’insertion professionnelle par sa militarité. Les jeunes volontaires, sous statut militaire, bénéficieront en effet d’un encadrement, d’une formation et d’un environnement militaires. Les volontaires seront ainsi hébergés dans des emprises militaires à Montigny-Lès-Metz en Moselle, Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne et à La Rochelle en Charente-Maritime.

Outre une formation professionnelle, les jeunes stagiaires volontaires bénéficieront d’une éducation citoyenne et d’une remise à niveau scolaire et sportive. Une formation aux premiers secours et à la conduite leur sera également dispensée. En outre, leur statut militaire permettra à ces jeunes, en cas de besoin, de participer au renfort de missions simples sur le territoire national.

Ces jeunes volontaires bénéficieront donc, pendant leur service militaire volontaire qui durera de six à douze mois, d’un véritable apprentissage des valeurs de la République, en participant pleinement à la vie de nos armées.

Enfin, le ministère de la défense diversifiera et augmentera le nombre de missions de service civique qu’il propose, conformément à la décision du Président de la République de porter à 70 000 jeunes dès 2015 et à 150 000 jeunes en 2016 le nombre de volontaires du service civique désormais universel.

Je vous présentais tout à l’heure l’expérimentation du service militaire volontaire que la défense va mener. Cette expérimentation, dont la finalité est proche de celle que vous appelez de vos vœux, a un coût qui a été évalué, hors infrastructure, à 35 millions d’euros pour 1 000 volontaires.

Je vous propose de participer d’abord à la mise en œuvre et à l’évaluation de l’expérimentation du service militaire volontaire telle qu’elle est définie à cette heure, car certaines des idées et pistes suggérées par cette proposition de loi pourraient utilement enrichir le modèle que nous sommes en train de construire.

Vous comprendrez donc que le Gouvernement s’oppose à cette proposition de loi, sans pour autant en écarter la philosophie, puisqu’elle est aussi la nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. François Rochebloine. Quel dommage !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marianne Dubois.

Mme Marianne Dubois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Fromion va dans le bon sens. Partant du constat qu’il existe une certaine nostalgie – pour ne pas dire : « un manque » – depuis la suppression du service national, la nécessité de réfléchir à des dispositifs alternatifs, mais aussi complémentaires, a émergé ces dernières années.

En 2010, le service civique a vu le jour et a connu une montée en puissance certaine, ses effectifs passant de 2 000 jeunes au départ à près de 35 000 aujourd’hui. Face à une jeunesse souvent en manque de repères, déstructurée, craignant pour son avenir, le service civique a constitué une réponse idoine au défi de la pérennité de la cohésion nationale, puisque l’engagement des jeunes volontaires autour d’un projet d’intérêt général est valorisant dans le parcours de vie.

Les attentats de janvier dernier ont renforcé la conviction qu’il fallait dynamiser les dispositifs et le Président de la République a préconisé de rendre le service civique « universel », ce qui permettra à 150 000 jeunes d’y accéder d’ici 2017.

Or, il apparaît que la défense nationale française est le vecteur qui doit être privilégié pour accompagner ce mouvement. Comme ce fut le cas à l’époque du service militaire, les armées disposent d’une compétence hors norme en ce qui concerne la formation des jeunes et leur apprentissage de la vie en collectivité.

Tel est l’objectif de la présente proposition de loi, qui vise à expérimenter un nouveau dispositif : un service civique de défense, dans la lignée du service civique, mais avec une déclinaison militaire.

Il s’agit, selon l’auteur de cette proposition de loi soutenue par le groupe Les Républicains, d’apporter une réponse pragmatique à la problématique de la jeunesse en mal de citoyenneté ou en voie de marginalisation car, en fin de compte, ces jeunes sont en quête d’autorité et d’encadrement. Cette demande d’outils pour la vie leur sera utile par la suite dans leur vie professionnelle et dans leur vie d’adulte.

Concrètement, il s’agira de proposer un dispositif gagnant-gagnant, permettant à la défense de bénéficier d’un effectif de 5 000 jeunes volontaires par semestre, soit 10 000 par an, formés aux activités militaires comme auxiliaires de défense et, surtout, de renforcer le lien entre l’armée et la Nation, tout en contribuant à alimenter l’effectif de la réserve opérationnelle.

L’article unique du texte prévoit la mise en œuvre expérimentale, pour une durée de trois ans, d’un service civique de défense ouvert aux personnes de 18 à 25 ans de nationalité française. Il a pour vocation l’exécution des missions d’intérêt général. Son objectif est de concourir à l’exécution de missions de défense au sein des forces armées.

Les volontaires de ce service civique de défense sont des « volontaires Défense » qui bénéficient à ce titre d’un statut spécifique et de la rémunération prévue dans le cadre du service civique.

Le service civique de défense a une durée de six mois, renouvelable une fois. Il s’effectue au sein des unités des armées de terre, mer et air. Il comporte une phase de formation initiale d’une durée de deux mois, dispensée au sein de l’unité d’affectation ou dans une structure adaptée, à laquelle succède une phase d’emploi de quatre mois au sein de l’unité d’affectation.

Le « volontaire Défense », au terme de sa formation initiale, doit être apte aux missions de sécurisation, de protection et d’intervention au profit des populations. Il participe à l’ensemble des missions se rapportant à la préparation et à l’emploi des forces opérationnelles sur le territoire national – métropole, outre-mer et zones d’intérêt économique exclusives. Il ne peut, en revanche, pas intervenir sur les théâtres de guerre ou de conflit armé. Le service civique de défense constitue un moyen d’accès privilégié à la réserve opérationnelle.

Le rapporteur nous a en outre précisé que ce service civique de défense s’adresserait à 10 000 jeunes par an, pour un coût évalué à 150 millions d’euros.

Parallèlement à cette initiative législative sur laquelle nous travaillons ce matin, je souhaiterais dire quelques mots sur la mission que je mène actuellement, avec M. Joachim Pueyo, député de l’Orne, sur le bilan et la mise en perspective des dispositifs citoyens du ministère de la défense. Cette mission poursuit ses travaux et porte sur trois sujets : le parcours citoyen, les différentes formes de volontariat et la réserve.

Les auditions effectuées en février et mars derniers ont permis de dresser un état des lieux des différents dispositifs existants et nous allons nous efforcer de poursuivre notre réflexion pour proposer un plan d’action global visant à renforcer le sentiment d’appartenance collective et le civisme de notre jeunesse, à valoriser les différentes formes de volontariat et à renforcer la résilience de notre société par une meilleure diffusion de l’esprit de défense.

Après nous être rendus dans un établissement public d’insertion de la défense – EPIDE –, nous avons visité le régiment du service militaire adapté – SMA –, à la Réunion.

Les armées, nous le savons tous, disposent d’un grand savoir-faire en matière d’apprentissage de la vie en collectivité, de dépassement de soi et de cohésion de groupe. C’est bien cette discipline que les jeunes viennent chercher, les stagiaires que nous avons rencontrés l’ont tous souligné. Le but n’est pas d’en faire des militaires – seule une très faible minorité, de 5 % à 6 %, s’engagent ensuite dans l’armée –, mais ce cadre militaire est très structurant pour eux.

En définitive, alors qu’il vient de fêter ses cinquante ans, le SMA est une réussite. Ainsi, il nous apparaît que le modèle peut être transposé avec succès en métropole. Le Président de la République a ainsi annoncé le 5 février dernier une expérimentation pour 900 stagiaires dès l’année prochaine, avant une montée en puissance progressive jusqu’en 2019. Nous pensons qu’un effectif de 20 000 jeunes par an pourrait être un objectif raisonnable pour la métropole, sachant que l’Outre-mer en accueille chaque année 6 000.

Cependant, comme nous sommes plusieurs à l’avoir dit jeudi dernier à l’occasion de la discussion autour de l’actualisation de la loi de programmation militaire, il demeure impératif que les dispositifs humains et matériels soient sanctuarisés. Si l’actualisation de la loi de programmation militaire est nécessaire pour donner à nos armées les moyens d’assumer notre protection, le texte nous apparaît en deçà des exigences du moment et ne permet pas de répondre aux menaces qui guettent notre pays.

En conclusion, l’initiative législative de M. Fromion ne concurrence aucunement les dispositifs existants, car notre pays dispose de la plupart des outils nécessaires à la réussite tant de l’insertion des publics les plus fragiles que du renforcement de la cohésion nationale et de la résilience de notre nation, mais elle les complète. Il s’agit néanmoins de veiller à leur cohérence, afin que chacun de nos compatriotes puisse s’engager facilement dans l’un des pôles suivants : service civique, service militaire adapté, volontariat ou réserve.

Le fait que les jeunes soient demandeurs d’un cadre rigoureux, d’horaires définis et d’une discipline à laquelle ils se plient m’interpelle. Les dispositifs que je viens de décrire pallient un manquement. Ces jeunes n’ont pas trouvé plus tôt cadre et rigueur dans le milieu familial ou scolaire, et on le regrette, mais il ne faudrait pas que cet état de fait fasse peser sur nos armées le poids d’une mission éducative de plus en plus lourde, qui la détournerait de son cœur de métier. C’est là que le service civique militaire est intéressant et se démarque des autres dispositifs : après les deux premiers mois de formation, les volontaires resteront pendant quatre mois auprès de nos militaires pour assurer des missions de sécurisation du territoire national. Comme le dit si bien Yves Fromion, c’est un dispositif gagnant-gagnant. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, jamais les militaires n’ont été aussi populaires dans l’opinion publique française avec, selon des enquêtes récentes, 82 % d’opinions favorables. Il est vrai que la contribution de nos armées à notre sécurité collective – extérieure, mais aussi intérieure – est particulièrement déterminante et nous ne pouvons que souligner le professionnalisme, l’engagement et le dévouement dont font preuve nos troupes au quotidien sur de nombreux théâtres d’opérations. C’est d’ailleurs l’occasion pour nous de saluer l’action exemplaire menée par nos hommes, souvent dans des conditions très difficiles et particulièrement exposées. Nous devons également honorer la mémoire de tous ces soldats tombés au champ d’honneur.

Les opérations extérieures conduites par la France au Mali, en Centrafrique et en Irak illustrent actuellement le rôle vital que joue l’armée dans la défense de la liberté et de la démocratie par une lutte sans merci contre la barbarie et le fondamentalisme.

Au-delà de ces opérations extérieures, les Français sont conscients que l’action de nos hommes sur le territoire national est absolument essentielle afin de protéger notre pays contre les menaces terroristes, qui n’ont jamais été aussi élevées qu’aujourd’hui. La République se doit de mener un combat implacable face à ces ennemis, qu’ils agissent sur son sol ou qu’ils se trouvent à des milliers de kilomètres de notre pays.

Toutefois, et paradoxalement, face aux difficultés budgétaires que connaît la France, le premier poste d’économies suggéré par nos concitoyens reste la défense.

Pour sortir de cette apparente contradiction, il est nécessaire de revivifier le lien entre les armées et la Nation – je dirais même qu’il nous faut envisager, dans ce climat de danger et d’incertitudes au plan international, un véritable réarmement moral de notre pays.

