Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires européennes

mercredi 21 janvier

16 h 30

Compte rendu n° 182

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente de M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques et de Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques

Audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de M. Stephan Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, sur le conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne du 26 janvier et l’actualité de la politique agricole commune

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 21 janvier 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

de M. François Brottes, Président de la commission des Affaires économiques
et de Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques

La séance est ouverte à 16 h 35

Audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de M. Stephan Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, sur le conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne du 26 janvier et l’actualité de la politique agricole commune

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’avoir répondu à notre invitation de venir vous exprimer avant la réunion du Conseil Agriculture et pêche de l’Union européenne, qui doit se tenir le 26 janvier prochain. La présente audition, la quatrième du genre, s’inscrit dans le cadre de la nouvelle procédure qui, établie d’un commun accord entre le président Bartolone et le Premier ministre, s’applique régulièrement depuis octobre dernier ; je remercie d’ailleurs tous les acteurs qui l’ont permise, dans une volonté politique commune.

L’ordre du jour du prochain Conseil Agriculture et pêche est assez réduit puisqu’il ne comporte qu’une proposition législative, relative à l’établissement d’un plan pluriannuel pour les stocks de cabillaud, de hareng et de sprat de la mer Baltique et pour les pêcheries qui les exploitent. Deux autres points sont prévus sur des sujets agricoles : l’un porte sur l’embargo russe et ses conséquences pour l’agriculture européenne, en particulier le lait et les fruits et légumes ; l’autre sur la fin des quotas de sucre, prévue pour 2017. Nous profiterons ainsi de votre présence pour élargir nos échanges à d’autres sujets d’actualité qui, à n’en pas douter, figureront à l’ordre du jour des prochains Conseils.

Bien que les trois sujets sur lesquels je vous interrogerai ne figurent pas à l’ordre du jour du Conseil du 26 janvier, ils me semblent recouvrir des enjeux importants. Le premier a trait au secteur laitier dans le contexte de la fin des quotas. Les évolutions constatées en 2014 apparaissent en effet préoccupantes pour le secteur : d’une part, la croissance de la demande des pays émergents – en particulier de la Chine pour la poudre de lait –, qui tirait la demande mondiale, a fortement ralenti, et les exportations ont souffert de la fermeture du marché russe ; d’autre part, anticipant la fin des quotas, de nombreux États membres ont vu leur production de lait augmenter. Cet accroissement d’une production que plus rien ne vient limiter, conjugué à une faible demande, laisse craindre un effondrement des cours en 2015. Au vu des informations dont vous disposez, cette crainte vous paraît-elle fondée ?

La prévention d’une éventuelle crise du lait doit être européenne. Elle suppose des instruments de marché qui ne se bornent pas à une gestion a posteriori. L’Union dispose-t-elle aujourd’hui de tels instruments ? Sinon, quelles sont les propositions de la France en ce sens ?

Le deuxième sujet est la proposition de règlement relative à la production biologique et à l’étiquetage des produits. La position de la nouvelle Commission européenne, en particulier sur l’étiquetage et les contrôles, ne laisse pas de nous inquiéter. Quelle est la position de la France, et quelles sont les chances de la voir aboutir dans le délai, court, imparti par la Commission ? En cas d’échec, notre pays pourrait-il se satisfaire du statu quo ?

Quid, enfin, de la révision du processus d’autorisation des organismes génétiquement modifiés (OGM) ? Ce point figure en effet dans le programme de travail de la Commission pour 2015. La semaine dernière, le Parlement européen a adopté, en deuxième lecture, la modification de la directive 2001/18 sur la mise en culture des OGM ; mais qu’en est-il de la révision du règlement 1829/2003 sur la commercialisation des OGM, notamment d’importation ? On le sait, les négociations ont progressé avec le Canada, et restent ouvertes avec les États-Unis. La Commission a-t-elle l’intention de modifier le règlement touchant à la commercialisation ? Dans l’affirmative, avez-vous des informations sur ce qu’elle envisage ?

Le Président François Brottes. Je remercie Mme Auroi de veiller au grain, si j’ose dire, s’agissant des relations de notre assemblée avec les instances européennes, et des informations que le Gouvernement nous donne avant et après les Conseils. L’ordre du jour de celui du 26 janvier me semble au demeurant substantiel, puisqu’il recouvre pour ainsi dire tous les problèmes de l’agriculture, de la mer et de la pêche. La question du sucre, par exemple, inquiète les outre-mer, et celle des produits laitiers intéresse jusqu’aux zones de montagne. Le 18 novembre dernier, des membres de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale populaire de Chine, que nous recevions, nous ont lancé un appel sur le lait en poudre car la Chine, compte tenu de la relance de la natalité, craint de ne pouvoir faire face à la demande. Ce sujet peut aussi alimenter les débats du prochain sommet européen, au cours duquel l’agriculture biologique ne sera pas oubliée non plus.

Ce matin, la commission des affaires économiques a examiné un rapport de Marie-Lou Marcel et Dino Cinieri sur les signes d’identification de la qualité et de l’origine, dits « SIQO ». Beaucoup des préconisations nous paraissant utiles, nous espérons que le Gouvernement étudiera les prolongements qu’il peut leur donner. Dans ce cadre, la commission des affaires économiques entendra des responsables de l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, mais aussi des instances concernées en Italie, en Espagne et en Irlande. Nous associerons volontiers la commission des affaires européennes à ces travaux si elle le souhaite. Lors d’un récent sommet des présidents des commissions des affaires économiques de l’Union, organisé à Rome, j’ai pu constater que la France n’est pas le seul pays à se montrer offensif sur le sujet ; aussi aurions-nous tout intérêt, ce me semble, à faire converger les points de vue. Quoi qu’il en soit, suite à la réunion de l’après-midi avec les différents acteurs, la commission des affaires économiques organisera une « nuit des SIQUAL », les signes de qualité, au cours de laquelle seront présentés une dizaine de parcours. Nous souhaiterions donc, monsieur le ministre, que vous concluiez nos travaux pour nous préciser comment le Gouvernement peut relayer ce travail parlementaire de fond. Le Parlement peut s’abstenir de demander des rapports au Gouvernement, qui y est souvent réticent, pour s’acquitter lui-même de cette tâche, mais il désire alors connaître le prolongement que le Gouvernement entend lui donner. Je sais d’ailleurs, Monsieur le ministre, que vous serez à l’écoute de nos propositions.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Le Conseil du 26 janvier ne sera pas décisif puisqu’il coïncide avec le début de la présidence lettonne. Il ne fait donc qu’amorcer les travaux sur des sujets de fond dont nous discuterons dans les six prochains mois, s’agissant en particulier du règlement relatif à l’agriculture biologique, à propos duquel la France a insisté pour que la présidence italienne obtienne un rapport d’étape. L’enjeu est de préserver l’architecture de la labellisation ainsi que la mixité, dans laquelle de nombreuses exploitations sont engagées et dont la suppression brutale eût suscité de fortes oppositions en France. Le rapport d’étape a donc été adopté par le dernier Conseil Agriculture et pêche, et le sujet sera l’une des priorités de la présidence lettonne.

Se pose aussi la question de l’application de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) et de la mise en œuvre des programmes de développement rural, avec le transfert du deuxième pilier aux régions. Nous sommes mobilisés auprès de la Commission pour assurer la mise en œuvre effective, dès 2015, de ce que nous avons obtenu, étant entendu que l’État s’est engagé à avancer les crédits nécessaires aux programmes, par pré-financement, avant même l’apposition du contreseing définitif de la Commission. Ces programmes, discutés avec les régions et l’association qui les représente, l’ARF, touchent en effet à des enjeux essentiels, s’agissant par exemple de la modernisation des bâtiments d’élevage. Sur les règlements liés à la réforme de la PAC, relatifs en particulier aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), les négociations se poursuivent avec la Commission, auprès de laquelle il n’est pas toujours facile de faire valoir nos positions. Nous avons eu, à la fin de l’an dernier, un échange un peu « musclé » avec elle au sujet des MAEC et des indices de fréquence de traitement (IFT) des pesticides. La Direction générale de l’environnement de la Commission était en effet favorable à notre proposition, alors que la Direction générale agricole s’y opposait.

