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Commission des affaires européennes

mercredi 16 juillet 2014

8 h 30

Compte rendu n° 147

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de son Exc. M. Giandomenico Magliano, ambassadeur d’Italie, sur les priorités de la présidence italienne

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 16 juillet 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 35

Audition de son Exc. M. Giandomenico Magliano, ambassadeur d’Italie, sur les priorités de la présidence italienne

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, d’avoir accepté notre invitation alors que s’engage la présidence italienne de l’Union européenne. Cette présidence a une importance particulière. Elle a lieu à un moment clé, au début de la nouvelle législature, et elle intervient en une période de transition institutionnelle, alors que, pour la première fois, le président de la Commission européenne proposé à l’investiture du Parlement européen découlera du choix des citoyens grâce au système des têtes de liste et avant que ne soient nommées les nouvelles personnalités appelées à occuper les fonctions de président du Conseil européen et de Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Les élections européennes ont révélé la montée des nationalismes et les égoïsmes nationaux dans bien des États membres, et c’est l’idée européenne elle-même qui a parfois été mise en cause. Les partisans d’une Europe forte doivent réagir et redynamiser notre projet commun. On se félicitera donc que M. Jean-Claude Juncker, président nouvellement élu de la Commission européenne, ait affirmé avec force ses intentions en ce sens ; elles convergent avec les priorités annoncées par la présidence italienne. Les orientations stratégiques évoquées par l’Italie redonneront un élan à une Union qui doit être plus proche des citoyens pour ne plus être perçue comme une machinerie lointaine et punitive.

Vous nous en direz davantage sur les priorités de la présidence italienne, que je rappellerai brièvement. Il y a d’abord la mobilisation de tous les moyens disponibles au service du développement économique et de l'emploi. Le soutien annoncé aux « biens publics européens », et notamment à la garantie européenne pour la jeunesse, nous paraît pertinent. Vous souhaitez dans un esprit comparable un usage « maximal » des flexibilités permises par le pacte de stabilité et de croissance ; comment cela se traduira-t-il en pratique ? Sans remettre le pacte en cause, je pense aussi qu’il est temps d’en finir avec l’austérité massive et aveugle qui a fait le malheur des peuples d’Europe, en utilisant les marges de manœuvre possibles dans ce cadre.

Se joignant aux nombreuses voix en ce sens, notamment celle de M. Mario Monti récemment, notre commission a, dans les conclusions qu’elle a récemment adoptées sur les orientations stratégiques adressées à l’Europe, appelé à la mise en œuvre du grand plan d'investissement public européen qui manque cruellement à ce jour. Quelles ressources européennes la présidence italienne envisage-t-elle de mobiliser à cet effet – je pense à celles de la Banque européenne d’investissement (BEI), les fonds structurels, les émissions obligataires européennes sur projet (project bonds) ? Quelle est sa position sur les obligations européennes (eurobonds) ? Est-elle favorable à l'idée de doter la zone euro d'une capacité budgétaire propre apte à soutenir la relance de l'activité ?

Le renforcement de la coordination économique européenne, notamment en matière fiscale, nous paraît également une priorité ; quelles sont les perspectives de la présidence italienne dans ce domaine ?

Autre chapitre important, qui rejoint la priorité accordée hier par M. Jean-Claude Juncker à l'investissement public : le développement durable et la transition énergétique. Nous vous entendrons avec intérêt nous dire quelles sont les perspectives de la négociation du nouveau paquet énergie climat. L’efficacité énergétique, grande absente de la politique de la Commission européenne sortante, nous semble devoir être une priorité majeure, en soi et en raison des effets que l’on peut en attendre sur l’emploi.

Pour ce qui est de la politique industrielle, quelles propositions comptez-vous faire pour donner un plus grand rôle et apporter un plus fort soutien aux petites et moyennes entreprises ?

