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Commission des affaires européennes

mercredi 17 septembre 2014

10 heures

Compte rendu n° 154

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Réunion interparlementaire sur le projet de parquet européen

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 17 septembre 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 10 h 15

La Présidente Danielle Auroi. C’est un honneur de vous recevoir si nombreux pour cette rencontre interparlementaire que la commission des affaires européennes a organisée en liaison avec la commission des lois, et dont l’initiative revient à notre collègue Marietta Karamanli, vice-présidente de notre commission, et au professeur Patrick Sensburg, président de la sous-commission du droit européen du Bundestag. Je tiens à les remercier pour ce travail de réflexion et d’impulsion très utile.

Des cas de force majeure – votes au sein de leur chambre, session du Parlement européen à Strasbourg, grève dans le secteur aérien – ont malheureusement empêché plusieurs de nos collègues de nous rejoindre. Je vous prie d’excuser les délégations italienne, polonaise, chypriote et lettonne. Néanmoins, certains collègues qui avaient prévu de venir nous ont transmis leur contribution et ont donné leur avis sur le projet de déclaration commune que nous avons proposé. Je les en remercie.

Les parlements nationaux doivent se saisir des enjeux européens avec force. Vous faites aujourd’hui la preuve de votre implication. Nous avons souhaité convier tant les représentants des commissions chargées des affaires européennes que ceux des commissions spécialisées – commissions des lois ou de la justice, selon les pays – traitant des sujets complexes de ce jour. Il est important que tout le monde soit autour de la table. Les problématiques européennes ne doivent pas demeurer seulement l’affaire des « spécialistes » en droit européen : elles doivent être prises en compte par l’ensemble des instances compétentes des parlements nationaux. Certes, les spécialistes éclairent, mais le débat politique doit se poursuivre jusqu’à son terme.

Les enjeux et le droit européen irriguent très largement nos droits nationaux et nous devons, en tant que parlementaires nationaux, faire entendre notre voix dans les débats. Le traité de Lisbonne nous donne des outils, notamment en matière de contrôle de la subsidiarité. Mais ce n’est pas, loin s’en faut, le seul instrument dont nous disposons, et nous devons aussi chercher à peser sur le fond des négociations et à faire des propositions pour aller de l’avant.

Nos travaux de ce matin porteront sur la création du Parquet européen. Le traité de Lisbonne en a ouvert la possibilité, certes de manière très encadrée. Elle constituerait une grande avancée. L’Assemblée nationale est profondément attachée à cette idée et lui a apporté un soutien constant, en adoptant trois résolutions européennes depuis 2003.

La Commission européenne a déposé le 17 juillet 2013 une proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen. Les parlements nationaux se sont mobilisés pour examiner ce texte et nombre d’entre eux ont exprimé leur soutien de principe à la création du Parquet européen. Quatorze chambres ont émis un avis motivé négatif dans le cadre du contrôle de subsidiarité, ce qui a entraîné la mise en œuvre de la procédure dite de « carton jaune » : la Commission européenne a dû justifier de la suite à donner à son projet – il serait d’ailleurs intéressant, à l’occasion, de délivrer des « cartons verts » à la Commission européenne, afin d’appuyer certaines de ses propositions. Pour sa part, l’Assemblée nationale française a jugé que la proposition de la Commission était conforme au principe de subsidiarité. Je laisserai le soin à notre collègue Marietta Karamanli d’entrer dans le détail des travaux en cours.

Je souhaite que cette réunion soit l’occasion pour chacun d’entre nous d’exprimer sa position et pour nous tous d’avancer ensemble. Il vous a été proposé de vous associer à une déclaration commune, que nous souhaitons adresser aux institutions européennes afin que la voix des parlements nationaux soit entendue. Il sera bien sûr encore possible de s’associer à cette déclaration au-delà même de la fin de cette réunion.

Les drames dont nous sommes témoins en ce moment, tant dans les pays riverains de la Méditerranée qu’en Méditerranée même, avec les naufrages d’embarcations de migrants causés par les passeurs criminels, nous rappellent l’importance et l’urgence d’un renforcement décisif de l’action européenne en matière de liberté et de justice.

Je vous remercie tous de votre présence et suis convaincue que nos échanges seront fructueux.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale (France). Je suis très heureux que l’Assemblée nationale accueille aujourd’hui ces deux réunions interparlementaires. Je vous remercie de m’y accueillir, en vous priant de m’excuser de ne pouvoir participer davantage à vos travaux, car je dois présider ce matin une réunion de la commission des lois.

Je remercie Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, et Marietta Karamanli, vice-présidente de la commission des affaires européennes et membre de la commission des lois, d’avoir pris l’initiative de ces deux réunions, illustrant ainsi l’ excellente qualité de la coopération entre nos deux commissions. Depuis le début de cette législature, nous avons été ensemble à l’origine de l’adoption de cinq résolutions européennes, portant respectivement sur le régime d’asile européen commun, Europol, le Parquet européen, Eurojust et la révision du programme de Stockholm.

Le nombre élevé de parlementaires présents aujourd’hui, représentant dix-neuf chambres de seize États membres, démontre que tous portent un même intérêt aux affaires européennes en matière de justice et d’affaires intérieures. C’est heureux, logique et sain, ces sujets revêtant une grande importance pour les citoyens européens.

En France, la commission des lois, en liaison avec la commission des affaires européennes, a pris plusieurs initiatives sur ces sujets. Nous souhaitons que le Parquet européen voie le jour. Cela aura bien sûr des conséquences sur notre procédure pénale, qui est d’ ailleurs déjà largement affectée par le droit européen. Cela mettrait fin au morcellement de l’ espace judiciaire européen et aux insuffisances de la coopération pénale que nous constatons, au moins dans un premier temps dans le domaine de la protection des intérêts financiers de l’Union.

La proposition de règlement que la Commission européenne a présentée le 17 juillet 2013 a fait l’objet d’un examen approfondi par la commission des lois. De manière assez inhabituelle, nous avons d’ailleurs désigné deux rapporteurs à cette fin, l’un issu de la majorité – Marietta Karamanli – et l’autre de l’opposition – Guy Geoffroy. Ils ont présenté un projet de résolution européenne, adopté par l’ensemble des députés le 31 janvier dernier. L’ Assemblée a apporté son soutien constant à la création d’un Parquet européen, mais elle appelle la Commission européenne à réviser sa proposition sur plusieurs points. Nous souhaitons, en particulier, que le Parquet européen voie sa compétence étendue à l’ensemble de la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, que cette compétence soit partagée avec les autorités judiciaires des États membres et que le Parquet soit doté d’une structure collégiale, que nous jugeons plus légitime et plus efficace. Je suppose que vous débattrez ce matin de ces trois points importants. J’espère aussi que nous trouverons des convergences sur ce dossier. Je me réjouis d’ailleurs que les travaux au sein du Conseil de l’Union européenne aient déjà fait évoluer le texte dans la direction que nous souhaitons. Nous continuerons à les suivre avec une grande attention.

De même, nous suivons très attentivement les propositions de règlement et de directive sur la protection des données personnelles. Nous sommes attachés, en particulier, à ce que les avancées obtenues récemment sur l’encadrement des transferts de données à des pays tiers et sur la mise en place d’un guichet unique soient consacrées et confortées. Les propositions du Parlement européen méritent toute notre attention, de même que l’avis du service juridique du Conseil du 19 décembre 2013. Il faut que les citoyens puissent trouver des interlocuteurs de proximité lorsqu’ils entendent exercer leur droit de recours. Un guichet unique est nécessaire, mais il convient de trouver un mécanisme de contrôle plus simple, en particulier pour les entreprises, et qui n’ouvre pas la voie à une forme de dumping juridique au sein de l’ Union. Nous sommes sur la bonne voie et nous espérons que les discussions aboutiront en 2015.

Sur tous ces sujets, il est essentiel que les parlements nationaux fassent entendre leur voix. Or nous ne serons entendus des institutions de l’Union européenne et des gouvernements des États membres que si nous renforçons notre coopération et que nous adoptons des positions si possible communes ou à tout le moins convergentes. Vos débats y contribueront certainement.