Depuis notre arrivée aux affaires, la production laitière a fait l’objet de plusieurs papiers adressés à la Commission : un premier dès l’automne 2012, un deuxième en 2013 et un troisième en 2014. Il s’agit de faire valoir auprès des États membres que l’on ne saurait, après la suppression des quotas laitiers, s’en remettre à la seule logique du marché, et moins encore à la conquête de marchés d’exportation. Certains pays, tels les Pays-Bas et l’Irlande, ont très sensiblement augmenté leur production laitière, parfois à hauteur de 15 à 20 % ; or, si la demande extérieure vient à se tarir, la surproduction revient sur le marché européen, avec les risques de crise que l’on connaît. La France a donc obtenu, dans le cadre de la négociation de la PAC, le maintien de mécanismes de sécurité, tels le fonds de gestion de crise au profit duquel sont prélevés les crédits alloués au premier pilier, et qui verra son abondement atteindre quelque 400 millions d’euros.

Nous avons déposé, en fin d’année dernière, un texte sur la production laitière, en premier lieu pour refuser les demandes, formulées par plusieurs pays, tendant à supprimer les pénalités applicables en cas de dépassement des quotas. En 2008, les quotas ne furent supprimés qu’au profit d’un principe de « soft landing » autorisant chaque pays à augmenter sa propre production selon une progression régulière de 1 % de 2009 à 2015 ; or plusieurs pays, dont la production était excédentaire par rapport à ce qui fut négocié, devaient à ce titre acquitter des pénalités : ce fut le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, de l’Irlande et des Pays-Bas, qui, l’an dernier, ont tous demandé la suppression des pénalités en arguant d’une demande soutenue à l’exportation. Lors d’un récent Conseil des ministres, j’ai fait valoir que ce contexte ne devait pas nous faire oublier les leçons de la crise de 2009 : les menaces demeurent, et elles sont sérieuses. La France, ai-je indiqué, pourrait accepter la suppression des pénalités en contrepartie d’un texte qui régulerait le marché du lait. Les pays concernés ayant refusé cette contrepartie, les pénalités ont été maintenues.

C’est aussi dans le cadre de la négociation de la PAC qu’a été créé un observatoire européen des prix du lait, afin d’anticiper les crises par d’éventuelles mesures correctives ; mais l’évolution des marchés extra-européens échappe à cette instance, notamment le marché qui est devenu l’enjeu essentiel, la poudre de lait, dont la Chine est devenue grande importatrice compte tenu de ses besoins non seulement quantitatifs, mais aussi qualitatifs ; d’où les investissements dans des tours de séchage, en particulier à Carhaix, en Bretagne, pour un niveau d’approvisionnement de 150 à 200 millions de litres. De fait, la demande ne cesse de progresser sous l’effet de la croissance de la démographie, donc du nombre d’enfants concernés. Une stratégie s’élabore, à l’échelle de certaines coopératives et à travers différents projets, notamment en Bretagne et en Ille-et-Vilaine, la France étant en mesure de produire des laits infantiles en poudre de qualité ; de ce point de vue, elle n’a pas la même stratégie que l’Irlande, les Pays-Bas ou l’Allemagne, qui ont opté pour une croissance de leur production. Quoi qu’il en soit, ce marché influence directement le prix du lait en Europe : lorsque la production a repris en Nouvelle-Zélande, le prix du lait, notamment en poudre, a aussitôt diminué. Le système étant contractualisé, les industriels européens achètent la totalité du lait européen, à un prix qui est une moyenne entre la partie réservée à la poudre et celle réservée au lait de qualité, voire au fromage. En d’autres termes, lorsque le prix de la poudre baisse, c’est le prix du lait dans son ensemble qui baisse : il est impossible d’anticiper les crises si l’on ne tient pas compte de cette réalité. Ainsi, la diminution du prix de la poudre à l’automne 2014 a eu des effets immédiats sur l’attitude des industriels, à commencer par Lactalis, attitude dont les producteurs se plaignent. C’est pourquoi je plaide pour l’intégration du secteur de la poudre dans la gestion du marché laitier européen.

Parmi les pays ayant augmenté leur production de lait, certains l’ont fait via une augmentation par vache qui peut atteindre 10 % à la faveur d’une meilleure alimentation ; d’autres, par une augmentation du troupeau lui-même, laquelle, outre qu’elle a des effets de bien plus long terme que la solution précédente, permet aux exploitants, lorsqu’ils anticipent une baisse du prix du lait, d’augmenter le nombre de vaches réformées, ce qui a pour effet de tirer le prix de la viande bovine vers le bas : les deux phénomènes sont donc liés. Aussi ai-je également proposé, dans le papier adressé à la Commission fin 2014, que soit pris en compte, dans le système de gestion « post quotas », l’impact de la production laitière sur l’évolution des troupeaux et, partant, du prix de la viande bovine.

Il faut aussi s’entendre sur les outils de correction. Jusqu’à présent, ce sont les producteurs laitiers qui assumaient les pénalités en cas de dépassement des quotas. Je suis favorable à une approche plus collective, qui permette d’anticiper sur l’évolution des troupeaux et sur la mobilisation de fonds lorsque les prix descendent trop bas. Le niveau du prix d’intervention fait également débat, pour la viande bovine comme pour le lait ; et face aux pays qui défendent la production comme une fin en soi, la France plaidera en faveur d’une coopération et d’une meilleure organisation du marché.

Il convient aussi de prendre en compte la situation des zones de production plus fragiles. Liés au sol, les quotas ont permis, en France, de maintenir une production laitière dans ces zones, notamment dans les piémonts ; depuis la fin des quotas, la production y a déjà connu de fortes diminutions, pour se transférer dans le grand Ouest ; d’où les logiques d’organisation de filières et d’identification, par exemple du lait de montagne ou du lait de France. En l’absence de majorité sur ce sujet, la discussion n’est pas facile : l’Allemagne ne suit pas la France, même si elle commence à nourrir des craintes quant à la production laitière, et même si mon homologue allemand nous a invités à prendre l’initiative, ce qui est désormais chose faite. D’autres pays tournés vers l’export, comme l’Irlande, sont difficiles à mobiliser ; mais nous ne relâchons pas nos efforts.

Le problème de l’embargo russe s’est posé dès cet été avec les fruits et légumes, la viande porcine et la viande bovine ; il n’a fait qu’accroître des difficultés de marché déjà connues. La Commission, dans ce contexte, a rapidement décidé de débloquer près de 350 millions d’euros au total. La France s’est employée, avec l’Espagne, à orienter notamment les aides vers les pêches et les nectarines à l’été. L’exportation de pommes polonaises vers la Russie se montait alors à 600 000 tonnes environ : on conçoit que de tels volumes aient pu déstabiliser le marché européen sur lequel ils sont revenus. Cela dit, les Polonais ont un peu tiré sur la corde, si vous me passez l’expression, sollicitant des aides supérieures à ce que représentaient leurs exportations en temps normal. Résultat : la Commission a décidé de supprimer certaines aides, pour les reprendre ensuite mais de manière mieux encadrée. Depuis le départ, je soutiens l’idée d’une coopération européenne en ce domaine : les aides ne peuvent fonctionner selon un système de guichet permettant à chaque État de plaider sa cause, au risque de déstabiliser le marché sans résoudre le problème posé.

Nous nous employons à obtenir la réouverture de marchés en Russie, et avons obtenu gain de cause, la semaine dernière, avec un accord de principe pour la réouverture du marché russe pour les porcs vivants, la graisse, les abats et les farines de porc, alors que la viande porcine fait face, on le sait, à de graves difficultés liées au prix. Je veux à cet égard saluer le travail de la direction de l’alimentation du ministère, qui entretient des liens de confiance avec son homologue russe.

Sur l’aspect financier, la France a obtenu la mobilisation des marges budgétaires à hauteur de 344 millions d’euros, s’opposant sur ce point à la Commission qui souhaitait une ponction du fonds de gestion des crises, ponction qui supposait de reconstituer le fonds via les aides allouées aux agriculteurs en 2015. Cette réserve, intacte encore cette année, de 400 millions d’euros, sera un atout non négligeable au vu de la situation de certains marchés.

Bien entendu, l’embargo russe dépend de l’évolution géopolitique – de nouvelles tensions sont malheureusement apparues ces derniers jours en Ukraine –, mais ce que nous avons obtenu en bilatéral est une bonne nouvelle, non seulement pour nous mais aussi pour les Russes, qui ont vu le prix de la viande s’envoler sans avoir les capacités de répondre en termes de production. D’autres opportunités se sont ouvertes pour la viande bovine en Chine, au Maghreb et en Turquie : nous y avons œuvré en coopération avec l’interprofession, que je salue. Une filière d’exportation de broutards vers l’Algérie a ainsi été créée, assortie d’une filière d’engraissement et d’abattoirs en Algérie même : de telles solutions forment des écosystèmes pérennes qu’il faut promouvoir. Comme je m’en suis expliqué avec le Premier ministre algérien, j’ai fait le choix de développer cette filière d’engraissement via les exploitations existantes dans les plaines d’Annaba, au Nord-est de l’Algérie. La France, même si l’on n’en a guère parlé, a aussi fourni des vaccins contre la fièvre catarrhale qui sévissait dans ce pays, et mobilisé l’Union européenne pour qu’elle en fasse de même. Cette maladie, née en Tunisie, menaçait l’ensemble de la production bovine du Maghreb puisqu’elle allait atteindre les frontières du Maroc après s’être propagée en Algérie.

