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Commission des affaires européennes

mardi 17 décembre 2013

16 h 15

Compte rendu n° 107

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur 

II. Examen de la proposition de résolution européenne no 1616 de M. Jean-Jacques Urvoas, M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli, sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (COM (2013) 534 final) – E 8593)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 17 décembre 2013

Présidence de Mme Danielle Auroi,
Présidente de la Commission des affaires européennes,

La séance est ouverte à 16 h 15

I. Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur 

La Présidente Danielle Auroi. Nous sommes heureux, monsieur le ministre, de vous accueillir, pour la première fois, au sein de notre commission des affaires européennes.

Les sujets d’actualité sont nombreux, sur les différents volets de la dimension européenne de vos responsabilités ministérielles.

Pouvez-vous, en premier lieu, nous faire un bilan sur la coopération policière au sein de l’Union européenne : quelles sont les grandes avancées et les projets sur lesquels nous devons encore progresser ?

Nous nous sommes penchés à plusieurs reprises sur la politique d’asile et d’immigration : les derniers textes du « paquet asile » ayant été adoptés, quelles sont dorénavant les perspectives européennes en la matière ? La France poursuit-elle sa politique restrictive, s’agissant notamment de l’absence de régularisation des ressortissants Syriens ?

S’agissant des frontières extérieures, pouvez-vous dresser un premier bilan de la récente mise en œuvre du système européen de surveillance des frontières – Eurosur ? Pouvez-vous expliquer la position de la France sur les négociations relatives au projet de règlement Frontex ? En particulier, les compétences de sauvetage en mer doivent-elles demeurer du ressort exclusif des États membres ? Des associations attirent l’attention sur certaines pratiques qui seraient contraires aux droits de l’homme : au moment où la Grèce s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne, il existe entre la Grèce et la Turquie une série de dossiers douloureux et inquiétants relevant de cette question.

Par ailleurs, quelle est la position des autorités Françaises sur le paquet « frontières intelligentes » déposé par la Commission européenne en janvier 2013, qui devrait accélérer, faciliter et renforcer les procédures de vérification aux frontières pour les étrangers se rendant dans l’Union européenne ?

Quel est votre point de vue sur la proposition de règlement déposée par la Commission européenne sur Europol, sur laquelle notre commission a adopté une proposition de résolution à l’initiative de Mme Marietta Karamanli le 12 novembre 2013 ?

Quelles sont les perspectives et l’état des négociations sur l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen ? Quel bilan dressez-vous de la mise en œuvre du système d’information Schengen de deuxième génération – SIS II ?

Enfin, quels sont les progrès effectués pour mettre en œuvre une véritable stratégie d’intégration des populations roms, tant au niveau de l’Union européenne que de chacun des États membres ? L’adoption par le Conseil, le 19 décembre 2013, de la recommandation relative à des mesures efficaces d’intégration des Roms dans les États membres, va-t-elle permettre d’aller de l’avant dans ce domaine ?

M. Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur. Le droit de l’Union européenne est de plus en plus présent en matière de séjour et a fortiori en matière d’asile. C’est en matière d’asile que l’effort de transposition à venir est le plus important. Nous avons transposé la directive étendant le statut de résidant de longue durée aux réfugiés. Nous devons prochainement transposer la directive dite « qualification » et mettre nos recours en conformité avec les exigences du règlement Dublin III. Nous veillerons à ce que les adaptations de notre droit national puissent être effectuées dans les meilleurs délais. Dans le cadre de la loi à venir, nous devons transposer les directives « accueil » et « procédures ». Les nouvelles garanties prévues par ces textes, qui sont impératives, devront être compatibles avec notre volonté commune de réduire les délais de procédure et de fixer un délai de 9 mois à atteindre en 2015. Ces directives, qui donnent des droits aux demandeurs d’asile, sont en effet susceptibles d’allonger les délais de procédure.

Les dispositions les plus importantes des directives sur la lutte contre l’immigration irrégulière et le droit de séjour ont été transposées par les lois des 16 juin 2011 relative à l’immigration et du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour. La loi sur l’immigration qui devrait, je l’espère, être discutée en 2014 permettra d’améliorer cette transposition. Deux dispositions sont concernées : celle relative à l’interdiction du retour sur le territoire français qui est appliquée de manière trop aléatoire, et celle concernant l’assignation à résidence, dont notre droit ne fait pas assez une alternative réelle à la rétention. L’assignation à résidence doit être clarifiée et renforcée.

S’agissant de Frontex et du règlement sur les frontières maritimes, qui est un sujet difficile, le drame de Lampedusa nous a rappelé, une nouvelle fois, la nécessité de disposer d’une gestion commune et efficace des frontières extérieures de l’Union européenne. Le Conseil JAI a nommé une « task force » dont la Commission a repris à son compte les conclusions, qu’elle a présentées au Conseil JAI des 5 et 6 décembre. Les grands chapitres d’action de cette communication de la Commission européenne nous conviennent du point de vue français. Le rôle de l’agence Frontex est questionné, voire critiqué : certains voudraient que le sauvetage en mer relève de Frontex ; or cela n’est pas son rôle. Je milite en revanche pour que son rôle opérationnel soit renforcé. Cette position a reçu beaucoup de soutien de l’Espagne et de l’Allemagne. Pour lutter efficacement contre les passeurs, nous devons empêcher le départ des embarcations depuis les côtes Sud de la Méditerranée. De ce point de vue, la coopération entre l’Espagne et la Mauritanie et le Sénégal est très intéressante. Il n’est toutefois pas aisé de conclure des accords avec certains États, tels que la Libye, ce qui est un sujet de grande préoccupation.

Le nouveau règlement Eurosur mutualise l’information. S’agissant précisément de la surveillance des frontières maritimes, les États membres viennent d’adopter un nouveau règlement qui permet de mieux encadrer la coopération opérationnelle coordonnée par Frontex.

S’agissant des frontières intelligentes, le renforcement des contrôles aux frontières – tout en préservant la fluidité de la circulation des voyageurs - constitue un enjeu majeur pour l’Union européenne comme pour chacun des États membres. Le paquet « frontières intelligentes » présenté cette année par la Commission européenne s’efforce de répondre à cet enjeu. Il prévoit deux systèmes technologiques d’enregistrement : le système entrées/sorties permettra de connaître les ressortissants des pays tiers en temps réel, et un second système visera le franchissement des contrôles via des bornes automatisées. Les négociations devraient être très longues. Ce système pourrait gagner en qualité s’il faisait d’emblée référence aux données biométriques. Il me semble également indispensable d’assurer l’interopérabilité de ces deux nouveaux systèmes avec le SIS II, comme avec le système d’information sur les visas.

La proposition de règlement de la Commission européenne portant sur Europol, déposée en mars 2013, vise à accroître l’efficacité d’Europol. Cette proposition tient compte des dispositions du traité de Lisbonne et accroît la responsabilité d’Europol à l’égard des parlements nationaux et du parlement européen. Elle renforce en outre la protection des données à caractère personnel. Je défends le principe du contrôle parlementaire, qui devra s’exercer par l’intermédiaire d’une commission mixte, rassemblant des représentants européens et nationaux. Il me semble cependant important de délimiter le périmètre du contrôle exercé sur le directeur exécutif : ce contrôle ne doit à mon sens pas porter sur ce qui relèverait du fonctionnement interne. Europol doit rester un outil opérationnel tourné vers les besoins des États membres. Enfin, je désapprouve l’idée de la fusion du collège européen de police (CEPOL), avec Europol, dans la mesure où aucune synergie nouvelle ni économie d’échelle ne semblent devoir se dégager de cette fusion.

Le système Schengen fait quant à lui l’objet d’interrogations, portant tant sur le projet politique européen que sur la question des frontières. Une prise de conscience est nécessaire, sur l’organisation de nos frontières communes, sur le rapport avec les pays qui veulent établir de nouvelles relations avec l’Union européenne, sur le système de visas, ainsi que s’agissant de la demande d’entrée de la Bulgarie et la Roumanie dans l’espace Schengen. Aucun de ces sujets n’est simple. Par exemple, je suis inquiet de la situation d’un pays comme l’Albanie, dont les ressortissants sont exemptés de visas. Le débat se poursuit sur l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen et rien n’est décidé. La discussion porte sur la possibilité de lever les contrôles aux seules frontières aériennes. L’entrée de ces deux pays dans Schengen les rendrait responsables de la surveillance extérieure des frontières de l’Union européenne : ceci suppose que ces deux pays - pour laquelle la même décision doit être prise au même moment - soient en capacité d’assumer une telle responsabilité. Or, ils ne sont pas prêts, même si des progrès ont été constatés dans les mécanismes de surveillance.

Par ailleurs, il n’existe pas, actuellement, d’avancées significatives pour aider les pays ayant beaucoup de ressortissants des communautés roms. Des financements existent, et il appartient à la Commission européenne et à ces pays d’organiser les dispositions d’intégration, notamment s’agissant de la scolarisation des enfants. Nous y sommes très attentifs.

Enfin, la question des réfugiés syriens n’est pas régie par l’Union européenne et dépend de chacun des États membres. Plus de 5 000 citoyens syriens séjournent en France. L’asile est actuellement accordé à 98 % des Syriens qui viennent en France et qui en font la demande. Le Président de la République a décidé d’accueillir 500 réfugiés syriens ; un préfet a été nommé à cet effet. Ce travail se fait exclusivement avec le HCR.

Mme Marietta Karamanli. Vous avez évoqué la question du sauvetage en mer des migrants, et du nouveau règlement en discussion sur Frontex. J’ai vu que les négociations allaient démarrer ce mois-ci. Quelle forme concrète pourrait prendre une coopération accrue entre le bateau ayant le pavillon de l’État national et Frontex ?

En ce qui concerne l’asile, notre commission a voté une résolution soutenant le principe du maintien d’une liste nationale des pays d’origine sûrs, tant que l’établissement d’une telle liste n’a pas pu faire l’objet d’un accord au niveau européen. La France peut-elle jouer un rôle moteur pour permettre l’établissement de cette liste, ce qui permettrait de faire un pas en avant vers la création d’un régime européen d’asile commun ?

Sur la questions des Roms, notre commission a récemment présenté un rapport qui insistait particulièrement sur la question des fonds mis en œuvre en direction des pays d’origine, mais qui sont insuffisamment utilisés pour le moment. L’Union européenne doit pouvoir être plus engagée envers ces pays. Nous avons rencontré au début de la semaine le Premier ministre roumain, avec Philipe Cordery, Christophe Caresche, Bruno Le Roux. Nous avons pu aborder cette question des Roms, et nous avons envisagé une d’adopter une résolution commune entre les deux parlements sur le sujet. Quelle est votre position sur ce sujet, qui est un sujet européen et qui a besoin de coordination, de temps, mais aussi d’initiatives fortes sur ce sujet ?

Mme Marie-Louise Fort. Monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur l’érection du mur entre la Turquie et la Bulgarie ? Où en est la Turquie en ce qui concerne la limitation des migrations des nombreux réfugiés qui stationnent sur son territoire ou transitent par la Turquie ?

La semaine dernière a été votée une loi sur la pénalisation des clients de la prostitution. Lors de votre audition par la commission spéciale, vous avez commencé à répondre sur ce que peut faire la France pour l’éradication des réseaux de prostitution infantile. Y a-t-il des avancées sur le sujet ?

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, vous avez souligné à juste titre que pour éviter des drames comme Lampedusa, il fallait éviter que les bateaux partent. Hors, c’est illusoire lorsque l’on voit des États délabrés comme la Lybie. Nous ne sommes pas à la fin des flux migratoires, cela ne fait que commencer ! Est-ce que les États européens ont conscience de cette évolution ? Il y a un problème d’affichage, dû à l’effet d’appel. Le cordon sanitaire extérieur de Schengen ne fonctionne pas. Je crois qu’on n’évitera pas de reposer la question de l’avenir de Schengen.

M. William Dumas. Je souhaiterais également savoir quelles sont les contributions financières des budgets européens pour les populations Roms, qui font partie des populations les plus discriminées actuellement. Que font la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie pour intégrer ces populations ?

Mme Sophie Rohfritsch. Suite aux déclarations critiques de Gilles Babinet concernant l’article 13 de la loi de programmation militaire, qui permettrait d’imposer une forme « d’état martial » pour accéder au réseau numérique, quelle est votre position personnelle sur ce sujet ?

Par ailleurs, il ne faut pas oublier, lorsque l’on parle d’Europol ou du parquet européen, les institutions dont nous avons la chance de disposer en France, et notamment, à Strasbourg, depuis le 1er octobre, le collège européen de l’investigation financière et de l’analyse financière criminelle, apte à former les fonctionnaires européens pour mieux appréhender la criminalité financière.

M. Jean-Luc Bleunven. La France recense actuellement 180 ressortissants parmi les combattants des groupes armés islamistes en Syrie. Avec votre homologue belge, vous plaidez pour une meilleure coopération afin d’analyser ce phénomène qui concerne entre 1 500 et 2 000 jeunes européens. Il s’agit notamment de renforcer les mesures de protection au retour des djihadistes sur notre territoire. L’une de ces mesures proposées est celle de l’endiguement de la radicalisation, notamment sur internet. Hors cela demande une coopération des services de renseignements, souvent frileux envers ce type d’échanges d’informations. Je sais que l’Italie était plutôt favorable à ce type de coopération, qu’en est-il des autres pays ?

M. Pierre Lequiller. S’agissant du parquet européen, où en est-on ? Je voudrais également vous poser une question sur Schengen, car je partage votre avis sur le fait que la Roumanie et la Bulgarie ne sont pas prêtes à intégrer cet espace. Mais, plus largement, ne faut-il pas se poser des questions sur l’avenir de Schengen, notamment lorsqu’on voit la porosité de la frontière grecque ? Quelle direction politique donner à Schengen ? Ne faudrait -il pas mettre en place un système de sanctions vis-à-vis des pays qui ne surveillent pas assez leurs frontières, ce qui a des conséquences pour toute l’Union européenne ?

Nous avons reçu le président du Parlement albanais il y a quelques temps, et nous lui avons fait part de notre inquiétude sur les circuits de vente d’armes et de traite d’êtres humains, votre préoccupation est tout à fait justifiée.

En ce qui concerne l’Italie, Lampedusa et Malte, je suis extrêmement préoccupé parce que je pense que la réaction européenne n’est pas suffisante. Nous devons prendre nos responsabilités politiques. Comment expliquer que les crédits de Frontex aient été diminués ? La vocation de Frontex doit aussi être d’avoir des gardes-frontières européens. Il faut une coopération avec les pays d’arrivée, notamment l’Italie, mais également avec les pays de départ.

M. Philippe Cordery. Comme Marietta Karamanli l’a indiqué tout à l’heure, nous nous sommes rendus en Roumanie. Nos homologues mais aussi la société civile nous ont fait part de leur incompréhension face au report de l’entrée dans Schengen, tout le monde observant que, sur les frontières aériennes et maritimes, la Roumanie remplit tous les critères pour adhérer.

Je voudrais également rappeler que la question de Schengen n’a strictement rien à voir avec la question des Roms puisque la libre circulation est indépendante de Schengen. Par contre, ce report de l’adhésion risque d’être un obstacle au développement économique et social de Schengen. Ne faudrait-il pas découpler l’entrée de la Roumanie et celle de la Bulgarie ? Que faire pour que la question se débloque ?

M. Didier Quentin. Cela fait 20 ans que l’on parle de mettre en place d’un corps de garde-côtes ? Est-ce qu’un jour ce projet pourrait être mis en place ?

En matière de coopération policière, est-ce que le Comité permanent de coopération opérationnel de sécurité intérieure créé par le traité de Lisbonne vous paraît pertinent ?

Sur Schengen, il me semble qu’un accord de réadmission vient d’être signé entre l’Union européenne et la Turquie et qu’à terme, un régime de libéralisation du régime des visas pour les Turcs pourrait être institué. Les Roumains et les Bulgares ne risquent-ils pas de trouver qu’il y a là un problème ?

Mme Nathalie Chabanne. Sur la question du droit d’asile, nous ne pouvons que nous féliciter de la réforme de la directive relative aux procédures de droit d’asile, qui prévoit notamment de limiter le délai pour l’examen des demandes à six mois, et de renforcer les garanties fondamentales, comme le droit à un interprète dans les centres de rétention. Cette directive va donc dans le bon sens, au vu des particularités de ce public, particulièrement fragile. Que pensez-vous du point de vue des associations comme Amnesty International ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui préconise la suppression totale des filtres, y compris celui de la préfecture, qui préconise la création d’une autorité administrative dédiée au traitement de l’asile, qui pourrait par exemple être l’OFPRA ? Je souhaitais également savoir ce que vous pensiez de l’avis rendu par la Commission nationale consultative des droits de l’homme au sujet du rapport Létard-Touraine sur la réforme de l’asile.

M. Christophe Caresche. Je pense que la France a raison d’être exigeante dans le contrôle des frontières extérieures, parce que c’est la garantie de la libre-circulation. Mais est-ce qu’il faut aller vers une plus grande communautarisation, avec des dispositifs comme Frontex, ou vers une plus grande responsabilisation des États ? Sur le plan budgétaire, tout cela a un coût.

M. Manuel Valls. Sur la loi de programmation militaire, Jean-Yves Le Drian a eu l’occasion à plusieurs reprises d’expliquer la légitimité des dispositions prévues par l’article 13 et les garanties apportées en matière de protection des libertés. Notre objectif est l’efficacité opérationnel de nos services de renseignement dans le respect de nos droits et de nos libertés. Nous devons travailler d’une manière générale à renforcer le contrôle de nos services de renseignements et à débattre autour de nos services de renseignement.

Il y a aujourd’hui plus de 200 ressortissants français en Syrie, 70 ou 80 qui sont en transit, une grande centaine qui cherchent à s’y rendre et une quinzaine qui y sont décédés. Ces phénomènes concernent tous les pays de l’Union européenne (Belgique, Danemark, la Grande Bretagne, l’Espagne et l’Italie dans une moindre mesure). Ce sont des jeunes, désocialisés, avec un passé de délinquance, convertis pour la plupart, qui veulent combattre dans les rangs djihadistes. En deux ans, ils sont déjà plus nombreux qu’ils ne l’ont été en Afghanistan. Cette situation d’une ampleur inégalée fait craindre le retour de ces personnes, et nécessite des initiatives et des échanges de très haut niveau entre les services de renseignement. À Bruxelles, la veille du Conseil Justice et Affaires intérieures, nous avons rencontré des représentants australiens et américains à ce sujet. Des initiatives doivent être prises : la France, aujourd’hui, peut punir les actes terroristes qui ont eu lieu en dehors de son territoire. Est-ce que l’intention d’aller combattre pourrait aussi faire l’objet de poursuites ? Il pourrait être souhaitable d’harmoniser le droit européen en la matière. Depuis bientôt deux ans, une proposition est sur la table à propos du PNR européen. J’ai pris l’initiative d’écrire au président de la Commission LIBE du Parlement européen à ce sujet, sans réponse pour le moment.

Christophe Caresche a bien posé le débat sur l’espace de Schengen.

C’est précisément parce que nous sommes attachés à la libre-circulation, l’un des piliers de l’Union européenne, que nous devons répondre au risque de remise en cause que fait peser sur elle une surveillance défaillante de nos frontières extérieures. Or, cette surveillance est aussi de la responsabilité des États, en particulier ceux qui font face aux afflux de migrants illégaux. Je pense évidemment à l’Italie, à la Bulgarie et la Roumanie, dont les destins sont liés en raison de l’importance de leur frontière commune, et même à la Grèce, qui a beaucoup progressé.

Une surveillance efficace suppose en parallèle une étroite coopération avec les pays tiers d’où partent ces populations qui fuient, bien naturellement d’ailleurs, la misère. Il ne faut en effet pas oublier à la fois combien ces migrations posent aussi des difficultés aux pays de l’autre côté des frontières de l’Union et combien une maitrise des flux doit efficacement reposer sur une action de qualité de la part de tous les États traversés. Le Maroc consent ainsi, par exemple, un important effort pour juguler les migrations illégales, dont les succès, certes perfectibles, expliquent sans doute que ces dernières empruntent aujourd’hui désormais majoritairement d’autres voies, via la Libye ou la Tunisie notamment.

C’est pourquoi toute solution partielle qui ne solliciterait pas l’ensemble des leviers disponibles créerait immanquablement un immense appel d’air.

Et c’est pourquoi il faut accepter de débattre, sans faux semblants, des moyens d’améliorer sans cesse l’organisation et la gouvernance de notre espace Schengen.

S’agissant de la question voisine des réfugiés, je vous le dis sans ambiguïté. J’ai une obsession aujourd’hui, c’est de sauver le droit d’asile. Or il est en danger mortel. Vous ne pouvez pas avoir 70 000 demandeurs d’asile en France, 100 000 en Allemagne, dont 80 % seront déboutés, et ne pas se poser la question de savoir si l’on utilise le droit d’asile à des fins de migrations économiques.

Il est indispensable que l’Europe trace un cadre adapté, dans lequel nous pourrons intégrer notre réforme qui devra reposer sur des délais d’instruction des demandes beaucoup plus courts, sur une organisation beaucoup plus directive de l’accueil des demandeurs d’asile, et sans doute, au terme de larges consultations et au regard des nombreux et excellents travaux parlementaires effectués sur cette question, sur une organisation des acteurs mieux déconcentrés et décentralisés. La question centrale demeure évidemment la suivante, à laquelle aucun Gouvernement n’a jusqu’ici trouvé de réponse satisfaisante : que fait-on des personnes déboutés de leur demande ?

À cet égard d’ailleurs, je ne peux que souscrire à l’idée d’une liste commune européenne des pays sûrs et des pays qui ne le sont pas. Et je souhaite bien sûr que cette liste réponde à des critères incontestables, et stables, évitant par exemple qu’un pays comme l’Arménie ait pu changer chaque année de catégorie. Et je souhaite par ailleurs que nous nous entendions sur des critères réalistes. L’Albanie et le Kosovo doivent ainsi être reconnus comme des pays sûrs. Une première approche efficace serait que nous harmonisions nos positions au moins dans un cadre bilatéral, en particulier avec l’Allemagne.

S’agissant de la Turquie, le débat est d’une autre nature, et s’inscrit sur un chemin au long cours. Se posent en effet les questions de la réadmission, de l’asile, et la libéralisation des visas, qui n’interviendra que si la feuille de route est respectée, ce qui ne sera bien évidemment pas facile.

La vocation des pays des Balkans, quant à eux, à adhérer ne peut être contestée. Il suffit d’observer n’importe quelle carte d’Europe. Mais, là encore, du chemin reste à accomplir, et griller les étapes serait contre-productif.

La question des Roms nous interpelle tous. Les pays où résident la majorité des populations Roms aujourd’hui doivent être aidés, et les États sont prêts à assumer leur responsabilité, je le sais. La crédibilité de l’Union se joue là-dessus aussi, elle qui ne peut se contenter d’admonester les pays d’accueil pour leurs prétendues difficultés à intégrer rapidement des populations singulièrement fragiles alors même que ces États, comme le nôtre, consentent de réels et importants efforts.

La présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le Ministre, des informations très précises que vous nous avez données aujourd’hui. Nous aurons certainement à vous auditionner à nouveau, le moment venu, sur les sujets importants et sensibles que vous avons évoqués.

II. Examen de la proposition de résolution européenne no 1616 de M. Jean-Jacques Urvoas, M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli, sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (COM (2013) 534 final) – E 8593)

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Madame la Présidente, mes chers collègues, le présent rapport examine la proposition de résolution européenne déposée par M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, M. Guy Geoffroy et moi-même, afin de prendre position sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (COM[2013] 534), déposée par la Commission européenne le 17 juillet 2013.

La proposition de règlement est apparue décevante sur plusieurs points aux personnes auditionnées ainsi qu’à moi-même. Les attentes étaient grandes mais la proposition de règlement a laissé en suspens certaines questions essentielles et s’est parfois bornée à réglementer sommairement certains aspects clés.

Les personnes auditionnées ont notamment toutes souligné l’impossibilité d’adhérer à la structure proposée, reposant sur un procureur unique aux pouvoirs étendus, secondé par des adjoints et des procureurs délégués. Le champ de compétences proposé, limité, pour des motifs pragmatiques, à la seule protection des intérêts financiers de l’Union soulève également des interrogations. À titre liminaire, il convient donc de souligner que la proposition de la Commission européenne est éloignée des positions défendues depuis plus de dix ans par l’Assemblée nationale au travers de deux résolutions adoptées, la première le 22 mai 2003 (texte adopté no 139), et la seconde le 14 août 2011(texte adopté no 726) à l’initiative de notre collègue Guy Geoffroy et de votre rapporteure.

Cependant, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui avait ouvert la possibilité de créer un parquet européen, une proposition se trouve sur la table des négociations et il convient donc d’adopter une démarche qui, bien que critique, doit demeurer constructive et réaffirmer le soutien de principe à la création d’un parquet européen. L’institution d’un parquet européen constituera un pas en avant considérable, faisant passer la coopération judiciaire pénale au stade de l’intégration européenne, car l’action publique serait enclenchée au niveau européen par un organe européen.

Il convient également en introduction de rappeler que la proposition a fait l’objet d’un carton jaune par quatorze chambres des parlements nationaux de l’Union. L’Assemblée nationale n’a pas jugé la proposition contraire au principe de subsidiarité, tout en ne méconnaissant bien entendu pas les difficultés, notamment en termes de proportionnalité, soulevées par ce texte. La Commission européenne a réexaminé son projet et décidé de le maintenir malgré les fortes réserves émises, ce qui n’est sans doute pas la meilleure méthode possible pour avancer sur un tel dossier.

La proposition de résolution européenne examinée rappelle en son point 1 le soutien constant apporté par l’Assemblée nationale à la création d’un parquet européen, indispensable pour renforcer la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et la délinquance financière au détriment de l’Union européenne. Le point 2 accueille favorablement la présentation par la Commission européenne d’une proposition de règlement visant à créer un parquet européen mais l’Assemblée nationale estimerait, en point 3, que certaines des modalités retenues par la Commission européenne devraient être revues afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du parquet européen.

Quelles seraient les compétences du parquet européen ? La proposition de la Commission européenne tend à établir un parquet européen dont la compétence matérielle serait limitée à la protection des intérêts financiers de l’Union. Pour des motifs pragmatiques, parce que l’unanimité requise au niveau du Conseil européen semble en l’état actuel inatteignable, la Commission européenne limite l’ambition du texte et se situe en deçà des possibilités offertes par l’article 86 TFUE du traité de Lisbonne.

Il convient de relever que cette position diffère de l’ambition continuellement réaffirmée par l’Assemblée nationale de voir un parquet européen édifié, non seulement pour la protection des intérêts financiers de l’Union, mais aussi pour la criminalité grave transnationale, au sujet de laquelle les attentes de réponses européennes sont grandes de la part de nos concitoyens. La traite des êtres humains, le trafic de drogue et le terrorisme sont autant de pans de la grande criminalité qui appellent une réponse européenne intégrée.

La proposition de résolution rappelle donc (point 4) que l’Assemblée nationale souhaite que la compétence du parquet européen soit étendue à la criminalité grave ayant une dimension transnationale.

La Commission européenne propose que le parquet européen dispose d’une compétence exclusive en matière de protection des intérêts financiers de l’Union et s’agissant des infractions connexes qui y sont inextricablement liées. Des problèmes juridiques et pratiques ne manqueraient pas d’apparaitre si la compétence du parquet européen devait être celle-ci. Notamment, le parquet se trouverait à traiter nombre d’infractions de faible portée pour lesquelles son implication n’est pas justifiée.

La proposition de résolution propose donc (point 5) que le parquet dispose d’une compétence partagée avec les États membres, assortie toutefois d’une obligation d’information du parquet européen de la part des autorités judiciaires nationales de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétences, et d’un droit général d’évocation qui permettrait au parquet européen de se saisir de toute affaire.

Quelle structure pour le parquet européen ? La proposition de résolution rappelle (point 6) que le parquet européen devrait être créé à partir de l’unité Eurojust, en application du TFUE. Cela emporte des conséquences sur sa structure ainsi que sur la localisation du siège du parquet, qui devrait être situé aux côtés de celui d’Eurojust.

La principale difficulté relevée dans la proposition de la Commission européenne réside dans la figure du procureur européen tel qu’elle le propose. En effet, dans le projet de la Commission européenne, le parquet européen est composé d’un procureur européen, de quatre procureurs adjoints et des procureurs européens délégués dans les États membres.

Le parquet européen serait un organe de l’Union doté d’une structure décentralisée. Il disposerait de la personnalité juridique.

Le procureur européen dirigerait le parquet européen et en superviserait les travaux. Les enquêtes et poursuites seraient menées par les procureurs européens délégués sous la direction et la surveillance du procureur européen et celui-ci pourrait mener lui-même l’enquête si cela apparaissait nécessaire pour l’efficacité de l’enquête ou des poursuites. Le procureur européen serait nommé par le Conseil de l’Union, statuant à la majorité simple, avec approbation du Parlement européen pour un mandat de huit ans non renouvelable. La sélection serait effectuée à partir d’un appel à candidatures ouvert, la Commission européenne établissant ensuite une liste restreinte de candidats, après avis d’un comité mis en place par la Commission européenne. Sans détailler plus avant les prérogatives du procureur européen, il convient de relever qu’il disposerait de pouvoirs étendus en matière de nomination et de révocation des procureurs européens délégués. Ces éléments ont été jugés disproportionnés par de nombreux États membres. L’atteinte à la souveraineté nationale apparait excessive. À cet égard, la résolution propose (point 16) que le gouvernement saisisse le Conseil d’État d’une demande d’étude sur ce projet afin qu’il indique si des dispositions lui semblent contraires à des principes ou règles constitutionnels.

Contrairement à la proposition de règlement, l’Assemblée nationale souhaite depuis 2003 un parquet de forme collégiale. La proposition de résolution précise (point 7) que le parquet serait composé de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judicaires respectifs et élisant en leur sein un président. Une telle structure collégiale conférerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques. Son efficacité s’en trouverait nécessairement renforcée (point 8). Le point 9 porte sur la formation du collège en chambres restreintes regroupant les membres nationaux des États membres concernés par un dossier et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes, seules les décisions les plus importantes étant renvoyées au collège. Par ailleurs, la résolution propose en son point 10 que les procédures de nomination et de révocation, ainsi que le statut des membres nationaux s’inspirent de ceux prévus pour les membres de la CJUE et par le statut de la CJUE. Le rapport examine ces questions. En tout état de cause, les procédures proposées par la Commission européenne ne peuvent être maintenues.

Sans détailler ici l’ensemble des problématiques soulevées par la proposition de règlement, il convient de souligner que :

- les garanties procédurales prévues par la proposition de règlement, à travers le renvoi aux directives européennes en cours de transposition ainsi qu’au droit interne des États membres peuvent être approuvées (point 11) ;

- les insuffisances relatives au contrôle juridictionnel de la légalité des actes d’enquête et de poursuite, qui est confié en totalité aux juridictions nationales, doivent être soulignées (point 12). Par ailleurs, la proposition restreint l’obligation des juridictions nationales d’adresser à la CJUE des questions préjudicielles. Ce sont autant d’éléments qui paraissent juridiquement hasardeux ;

- la proposition de résolution s’interroge sur les modalités de contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire devant les juridictions nationales et celle relative au choix de la juridiction de renvoi, au regard du droit à un recours effectif. Ces décisions emporteront de lourdes conséquences pour les justiciables, notamment en l’absence d’harmonisation plus avancée des droits nationaux et doivent pouvoir faire l’objet d’un recours ;

- enfin, la proposition suggère que les règles relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription soient complétées afin d’éviter tout risque de forum shopping, une harmonisation minimale étant nécessaire au bon fonctionnement du parquet européen.

En conclusion, la proposition de résolution invite la Commission européenne à revoir son projet afin de pouvoir y rallier le plus grand nombre d’États membres, s’il le faut dans la perspective d’une coopération renforcée, qui serait la première marche vers un parquet européen auquel l’ensemble des États membres participeraient.

La Présidente Danielle Auroi. Ce sujet est très important, d’autant que cela fait une dizaine d’années que la délégation, puis la commission des affaires européennes, se sont montrées favorables à l’institution d’un parquet européen. Les derniers travaux ont été menés sous la présidence de Pierre Lequiller, que je tiens d’ailleurs à remercier aujourd’hui. Je rappelle notamment que, sous la précédente législature, le Conseil d’État a réalisé, en 2011, sur la demande de notre commission, une étude de grande qualité, suivie par l’adoption d’une résolution européenne par notre commission, sur le rapport de M. Guy Geoffroy et de Mme Marietta Karamanli. En outre, sur le plan procédural, nous avons aujourd’hui un excellent exemple de la coopération entre notre commission et la commission des lois, qui nous permet d’examiner une proposition de résolution du Président Urvoas, de Mme Karamanli et de M. Geoffroy.

Sur le fond, je partage pleinement les critiques formulées par la rapporteure à l’encontre du texte présenté par la Commission européenne, qui propose la création d’un « Procureur » européen surpuissant, qui n’est absolument pas dans la tradition européenne. C’est ce qui explique notamment l’avis motivé émis au titre de la subsidiarité par nos collègues du Sénat. Cependant, il ne faudrait pas, à l’inverse, se contenter de créer un parquet européen, en quelque sorte « intergouvernemental », composé de représentants des États, chacun étant compétent pour les affaires qui concernent son pays, sans qu’existe aucune autorité interne. Au contraire, le chef du parquet européen devrait disposer d’un pouvoir d’arbitrage réel.

Un parquet européen compétent pour lutter contre la grande criminalité internationale, comme nous le souhaitons, doit, pour être efficace, fonctionner de manière collégiale. Il apporterait ainsi une réelle plus-value par rapport à la coopération judiciaire classique entre les États membres.

Enfin, j’approuve pleinement les dispositions de la proposition de résolution prévoyant l’institution de normes élevées de procédure pénale et de garanties des droits dans le cadre de la création du parquet européen, le texte de la Commission européenne étant particulièrement lacunaire en ce domaine.

Je vous propose donc de soutenir largement cette résolution.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je dois dire que l’enregistrement, dans un premier temps, par des responsables de la Commission européenne, de la position du Sénat au titre de la subsidiarité comme une position émise par la France m’a réellement interrogée. L’épisode n’est pas anodin. Notre commission doit s’assurer que nos positions soient bien prises en compte par les institutions européennes.

M. William Dumas. Je ne comprends pas que nos positions soient différentes avec le Sénat sur un sujet comme celui-ci. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, et ce manque de coordination m’interpelle.

La Présidente Danielle Auroi. Les deux assemblées sont indépendantes, mais effectivement, pour renforcer notre coordination avec le Sénat, nous nous proposons de nous rencontrer régulièrement entre les deux bureaux pour identifier les sujets prioritaires. Mais ensuite, quelle stratégie employer pour exercer une véritable influence ? Nous avons examiné le texte sur le parquet et n’avons pas jugé fondé, à la différence de nos collègues sénateurs, d’émettre un avis motivé au titre de la subsidiarité – c’est-à-dire de considérer que le principe de subsidiarité n’était pas respecté. Je rappelle que – selon les traités – considérer qu’un texte ne respecte pas le principe de subsidiarité suppose que l’on considère que l’objectif recherché par le texte serait mieux atteint par une action menée au niveau des États, plutôt qu’au niveau de l’Union. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Nous avons une stratégie d’examen des textes au fond. Sur ce texte, la voie de la mise en cause de la subsidiarité présentait le fort risque d’être associé aux chambres qui sont contre le principe même du parquet européen, alors même que ce n’est pas le cas du Sénat.

M. Pierre Lequiller. Oui, le Sénat a toujours été en faveur du parquet européen.

Mme Marietta Karamanli. Je crois en effet qu’il faut réfléchir en termes de stratégie, et ces stratégies ne doivent pas être les mêmes sur tous les sujets. Selon les textes, nous pouvons venir en appui d’un position de l’exécutif ou, en agissant suffisamment tôt, porter notre analyse auprès du Parlement européen.

La Commission a ensuite adopté à l’unanimité la proposition de résolution.

« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),

Vu la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (COM [2013] 534 final) ;

Vu les résolutions européennes de l’Assemblée nationale sur le parquet européen no 139 du 22 mai 2003 et no 726 du 14 août 2011,

1. Rappelle le soutien constant qu’elle a apporté à la création d’un parquet européen, indispensable pour renforcer la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et la délinquance financière au détriment de l’Union européenne ;

2. Accueille favorablement la présentation par la Commission européenne d’une proposition de règlement visant à créer un parquet européen ;

3. Estime cependant que certaines des modalités retenues par la Commission européenne dans sa proposition devraient être revues, afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du parquet européen ;

4. Souhaite que la compétence du parquet européen soit étendue à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme le permet l’article 86, paragraphe 4, TFUE ;

5. Juge que le parquet européen devrait disposer non pas d’une compétence exclusive, mais d’une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d’une obligation d’information du parquet européen par ces dernières de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétence et d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir de l’affaire en cause ;

6. Rappelle que le parquet européen devrait être créé, conformément à l’article 86, paragraphe 1, TFUE, à partir de l’unité Eurojust et donc entretenir des liens étroits avec cette dernière, ce qui exige notamment une proximité géographique s’agissant de son siège ;

7. Souhaite que le parquet européen soit institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs et élisant en leur sein un président, et non sous celle d’un procureur européen unique, assisté par des adjoints et des délégués auxquels il adresserait ses instructions ;

8. Estime que cette structure collégiale conférerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité ;

9. Considère que ce collège pourrait être divisé en formations restreintes ou chambres, regroupant les membres nationaux des États membres concernés par le dossier, et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes, seules les décisions les plus importantes étant renvoyées au collège, afin d’assurer la réactivité nécessaire à la conduite des enquêtes ;

10. Recommande que les procédures de nomination et de révocation ainsi que le statut des membres du parquet européen s’inspirent de ceux prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne par les articles 253 à 255 TFUE et par le Statut de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de garantir leur indépendance ;

11. Approuve les garanties procédurales prévues par la proposition de règlement, conformes à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

12. Regrette l’insuffisance des dispositions relatives au contrôle juridictionnel des actes d’enquête et de poursuite du parquet européen, qui confient le contrôle de la légalité de l’ensemble de ces actes aux juridictions internes et restreignent l’obligation des juridictions nationales d’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle en appréciation de validité ;

13. S’interroge, en particulier, sur les modalités de contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire devant une juridiction de jugement et celle relative au choix de cette juridiction, qui auront des conséquences importantes pour la personne mise en cause, au regard du droit à un recours juridictionnel effectif ;

14. Suggère que les dispositions relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription soient complétées, une harmonisation minimale apparaissant nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du parquet européen ;

15. Invite la Commission européenne à modifier sa proposition dans un sens susceptible de recueillir la participation du plus grand nombre d’États membres dans le cadre d’une éventuelle coopération renforcée, tout en maintenant un degré élevé d’ambition et d’intégration ;

16. Suggère au gouvernement français de saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la proposition de règlement avant son adoption, afin qu’il indique si ce texte lui paraît comporter des dispositions contraires à des principes ou des règles de valeur constitutionnelle. »

La séance est levée à 18 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 17 décembre 2013.

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Caresche, Mme Nathalie Chabanne, M. Philip Cordery, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Patrick Gille, Mme Marietta Karamanli, M. Jean Leonetti, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Didier Quentin, Mme Sophie Rohfritsch, M. André Schneider

Excusés. - M. Hervé Gaymard, Mme Annick Girardin, M. Jérôme Lambert, M. Lionnel Luca, M. Jean-Louis Roumegas