La suppression du service militaire, en 1996 – à laquelle, pour ma part, je m’étais opposé –, a mis fin à ce qui, pour des générations entières de Français, a constitué un rite de passage et joué un rôle d’intégration. Ce service militaire tendait à favoriser l’objectif d’égalité en remettant temporairement les compteurs à zéro et il œuvrait à la fraternité entre des jeunes d’horizons différents par le partage d’une expérience commune.

La fin de cette institution de la République, qui n’était certes plus adaptée dans le contexte d’un redimensionnement et d’une professionnalisation de l’outil de défense, a laissé un vide qui, jusqu’à présent, n’a pas été comblé.

La création du service civique, en 2010, a offert à tous les jeunes volontaires de 16 à 25 ans l’opportunité de s’engager en faveur d’un projet collectif d’intérêt général, avec pour objectif de renforcer la cohésion nationale. Ce dispositif a connu un succès certain et ce sont 150 000 jeunes qui devraient ainsi accomplir leur service civique en 2017.

Nous avons aujourd’hui l’opportunité d’aller plus loin avec la proposition qui nous est faite par M. Fromion. En effet, bien que prévu par les textes, l’accomplissement de missions de service civique au sein du ministère de la défense demeure très faible – moins d’une centaine de jeunes ont accompli un tel service en 2013.

La proposition de loi déposée par nos collègues du groupe Les Républicains vise donc à inclure beaucoup plus largement la défense dans ce dispositif, en expérimentant un service civique de défense. S’inscrivant dans la logique du service civique, mais adapté aux spécificités du milieu militaire, il vise à proposer aux jeunes Français une nouvelle forme d’engagement, sous statut militaire et au service des forces armées.

Ce service militaire renouvelé serait mixte, organisé sur la base du volontariat et dirigé en priorité vers des jeunes en difficulté, qui peuvent tirer le plus grand bénéfice d’une telle expérience d’un point de vue tant professionnel que personnel.

Nous avons des exemples de dispositifs dont nous pouvons nous inspirer. Je pense ainsi au service militaire adapté – le SMA –, qui est un dispositif d’insertion ayant fait ses preuves dans les territoires ultramarins. Il forme à un grand nombre de métiers liés au domaine militaire et remet scolairement à niveau des volontaires de 18 à 25 ans, au nombre d’environ 6 000 par an. Au terme du SMA, chaque bénéficiaire choisit la voie qu’il désire emprunter : intégrer l’armée ou poursuivre un autre projet professionnel. Voilà la réussite.

Ces jeunes, souvent sans formation d’origine, parfois désocialisés, expriment là une volonté de faire évoluer leur situation sociale et professionnelle ; et cette volonté, avec le soutien de l’armée, porte ses fruits : tous les ans, ils sont près de 80 % à s’insérer professionnellement à l’issue de leur service militaire adapté. Dans des territoires où le chômage est un fléau, de tels résultats semblaient inespérés. Pourtant, il s’agit là de l’une des initiatives les plus efficaces pour ces jeunes.

C’est pourquoi il est aujourd’hui essentiel d’élargir en métropole ce dispositif déjà vertueux dans les Outre-mer. À ce titre, ce texte va dans le bon sens et le groupe UDI a également formulé des propositions en ce sens.

Il s’agit de remplir un double objectif : permettre à ces jeunes de s’engager dans une cause citoyenne et les aider à s’intégrer dans la vie professionnelle.

À l’issue de leur service militaire volontaire, ces jeunes pourraient être guidés vers une carrière dans les forces armées ou formés à des métiers actuellement en manque de main-d’œuvre – ce n’est malheureusement pas ce qui manque. N’oublions pas que la défense joue un rôle fondamental d’ascenseur social, en étant le premier recruteur de personnes non diplômées.

En outre, le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019, adopté par notre assemblée ce mardi, prévoit également l’expérimentation d’un service militaire volontaire, qui s’inspire lui aussi directement du SMA. Nous saluons cette démarche du Gouvernement, en de nombreux points semblable à l’initiative du groupe Les Républicains et aux propositions du groupe UDI. Nous nous félicitons qu’un tel consensus se dégage sur les bancs de notre assemblée, sur un sujet qui doit, sans aucun doute, nous rassembler par-delà les clivages politiques.

Alors que plus de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification et que le chômage des jeunes atteint malheureusement des records, de plus en plus de jeunes se trouvent dans des situations de grande précarité. Il est donc de notre devoir de tout mettre en œuvre afin que ces derniers retrouvent des perspectives.

À une époque où tant de jeunes manquent de repères et de perspectives, ce dispositif apparaît comme le moyen de redonner du sens et de leur rendre confiance en l’avenir. C’est pourquoi, vous l’aurez compris, le groupe UDF (Murmures et rires sur divers bancs) soutiendra la proposition de loi déposée par notre collègue Yves Fromion, particulièrement compétent en la matière.

Plusieurs députés. UDI, pas UDF !

M. François Rochebloine. Voyez : c’est la nostalgie. Je suis resté un UDF ! Comme d’ailleurs un certain nombre de mes collègues, qui regrettent sa disparition… Merci de m’avoir rappelé à la réalité ! (Sourires.)

Nous demandons donc au Gouvernement d’allouer les moyens adéquats à ce service civique volontaire, afin que la formation du personnel d’encadrement, les infrastructures d’accueil et les programmes soient financés et que le dispositif puisse se développer rapidement pour atteindre des objectifs véritablement ambitieux. Nous souhaitons que l’effort budgétaire du ministère de la défense soit soutenu par l’intervention et la participation financière d’autres ministères, car il dépasse les enjeux de la seule défense.

Pour terminer, je souhaiterais mentionner une proposition importante, qui contribuerait à renforcer considérablement le lien entre l’armée et la Nation : je veux parler du développement des réserves opérationnelles et citoyennes. Compte tenu des besoins recensés, nous suggérons au Gouvernement de se pencher avec attention sur le sujet et d’accroître significativement les moyens alloués à ces réserves. En effet, au-delà des jeunes concernés par le service civique volontaire, celles-ci sont source d’échanges mutuels constructifs aussi bien pour les civils que pour les militaires. Un tel engagement accompagnerait la décision de réduction du format des armées, tout en apportant une aide utile aux forces armées, en particulier dans le cadre de l’opération Sentinelle mise en place après les terribles attentats qui ont frappé notre pays en janvier dernier.

Avant de céder la place à l’orateur suivant, je voudrais vous demander, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir transmettre à Mme la ministre de l’éducation nationale que, s’agissant de la réforme des collèges, critiquée par une forte proportion des parents d’élèves, 73 % des professeurs y sont également opposés. Je regrette de ne pas avoir pu le lui dire tout à l’heure, mais je viens d’obtenir l’information ; je ne doute pas que vous la lui transmettrez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour dix minutes.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la défense, monsieur le rapporteur, bien que nous partagions l’idée développée par cette proposition de loi, à savoir qu’il est nécessaire de contribuer au renforcement du lien entre l’armée et la Nation au travers de la jeunesse, l’armée étant un creuset de mixité sociale et un outil d’apprentissage des valeurs républicaines, il nous semble inutile d’expérimenter un service civique de défense dans la mesure où de nombreux dispositifs allant dans ce sens existent déjà et que certains vont être renforcés.

Ainsi, lors de la journée défense et citoyenneté organisée par le ministère de la défense, tous les jeunes entre 17 et 25 ans suivent des modules d’information sur les responsabilités du citoyen et les enjeux de la défense, des tests d’évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française, une initiation aux gestes de premiers secours et, éventuellement, effectuent une visite des installations militaires. En outre, les jeunes en difficulté peuvent, s’ils le souhaitent, obtenir des conseils d’orientation vers des structures d’aide adaptée dans l’éducation nationale ou dans les missions locales. Au final, ce sont chaque année 750 000 jeunes Français qui, à l’issue de cette journée, sortent informés de leurs droits et devoirs en tant que citoyens, du fonctionnement des institutions de leur pays, ainsi que des valeurs et métiers de la défense.

Autre dispositif contribuant à la pérennité du lien entre l’armée et la jeunesse : le volontariat. Alors que l’ancien service national était fondé sur l’obligation, le volontariat traduit un choix personnel et répond au désir d’être utile à la communauté nationale. Tous les ans, près d’un millier de jeunes de 18 à 25 ans, souhaitant connaître une première expérience professionnelle, s’engagent comme volontaires, pour une durée d’un à cinq ans, dans les forces armées. Cette expérience peut, pour ceux qui le souhaitent, déboucher sur un engagement dans les réserves ou les armées.

Chaque année, ce sont aussi 3 500 volontaires qui entrent, pour une durée de huit à vingt-quatre mois, dans un établissement public d’insertion de la défense. Ce programme, réparti dans dix-huit centres sur le territoire français, a pour mission de sécuriser et de donner des repères indispensables à une insertion dans la vie sociale et dans l’emploi durable à des jeunes de 18 à 25 ans. Le séjour est individualisé et différencié. Il comprend un parcours citoyen, des séances de remise à niveau scolaire à visée d’insertion professionnelle, des activités sportives, de l’accompagnement sanitaire et social ainsi que des stages en entreprises ; 85 % des jeunes qui effectuent la totalité du parcours trouvent un emploi ou une formation qui les y conduira.

Autre dispositif d’insertion professionnelle qui a fait ses preuves : le service militaire adapté. Créé en 1961 aux Antilles, avant d’être étendu aux autres départements et collectivités d’outre-mer, le SMA est destiné à de jeunes volontaires de 18 à 25 ans sans diplômes ou en difficulté d’insertion. Ces jeunes suivent d’abord une formation militaire d’un mois, assez sommaire, destinée principalement à leur apprendre les règles de vie en collectivité ; puis les stagiaires du SMA bénéficient d’une formation professionnelle de cinq à onze mois, en fonction de la spécialité choisie au moment de leur engagement. Les spécialités enseignées sont très variées – plus d’une cinquantaine : métiers du bâtiment, menuiserie, conduite… S’y ajoutent une formation citoyenne ainsi qu’une remise à niveau scolaire et une préparation au permis de conduire.

Les sept régiments du SMA ont accueilli près de 6 000 jeunes volontaires en 2013, avec un taux d’insertion, remarquable, de 76 %. Pour réussir cette insertion, le SMA mène une politique de partenariat avec l’ensemble des acteurs de l’orientation, de la formation et de l’emploi, au plan territorial aussi bien que national. Il entretient des liens avec les régions, Pôle emploi, les missions locales, les chambres consulaires, les organisations professionnelles et, naturellement, les entreprises. Au fil de ses cinquante ans d’existence, le SMA a su s’intégrer pleinement dans le tissu économique local et représente désormais un label très apprécié des recruteurs. Il s’agit d’un dispositif d’une efficacité reconnue sur le plan tant éducatif et social que professionnel, faisant des armées un puissant vecteur d’intégration républicaine.