S’agissant des OGM, madame la présidente, l’objectif d’une interdiction totale en Europe est inaccessible compte tenu de l’opposition de certains pays, tels l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni voire l’Allemagne. Dans ces conditions, la nouvelle directive permet aux pays qui le souhaitent de fonder leur refus des OGM sur la base de critères objectifs, que ceux-ci visent la protection de l’environnement ou la qualité des productions. Nous pouvons ainsi nous prémunir juridiquement contre les décisions du Conseil d’État qui, saisi par les industriels, a annulé par deux fois les moratoires sur les OGM.

Quant à leur importation, les règles demeurent inchangées : elles ont constitué des lignes rouges dès l’ouverture de l’accord transatlantique. Je me suis d’ailleurs mobilisé pour qu’il en soit de même pour les indications géographiques protégées, dont nous refuserons toute remise en cause : si la ligne américaine des marques commerciales devait l’emporter sur la ligne française et européenne, les conséquences sur la structuration de notre agriculture seraient en effet considérables. C’est donc avec plaisir que mon ministère étudiera le rapport dont vous avez parlé, monsieur le président, et que j’assisterai, si la date le permet, à la réunion consacrée à ce thème dont je suis un défenseur constant et déterminé, et auquel je sensibilise toujours les responsables que je rencontre lors de mes déplacements à l’étranger : je l’ai fait, par exemple, avec le vice-Premier ministre chargé de l’agriculture lors du voyage du Président de la République en Chine, ainsi qu’avec le Premier ministre japonais. Nos conceptions sur le sujet sont très différentes, mais elles peuvent trouver un écho dans des pays de longue histoire comme la Chine ou le Japon. Bref, je m’emploie, dans cette bataille internationale, de défendre, contre la ligne anglo-saxonne du libre marché et des marques, la ligne française et désormais européenne des indications géographiques.

Le Président François Brottes. Je rappelle que cette audition, préalable au Conseil du 26 janvier, revêt à ce titre un caractère confidentiel qui explique l’absence de retransmission en direct. Le compte rendu qui en sera fait sera publié après le Conseil.

Mme Marietta Karamanli. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’avoir éclairé la position française sur la question des quotas comme sur celle des OGM. En cette matière-ci, le projet de règlement prévoit un allégement des contrôles. Quelle est la position de la France sur ce point sensible, auquel les consommateurs se montrent vigilants ?

D’autre part, qu’en est-il des OGM dans le cadre de l’accord avec le Canada et les États-Unis ? En 2014, la commission des affaires européennes a adopté un rapport que j’ai rédigé avec Arnaud Richard sur la qualité et la traçabilité des denrées alimentaires. Depuis quelques mois, faute de transparence sur la négociation des accords commerciaux avec les États-Unis et le Canada, une crainte s’est fait jour quant à l’éventuelle remise en cause des normes européennes en matière d’OGM et d’étiquetage des produits. Pouvez-vous nous confirmer l’engagement de la France en faveur de la transparence, y compris dans le cadre des négociations à venir ?

M. Antoine Herth. Puisque nous sommes dans un cadre confidentiel, pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous faire part de vos impressions sur le nouveau commissaire européen à l’agriculture et au développement rural ?

Quel est l’impact des fluctuations des monnaies, notamment du rouble, sur les prix, par exemple de la viande importée en Russie ? Votre ministère a-t-il analysé ce phénomène ? La dépréciation de l’euro, on le sait, facilitera aussi nos exportations.

Confirmez-vous que la Russie s’apprête à investir dans son industrie pour assurer une plus grande autonomie de ses approvisionnements agroalimentaires ?

Enfin, la note de présentation de cette audition évoque « la nécessité de restaurer la confiance du consommateur dans les produits bio » : est-ce à dire que cette confiance est entamée ? Le « bio » est-il menacé ?

M. André Chassaigne. La fin des quotas laitiers est programmée au 31 mars 2015. À ce sujet, votre réponse lors des questions au Gouvernement, cet après-midi, laisse entendre que les blocages au sein de l’Union sont trop importants pour espérer une réponse commune : pourriez-vous nous en dire davantage ? Ne peut-on fédérer les États membres sur des outils qui ne pas seulement destinés à la gestion des crises, mais aussi à leur prévention ? En ce cas, quels filets de sécurité pourrait-on envisager ?

En France, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, le CNIEL, vous a-t-il fait remonter des propositions susceptibles de répondre aux problèmes graves qui ne manqueront pas de se poser dans nos territoires ? Le ministère assure-t-il une information particulière en direction des professionnels du secteur ? Certaines mesures peuvent apparaître comme des esquisses de réponse : choix de coupler les aides de la PAC avec d’autres aides moyennant l’application d’un plafond, limitation de la production ou aides à l’installation en fonction de critères de capacité non prévus à l’origine. Êtes-vous favorable à des mesures de limitation des installations ou de la production ?

Mme Brigitte Allain. S’agissant des OGM, quelles mesures envisagez-vous pour protéger la France contre les contaminations venues des pays frontaliers ?

Nombre d’éleveurs européens sont menacés par la fin programmée des quotas laitiers, la crise qui s’annonce dans la filière, le traité transatlantique, dit « TAFTA », et l’ouverture du marché de la viande bovine, dont vous avez rappelé les effets dévastateurs. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur les négociations en cours, notamment sur le volet agricole ?

Enfin, pensez-vous accélérer la mise en œuvre de nos politiques d’orientation afin de protéger les producteurs français ? Certaines dispositions de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF) sont utiles pour le maintien des revenus, la réduction des intrants et l’installation des agriculteurs : quelle communication en avez-vous assurée auprès des organismes de développement, afin de promouvoir l’agro-écologie et l’agriculture biologique, pour laquelle notre pays reste à la traîne, et les projets alimentaires territoriaux ?

M. Édouard Ferrand, député au Parlement européen. Député au Parlement européen et membre du Front national, je vous remercie de m’accueillir dans cette enceinte, où je m’exprime avec un esprit constructif. L’agriculture n’est ni de droite, ni de gauche, et nous avons tout intérêt à la soutenir, la France demeurant le premier pays agricole européen.

Malheureusement, au niveau européen, l’agriculture française se trouve prise en étau entre les normes environnementales et les règles du commerce international, le traité transatlantique, aussi appelé « TTIP », étant source d’inquiétudes.

Les mécanismes européens destinés à compenser la chute des cours consécutive à l’embargo russe sont notoirement insuffisants, et ne permettent pas de stabiliser ces derniers à des niveaux satisfaisants pour notre agriculture. Que comptez-vous faire pour enrayer la crise de grande ampleur, annoncée par de nombreux analystes, qui résultera de cette dégradation constante des cours ?

Combinée à l’embargo russe, à la faiblesse de la demande et à l’augmentation de l’offre mondiale, la fin des quotas laitiers risque de provoquer un véritable « krach » : même si nos éleveurs ont anticipé le passage sous le seuil des 300 euros les 1 000 litres, il reste fort problématique pour eux. Or, en ces temps de restrictions budgétaires, ni l’Union ni, a fortiori, la France, n’ont les moyens de gérer une crise. Pourquoi refuser aux éleveurs laitiers ce qui fut accordé aux vignerons, à savoir la suppression des droits de plantation ?

Enfin, l’avenir de la filière bois est un enjeu essentiel pour la « France des oubliés ». Nous allons en ce domaine vers une catastrophe de grande ampleur, l’exportation massive de grumes vers la Chine organisant le pillage de nos forêts.

M. le ministre. La France n’a nullement l’intention d’alléger les contrôles sur les OGM, madame Karamanli. Les OGM de première génération étaient résistants aux herbicides et producteurs de pesticides ; les nouvelles générations ouvrent d’autres perspectives, en termes de qualités organoleptiques, de teneur en vitamines ou de résistance à la sécheresse. Nous devons rester ouverts sur le sujet, mais la dissémination d’OGM résistants aux produits phytosanitaires est une catastrophe.

On nous avait présenté les OGM résistants au glyphosate – le Roundup – comme une solution économiquement efficace ; mais, seize ans plus tard, les études américaines montrent que les résistances, initialement abolies, finissent par se réorganiser, si bien que le glyphosate doit être renforcé par des composés organochlorés – les pesticides et herbicides condamnés il y a vingt ans pour des raisons sanitaires. Le recul du temps permet donc un débat plus objectif. Le problème des résistances, au demeurant, se pose non seulement pour les OGM, mais aussi pour les graminées ; d’où le débat sur l’agro-écologie évoquée par Brigitte Allain.

Quant à la réglementation sur les étiquetages, elle constitue l’une des principales lignes rouges dans la négociation du TIPP, pour la France comme pour l’Europe dans son ensemble. En ce domaine, le mandat de la Commission européenne est donc de ne toucher à rien.

Quant au nouveau commissaire à l’agriculture, monsieur Herth, il me paraît – pour rester honnête et diplomatique – moins sensible aux thèses françaises que son prédécesseur, le Roumain Dacian Cioloș. Ancien ministre irlandais de l’environnement, il est aussi membre du parti libéral ; or, on le sait, un libéral anglo-saxon est bien plus libéral qu’un français – et, a contrario, certains conservateurs du Parlement européen sont plus favorables à la régulation des marchés que leurs collègues socialistes d’Europe du Nord… Cela dit, mon jugement peut évoluer : tout dépendra, bien entendu, de la politique qui sera mise en œuvre. Sur la réforme de la PAC, toutefois, nos échanges ont déjà été vifs, et nous ne lâcherons rien sur nos positions.

Mon ministère n’a pas mesuré l’impact de la dépréciation de l’euro par rapport au dollar, mais elle profite bien entendu à nos exportations, par exemple de volailles : pour l’entreprise Doux, redressée via un fonds de retournement, le point mort se situait à 1,30 dollar ; aujourd’hui, l’euro est tombé à 1,14 dollar. Une fois la dette de ce groupe restructurée, il a fallu sécuriser ses approvisionnements au Moyen-Orient, ce qui fut chose faite avec la prise de participation de la société saoudienne Al-Munajem. Cette conjoncture favorable rend possible la création de plus d’une centaine d’emplois en contrat à durée indéterminée (CDI), alors qu’il avait fallu en supprimer plus de 1 500 il y a deux ans.

L’impact de la fluctuation monétaire n’a pas encore été évalué pour les céréales, mais nous verrons ce qu’il en est cette année. Rappelons que la Russie a par ailleurs décidé d’arrêter toute exportation dans ce secteur. En tout état de cause, le solde du commerce extérieur agricole et agroalimentaire aura progressé sur la période 2013-2014, preuve que notre action commence à porter ses fruits. En même temps, il faut assurer un réinvestissement sur le marché intérieur : c’est tout le sens de notre guide sur les achats locaux et les marchés publics diffusé à tous les élus locaux et parlementaires le 2 décembres 2014.

Dans les négociations sur la filière du lait, monsieur Chassaigne, nous pouvons compter sur le soutien de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Roumanie et de la Bulgarie. La Pologne, elle, défend une position ambivalente : sa production ayant dépassé les quotas, elle avait demandé la suppression des pénalités tout en plaidant pour le rétablissement de quotas ; pour autant, elle n’adhère pas à nos positions sur l’ »  après-quotas » pour le moment. D’après mes informations, elle s’apprêterait néanmoins à déposer, peut-être dès lundi, un texte sur le lait, que nous examinerons bien entendu avec attention. Si la Pologne nous suivait, elle pourrait entraîner dans son sillage l’ensemble des pays baltes ; c’est la stratégie que nous avions suivie, d’ailleurs, pour la réforme de la PAC afin de contourner l’opposition des États les plus libéraux : après nous être assurés du soutien de l’Irlande, de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et de la Grèce, nous avions obtenu un accord avec la Pologne qui avait alors rallié tous les pays d’Europe centrale. Cette « banane verte » rassemble des pays ayant une vision commune de l’agriculture, et tout spécialement des polycultures, contre l’approche seulement industrielle. Le problème, s’agissant du lait, est que les Irlandais, têtes de pont, s’opposent à nos propositions et que la Pologne, pour l’heure, n’a pas bougé ; si elle le fait, nous nous appuierons sur son soutien pour trouver une majorité.

Cependant, c’est bel et bien la France qui, depuis 2012, ne cesse de remettre le sujet du « post-quotas » sur la table : il ne l’était plus en 2013, année favorable pour la filière nonobstant quelques difficultés. Quoi qu’il en soit, nous avons également ouvert des négociations avec la grande distribution et les industriels afin d’anticiper les crises et de lisser, le cas échéant, l’évolution des prix : tout est fait pour éviter le passage sous le plancher des 300 euros la tonne. La conjoncture peut s’y prêter : le prix de la poudre de lait s’est un peu redressé, et le printemps est généralement une période de reprise.

Peut-on limiter la production ? Cette question rejoint celle relative aux droits de plantation, rétablis à l’initiative de la France. Malheureusement, nous ne disposons en Europe d’aucune majorité pour revenir à un système de quotas ; d’où notre stratégie, qui consiste à trouver d’autres éléments de régulation. Les filets de sécurité sont de plusieurs ordres : argent mobilisable pour le stockage privé en cas de surproduction, relance des exportations via des restitutions permettant d’écouler la production excédentaire ou, exceptionnellement, versement d’aides directes, comme en 2009. Toutefois, les décisions doivent intervenir avant l’arrivée du cyclone : c’est tout le sens des mécanismes d’anticipation en faveur desquels nous plaidons. En 2009, il avait fallu attendre que le prix du lait chute de 30 % pour que Mme Fisher-Boel se décide à agir, débloquant une enveloppe de 1 milliard d’euros, c’est-à-dire une fois la crise passée... Voilà ce qu’il faut éviter à l’avenir.

Quant à la contamination des OGM, madame Allain, les Pyrénées nous séparent de l’Espagne et la Manche de l’Angleterre… Le Portugal est plus éloigné encore, et l’Allemagne, si elle est hostile à toute décision définitive, n’utilise pas d’OGM, non plus que la Belgique. Nous devons néanmoins rester vigilants ; à cet égard la nouvelle directive nous offre des moyens de protection supplémentaires.

Le 30 janvier prochain, le Gouvernement, inaugurant l’an I de l’agro-écologie, présentera l’ensemble des mesures de la LAAF intéressant le secteur, lesquelles s’ajouteront aux dispositions de la PAC et à la version deux renforcée du plan « Écophyto ». Ces mesures, qui incluent la recherche et l’enseignement, visent aussi bien les produits phytosanitaires et l’agronomie que les groupements d’intérêts économiques et environnementaux. D’autre part, nous organiserons un sondage auprès des agriculteurs sur leur perception de l’agro-écologie, au regard de laquelle un logiciel en ligne leur permettra aussi d’évaluer, sur la base de plusieurs critères, le niveau de leur exploitation – le niveau le plus élevé étant consacré par le label « agriculture biologique ». Les systèmes de conservation des sols, par exemple, seront appréciés en fonction de critères de biodiversité et d’économies d’intrants. L’objectif est de convertir le maximum d’exploitations à ce mode de culture, et en tout état de cause au moins 25 % d’entre elles d’ici à 2020. Des discussions s’engagent avec les professionnels et, le 30 janvier, nous formulerons des propositions novatrices, qui vous seront immédiatement transmises, sur les certificats d’économies de produits phytosanitaires afin de responsabiliser les acteurs sur cet enjeu collectif. Si la commission des affaires économiques souhaite évaluer le nouveau mécanisme, je serai bien entendu heureux de le lui présenter.

S’agissant des quotas laitiers, monsieur Ferrand, j’étais opposé à leur suppression en 2008, mais elle a été adoptée et, aujourd’hui, il n’existe aucune majorité en faveur de leur rétablissement. Je m’efforce donc de trouver une autre solution, fondée sur un mécanisme d’alerte, la création d’un observatoire et la gestion du troupeau laitier.

J’en viens à la question de l’embargo russe. La baisse du rouble ayant renchéri le coût de leurs importations, les Russes avaient commencé à développer leur production en achetant de nombreuses vaches laitières, notamment des montbéliardes, adaptées à la production russe, et allaitantes françaises. Ils sont en effet très désireux de travailler avec la France. Aujourd’hui, la crise financière russe, la baisse du rouble et la faiblesse du prix du pétrole et du gaz réduisent leurs capacités d’investissement. Aussi l’embargo va-t-il peut-être s’effriter petit à petit. C’est ce que nous avons obtenu pour les porcs, et pour les bovins vivants à la fin de l’année dernière.

