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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 29 juin 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. David Habib

1. Égalité et citoyenneté

Discussion des articles (suite)

Après l’article 55 (amendement appelé par priorité)

Amendement no 1166

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique de la commission spéciale

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Après l’article 59 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 1195 , 493 rectifié , 539 rectifié , 633 rectifié , 575

M. Razzy Hammadi, rapporteur général de la commission spéciale

Amendements nos 1586 (sous-amendement) , 1582 (sous-amendement) , 1581 (sous-amendement) , 1585 (sous-amendement)

Mme Annick Lepetit, présidente de la commission spéciale

M. le président

Suspension et reprise de la séance

Amendements nos 503 rectifié , 548 rectifié , 1221 , 634 , 341

Fait personnel

M. Benoît Hamon

Suspension et reprise de la séance

Après l’article 59 (amendements appelés par priorité – suite)

Amendements nos 576 , 1588 , 1314

Après l’article 63 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 1261 , 449 rectifié

Après l’article 66 (amendements appelés par priorité)

Amendement no 794

Article 14 ter

M. Jacques Bompard

Article 14 quater

M. Jacques Bompard

Amendements nos 1042 , 1491

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique de la commission spéciale

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Après l’article 14 quater

Amendements nos 1513 , 300 , 1514 rectifié

Article 14 quinquies

M. Jacques Bompard

Amendement no 1390

Article 14 sexies

M. Jacques Bompard

Amendements nos 628 , 1040

Article 14 septies

Article 14 octies

M. Jacques Bompard

Amendement no 808

Article 14 nonies

M. Jacques Bompard

Article 14 decies

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Jacques Bompard

M. Dominique Tian

M. Patrice Verchère

M. Patrick Hetzel

M. Lionel Tardy

M. Philippe Gosselin

M. Xavier Breton

Mme Isabelle Le Callennec

M. Nicolas Dhuicq

M. Frédéric Reiss

M. Philippe Bies

M. François Pupponi

Rappels au règlement

M. Guillaume Larrivé

M. Xavier Breton

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Égalité et citoyenneté

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté (nos 3679, 3851).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 14 ter.

Je vous rappelle qu’à la demande du Gouvernement, nous examinerons, par priorité, l’amendement n1166 portant article additionnel après l’article 55, sur la déchéance de nationalité pour acte de violence sur une femme, les amendements portant articles additionnels après l’article 59, sur les rapports entre la police et la population, l’amendement n2161 portant article additionnel après l’article 63 et les amendements nos 449 et 794 portant articles additionnels après l’article 66, sur la naturalisation. Nous reprendrons ensuite le cours normal de nos travaux.

Après l’article 55 (amendement appelé par priorité)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, pour soutenir l’amendement n1166, portant article additionnel après l’article 55.

M. Jacques Bompard. Avec ce que l’on se plaît à appeler le « progrès », les femmes sont de plus en plus les cibles de violences. Elles ne peuvent plus sortir dans la rue le soir, selon la manière dont elles s’habillent, elles sont agressées… De mémoire, je crois qu’il y a un viol par heure dans notre beau pays, la France. Il faut donc, manifestement, les défendre : c’est l’objet de cet amendement.

M. Jean-Paul Bacquet. Cet amendement n’a aucun sens !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique de la commission spéciale pour le titre III, pour donner l’avis de la commission.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique de la commission spéciale. Monsieur Bompard, vous voulez faire un très grand nombre d’apatrides ! Nous pensons que la place des Français qui violentent les femmes est en France, dans une maison d’arrêt, certes, voire dans une prison, mais en France. L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Votre amendement vise à ajouter à ce projet de loi un article ainsi rédigé : « Toute personne condamnée pour un acte de violence fait à une femme, depuis une durée inférieure à cinq ans, est déchue de sa nationalité. » L’article 25 du code civil, issu de la loi du 22 juillet 1993, dispose que « l’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu de la nationalité française […] s’il s’est livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français, et préjudiciables aux intérêts de la France » ou « s’il a été condamné pour terrorisme ».

La déchéance est – s’il est encore besoin de le rappeler – une sanction administrative particulière, dont le juge s’assure systématiquement qu’elle est proportionnée aux faits qui ont été commis. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé le 23 janvier 2015 dans une décision prise à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil d’État l’a également rappelé dans une série de décisions très récentes, datées du 8 juin dernier.

Votre amendement ne respecte aucun de ces principes constitutionnels. Le Gouvernement fait preuve de la plus grande fermeté contre les violences faites aux femmes – j’ai d’ailleurs communiqué aujourd’hui à ce sujet avec Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes – mais il considère que ce n’est pas une réponse appropriée compte tenu des dispositions juridiques, situées au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, que je viens de rappeler.

(L’amendement n1166 n’est pas adopté.)

Après l’article 59 (amendements appelés par priorité)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 1195, 493 rectifié, 539 rectifié et 633 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 493 rectifié, 539 rectifié et 633 rectifié sont identiques.

La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement n1195.

M. Pouria Amirshahi. Nous abordons, sans préliminaire, le débat sur les contrôles au faciès. Il s’agit de trouver le meilleur moyen d’éviter les discriminations en matière de contrôles d’identité. Avant de trouver les outils les plus adaptés pour mettre un terme à cette pratique insupportable qu’est le contrôle au faciès, ce dont nous parlerons tout à l’heure, il faut que la loi encadre de façon plus précise les raisons pour lesquelles ces contrôles peuvent avoir lieu.

Votre dernière réforme du code de procédure pénale – qui, je le rappelle, a intégré dans le droit commun, à votre demande et à celle du Premier ministre, des dispositifs censément extraordinaires car liés à l’état d’urgence – a rendu les dispositions plus floues, aggravant les risques d’atteinte à la liberté individuelle et à la dignité des personnes, notamment en matière de contrôles d’identité. Ceux-ci sont désormais permis dans les cas où l’agent de police estime qu’il y a des raisons « plausibles » de soupçonner la personne en cause. Cet amendement vise à remplacer cet adjectif, en précisant que les raisons doivent être « objectives et individualisées ».

J’ai appris, au passage, que vous disposez de nombreuses statistiques en la matière, monsieur le ministre. Je croyais que vous n’en aviez pas, mais le président de la commission des finances, monsieur Carrez, m’a appris que 14 millions de contrôles d’identité sont réalisés chaque année. Quoi qu’il en soit, la plupart des contrôles d’identité réalisés aujourd’hui sont durement ressentis par les Français de peau noire ou basanée.

Nous demandons donc que des raisons objectives et individualisées justifient les contrôles d’identité, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 1993 dans laquelle on peut lire : « s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle. »

M. le président. La parole est à M. Benoît Hamon, pour soutenir l’amendement n493 rectifié.

M. Benoît Hamon. Beaucoup de responsables politiques ont ressenti de la honte quand une étude du CNRS pour la fondation Open Society de 2009 a montré qu’un jeune Français de couleur noire a six fois plus de chances d’être contrôlé qu’un jeune Français de couleur blanche, et qu’un jeune Français d’origine maghrébine a 7,8 fois plus de chances d’être contrôlé qu’un jeune Français de couleur blanche.

Paul Valéry disait de la liberté que cette valeur « chante plus qu’elle ne parle ». C’est parfois vrai, en France, de la liberté de circulation. C’est aussi vrai de l’égalité en matière de contrôles d’identité. Contre ces discriminations, voulons-nous nous doter d’instruments pour que les citoyens soient égaux en droits, quels qu’ils soient, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur couleur de peau ?

Cet amendement vise à modifier le libellé de l’article 78-2 du code de procédure pénale, concernant les contrôles d’identité, conformément aux réserves d’interprétation exprimées par le Conseil constitutionnel à propos de cet article. Dans sa décision d’août 1993, il estimait ainsi que si « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait » – c’est évident – « incompatible avec le respect de la liberté individuelle », il n’en est pas moins « loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement », mais qu’il demeure, cependant, « que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ».

Faut-il rappeler que la cour d’appel de Paris a condamné l’État français pour pratiques discriminatoires en matière de contrôle d’identité ? De plus, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s’était engagé, au cours de la campagne pour les élections législatives, à lutter contre les contrôles au faciès. Il me semble donc légitime de modifier l’article 78-2 du code de procédure pénale, comme je le propose par cet amendement, en remplaçant le mot « plausible » par les mots « objectives et individualisées ».

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n539 rectifié.

M. Éric Alauzet. Les dispositions de l’article78-2 du code de procédure pénale, qui fixe le régime juridique du contrôle d’identité, sont bien trop imprécises, laissant un pouvoir d’appréciation trop large – confinant à l’arbitraire – aux agents chargés d’exercer ces contrôles. En effet, cet article n’exige pas des agents qu’ils fondent leurs contrôles sur des motifs objectifs et individualisés, ni qu’ils rendent compte des contrôles qu’ils réalisent.

Les dispositions de l’article 78-2 relatives au contrôle d’identité exercée au titre de la police administrative, c’est-à-dire en vue de prévenir à l’ordre des troubles à l’ordre public, avaient d’ailleurs fait l’objet de réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel. Celui-ci soulignait ainsi que « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » et « que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ».

L’imprécision de la rédaction actuelle favorise ainsi des dérives, limite l’efficacité de ces mesures, et contribue aux violations graves et répétées des droits fondamentaux tels que la liberté de circulation, la protection contre l’arbitraire, la protection de la vie privée ou encore la non-discrimination. Il convient donc de rendre le droit plus sûr.

M. le président. La parole est à Mme Barbara Romagnan, pour soutenir l’amendement n633 rectifié.

Mme Barbara Romagnan. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Je demande le retrait de ces amendements, car ils sont déjà satisfaits. La lutte contre les discriminations est importante : en l’état actuel du droit, on ne peut pas arrêter ni contrôler quelqu’un « au motif d’une quelconque discrimination », pour reprendre les termes de l’amendement de M. Amirshahi. La non-discrimination fait déjà partie de notre droit : je vous demande donc de retirer ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avant de répondre précisément à ces amendements, je voudrais rappeler quelques principes de droit qui guident l’action des forces de l’ordre, sous mon autorité. Comme l’a dit à l’instant Mme la rapporteure thématique, ces principes permettent de satisfaire en grande partie les amendements que vous avez défendus.

Je rappelle, pour commencer, que les contrôles au faciès sont interdits. Les principes constitutionnels, c’est-à-dire le plus haut niveau de norme en droit français, comprennent l’égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État veillent constamment au respect de ce principe général du droit. Je ne considère pas que les forces de l’ordre aient une propension particulière à ne pas respecter les principes de droit – ce qui peut être une approche politique.

M. Pouria Amirshahi. Oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne peux pas me placer dans cette perspective, compte tenu des instructions que je donne. À chaque fois qu’un manquement intervient, je saisis l’inspection générale de la police nationale, car je considère que les forces de l’ordre doivent être absolument impeccables dans l’application des consignes qui leur sont données. Par ailleurs, comme vous le savez, chaque citoyen qui s’estime victime d’un contrôle au faciès peut lui-même saisir l’inspection générale – et je veille qu’il soit systématiquement donné suite à ces saisines, puisqu’il s’agit d’infractions aux principes déontologiques de la police nationale.

Je tenais à dire cela, car toute une série d’amendements sera présentée à ce sujet. Les forces de l’ordre sont en première ligne pour assurer la sécurité des Français : elles exposent pour cela leur vie, et paient un lourd tribut. Je ne peux pas, dans ce contexte, alors que les forces de sécurité, parce qu’elles portent l’uniforme et incarnent le droit,…

M. Bruno Le Roux. Sont des cibles !

M. François Pupponi. Ainsi que leurs familles !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …sont attaquées chez elles dans des conditions atroces, comme nous l’avons vu il y a une dizaine de jours, laisser penser dans cet hémicycle qu’il serait légitime de les regarder avec suspicion. Compte tenu de ce que vivent les forces de sécurité, je ne peux pas laisser penser qu’il faut considérer avec suspicion la manière dont elles appliquent les principes de droit.

M. Olivier Marleix. Bien sûr ! Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne peux pas l’accepter, non pas parce que je suis ministre de l’intérieur, mais parce que les fonctionnaires de police sont des fonctionnaires, comme il en existe beaucoup d’autres en France sur lesquels il ne viendrait à l’idée de personne ici de faire peser une quelconque suspicion quant à leur capacité à appliquer le droit.

Du reste, s’il se trouvait un ministre ou une personnalité politique dans cette enceinte pour faire peser sur une catégorie de fonctionnaires une telle suspicion, j’imagine que beaucoup d’entre vous s’indigneraient à juste titre – et ils auraient mon plein soutien – que l’on puisse penser ainsi.

Si j’évoque ces principes, c’est pour rappeler non seulement le contexte mais aussi la situation actuelle, où les forces de l’ordre sont extrêmement mobilisées et fatiguées, précisément parce qu’elles s’exposent pour faire respecter le droit dans des contextes souvent très tendus. En tant que ministre de l’intérieur, mais surtout en tant qu’ardent républicain, conscient du travail qu’elles accomplissent, je ne peux laisser à penser qu’au moment où elles fournissent autant d’efforts en s’exposant autant, nous aurions légitimité à les remercier en faisant peser sur elles une suspicion quant à leur capacité à faire respecter les principes républicains.

M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y a là un argument politique qui est, je crois, un argument fort et que j’assume totalement devant vous. Mais il ne suffit pas d’évoquer le droit, il faut aussi examiner son contenu. À l’appui de ces amendements qui tendent à modifier le cadre des contrôles d’identité, vous mettez en avant la nécessité d’encadrer plus strictement un régime juridique que vous considérez comme trop imprécis. Vous proposez notamment de remplacer, à l’article 78-2 du code de procédure pénale, l’expression : « raisons plausibles de soupçonner » par les termes : « raisons objectives et individualisées de soupçonner », et de modifier, au même article, le huitième alinéa, relatif aux contrôles d’identité de police administrative.

C’est là qu’intervient un désaccord juridique qui vient conforter mon désaccord politique. En effet, contrairement à ce qui est avancé, la rédaction actuelle de l’article 78-2 ne souffre d’aucune imprécision et n’attribue aucun pouvoir arbitraire aux forces de l’ordre, que ce soit en matière de police judiciaire ou en matière de police administrative.

Je m’explique. D’une part, la notion de « raisons plausibles de soupçonner » de l’article 78-2 est parfaitement connue des services de police. Ainsi l’article 62-2 du même code y fait explicitement référence s’agissant du placement en garde à vue. Elle ne concerne donc pas simplement les contrôles d’identité, mais est utilisée dans plusieurs chapitres du code de procédure pénale et concerne de nombreux sujets. Et, comme en matière de contrôle d’identité, le recours à une telle mesure doit nécessairement reposer sur des raisons objectives, individualisées et précisément circonstanciées. Les raisons plausibles de soupçonner doivent reposer sur des faits concrets, sur des comportements, en aucun cas sur l’apparence physique ou sur l’origine : ce serait contraire à tous les principes du droit. Pour valider ces contrôles d’identité, les juridictions exigent des « éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé », comme le rappellent en permanence les juges lorsqu’ils ont à connaître des conditions dans lesquelles on applique ces mesures et cet alinéa.

D’autre part, dans une décision du 17 août 2011, la Cour de cassation a arrêté qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’alinéa 1 de l’article 78-2 du code de procédure pénale devant le Conseil constitutionnel, considérant que la rédaction de cet alinéa, notamment les termes « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner », n’est pas contraire au principe invoqué par le demandeur, à savoir « l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au droit de la liberté d’aller et venir, au droit au recours effectif et au principe d’égalité devant la loi ». La Cour s’est donc clairement prononcée sur le sujet que vous soumettez à la délibération de l’Assemblée.

S’agissant de la modification du huitième alinéa de du même article, relatif aux contrôles de police administrative, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de tels contrôles, considérant que la prévention des atteintes à l’ordre public est nécessaire à la mise en œuvre des principes et droits ayant valeur constitutionnelle – je vous renvoie à sa décision des 19 et 20 janvier 1981. En outre, dans sa décision du 5 août 1993, il a validé le principe d’un contrôle d’identité de police administrative pouvant être opéré quel que soit le comportement de la personne, le critère essentiel étant la justification des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public.

Quant à inscrire le principe de non-discrimination dans cet article 78-2, cela pose problème pour sa portée. Surtout, cela ne présente aucune utilité dès lors que le principe d’égalité devant la loi, principe à valeur hautement constitutionnelle que j’invoquais dans mon propos liminaire, s’applique bien évidemment à l’action des forces de l’ordre sous le contrôle des juridictions. Je suis particulièrement sensible à cette question. Je veille par ailleurs au respect des règles de déontologie qui s’imposent aux forces de l’ordre en saisissant moi-même l’inspection générale de la police nationale aussi souvent que des faits sont portés à ma connaissance.

Pour répondre à une des propositions contenues dans les amendements, je rappelle que l’article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure encadre également de manière rigoureuse le recours à la palpation de sécurité. Ce recours est fondé sur le principe de nécessité et il doit être absolument conforme au principe de proportionnalité.

Enfin, lorsque les contrôles donnent lieu à des procédures, les juridictions exercent une vigilance particulière sur leurs conditions de mise en œuvre.

Pour l’ensemble de ces motifs très précis, je suis défavorable à ces amendements. Mais dans le même temps, afin de répondre aux inquiétudes que vous exprimez et auxquelles je n’ai aucune raison de rester sourd, je vais proposer au garde des sceaux d’examiner dans quelles conditions, à droit constant, mes services pourraient adresser aux procureurs de la République, sur les réquisitions desquels, je le rappelle, des contrôles d’identité sont effectués, des rapports d’exécution de ces réquisitions. Ce dispositif, qui se pratique déjà dans certains ressorts, est de nature à accroître le contrôle exercé par l’autorité judiciaire sur ces mesures, donc à beaucoup mieux garantir l’exécution de celles-ci.

Tous ces éléments témoignent à la fois de la bonne foi qui est la nôtre, de l’état du droit, de la façon dont le droit en vigueur satisfait vos préoccupations et de la nécessité d’affirmer la confiance que l’on doit à des fonctionnaires chargés de l’application du droit tout en mettant en œuvre des conditions de contrôle qui doivent permettre à chaque instant de veiller au respect rigoureux de ces principes de droit. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. Plusieurs députés ont demandé la parole. Eu égard à l’importance du sujet, je vais la leur donner mais je leur demande de bien vouloir respecter le temps qui leur est imparti.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous êtes le ministre de la police et l’on peut comprendre que vous la défendiez à chaque séance de questions au Gouvernement dans cet hémicycle.

M. Jean-Paul Bacquet. Il a raison de le faire.

M. Noël Mamère. On ne peut cependant pas accepter que le ministre de l’intérieur, le Premier ministre et le Gouvernement montrent du doigt des responsables politiques à qui il arrive non seulement de mettre en cause le comportement de la police, mais aussi de formuler des critiques tout en reconnaissant le rôle ingrat et difficile que remplissent policiers et gendarmes dans le contexte que nous connaissons, marqué par l’état d’urgence, l’Euro de football, les manifestations et bien d’autres événements survenant chaque jour dans notre pays. On ne peut pas accepter la présentation générale que vous en avez faite.

Oui, madame la rapporteure thématique, la lutte contre les discriminations figure dans notre droit. Cela signifie-t-il pour autant qu’il n’y a pas dans ce pays des discriminations – discriminations dans les quartiers, discriminations à l’école, discriminations en fonction de la religion, discriminations en fonction du visage et de la couleur de peau ? Nous savons très bien que tout cela existe. L’argument que vous nous opposez est bien trop général.

De même, le ministre de l’intérieur soutient que chaque fois qu’un comportement de la police doit être réprimé, cela est fait. Ce n’est pas vrai. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire attentivement le rapport que l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture vient de consacrer à la question des violences policières. Il suffit d’aller dans les tribunaux et d’écouter les magistrats, qui vous expliqueront que l’impunité demeure chaque fois que les policiers se comportent mal.

Il ne m’appartient pas d’attaquer ici les policiers.

M. Jean-Paul Bacquet. Vous ne faites que cela !

M. Noël Mamère. Ce que je veux, c’est simplement construire l’État de droit, ce qui suppose de fixer différentes règles, et dire à la gauche et à un ministre de l’intérieur…

M. le président. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Mamère. Je vous avais prévenu !

La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Le juste milieu est quelque chose de difficile,…

M. Jean-Paul Bacquet. Parole d’expert !

M. Jacques Bompard. …d’autant que les hommes sont des hommes et qu’il ne faut pas attendre la perfection de leur part. Pour ma part, je ne dis pas qu’il n’y a jamais eu de contrôle au faciès, je dis que la loi le réprime depuis plusieurs années. Mon impression est qu’aujourd’hui ce n’est plus le contrôle au faciès que l’on a tendance à faire, c’est plutôt le contrôle à la bonne gueule. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Il est assez logique que la police ait préféré, un temps, d’arrêter des gens qui ressemblaient à des malfrats de préférence à des gens qui ressemblaient à des bourgeois. Mais aujourd’hui, du fait de cette pression contre le contrôle au faciès, on tend plutôt au délit de bonne gueule.

M. Benoît Hamon. Où avez-vous vu cela ?

M. Jacques Bompard. Les hommes sont des hommes, disais-je, et trop de loi tue la loi. Je crois, moi, que les policiers font bien leur travail et sont respectueux de tous, aussi bien ceux qui ont de bonnes gueules que ceux qui ont de mauvaises gueules.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Monsieur le ministre, si l’on excepte quelques collègues qui siègent à la conférence des présidents, personne dans cet hémicycle ne fixe le calendrier de nos débats. Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’étudier ce projet de loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, donc d’introduire dans le débat la lutte contre le contrôle au faciès et de parler du fameux récépissé. Aujourd’hui, nous avons l’occasion de faire en sorte qu’une promesse de campagne du candidat François Hollande soit respectée. Profitons-en !

Comme ce n’est pas nous qui fixons le calendrier parlementaire, je suis désolée que le débat intervienne alors que les forces de l’ordre, ou plutôt les gardiens de la paix, dénomination que préfère utiliser, sont surmenés. Il est vrai qu’ils le sont. Mais ce projet de loi et ces amendements, c’est ce soir que nous les examinons. Le texte aura certainement l’occasion de passer de nouveau au Parlement, mais notre débat, nous l’avons aujourd’hui.

Les contrôles au faciès ne datent pas du 13 novembre, de l’instauration de l’état d’urgence et du surmenage des gardiens de la paix. Si la possibilité de mener une discussion sereine sur l’établissement du récépissé, en faisant notamment la comparaison avec les dispositifs que les polices des autres pays d’Europe ont introduits pour lutter contre cette discrimination, eh bien nous allons en profiter ce soir, que cela vous plaise ou non. Nous ouvrons le débat parce que ce n’est pas nous, je le répète, qui fixons le calendrier parlementaire.

M. le président. La parole est à M. Benoît Hamon.

M. Benoît Hamon. J’ai bien entendu les arguments du ministre de l’intérieur. Le premier d’entre eux est de nature politique. Il affirme, et je peux le comprendre eu égard à sa situation et au contexte, qu’on ne peut aujourd’hui faire peser sur l’ensemble des forces de police une suspicion d’actes de discrimination dans les contrôles d’identité. Mais le ministre de l’intérieur ne contestera pas, de son côté, que ces contrôles d’identité existent et qu’ils sont pour beaucoup, dès lors qu’on les mesure, discriminatoires.

Quand le Président de la République a inscrit ce sujet dans ses engagements de campagne, quand le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a voulu faire de l’attestation de contrôle d’identité un moyen d’aider les policiers à apaiser la relation qu’ils peuvent avoir avec certains jeunes et de permettre une mesure et une évaluation de la réalité de ce phénomène, étaient-ils, selon le ministre, animés d’une quelconque volonté de jeter la suspicion sur les forces de l’ordre ? Non ! Leur souci, c’était l’égalité, c’était la liberté de circulation, c’était d’éviter que parmi ceux qui marchent, qui circulent, certains soient beaucoup plus contrôlés que d’autres, malgré un casier judiciaire vide, simplement parce qu’ils sont noirs ou d’origine maghrébine.

Sur le plan politique, donc, la question reste posée.

Quant aux arguments juridiques invoqués par le ministre, je peux également les entendre. Il conteste le fait que nous essayions de contribuer, dans l’intérêt des forces de l’ordre, à une meilleure interprétation de l’article 78-2 du code de procédure pénale en substituant au mot : « plausibles » les mots : « objectives et individualisées ». Je comprends son argumentation, mais je récuse l’argument politique.

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, j’avais déposé un amendement, qui a été retoqué au titre de l’article 40, au cas où nous n’obtiendrions pas le moindre progrès sur ce sujet qui est un sujet de société. J’entends ce que vous dites et je comprends, pour m’être rendue trois fois au commissariat du XIe arrondissement, que nous puissions avoir envie de soutenir les policiers. Mais soutenir les policiers, c’est leur offrir la possibilité d’améliorer leur image, de disposer d’un temps mieux calculé et d’être plus appréciés par les citoyens. La situation actuelle est très difficile pour eux.

J’avais donc déposé un amendement de repli qui visait à expérimenter le récépissé promis par le Président de la République François Hollande qui, lui aussi, connaissait bien le droit.

Vous avez raison, monsieur le ministre, sur le plan du droit, mais aujourd’hui nous avons besoin, pour parler et aux citoyens et aux policiers de République, de faire progrès. Et faire progrès, c’est aussi prendre en compte la réalité : il n’y a pas d’abus, au sens où vous l’avez laissé entendre tout à l’heure, mais des habitudes. C’est ainsi, vous le savez et nous le savons. Et ces habitudes, malheureusement, ne rendent pas service à notre société et à la police.

C’est dans cet esprit et pour faire avancer ensemble citoyens et policiers, dans le cadre de notre République, que j’avais déposé cet amendement dont nous rediscuterons en deuxième lecture. Il y a là matière à discussion, en droit et en dehors du droit, parce que les sujets sociétaux sont toujours délicats.

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, c’est une question dont j’entends parler depuis très longtemps. J’ai été, dans cet hémicycle, le rapporteur de la loi du 6 juin 2000 portant création d’une Commission nationale de déontologie de la sécurité. Nous avons eu un long débat sur la déontologie et l’intervention de la police et des forces de sécurité privées, et la question de la discrimination avait déjà été soulevée. Par la suite, à différentes époques, j’ai entendu certains revendiquer, de façon quelquefois beaucoup plus marquée qu’aujourd’hui, le récépissé ainsi que d’autres dispositifs.

Cela ressemble à une sinusoïde : plus on laisse aller les choses sans faire appliquer la loi républicaine de la façon la plus stricte, plus on risque de voir arriver des difficultés.

Je veux avant toute chose remercier le ministre de l’intérieur d’avoir affirmé la constance de l’État républicain et rappelé que tout acte contraire à nos lois et à nos principes républicains doit faire l’objet d’une saisine de l’instance concernée. Je le dis car nous avons pu avoir le sentiment que ce n’était pas toujours le cas et que quelquefois, dans notre État républicain, il se passe des choses qui ne sont pas excusables et qui pourtant sont excusées.

Je suis au moins satisfait d’une chose, que tous les comportements connus qui ne correspondent pas à notre loi ou à ce que permet notre État républicain fassent l’objet d’une saisine automatique.

C’est pourquoi, me référant à la période que nous vivons, je soutiens totalement le propos du ministre de l’intérieur, d’abord sur le plan du droit, tel qu’il l’a rappelé, et ensuite parce que je ne veux pas m’extraire de ce moment que nous vivons. Ce n’est pas parce que le débat aurait pu avoir lieu il y a plusieurs mois que je ne prends pas en compte ce qui se passe aujourd’hui et la façon dont vivent nos forces de police et de sécurité.

Je ne veux pas, dans cet hémicycle, m’extraire de la réalité, à savoir ce que nous demandons à nos forces de l’ordre et ce que ce débat fait peser sur elles.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. Monsieur le ministre, nous allons débattre lors de l’examen des amendements suivants de la question du récépissé de contrôle d’identité, mais à ce stade je voudrais revenir sur deux ou trois points de votre propos liminaire qui ne m’ont pas paru corrects.

S’agissant de la rhétorique de la confiance, je pense que nous pouvons nous dire objectivement, parce que nous sommes républicains, que la règle n’opprime pas mais permet de s’exprimer dans un cadre républicain, et que la confiance n’exclut pas le contrôle. C’est ce que nous nous sommes appliqués à nous-mêmes durant ce mandat en votant un texte relatif à la transparence. Il est évident que chaque pouvoir doit s’accompagner d’un contre-pouvoir, que chaque pouvoir a besoin de contrôle et d’objectivité.

Les faits sont là : il y a manifestement toujours, aujourd’hui, des contrôles au faciès dans notre pays, comme le montrent les statistiques de 2012 citées par Benoît Hamon.

Je vous avais alerté, monsieur le ministre, lors du dernier débat que nous avons eu sur le sujet, mais les choses avancent dans le mauvais sens. Dans l’affaire des contrôles discriminatoires, l’État, qui a perdu, justifiait les contrôles d’identité dans son mémoire en défense en évoquant « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère ». Plus que jamais, sur ce sujet, notre pays a besoin de clarification.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Comme vient de le dire mon collègue Mathieu Hanotin, il se produit un glissement dans la société française et une partie de ses élites, y compris politiques, et nous entendons certains propos qui laissent entendre que si nous avons pu envisager d’encadrer plus strictement les contrôles au faciès, aujourd’hui, compte tenu du contexte, ce n’est plus le cas. On se demande pourquoi ! Comme si le contexte justifiait que nous dérogions à la loi et que nous laissions nos compatriotes noirs et basanés subir des contrôles au faciès ! Il n’est pas admissible de procéder ainsi.

Je m’adresse maintenant au ministre de l’intérieur, dont nous connaissons la rigueur.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Pouria Amirshahi. Monsieur le ministre, je trouve un peu fort de café, pardonnez ma franchise, que vous vous contentiez de dire que les contrôles au faciès sont interdits ! Et alors ? Circulez, il n’y a rien à voir ? Vous savez bien qu’ils existent et c’est de cela dont nous parlons.

Non que la loi, y compris au plus haut niveau, dans le bloc constitutionnel, ne soit pas protectrice – nous connaissons notre Constitution. Mais, soyons clairs, cette pratique existe depuis longtemps – je parle de la discrimination que subissent nos compatriotes noirs et basanés. Je sais de quoi je parle. Je ne dis pas qu’ils sont les seuls à être contrôlés, bien entendu, et personne ne dit que la police est obsédée par cette question. Mais nous connaissons, et vous la connaissez aussi, monsieur le ministre de l’intérieur, la réalité vécue par certains de nos compatriotes. C’est de cela dont nous parlons.

Vous avez vous-même invoqué la Constitution, monsieur le ministre. Vous avez eu raison de le faire parce que la Constitution, dans sa recommandation, que vous avez rappelée et que nous rappelons dans nos amendements, nous enjoint à être précis. Elle indique à sa façon que peu importe le comportement, que ce qui compte, ce sont les faits objectivés. La Constitution a raison et nous devrions nous y référer.

Je conclus sur cette phrase, monsieur le président…

M. le président. Sur cette phrase, en effet !

M. Pouria Amirshahi. …pour la simple et bonne raison que dans la réforme du code de procédure pénale, monsieur le ministre, vous avez fait entrer dans le droit commun ce qui relevait de l’exception. Nous sommes passés de la possibilité d’interpeller pour activités suspectes à l’interpellation pour comportement suspect. Cette évolution aggrave la situation et augmente le nombre des contrôles au faciès.

M. le président. Sur l’amendement n1195, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Sur les amendements identiques nos 493 rectifié, 539 rectifié et 633 rectifié, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. La mise en place du récépissé, dont la discussion va se poursuivre avec l’examen des autres amendements, était effectivement une promesse de François Hollande. Il est touchant de voir qu’il y a ici des gardiens de la mémoire des promesses non tenues – qui, entre nous, étaient assez nombreuses.

Nous avons toujours combattu cette idée, pour une simple raison que le ministre a évoquée : quoi que vous en disiez, elle porte en elle le germe d’une suspicion sur le travail des forces de l’ordre, et pour cela elle est évidemment intolérable.

Le débat va se poursuivre avec les amendements suivants, mais je reviens sur le calendrier. Vous ne l’avez pas choisi, vient de dire Mme Attard. En 2012, vous aviez certes le droit de faire preuve de naïveté. Mais depuis, les événements auraient dû vous aider à ouvrir les yeux – je pense au drame effroyable de Magnanville où des fonctionnaires ont été assassinés chez eux parce que leur adresse était connue. Le temps n’est plus à la suspicion à l’égard des fonctionnaires de police, il est à leur protection.

Monsieur Mamère, quoi que vous en disiez, cette suspicion, vous ne l’exprimez qu’à l’égard de la seule catégorie des forces de l’ordre. À aucun moment dans notre droit, à l’égard d’aucune autre catégorie de fonctionnaires ou d’agents publics n’a été créée une procédure qui porte en elle les germes d’une suspicion. C’est parfaitement intolérable.

M. Benoît Hamon. Ce qui est intolérable, c’est la discrimination !

M. Olivier Marleix. Si nous suivions votre raisonnement, comme le préconisent les amendements suivants, nous créerions dans notre droit une véritable présomption de culpabilité à l’égard des forces de l’ordre. C’est un comble et c’est tout à fait inacceptable. Depuis 2012, vous avez eu le temps d’ouvrir les yeux.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. J’ai demandé un scrutin public sur les différents amendements qui ont été déposés et que nous soutenons, pour une raison simple : l’amendement que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, le Front de gauche et les députés ultramarins ont déposé a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 au motif que cela consomme du papier et des stylos que d’établir un récépissé de contrôle d’identité.

Je rappelle que nous avons tout à l’heure discuté d’un amendement présenté par les députés du groupe Les Républicains qui visait à ce que chaque classe de notre pays soit équipée d’un drapeau tricolore et du texte complet de La Marseillaise. Or cet amendement n’a pas été considéré irrecevable au titre de l’article 40 !

M. Jean-Paul Bacquet. Heureusement !

M. André Chassaigne. Je voudrais compléter les arguments qui ont été avancés par les uns et les autres. Monsieur le ministre, au-delà du contexte, vous suivre serait revenir sur les cinq arrêts de la Cour d’appel de Paris qui, le 24 juin 2015, a condamné l’État pour faute lourde en raison du caractère discriminatoire de contrôles d’identité opérés sur la base de l’apparence physique des personnes contrôlées, de la couleur de leur peau ou de leur origine étrangère supposée.

La Cour a rappelé que l’État est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les discriminations, obligation qu’il n’a pas respectée.

La Cour a également considéré que l’absence de remise d’un récépissé après un contrôle d’identité prive les victimes de la possibilité d’un recours efficace en cas de discrimination ou d’abus et que le rôle de la police est d’exercer ses missions sur des bases objectives et non selon des critères ethniques ou physiques.

M. le président. Veuillez conclure !

M. André Chassaigne. Cette position est également celle du Défenseur des droits qui, dans un avis de février 2015, a fait les mêmes observations.

Je dirai à M. Marleix que, contrairement à ce qu’il a indiqué, le contrôle d’identité est le seul acte de police qui ne laisse aucune preuve écrite, ce qui contredit l’argument qu’il a développé.

M. le président. La parole est à M. Eduardo Rihan Cypel.

M. Eduardo Rihan Cypel. Mes chers collègues, je voudrais simplement indiquer, à l’occasion de ce débat, qu’au moment où notre pays est affecté par des attaques terroristes et le risque terroriste, au moment où certaines manifestations sont troublées par des professionnels qui ont théorisé la confrontation violente avec l’État, au moment où un certain nombre de difficultés atteignent l’ensemble de notre pays et compliquent l’action des forces de l’ordre, notre première responsabilité est de soutenir nos policiers, ce qui est tout à fait naturel, mais également le ministre de l’intérieur, garant de l’ordre et de la sécurité publique et donc des libertés publiques.

Je tiens à le dire parce que j’entends parfois, sur ces bancs, des propos pleins de préjugés à l’encontre du ministre de l’intérieur qui doit assurer la sécurité pour que les libertés puissent être garanties.

Je comprends parfaitement les objectifs de mes collègues qui déposent ces amendements. Je crains simplement que les objectifs recherchés ne soient pas atteints de la sorte.

Je vous le dis de manière très personnelle : j’ai grandi dans la banlieue française, je sais parfaitement ce que peuvent ressentir nos compatriotes qui vivent dans ces quartiers populaires. Ils peuvent en effet, parfois au quotidien, être victimes de discriminations. Quand on les a vécues, on peut en parler, je crois, avec une certaine pertinence.

Je ne crois pas qu’ils attendent de nous de petites réformes ni des amendements qui n’auront pas forcément d’effets dans cette lutte qui doit être la nôtre : une lutte radicale contre le racisme. Oui, il existe et il faut le combattre de manière ferme, implacable.

Mais je ne peux pas accepter que la suspicion plane sur ceux qui, dans la vie publique, doivent assurer la sécurité de l’ensemble de nos concitoyens, alors que nous avons une Constitution qui garantit nos droits.

Recherchons ensemble les moyens de lutter contre le racisme !

M. le président. Merci, monsieur Rihan Cypel.

M. Eduardo Rihan Cypel. Recherchons ensemble le moyen de combattre ce fléau, même si ça fait mal ; mais évitons les mesures qui n’auront hélas pas d’effets, je vous le dis du fond du cœur.

M. Noël Mamère et M. Sergio Coronado. Deux minutes ! Ce n’est pas équitable !

M. le président. M. Rihan Cypel a parlé beaucoup moins longtemps que M. Chassaigne, je le dis à tous les députés qui s’agitent. Monsieur Mamère, je vous invite à acheter un chronomètre ailleurs qu’à Bègles. (Sourires.)

La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais apporter quelques précisions juridiques. Monsieur Chassaigne, l’État n’a pas été condamné pour contrôle au faciès. Il y a eu cinq arrêts le 24 juin 2015, quand la cour d’appel de Paris a condamné l’État pour fautes lourdes commises à l’occasion de contrôles d’identité autorisés par le procureur de la République sur le fondement de l’article dont justement nous parlons, l’article 78-2.

La cour ne met pas en cause la légalité des contrôles d’identité autorisés par le procureur, elle ne dit pas non plus qu’il y a des contrôles au faciès : elle considère que dans le cas où le contrôle ne donne pas lieu à l’établissement d’une procédure, l’absence de traçabilité fait que le justiciable n’est pas en mesure d’exercer son droit à un contrôle juridictionnel effectif et le juge effectivement saisi ne peut apprécier le caractère discriminatoire du contrôle.

M. André Chassaigne. C’est ce que j’ai dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà très exactement et très rigoureusement ce qu’il y a dans les arrêts de la cour d’appel de Paris.

Ensuite, je voudrais préciser ma pensée, puisqu’elle a été réinterprétée par les orateurs. Je ne considère pas du tout que le contexte doive empêcher le débat : je n’ai jamais dit cela. Madame Attard, inutile de me dire que le débat aura lieu « que vous le vouliez ou non ». Je suis toujours là quand il y a des débats : il n’est pas nécessaire, sur des questions aussi graves, de faire des procès d’intention et d’utiliser des arguments inutilement agressifs.

M. François Rochebloine. Il a raison !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cela ne fait pas progresser la compréhension des enjeux ni le respect que nous nous devons les uns aux autres.

Je n’ai jamais dit que les circonstances devaient empêcher le débat et je n’ai jamais considéré qu’elles devaient empêcher ces amendements d’arriver en discussion. J’ai dit autre chose, que je répète pour être sûr d’être bien compris : je dis que la théorisation de la consubstantialité de la violence à la police – procès qu’on ne ferait à aucune autre corps de fonctionnaires (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants), puisque les policiers ont le monopole de la contrainte physique légitime, j’en ai conscience –, cette théorisation d’une propension aux comportements discriminatoires de la part de la police alors que la loi l’interdit, expliquée par la volonté de rassurer les policiers et de les rapprocher de la population alors que la meilleure manière d’y parvenir est de ne pas leur faire ce procès, relève d’une démarche que je considère comme curieuse.

Dans le contexte particulier où nous sommes, il y a une telle détresse et une telle souffrance dans la police que, je vous le dis très sincèrement et très calmement, les policiers ont besoin, de la part de la représentation nationale, d’un autre message que la théorisation de la consubstantialité de la violence à la police. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

À partir du moment où on entend ce type de discours, il est de ma responsabilité de républicain – pas de ministre de l’intérieur : de républicain – de dire ce que je pense de la police de France, de rappeler ce qu’elle fait et le lourd tribut qu’elle paie, par respect pour elle et pour le travail qu’elle accomplit, mais aussi par exigence de justice envers ceux qui tous les jours protègent les lieux de culte de toutes les religions face à la menace terroriste. Ils méritent, dans ce contexte, qu’on porte sur eux un autre regard.

Cela signifie-t-il que, dans mon esprit, il ne peut y avoir de manquements ? Je n’ai jamais dit cela. Il peut y en avoir et dans ce cas il y a mille manières de les relever. Il y a l’Inspection générale de la police nationale : je peux la saisir moi-même mais elle peut aussi être saisie directement par les citoyens, en ligne. Il y a le Défenseur des droits, qui ne manque pas de s’exprimer sur ce sujet, jusqu’à lui aussi réaliser des affiches qui sont sans complaisance – c’est le moins qu’on puisse dire – pour le rôle et l’image de la police dans notre pays.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Personne ne l’écoute !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y a la possibilité de déposer plainte pour discrimination. En cas de procédure pénale, il est possible de demander la nullité de celle-ci dès lors que le contrôle n’a pas été fait dans les règles.

Nous ne sommes donc pas dans un pays où il n’existerait pas de cordes de rappel et où les principes de droit auxquels la police doit se conformer ne seraient pas observés à cause d’une quelconque forme de complaisance à son égard.

Je redis cela parce qu’il me paraît juste et rigoureux en droit de le dire. Sur ces sujets-là, ce n’est pas dans le procès qu’on apaise, mais dans le respect constant des principes de droit.

Je conclurai en vous disant un mot sur un événement récent. Si l’on veut apaiser les relations entre la police et la population, quand on voit des œuvres d’art montrant des policiers matraquant Marianne, ce qu’il faut, ce n’est pas invoquer la liberté d’expression de l’artiste ; elle n’est remise en cause par personne et certes pas par moi. En revanche, il n’est pas interdit à un maire de dire que ce type de message ne correspond pas à l’idée qu’il se fait du rôle de la police dans la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n1195.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants75
Nombre de suffrages exprimés73
Majorité absolue37
Pour l’adoption16
contre57

(L’amendement n1195 n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 493 rectifié, 539 rectifié et 633 rectifié.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants73
Nombre de suffrages exprimés72
Majorité absolue37
Pour l’adoption18
contre54

(Les amendements identiques nos 493 rectifié, 539 rectifié et 633 rectifié ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 575, 503 rectifié, 548 rectifié, 1221, 634 et 341, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 503 rectifié et 548 rectifié sont identiques.

La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique, pour soutenir l’amendement n575 qui fait l’objet de plusieurs sous-amendements, nos 1586, 1582, 1581 et 1585.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Il a pour but une expérimentation. Comme tout le monde l’a rappelé, nous savons ce que nous devons à nos forces de l’ordre qui nous protègent au quotidien.

Cela dit, il y a tout de même une partie de la population qui se pose des questions quand certains sont contrôlés plusieurs fois dans la journée, ou ont l’impression de pouvoir l’être.

Nous avons besoin de savoir ce qui se passe vraiment. Nous avons rencontré beaucoup d’associations de lutte contre les discriminations, qui n’ont eu de cesse de demander le fameux récépissé. Or, les données qu’elles nous fournissaient sur le volume des contrôles, les personnes visées, variaient beaucoup.

Le but de cet amendement est de vous proposer une expérimentation du récépissé qui sera organisée selon un décret pris par le ministre de l’intérieur. Nous sommes conscients qu’elle se fera en dehors de l’état d’urgence, en concertation avec le ministre de l’intérieur, avec des personnes volontaires, mais il faut objectiver ce qui nous a été dit. Peut-être s’apercevra-t-on qu’il n’y a pas plus ou moins de contrôles selon la couleur de peau.

Ce serait une bonne expérimentation.

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur général.

M. Razzy Hammadi, rapporteur général de la commission spéciale. Monsieur le ministre de l’intérieur a raison : on ne peut pas aborder une telle discussion, dans le contexte que nous connaissons, sans rendre hommage et exprimer notre reconnaissance aux forces de l’ordre.

M. François Rochebloine. C’est bien de le reconnaître !

M. Benoît Hamon. On ne vous a pas attendu pour le faire !

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Nous devons avancer sur un chemin bordé par la tempérance et la raison. Ce que j’ai voulu en tant que rapporteur général, avec Marie-Anne Chapdelaine, c’est apporter de la raison dans ce débat.

Il est hors de question de mettre en cause nos forces de l’ordre, ni de jeter sur elles quelque suspicion que ce soit.

Oui, les discriminations sont interdites en droit. Or, notre État a été condamné par la cour d’appel pour des discriminations au faciès. Il n’y là aucun soupçon, il n’y a que des faits.

Je tiens aussi à rappeler quelques vérités. Le Président de la République, hier candidat, n’a jamais promis le récépissé de contrôle d’identité. Il a promis d’explorer l’ensemble des voies qui permettraient de lutter contre le contrôle au faciès. Pour être fidèle à cet engagement, il ne faut peut-être pas mettre en place le récépissé de contrôle d’identité, mais en permettre, sur des critères objectifs et de raison, l’expérimentation.

Nous avons auditionné en commission spéciale des maires prêts à expérimenter cette mesure sur leur territoire, avec des commissaires qui se sont publiquement déclarés volontaires.

J’ai suivi avec la plus grande attention, monsieur le ministre, les débats du 2 mars 2016 sur la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et leur financement.

Je ne reviendrai pas, monsieur le président, sur la défense de cet amendement : permettez-moi de m’exprimer encore une minute.

M. le président. Monsieur le rapporteur général, il faut conclure. Vous êtes deux à présenter le même amendement.

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Il est utile de rappeler, comme vous l’avez fait monsieur le ministre, les recours possibles : vous avez raison. Cela me permet de saluer ce qu’a déjà fait ce Gouvernement.

La possibilité donnée à tout citoyen de saisir lui-même l’Inspection générale de la police nationale : bravo ! Le matricule apparent : bravo ! Le code de déontologie : bravo !

Et pourtant, monsieur le ministre, lorsque le Gouvernement a mis en place ces trois mesures fondamentales, il n’a pas été accusé de suspicion à l’encontre de nos forces de l’ordre.

Nous proposons ici d’expérimenter un dispositif pour voir s’il fonctionne, pour pouvoir en mesurer les effets et les limites, pour savoir quelles opportunités il ouvre. C’est aussi simple que cela. Il n’y a là place que pour des arguments de raison, et en aucun cas pour l’émotion.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir le sous-amendement n1586.

M. Pouria Amirshahi. Une remarque liminaire sur les amendements visant à instaurer un récépissé afin d’éviter les contrôles au faciès : le rapporteur général a finalement raison de faire douter les uns et les autres quant à savoir s’il s’agissait ou non d’une promesse du candidat Hollande, dont on ne sait plus trop ce qu’il a promis.

M. Dominique Tian. C’est un peu vrai.

M. Pouria Amirshahi. En tout état de cause, c’était un engagement solide, sérieux, pris par nombre de partis qui se situent du côté gauche de cet hémicycle. Cela constituait donc un engagement législatif, et c’est bien de cela dont on parle.

Je regrette que M. Carrez ne soit pas présent – sauf erreur de ma part – car le président de la commission des finances – je ne sais si vous en êtes satisfait, M. le ministre, mais vous n’y êtes pour rien – s’est permis de rejeter des amendements au titre de l’article 40 de la Constitution. J’aimerais bien savoir en quoi des stylos Bic et des calepins de récépissés constituent une charge supplémentaire alors que, par ailleurs, des dispositifs coûteux – le rapporteur général l’a rappelé il y a un instant – ont, eux, été validés.

Enfin, si la mise en place d’une expérimentation va en l’occurrence dans le bon sens, je souhaite que l’on clarifie un point – et ce sera mon dernier mot : la date. Objectivement, s’il s’agit d’accepter la mise en place de cette mesure – pas seulement parce qu’elle serait symbolique mais parce qu’elle est efficace – après les élections présidentielles et législatives, ce qui revient à dire, d’une certaine façon, que nous ne nous en occuperons pas et que nous ne nous donnerons aucunement les moyens de son application et de son effectivité alors, on nourrit le cynisme et les désillusions.

M. Jean-Paul Bacquet. Procès d’intention !

M. Pouria Amirshahi. Si la nouvelle doctrine de gouvernement consiste à dire : « Nous avons des idées mais nous ne voulons pas les appliquer, nous ne voulons pas les appliquer mais nous ne voulons pas que cela se voit », un problème de morale politique qui finira par se poser. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir le sous-amendement n1582.

M. Noël Mamère. Ce sous-amendement vise à éviter de nous faire rouler dans la farine puisque vous proposez que ce dispositif s’applique à partir du mois de juin 2017, après les élections législatives. Quand on prend des engagements, on le fait pour soi et non pour les autres – qui, d’ailleurs, ne les tiendraient pas.

M. le président. Je suis saisi de deux sous-amendements identiques, nos 1581 et 1585.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir le sous-amendement n1581.

M. Noël Mamère. Je regrette la timidité avec laquelle notre rapporteure thématique nous présente cette expérimentation sur les récépissés suite aux contrôles d’identité. En effet, d’autres pays l’ont déjà mise en œuvre, dont un qui est une exception en Europe même si son peuple vient de décider de quitter l’Union européenne : la Grande-Bretagne. Les Anglais parlent ainsi de « suspicion raisonnable » – pardonnez-moi, monsieur Marleix, mais ce n’est pas là discréditer les forces de police. Ces dernières ne s’arrêtent pas sur l’aspect physique ou sur les apparences mais sur les activités. Le contrôle d’identité fonctionne donc très bien en Grande-Bretagne.

Une même mesure a été expérimentée dans d’autres pays tels que l’Espagne, la Hongrie et la Bulgarie.

Toutes les expériences qui ont été menées – en France, avec le CNRS et dans d’autres pays avec la Fondation Soros – témoignent d’un très net recul de ce que l’on appelle le contrôle au faciès. Les policiers peuvent ainsi faire vraiment leur travail plutôt que de perdre beaucoup d’énergie avec ce type de contrôle. C’est là une manière de régulation et de moralisation de l’exercice de maintien de l’ordre par ces fonctionnaires.

Nous considérons donc que l’expérimentation est inutile. Nous faisons aussi de la politique, ici, et pas simplement du droit : lorsqu’il était candidat, François Hollande s’est engagé sur cette question du récépissé…

M. Razzy Hammadi, rapporteur général de la commission spéciale. Non !

M. Noël Mamère. … en cas de contrôle au faciès – et d’autant plus que nous savons ce qu’a été le précédent mandat.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir le sous-amendement n1585.

M. Pouria Amirshahi. Deux points, qui seront plus brefs que mon intervention précédente.

Le premier, sur lequel M. le ministre de l’intérieur n’a pas répondu lors d’une précédente discussion en séance publique : des policiers à Londres, Madrid et Budapest – je les ai moi-même auditionnés – étaient d’abord opposés à ce principe du récépissé et ont finalement donné leur assentiment pour trois raisons.

Ils ont passé moins de temps à réaliser des contrôles ; ils ont pu mieux faire leur travail de filature ou de circulation, etc.… ; enfin, les rapports entre la police et les citoyens se sont apaisés. J’ajoute, petit message pour M. Carrez, que si les contrôles diminuent, les charges financières également.

Le deuxième point : je répète que je suis favorable au principe de la mesure expérimentale car elle est nécessaire pour favoriser le dialogue, les policiers étant concernés au premier chef. Toutefois, il n’y a pas de raison de l’empêcher pendant l’état d’urgence : je ne vois pas ce qui exonérerait les collectivités territoriales qui le souhaitent de mener ces expérimentations vertueuses – surtout, même, pendant les périodes d’état d’urgence.

M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit, présidente de la commission spéciale.

Mme Annick Lepetit, présidente de la commission spéciale. Je demande une suspension de séance.

M. le président. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme la rapporteure thématique.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Monsieur le ministre, il est vrai que nous sommes dans une situation difficile : nous sommes en état d’urgence, et des policiers ont donné leur vie pour nous défendre tous, en agissant de manière républicaine.

Il est vrai aussi qu’au travers de cet amendement, nous voulions vous faire partager ce que certains de nos concitoyens, dans nos quartiers, ressentent. Il m’est arrivé de me trouver devant ou derrière des femmes d’une autre couleur que moi : je passais sans être contrôlée, et elles, elles l’étaient.

Mais nous sommes dans une situation difficile, je l’ai dit, et il importe que la représentation nationale soit au rendez-vous. C’est pour cette raison que, après concertation avec les membres de mon groupe, nous avons décidé de retirer cet amendement. Nous le retirons, parce que nous nous trouvons dans une situation particulière, et parce que nous nous devons d’être responsables. Nous avons bien conscience, néanmoins, que c’était peut-être pour nous la dernière occasion de faire adopter une telle disposition.

Je tiens à répéter que cet amendement n’entendait pointer personne du doigt : il avait seulement vocation à déterminer objectivement s’il est vrai que certaines personnes subissent des contrôles d’identité à répétition. Peut-être nous serions-nous aperçus que ce n’est pas le cas. Ces questions vont donc rester en suspens, mais je trouve qu’il est plus responsable, à l’heure actuelle, de retirer cet amendement.

(L’amendement n575 est retiré.)

M. Olivier Marleix. Bravo !

M. le président. En conséquence, les sous-amendements nos 1586, 1582, 1581 et 1585 tombent.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Notre suspension de séance a permis de vérifier que les conditions n’étaient pas remplies, dans le contexte actuel, pour que les dispositions prévues par cet amendement s’appliquent correctement, s’il était voté.

En m’associant à Marie-Anne Chapdelaine, je souhaite néanmoins vous dire, monsieur le ministre, que dans ma propre famille, il y a à la fois des policiers et des hommes et des femmes qui sont victimes de contrôles au faciès. Je ne peux donc que regretter qu’à ce jour, malgré les discussions et les débats qui ont eu lieu, malgré le fait que nous ne proposions ici qu’une expérimentation, nous n’ayons pris aucune décision concrète pour lutter contre le contrôle au faciès, alors même que l’État a été condamné pour cela – même s’il s’est pourvu en cassation.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure thématique, je vous remercie de vos propos. Je regrette néanmoins de n’avoir pu m’exprimer avant que vous n’engagiez votre réflexion, car cela m’aurait permis de vous apporter des éléments de réflexion précis, qui vous auraient montré que la discussion entre nous n’est pas là où on le croit.

Je voudrais insister sur le fait que ce qui préoccupe le Gouvernement, et ce qui me préoccupe personnellement, dans la proposition qui est faite, c’est la question de l’adéquation entre l’objectif qu’elle poursuit et le résultat qu’elle pourrait atteindre. Pour ma part, je suis évidemment très désireux d’apaiser les choses, et très désireux que le respect des principes de droit et les conditions d’exercice des contrôles d’identité favorisent cet apaisement. Mais je ne crois pas, et je voudrais expliquer pourquoi, que le récépissé soit, d’un point de vue technique, la bonne solution.

Cet amendement, qui avait la sagesse de proposer une expérimentation, visait deux objectifs : éviter les contrôles au faciès, d’une part, et les contrôles répétitifs, d’autre part. Je voudrais prendre un exemple concret pour voir si le dispositif que vous proposez permettrait d’atteindre cet objectif – car telle est ma préoccupation. Vous le voyez, je n’ai pas une position dogmatique, mais une approche concrète.

Prenons le cas d’une personne qui ferait l’objet d’un contrôle d’identité et qui opposerait à l’agent des forces de l’ordre un récépissé qu’il aurait reçu auparavant.

L’agent des forces de l’ordre aurait bien l’obligation de vérifier la concordance entre l’identité du bénéficiaire du récépissé et la personne contrôlée. Dans un contexte de menaces comme celui auquel nous sommes confrontés, il serait problématique que cette vérification ne soit pas opérée. Elle doit donc avoir lieu. C’est pour cette raison très concrète que l’amendement n’atteint pas son objectif.

Ensuite, si l’on veut démontrer le caractère abusif du contrôle, il faut que chaque policier ou gendarme puisse signaler la délivrance d’un récépissé, sans quoi celui-ci peut donner lieu, surtout dans le contexte particulier de menaces auquel nous sommes confrontés, à toutes les falsifications possibles. Nous sommes confrontés à des individus qui utilisent tous les faux documents pour échapper aux contrôles. Dans ce contexte de menaces très élevées, la seule solution possible serait de créer un fichier des personnes contrôlées. Or un très grand nombre de ceux qui sont favorables à votre proposition s’opposerait à un tel fichier pour des raisons très compréhensibles de préservation des libertés publiques.

Enfin, et c’est un point tout aussi important, certains des amendements présentés prévoient que ce récépissé mentionne le numéro de matricule de l’agent qui a procédé au contrôle ou à la fouille. Je partage l’objectif de protection de l’anonymat des agents et une expertise est en cours au sein de mon ministère pour examiner les conditions d’un élargissement du recours au matricule. Mais au-delà de ces enjeux, qui ont été soulignés par le Président de la République après l’attentat de Magnanville, l’utilisation du matricule dans un acte relevant de la procédure pénale, aujourd’hui limitée, n’est pas un geste neutre. Pour toutes ces raisons, votre proposition me semble de nature à n’atteindre aucun de vos objectifs. Mais je comprends votre préoccupation.

Je vous propose donc de nous voir vite pour réfléchir de façon approfondie à une solution plus efficace et permettant de donner toutes les garanties souhaitées. Je suis tout à fait disposé à y travailler dans les semaines qui viennent.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 503 rectifié et 548 rectifié.

La parole est à M. Benoît Hamon, pour soutenir l’amendement n503 rectifié.

M. Benoît Hamon. Il est quasiment identique à celui qui vient d’être retiré par M. Hammadi et Mme Chapdelaine. Il ne faut pas se raconter d’histoire, le ministère de l’intérieur défend une position de principe. Depuis plusieurs années, il manifeste avec une belle constance son opposition au principe de l’expérimentation d’une attestation de contrôle d’identité.

D’abord, je rappelle que cette attestation ne serait pas opposable à un contrôle d’identité, contrairement à ce qu’a laissé entendre le ministre de l’intérieur. Personne n’a jamais envisagé qu’une personne puisse arguer d’un contrôle précédent pour s’opposer à un nouveau contrôle. L’objectif est de disposer d’informations sur la réalité de ces phénomènes, notamment pour ce qui concerne le contrôle au faciès. Tel est, depuis de nombreuses années, l’objectif des associations et de tous ceux qui se préoccupent des victimes de discriminations.

Je le répète solennellement au ministre de l’intérieur, il n’est venu à l’esprit de personne d’oublier que des policiers ont été victimes à Magnanville du terrorisme le plus barbare.

M. Dominique Tian. À leur domicile !

M. Benoît Hamon. Personne n’ignore qu’ils sont victimes d’une multitude de violences dans l’exercice de leurs fonctions. Mais je n’ignore pas non plus, en tant que citoyen et député, les milliers, voire les dizaines de milliers de Français qui sont victimes de discrimination, parfois infligées par les forces de l’ordre, monsieur le ministre. C’est un fait. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Le Callennec. Ils ne meurent pas assassinés !

M. Dominique Tian. C’est scandaleux !

M. Benoît Hamon. On peut organiser toutes les réunions que l’on veut. Cela fait dix ans que l’on travaille sur ce sujet et chacun sait qu’aucun dispositif plus innovant que l’expérimentation proposée ce soir ne pourra être trouvé.

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n548 rectifié.

M. Éric Alauzet. Il porte également sur le contrôle au faciès. En plus d’avoir fait l’objet d’un engagement de campagne, que nous avons tous envie d’honorer, cinq affaires ont été portées devant les tribunaux – M. le ministre y a fait tout à l’heure allusion.

Monsieur le ministre, vous avez pointé le risque que la violence apparaisse comme consubstantielle à la police. Ce n’est pas du tout l’esprit de mon amendement. Au contraire, notre proposition pourrait mettre un terme à l’ère du soupçon et du doute. Il serait naïf de nier l’existence de dérapages, d’excès, ou de contrôles au faciès mais ce n’est pas l’esprit de ces amendements. Par l’instauration de ces récépissés, nous souhaitions renforcer la confiance entre la police et les concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n1221.

M. Noël Mamère. Nous venons d’assister à une forme de reniement ou de renoncement. Tous les arguments techniques qui ont été présentés par le ministre de l’intérieur visent à dissimuler une décision politique. On a le triste sentiment d’assister à peu près au même scénario que celui de la promesse de François Mitterrand en 1981 concernant le vote des étrangers pour les élections locales.

M. Guillaume Larrivé. Le parti socialiste radote toujours, c’est vrai !

M. Noël Mamère. Dans notre pays, il sera impossible, aujourd’hui comme demain, de demander à la police d’accorder des récépissés en cas de contrôle d’identité. Ce n’est pourtant pas faire injure à la police ; il n’y a rien d’infamant à cela ! Il s’agit simplement de contribuer à protéger nos libertés.

Monsieur le ministre de l’intérieur, je rappelle que le garant des libertés, ce n’est pas vous, mais le juge judiciaire, dont le rôle a été étonnamment réduit dans le cadre de la réforme du code de procédure pénale. Aujourd’hui, le juge judiciaire, garant de nos libertés, passe derrière le préfet, le policier et le procureur. On ne peut donc pas dire que votre gouvernement a contribué à garantir nos libertés et à protéger l’État de droit, comme vous l’avez dit tout à l’heure. (Exclamations sur certains bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Cette expérimentation n’était pourtant pas une demande extravagante. De plus, elle devait commencer après les élections législatives. L’un de nos sous-amendements permettait d’honorer cet engagement pendant ce quinquennat.

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur est trop bon !

M. Noël Mamère. Ce ne sera malheureusement pas le cas.

Je regrette vraiment que l’état d’urgence et la situation actuelle servent de prétexte à l’argument selon lequel il ne faudrait pas « fragiliser » davantage les policiers. Ce n’est pas les fragiliser, mais simplement exiger le respect de certaines règles, y compris pendant l’état d’urgence, pour rétablir la confiance et protéger nos citoyens. Mais les arguments du ministre s’apparentent à un amalgame et ne sont dignes ni d’un gouvernement de gauche, ni d’une majorité de gauche.

Mme Laurence Abeille. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Barbara Romagnan, pour soutenir l’amendement n634.

Mme Barbara Romagnan. Je pense à tous ces jeunes gens qui ont, comme nous tous en France, vécu cette terrible période marquée par les attentats de janvier et de novembre. Mais ils ont en plus dû souffrir de la suspicion de ceux qui, bêtement ou par peur, font un lien entre le terrorisme et leur religion, leur culture ou leurs origines – je mélange peut-être des sujets qui n’ont pas grand-chose à voir, mais je pense que certains le vivront ainsi. Je pense à tous ceux à qui on a dit qu’on accorderait le droit de vote à leurs parents. Cette mesure n’a même pas été défendue, peut-être d’ailleurs pour de bonnes raisons.

Ce soir, on avait l’occasion de leur faire un tout petit signe. Il s’agissait simplement d’une expérimentation dans quelques villes, sur certaines zones de gendarmeries, et qui aurait commencé en juin 2017 : il faut mesurer le caractère limité de cet engagement ! Malgré tout, cela aurait été un petit signe. Sans présumer du résultat du vote, je suis triste que nous ne retrouvions pas sur cette petite mesure, que nous n’aurions peut-être même pas été en mesure d’appliquer.(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n341.

Mme Colette Capdevielle. Nous avons bien entendu vos arguments, monsieur le ministre. Mais quoi de mieux qu’une expérimentation ? Par définition, c’est limité dans l’espace – par exemple une commune ou un département – et dans le temps. Cela permettra de démontrer l’efficacité ou l’inefficacité de la mesure. C’est tout ce que nous demandons ! D’ailleurs, c’est ce que nous avons fait avec l’expérimentation des caméras-piéton : après en avoir tiré un bilan positif, vous nous avez demandé de les généraliser à l’ensemble de la police, monsieur le ministre, et un amendement de notre groupe l’a même étendu à la police municipale.

M. Guillaume Larrivé. Mettez fin à l’expérimentation socialiste !

Mme Colette Capdevielle. En l’espèce, je ne dis pas que l’expérimentation s’avérera forcément positive, mais compte tenu de la nécessité de restaurer une relation de confiance entre une police qui travaille bien et beaucoup et les concitoyens, ce petit geste consistant à accorder un récépissé dans des conditions qui restent à définir semble pertinent.

Je rappelle que les policiers ont commencé par être très opposés aux caméras-piéton. À la fin de l’expérimentation, ils en ont demandé la généralisation. Pour avoir discuté avec des policiers sur les conditions dans lesquelles pourrait être remis le récépissé, je sais qu’ils n’y sont pas forcément hostiles.

M. le président. Sur les amendements identiques nos 503 rectifié et 548 rectifié, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Ces amendements n’ont pas été examinés par la commission spéciale donc je ne peux donner d’avis en son nom.

M. Dominique Tian. Vous pouvez donner votre avis personnel !

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Vous avez déjà entendu ma position personnelle.

M. Dominique Tian. Sur l’amendement précédent !

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Ces amendements sont proches du précédent mais je ne peux pas donner un avis au nom de la commission sur des amendements qu’elle n’a pas examinés, ce ne serait pas moral !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Julien Dive.

M. Julien Dive. Il aurait été regrettable que ce côté de l’hémicycle ne puisse s’exprimer sur ces amendements, notamment sur celui qui a été retiré tout à l’heure. Je salue d’ailleurs la sagesse dont ont fait preuve Mme la rapporteure thématique et M. le rapporteur général en retirant leur amendement. Madame la rapporteure thématique, vous avez dit avoir donné votre avis personnel, mais les présents amendements étant très proches, voire identiques, à celui que vous avez retiré, j’en conclus que vous êtes défavorable à ces amendements similaires au vôtre.

Je ne peux pas être d’accord avec ces amendements même si comprends l’intention de leurs auteurs, qui est d’éviter d’éventuels abus et d’ériger des barrières contre la discrimination car je ne saurais admettre cette barrière-là.

Tout d’abord, l’obligation pour le policier d’indiquer son matricule ferait courir le risque majeur de voir cette information être utilisée à mauvais escient. Ensuite, ces amendements jettent un discrédit sur les policiers en rompant la confiance de la représentation nationale à leur endroit, alors que notre rôle est au contraire de la préserver.

C’est pour cette raison que j’appelle mes collègues à faire preuve de sagesse en repoussant ces amendements. Vous avez fort justement rappelé, monsieur le ministre, que les forces de l’ordre sont aujourd’hui éprouvées et que nous devons les soutenir. C’est pourquoi je vous ai demandé par courrier, ainsi qu’à M. le Premier ministre, de suspendre les déplacements des membres du Gouvernement qui ne présentent pas un caractère de nécessité afin de ménager nos forces de l’ordre dans la période que nous traversons.

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à déclarer d’emblée que le Gouvernement aurait pu nous éviter ce débat profondément malsain au moment où 600 policiers ont été blessés dans l’exercice de leur mission.

Monsieur le ministre, nous soutenons d’autant plus votre position que le contenu des amendements qui ont été retirés était proprement effrayant. Un membre du groupe socialiste a ainsi écrit dans son exposé sommaire que « de nombreuses associations de défense des droits de l’homme ont démontré à plusieurs reprises l’augmentation des contrôles au faciès depuis la promulgation de l’état d’urgence. » Il n’est absolument pas possible de débattre aujourd’hui d’une telle attaque sur les libertés individuelles. Si nous, les Républicains, avons voté l’état d’urgence, c’est que nous savions qu’il était nécessaire et c’est pourquoi nous nous sommes montrés solidaires du Gouvernement sur ce point. Voir aujourd’hui la représentation nationale débattre durant des heures des contrôles au faciès dans la situation que connaît aujourd’hui le pays est profondément inadmissible : nous tenions à vous le dire.

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Je rejoins totalement la présentation que M. Alauzet et Mme Capdevielle ont faite de la logique qui préside à ce débat. Il ne s’agit pas de suspicion ; il s’agit de renforcer le lien, qui doit être constamment au cœur de nos préoccupations, entre nos concitoyens et ceux qui sont chargés d’assurer leur sécurité. Voilà pour mon premier point.

Deuxième point, j’observe que ces amendements ne visent pas à modifier un article du code pénal ou du code civil mais à permettre une expérimentation. Or les éléments que M. le ministre vient de nous indiquer m’ont convaincu que les conditions d’une telle expérimentation ne sont pas réunies et je ne veux pas pour ma part qu’on vote un dispositif qui ne pourrait pas s’appliquer avant 2017 voire 2019.

Dans ces conditions – c’est mon troisième point – je ne prends pas à la légère la proposition du ministre de l’intérieur de réunir sans tarder un groupe de réflexion sur la question du renforcement du lien entre nos concitoyens et la police, associant les députés qui ont travaillé sur le sujet. Cela devrait nous permettre d’aboutir au moins à une réflexion, si ce n’est à des actions. Cette proposition me semble en effet, dans la période que nous traversons, susceptible de nous permettre d’agir concrètement pour renforcer ce lien.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin.

M. Mathieu Hanotin. J’avais déposé sur ce sujet un amendement qui, comme d’autres, a été retoqué au titre de l’article 40, fait d’autant plus surprenant qu’un amendement identique mot pour mot avait pu être défendu dans l’hémicycle lors de l’examen du projet de loi de modernisation de la justice du XXIsiècle, défendu par M. Jean-Jacques Urvoas.

Peu importe puisque la réponse du président de la commission des finances m’a donné l’occasion d’apprendre qu’il est procédé chaque année à 14 millions de contrôles d’identité dans notre pays. Il ne s’agit donc pas d’une petite affaire mais d’une des missions les plus importantes de la police. Or celle-ci n’est pas aujourd’hui encadrée – je ne parle même pas d’un contrôle – par des règles claires et précises (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe Les Républicains)…

M. Jean-Luc Laurent. C’est faux ! Halte à la suspicion permanente !

M. Mathieu Hanotin. …, ce qui, comme l’ont prouvé des arrêts de cours d’appel, peut mettre l’État, voire les policiers eux-mêmes en difficulté. La règle, quand elle est claire et précise, protège tout le monde, les citoyens bien sûr, mais aussi les policiers dans l’exercice de leur mission.

Il est enfin un dernier argument qu’on n’a pas encore entendu ici : nous n’avons aujourd’hui aucun moyen statistique de mesurer la pertinence ou l’efficacité de ces 14 millions de contrôles d’identité. On ignore par exemple le nombre de constats d’infraction qu’ils ont permis au regard du nombre d’heures de travail qui y ont été consacrées.

C’est pourquoi je pense qu’il serait sage de mettre en œuvre une telle expérimentation. Il conviendra d’en mesurer l’impact, voire l’échec, sur la base d’un rapport objectif et non de parti pris idéologiques.

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. J’ai fait, comme M. Hanotin, l’expérience douloureuse de voir un de mes amendements être retoqué au titre de l’article 40 mais je me suis déjà exprimé sur ce point. Je n’y reviens donc pas.

Je préfère exprimer la reconnaissance qui est la mienne envers mes collègues Hamon et Alauzet de n’avoir pas eu la pleutrerie ni la veulerie de retirer leur amendement : eux le maintiennent et le soumettent au vote. Le groupe GDR a même demandé un scrutin public sur leurs amendements. C’est la noblesse de la politique que d’assumer ses convictions et d’aller au bout du débat, d’une délibération démocratique sur un sujet qui touche le grand nombre de nos concitoyens, qu’ils soient des Antilles ou enfants de l’immigration, qui vivent des humiliations quotidiennes parce qu’ils ont, pour reprendre une formule détestable du parquet, une « apparence étrangère ».

Je tiens à appeler l’ensemble de la représentation nationale, en tout cas toutes celles et tous ceux qui ont plaidé en faveur de cette mesure, à être de cœur et d’esprit aux côtés de ceux qui sont engagés depuis des années dans la lutte contre les discriminations parce qu’ils veulent sincèrement faire avancer les choses, même timidement. Je veux demander aussi au ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, ici présent, de bien vouloir soutenir cette démarche.

Je n’ignore pas les obligations de la solidarité gouvernementale. Mais le ministre de la jeunesse n’a-t-il pas un mot à dire à cette jeunesse qui, dans nos campagnes et  nos quartiers populaires subit de telles discriminations ? Ils n’attendent pas qu’on leur tienne de grands discours ni qu’on leur promette le grand soir : ils ne veulent que des mesures concrètes d’accompagnement qui leur permettent de se défaire définitivement du sentiment de leur indignité.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je suis effaré par ce débat interne aux différentes composantes de la gauche. Vous me pardonnerez de vous le dire aussi directement mais la confusion mentale dans laquelle la majorité s’installe est effrayante aux yeux des Français.

De cette confusion, on comprend les raisons, bien sûr : elles résident dans les nombreuses ambiguïtés des promesses de M. Hollande, puis des déclarations favorables au récépissé faites dès 2012 par Premier ministre Jean-Marc Ayrault, immédiatement contredites par le ministre de l’intérieur Manuel Valls. Ce débat continue, mois après mois, année après année, si bien que près de cinq ans après votre arrivée aux affaires, vous êtes encore en train de vous demander si vous êtes pour ou contre la mesure que certains d’entre vous soumettent à notre vote.

M. Benoît Hamon. C’est le syndicat Alliance qui parle !

M. Guillaume Larrivé. Sur le fond, entendre l’ancien ministre de l’éducation nationale Benoît Hamon oser, dans une même phrase, une sorte de comparaison entre les victimes policières de la barbarie islamiste à Magnanville et des personnes qui se plaignent de pseudo-contrôles au faciès et de supposés désagréments, est profondément choquant – je tenais à le souligner.

J’ai entendu parler d’expérimentation : s’il y a bien une expérience à laquelle il faudrait mettre un terme, c’est bien à cette expérience socialiste qui n’a que trop duré ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Chers collègues, après chaque drame, la représentation nationale, ici même, réitère son soutien aux forces de l’ordre. Les terribles crimes de Magnanville ont délié les langues des policiers. Au-delà de notre compassion, ils demandent des actes. Les policiers souffrent aujourd’hui de l’excès de procédures. Ils ont le sentiment que les règles sont interprétées plutôt en faveur des potentiels délinquants et contre eux. Ils vivent la menace permanente d’être eux-mêmes interpellés, jugés et sanctionnés pour vice de forme ou excès de zèle. C’est de cela qu’ils souffrent aujourd’hui, au-delà même de l’explosion de leur temps de travail.

Mme Elisabeth Pochon. Quel est le rapport ?

Mme Isabelle Le Callennec. Ils vivraient le vote de ces amendements comme une véritable provocation et ils n’ont vraiment pas besoin de cela. Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 78-2 du code pénal, le contrôle d’identité vise « toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner : qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ; ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ; ou qu’elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d’un contrôle judiciaire […] ; ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. »

Pour toutes ces raisons, voter ces amendements serait envoyer un très mauvais signal. Il faudrait cesser dans cet hémicycle de rendre hommage, par nos discours et nos applaudissements, à tout le travail accompli par les forces de l’ordre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je tiens à saluer les propos pleins de sagesse de la rapporteure thématique, Mme Chapdelaine, qui a finalement reconnu que le débat que son amendement a provoqué était, compte tenu de la situation du pays et de l’état d’urgence, déplacé, voire indécent, comme l’a souligné Guillaume Larrivé, pour ne pas dire ubuesque.

Je rappellerai deux chiffes pour souligner à quel point c’est de protection et non de suspicion qu’ont besoin gendarmes et policiers. Ils n’ont pas besoin, en tout cas, qu’on livre en pâture leur matricule à d’éventuels malfaiteurs qui n’auraient pas apprécié un contrôle d’identité.

Je rappellerai tout d’abord le nombre des agressions qui ont visé les forces de l’ordre en 2015 – je parle sous le contrôle du ministre de l’intérieur qui a toujours une connaissance très précise de ces chiffres : près de 33 000. Les agressions visant les seuls gendarmes ont augmenté de 27 % en 2015. Je vous invite à garder ces chiffres à l’esprit. Ces agressions ont parfois lieu en dehors du service quand ces personnels sont visés en tant qu’ils appartiennent aux forces de l’ordre.

Je comprends que le virage consistant à passer du récépissé à l’anonymat des procédures, annoncé par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, soit un peu difficile à prendre pour certains, qui le considèrent comme un reniement. Pour nous, c’est un retour sur terre de la gauche de gouvernement. C’est en tout cas dans ce sens qu’il faut aller et certainement pas dans celui que ces amendements nous proposent.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Chacun sur ces bancs mesure combien les forces de l’ordre sont à bout de souffle Certes les contrôles d’identité soulèvent de nombreuses questions, monsieur le ministre, en raison notamment de dérives discriminatoires, toujours préoccupantes, mais le dispositif qu’on nous propose ici créerait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. La période actuelle n’est certainement pas propice au dépôt d’un tel amendement et je félicite le rapporteur général et la rapporteure thématique d’avoir eu la délicatesse de le retirer.

Bien qu’on puisse approuver l’idée d’un meilleur encadrement des contrôles d’identité, l’établissement obligatoire d’un récépissé spécifiant le motif du contrôle à l’issue de chacun d’entre eux entraînerait un alourdissement tellement considérable de la procédure qu’on ne peut l’imposer aujourd’hui aux forces de l’ordre, dans cette période si grave d’état d’urgence. Les agents des forces de l’ordre consacrent déjà plus de la moitié de leur temps de travail aux actes de procédure et d’administration.

Diverses mesures ont été prises récemment. Depuis 2010, le numéro de matricule des agents des forces de l’ordre doit apparaître sur leur uniforme. Par ailleurs, les caméras-piéton sont en cours de déploiement pour l’ensemble des forces de police – il me semble, monsieur le ministre, que lors de l’inauguration du commissariat des Mureaux nous avons assisté ensemble à une démonstration de ces appareils.

En définitive, il serait peut-être plus sage d’aborder cette question de fond une fois l’état d’urgence levé – j’espère que ce ne sera pas après 2017.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Richard.

M. Arnaud Richard. Pour résumer cette soirée, une collègue m’a suggéré de la comparer à La Cantatrice chauve.

M. le président. Merci, monsieur Richard.

M. Arnaud Richard. Nous voyons des personnages incapables de se dire des vérités et d’avoir un dialogue de fond et profond. Je suis très attristé par cet exercice démocratique.

M. le président. L’ensemble des orateurs ont pu s’exprimer. J’ai souhaité que l’Assemblée puisse avoir le débat le plus large sur ces amendements.

M. Arnaud Richard. Non, le débat a été muselé !

M. le président. Pour cela nous avons dérogé à notre règlement et il est déjà vingt-trois heures trente-deux. Après le vote de cette série d’amendements, j’appliquerai le règlement dans toute sa rigueur : seuls deux orateurs pourront s’exprimer sur chaque amendement après avoir entendu les avis de la commission et du Gouvernement.

Je mets d’abord aux voix, par scrutin public, les amendements identiques nos 503 rectifié et 548 rectifié.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants79
Nombre de suffrages exprimés73
Majorité absolue37
Pour l’adoption18
contre55

(Les amendements identiques nos 503 rectifié et 548 rectifié ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets maintenant aux voix, à main levée, les autres amendements soumis à la discussion commune.

(Les amendements nos 1221, 634 et 341, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Fait personnel

M. le président. La parole est à M. Benoît Hamon, pour un fait personnel.

M. Benoît Hamon. Je souhaite simplement réagir aux propos de M. Larrivé, qui sont assez conformes à ceux qu’il a coutume de tenir dans cet hémicycle. M. Larrivé feint de croire que j’ai fait un parallèle entre les meurtres de Magnanville et les victimes de discriminations.

M. Dominique Tian. C’est bien ce que vous avez dit ! Le compte rendu le confirmera !

M. Benoît Hamon. Je veux juste lui rappeler un événement et les propos tenus à cette occasion par un député de son groupe.

À l’initiative d’un certain nombre d’associations cultuelles, les citoyens de Mantes-la-Jolie ont décidé d’organiser une marche blanche.

M. Olivier Marleix et M. Dominique Tian. Ce n’est pas un fait personnel !

M. Benoît Hamon. On a vu dans cette manifestation des visages noirs, des personnes d’origine maghrébine et des femmes voilées qui ont exprimé leur horreur devant ce qui est arrivé à « leurs » policiers de Mantes-la-Jolie. Certains parmi eux avaient sans doute été victimes de contrôles d’identité arbitraires : leurs droits aussi doivent être respectés.

M. Olivier Marleix et M. Dominique Tian. Quel est le rapport ?

M. Benoît Hamon. Ce n’est pas parce que nous sommes confrontés aujourd’hui au terrorisme et qu’il faut lutter contre lui avec la dernière énergie qu’il faut oublier les discriminations dont sont victimes un certain nombre de nos concitoyens.

Qu’a trouvé à dire votre collègue Guénhaël Huet devant cette manifestation spontanée des citoyens de Mantes-la-Jolie ? Parce qu’ils étaient musulmans, il y a vu de la « duplicité » – je le cite. Fermez le ban ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Pouria Amirshahi. Très bien !

M. Sergio Coronado et M. Noël Mamère. Bravo !

Mme Brigitte Allain et Mme Isabelle Attard. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Monsieur le président, au moment où nous allons aborder l’examen de l’amendement n576, nous souhaiterions trouver une nouvelle rédaction dont les effets pourraient être supérieurs à ceux que nous attendions de l’expérimentation du récépissé de contrôle d’identité. Je vous demande donc une suspension de séance.

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-cinq, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Après l’article 59 (amendements appelés par priorité – suite)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 576 et 1314, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur général, pour soutenir l’amendement n576.

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Je retire l’amendement n576 au profit de l’amendement n1588.

(L’amendement n576 est retiré.)

M. le président. Vous avez la parole, monsieur le rapporteur général, pour soutenir l’amendement n1588.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Il n’a pas été distribué !

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Le présent amendement est en lien direct avec la discussion que nous avons eue précédemment. Il permet d’envisager une voie nouvelle d’amélioration du contrôle dans le contexte des sujets qui ont été abordés précédemment. Il prévoit à titre expérimental de rendre systématique l’enregistrement de leurs interventions par les agents des forces de l’ordre équipés d’une caméra mobile lors de contrôles d’identité.

Ces dispositions entreraient en vigueur à compter de la date de publication du décret en Conseil d’État et au plus tard le 1er mars 2017.

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour soutenir l’amendement n1314.

M. Frédéric Reiss. Nous n’avons toujours par l’amendement n1588. Ce n’est pas sérieux.

M. Éric Straumann. Et vous voulez qu’on vote sur des amendements qu’on n’a pas !

M. le président. Il vous sera distribué dans un instant.

Mme Elisabeth Pochon. Le présent amendement pose le principe de l’utilisation des caméras-piéton dont une partie de la police est équipée depuis un certain temps. Il est le fruit d’un long cheminement puisque j’ai eu déjà l’occasion de le présenter dans le cadre de l’examen d’autres textes. Il n’a pas pour but de stigmatiser la police mais de parvenir à l’amélioration, que nous recherchons tous, des relations entre la police et la population.

L’opposition ne cesse de nous donner des leçons d’amour de la police mais, comme le dit une maxime bien connue, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Nous avions longtemps caressé l’idée que la police de proximité était celle qu’il fallait. Mais sous la précédente législature, il a fallu renoncer, non seulement à la police de proximité…

M. Guillaume Larrivé. C’est bien de revenir aux débats anciens !

Mme Elisabeth Pochon. … mais aussi à de nombreux postes de policiers et à leur formation, ce qui est une source de danger pour eux en ce que cela a pu contribuer parfois à une dégradation des relations entre la police et la population.

Dans un département comme le mien, où le nombre de jeunes est important – ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils aient des relations difficiles avec la police mais ce qui en fait un département un peu plus dynamique qu’un autre –, de nombreux fonctionnaires de police sont eux aussi extrêmement jeunes car ils viennent y faire leurs armes et sont pour la première fois confrontés à des situations difficiles avec des jeunes du même âge qu’eux.

Or, dans les zones où l’utilisation des caméras-piéton est expérimentée, on observe un apaisement des relations entre la police et la population. Il s’agit d’être pragmatique. Si l’utilisation de caméras-piéton lors d’un contrôle d’identité, moment de tension s’il en est, peut inciter de part et d’autre à un comportement correct, il est temps d’étendre cette expérimentation. C’est pourquoi je me réjouis de l’amendement du rapporteur général.

M. le président. Dans ces conditions, retirez-vous votre amendement ?

Mme Elisabeth Pochon. Oui, monsieur le président, je le retire.

M. Patrice Verchère. Tout ça pour ça !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il fallait vous mettre d’accord avant !

(L’amendement n1314 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann.

M. Éric Straumann. La législation actuelle prévoit que l’utilisation d’une caméra de surveillance doit faire l’objet, non seulement d’une autorisation des services de la préfecture – admettons que cette autorisation est permanente – mais également d’un avertissement. Faudra-t-il que le policier porte sur lui une affichette avertissant qu’il filme pour la protection des personnes qui vont faire l’objet d’un contrôle ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n1588 ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le débat que nous avons depuis plusieurs heures vise à trouver les moyens d’apaiser la relation entre la police et la population et d’éviter des contrôles qui pourraient apparaître comme discriminatoires. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur le récépissé, procédure supplémentaire qui n’a pas l’efficacité souhaitée pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Par des dispositions législatives récentes, nous avons mis en place la caméra-piéton qui favorise une autre relation entre le policier et les citoyens et qui présente surtout le très grand avantage d’assurer de façon incontestable, sans procédure nouvelle, la traçabilité de la relation entre la police et la population.

En l’espèce, vous proposez de mettre en place une expérimentation pour les seuls contrôles d’identité afin d’atteindre l’objectif poursuivi par des amendements précédents qui me paraissaient peu opportuns. Si cette expérimentation doit permettre de voir les conditions dans lesquelles tout cela se met en place, je n’ai pas de raison de la refuser. Cela répond à une grande partie de vos préoccupations et ne concerne que les contrôles d’identité.

C’est une expérimentation ; il n’y a pas de procédure supplémentaire ; cela établit une traçabilité incontestable. Le Gouvernement y est donc favorable.

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je m’interroge sur le réalisme de cet amendement. J’aurais aimé, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez sur l’effectivité du déploiement de ces caméras-piéton, dans la police nationale comme dans la gendarmerie nationale : quel est aujourd’hui le taux d’équipement de ces deux forces du ministère de l’intérieur ?

L’amendement suscite également des inquiétudes. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que lorsque les conditions du bon déroulement du contrôle d’identité n’étaient pas réunies, cela pouvait entraîner la nullité d’une procédure pénale.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne crois pas avoir dit cela.

M. Olivier Marleix. J’ai pourtant été très attentif à vos propos. Que se passe-t-il, par exemple, si la caméra ne fonctionne pas ? Cela entraîne-t-il un risque de nullité de la procédure ?

Je me rassure en me disant que cet amendement n’est qu’une manœuvre dilatoire : il faudra un décret pour le mettre en œuvre et encore à titre seulement expérimental. Avec un peu de chance, il ne se passera rien dans les dix prochains mois. Mais c’est là un motif de satisfaction tout relatif.

M. Patrice Verchère. En effet.

(L’amendement n1588 est adopté.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Incroyable ! Ce n’est pas possible !

M. Jean-Frédéric Poisson. Scandaleux !

Après l’article 63 (amendements appelés par priorité)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour soutenir l’amendement n1261, portant article additionnel après l’article 63.

M. Bruno Le Roux. J’associe à la présentation de cet amendement M. Goldberg, Mme Chapdelaine, Mme Mazetier et M. Le Déaut, tous coauteurs de l’amendement.

Il est des rendez-vous que l’on n’oublie jamais. Ainsi en est-il de celui où, à Saint-Denis de la Réunion, j’ai rencontré les « oubliés de Madagascar », les oubliés de la décolonisation, ceux qui ont vu leur histoire commencer après l’abolition de l’esclavage, en 1870…

M. Victorin Lurel. 1848.

M. Bruno Le Roux. … car c’est après 1870 que la France a eu besoin de main-d’œuvre – mais Victorin Lurel a raison de me corriger. Ces oubliés sont aujourd’hui quelques dizaines de familles privées de nationalité. Nous pensons qu’elles ont quelques titres légitimes à pouvoir prétendre à la nationalité française.

Nous avons eu ce débat lors de l’examen du texte de loi relatif au droit des étrangers en juillet 2015. On avait alors jugé que cette question devait encore être travaillée sur le plan du droit. Des deux amendements que nous présentons ce soir, le premier reprend l’amendement que nous avions déposé en juillet 2015 ; le second, qui sera défendu par Daniel Goldberg, s’inspire des conclusions issues du rapport qui a été consacré depuis à cette question.

Avant de déterminer quel amendement il nous faudra adopter ce soir, j’attends de savoir ce que le Gouvernement va nous dire. Mais pour ces deux à trois cents personnes qui ne pourront trouver de nationalité que si nous faisons preuve de compréhension face à leur situation, je demande un geste de droit, un geste d’humanité, un geste d’histoire qui nous permette de clore cette période et qui permette à ces oubliés de la décolonisation de retrouver des racines. Ces racines, ils les veulent dans la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement n449 rectifié.

M. Daniel Goldberg. Bruno Le Roux a tout dit ou presque, et avec humanité, sur la situation de 204 personnes nées avant la décolonisation de Madagascar, en 1960, et qui, du fait des péripéties de notre histoire et de celle de ce pays, sont aujourd’hui sans nationalité. Depuis maintenant plus de cinquante ans, ces personnes demandent d’une certaine façon à exister, à être reconnues pour leur parcours de vie. Un grand nombre de leurs enfants ont d’ailleurs quitté Madagascar mais nous avons sur la conscience, d’une certaine façon, la situation de ces personnes et de ces familles qui, depuis 1960, crient l’amour de la France et souhaitent être reconnues.

Bruno Le Roux l’a dit : à la demande du Gouvernement, nous avions retiré l’année dernière l’amendement qu’il avait présenté à ce sujet dans l’attente que cette question fasse l’objet d’un rapport qui indique au Gouvernement les évolutions possibles. Ce sont les conclusions de ce rapport qui inspirent mon amendement. La question est de savoir quel type de solution nous choisirons, soit la voie de la naturalisation par déclaration soit, comme le propose l’amendement, celle du décret.

Chers collègues, je ne doute pas que, sur tous les bancs de cette assemblée, face à l’impasse dans laquelle se trouvent ces personnes depuis plus de cinquante ans et qui n’a pas d’équivalent dans les autres pays ayant accédé à l’indépendance au cours de ces années, nous puissions clore cette étape législative et ouvrir une porte au devenir de ces 204 personnes.

M. Bruno Le Roux. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. Nous avons déjà débattu de cette question et nous sommes plusieurs à nous préoccuper du sort de ces personnes. M. Le Roux a eu tout à l’heure la gentillesse d’évoquer les signataires de cet amendement, mais je veux citer aussi une personne qui siège maintenant sur des bancs illustres et à qui cette question tenait beaucoup à cœur, Mme Ericka Bareigts.

La commission a donné un avis favorable à cet amendement ; je laisse M. le ministre évoquer les conclusions du rapport qui a été remis au Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’amendement que vous proposez crée une nouvelle voie d’acquisition de la nationalité française par voie de naturalisation, dérogatoire tant du point de vue des conditions de résidence en France que quant à la dispense de stage pour ces personnes, au seul motif qu’elles vivent sur un territoire dont la langue officielle est le français, alors même qu’elles n’avaient aucun lien juridique avec la France avant l’indépendance de Madagascar.

Je vous rappelle que, lors de l’indépendance de Madagascar, des dispositions particulières ont été prises afin de permettre aux personnes qui le souhaitaient de souscrire une déclaration en vue de conserver la nationalité française, sous réserve qu’elles résident en France. Cette condition de résidence sur le sol français, qui légitime le lien affectif avec la communauté nationale, est un critère déterminant de notre droit de la nationalité. La mesure proposée, visant des personnes dépourvues de lien avec le territoire français depuis plus de cinquante ans, paraît inopportune, d’autant qu’elle ne manquera pas de susciter des demandes de même nature en provenance d’autres États anciennement placés sous souveraineté française, ce qui remettrait en cause le droit spécifique adopté pour accompagner le processus de décolonisation de la France.

De nombreux échanges ont néanmoins eu lieu entre vous et mes services et je connais la sensibilité que vous venez d’exprimer sur cette question, ainsi que celle de ma collègue Ericka Bareigts. Vous m’avez signalé des situations spécifiques, qui témoignent d’une relation singulière avec la France.

L’histoire de Madagascar ne saurait à elle seule constituer un lien suffisamment fort avec la France pour justifier une naturalisation ; si tel était le cas, le risque de demandes reconventionnelles serait majeur. À cela s’ajoute le caractère exceptionnel de la situation dans laquelle se trouvent ces personnes, qui ne sont ni apatrides, ni pourvues d’une nationalité. Cela ne suffit pas pour nouer un lien avec la France mais cela permet de tenir compte de certaines situations, que vous avez évoquées. Une descendance française ajouterait à ces situations très particulières un lien qui lierait le destin de ces personnes à celui de la République. J’assume pleinement cette responsabilité.

Lors de l’examen du projet de loi relatif aux droits des étrangers, je m’étais engagé à ce que le rapport d’un magistrat permette d’évaluer le périmètre des personnes concernées et les réponses qui pourraient être apportées.

Ce rapport évalue à 200 le nombre de personnes concernées. Je vous propose donc un traitement au cas par cas de ces familles. Les personnes qui répondraient aux critères que j’ai indiqués pourraient faire l’objet soit d’une procédure initiée par le ministère des affaires étrangères en lien avec la Francophonie, soit une procédure engagée depuis la Réunion, où résident leurs enfants français.

J’ai demandé aux services de la direction générale des étrangers en France un traitement précis et circonstancié de chaque situation. Il aura lieu. En échange de cet engagement, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je découvre ce sujet, madame la rapporteure thématique, puisque je n’ai pas participé aux travaux de la commission spéciale – on ne peut pas tout faire !

Monsieur le ministre, je n’ai pas bien saisi le sens de votre conclusion. Il m’a d’abord semblé comprendre que selon vous la loi était absolument nécessaire pour régler la situation de ces familles. De fait, il est difficile de trouver des motifs d’opposition au vu des situations que vous décrivez et le processus que vous exposez est tout à fait légitime. Cependant, votre conclusion laisse penser qu’une nouvelle rédaction de la loi n’était pas nécessaire. Soit donc j’ai mal compris vos propos, soit ils comportent une certaine contradiction : si une nouvelle rédaction de loi est nécessaire pour régler cette situation, l’amendement doit être voté. J’avoue, je le répète, ne pas bien comprendre.

En deuxième lieu, madame la rapporteure thématique, alors que, dans l’amendement n1261, le texte proposé pour compléter l’article 21-16 du code civil prévoit une limite de temps, celui qui est proposé pour compléter l’article 21-19 n’en prévoit pas. Cette différence de forme ne pose-t-elle pas problème ?

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. C’est un débat que nous avons depuis très longtemps et que nous devons, à l’évidence, poursuivre avec le Gouvernement dans le cadre de la lecture de ce texte. On nous demande depuis maintenant dix ans de modifier la loi. C’est ce qui fonde aujourd’hui notre perplexité en même temps que notre désir de mettre en œuvre très rapidement les mesures proposées par le ministre de l’intérieur.

Des interrogations subsistent toutefois. Que se passera-t-il, par exemple pour celles de ces personnes souhaitant acquérir la nationalité française qui n’auraient pas d’enfants français ?

C’est pourquoi, si je retire l’amendement n1261, je souhaite, au nom de mon groupe et sous réserve de la poursuite de cette discussion dans le cadre de la navette parlementaire, que nous adoptions ce soir, pour marquer notre volonté, l’amendement n449 rectifié de M. Goldberg, qui reprend point par point les conclusions du rapport faisant suite aux demandes que nous avions formulées en juillet.

Je suis bien entendu prêt, sous réserve qu’on nous propose une procédure permettant un réel progrès, à revenir sur ce vote lors de la nouvelle lecture du texte. Pour l’heure, je souhaite que l’amendement n449 rectifié ne soit pas retiré.

(L’amendement n1261 est retiré.)

M. le président. L’avis du Gouvernement sur l’amendement n449 rectifié est bien défavorable ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Oui.

(L’amendement n449 rectifié est adopté.)

Après l’article 66 (amendements appelés par priorité)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour soutenir l’amendement n794.

M. Jean-Paul Bacquet. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique. La commission demande le retrait de cet amendement. Certes le cas historique présenté par les auteurs de l’amendement est de nature à interpeller. Nous sommes à nouveau confrontés à un enchaînement de circonstances qui aboutit à une situation inéquitable, ces personnes étant objectivement pénalisées par le seul fait d’être nées sur le territoire français plutôt qu’ailleurs.

Je souscris donc à l’objectif poursuivi par l’amendement, notamment au vu de l’argument des fratries héritant de nationalités différentes sans que rien le justifie vraiment – j’étais d’ailleurs à l’origine, pour le groupe socialiste, d’un amendement à la loi du 7 mars 2016 sur le droit des étrangers en France qui avait pour objet de faciliter le règlement de telles situations. Une simple adaptation de ce dispositif ne permettrait-elle pas toutefois de régler la question plus efficacement que l’amendement proposé ?

J’entendrai donc avec intérêt la réponse du ministre sur ce point et elle conditionnera mon avis personnel. Quant à la commission, je le répète, elle demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis que pour l’amendement précédent, avec les mêmes arguments. Je demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Monsieur Bacquet, retirez-vous l’amendement ?

M. Jean-Paul Bacquet. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n794 est retiré.)

Article 14 ter

M. le président. Nous en revenons à l’article 14 ter.

La parole est à M. Jacques Bompard, inscrit sur l’article.

M. Jacques Bompard. Monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, madame la rapporteure thématique, nous revenons, avec cet article, au code de l’éducation, dont Mme la ministre aime rappeler que cela fait longtemps qu’on n’y avait autant touché. Elle a tout à fait raison et cela participe pour une grande part à la désaffection et la désillusion populaires à l’égard de la gauche. Une vision idéologique de l’école est en effet insupportable aux Français, qui notent par ailleurs que notre école ne cesse de s’effondrer dans les classements internationaux.

Pour vous, ce qui importe est d’abord d’imposer l’agenda du féminisme radical, qui se distingue de la défense vigoureuse des droits des femmes par l’inscription dans la loi d’une lutte entre les sexes – en un mot : l’égalitarisme. Tous les parents savent qu’au lycée, les délégués sont souvent des jeunes filles, précisément parce qu’elles acquièrent une maturité en groupe plus précoce que les garçons. Tout observateur du quotidien le sait. Or, la loi vient inventer ici une nouvelle intrusion, une nouvelle obligation, comme si votre définition de l’État revenait à charger un maçon capricieux de bâtir la société qui lui convient.

(L’article 14 ter est adopté.)

Article 14 quater

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. J’aimerais que le ministre et les rapporteurs éclaircissent la notion de « projet citoyen ». Il n’est pas arrivé dans ma chère Provence de définition juridique, philosophique, éthique ou politique de cette notion.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est certain !

M. Jacques Bompard. Un projet citoyen répondra-t-il comme un autre à une charte introuvable, rédigée par des personnalités nommées par un gouvernement impopulaire sur leur « féalité » idéologique ? Un projet citoyen variera-t-il en fonction des définitions de la citoyenneté ? J’entendais hier M. Kanner contester mon adhésion à la République : élu député-maire mais répudié par un ministre de la République, serais-je capable de participer à un projet citoyen ?

Alain Finkielkraut a publié un ouvrage passionnant, La seule exactitude, dans lequel il nous rappelle que le tort de notre société et du monde politique est d’arborer des mots sans jamais accepter d’en donner une définition. Un de mes collègues vient de donner un titre à cette attitude, et je trouve qu’il résume parfaitement le présent article : « La sottise de ceux qui se veulent modernes ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1042 et 1491.

La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n1042.

M. Arnaud Richard. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n1491.

M. Jean-Luc Laurent. Cet amendement découle d’une interrogation née de la lecture de cet article. Pourquoi prévoir dans la loi une incitation à participer ? S’il s’agit d’une incitation, elle relève alors d’une circulaire d’application, au plus d’un décret. La loi doit prévoir non pas une incitation mais une participation.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Jean-Luc Laurent. L’amendement que je propose vise donc à donner une force exécutoire à la disposition, afin qu’elle vise une participation effective et non une simple incitation. Cela est conforme à la logique qui fait de l’engagement citoyen un élément central d’un enseignement moral et civique.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure thématique de la commission spéciale pour le titre Ier, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements.

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique de la commission spéciale. La commission a émis un avis défavorable à ces amendements.

M. Arnaud Richard. Oh !

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. L’objectif est bien d’inciter et non de rendre obligatoire – nous en avons longuement débattu aussi bien en commission que dans cet hémicycle. Un engagement ne s’impose pas ; il se fonde par essence sur le volontariat et l’envie personnelle.

M. Jean-Luc Laurent. Loi bavarde !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, pour donner l’avis du Gouvernement sur ces amendements.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Je vous confirme que la culture de l’engagement est soutenue par le Gouvernement, qui souhaite la promotion d’actions menées par des jeunes au sein de leur parcours éducatif car cela est une très bonne chose pour notre société.

Rendre ce type de projet obligatoire poserait cependant des difficultés, la principale étant qu’il n’est pas facile de trouver une structure capable d’accueillir une classe d’âge complète de 800 000 jeunes dans notre pays. Si le Gouvernement a accepté l’évolution apportée par la commission spéciale, qui va dans le bon sens, il n’est pas souhaitable d’imposer une obligation qui ne serait pas réalisable sur le terrain. D’où l’avis défavorable du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est précisément parce que je partage le dernier élément d’argumentation du ministre que je vais soutenir l’amendement de notre collègue Laurent. Tout d’abord, madame la rapporteure thématique, si l’engagement n’oblige pas, alors il n’a rien à faire dans la loi : une loi qui n’oblige pas ne sert à rien.

En l’espèce, vous demandez aux jeunes de participer à des projets citoyens dans le cadre d’une association d’intérêt général. À supposer que l’on puisse définir les termes de « projet citoyen » et d’« association d’intérêt général », cela ne recouvre aucune notion de droit. Je suis désolé de vous le dire : de même que des projets citoyens existent en dehors de ces associations, des projets menés par des associations peuvent ne pas être citoyens.

Il n’est pas possible de rédiger ainsi un article de loi qui n’engage personne à quoi que ce soit et ne sert donc absolument à rien.

Il est dommage qu’on n’ait pas présenté d’amendement demandant sa suppression – je ne l’ai pas vu venir assez tôt pour cela ! Je vais donc soutenir, par souci de précision juridique et de force de la loi, l’amendement de notre collègue Laurent.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. « La loi ordonne, permet ou interdit. » Est-ce que cela ordonne, est-ce que cela permet quelque chose ? Est-ce que cela interdit ? En l’espèce, cela incite à faire on ne sait quoi …

M. Jean-Frédéric Poisson. Rien du tout ! Cela ne sert à rien !

M. Guillaume Larrivé. « Participer à un projet citoyen au sein d’une association » : cela ne veut strictement rien dire !

Soyez conséquent, monsieur le ministre : soit vous acceptez l’amendement de M. Laurent, qui veut dire quelque chose et crée une obligation, soit vous supprimez l’article. La loi n’est pas un tract ; ce n’est pas une motion de synthèse, ce n’est pas quelque chose pour faire joli.

Cette critique que Jean-Frédéric Poisson et moi nous permettons d’adresser à cet article vaut, hélas ! pour bien des dispositions de ce texte extrêmement verbeux, qui ne restera pas, je le crains, dans les annales comme l’un des textes de la présente législature les plus pertinents au plan juridique. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Patrick Hetzel. Très juste !

(Les amendements identiques nos 1042 et 1491 ne sont pas adoptés.)

(L’article 14 quater est adopté.)

Après l’article 14 quater

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour soutenir l’amendement n1513.

Mme Chantal Berthelot. Défendu.

(L’amendement n1513, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 300 et 1514 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n300.

Mme Colette Capdevielle. Cet amendement vise à créer une évaluation notée de l’enseignement moral et civique pour l’obtention des examens et diplômes nationaux du secondaire.

Le code de l’éducation prévoit déjà que l’État sanctionne par des diplômes nationaux les formations secondaires. Il précise également qu’en vue de la délivrance des diplômes, il peut être tenu compte, éventuellement en les combinant, des résultats d’examens terminaux, des résultats des contrôles effectués en cours de formation, des résultats du contrôle continu des connaissances et de la validation des acquis de l’expérience.

Cette proposition va dans le sens des recommandations issues du rapport de France Stratégie remis à M. le ministre Patrick Kanner. Il paraît légitime que cet enseignement donne lieu à une évaluation par les enseignants selon des critères liés à un engagement dans une association, qu’il prenne la forme de la gestion d’un projet ou d’un budget, la création d’un site internet ou la prise de parole devant un public. Voilà le sens de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n1514 rectifié.

M. Arnaud Richard. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. La commission a émis un avis défavorable sur les deux. La disposition proposée au travers de l’amendement n1514 rectifié relève plutôt du Conseil supérieur des programmes : c’est à lui de s’organiser. Les parlementaires siégeant dans ce Conseil doivent relayer votre proposition.

S’agissant de l’amendement n300, il paraît compliqué de noter cet enseignement moral et civique qui, par essence, fait appel à des concepts généraux. Évaluer cette matière paraît un peu compliqué. L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?

M. Patrick Kanner, ministre. L’avis est identique. J’ajouterai, madame Capdevielle, que le Gouvernement ne juge pas opportun d’introduire une épreuve d’enseignement moral et civique sanctionnée par une note au baccalauréat. Comme vous le savez, cet enseignement a été mis en œuvre récemment puisque ce n’est que depuis cette année scolaire qu’il est enseigné de l’école primaire jusqu’au baccalauréat.

M. Jean-Frédéric Poisson. Raison de plus !

M. Patrick Kanner, ministre. Il s’adresse à des élèves qui atteignent un âge auquel on est capable de mesurer leur responsabilité personnelle et collective. L’enseignement moral réfléchit à des thématiques telles que « personne et État de droit », « égalité et discrimination » ou encore « pluralité des croyances et laïcité ». Cet enseignement concourt à conduire progressivement les jeunes à s’émanciper et à développer leur sens critique dans la perspective d’un plein exercice de leur citoyenneté. Le sanctionner par une note serait donc contraire à son esprit même.

J’ajoute que nous créons le livret scolaire du lycée, qui est porté à la connaissance du jury au moment de la délibération du baccalauréat. L’enseignement moral et civique y figure ainsi que le degré de maîtrise atteint par l’élève pour chacune des compétences à la fin du cycle terminal. Nous pensons que votre préoccupation est satisfaite par ce livret scolaire du lycée. Toute autre mesure alourdirait l’organisation d’un examen qui est déjà très complexe et qui relève d’autres procédures. Au bénéfice de ces explications, je souhaite le retrait de cet amendement ; sinon, l’avis est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous entendons des choses étonnantes ! Supprimons donc, monsieur le ministre, pendant qu’on y est, la notation de l’épreuve de philosophie au baccalauréat puisque cette discipline met en œuvre des concepts généraux.

M. Patrick Hetzel. Excellent !

Mme Brigitte Bourguignon. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pourquoi pas la littérature, pendant que vous y êtes ? Et pourquoi pas l’histoire ? On peut allonger la liste ! Rendez-vous compte de ce que vous dites devant la représentation nationale, monsieur le ministre ! Je ne sais qui vous a préparé cet argumentaire, mais ce n’est pas sérieux ! Cela ne signifie pas que je suis convaincu par l’amendement de notre collègue Capdevielle – très franchement, ma chère collègue, je n’ai pas d’avis sur votre proposition.

Enfin, madame la rapporteure thématique, la représentation nationale a-t-elle le droit de demander quelque chose au Conseil supérieur des programmes ? Il ne me paraît pas antinomique que la représentation nationale impose sa volonté à cette autorité !

Mme Brigitte Bourguignon. Des parlementaires siègent au sein de ce conseil !

M. Jean-Frédéric Poisson. Entre le point de vue d’un parlementaire qui siège dans un conseil et l’expression de la volonté nationale, il y a une petite différence, ma chère collègue ! Le point de vue personnel d’un parlementaire siégeant dans une instance n’est pas la décision de l’Assemblée nationale.

Mme Brigitte Bourguignon. Alors il ne sert à rien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas la même chose ! Ne faites pas semblant de ne pas comprendre ce que je dis !

Je ne comprends pas du tout votre position sur ces deux amendements, même si, encore une fois, ils ne me convainquent pas sur le fond.

M. le président. Madame la rapporteure thématique, voulez-vous rappeler à M. Poisson ce qu’il a dit tout à l’heure sur la loi ?

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Je voudrais dire un mot sur le Conseil supérieur des programmes pour qu’il n’y ait pas de malentendu : que le Parlement soit amené à interpeller le Conseil supérieur des programmes, pourquoi pas ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Il n’interpelle pas, il demande !

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Mais je ne vois pas de raison de le prévoir dans une loi. On nous reprochait tout à l’heure une loi « bavarde » : essayons, mesdames et messieurs les députés, d’être cohérents !

M. le président. Madame Capdevielle, retirez-vous votre amendement ?

Mme Colette Capdevielle. Pourquoi retirerais-je une proposition qui va dans le sens des recommandations du rapport de France Stratégie, Reconnaître, valoriser, encourager l’engagement des jeunes ?

De plus évaluer ce type d’épreuves ne pose aucune difficulté. On évalue bien des stages et les matières les plus diverses. Une évaluation notée serait une reconnaissance de cet engagement. Je ne fais que reprendre une proposition, et je m’étonne qu’elle ne soit reprise ni par Mme la rapporteure thématique, ni par M. le ministre, d’autant que ce serait une manière de reconnaître cet enseignement important et dont les jeunes ont besoin. Quand nous, élus, nous rendons dans les établissements scolaires pour participer à cet éveil à la citoyenneté, nous mesurons qu’il est absolument nécessaire et qu’il faudra bien évoluer en ce sens.

Je maintiens donc mon amendement : je serai peut-être la seule à le voter mais cela m’est égal !

(Les amendements nos 300 et 1514 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 14 quinquies

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Le code de l’éducation est lui aussi concerné par le service civique, dont nous ne savons toujours pas de quoi il sera fait puisqu’il nous est interdit de prendre connaissance de sa charte. Nous devons donc légiférer sur des aménagements dans les études supérieures et sur le passage des examens dans le cadre d’un engagement dont nous ne connaissons toujours pas les ressorts. Du moins avons-nous compris qu’il ne s’agissait pas d’une activité professionnelle mais qu’il était tout de même bon de le faire passer pour un emploi.

Il est donc considéré dans cet article que les établissements d’enseignement supérieur doivent fournir des facilités, des aménagements, des arrangements à ceux qui s’engagent dans le service civique et doivent même leur proposer des formations spécifiques. Nous avions pourtant le modèle simple du service militaire, où l’apprentissage se faisait au contact du quotidien et non d’une politique d’État, mais il ne fallait pas faire simple. Il fallait faire idéologique.

M. Jean-Patrick Gille et Mme Sylvie Tolmont. Le grand mot est lâché ! (Rires.)

M. Jacques Bompard. Voilà qui est fait.

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n1390.

M. Patrick Kanner, ministre. Cet amendement vise à permettre un aménagement de la scolarité aux étudiants qui siègent au sein des organes d’administration ou de direction d’associations. Le Gouvernement partage la volonté de la commission spéciale, que traduit l’introduction de l’article 14 quinquies, de permettre un aménagement de leur scolarité aux étudiants qui exercent une activité bénévole ou salariée, ont contracté un engagement de service civique ou exercent des fonctions électives au sein des conseils d’établissement ou des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS. À cette fin, le statut universitaire dont bénéficient les sportifs de haut niveau n’est pas le bon vecteur car il rendrait complexe la mise en œuvre effective des aménagements de scolarité.

C’est donc un amendement de synthèse que je vous propose. Sa rédaction, plus simple, correspond aux textes réglementaires en vigueur, notamment à l’arrêté du 22 janvier 2014, fixant le cadre national des formations. Elle reprend également une des mesures du Plan national de vie étudiante, présenté par le Président de la République le 1er octobre 2015.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Si l’amendement du Gouvernement est adopté, je crains que l’amendement n194, dont je suis cosignataire, ne tombe. Aussi je voudrais demander au ministre une précision d’ordre technique.

L’amendement du Gouvernement prend-il en compte, comme je le comprends, la situation des étudiants ayant souscrit un engagement spécial dans la réserve de l’armée de terre, de la gendarmerie ou de la police nationale ? Il me semble en effet nécessaire que cet incontestable engagement civique permette à ces étudiants de bénéficier d’un aménagement de leur cursus d’enseignement supérieur.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. J’irai dans le même sens. L’amendement n194 risque de tomber alors qu’il soulève un réel problème. Si vous voulez adopter une approche un tant soit peu exhaustive, monsieur le ministre, il serait pertinent d’intégrer dans votre dispositif celles et ceux qui se sont engagés à servir dans la réserve. Or aux termes de votre amendement ils en sont exclus. C’est assez paradoxal dans la période relativement difficile dans laquelle nous sommes et dans un moment où l’on incite les jeunes à s’engager dans la réserve.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. Il est clair que nous prendrons en considération les étudiants engagés dans la réserve opérationnelle de la défense…

M. Guillaume Larrivé. Et de la police ?

M. Patrick Kanner, ministre. …naturellement, mais non dans la réserve civique créée par le texte.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’ai moi aussi une question à vous poser, monsieur le ministre. Quand on parle des établissements d’enseignement supérieur, on songe aux grandes écoles et aux universités. Or il y a bien d’autres voies d’accès aux études. Le dispositif intègre-t-il les lycéens qui préparent un BTS ou qui sont en classe préparatoire aux concours d’entrée à certaines écoles, comme les écoles d’infirmières ?

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Puisque c’est l’heure des questions au ministre, je saisis cette occasion. Au moment où nous achevons l’examen des articles du titre III, je me demande comment s’articuleront le compte d’engagement citoyen créé par le projet de loi « Travail » et les dispositions que nous votons dans le cadre de l’examen de ce texte relatif à l’égalité et à la citoyenneté.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne remarque !

Mme Isabelle Le Callennec. Le compte d’engagement citoyen recense les activités bénévoles qui permettent d’acquérir des heures inscrites sur le compte personnel de formation. Ce sont le service civique, la réserve militaire, la réserve communale, la réserve sanitaire, l’activité de maître d’apprentissage et les activités de bénévolat associatif. Il manque dans le dispositif créé par ce texte la réserve citoyenne de la défense, la réserve citoyenne de la police, la réserve citoyenne de l’éducation nationale et les réserves à vocation thématique.

Par ailleurs, l’employeur a la faculté d’accorder des jours de congés payés, consacrés à l’exercice d’activités bénévoles, lesquels sont inscrits sur le compte d’engagement citoyen. Souvenez-vous que, dans le texte actuellement en discussion, une convention, un accord d’entreprise ou, à défaut, un accord de branche peut fixer la condition de maintien de la rémunération.

Si je vous interroge, monsieur le ministre, c’est que la commission des affaires sociales réexaminera demain le projet de loi « Travail » qui crée le compte d’engagement citoyen. Je n’ai jamais compris ce qu’une telle disposition venait faire dans ce texte, qui aurait eu davantage sa place dans ce projet de loi sur l’égalité et la citoyenneté.

J’aimerais savoir comment s’articuleront les deux textes. Ne risque-t-on pas de devoir faire de petits ajustements ? Quand on fait la liste des dispositifs qui sont ou non éligibles, le compte n’y est pas.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre. La date d’ouverture du compte d’engagement citoyen a été avancée du dix-huitième au seizième anniversaire. Tous les engagements qu’il recensera seront intégrables dans le compte personnel d’activité  prévu par le projet de loi «  Travail  ».

(L’amendement n1390 est adopté, les amendements nos 194 et 990 tombent et l’article est ainsi rédigé.)

Article 14 sexies

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. À chaque nouvelle manière de caractériser l’article 14, on se demande quand l’État saura restreindre son périmètre d’intervention. L’actualité devrait pourtant informer votre manière de considérer ce sujet. À force de vouloir s’introduire partout, l’Union européenne vient de recevoir un camouflet historique. Quel besoin l’État a-t-il de poser une injonction à développer la vie associative, alors que celle-ci ne l’a pas attendu pour être vive dans les universités ?

Encore une fois, c’est l’idéologie qui prime.

M. Jean-Patrick Gille et Mme Sylvie Tolmont. Le disque est rayé ! (Rires.)

M. Jacques Bompard. Incapable de faire confiance à la société civile, l’État ne supporte pas d’être absent des initiatives, à moins que quelques députés n’aient cédé au jeunisme en introduisant cette disposition. Tout est possible. Dans cet article, la loi est au mieux bavarde et inutile, au pire dangereusement révélatrice des racines idéologiques de la gauche.

M. le président. L’amendement n628 tend à supprimer l’article. Je considère que vous l’avez défendu, monsieur Bompard.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Avis défavorable.

M. le président. J’imagine, monsieur Bompard, que, même à Orange, on sait être synthétique ?

M. Jacques Bompard. Vous savez ce que je veux dire. (Sourires.) Vous ne m’avez pas donné la parole mais on va considérer que j’ai défendu l’amendement.

(L’amendement n628 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n1040.

M. Arnaud Richard. L’article 14 sexies prévoit que les établissements d’enseignement supérieur élaborent une politique spécifique visant à développer l’engagement des étudiants au sein des associations. C’est une initiative très louable. Il nous semble cependant possible d’aller plus loin en organisant au sein de ces établissements une véritable procédure de reconnaissance des associations.

Le système existe dans un établissement très connu situé à quelques encablures d’ici, à la croisée de la rue Saint-Guillaume et du boulevard Saint-Germain. La procédure de reconnaissance des associations intervient au début de chaque année universitaire. Elle permet à tous les étudiants inscrits dans l’établissement de soutenir jusqu’à deux associations candidates. Les associations qui, au terme de cette procédure, ont recueilli le soutien de 10 % des étudiants inscrits peuvent ensuite être reconnues officiellement par l’établissement et exercer leur activité jusqu’à la procédure de reconnaissance suivante.

Ce système très simple ne pose somme toute aucun problème.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. La commission a émis un avis défavorable. Le principe des associations est reconnu dans les universités. Je ne vois pas ce qu’un agrément leur apporterait. Les articles que nous venons d’adopter reconnaissent l’engagement. J’avoue donc ne pas saisir l’intérêt de votre proposition.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Défavorable.

M. Arnaud Richard. C’est dommage !

(L’amendement n1040 n’est pas adopté.)

(L’article 14 sexies est adopté.)

Article 14 septies

M. le président. Il s’agit d’un excellent article puisqu’il ne fait l’objet d’aucun amendement !

(L’article 14 septies est adopté.)

Article 14 octies

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. La rédaction actuelle de l’article L.811-2 est la suivante : « Les étudiants sont associés à l’accueil des nouveaux étudiants, à l’animation de la vie des établissements d’enseignement supérieur et aux activités d’aide à l’insertion professionnelle. » Elle pose donc un sain principe : les membres d’une institution cherchent à la servir, à la défendre et à l’améliorer.

Des accommodements sont donc possibles, en fonction des situations concrètement observées et de l’identité de chaque faculté. Pourquoi vouloir faire évoluer ce dispositif qui fonctionne dans les universités ? Pourquoi vouloir imposer encore plus de décisions d’État, là où les présidents d’universités devraient justement avoir les mains le plus libres possible ? Si les campus américains sont vos références, inspirez-vous de leur mode de gestion, au lieu de calquer l’administration des études supérieures françaises sur le modèle des fédérations socialistes.

M. le président. L’amendement n808 est-il défendu, monsieur Bompard ?

M. Jacques Bompard. Non, je vais le défendre. Je sais que cela vous fait plaisir, monsieur le président.

M. le président. Nous vous écoutons.

M. Jacques Bompard. Je l’ai déjà dit : la disposition actuelle du code de l’éducation est entièrement satisfaisante. Quel besoin avons-nous d’y toucher ? C’est une vaste question. Je pense par ailleurs que ce serait une erreur manifeste de faire de cette animation une occasion de rémunération.

Modifier un peu la formulation du deuxième alinéa permettrait de préserver la notion de gratuité dans l’engagement, fondamentale pour ancrer le bénévolat dans la jeunesse. Par ailleurs, je ne voudrais pas que la politisation de l’université ne débouche sur des affrontements entre factions politiques jusque dans la manière d’organiser la vie étudiante.

(L’amendement n808, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 14 octies est adopté.)

Article 14 nonies

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, inscrit sur l’article.

M. Jacques Bompard. Il s’agit ici de procéder à l’extension d’un processus d’expérimentation. C’est donc que vraisemblablement, la refonte de l’école de la République ne s’est pas déroulée comme vous vous y attendiez. Cela a d’ailleurs un côté paradoxal puisque vous souhaitez passer en force à l’article suivant sur les écoles hors contrat. Un peu d’exemplarité à l’article précédent n’aurait donc pas été superflue !

L’article L.331-8 du code de l’éducation nous explique d’ailleurs que le choix de l’orientation est de la responsabilité de la famille ou de l’élève quand celui-ci est majeur. Votre expérimentation textuelle consiste à donner le dernier mot en cas de désaccord entre la famille et le chef d’établissement. Il semble que trois ans d’expérimentation dans diverses académies soient largement suffisants. Pourquoi donc cette prolongation ?

(L’article 14 nonies est adopté.)

Article 14 decies

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits à l’article 14 decies.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, premier inscrit sur l’article.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous en arrivons à ce qui a motivé un certain nombre d’entre nous à rester tard ce soir.

Là, nous sommes vraiment face à un cas qui pose problème. Vous nous avez assurés tout à l’heure, au moment où nous entamions l’examen des articles 14 et suivants, que vous n’entendiez pas rogner sur la liberté d’enseignement. Or dans cet article 14 decies, vous demandez que le Gouvernement soit habilité à procéder par ordonnance à une modification très substantielle du régime de création des écoles dites hors contrat d’association.

M. Patrick Kanner, ministre. Et nous l’assumons !

M. Jean-Frédéric Poisson. J’ai deux choses à vous dire à ce sujet. La première, c’est que passer d’un régime de déclaration simple à un régime d’autorisation préalable constitue évidemment un rabotage des libertés fondamentales. J’en veux pour preuve – ce sera le second élément – deux décisions très célèbres du Conseil constitutionnel. La première, qui date de 1977, consacre la liberté d’enseignement et de choix de son établissement comme une liberté garantie par la Constitution.

La seconde est encore plus intéressante : c’est la célèbre décision du 16 juillet 1971 sur la liberté de création d’une association. Le président Poher avait saisi le Conseil constitutionnel d’une modification de la loi de 1901 qui entendait justement soumettre à autorisation préalable la constitution d’associations loi de 1901. Dans une décision très courte, le Conseil constitutionnel a décidé que soumettre à l’obligation d’une autorisation préalable l’exercice de cette liberté fondamentale que constitue la création d’une association serait contraire à la Constitution de la République française.

M. Patrick Kanner, ministre. Nous verrons.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je formule donc le vœu que nous saisissions quoi qu’il arrive le Conseil constitutionnel après l’adoption de ce texte, pour peu que nous arrivions au terme de son examen, au moins sur ce point. En tout cas, je conteste formellement l’affirmation selon laquelle vous n’attentez pas à la liberté d’enseignement avec cet article : c’est exactement ce que vous êtes en train de faire, pour des motifs insupportables de guerre idéologique contre tout ce qui n’obéit pas au système de l’éducation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Je l’ai dit, ce texte est insupportable d’idéologie du début à la fin. Il atteint son acmé dans cet article 14 decies.

Nous pourrions revenir sur la méthode : le recours intolérable aux ordonnances pour ce sujet ; le délai imparti de six mois, dont le propos est bien de raviver les blessures qui existent entre les deux patries ; l’intrusion d’un article qui change la philosophie du rapport entre les parents et les écoles dans un texte qui n’est rien d’autre que la voiture-balai du gauchisme ; les provocations d’un ministère de l’éducation nationale incapable de satisfaire aux exigences populaires mais qui vient encore s’immiscer dans la vie des familles.

Monsieur le ministre, je veux vous répéter que les enfants ne sont la propriété ni d’un régime, ni d’un ministère, ni d’une philosophie. Ils sont sous l’entière responsabilité de leurs parents, qui délèguent éventuellement à l’État, par le ministère de l’éducation nationale, le soin de leur fournir une instruction, et une instruction seule. À de nombreuses reprises sous cette législature, la majorité socialiste et le Gouvernement ont effrayé les parents par leurs visées idéologiques. Cet article constitue une nouvelle provocation ; il prouve décidément que le bien commun ne vous intéresse pas.

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Jean-Frédéric Poisson vient de le dire, et je crois que l’ensemble des députés du groupe Les Républicains en sont d’accord : cet article est un coup très dur porté à la liberté d’enseignement. Les arguments ont été donnés il y a un instant. Prenez garde, monsieur le ministre, à ne pas rallumer la guerre scolaire dans notre pays – ce n’est pas rien.

Mme Brigitte Bourguignon. C’est vous qui la rallumez !

M. Dominique Tian. Les déclarations qui ont été faites par les représentants des religions – catholique, protestante, juive…

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Musulmane ?

M. Dominique Tian. …sont unanimes : la liberté d’enseignement est à nouveau menacée en France. Les évêques de France vous le disent aussi ; l’ensemble des autorités morales et religieuses de notre pays attirent solennellement votre attention sur cet article, dont il faut bien sûr refuser l’adoption.

La liberté d’enseignement est un sujet délicat. Les arguments avancés par le Gouvernement ne sont pas du tout satisfaisants. Nous vous appelons de manière solennelle à la plus extrême prudence, et nous invitons nos collègues à rejeter cet article.

M. le président. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Tout en restant anecdotique à l’échelle du pays, le nombre d’élèves dans les établissements hors contrat est en hausse. La religion ne semble pas être le premier argument en faveur de ces écoles alternatives. La Fondation pour l’école, fondation reconnue d’utilité publique qui regroupe 793 établissements indépendants signataires d’une charte, a établi un décompte en 2015. Il en résulte que 60 % des écoles ont un caractère non religieux ; 25 % sont catholiques et seulement 3,5 % musulmanes. Les autres proposent des enseignements bilingues ou des pédagogies alternatives.

Devant le risque de radicalisation des écoles islamistes, vous souhaitez aujourd’hui modifier les règles afin de ne plus valider un dossier de déclaration d’un établissement d’enseignement privé et de passer à un régime d’autorisation d’ouverture. Là est le danger : c’est le corps de l’école libre qui est attaqué.

M. Michel Ménard. Il n’est pas attaqué !

M. Patrice Verchère. N’est-il pas déraisonnable de focaliser la vigilance anti-radicalisation sur le secteur hors contrat, alors même qu’il ne représente que 0,5 % des élèves et qu’a priori, l’éducation nationale n’a jamais trouvé aucun cas de radicalisation dans une école hors contrat ? Sans polémique aucune, 100 % des auteurs d’attentats terroristes viennent de l’école publique !

Mme Brigitte Bourguignon. C’est quoi, ces raccourcis ? On ne peut quand même pas dire n’importe quoi !

M. Patrice Verchère. Comme l’Association des maires de France le suggérait dans ses propositions en faveur de la laïcité, le moyen essentiel pour lutter contre l’islamisme dans les écoles hors contrat réside surtout dans la réalisation de contrôles effectifs et réguliers a posteriori, et de préférence inopinés. Vous le savez bien, monsieur le ministre : aujourd’hui, le ministère a déjà autorité pour contrôler les établissements hors contrat. Rien ne sert de changer quoi que ce soit : il suffit de faire ce qu’il est prévu de faire en cas de doute, c’est-à-dire d’aller dans chacune des écoles procéder aux contrôles nécessaires et de sanctionner lorsqu’il le faut. Oui, monsieur le ministre, il faut simplement appliquer les lois actuelles, qui sont adaptées, voire, si l’on veut aller plus loin, se pencher sur le financement de l’école.

Mme Brigitte Bourguignon. N’attaquez pas l’école de la République !

M. Patrice Verchère. En effet, les principaux postes de dépenses d’une école sont de deux types : les locaux et les salaires. S’ils sont imputés uniquement sur les frais de scolarité, cela se chiffre à plusieurs milliers d’euros par an et par enfant. Par conséquent, un contrôle sur le financement des écoles et sur l’origine des fonds serait assez pertinent.

Mme Elisabeth Pochon. On vous a assez entendu !

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Patrice Verchère. Cédez-vous à la tentation de l’effet d’annonce pour répondre aux préoccupations du moment ou s’agit-il de freiner l’essor des écoles privées hors contrat ?

M. Xavier Breton et M. Guillaume Larrivé. Très bien !

Mme Colette Capdevielle. Lamentable !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Vous l’aurez noté, monsieur le ministre, le sujet est extrêmement important. La mesure avait d’ailleurs été annoncée par Mme la ministre de l’éducation nationale, d’où ma première remarque : pourquoi n’est-elle pas présente ce soir ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Il est absolument inacceptable qu’après avoir elle-même communiqué sur le sujet, elle méprise ainsi la représentation nationale et refuse de débattre sur le sujet avec le Parlement. C’est vraiment inacceptable !

M. Xavier Breton. Elle est incompétente !

M. Patrick Hetzel. Nous serions d’ailleurs fondés à demander une suspension de séance pour exiger la présence de Mme la ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Eh oui, chers collègues, cela aurait tout son sens !

Mais revenons au fond. Cette réforme, telle que vous semblez vouloir la conduire, comporte en fait deux volets. Le premier consiste à limiter par décret la liberté de programmes des écoles indépendantes en leur imposant, outre celui du socle commun à seize ans, le respect des objectifs définis par cycles par les programmes de l’éducation nationale. Or ce décret en tant que tel est illégal : le code de l’éducation garantit, dans son article L.442-3, que les directeurs d’écoles élémentaires privées qui ne sont pas liées à l’État par contrat sont entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes et des livres, sous réserve de respecter l’objet de l’instruction obligatoire tel que celui-ci est défini par les articles L.131-1-1 et suivants.

Le deuxième volet consiste à durcir le régime d’ouverture des écoles hors contrat en passant du régime de déclaration préalable à un régime d’autorisation, par nature restrictif des libertés. Nous pensons qu’il y a là – notre collègue Poisson y a déjà fait référence – un problème de constitutionnalité.

Mme Brigitte Bourguignon. Nous verrons !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je serai bref, monsieur le président. Je ne suis pas contre le renforcement du contrôle de l’État sur l’ouverture des écoles hors contrat dès lors qu’il s’agit de lutter contre des écoles qui favorisent la radicalisation et le prosélytisme. Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit, chers collègues ? Cela reste à confirmer.

En revanche, il est inacceptable qu’une telle réforme ait des contours aussi flous et soit prévue par ordonnance. Un débat doit avoir lieu au Parlement, par exemple, pour s’assurer que l’autorisation préalable ne soit pas trop lourde pour les écoles privées et qu’en contrepartie, l’administration réponde dans des délais très courts. Le caractère extrêmement vague de l’habilitation ne permet pas non plus de s’assurer que la liberté d’enseignement sera garantie. Pour toutes ces raisons, l’article 14 decies doit être supprimé.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. J’avais fait un rêve, monsieur le président. Je pensais que depuis 1983, on avait renoncé au projet d’un grand service public laïc de l’enseignement qui avait coûté son ministère à Alain Savary.

Je sais que comparaison n’est pas raison, et je donne raison au Gouvernement de vouloir contrôler davantage – si besoin est – et sanctionner davantage – si besoin est. Bien évidemment, nous partageons vos objectifs. Mais vraiment, vous nous prenez à rebrousse-poil ! Surtout, vous vous attaquez à une liberté fondamentale, consacrée par le Conseil constitutionnel dès1977 mais qui trouve ses fondements dans la Troisième République, dans le Préambule de 1946 et dans la Constitution de 1958, approuvée par le peuple français par la voie du référendum. En violant la liberté d’enseignement, c’est d’une certaine façon le peuple français que vous prenez à rebrousse-poil et que vous violez.

On ne jauge pas une liberté au nombre des personnes qui en bénéficient. Nous avons certes peu d’établissements privés hors contrat, puisque seuls 0,5 % des élèves français y sont scolarisés, mais la liberté est ou elle n’est pas, elle ne peut pas se fractionner. En modifiant radicalement le processus, vous vous attaquez à cette liberté de l’enseignement. Changer une déclaration en une autorisation, c’est renverser la charge de la preuve : une suspicion pèsera désormais sur ces écoles, qui devront entrer dans un certain nombre de cadres. C’est donc un contrôle a priori de l’État, alors qu’une liberté s’exerce avec un contrôle a posteriori.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Avec cet article, vous nous proposez une modification du régime juridique applicable aux établissements privés hors contrat. On l’a vu, il y a une atteinte aux principes constitutionnels de la liberté d’association et de la liberté d’enseignement.

Je voudrais insister sur la méthode que vous employez. Une nouvelle fois, vous utilisez de manière subreptice un amendement pour éviter d’avoir à procéder à une étude d’impact et à consulter le Conseil d’État, dont l’avis aurait pu vous mettre en difficulté. Ensuite, vous recourez aux ordonnances pour escamoter le débat parlementaire sur un sujet important.

Le ministre de l’intérieur est venu tout à l’heure défendre ses amendements.

Mme Isabelle Le Callennec. Eh oui !

M. Xavier Breton. Que l’on partage ou non ses convictions, on doit reconnaître qu’il a eu au moins le courage de venir débattre !

Ce n’est pas le cas de la ministre de l’éducation nationale, qui est plus présente devant les caméras, dans les conférences de presse, où elle annonce des mesures, que pour défendre certaines dispositions devant la représentation nationale : elle a peur du débat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Isabelle Le Callennec et M. Patrick Hetzel. Eh oui !

Mme Brigitte Bourguignon. Vous vous êtes fait plaisir ? Ça va mieux ?

M. Xavier Breton. Peut-être allons-nous interrompre nos débats mais je souhaite, en tout cas, que vous l’invitiez à venir débattre avec nous. En effet, on ne peut pas, sur un sujet aussi important que la liberté de l’enseignement, déléguer ses attributions à un autre ministre, aussi compétent soit-il en matière d’éducation.

M. Pascal Popelin. Avancez plutôt des arguments !

M. Xavier Breton. La ministre de l’éducation nationale doit être là : c’est son devoir, c’est sa responsabilité. En étant absente, elle montre à nouveau la légèreté avec laquelle elle assume son ministère.

M. Patrice Verchère. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. L’heure est grave. Vous êtes en train de remettre en cause la liberté de l’enseignement dans notre pays, pour laquelle un certain nombre d’entre nous se sont battus, et la ministre de l’éducation nationale est absente, comme elle l’a été lors de l’examen de l’article 14 bis, qui remet en cause l’instruction en famille.

M. Michel Ménard. Arrêtez votre cinéma !

M. Xavier Breton. Les familles apprécieront !

Mme Isabelle Le Callennec. Il faudra qu’elle nous explique pourquoi elle fuit le débat et quelles sont ses arrière-pensées. Il y manifestement des problèmes de radicalisation : fort bien, mais qu’elle vienne l’expliquer, qu’elle vienne expliquer pourquoi elle veut introduire dans ce projet de loi sur l’égalité et la citoyenneté par la voie de deux amendements des dispositions qui, encore une fois, n’ont rien à y faire et remettent en cause des années de travail.

M. Xavier Breton. Elle n’en est pas capable !

Mme Isabelle Le Callennec. Les Républicains ont déposé un amendement de suppression de cet article extrêmement dangereux puisqu’il modifie en profondeur le régime de l’enseignement privé hors contrat – excusez du peu. À la faveur d’un amendement examiné à une heure du matin …

M. Razzy Hammadi, rapporteur général. Il avait été examiné à neuf heures et demie du matin en commission !

Mme Isabelle Le Callennec. … on va modifier l’équilibre auquel on était parvenu au cours des dernières années. C’est pourquoi, je le répète, nous avons déposé un amendement de suppression. S’il n’est pas adopté – vous prendrez un risque devant les Français –, nous déposerons un autre amendement qui visera à améliorer le régime déclaratif actuel.

Mais, franchement, l’absence de la ministre en dit long sur le respect qu’elle a de la représentation nationale, des Français en général et, en l’espèce, de l’enseignement hors contrat.

M. Xavier Breton. Et des familles !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, avant d’évoquer l’état réel du pays, je voudrais insister sur le caractère surréaliste des débats.

M. Michel Ménard. Là-dessus, on est d’accord !

M. Nicolas Dhuicq. J’ai entendu tout à l’heure que vous réinventiez ce que l’on nomme la philosophie. La France s’honore d’avoir encore, en classe de terminale, un enseignement de philosophie. Point n’est besoin d’ajouter de nouveaux enseignements ; il suffirait que, dès l’école primaire, on recommence à enseigner les matières fondamentales qui sont si peu dominées, telles l’histoire de France.

Pour en venir à votre article, la situation du pays est la suivante : 2 000 Français sont partis pour un pays qui vit la guerre depuis plus de cinq ans et connaît des drames permanents.

Mme Elisabeth Pochon. La radicalisation, ce n’est pas que cela !

Mme Isabelle Le Callennec. C’est l’explication que l’on nous donne, en tout cas !

M. Nicolas Dhuicq. L’une des causes en est l’absence de culture, de connaissances, de transcendance, dans cette société d’adultes qui est incapable, depuis des années, de donner une espérance aux jeunes.

M. Michel Ménard. Ce n’est pas vous qui allez leur en donner une !

M. Nicolas Dhuicq. C’est aussi l’absence de réflexion, l’incapacité du politique à prévoir à long terme.

Et voilà qu’arrive votre texte, qui sent bon l’idéologie dominante d’il y a plus de cinquante ans, une idéologie qui veut absolument couper le citoyen de tous ses déterminants. Le véritable maître à penser, en la matière, est l’ancien ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon, l’actuelle titulaire du poste n’étant que son élève. Il faut mettre à nu le futur citoyen, le modeler, l’organiser, le structurer, le normaliser, en faisant en sorte de détruire tous les déterminants, familiaux, sociaux, locaux, régionaux, culturels.

S’agissant de ce que vous appelez rapidement la radicalisation, beaucoup de politiques ici présents ne seraient pas capable de distinguer entre les différents islams et faire la différence entre chiites, alaouites et sunnites.

M. le président. Merci, monsieur Dhuicq !

M. Nicolas Dhuicq. Le temps de parole n’est-il pas de deux minutes, monsieur le président ?

M. le président. Chacun a eu droit au même temps de parole.

La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. À mon tour, je voudrais regretter l’absence de la ministre de l’éducation nationale pour un débat d’une telle importance. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Patrick Hetzel. Il a raison !

M. Frédéric Reiss. Je veux rappeler que de nombreux établissements hors contrat rendent un service réel à notre société car ils répondent à un véritable besoin des familles et apportent des solutions à un public souvent très hétérogène. Malgré la difficulté de leur mission, ils obtiennent souvent des résultats remarquables.

Sous le prétexte d’un risque de voir se créer des écoles potentiellement salafistes ou qui favoriseraient la radicalisation, le Gouvernement veut passer à un régime d’autorisation, ce qui est inacceptable. J’avoue que je ne comprends pas du tout que le Gouvernement annonce, dans le même temps, vouloir faciliter le passage sous contrat d’écoles musulmanes.

Il serait opportun de maintenir le régime actuel de déclaration préalable, quitte à porter le délai d’opposition à deux mois, en diligentant des contrôles sur place plus efficaces, plus ciblés sur les écoles à risque et mobilisant des experts de la radicalisation islamiste, plutôt que de passer à un régime d’autorisation qui ferait sortir les écoles les plus problématiques du champ du contrôle et rendrait plus difficile la fermeture des écoles titulaires d’une autorisation.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bies.

M. Philippe Bies. Je suis quelque peu étonné d’entendre parler de guerre scolaire, de la fin de l’école libre, notamment de la part de l’aile apparemment la plus progressiste des Républicains. (Murmures sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Mais, monsieur Hetzel, vous qui n’êtes pas le dernier à donner des leçons et à être désagréable avec M. le ministre, vous avez oublié de préciser quelque chose. C’est que ce régime déclaratif existe déjà : en Alsace-Moselle. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Philippe Gosselin. Oui, mais dans le cadre d’un régime particulier et compte tenu de certaines spécificités, vous le savez très bien !

M. Xavier Breton. Comparez ce qui est comparable !

M. Philippe Bies. Déclareriez-vous ce soir qu’en Alsace-Moselle, l’école privée est en danger, que la liberté pédagogique y est en danger ? Non, monsieur Hetzel. Mes chers collègues, vous êtes pris là en flagrant délit de posture et donc de mensonge ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. On connaît le sujet, on sait très bien que certaines personnes ouvrent quotidiennement des écoles dans un certain nombre de quartiers. Cela pose un problème auquel il fallait répondre. Mais, plus précisément, qui formule la demande à laquelle le Gouvernement a entendu faire droit ? Permettez-moi de vous indiquer ce que propose l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF, présidée par François Baroin, qui ne me semble pas pouvoir être accusé de s’attaquer à la liberté de l’éducation. M. Baroin affirmait, lors d’une conférence de presse, après la présentation du vade-mecum sur la laïcité : « L’AMF va interpeller l’État et particulièrement l’éducation nationale sur un régime d’autorisation. » C’est l’AMF qui le demande pour aller plus loin et éviter les dérives que nous constatons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour un rappel au règlement.

M. Guillaume Larrivé. C’est un rappel au règlement de notre groupe sur le fondement de l’article 58.

À quelques centaines de mètres du Palais Bourbon se trouve la rue de Grenelle, qui abrite le ministère de l’éducation nationale. Il y a donc bien, monsieur le ministre, jusqu’à plus ample informé, une ministre de l’éducation nationale : Mme Najat Vallaud-Belkacem.

Mme Elisabeth Pochon. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Guillaume Larrivé. La ministre de l’éducation nationale nous demande d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions législatives qui vont modifier le code de l’éducation. Il s’agit donc pleinement, mesdames, messieurs de la majorité, d’un rappel au règlement : nous demandons avec gravité, avec solennité que la ministre de l’éducation nationale veuille bien débattre avec la représentation nationale de ces sujets essentiels. Nous savons, monsieur le président, que le Gouvernement est représenté ici. Nous ne sommes pas discourtois à l’endroit du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, mais nous ne comprenons pas, même s’il est une heure du matin, que la ministre de l’éducation nationale refuse de participer au débat à l’Assemblée nationale. (« Ça a déjà été dit ! » sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. C’est tout sauf un rappel au règlement. Le Gouvernement est représenté par le ministre de son choix…

M. Pascal Popelin. Ça, c’est le règlement !

M. le président. …dont vous avez eu raison de rappeler la qualité. Mes chers collègues, je vous propose, pour n’être discourtois avec aucun des membres de l’Assemblée, de donner la parole à M. Breton, qui l’a demandée pour un nouveau rappel au règlement – en partant de l’hypothèse que ce qu’il va dire en est réellement un – avant de clore la discussion préalable à l’article 14 decies.

La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1e.

En réponse à l’intervention de M. Pupponi et pour la clarté des débats, je voudrais préciser la position de l’AMF sur le sujet en vous lisant ce qu’en dit le vade-mecum de l’AMF sur la laïcité : « L’AMF a interpellé l’État, et particulièrement le ministre en charge de l’éducation nationale, et a prôné un régime de déclaration plus encadré et, surtout, un renforcement du contrôle a posteriori, par l’État, de la réalité de la pratique des structures éducatives privées hors contrat. » Il n’est donc absolument pas question de déclaration, mais d’autorisation. Je souhaitais l’indiquer pour la clarté de nos débats.

M. Patrice Verchère. La vérité est rétablie !

M. le président. Monsieur Breton, vous avez répondu à ma question par un sourire qui en dit long. (Sourires.)

La parole est à Mme la rapporteure thématique.

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Je voudrais dire deux choses pour la clarté de nos débats. Premièrement, il ne me semble pas, monsieur Breton, que votre intervention était un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est le président qui en juge !

M. le président. Mme la rapporteure thématique a raison de le répéter !

Mme Valérie Corre, rapporteure thématique. Cela va mieux en le disant.

Deuxièmement, je voulais vous rappeler, madame, messieurs les députés de l’opposition, qu’il ne s’agit pas d’un amendement du Gouvernement mais de l’article d’un texte de loi, que la commission a adopté. On pourrait s’attendre à ce que les décisions des commissions soient respectées. Cela n’empêche évidemment pas le dépôt d’amendements de suppression, mais il s’agit alors de supprimer un article, non un amendement. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Gosselin. Ne jouez pas sur les mots ! Cet article est issu d’un amendement du Gouvernement !

M. le président. Mes chers collègues, malgré l’heure avancée, j’invite chacun à conserver son calme. Les interventions sur l’article 14 decies sont terminées.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce matin à neuf heures trente :

Discussion, en procédure d’examen simplifiée, de cinq projets de loi autorisant l’approbation de conventions et d’accords internationaux ;

Discussion de deux projets de loi autorisant l’approbation d’accords entre la France et le Brésil ;

Suite de la discussion du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 30 juin 2016, à une heure quinze.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly