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Commission des affaires européennes

mardi 28 mai 2013

17 heures

Compte rendu n° 63

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux, Mme Seybah Dagoma, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Bloche, M. François Brottes, M. Michel Destot, M. Olivier Faure, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Danielle Auroi et M. Philip Cordery sur le mandat de négociation de l’accord de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne (no 1020) 

II. Examen de la proposition de résolution européenne de M. Bruno Le Roux et Mme Catherine Quéré, et plusieurs autres membres du groupe SRC, sur la réforme des droits de plantation de vigne (no 906). 

III. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary, Mme Chantal Guittet et M. Michel Piron sur la directive relative au détachement des travailleurs.

IV. Nomination de rapporteurs

I. Examen de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux, Mme Seybah Dagoma, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Bloche, M. François Brottes, M. Michel Destot, M. Olivier Faure, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Danielle Auroi et M. Philip Cordery sur le mandat de négociation de l’accord de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne (no 1020) 2

II. Examen de la proposition de résolution européenne de M. Bruno Le Roux et Mme Catherine Quéré, et plusieurs autres membres du groupe SRC, sur la réforme des droits de plantation de vigne (no 906). 19

III. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary, Mme Chantal Guittet et M. Michel Piron sur la directive relative au détachement des travailleurs. 23

IV. Nomination de rapporteurs 31

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 28 mai 2013 à 17 heures

Présidence de Mme Danielle Auroi

La séance est ouverte à 17 heures

I. Examen de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux, Mme Seybah Dagoma, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Bloche, M. François Brottes, M. Michel Destot, M. Olivier Faure, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Danielle Auroi et M. Philip Cordery sur le mandat de négociation de l’accord de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne (no 1020) 

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. En 1997, le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, redoutait l’hégémonie américaine. Aussi, la France avait-elle été opposée, à la fin des années 1990, à l’initiative de partenariat transatlantique lancée par le commissaire européen au commerce Leon Brittan. Cette opposition avait notamment pour raison la crainte de voir affaibli le système commercial multilatéral, alors que l’OMC et son organe de règlement des différends venaient juste d’être crées. Depuis longtemps, les États-Unis privilégient le bilatéralisme dans leurs relations commerciales, mais l’Union européenne était restée jusque récemment fidèle à la démarche multilatérale, menée dans le cadre du GATT. Aujourd’hui, les rapports de force ont changé. Les discussions multilatérales dites du « cycle de Doha » sont enlisées . Je vous renvoie utilement aux analyses du rapport de nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard sur les raisons de cet échec . Celui-ci est dû en grande partie à l’attitude des émergents qui refusent toute évolution dans le régime de « Traitement spécial et différencié» qui était destiné à une meilleure intégration des pays en développement dans le commerce international et s’opposent à toute réciprocité. Ce contexte a amené les États-Unis à envisager une alliance transatlantique et l’Europe à changer de position. L’Union européenne recherche, depuis 2006, des accords avec des partenaires stratégiques, tels que la Corée du Sud, le Japon, le Canada et donc les États-Unis.

La perspective d’un accord transatlantique a été ouverte en 2011 lors d’une rencontre au sommet entre Herman Van Rompuy, le président Barroso et le président Obama qui ont décidé la mise en place d’un groupe de haut niveau. Celui-ci a rendu un rapport le 13 février 2013 qui a conclu à la pertinence d’un accord global sur le commerce et l’investissement. Jamais sans doute, la perspective d’un accord de libre-échange n’aura suscité autant d’intérêt et de réactions. Le processus est aujourd’hui à un stade crucial, celui de la définition du projet de mandat. En mars dernier, la Commission européenne, après une phase de travaux préparatoires, a transmis aux gouvernements des États membres un projet de document qui l’autoriserait à négocier un accord transatlantique au nom de l’Union européenne et fixe des directives pour cette négociation. Le Conseil des ministres européens du commerce extérieur devrait se prononcer sur ce projet le 14 juin prochain. Le 23 mai dernier, le Parlement européen a donné son feu vert, sous conditions, au lancement des négociations.

La première question qui se pose à nous est une question de principe : l’Union européenne doit-elle ou non s’engager dans une négociation commerciale avec les États-Unis ? Sur le plan économique, plusieurs études d’impact ont été réalisées, à la demande de la Commission européenne, mais aussi, en France, à la demande du ministère des finances. On peut certes discuter ces études, qui sont fondées sur des modèles économiques nécessairement simplificateurs et des présupposés libéraux quant aux mérites du développement du commerce. On peut, par exemple, regretter que les effets nocifs de phénomènes comme la volatilité des prix agricoles ne soient pas assez pris en compte. On peut aussi observer que l’étude européenne, pour justifier les gains qu’elle annonce, a besoin d’envisager un accord transatlantique très ambitieux, comprenant une importante réduction des barrières non-tarifaires, que nous ne sommes pas sûrs d’atteindre. Il n’empêche que ces études convergent pour annoncer des gains économiques potentiels substantiels pour l’Europe et pour la France. Pour l’Europe, le gain global pourrait atteindre près de 120 milliards d’euros par an.

Sur le plan politique, les deux entités réalisent à elles seules les deux tiers des dépenses mondiales de recherche et de développement. Cet accord pourrait être l’occasion pour l’Union européenne de forger une nouvelle cohésion en définissant une position de négociation commune et d’affirmer, au plan international, le rôle de créateur de normes qu’elle a toujours porté. A cet égard, nous devons être conscients que les États-Unis et l’Europe pesaient encore pour 60 % dans le PIB mondial en 2005, mais la montée des émergents a ramené en 2012 ce taux à 45 %. Les perspectives montrent que ce déclin va se poursuivre. Cette négociation est peut-être la dernière chance pour ces deux ensembles d’affirmer une sorte de vocation normative internationale dans le domaine économique. Lors des auditions de parlementaires aux États-Unis, nous nous sommes rendues compte, avec ma collègue Marie Louise Fort, que le sujet de préoccupation principal des États-Unis est actuellement la signature du projet de libre-échange transpacifique, mais que la signature parallèle d’un accord avec l’Europe leur permettrait de consolider leur position normative.

Ceci étant dit, un accord transatlantique ne peut représenter un réel progrès que sous conditions. Le choix affiché par les autorités européennes et légitimé par les études d’impact est celui de la recherche d’un accord global et ambitieux, comprenant en particulier des avancées très substantielles sur la réduction des barrières non-tarifaires dans la mesure où il faut rappeler que les droits de douane entre les deux parties sont déjà faibles, de l’ordre de 3 à 4 % , même s’il existe des pics tarifaires et des restrictions quantitatives aux échanges des deux côtés . J’ai d’ailleurs pu constater, durant les auditions, que ces barrières non-tarifaires et particulièrement les questions de réglementation, sont en tête des difficultés soulignées dans de nombreux secteurs économiques. Le contenu et le mode d’élaboration des réglementations renvoient à des intérêts légitimes tels que protéger la santé, la sécurité, l’environnement, les consommateurs, les travailleurs. Plus fondamentalement, ces règles rendent souvent compte de ce que l’on appelle des « préférences collectives » et de modes de fonctionnement et de pensée profondément ancrés dans les sociétés. Il ne peut donc s’agir de les aligner vers le bas, mais de trouver un rapprochement par le haut, ce qui est forcément plus complexe. Les rencontres avec des représentants de différents secteurs économiques m’ont montré la multiplicité des problèmes qui se posent quand on entre dans le vif du sujet sur ces questions. Il y a les « lignes rouges », les règles sur lesquelles nous, ou réciproquement les Américains, ne serons pas prêts à transiger, même si elles peuvent parfois correspondre à des restrictions au commerce. Cela tient aussi aux modes d’élaboration et d’application des réglementations souvent très différents des deux côtés de l’Atlantique. En particulier, et paradoxalement si l’on songe que les États-Unis sont un État, même fédéral, quand l’Union européenne en compte 27, ce mode d’élaboration est souvent beaucoup plus décentralisé outre-Atlantique. Les processus normatifs y privilégient les démarches partant des acteurs économiques et confient ainsi un rôle important au secteur privé. L’autorité de réglementation est souvent au niveau de l’État fédéré, pas au niveau fédéral, ou bien il s’agit d’une autorité administrative indépendante. C’est une vraie difficulté car cela signifie que la signature du gouvernement fédéral, qui négociera l’accord, n’engage pas forcément les autorités publiques compétentes sur les réglementations. J’y reviendrai quand j’évoquerai les marchés publics.

L’intégration est déjà considérable entre les deux rives de l’Atlantique, avec 700 milliards d’euros de flux commerciaux bilatéraux. La France n’est pas en reste, avec une soixantaine de milliards d’euros de flux commerciaux croisés. En matière d’investissements, les États-Unis demeurent la première destination des investissements directs à l’étranger français et le premier investisseur étranger en France. Les entreprises américaines emploient environ 450 000 personnes en France et les entreprises françaises sans doute autant aux États-Unis. Assez paradoxalement, c’est justement parce que les échanges et l’intégration sont déjà intenses entre les deux rives de l’Atlantique, que les points de divergence et de conflit sont souvent des « points durs », connus depuis longtemps et sur lesquels aucune des parties n’envisage réellement de concessions.

On peut avoir le sentiment que cette négociation risque de s’ouvrir sur plusieurs asymétries. La première porte sur l’envie de négocier. Dans son discours sur l’état de l’Union, le président Obama a déclaré que l’Union européenne était plus en demande de négociation que son pays – il a employé l’adjectif « hungrier ». Il est donc à craindre que celui qui est le plus demandeur soit celui qui serait amené à faire le plus de concessions. La deuxième asymétrie tient à ce que les États-Unis ont une position plus forte économiquement, dans la mesure où ils ont renoué avec une croissance de 2 %, favorisée par la révolution énergétique liée à l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste, trois à quatre fois moins cher que le gaz en Europe. Le débat autour de ce sujet est très vif. Une troisième asymétrie concerne l’affichage des priorités et des interdits de la négociation. L’Union européenne va le faire avec le projet de mandat le 14 juin prochain alors que les États-Unis n’ont pas officiellement de lignes directrices, même si l’on peut deviner leurs intérêts offensifs et défensifs essentiels.

Pour autant, l’Europe n’a pas à aborder cette négociation en position de faiblesse. Elle est en effet la première force de marché mondial avec 500 millions de consommateurs à fort pouvoir d’achat et, en tant que zone intégrée, le premier PIB mondial. Il s’agit de négocier un accord entre partenaires qui ont des relations égalitaires, représentant des parts sensiblement égales de la production et du commerce mondiaux, de l’ordre de 20 % du PIB chacun. Selon que l’on tient compte ou non des flux commerciaux intracommunautaires, les relations entre les deux parties représentent soit 28 %, soit 40 % des flux commerciaux mondiaux. Les États-Unis ne doivent pas considérer qu’ils vont entamer les négociations en jouant du rapport de forces, comme ce fut le cas pour l’ALENA.

Le mandat de négociation qui sera éventuellement donné à la Commission européenne doit donc être clair, précis et exigeant. Il faut à ce stade éviter les écueils qui ont été ceux de la négociation sur l’accord de libre-échange avec le Canada où faute d’avoir levé des incertitudes préalablement, les difficultés et les blocages s’accumulent en fin de négociation.

Le projet préparé par la Commission à cet égard, qui est l’objet de la présente proposition de résolution, comporte certes des points satisfaisants, mais aussi des formulations souvent « molles », des lacunes et quelques points qui ne sont pas du tout acceptables. Sur trois points, le projet de mandat actuel comporte des formulations explicites qui paraissent inacceptables . Il s’agit de l’absence d’exclusion du secteur des biens et services culturels du champ de la négociation et des préférences collectives européennes, de l’inclusion des marchés de défense et de sécurité dans le champ de celle-ci, enfin du renvoi à l’arbitrage pour régler les litiges entre investisseurs et États.

Je ne m’étendrai pas sur la protection à accorder au secteur des services culturels, dont nous avons déjà parlé lors de la discussion de la proposition de résolution européenne conjointe de nos collègues Danielle Auroi et Patrick Bloche. Dans un champ voisin, celui de la protection de la vie privée, sur lequel l’Union européenne envisage une révision de la directive de 1995, nous ne devons pas faire de concessions sur la conception européenne de la protection des données personnelles. Le mandat doit aussi être renforcé sur la garantie de nos préférences collectives alimentaires, qui ne sont pas négociables : pas d’OGM, pas de bétail cloné, pas de bœuf aux hormones, pas de poulet lavé au chlore. L’objectif clairement affiché par le farm bureau est l’accroissement des flux commerciaux agricoles des États-Unis vers l’Europe. Cela nécessiterait la conclusion d’un accord « SPS plus » (normes sanitaires et phytosanitaires) qui serait très offensif de la part des Américains avec une demande de levée des restrictions européennes sur les viandes traitées aux hormones de croissance et sur les traitements antimicrobiens ou de réductions des agents pathogènes, l’absence d’étiquetage spécifique des produits contenant des OGM et la réduction des délais d’autorisation pour introduire du soja OGM sur le marché européen de l’alimentation humaine ou animale. De façon générale, les États-Unis sont opposés au principe européen de précaution, en arguant que seules peuvent être retenues les réglementations soutenues par des arguments scientifiques. Les exploitants agricoles américains ne sont pas enclins à changer leurs modes de production et pour atteindre le marché européen. L’objectif clairement affiché est de mettre en cause le principe de précaution ainsi que les indications géographiques. Un accord ne devra en aucun cas amener l’Europe à remettre en cause son modèle alimentaire et ces acquis en termes de protection des choix et des intérêts des citoyens et des consommateurs. Le respect des choix de société et la liberté pour chaque partie d’analyser et de gérer les risques devront être reconnus. Sur ce point, on peut s’inquiéter de la concession faite en avance par la Commission européenne d’autoriser la pratique américaine consistant à nettoyer les carcasses de viande à l’acide lactique.

S’agissant des marchés publics de défense et de sécurité, la Commission veut les inclure dans son mandat alors que cela n’a jamais été le cas dans une négociation commerciale. Il faut rappeler que l’Union européenne est tout juste au début d’une ouverture de ces marchés entre États membres en application d’une directive de 2009 qui prévoit cette ouverture afin de renforcer la base industrielle de l’Union dans ce domaine. L’ouverture aux pays tiers n’est pas prévue car elle irait à l’encontre de cet objectif de constituer une base industrielle et de préserver une capacité stratégique relevant d’enjeux de souveraineté. En tout état de cause, l’ouverture des marchés américains est purement illusoire comme le montre l’annulation en 2011 d’un contrat de 35 milliards de dollars portant sur des avions ravitailleurs, contrat qui avait été initialement remporté par EADS et qui est finalement revenu à Boeing. De plus, les marchés potentiels étant de taille très différente des deux côtés de l’Atlantique. Vu l’énormité des dépenses militaires américaines, il y a un différentiel de compétitivité entre les industriels dû aux économies d’échelle. Ouvrir les marchés publics de défense condamnerait inévitablement cette industrie européenne au déclin. Les chiffres parlent d’eux même. Alors que le budget américain de la défense porte sur 680 milliards de dollars, le budget européen consolidé n’est que de 220 milliards.

Quant au recours à l’arbitrage, il ne me paraît pas souhaitable pour plusieurs raisons. La première série de raisons tient à des motifs financiers. L’arbitrage est coûteux et en conséquence, seuls les grands groupes pourraient y recourir. Pour les États, cela entraînerait un coût pour les finances publiques dans la mesure où les arbitres ont toute latitude pour fixer le montant de l’indemnisation. Plus fondamentalement, le dispositif porte atteinte à la souveraineté des États. Si l’on examine les différents arbitrages faits dans le cadre de l’ALENA, on s’aperçoit que les États-Unis n’ont jamais perdu d’arbitrages.

Sur d’autres points, le projet de mandat est moins ouvertement contraire à nos intérêts, mais cependant insuffisant. Je propose donc, dans la résolution que je vous soumets, de demander des compléments ou des renforcements du projet de mandat. Il y a d’abord la nécessité que l’accord qui sera conclu soit équilibré sur les différents volets de négociation et comprenne en particulier des avancées importantes sur les obstacles réglementaires au commerce. Le principe de l’engagement unique et d’avancées parallèles sur l’ensemble des volets doit être affirmé. De même, le mandat doit comporter des engagements clairs en matière de réciprocité. Nous avons présenté avec Marie Louise Fort une proposition de résolution sur l’instrument de réciprocité sur les marchés publics. Les marchés publics européens sont potentiellement ouverts à hauteur de 85 % tandis que les marchés publics américains ne le sont que pour 32 %. Seuls 37 États fédérés américains sont partie à l’Accord multilatéral sur les marchés publics, avec, de plus, des restrictions. Cet accord doit être l’occasion de mettre en place cette réciprocité.

Il y a ensuite ainsi que je l’ai évoqué précédemment, le fait que l’accord devra engager toutes les administrations des deux parties, y compris les États fédérés américains et les autorités et agences indépendantes de ce pays. C’est une exigence centrale sur des questions telles que les marchés publics et les services financiers. S’agissant des marchés publics, le négociateur ne peut rien imposer aux États fédérés. Sur les marchés financiers, dont les États-Unis ne souhaitent sans doute pas qu’ils rentrent dans la négociation, l’Europe a clairement des intérêts offensifs. La convergence des normes comptables et prudentielles serait essentielle. Par exemple, il n’est pas fait application des normes de « Bâle III ». L’implication des autorités de régulation est donc essentielle.

Il nous faut également une position forte sur la protection et la reconnaissance des indications géographiques, qui sont essentielles pour nos consommateurs, nos agriculteurs et le maintien de nos terroirs. C’est, on le sait, un sujet de litiges ancien avec les États-Unis car nous avons deux conceptions juridiques opposées, le système américain reposant sur les marques. Toujours sur ces sujets agricoles et agroalimentaires, certaines filières ne peuvent pas être compétitives avec les États-Unis, compte tenu des disparités sur les modes de production, les normes ou le coût de l’énergie. Il faut pouvoir préserver une protection tarifaire pour ces filières et produits sensibles. Certaines filières dont l’élevage ou l’amidon sont très inquiètes.

Enfin, cet accord qui servira de référence dans les négociations commerciales futures se doit d’être très exigeant sur le respect de nos services publics et services d’intérêt général ainsi que des normes sociales et environnementales. Il faut rappeler que dans leurs différents accords de libre-échange, les États-Unis ont inclus des clauses environnementales et sociales, mais sans référence à des textes précis. Les États-Unis n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto sur la lutte contre le réchauffement climatique et n’ont ratifié que deux des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du Travail, celles relatives au travail forcé et aux formes les plus inacceptables du travail des enfants. Les ONG que nous avons rencontrées aux États-Unis nous ont dit leur souhait que l’Europe ne baisse pas la garde et n’abaisse pas son niveau d’exigence environnementale et sociale. Elles citent souvent le règlement européen sur l’utilisation des substances chimiques – REACH- comme un exemple de protection des citoyens qui pourrait être étendu.

Ce projet d’accord pourrait être aussi, dans la même optique, l’occasion d’introduire dans le cadre des négociations commerciales des problématiques nouvelles très importantes comme le dumping monétaire. L’article 15 du GATT interdit toute manipulation monétaire destinée à entraver le commerce international. Or l’Organisation mondiale du commerce décline sa compétence alors qu’un accord de coopération de 1996 la lie au Fonds monétaire international sur le sujet. Lors d’un déplacement aux États-Unis, j’ai rencontré des économistes du FMI qui m’ont indiqué que la preuve de la manipulation était très difficile à établir et qu’en tout état de cause, les décisions étaient prises par un Conseil d’administration où siègent des États susceptibles de mettre en œuvre telles pratiques.

La proposition de résolution que je vous présente reprend ces points, avant de conclure sur la nécessité d’un cadre de négociation qui permette le contrôle démocratique . Au-delà de la question du mandat, la Représentation nationale devra naturellement être associée au suivi de toute la négociation. En effet, la Commission européenne est compétente pour négocier au nom des États. Le Parlement européen qui a adopté une résolution non contraignante sera tenu informé au cours de la négociation et en fin de négociation, devra soit donner son accord, soit le rejeter tout comme les Parlements nationaux seront appelés à le ratifier. Il est donc important que dés le mandat, nous ayons une position forte d’autant que les positions des États membres peuvent diverger. Ainsi, le premier ministre britannique s’est déclaré favorable à ce que tout soit mis sur la table des négociations. Ce n’est absolument pas ma position.

Mme Marie Louise Fort. Dans le cadre des travaux de notre rapport sur le juste échange au plan international, je me suis récemment rendue avec ma collègue Seybah Dagoma aux États-Unis. Nous avons pu nous rendre compte, qu’Outre-Atlantique, l’Union européenne est perçue comme plus demandeuse de cet accord que les États-Unis. D’ailleurs, les parlementaires américains que nous avons rencontrés se sont montrés très évasifs sur cet accord. Ceci étant dit, entamer des négociations avec un des partenaires principaux de l’Union européenne peut être positif pour la relance d’une croissance en berne. De façon générale, une économie fonctionne mieux ouverte que fermée. Toutefois, l’Europe doit tirer des avantages substantiels d’un tel accord. Il est donc crucial que dès le mandat, soient affichées des lignes rouges comme l’exception culturelle. Les services audiovisuels ne doivent en aucun cas être inclus dans le champ de la négociation. Ils ne l’ont jamais été dans aucun autre accord commercial. Il serait dangereux de le faire avec un partenaire qui a dans ce domaine une force de frappe considérable et qui ne partage pas notre conception de la culture qui est plus vue, en matière cinématographique notamment, comme une industrie. L’Europe doit aussi faire preuve de fermeté dans la défense de ses intérêts, notamment pour protéger sa conception des indications géographiques et des préférences collectives comme le principe de précaution. J’ai été frappée par la résignation et la quasi acceptation des ONG américaines sur les OGM et le gaz de schiste ; elles comptent sur l’Europe pour faire évoluer les choses. Lors d’une table ronde organisée par le groupe de travail sur cet accord, les organisations agricoles nous ont dit leurs inquiétudes. La préservation des filières sensibles, comme l’élevage, devra être une priorité, au nom de la souveraineté alimentaire de l’Europe et de l’équilibre de nos territoires. Ensuite, des résultats ne seront ambitieux que si cet accord se traduit par une convergence réglementaire entre les deux parties. L’intérêt essentiel portera non sur la baisse de droits de douane, déjà faibles, mais sur la suppression des barrières non tarifaires qui pèsent sur la compétitivité des entreprises européens et sont donc autant d’obstacles au commerce. Un mot pour finir sur la nécessaire implication des États fédérés dans le processus de négociation, afin de garantir l’application effective d’un éventuel accord, notamment en matière de marchés publics. Je crains que la négociation ne se finalise pas avant plusieurs années. Nous devons aussi avoir conscience que nous ne réformerons pas les États-Unis comme nous l’ont rappelé nos interlocuteurs aux États-Unis. Je voterai la proposition de résolution européenne présentée par Seybah Dagoma.

La Présidente Danielle Auroi . Si nous ne souhaitons pas réformer les États-Unis , nous ne voulons pas que les États-Unis nous réforment !

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. En l’occurrence, la priorité des États-Unis est actuellement l’accord transpacifique. Cependant, ils ont aussi un intérêt à un accord avec l’Europe, car cela leur permettra, d’une part, de faire prévaloir certaines normes et, d’autre part, de réaliser des gains de croissance. Mais en tout état de cause, il est de l’intérêt de l’Europe de défendre ses intérêts offensifs comme défensifs, tout comme les États-Unis le feront.

M. Pierre Lequiller. Je salue cette proposition de résolution que nous aurions pu cosigner. Elle va également dans le sens de celle adoptée par le Parlement européen et vise des secteurs que la France a toujours veillé à protéger. L’Europe doit se montrer forte dans la défense de ses intérêts et agir pour plus de réciprocité. Cette exigence de réciprocité était demandée par le président Nicolas Sarkozy quand il proposait d’instituer un buy european act ». L’exclusion des services culturels et audiovisuels et la défense de l’exception culturelle a été une ligne constante de la France en matière commerciale. Un amendement en ce sens a d’ailleurs été déposé par le groupe PPE et les socialistes au Parlement européen. Une résolution a été adoptée par 381 voix pour l’exclusion du mandat des services audiovisuels, y compris en ligne, du mandat de négociation, et 191 voix contre. Nous ne pouvons que nous féliciter du travail accompli en commun entre le PPE et les socialistes. Nous sommes également contre l’inclusion dans le mandat de négociation des marchés publics de défense dans la mesure où il nous faut créer une défense européenne commune avec des capacités de défense. Enfin, nous sommes attachés à la défense des intérêts agricoles ; c’était d’ailleurs le sens des dispositions du rapport sur la politique agricole commune après 2013 présenté par Danielle Auroi et Hervé Gaymard.

M. Joaquim Pueyo. La proposition de résolution de la rapporteure rejoint la position du gouvernement français qui, par la voix du ministre de la défense, avait demandé que les marchés de défense soient exclus des négociations de l’accord de libre-échange, ceci afin de protéger les fournisseurs européens d’armement et de matériel militaire. Cependant, en séance plénière, le Parlement européen a rejeté un amendement demandant à ce que soient exclus du mandat de négociation ces marchés publics. De son côté, la Commission semble être réticente à l’idée de cette exclusion. Le commissaire au commerce extérieur Karel De Gucht s’est prononcé en faveur d’un mandat le plus large possible afin d’ avoir une marge de manœuvre plus grande dans la négociation. Il est donc important de savoir si la France est isolée sur ce sujet ou si d’autres États membres de l’Union Européenne seraient susceptibles de soutenir la position française, afin de protéger ce secteur si stratégique pour la France et l’Union européenne.

M. Jacques Myard. Je souhaite bonne chance aux chercheurs d’aventure mais cette affaire me semble être la quadrature du cercle, dont il ne sortira, à mon avis, pas grand-chose. En effet, comme le soulignait la rapporteure, les États-Unis ne sont pas demandeurs pour la simple raison que les exportations ne contribuent qu’à 10 % de leur PIB alors que cette part est de l’ordre de 23 ou 24 % dans l’Union européenne, selon les États. L’Europe est donc beaucoup plus dépendante du commerce mondial que ne le sont les États-Unis.

Sur la question des marchés de défense, ce serait suicidaire de les inclure dans la négociation. La directive qui ouvre ce marché à la concurrence européenne était déjà une erreur stratégique. J’avais eu l’occasion de dire mon opposition. Mais le problème est toujours le même, une présidence semestrielle a tendance à vouloir toujours se montrer plus européenne que la précédente. Sur ce point, il faut que la France oppose son veto !

D’autres points peuvent être évoqués, qui ne sont pas des points de détail, ainsi l’arbitrage. Cette procédure était à la mode dans les années 70 et 80. Ainsi, la Chine a adhéré à la convention de Washington créant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends), à la suite d’une négociation très difficile. Vingt ans après, les Chinois n’ont jamais appliqué cette convention alors que certaines entreprises françaises avaient demandé qu’il soit fait recours à l’arbitrage. Cela montre les limites de l’arbitrage. Par ailleurs, ces procédures sont effectivement très coûteuses. Enfin, elles prennent, contrairement à ce que l’on pense, beaucoup de temps, car il est nécessaire d’avoir une procédure d’exéquatur.

La question de l’engagement des États fédérés est aussi fondamentale. Les États-Unis ne seront pas engagés dans un traité commercial si la majorité des deux tiers du Congrès ne le ratifie pas. Tout le reste est littérature !

Je voudrais souligner un point qui n’a pas été mentionné dans le rapport. La FED, la banque fédérale américaine, a récemment publié une instruction interdisant aux banques européennes de lever des fonds en dollars aux États-Unis pour pouvoir prêter. Il s’agit d’un protectionniste complet : un considérant pourrait être ajouté dans la proposition de résolution européenne.

J’ajouterai qu’il ne faut en aucun cas que le mandat soit large et que le minimum de flexibilité doit être donné à la Commission européenne.

Je félicite la rapporteure pour cet excellent rapport.

La Présidente Danielle Auroi : Il y a effectivement unanimité sur le fait que le mandat doit être strictement encadré.

Mme Estelle Grelier. Je félicite à mon tour la rapporteure pour son travail. Cette proposition de résolution est une bonne résolution au sens où elle a recherché l’équilibre. Elle pose en effet des garde-fous qui vont au-delà de ce que le Gouvernement français avait indiqué comme lignes rouges sur l’exception culturelle, les préférences collectives et les marchés de défense. C’est aussi un point d’équilibre entre ceux qui craignent que cet accord soit un « OTAN économique » entre 77 États et entre ceux qui considèrent que cet accord sera la solution pour relancer la croissance européenne. Le choix qui a été fait de poser des limites est un bon choix, de même qu’il était nécessaire de rappeler que conformément au principe de l’engagement unique, il faudra considérer que « rien n’est conclu tant que tout n’est pas conclu » et qu’il faudra avancer en parallèle sur les points tarifaires et non tarifaires.

Il est aujourd’hui question qu’à la demande les États-Unis, les services financiers fassent l’objet d’une exclusion du mandat de négociation. Or la crise dont on fait aujourd’hui les frais a débuté par une crise financière faisant suite à une crise de l’immobilier qui s’est propagée en Europe par le biais des produits dérivés. Dans ce contexte, l’Union européenne, pour sécuriser son marché, a décidé d’avoir recours à des normes prudentielles, ce qui n’est pas le cas des États-Unis. Aussi, Karine Berger ,Valérie Rabault, la rapporteure et moi-même souhaitons déposer un amendement afin que soit fait référence aux normes de Bâle III.

M. Michel Piron. Je remercie la rapporteure pour la qualité de son éclairage. Je m’interroge sur la façon dont pourrait être traitée la question de l’asymétrie des interlocuteurs, d’une part, les États fédérés et, d’autre part, l’Union européenne considérée comme un ensemble juridique unique. Cette asymétrie institutionnelle débouche sur une asymétrie juridique. L’exemple européen montre combien il est difficile d’harmoniser la position de différents États. On l’a vu lors des discussions sur la mutualisation bancaire. Est-il raisonnable d’engager une négociation alors que l’on sait que l’Union européenne, représentant l’ensemble de ses États membres, sera seule à négocier face à l’État Fédéral américain et aux États fédérés. Comment traiter ce problème en amont ?

M. Arnaud Leroy. Dans cette négociation, il faudra ne pas négliger l’impact que peuvent avoir les questions de changement climatique et d’environnement en termes de compétitivité entre les économies. Ces thématiques valent évidemment pour cette négociation là, mais aussi pour celles à venir.

Mme Chantal Guittet. Je souhaiterais que soit ajoutée, après l’article 8 portant sur la protection des droits de propriété intellectuelle, une disposition rappelant que les États-Unis et l’Union européenne ont signé la déclaration ministérielle de Doha, et que si l’accord de libre-échange doit viser à une protection accrue des brevets, ceci ne doit pas se faire aux dépens de la possibilité pour les pays pauvres de bénéficier de médicaments génériques dans des conditions raisonnables.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. Sur la question des marchés de défense, l’amendement prévoyant leur exclusion du mandat de négociation n’a pas été retenu au Parlement européen. Pour l’heure, nul ne connaît la position américaine sur la question. Les Britanniques sont sur la ligne de les exclure. Mais il faudra sans doute attendre le 14 juin pour avoir les positions précises des États. Il faut rappeler qu’en matière de politique commerciale, le Conseil européen vote en principe à la majorité qualifiée. Cependant, dés lors que certains sujets sont abordés comme la propriété intellectuelle, l’unanimité est requise. Quoiqu’il en soit, il ne parait pas concevable que les négociations débutent sans le feu vert de la France.

Concernant les mesures imposées par la FED aux banques étrangère, d’autres existent comme celle de l’exigence de collatéraux pour les entreprises européennes dans le domaine des réassurances. Il s’agit effectivement de mesures protectionnistes et il faut négocier une réelle convergence réglementaire sur ces points.

S’agissant du rôle des États fédérés, la proposition de résolution insiste sur la nécessité que l’administration américaine fasse adopter la procédure dite de « fast track ». La compétence commerciale appartient en effet au congrès. Par cette procédure, celui-ci ne pourrait qu’adopter ou rejeter aux trois cinquième un accord négocié par l’administration sans avoir la possibilité de l’amender.

J’ai soulevé la question de l’implication des agences de régulation et des agences indépendantes lors de mon déplacement à Washington. Or personne n’a été en mesure de me dire comment il pouvait être assuré que ces organismes soient effectivement parties prenantes dans l’application de l’accord. En tant que parlementaire, ma position est claire : si on n’est pas assuré que les engagements seront effectivement respectés par les organismes de régulation, il ne faudra pas signer l’accord.

A la question d’Arnaud Leroy sur les enjeux climatiques, la proposition de résolution indique la nécessité impérieuse de rester vigilant sur les clauses sociales et environnementales à toutes les étapes de la négociation.

L’amendement no 1 de la rapporteure a pour objet d’ajouter un visa indiquant que la proposition de résolution européenne relative au respect de l’exception culturelle a d’abord été présentée en commission des affaires européennes. (il est adopté)

L’amendement no 2 de la rapporteure a pour objet de rappeler que le mandat doit inclure des mesures afin de garantir que le partenariat de commerce et d’investissement entre l’Union Européenne et les États-Unis n’entraîne pas un déséquilibre accru et une plus grande instabilité des marchés agricoles mondiaux avec pour conséquence une aggravation des famines et de la malnutrition dans les pays en développement. (il est adopté)

L’amendement no 3 de la rapporteure est un amendement de conséquence de l’amendement précédent, afin d’introduire un considérant. (il est adopté)

S’agissant de l’amendement no 4 de Mme Chantal Guittet, rappelant la supériorité des enjeux sanitaires, il a été jugé préférable de l’introduire comme un considérant et non en tant que visa, compte tenue de la portée plus large que cela pourrait donner à l’argument. (il est adopté)

L’amendement no 5 de la rapporteure vise à compléter les dispositions relatives aux enjeux liés à l’absence d’approche commune des réglementations s’appliquant aux modèles et pratiques bancaires et assurantielles. (il est adopté)

L’amendement no 6 de la rapporteure est un amendement de conséquence de l’amendement précédent. (il est adopté)

L’amendement no 7 de Mmes Estelle Grelier, Karine Berger et Valérie Rabault et de la rapporteure, vise à ce que le mandat prévoie que soit poursuivi un objectif de convergence réglementaire dans la mise en œuvre des normes dites de Bâle III. (il est adopté)

L’amendement no 8 de la raporteure vise à la suppression des dispositions relatives à la convergence dans la lutte contre les paradis fiscaux dans la mesure où le sujet est aujourd’hui discuté dans d’autres instances. (il est adopté)

L’amendement no 9 de la rapporteure tend à ce que la négociation intègre le champ des manipulations de taux de change monétaire. (il est adopté)

L’amendement no 10 de la rapporteure vise à ce que l’ensemble des autorités de régulation et agences indépendantes américaines soient impliquées dans le processus de négociation. (il est adopté)

La proposition de résolution est adoptée ainsi amendée.

« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale

Vu la loi constitutionnelle no 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement,

Vu les articles 8, 22, 31, 35, 36, 37 et 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu l’article 3 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 16, 31, 32, 39, 146, 147, 151, 167, 168, 169, 173, 179, 191 et 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et son protocole no 26,

Vu les conventions reconnues comme fondamentales en application de la déclaration de l’Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1998,

Vu la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 et le Protocole de Kyoto du 11 décembre 1997,

Vu la convention sur la diversité biologique du 5 juin 1992,

Vu la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification du 17 juin 1994,

Vu la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO, en date du 20 octobre 2005,

Vu l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947, ainsi que l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce du 15 avril 1994 et ses annexes, notamment l’accord sur l’agriculture, l’accord général sur le commerce des services et l’accord sur les marchés publics,

Vu la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité [2009/81/CE],

Vu l’accord du Conseil européen sur la réforme de la politique agricole commune du 19 mars 2013,

Vu la déclaration conjointe du 13 février 2013 de Barack Obama, Président des États-Unis, José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen,

Vu le rapport final du groupe à haut niveau du 11 février 2013,

Vu la recommandation, adoptée par la Commission européenne le 12 mars 2013, de décision du Conseil autorisant l’ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l’investissement, appelé « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement », entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique [COM (2013) 136 final],

Vu le projet de résolution du Parlement européen sur les négociations en matière de commerce et d’investissement entre l’Union Européenne et les États-Unis d’Amérique, adopté par sa commission « Commerce international » le 25 avril 2013,

Vu la proposition de résolution européenne no 875 relative au respect de l’exception culturelle de Mme Danielle Auroi et M. Patrick Bloche adoptée par la commission des affaires européennes le 16 avril 2013 et par la commission des affaires culturelles et de l’éducation le 17 avril 2013,

Considérant que le développement et le renforcement du système multilatéral, au sein de l’Organisation mondiale du commerce, poursuivant l’ambition de juste échange et intégrant le niveau le plus élevé de protection sociale, sanitaire, environnementale et des consommateurs reste l’objectif essentiel ;

Considérant que le processus multilatéral n’exclut pas la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux plus approfondis que les engagements de l’Organisation mondiale du commerce et complémentaires des règles multilatérales ;

Considérant qu'à l'issue du sommet entre l’Union européenne et les États-Unis du 28 novembre 2011, le groupe de travail de haut niveau a été chargé de trouver des solutions propres à intensifier le commerce et l'investissement afin de favoriser, au bénéfice des deux parties, la création d'emplois, la croissance économique et la compétitivité ;

Considérant que le groupe de travail de haut niveau a examiné un large éventail de solutions susceptibles de développer le commerce et l'investissement transatlantiques, et qu'il a conclu, dans son rapport final, qu'un accord global en matière de commerce et d'investissement serait la solution qui profiterait le plus aux deux économies ;

Considérant que l'Union européenne et les États-Unis représentent, au niveau mondial, près de la moitié du produit intérieur brut et 40 % des échanges commerciaux ;

Considérant que les marchés de l'Union européenne et des États-Unis sont fortement intégrés, que des biens et des services d'une valeur globale de deux milliards d'euros en moyenne font quotidiennement l'objet d'échanges bilatéraux et génèrent des millions d'emplois dans les deux économies ;

Considérant que les États-Unis sont le premier partenaire commercial de la France, en incluant les chaînes de valeur ajoutée et le premier investisseur étranger en France, générant plus de 450 000 emplois ;

Considérant que l’établissement, grâce à un tel accord global, d’un espace de libre-échange transatlantique serait susceptible de favoriser la croissance et l’emploi en Europe, ainsi que l’avance le rapport d'analyse d'incidence élaboré pour la Commission européenne, qu’en effet, un partenariat transatlantique ambitieux et de grande ampleur en matière de commerce et d'investissements pourrait entraîner, à terme, une hausse non négligeable du Produit Intérieur Brut. Cet accord devrait permettre également d’accroître de 28 % les exportations de l'Union européenne vers les États-Unis et de 6 % le total des exportations de l'Union ;

Rappelant que font partie des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : la protection des données à caractère personnel, la diversité culturelle, l’équité des conditions de travail, la protection de la santé, de l’environnement et des consommateurs, ainsi que l’accès à des services d’intérêt économique général ; qu’en application de l’article 3 du traité sur l’Union européenne figurent parmi les objectifs de celle-ci : le plein emploi, le progrès social, l’amélioration de la qualité de l’environnement, ainsi que le respect de la diversité culturelle ; que ces droits ou objectifs fondamentaux sont l’objet de politiques de l’Union en application du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Considérant dès lors qu’aucune négociation commerciale ayant un impact sur les réglementations communautaires ne doit porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens et aux progrès des politiques de l’Union dans les domaines précités ;

Rappelant en outre les engagements internationaux pris par les États européens dans les domaines des droits des travailleurs et de la protection de l’environnement, en particulier par la ratification de l’ensemble des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail et la signature du Protocole de Kyoto sur les changements climatiques ;

Considérant la volatilité des prix et l’instabilité des marchés agricoles pèsent sur les équilibres alimentaires mondiaux, notamment ceux des pays du Sud dont les productions vivrières ont fait les frais de la libéralisation des échanges depuis l’entrée de l’agriculture dans le champ des négociations commerciales décidée par l’accord de Marrakech en 1994 ;

Considérant que les États membres de l’Union européenne sont attachés à la diversité culturelle et aux normes environnementales et sanitaires ;

Considérant en particulier, au regard de l’objectif de diversité culturelle, tel que défini dans la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005, non ratifiée par les États-Unis, que les biens et services culturels ne sauraient être assimilés à des marchandises comme les autres et intégrés à une négociation commerciale globale ;

Considérant en particulier l’attachement des consommateurs européens aux préférences collectives définies notamment par la réglementation européenne, y compris lorsque la réglementation en la matière résulte de l’application du principe de précaution, reconnu par notre Constitution ;

Considérant en particulier l’attachement des consommateurs européens aux garanties de qualité et d’authenticité qui résultent des indications géographiques ;

Considérant en particulier l’attachement des citoyens européens à l’existence de services publics de qualité ;

Considérant la nécessité que le mandat de négociation fasse expressément référence à la déclaration de Doha du 14 novembre 2001 sur les aspects de droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), et notamment ses articles 4 et 5 qui affirment la prééminence des enjeux sanitaires sur les enjeux commerciaux et rappelle que les États membres ont toute latitude pour utiliser les licences obligatoires, les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce devant être favorables à la santé publique, en promouvant à la fois l’accès aux médicaments existants et la recherche-développement concernant de nouveaux médicaments ;

Estimant que l’exigence de réciprocité des avantages concédés doit être à la base de toute négociation commerciale entre des entités dont le niveau de développement est comparable ;

Considérant toutefois que l’ouverture des marchés publics aux entreprises des pays tiers est beaucoup plus large dans l’Union européenne qu’aux États-Unis ;

Considérant la situation particulière du secteur de la défense, qui est caractérisée, d’une part par un très grand déséquilibre entre les budgets d’équipement militaire sur les deux rives de l’océan Atlantique, d’autre part par un degré d’intégration encore faible dans l’Union européenne ;

Considérant le déséquilibre existant dans les relations transatlantiques par le fait que s’agissant des recommandations liées à la régulation des marchés financiers prises notamment lors du G20 de Londres en avril 2009, les États-Unis, n’appliquent pas encore les recommandations du Comité de Bâle ni les normes comptables IFRS (International financial reporting standards), maintiennent des réglementations discriminatoires vis-à-vis de certains acteurs financiers étrangers et adoptent, sans consultation avec leur partenaires, des législations ayant des effets extraterritoriaux considérables ;

Considérant que le Partenariat de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis constitue au sens du droit européen un « accord mixte » nécessitant une ratification de l’ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles propres ; et que par suite le Parlement français, en fonction du résultat des négociations, sera amené à se prononcer par son vote sur la ratification de cet accord ;

Considérant la procédure intitulée « trade promotion authority » ou « fast track » permettant au Congrès américain de donner au Président des États-Unis l’autorité de négocier des accords internationaux qui ne peuvent alors qu’être approuvés ou refusés mais en aucun cas amendés par le législateur.

1. Demande que le mandat de négociation donné à la Commission européenne concernant le « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » prévoie clairement que les avancées de la négociation devront être parallèles dans ses différents volets : accès aux marchés, barrières non tarifaires et règles communes pour répondre aux défis du commerce mondial ;

2. Demande que le mandat de négociation indique clairement le principe de « l’engagement unique » entre ces trois volets, assurant ainsi qu’aucun accord ne sera conclu tant que des résultats substantiels n’auront pas été obtenus dans chacun de ces volets ;

3. Demande que, compte-tenu du niveau peu élevé des tarifs douaniers, les négociateurs européens s'attachent en particulier à la forte réduction des obstacles non-tarifaires au commerce des biens et des services, impliquant la convergence ou la reconnaissance mutuelle de nombreuses réglementations, dans le respect du système législatif et des valeurs communautaires ;

4. Demande que ce mandat comprenne des exigences claires de réciprocité des engagements pris par les parties, afin de parvenir en particulier à une ouverture réellement équilibrée et réciproque des marchés publics européens et américains figurant dans le mandat de négociation ;

5. Demande que les négociateurs européens portent l’ambition, au cours des négociations d’un accord de libre-échange stimulant la croissance, favorisant la création d’emplois de qualité pour les travailleurs européens, bénéfique aux consommateurs de l’Union européenne et offrant aux entreprises européennes de nouvelles possibilités de vendre des biens et des services aux États-Unis ; à cet effet, soutient l’inscription d’un chapitre dédié à la mise en œuvre effective de normes sociales et environnementales de haut niveau, des deux côtés de l'Atlantique ;

6. Exige que l’accord ne comporte aucun risque de remise en cause de la diversité culturelle et linguistique européenne : à cette fin, demande notamment que les services audiovisuels soient exclus du mandat de négociation précité et que le principe de neutralité technologique – qui donne la primauté aux contenus culturels sur les supports – y soit rappelé, de sorte que l’inclusion des technologies de l’information et de la communication dans la négociation ne permette pas un contournement des politiques de diversité culturelle et linguistique de l’Union européenne ; demande à ce que l’exclusion de ces services figure expressément dans le mandat de négociation ;

7. Demande que, dans le mandat de négociation, l'objectif de réduction des barrières non-tarifaires ne remette pas en cause les préférences collectives des Européens, notamment en matière d'éthique, de travail, de santé et de sécurité environnementale et alimentaire, afin de protéger les citoyens, les consommateurs et les travailleurs de l'Union européenne et de garantir, en particulier, la qualité des produits qui leur sont proposés, conformément aux dispositions du droit communautaire relatives aux organismes génétiquement modifiés, à l’utilisation des hormones de croissance, au clonage ou à la décontamination chimique des viandes ;

8. Demande que l'accord englobe une protection solide des droits de propriété intellectuelle (DPI) et industrielle, y compris la protection des indications géographiques et, en particulier, que la reconnaissance et la protection effective, par les États-Unis, des indications géographiques figure au rang des priorités des négociateurs européens ;

9. Demande, que soit expressément indiquée dans le mandat de négociation la recherche du plus haut niveau de garantie quant à la protection des données personnelles, qui constitue un des objectifs de l'Union européenne affirmé dans l’article 16 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

10. Demande que, dans ce mandat, la plus grande vigilance soit exigée des négociateurs européens quant à la protection de la qualité des services publics de l'Union européenne, qui doit être préservée, conformément aux traités constitutifs de l’Union européenne et en particulier au protocole no 26 sur les services d'intérêt général ; et que les engagements actuels de l'UE dans ce domaine, notamment contractés via l'accord général sur le commerce des services (AGCS), annexé à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, restent la référence ;

11. Demande que ce mandat de négociation fasse référence à la multifonctionnalité de l’agriculture, prévue dans le préambule et à l’article 20 de l’accord sur l’agriculture de Marrakech du 15 avril 1994, annexé à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, qui mentionne explicitement les considérations non commerciales, et prévoie ainsi, dans le domaine agricole, la prise en compte dans le volet tarifaire des surcoûts liés aux mesures prises dans l’Union européenne pour protéger la santé des consommateurs et des travailleurs, préserver l’environnement, assurer l’information des consommateurs grâce à la traçabilité et aux indications géographiques et favoriser le bien-être animal, ainsi que la possibilité de protéger des lignes tarifaires spécifiques pour les produits sensibles et d’instituer des clauses de sauvegarde dans les filières les plus fragiles et importantes pour l’aménagement du territoire ;

12. Demande à ce que le mandat de négociation comprenne la mise en place de mesures garantissant que le partenariat de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis n’entraîne en aucun cas un déséquilibre accru et une plus grande instabilité des marchés agricoles mondiaux, avec pour conséquence une aggravation des famines et de la malnutrition ;

13. Demande que les marchés des secteurs de la défense et de la sécurité, tels que définis par la directive 2009/81/CE, soient exclus de ce mandat de négociation, afin de permettre, en priorité, le renforcement d’une base technologique et industrielle de défense au niveau européen et l’établissement progressif d’un véritable marché européen en la matière ;

14. Demande que la négociation porte également sur les traitements discriminatoires concernant certains acteurs financiers étrangers et les enjeux liés à l’absence d’approche commune des réglementations s’appliquant aux modèles et pratiques bancaires et assurantiels, aux produits dérivés, aux fonds de gestion alternative, aux agences de notations de crédit et aux cabinets d’audit ainsi qu’au poids relatif de ces secteurs ;

15. Demande que le mandat de négociation prévoie que l’objectif d’une meilleure convergence réglementaire ne doit pas conduire à un affaiblissement de la réglementation des acteurs et des produits financiers en vigueur en Europe et aux Etats-Unis ;

16. Exige que le mandat de négociation prévoie que l’objectif d’une meilleure convergence réglementaire conduise à la mise en œuvre des normes dites « Bâle III » aux États-Unis, dans les mêmes conditions d’application qu’en Europe ;

17. Demande à ce que soit exclu du mandat le recours à un mécanisme spécifique de règlement des différends entre les investisseurs et les États pour préserver le droit souverain des États ;

18. Demande que les négociateurs européens plaident particulièrement pour inclure dans l’accord, des mesures visant à faciliter les échanges commerciaux des petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire ;

19. Demande que le mandat de négociation comprenne l’élaboration de dispositions permettant de combattre les manipulations déloyales de taux de change, notamment une définition commune des mesures de change et mesures commerciales interdites en application du 4 de l’article XV de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947, ainsi que des modes de preuve de ces mesures interdites ;

20. Exige que les négociations, si elles devaient aboutir, prévoient que l’accord conclu passé avec l’État fédéral s’impose aux entités fédérées de cet État et à l’ensemble des administrations, y compris les autorités indépendantes de régulation et de réglementation, comme il s’appliquera à l’ensemble des États membres de l’Union européenne ;

21. Demande que la qualité prévale sur les délais et que les négociateurs ne concluent pas un accord qui n’apportera pas d’avantages substantiels à nos citoyens, à nos consommateurs, à nos travailleurs et à nos entreprises ;

22. Demande à ce que la Représentation nationale qui, en fonction du résultat des négociations, sera amenée à se prononcer par son vote sur la ratification de cet accord, soit dûment associée au suivi des négociations à travers une information régulière du Gouvernement des questions examinées dans le cadre du comité de politique commerciale (CPC) du Conseil de l’Union européenne ;

23. Appelle, sur l’ensemble de ces sujets, à une étroite coopération avec le Parlement européen et souhaite que les parlements nationaux de l’Union européenne puissent être associés, à travers leurs délégations respectives, au « dialogue transatlantique des législateurs » ;

24. Souhaite dans un esprit de confiance mutuelle que puisse être conférée au Président des États-Unis l’autorité de négocier avec l’Union européenne sous le régime du « fast track ».

II. Examen de la proposition de résolution européenne de M. Bruno Le Roux et Mme Catherine Quéré, et plusieurs autres membres du groupe SRC, sur la réforme des droits de plantation de vigne (no 906). 

Mme Catherine Quéré, rapporteur. Produit hautement symbolique en termes de qualité et d’image de la culture européenne, le vin tient une place particulière dans l’Union européenne. Économiquement, les exportations vinicoles de Champagne, de Bordeaux ou de Cognac sont cruciales et constituent le deuxième poste d’exportations. Les exportations de cognac équivalent à 44 Airbus. La qualité des vins européens doit faire l’objet d’une attention particulière, dans un secteur de plus en plus concurrentiel, notamment avec les vins du Nouveau monde. Cette qualité pourra être maintenue à travers la reconnaissance du système d’indication géographique dans les négociations commerciales de l’Union européenne. Ce sera un des enjeux majeurs des négociations sur le projet d’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne.

Mais la qualité des vins passe avant tout par le maintien d’un dispositif cohérent de régulation de l’offre. Depuis l’adoption de la réforme vitivinicole de 2008, planait la menace de la disparition, en 2015, des droits de plantation, système en place depuis 1976 qui avait fait la preuve de son entière efficacité. Les pays producteurs, appuyés par l’ensemble de la profession, ont dès 2008, engagé un combat contre la banalisation de la production viticole. Le Parlement européen, qui avait d’ailleurs marqué en 2008 son opposition à la disparition des droits de plantation, a appuyé la démarche des États membres. Lors de l’examen de la proposition de règlement portant organisation commune des marchés (OCM) des produits agricoles en 2009, la Commission de l’agriculture et du développement rural avait demandé que soit rétabli l’encadrement des droits de plantation jusqu’à la campagne de commercialisation 2029-2030. Sous la précédente législature, la proposition de résolution européenne que nous avions déposée avec Philippe Armand Martin avait été adoptée à l’unanimité.

La mise en place en janvier 2012 d’un groupe de haut niveau sur le vin composé d’experts, de membres du Parlement européen et de représentants d’organisations professionnelles, a constitué une première étape. Ses premières propositions furent décevantes. N’était ainsi envisagé qu’un encadrement partiel des plantations pour les seuls vins sous signe de qualité, ce qui ne résolvait en rien les problèmes dans la mesure où auraient pu être produits, dans les mêmes zones, des vins sans signe de qualité et des vins sous appellation. Après trois ans de bataille, la Commission européenne a renoncé à supprimer les droits de plantation. Pour autant, les conclusions du groupe de haut niveau présentées le 14 décembre 2012, en large partie reprises par la Présidence irlandaise dans le cadre des discussions de la réforme sur la politique agricole commune après 2013, doivent être améliorées sur des points essentiels, sur lesquels porte la présente proposition de résolution. Tout d’abord, cette proposition se félicite des orientations en faveur du maintien d’un encadrement communautaire des plantations de vignes, sous la forme d’un régime d’autorisation des plantations nouvelles, applicable à l’ensemble des plantations de vigne et pour l’ensemble des catégories de vin. Elle rappelle que le nouveau régime doit constituer en conséquence un instrument de régulation ayant comme principal objectif l’équilibre de l’offre et de la demande sur les marchés vitivinicoles. La question de la durée du dispositif est fondamentale. En effet, il ne peut être pérenne car il pourrait être considéré qu’il y a atteinte au droit de propriété. La proposition de résolution va de ce point de vue dans le même sens que celle adoptée par le Parlement européen, c'est-à-dire qu’il s’applique jusqu’à au moins 2030. Un bilan à mi-parcours sera réalisé. Par ailleurs, la proposition de résolution plaide pour une entrée en application du nouveau dispositif le 1er janvier 2019, afin de permettre notamment aux titulaires de droits de plantations de pouvoir les exercer d’ici là. S’agissant du taux d’augmentation des surfaces, il ne doit pas y avoir d’automaticité et il faut tenir compte de critères économiques objectifs, en particulier des exigences prioritaires d’équilibre des marchés. Ce taux d’augmentation des surfaces de plantation à l’échelle européenne doit en conséquence être fixé à un niveau qui préserve la viabilité économique de toute la filière viticole. S’agissant du taux annuel final appliqué par chaque État, il est essentiel qu’il tienne compte de l’état du marché viticole régional, national et européen. Enfin, la gestion des autorisations doit être conduite, en concertation, avec les organisations professionnelles viticoles.

M. Philippe Armand Martin. Je veux d’abord me féliciter que la rapporteure nous propose une position très proche de celle retenue par le Parlement européen, auprès duquel je me suis rendu récemment pour débattre de cette question importante. En premier lieu, en effet, il est vrai que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ne nous permet pas d’exiger un encadrement pérenne, c’est-à-dire des droits à plantation figés à jamais qui remettraient en cause le droit de propriété. La proposition de résolution va donc aussi loin qu’il me semble juridiquement possible, en retenant l’horizon 2030. De même, en deuxième lieu, la date du 1er janvier 2019 pour la transition des droits à des autorisations me paraît pertinente, et rejoint les préoccupations exprimées par le Parlement de Strasbourg, afin de laisser le temps de gérer les droits qui ne sont pas encore utilisés. En dernier lieu, je pense que la position proposée sur l’évolution globale, entre les bornes de 0,5 et 2 % décrite dans la communication, est équilibrée, en laissant aux États membres, et surtout aux organisations professionnelles et aux régions qui le souhaitent, en fonction des spécificités locales, la possibilité d’aller en deçà d’une croissance de 1 %.

M. Gilles Savary. Je félicite la rapporteure pour la qualité de ses travaux, qui, sur ces sujets, appellent une forte vigilance de notre part. J’exprime toutefois deux regrets accessoires. D’abord, on pourrait utilement déplorer que l’Union européenne ne se soit jamais donné les moyens de contrôler l’application effective des droits de plantation, dont le respect est plus que contestable dans certains pays. Ensuite, il serait opportun de mentionner que l’on doit tenir compte non seulement des critères économiques, mais aussi des critères pédologiques. Aucun d’entre nous n’a par exemple envie que l’on se mette à faire du Bordeaux en Martinique !

Mme Cathérine Quéré, rapporteure. Je confirme en effet que le concept de pérennité des autorisations est incompatible avec la conception que la Cour de justice de l’Union européenne se fait du droit de propriété, puisque les droits de plantation, qui s’achètent par exemple devant notaire, sont aussi des titres de propriété. En revanche, je suis plus sceptique sur l’opportunité de dénoncer l’application défaillante du régime européen des droits dans certains pays, confrontés par ailleurs à une crise qui justifie qu’on ne les pointe pas du doigt en ces temps très durs. Notre volonté est de soutenir, par notre résolution, la position défendue par la France à Bruxelles. Veillons en conséquence à ne pas affaiblir notre capacité à fédérer une forte majorité autour de nous, en évitant de heurter tel ou tel de nos partenaires. Enfin, je partage tout à fait le souci de nous appuyer sur la notion fondamentale de terroir, d’autant plus décisive que la vigne, dont les racines sont celles qui s’intègrent le plus profondément dans les sols, est inextricablement liée aux terres qui l’ont portée depuis des siècles. Cela explique d’ailleurs mon hostilité personnelle aux vins de cépage, qui copient les vins du Nouveau monde et nient cette dimension historique des terroirs.

La Présidente Danielle Auroi. Je propose un amendement faisant référence explicitement aux terroirs.

Mme Brigitte Allain. Je veux renouveler l’expression des inquiétudes que j’avais soulignées au sein du groupe d’étude sur la viticulture, en particulier sur la question de la gouvernance.

Mme Cathérine Quéré, rapporteure. En suggérant de confier cette gestion de manière générale à « toute la filière viticole », la proposition de résolution vise précisément à laisser à chaque État, puis chaque région, la possibilité de s’organiser au mieux en ajustant l’évolution de ses autorisations au regard notamment de son expérience, de ses intérêts et de l’évolution des marchés. Dans ma région, par exemple, nous avons été victime d’une sur-plantation qui a longtemps pesé sur les prix du Cognac, entretenant une légitime méfiance à l’égard d’une autonomie trop large laissée aux organisations professionnelles. Mais comme chaque cas est particulier, il me semble plus judicieux de laisser une marge d’adaptation locale.

M. Philippe Armand Martin. Cette autonomie doit être rapprochée du souci de garantir une application un peu plus rigoureuse des droits de plantation, aucun pays n’étant d’ailleurs à l’abri de la critique en ce domaine.

M. Gilles Savary. Ces préoccupations convergent avec mon souci que notre résolution mentionne explicitement la nécessité de critère pédologique objectif, évitant que l’on plante n’importe quoi n’importe où, et donc que l’on laisse aux régions la surveillance de l’évolution de leurs appellations historiques.

Mme Cathérine Quéré, rapporteure. Je vous propose d’ajouter cette modification ainsi qu’une référence au terroir. Par ailleurs, nos calendriers sont très contraints dans la perspective du trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 7 juin prochain. C’est pourquoi nous transmettrons immédiatement notre proposition de résolution au ministre, la Commission des affaires économiques disposant bien sûr du délai réglementaire de quatre semaines pour s’exprimer, avant que la résolution ne devienne définitive dans les quinze jours suivants si aucune demande d’inscription à l’ordre du jour n’est formée.

La proposition de résolution est adoptée ainsi modifiée.

« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les conclusions du Conseil de l’Union Européenne des 18 et 19 mars 2013,

Souligne que le vin est d’abord l’expression d’un terroir ;

Se félicite des orientations en faveur du maintien d’un encadrement communautaire des plantations de vignes, sous la forme d’un régime d’autorisation des plantations nouvelles, applicable à l’ensemble des plantations de vigne et pour l’ensemble des catégories de vin ;

Estime que le nouveau régime d’encadrement des plantations de vignes doit constituer un instrument de régulation ayant comme principal objectif l’équilibre de l’offre et de la demande sur les marchés vitivinicoles ;

Souhaite que la durée de ce nouveau dispositif ne soit pas limitée à 6 ans, et demande à la Commission européenne, dans le cadre du bilan à mi-parcours, que ce dispositif soit envisagé de manière durable et au moins jusqu’en 2030 ;

Plaide pour une entrée en application du nouveau dispositif au 1er janvier 2019 pour permettre notamment aux titulaires de droits de plantations de pouvoir les exercer d’ici là ;

Insiste pour que l’équilibre du marché demeure une des priorités du nouveau régime d’encadrement des plantations, l’augmentation des surfaces ne doit pas être automatique et doit tenir compte de critères économiques objectifs ;

Demande que le taux d’augmentation des surfaces de plantation à l’échelle européenne soit fixé à un niveau qui préserve la viabilité économique de toute la filière viticole ;

Estime que le taux annuel final appliqué par chaque État membre doit tenir compte de l’état du marché viticole régional, national et européen ;

Souhaite que la gestion des autorisations soit conduite, en concertation, avec les organisations professionnelles viticoles. »

III. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary, Mme Chantal Guittet et M. Michel Piron sur la directive relative au détachement des travailleurs.

Mme Chantal Guittet, co-rapporteure. Nous avons mené ce travail sur la proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs travail avec notre collègue Michel Piron, qui malheureusement ne peut être parmi nous aujourd’hui.

Qu’avons-nous constaté ? De l’avis unanime, la directive sur le détachement des travailleurs pose un réel problème. Certes, l’Europe permet la libre circulation des travailleurs, qui est une des quatre libertés fondamentales garanties par les traités, mais cela n’est pas sans poser problème. En effet, quel droit appliquer au travailleur mobile ? Il s’agit-là d’une question aux répercussions tant économiques que sociales. La directive 91/1996/CE a été édictée suite à l’entrée de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, aux fins d’éviter le « dumping social », et a été fondée sur l’application du droit d’accueil, sauf dispositions plus favorables, avec la perception des charges sociales dans le pays d’origine. Mais, au fil du temps, du fait d’un opportunisme social permis par l’absence d’harmonisation sociale en Europe et de nombreuses dérives, notamment dans les secteurs de la construction et agroalimentaire, on a assisté à une utilisation abusive des détachements, voire à des fraudes caractérisées. Les secteurs précités sont d’ailleurs extrêmement inquiets du développement de cette concurrence déloyale, avec l’émergence de travailleurs « low cost », particulièrement dommageable en ces temps de crise économique que nous traversons. Consciente du problème, la Commission européenne a mis à son agenda une proposition de modification de la directive de 1996 ; il s’agit-là cependant d’une version a minima et non d’une refonte totale de la législation relative aux travailleurs détachés que tout le monde avait appelé de ses vœux, y compris le président Barroso lui-même. En outre, non seulement cette directive est très en deçà des besoins réels, mais en plus elle fait l’objet sur certains points de blocages tels dans la négociation que son adoption fin juin, comme envisagé par la présidence irlandaise, est hautement improbable. Mes collègues et moi-même avons procédé à de nombreuses auditions, qui ont conforté l’idée que nous avions initialement, à savoir que la législation actuelle ne permet pas de lutter contre le développement de cet emploi « low cost », et ce d’autant qu’elle est envisagée par la jurisprudence de la CJUE de manière tout à fait restrictive et dans le sens d’une interprétation libérale des traités ; il est clair qu’en la matière la jurisprudence de la Cour est plus en faveur de la libre circulation des travailleurs que de leurs droits sociaux.

La directive actuelle est dépassée, car elle permet la mise en concurrence de pays qui n’ont ni le même niveau de vie, ni le même niveau de salaire. Par ailleurs, les corps de contrôle nationaux, du fait des problèmes de langue, de réglementation et de certification des documents fournis, ont le plus grand mal à contrôler le respect des règles en la matière, tandis que les travailleurs détachés ne connaissent pas leurs droits, notamment celui de se retourner contre le donneur d’ordre en cas de non-respect de la législation du pays d’accueil ; et quand bien même les connaîtraient-ils, il y a fort à parier qu’ils ne les exerceraient pas, car malgré les conditions de travail qui leur sont souvent faites – s’apparentant à un véritable « esclavage moderne » qui pourrait être poursuivi pour abus de faiblesse – la rémunération obtenue est tellement plus élevée que celle de leur pays d’origine que le sacrifice en vaut pour eux la peine.

Il y a toutefois du positif dans la proposition de la Commission, qui essaie de préciser la notion de travailleur détaché, d’améliorer l’accès des salariés à l’information et l’exécution des contrats, ainsi que de renforcer la coopération administrative. Mais trois articles posent problème. L’article 3, en premier lieu, qui tente de préciser la définition du détachement, afin d’éviter les fraudes, ce qui n’est pas inutile quand on connaît l’étendue du possible – nous avons ainsi été informés de l’existence d’une entreprise espagnole recrutant des Equatoriens dans des conditions douteuses, notamment concernant la réalité du versement des cotisations sociales en Espagne, et qui fournit 90 % des salariés détachés dans le secteur de l’agriculture du Gard. Mais ce sont surtout les articles 9 et 12 qui cristallisent les oppositions. L’article 9 concerne les mesures de contrôle que les autorités nationales peuvent imposer aux entreprises qui détachent des salariés ; certains Etats, comme le nôtre, sont en faveur d’une liste « ouverte », tandis que d’autres, à l’inverse, souhaitent que cette liste soit restrictive, « fermée ». L’article 12 quant à lui concerne la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre ; il se limite dans sa rédaction actuelle au secteur du bâtiment et au premier sous-traitant, et deux groupes d’Etats s’opposent, ceux en faveur de cette rédaction, et ceux qui souhaitent que cette responsabilité soit étendue à l’ensemble des secteurs et à toute la chaîne de sous-traitance. Le consensus n’est pas évident. Nous souhaitons quant à nous que cette responsabilité soit étendue à l’ensemble de la chaîne et des secteurs, à l’exception peut-être de l’agriculture, du fait des contraintes particulières qui pèsent sur les entreprises agricoles, le temps des récoltes étant par nature très court et imprévisible.

A l’issue de notre travail, nous avons le sentiment que quoi qu’il en soit, cette directive même adoptée – et rien n’est moins sûr – ne sera pas suffisante. C’est pourquoi nous avons un certain nombre d’améliorations à proposer, tant au niveau de l’Union européenne, que sur le plan interne. Nous devons protéger nos entreprises et notre économie ; l’exemple des abattoirs allemands, qui captent l’ensemble du marché européen au détriment des autres pays et notamment du nôtre – les abattoirs du Finistère sont en effet en grande difficulté – à grand renfort d’emploi de salariés payés trois fois moins que les nôtres du fait de l’absence de salaire minimum dans ce pays, doit nous pousser à réagir. Nous ne sommes pas contre le détachement des travailleurs, bien au contraire – d’ailleurs la France est le troisième pays qui détache en Europe – mais nous souhaitons que les normes sociales soient respectées et que les détachements, qui se concrétisent souvent par un véritable « esclavage moderne », ne provoquent pas la destruction de pans entiers de nos industries.

M. Gilles Savary, co-rapporteur. Je voudrais préalablement souligner l’intérêt du rapport du sénateur Bocquet, qui, sans aboutir aux mêmes conclusions que notre travail, porte une appréciation identique sur la directive. Nous examinons une directive d’application de la « directive détachement » de 1996 ; elle la précise sans en modifier profondément l’économie. Nous ne bousculons pas l’essentiel de la « directive détachement », mais je dois souligner l’avantage « social concurrentiel » dont bénéficient les travailleurs détachés par des entreprises de l’Union européenne. Il s’opère de deux façons : les entreprises n’acquittent pas les charges sociales françaises, mais celles de leur pays – en général moins élevées –, et il existe des pays européens dépourvus de salaire minimum, tels que l’Allemagne, où des ouvriers peuvent être payés 3 euros de l’heure, ce qui accroît encore l’avantage comparatif de ces régions. Le bâtiment et le transport routier français considèrent que sous l’impact de cette concurrence, ils peuvent disparaître. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une politique de dérégulation qui joue des différentiels sociaux et qui, avec l’intégration au sein de l’Union européenne de pays à fort différentiel de main d’œuvre, tend à devenir systématique.

Avec l’effet de la crise, les inconvénients de celle-ci sont très sensibles dans ma région avec les travailleurs venus d’Espagne. Cette immigration a existé de tout temps et a été positive. Nous considérons que l’immigration et la mobilité sont positives, mais, aujourd’hui, il s’agit d’éviter que le malheur des uns ne fasse le malheur des autres et que nous nous trouvions dans une spirale non compatible avec les valeurs de l’Union européenne. D’où les propositions que nous formulons, qui vont au-delà d’un simple commentaire de la directive. En effet, le dispositif mis en place par la directive d’origine n’est pas contrôlable aujourd’hui. La législation est compliquée, nous enregistrons 45 000 déclarations pour 145 000 salariés détachés identifiés. Les services administratifs ne sont pas en capacité de contrôler l’ensemble du dispositif. Nous voyons des faits troublants, par exemple des chantiers d’État employant des personnels détachés, des chauffeurs polonais qui passent trois semaines consécutives sans quitter leur camion faute de pouvoir financer une chambre d’hôtel et un repas. Beaucoup d’employeurs de travailleurs détachés leur demandent aussi des ristournes lorsqu’ils sont logés et nourris. Ces conditions sont proches d’un nouvel esclavage moderne. Devant cette situation, nous allons plus loin que les résolutions habituelles, car nous envisageons la mise en œuvre d’une protection unilatérale. Nous ne pouvons pas accepter la mise en danger de notre système de protection sociale, en l’absence éventuelle d’action européenne. Le principe communautaire de concurrence libre et non faussée ne permet pas d’accepter de tels effets-coûts, qui sont dévastateurs pour les industries locales.

C’est pourquoi nous proposons que la France reste ferme concernant l’article 9 de la directive qui limiterait à trois les types de contrôles obligatoires. Un État doit en effet garder la latitude de les étendre et nous ne souhaitons pas que les pouvoirs de contrôle des administrations nationales soient contraints. L’article 12 sur la responsabilité conjointe et solidaire nous semble important ; il implique que le maître d’œuvre prouve qu’il a fait diligence vis-à-vis de ses sous-traitants pour ne pas voir sa responsabilité engagée. Nous souhaitons que cette disposition soit généralisée à tous les secteurs, exceptée l’agriculture qui n’est pas en mesure d’opérer ce contrôle du fait du caractère massif et bref du recours aux saisonniers. Pour resserrer les mailles du filet, nous souhaitons en outre qu’il y ait une double déclaration obligatoire par l’entreprise de détachement et celle qui emploie le salarié. Ce dispositif est important, car la coopération inter-administrative avec certains pays est asymétrique ; par exemple l’Irlande n’a pas de contrôleurs du travail. Le fait que la seule obligation de signalement repose sur l’entreprise qui détache des travailleurs n’est pas suffisant.

Nous voyons par ailleurs se développer actuellement des « traders de main d’œuvre » sur le modèle de la fraude à la viande de cheval, c’est-à-dire des entreprises intermédiaires, marchandes de main d’œuvre, domiciliées dans des pays autres que ceux d’accueil et de départ. C’est pourquoi nous demandons que l’Union européenne mette en place une carte de travailleur pour assurer une traçabilité et vérifier que les charges sociales ont bien été acquittées dans le pays d’origine. Cela est très difficile. Nous souhaitons également qu’à l’instar des compagnies aériennes, une liste noire des entreprises ne s’étant pas acquittées de leur sanction soit dressée, afin qu’elles soient exclues des marchés publics. Cette dernière proposition est moins ambitieuse que les deux précédentes, mais il est indispensable que le gouvernement français fasse une telle proposition à Bruxelles ou, à défaut, la mette en œuvre à titre national. Nous voulons également que soit promu dans l’Union européenne un salaire minimum de référence dans le cadre du détachement – cela règlerait le problème allemand –, en évitant que les abattoirs allemands emploient de la main-d’œuvre d’Europe de l’Est à un tarif compris entre 3 et 7 euros. Il est de la responsabilité de l’Union de veiller à ce que les États membres ne désarment pas socialement.

Nous demandons également un accroissement des possibilités de recours par les organisations syndicales, car le droit des « esclaves » peut être compliqué à mettre en œuvre car les considérations ne portent pas que sur les salaires mais également sur le temps de travail. Nous demandons à ce propos que soit mis en œuvre un moratoire sur le cabotage routier, qui permet à des entreprises étrangères de desservir avec des travailleurs sous-payés deux points situés sur le territoire français.

Ces propositions sont inédites. Si les articles 9 et 12 de la proposition de directive sont maintenus en état il nous semble que la France devrait voter contre. Nous proposons au Gouvernement également de demander à Bruxelles la réouverture complète de ce dossier qui nous semble promouvoir un outil de concurrence illégal. La Commission européenne devrait faire des propositions législatives fortes dans ce domaine.

Si nous n’aboutissons pas, nous engageons le Gouvernement français à prendre des mesures de sauvegarde nationales, malgré les problèmes juridiques rencontrés, car à nos yeux cette utilisation du détachement n’est ni plus ni moins que du trafic de main d’œuvre.

M. Philippe Armand Martin. Si, sur le fond, chacun peut s’accorder sur la nécessité de protéger les travailleurs détachés, sur la forme, certains paragraphes de la proposition de résolution posent problème.

La création d’une agence européenne est inopportune, au moment où les citoyens européens rejettent la trop grande bureaucratie de l’Union et où le budget européen est en baisse. C’est d’ailleurs la position de principe du Parlement européen que de ne plus créer de nouvelles agences mais d’améliorer les existantes. La carte du travailleur européen n’est pas utile étant donné que la libre circulation est inscrite dans les traités. Sur la liste noire d’entreprises, il faudrait être plus précautionneux. Elle pourrait être à double tranchant, notamment pour les entreprises de travaux public en France qui profitent elles aussi du système. De plus, qui déciderait de mettre telle entreprise sur une liste noire ? Quel recours aurait une entreprise inscrite sur une liste noire de façon abusive ? Il faut effectivement une liste ouverte de mesures de contrôle, mais aussi des éléments factuels qui permettent de définir dans quels cas on est dans une situation de détachement. Il importe de conserver la responsabilité conjointe et solidaire mais pourquoi plaidez-vous pour l’exception du secteur agricole ? La déclaration de sous-traitance est une idée intéressante. Mais si elle n’était pas transmise, que se passerait-il ? Quelles sanctions seraient appliquées ? L’idée selon laquelle les partenaires sociaux pourraient recourir à la justice sans l’accord des salariés signifie-t-elle que le salarié se verrait imposer un recours, même s’il ne le veut pas ? Le paragraphe sur le cabotage routier devrait sans doute faire l’objet d’un autre texte. Enfin, la définition d’un salaire minimum de référence interprofessionnel ou professionnel européen est-elle préférable à la définition d’un taux de salaire ?

M. Arnaud Richard. J’estime que la proposition de résolution va dans le bon sens. Néanmoins je m’interroge sur le fait que certaines dispositions puissent être contraires aux traités, notamment au principe de libre circulation des biens et des personnes. Pourriez-vous nous dire l’état des contentieux en rapport avec ces détournements de directives, s’agissant notamment des secteurs du bâtiment et des transports ? Je demande aux rapporteurs s’ils pensent que la négociation européenne ira dans le sens de leurs propositions, contre ces atteintes à notre modèle social.

La Présidente Danielle Auroi. La traduction de l’expression « optimisation sociale » me semble hasardeuse en anglais et dans d’autres langues. Je préconise de maintenir la seule expression de « dumping social », puisque c’est bien de cela dont il s’agit.

Sur le point no 6 – et pas pour les mêmes raisons que M. Philippe Armand Martin – je suis interrogative sur l’idée d’une carte des travailleurs européens ; elle pourrait constituer une forme de fichage dans l’espace européen, alors que l’intention de départ est bien entendu positive.

Concernant l’article 12, peut être faudra-t-il faire référence plus explicitement à la responsabilité juridique des donneurs d’ordres, ce qui fait écho à la responsabilité sociale et sociétale des entreprises multinationales sur laquelle je travaille. Il faudrait considérer les sous-traitants et les filiales des entreprises, derrière le moins-disant social. Ainsi, il faudrait sans doute que les donneurs d’ordres sachent qui sont leurs sous-traitants et le précisent. Mis à part ces remarques, j’ai trouvé le rapport excellent.

Mme Chantal Guittet, co-rapporteure. La proposition européenne prévoit une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordres, qui pourrait se substituer également à son sous-traitant direct et être tenu responsable du non paiement du salaire minimal. La proposition européenne le prévoit simplement pour le sous-traitant du premier niveau.

M. Gilles Savary, co-rapporteur. Nous avons proposé d’élargir l’article 12 à tous les secteurs, sauf à l’agriculture. Un agriculteur moyen, saturé de procédures administratives, n’a pas les capacités de faire ces contrôles. Il emploie beaucoup de main-d’œuvre, parfois cent personnes en trois jours. Voilà pourquoi il est nécessaire d’épargner l’agriculture. Ce dont les agriculteurs ne sont pas exemptés, c’est de signaler l’entreprise à laquelle ils font appel pour leur fournir des travailleurs détachés. L’introduction de la double déclaration est nouvelle et dissuasive, alors qu’aujourd’hui il n’y a qu’une seule déclaration, celle du détaché. L’entreprise prestataire de services doit faire une déclaration.

Pour que les sanctions soient effectives, il faut d’abord que l’administration repère l’entreprise - il y aurait 45 000 détachements déclarés et en réalité 300 000 personnes détachées qui travailleraient en France sans avoir fait l’objet d’une déclaration préalable. Si on fait une deuxième déclaration pour l’entreprise qui accueille, l’administration aura les moyens de recouper et les mailles du filet s’en trouvent renforcées. Le fait de vérifier des affiliations sociales va plutôt dans le sens de la protection des travailleurs. Ce serait l’esprit d’une carte des travailleurs, qui nous a été suggérée par le BTP français, qui possède une caisse des congés payés : tous les travailleurs inscrits à la caisse nationale des congés payés du bâtiment et des travaux publics sont identifiés et ont avec eux une carte qui décompte leurs droits de congés payés, de chantier en chantier. Ce système efficace pourrait assurer la couverture sociale des travailleurs européens. Pour ce qui est des listes noires d’entreprises, les fraudeurs ne doivent pas être épargnés. Nous l’avons fait dans le domaine de l’aviation avec la liste noire des compagnies aériennes. Cette liste devrait être gérée par une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, dans la mesure où cela relève de la subsidiarité européenne. Certaines réflexions à Bruxelles portent d’ailleurs sur la mise en place d’une inspection du travail européenne, mais nous n’allons pas jusque là. L’agence proposée devrait être légère, certes, mais elle devrait tout de même exister pour faciliter les contacts inter-administratifs entre États.

Mme Chantal Guittet, co-rapporteure. Il existe dans chaque pays des bureaux de liaison pour permettre cet échange ; si cette coordination fonctionnait mieux, l’agence pourrait se contenter d’être un pôle d’agents spécialisés. Tous les professionnels auditionnés ont souligné la difficulté actuelle d’obtenir des informations sur les entreprises prestataires.

M. Gilles Savary, co-rapporteur. Concernant la possibilité pour les partenaires sociaux d’ester en justice, les syndicats pourraient faire valoir que la convention collective est bafouée par l’emploi de travailleurs payés à un salaire 80 % inférieur. Ils feraient donc un recours pour que l’entreprise ou l’administration soit sanctionnée. Il y a d’ailleurs tout un contentieux en Suède sur ce sujet.

Mme Chantal Guittet, co-rapporteure. Il y a également la solution de l’abus de vulnérabilité pour les travailleurs détachés.

M. Gilles Savary, co-rapporteur. Nous proposons que le cabotage routier soit mis en moratoire tant que l’on n’aura pas remis de l’ordre dans le détachement de travailleurs. Enfin, l’idée de taux de salaire me paraît floue. De quel taux s’agirait-il ? La question est de savoir s’il faut plutôt un salaire minimum de branche – par exemple pour les abattoirs – ou bien un salaire minimum européen de référence, ou encore un salaire de référence national. Voilà pourquoi cette proposition n’est pas à ce stade plus précise.

La Présidente Danielle Auroi. Je propose d’adopter ces propositions innovantes en l’état, de les transmettre à la commission des affaires sociales et de les reprendre, affinées, dans le contexte d’un travail plus vaste, à la rentrée, sur les aspects sociaux de la construction européenne.

La proposition de résolution est adoptée.

« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 du Parlement européen et du Conseil concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs ;

1. Constate que la directive 96/71/CE, conçue à l’origine comme protectrice des marchés du travail nationaux, est devenue un outil d’ » optimisation sociale » et de « dumping social » ;

2. Constate que cette directive, imparfaite et lacunaire, est l’objet de nombreuses fraudes qui mettent en péril notre modèle social, nos comptes sociaux, ainsi que le projet européen lui-même, qui en est discrédité ;

3. Se réjouit que l’Union européenne souhaite lutter contre cette fraude protéiforme, mais estime en l’état la directive tout à fait insuffisante pour répondre aux enjeux actuels de la lutte contre la fraude au détachement ainsi que pour répondre aux difficultés liées aux différentiels de coûts du travail entre les différents pays de l’Union ;

4. Juge de ce fait que l’Union européenne doit absolument se doter de dispositions et de moyens d’une toute autre ampleur pour prétendre accéder à son objectif de lutter efficacement contre le phénomène qui motive aujourd’hui une directive d’application ;

5. Appelle ainsi de ses vœux la création d’une Agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe avec pour missions l’observation du phénomène et des infractions interétatiques, le suivi des législations nationales, la formulation de propositions d’amélioration de la réglementation européenne et l’amélioration du système d’information administratif entre États membres.

6. Estime indispensable la création d’une carte du travailleur européen, électronique, qui permette de contrôler plus facilement les salariés et les entreprises et responsabilise l’ensemble des acteurs économiques concernés ;

7. Appelle le Gouvernement et les institutions européennes à mettre en place une « liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats », sur le modèle des listes noires qui existent dans l’aviation civile. Une entreprise qui serait condamnée à une sanction pour fraude au détachement des travailleurs, ou, au moins, qui n’aurait pas honoré ses sanctions, serait inscrite sur une liste noire publique, avec pour effet l’interdiction de répondre à des appels d’offres, l’interdiction de sous-traiter pendant une période donnée, et l’interdiction de fournir une prestation de services de main-d’œuvre pendant une période donnée.

8. Concernant l’article 3 de la proposition de directive d’application, se félicite de la tentative de la Commission européenne d’essayer de qualifier et d’encadrer le détachement des travailleurs ;

9. Se réjouit de la formalisation d’une coopération administrative entre États de l’Union européenne, mais constate que les États, et notamment la France, demeureront dépendants de l’application loyale de cette coopération à venir par d’autres États membres ;

10. Concernant l’article 9, estime indispensable que soit édictée une liste ouverte des mesures de contrôle que peut imposer l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère détachant des travailleurs sur son territoire, et invite le Gouvernement à ne pas voter la directive si cette liste devait demeurer fermée à l’issue des négociations au niveau de l’Union ;

11. Concernant l’article 12 de la proposition de directive, considère que la responsabilité conjointe et solidaire doit être étendue à l’ensemble des sous-traitants, et à l’ensemble des secteurs d’activité, exception faite du secteur agricole, du fait de sa faible capacité administrative à procéder à des vérifications aussi complexes pour des opérations limitées dans le temps ;

12. Considère, en outre, que cet article ne peut s’envisager efficacement qu’à la condition que soient mises en place des procédures de coopération entre États membres rapides, sincères, efficaces et de bonne qualité ;

13. Considère que si la rédaction de l’article 12 retenue à l’issue des négociations devait être moins favorable au contrôle du respect des obligations légales par les donneurs d’ordre et les entreprises sous-traitantes que le droit français positif actuel, la France ne devrait pas voter en faveur de la proposition de directive ;

14. Au vu des lacunes de la proposition de directive, estime indispensable que la France modifie sa législation et son organisation administrative pour améliorer l’efficacité de la lutte contre ses fraudes et garantir réellement les droits des salariés détachés ;

15. Appelle ainsi à la mise en place d’un recours contre le donneur d’ordre qui aura bénéficié d’une prestation facturée en-dessous des prix français en toute connaissance de cause, pour lutter contre la connivence entre les donneurs d’ordres et les entreprises qui leur fournissent une main-d’œuvre précaire et vulnérable, et ce au détriment du respect de la dignité humaine et de l’équilibre de nos comptes sociaux ;

16. Propose la création d’une déclaration de sous-traitance, non-exclusive de la déclaration faite par l’entreprise qui détache les salariés, afin d’obliger le donneur d’ordre à déclarer l’emploi d’une entreprise sous-traitante et ainsi « resserrer les mailles du filet » autour d’éventuels fraudeurs ;

17. Invite l’administration à une coordination de l’ensemble des corps concernés (inspection du travail, gendarmerie, préfectorale, Urssaf, MSA) pour effectuer des opérations de contrôle « coup de poing » ciblées sur des fraudes organisées et complexes ;

18. Appelle à cet égard de ses vœux la spécialisation d’inspecteurs du travail spécifiquement sur la question du travail illégal et de la fraude au détachement des travailleurs ;

19. Se félicite de la possibilité offerte aux partenaires sociaux à l’article 11 d’accompagner les travailleurs détachés dans leurs démarches juridiques mais souhaite que ceux-ci puissent ester en justice sans l’accord des salariés ;

20. Souhaite que la Commission européenne mette en place un moratoire de toute initiative législative sur le cabotage routier en l’absence d’un renforcement significatif de la législation européenne au regard des insuffisances soulevées dans ce rapport ;

21. Propose à l’Union européenne, au nom du principe de concurrence libre et non faussée, la définition d’un salaire minimum de référence interprofessionnel ou professionnel, afin d’harmoniser socialement les conditions de détachement. »

IV. Nomination de rapporteurs

Sur proposition de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a nommé rapporteures :

Mme Seybah Dagoma, sur la proposition de résolution européenne relative au mandat de négociation de l’accord de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne (no 1020) ;

- Mme Catherine Quéré, sur la proposition de résolution européenne relative à la réforme des droits de plantation de vigne (no 906).

La séance est levée à 19 h 40

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 28 mai 2013 à 17 heures

Présents. – Mme Danielle Auroi, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Yves Daniel, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Estelle Grelier, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lequiller, M. Arnaud Leroy, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard, M. Michel Piron, M. Joaquim Pueyo, Mme Catherine Quéré, M. Arnaud Richard, M. Gilles Savary

Excusés. - Mme Annick Girardin, Mme Marietta Karamanli, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, Mme Paola Zanetti

Assistait également à la réunion. - Mme Brigitte Allain