S’agissant de la forêt, la question des exportations de grumes françaises concerne en particulier le chêne, c’est-à-dire l’arbre qui a la valeur la plus élevée. Mon problème, en tant que ministre, c’est que les scieries françaises, d’un côté, et les propriétaires et producteurs de bois, de l’autre, ne parviennent pas à trouver un accord. Les premières jugent le prix du bois trop cher et craignent pour la survie de leur industrie ; les seconds, puisque le prix devient rémunérateur, préfèrent exporter pour rentabiliser leurs investissements. J’ai rencontré le président de la Fédération nationale du bois hier ; nous allons travailler sur ce sujet. J’ai notamment rappelé aux professionnels du secteur que la loi d’avenir pour l’agriculture prévoit la création de groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers, fondés sur des stratégies globales de territoire. Les scieries doivent discuter avec les propriétaires dans ce cadre. Actuellement, chacun renvoie la responsabilité du problème à un autre maillon de la chaîne, et tous finissent par se retourner vers le ministre pour lui demander de faire quelque chose. Nous avons pris de nombreuses mesures dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, dont l’utilité est d’ailleurs reconnue par l’ensemble de la filière. Mais cette question-là reste pendante.

Que faut-il faire ? Tout d’abord, développer la contractualisation afin d’assurer aux industriels une visibilité quant à leur approvisionnement en bois. On ne peut toujours profiter des opportunités du marché, le producteur quittant son scieur quand le prix est élevé, le scieur se détournant du producteur quand le prix est faible. Cette contractualisation est en train de se mettre en place pour les résineux et les hêtres. Pour le chêne, elle est plus complexe car le marché est spéculatif, la valorisation de cette essence étant très variable selon qu’il s’agit du tronc ou du houppier, c’est-à-dire des branches. Il nous faut donc trouver un type de contrats adapté. En tout état de cause, je suis parfaitement conscient de la nécessité d’assurer l’approvisionnement de la scierie française. Il n’est en effet pas question de perdre notre industrie de première transformation, d’autant que la sciure qu’elle produit peut alimenter des unités de cogénération. Nous avons du reste décidé, avec le ministère de l’environnement, de favoriser la cogénération par les scieries en abaissant le seuil fixé pour bénéficier des tarifs d’achat de l’électricité.

Par ailleurs, nous avons mobilisé le Fonds chaleur, dans le cadre de la loi de transition énergétique pour financer, non pas forcément le bois-énergie, donc les chaudières, mais la replantation. La déprise agricole favorise en effet le développement de la forêt, mais la biomasse de ces accrues n’est absolument pas valorisée. Nous allons donc tenter d’y remédier et de développer la plantation pour assurer l’approvisionnement des scieries. Mais si celles-ci ne s’associent pas aux groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers pour discuter de ces sujets, nous ne parviendrons pas à définir des stratégies de moyen et de long terme. Nous avons fait beaucoup de progrès dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, mais les conflits sont tels que nous avons des difficultés à avancer.

En ce qui concerne les certificats à l’exportation, si j’augmente leur coût – qui est d’à peine un euro le mètre cube en France, contre 17 euros en Allemagne –, je donne satisfaction aux scieurs, mais les propriétaires privés, qui représentent 70 % de la production de bois, vont me reprocher de mettre en péril l’équilibre économique de la filière en les empêchant d’exporter. Je suis donc très prudent. Toutefois, nous avons été les premiers à augmenter le coût de ces certificats ; nous allons l’harmoniser au niveau national et poursuivre cette augmentation, mais on ne peut pas passer brutalement de 1 euro à 17 euros.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques, remplace M. François Brottes à la présidence

La Présidente Danielle Auroi. Nous en venons à une nouvelle série de questions adressées à M. le ministre.

Mme Annick Le Loch. Monsieur le ministre, selon des exploitants de ma région, 2015, sera, pour la rémunération des producteurs de lait, l’année de tous les dangers. Du reste la note qui nous a été distribuée évoque la nécessité de renforcer les outils de régulation post-quotas afin d’éviter une crise. En effet, non seulement le prix de la tonne de lait ne serait plus que de 300 euros en 2015, contre 360 euros en 2014, mais le prix de revient augmenterait, dit-on, de 50 euros.

M. Le ministre. Non !

Mme Annick Le Loch. Certes, d’autres pays producteurs ne sont pas mieux lotis, mais ils l’ont été les années précédentes. La production a augmenté en Europe et aux États-Unis, mais sans corrélation avec la consommation mondiale, ce qui explique les surplus à venir. En France, les laiteries et la grande distribution mènent une véritable guerre afin de faire chuter les prix au plus bas, et c’est le producteur qui souffrira le plus de la situation. Vous vous êtes déclaré favorable à une régulation fondée sur des mécanismes d’anticipation et de gestion de crise au niveau européen. Les Américains, quant à eux, auraient instauré une sorte de farm bill, pour tenter de réguler le marché et de préserver les marges des producteurs. Comment faire en sorte que, dans notre pays, les éleveurs n’assument pas seuls les risques du marché ?

M. Philippe Armand Martin. Les producteurs de fruits et légumes doivent composer avec une chute des prix qui dégrade fortement leur trésorerie et met en péril la viabilité économique de leurs exploitations. Les pommes et les poires ainsi que les fruits de saison étant principalement importés, les professionnels du secteur souhaiteraient que soient menées des opérations de communication afin d’inciter nos concitoyens à consommer davantage de fruits et légumes français. Toutefois, l’augmentation du budget des programmes de promotion que vous avez évoquée ne sera pas suffisante, car elle concerne tous les États alors que le coût de production est plus élevé en France qu’ailleurs. Comment inciter les Français à acheter des produits nationaux et que comptez-vous faire pour défendre les producteurs français ?

S’agissant du règlement relatif à l’agriculture bio, vous ne nous avez pas expliqué par quel compromis vous comptiez obtenir gain de cause et quels sont vos arguments.

M. Frédéric Roig. Ma question porte sur la mise en œuvre de la politique agricole commune et plus particulièrement sur son volet régional. Nous savons tous que l’alimentation est un enjeu essentiel en matière de santé publique. Vous avez développé l’approvisionnement de proximité de la restauration collective, et les projets alimentaires territoriaux sont de plus en plus nombreux à l’échelle des intercommunalités. Est-il envisageable de mettre en œuvre, dans le cadre de la PAC et des financements régionaux, des mesures spécifiques de nature à développer la production des petites exploitations situées dans les territoires de montagne à handicaps naturels ?

M. Philippe Le Ray. Monsieur le ministre, je partage beaucoup des positions que vous avez exprimées dans votre intervention. Bien que la conjoncture paraisse très favorable à l’agriculture, qu’il s’agisse de l’éclaircie concernant l’embargo russe, de la baisse de l’euro ou du faible prix des carburants, j’ai le sentiment que la production laitière risque de subir une violente onde de choc, les éleveurs ayant anticipé l’éventuelle augmentation de la production liée à la fin des quotas. Même si la mise en œuvre d’outils de régulation est complexe, j’appelle votre attention sur la nécessité de trouver des accords politiques avec nos partenaires européens afin d’assurer une certaine maîtrise. Par ailleurs, je souhaiterais que vous évoquiez la question des OGM – car, sur ce sujet, la position de l’Europe ne me paraît pas tenable – ainsi que le plan abattoirs. Enfin, la prolifération du frelon asiatique va poser très rapidement de graves problèmes auxquels nous allons devoir trouver des solutions collectives. Ainsi, il est peut-être nécessaire de classer cet insecte dans la liste des dangers sanitaires de première et non plus de deuxième catégorie.

Mme Marie-Hélène Fabre. Nous sommes à dix-huit mois de la fin de l’Organisation commune de marché (OCM) vitivinicole. Le Gouvernement veillera-t-il, lors des prochaines discussions, à préserver la particularité de la viticulture, notamment en ce qui concerne les aides à la restructuration et aux investissements et l’accompagnement de la promotion ? Par ailleurs, j’appelle votre attention sur le traitement équitable dont doivent faire l’objet les producteurs indépendants, les groupements de producteurs et les coopérateurs. Enfin, l’assurance récolte, qui devrait être discutée dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, sera-t-elle intégrée au premier pilier et fera-t-elle partie de l’enveloppe OCM ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Chacun sait que l’économie française, y compris l’agriculture, qui est en France une économie à part entière, subit les contraintes environnementales. Avez-vous des éléments de comparaison avec les autres pays européens en la matière, notamment au regard de la transposition des directives ? Par ailleurs, quelles mesures comptez-vous défendre pour que ne soient pas alourdies les contraintes pesant sur les exploitants qui ont fait le choix de l’agriculture raisonnée ? Enfin, je ne sais pas si vous avez participé aux négociations concernant le barrage de Sivens, mais ne pourrait-on pas proposer qu’une partie significative des surfaces irriguées par cette retenue d’eau soit réservée à la culture bio ?