C’est pourquoi le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 adopté par l’Assemblée mardi dernier prévoit l’expérimentation en métropole d’un service militaire volontaire – SMV –, dispositif qui s’inspire du service militaire adapté. Il est proposé de créer, à titre expérimental, pour une durée de deux ans, un service militaire volontaire à destination de jeunes garçons ou filles de 18 à 25 ans qui auront été identifiés, notamment lors de la journée défense et citoyenneté, comme étant en situation fragile au regard de l’insertion professionnelle, et qui pourront ainsi recevoir une formation globale d’une durée de six à douze mois, en fonction de leur niveau général et de leur projet professionnel.

Cette formation sera composée de différents modules. D’abord, une formation militaire d’un mois – puisque ces jeunes deviendront des volontaires stagiaires du service militaire volontaire ; ce module pourra être l’occasion de porter assistance aux populations dans le cadre de missions de sécurité civile. Les jeunes concernés apprendront à cette occasion le goût de l’effort en se dépassant et bénéficieront de l’exemple des encadrants militaires.

Ils suivront en outre une formation citoyenne et comportementale – remise à niveau scolaire, apprentissage des valeurs de la République et des règles de vie en collectivité – et une formation au permis de conduire et au secourisme. Une formation professionnelle pourra également être proposée et, le cas échéant, les volontaires stagiaires pourront effectuer des périodes de mise en situation professionnelle en entreprise.

Ce service militaire volontaire présente par conséquent plusieurs intérêts. D’abord, il est une solution originale et innovante pour l’insertion des jeunes. Ensuite, il contribue au renforcement de la cohésion sociale et au développement de l’esprit de défense grâce à la diffusion de la culture militaire. Enfin, il apporte aux entreprises une ressource jeune, ayant acquis les bases de la vie en collectivité et de l’insertion professionnelle.

Autre levier essentiel de citoyenneté, de renforcement de la cohésion nationale et de mixité sociale : le service civique. En cinq ans, 85 000 jeunes l’ont déjà effectué. Fort de ce succès, le Président de la République a décidé de le développer, avec des objectifs ambitieux : qu’il concerne 70 000 jeunes dès cette année et 150 000 en 2016.

Depuis le 1er juin dernier, le service civique est ainsi devenu universel : tous les jeunes de moins de 25 ans peuvent demander à s’engager pour faire l’expérience du vivre-ensemble, de la citoyenneté et de l’intérêt général. Le service civique a en effet pour ambition première d’offrir aux jeunes l’occasion de s’engager et de donner de leur temps à la collectivité et aux autres. Il représente aussi la possibilité de vivre une expérience formatrice et valorisante, en proposant un choix parmi de nombreuses missions, dans des domaines très divers.

Il est en outre un moyen de s’insérer dans la vie professionnelle. Le nombre de jeunes Français qui quittent le système de formation initiale sans avoir obtenu un diplôme professionnel ou le baccalauréat est estimé à 140 000 par an – ce qui est beaucoup trop. Le service civique peut être un outil essentiel pour diviser par deux le nombre de décrocheurs d’ici à 2017.

Le renforcement annoncé des moyens de l’Agence du service civique permettra de concrétiser cette ambition et le ministère de la défense prendra sa part de volontaires en service civique. Ces efforts portent déjà leurs fruits : à la mi-mai, 23 000 postes ont déjà été attribués, soit un tiers de l’objectif fixé pour l’année.

L’existence de tous ces dispositifs rend donc inutile la création d’un service civique de défense, d’autant plus que la mise en place de ce dernier, outre qu’il supposerait l’existence d’infrastructures et de moyens humains dont le ministère de la défense ne dispose pas actuellement, reviendrait à un coût annuel de 300 millions d’euros pour 10 000 volontaires.

Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste ne votera pas cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour dix minutes.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaiterais vous faire part de quelques observations concernant la proposition de loi de notre collègue Yves Fromion.

Je suis particulièrement sensible aux questions que le texte soulève, car il touche au lien qui existe et doit être renforcé entre la population française et nos armées. On constate en effet qu’en raison du rôle que celles-ci jouent dans la sécurisation et le maintien de la paix dans le monde, mais aussi des missions qu’elles assurent suite aux attaques de janvier dernier, nos concitoyens restent attachés aux femmes et aux hommes engagés sous les drapeaux. Ce que l’on nomme le lien armée-Nation demande à être renforcé, et cela passe notamment par le développement d’un véritable esprit de défense, c’est-à-dire l’adhésion de la Nation aux efforts consacrés à l’appareil de défense grâce à une bonne compréhension des enjeux et à une préparation aux crises.

À la suite des événements de janvier, nous avons également perçu la nécessité de renforcer le sentiment d’appartenance républicaine chez nombre de nos compatriotes.

Pour répondre à ces deux besoins et aux attentes des Français, plusieurs dispositifs existants pourraient monter en puissance.

La commission de la défense a lancé en décembre dernier une mission d’information, dont je suis le co-rapporteur avec ma collègue Marianne Dubois, consacrée au bilan et à la mise en perspective des dispositifs citoyens du ministère de la défense.

Dans ce cadre, nous nous sommes attachés à évaluer la cohérence globale des différents dispositifs, à détecter d’éventuels doublons et à envisager les perspectives de progrès possibles. Sans révéler la totalité de nos travaux, je peux affirmer ici que, si des améliorations sont certes envisageables, le corpus du dispositif fait actuellement sens. Il semble donc peu opportun d’ajouter un service civique de défense, aux attributions par ailleurs floues, à un ensemble cohérent.

Le ministère de la défense, impliqué au premier chef, remplit actuellement de nombreuses missions par ces mécanismes pour répondre aux enjeux qui parcourent la société française.

Sur la question de la défense de notre territoire, l’actualisation de la loi de programmation militaire, votée mardi dernier, prévoit une adaptation des déflations initialement prévues. L’opération Sentinelle, déployée depuis plusieurs mois sur le territoire national, assure une présence de 7 000 à 10 000 militaires pour assurer la sécurité de nos concitoyens mais aussi la sécurisation des lieux sensibles. La loi de programmation militaire prévoit également le développement de la réserve par le recrutement de 12 000 nouveaux réservistes, avec une enveloppe augmentée de 75 millions d’euros. Ce recours aux réservistes opérationnels permettra d’assurer les missions de sécurisation, de protection et d’intervention au profit des populations, ce qui rencontre, monsieur le rapporteur, vos demandes.

Le service civique actuel, dont l’esprit promeut le volontariat au service de l’intérêt général, répond au besoin d’engagement républicain de la jeunesse. Ce dispositif va être renforcé, c’est le projet du Gouvernement, pour permettre à 150 000 jeunes d’en profiter d’ici 2016.

Mais le ministère de la défense et les armées participent également à la lutte contre l’exclusion des jeunes. L’établissement public d’insertion de la défense, ou EPIDE, le service militaire adapté et le tout nouveau service militaire volontaire offrent l’opportunité concrète de donner une seconde chance à ces jeunes en transmettant les savoir-être et savoir-faire de nos armées à travers un encadrement militaire et des formations propres à favoriser la réinsertion. Le ministère de la défense a sous sa tutelle, conjointement avec les ministères chargés de l’emploi et de la ville, l’établissement public d’insertion de la défense. Depuis sa création, sous la précédente majorité, en 2005, celui-ci propose des parcours d’insertion à 3 000 jeunes par an, dans dix-huit centres répartis sur le territoire métropolitain. Son succès n’est plus à démontrer puisque huit volontaires sur dix sont insérés en entrant dans la vie active. D’ailleurs, j’ai pu observer que l’objectif initialement prévu par le ministre de la défense de l’époque était très supérieur, mais qu’il y avait des difficultés pour l’atteindre. Il est bon de le rappeler, quand même, parce que le volontariat a ses limites, au plan du nombre.

L’expérimentation du service militaire volontaire, qui débutera au mois de septembre 2015 avec l’ouverture des deux premiers centres, remplira les objectifs d’insertion citoyenne et professionnelle des jeunes les plus en difficulté sur lesquels vous insistez. En effet, le SMV, M. le secrétaire d’État l’a rappelé il y a quelques minutes, permettra aux volontaires stagiaires de recevoir une formation initiale pour acquérir les savoir-être, véritable valeur ajoutée de nos armées. Être ponctuel, respecter les consignes, réapprendre le goût de l’effort sont autant de qualités recherchées par les recruteurs dans la vie active. Cette formation citoyenne et comportementale encadrée par des militaires s’accompagnera d’une remise à niveau scolaire, de la possibilité de passer le permis de conduire mais aussi de participer à des missions d’intérêt public. À côté de cette formation, une formation professionnelle adaptée aux besoins des territoires et des entreprises et services permettra d’atteindre le but visé par ce dispositif : la réintégration de ces citoyens dans la société.

Comme je l’ai indiqué lors du débat sur l’actualisation de la loi de programmation militaire, le SMV est une réponse adaptée et, surtout, financée, contrairement à certaines volontés de rétablir un service militaire universel, visant à accueillir 700 000 jeunes. Après les efforts qui ont été faits en termes budgétaires avec cette actualisation de la loi de programmation militaire, le dispositif du SMV est financé, contrairement au service civique de défense qui serait mis en place. L’idée d’ajouter un dispositif qui ferait doublon avec les mécanismes existants et qui ne serait pas financé ne peut être retenue.

Tous ces dispositifs me semblent adaptés, et leur renforcement est bienvenu. Certaines pistes pourront être étudiées afin de conforter d’avantage l’esprit de défense et le lien entre l’armée et la Nation, mais sans mettre en place un mécanisme supplémentaire. L’idée d’un parcours citoyen renforcé durant toute la scolarité pourrait être envisagée afin de faire de ces questions le fil rouge de la scolarité obligatoire. L’enseignement de la sécurité et de la défense à l’école ainsi que la journée défense et citoyenneté sont autant d’éléments à développer pour former nos concitoyens de demain. Ma collègue Marianne Dubois et moi-même ferons des propositions dans ce sens à l’issue de notre mission.

Cependant, la volonté de confier des missions relatives à l’entretien des matériels et des équipements, à la sécurisation et la protection d’infrastructures après seulement deux mois de formation initiale ne me semble pas réaliste, elle peut même être dangereuse pour les volontaires et les militaires. Que cela concerne les capacités d’entretien des matériels ou de sécurisation et de protection, une formation longue, précise et complète est nécessaire. De plus, dans un laps de temps aussi court, un tel dispositif pourrait avoir comme conséquence de perturber le fonctionnement des unités du fait de la durée très limitée et du roulement fréquent entre les jeunes qui arrivent et ceux qui doivent quitter leur affectation. Le dispositif que serait le service civique de défense semble donc inadapté dans ses missions et sa constitution, mais également mal articulé avec les dispositifs existants, qui ont fait leurs preuves et sont en train d’être renforcés.

Notre pays est confronté à des enjeux importants du point de vue de sa sécurité mais également du point de vue du lien que nos concitoyens entretiennent avec les valeurs républicaines et avec nos armées. Les objectifs que votre dispositif viserait – assurer la sécurité des Français et permettre la réinsertion de nos jeunes – sont actuellement remplis. La sécurisation se fait par l’augmentation de la réserve, qui permettra à des femmes et des hommes âgés d’au moins dix-sept ans de recevoir une formation et un entraînement spécifiques afin d’apporter un renfort temporaire. Cet engagement permet aussi à des jeunes de réaliser leur souhait de s’engager en faveur de leur pays et de leurs concitoyens. Le service civique va dans le même sens en offrant aux volontaires une occasion forte de s’impliquer au profit de la société. En ce qui concerne l’objectif d’insertion, je pense avoir démontré que les mécanismes EPIDE, SMA et SMV forment un corpus fort, mobilisé pour la réussite de nos jeunes. Les succès des dispositifs EPIDE et SMA donnent bon espoir quant à la réussite du SMV.

Nous devons, monsieur le secrétaire d’État, procéder par étapes. Renforcement du service civique ? Oui. Augmentation du nombre de jeunes dans les centres de l’EPIDE ? Oui. Renforcement de la réserve, qu’elle soit opérationnelle ou citoyenne ? Oui. Maintenant, expérimentons le service militaire volontaire, qu’il faudra évaluer par la suite. Nous verrons alors s’il faut aller un peu plus loin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, créé au mois de mars 2010 par Nicolas Sarkozy, le service civique est un succès. Depuis sa mise en œuvre, 85 000 jeunes volontaires ont accompli une mission de service civique. Pour la seule année 2014, 35 000 jeunes étaient volontaires. Ce service civique permet à des jeunes âgés de 16 à 25 ans d’effectuer des missions dans des associations, des établissements publics ou des collectivités territoriales pour une durée allant de six à douze mois, et pour une rémunération de 573 euros par mois.

Au mois de février dernier, à la suite des attentats de janvier et dans le cadre élargi d’une réflexion sur la citoyenneté, le Président de la République a annoncé qu’à compter du 1er juin 2015 le service civique deviendrait universel. Le service civique devient donc un droit et son universalité implique en théorie que chaque demande doive obtenir une réponse favorable. C’est dans le cadre de cette annonce que s’inscrit l’excellente proposition de loi de mon collègue Yves Fromion. Elle s’appuie en cela sur l’article créant le service civique qui prévoit dans les missions de ce dernier des missions de défense. En effet, selon la loi, « les missions d’intérêt général susceptibles d’être accomplies dans le cadre d’un service civique revêtent un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel, ou concourent à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention, de promotion de la francophonie et de la langue française ou à la prise de conscience de la citoyenneté française et européenne ». L’article unique du texte prévoit une mise en œuvre expérimentale pour une durée de trois ans d’un service civique de défense. Ouvert aux personnes âgées de 18 à 25 ans de nationalité française, celui-ci a pour vocation l’exécution des missions d’intérêt général conformément aux dispositions concernant le service civique.

Appelées « volontaires Défense », les parties prenantes du service civique concourent à l’exécution de missions de défense au sein des forces armées. La durée du service civique de défense est de six mois. Il s’effectue au sein des unités des armées de terre, mer et air. Au terme de sa formation initiale, le « volontaire Défense » doit être apte aux missions de sécurisation, de protection et d’intervention au profit des populations. Il participe à l’ensemble des missions se rapportant à la préparation et à l’emploi des forces opérationnelles sur le territoire national. Il ne peut, en revanche, pas intervenir sur les théâtres de guerre ou de conflit armé. Il bénéficie d’un statut spécifique et reçoit la rémunération prévue dans le service civique.

Le coût du dispositif est évalué par le rapporteur à 150 millions d’euros, mais l’apprentissage du devoir, de l’effort et du vivre-ensemble constituent un investissement prioritaire.

Cette proposition de loi soutenue par l’ensemble de mes collègues du groupe Les Républicains répond à trois objectifs.

Il s’agit d’abord d’apporter une réponse adaptée à la problématique de la jeunesse en mal de citoyenneté et en voie de marginalisation. Le service civique est un appel aux jeunes en déshérence de la République. Certains de nos jeunes ont besoin de retrouver des repères, de vivre un engagement pour la communauté leur offrant la possibilité d’un nouveau départ. L’exemple de leurs encadrants militaires favorisera une transmission du goût du service et de l’effort. Le brassage des origines sociales, géographiques ou culturelles et le port d’un uniforme permettront à ces jeunes de prendre conscience de la fraternité, valeur républicaine trop souvent négligée.

Il s’agit ensuite, à travers le service civique de défense, de proposer un dispositif gagnant-gagnant permettant à la défense de bénéficier d’un effectif de 5 000 jeunes volontaires par semestre, soit 10 000 par an. Des jeunes formés aux activités militaires en qualité d’auxiliaires de défense sont ainsi mis au service de nos armées.

Il s’agit enfin de renforcer le lien entre l’armée et la nation et de contribuer à alimenter l’effectif de la réserve opérationnelle.

Le service civique de défense est l’école du vivre-ensemble, le lieu où le mot égalité prend tout son sens, le lieu de l’apprentissage de devoirs inconditionnels : l’amour de son pays et de son drapeau, la fraternité, la participation à la vie de la collectivité. Loin des querelles politiciennes, la mise en place du service civique de défense relève d’un choix politique de fond. Une certaine idée de la République est en jeu : c’est la République des droits et des devoirs que nous voulons porter, réaliser et relever.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, « le seul endroit où l’intégration soit réellement efficace et doit avoir lieu, c’est l’école. Le service militaire venait en plus […] de toute façon, ce n’est plus un véritable élément d’intégration. » C’est sur ces paroles absurdes, preuve d’une méconnaissance totale de ce que fut le service national dans notre histoire, que Jacques Chirac annonçait la suspension du service obligatoire. La droite l’a sacrifié le 4 février 1996, suivie par la gauche qui le transforma le 28 octobre 1997 en une journée n’ayant d’autre utilité que de pouvoir mesurer le degré d’alphabétisation des jeunes Français.

Par la force des choses ou plutôt par la force du drame, nous rouvrons un débat que l’on pensait définitivement clos. Et, pour comble, ce sont mêmes les héritiers de la Chiraquie qui aujourd’hui s’émeuvent le plus de la disparition du service national.

Le drame, ce sont des jeunesses françaises qui se regardent en chiens de faïence sans rien partager de plus qu’une nationalité bradée, ce sont des valeurs françaises et républicaines méprisées par des Français nés en France dont les familles sont parfois présentes depuis plusieurs générations, ce sont des fractures territoriales qui ont vu émerger des communautés vivant à côté de la communauté nationale.

Alors, dans la précipitation et après l’émotion suscitée par les événements du 11 janvier, il a fallu faire semblant de trouver des solutions. Mais voilà : la gauche déteste au moins autant l’armée qu’elle aime la communication.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Ah bon ? Ce n’est pas mon sentiment !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il était impensable de restaurer un service militaire, alors le Président annonça, comme grande mesure, le renforcement du service civique, basé sur le volontariat dans les services publics. Le caractère volontaire de ce service civique, comme du service civique de défense que ce texte propose d’expérimenter, tue dans l’œuf leur pertinence ; il faudrait une obligation de servir. Considérez les profils de jeunes tels que les Kouachi, Coulibaly, Merah – précisément ceux que vous aimeriez extraire de la délinquance et de la radicalisation. Les imaginez-vous consacrer volontairement plusieurs mois de leur vie aux armées de notre pays, ou quelques heures au service public, comme le souhaite le Président de la République ? Il est à craindre que les jeunes des banlieues soient défaillants dans leur grande majorité.

D’autre part, l’idée selon laquelle les jeunes « volontaires Défense » renforceraient significativement les ressources humaines des armées est une imposture. Ils constitueront uniquement une charge, alors même que les armées françaises se trouvent déjà, et certainement pour longtemps encore, en risque permanent de rupture capacitaire.

Il ne faut pas un retour au service militaire d’antan, mais l’institution d’un service allégé qui aurait pour objectif essentiel d’améliorer la cohésion sociale, tout en donnant aux jeunes Français et Françaises l’occasion de servir effectivement la Nation. Un tel service ne pourrait être envisagé que sous deux conditions impératives. D’abord, les armées ne doivent pas être mises à contribution pour accueillir, former et employer les nouveaux appelés, car elles n’en ont plus les moyens matériels et financiers. Elles n’ont pas suffisamment de locaux ni d’hommes pour encadrer et former 150 000 jeunes sur six mois : elles n’ont déjà pas assez de moyens pour assurer leurs missions, et vous n’avez que ralenti la diminution de ces moyens.

Ensuite, la durée d’un tel service devrait être nécessairement limitée à trois mois, pour en réduire le coût qui serait supporté par des crédits interministériels. Ce service comporterait un mois de formation générale et citoyenne dans des centres d’entraînement et de formation, au terme duquel une évaluation serait faite, afin d’orienter les stagiaires, en fonction des besoins, soit dans une garde nationale, soit au sein d’organismes locaux de sécurité civile ou de sécurité intérieure, pour les deux mois restants.

La garde nationale, relevant de la responsabilité du ministre de l’intérieur, aurait pour objectif de renforcer la défense du territoire et de soutenir le maintien de l’ordre. Elle doit être capable de réagir dans les meilleurs délais en cas de crise de toute nature, et de contrer les nouvelles menaces intérieures. Cela permettrait d’apporter un début de solution au manque de personnel dans l’actuel plan Vigipirate.

Au total, à un instant donné, près de 180 000 jeunes seraient en service, par roulement. En uniforme, les appelés seraient nourris, logés, habillés, soignés et transportés aux frais de l’État ; ils recevraient une indemnité journalière analogue à celle consentie pour le service civique, soit 573 euros nets par mois. Ils bénéficieraient pendant toute cette période d’avantages comme la possibilité du financement de leur permis de conduire.

Soyons lucides : ce nouveau service national ne sera pas la solution définitive, miraculeuse, aux grandes fragmentations dont souffre notre pays, mais il sera l’une des solutions. Être une nation, cela ne se décrète pas : cela se construit, cela se vit sur des siècles. Or le flux continu d’une immigration non assimilée, voire désassimilée, et ses conséquences, le développement de l’islamisme radical et l’abandon du roman national à l’école, doivent être pris en compte si l’on veut vraiment sortir du péril terroriste et du grand malaise français, qui nous ont conduits au débat d’aujourd’hui.

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article unique

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Cette proposition de loi est un exemple de production législative réussie. C’est en effet un texte positif, qui apporte une bonne réponse à deux problèmes que rencontre notre pays actuellement. D’une part, beaucoup de jeunes Français se retrouvent dans une situation difficile, car ils arrivent sur un marché du travail saturé sans formation qualifiante – et même, pour 10 % d’entre eux, sans les acquis indispensables. D’autre part, notre armée doit faire face, depuis des années, à des réductions d’effectifs drastiques, alors que ses missions ne cessent d’augmenter.

Le service civique de défense répond à ces deux besoins. Il y a déjà des volontaires sous les drapeaux mais les effectifs, en baisse, ont du mal à dépasser les 3 000 hommes. Pourtant, des possibilités nouvelles ont été créées avec le volet « deuxième chance », destiné aux jeunes ayant échoué au cours de leur premier parcours scolaire. Le service civique de défense pourrait donc donner un nouveau souffle à ces recrutements. Il offrirait une opportunité réelle aux jeunes d’avoir une formation, un brassage et un entourage salutaire, la possibilité de passer le permis de conduire, de combler leurs lacunes, et de leur offrir des débouchés.

Cela créerait un vivier dont l’armée a bien besoin. Nous nous sommes en effet rendu compte, avec les événements récents, que les militaires ne sont pas assez nombreux, notamment pour assurer le plan Vigipirate « alerte attentat » pendant plusieurs semaines. Après un entraînement de quelques semaines, ces jeunes seraient capables de garder les points sensibles du territoire. De plus, en quelques années, ce recrutement permettrait de recréer une réserve opérationnelle militaire digne de ce nom, ce qui est essentiel.

Alors que le retour à un service national obligatoire n’est plus envisageable, le service civique de défense représente un bon compromis. Reste à mobiliser les moyens financiers correspondant : 150 millions d’euros. Je crois que notre nation doit investir davantage dans son armée. Dans la période actuelle, notre pays doit renforcer le lien entre l’armée et la Nation. C’est aussi le sens du service civique de défense, qui représenterait une vraie opportunité pour l’armée et pour les jeunes volontaires.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 2 et 4.

La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour soutenir l’amendement n2.

M. Joaquim Pueyo. Par cet amendement, nous proposons de supprimer l’article unique de ce texte, pour plusieurs motifs que j’ai rappelés en discussion générale. Plusieurs dispositifs ont déjà été pris par le ministère de la défense, et l’armée continue d’assurer son rôle historique de creuset républicain malgré la fin du service militaire. La journée défense et citoyenneté concerne, chaque année, 750 000 jeunes sensibilisés aux enjeux de défense et au rôle de l’armée. Les dix-huit établissements publics d’insertion de la défense de la métropole assurent une formation comportementale générale et professionnelle à 3 000 jeunes. Le service militaire adapté en Outre-mer accueille près de 6 000 stagiaires qui bénéficient également d’une formation.

Par conséquent, la création d’un nouveau dispositif, comme le propose l’article unique de ce texte, ne me paraît pas une réponse adaptée à ces enjeux de citoyenneté. Je pense qu’il faut d’abord renforcer les dispositifs actuels ; c’est d’ailleurs ce que prévoit le Gouvernement, par la création d’un service civique universel pour 45 000 jeunes en 2015, pour aller jusqu’à 150 000 par la suite. C’est quand même un chiffre considérable ! Le Gouvernement envisage également de développer la réserve opérationnelle, pour des missions de sécurisation, avec 12 000 réservistes supplémentaires. Enfin, le service militaire volontaire sera expérimenté en métropole.

Toutes ces mesures, mes chers collègues, répondent directement aux enjeux. Par conséquent, l’instauration d’un service civique de défense, même à titre expérimental, n’apporterait rien de plus. De plus, nous devons être pragmatiques : avons-nous les moyens d’une deuxième expérimentation ? Ce serait difficile pour nos armées ! Renforçons donc les dispositifs actuels, concentrons-nous sur l’expérimentation du service militaire volontaire. Nous pourrons ensuite évaluer l’ensemble de ces dispositifs par rapport aux objectifs que nous avons fixés.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement de suppression de l’article.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n4.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Comme je l’ai expliqué dans la discussion générale, le régime du volontariat condamne par lui-même à l’inefficacité et à l’échec le service civique de défense proposé par l’article unique de cette proposition de loi. Face aux influences et aux pressions communautaristes, l’obligation de servir apporterait une mobilisation totale et garantie de la jeunesse française. Par ailleurs, cet article crée une charge supplémentaire pour les armées, alors qu’elles se retrouvent, compte tenu des lois de programmation militaire successives, en rupture capacitaire. Cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux sociaux et des menaces communautaires qui ébranlent notre communauté nationale : c’est pourquoi je propose la suppression de son article unique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques de suppression ?

M. Yves Fromion, rapporteur. Monsieur le président, en donnant l’avis de la commission sur ces amendements, je répondrai, dans le même élan, à tous les orateurs qui se sont exprimés auparavant.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé un certain nombre de choses, et je suis d’accord avec ce que vous avez dit à propos des dispositifs qui existent déjà. Comme d’autres intervenants du groupe socialiste, vous souhaitez d’abord expérimenter et développer le SMV – c’est-à-dire le service militaire volontaire – avant de passer à une autre initiative. Nous ne sommes pas d’accord sur ce point.

Tout d’abord, le service civique de défense que je propose serait beaucoup moins coûteux, parce que les jeunes volontaires seraient intégrés dans des unités existantes, qui sont donc déjà pourvues d’infrastructures. Pour prendre un simple exemple, il sera plus facile d’assurer l’alimentation des volontaires dans les unités qui existent, car elles ont déjà ce que l’on appelle un ordinaire : il ne sera pas nécessaire d’en créer un nouveau, comme ce sera le cas pour les unités du service militaire volontaire – formé sur le modèle du service militaire adapté. Les coûts de ces deux formules ne sont absolument pas comparables, mais je ne pense pas que ce soit la raison fondamentale de notre désaccord.

Les dispositifs qui existent sont très intéressants, mais pour l’essentiel, ils représentent pour la défense une charge sans contrepartie. L’intérêt du service civique de défense, c’est qu’il y a une contrepartie pour la défense : accueillir des jeunes pendant plusieurs mois au sein des unités permet à la défense de disposer d’effectifs formés.

Vous disiez il y a un instant, monsieur Pueyo, qu’on ne peut pas former, en deux mois, des militaires d’un niveau suffisant pour assurer les missions. Je ne comprends pas cette critique : notre armée a toujours fonctionné comme cela ! Je le sais d’expérience, car j’ai été officier à une époque où il n’y avait pratiquement que des appelés. Au bout de deux mois, ces appelés étaient employés à assurer les missions de l’armée. De la même manière, après deux mois de formation, les jeunes du service civique pourront être utilisés par l’armée : c’est une réalité. Vous pouvez contester cette réalité ; pour moi, je le sais d’expérience. Le grand intérêt de ma proposition de loi, soutenue par l’ensemble du groupe Les Républicains, c’est que l’armée y trouve aussi son compte : c’est très important.

Je ne répondrai pas à Mme Le Pen, qui défend un tout autre modèle. Elle a tout à fait le droit de le défendre, mais cela n’a rien à voir avec ma proposition. Je ne rentrerai donc pas dans un débat qui n’aurait pas d’intérêt.

Je terminerai en abordant la question de la réserve. La réserve opérationnelle est une formule très intéressante, mais on ne peut laisser croire que les réservistes seraient mieux formés que des volontaires en service civique de défense. On ne peut m’opposer l’argument selon lequel les réservistes sont opérationnels et immédiatement utilisables pour la protection des citoyens : je trouve que c’est un peu abusif. Je ne porte pas un jugement défavorable sur la réserve opérationnelle, qui est très utile, mais on ne peut soutenir qu’elle est plus adaptée pour répondre aux situations de crise sur le territoire national. Je ne suis pas d’accord avec vous sur ce point, et je ne pense pas que les militaires professionnels endosseraient un tel raisonnement.

Au total, je regrette que cette proposition de loi ne suscite pas, sur les bancs de la majorité, un enthousiasme plus grand. Je comprends bien qu’il y a un problème d’ordre politique : puisque l’idée ne vient pas de la majorité, elle est forcément difficile à accepter.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. C’est le contraire : l’idée ne vient pas de la majorité, parce qu’elle est difficile à accepter !

M. Yves Fromion, rapporteur. C’est donc une occasion manquée ; j’espère que nous pourrons y revenir. Il me semble que compte tenu de la situation actuelle de la jeunesse, confrontée aux problèmes que nous connaissons, cette proposition de loi méritait un autre accueil.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Ce texte, proposé par notre collègue Yves Fromion, a été examiné par la commission de la défense, où il a reçu un avis défavorable, pour les raisons qui ont été évoquées précédemment, notamment par Joaquim Pueyo. Je rappelle que nous avons débattu longuement de ce sujet dans cet hémicycle lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Nous avons également abordé ces questions lors de nombreuses auditions réalisées par la commission de la défense. D’autre part, la mission d’information menée par Marianne Dubois et Joaquim Pueyo ne va pas du tout dans ce sens.

L’avis de la commission est donc favorable à cet amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État. Nous partageons la philosophie de votre proposition, y compris sur la question de la création du service militaire volontaire : le Président de la République l’a annoncé dès le mois de février. Il s’agit clairement d’une expérimentation de deux ans et, cela a été dit, il faudra ensuite en faire l’évaluation. La charge ne doit pas peser uniquement sur la défense mais, pour l’heure, c’est la défense qui assumera cette dépense. Le coût pour 1 000 volontaires est important – je l’ai évoqué. Nul besoin de se précipiter : il faut d’abord mener et évaluer cette expérimentation, puis en tirer les conclusions.

Je le répète, nous partageons votre philosophie et vos idées, mais vous mettez davantage l’accent sur le volontariat. Or il est possible d’intégrer et de former les volontaires. D’ailleurs, ils peuvent d’ores et déjà bénéficier d’une formation pendant cinq ans. La généralisation que vous proposez risquerait de poser problème. Contrairement à ce que vous dites, cette proposition n’est pas très réaliste : les régiments ne peuvent pas aujourd’hui intégrer ces volontaires car il n’y a pas de places. Vous évoquiez également la cantine, mais il faut également regardez de près ce qui se passe dans nos armées sur ce point. Cela créerait des difficultés que nous ne pouvons pas surmonter aujourd’hui. Ainsi, le Gouvernement s’oppose, non à votre philosophie, mais à votre proposition et il soutient donc l’amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Contrairement à certains de nos collègues, je suis totalement favorable à cette proposition de loi. Mais je tiens d’abord à rappeler à Mme Maréchal-Le Pen que, pour ma part, j’avais voté contre la suppression du service militaire dans le cadre de la conscription car il me paraissait intéressant, même s’il fallait sans doute le faire évoluer.

En outre, il n’y a pas d’opposition entre les propositions du Gouvernement et celles de M. Fromion, lesquelles apportent quelque chose de plus. Pour l’heure, très peu de jeunes, moins d’une centaine, ont accompli leur service civique au sein du ministère de la défense en 2013 : ce n’est rien ! Pourquoi donc ne pas prendre exemple sur le service militaire adapté, qui donne des résultats outre-mer ? Six mille jeunes ont trouvé un emploi, soit un taux d’insertion de 80 %. Certains s’engagent dans une carrière militaire, d’autres quittent l’armée mais ont reçu une formation qui leur permet de trouver un emploi.

C’est pourquoi le groupe UDI est totalement favorable à cette proposition. Ce sont des textes qui doivent nous rassembler, au-delà du clivage entre la droite et la gauche ! La position de la majorité me surprend : parce que le groupe Les Républicains a déposé cette proposition de loi – cela aurait aussi bien pu être l’UDI –, on s’y oppose ! C’est ridicule – pardonnez-moi le terme –, car nous sommes tous soucieux de faire évoluer les choses. Le groupe UDI est totalement défavorable à ces amendements et favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Alain Chrétien. Bravo, l’UDI !

(Les amendements identiques nos 2 et 4 sont adoptés et l’article unique est supprimé.)

M. le président. L’Assemblée ayant rejeté l’article unique de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix-huit, est reprise à douze heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Signalement de la maltraitance par les professionnels de santé

Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé (nos 2623 rectifié, 2835).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, voilà deux fois en moins d’un mois que cette assemblée se réunit pour parler de protection de l’enfance. Nous devons nous réjouir de chaque opportunité qui permet de sortir cette politique de l’angle mort du débat public. Nous devons particulièrement nous réjouir de chaque occasion qui permet à la représentation nationale de se saisir de ces sujets, d’en débattre et de proposer, bien souvent dans le consensus, des réponses qui nous permettent collectivement de mieux protéger les enfants. La preuve en a d’ailleurs été apportée avec la proposition de loi visant à modifier l’article 11 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, que nous allons examiner aujourd’hui, que le Gouvernement a soutenue, et qui a été adoptée à l’unanimité au Sénat.

Ce texte prévoit de rendre plus lisibles pour les médecins les garanties que leur donne aujourd’hui le droit de ne pas être poursuivis lorsqu’ils signalent une situation de maltraitance. Au vu des statistiques indiquant que 2 à 5 % des signalements émanent du corps médical, ce texte partage totalement l’un des objectifs de la réforme de la protection de l’enfance défendue depuis plusieurs mois par Mme Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie : l’amélioration du repérage des situations de danger et de risque de danger.

Avant d’aborder très concrètement le sujet du signalement et de l’information préoccupante, je voudrais rappeler que la protection de l’enfance ne consiste pas uniquement à protéger des enfants de parents dangereux et maltraitants. La protection de l’enfance est une politique complexe, par la diversité des acteurs qu’elle implique et la singularité de chacune des situations. Les violences infligées à un enfant peuvent être physiques ou psychologiques ; elles peuvent être négligence ou indifférence ; elles peuvent aussi être involontairement la conséquence d’un accident de la vie ou d’une tragédie personnelle. À chacune de ces situations, l’aide sociale doit répondre en plaçant un enfant, parfois dans l’urgence, mais aussi en accompagnant les enfants et leurs parents parce que ces derniers en ont besoin à un moment de leur vie.

C’est pourquoi la réponse publique et politique de protection de l’enfance doit être inscrite dans une réflexion globale et toujours centrée sur le meilleur intérêt de l’enfant. La réflexion doit être globale parce que l’enjeu ne consiste pas uniquement à mettre l’enfant à l’abri mais il est aussi de lui garantir toutes les conditions nécessaires à son développement et à son épanouissement. Il faut protéger l’enfant du monde et lui en donner l’accès, pour paraphraser Hannah Arendt. La bientraitance et la prise en compte des besoins de l’enfant doivent guider chaque politique publique de l’enfance, et donc la protection de l’enfance.

C’est dans cette perspective que Laurence Rossignol a souhaité engager, avec chaque acteur de la protection de l’enfance, une grande concertation qui a permis de poser les bases d’une véritable réforme de la protection de l’enfance. Cette réforme doit se traduire dans la loi – c’est l’objet de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant qui a été adoptée à l’Assemblée nationale le 12 mai dernier – et dans les pratiques professionnelles qui, culturellement, accordent une grande place au curatif au détriment du préventif et qui, surtout, demeurent encore trop cloisonnées. Ces deux aspects – la loi et l’évolution des pratiques – donneront lieu à un programme d’actions concret pour mettre en œuvre cette réforme. Il sera présenté ce lundi à l’occasion des assises nationales de la protection de l’enfance.

Dans le cadre de cette feuille de route, trois objectifs ont d’ores et déjà été fixés : mieux prendre en compte les besoins des enfants en protection de l’enfance et prévenir les ruptures ; améliorer le repérage des situations de danger et de risque de danger ; développer la prévention à tous les âges de l’enfance. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit très clairement dans le deuxième objectif de la réforme. Pour y répondre, nous pouvons nous appuyer sur les fondations posées par la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, qui est considérée comme une bonne loi par l’ensemble des acteurs et pour laquelle je tiens à rendre hommage au travail de M. Philippe Bas, alors ministre. La loi de 2007 introduit la notion d’information préoccupante et crée les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les CRIP. Les départements, chefs de file de cette politique publique, se sont en très grande majorité approprié ces dispositions.

Pour autant, nous savons que de nombreux enfants ne sont pas, ou pas assez vite, repérés, identifiés par les services de l’Aide sociale à l’enfance – l’ASE – et que, parfois, les réponses apportées aux enfants ne permettent pas de répondre au danger ou aux risques identifiés. Par ailleurs, nous pouvons sincèrement présumer que les chiffres portés à notre connaissance sont en deçà de la réalité. La question du repérage est donc primordiale et nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui, par leur profession, leur activité, sont au contact des enfants, notamment dès leur plus jeune âge, car nous savons aujourd’hui que les violences commencent souvent très tôt dans la vie de l’enfant.

Alors, spontanément, on pense au pédiatre, au médecin de famille, qui suit l’évolution de l’enfant, son développement et sa santé. Comment expliquer que ces professionnels transmettent si peu d’informations préoccupantes et de signalements ? Sans doute les réponses sont-elles multiples et concernent-elles aussi d’autres métiers : je pense notamment au manque de formation au repérage de ces situations ou à une vision idéalisée de la famille. Mais il y a aussi des explications liées à l’exercice médical à proprement parler.

Dans le champ de la protection de l’enfance, les médecins ont la possibilité d’échanger des informations soumises au secret. Or ils en sont très peu informés. Le fait qu’ils nouent, au fil des années, des liens personnels avec leur patient et le fait qu’ils soient souvent très seuls dans l’exercice professionnel, participent aussi, sans doute, de cette difficulté pour le médecin à faire part de ses préoccupations ou à faire un signalement.

Certains médecins craignent aussi d’éventuelles poursuites s’ils révèlent une situation de maltraitance. C’est d’ailleurs en réponse à ces craintes que Mme la sénatrice Colette Giudicelli a souhaité proposer ce texte, qui vise à rassurer les médecins en rendant plus lisibles les dispositions de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui permettent les échanges d’informations à caractère secret pour protéger les enfants. Ces objectifs, le Gouvernement les partage.

Il les partage d’autant plus qu’il met en place, dans le cadre de sa réforme de la protection de l’enfance, plusieurs dispositions visant à améliorer le repérage des situations de danger : elles concernent également les médecins. Il s’agit, d’abord, de la désignation d’un médecin référent dans chaque département chargé d’organiser les relations entre les services du département, la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP, et les médecins. Le fait de confier ces coordinations à un médecin, un pair, est, je le crois, plus facile.

Il s’agit, ensuite, du renforcement du caractère interdisciplinaire des équipes en charge de l’information préoccupante ainsi que de la formation des acteurs. Enfin, un référentiel de l’information préoccupante, qui fait aujourd’hui défaut, devra être construit avec l’ensemble des acteurs.

Parmi ces mesures, deux ont été adoptées dans le cadre de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. J’en profite pour rappeler, comme la secrétaire d’État à la famille, aux personnes âgées et à l’autonomie l’a déjà souligné lors des débats au Sénat, que nous regrettons que le texte dont nous débattons aujourd’hui n’ait pu trouver sa place, par voie d’amendement, dans la proposition de loi des sénatrices Michèle Meunier et Muguette Dini.

Dans le cadre de la réforme de la protection de l’enfance, la loi issue du travail de concertation des sénatrices Meunier et Dini porte une vision et affirme des principes. Elle clarifie et ainsi favorise l’appropriation des outils existants. Elle pose également un cadre ad hoc pour les dispositions que nous examinons aujourd’hui, qui s’inscrivent dans la réflexion globale que j’évoquais précédemment.

Ces regrets formulés, je veux néanmoins confirmer le soutien du Gouvernement aux objectifs de ce texte, et plus largement à toutes les démarches menées par différentes institutions. Je pense à celles engagées par le Conseil national de l’ordre des médecins, ou par certains départements, pour faciliter et améliorer le repérage des situations dangereuses pour les enfants.

Je souhaite également souligner la qualité des recommandations de la Haute Autorité de santé, formulées le 17 novembre dernier, et les outils nouveaux qu’elle a mis en place pour les médecins : je pense notamment au modèle-type de signalement.

Ces recommandations permettent au médecin de trouver plus facilement les réponses et l’aide dont il a besoin pour trouver le bon équilibre entre la responsabilité de signaler une situation de danger et le respect du secret professionnel. Dans la réalité, les outils proposés répondent très concrètement aux questions que se posent les praticiens.

La maltraitance des enfants est un problème de société et de santé publique, et la protection de l’enfance une obligation déontologique qui ne concerne, d’ailleurs, pas uniquement les médecins, mais l’ensemble des professionnels de santé.

Pour mieux protéger nos enfants et pour les accompagner au mieux sur le difficile chemin de leur croissance, la mobilisation de tous est nécessaire. Par l’autorité qu’ils incarnent, par la légitimité qui leur est conférée, les professionnels de santé sont, je le crois, des vecteurs essentiels de la promotion de la bientraitance et du changement de regard sur nos enfants.

Parce qu’il est profondément engagé en faveur d’une société bientraitante, le Gouvernement soutiendra ce texte, et je suis sûre que, partageant ce même engagement, les députés sauront affirmer le même consensus que celui trouvé au Sénat. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Olivier Marleix, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, mes chers collègues, la proposition de loi dont notre assemblée est aujourd’hui saisie a été adoptée par le Sénat, en première lecture, le 10 mars 2015, puis par notre commission des lois, le 3 juin dernier.

Comme vous le savez, on dénombre actuellement en France 98 000 cas d’enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Pour autant, alors même que ces chiffres sont déjà très préoccupants, il semblerait, comme cela m’a été rappelé lors des auditions par un membre du collège la Haute Autorité de santé, que ces chiffres soient aujourd’hui largement sous-évalués, notamment dans le cas des affaires intra-familiales. Les scandales d’abus sexuels sur mineurs qui ont bouleversé l’opinion publique britannique depuis deux ans doivent également nous alerter sur ces situations non détectées.

Ce véritable problème de société qu’est la maltraitance ne concerne toutefois pas les seuls enfants ; elle touche également des femmes et des personnes vulnérables comme les personnes handicapées ou âgées. Un rapport du ministère de l’intérieur est d’ailleurs venu nous rappeler, hier, que 118 femmes sont mortes en 2014 sous les coups de leur compagnon.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui cherche à renforcer l’efficacité du dispositif de détection et de prise en charge des situations de maltraitance, d’une part en étendant la procédure de signalement de telles situations à l’ensemble des professionnels et auxiliaires médicaux, tout en les protégeant, d’autre part, contre l’engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire lorsqu’ils les signalent.

Actuellement, l’article 226-14 du code pénal prévoit que les sanctions applicables à la violation du secret professionnel ne sont pas encourues par plusieurs catégories de personnes et notamment par le médecin lorsque celui-ci porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations – physiques ou psychiques – qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques ont été commises.

Or, dans notre pays, cette procédure de signalement reste, aujourd’hui, trop peu connue et trop peu utilisée par les médecins. En effet, seuls 5 % des signalements d’enfants en danger sont effectués par le secteur médical, et 1 % seulement par les médecins libéraux. C’est vraiment l’ambition de ce texte que de remédier à cette carence.

Parmi les raisons fréquemment invoquées pour expliquer ce phénomène figurent, notamment, le manque de sensibilisation et de formation des professions médicales à la reconnaissance des situations de maltraitance, ainsi que leur crainte de la procédure ou des conséquences d’un signalement demeuré sans suite.

En outre, les médecins redoutent toujours, évidemment, de commettre une erreur, de manquer à leur devoir de loyauté envers leur patient et d’être à l’origine de la rupture du lien de confiance avec la famille. Pour répondre à ces craintes, la Haute Autorité de santé a élaboré en 2014 à l’attention des médecins – vous y avez fait allusion, madame la secrétaire d’État – une fiche intitulée « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir ». Elle donne des outils de diagnostic et détaille la procédure de signalement : il convient de saluer cette belle initiative.

Pour remédier à cette situation dont personne – sur l’ensemble des bancs de cet hémicycle – ne peut raisonnablement se satisfaire, une intervention du législateur semble donc pleinement justifiée. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, sur laquelle nous pouvons tous nous retrouver, comme l’a fait de façon unanime notre commission des lois.

Quelques mots sur le dispositif législatif lui-même. Tout d’abord, l’article 1er de la proposition de loi étend la procédure de signalement à l’ensemble des professions médicales et des auxiliaires médicaux susceptibles d’intervenir auprès des personnes potentiellement victimes de maltraitances, notamment des enfants. Ainsi, seront désormais couverts par l’immunité non seulement les médecins, mais également les sages-femmes, les infirmières – notamment scolaires, qui jouent d’ores et déjà un grand rôle dans ce dépistage –, ainsi que les garde-malades, les aides-soignants et les aides médicaux, ce qui représente un progrès indéniable.

L’article 1er réaffirme également, sans ambiguïté, le principe de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des professionnels de santé auteurs de signalements. Actuellement, les médecins qui signalent une situation de maltraitance dans le respect de la procédure prévue à l’article 226-14 du code pénal n’encourent aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire.

Cependant le cadre juridique en vigueur manque, à l’évidence, de lisibilité, car sa compréhension nécessite la lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l’articulation entre les différents types de responsabilités, qui relève d’une construction partiellement jurisprudentielle. L’article 226-14 n’évoque actuellement que l’absence de responsabilité disciplinaire : le texte propose donc d’améliorer clairement sa rédaction en prévoyant qu’il exempte tout à la fois de responsabilité pénale, civile et disciplinaire.

Enfin, ce même article aménage la possibilité pour les auteurs de signalements de s’adresser directement à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP. Il ressort en effet des auditions que j’ai pu mener que si les médecins hésitent parfois à s’engager en sollicitant directement le procureur de la République, ils sont, en revanche, beaucoup plus enclins à faire appel à la CRIP lorsqu’ils ont de simples doutes sur une situation. La possibilité qui leur est offerte de s’adresser à elle permettra à cette structure de proposer des solutions adaptées dans le cadre de la protection de l’enfance.

Et ainsi que le signalait notre collègue Mme Colette Capdevielle devant la commission des lois, cette nouvelle disposition se combinera de façon pertinente avec l’instauration d’un médecin référent de la protection de l’enfance dans chaque département, disposition que l’Assemblée nationale a adoptée lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi de Mmes Meunier et Dini.

L’article 2 de la proposition de loi instaure, ensuite, une obligation de formation des médecins et des professionnels de santé à la détection et au signalement des situations de maltraitance, à l’instar de ce qui existe déjà pour l’ordre professionnel des sages-femmes. En effet, le principal défaut du système actuel réside dans l’absence de formation à l’identification de ces situations et dans la méconnaissance de la procédure de signalement mise à la disposition des professionnels. Or le signalement constitue un devoir déontologique et il doit être conçu comme un soin à part entière, qui devrait être enseigné dans les universités de médecine. Dans cette perspective, le Sénat a complété, à bon droit, la présente proposition de loi par cette disposition.

Avant de conclure, mes chers collègues, un dernier mot. Lors de l’examen de cette proposition en commission des lois, nous sommes parvenus à un vote conforme, à l’unanimité des groupes de notre Assemblée, motivé essentiellement par la perspective d’une entrée en vigueur immédiate.

Aujourd’hui, un certain nombre d’amendements, notamment un amendement du groupe socialiste, républicain et citoyen à l’article 1er, nous invitent à rouvrir le débat. Même si cet amendement n’est pas dénué d’intérêt sur le fond, son adoption serait regrettable car elle retarderait de plusieurs mois l’adoption et donc l’application de cette proposition de loi, sur laquelle nous nous étions pourtant, la semaine dernière, accordés à dire qu’elle répondait à un besoin réel, essentiel et urgent d’amélioration de la procédure de signalement de la maltraitance.

M. Daniel Gibbes. Tout à fait.

M. Olivier Marleix, rapporteur. D’autres sujets d’une ardente actualité, en matière de protection de l’enfance et de transmission de signalement, auraient pu faire l’objet d’amendements à la proposition de loi dont nous allons débattre. La commission des lois a fait le choix unanime de l’adopter conforme, justement pour en permettre l’entrée en vigueur immédiate.

Lors des auditions, le Dr Cédric Grouchka, membre du collège de la Haute Autorité de santé, a qualifié, avec un enthousiasme très spontané, ce texte de « signal génial » émis par le Parlement. Puissions-nous, mes chers collègues, émettre ce signal avec fermeté, sans délai, sans atermoiements et sans procrastination. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gibbes.

M. Daniel Gibbes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, mes chers collègues, l’unanimité est rare dans notre hémicycle et il est d’autant plus important qu’elle existe, aujourd’hui, sur le délicat sujet que nous abordons : le signalement de la maltraitance.

On ne peut donc que se féliciter que sur ce sujet, qui concerne la protection des personnes vulnérables, chaque groupe ait, en commission des lois, apporté son soutien au texte adopté par nos collègues du Sénat. Je remercie notre rapporteur Olivier Marleix pour son excellent travail sur ce texte et notre président de groupe qui l’a inscrit dans notre journée d’initiative parlementaire.

Tout d’abord, je voudrais écarter un reproche qui nous a été fait la semaine dernière, lors de la réunion de la commission des lois. Pourquoi ne pas avoir introduit le dispositif proposé par ce texte, par voie d’amendement, dans la proposition de loi sur la protection de l’enfant discutée ici même, le 12 mai dernier ?

Il y a, mes chers collègues, deux raisons à cela. D’abord, si ce texte concerne évidemment, en premier lieu, des enfants, sa portée est un peu plus large que la protection du seul enfant puisqu’il s’applique également aux femmes battues et aux personnes âgées maltraitées.

Ensuite, parce que si ce texte est adopté conforme, comme l’a demandé notre rapporteur Olivier Marleix, il deviendra alors immédiatement applicable, contrairement à ce qui a été dit par une de nos collègues en commission. Nous allons donc, sur ce sujet grave, gagner du temps.

En effet, l’examen en seconde lecture de la proposition de loi de protection de l’enfant n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Sénat et personne ne sait quand il le sera. En revanche, mes chers collègues, en adoptant aujourd’hui ce texte, tel qu’il a été travaillé par nos collègues sénateurs, nous ferons avancer très concrètement les moyens offerts par notre législation pour protéger les plus faibles de nos concitoyens.

Sans signalement, aucune protection n’est possible : les cas susceptibles de faire l’objet de mesures de prévention ne peuvent pas être repérés, et il n’est pas possible de prendre des mesures d’intervention en milieu ouvert ni des décisions de placement. Le signalement est donc bien la clé de tous ces dispositifs que nous pouvons mettre en œuvre.

Si nous ne travaillons pas sur la manière dont il s’opère, si nous ne savons pas créer des conditions pour que les personnes compétentes y aient systématiquement recours lorsqu’elles perçoivent un danger, nous nous heurterons au mur du silence et à l’incapacité des services compétents à apporter l’aide nécessaire.

Or, cela a déjà été dit à plusieurs reprises, on s’aperçoit aujourd’hui que la grande majorité des signalements concernant les enfants visent d’abord les parents eux-mêmes et sont émis par des voisins ou des amis qui ont des doutes.

En revanche, contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, les signalements faits par les professionnels de santé sont rares, pour ne pas dire rarissimes. Alors qu’ils devraient constituer, et constituent très souvent, le recours naturel des personnes battues, leurs signalements ne représentent que 5 % des signalements d’enfants en danger, dont 1 % seulement par les médecins libéraux.

Il est donc légitime de se poser des questions, de tels chiffres sont assez inquiétants. Cela a été dit, les raisons en sont multiples. Outre les risques encourus pour violation du secret professionnel, il existe un manque de formation. C’est la raison d’être de ce texte.

Alors que plusieurs pays européens – la plupart des pays scandinaves, l’Espagne, l’Italie ou l’Autriche – ont surmonté la difficulté en instaurant une obligation de signalement, cette obligation, qui a constitué la piste de départ de ce texte, n’existe en France que pour les médecins fonctionnaires.

Ce n’est finalement pas cette solution que nous allons mettre en œuvre, et ce qui nous est proposé ici est plus prudent. En effet, on risquait, par l’instauration d’une seule obligation de signalement, de dissuader la victime ou le représentant légal de la victime de se présenter chez le médecin, par crainte de faire l’objet d’un signalement systématique.

Il nous est donc proposé ici, premièrement, de renforcer le principe d’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire du médecin qui effectue un signalement, pour éviter les procédures contre les médecins signalant des situations de maltraitance ; deuxièmement, de faciliter la transmission de ces signalements, qui pourront être adressés à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes ; et, troisièmement, d’étendre aux membres des professions médicales et aux auxiliaires médicaux la procédure de signalement et la protection qui en découle. Enfin, pour compléter le dispositif, le texte prévoit la mise en place d’une formation aux modalités de signalement des situations de violences aux autorités administratives et judiciaires.

Il a été trouvé, avec ces mesures concrètes, un équilibre qui me semble de nature à faciliter le recours au signalement de la maltraitance sans risquer d’être contre-productif. Telle est notre volonté partagée. C’est pourquoi notre groupe soutient ce texte sans réserve et engage nos collègues sur tous les bancs à confirmer le vote conforme qui a eu lieu en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en matière de maltraitance, les chiffres évoqués par M. le rapporteur sont préoccupants : 98 000 cas connus d’enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Ces chiffres contrastent avec le faible nombre de signalements d’enfants en danger, de l’ordre de 5 %, effectués par le secteur médical.

La proposition de loi déposée par nos collègues du groupe Les Républicains vise à répondre à ce véritable problème de société, qui touche non seulement les enfants, mais également de nombreuses femmes, ainsi que des personnes vulnérables, handicapées ou âgées.

Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la lutte contre la maltraitance des enfants ou des personnes vulnérables est une cause hautement prioritaire. Il est capital, en effet, de renforcer la détection précoce et la prise en charge des situations de maltraitance, tout en protégeant les professionnels et auxiliaires médicaux contre l’engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire.

Les médecins, certains membres des professions médicales et auxiliaires médicaux, sont souvent les acteurs de proximité qui sont les mieux placés pour identifier les signes d’une maltraitance. Pourtant, la plupart des cas ne sont pas signalés et les signalements provenant des professionnels de santé sont loin de représenter la majeure partie des signalements.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la faible utilisation de la procédure de signalement.

Cette situation peut résulter d’un défaut de formation des médecins. Les signes de maltraitance peuvent être difficiles à détecter et ne se traduisent pas toujours par des manifestations évidentes.

Au-delà de la détection des signes eux-mêmes, le médecin n’a pas toujours connaissance des outils dont il dispose : la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP, ou encore la possibilité de saisir le procureur de la République.

En outre, on peut aisément comprendre que la peur des poursuites judiciaires et disciplinaires en cas de fausse dénonciation, la crainte de manquer à leur devoir de loyauté puissent faire reculer les médecins au moment de décider d’effectuer un signalement. Une dénonciation n’est pas anodine, elle va entraîner les médecins dans une procédure judiciaire dont ils ne sont pas toujours familiers.

Il ne faut pas négliger les conséquences auxquelles s’exposent les médecins, en particulier en cas d’erreur : rupture de la personne signalée avec sa famille, coût humain et social de la procédure, mais aussi conséquences sur la réputation du médecin. Ce dernier est alors placé devant un véritable cas de conscience.

Pour améliorer ces situations, la confiance et la protection doivent être renforcées tant du côté de la victime que de celui du médecin, afin de briser le silence et de libérer la parole.

Initialement, la proposition de loi déposée au Sénat mettait en place une obligation de signalement. Cette disposition aurait posé des difficultés car, si le médecin ne signale pas une situation de maltraitance, il risque de voir sa responsabilité civile engagée, alors même que ces situations sont, dans 90 % des cas, difficiles à caractériser. À l’inverse, pour satisfaire à cette obligation, les médecins seraient contraints de signaler le moindre fait. Dès lors, il deviendrait très difficile pour le procureur d’identifier les signalements de situations particulièrement dangereuses. Par ailleurs, cette nouvelle obligation pourrait mettre en danger les victimes mineures ou incapables, qui risqueraient de se voir privées de soins, les auteurs des sévices hésitant à présenter la victime à un médecin par crainte d’être dénoncés.

Le texte tel qu’il est présenté à l’Assemblée nationale ce matin semble plus satisfaisant. Parce que les médecins doivent aussi se sentir en confiance, l’affirmation claire de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin est essentielle.

L’autre intérêt de cette proposition de loi est qu’elle étend le champ d’application du dispositif à l’ensemble des membres des professions médicales et auxiliaires médicaux, infirmiers, kinésithérapeutes, orthophonistes et autres.

Le médecin de famille, par la stature qu’il a et la confiance qu’il est censé inspirer, n’est paradoxalement pas toujours le mieux placé pour procéder à un signalement. Il est donc nécessaire d’associer d’autres acteurs à cette procédure. Permettre à l’ensemble du personnel paramédical et aux auxiliaires médicaux d’être également couverts par l’immunité pénale en cas de violation du secret professionnel est de ce fait une initiative que l’on peut saluer.

Ainsi que je l’ai indiqué, l’impact humain et social d’un signalement est lourd. Il peut conduire, en cas d’erreur, à la destruction d’une famille ou de la carrière professionnelle de la personne soupçonnée. Le renforcement de la formation au repérage des signes de maltraitance, prévu à l’article 2, est donc nécessaire, afin d’atténuer les doutes et les hésitations des médecins et de les aider à établir leur diagnostic.

Enfin, la proposition de loi permet aux médecins de solliciter directement la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Cette mesure devrait également favoriser l’intervention des médecins. Ces derniers sont généralement plus enclins à dialoguer avec cette cellule qu’à s’adresser directement à l’autorité judiciaire.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les députés du groupe UDI voteront en faveur de cette proposition de loi de bon sens, qui, nous l’espérons, permettra d’encourager les signalements de maltraitance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi relative à la clarification de la procédure de signalement des situations de maltraitance par les professionnels de santé a pour objet de permettre à l’ensemble des professionnels de santé, par différents moyens, de signaler les actes de maltraitance auxquels ils peuvent être confrontés, en les sécurisant en matière d’atteinte au secret professionnel.

Le signalement des cas de maltraitance par les médecins est déjà prévu par l’article 226-14 du code pénal. S’ils signalent des cas de maltraitance au procureur de la République ou à l’autorité administrative, notamment à travers la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, la CRIP, ils n’encourent pas les sanctions applicables à la violation du secret professionnel prévues à l’article 226-13 du code pénal, à savoir une année d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Toutefois, méconnue, cette procédure de signalement est peu utilisée par les médecins, pour plusieurs raisons. En premier lieu, les médecins n’ont pas connaissance des outils mis à leur disposition et ne sont pas familiers de l’institution judiciaire. En deuxième lieu, les formations relatives à la détection des situations de maltraitance ne sont pas dispensées lors des études de médecine. En troisième lieu, les conséquences d’un signalement sans suite sont redoutées par les médecins, cela peut altérer la confiance qu’ont en eux leurs patients.

Afin de combler ce vide, les sénateurs ont souhaité introduire un texte visant à renforcer les dispositifs de signalement des situations de maltraitance.

Ainsi, la proposition vise à modifier la procédure de l’article 226-14 du code pénal en accordant l’immunité pénale en cas de violation du secret professionnel à l’ensemble des professionnels de santé et des auxiliaires médicaux et non plus seulement aux médecins.

Elle prévoit la possibilité pour les auteurs du signalement de s’adresser à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, et non plus au seul procureur de la République, comme c’est le cas actuellement.

Le texte réaffirme également l’irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire de l’auteur du signalement, sauf s’il n’a pas agi de bonne foi. En cas de signalement sans suite ou d’absence de signalement, la responsabilité du professionnel de santé ne pourra être engagée.

Or force est de constater que les professionnels de santé ont recours à l’autorité administrative pour signaler des cas de maltraitance, notamment en cas de doute, plus facilement qu’ils ne saisissent directement le procureur de la République, par crainte ou méconnaissance de l’institution judiciaire.

Initialement cantonnée aux atteintes portées à la personne mineure ou à la personne n’étant pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique – je pense en particulier aux personnes âgées pour lesquelles le phénomène de la maltraitance est aussi une réalité à prendre en compte –, le texte modifié que nous examinons aujourd’hui traite de l’ensemble des situations de maltraitance pouvant être connues par les professionnels de santé et subies par leurs patients.

Les violences faites aux enfants sont non seulement un grave problème de société, mais encore une question de santé publique, car elles ont des conséquences catastrophiques à l’âge adulte. Tous les enfants maltraités ne deviennent pas des délinquants, bien sûr, ni à leur tour des parents violents, mais de nombreux travaux scientifiques confirment les liens qui existent entre les maltraitances subies dans l’enfance et les troubles graves du comportement à l’âge adulte. Les enfants maltraités seront davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques : désordres affectifs, mais aussi troubles du comportement, penchants pour des actes violents, dépression, toxicomanie, désocialisation.

Selon les associations spécialisées dans la protection de l’enfance, plus de 100 000 enfants seraient en danger et, parmi eux, 20 000 seraient maltraités. Cette maltraitance au sein des familles, souvent cachée, inconnue ou ignorée nous pose à tous question. Les faits divers de maltraitance, violence ou viol effectués au sein des familles et médiatisés nous interpellent à juste titre.

L’obligation de signaler les cas de maltraitance concerne tous les individus, et pas seulement les professionnels de santé, tant les conséquences sur les victimes sont désastreuses, notamment en cas de sévices sexuels, d’autant plus lorsque les victimes étaient mineures au moment des faits.

Une question se pose alors : comment de telles atrocités peuvent-elles se dérouler durant plusieurs années sans que personne en prenne conscience ?

Il apparaissait donc nécessaire de rendre le signalement des situations de maltraitance par les professionnels de santé plus aisé, en matière d’atteintes aux enfants. Étendre ce dispositif à l’ensemble des personnes soumises à des violences est une bonne chose. Lever les freins à la révélation des violences passe par l’exonération des médecins des sanctions pour atteinte au secret professionnel.

Adeline Gouttenoire a souligné dans son rapport, rendu en avril 2014 au ministère des affaires sociales et de la santé, que le domaine médical est un maillon particulièrement important de la protection de l’enfance. Or, selon l’Ordre des médecins, seuls 5 % des signalements d’enfants en danger sont effectués par le secteur médical, dont 1 % seulement par les médecins libéraux. Les auteurs de la proposition de loi avaient d’ailleurs fait remarquer que les médecins fonctionnaires étaient tenus à une obligation de signalement de tout acte de maltraitance, en vertu de l’article 40 du code pénal. Ils ont donc souhaité étendre à tous les médecins cette obligation, en cas de maltraitance sur les mineurs. Ils avaient également supprimé dans un premier temps la nécessité de recueillir l’accord préalable de la victime majeure.

Nous sommes satisfaits que le Sénat ait introduit un deuxième article à la proposition de loi, complétant l’article 21 de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Le texte prévoit également une formation professionnelle obligatoire pour tous les professionnels pouvant être confrontés à cette situation, notamment une formation à la détection des violences intra-familiales, des violences faites aux femmes ainsi que des mécanismes d’emprise psychologique.

Toutefois, souvent, la maltraitance n’est pas évidente à détecter. Il faut donc éviter l’automaticité des signalements, qui peut avoir des conséquences catastrophiques, pour laisser au médecin un temps de réflexion. Les signalements hâtifs et les interpellations par les forces de police pourraient avoir des conséquences catastrophiques sur des familles ou des proches et des impacts psychiques redoutables sur les auteurs de ces signalements erronés. Comme je l’ai déjà dit, nous souscrivons à la réaffirmation du besoin de formation des professionnels. Nous savons qu’un signalement effectif suppose nécessairement une connaissance des situations et de causes de la maltraitance par les professionnels de santé.

Enfin, il faut être prudent quant aux obligations pesant sur les professionnels de santé et tout particulièrement sur les professions libérales. En effet, les cas de maltraitance sont difficiles à appréhender. Dans le milieu hospitalier, les cas de suspicions de maltraitance peuvent être analysés de manière collégiale. En revanche, la question est plus délicate pour des médecins généralistes isolés. Un renforcement du dialogue entre les professionnels de santé, avec davantage de concertation, pourrait permettre une évolution positive des cas de signalement de maltraitance. Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera en faveur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à préciser l’infraction de violation de domicile ;

Discussion de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly