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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 18 février 2016

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Débat sur l’évaluation de l’action de la douane dans la lutte contre les fraudes et trafics

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur l’évaluation de l’action de la douane dans la lutte contre les fraudes et trafics.

La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons dans un second temps à une séquence de questions-réponses.

Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes.

La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gaby Charroux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, mes chers collègues, j’ai participé, le 18 septembre 2013, aux états généraux de la douane, organisés par l’intersyndicale CFDT, CFTC, CGT, Union syndicale des douanes Force ouvrière, Solidaires et Union nationale des syndicats autonomes.

J’ai rencontré ce jour-là des douaniers inquiets, qui ne comprenaient pas le sort réservé par les gouvernements depuis vingt ans aux services de douanes. De réorganisation en réorganisation, ces agents subissaient une politique douanière aveuglée par la révision générale des politiques publiques, qui avait fait dire à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique d’alors, Marylise Lebranchu, que « les contrôles font partie des missions fondamentales de l’État. Des directeurs départementaux m’ont dit " On est à l’os " ».

Alors que la direction générale des douanes et droits indirects – DGDDI – a été le plus gros contributeur à la réduction de la dépense publique en matière d’emploi, il est frappant de constater que si en 2004, près de 20 000 douaniers étaient en poste pour un trafic de 3 millions de conteneurs, ils n’étaient plus que 17 500 en 2011 pour un trafic de 5,5 millions de conteneurs. Ainsi, alors que leurs effectifs avaient été réduits de 15 %, les douaniers devaient contrôler un trafic qui a quasiment doublé en sept ans, sans que ne soient mis en place des portiques scanners dans nos ports.

Le 18 septembre 2013, l’intersyndicale des douanes demandait un moratoire sur les suppressions de structures, de services et de moyens humains. Il a été refusé. Au même moment, dans ma circonscription des Bouches-du-Rhône, les douaniers de Port-de-Bouc et Port-Saint-Louis-du-Rhône m’alertaient sur le manque de moyens et la volonté de la direction de regrouper les brigades et de réduire le personnel. Pierre Delval, criminologue, déclarait lors de ces états généraux : « Sans les douanes, le monde serait une aire de jeu pour le crime organisé ». C’est une évidence, mais n’est-ce pas déjà en partie le cas ?

C’est ce jour-là que j’ai décidé, avec l’appui du groupe GDR, de demander une mission d’évaluation de l’action de la douane, mission que j’ai menée l’année dernière avec notre collègue Éric Woerth. Celle-ci a été précédée d’une évaluation et d’un rapport de la Cour des comptes. Il ne s’agit pas, ici, de revenir longuement sur ces deux rapports, que chacun a pu avoir entre les mains. Les deux rapports étant sur certains points complémentaires, nous n’avons pas repris point par point celui de la Cour des comptes.

Au-delà du formidable travail effectué par nos douaniers et des résultats obtenus, il ressort parfois de cette évaluation le même constat que celui tiré par les états généraux de la douane : nous soulignons également une réorganisation incomprise, un manque criant de dialogue social et la poursuite systématique de la baisse des effectifs. Sur ce dernier sujet, mon co-rapporteur et moi-même ne partagions pas les mêmes vues.

Les éléments mis en avant pour définir une véritable stratégie de développement et d’efficacité de nos services des douanes relèvent d’une meilleure mise en commun entre les services de l’État, d’un maillage différent du territoire, d’une orientation de l’action dans les domaines à forts enjeux fiscaux et financiers, ainsi que d’une utilisation plus affirmée des nouvelles technologies. Et, le rapport le souligne, il faut procéder aux investissements de contrôle des conteneurs dans nos ports, avec des systèmes de scannérisation performants. Le seul port français qui en disposait, Le Havre, ne l’a plus : nous sommes en attente de nouveaux matériels.

Les préconisations citées ci-dessus, que je partage pour l’essentiel, sont souvent avancées comme justification des baisses d’effectifs. Je le dis d’emblée : oui, il faut agir fortement sur ces leviers, mais pas au détriment des effectifs. Car l’argument qui veut que les résultats soient en progression, malgré les baisses d’effectifs, ne tient pas au regard du développement, de l’explosion, même, des échanges et des fraudes en matière de contrefaçon, de médicaments, d’armes, de fraude à la TVA et de fraude fiscale en général.

Nous avons souligné, avec Éric Woerth, la nécessité de garder un maillage territorial fort et de ne pas se concentrer sur les seuls grands axes de passage. À Roissy, lors de nos visites, tout comme à Marseille d’ailleurs, nous avons pu constater l’amertume des personnels et cadres qui, par manque de moyens, ont abandonné toute idée de contrôles systématiques et, au-delà, connaissent les limites de leur action et le fait que tout ne peut se régler par le ciblage – absolument indispensable par ailleurs.

Développer les effectifs permettrait d’améliorer les résultats et de renforcer la sécurité. Je vous ai interrogé le 27 octobre 2015 sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. Vous m’aviez fait part de l’obligation de réduire la dépense publique et, par conséquent, de poursuivre la baisse des effectifs. Malheureusement, trois semaines plus tard avaient lieu les terribles attentats du 13 novembre. Trois jours après, le Président de la République annonçait la création de 1 000 postes supplémentaires de douaniers. Je vous interrogerai d’ailleurs tout à l’heure sur cette annonce.

C’est bien la preuve que les théories des gouvernements qui se sont succédé et de la Cour des comptes, aveuglée par le dogme de la réduction de la dépense publique, ne sont pas les bonnes à mettre en œuvre, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. D’autant que le rétablissement des contrôles aux frontières, la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, les trafics d’armes et le renseignement sont des priorités majeures de la douane et de notre pays tout entier. Elles nécessitent des moyens affirmés et démontrent le mauvais chemin pris ces dernières années.

Je ne citerai qu’un seul pays, que le Gouvernement prend souvent en exemple, comme nous le faisons aussi : c’est l’Allemagne qui, bien qu’elle dispose de beaucoup moins de points de contrôles extracommunautaires que la France, compte deux fois plus de douaniers. De grandes inquiétudes pèsent aujourd’hui sur la douane, tant sur son fonctionnement que sur son organisation, à tel point que l’intersyndicale se pose la question de conserver des brigades dans les villes de moins de 100 000 habitants pendant que la DGDDI, malgré vos recommandations, monsieur le secrétaire d’État, refuse toujours de transmettre aux organisations syndicales la cartographie détaillée des services de la surveillance. Une issue est je crois en passe d’être trouvée sur ce point.

Cela m’amène à soulever un autre point fort du rapport, lié à la qualité du dialogue social dans la direction générale. Les syndicats ont unanimement soulevé cette question. Alors que les réorganisations se succèdent et qu’un plan stratégique Douane 2018 est en train d’être mis en œuvre, nous avons constaté une absence totale de dialogue social dans cette administration. Pas plus tard que la semaine dernière, devant le refus de la direction générale de communiquer des documents indispensables au bon déroulement du dialogue, les organisations syndicales, unanimement, ont à nouveau quitté la table des discussions lors du comité technique de réseau. Cette unanimité nous trouble. Cela n’est plus ni concevable ni possible.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, le sens de mon intervention est de poser fortement la question de la présence territoriale. Celle-ci ne peut se poursuivre voire se développer avec de nouvelles réductions d’effectifs ou avec des annonces de créations qui compensent si faiblement les lourdes pertes connues.

Lors de l’examen de notre rapport, le 3 juin 2015, de nombreux collègues sont venus nous faire part des difficultés qu’ils rencontraient dans leurs départements sur cette question. Ces députés ont tous marqué la volonté de présence territoriale de proximité. Ils ont souvent critiqué le choix de privilégier les grands axes au détriment d’autres, ce que démontrent les résultats de saisies lors des opérations ponctuelles effectuées sur ces secteurs délaissés. Parmi les exemples cités lors des interventions de nos collègues, on relèvera la présence de seulement 22 douaniers pour surveiller 120 kilomètres de frontières avec la Suisse, pays non membre de l’Union européenne. Cela doit nous alerter.

D’autant que les douaniers, excusez-moi de le dire si cavalièrement, rapportent au budget de l’État : directement, avec près de 68 milliards d’euros de recettes fiscales générées en 2012 ; indirectement, par la protection de notre économie, de nos entreprises, donc de nos emplois par la lutte contre les contrefaçons. Le chiffre d’affaires annuel mondial de la contrefaçon est de 600 milliards de dollars par an, soit près du double du chiffre d’affaires des narcotiques. Il s’agit d’un véritable fléau, qui se développe fortement par internet.

Voilà, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce qui a motivé notre volonté d’organiser une séance sur cette question. Je salue les représentants du syndicat CGT de la douane ici présents, qui participent à nos travaux. Le service public de la douane mérite toute notre attention et celle du Gouvernement en matière de sécurité, de lutte antiterroriste, de sécurité alimentaire et sanitaire, de fiscalité et de protection de notre pays, de nos emplois et de notre économie.

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yann Galut. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le savons, les douaniers incarnent, avec les policiers, les gendarmes et tous ceux qui portent l’uniforme, dans un contexte particulièrement difficile, l’État de droit, l’ordre républicain, et paient un lourd tribut pour assurer la sécurité des Français et sauver la vie des autres. Je tiens ici à remercier le groupe GDR d’avoir proposé l’organisation de ce débat sur l’évaluation de l’action de la douane contre les fraudes.

On ne peut évaluer l’action de la douane objectivement sans évaluer également les moyens qui sont mis à disposition de celle-ci, en particulier par le législateur, ainsi que le cadre juridique dans lequel les douaniers exercent leurs fonctions. C’est sur ce point que je structurerai mon intervention.

Le Gouvernement et sa majorité ont pleinement conscience du rôle essentiel joué par la douane dans la lutte contre la fraude et le crime organisé. C’est pourquoi le renforcement des effectifs, mais aussi l’attribution de moyens supplémentaires en fonctionnement – rien ne sert de recruter des douaniers s’ils n’ont pas les moyens de travailler – ont fait l’objet d’une attention constante. Je rappelle ainsi qu’il a été décidé de créer 1 000 postes de douaniers supplémentaires, afin de mieux assurer les contrôles aux frontières, auxquels ces agents contribuent très activement depuis le 13 novembre dernier. Par ailleurs, 3 millions d’euros seront consacrés à l’équipement en véhicules et en moyens numériques et informatiques de ces 1 000 douaniers supplémentaires, et 26 millions d’euros seront alloués à l’acquisition de moyens de protection.

L’effort financier est donc bien réel : il devra sans aucun doute être encore amplifié au cours des prochaines lois de finances, bien que ce renforcement fasse l’objet de nombreux débats, que mon collègue vient de rappeler. Toutefois, les effectifs et les moyens matériels sont une condition nécessaire mais non suffisante pour permettre aux douanes de remplir efficacement leur mission. Le cadre juridique doit en effet lui aussi évoluer, et permettre à la douane d’agir de façon efficiente, dans le respect, naturellement, de nos libertés fondamentales.

Sur ce volet, des évolutions importantes ont été annoncées par le Gouvernement, le 22 janvier dernier, dans le cadre du plan de renforcement de l’action de la douane en matière de lutte contre le terrorisme et de contrôle aux frontières. D’autres évolutions du cadre juridique sont également présentes dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, que nous examinerons ici même début mars.

L’article 16 de ce projet de loi étend ainsi, en matière de blanchiment douanier, un mécanisme qui existe d’ores et déjà pour le délit général de blanchiment prévu au code pénal. Il s’agit de la possibilité de procéder à un renversement de la charge de la preuve, dès lors qu’il est avéré que l’objectif premier de l’opération douanière est la dissimulation de l’origine des fonds. Cette mesure, qui va dans le bon sens, permettra, si elle est adoptée, de faciliter l’action des services douaniers en matière de lutte contre le blanchiment douanier.

En tant que rapporteur pour avis de ce texte au nom de la commission des finances, je souhaite aller plus loin. Ce débat n’est certes pas l’occasion de débuter l’examen de ce projet de loi, mais d’exposer les pistes sur lesquelles je travaille actuellement et d’aboutir collectivement, avec le Gouvernement, avec la majorité, mais aussi, je l’espère, avec l’opposition, à l’élaboration de mesures pertinentes, pour renforcer l’efficacité et la sécurité de la douane française.

L’un des enjeux est bien sûr celui de l’obligation déclarative à laquelle est soumise toute personne sortant du territoire français. Cette obligation est essentielle, car désormais, on le sait, les organisations terroristes ont massivement recours au microfinancement et aux transferts d’argent liquide. Dans ce contexte, le seuil de 10 000 euros n’est-il pas trop élevé ? Cette question, qui devra faire l’objet d’un débat, n’est pas facile à trancher.

Par ailleurs, je pense qu’il est nécessaire de renforcer l’obligation déclarative, en disposant, comme le prévoit un règlement européen, que celle-ci sera inexécutée si elle est fausse ou incomplète. Au-delà des modalités de déclaration, il est important de réfléchir aux suites à donner dans les cas de manquement à ces obligations déclaratives. En l’état du droit, ce manquement est une simple contravention, pouvant donner lieu à une saisie égale à un quart de la somme non déclarée. Est-ce assez dissuasif ? Je ne le pense pas. L’élévation au niveau de délit permettrait aux douaniers constatant l’infraction de procéder à une retenue douanière de 24 heures.

Mais l’obligation déclarative ne suffit pas à s’assurer de l’origine licite des sommes. Les organisations terroristes remplissent de plus en plus souvent leurs déclarations en bonne et due forme, ce qui les préserve, dans les faits, de tout contrôle. En temps voulu, nous n’avons pas hésité à inclure le trafic international de stupéfiants, qui connaissait un fort développement, dans le champ de compétence des douanes. Ne faut-il pas envisager aujourd’hui de faire de même pour le financement du terrorisme ?

Voilà, mes chers collègues, les quelques pistes que je souhaitais soumettre à votre réflexion et que nous pourrons peut-être traduire dans la loi dès le mois prochain. Encore une fois, je crois que ce débat doit être pour nous toutes et tous l’occasion de saluer l’action de ces fonctionnaires exemplaires au service de la nation.

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour le groupe Les Républicains.

M. Frédéric Lefebvre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer mon intervention en rendant hommage, comme vient de le faire mon collègue Galut, à l’engagement de nos douaniers dans la réalisation de leurs difficiles missions, notamment depuis les attentats de Paris. En effet, malgré des effectifs en baisse depuis des années et des moyens toujours plus contraints, les résultats de leur action contre les fraudes et les trafics sont inégalés.

En 2014, le montant des droits et taxes redressés par la douane s’est élevé à 357 millions d’euros, contre 323 l’année précédente, un record. En 2014 toujours, la douane, qui collecte plusieurs impôts, a recouvré 69 milliards d’euros de droits et taxes, soit 1,2 % de plus qu’en 2013.

L’exercice 2014 a également été exceptionnel sur le plan des saisies.

Dès lors que les résultats sont au rendez-vous alors que les moyens sont en diminution, il faut saluer la capacité d’adaptation de l’administration des douanes – que je connais et apprécie – au démantèlement des frontières. Elle a su développer de nouvelles méthodes de détection des fraudes et des trafics, et des progrès indéniables ont permis d’optimiser les moyens disponibles.

Malgré ces éléments prometteurs, la situation reste préoccupante du fait de la diminution des moyens humains et financiers dont elle dispose. Une telle situation rend difficile l’accomplissement par la douane de ses missions de surveillance et de lutte contre la fraude. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous expliquer pourquoi les dépenses d’investissement de la douane diminueront de près d’un quart entre 2015 et 2016, dans un contexte de tension où l’on s’attendrait au contraire à ce qu’ils augmentent ?

À la diminution des moyens matériels et à un renouvellement qui se fait attendre s’ajoute une diminution des moyens humains. Les douanes ont ainsi perdu chaque année près de 250 agents, si bien que les effectifs ont fondu de 15 % en dix ans, pour tomber à 16 600 agents fin 2014.

La question des effectifs m’amène à m’arrêter quelques instants sur les missions de contrôle migratoire. En France métropolitaine, la douane gère 82 des 131 points de passage frontaliers. Si les contrôles aux frontières étaient rétablis, on voit bien les difficultés que cette administration devrait affronter compte tenu de la diminution des moyens que je viens d’évoquer. Quid de son efficacité ? Dans un contexte de crise migratoire, la faiblesse de nos moyens risque de s’avérer problématique si des contrôles physiques aux frontières étaient rétablis.

Je salue évidemment l’annonce par le Président de la République de la création de 1000 postes supplémentaires, mais il serait utile d’en indiquer la répartition d’une manière extrêmement claire et franche. Pour 2016, ces engagements ne se traduiront en effet que par 267 créations nettes d’emplois, puisqu’il faut déduire des créations de postes annoncées les baisses d’effectifs déjà intervenues.