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Tout d’abord, il me paraît nécessaire que la proposition de règlement sur l’agriculture bio de la Commission européenne fasse l’objet d’une communication claire, car ni les consommateurs ni même les producteurs ne connaissent les décisions ou le contenu des discussions actuelles.

Ensuite, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt vos annonces concernant, d’une part, le logiciel permettant aux exploitants de réaliser leur auto-évaluation en matière d’agro-écologie et, d’autre part, les certificats phytosanitaires. Pourrait-on imaginer un allégement des contrôles subis par les agriculteurs dès lors que ces deux outils attesteraient qu’ils ont consenti des efforts suffisants ? À ce propos, les contrôles exercés dans le cadre de la PAC 2015 suscitent l’inquiétude : comment vont-ils s’exercer et les dispositifs sont-ils définitivement arrêtés ?

M. Philippe Loiseau, député au Parlement européen. Nos éleveurs subissent la concurrence européenne et l’embargo russe, qui a provoqué un afflux de viande sur le marché européen, et nos abattoirs sont en difficulté. La filière porcine est en effet victime du dumping social pratiqué par l’Espagne et l’Allemagne et de l’embargo russe, qui a causé une perte de 150 millions à 200 millions pour la filière. Ainsi, plus de 1 000 élevages français ont disparu ces quatre dernières années. L’Union européenne est incapable de faire face aux crises et les fonds débloqués par la Commission, soit 344 millions, sont une goutte d’eau en regard des milliards perdus par l’agriculture et l’agroalimentaire français. Le secteur céréalier est également touché. Notre blé, de moindre qualité en raison des intempéries, est concurrencé par celui de l’Allemagne et de la Pologne. Quand allez-vous mener une grande politique de promotion de nos produits nationaux ? Prévoyez-vous une relocalisation des productions ? Quel modèle d’élevage défendez-vous, sachant que, l’an dernier, des projets inspirés du modèle américain ont vu le jour – je pense évidemment notamment à la « ferme des mille vaches » ? Faut-il y voir des signes précurseurs de ce que deviendra l’élevage français après la signature du traité transatlantique ?

Pour survivre, nos agriculteurs tentent, tant bien que mal, de se regrouper et se lient à des industriels dont le seul but est la rentabilité et la production à bas coût. La « ferme des mille vaches » est une conséquence de la décision de l’Union européenne de supprimer les quotas laitiers. La baisse des prix va mettre en péril un grand nombre d’exploitations, et il est à craindre que nombre d’entre elles ne disparaissent. Quant à la libéralisation du sucre, elle permettra au sirop de maïs américain, moins cher, de concurrencer nos betteraviers et producteurs de canne à sucre.

Vous nous préparez, je le crains, une agriculture sans paysans qui accentuera la désertification de nos territoires ruraux. Votre objectif est-il de créer une agriculture industrialisée ? Que comptez-vous faire pour permettre à nos agriculteurs de vivre de leur travail ? Je rappelle que, tous les deux jours, un agriculteur se suicide et que la première mission des agriculteurs est de nourrir la France.

M. Jean-Pierre Le Roch. Le 14 janvier dernier, la reprise des exportations françaises de la filière porcine vers la Russie a fait l’objet d’un accord de principe. C’est une bonne nouvelle pour les producteurs, qui vivent actuellement une situation difficile. Subsiste toutefois une interrogation sur les délais dans lesquels ces exportations vont pouvoir reprendre, en raison du problème posé par les agréments. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Je conclurai sur une note optimiste : en tant qu’élu d’une circonscription située au cœur de la Bretagne, où l’activité agricole et agroalimentaire est très importante, je peux témoigner que les investissements reprennent dans ce secteur, ce qui témoigne d’une certaine confiance dans l’avenir.

M. Yves Daniel. Nous nous accordons tous à reconnaître qu’il n’est pas d’agriculture possible sans agriculteurs. Or, actuellement, nous constatons une diminution du nombre des installations qui fait peser un risque sur le renouvellement des générations, et je crains que l’application de la PAC, la suppression des quotas laitiers et la libéralisation de la production laitière n’accentuent la tendance à l’agrandissement et à la concentration des exploitations. Jusqu’où la diminution de leur nombre est-elle acceptable ? Quels dispositifs seront mis en œuvre pour enrayer la baisse des installations, qui entraîne la diminution des emplois dans le secteur de la production ? Il me semble qu’une partie de la réponse à cette question réside dans des engagements européens.

Mme Chantal Guittet. Monsieur le ministre, vous savez qu’une polémique oppose la France aux Pays-Bas à propos des échalotes. On voit en effet arriver sur les marchés, en provenance des Pays-Bas, des échalotes hybrides, notamment l’Obélisk, vendues sous le nom d’échalotes, alors qu’en 2006, la Cour européenne de justice avait interdit cette pratique. Une expertise réalisée par le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) à la demande de la Section nationale des échalotes a donné raison aux producteurs français, en vain. Que peut-on faire pour régler ce contentieux qui nous a fait perdre plus de 20 % de parts de marché aux cours des cinq dernières années ?

M. le ministre. Je me souviens qu’en 2005, déjà, j’étais intervenu, en tant que député européen, sur le contentieux relatif à l’échalote. Hélas, la France ne parvient pas à réunir une majorité au Parlement européen sur cette question. Mais je ne renonce pas pour autant à défendre la véritable échalote, bretonne notamment, dont la production requiert une main-d’œuvre beaucoup plus importante que celle de l’échalote de semis.

Mme Chantal Guittet. Un protocole d’accord a été signé entre la France et les Pays-Bas, mais ces derniers ne le respectent pas !

M. le ministre. Eux prétendent respecter cet accord amiable : c’est bien le problème ! Il faudrait saisir la Cour de Justice. Je mesure bien les difficultés des producteurs d’échalotes français, et je vais tout faire pour tenter de trouver une solution, mais je ne suis pas certain d’y parvenir. Le problème resurgit de manière récurrente à chaque fois que la production est un peu trop importante, notamment du côté des Pays-Bas. Au fond, il faudrait agir sur l’étiquetage en interdisant de vendre un oignon pour une échalote.

Mme Le Loch m’a interrogé sur le farm bill américain. Ce système est de nature assurantielle. Quant à nous, nous travaillons à l’élaboration d’un dispositif assurantiel mutualisé couvrant les risques climatiques. Nous sommes d’ailleurs sur le point d’aboutir à un accord. Notre objectif, qui était de mettre en œuvre ce dispositif avant l’été, sera donc atteint. Pour l’instant, il relève du deuxième pilier, mais, dans deux ou trois années, la question se posera de savoir si l’on peut utiliser une partie des aides du premier pilier pour le financer. Quoi qu’il en soit, notre responsabilité, aujourd’hui, est de mettre en place le système ; ensuite, nous verrons. Quant au dispositif assurantiel américain, selon moi il n’est pas viable, en raison de l’aléa moral : l’acteur sait qu’il est assuré et donc qu’il percevra un revenu quoi qu’il arrive. Un tel dispositif risque donc de coûter en définitive beaucoup plus cher qu’un système d’aides à l’hectare.

Ce qui est certain, c’est que le financement devra être plus important. J’ai vu, dans l’Aude, 15 000 hectares détruits par la grêle en une nuit. Les risques sont donc considérables, d’autant plus que le réchauffement de la planète va accroître la fréquence et l’intensité des aléas climatiques. Pour que la solution soit acceptable pour les agriculteurs, elle ne peut consister qu’en un système assurantiel, certes, mais mutualisé. De fait, si on laisse l’agriculteur s’assurer seul, le montant de cette assurance sera tellement élevé qu’il ne la souscrira pas. Contrairement au système américain, le nôtre reposera donc sur un mix, puisque nous ne renoncerons pas aux aides. La question d’un financement partiel par le premier pilier ne se posera qu’en 2017 ou 2018, lorsque seront rediscutées, par exemple, les aides portant sur les 52 premiers hectares, puisque nous allons, par un prélèvement sur le premier pilier, les majorer de 10 % d’ici à 2017 – nous pouvons aller jusqu’à 20 %, voire 30 % ; la discussion sera ouverte. Quoi qu’il en soit, je viendrai vous présenter le dispositif une fois qu’il sera prêt, c’est-à-dire avant l’été.

S’agissant de l’évolution du prix du lait, les négociations ont bien entendu débuté ; il s’agit d’éviter la catastrophe, puisqu’on annonce la tonne de lait à moins de 300 euros. En 2013, nous avions sollicité le médiateur et obtenu une augmentation du prix d’achat de 25 euros. Cette fois, nous avons anticipé : le médiateur est déjà saisi, et j’ai rencontré les grands distributeurs. Mon problème est de parvenir à un équilibre entre les producteurs, la distribution et les industriels. Par ailleurs, je ne vois pas comment les coûts pourraient augmenter de 50 euros à la tonne, madame Le Loch, dès lors que le prix du pétrole et de l’alimentation animale ainsi que les charges ont baissé !

M. Philippe Le Ray. L’augmentation des revenus, l’an dernier, risque de se répercuter sur les cotisations à la MSA !

M. le ministre. Certes, mais l’on pourra discuter du lissage et, quoi qu’il en soit, cette augmentation ne peut pas atteindre 50 euros la tonne.

M. Philippe Loiseau. Et la baisse du pétrole n’a pas compensé l’augmentation du coût des engrais !

M. le ministre. Le prix du pétrole a baissé de 60 % : ne me dites pas que les coûts augmentent ! Quant à l’azote, c’est du gaz. Au demeurant, les engrais ne sont pas fournis par le ministère de l’agriculture, non plus que l’alimentation du bétail. Pourtant, dans les comices de ma circonscription, c’est auprès de moi qu’on se plaint que son prix ne baisse pas. Mais c’est aux coopératives qu’il faut s’adresser ! Même chose pour les engrais : comment se fait-il que la baisse de leur prix ne soit pas répercutée ? C’est aux distributeurs de s’expliquer ! Je veux bien tout assumer, mais pas ce qui relève des acteurs eux-mêmes, surtout lorsqu’il s’agit de coopératives. En ce qui concerne l’azote, que l’on me donne des éléments ; ma démarche sera la même que pour l’alimentation animale : je me renseignerai auprès des distributeurs.

En ce qui concerne les fruits et légumes français, la promotion est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. À ce propos, il a fallu que la crise du secteur survienne pour que je m’aperçoive qu’un seul des 10 millions d’euros inscrits au budget européen pour favoriser la consommation de fruits et légumes français dans les écoles était utilisé ! C’est toujours le même problème : tant que les débouchés existent, personne ne s’en préoccupe. Mais je peux vous dire que nous allons utiliser ces crédits. Nous pouvons également étudier la mise en place d’un système d’identification des fruits français, comme cela a été fait pour la viande ou comme nous sommes en train de le faire pour les fleurs. Du reste, je vous annonce que nous allons lancer, le 17 février, à Angers, le label « Fleurs de France ». L’horticulture française a pratiquement disparu. Il a fallu que je me batte pour que la démarche s’enclenche et se concrétise. Maintenant, c’est lancé, et j’en suis très fier !

M. Édouard Ferrand, député au Parlement européen. Nous aussi !

M. le ministre. Eh bien, dites-le ! Par ailleurs, les dispositifs prévus dans la loi d’avenir pour l’agriculture sont en train de s’appliquer. Nous avons ainsi publié un guide sur l’approvisionnement local, car les débouchés locaux sont très importants. Les projets alimentaires territoriaux doivent permettre de structurer l’approvisionnement et de favoriser la consommation locale, notamment dans les territoires plus fragiles – je pense aux territoires de montagne, monsieur Roig. Les expériences menées dans la Drôme, par exemple, prouvent que le coût d’un repas à la cantine n’est pas plus élevé lorsqu’il est confectionné à partir de produits locaux. Bien entendu, le FEADER et les régions accompagnent ces choix dans le cadre du deuxième pilier. Il faut également mobiliser le fonds leader et le Groupe d’action locale (GAL), car il y a là de quoi faire du développement local et territorial. Les mesures que nous avons votées doivent être mises en œuvre – c’est la première des règles que nous devons appliquer.

J’en viens au frelon asiatique. C’est moi, lorsque j’ai pris mes fonctions au ministère de l’agriculture, qui ai proposé, avec Delphine Batho, de le classer dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie. Jusqu’alors, pour des raisons liées à la biodiversité, il n’était pas considéré comme nuisible. Résultat : il s’est installé et, maintenant, il prolifère. Aujourd’hui, je suis favorable à ce qu’il soit classé dans la liste de première catégorie ; nous avons commandé une étude à l’ANSES sur ce sujet. Toutefois, la lutte contre les dangers de la liste de première catégorie est financée sur des fonds publics. Il faut donc que nous trouvions une solution afin de mobiliser le moins possible de moyens budgétaires. Quoi qu’il en soit, nous ne devons pas rester les bras croisés.

S’agissant des abattoirs, on sait que la crise des abattoirs porcins a coûté 850 emplois à Lampaul-Guimiliau. Que s’est-il passé ? La baisse de la production porcine à partir de 2010 a entraîné une diminution de l’activité des abattoirs, qui fonctionnaient déjà à moins de 80 % de leur potentiel de production, qui plus est avec une rentabilité faible. Des restructurations sont donc intervenues. Dès 2013, nous avons élaboré un plan pour la filière porcine, en nous fixant pour objectif que la production retrouve son niveau de 2010, sachant que l’on a perdu entre 2 millions et 3 millions de porcs charcutiers par an. Mais il ne s’agit pas de produire pour produire ; nous devons nous assurer également que des débouchés existent, sinon les prix chuteront et tout le monde y perdra. Néanmoins, il est certain que les outils de transformation dépendent directement du niveau de la production. La filière porcine est actuellement dans une situation de grande fragilité. Certes, grâce à la simplification des ICPE et à la méthanisation, les investissements repartent, mais les débouchés doivent être plus structurants.

Quelle décision faut-il prendre à propos des OGM ? Je le dis franchement, les OGM de première génération appartiennent au passé : compte tenu de ce que j’ai vu aux États-Unis, nous devons classer ce dossier. En revanche, je souhaite que, sur le reste, un débat intelligent s’ouvre, avec l’INRA et le Haut conseil des biotechnologies, qui reprendra ses travaux prochainement, et que l’on réfléchisse à ce qui peut être utile. Par exemple, la dissémination de la vitamine A contenue dans le « riz doré » ne risque pas de causer des dommages à l’environnement ; de même, augmenter la résistance à la sécheresse en utilisant les gènes de plantes existantes ne modifie pas l’équilibre biologique. Il ne s’agit pas de trancher la question aujourd’hui, mais il me semble que nous devons tourner la page des OGM de première génération et organiser un grand débat sur les enjeux des recherches pour l’avenir.

S’agissant des OCM, madame Fabre, je sais que, dans l’Aude, par exemple, vous auriez été plus favorables à des aides à l’hectare, mais verser de telles aides à Gevrey-Chambertin ou à Pétrus nous aurait posé problème… Quoi qu’il en soit, nous avons conservé l’OCM pour favoriser le développement et l’investissement. Quant aux Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) en cours de préparation sur la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, elles permettent de mettre l’environnement au service du développement économique. C’est un point très important ! Par ailleurs, je vous communiquerai les éléments relatifs à l’assurance récolte quand la question sera réglée.

M. Taugourdeau m’a interrogé sur Sivens. Je précise que l’agriculture biologique est déjà présente dans la vallée. Je n’ai pas participé aux négociations, mais je crois que les arbitrages sont en cours : il s’agit de choisir entre une réduction du bassin et la création de trois lacs collinaires, sachant que, dans la seconde hypothèse, une nouvelle enquête publique serait nécessaire. Pour ma part, je m’inscrivais plutôt dans la ligne du rapport Martin, qui préconisait de rouvrir le débat et de prendre une décision au niveau territorial avec l’accord des agences de l’eau une fois les enquêtes menées. En tout état de cause, il faut trouver une solution en ce qui concerne la réserve en eau dans cette vallée.

Madame Massat, je sais que vous avez été chargée d’une mission sur les contrôles, et j’attends votre rapport avec impatience. Je ferai des propositions dans ce domaine, afin d’éviter que les agriculteurs ne se sentent montrés du doigt. Votre question, très subtile, portait sur un allégement éventuel des contrôles si les agriculteurs satisfont aux critères qui leur sont imposés en matière d’agro-écologie. Tout dépend des contrôles dont nous parlons. S’il s’agit des contrôles effectués dans le cadre de la PAC, cela me paraît difficile. En revanche, en matière environnementale, à terme, une certification agro-écologique pourrait avoir un impact sur les contrôles, mais aussi sur l’application de certaines directives. Je pense en particulier à la directive « nitrates », qui limite l’apport en azote par hectare. En effet, un agriculteur qui s’inscrit dans un processus agro-écologique peut avoir besoin d’azote pour son sol ; il pourrait donc déroger à la règle en vigueur, qui s’applique uniquement aux plantes. Le processus de certification pourrait ainsi nous conduire à modifier l’application des normes environnementales, donc les contrôles.

En ce qui concerne ceux qui sont effectués dans le cadre de la PAC 2015, nous sommes en train d’y travailler. S’agissant de ce que l’on appelle les apurements, je rappelle que la France était passible d’une amende de 3,54 milliards, que nous sommes parvenus à ramener à 1 milliard, grâce à l’excellent travail réalisé par la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT), qui nous a permis de contester la demande de la Commission. Je ne veux pas laisser à mes successeurs, à propos de la PAC 2015, un problème identique à celui dont j’ai hérité. Nous sommes donc très rigoureux, mais on sait que la Commission est parfois excessivement soupçonneuse ou inquisitoriale lorsqu’il s’agit des fonds agricoles. J’attends donc avec impatience les propositions de simplification de M. Juncker, car nous pourrons alors demander à la Commission d’arrêter de pinailler dès lors que l’on respecte le cadre. Lorsque j’étais vice-président du groupe socialiste et démocrate du Parlement européen, j’étais chargé de l’agriculture, du budget, des fonds de cohésion – ce qui représente beaucoup d’argent – et du contrôle budgétaire, la « COCOBU ». Dans cette COCOBU, on retrouvait des contrôleurs et des inquisiteurs par vocation, lesquels avaient manifestement des a priori contre les fonds de cohésion et la PAC. C’est un véritable sujet politique, et je le dis devant l’Assemblée nationale. Encore une fois, si le Président Juncker veut simplifier, prenons-le au mot ! Certes, l’application doit se faire avec rigueur et honnêteté, mais il faut en finir avec la suspicion. Cette amende de 3,54 milliards, par exemple, avait été calculée sur la base d’une vérification portant sur une petite partie du territoire dont les résultats avaient été extrapolés pour la France entière. On nous reprochait ainsi un dépassement des surfaces de 0,2 % qui s’est avéré, après vérification, plus de deux fois moindre. Mais la discussion a été difficile.

M. Philippe Loiseau, député au Parlement européen. Les erreurs de calcul continuent !

M. le ministre. Certainement, mais nous ferons tout pour éviter qu’elles ne soient trop nombreuses.

S’agissant des agréments pour l’exportation vers la Russie, nous sommes en discussion avec les autorités russes. Nous souhaitons – et les Russes également, me semble-t-il – que cela se fasse le plus vite et le plus simplement possible.

Par ailleurs, M. Loiseau a lancé un débat très intéressant en me demandant si je souhaitais une agriculture industrialisée. C’est un procès qui m’a été fait au moment du débat sur la « ferme des mille vaches » : on avait laissé entendre que j’avais voulu ce type de projets. Mais ce n’est pas vrai, je ne veux pas d’une agriculture industrielle ! Qu’ai-je fait ? Tout d’abord, j’ai sécurisé au niveau européen le cadre juridique des GAEC, car je crois que le meilleur moyen de maintenir des agriculteurs sur notre territoire est de leur permettre de s’organiser collectivement. Prenons l’exemple de la « ferme des mille vaches ». Elle résulte du regroupement de six exploitations sous la houlette d’un investisseur, mais il n’y a plus six agriculteurs : il y a un industriel et un investisseur. En revanche, un GAEC formé par six exploitants laitiers – qui peut du reste exploiter mille vaches : certains en ont 350 à 400 – compte encore six agriculteurs. Ce n’est pas la même chose !

Ensuite, j’ai obtenu une reconnaissance de la transparence des GAEC, ce qui a suscité un débat animé. On permet ainsi l’organisation d’exploitations sous la responsabilité de chefs d’exploitation. Voilà ce que je souhaite : des éleveurs, des agriculteurs, des paysans ! On a besoin d’eux pour une raison simple. Un investisseur veut gagner de l’argent ; le jour où il n’en gagne plus, il se retire et il ne reste rien. Un agriculteur, lui, fait ce métier par passion, par envie ou pour des raisons liées à son histoire familiale. Il subit des crises, mais il reste.

M. Philippe Loiseau, député au Parlement européen. Mais leur nombre diminue !

M. le ministre. Certes, mais combien d’agriculteurs la France doit-elle compter ? Le débat dure depuis vingt ans ! On a dit qu’ils ne devaient pas être moins d’un million ; on est descendu à 600 000, et ils sont aujourd’hui 450 000. Comment déterminer le nombre d’agriculteurs nécessaires ? Quand j’étais jeune, dans mon village, un tracteur de 70 chevaux, c’était un gros tracteur. Aujourd’hui, certains sont équipés d’un moteur de 300 chevaux, si bien que les routes de campagne deviennent trop étroites… Cette évolution permet des gains de productivité considérables : on peut faire beaucoup plus avec beaucoup moins de monde. Comment la maîtriser ? Même une loi ne peut rien y faire !

M. Philippe Loiseau, député au Parlement européen. Je suis agriculteur céréalier en Eure-et-Loir. Le coût de production moyen pour la récolte de 2014 est de 170 euros. Or, j’ai vendu à 150 euros. Je suis donc en déficit.

M. le ministre. Vous m’accorderez qu’en 2012, quand j’ai pris mes fonctions, la tonne de céréales était plutôt à 350 euros.

M. Philippe Loiseau. À 250 euros peut-être, mais certainement pas à 350 euros !

M. le ministre. Par ailleurs, l’axe stratégique de l’agro-écologie permet de tenir compte des grands enjeux environnementaux tout en contribuant au développement de la production. Or, ces choix nécessitent des compétences et des connaissances que seuls les agriculteurs possèdent. C’est pourquoi je suis rassuré quant à l’avenir. Encore une fois, je veux une agriculture d’agriculteurs !

En 2013, 13 200 nouveaux agriculteurs se sont installés, soit 750 de plus qu’en 2012, et ce, je le précise, avant l’application de la loi d’avenir pour l’agriculture qui, je le rappelle, comporte plusieurs mesures destinées à favoriser l’installation des jeunes agriculteurs, qu’il s’agisse des SAFER, de l’accès au foncier ou du soutien de la PAC à l’installation à travers les dotations du premier pilier. On doit aller encore plus loin, certes, mais en un an, le nombre des installations a augmenté de près de 1000, ce qui est plutôt encourageant. Il est vrai que, dans le même temps, on a perdu 22 000 agriculteurs. C’est pourquoi il est important qu’un jeune qui s’installe ait des perspectives qui lui permettent d’envisager l’avenir avec sérénité. Les jeunes agriculteurs aspirent à la même vie que les autres jeunes foyers de France. Plus on sera capable de leur offrir des conditions de vie conformes au standard actuel, mieux ce sera. Et c’est ainsi qu’on luttera également contre le suicide, car on sait que les difficultés économiques, l’isolement, le sentiment d’être déclassé et déconsidéré conduisent, hélas ! au pire.

Encore une fois, ma stratégie consiste à organiser l’agriculture de manière à maintenir des agriculteurs sur le territoire, car ce sont eux qui assureront la pérennité de la production agricole. Sinon, nous irons vers la catastrophe.

La Présidente Danielle Auroi. Merci à tous pour ces échanges très riches. Vous avez démontré, Monsieur le ministre, votre volonté de maintenir l’agriculture sur l’ensemble du territoire français, notamment dans des zones difficiles telles que la moyenne montagne, que je connais bien. La présentation du prochain Conseil européen nous a permis d’aborder tous les aspects de l’agriculture française, et nous serons ravis de vous entendre de nouveau dès que nécessaire.

La séance est levée à 18 h 45

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 21 janvier 2015 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Nathalie Chabanne, M. Yves Daniel, M. Hervé Gaymard, Mme Chantal Guittet, M. Philippe Armand Martin

Excusés. - M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Roumegas

Assistaient également à la réunion. - Mme Brigitte Allain, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. André Chassaigne, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Antoine Herth, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, M. Éric Straumann