Les aspects sociaux de la politique européenne sont également essentiels si l'on veut réconcilier les Européens avec l’Union, et le nouveau président de la Commission y a insisté. Comment entendez-vous renforcer la garantie pour la jeunesse, créer un salaire minimum européen et instituer le mécanisme d’assurance chômage européenne proposé par le commissaire László Andor ?

Dans le volet « justice et affaires intérieures », notre commission est très engagée en faveur du projet de Parquet européen. Comment envisagez-vous de faire progresser ce dossier ?

L’Italie se sent souvent bien seule dans l’accueil des migrants en détresse. Nous soutenons pleinement la présidence italienne qui souhaite le renforcement de l'implication européenne en matière d'immigration. Il faut plus de solidarité, de moyens et de règles communes.

Sur le plan de la politique extérieure et de défense, nous serons très attentifs à la grave question de notre voisinage oriental. Je rentre d’Ukraine et j’ai constaté qu’en matière énergétique la situation est véritablement catastrophique, le pays dépendant de la Russie non seulement pour le gaz mais aussi pour l’uranium. Mais ces préoccupations ne doivent pas nous conduire à oublier la politique méditerranéenne et le dialogue avec l’autre rive de mare nostrum ; quelles sont vos propositions à ce sujet ? Enfin, l'Europe ne peut rester silencieuse face à la très inquiétante évolution du conflit israélo-palestinien ; elle doit prendre, très vite, une initiative sur ce sujet brûlant.

Avant de vous laisser la parole, monsieur l’ambassadeur, je rappelle en résumé que la présidence italienne s’est fixé trois priorités : une Europe favorable à l’emploi et la croissance économique ; une Europe plus proche des citoyens : un espace de démocratie, droits et liberté ; faire passer la politique étrangère européenne à la vitesse supérieure.

M. Giandomenico Magliano, ambassadeur d’Italie. Madame la présidente, votre invitation m’honore. Je vous dirai pour commencer que la présidence italienne souscrit pleinement aux orientations stratégiques que votre commission a adoptées le 25 juin 2014. Elles démontrent la convergence de vues, de souhaits et d’engagements de nos deux Parlements, et une ambition partagée pour l’Europe des Gouvernements français et italien. Cette ambition partagée devra répondre aux attentes du Parlement européen nouvellement élu et à celles des Parlements nationaux qui veulent, à juste titre, participer davantage à l’élaboration de la législation européenne, et plus encore à la définition d’une politique commune fondée sur les principes de subsidiarité, de proportionnalité et d’efficacité.

La présidence italienne souhaite marquer ce début de législature en atteignant les objectifs de court terme qu’elle a définis pour le semestre à venir mais surtout en fixant des objectifs de long terme – la sérénité du jour ne dépend-elle pas de la beauté de l’aube ? Partirait-elle d’un mauvais pied que toute la nouvelle législature pourrait en être affaiblie, d’autant que l’Union européenne participe d’une mondialisation qui offre autant d’opportunités à saisir que de défis à relever ; elle doit les affronter dans le respect de ses valeurs, qui sont un engagement commun au service d’une vision solidaire.

En évoquant la politique de voisinage, la politique méditerranéenne, l’Ukraine, le Proche Orient ou encore le paquet énergie climat, vous avez, madame la présidente, esquissé le scénario en faveur duquel la présidence italienne s’est engagée, car un grand nombre des difficultés auxquelles nous faisons face ne trouveront de solution qu’internationale. Cela vaut, en particulier, pour l’emploi, après que la crise économique a provoqué le chômage de 25 millions de personnes en Europe.

La présidence italienne entend mettre l’accent sur les moyens propres à apporter des solutions pratiques aux problèmes qui se posent à l’Union européenne. L’Italie est à l’œuvre pour beaucoup des points que vous avez mentionnés, mais l’engagement de son Gouvernement et de son Parlement ne peut suffire à vaincre toutes les difficultés. L’Italie est ainsi très favorable au principe de l’émission d’obligations européennes, mais la faisabilité politique, économique et financière de cet instrument n’est malheureusement pas avérée. Cela n’empêche pas de mettre le sujet sur la table dès maintenant pour que l’outil soit prêt demain, ou même après-demain, sans se résigner à ce qu’il n’existe jamais. En bref, nombre des sujets que vous avez évoqués figurent dans le calendrier de la présidence italienne, et elle espère qu’une solution leur sera trouvée au cours de la législature.