Malheureusement, notre pays, et au-delà l’Europe tout entière, ne se donnent pas les moyens de protéger leurs frontières et de lutter contre l’immigration irrégulière. Ce n’est pas un problème nouveau. Dans un livre que j’ai écrit en 2010 ou 2011, je réclamais une police européenne des frontières. Certes, il y a Frontex, mais quand on voit son efficacité ! Cela a été terrible cet été, et j’avais honte de voir certains pays européens, dont le nôtre, reprocher à l’Italie et à la Grèce de ne pas faire ce que nous-mêmes – l’Europe tout entière – ne nous donnons pas collectivement les moyens de faire.

Le vrai sujet est aujourd’hui celui de l’adaptation de nos moyens aux risques et aux dangers que l’on connaît, qui sont identifiés, pour notre pays et pour l’Europe tout entière.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Laurent Degallaix. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la directrice générale, mes chers collègues, la qualité du travail des douaniers sur notre territoire est reconnue par tous et l’utilité de leur mission n’est plus à démontrer.

Notre pays et l’Europe entière font actuellement face à une menace terroriste sans précédent. Le Premier ministre l’a rappelé sans détour samedi dernier : le niveau d’alerte est maximal, et d’autres attaques d’ampleur se préparent sans doute dans notre pays ou à ses portes.

Dans ce contexte, le rôle des douaniers dans la surveillance et la protection de nos concitoyens est absolument essentiel. C’est d’ailleurs la douane qui, après l’attentat du Musée juif de Bruxelles, a arrêté Mehdi Nemmouche, son auteur présumé, et d’autres djihadistes.

M. Yann Galut. Tout à fait.

M. Laurent Degallaix. L’autre mission majeure de la douane, intrinsèquement liée à la lutte contre le terrorisme, est la surveillance des opérations commerciales. Cette activité, qui a rapporté près de 70 milliards d’euros à l’État l’an dernier, permet de lutter contre les trafics d’armes, la contrefaçon, les trafics de drogue, de tabac, de faux médicaments, et les fraudes de toute nature.

Ces deux missions sont vitales pour la protection de notre pays.

Or, la douane française a dû faire face à une baisse constante de ses effectifs, de 25 % sur les vingt dernières années. Jusqu’à l’année dernière, cette baisse était encore de 1 à 2 % par an.

À la suite de ces suppressions de personnels, mais également de zones de contrôle, la douane ne compte plus actuellement que 16 500 agents pour l’ensemble du territoire national. 465 suppressions de postes supplémentaires étaient prévues en 2016 et 2017.

C’est pourquoi nous avons salué les mesures annoncées par le Président de la République dans le cadre du pacte de sécurité, qu’il s’agisse de l’enveloppe de 45 millions d’euros consacrée à la douane ou de la hausse des effectifs. En effet, ces 1000 recrutements supplémentaires permettront de corriger la trajectoire de suppressions de postes dans les services douaniers que nous avions dénoncée. À ce titre, je tiens à souligner qu’ils ne représentent toutefois qu’une création nette d’environ 500 emplois.

Ces décisions, qui interviennent certes trop tardivement, sont les bienvenues. Elles permettront aux douanes de renforcer leur action de contrôle aux frontières et de lutte contre le terrorisme. Nous sommes cependant conscients que le renforcement des moyens des douanes doit aller de pair avec la modernisation de leur mode de fonctionnement, pour que les douanes puissent s’adapter non seulement à l’évolution des trafics et de la fraude, mais aussi aux mutations des échanges internationaux et des flux commerciaux.

À ce titre, je tiens à saluer le travail de qualité réalisé par nos collègues Gaby Charroux et Éric Woerth dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de l’action de la douane dans la lutte contre les fraudes et trafics.

Les propositions qui en sont issues permettront à la douane de prendre en compte les nouvelles menaces et les nouveaux enjeux, et de moderniser ses méthodes de travail en conséquence.

Il est en effet nécessaire de renforcer le contrôle des flux de marchandises lorsqu’on sait que statistiquement, seul un produit sur 10 000 est vérifié par les douanes avant d’entrer sur le territoire européen.

La coopération européenne doit également être repensée, afin qu’une action coordonnée soit possible avec les autres États membres, notamment entre la douane du point d’entrée et celle du pays de destination finale. L’intégration opérationnelle des douanes européennes doit ainsi devenir un objectif prioritaire du Gouvernement, sans quoi les efforts déployés, si importants soient-ils, resteront insuffisants.

Forts des conclusions du comité d’évaluation et de contrôle et des travaux de la Cour des comptes sur ce sujet, nous appelons à présent le Gouvernement à lancer une large concertation qui permettra d’aboutir, dans le respect du dialogue social, à un plan ambitieux relançant la douane et les douaniers au cœur du dispositif. Il s’agit d’un élément essentiel pour renforcer la sécurité en France et en Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Claireaux, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, dernier orateur inscrit.

M. Stéphane Claireaux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui, à l’initiative de nos collègues du groupe GDR, afin d’évaluer l’action de la douane dans la lutte contre les fraudes et trafics. Étant donné tous les éléments développés dans le rapport d’information présenté par Gaby Charroux et Éric Woerth en juin dernier, vous me permettrez d’axer mes propos sur certains sujets qui attirent toute ma vigilance.

Tout d’abord, j’aborderai la question des effectifs de la douane. Les services douaniers ont été fortement mis à contribution dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, et la réduction des effectifs qui en a résulté – ils sont passés de 22 000 équivalents temps plein dans les années quatre-vingt à 16 000 en 2015 – est allée bien au-delà du principe de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Or, s’il est vrai que les techniques actuelles facilitent le contrôle des douaniers, la baisse des effectifs aurait pu constituer un frein à une lutte efficace contre les fraudes, notamment aux frontières. Je tiens ici à saluer les efforts engagés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 pour permettre le recrutement de 500 personnels affectés au renseignement et à la surveillance, à hauteur de 267 équivalents temps plein.

Évoquer la question des effectifs me conduit à parler de l’organisation territoriale des services douaniers. Si la Cour des comptes observe qu’une représentation des services dans près de l’ensemble des départements est assurée, il faut noter que l’implantation douanière a diminué de 18 % entre 2010 et 2014, amenant à une centralisation progressive des services.

Nous ne nions pas le besoin de réorganisation des services qui, accompagné par la dématérialisation du dédouanement, permet une concentration des effectifs aux principaux points d’entrée et de transit et assure ainsi une plus grande efficacité des contrôles. De plus, cette concentration assure la mise en œuvre de nouveaux schémas tactiques d’intervention et la préservation de la sécurité des agents. Cependant, la surveillance terrestre de la douane doit être assurée sur l’ensemble du territoire, en s’appuyant notamment sur l’exemple des centres opérationnels douaniers terrestres.

Mais la lutte contre la fraude n’est pas un monopole terrestre et en tant que député ultramarin, il me semble primordial d’évoquer l’importance de la surveillance de la mer, d’autant plus que la France dispose du deuxième plus grand territoire maritime mondial.

Ainsi, l’action et le matériel aéromaritimes de la douane doivent être clarifiés et améliorés, afin d’être plus adaptés aux besoins spécifiques de l’action de l’État en mer. Les missions des services douaniers en mer sont multiples : lutte contre les trafics, y compris d’êtres humains, lutte contre la fraude, police des pêches, collecte de données, lutte contre la pollution. Il apparaît alors plus qu’important de poursuivre les investissements dans le parc naval des services douaniers afin d’améliorer l’efficacité de leurs actions en mer.

S’agissant de la question fiscale, je souhaite m’étendre plus particulièrement sur notre régime douanier de TVA à l’importation.

À la fin de l’année 2013, un rapport réalisé à la demande de la Commission européenne dressait le constat affligeant d’un cruel manque à gagner de TVA pour l’ensemble de l’Union, particulièrement en France, où la perte de recettes était évaluée à plus de 32 milliards d’euros annuels compte tenu de plusieurs facteurs, dont notre régime douanier de TVA à l’importation.

Ce montant, représentant environ le cinquième des recettes annuelles de cet impôt, quoique contesté par le ministère des finances, a été un nouveau signal d’alarme pour les pouvoirs publics nationaux et européens, qui invite à dégager des pistes de solution en ces temps de disette budgétaire communautaire. Le Gouvernement a d’ailleurs immédiatement réagi : le collectif budgétaire présenté à la fin de l’année 2014 autorise la douane à proposer aux entreprises qui disposent d’un agrément à la procédure simplifiée de dédouanement avec domiciliation unique le régime de l’autoliquidation à compter du 1er janvier 2015.

Il était temps de réagir, à l’instar de nombre de nos partenaires européens, car la précédente majorité n’avait pas agi en la matière. La Cour des comptes avait pourtant souligné la vulnérabilité particulière de notre régime de TVA dit « régime 42 », puisqu’il prévoit qu’une marchandise importée dans un État membre de l’Union européenne à destination d’un autre État membre peut être exonérée de TVA jusqu’à la livraison dans son pays de destination.

Le régime de l’autoliquidation de la TVA permet de faire passer les contrôles, via un représentant fiscal, par les seuls services fiscaux, et donc de qualifier la fraude de fraude fiscale au lieu qu’elle soit considérée comme une simple infraction douanière, ce qui nous semble essentiel.

Toutefois, nous rejoignons nos collègues rapporteurs pour trouver dommage d’avoir limité l’auto-liquidation aux seules entreprises bénéficiaires de la procédure de domiciliation unique – PDU – , même si ce système permet de se prémunir de tout risque de défaillance du redevable. Il serait souhaitable, compte tenu de l’importance du sujet en termes de volume financier, d’élargir rapidement la mesure.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la présidente, messieurs les députés, permettez-moi de saluer tout particulièrement M. Charroux, puisqu’il représente le groupe grâce auquel nous pouvons avoir ce débat.

À l’automne 2013, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a souhaité conduire une évaluation de l’action des douanes dans la lutte contre les fraudes et les trafics et vous a confié cette mission, monsieur Charroux, ainsi qu’à votre collègue Éric Woerth. Vos travaux ont été conclus en juin dernier.

Entre fin 2013 et aujourd’hui, le contexte dans lequel s’inscrit l’action de la douane a changé. La menace terroriste est passée de la potentialité à la concrétisation dramatique, par deux fois dans notre pays. En quelques heures, la France a non seulement rétabli son contrôle aux frontières, mais en a également renversé la logique et l’habitude : pendant des heures, nos forces douanières ont concentré leurs efforts sur la surveillance des sorties plutôt que des entrées, à la recherche d’un terroriste en fuite.

La contribution des douanes à la protection de nos concitoyens a été reconnue au plus haut niveau de l’État et évoquée dans le discours présidentiel à Versailles, devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015. Puis en janvier, pour la première fois, une quarantaine de douaniers représentaient leurs 16 000 collègues aux vœux du Président de la République aux forces de sécurité.

À l’occasion des attentats, nos concitoyens ont redécouvert l’administration des douanes et dépoussiéré l’image d’Épinal du douanier dans sa guérite. Le rôle de la douane dans la lutte contre la fraude et tous les trafics est apparu sous un jour nouveau et a révélé son importance stratégique.

Je saisis donc l’opportunité de notre débat de ce soir pour réaffirmer devant vous l’indivisibilité de la douane française. Elle est bien campée sur ses deux jambes, surveillance et opérations commerciales, et c’est sa force. Le Gouvernement n’entend pas revenir sur ces deux missions confiées à la douane. La complémentarité de ses deux métiers est au cœur de son expertise et de ses enquêtes, c’est ce qui lui donne la capacité de remplir efficacement ses missions fiscales, mais aussi d’agir à tous les niveaux de la chaîne des fraudes. C’est aussi ce qui peut lui donner sa réactivité. J’ai ainsi vu à la frontière suisse, en janvier, les équipes du bureau commercial appuyer celles de la surveillance pour faire face aux nouvelles exigences des contrôles aux frontières : les premières venaient décharger les secondes de certaines tâches de dédouanement, permettant ainsi à la surveillance d’accroître l’intensité des contrôles sur le flux de véhicules. Ce type d’expérience doit nous inspirer pour faire face aux périodes de crise.

Le rapport que j’évoquais tout à l’heure dressait des constats et des recommandations éclairés. Vous avez pris soin d’auditionner l’ensemble des parties prenantes, y compris les partenaires sociaux, dont je sais la sensibilité mais aussi la très forte implication. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que les actions engagées dans le Projet stratégique de la douane – PSD – et dans le plan de renforcement de l’action de la douane pour le contrôle aux frontières et la lutte contre le terrorisme apportent, chacun sur leurs champs propres et de manière complémentaire, des éléments de réponse.

Tout d’abord, nous entrons en 2016 dans une ère nouvelle pour la douane, avec des effectifs renforcés dont la répartition territoriale est actualisée.

La douane française est une administration en mouvement. Le rapport a souligné combien elle avait su absorber des réformes difficiles et nombreuses ces dernières années. Elle a effectivement montré qu’elle savait se transformer et s’adapter à un monde en mutation. Elle a su se doter d’un projet stratégique ambitieux, qui va adapter ses structures et moderniser ses processus. C’est la garantie que ce mouvement de transformation se poursuivra pour assurer son efficacité de manière pérenne.

Le Projet stratégique de la douane est déjà avancé, et il sera mené à son terme. Il vise en effet à adapter la douane à tous les défis qui sont devant elle. Je pense par exemple au nouveau code des douanes de l’Union, que vous avez évoqué et qui sera une réalité dans quatre mois. La douane est prête à mettre en œuvre les dispositions de ce code.

Je pense aussi à la demande croissante de nos concitoyens et de nos entreprises de formalités simples, rapides, dématérialisées. Vous l’avez indiqué en évoquant l’autoliquidation de la TVA, dont vous avez recommandé l’élargissement. Sur ce point, je veux être très clair : ce gouvernement a mis en œuvre l’autoliquidation de la TVA, en particulier dans les grands ports et les lieux d’échange français, depuis février de l’année dernière. Aujourd’hui, ce sont près de 1,8 milliard de droits qui sont autoliquidés par les acteurs économiques, et ce montant est en augmentation continue. Nous entendons aller plus loin. Faut-il pour autant élargir cette autoliquidation sans conditions ? Aujourd’hui, il suffit d’avoir la labellisation PDU. Des acteurs demandent la généralisation du système. De toute façon, au 1er mai prochain, il faudra mettre en œuvre le code européen des douanes, qui prévoit un simple agrément, au lieu de l’audit requis pour la PDU. Je pense que cela donnera satisfaction à la plupart des acteurs. Il reste trois à quatre mois pour parvenir à ce dispositif. Et pour vous faire une confidence, des amendements au projet de loi sur l’économie bleue actuellement en navette sont en discussion pour élargir la disposition plus rapidement encore : nous aurons l’occasion de voir comment les rédiger de manière à satisfaire l’ensemble des parties.

Je rappelle par ailleurs, puisque nous parlons de facilitation, la mise en œuvre du service national douanier de la fiscalité routière. Il s’agit là encore d’un progrès considérable.

Le PSD, c’est aussi la mise en place des centres opérationnels douaniers terrestres, les CODT, dont une préfiguration a été mise en place à Bordeaux – où je me suis rendu en visite – et qui ont vocation à mailler tout le territoire national. Leur rôle est d’assurer une coordination entre unités et administrations et de diffuser des informations fiables et actualisées en temps réel, ce qui est notamment indispensable en temps de crise. Deux nouveaux centres verront le jour en 2016, l’un à Lille et l’autre à Metz, deux secteurs à forts enjeux frontaliers, et trois autres en 2017.

Je vous confirme également que le service d’analyse de risque et de ciblage – ou SARC –, dont l’intérêt est souligné par la mission, sera créé en mai 2016. Il sera localisé à Paris et réunira, à terme, 45 agents. Il sera chargé de la production de l’intégralité des analyses de risque et des études à vocation opérationnelle portant sur l’avant-dédouanement, le dédouanement et la fiscalité. C’est un véritable centre d’expertise qui sera ainsi constitué et qui sera très utile aux cellules de ciblage locales, les fameuses CROC – cellules de renseignement et d’orientation des contrôles.

Plus globalement, le PSD est un point d’appui pour toutes les missions douanières, en particulier pour les missions d’accompagnement de la compétitivité de notre économie. Je n’y reviens pas, ayant évoqué ce point à propos des dispositifs d’autoliquidation.

Ainsi l’organisation de la douane se modernise, répondant en cela à vos recommandations et surtout poursuivant un mouvement déjà bien engagé.

Parallèlement, pour faire face aux nouvelles menaces et aux missions renforcées de la douane, qu’il s’agisse de surveillance ou d’enquête et de démantèlement de filières, les effectifs de la douane française vont recommencer à croître, pour la première fois depuis une vingtaine d’années.

M. Yann Galut. Très bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Le Président de la République l’a annoncé, 1 000 recrutements supplémentaires seront effectués en 2016 et 2017. Il était prévu de recruter 735 agents sur les différents concours ; ce seront 1 735 agents qui seront recrutés en deux ans. Ces recrutements supplémentaires feront plus que compenser la trajectoire initialement prévue pour les effectifs douaniers, et se traduiront par une augmentation nette des effectifs de plus de 600 emplois en deux ans. Toutes les directions interrégionales métropolitaines bénéficieront de ces renforts, ainsi que La Réunion et la Guyane. Et plus de la moitié des brigades de contrôle verront leurs effectifs augmenter.

Les nouveaux agents seront essentiellement affectés dans les brigades de surveillance, venant ainsi neutraliser tout risque de décalage d’effectifs entre les deux métiers de la douane, crainte exprimée par votre mission dans son rapport.

Plusieurs services à compétence nationale seront également renforcés. Je pense en particulier à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – la DNRED. Le groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme – GOLT – sera lui aussi renforcé, de même que les services spécialisés dans l’informatique douanière et le service national de douane judiciaire ou SNDJ.

Pour autant, la répartition des effectifs douaniers poursuivra son adaptation pour améliorer le service rendu et son efficacité.

Soyons clairs : il y aura des restructurations. Elles seront limitées : moins de 15 opérations pour les brigades de surveillance sur toute la France, soit moins de 7 % des unités. Monsieur Charroux, la carte réclamée a été communiquée aux organisations syndicales le 8 février dernier, de même que la répartition par grands secteurs géographiques des nouveaux postes que j’évoquais à l’instant.

Le réseau des recettes poursuivra lui aussi sa réorganisation autour de recettes interrégionales et non plus régionales. Quant au tissu des bureaux et services, il évoluera de manière à suivre la géographie des flux commerciaux. La mission a fort justement remarqué que la tendance est à la concentration des flux logistiques, nous nous organisons pour y faire face.

J’en viens aux moyens de contrôle indispensables dans la lutte contre la fraude. Une enveloppe de 45 millions d’euros supplémentaires en deux ans a été débloquée pour renouveler et développer les moyens opérationnels de la douane.

Ces moyens nouveaux permettront d’abord de mieux protéger nos agents. J’ai l’habitude de dire qu’on oublie trop souvent que ces agents en uniforme représentent, comme d’autres, une cible pour les terroristes qui recherchent des actions spectaculaires. Il est donc indispensable de doter les unités de surveillance terrestre de meilleures capacités de riposte. C’est pourquoi des armes longues – pistolets mitrailleurs – seront déployées dès cette année dans les brigades de contrôle terrestre et de nouveaux équipements d’interception, en particulier des herses de nouvelle génération, seront déployés dès 2016.

Les moyens de transmission – dont les limites sont évoquées par la mission et que j’ai moi-même constatées sur le terrain, notamment dans les zones frontalières, pour des raisons que chacun connaît – seront améliorés grâce à de nouveaux moyens de communication adossés au réseau INPT – infrastructure nationale partageable des transmissions – du ministère de l’intérieur.

Par ailleurs, nous investirons dans le meilleur de la technologie dédiée à la détection des trafics illicites. Une enveloppe de 15 millions d’euros permettra de renforcer les capacités actuelles de la DGDDI en la matière, ce qui était un point d’attention de la mission.

Il s’agira d’une part de poursuivre l’acquisition et l’installation de lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation, plus connus sous le nom de LAPI, qui jouent un rôle essentiel – ils l’ont prouvé à l’occasion des attentats – dans les opérations de poursuite sur route et de suivi de trafics de stupéfiants ou autres marchandises illicites.

Nous allons d’autre part améliorer notre équipement en dispositifs de contrôles dits non-intrusifs, principalement dans les ports, les aéroports et les services traitant du fret express et du fret postal. Notre choix n’est pas celui des douanes néerlandaises, portées vers le tout technologique, mais de meilleurs appareils de détection viendront utilement compléter le ciblage réalisé par nos agents.

Enfin, nous n’oublions pas l’investissement informatique, ni la nécessité de développer notre arsenal juridique. Vous avez évoqué ce point, monsieur Galut, vous qui êtes rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi présenté par Jean-Jacques Urvoas. J’ai bien entendu vos propositions. Certaines d’entre elles sont d’ores et déjà incluses dans le texte initial, et d’autres sont en discussion. Nous aurons si vous le souhaitez, à l’occasion des questions, un échange plus précis sur ce sujet sur lequel vous travaillez activement.

La douane prendra une part active au plan interministériel de lutte contre les armes aux côtés du ministère de l’intérieur.

En outre, le droit devra évoluer pour permettre aux services douaniers de mieux identifier et mettre en cause des individus qui achètent ou vendent des armes sur internet. L’événement dramatique qu’est la mort de Pascal Robinson nous rappelle l’importance de l’action de nos agents en matière de lutte contre le trafic des armes.

Voilà, messieurs les députés, les principaux éléments que je voulais évoquer devant vous. J’aurais pu en dire davantage, et j’ai conscience, madame la présidente, d’avoir été un peu long, mais chacun conviendra que l’action de la douane représente un enjeu extrêmement important.

Nous entendons associer la douane, dans ses missions de sécurité, à l’ensemble des autres forces de sécurité de notre pays. Cela n’a pas toujours été facile. Il s’agit, d’une certaine façon, de revenir sur la facilité avec laquelle nous traversons les frontières.

Je terminerai par une anecdote afin d’illustrer mon propos. Au lendemain des attentats, je me suis rendu près de la frontière belge pour discuter avec nos agents et saluer leur action. Les plus anciens nous ont raconté que leurs jeunes collègues ne savaient même plus où se situe la frontière. Car souvent, il n’y a plus aucun bâtiment. Les guérites, les locaux destinés à accueillir les douaniers, les zones de délestage, qui permettaient de garer des véhicules afin de faciliter les contrôles, tout cela a disparu. Or, chacun le sait, pour des raisons évidentes de procédure, la connaissance exacte de la frontière est importante, ne serait-ce que pour éviter d’engager une procédure dans un pays qui n’est pas le nôtre.

D’une certaine façon, des contrôles renforcés et des pratiques parfois oubliées, voire inconnues pour les plus jeunes générations, représentent pour nos agents un véritable retour en arrière. Je veux saluer, indépendamment de leur action globale, que beaucoup ont soulignée par le biais de chiffres et de constats, leur capacité d’adaptation et de réaction. Il leur a été demandé, dans des délais extrêmement brefs, de faire face à une situation exceptionnelle : ils ont su se mobiliser.

J’ai mesuré ces difficultés. Sachez que le Gouvernement – et je sais que le Parlement y est attentif, ce débat en est la preuve – est décidé à conserver à la douane son importance au sein des forces de sécurité de notre pays. Les moyens ont été significativement renforcés, même si nous avons par le passé adopté des pratiques qui nous ont conduits à une situation qui exige aujourd’hui que nous infléchissions la courbe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. Nous en venons maintenant aux questions.

Je rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.

Nous commençons par une question du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur l’efficacité des services des douanes et sur deux leviers essentiels que nous venons d’évoquer, à savoir les effectifs et l’investissement dans des outils de contrôle modernes.

Je me suis longuement attardé sur la question des effectifs, comme vous venez de le faire à l’instant, monsieur le secrétaire d’État. J’ai rencontré cette semaine dans ma région des représentants du personnel qui m’ont cité l’exemple de l’aéroport international de Nice. Jusqu’à présent, la brigade comptait six agents des douanes. Quatre ont été récemment affectés au col de l’Échelle, l’une de nos frontières avec l’Italie. Il reste donc deux douaniers dans cet aéroport. Cette situation – qui reste je l’espère un cas isolé – doit nous alerter.

Je souhaite que vous nous apportiez quelques précisions sur les annonces faites au Congrès par le Président de la République. 1000 emplois supplémentaires : si je me réfère à ma mathématique sociale et politique, en ajoutant ces  1000 emplois à un effectif de 16 400 douaniers au 31 décembre 2015, nous devrions arriver à un effectif de 17 400 douaniers au 31 décembre 2017. Or il semble que l’équation possède plusieurs inconnues. Car si j’en crois les organisations syndicales et mes collègues du Sénat, il convient de déduire des créations annoncées les suppressions prévues en 2016 et 2017, ce qui veut dire que nous n’aurons pas 1000 douaniers de plus, mais seulement 600, comme vous l’avez d’ailleurs précisé il y a un instant. En résumé, près de la moitié des créations seront en fait des « non suppressions ».

Faisant partie de ceux qui pensent que mieux que rien n’est pas assez, je considère qu’au regard des enjeux en matière de contrôle, de lutte antiterroriste et de renseignement, et dans la situation de crise dans laquelle se trouve notre pays, la douane mérite la création de 1000 vrais postes supplémentaires dès 2016. Elle mérite aussi d’être intégrée aux administrations prioritaires du Gouvernement, s’il en est, et de rester l’administration indivisible qu’elle est. Cela dit, j’ai bien entendu vos propos et je m’en réjouis.

En parallèle, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais savoir quel est le niveau d’investissement prévu, tout particulièrement dans nos ports où les besoins en matière de contrôles automatisés via des portiques de sécurité et des scanners sont importants. Certes, ces équipements valent à l’unité entre 7 et 9 millions d’euros, mais ils pourraient rapporter gros si nous voulons surveiller comme ils devraient l’être les 6 millions de containers qui transitent par la France.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Monsieur le député, soyons clairs. Je salue votre expérience parlementaire, votre assiduité et la qualité de vos travaux en matière de finances et de douanes ainsi qu’à l’extérieur de cet hémicycle. D’ailleurs, nous nous sommes souvent croisés, en présence des organisations syndicales mais aussi des services douaniers. Vous connaissez donc bien ces sujets.

Au cours des années précédentes, avant 2012, la diminution des effectifs s’établissait entre 250 et 350 douaniers par an. Je ne porte pas de jugement, c’est un fait. Nous avons ralenti légèrement cette décroissance pour qu’elle ne soit plus que de 220 à 240 postes chaque année.

L’équation n’a pas plusieurs inconnues, monsieur le député. Les calculs sont simples : embaucher 1000 douaniers supplémentaires par rapport aux prévisions créera 673 agents par rapport aux 16 000 et quelques que vous évoquez, qui correspondent à la situation à la fin 2015.

La répartition de ces agents est connue, puisqu’elle a été communiquée aux organisations syndicales dans chaque région et chaque inter-région. Elle est également connue de l’ensemble des services que j’ai évoqués – la DNRED, le SNDJ, le SARC, la DNSCE – direction nationale des statistiques et du commerce extérieur.

Je me livre toujours à cette comparaison : alors qu’il était prévu de supprimer 7 500 emplois par an dans nos armées, le Président de la République a annoncé la création de 10 000 emplois supplémentaires, ce qui donne un solde positif de 2 500 emplois. C’est sur cette base qu’a été élaborée la loi de programmation militaire.

Concernant les investissements, ayant, j’en ai bien conscience, parlé un peu trop longuement, je vous répondrai dans le détail à l’occasion d’une question ultérieure.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen. La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour vos propositions et le dialogue constructif que vous avez su instaurer entre le Gouvernement, votre cabinet et moi-même pour améliorer le dispositif juridique des douanes. Je sais la difficulté que cela peut représenter, mais je pense que nous pouvons travailler ensemble sur ces sujets.

À de nombreuses reprises, le rapport d’information sur l’évaluation de l’action de la douane dans la lutte contre les fraudes mentionne les évolutions de long terme des missions de la douane, notamment la judiciarisation de son action et le renforcement de la coopération avec d’autres administrations.

Au vu du contexte national et international que nous connaissons aujourd’hui et de la permanence des menaces dirigées contre notre territoire et nos concitoyens, en lien avec des théâtres de conflits à l’étranger, il est indispensable de pouvoir faire appel à toutes nos compétences, quel que soit leur ministère de rattachement.

Il est fondamental que la douane constitue un maillon à part entière dans la lutte contre le financement, souvent transfrontalier, du terrorisme. Je suis conscient du changement de paradigme que cela suppose, mais nous ne pouvons pas laisser la douane en dehors de cette lutte qui se doit d’être la plus efficace possible. J’ajoute que c’est bien son cœur de métier, puisque de très nombreuses fraudes et délits douaniers ont pour objectif de financer l’action des djihadistes.

Pour la sécurité de notre pays, il convient désormais de dépasser les rivalités des ministères sur telle ou telle incrimination, comme c’est le cas pour le trafic de stupéfiants.

Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel en 2001, l’administration des douanes œuvre bien à la prévention des atteintes à l’ordre public.

Monsieur le secrétaire d’État, ne serait-il pas envisageable et opportun de donner une compétence à la douane judiciaire en matière de financement du terrorisme, incrimination spécifiquement prévue à l’article 421-2-2 du code pénal ? Lutter contre la fraude, c’est aussi lutter contre ce vers quoi elle tend.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous avez raison, monsieur le député, de souligner la nécessité d’une interaction et d’un travail commun de l’ensemble de nos forces de sécurité. Je l’ai dit et tiens à le redire ici, et c’est ce que nous faisons. Après les attentats de janvier, le ministre de l’intérieur, la garde des sceaux, le ministre des finances et moi-même nous sommes réunis à plusieurs reprises afin de coordonner nos travaux et échanger nos informations. Car des signaux faibles, tout le monde en reçoit, mais l’addition de signaux faibles donne parfois un signal fort.

Nous avons mis en œuvre des coopérations, des transmissions, et nous avons facilité l’accès aux fichiers des différents services. J’ai oublié de citer la direction générale des finances publiques et l’organisme Tracfin, qui permet d’obtenir des indications très précises.

Nous l’avons fait en matière de communication. Je l’ai annoncé et je le confirme, nous allons faire en sorte que la communication soit possible, à l’aide d’appareils ad hoc, entre les forces de sécurité de la police et de la douane.

Enfin, je ne peux pas vous répondre ce soir sur les questions juridiques que vous soulevez, notamment sur l’opportunité de donner à la douane une compétence en ce qui concerne le financement du terrorisme.

Je sais que vous travaillez sur ce point, dans la perspective du projet de loi porté par le garde des sceaux. Ce texte nécessite une coopération entre Bercy et le ministère de l’intérieur. Il s’agit non de défendre des prés carrés – puisque c’est en somme ce que vous dites, et je ne vous le reproche pas : il faut bien appeler un chat un chat –, mais de trouver la meilleure efficacité possible, avec la sécurité juridique nécessaire pour que les affaires puissent être judiciarisées dans le cadre d’une procédure bien construite.

Je vous renvoie donc à ce débat dans lequel vous vous êtes inscrit et auquel, je le sais, vous avez déjà commencé à participer.

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut, pour poser sa seconde question.

M. Yann Galut. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Vous avez raison de souligner l’excellence des relations qui se nouent entre les différents services, et dont la représentation nationale est informée. Une telle collaboration existe d’ailleurs dans d’autres domaines.

Comme le reste du Gouvernement, vous êtes très attentif à la lutte contre l’évasion fiscale. Les services de la direction générale des finances publiques – DGFiP – , du ministère de la justice, du ministère de l’intérieur et le service national de douane judiciaire collaborent pour lutter contre ce fléau. Je sais que nous pouvons compter sur vous pour aller dans ce sens, même si cela bouscule certaines habitudes. Nous le devons à nos concitoyens.

Ma seconde question, plus technique, a des implications sur lesquelles nous devons réfléchir sans nous précipiter si nous voulons avancer.

Le traitement des déclarations de transferts de capitaux et des manquements à cette obligation déclarative, qui incombe à la douane, peut contribuer à la révélation d’infractions d’envergure comme la fraude fiscale, le trafic illicite de biens, la contrebande, le crime organisé ou le financement du terrorisme.

À l’heure actuelle, il apparaît que cette obligation ne possède pas la portée qui lui serait nécessaire pour remplir ce rôle de détection de mouvements suspects. En effet, le manquement à l’obligation n’est sanctionné qu’à hauteur d’une peine d’amende au maximum égale à 25 % des sommes. D’autre part, le respect de l’obligation entraîne une absence quasi-systématique de contrôle des capitaux ainsi transférés, et la déclaration ne s’accompagne d’aucune obligation de documenter l’origine des fonds.

Pour avoir la chance, dans le cadre de mon travail parlementaire, d’être en contact avec de nombreux douaniers, j’ai appris que les sommes en jeu sont parfois très importantes.

Quelles pistes d’évolution peut-on envisager afin que l’obligation déclarative permette aux agents de la douane de contribuer efficacement à la lutte contre les infractions que sous-tendent certains transferts d’argent liquide ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous posez des questions auxquelles je vais tenter de répondre précisément.

Le seuil de l’obligation déclarative de fonds se monte actuellement à 10 000 euros quand on sort de l’Union européenne pour se rendre dans un État tiers. Il ne peut pas être modifié par le Parlement français, puisqu’il a été fixé dans le cadre des règles de l’Union. Faut-il prévoir un seuil différent pour les transferts internes à l’Union ? À titre personnel, je n’y suis pour le moment que peu favorable.

Vous avez ensuite évoqué l’obligation de justifier de manière assez systématique la provenance des fonds. Le Gouvernement réfléchit sur ce point. Il sera enclin à créer cette obligation pour les montants élevés.

Avec mon esprit cartésien d’ancien professeur de maths, j’ai l’habitude de dire que l’adjectif « élevé » ne veut rien dire, puisqu’il ne signifie déjà pas la même chose pour toutes les personnes présentes dans ce seul hémicycle. Le travail parlementaire permettra de déterminer qu’à partir d’un certain niveau – adjectif qui n’est guère plus précis –, il faudra justifier l’origine des fonds.

Il ne s’agit que d’un point de vue personnel. Je laisse aux juristes et au garde des sceaux le soin de formaliser ces éléments.

Enfin, vous avez évoqué la possibilité d’élever le montant de l’amende pour manquement à l’obligation déclarative. Bien que n’étant pas juriste, j’ai connaissance du principe constitutionnel dit de la « proportionnalité des peines ». Je fais confiance au Parlement : les modifications qu’il pourra proposer au cours du débat à venir n’y dérogeront pas.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour poser sa première question.

M. Frédéric Lefebvre. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai évoqué tout à l’heure à la tribune des problèmes qui dépassent l’Hexagone, et que vous n’avez pas abordés. Il me faut donc y revenir.

La douane exerce ses missions dans un cadre largement européen, ce qui soulève certaines questions d’ordre pratique. La pleine efficacité du dispositif supposerait au minimum une homogénéité des pratiques et une parfaite communication entre les États, qui n’est acquise ni en matière de transmission électronique ni en matière d’échange d’informations. Une telle communication serait pourtant indispensable aussitôt qu’on aborde le risque terroriste ou la question des migrants.

Je l’ai dit : il m’est arrivé d’avoir honte de l’attitude de certains pays, qui montraient du doigt, cet été, la Grèce ou l’Italie. De même, depuis des années, je regrette qu’on laisse aux Roumains, aux Bulgares ou aux Espagnols la responsabilité de gérer les frontières communes de l’Europe.

Je veux évoquer trois mesures, que j’appelle de mes vœux depuis six ou sept ans – je le faisais déjà quand j’étais aux affaires –, et qui me semblent absolument indispensables aujourd’hui. Vous me direz si elles sont envisagées et si vous en discutez avec le ministre de l’intérieur.

Je souhaite en premier lieu l’instauration d’une police européenne des frontières.

Je suis également favorable à la création, au pourtour de l’Europe, hors des frontières de l’Union, de hotspots créés sur le modèle des hotspots américains basés sur le territoire canadien, qui permettent de contrôler les gens avant même qu’ils ne pénètrent sur le territoire.

Ce mode de contrôle serait plus humain : on n’attendrait pas que les gens se noient avant de savoir si l’on peut effectuer un tri, et l’on essaierait de lutter contre les passeurs. Le souci de l’efficacité doit être au rendez-vous.

Enfin, où en est le projet de PNR – le Passenger Name Record, c’est-à-dire le registre des noms de passagers ?

Ces trois mesures sont indispensables à la sécurité de nos compatriotes comme des Européens.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La coopération existe entre les douanes de l’Union européenne, voire du monde. Nombre d’affaires, que nous pourrions évoquer, le prouvent. Certaines d’entre elles, conclues en France, ont pour origine des renseignements livrés par nos voisins. Inversement, la France permet à ceux-ci de réaliser des opérations spectaculaires en les informant. Sur les trafics, coopérations et échanges d’informations sont permanents et réguliers.

Le PNR avance. La maîtrise d’ouvrage a été confiée aux douanes. les bâtiments sont terminés. Les questions européennes d’autorisations, qui n’étaient pas simples, sont réglées. La France a dû quasiment taper sur la table pour que l’ensemble des pays valide la formule la plus complète, que nous appelions de nos vœux.

Reste à trancher certaines questions, comme la fourniture des logiciels. D’ores et déjà, la douane française – elle est la seule dans ce cas – est capable d’accéder aux listes de passagers de beaucoup de compagnies, notamment françaises.

Récemment, nous avons d’ailleurs fourni des renseignements. Je ne peux pas en dire plus. Lors des derniers événements, j’étais présent au cœur de notre cellule de crise.

Enfin, vous avez raison : sur la question de l’immigration et des réfugiés, il y a beaucoup à faire. La position de la France est claire. Le ministre de l’intérieur l’a maintes fois développée à cette tribune comme ailleurs, y compris avec nos partenaires de l’Union.

Oui, il faut des hotspots et, sur ce point, nous n’avançons pas suffisamment vite. Oui, l’Union doit mettre en place des moyens matériels et probablement humains. Peut-être faudra-t-il mutualiser ceux de chaque pays pour constituer des unités capables de gérer ces hotspots. Il faudra financer ou cofinancer certains dispositifs afin de réguler en amont l’entrée aux frontières de l’Union.

Le ministre de l’intérieur, qui, parfois, a pris vertement position, a longuement débattu de ces questions avec nos partenaires. Pour vous livrer mon sentiment personnel, je trouve qu’elles n’avancent pas suffisamment vite, et je regrette les drames humains que vous avez rappelés.

Je pense que ce débat n’est pas terminé.

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour poser sa seconde question.

M. Frédéric Lefebvre. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre franchise. Je souhaite que de nouvelles initiatives soient prises sur ces dossiers dans lesquels le ministre de l’intérieur est intervenu avec force.

Je l’ai dit, je regrette que des mesures n’aient pas été prises par le passé et que l’on traîne encore. Compte tenu de l’urgence et des risques avérés – vous les connaissez, puisque vos services vous en informent –, nous devons prendre au niveau européen des initiatives plus fortes sur la police des frontières, les hotspots et le PNR.

Typiquement, nous pourrions le faire avec nos amis allemands, en relançant le processus au lieu d’attendre. En cas de danger, pendant les événements, tout le monde est conscient qu’il est urgent d’agir, mais ensuite, chacun prend son temps jusqu’à l’événement suivant.

Mes propos ne mettent pas en cause le Gouvernement. Sur ces questions, l’image que donne l’Europe, dans sa globalité, est absolument désastreuse.

J’en viens à présent à la question de l’usage des armes par les douaniers. Il s’agit d’un sujet majeur. Depuis longtemps, on ne fait pas le même usage des armes dans les services de la police, de la gendarmerie et de la douane. Même si les tribunaux ont donné de la légitime défense une définition suffisamment large pour que nos forces de sécurité puissent intervenir, une réforme est nécessaire.

Le sujet a été débattu. Où en sommes-nous ? Quelles sont les règles qui s’appliquent en Europe ? Quand l’usage des armes par les douaniers sera-t-il effectif ?

Récemment, des douaniers ont été blessés dans l’exercice de leurs fonctions. Là aussi, notre devoir est d’apporter rapidement des solutions.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. En deux minutes, il me sera difficile de répondre à toutes les questions – importantes – qui m’ont été posées.

Je l’ai dit tout à l’heure : l’armement des douaniers sera renforcé, ce qui leur permettra de riposter. À terme, une centaine de brigades seront dotées d’équipements différents, qui ne seront plus seulement des armes de poing. Voilà qui répond en partie à une demande.

Je vais être clair avec vous : en ce qui concerne la légitime défense et la législation sur la riposte, un travail avec le ministère de l’intérieur est en cours, dans le cadre du projet de loi porté par le garde des sceaux. Des avancées significatives ont déjà été esquissées. Je vous renvoie à ce débat.

Pour être tout à fait franc, je me suis posé la question de savoir s’il fallait autoriser nos douaniers à porter des armes en dehors du service. C’est une question qui a été soulevée à propos des agents du ministère de l’intérieur, de la police. Le ministre de l’intérieur a pris une décision à ce sujet. Or, ce ne sont pas des décisions simples à prendre. Les questions budgétaires et fiscales sont importantes, mais nous devons aussi, évidemment, apporter une attention particulière à celles de l’armement et de la sécurité de ces femmes et de ces hommes.

J’ai entendu l’avis de la direction des douanes, ainsi que celui des organisations syndicales. J’ai également eu un échange avec mon collègue Bernard Cazeneuve. J’ai décidé de ne pas suivre les dispositions que le ministre de l’intérieur a prises pour les forces de police et de gendarmerie. Si plusieurs raisons sont entrées en ligne de compte, il en est une qui m’a particulièrement convaincu : les organisations syndicales, à l’exception d’une seule, n’y étaient pas favorables. J’ai pris en considération le rôle, les fonctions des douaniers, qui ne sont pas là pour assurer des missions d’ordre public. J’ai également tenu compte des risques que cela peut représenter.

Telles sont les précisions que je voulais vous apporter concernant l’armement et la riposte. Je n’ai pas évoqué la question des gilets pare-balles, mais tout cela est inclus dans les 45 millions d’euros engagés sur 2016 et 2017.

Mme la présidente. Nous en venons à une question de M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Laurent Degallaix. Monsieur le secrétaire d’État, dans le cadre du Plan stratégique des douanes que nous avons longuement évoqué ce soir, des suppressions d’emplois avaient été actées, ainsi – plus grave – que des suppressions de zones de contrôle. Je vous avais alerté sur le risque de création de véritables déserts douaniers, puisque la mise en œuvre de ces mesures se serait traduite par le fait que certaines zones n’auraient tout simplement plus été surveillées.

Dans ma circonscription, à Saint-Aybert, à côté de Valenciennes et de la Belgique et au cœur d’un important nœud autoroutier européen, le Gouvernement avait notamment prévu la suppression pure et simple de la surveillance douanière. Ce cas n’était qu’un exemple parmi tant d’autres sur le territoire national.

Toutefois, à la suite des attentats qui ont touché notre pays le 13 novembre dernier, le Président de la République a annoncé – je le cite – que « La douane, acteur majeur du pacte de sécurité » devait « bénéficier de plus d’effectifs, plus de moyens d’action opérationnelle et plus d’outils juridiques pour renforcer son action ». Le groupe UDI a salué cette décision, vitale pour la sécurité de notre pays et de nos concitoyens.

En cette période d’alerte maximale qu’a rappelée récemment le Premier ministre, le travail des douaniers prend donc une dimension absolument incontournable ; c’est en particulier le cas à proximité de la frontière belge. Aussi, pouvez-vous réaffirmer aujourd’hui l’importance stratégique du poste frontalier de Saint-Aybert ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Là encore, soyons clairs. Sur les 213 brigades concernées, nous avons proposé 4 fermetures et 11 regroupements. Nous l’avons indiqué aux organisations syndicales et avons bien sûr enregistré un certain nombre de réactions. Je me suis parfois rendu dans un certain nombre de territoires ; j’étais ainsi à la frontière suisse à la fin du mois de janvier. La brigade de Saint-Aybert sera heureuse d’apprendre qu’elle est préservée ; elle sait déjà, d’ailleurs, qu’elle ne fera l’objet ni d’une fermeture ni d’un regroupement. Je voudrais tuer un certain nombre de fantasmes, de rumeurs, d’informations fantaisistes qui inquiètent. Je l’ai constaté, par exemple, lors de mon déplacement à la frontière suisse. On a entendu dire qu’un certain nombre de postes allaient fermer, alors que nous n’avions fait aucune proposition en ce sens. Bien évidemment, il faut adapter le réseau aux nécessités. Je l’ai dit tout à l’heure : on dénombrera 673 agents supplémentaires au cours des deux années qui viennent.

Puisque vous y êtes attaché, je veux dire un mot de la direction interrégionale de Lille, qui se verra affecter, conformément à nos prévisions de répartition, environ  90 agents, à une ou deux unités près. Je tiens à votre disposition les éléments en ma possession. Ce chiffre de 90 est d’ailleurs le plus élevé parmi les interrégions, ce qui se justifie par le fait que Lille représente des zones frontalières importantes, auxquelles s’ajoutent les ports et bien entendu Calais. Nous avons également prêté attention aux frontières de l’interrégion de Metz, qui bénéficiera d’un renfort de 83 personnes, et aux frontières avec la Suisse, puisque la direction interrégionale de Lyon se verra conforter, me semble-t-il, de 38 personnes.

Mme la présidente. La dernière question va être posée par M. Stéphane Claireaux, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Stéphane Claireaux. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite revenir sur le sujet du traitement par nos services de la fraude à la TVA. La loi du 23 juin 1999 relative au renforcement de l’efficacité de la procédure pénale a inséré dans le code de procédure pénale un article attribuant des prérogatives judiciaires à l’administration des douanes qui, jusque-là, n’en disposait pas, contrairement, d’ailleurs, à la situation prévalant chez nombre de nos partenaires européens.

Le service national de douane judiciaire, le SNDJ, créé par un arrêté du 5 décembre 2002, regroupe les agents des douanes, appelés en pratique « officiers de douane judiciaire » ou ODJ, habilités à effectuer des enquêtes judiciaires. Ces agents ont compétence également dans certaines matières économiques et financières, notamment les escroqueries à la TVA et les infractions définies par le code pénal en matière de blanchiment, même si les principaux domaines d’intervention du SNDJ demeurent les contrefaçons et la contrebande.

Lors de mon intervention, reprenant les réflexions développées dans le rapport de nos collègues, j’ai évoqué le rôle prédominant qu’il convenait de donner à la DGFiP dans la lutte contre la fraude à la TVA – qui est une fraude fiscale et non pas une infraction douanière – y compris dans le cadre des fraudes au « régime 42 », ainsi que la nécessité de clarifier les compétences entre les deux directions générales. Cette proposition est animée par un souci d’efficacité.

Qu’en est-il aujourd’hui, tant du côté des fraudes au régime douanier 42 que de l’autoliquidation de TVA ? Les officiers de douane judiciaire interviennent-ils encore actuellement, et comment coordonnent-ils leur action avec celle de la DGFiP ?

M. Yann Galut. Heureusement qu’ils interviennent ! Ils excellent dans cette fonction !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Monsieur le député, il est clair que la mission de la douane en matière de lutte contre la fraude à la TVA est importante et sera conservée, voire développée.

M. Yann Galut. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. J’entends, en creux, une interrogation, que je peux comprendre, sur le partage des compétences et des actions mises en œuvre, d’une part, par la DGFiP et, d’autre part, par la DGDDI. Chacune remplit sa mission. Nous avons conscience du nécessaire renforcement de la coopération entre ces deux grands services, qui dépendent d’ailleurs du même ministère. Nous avons multiplié, je l’ai dit tout à l’heure, les échanges d’information entre les services…

M. Yann Galut. C’est vrai !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …notamment ceux que vous avez évoqués, la direction nationale des enquêtes fiscales, la DNEF, et le SNDJ. Nous allons organiser en mars prochain un séminaire commun entre ces unités, de façon, là encore, à échanger les bonnes pratiques. Vous m’autoriserez à dire que ce n’est pas toujours simple. L’accès de certains agents, de certains services, à tel ou tel fichier n’est pas toujours possible, pour des raisons de confidentialité ou de secret. Nous sommes d’ailleurs en train de lever des barrières. Des correspondants de certains services sont présents dans les autres services, que ce soit au sein du ministère de l’intérieur, des services de la douane ou des services de la DGFiP, ce qui permet de gagner du temps et rend possible l’accès à certains fichiers. Cela nécessite souvent la présence d’une personne, sur place, qui dispose des autorisations nécessaires d’accès à ces fichiers, car nous devons aussi, bien entendu, protéger les libertés individuelles et respecter les règles en vigueur.

Je pense donc que vous pouvez être rassuré, à tout le moins quant à la conscience qu’a le Gouvernement de l’importance de ces questions. Je rappelle que nous avons démantelé de nombreux réseaux de fraude, et que nous avons tout simplement multiplié par dix le montant de taxes redressées au titre de l’escroquerie de TVA. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Mme la présidente. Merci, monsieur le secrétaire d’État.

Mes chers collègues, le débat est clos.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mardi 1er mars, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant ;

Discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly