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Commission des affaires européennes

mercredi 30 octobre 2013

16 h 30

Compte rendu n° 92

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente Et de M. Simon Sutour, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat

Réunion, conjointe avec la Commission des affaires européennes du Sénat et les membres français du Parlement européen, sur l’Europe sociale

Réunion, conjointe avec la Commission des affaires européennes du Sénat et les membres français du Parlement européen, sur l’Europe sociale 2

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 30 octobre 2013

Présidence de Mme Danielle Auroi,
Présidente de la Commission des affaires européennes
et de M. Simon Sutour, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat

La séance est ouverte à 16 h 30

Réunion, conjointe avec la Commission des affaires européennes du Sénat et les membres français du Parlement européen, sur l’Europe sociale

La Présidente Danielle Auroi. Mesdames et Messieurs, mes chers Collègues du Parlement européen, du Sénat et de l’Assemblée nationale, je suis très heureuse que nous soyons encore une fois réunis dans cette formation conjointe, pour débattre aujourd’hui d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur, et qui vous tient particulièrement à cœur à tous ici présents j’en suis sûre : l’avenir de l’Europe sociale et son indispensable renforcement, pour répondre aux préoccupations et aux souhaits de nos concitoyens, dans le contexte particulier de la crise économique, sociale, écologique que nous connaissons, au moment où les citoyens commencent de plus en plus à douter que l’Europe puisse être protectrice. Il faut parler à nos concitoyens de ce qui donne sens à l’Europe, et pas seulement du dogme de l’austérité. L’Union est capable d’avancer en matière sociale, et la France peut jouer un rôle crucial en la matière. Ainsi M. Thierry Repentin, que nous recevions hier, conjointement avec la Commission des Affaires étrangères, s’est réjoui que, pour la première fois, la dimension sociale ait été intégrée dans les discussions relatives à l’UEM au Conseil, même si le chemin reste long et semé d’embûches. Suite à l’initiative franco-allemande, à la décision du Conseil de juin dernier, et à la communication faite par la Commission européenne le 2 octobre, il a donc été acté au dernier Conseil que cinq indicateurs sociaux en matière d’emploi et de formation professionnelle seraient mis en place et seraient intégrés au « monitoring » des économies des États membres. Ceci est positif ; mais ce qui est négatif en revanche à mon sens c’est que la portée de ces indicateurs reste à mon sens insuffisante : ils n’auront pas à ce stade de caractère obligatoire et il n’y a pas d’accord entre États membres à ce propos. C’est donc une première étape, à suivre, à poursuivre…

Car les défis qui nous attendent dans les années qui viennent, dans une Europe à vingt-huit où les frontières économiques et physiques ont été abolies, mais où les régimes sociaux et fiscaux n’ont pas été harmonisés et où les niveaux de vie ne sont pas homogènes, sont nombreux. Il faut trouver des convergences. Un premier dossier important, poussé par la présidence Irlandaise, est celui de l’emploi des jeunes. Cela est crucial car ce sont eux qui paient le plus lourd tribut à la crise économique. Les taux de chômage des moins de vingt-cinq ans sont en effet édifiants : en avril 2013, 24,4 % pour la zone euro à 17, 23,5 % pour l’UE à 27, 26,5 pour la France, 40,5 % pour l’Italie, 42,5 % pour le Portugal, et même 56,4 % pour l’Espagne – même si on dit que la situation sociale en Europe s’améliore… La Commission européenne a pris la mesure du caractère dramatique de cette situation, et a ainsi initié dans le cadre de « l’initiative pour l’emploi des jeunes » un certain nombre de dispositifs, tels que la « garantie pour la jeunesse ».

L’Union a en outre fixé comme objectif prioritaire de la stratégie Europe 2020 l’amélioration du marché du travail, basé notamment sur le développement d’une main d’œuvre qualifiée, l’amélioration du service public de l’emploi, et la facilitation de la mobilité du travail.

Je souhaiterais que nous puissions évoquer ensemble ces sujets, la question des droits sociaux des travailleurs – notamment la question de la portabilité des retraites – mais aussi toute la problématique liée à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs – sujet sur lequel ont particulièrement travaillé Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron. Nous savons tous ici que cet outil, conçu comme protecteur, est à présent facteur de déstabilisation des marchés du travail de beaucoup de pays membres , dont le nôtre, via la mise en œuvre d’un réel « dumping social ». Le ministre Repentin a d’ailleurs hier évoqué ce sujet et rappelé les points clés de la négociation en cours sur cette révision de la directive sur le détachement.

Ce sujet, que nous avons inscrit à l’ordre du jour de la séance publique le 2 décembre, rejoint d’ailleurs pleinement la question de la responsabilité sociale des entreprises, et leurs responsabilités vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Europe. Il faut rechercher l’équité en la matière.

Il pose aussi la question de la mise en place d’un salaire minimum en Europe, et plus largement, de la mise en place d’un revenu de base universel.

Il semble que les discussions en marge du dernier Conseil européen ont montré de réelles avancées sur la question du salaire minimum – cela n’était pas acquis il y a quelques semaines encore – et notamment de la part de l’Allemagne, qui se dirige vers la mise en place d’un salaire minimum non pas interprofessionnel mais par branche, particulièrement dans l’agroalimentaire et l’abattage, secteurs sensibles s’il en est. Ceci marque les prémices d’une harmonisation sociale et donc du renforcement de la lutte contre le « dumping social ». Il faudrait aller plus loin et travailler aussi sur une assurance-chômage au niveau européen ; c’est un sujet porté par Pervenche Bérès et le Parlement européen ; nous y travaillons aussi de notre côté ici au sein de notre commission et de concert avec la commission des affaires sociales.

Voilà mes chers collègues ce dont je souhaitais vous faire part avant que nous n’entamions nos échanges sur cet ordre du jour divers et important. Ensuite, si nous avons encore le temps, j’aimerais que nous puissions échanger sur quelques sujets d’actualité. Je voudrais notamment évoquer le nécessaire approfondissement de la démocratie européenne, dans le contexte de la convergence économique et budgétaire, par le renforcement de sa dimension parlementaire, associant Parlement européen et parlements nationaux, en complémentarité, chacun dans son rôle. La période pré-électorale qui s’ouvre doit en effet permettre d’ouvrir un réel débat sur l’Europe que nous voulons pour demain.

M. le Président Simon Sutour. L’Europe sociale a fait l’objet d’un débat approfondi lors de la dernière COSAC à Vilnius. Elle est d’autant plus essentielle que nos pays sont confrontés aux graves effets d’une crise économique et financière sans précédent.

Contrairement à ce que soutiennent les populistes, l’Europe n’est pas le problème ; elle peut, au contraire, apporter une grande partie des réponses.

La Commission des affaires européennes du Sénat a adopté, le 16 octobre dernier, à l’unanimité, une résolution européenne portant sur la thématique du détachement des travailleurs. La question du droit de grève des travailleurs détachés – proposition dite « Monti II » – avait déjà fait l’objet d’un avis motivé en matière de subsidiarité il y a un an et demi ; le quorum requis d’un tiers des Parlements nationaux ayant été atteint, un carton jaune a été adressé à la Commission européenne, laquelle a fait le choix de retirer son texte.

La Commission des affaires européennes du Sénat vient également d’adopter à l’unanimité un avis motivé sur le Parquet européen : si elle est favorable au principe, elle souhaite davantage de collégialité et l’absence de « super procureur ». Un nombre suffisant de Parlements nationaux s’étant prononcé en ce sens, la Commission européenne va devoir réexaminer son texte.

S’agissant des travailleurs détachés, le Conseil européen ne parvient toujours pas à se mettre d’accord sur le texte proposé par la Commission. Le débat achoppe sur deux dispositions essentielles du texte : l’article 9 relatif aux mesures nationales de contrôle, et l’article 12 relatif à l’instauration d’un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d’ordre dans les chaînes de sous-traitance. Les obstacles sont davantage politiques que techniques. La résolution du Sénat préconise une liste ouverte de mesures de contrôle, qui permette aux États de s’adapter rapidement à des pratiques frauduleuses de plus en plus complexes : elle demande à ce que la clause de responsabilité du donneur d’ordre soit étendue à tous les secteurs d’activité et à l’ensemble de la chaîne de sous-traitance.

Le Sénat a par ailleurs travaillé sur la thématique de l’emploi des jeunes. La Commission des affaires européennes a adressé à cet égard un avis politique à la Commission européenne.

Le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans au sein de l’Union européenne représente en effet le double de celui constaté pour l’ensemble de la population active. Les pays européens connaissent des situations difficiles, avec notamment un taux de chômage des jeunes de 62 % en Grèce, 55 % en Espagne, 38 % en Italie et au Portugal.

En décembre 2012, la Commission a adopté une série de mesures concernant l’emploi des jeunes. Le Conseil européen a créé un fond spécifique d’initiative pour l’emploi des jeunes, afin de financer la mise en place d’un mécanisme de garantie pour la jeunesse au sein des États membres. Cette nouvelle ambition sociale répond également aux objectifs de la stratégie « Europe 2020 » visant à améliorer la formation des jeunes européens. L’Union européenne a ainsi l’opportunité de donner une tonalité à son action, autre que celle de la lutte contre les déficits publics et l’endettement.

La France a d’ailleurs pris toute sa part dans cette réorientation progressive. Parallèlement à ces initiatives communautaires, la France est, depuis mai 2013, à l’origine d’une initiative franco-allemande sur le chômage des jeunes.

L’initiative pour l’emploi des jeunes n’est certes pas négligeable, mais est-elle à la hauteur du problème ? Le taux de chômage des jeunes est en effet presque partout alarmant. Il n’est inférieur à 10 % que dans deux pays de l’Union européenne, où en moyenne un jeune sur quatre est au chômage. Face à cette réalité dramatique, peut-on se contenter d’un plan doté de huit millions d’euros sur sept ans, pour l’ensemble des Vingt-huit ?

L’avis politique de la Commission des affaires européennes du Sénat insiste sur plusieurs mesures que l’Union européenne pourrait porter : nous estimons qu’il convient de baisser à 20 % le taux régional de chômage des jeunes nécessaire au déclenchement d’une aide financière européenne. Il est par ailleurs indispensable de stabiliser à un niveau élevé - au moins 40 % - la part de l’apprentissage dans les rubriques « enseignement supérieur » et « enseignement information professionnelle et programme Erasmus + ». Les dépenses cofinancées par les États membres en faveur de l’emploi des jeunes devraient provisoirement être réintégrées dans le calcul des soldes budgétaires des États membres.

D’autres sujets d’actualité peuvent nourrir notre débat. Le 2 octobre dernier, la Commission a présenté une communication sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. Dans un contexte marqué par la diversité des modèles sociaux nationaux, la Commission prévoit notamment de créer un tableau de bord comportant cinq indicateurs sociaux et d’emploi. Cette proposition a néanmoins suscité une certaine déception, dans la mesure où aucun seuil entraînant l’intervention de l’Union n’est fixé : aucun critère précis ni contraignant n’est fixé s’agissant de la dimension sociale de l’Europe !

L’idée d’un salaire minimum en Europe - le SMIC européen - est redevenue d’actualité : en 2012, la Commission européenne a indiqué que cette idée – qu’elle considérait jusque-là comme un frein à l’embauche – était « intéressante ». Certes, du fait de la disparité des législations nationales et des niveaux de salaire, les difficultés ne manquent pas.

La communication de la Commission sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire évoque aussi la question d’un régime d’assurance chômage européen : ce dispositif constituerait un instrument de stabilisation automatique. Il pose la question, plus large, de la pertinence d’un budget autonome de la zone euro permettant aux États d’absorber les chocs.

M. Jacques Myard. L’euro-réaliste que je suis se félicite de la mise à l’ordre du jour de ce sujet, qui est à mon sens mortifère pour l’Europe. En effet, l’ouverture
- suivant la logique de l’ultralibéralisme concurrentiel - du Marché unique à un certain nombre de pays, est vouée à l’échec.

Parler de dumping social n’est pas suffisant. La situation actuelle est le résultat de trois facteurs.

Tout d’abord, la directive Bolkestein ouvre les services à égalité : en vertu du principe de non-discrimination de l’Union européenne, les entreprises peuvent travailler dans les autres pays. Or, ces entreprises n’évoluent pas dans les mêmes conditions concurrentielles. Il existe également un dumping monétaire, ou différence monétaire : la différence de coût du travail entre la France et la Roumanie va de un à dix. Enfin, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne a élargi la possibilité de travail temporaire. Le travail temporaire a ainsi été perverti, passant de deux ou trois mois, à deux ou trois ans.

La combinaison de ces trois facteurs - la libre concurrence totale, la différence monétaire, l’excessif élargissement du travail temporaire par la jurisprudence de la Cour - a pour conséquence les catastrophes qui sont les nôtres. Le salaire minimum ne réglera pas cela. Si l’entreprise est en effet tenue par l’application de la convention de la branche, elle paye néanmoins ses cotisations sociales en Bulgarie, en Roumanie ou ailleurs.

M. Philippe Boulland. Il ne faut pas approcher l’Europe sociale uniquement sous l’angle de l’emploi des jeunes, ce qui est une priorité en matière de chômage, ou sous celui d’un seuil de salaire minimum, ce qui est considéré comme un « gros mot » au Parlement européen : le FSE et la défense de ses montants dans le cadre d’un budget pluriannuel comptent également beaucoup.

Il faut lutter contre le dumping social, et le Parlement européen a beaucoup œuvré pour cela. L’Europe sociale doit être considérée de façon plus vaste et plus ambitieuse :

- à un niveau inférieur, c’est-à-dire s’agissant du reporting non financier et de la responsabilité sociale des entreprises, j’ai proposé la création d’un label social européen ;

- à un niveau supérieur, il convient d’appliquer ces critères aux deux domaines que sont la gouvernance économique et la directive sur les appels d’offre.

Mme Catherine Tasca. Je voudrais rendre compte des travaux de notre collègue Dominique Bailly, établis au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, dans son rapport d’information du 9 juillet dernier.

Le taux de chômage des jeunes au sein l’Union européenne est deux fois supérieur au taux de chômage global. Il est supérieur à 25 % au sein de onze États membres, dont la France ; il est supérieur à 50 % en Croatie, en Espagne et en Grèce. En intégrant les jeunes qui ne sont pas inscrits auprès des régimes d’assurance chômage, le nombre des jeunes sans emploi et sans formation s’élève à 7,5 millions sur le territoire de l’Union européenne. Cette situation contraste avec les 2 millions de postes de travail vacants au sein de l’Union européenne.

En présentant en décembre 2012 une série de mesures concernant l’emploi des jeunes, la Commission européenne a contribué à faire de cette problématique l’une des priorités d’action de l’Union. Il convient de saluer les contours d’un plan assez large, visant à la fois la réinsertion des jeunes en rupture avec le système éducatif et le monde du travail, mais aussi le contenu même des formations.

La mesure phare de ce dispositif est la Garantie pour la jeunesse : la Commission invite chaque État membre à présenter dès 2014 une offre de qualité à tous les jeunes de moins de vingt-cinq ans, sans emploi ou sans formation. Les États sont incités à créer rapidement une structure dédiée.

Le Conseil européen des 27 et 28 juin dernier a permis de concrétiser ce projet, en dégageant un peu plus de huit milliards d’euros au sein du fonds « initiative pour l’emploi des jeunes », destinés aux régions dont le taux de chômage dépasse 25 %. L’Espagne, l’Italie et la France devraient en être les principaux bénéficiaires, la France devant percevoir 570 millions d’euros. Les États membres pourront également choisir de faire bénéficier les jeunes de moins de 30 ans de ce dispositif.

La Commission européenne a également présenté deux initiatives concernant les stages et l’apprentissage. Le document de consultation des partenaires sociaux européens sur un cadre de qualité pour les stages, insiste sur la nécessité de mieux définir les conventions de stage, d’en limiter la durée à six mois et d’établir une rémunération claire. La Commission a ainsi jeté les bases d’une alliance européenne pour l’apprentissage : l’objectif est d’améliorer l’offre et la qualité des apprentissages disponibles.

Un certain nombre de questions restent néanmoins en suspens. Le Conseil européen de juin 2013 n’y a que partiellement répondu. Il en est ainsi du financement et du calendrier retenus pour la mise en place du mécanisme de garantie pour la jeunesse. Ce dernier ne saurait par ailleurs être envisagé comme la seule réponse à la montée du chômage chez les 14-24 ans.

De telles propositions dépendent dans une large mesure de la conjoncture économique, nettement défavorable à l’heure actuelle. Il est indispensable que le programme soit le plus lisible possible pour les entreprises.

Par ailleurs, les dispositifs de garantie pour la jeunesse mis en place en Europe du Nord – Finlande, Suède –, souvent cités en exemple, ne constituent pas pour autant un gage de réussite pour endiguer le chômage des jeunes : celui-ci atteint dans ces deux pays près d’un quart de la population concernée. L’efficacité du mécanisme de garantie doit plutôt être analysée à l’aune de l’exemple autrichien, où le taux de chômage des jeunes est inférieur à 8 %. La garantie jeunes n’intervient cependant en Autriche qu’en dernier ressort, si la formation, l’alternance ou l’apprentissage n’ont pas débouché sur un emploi. Dans ce pays, comme en Allemagne, le point fort de la lutte contre le chômage des jeunes tient à l’efficacité de l’apprentissage ou de la formation en alternance.

Je crains pour ma part l’effet de saupoudrage : le dispositif est limité aux seules régions où le chômage des jeunes dépasse 25 %, pour un montant de 2 300 euros, contre 16 000 euros dans le cas de l’exemple autrichien.

La mise en place de l’initiative pour l’emploi des jeunes, comme les mesures en faveur de l’apprentissage, des stages, et de la garantie pour la jeunesse, constituent cependant un pas en avant et le signe d’une réorientation plus que nécessaire de l’action de l’Union européenne dans sa gestion de la crise économique.

M. Gilles Savary. Le détachement des travailleurs est un thème qui monte en puissance avant les élections européennes. La révision de la directive actuellement en cours est homéopathique, et on serait bien avisé de faire des propositions plus lourdes pour éviter la généralisation du « dumping social » via le détournement de la procédure du détachement. Il y a en effet actuellement des filières qui travaillent sur le « gap social » : cela devient un métier, systématique, car même en toute légalité la mobilité coûte 30 % de moins. Dans un environnement très concurrentiel, l’usage actuel de la réglementation déstabilise donc non seulement le marché du travail mais aussi le système social et in fine le système politique. Je souhaiterais ainsi vous faire part de l’existence d’une entreprise espagnole qui « joue » le détachement dans le Gard, en détachant 2400 travailleurs équatoriens. Il faudrait que la directive limite dans le temps les possibilités de détachement ; actuellement, cette limitation est laissée à l’appréciation de la jurisprudence, qui l’a fixée à vingt-quatre mois. Je voudrais dire à Jacques Myard que la directive « Bolkestein » peut aussi être un antidote. Regardez ce qui s’est passé avec Ryanair : si la qualification d’établissement dans le pays d’accueil est retenue, il s’en suit le paiement des charges sociales dans ce même pays. C’est pourquoi la durée du détachement est essentielle : il faut limiter la durée des détachements, circonscrits sur des tâches limitées. Nous avons avec mes collègues fait plusieurs préconisations, pour permettre un contrôle plus efficace de ces personnels très mobiles, et, notamment une carte du travailleur européen. On me dit que c’est trop compliqué ; mais je m’aperçois qu’une carte est prévue dans la directive « qualifications professionnelles » : cela pourrait être la même ! Nous avons aussi proposé avec mes collègues un salaire minimum de branche : c’est évidemment indispensable. Il faut, enfin, prendre l’Europe sur son terrain et constater que l’utilisation actuelle de la directive sur le détachement contrevient à un principe essentiel et fondamental de l’Union européenne, à savoir celui du respect de la concurrence libre et non faussée, et, comme je l’ai dit au ministre Repentin hier, nous devrions attaquer en justice l’Allemagne sur ce fondement.

Mme Françoise Castex. Je souscris totalement aux introductions de Mme Auroi et de M. Simon Sutour sur le lien entre la dimension sociale et la dimension économique de la crise. La dimension sociale de l’UEM est un chantier qui démarre, et la résolution de Mme Pervenche Berès va nous donner la direction à suivre. La réforme de la directive « détachement » est à mon avis la clé de voute de tout notre discours sur l’Europe sociale. Le clivage sur cette question est éminemment politique ; le vote sur cette directive en Commission des affaires sociales, au Parlement européen, l’a montré clairement. A titre d’exemple, sachez que le mandat pour aller négocier le trilogue a été voté à trente voix pour contre dix-sept contre. S’il y a eu un fort clivage, c’est car nous savions que le travail fait en commission « emploi » allait être « détricoté » en Conseil. La situation est actuellement bloquée ; le Conseil propose nouvelle version qui ne sera pas prête en décembre pour le prochain Conseil, ce qui signifie un report du vote sur la directive à la prochaine mandature. Rappelons qu’il ne s’agit pas de travailleurs qui viennent tout seuls, mais d’entreprises qui « importent » des travailleurs. Ce devrait être normalement beaucoup plus facile à contrôler. L’exemple fourni par notre collègue Gilles Savary est absolument pertinent. Je pense en revanche contrairement à lui que la limitation dans le temps n’est pas une solution : les entreprises contourneraient cette limitation en détachant d’autres travailleurs. La solution est à mon sens dans la mise en place d’un salaire minimum et le contrôle strict de l’application de la directive. En outre, Gilles Savary a raison sur la question de la concurrence libre et non faussée ; j’étais moi-même chargée de l’avis sur le rapport 2012 en commission des affaires sociales sur la DG concurrence et fait voter le fait que le « dumping social » est une entrave à la concurrence loyale.

M. Arnaud Richard. Il faut rappeler avec Jean Monnet que l’Europe se fait aussi à petits pas, c’est l’Europe des solidarités de fait. Le groupe UDI suit avec attention les débats sur la question de l’Europe sociale et notamment du détachement des travailleurs. Ces derniers temps, l’Europe est accusée de tous les maux, mais c’est le fait d’incompréhensions qui ont pour effet de monter les citoyens les uns contre les autres. Rappelons-nous des débats autour du plombier polonais lors de la précédente campagne électorale. Nos concitoyens ont besoin d’une Europe forte, et de concret et d’efficacité. Nous devons garder notre optimisme et nous atteler à construire pour l’avenir ; nous nous réjouissons en cela au groupe UDI des initiatives actuelles sur l’emploi des jeunes. Concernant le détachement des travailleurs, rappelons que les conclusions suite au rapport de nos collègues Guittet, Piron et Savary ont été ici votées à l’unanimité. Cela montre l’importance que nous accordons tous à cette question.

M. Henri Weber. Je souhaiterais pour ma part, au risque de paraître une fois de plus provocateur, rappeler que « l’affaire » du plombier polonais vient à l’origine de je ne sais quelle personnalité de la droite « dure » qui a jeté de l’huile sur le feu. N’oublions pas que les plombiers polonais sont les bienvenus en France, tout comme les plombiers Roumains d’ailleurs ou citoyens d’autres pays de l’Union, mais aux conditions du marché français : c’est là la vraie bataille. Je souhaiterais en outre souligner le fait que dans un autre secteur, celui du cinéma, la Commission va reconnaître licite les aides au soutien de cette industrie quelle que soit la provenance des entreprises concernées. Imaginez-vous que nos collectivités locales, et même notre État, vont continuer à investir si les aides sont déterritorialisées ? C’est notre industrie qu’on est en train d’assassiner. L’impact peut être dévastateur.

Mme Sandrine Doucet. Concernant la formation professionnelle et l’éducation, et la situation des jeunes en général sur laquelle travaille notre collègue Philip Cordery au sein de notre commission, je souhaiterais rappeler que même homéopathiques, les mesures adoptées sont importantes, car comme l’a exprimé M. Martin Schultz, nous avons le risque actuellement de création d’une « génération perdue ». La difficulté tient à ce que la situation de la jeunesse européenne est extrêmement diversifiée. Les jeunes sont parfois soumis à des situations très injustes, comme au Royaume-Uni où ils sont contraints de s’endetter pour étudier ; la situation de l’apprentissage n’a rien à voir entre l’Allemagne ou la France, et encore moins l’Espagne où il n’existe pas. Face à la question du chômage des jeunes, il est clair qu’il y a là une part du chantier. La question qui se pose est : comment assurer un avenir commun aux jeunes européens et éviter que les plus éduqués d’entre eux quittent leur pays dévasté économiquement ? Partir ce doit être pour s’instruire et non pour fuir. Le chantier est immense pour ne pas laisser une génération face à ces situations injustes voire désespérées.

M. Pierre Lequiller. Je vais provoquer aussi : il faut faire attention à notre terminologie. J’ai accueilli dans cette enceinte lorsque je la présidais M. Jacques Delors et je me souviens qu’il avait indiqué qu’il ne fallait pas parler d’Europe sociale, car le social est de la compétence des États. Je partage de fait ce point de vue : il faut faire attention de ne pas provoquer la critique populiste. Les disparités sociales et fiscales sont énormes entre les pays, et il vaudrait mieux parler de convergence sociale, et l’effectuer progressivement et par petits pas, comme le disait Arnaud Richard. Il n’y a pas d’Europe sociale, elle est balbutiante : ce doit être un objectif dont nous devons parler avec prudence. Par ailleurs, on voit sur l’affaire du tableau de bord et l’opposition entre l’Allemagne et la France, et aussi sur celle des insuffisances sur l’initiative pour l’emploi jeunes, dont l’application est différente d’un État à l’autre, qu’il n’est pas facile d’avoir un modèle unique. Et c’est normal : nous n’avons pas envie que l’on nous impose le modèle de sécurité sociale britannique et réciproquement ! L’Allemagne est en train d’accepter d’avoir un seuil minimal de salaire, mais celui-ci sera fonction de son propre modèle et de sa propre histoire, et c’est normal. Il faut être réaliste, le social reste encore largement de la compétence nationale, et si l’on avait adopté le système d’harmonisation totale, la récente réforme des retraites n’aurait pas pu être votée ! Je partage le point de vue de Gilles Savary sur la directive sur le détachement des travailleurs : c’est ce type de points très concrets qu’il faut améliorer avant les élections, pour combattre le populisme. Il y a un énorme effort à faire dans toute l’Europe et en particulier dans notre pays sur l’apprentissage et la convergence sociale, qui doit se faire à travers l’exemplarité des reformes réussies ailleurs. Nous pouvons par exemple être fiers de notre politique familiale tandis que sur l’apprentissage nous avons des leçons à prendre de nos voisins allemands. L’intérêt de l’Europe c’est aussi l’expérimentation.

M. André Schneider. Oui la route est longue et le chemin sera difficile mais nous devons donner l’exemple. Je suis député de Strasbourg et je regarde avec attention ce qui se passe à côté de notre frontière, où la télévision montre des Roumains qui certes sont exploités mais en sont contents car comme ils l’expriment au micro « c’est toujours mieux que chez eux »… Le problème de la France est dans le niveau élevé des charges sociales, tout le monde le sait. L’Europe de l’Atlantique à l’Oural harmonisée n’est pas pour demain. Nous devrions sérier les problèmes et fixer des caps en terme de calendrier. La surenchère actuelle des uns et des autres n’est pas bonne.

M. Philippe Boulland. Pour continuer, je souhaiterais rappeler que nous parlons tout de même d’économie sociale de marché, et je ne suis pas d’accord pour « jeter au caniveau » l’Europe sociale, car il y a quand même des compétences sociales au sein de l’Europe. L’Union est légitime pour s’interroger sur ces questions. Je pense au contraire que la convergence sociale aurait dû être faite depuis très longtemps, à un niveau supérieur et non à titre expérimental. L’initiative pour les jeunes c’est bien, mais cela arrive bien tard. Il faut être attentif aux expérimentations existantes et travailler sur le détachement des travailleurs – je rejoins les propos tenus sur ces sujets – mais au-delà de cela, nous avons besoin d’un idéal et d’une vision stratégique sur ce que peut apporter l’Europe sur le plan social pour le chômage et le pouvoir d’achat. Parler de l’Europe sociale, c’est répondre aux aspirations de nos concitoyens. Une convergence sociale à haut niveau n’est pas forcément utopique. Il faudrait l’imposer pour être gagnant-gagnant tant sur le plan du marché intérieur que sur celui du marché extérieur de chaque État membre, et singulièrement du nôtre.

Jean-Patrick Gille. Pour la première réunion à laquelle je participe comme membre de cette commission, j’ai retrouvé les thèmes qui m’intéressent et notamment la garantie jeunesse, que je suis au niveau national. Sa mise en œuvre sur le terrain est très floue pour les acteurs concernés, ce qui est problématique. Concernant l’apprentissage, il faut bien voir que les comparaisons entre pays ne sont pas si simples que ça et notre bon niveau d’étude général fait aussi l’envie des Allemands. Mme Chaynesse Khirouni travaille actuellement sur les stages au sein de notre assemblée, et il y a fort à faire, notamment sur la question des gratifications. Les convergences ne sont pas toujours faciles, mais c’est peut être sur les jeunes qu’il faut se concentrer, pour créer une sorte d’appétence à la convergence.

Mme Catherine Tasca. Je souhaiterais souligner à mon tour l’importance du thème de l’apprentissage. Le problème en France est qu’il est porteur d’une connotation péjorative, et il nous faut travailler sur cela. Je voudrais ensuite appuyer les propos de Gilles Savary : je suis convaincue comme lui de la nécessité de rappeler que le problème du détachement est aussi un problème de non-respect de la concurrence libre et non faussée, qui est un pilier de la construction européenne. Je rejoins en outre tout à fait Henri Weber sur le malheureux constat de la démolition de mécanismes qui sont essentiels pour nos industries culturelles et de l’image : nous devons être très vigilants et nous donner les moyens de résister à la Commission à ce sujet.

M. Pierre Lequiller. Je me suis mal fait comprendre : je dis qu’il faut faire attention à l’utilisation des mots, pas au concept derrière le vocable « Europe sociale ». Il faut sortir de l’idée des gens que l’Europe est coupable de tout, et j’ai peur que si on utilise ce terme on l’accuse de maux qui viennent des politiques nationales.

M. Gilles Savary. Je vais faire écho à Pierre Lequiller. Cela fait des années que l’on fait des campagnes sur l’Europe sociale, avec pour idée derrière dans chaque pays d’avancer ses pions pour transposer son propre modèle. C’est pour ça qu’on a perdu beaucoup de temps, pour se rendre compte que derrière la théorie de l’harmonie générale par convergence ; nous sommes en divergence voire en grave divergence, avec le risque d’un éclatement de l’euro. Il faut quand même qu’on protège nos populations et c’est la concurrence qui va nous aider, notamment la concurrence salariale. Nous sommes tout juste au début de ce phénomène qui sera massif avec des risques de xénophobie et d’éclatement du modèle européen. Il faut éviter que se remette en place des barbelés nationaux dans la tête des gens.

M. Simon Sutour. Je vais polémiquer avec Pierre Lequiller. L’Europe sociale existe, il faut montrer qu’elle apporte de l’emploi aussi ! Par ailleurs, cette réunion que nous avons une fois par trimestre pourrait être améliorée. Je félicite et remercie nos prédécesseurs qui en ont été à l’initiative, mais il me semble qu’on s’essouffle, non pas sur les thèmes mais sur la méthode. Je crois que nous devrions coordonner nos positions ; c’est déjà le cas entre le Sénat et l’Assemblée nationale, mais nous devrions nous coordonner avec les députés du Parlement Européen aussi. Nous devrions envisager des échanges plus précis sur les résolutions et plus nous coordonner sur le fond. J’émets cette idée, même si je ne sais pas sous quelle forme cela doit se faire. Nous devrions réfléchir ensemble sur cette question, peut être en liaison avec le ministre ou le SGAE.

La Présidente Danielle Auroi. S’agissant du lieu de ces réunions, nous pourrions nous réunir périodiquement à l’annexe du Parlement européen boulevard Saint Germain pour montrer symboliquement l’engagement des parlementaires européens. Nous pourrions aussi utiliser la visioconférence, que nous allons de notre côté à nouveau expérimenter le 14 novembre avec Gilles Savary sur les transports, avec la Commission transports du Parlement européen. Je vous remercie d’avoir participé à ces échanges, qui sont fructueux, riches et permettent de casser les barrières habituelles.

La séance est levée 18 h 10

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 30 octobre 2013 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jacques Cresta, Mme Sandrine Doucet, M. Jean-Patrick Gille, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Arnaud Richard, M. Gilles Savary, M. André Schneider

Excusés. - Mme Chantal Guittet, Mme Marietta Karamanli, M. Lionnel Luca

Assistaient également à la réunion :

Sénateurs : M. Yannick Botrel, Simon Sutour, Catherine Tasca,

Membres français du Parlement européen : Françoise Castex, Philippe Boulland, Henri Weber