L’actuelle présidence italienne du Conseil de l’Union européenne est la neuvième de l’Histoire et la première qui s’exerce sur la base du Traité de Lisbonne, après que le président de la Commission européenne vient d’être élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil, et sur la base d’un programme précis. L’Italie, comme la France, avait demandé avec insistance l’adoption d’un programme stratégique fixant les priorités de l’Union européenne pour les cinq prochaines années, à charge pour le nouveau président de la Commission de le mettre en œuvre. C’est ce qu’a fait le Conseil européen le 26 juin dernier. La gouvernance suppose une équipe, mais l’équipe est réunie pour appliquer un programme. Pour la première fois, le Conseil a défini et adopté un programme politique qui mentionne par exemple les marges de manœuvre prévues dans le pacte de stabilité et de croissance. D’autres membres de l’équipe vont être désignés ; la nouvelle Commission européenne prendra ses fonctions le 1er novembre prochain, et le 1er décembre le nouveau président du Conseil. La nouvelle Commission n’étant pas installée, il n’y aura pas de propositions législatives d’ici l’automne ; entre-temps, en revanche, on sentira une impulsion politique très forte, la présidence italienne réunissant les diverses formations du Conseil.

Ainsi, aura lieu demain à Milan une réunion informelle conjointe des ministres du travail et des ministres de l'environnement de l’Union européenne. La présidence italienne souligne ainsi la nécessité de relancer l’emploi en conjuguant les exigences de la transition énergétique et les opportunités offertes par les nouvelles technologies. De même, le 6 octobre, nous réunirons les ministres de l’énergie et les ministres de l’environnement de l’Union. Ces réunions conjointes illustrent le fait qu’au-delà des politiques sectorielles, l’Union doit s’assurer de la cohérence de politiques économiques qui forment un tout : relance des investissements, opportunités liées aux nouvelles technologies, exigences de la transition énergétique, réponses aux grands défis internationaux et emploi sont liés. Par grands défis internationaux, j’entends en particulier l’immigration, qui ne peut être appréhendée seulement en termes sécuritaires. Cette question doit être traitée en fonction des valeurs qui fondent l’Union européenne et appréciée comme un flux de travailleurs se déplaçant aujourd’hui dans le monde comme cela a été le cas au cours des siècles passés ; les économistes de toutes nationalités ont mis en évidence depuis deux siècles que mouvements des personnes et mouvements des capitaux se font en parallèle, et cela demeure vrai. Quant à la technologie, elle permet des gains de compétitivité, et donc des progrès.

Outre dix-huit conseils informels de juillet à octobre, la présidence italienne organisera, sous la présidence de M. Matteo Renzi, un sommet pour l’emploi des jeunes qui fera suite aux sommets précédemment tenus à ce sujet à Berlin et à Paris. Il s’agit de donner l’impulsion politique qui permettra de faire davantage que ce que prévoit la garantie européenne pour la jeunesse. Certains pays, dont la France, sont favorables, comme l’Italie, à ce que les 6 milliards d’euros alloués à l’Initiative pour l’emploi des jeunes soient décaissés rapidement de manière à ce que les plans d’action nationaux définis localement soient mis en œuvre au plus tôt. La présidence italienne souhaite que les fonds soient portés à 20 milliards d’euros sur trois ans et que l’instrument soit pérennisé. Au-delà, le sommet devra définir quels instruments mettre au service d’une politique active au service de l’emploi des jeunes, en coopération avec la Commission européenne.

C’est aussi à Milan qu’aura lieu les 16 et 17 octobre le 10e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’ASEM. Y sont attendus le Président chinois, le Premier ministre indien, les chefs de gouvernement de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union européenne. Ce sera une occasion supplémentaire de dialogue politique et économique entre les deux grandes régions que sont l’Asie et l’Europe. Même si ces échanges n’ont pas toujours de résultats pratiques très tangibles, les contacts institutionnels Asie-Europe sont peu fréquents et il est intéressant que se rencontrent les représentants de la zone dont le taux de croissance est le plus élevé du monde et de celle aux immenses savoir-faire mais au moindre dynamisme. Cette rencontre donnera aussi l’occasion de chercher à apaiser les tensions historiques qui ressurgissent et qui nuisent à la stabilité mondiale.

Les 25 et 26 novembre aura lieu à Rome la IVe conférence ministérielle euro-africaine des pays engagés dans le processus de Rabat sur la migration et le développement, qui vise à définir une politique cohérente associant développement, formation et stabilisation sur les deux rives de la Méditerranée.

L’Italie accorde une extrême importance au développement durable, comme en témoigne le thème – « Nourrir la planète » – choisi pour l’Exposition universelle de 2015 à Milan. L’Exposition, à laquelle sont attendus 20 millions de visiteurs, sera l’occasion d’une rencontre des peuples mais aussi des chefs d’État et de gouvernements qui viendront visiter les pavillons nationaux. Pour la présidence italienne, développement durable signifie sauvegarde de la diversité biologique, transition énergétique, productions de qualité plutôt que production de masse. C’est aussi un engagement en faveur d’une solidarité mondiale et du partenariat public-privé.

Les objectifs de court et de long terme sont conciliés grâce à la collaboration des pays membres du trio – cette fois, ce sont l’Italie, la Lettonie et le Luxembourg –– qui exerceront successivement la présidence de l’Union du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Le trio a fixé les objectifs à long terme et élaboré un programme commun harmonisé définissant les thèmes qui seront traités par le Conseil au cours de cette période de dix-huit mois. Ainsi s’assure-on de la continuité de l’impulsion politique donnée par les présidences tournantes à la mise en œuvre des thèmes retenus comme prioritaires – la croissance économique et l’emploi, l’achèvement du marché intérieur du numérique, l’avancement de l'Union économique et monétaire, la mise en œuvre du programme après-Stockholm en matière de justice et d’affaires intérieures, la politique européenne de voisinage…

Comment passer d’une politique toute d’austérité à une politique de croissance incluant d’une part la marge de manœuvre que permet, dans le pacte de stabilité et de croissance, la flexibilité liée aux réformes, d’autre part les investissements ? Il revient au président de la Commission européenne de gérer le Semestre européen. On sait que lorsque les États membres de la zone euro présentent leur programme de politique économique et budgétaire, un dialogue s’instaure entre les gouvernements nationaux, la Commission européenne et le Parlement européen. Dans la mesure où des pays, tels l’Italie, ont entrepris des réformes structurelles, lesquelles impliquent des coûts à court et à long terme, les marges de manœuvre prévues dans le pacte de stabilité et de croissance et dans le pacte budgétaire doivent être utilisées. C’est ce qui ressort des orientations stratégiques adoptées par le Conseil européen, qui se traduisent dans le mandat confié au nouveau président de la Commission, et dont M. Juncker a accepté le principe.

Qu’il s’agisse de résorber le déficit ou la dette, le mandat étant désormais d’utiliser les marges de manœuvre possibles, l’analyse par la Commission des programmes qui lui sont présentés devrait donc tenir compte de l’effort de réforme. En cas de coûts liés aux réformes structurelles, la flexibilité peut porter sur le volume ou sur la trajectoire du déficit. Pour la dette, la Commission peut prendre en considération les facteurs dits « pertinents », ceux qui mesurent la solidité de la situation économique d’un pays donné. Ainsi, pour l’Italie, il faut tenir compte de ce que la dette privée est très faible, le patrimoine public et privé considérable et l’épargne stable, et admettre pour ces raisons un certain degré de flexibilité dans la vitesse de réduction de la dette. Quand la dette publique atteint 130 % du produit intérieur brut (PIB) en Italie ou même 90 % en France, revenir à 60 % est un exercice de très longue haleine. En Italie, les contraintes fixées dans le pacte budgétaire sont désormais inscrites dans la Constitution.

