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Commission des affaires européennes

mardi 15 avril 2014

16 h 30

Compte rendu n° 124

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente Puis de Mme Marietta Karamanli, Vice-présidente

I. Table-ronde sur la politique européenne de l’asile avec la participation de : M. Laurent Muschel, directeur migration et asile, direction générale affaires intérieures de la Commission européenne ; Mme Geneviève Jacques, Présidente de la CIMADE ; M. Robert Visser, directeur exécutif du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) ; M. Kris Pollet, conseiller juridique et politique du Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) ; M. Jean-François Dubost, responsable du programme personnes déracinées d’Amnesty international France ; Mme Brigitte Frénais-Chamaillard, cheffe du service asile à la direction générale des étrangers en France du Ministère de l’intérieur ; Mme Claire Salignat, responsable des questions européennes de Forumréfugiés

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 15 avril 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 heures 30

I. Table-ronde sur la politique européenne de l’asile avec la participation de : M. Laurent Muschel, directeur migration et asile, direction générale affaires intérieures de la Commission européenne ; Mme Geneviève Jacques, Présidente de la CIMADE ; M. Robert Visser, directeur exécutif du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) ; M. Kris Pollet, conseiller juridique et politique du Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) ; M. Jean-François Dubost, responsable du programme personnes déracinées d’Amnesty international France ; Mme Brigitte Frénais-Chamaillard, cheffe du service asile à la direction générale des étrangers en France du Ministère de l’intérieur ; Mme Claire Salignat, responsable des questions européennes de Forumréfugiés

La Présidente Danielle Auroi. Nous avons le plaisir de recevoir, pour cette table ronde sur la politique européenne de l’asile, des intervenants majeurs de plusieurs institutions et associations, aux missions différentes, qui œuvrent chaque jour, dans un contexte complexe et parfois dramatique : M. Laurent Muschel, directeur migration et asile à la direction générale affaires intérieures de la Commission européenne ; Mme Brigitte Frénais-Chamaillard, cheffe du service de l’asile au ministère de l’intérieur ; M. Robert Visser, directeur exécutif du bureau européen d’appui en matière d’asile, accompagné par M. Luis Cerdán Ortiz-Quintana, conseiller du directeur exécutif ; M. Kris Pollet, conseiller juridique et politique pour l’European council on refugees and exiles (ECRE) ; Mme Geneviève Jacques, présidente de la CIMADE ; M. Jean François Dubost, responsable du programme Personnes déracinées pour Amnesty international France ; Mme Claire Salignat, chargée d’opérations Europe pour Forum réfugiés-Cosi. Je précise que nous avions souhaité la présence de représentants de FRONTEX, mais ils n’ont pas pu être là aujourd’hui.

Le droit d’asile est au cœur de nos valeurs républicaines et constitue un droit fondamental, défendu aux niveaux international et européen.

La politique européenne de l’asile est appelée à occuper une place de plus en plus importante, compte tenu de la mise en œuvre du régime d’asile européen commun qui, après la première phase du milieu des années 2000, doit désormais trouver un nouvel essor avec la mise en œuvre de la deuxième phase du régime d’asile européen commun, suite à l’adoption, en 2013, des dernières directives des paquets législatifs relatifs à l’asile. Les dernières données statistiques démontrent l’importance de la demande d’asile en Europe : en 2013, le nombre de demandes déposées dans l’Union a atteint 435 000, contre environ 335 000 en 2012.

J’ai souhaité que les débats puissent plus particulièrement porter sur deux points principaux : les dernières évolutions des demandes d’asile dans l’Union et les difficultés particulières rencontrées par certains États membres confrontés à des augmentations massives du nombre de demandes d’asile ; la seconde phase de mise en œuvre du régime d’asile européen commun. Il conviendra à cet égard d’examiner les avancées prévues par les nouvelles législations européennes, les travaux des différents États membres pour mettre en œuvre rapidement les nouvelles dispositions prévues par les texte et les attentes quant à la suite des travaux au niveau européen, notamment dans le cadre de l’adoption du prochain programme pluriannuel en matière de justice et d’affaires intérieures qui succédera au programme de Stockholm.

M. Arnaud Richard. Nous avons remis, avec ma collègue Jeanine Dubié, un rapport, au nom du comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, sur la politique d’accueil des demandeurs d’asiles. Je tiens à saluer l’esprit républicain qui a présidé à la conduite de nos travaux. Le droit d’asile est un élément fondamental de notre République et nos positions convergent, pour l’essentiel.

Il s’agissait de fournir à notre Assemblée un travail sérieux d’évaluation et de proposition en vue de la discussion d’un projet de loi qui viendra après l’été. Au terme de ces travaux, nous dressons un constat particulièrement inquiétant. Les délais de l’asile en France fragilisent les véritables demandeurs d’asile et rendent très difficile l’exécution des décisions d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour les personnes déboutées. En effet, sous l’effet d’une demande en forte augmentation, notre dispositif d’accueil des demandeurs d’asile traverse une crise caractérisée par un allongement des délais et des coûts budgétaires croissants.

Nous plaidons en faveur d’une réforme d’ensemble de la politique d’accueil des demandeurs d’asile, alliant respect des droits et performance de l’action publique. Nous avons fait vingt propositions en ce sens. Nous proposons de simplifier l’accueil des demandeurs d’asile en mettant en place un lieu d’accueil unique au niveau des préfectures de région, d’assurer un hébergement et un accompagnement adaptés aux demandeurs d’asile en instaurant un pilotage national avec un dispositif d’orientation des demandeurs d’asile vers un lieu d’hébergement, de développer les capacités des centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) et de réduire le recours à l’hébergement d’urgence.

Au-delà des avancées qui ont été celles des dernières années au niveau européen depuis le règlement Dublin II ou grâce la création du bureau européen d’appui en matière d’asile pour faciliter les échanges d’information et développer la coopération entre les États membres, ainsi que la mise en place du fonds européen pour les réfugiés qui finance les projets d’aide en matière d’asile, le temps est venu d’harmoniser nos législations et de mutualiser pleinement nos moyens pour faire face au mieux à cette problématique essentielle pour nos pays.

M. Laurent Muschel, Directeur migration et asile, direction générale affaires intérieures de la Commission européenne. Nous dénombrons 435 000 demandes d’asile en Europe en 2013, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2012. Notre pays n’est pas le seul affecté par cette augmentation du nombre des demandeurs d’asile. En fait, la France avec 65 000 demandeurs d’asile, contribue largement à l’accueil des demandeurs d’asile. Mais l’Allemagne et la Suède accueillent respectivement 126 000 et 54 000 demandeurs d’asile et, si l’on rapporte les chiffres à la population, la France reçoit cinq fois moins de demandeurs d’asile que Malte ou la Suède et deux fois moins que la Belgique.

Les raisons de l’augmentation sont diverses et variées. Il y a bien sûr la crise syrienne, avec un afflux de syriens ces deux dernières années, mais également la corne de l’Afrique, avec un flux important de Somaliens. Une autre raison réside dans la longueur des délais de procédure qui augmente le nombre de faux demandeurs d’asile, qui se dirigent vers les États membres dans lesquels les procédures sont les plus longues ou les conditions d’accueil les meilleures. Il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui les Balkans de l’Ouest soient parmi les premiers pourvoyeurs de demandeurs d’asile en Europe. Ils se livrent à l’« asylum shopping ».

Lorsque l’on compare les délais de procédures, on peut noter qu’en France, le délai moyen pour une décision de première instance est de six à sept mois, tandis qu’au Pays-Bas, la moyenne est de neuf jours, et de trois mois et demi en Suède.

J’ai pu lire à ce sujet dans la presse française que Bruxelles impose des règles folles. Je rappelle que Bruxelles n’interdit pas des procédures d’asile en premier examen de neuf jours. Les Pays-Bas sont en conformité avec les règles communautaires mais la France ne l’est pas. Les règles européennes permettent des prises de décision rapides dans le domaine de l’asile.

Dans le domaine de l’acquis communautaire, notre objectif est d’assurer une convergence des systèmes. Cela signifie qu’un demandeur d’asile, qu’il arrive en France, en Suède, en Bulgarie ou en Espagne, sera traité de la même façon, dans les mêmes conditions d’accueil et avec les mêmes chances d’obtenir le statut de réfugié. C’est pourquoi nous avons créé un acquis communautaire et que nous veillons à sa bonne mise en œuvre. Pour veiller au respect des principes de l’acquis communautaire, la Commission européenne utilise la carotte et le bâton. La carotte correspond au financement avec un budget de 400 millions d’euros par an alloué au fonds d’asile et d’immigration afin d’aider les États membres dans ce domaine. Le bâton correspond évidemment aux procédures d’infraction que nous enclenchons à l’égard des États qui n’appliquent pas l’acquis communautaire correctement. Nous avons aussi des mécanismes de soutien notamment le bureau européen d’appui en matière d’asile qui agit en matière de formation, d’information, de soutien aux États membres ou de projets pilotes.

En ce qui concerne la question de la solidarité, la situation est aujourd’hui paradoxale. Si l’on appliquait correctement le règlement Dublin, les demandeurs d’asile seraient tous en Italie, à Malte, en Grèce ou en Bulgarie, soit à la frontière externe de l’Union, car les demandeurs d’asile doivent voir leur demande traitée dans le premier pays d’arrivée dans l’Union.

Dans les faits, 70 % des demandes d’asile sont traitées par cinq pays : la France, l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni et la Belgique, et la plupart de sont pas une frontière extérieure de l’Union.

La solidarité s’exerce donc de facto. Mais elle n’est pas organisée au niveau de l’Union européenne. Or ce sera le principal défi des prochaines années : avoir un système juste en termes de répartition de la charge entre États membres face à l’augmentation de la demande d’asile. Nous avons bien sûr aidé les États membres qui sont sous pression, comme la Bulgarie par exemple, avec des aides d’urgence et des plans d’action ciblés. Mais ce n’est pas assez.

Un des débats futurs est aussi la question de Mare NostruM. Après le drame de Lampedusa, les Italiens ont mis en place un système de sauvetage en mer. Mais celui-ci présente un effet pervers car nous avons constaté une augmentation des arrivées par bateau de Lybie. En effet, plus de 14 000 personnes sont arrivées depuis le début de l’année en Italie, alors qu’en temps normal les bateaux n’arrivent pas en hiver. Il y a donc un effet d’appel dans nos politiques d’asile que l’on doit mesurer pour éviter que nos politiques attirent trop les faux demandeurs d’asile et les migrants économiques. Il faut veiller à un bon dosage et cela fait partie des difficultés que nous devrons gérer à l’avenir.

En conclusion, j’aimerais traiter de la question de l’intégration des réfugiés. Nous avons légiféré au niveau européen dans le détail sur les procédures pour obtenir le statut de réfugié, sur la détermination l’État membre responsable pour traiter la demande d’asile mais aussi sur les conditions d’accueil. Or, une fois obtenu le statut de réfugié, la clé est d’être intégré. Parmi les migrants, les réfugiés sont une population particulière ayant des problèmes additionnels d’intégration. Ils ont deux fois plus de difficulté en termes d’intégration que les migrants économiques. Il faut donc faire des efforts en ce sens. Le problème, là encore, est qu’il y a énormément de divergences entre les États membres dans les politiques d’intégration des réfugiés.

Mme Brigitte Frénais-Chamaillard, cheffe du service asile, direction générale des étrangers en France du ministère de l’intérieur. La France n’occupe pas tout à fait une place moyenne. Je rappelle que la France se situe au troisième rang des pays industrialisés en termes d’accueil de demandeur d’asile, derrière les États-Unis et l’Allemagne, et devant la Suède, le Royaume-Uni et l’Italie. Jusqu’en 2011, elle a été le premier pays d’accueil des demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne. Elle a connu, à partir de 2007, une progression importante de sa demande d’asile car elle a accueilli 35 000 demandeurs d’asile en 2007 mais 65 000 en 2013. Cette progression a eu un impact significatif sur un système d’asile configuré pour accueillir un certain nombre de demandeurs d’asile.

La France représente 15 % de la demande au sein de l’Union européenne, demande qui est caractérisé par une très forte concentration sur plusieurs États membres de l’Union, dont l’Allemagne, la France et la Suède qui concentrent plus de la moitié de la demande d’asile en Europe, et avec cinq pays qui concentrent plus de 70 % de la demande d’asile.

La structure de la demande d’asile en France est assez différente de celle des autres pays de l’Union européenne quant à la provenance des demandeurs d’asile. Selon Eurostat, les trois pays d’origine de l’immigration au niveau européen sont la Syrie, la Russie et l’Afghanistan, tandis qu’en France, on retrouve la République démocratique du Congo, le Kosovo et l’Albanie. La Russie et la Syrie sont parmi les six premiers pays d’origine en France.

La seconde phase de mise en œuvre du régime d’asile européen commun est une phase extrêmement importante dans laquelle nous devons relever le défi d’apporter la garantie à un demandeur d’asile que sa demande sera traitée de la même façon, peu importe le pays dans lequel celle-ci est étudiée, avec des garanties identiques et les mêmes conditions d’accueil.

C’est sous la présidence française qu’avait été décidée, en 2008, la refonte de ces textes qui régissaient le droit d’asile au niveau européen. Nous nous étions jusqu’alors appuyés sur des normes minimales. L’enjeu est aujourd’hui plus ambitieux puisqu’il s’agit d’harmoniser de manière beaucoup plus approfondie l’ensemble du système d’asile, s’agissant du contenu de la protection, des procédures ou des conditions d’accueil, tout en veillant à respecter les traditions juridiques et administratives des États membres.

Toutes ces négociations ont permis d’aboutir, en juin 2013, à un ensemble de textes équilibrés, permettant la mise en œuvre d’un système cohérent et lisible. Ils accordent une place spécifique aux personnes vulnérables.

Les règlements et directives vont devoir être transposés dans le droit français pour y être adaptés. Nous ne nous contenterons pas d’une simple transposition, compte tenu de la crise du système d’asile français.

M. Manuel Valls, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, a ouvert une large concertation sur la réforme du système d’asile, parlant d’un « système à bout de souffle ».

Les changements concerneront par exemple les modalités d’instruction de la demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puisque selon les nouvelles dispositions prévues par la directive « procédures », le demandeur d’asile pourra être assisté pendant l’entretien par un conseil, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, l’entretien devra faire l’objet d’un enregistrement sonore et le rapport pourra faire l’objet de commentaires.

Il est encore trop tôt pour dresser les grandes orientations de cette réforme ou le contenu du projet de loi qui doit être très prochainement déposé au Parlement. Je peux néanmoins vous rappeler quelques axes, tels que la réduction nécessaire des délais d’instruction, le renforcement apporté aux garanties des demandeurs d’asile, la simplification générale de notre système d’asile et le pilotage plus directif de l’orientation des demandeurs vers un lieu d’hébergement.

M. Robert Visser, directeur exécutif du bureau européen d’appui en matière d’asile. En fin de semaine dernière, j’étais en Sicile, attendant le ferry vers Malte où se situent nos bureaux, quand est arrivé en face un bateau de la marine italienne avec à son bord plus de 140 migrants. Voici la réalité d’aujourd’hui, et elle est très proche de celle d’il y a dix ou quinze ans et dont chacun se rappelle. Cependant, il y a eu beaucoup changements depuis : à l’époque, il n’y avait pas encore de politique commune d’asile, et on ne parlait même pas de politique migratoire européenne. Nous entamons maintenant la deuxième phase de la politique commune en matière d’asile. Même si c’est un grand pas en avant, il y a encore beaucoup de choses à améliorer.

Nous distinguions auparavant les États membres fondateurs et les autres, opposant ceux du Nord et ceux du Sud. Nous voyons sur nos chaînes de télévisions des images de bateaux remplis de migrants, mais la réalité actuelle est plus complexe puisque l’immigration en provenance des frontières avec l’Est de l’Europe prend de l’importance. L’année dernière, parmi les cinq pays principaux recevant le plus de demandeurs d’asile, comptaient la Pologne et la Hongrie. Personne n’avait prévu ce changement. Les États membres deviennent tous des pays d’accueil de demandeurs d’asile, malgré leurs différences. Il est donc important pour nous, qui travaillons sur le côté opérationnel, de tenir compte de ces changements.

Dans ce contexte, que devra prévoir le prochain programme pluriannuel pour l’asile et l’immigration ? Premièrement, il impliquera nécessairement la transposition, la mise en œuvre et la consolidation du paquet asile. Deuxièmement, il y aura d’autres phases dans le futur. La réalité de la migration de demain ne peut pas être prévue, comme personne n’a pu prévoir les migrations depuis la Syrie ou l’Afghanistan. Nous devons désormais être flexibles et ouverts aux changements. Troisièmement, le système commun d’asile n’est pas un but en soi, mais un instrument de convergence. Quatrièmement, la solidarité est un mot assez lourd et pas toujours bien précisé. Elle n’est pas à sens unique. En Europe, le système implique que les États membres prennent leurs responsabilités, puis vient la solidarité. Cela suppose une confiance mutuelle entre les États membres. Responsabilité, confiance et solidarité sont trois éléments essentiels.

Chaque jour, en tant qu’agence de coopération opérationnelle et pratique, le bureau européen d’appui doit se concentrer sur la valeur ajoutée pour les États membres, la Commission européenne et le Conseil. Le bureau analyse les tendances de l’asile pour l’Union européenne et la capacité des Etats à être préparés à gérer les flux migratoires. Il faut également gérer un système d’information commun. En effet, l’information sur les pays d’origine des migrants est essentielle. Enfin, il faut un système pour les situations d’urgence rencontrées en Grèce, en Bulgarie ou en Italie. Le bureau apporte un soutien le plus complet possible et couvre des missions variées.

M. Kris Pollet, conseiller juridique et politique pour l’European council on refugees and exiles (ECRE). Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour cette table ronde. Je représente un réseau de 82 organisations non gouvernementales (ONG) qui aident les réfugiés à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union Européenne, dont le mandat consiste à défendre une politique juste et humaine.

En ce qui concerne le paquet asile, notre évaluation est mitigée. Les trois objectifs proposés par la Commission européenne sont le renforcement des normes de protection, le renforcement des normes d’harmonisation et la simplification du cadre juridique. Le troisième est en échec. La Commission européenne devra donc travailler sur ce point pour aider les États membres dans leur mise en œuvre. Il faut cependant souligner qu’un pas en avant important a été fait en termes de normes de protection car elles étaient assez faibles au départ.

Deux points sont à relever s’agissant de la directive « procédures ». Les nouvelles dispositions renforcent le droit, pour un demandeur d’asile, d’avoir un entretien de qualité. Afin d’améliorer la qualité des décisions prises en matière d’asile dans le futur, les États membres doivent assurer un entretien de qualité et les demandeurs d’asile doivent pouvoir réagir et modifier le rapport s’ils estiment qu’il comprend des erreurs. Les dispositions sur le droit au recours effectif nécessitent un appel avec un effet suspensif automatique. Avec l’ article 46, il est vrai que les États membres peuvent opter pour un système qui voudrait que l’ effet suspensif soit dans certains cas demandé par le demandeur d’asile. Toutefois, c’est un système compliqué, à la fois pour les juridictions et pour les demandeurs d’asile. De plus, la jurisprudence européenne exige un effet suspensif.

J’aimerais maintenant revenir sur les évolutions récentes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Récemment, dans la décision sur l’affaire Stella Josef contre la Belgique du 27 février 2014, il a été jugé que le système belge était trop complexe et ne garantissait pas un recours effectif. L’évolution de la jurisprudence est intéressante car elle se dirige globalement vers un système de recours avec un effet suspensif automatique.

Nous avons plusieurs inquiétudes sur la mise en œuvre du paquet asile. La Commission doit se pencher sur la manière dont les États membres vont le mettre en œuvre.

Les États membres régissent de manières différentes l’accès à l’Union européenne des demandeurs d’asile. Par exemple, l’Italie se concentre sur des contrôles aux frontières plus aboutis. Ses politiques actuelles font que les demandeurs d’asiles doivent avoir recours à des passeurs car il n’existe pas de voie d’accès légale pour les demandeurs d’asile. En Bulgarie, où plus de 1 500 policiers ont été postés à la frontière avec la Turquie, la politique menée a fait significativement baissé le nombre de demandes d’asile.

Mme Geneviève Jacques, présidente de la CIMADE. Le point de vue que je présenterai ici sera peut-être un petit peu différent ; il part de la réalité du terrain, du ressenti de ceux qui essaient de demander l’asile en Europe.

Je passerai très rapidement sur trois missions que je viens d’effectuer, en Libye, en Égypte et en Israël, pour illustrer comment les effets de la politique européenne et, bien sûr, la situation de l’instabilité politique de ces pays, conduisent à mettre en danger des demandeurs d’asile. Les chiffres changent constamment, sur ces frontières meurtrières autour de l’Europe. En effet, les derniers chiffres documentés sur les décès indiquent 23 258 morts depuis 2000. Il ne s’agissait certes pas uniquement de demandeurs d’asile mais il y en avait parmi eux. Il y a donc un véritable problème qui n’est pas nouveau mais qui concerne également la politique d’asile. La Libye est un pays important car la plupart des bateaux en partent, tous les extraits de presse de votre dossier en attestent, ce n’est pas un hasard.

Pendant un temps, la Libye fut un lieu d’asile précaire, mais tout de même un pays où il y avait du travail, donc où les personnes qui fuyaient des guerres d’Érythrée, du Soudan ou de Somalie pouvaient se rendre pour trouver un emploi. Il faut souligner les conditions absolument invraisemblables, les mauvais traitements, les exactions et l’enfermement qu’ils subissent actuellement.

Ce pays s’est transformé en une impasse dangereuse et impossible pour ceux qui n’ont pas l’option de rentrer chez eux, c’est-à-dire les demandeurs d’asile. Et ce n’est pas un hasard si les bateaux sont remplis de personnes qui sont des demandeurs d’asile et non, comme on le dit toujours la presse, de clandestins. De même, la situation en Égypte se complique encore un petit peu plus car ce pays subit les conséquences de la guerre en Libye, avec l’installation de camps du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) à la frontière. Notre pays n’a d’ailleurs accueilli presque aucun de ces réfugiés – seulement une personne en provenance du camp de Choucha, en Tunisie.

Depuis l’année dernière, avec les militaires au pouvoir, la situation est de plus en plus difficile pour les Syriens en Égypte, avec l’imposition de visas, etc. Cela explique les arrivées massives actuelles, non pas de clandestins essayant d’atteindre l’eldorado européen mais proprement de demandeurs d’asile.

Des demandeurs d’asile érythréens du Soudan et de Libye avaient tenté, alors que l’Europe et la Libye se fermaient, de trouver une terre d’asile en Israël, via le Sinaï. La situation y est également déplorable actuellement car on ne les reconnait pas comme des réfugiés ou des demandeurs d’asile. Ils sont appelés des « infiltrés » ! Il y en a actuellement 56 000 en Israël. Le pays a mis en place une législation « anti-infiltration » qui se traduit par l’enfermement de ces personnes dans des camps ainsi que dans la construction d’un mur infranchissable.

Nous recommandons que l’Union européenne prenne en compte la situation très spécifique des pays au Sud de la Méditerranée. Plus précisément, pour éviter de devoir sauver la vie de ces hommes et de ces femmes qui risquent leurs vies en prenant la mer – car il ne s’agit pas d’aventuriers –, il faudrait absolument une politique de visas humanitaires. Ça serait la seule façon d’exercer notre devoir de protection et également la meilleure façon de tarir ce commerce criminel de passeurs qui s’enrichissent. Il faut offrir aux demandeurs d’asile la possibilité de venir légalement en Europe.

Nous préconisons aussi que, dans les accords conclus entre Israël et l’ Union européenne, il soit demandé à l’État d’Israël de respecter la Convention internationale de Genève, dont il fut l’un des premiers signataires.

Il convient enfin d’insister sur le devoir de protection, proclamé, bien sûr, par tous mais qui s’applique difficilement. Il faut arrêter de parler de façon indiscriminée de migrants, de flux migratoires, etc. Il est nécessaire d’identifier précisément les personnes en danger qui cherchent protection. Cela pourrait changer cette image négative ainsi que la peur de l’« invasion » qui est aussi à la source des réactions xénophobes et également à la source des décisions de fermeture des frontières.

Il faudrait absolument que toutes ces questions soient déconnectées de la question de la gestion de flux migratoires. Beaucoup de questions se posent également sur le fonctionnement de FRONTEX.

Ensuite, en ce qui concerne l’assistance et l’accueil, une suggestion, qui vous paraîtra peut-être iconoclaste, consisterait à réorienter les financements européens des dépenses sécuritaires vers les fonds accordés à l’asile ou aux aides aux pays actuellement dans une situation de crise. Le chemin nous semble encore long entre les discours et les pratiques que nous constatons sur le terrain.

M. Francois Dubost, responsable du programme Personnes déracinées pour Amnesty international France. Merci, madame la présidente, d’avoir opté pour une retransmission de nos débats en direct car, sur ces questions, il est important que la transparence soit la plus totale.

Le sujet est important pour trois raisons : l’adoption récente du paquet asile, la réforme française du droit d’asile et les discussions européennes en cours quant aux orientations futures pour les cinq prochaines années du nouveau programme pluriannuel qui succèdera au programme de Stockholm.

Nous pouvons parler de l’examen des demandes d’asile sur le territoire de l’ Union européenne mais encore faut-il que les réfugiés, les personnes en demande de protection, puissent accéder de façon sécurisée et accéder à ce territoire. La position d’Amnesty International est claire concernant la coopération enclenchée ou à venir des institutions, des agences de l’Union européenne et des États membres avec les États tiers. Des coopérations se développent dans le cadre principalement du contrôle des migrations et cette question nous pose un problème majeur, dans le sens où l’intérêt, le respect du droit d’asile, la possibilité des personnes à solliciter l’asile auprès de ces États ou même la possibilité de voir leurs droits humains respectés est rarement prise en compte. Si l’Union européenne décide de collaborer avec des États de l’autre côté de la Méditerranée principalement, cela ne peut pas se faire au détriment des droits des migrants, notamment du droit de solliciter l’asile.

Par ailleurs, s’agissant toujours de l’accès au territoire, le développement de l’ensemble des techniques et moyens de contrôle aux frontières, principalement en mer – règlement établissant des règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures dans le cadre de la coopération opérationnelle menée par FRONTEX, déploiement du système de compilation des informations EUROSUR et projets entre États –, dispositifs permettant d’anticiper, de prévenir et d’éviter des arrivées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne, vise à la fois des migrants en situation irrégulière et des personnes souhaitant solliciter une protection internationale. Par conséquent, il nous parait important tant dans les textes – c’est parfois le cas – que dans les intentions et les pratiques, les États membres et la Commission européenne s’attachent systématiquement à s’assurer que le droit de solliciter l’asile et que le principe de non refoulement soient respectés de façon effective. L’agence FRONTEX n’a pas le monopole des interceptions en Méditerranée ; les États concernés doivent être soumis aux mêmes règles que celles imposées à FRONTEX. Il en est de même pour le dispositif EUROSUR, dont il est souvent dit qu’il permettra de sauver des vies : les dispositions du règlement EUROSUR ne comportent aucune disposition, aucune garantie, aucune procédure permettant de savoir comment ces vies seront sauvées et comment les droits des personnes interceptées seront respectés.

Mme Claire Salignat, chargée d’opérations Europe pour Forum-réfugiés-Cosi. Notre organisation accueille beaucoup de demandeurs d’asile, population accompagnée du début de la procédure jusqu’à l’intégration des réfugiés.

Le règlement Dublin III induira des changements importants – particulièrement pour la France –, qui devront intervenir très rapidement puisque le règlement est applicable depuis janvier 2014.

Le règlement impose la conduite d’entretiens individuels systématiques avec les demandeurs d’asile en préfecture, dans une langue comprise par la personne, en présence d’un interprète si nécessaire et dans le respect de la confidentialité, ce qui n’est pas vraiment le cas, en France, dans les préfectures. Il est aussi obligatoire de fournir une brochure d’information commune, rédigée par la Commission européenne, qui aidera sans doute beaucoup à pallier les problèmes d’informations des demandeurs d’asiles placés en rétention.

On ne peut que se réjouir que 20 % au moins du fond Asile, migration et intégration, récemment validé par le Parlement européen, soient dirigés vers des mesures en faveur de la politique d’asile. L’on pourrait même imaginer que les États aillent bien au-delà de ces 20 %, compte tenu des difficultés d’accueil dans certains États.

Il est nécessaire que les demandeurs d’asile disposent de voies légales pour arriver sur le territoire européen. Si la directive relative à l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées n’est pas utilisée, il faut l’interpréter avec souplesse pour pouvoir y avoir recours plus facilement.

Enfin, s’agissant de la proposition de règlement établissant les règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures, l’absence de formation des gardes-frontières à l’identification des demandeurs d’asile doit être soulignée. Il serait intéressant de suivre les recommandations de la médiatrice européenne, qui, en novembre dernier, a demandé la mise en place par FRONTEX d’un mécanisme de traitement des plaintes relatives aux violations des droits fondamentaux. FRONTEX a jusqu’à présent a refusé cette responsabilité, en arguant qu’il s’agissait de la responsabilité des États concernés.

Présidence de Mme Marietta Karamanli, vice-présidente.

Mme Marietta Karamanli, Présidente. Au sein de la Commission des affaires européennes, avec mon collègue Charles de La Verpillière, nous avons déjà pris position au sujet du paquet « asile » et nos travaux se poursuivent.

Enfin, je prépare, pour le Conseil de l’Europe, un rapport relatif à l’intégration des migrants et aux politiques susceptibles d’être conduites au niveau européen. Pensez-vous que l’intégration des migrants dans les différents États membres passe aussi par une politique plus globale d’intégration ?

M. Joaquim Pueyo. Il est difficile de distinguer les migrants économiques des demandeurs d’asile ; la frontière est assez compliquée à établir. Je souhaiterais que les procédures soient moins lentes qu’elles ne le sont actuellement. Il est naturel que les migrants économiques soient attirés par l’Union européenne.

Il arrive que la procédure soit très longue ; j’ai eu à connaître de familles déboutées au terme de plusieurs recours puis, après l’intervention du préfet, contraintes à quitter la France et expulsées. Et là, on touche à des problèmes humains : des enfants, en France depuis trois ou quatre ans, allant à l’école ; des liens sociaux avec l’environnement familial. Parfois même, la population locale se mobilise pour que l’expulsion n’ait pas lieu. Il est injuste de renvoyer des personnes qui ont réussi à s’intégrer, même si elles ont triché au départ, puisqu’elles n’étaient pas demandeuses d’asile.

On ne peut pas laisser ouvert à tous l’accès au territoire de l’Union parce que cela risquerait de se retourner contre les personnes ayant un réel besoin de protection. Il est naturel que les pays puissent maitriser l’immigration. Mais l’ Union européenne doit fixer des règles communes. Il y a une dizaine d’année, des populations traversaient la France pour aller en Angleterre car les conditions d’accueil y étaient meilleures. Des règles communes éviteraient les mouvement secondaires des demandeurs d’asile. J’assistais il y a quelques jours à une manifestation sportive et les premiers arrivés étaient des migrants ; j’ai compris pourquoi ils étaient venus en Europe.

Mme Jeanine Dubie. J’ai été co-rapporteure, avec Arnaud Richard, du rapport sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile, dans le cadre de la commission d’évaluation et de contrôle. Nous avons été guidés par la volonté de restaurer le respect du droit d’asile et des droits des demandeurs d’asiles, tout en sachant qu’il fallait améliorer la performance de cette politique publique. Il faut bien dissocier les deux : la politique d’immigration et la politique du droit d’asile, qui doit retrouver tout son sens.

Il y avait 61 000 premières demandes d’asiles en 2009, 53 000 en 2003et seulement 45 000 en 2013. Mais il s’agissait naguère plutôt de personnes seules alors que, maintenant, il y a davantage de familles avec des enfants en bas âge, ce qui oblige à un autre type de prise en charge et a une modification dans les modalités de prise en charge.

Dans notre rapport, nous avons essayé de trouver des solutions concrètes, pragmatiques, pour tenter de réduire les délais. Nous avons proposé de ne plus rendre obligatoire la domiciliation comme un prérequis au moment de la demande d’asile ou encore que la prise d’empreinte se fasse immédiatement lors de l’accueil en préfecture.

Nous avons demandé que l’OFPRA soit plus présente, que le recours aux procédures accélérées soit élargi et que l’avis de l’OFPRA soit sollicité afin qu’elle détermine s’il s’agit d’une procédure prioritaire ou non. Il est possible d’améliorer la gestion et l’organisation de la procédure pour réduire les délais mais cela passera aussi par une augmentation des moyens, pour laquelle nous avons demandé le recrutement supplémentaire d’officiers de protection à l’OFPRA.

Il n’en reste pas moins que le caractère de réfugié est reconnu dans 20 % des cas. Cela signifie qu’environ 40 000 personnes chaque année, en France, sont déboutés du droit d’asile. Il faut se préoccuper de leur sort. Nous avons préconisé un traitement informatique dès la demande d’accueil qui permettrait de suivre le parcours du demandeur d’asile.

Enfin, comme vous, madame la présidente, je me suis interrogée sur l’absence de liste européenne des pays d’origine sûrs.

M. Denys Robiliard. L’examen des questions d’asile d’un point de vue européen est toujours intéressant parce qu’il permet de relativiser les impressions que l’on pouvait avoir quand on regarde la question d’asile du point de vue français. Il est intéressant de comparer les efforts que font les différents pays en termes d’accueil de demandeur d’asile et de réfugiés par rapport à leur population. Quand on le rapporte au nombre d’habitants, on s’aperçoit que l’effort français est comparable à celui d’autres États membres, la France étant, il faut le rappeler, en valeur absolue, l’un des principaux pays industrialisés qui accueille des demandeurs d’asile.

Quand on analyse la progression de la demande d’asile en France, regarder ce qu’il se passe en Europe est toujours intéressant. L’augmentation de l’immigration en Europe est fortement liée à ce qui se passe en Syrie, et cette demande de protection, n’est pas le fait de « fraudeurs ». Concernant ces derniers, la France doit donc faire sa part.

On ne comprendrait pas le fait que l’on attribue au tribunal administratif le contentieux de l’asile, au regard de la spécialisation que cela demande. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) fonctionne plutôt bien avec des rapporteurs spécialement formés. C’est peut-être la seule juridiction qui ait une composante internationale en France, à travers le délégué du HCR qui désigne un des accesseurs. Ce système mérite d’être conservé. Bon an mal an, on entre dans des délais que l’on doit pouvoir raccourcir ; l’exemple des délais observés en Suède est intéressant. Ces délais de quelques jours ne sont respectés que pour les demandes d’asile à la frontière, procédure qui ne donne pas non plus entière satisfaction et dont les taux de refus pour des demandes manifestement infondées sont étonnants.

La solidarité n’était pas organisée mais, si l’on appliquait à la lettre le règlement de Dublin, certains pays subiraient l’essentiel de la demande. Or, à l’heure actuelle, cette demande est bien mieux répartie que sur les seuls pays d’arrivée. Quelles sont les propositions envisagées au niveau européen pour que tout le monde fasse sa part du travail ? Cette question me paraît essentielle.

La deuxième question est plus « franco-française », bien qu’elle intéresse aussi les institutions européennes : à quel état d’avancement se trouve-t-on dans la préparation de la mise en œuvre des dernières évolutions des directives européennes, notamment en matière de procédure ? Y a-t-il d’ailleurs un dialogue entre le gouvernement français et les institutions européennes sur ce qui est envisagé en France pour cette mise en œuvre ?

M. Laurent Muschel. Idéalement, il faudrait pouvoir disposer d’une liste européenne des pays sûrs, comme le voulait la Commission européenne. Mais, constitutionnellement, pour plusieurs pays, ce n’est pas possible : chaque demande doit être traitée au « cas par cas ». En outre, le Conseil d’État français a invalidé l’inscription de l’Albanie comme « pays d’origine sûr ». Chaque pays a donc ses procédures propres et l’établissement d’une liste commune risque d’être très compliqué, bien que cela paraisse la solution idéale. Ce sera peut-être le troisième étape du régime d’asile européen commun.

Le travail accompli sur les pays d’origine est très important. On essaie d’harmoniser l’analyse que les États font sur les pays d’origine. Il faut être d’accord au niveau européen sur le degré de dangerosité de certains pays. C’est une première étape, la prochaine viendra ensuite.

Concernant l’immigration économique, il existe bien des règles européennes. Aujourd’hui même, le Parlement Européen vient d’adopter une directive sur le transfert intragroupe au sein d’une même entreprise. Je prendrai aussi pour exemple une série de directives, sur les travailleurs saisonniers, les chercheurs, les étudiants, les personnes hautement qualifiées, etc. Il est vrai est que les quotas restent du ressort des États membres.

La solidarité entre États membres sur les frontières communes externes est tout à fait essentielle. FRONTEX a précisément été créé pour mutualiser les efforts, mais on est encore loin de la création d’un corps de gardes-frontières européens. L’ opération mare nostrum coute 9 millions d’euros par mois à l’Italie, qui subit le cout principal. L’ Europe devrait faire preuve de solidarité ; je pense que ce sujet sera abordé au prochain Conseil Européen.

En matière de retour, la clef est la rapidité. Le taux de retour sera beaucoup plus haut si les procédures sont accélérées. Au bout de deux ou trois ans en effet, les enfants des immigrés sont scolarisés, ce qui rend encore plus difficile l’organisation du retour. La Commission européenne vient d’adopter, le 28 mars, une communication sur la politique de retour de l’Union européenne – COM(2014) 199 final –, qui analyse la situation en matière de retour. Il faut intégrer, dans la procédure d’asile, la procédure de retour. Il faut informer les demandeurs d’asile qu’ils risquent de subir une procédure de retour. Aujourd’hui, le taux d’acceptation des demandes d’asile en Europe est d’environ 25 % ; es trois quarts sont donc refusés. Il reste un travail très important à mener dans les pays tiers, puisqu’un certain nombre d’États refuse le retour de leurs ressortissants. Il faut améliorer les accords de réadmission signés par l’Union européenne.

Pourquoi les migrants veulent-ils aller dans tel ou tel pays ? L’élément clef est l’existence d’une diaspora. Les Afghans voudront aller au Royaume-Uni, les Tunisiens en France, parce que leur communauté y est importante et parce qu’ils parlent français. Les règles en matière de regroupement familiale doivent jouer et insuffler une certaine solidarité pour ces personnes. On ne va pas séparer les familles dans plusieurs pays différents.

La solidarité existe de facto mais n’est pas organisée. Il faut réorganiser et repenser nos procédures en matière d’asile. En guise d’exemple, il faut organiser le transfert d’un Erythréen en Suède si ce dernier a de la famille dans ce pays. Cela nécessite un grand travail, parce qu’il existe une forte réticence des pays à ce sujet.

La CIMADE et Amnesty international ont évoqué la question du « legal access », c’est à dire la manière de faciliter l’arrivée de manière légale aux immigrés qui arrivent par bateau, par exemple. C’est un sujet très compliqué, étant donné le contexte politique actuel. La vraie solution, selon moi, est la réinstallation, le « resettlement ». Au lieu de laisser les Syriens risquer leur vie par bateau en venant en Europe, il faut augmenter les quotas de réinstallation en Europe. La France a accompli des efforts, mais d’autres États en font de bien plus impressionnants.

Mme Brigitte Frénais-Chamaillard. Nous avons été interpellés à propos du nombre de migrants syriens accueillis en France. Le Président de la République s’est engagé à accueillir 500 ressortissants syriens. C’est un programme en cours, mené en coopération avec le HCR, qui s’appuie à la fois sur la procédure de réinstallation et sur un système d’accueil à titre humanitaire. C’est une opération que l’on veut exemplaire et novatrice. Nous nous attachons à ce que l’OFPRA accorde très rapidement la protection.

Nous avons évoqué les problèmes d’intégration des bénéficiaires d’une protection, ce qui est essentiel pour nous. Nous essayons de développer des programmes d’accès rapide à l’emploi et au logement pour des bénéficiaires d’une protection. Dans le cas d’accueil de ressortissants syriens, nous avons voulus que le programme soit aussi très qualitatif. Ce sont des personnes qui ont un accès à la protection rapide, un accès au droit localement et un accès direct à des logements de droit commun. Un préfet a d’ailleurs été désigné pour coordonner ce mouvement. Nous devrions donc arriver, à la fin juin, à avoir fait arriver en France environ 300 personnes. Les demandes d’asile de Syriens augmentent : 1 300 en 2013. L’OFPRA s’engage à les traiter très rapidement, en moins de deux mois, avec un taux de protection supérieur à 95 %.

M. Robert Visser. Je voudrais nuancer les propos de M. Mushel.

Premièrement, concernant les règles communes pour éviter l’« asylum shopping », c’est exactement ce que l’on fait avec le premier et le deuxième paquet d’« Asile », c’est notre mission, celle du bureau européen d’appui en matière d’asile : dispenser une formation commune sur les pays d’origine sûre et élaborer des analyses communes sur l’immigration. Notre agence est donc un instrument de solidarité. Nous organisons dans une certaine mesure l’affectation de fonds de l’Union européenne, c’est aussi un aspect de la solidarité.

Deuxièmement, accepter quelqu’un pour des raisons humanitaires au sein d’une société, ce n’est pas la fin de la route, il faut évidemment intégrer la personne. Cela soulève des questions de droits de l’homme et des questions sociales, notamment.

Malgré les différences légales des États membres, aucun pays ne renvoie plus de Syrien en Syrie. Le premier but du droit humanitaire est de protéger ceux qui en ont besoin. Il faut harmoniser les politiques légales des différents États membres. On doit encore améliorer beaucoup la convergence des règles même si pour le moment, les résultats de facto sont assez similaires.

M. Kris Pollet. La liste commune des pays d’origine sûre soulève question de fond : est-ce vraiment compatible avec le principe du droit des réfugiés ? Cela risque de créer une charge de la preuve élevée pour le demandeur. En outre, je ne pense pas que cela soit réalisable. Le Conseil d’ État a annulé la proposition du Kosovo et de l’Albanie ; la même semaine, le gouvernement belge approuvait sa première liste de pays d’origine sûre en y incluant le Kosovo et l’Albanie.

M. François Dubost. À propos de l’accélération de la procédure, nous sommes clairs : oui, il faut accélérer les procédures. Mais à quelles conditions ? S’il s’agit juste d’appliquer les dispositions des directives qui sont des minimums contestables dans la cadre de la directive « procédure », cela nous pose problème. Cela dit, de l’avis même des demandeurs d’asile, c’est une bonne chose. Le principe de l’accélération n’est plus à débattre mais c’est les conditions de mise en œuvre et c’est ce qui fera l’objet de la réforme du droit d’asile en France.

Différents rapports estiment que des textes comme la directive « procédure » doivent être impérativement transposés, notamment s’agissant de la question de la procédure accélérée. Les directives ne fixent que des possibilités, hormis certaines dispositions contraignantes. Il est possible, pour les États, de recourir à ces procédures accélérées. Là aussi, il existe une marge de manœuvre extrêmement importante et c’est dans ces détails que se joue le respect des droits des demandeurs d’asiles.

Mme Claire Salignat. La Task Force pour la Méditerranée a dressé une liste de 37 mesures parmi lesquelles le Conseil européen s’est focalisé sur celles permettant d’éviter les naufrages mais en évitant les départs. C’est louable si cela passe par des efforts de réinstallation, mais il ne faut pas oublier que, lorsque les personnes se présentent directement aux frontières extérieures de l’Union européenne, elles doivent bénéficier d’un accès sur le territoire, d’une protection, d’une procédure de demande de droit d’asile et d’un examen juste et équitable de leur dossier, quel que soit le pays par lequel elles entrent.

Mme Marietta Karamali, présidente. Cette problématique nous préoccupe tous, chacun dans son domaine. Nous devons avancer tous ensemble, à l’ échelle de l’ Union européenne comme des États membres, pour que ces questions trouvent des issues apaisées. L’immigration n’est pas nécessairement un problème. Au contraire, pour une Europe confrontée à des défis économiques et sociaux, c’est une richesse. Il convient de communiquer pour l’expliquer d’une manière positive, particulièrement dans nos travaux parlementaires, tout en étant conscient des difficultés qui peuvent se poser. Le chemin sera long mais notre volonté nous permettra d’avancer de manière sûre, pas à pas.

La séance est levée à 20 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 15 avril 2014 à 18 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Marietta Karamanli, M. Charles de La Verpillière, M. Pierre Lequiller, M. Michel Piron, M. Joaquim Pueyo, M. Didier Quentin, M. Arnaud Richard

Excusés. - M. Philip Cordery, Mme Annick Girardin, Mme Axelle Lemaire, M. Philippe Armand Martin

Assistaient également à la réunion. - Mme Pascale Crozon, Mme Jeanine Dubié, M. Denys Robiliard