Mme Marietta Karamanli, vice-présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale (France), membre de la commission des lois, rapporteure pour ces deux commissions. J’ai effectivement proposé cette rencontre avec notre collègue le professeur Patrick Sensburg, président de la sous-commission du droit européen du Bundestag, car il me semble essentiel que les parlements nationaux se saisissent des possibilités offertes par le traité de Lisbonne et qu’ils inaugurent de nouvelles voies de coopération interparlementaire. Ils doivent en effet prendre une part plus active aux négociations sur les textes européens, qui touchent dorénavant, en partie grâce aux progrès procéduraux également permis par le traité de Lisbonne, des pans entiers de nos droits nationaux et des questions qui sont au cœur de la souveraineté nationale. C’est donc avec un grand plaisir que nous vous recevons si nombreux à l’Assemblée nationale pour débattre, ce matin, du Parquet européen et, cet après-midi, de la protection des données personnelles.

Comme vous le savez, la création d’un Parquet européen destiné à lutter contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière est prévue à l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne issu du traité de Lisbonne. Sur cette base, la Commission européenne a déposé le 17 juillet 2013 une proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen. De très nombreuses chambres se sont saisies de cette question. Pour sa part, l’Assemblée nationale française a adopté, depuis 2003, trois résolutions européennes soutenant l’institution du Parquet européen. La procédure de « carton jaune » a été engagée : quatorze chambres, réunissant plus d’un quart des voix attribuées aux parlements nationaux, ont jugé la proposition de la Commission européenne contraire au principe de subsidiarité. La Commission européenne a donc dû justifier de la suite à donner à son projet. Elle a néanmoins décidé de le maintenir. L’Assemblée nationale française a jugé, quant à elle, la proposition conforme au principe de subsidiarité.

Les travaux au sein du Conseil de l’Union européenne s’orientent dorénavant sur une proposition très largement amendée, fondée sur des options différentes de celles proposées par la Commission européenne sur plusieurs points clés. La présidence grecque a pu proposer un texte sur la structure et la compétence du Parquet européen, adopté comme nouvelle base des débats à l’issue du Conseil Justice et Affaires intérieures du 6 juin 2014. La présidence italienne aborde, quant à elle, des points n’ayant pas encore fait l’objet d’échanges approfondis.

Nos échanges vont très certainement porter sur la structure du Parquet européen. De très nombreuses chambres nationales ont exprimé leur opposition à la structure concentrée et très fortement hiérarchisée proposée par la Commission et ont souhaité que le Parquet européen soit institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux ayant de forts liens avec leurs systèmes judiciaires respectifs, afin d’accroître sa légitimité et son efficacité.

Le fonctionnement de ce collège devrait être débattu, notamment le rôle du président du collège et celui des procureurs européens nommés par les États membres qui pourraient se réunir au sein de chambres. Les procédures de nomination et de révocation des membres du Parquet européen, ainsi que leur statut, ne devraient pas être ceux que la Commission européenne a proposés. Selon l’Assemblée nationale, ils devraient s’inspirer de ceux des membres de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui garantissent leur indépendance.

La Commission européenne a proposé de doter le Parquet européen d’une compétence exclusive et d’une compétence accessoire, mais cette idée n’a pas trouvé de soutien. Dès lors, le Parquet européen devrait disposer d’une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir d’une affaire.

J’en viens au contrôle juridictionnel des actes d’enquête et de poursuite du Parquet européen. Selon notre Assemblée, le contrôle de l’ensemble des actes d’enquête du Parquet européen ne peut pas, juridiquement, être dévolu aux juridictions nationales. En outre, les décisions de renvoi en jugement et de choix de la juridiction de renvoi, qui emporteront des conséquences très importantes pour les parties, ainsi que la décision de classement ou de non-lieu, devraient faire l’objet d’un contrôle juridictionnel qui garantisse le droit à un recours effectif.

La restriction apportée à l’obligation des juridictions nationales d’adresser à la CJUE des questions préjudicielles en appréciation de validité apparaît également très incertaine juridiquement. Enfin, les dispositions relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription devraient être complétées, une harmonisation minimale apparaissant nécessaire. Nous avons donc de très nombreux sujets, souvent complexes, à aborder ce matin.

Afin de donner davantage de poids à notre démarche, je vous propose de vous associer à la proposition de position commune que nous vous avons adressée la semaine dernière. Afin qu’elle trouve le plus large écho possible, nous souhaitons la diffuser auprès des institutions communautaires.

Qu’on le veuille ou non, les parlements nationaux continuent à délibérer et à créer du débat public ; c’est d’ailleurs ce qui donne son sens à la loi comme expression de la volonté générale. En outre, nous devons aller aussi loin que possible sur ces sujets, qui concernent directement les citoyens européens. Le moment du débat public et de la délibération politique préalable, qui permet aux citoyens de s’approprier les décisions les plus importantes au moment où celles-ci sont sur le point d’être transcrites dans le droit, est justement ce qui semble manquer à l’Union européenne.

À ce titre, la méthode que nous inaugurons aujourd’hui peut donner matière à réfléchir tant aux États membres qu’aux institutions européennes. Je tiens à vous remercier tous d’avoir répondu positivement à notre invitation. Cette réunion constitue une première. J’ espère que nous parviendrons ensemble, par le débat, à élaborer des positions communes et que nous pourrons engager un dialogue avec la Commission européenne. Si nous restons uniquement dans des rapports bilatéraux, nous serons, au bout du compte, perdants. La force passe par l’union.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et de l’administration générale du Sénat. Je vous remercie, madame la présidente, madame Karamanli, d’avoir organisé cette réunion et d’y avoir associé le Sénat. Nous partageons vos remarques à propos du Parquet européen, qui sera un instrument très utile pour lutter contre certains fléaux précédemment évoqués. Il est heureux qu’un « carton jaune » ait été brandi : les parlements nationaux ont ainsi montré qu’ils pouvaient s’exprimer fortement, dans leur diversité. Il est également heureux que l’on fasse progresser les idées de collégialité et d’association de tous les États membres. Il est heureux, enfin, que l’on insiste sur le principe de l’indépendance, sans laquelle il ne saurait y avoir de justice. Il convient de concilier la collégialité avec l’ indépendance du Parquet européen.

Le Sénat est très préoccupé par les développements sur la protection des données personnelles. Il a voté plusieurs résolutions à ce sujet. Nous sommes très sensibles, en particulier, au risque de dumping juridique évoqué par M. Jean-Jacques Urvoas. Les instances de contrôle compétentes en matière de protection des données personnelles sont très diverses et disposent de prérogatives différentes selon les États membres. Il convient d’éviter que l’ unification des règles envisagée se traduise dans certains cas non pas par un progrès mais par une régression en matière de protection des données personnelles. Par exemple, si les entreprises très puissantes du secteur de l’Internet ont la possibilité d’implanter leur siège dans l’État membre de leur choix, elles l’installeront probablement là où l’autorité de contrôle dispose des prérogatives les plus limitées, et les citoyens risquent donc d’être moins protégés.

Selon nous, il serait sage que les citoyens puissent continuer à s’adresser à l’ autorité de contrôle de leur propre pays. Ce point fait l’objet d’une des résolutions adoptées par le Sénat. Cette position ne va nullement à l’encontre des efforts d’unification des règles. Pour faire face aux problèmes que nous connaissons aujourd’hui – il est désormais possible de tout surveiller, en captant les données qui se trouvent stockées dans nos téléphones portables ou nos ordinateurs –, nous avons besoin de règles communes et de garanties supplémentaires au niveau européen. Mais il ne faudrait pas que l’on perde des possibilités de protection qui existent actuellement. Il convient donc de trouver la bonne articulation entre la future instance européenne et les autorités de contrôle nationales.

M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen. (Intervention préenregistrée, interprétation) C’est un honneur et un plaisir pour moi de m’adresser aux honorables membres des parlements des seize États membres au sujet de la proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen. Je regrette de ne pas avoir pu me joindre à vous aujourd’hui, mais, comme vous le savez, le Parlement européen siège en session plénière cette semaine à Strasbourg.

L’institution d’un Parquet européen constitue une étape très importante dans la mise en place d’un espace européen de justice pénale et dans le renforcement des outils de lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Le Parlement européen sait que, dans le cadre des mécanismes de contrôle de subsidiarité, quatorze chambres nationales de onze États membres ont adressé à la Commission européenne un avis motivé négatif sur cette proposition, déclenchant ainsi la procédure de « carton jaune ». Cette réunion interparlementaire revêt donc une importance capitale. La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures que je préside s’engage à mener un dialogue étroit avec les parlements nationaux à tous les stades de la procédure législative.

Conformément à l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’ Union européenne, le Parlement européen sera appelé à donner son approbation une fois que les négociations sur la proposition de la Commission européenne seront achevées au sein du Conseil. Néanmoins, cette proposition est étroitement liée à d’autres textes législatifs en cours d’ examen dans le cadre de la procédure de codécision, en particulier à la proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’ Union et à la proposition de règlement de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust). C’est pourquoi le Parlement européen a appelé le Conseil à participer activement aux discussions et à dessiner les contours du futur Parquet européen.

À la fin de la législature précédente, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il fait part de sa position sur plusieurs aspects de la proposition, dont beaucoup ont également été évoqués par les parlements nationaux. Les principales recommandations du Parlement européen sont les suivantes.

Premièrement, le Parquet européen doit être une structure souple, réactive et efficace, à même d’obtenir les meilleurs résultats.

Deuxièmement, afin d’assurer la bonne coordination et le succès des enquêtes, il est nécessaire que les personnes qui seront amenées à les diriger possèdent une connaissance approfondie des systèmes juridiques des pays concernés. À cette fin, la structure centrale du Parquet européen doit inclure au moins un représentant de chaque État membre.

Troisièmement, dans le même temps, afin de s’assurer de la rapidité et de l’ efficacité des décisions, il est nécessaire que le processus de prise de décision puisse être défini par le Parquet européen, avec l’appui des procureurs nationaux délégués compétents pour certaines affaires spécifiques.

Quatrièmement, le Parquet européen doit agir dans le strict respect du principe du juge naturel. Par conséquent, les critères qui permettent de déterminer la juridiction compétente doivent être non discrétionnaires, et le choix de la juridiction compétente conformément à ces critères doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

Cinquièmement, le champ des compétences du Parquet européen doit être défini précisément afin de que les infractions pénales qui relèvent de sa compétence soient clairement identifiés. À cet égard, le Parlement européen suggère de revoir attentivement la définition de la compétence accessoire du Parquet européen.

Sixièmement, les moyens d’enquête mis à la disposition du Parquet européen doivent être homogènes, clairement identifiés et compatibles avec les systèmes juridiques de tous les États membres.

Septièmement, parce que l’admissibilité des preuves et leur évaluation constituent des éléments clés pour l’établissement de la culpabilité, les règles pertinentes en la matière doivent être claires et rigoureusement uniformes dans tous les domaines où le Parquet européen est compétent. Elles doivent garantir intégralement les droits de la défense.

Huitièmement, dans le cadre des activités du Parquet européen, le droit à un recours juridictionnel effectif doit être respecté à tout moment dans l’ensemble de l’ Union. À cette fin, le Parquet européen peut être considéré comme une autorité nationale pour ce qui est des mesures procédurales qu’il adopte dans l’exercice de ses fonctions de poursuite, ces mesures devant pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel devant la juridiction compétente d’un des États membres. Toutefois, les décisions prises par le Parquet avant le procès ou indépendamment de celui-ci, telles que le choix de la juridiction compétente, le classement sans suite ou la transaction pénale doivent pouvoir faire l’objet d’un recours devant les juridictions de l’Union. D’une manière générale, toutes les activités du Parquet européen doivent respecter les normes les plus élevées en matière de droits de la défense et se conformer à la règle non bis in idem - « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ». Par ailleurs, dans l’exercice des poursuites pénales, un équilibre doit être trouvé entre la sécurité juridique et la protection des données personnelles.

Enfin, le Parquet européen doit être totalement indépendant, tant par rapport aux gouvernements nationaux que par rapport aux institutions de l’Union européenne.

En ce début de nouvelle législature, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures a désigné Mme Monica Luisa Macovei, rapporteure de la proposition de règlement portant création du Parquet européen. Je tiens à vous assurer, en son nom et au nom de tous les membres de la commission, que nous mènerons un dialogue interparlementaire fructueux.

La Présidente Danielle Auroi. Ces interventions liminaires ont dressé un bon état des lieux et abordé les nombreux points dont nous avons maintenant à débattre.

M. Ard Van der Steur, membre de la commission de la sécurité et de la justice de la Seconde chambre du Parlement (Pays-Bas). (Interprétation) Je remercie l’ Assemblée nationale de nous avoir invités à cette réunion interparlementaire. J’ai été désigné rapporteur sur la proposition de règlement portant création du Parquet européen à la suite de la mise en œuvre de la procédure de « carton jaune ». Celle-ci vise à donner aux parlements nationaux les moyens de réagir lorsqu’ils jugent que quelque chose ne va pas au sein de l’Union européenne. Or le Parlement néerlandais a été très choqué par la réaction de la Commission européenne : lorsque des pays sérieux – et tous les États membres le sont – formulent des objections sérieuses à une proposition, la Commission européenne ne peut pas simplement les ignorer.

Notre parlement estime, à une large majorité, que la fraude en matière d’aides et de subventions mine la confiance dans l’Union européenne et qu’elle doit donc faire l’objet d’ enquêtes, de poursuites et de condamnations. Si la fraude est établie, cela doit conduire au retrait desdites aides et subventions. Toutefois, si la nouvelle Commission européenne poursuit dans la même voie que la précédente, le Parquet européen risque d’être installé pour certains pays de l’Union, mais pas pour d’autres. Notre parlement est résolument opposé à une telle solution.

Les représentants néerlandais, à une large majorité, soutenus par une majorité de sénateurs, ont émis des objections au regard tant du principe de subsidiarité que du principe de proportionnalité. Selon nous, les enquêtes et les poursuites judiciaires relèvent avant tout de la responsabilité des autorités nationales. Or, d’une part, la proposition de la Commission européenne ne définit pas de manière assez précise la compétence du Parquet européen – d’où notre objection au titre du principe de subsidiarité – et, d’autre part, elle ne prévoit pas un contrôle parlementaire et démocratique suffisant de l’action dudit Parquet. Avons-nous vraiment besoin d’un Parquet européen si les États membres assument leurs responsabilités en matière de lutte contre la fraude aux aides et aux subventions de l’Union ? Nous devrions maintenir Eurojust et l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) tels qu’ils sont, tout en réfléchissant aux moyens d’améliorer leur fonctionnement et de renforcer notre coopération dans ces domaines. Il n’est pas nécessaire d’empiéter sur la souveraineté des États membres. Nous avons publié une proposition alternative qui déboucherait, selon nous, sur une situation bénéfique pour l’Union européenne. Je la tiens à votre disposition. En tout cas, nous ne pouvons pas être d’accord avec le projet de déclaration commune dans sa rédaction actuelle.

M. Alan Beith, président de la commission de la justice de la Chambre des communes (Royaume-Uni). (Interprétation) Je remercie à mon tour nos collègues de l’ Assemblée nationale française d’avoir organisé cette réunion. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vient de dire notre collègue des Pays-Bas : la réaction de la Commission européenne à la procédure de « carton jaune » n’est pas la bonne. En outre, le Royaume-Uni ne soutient pas la proposition de déclaration de l’Assemblée nationale. Non seulement nous ne participerons pas aux travaux sur la création du Parquet européen, mais nous sommes préoccupés par le fait que certains pays non participants pourraient être affectés par ce Parquet si d’autres États membres venaient à le mettre en place. Nous avons déjà Eurojust et l’ OLAF, et l’existence de cette instance pourrait nous détourner des actions de prévention sur lesquelles il convient selon nous de mettre l’accent. Nous souhaitons éliminer la fraude dans tous les domaines, y compris dans les affaires européennes, mais nous pensons que le meilleur moyen d’y parvenir est d’intenter des poursuites efficaces au niveau national et de concevoir un système de fonds européens moins sujet à la fraude.

Ainsi que l’a déclaré l’ancienne commissaire européenne Catherine Ashton, il existe un double obstacle à la participation du Royaume-Uni : la création du Parquet européen requerrait, d’une part, l’adoption d’une loi par le Parlement britannique – à laquelle les trois principaux partis politiques sont opposés – et, d’autre part, l’organisation d’un référendum. Nous avons déjà suffisamment de problèmes avec le référendum écossais en ce moment et nous préférerions ne pas avoir à en organiser d’autres, merci ! Le Parlement britannique a donc adopté à l’unanimité un avis motivé dans lequel il estime que la proposition de la Commission européenne contrevient au principe de subsidiarité. Tel est également l’avis du Parlement écossais.

Je n’indiquerai qu’une seule des raisons pour lesquelles la création du Parquet européen poserait problème au Royaume-Uni : ce Parquet disposerait de pouvoirs de surveillance et d’enquête dont les procureurs britanniques ne disposent même pas. En particulier, en Angleterre, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, les procureurs n’ont pas le pouvoir de diriger les enquêtes de police : les forces de l’ordre mènent elles-mêmes leurs propres enquêtes. Notre système est donc très singulier. Or tel est précisément l’intérêt du principe de subsidiarité : prendre en compte les différences qui peuvent exister d’un pays à l’ autre.

Certains États membres sont opposés à la création du Parquet européen, d’autres formulent des objections quant à la procédure que propose la Commission européenne pour cette institution. Il serait donc préférable que nous n’adoptions pas de déclaration commune à l’ issue de cette réunion. Je doute d’ailleurs que nous puissions y parvenir, à moins que le texte ne mentionne clairement que la création du Parquet européen n’est pas unanimement soutenue. Pour notre part, nous ne pourrons en aucun cas donner notre accord à une déclaration qui impliquerait un soutien de cette nature.

M. Patrick Sensburg, président de la sous-commission du droit européen du Bundestag (Allemagne). (Interprétation) Je tiens à vous féliciter, Madame la présidente, Madame Karamanli, d’avoir organisé cette rencontre, qui fait suite à une première réunion interparlementaire en format plus restreint que nous avions tenue à Berlin sur le droit européen de la vente. C’est le signe que les parlements nationaux se saisissent – ils doivent le faire de manière résolue – des droits que leur a conférés le traité de Lisbonne. À cet égard, je me réjouis de la présence à mes côtés de Mme Renate Künast, présidente de la commission européenne des lois du Bundestag, qui a vécu cet épisode des deux côtés, en tant que députée et ministre, et qui continue à œuvrer au renforcement des droits des parlements. Néanmoins, il convient de montrer que ces outils – les mécanismes de contrôle de subsidiarité ; la réunion que nous tenons aujourd’hui – sont des instruments non pas de confrontation, mais de coopération. Nous avons déjà discuté de ce point avec vous à Londres, Sir Alan : l’important, c’ est ce que nous créons ensemble, avec nos collègues du Parlement européen et avec la Commission. Nous devons montrer que les parlements nationaux entendent être à la hauteur de leurs responsabilités en termes d’intégration européenne.

Je n’énumérerai que quelques-uns des très nombreux points soulevés par le Bundestag dans sa prise de position sur la proposition de règlement de la Commission européenne. Premièrement, la personne mise en cause ne dispose d’aucun droit de recours contre la décision du Parquet européen quant au choix de la juridiction compétente. Deuxièmement, les droits des personnes mises en cause doivent être harmonisés au niveau européen. Claude Moraes a mentionné notamment le principe non bis in idem, qui n’apparaît pas en tant que tel dans la proposition de la Commission européenne. Troisièmement, plusieurs règles importantes manquent en matière de droit des personnes mises en cause, par exemple le droit d’accès au dossier ou le droit d’être informé d’un éventuel classement sans suite décidé par le Parquet européen. Quatrièmement, en vertu de l’article 18, paragraphe 5, de la proposition de la Commission européenne, le procureur européen dispose de la faculté de mener lui-même l’enquête, ce qui n’est pas sans poser un problème de concurrence entre les différents droits pénaux. Cinquièmement, les mesures d’enquête mentionnées à l’article 26 de la proposition ne sont pas compatibles, selon nous, avec les exigences de l’État de droit.

Nous avons ainsi critiqué plusieurs aspects de la proposition. L’objectif de cette réunion est, selon nous, d’émettre un signal clair à l’attention de la Commission, afin qu’elle tienne compte de nos remarques. Les décisions que nous allons prendre aujourd’hui ne doivent pas être en retrait par rapport aux prises de position des parlements nationaux.

M. Tibor Bana, vice-président de la commission des affaires européennes du Parlement (Hongrie). (Interprétation) Merci, Madame la présidente, de nous avoir invités à cette importante réunion. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les parlements nationaux ont la possibilité d’exercer un contrôle de subsidiarité, dans un délai de huit semaines à compter de la transmission d’un projet d’acte législatif européen. Au Parlement hongrois, la commission des affaires européennes est chargée, à titre principal, de ce contrôle. L’ année dernière, après plusieurs tentatives en ce sens, le Parlement hongrois a adopté, à une large majorité, à l’initiative de la commission des affaires européennes, un avis motivé négatif sur la proposition de règlement portant création du Parquet européen. Nous avons estimé qu’il y avait violation du principe de subsidiarité dans la mesure où, d’une part, la compétence exclusive du Parquet européen excédait l’autorisation prévue par le traité et que, d’autre part, le modèle supranational envisagé limitait de manière disproportionnée la souveraineté des États membres en matière pénale. Néanmoins, la Hongrie est favorable à une coopération mieux coordonnée en matière pénale et soutient les principaux objectifs de la proposition de règlement. Elle est en outre favorable à la structure collégiale envisagée dans la proposition de la présidence grecque.

Comme vous le savez, les parlements nationaux ayant réussi à coordonner leurs positions et leurs procédures internes, le seuil de déclenchement de la procédure de « carton jaune » a été atteint, ce qui constitue une première dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Cependant, la réaction de la Commission européenne aux avis motivés négatifs des parlements a été source de frustration : elle a passé outre ces avis et maintenu sa proposition initiale. Selon moi, les parlements nationaux n’ont pas su tirer les leçons des cinq dernières années : ils auraient dû développer une approche commune du principe de subsidiarité et de ses mécanismes de contrôle. J’espère que la nouvelle Commission européenne tiendra dûment compte des avis motivés négatifs et fournira des réponses détaillées à nos objections. À cet égard, tous ces avis doivent être traités sur le même pied, dans le respect de la diversité des parlements nationaux.

M. Kyriakos Virvidakis, président de la commission de l’administration publique, de l’ordre public et de la justice du Parlement (Grèce). (Interprétation) Je remercie l’Assemblée nationale française de nous avoir invités à participer à ce dialogue sur la proposition de règlement portant création du Parquet européen, ainsi que sur le paquet législatif relatif à la protection des données à caractère personnel. Dans ces deux domaines, d’importants progrès ont été accomplis sous la présidence grecque.

La proposition de règlement portant création du Parquet européen vise à renforcer la protection des ressources financières de l’Union, d’autant plus indispensable en temps de crise. La présidence grecque a obtenu des avancées importantes par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne, en garantissant une orientation équilibrée et en prenant en compte les positions des parlements nationaux. Contrairement à la proposition initiale, qui envisageait une autorité centralisée, le texte de la présidence grecque prévoit que le Parquet européen soit doté d’une structure collégiale et qu’il dispose, en outre, d’une compétence partagée avec les autorités nationales. Lors de sa dernière réunion, le Conseil des ministres a adopté une version révisée du texte de la présidence grecque, qui tient compte de tous les avis exprimés.

Pour sa part, la Commission européenne estime que les Parlements nationaux ont mal interprété le principe de subsidiarité et soulevé, en réalité, un problème de proportionnalité. Je ne souhaite nullement me prononcer sur le point de savoir qui a raison, mais la position de la Commission européenne doit nous interpeller : c’est là une occasion de nous remettre en question et d’examiner si nous pouvons améliorer le cadre législatif actuel.

Mme Marie-Christine Marghem, présidente de la commission de la justice de la Chambre des représentants (Belgique). Je vous remercie, Madame la présidente, de nous accueillir à Paris pour une réunion consacrée à des questions fondamentales qui nous concernent tous. Vous souhaitez que les parlements nationaux prennent une part active au débat sur ces questions et j’y suis très sensible. Il est en effet très opportun de réfléchir à la manière de poursuivre et de condamner la fraude, les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et les crimes graves ayant une dimension transfrontalière, qu’il s’agisse des frontières internes ou externes de l’Union. Certes, comme l’ont montré les interventions précédentes, plusieurs d’entre nous considèrent que leur ordre juridique national s’oppose au transfert d’un trop grand nombre de pouvoirs à une institution qui serait trop collégiale ou trop supranationale, mais ne devons-nous pas devancer les initiatives de la Commission européenne en enrichissant nous-mêmes le débat et en essayant de poser ensemble des jalons afin de parvenir à une organisation commune dont chacun reconnaîtra qu’elle est nécessaire ?

Les réflexions sont nombreuses tant en matière de poursuite des infractions que de protection des données personnelles. Pour sa part, la Belgique est favorable à de tels débats. N’étant pas devineresse, je ne puis préjuger de notre capacité à établir un texte commun, mais il me semble important que nous émettions collectivement un signal qui montre la volonté de tous les États membres de s’investir sur ces questions.

M. Johannes Fechner, vice-président de la sous-commission du droit européen du Bundestag (Allemagne). (Interprétation) L’Europe vit de l’enthousiasme de ses citoyens pour l’idée européenne. Pour maintenir cet enthousiasme, il faut que les citoyens aient confiance dans le fait que l’argent des impôts n’est ni détourné ni gaspillé mais investi intégralement, tant par l’Union européenne que par les États membres. Or la fraude et les autres infractions financières font perdre des centaines de millions d’euros chaque année au budget communautaire et représentent une charge directe pour les contribuables européens. Ces sommes ne contribuent pas à l’amélioration des conditions de vie des citoyens et doivent être compensées par l’argent d’autres impôts. Nous avons donc besoin d’un Parquet européen qui soit à même de poursuivre efficacement les infractions aux intérêts financiers de l’Union et contribue ainsi à une meilleure utilisation des moyens dont elle dispose.

Le Bundestag approuve expressément la création du Parquet européen. Néanmoins, la proposition de règlement peut être encore améliorée sur plusieurs points. Dans un souci de légitimation démocratique, le procureur européen doit, selon nous, être élu directement par le Parlement européen. En outre, la décision qui détermine si le Parquet européen ou bien un parquet national est compétent doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel. Dans l’intérêt de la personne mise en cause, l’ordre juridique applicable doit être connu non pas lors de la conclusion de l’enquête, mais dès son ouverture. De plus, le Parquet européen ne doit pas pouvoir décider de manière discrétionnaire quelle est la juridiction compétente : il convient d’empêcher que la personne mise en cause ne soit jugée par une juridiction devant laquelle ses droits seraient très limités. Il faut également éviter que les pouvoirs d’enquête du Parquet européen n’entrent en conflit avec les règles de procédure pénale nationales. Par conséquent, le Parquet européen ne doit pas pouvoir recourir à des mesures d’enquête qui ne sont pas prévues dans le droit de l’État membre concerné. Enfin, les droits des personnes mises en cause doivent être protégés de manière suffisante dans le cadre des enquêtes menées par le Parquet européen.

J’espère que le Parquet européen pourra être institué avec le soutien d’un maximum d’États membres.

Mme Viviane Loschetter, présidente de la commission des lois de la Chambre des députés (Luxembourg). Au nom de mon collègue Marc Angel et en mon nom propre, je vous remercie, Madame la présidente, votre équipe et vous-même, d’avoir pris l’initiative de cette réunion. Elle valorise le rôle des parlements et des parlementaires nationaux sur un dossier éminemment européen, qui nous concerne tous et intéresse la poursuite de la construction européenne.

La position que j’exprime est celle de la majorité, voire de la totalité du Parlement luxembourgeois : nous sommes favorables à la création du Parquet européen. Il y a deux ou trois mois, le gouvernement luxembourgeois a eu des discussions avec les ministres français et allemand de la justice afin de dégager des idées communes. Nous pouvons d’ailleurs nous rallier à la position que la France vient d’exposer. Du reste, nous n’avons jamais été très éloignés de la position initiale de la Commission européenne, nonobstant quelques remarques que nous avons formulées. Deux points nous semblent, à cet égard, très importants : d’ une part, le Parquet européen doit être indépendant par rapport aux parquets nationaux, ce qui n’ empêche pas selon nous une certaine collégialité de l’institution ; d’autre part, il doit avoir le droit de se saisir de toutes les affaires, y compris de celles qui peuvent être traitées au niveau national. Enfin, nous sommes disposés à soutenir la proposition de déclaration commune. Nous proposons néanmoins deux petites modifications, que je vais vous communiquer par écrit.

M. Josip Kregar, président de la commission judiciaire du Parlement croate (Croatie). (Interprétation) Je remercie nos collègues français d’avoir organisé et préparé cette réunion.

L’établissement d’un Parquet européen n’a rien de routinier : il s’agit de créer une nouvelle institution européenne puissante, ce qui aura des effets à long terme. Nous avons discuté à plusieurs reprises de cette proposition au sein de notre Parlement ; nous avons abordé des détails techniques et émis des objections.

La procédure dite de carton jaune n’est pas une gêne : elle conduit à une décision qui représente un compromis. Différentes structures organisationnelles peuvent permettre de parvenir au même résultat mais, lorsque nous créons une nouvelle institution, nous devons réduire au minimum les coûts psychologiques et matériels qui en découlent. À cet égard, l’ organisation collégiale nous paraît rationnelle et représente un compromis du point de vue de la souveraineté et de l’efficacité comme de la lutte contre les fraudes qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

Nous souhaitons que la procédure d’élection de la personne qui dirigera le Parquet européen soit plus transparente. Son professionnalisme, son intégrité et sa réputation sont essentiels puisque c’est elle qui incarnera l’institution. Nous souhaitons donc une procédure similaire à celle qui régit l’élection des juges à la CJUE.

Il s’agit de faire en sorte que la nouvelle institution soit à la fois bien acceptée par les citoyens des pays membres et efficace, pour une meilleure utilisation des fonds européens.

Mme Vilija Aleknaitė-Abramikienė, membre de la commission des affaires juridiques et de la commission des affaires européennes du Seimas (Lituanie). (Interprétation) Je félicite nos collègues français de cette belle initiative. Il est bon que les représentants des parlements nationaux se rencontrent pour discuter des questions européennes importantes, qui concernent les citoyens que nous représentons.

La commission des affaires européennes du Parlement lituanien a évalué les objectifs de la proposition de la Commission européenne et accueilli son initiative, tout en sachant que plusieurs de ses dispositions devraient être revues.

Selon notre commission, la nouvelle institution devrait être collégiale plutôt que supranationale. Son objectif devrait être de renforcer la coopération entre les États membres. Nous soutenons donc le modèle de gouvernance du Parquet européen proposé par la présidence grecque.

Pour nous, les objectifs principaux du Parquet européen devraient être l’efficacité et la célérité dans les enquêtes.

Il est essentiel que la souveraineté des États membres soit préservée. La compétence du Parquet européen ne devrait donc pas être étendue outre mesure et la proposition devrait délimiter très clairement les compétences respectives du Parquet européen et des États membres. Il faut également précisément définir les compétences du Parquet, de l’ OLAF, d’Eurojust et d’Europol.

Ce n’est pas toujours en créant une institution bureaucratique que l’on résout les problèmes. La structure qui sera déterminée doit nous offrir le maximum de possibilités, jouer un rôle clair et apporter une véritable valeur ajoutée.

La concentration de procédures mineures au sein du Parquet européen aurait un effet négatif sur ses capacités d’enquête et risquerait d’alourdir ses charges administratives. Ces affaires moins importantes devraient être traitées au niveau national.

Il faut aussi renforcer la coopération entre les États membres s’agissant des affaires transfrontalières.

L’institution du Parquet européen doit jouir d’une légitimité à la fois nationale et européenne. Pour cette raison, les parlements nationaux et le Parlement européen devraient être associés au contrôle de ce Parquet. Le principe de son indépendance devrait également être garanti.

Lors de nos réunions de commission, nous avons discuté de ces questions avec les membres de notre gouvernement qui assistent aux réunions du Conseil. Nous avons suivi de près les discussions et nous espérons que la solution sur laquelle elles déboucheront sera la plus efficace et la mieux acceptée.

M. Pierre Lequiller. Sur la question qui nous occupe, mon point de vue est très proche de celui de Marietta Karamanli, bien qu’elle appartienne à la majorité parlementaire alors que je suis un élu de l’opposition.

Je félicite la présidente Danielle Auroi d’avoir organisé cette réunion. Il est en effet très important que les parlements nationaux abordent ensemble les débats relatifs aux questions européennes. Il s’agit d’un problème général en Europe ; les parlements nationaux doivent intervenir beaucoup plus dans les débats européens. Voilà pourquoi, à l’époque où je présidais la commission des affaires européennes, j’avais suscité l’écriture de l’article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui crée la Conférence interparlementaire.

Alors que, lors des dernières élections européennes, plusieurs partis populistes ont réalisé des scores élevés, l’affaire qui nous occupe prouve que le contrôle de subsidiarité fonctionne, puisque les parlements nationaux ont obligé la Commission européenne à revoir sa copie. Il faudrait le faire savoir bien davantage.

Quant au fond, nous sommes depuis longtemps favorables au Parquet européen, moyennant les réserves qui ont été formulées, notamment par Patrick Sensburg : exigence de collégialité, de protection juridique des personnes incriminées, d’efficacité et de célérité des enquêtes. Nous devons donc assortir sa création de plusieurs garanties, rappelées également par Marietta Karamanli. À ces réserves près, le Parquet européen constitue à nos yeux une avancée importante à laquelle nous estimons qu’il ne faut pas s’opposer par principe.

M. Volker Ullrich, membre de la commission des affaires juridiques et de la protection des consommateurs du Bundestag (Allemagne). (Interprétation) L’intégrité financière de l’Union européenne est un objectif légitime : il faut lutter contre les infractions, nous en parlons depuis longtemps. Mais c’est aussi sur le principe de l’État de droit que la discussion devrait porter. Le code pénal relève de la souveraineté nationale. Dès que l’on commence à s’ingérer dans les mesures d’enquête, il faut se demander si ce transfert de compétences est conforme aux dispositions nationales. En créant un Parquet européen, nous devons absolument veiller au respect de l’État de droit. L’intérêt de l’Union européenne à poursuivre n’est pas un critère suffisant, et le niveau de protection des personnes mises en cause doit être aussi élevé que dans les pays membres.

J’espère que ces observations seront prises au sérieux. Je suis quelque peu surpris que la Commission européenne n’ait en fait pas réagi aux critiques formulées par quatorze parlements nationaux.

Ce qui nous tient à cœur, en résumé, c’est que le Procureur européen respecte les règles de droit et n’altère pas les droits fondamentaux des personnes mises en cause. Dans quelle mesure avons-nous besoin d’un droit procédural ? Quelle sera la légitimité politique de ce procureur et à quel contrôle politique sera-t-il soumis ? Autant de questions qui doivent rapidement trouver une réponse. Il nous semble que la proposition du Bundestag permettrait de faire un pas en avant sur cette voie, mais nous sommes ouverts aux propositions qui émaneraient d’autres parlements.

La Présidente Danielle Auroi. Je note que vous êtes plusieurs à regretter une certaine surdité de la Commission européenne aux critiques, bien que nombre d’entre vous soient plutôt favorables au Parquet européen.

M. Vannino Chiti, président de la commission des affaires européennes du Sénat (Italie). (Traduction lue par Mme la présidente Danielle Auroi)

Le Parquet européen et le traitement des données personnelles représentent une frontière de l’intégration européenne dans le domaine de la justice : ils donnent la mesure des efforts actuellement faits en ce sens, à tous les niveaux, et dans lesquels nous devons persévérer pour garantir à nos citoyens un meilleur avenir.

La proposition initiale de règlement de la Commission européenne a suscité des divergences d’opinion au sein du Conseil de l’Union européenne. Bien avant, des prises de position contraires de parlements nationaux ont conduit à la procédure dite du « carton jaune », pour la deuxième fois depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, au motif que le principe de subsidiarité avait été violé et parce que chaque pays revendiquait la souveraineté dans l’exercice de l’action pénale et dans la possibilité de poursuivre certains crimes.

L’avis du Sénat italien relatif à la proposition de règlement sur la création du Parquet européen s’est articulé en une prise de position de la commission des politiques de l’Union européenne, que je préside, et en un acte de la commission « Justice » dont le rapporteur était M. D’Ascola. Cet avis a reconnu certains aspects critiques de la proposition initiale, dûment mis en exergue, mais non la violation du principe de subsidiarité.

C’est pourquoi je n’ai pas été surpris lorsque la Commission européenne, investie du réexamen de l’acte après l’activation de la procédure du « carton jaune » à la suite des avis motivés de 14 parlements nationaux sur le non-respect du principe de subsidiarité, a décidé de maintenir sa proposition.

J’estime que la décision a été correcte et conforme à l’esprit qui devrait présider à la participation des parlements nationaux au processus législatif de l’Union par le biais du contrôle de subsidiarité : il s’agit d’améliorer la qualité de la législation européenne, non de bloquer le processus d’intégration. Si le contrôle de subsidiarité est assurément une prérogative des parlements nationaux, il ne doit pas être utilisé de manière conflictuelle, mais de manière positive, à des fins de proposition, conformément au processus du « dialogue politique », dont nous espérons que la Commission Juncker le poursuivra avec la même détermination et les mêmes résultats que les deux exécutifs Barroso.

Il me semble par ailleurs que les motifs de perplexité que nous avions mis en exergue dans l’avis du Sénat, concernant des aspects de fond du règlement, n’ont pas encore été entièrement dissipés. Je pense notamment aux avancées obtenues sur la directive relative aux crimes qui lèsent les intérêts financiers de l’Union – fraudes douanières, détournement des fonds structurels et des fonds de la Politique agricole commune –, approuvée par le Parlement européen le 16 avril dernier et actuellement en attente d’approbation définitive.

Un autre aspect concerne le respect des droits fondamentaux. Dans l’avis du Sénat, nous avions souligné la nécessité de garantir les principes du procès équitable. Un débat a été ouvert, au Conseil de l’Union européenne, sur l’admissibilité des éléments de preuve recueillis par le Procureur européen, telle que régie par la proposition. Nous estimons qu’un approfondissement est nécessaire s’agissant des marges d’action des tribunaux nationaux : il faut éviter que, au cas où l’on admettrait comme preuves au procès des éléments recueillis par le Procureur européen sans une disposition interne, ne se déclenchent légitimement les principes de tutelle prévus par les Constitutions nationales, ce qui rendrait inefficace l’action du Parquet.

Un autre aspect concerne la structure du bureau du Parquet. Dans l’avis rendu par le Sénat, nous avions insisté sur le fait que l’exercice des pouvoirs sous forme décentralisée par le biais des procureurs nationaux représente un juste équilibre entre la centralisation qui garantit une vision unitaire et globale des enquêtes, et la décentralisation permettant de respecter les caractéristiques spécifiques de chaque législation.

Une dernière remarque. En adressant au Gouvernement les orientations du Parlement, la commission des politiques de l’Union européenne du Sénat italien l’a engagé à se hâter de faire le nécessaire pour parvenir à un accord et, au cas où l’unanimité requise par l’ article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour l’approbation de la proposition ne serait pas atteinte, d’évaluer l’opportunité de la coopération renforcée que permet cet article.

Mme Marietta Karamanli. Ce premier tour de table montre que nous avons beaucoup en commun, sur le fond comme sur la forme. Je note également que plusieurs d’entre vous continuent de mentionner des difficultés et ne s’orientent pas a priori vers une signature.

Je rappelle que la proposition de déclaration s’appuie sur ce qui nous réunit : ce n’ est pas censé être une proposition de résolution de l’Assemblée nationale mais un texte partagé. En outre, seuls les signataires seront mentionnés. Il ne sera pas dit que la déclaration est unanime.

Nous avons noté les problèmes auxquels peuvent être confrontés les pays qui, comme le Royaume-Uni, ne souhaitent pas s’associer au Parquet européen. De même, la position du Parlement des Pays-Bas n’est pas celle de l’Assemblée nationale française. Pour nous, il n’est pas question de remettre en cause Eurojust, qui devra continuer à remplir ses fonctions propres. Nous entendons votre point de vue et nous le respectons.

J’ai pris connaissance des modifications que le Luxembourg propose d’apporter à notre proposition de déclaration. Les voici. En l’état, le texte indique que « les parlementaires représentants de 23 parlements nationaux de l’Union » – ce n’est pas rien ! – « se sont réunis le 17 septembre 2014 à l’Assemblée nationale pour examiner cette proposition de règlement ».

« L’institution d’un Parquet européen pour renforcer la lutte contre la délinquance financière au détriment de l’Union européenne, qui est rendue possible par l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, doit être soutenue ». Ce point est acté.

« La proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen a été largement débattue au sein des parlements nationaux et a fait l’objet d’une procédure dite de « carton jaune » au titre de la subsidiarité, 14 chambres nationales ayant jugé la proposition de règlement contraire au principe de subsidiarité. Le Parquet européen devrait être institué sous une forme collégiale » – nous en avons débattu et nous en sommes majoritairement d’accord –, « composé de membres nationaux ayant de forts liens avec leurs systèmes judiciaires respectifs ». Le Luxembourg propose de remplacer ce dernier membre de phrase par le suivant : « composé de procureurs issus des systèmes judiciaires nationaux ». Il me semble que le mot « membres » est préférable à celui de « procureurs », car chaque système a ses spécificités et l’État membre est libre d’envoyer un représentant qui n’est pas procureur. Je propose donc d’écrire : « composée de membres nationaux issus de leurs systèmes judiciaires respectifs ».

« Le Parquet européen », poursuit le texte, « devrait disposer, non pas d’une compétence exclusive, mais d’une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d’un droit général d’évocation. Plusieurs dispositions clés de la proposition de règlement, telles que le contrôle juridictionnel des actes d’enquête et de poursuite du Parquet européen, l’admissibilité des preuves et les règles de prescription, sont lacunaires et doivent faire l’objet d’un travail plus approfondi ». C’est une invitation que nous adressons à la Commission européenne.

« Il convient de souligner que les travaux menés à ce propos au Conseil de l’Union européenne sous la présidence grecque vont dans la bonne direction et il est souhaitable que les travaux soient poursuivis sous présidence italienne. »

Ici, nos collègues luxembourgeois proposent d’intégrer un point qui a été souligné à plusieurs reprises, à juste titre : « Les négociations en cours devraient veiller à assurer l’indépendance, l’efficacité et la valeur ajoutée du Parquet européen » – autant de notions auxquelles vous avez fait référence dans vos interventions.

À partir de la proposition initiale – que vous avez eu le temps d’étudier puisque nous vous en avons envoyé le texte, et moyennant ces quelques compléments qui ne devraient pas poser de problèmes puisqu’ils correspondent à des points que tous ici ont soulevés, nous devrions pouvoir lancer ensemble, un appel à poursuivre le travail entrepris. Il faut avancer, car nous sommes plus que jamais touchés par la criminalité. C’est d’abord à la criminalité financière que nous nous attaquons, mais plusieurs d’entre nous espèrent aller ensuite plus loin, car la criminalité ne s’arrête pas à nos frontières et ce sont les frontières européennes qu’il nous faut aujourd’hui défendre.

M. Alan Beith (Royaume-Uni). (Interprétation) Madame la présidente, je n’ai pas de mandat pour soutenir la déclaration qui figure sur ce papier : j’ai mandat de m’y opposer ! Même si 28 parlements étaient représentés ici ou avaient envoyé une contribution, cela ne voudrait pas dire que tous ont signé ou approuvé ce texte. Nos divergences d’opinion doivent être prises en considération.

Mme Marietta Karamanli. Je confirme que l’on indiquera explicitement, par respect pour la position de chacun, que la déclaration n’est pas unanime.

Mme Renate Künast, présidente de la commission des affaires juridiques et de la protection des consommateurs du Bundestag (Allemagne). (Interprétation) Que va devenir la proposition ? Nombre des représentants ici présents se sont prononcés pour l’établissement d’un Parquet européen, afin de lutter plus efficacement contre des agissements qui menacent nos intérêts financiers. Mais beaucoup de critiques ont aussi été exprimées, par exemple sur le défaut de subsidiarité ou la nécessité de préserver les droits des personnes mises en cause. Ces points sont importants pour nous tous, ils peuvent nous réunir. Nous ne devons pas limiter la discussion aux domaines de compétence qu’il est actuellement envisagé de confier au Parquet européen : parce que nous irons peut-être plus loin dans dix ans, il est essentiel de préserver dès à présent les principes démocratiques de la procédure pénale et les droits des personnes mises en cause.

Voici notre proposition. Il nous semble que nous devons affirmer nos convictions, par exemple en indiquant que « la conférence renvoie aux prises de position des chambres nationales et constate qu’à ce jour la Commission européenne n’a pas réagi sur les points fondamentaux qui lui ont été soumis. La conférence invite la Commission européenne à respecter les engagements qui résultent du traité de Lisbonne et à tenir compte des préoccupations des parlements nationaux ».

La formulation est peut-être un peu plus forte, mais il est important de faire référence aux procédures fondamentales, et en particulier aux droits des personnes mises en cause. Nous devons nous montrer exigeants dès la création du Parquet, car ce que nous décidons aujourd’hui engage l’avenir.

La Présidente Danielle Auroi. Peut-être pourrions-nous nous accorder sur la liste des questions qui restent à poser à la Commission européenne, que l’on soit pour ou contre le Parquet européen.

M. Ard Van der Steur (Pays-Bas). (Interprétation) En tant que rapporteur envoyé par mon parlement, il me serait aussi difficile qu’à Sir Alan d’approuver le projet de déclaration en l’état. La proposition allemande me paraît très intéressante, mais elle suppose que l’on soit d’accord avec l’instauration du Parquet européen, et ce n’est pas le cas du Parlement des Pays-Bas à ce jour. Si certains parlements nationaux veulent signer ce document, qu’ils le fassent, mais alors il faut dire clairement que d’autres, dont le Parlement néerlandais, n’étaient pas d’accord avec cette position commune et que ses représentants ne l’ont pas signée.

Si le Parquet européen peut valoir pour certains États membres et non pour d’autres, l’institution finira par exister dans beaucoup d’États membres, mais pas partout. Pour nous, cela pose un grave problème. Au sein de l’Union européenne, il ne doit pas y avoir un système qui ne vaudrait que dans certains pays. La Commission européenne devrait en tenir compte et rouvrir la négociation sur ses propositions.

La Présidente Danielle Auroi. Le texte sera suivi d’une liste de signataires, ce qui montrera que les autres pays représentés n’étaient pas d’accord.

M. Patrick Sensburg (Allemagne). (Interprétation) Si nous parvenons à faire évoluer la Commission européenne dans le sens que nous souhaitons, ce sera un signal positif. Dans nos prises de position, nous avons insisté sur des aspects différents. Je comprends que chaque chambre ait ses priorités et qu’elle veuille les mettre en avant, mais si nous nous en tenons là, il sera difficile de parvenir à un compromis aujourd’hui.

Mme Künast propose que nous appelions la Commission européenne à respecter les engagements qui résultent du traité de Lisbonne ; nous devrions tous nous retrouver sur ce point. Parmi nous, beaucoup sont favorables à la proposition de la Commission européenne, certains y sont totalement opposés, et c’est maintenant à elle de faire son travail. Le partage des tâches est clair. Nous avons fait notre part, « carton jaune » inclus. Dire simplement que la Commission européenne est obligée de tenir compte des préoccupations des parlements nationaux, sans nous perdre dans les détails ni les priorités de chacun, c’est donner un signal fort, un signe d’unité. Que la Commission européenne nous montre qu’elle est capable de se conformer à cette obligation et de prendre en considération nos positions argumentées et motivées.

Mme Renate Künast (Allemagne). (Interprétation) Nous proposons en fait une nouvelle approche, qui ne consiste pas à se demander si l’on est pour ou contre le Parquet européen, mais à rappeler à la Commission européenne notre droit à voir nos prérogatives, nos attentes et nos demandes prises en compte.

Dans cette optique, ne faut-il pas supprimer la dernière phrase – « les travaux […] vont dans la bonne direction », puisque nous ne sommes pas tous d’accord ? Les uns sont pour, les autres sont contre mais savent qu’une majorité favorable finira peut-être par se dégager au niveau européen.

Mme Marietta Karamanli (France). La dernière phrase ne doit pas être supprimée, car elle porte sur les travaux du Conseil de l’Union européenne et non sur ceux de la Commission européenne. Il convient de la maintenir, en la faisant suivre de la phrase proposée par le Luxembourg – « Les négociations en cours », etc.

Pour reprendre la proposition de Mme Künast sur les autres points, on pourrait ajouter à la fin du premier paragraphe, après les mots « l’institution d’un Parquet européen […] doit être soutenue » – car c’est la position de la majorité des signataires –, les mots « et tenir compte des préoccupations exprimées par les parlements nationaux ».

Nous insistons sur le fait que les noms des signataires apparaîtront sur le document. Voici ce qui ressort des positions exprimées lors de l’envoi de la proposition de déclaration, puis aujourd’hui même. Les parlements qui continuent de s’opposer au texte sont ceux du Royaume-Uni, de la Suède et des Pays-Bas. En revanche, les parlements du Luxembourg, de Lituanie, de Belgique, le Sénat italien, le Parlement grec, le Bundestag et le Parlement français en approuvent l’esprit : défendre l’idée du Parquet européen, en précisant ce qui doit l’être à propos de son indépendance, de son efficacité, de sa valeur ajoutée et de la nécessité de prendre en considération les préoccupations des parlements nationaux.

M. Pierre Lequiller (France). Je suis d’accord avec M. Sensburg : puisqu’il y a eu un « carton jaune », il faut dire avec force que nous exigeons de la Commission européenne qu’elle retravaille le texte. Je ne vois aucun inconvénient à ce que l’on indique explicitement que trois pays s’opposent par principe au Parquet européen. Ce sera plus clair et plus démocratique.

Mme Marietta Karamanli (France). En réalité, les pays concernés ou leurs parlements ne sont pas nécessairement opposés au Parquet européen de manière définitive : ils sont en train d’en discuter. Quoi qu’il en soit, c’est en tant que parlementaires que nous pouvons signer. Voilà pourquoi le document inclura la liste des noms des parlementaires, représentant leurs parlements respectifs.

M. Kyriakos Virvidakis (Grèce). (Interprétation) Je ne suis pas d’accord pour que l’on supprime le dernier paragraphe du projet de déclaration. Il est d’autant plus important de souligner que, lors du dernier Conseil des ministres, le texte de la présidence grecque sur la création du Parquet européen et la manière d’en garantir l’efficacité a été adopté et que plusieurs orateurs ont soutenu certains éléments de cette proposition : la structure collégiale, et le fait que les délits mineurs seront pris en charge par les autorités nationales.

La Présidente Danielle Auroi. Je précise que, bien entendu, ceux qui signeront la déclaration commune le feront à titre individuel, sans engager leur institution puisque nous n’avons pas tous mandat de notre parlement national.

M. Jean-Pierre Sueur (France). Ce qui ne va pas, mes chers collègues, c’est qu’alors que 14 parlements nationaux se sont clairement exprimés, la Commission européenne n’en a tiré aucune conclusion ! Je suggère donc que, dans le texte proposé par Marietta Karamanli, les mots « tenir compte » soient remplacés par les mots « prendre pleinement en compte ».

Mme Renate Künast (Allemagne). (Interprétation) Je suis tout à fait d’accord.

J’ai commis une erreur tout à l’heure : en effet, il ne faut pas supprimer la dernière phrase puisqu’elle ne concerne pas la Commission européenne mais le Conseil.

En revanche, nous ne voulons pas nous contenter de dire qu’il faut prendre en compte nos réflexions. Notre commission a élaboré un avis en seize points et nous avons des préoccupations de fond à faire valoir. Les droits des personnes mises en cause – par exemple le droit d’accès aux dossiers – font partie de ces questions de principe.

Notre proposition peut être intégrée à la fin du premier paragraphe comme l’a proposé Mme Karamanli, mais il faut écrire clairement que la Commission européenne doit tenir pleinement compte de ces principes fondamentaux.

Mme Marietta Karamanli. Nous sommes d’accord pour adresser un message plus ferme à la Commission européenne. On peut tout à fait parler de « principes » plutôt que de « préoccupations ». En revanche, monsieur Sueur, les 14 chambres ne sont pas les seules à s’être exprimées sur ce sujet et nous ne saurions oublier les autres.

Je vous propose que nous vous communiquions la version remaniée du projet de déclaration, avec les noms de ceux qui avaient déjà décidé de signer, auxquels s’ajouteront ceux qui sont prêts à nous rejoindre ; après quoi nous l’enverrons à la Commission européenne.

Que nous nous retrouvions aujourd’hui ne tient pas seulement du symbole. Les réunions de ce type ne sont pas toujours bien vues : les relations bilatérales sont plus faciles, mais elles ne tiennent pas compte des intérêts de tous. Or les intérêts sont bien plus souvent partagés qu’opposés ou concurrents. Nous, parlements nationaux, avons l’occasion de montrer notre force à la Commission européenne, avec laquelle nous voulons travailler. Nous sortirons de cette réunion plus forts face à elle ; il lui appartient maintenant de nous répondre concrètement et précisément.

La Présidente Danielle Auroi. Nous avions travaillé sur un premier projet que certains d’entre vous ont signé en l’état. Vous recevrez cet après-midi le texte amendé que vous signerez à nouveau si vous en êtes d’accord.

M. Alan Beith (Royaume-Uni). (Interprétation) C’est une très bonne nouvelle.

Plusieurs orateurs sont d’accord pour que nous disions clairement que les délégués de certains pays n’ont pas signé cette déclaration, soit parce que leur parlement est opposé au principe d’un Parquet européen, soit parce que la décision à ce sujet n’est pas encore prise. C’est très important, non seulement de mon point de vue – je ne veux pas que l’on puisse penser que j’ai signé ce texte – mais aussi pour la majorité. En effet, mes réserves ne concernent pas la nécessité de dire à la Commission européenne qu’elle doit faire correctement son travail et entendre les parlements nationaux : pour les lever, il faudrait modifier le texte bien davantage.

La Présidente Danielle Auroi. Nous pourrions ajouter un chapeau précisant que le texte est approuvé largement, mais pas unanimement, puisque certains parlements ne se sont pas encore prononcés ou ont émis des réserves.

Je vous remercie, chers collègues, pour ce travail collectif très utile. Il confirme que les parlements nationaux et le Parlement européen ont tout intérêt à dialoguer pour pouvoir poser ensuite des questions constructives à la Commission européenne.

La séance est levée à 12 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 17 septembre 2014 à 10 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon

Excusés. - M. Arnaud Leroy, M. Lionnel Luca