Flexibilité et investissement sont liés. M. Juncker a indiqué vouloir mobiliser 300 milliards d’euros d’investissements en trois ans. Cela suppose de faire intervenir différents mécanismes : mobilisation par la BEI d’un volume accru d’investissements ; accroissement des investissements destinés aux infrastructures dans le budget communautaire ; et aussi, volume accru d’investissements publics nationaux qui, le cas échéant, peuvent être déduits du calcul du déficit. Comme M. Renzi l’a souligné, cela devrait valoir en premier lieu en cas de co-financements européens : souvent, le pacte de stabilité interne leur interdisant le recours à l’emprunt, les administrations locales ne peuvent les utiliser. Il en résulte que, faute de co-financement national, le co-financement européen est perdu. Exclure le co-financement national du calcul du déficit permettrait d’investir davantage, ce qui susciterait une bien meilleure dynamique de croissance et d’emploi. Sans croissance, une politique d’emploi, aussi active soit-elle, ne peut que très difficilement répondre aux demandes d’emploi des jeunes, singulièrement dans un pays comme l’Italie où le taux de chômage des jeunes est supérieur à 40 %.

L’hypothèse d’émissions obligataires européennes sur projet, dites project bonds, a été évoquée. Ce dispositif préfigurerait les émissions obligataires européennes. Permettez-moi une incise pour rappeler que, le 1er août, entrera en vigueur le traité franco-italien relatif à la liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, projet majeur pour la dynamique économique de la prochaine décennie.

La politique industrielle forme le cœur de l’Union économique et monétaire. Des progrès s’imposent dans la coordination des politiques sociales – notamment des systèmes de retraites –, des politiques fiscales – principalement la fiscalité des entreprises – et des politiques d’aménagement du territoire au niveau européen.

Pour ce qui concerne la politique étrangère de l’Union européenne, le Conseil ne manquera pas d’évoquer l’actualité, autrement dit l’évolution de la situation au Proche Orient et en Ukraine. Mais la question de fond est de savoir si l’Union est en mesure de définir une politique étrangère qui ne soit pas uniquement de réaction aux crises mais qui permette de les prévenir. L’Union européenne produit-elle de la sécurité ou se limite-t-elle à consommer celle qu’organisent des puissances amies, les États-Unis ou d’autres ? Contribuer à la sécurité en Méditerranée, participer à une politique de l’immigration, c’est participer à la défense de l’Union. Quel rôle joue-t-elle en cet Orient plus proche de nous que de bien d’autres pays ? Quel est sa position à l’égard de la Russie, grand pays européen ? Veut-on, ou ne veut-on pas régler la transition qui a commencé en Europe avec la chute du Mur de Berlin ? La réponse à ces questions politiques dépend du mandat que les États membres veulent attribuer à l’Union européenne en ce domaine et de la personnalité du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, Monsieur l’ambassadeur, pour ce panorama détaillé.

M. Michel Piron. Sous l’impulsion de M. Matteo Renzi et du Président Giorgio Napolitano, votre pays poursuit dans la voie de réformes politiques, économiques et sociales majeures, dans un contexte difficile caractérisé par un fort taux de chômage et un important endettement. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les réformes en cours, notamment celle du droit du travail ? La dette italienne est à plus 60 % financée en interne, lorsque la dette française est aux deux tiers dans des mains étrangères ; que pensez-vous des conséquences d’une telle situation ?

La dignité avec laquelle les Italiens, notamment des régions du Sud et de Sicile, accueillent les migrants qui traversent la Méditerranée, force l’admiration. Vous assumez ainsi une charge considérable sans que cela semble provoquer les réactions de rejet que l’on pourrait craindre ailleurs dans la même situation. Le rôle et le poids du nouveau pape interviennent-ils dans cet état de fait ?

Mme Sandrine Doucet. J’espère, Monsieur l’ambassadeur, que votre augure d’une belle journée européenne se vérifiera. À Bordeaux, le 9 mai dernier, lors de la Journée de l’Europe, une liaison directe a permis de converser avec Mme Giusi Nicolini, maire de Lampedusa, qui a dit à la fois son désarroi et son empathie avec les migrants. L’Union européenne s’en remet beaucoup à l’Italie. Le décalage est flagrant entre ce que l’on souhaiterait mettre en œuvre, notamment par l’agence Frontex, et les solutions éparses et forcément limitées décidées unilatéralement par les États. Ainsi la Croatie, pour entrer dans l’espace Schengen, envisage-t-elle de sécuriser sa frontière par un mur ; la Grèce a elle aussi construit un mur et, en France, on ne compte plus, hélas, les évacuations de camps de migrants. La présidence italienne parviendra-t-elle à vaincre les réticences des États membres à définir des solutions solidaires concertées ?

M. Jean-Luc Bleunven. Je me réjouis que la présidence italienne se soit engagée à soutenir la croissance bleue, qui peut être l’un des axes essentiels de la croissance européenne : la revitalisation des industries traditionnelles, le tourisme, l’aquaculture, les nouvelles énergies, l’exploitation des ressources minérales, les biotechnologies, tous secteurs d’avenir, pourraient représenter sept millions d’emplois dont près de deux millions de créations d’emploi. Quelles sont les priorités de la présidence italienne pour la politique maritime ?

M. William Dumas. L’Union européenne ne devrait-elle pas aider la France à combattre les groupes islamistes qui ont créé en Afrique une zone de non-droit par une confrontation qui finira par poser des problèmes à l’Europe dans son ensemble ?

M. Yves Daniel. Les premières des priorités sont, pour l’Union européenne, l’emploi et la croissance économique. Or l’économie libérale à l’œuvre a conduit à mettre les États membres de l’Union européenne en concurrence entre eux, notamment pour l’agriculture et les produits agro-alimentaires. Comment éviter cette compétition interne, contre-productive et pour la croissance et pour l’emploi ? La concurrence ne doit-elle pas plutôt avoir lieu avec les pays tiers ?

La Présidente Danielle Auroi. Vous aurez constaté, Monsieur l’ambassadeur, que de nombreuses questions ont porté sur l’immigration. Peut-on penser que la construction de murs soit réellement la bonne solution ? Il semble que l’on n’ait pas tiré les leçons du passé.

M. Giandomenico Magliano. À titre personnel seulement, je puis vous dire que je juge en effet le rôle du pape très important dans l’attitude des Italiens à l’égard de l’immigration.

Le Gouvernement de M. Matteo Renzi, sous l’égide du président Giorgio Napolitano, a engagé un programme de réformes prévu pour s’achever à l’échéance normale de la législature, en 2018. Il a pour cela lancé en même temps les réformes institutionnelles – loi électorale, Sénat, justice – et les réformes économiques – droit du travail, fiscalité, administration publique. Auparavant, les réformes institutionnelles étaient laissées à l’appréciation des partis, le Gouvernement se chargeant des réformes économiques. Le Gouvernement a pris l’ensemble en mains et les traite en parallèle, car il est persuadé que les simplifications administratives et la réduction du coût de la politique participent de la relance politique et du retour de la confiance.

Une part importante de la dette publique italienne est en effet détenue par les Italiens. Ce n’est pas le cas en France, mais la dette française est moins élevée. Sur un plan général, puisque d’ici un an ou deux, la dette de tous les pays membres de l’OCDE sera plus ou moins égale à 100 % de leur PIB, il convient de passer à une nouvelle politique économique mondiale. Il faut tenir compte de la dette publique mais aussi de la dette privée et de celle des entreprises ; même si la première est importante, si la dette des entreprises et la dette privée sont correctes et le taux d’épargne élevé, il faut considérer que la situation économique du pays concerné est solide. Les critères de Maastricht ont été définis dans les années 1980 ; un aggiornamento économique est nécessaire.

L’Italie était un pays d’émigration. Il est naturel pour notre peuple, de surcroît catholique, avec un pape lui-même fils d’une famille piémontaise émigrée en Argentine, de considérer les migrants comme des personnes dignes de respect, et la solidarité à leur égard comme un de leurs droits. La présidence italienne veut ébaucher une politique européenne de l’immigration mais ce sera difficile car les sensibilités sont différentes. L’Italie aurait la même approche quelle que soit sa situation géographique. Il ne s’agit pas pour nous de chercher à réduire la charge que représente pour notre marine militaire le sauvetage en mer, dans le cadre du programme Mare nostrum, de migrants par dizaines de milliers, mais de valeurs morales : on ne peut laisser se noyer d’innombrables êtres humains ! L’Union européenne doit assumer le fait que la Méditerranée est sa frontière – encore préférons-nous parler de pont, considérant le concept de frontières comme dépassé.

Cela signifie que les commissaires européens chargés de l’immigration, de l’aide au développement, de la justice et des affaires intérieures, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, les Gouvernements et les équipes du Conseil qui traitent de ces questions doivent définir un plan d’ensemble comprenant un volet sécuritaire, un volet financier et un volet relatif aux droits des migrants. La présidence italienne veut aussi que le règlement de Dublin soit révisé afin que l’on cesse d’imposer au premier pays de l’Union européenne sur lequel un migrant met le pied de prendre en charge sa demande d'asile. L’Italie et la France ont des idées très proches à ce sujet, mais l’on est loin de l’unanimité au sein des Vingt-Huit. Des propositions fortes sont nécessaires au cours du premier semestre de la législature pour parvenir à définir un plan d’action européen au cours des années à venir.

Ce qu’est, techniquement, la croissance verte étant à présent défini, il faut maintenant passer des politiques aux instruments : ainsi, on favorise la croissance verte en modifiant les normes de construction.

Entendant la question relative à la concurrence, loyale ou déloyale, je me suis rendu compte ne pas avoir fait mention des négociations en cours entre l’Union européenne et les États-Unis, le Japon et le Vietnam. Nous devons absolument défendre la qualité de nos productions. Cela implique la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques. Toute faiblesse sera cause de problèmes ultérieurs ; les Conseils « Commerce » et le commissaire européen chargé de ce dossier devront donc faire preuve d’une volonté politique ferme. L’Italie prône la défense des filières agro-alimentaires européennes et donc la défense intransigeante des indications géographiques, maître mot d’une concurrence loyale. Nous espérons voir aboutir les négociations commerciales en cours avec les États-Unis et le Japon, pays avec lesquels les barrières sont souvent non tarifaires.

J’en viens pour finir à la politique de défense commune. Pourquoi l’Italie s’est-elle engagée à envoyer un contingent en Centrafrique ? La France a pris une initiative pour assurer la sécurité de tous et l’aide humanitaire dans certains pays ; il fallait donner une dimension européenne à cette opération. L’Italie est favorable à tout ce qui relève de la politique de sécurité et de défense commune dans le monde, notamment en Afrique, Afrique du Nord comprise.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, Monsieur l’ambassadeur, pour ces échanges de grande qualité. Ils ont mis en évidence que l’Italie et la France parlent un langage commun.

La séance est levée à 9 h 35

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 8 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Isabelle Bruneau, M. Christophe Caresche, M. Yves Daniel, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Laurent Kalinowski, M. Michel Piron, M. Arnaud Richard

Excusés. - Mme Seybah Dagoma, M. Bernard Deflesselles, Mme Chantal Guittet, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon