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Commission des affaires européennes

mercredi 1er avril 2015

16 h 30

Compte rendu n° 198

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Communication de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion sur la Conférence interparlementaire PESC/PSDC de Riga (4 au 6 mars 2015)

II. Communication de Mme Isabelle Bruneau et de M. Marc Laffineur sur l’évasion fiscale et le droit de la concurrence 

III. Rapport d’information de M. Arnaud Leroy sur le rapport quinquennal de l’Agence européenne pour l’environnement relatif à l’état et aux perspectives de l’environnement européen

IV. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

V. Nomination de rapporteurs

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 1er avril 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Communication de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion sur la Conférence interparlementaire PESC/PSDC de Riga (4 au 6 mars 2015)

M. Joachim Pueyo, co-rapporteur. La Conférence interparlementaire semestrielle pour la Politique étrangère et de sécurité commune et la Politique de sécurité et de défense commune (CIP PESC/PSDC) s’est tenue à Riga du 4 au 6 mars 2015. Outre vos rapporteurs, l’Assemblée nationale y était représentée par Guy-Michel Chauveau, au titre de la commission des Affaires étrangères.

La Conférence est intervenue dans un contexte géopolitique de crise aigüe aux frontières orientales et méridionales de l’Union européenne. L’ancien ministre suédois des affaires étrangères Carl Bildt a illustré cette situation en déplorant que l’Union européenne soit aujourd’hui entourée d’un « cercle de feu », alors que sa politique de voisinage est destinée à constituer un « cercle d’amitié ».

Il importe tout d’abord de souligner que l’organisation de cette CIP a été admirable, de la part d’un petit pays peuplé de seulement 2 millions d’habitants et État membre récent, qui exerce pour la première fois la présidence de l’Union européenne.

Sur le fond, l’ordre du jour s’est révélé parfaitement équilibré, d’une part entre questions diplomatiques et questions militaires, mais surtout entre polarité Est et polarité Sud du voisinage européen : dépassant son tropisme oriental, la Saeima a judicieusement réparti les sessions plénières et ateliers thématiques entre les enjeux divers, accordant une large place aux problématiques méditerranéennes.

Dans cette période marquée par tant de sujets internationaux préoccupants, cela traduit une cohésion encourageante entre les Vingt-huit, unanimement convaincus que leur intérêt commun dépasse et englobe leur intérêt particulier. Comme l’a indiqué la haute-représentant Federica Mogherini, la réussite de la politique étrangère européenne dépend en effet de la volonté de tous les États membres d’avoir « une vision européenne pour analyser les crises ».

Nous avons pris le parti, aujourd’hui, de ne pas rapporter dans le détail les débats concernant la situation en Ukraine. Ce sujet constitua évidemment le fil rouge de tous les échanges à Riga mais la Présidente Danielle Auroi l’a déjà traité dans sa communication spécifique de la semaine dernière, en analysant en profondeur les évolutions enregistrées depuis la signature de l’accord de Minsk 2.

La problématique de la Politique européenne de voisinage (PEV) a fait l’objet de la première session plénière et était au cœur de deux des quatre ateliers finaux, ceux consacrés à la préparation du sommet du Partenariat oriental de mai prochain et à l’instabilité au Sud de la Méditerranée et au Proche-Orient.

La PEV a été mise en place en 2004 dans le but de promouvoir la prospérité, la stabilité et la sécurité dans les pays limitrophes de l’Union européenne. Elle se décompose en deux volets géographiques : l’Union pour la Méditerranée, qui couvre dix pays du Maghreb, du Machrek et du Proche-Orient ; le Partenariat oriental, qui concerne six anciennes Républiques soviétiques, trois en Europe orientale, trois dans le Caucase Sud.

Elle implique un renforcement des relations bilatérales avec ces pays, en s’appuyant sur un engagement mutuel en faveur de valeurs communes : démocratie, droits de l’homme, État de droit, bonne gouvernance, économie de marché et développement durable. Elle ne se limite pas à la mise en place d’accords de coopération ou de commerce ; elle permet également une association politique, une intensification de l’intégration économique, une amélioration de la mobilité et un renforcement des contacts entre les peuples.

Doté d’un budget de 15,4 milliards d’euros pour la période 2014-2020, le nouvel Instrument européen de voisinage fournit l’essentiel du financement. Ceux qui souhaitent renforcer leurs relations avec l’Union européenne concluent à cet effet des plans d’action bilatéraux communs, qui prévoient un programme de réformes politiques et économiques pour une période de trois à cinq ans.

Eu égard aux bouleversements qu’ont connus les pays du voisinage, tant au Sud qu’à l’Est, depuis 2011, année du dernier réexamen de la PEV, il est devenu essentiel de procéder à une révision approfondie des principes sur lesquels elle repose, ainsi que de sa portée et de ses instruments.

Federica Mogherini et le commissaire Johannes Hahn doivent présenter, à l’automne 2015, une réforme du dispositif, actuellement préparée par un groupe de travail ad hoc. Une consultation publique vient d’être lancée à ce sujet ; notre commission, pour y répondre, m’a chargé, avec notre collègue Marie-Louise Fort, de préparer un rapport d’information, assorti d’une proposition de résolution européenne, en vue d’un examen ultérieur par la commission des Affaires étrangères.

Quatre orientations prioritaires ressortent des contributions au débat déjà rédigées par trois groupes d’États membres : la différenciation des formules de coopération ; la clarification des domaines partenariaux ; la flexibilité des instruments de soutien et de financement ; l’appropriation de la démarche par les pouvoirs publics et les sociétés civiles des pays bénéficiaires.

Voisinage et élargissement sont deux politiques différentes, qui ont parfois tendance à être mélangées, d’abord par esprit d’escalier administratif, parce qu’elles sont placées sous la responsabilité du même commissaire européen, mais aussi parce que, par le passé, la confusion a été entretenue politiquement. Cela pose surtout problème aujourd’hui pour le Partenariat oriental. La crise géorgienne de 2008 et plus encore le conflit ukrainien actuel invitent l’Union européenne à cesser d’agiter ce chiffon rouge à la face de la Russie. Il faut verbaliser le fait qu’un partenariat approfondi avec l’Union européenne n’équivaut pas à un passeport pour l’adhésion.

Le Président Juncker a d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises qu’aucun nouvel élargissement n’interviendrait dans les cinq prochaines années. Parallèlement à la révision de la PEV, des actions s’imposent par conséquent pour maintenir la dynamique d’intégration de l’acquis communautaire enclenchée dans les pays des Balkans occidentaux officiellement candidats. L’enjeu est d’éviter de provoquer un rejet de l’Union européenne de la part des élites politiques et des opinions publiques locales, lassées par des négociations d’adhésion sans perspectives à court terme.

M. Yves Fromion, co-rapporteur. La défense européenne a été traitée dans le cadre de la deuxième séance plénière de la Conférence, dont le sujet était plus précisément « les relations entre l’Union européenne et l’OTAN », mais aussi dans trois des ateliers thématiques finaux, autour des thèmes de la guerre hybride, de l’avenir des groupements tactiques européens et des menaces au Sud de la Méditerranée.

Les difficultés rencontrées par l’Union européenne et l’OTAN pour adopter une stratégie solide et opérante en Ukraine contrastent avec la réactivité de la Russie, qui manœuvre avec efficacité en soutien aux séparatistes.

L’OTAN vient certes d’annoncer un renforcement de sa présence et de sa capacité d’intervention en Europe orientale, avec six nouveaux centres de commandement et de contrôle, un quartier général situé en Pologne et une force de réaction rapide portée à 30 000 hommes, dont les 5 000 premiers éléments pourraient être déployés en deux jours.

De leur côté, les États membres les plus sensibles à la menace russe ont décidé de revoir à la hausse leurs dépenses militaires en vue de respecter la recommandation de l’OTAN – à savoir des dépenses militaires équivalentes à au moins 2 % du PIB – d’ici à 2020. La Lituanie vient même de rétablir un service militaire obligatoire de neuf mois.

Mais l’enjeu va au-delà : il s’agit de savoir mieux répondre à la complexité de la guerre hybride, dans laquelle la Russie est passée maîtresse : elle floute la limite entre état de paix et état de guerre afin de déstabiliser un pays et de susciter sa partition, en mettant en action une panoplie de leviers de natures variées – fourniture d’armes aux sécessionnistes, infiltration de militaires, propagande, cyberguerre, déni de la réalité et simulacre de négociations.

L’émergence de nouveaux acteurs non étatiques, mais animés par des ambitions politiques régionales et mêmes mondiales, marque une nouvelle étape dans les relations entre l’Europe et ses voisins de la rive Sud de la Méditerranée et du Proche-Orient.

Une conjonction de phénomènes est à incriminer : dans la plupart des États de la région, l’incurie de l’administration et/ou la concentration des pouvoirs politiques et économiques entre les mains de l’oligarchie empêchent l’émergence d’une société et d’un marché du travail inclusifs ; le dynamisme des discours religieux intégristes trouve donc de l’écho parmi une jeunesse en déshérence, qui représente parfois plus de la moitié de la population.

Alors que certains pays, au premier rang desquels le Maroc, ont su entendre les messages du « Printemps arabe », d’autres s’enfoncent au contraire dans le chaos et les groupes les plus radicaux y prospèrent.

L’essor de Daech est la manifestation la plus inquiétante de ce phénomène. En effet, mû par des ambitions planétaires, ce groupe a déjà pris le pouvoir sur une partie significative du territoire syrien et irakien, et il reçoit l’allégeance d’organisations terroristes dans tout l’espace sunnite. Sa sphère d’action centrale déborde donc sur notre espace de voisinage et il attire dans ses rangs des milliers de combattants étrangers, ce qui en fait une menace de premier plan pour l’Union européenne.

Face à la détérioration de la situation aux portes de l’Union européenne et à l’émergence de ces nouveaux défis de sécurité, les faiblesses de son dispositif de défense apparaissent au grand jour. L’Europe a certes identifié dès 2003 l’idée d’« approche globale » pour affronter des combinaisons de moyens d’action utilisés par un adversaire.

Toutefois, comme les débats de Riga l’ont illustré, les Européens peinent à s’entendre sur les fondements d’une doctrine et par conséquent à bâtir une défense commune : il existe une ligne de fracture entre ceux qui, derrière le Royaume-Uni, veulent cantonner l’Union européenne au soft power, considérant que la défense ne fait pas partie de l’ADN communautaire, et ceux qui souhaiteraient l’ériger en véritable interlocuteur de l’OTAN, susceptible de peser sur les théâtres d’intervention prioritaires au regard des intérêts européens. L’OTAN doit-elle être un partenaire de l’Union européenne ou bien son paratonnerre ?

Au final, dans un domaine requérant l’unanimité au Conseil, les dispositifs opérationnels existants, comme les Groupements tactiques de l’Union européenne, ne sont pas activés et restent suspendus dans l’atmosphère.

La tonalité de l’atelier consacré à ces derniers a été révélatrice : essentiellement animé par un parlementaire et un général en retraite néerlandais, il a mis en évidence la méconnaissance généralisée à propos des potentialités offertes par cet outil. Au final, cette réunion n’a donc permis de faire émerger aucune perspective.

Le Président Juncker vient de prendre position pour la constitution d’une « armée commune européenne ». Une option intermédiaire, que je défends, consisterait à recourir à la Coopération structurée permanente, une sorte de coopération renforcée dans le domaine de la PSDC, prévue par le traité de Lisbonne, qui permettrait d’assumer des missions exigeantes avec souplesse et réactivité, en engerbant les GTUE.

Mais le Conseil européen de décembre 2013 puis le conseil informel des ministres de la défense de Riga, en février, ont douché les espérances. Il est certes prévu qu’une nouvelle session du Conseil européen, en juin, soit consacrée au développement de la PSDC, mais l’angle d’attaque reste flou. Il s’agira probablement de lancer la révision de la stratégie européenne de sécurité, inchangée depuis 2003, afin de mettre à jour la description des menaces et des enjeux ; pour ce qui concerne les fondements d’une défense européenne, il faudra encore attendre.

Alors que tant de questions restent ouvertes, nous vous proposons de constituer un groupe de travail sur la défense européenne, peut-être en commun avec la commission de la Défense. La réflexion pourrait être amorcée dans le cadre d’une table ronde, avant la fin de la session parlementaire ordinaire.

M. Marc Laffineur. J’approuve la proposition de nos rapporteurs. La question de la défense européenne est essentielle mais les intérêts divergent d’un pays européen à l’autre. Pour ma part, tout en étant conscient que nous n’en sommes pas là, j’estime que, sans une Europe fédérale, nous n’arriverons jamais à rien dans ce domaine. Mais des programmes d’armement communs existent déjà et peuvent encore être approfondis, c’est un début.

Nos partenaires doivent aussi prendre conscience des efforts réalisés par la France en matière de lutte contre le terrorisme. Il serait normal que l’Union européenne nous aide davantage.

La Présidente Danielle Auroi. Cette idée d’un groupe de travail commun avec la commission de la Défense est excellente. Je m’appuierai sur votre communication pour en proposer la constitution à la présidente Patricia Adam.

Du côté du Partenariat oriental, l’Ukraine est le principal point de fixation. Comme je l’indiquais la semaine dernière, nous avons prévu, avec mon homologue allemand Gunther Krichbaum, de nous rendre ensemble dans ce pays. Je vous tiendrai informés lorsque cela se précisera.

Même si le Royaume-Uni et d’autres pays freinent des quatre fers toute avancée en matière de défense européenne, des opérations militaires conjointes ont été engagées, sur le continent africain ou contre la piraterie en mer.

J’insiste aussi sur le problème libyen, foyer de terrorisme qui contamine son voisinage ; la Tunisie vient d’en faire la dramatique expérience.

Mme Mogherini est convaincue et déterminée. Faute d’une structuration politique de nature fédérale, la défense commune reste loin, mais nous pouvons construire ses prémices. Le travail entamé de longue date par nos deux rapporteurs va dans ce sens.

M. Arnaud Leroy. La prise de position récente du Président Juncker et l’affaiblissement continu de la majorité des budgets de défense de nos partenaires européens appellent un exercice de franchise, dans lequel les parlementaires pourraient jouer un rôle politique. Je rejoins par conséquent cette idée de groupe de travail.

Il existe déjà un embryon d’action commune, depuis une décennie, avec l’Agence européenne de défense (AED), rattachée au Conseil, qui dispose de moyens importants. Quelle plus-value apporte-t-elle ?

M. Joachim Pueyo, co-rapporteur. Le diagnostic que nous avions effectué dans nos rapports de décembre 2012 et d’avril 2013 reste d’actualité, tout comme les recommandations que nous y formulions.

Si la plupart des budgets de défense nationaux ont baissé, c’est que, dans les années quatre-vingt-dix, l’Europe espérait voir la chute du mur de Berlin déboucher sur la paix éternelle ; Eltsine et son gouvernement étaient très ouverts, au point que la question de l’adhésion de la Russie à l’Union européenne s’est posée à une époque.

Avec les crises au Moyen-Orient, en Afrique et en Ukraine, la situation est bien différente aujourd’hui et suscite une prise de conscience de plus en plus forte des parlementaires européens. Les opinions publiques commencent aussi à comprendre que l’Union européenne doit se doter d’outils de renseignement et de sécurité. La défense européenne n’est encore qu’un concept mais nous sommes maintenant prêts à entrer dans le dur.

J’ai moi-même interrogé la haute-représentante à propos de la crise institutionnelle et sécuritaire en Libye. Le problème ne saurait être résolu sans une coopération régionale forte entre l’Algérie, l’Égypte, le Tchad et évidemment la Tunisie. Elle a répondu avec précision : il n’est pas question, pour l’instant, d’intervenir militairement en Libye, mais d’aider le gouvernement légal et de travailler avec les pays environnants.

M. Yves Fromion, co-rapporteur. Je vous rappelle les termes de l’article 42, alinéa 2, du Traité de l’Union européenne (TUE), tel que découlant du traité de Lisbonne : « La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi ». La prise de position du Président Juncker est donc une déclaration de principe qui s’inscrit dans une logique déjà actée par les États membres.

L’objectif de l’AED est de créer une dynamique entre les pays européens pour les conduire à coopérer, notamment dans le domaine de la recherche. Le vrai problème est qu’elle a du mal à déclencher l’enthousiasme des États membres et qu’elle dispose de trop peu de fonds dédiés pour mettre en œuvre des projets. Elle n’a donc pas encore pris son rythme de croisière, malgré quelques progrès. Quant à l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr), aujourd’hui couplée à l’AED, elle a vocation à travailler comme maître d’œuvre ou facilitateur de projets d’armement européens, comme l’A400M ou l’hélicoptère de transport tactique NH90.

II. Communication de Mme Isabelle Bruneau et de M. Marc Laffineur sur l’évasion fiscale et le droit de la concurrence 

Mme Isabelle Bruneau, co-rapporteure. Cette communication constitue une étape intermédiaire pour un rapport que nous rendrons au mois de juin sur l’évasion fiscale et le droit de la concurrence. La lutte contre l’évasion fiscale « agressive », c’est à dire l’utilisation abusive de mécanismes légaux afin d’échapper à l’impôt, est aujourd’hui une nécessité mondiale, partagée par les grands États et les principales organisations internationales, mais son efficacité implique une coordination internationale étroite.

Si les chiffres sur l’ampleur du phénomène doivent être pris avec circonspection, il n’est pas déraisonnable d’estimer que ce phénomène représente environ 2 à 3 % des PIB nationaux, soit pour la France entre 60 et 40 milliards d’euros.

Pour l’Union européenne cette question est révélatrice d’un malaise : l’ampleur prise par ce phénomène sape certains des fondements de la construction européenne, comme la liberté de circulation des capitaux, mais profite à des États, dont elle explique une part importante de la prospérité.

Depuis quelques années, l’Union européenne essaye de mieux coordonner les fiscalités nationales, mais des projets essentiels tels que l’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés sont bloqués du fait de la règle de l’unanimité, très difficile à obtenir dans ces matières, et nous avons acquis au cours de leurs déplacements la certitude de la persistance de ce blocage.

Contrairement à la fraude fiscale, qui est illégale, l’évasion fiscale s’inscrit dans les limites fixées par la loi, mais pas dans l’esprit de cette dernière car elle s’appuie sur une interprétation très extensive de ce qui est légal pour réduire au minimum la contribution fiscale d’une entreprise. En déplaçant artificiellement leurs bénéfices vers des juridictions à faible imposition fiscale, certaines entreprises empêchent de prélever l’impôt là où elles exercent leurs activités économiques.

Or, les exigences de la solidarité européenne interdisent que certains États européens, appartenant ou non à l’Union européenne, se comportent en « prédateur » ou en « receleur » d’une fraude fiscale qui nuit gravement aux intérêts de leurs partenaires. Il est plus que temps d’y mettre un terme et nous nous félicitons de la démarche engagée par la Commission européenne qui va dans la bonne direction et constitue une absolue nécessité, pour défendre l’idée même de la construction européenne.

Nous regretterons néanmoins que vis-à-vis de pays comme la Suisse, l’Europe ait attendu pour agir que les États-Unis prennent des mesures énergiques. Elle avait les moyens de les précéder.

À défaut d’actions sur la source de l’évasion fiscale, faute de pouvoir réunir l’unanimité des États sur des réformes fiscales, l’Union européenne a pris une tangente : l’utilisation du droit de la concurrence pour contrer certains schémas d’optimisation fiscale, qui nuisent aux relations commerciales mondiales, car ils faussent la concurrence entre les entreprises. Cela justifie l’intervention de l’Union européenne qui dispose, en matière de concurrence et de contrôle, des aides d’États de pouvoirs propres.

La Commission européenne a agi de deux manières : dans le cadre de ses pouvoirs propres de contrôle des aides d’États elle a engagé, depuis juin 2014, des enquêtes à l’encontre de sociétés pour vérifier que ces dernières ne jouissent pas d’un régime fiscal destiné à favoriser leur implantation, plus favorable que les entreprises nationales. Cette démarche est prometteuse car les États pourraient récupérer ainsi plusieurs milliards d’euros ; le 18 mars dernier, elle a répondu, par l’action, à une lettre conjointe en date du 28 novembre 2014 des ministres des finances de l’Allemagne, de l’Italie et de la France qui lui demandaient de relayer au niveau européen les chantiers engagés dans le cadre de l’OCDE et dont la conclusion doit intervenir en 2015. Elle a fait, en effet des propositions pour mieux lutter contre la concurrence fiscale nuisible, l'érosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices, en proposant effectivement des mesures allant dans le sens d’une plus grande transparence.

Cette action vient compléter un certain nombre de chantiers actuellement ouverts au niveau international pour apporter des solutions aux pratiques d’optimisation fiscale des entreprises multinationales. L’amélioration de la transparence, les rénovations des règles de répartition des bénéfices, la neutralisation des situations abusives et des effets dommageables de régimes fiscaux préférentiels en sont les grands axes.

Nous nous sommes rendus dans plusieurs États membres de l’Union européenne, mais nous n’avons pas souvent été reçus par nos collègues parlementaires. Certains semblent mal à l’aise et vont parfois jusqu’à considérer, seule défense possible, que l’existence d’une fiscalité privilégiée est un moyen de compenser les désavantages géographiques dont souffrent leurs pays, légitimant ainsi un comportement à nos yeux inacceptable, contraire à la solidarité européenne et au principe de concurrence non faussée.

M. Marc Laffineur, co-rapporteur. Nous sommes allés en Irlande et au Luxembourg qui ont évoqué la géographie pour l’un et la crise de la sidérurgie considérable pour l’autre pour justifier de l’existence d’un avantage comparatif, pouvant être de nature fiscale. C’est inacceptable mais c’est cela qui nous a été dit. S’agissant de l’assiette de l’impôt des sociétés, je me souviens avoir rédigé un rapport il y a dix ans sur ce sujet présenté alors comme urgent. Nous restons optimistes car le contexte international nous est favorable.

À l’ordre du jour des discussions du G20 et de l’OCDE depuis des années, la lutte contre l’évasion fiscale a été relancée par l’action unilatérale des États-Unis. Le « Foreign Account Tax Compliance Act », adopté en mars 2010, engage en effet un véritable mouvement international. Relayé en Europe par la France et l’Allemagne, il a permis progressivement de « convaincre » certains pays frileux à l’idée de remettre en cause leur attractivité fiscale (Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas, Luxembourg, etc.) de la nécessité d’une action commune dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Lors du sommet de Los Cabos (Mexique), les 18 et 19 juin 2012, les dirigeants du G20, sous l’impulsion de la France notamment, ont décidé d’engager des travaux pour lutter contre l’optimisation fiscale des groupes multinationaux, à l’origine d’un phénomène de transfert et d’érosion des bases de la fiscalité des entreprises.

Afin de répondre à cette demande, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a établi un premier travail d’analyse, le 12 février 2013, puis un plan complet reposant sur quinze actions, le 19 juillet.

Les actions conduites dans le cadre du projet BEPS, visent à faire évoluer les règles de la fiscalité internationale, jusqu’à présent fondamentalement destinées à lever les obstacles aux échanges internationaux, pour mettre un frein à l’évasion fiscale qui se développe à partir des dispositions destinées à éviter les doubles impositions.

L’OCDE prévoit de promouvoir ce dispositif de lutte contre l’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices sur deux ans. Parmi les actions qui seront probablement accomplies dans un délai de 12 à 18 mois figurent celles concernant les montages hybrides, l’utilisation abusive des conventions, les aspects des actifs incorporels touchant aux prix de transfert, les obligations de documentation des prix de transfert, la préparation d’un rapport qui recense les problèmes posés par l’économie numérique et les mesures possibles pour y répondre, ainsi qu’une partie des travaux relatifs aux pratiques fiscales dommageables.

Outre les prix de transfert, trois actions essentielles doivent être relayées par l’Union européenne : l’amélioration des instruments juridiques de lutte contre les pratiques abusives, les défis du développement de l’économie numérique et la lutte contre la concurrence fiscale dommageable.

Pour répondre aux défis fiscaux liés au développement de l’économie numérique, un groupe de travail dédié, co-présidé par la France et les États-Unis, a été créé, au sein de l’OCDE. Face à la difficile fiscalisation de certains modèles économiques fondés sur les technologies dématérialisées  – publicité en ligne, e-commerce,… –, il s’agit de trouver des solutions permettant de prendre en compte les bénéfices réalisés, en donnant le droit à chaque État d’imposer la création de valeur qui est constatée sur son territoire.

Il est important que ces travaux aboutissent rapidement au niveau européen car l’économie numérique, si elle n’est pas régulée, peut constituer un vecteur de concurrence déloyale.

Les législations préférentielles mises en place par les États, dont l’OCDE essaie d’initier la suppression, servent de support aux montages d’optimisation agressive des entreprises.

Dans ce contexte, l’OCDE a reçu un nouveau mandat : en parallèle à la mise en place d’une démarche d’extension de ses travaux aux États tiers, il doit désormais s’appuyer sur une approche renouvelée des critères de la concurrence fiscale dommageable permettant de mieux prendre en compte l’impact économique des régimes préférentiels.

Dans cette perspective, il a finalisé en 2014 des travaux sur la transparence des rulings, en définissant un principe d’échange spontané obligatoire entre les administrations concernées.

Mme Isabelle Bruneau,co-rapporteure. Je voudrais préciser que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) échappent à l’imposition et payent vingt-deux fois moins d’impôt qu’elle ne le devraient.

Les grands groupes du numérique échappent à l’imposition, ce qui représenterait en moyenne le PIB hollandais. Elles payent vingt-deux fois moins qu’elles le devraient. Pour la France, le manque à gagner annuel a été évalué à 800 millions d’euros.

À la suite des États-Unis et de l’OCDE, l’Union européenne s’est lancée – enfin – dans la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales. La Commission Juncker en a fait l’une de ses priorités politiques et nous nous en félicitons.

Pointés du doigt dans un rapport de l’OCDE publié le 12 février 2013, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande, où se sont rendus vos rapporteurs, sont au centre de circuits organisés d’optimisation et d’évasion fiscale.

L’intérêt nouvellement porté par la Commission européenne à la question des rescrits fiscaux est fondamental : depuis 2013, la Commission s’interroge sur la compatibilité entre les décisions fiscales anticipées – ou rescrits – et les règles en matière d’aides d’État. Les rescrits ne posent pas problème en tant que tels, puisqu’ils ont pour but de garantir la sécurité juridique des entreprises. Toutefois, ils peuvent fausser la concurrence lorsqu’ils sont utilisés pour octroyer des avantages fiscaux sélectifs à une entreprise par rapport à ses concurrents. Les revenus économisés peuvent par exemple être investis dans la recherche et l’innovation.

De surcroit, les rescrits fiscaux qui conduisent à un faible niveau d’imposition dans un État membre peuvent inciter les entreprises à transférer artificiellement leurs bénéfices dans cet État membre. Cette pratique non seulement érode l’assiette fiscale des autres États membres, mais encourage l’optimisation fiscale agressive et l’évasion fiscale.

Les transactions reposent également souvent sur une manipulation des prix de transfert entre les sociétés-mères et leurs filiales, la surfacturation de certaines prestations au-dessus du prix de marché permettant de redistribuer les bénéfices vers des États où ils ne seront pas ou peu imposés. C’est l’exemple du « sandwich hollandais » où en utilisant les mécanismes destinés à éviter le doubles impositions des sociétés arrivent à éviter toute imposition.

Nous nous réjouissons des initiatives prises par la Commission européenne. En réaction aux pratiques fiscales agressives, elle a, depuis juin 2014, ouvert des enquêtes en vertu des règles en matière d’aides d’État. Son objectif est de déterminer si les avantages fiscaux sélectifs engendrent des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur. De surcroit, dans le cadre de son agenda contre l’évasion fiscale des sociétés, la Commission a également présenté, le 18 mars dernier, un ensemble de mesures en faveur de la transparence fiscale.

Au nombre de cinq, ces mesures ne revêtent pas toutes la même importance. L’élément clé de ce « paquet de transparence fiscale » est sans nul doute la proposition de directive visant à introduire l’échange automatique et régulier, entre les États membres, de leurs rescrits fiscaux. Pour une mise en œuvre rapide de cette disposition, la Commission européenne propose qu’elle soit intégrée dans le cadre législatif existant, au moyen d’une modification de la directive relative à la coopération administrative, dont la dernière révision date de décembre 2014. Ceci lui permettrait de disposer des procédures et processus déjà en place.

La transparence encouragée par la Commission européenne est un moyen de lutter contre la planification fiscale agressive, rendu possible par le manque d’information dont disposent les États membres sur les pratiques fiscales de leurs partenaires. Cette proposition ouvre aussi la voie à des mesures de répression, qui ne sont pas mises en avant par la Commission européenne. Cet aspect est particulièrement intéressant pour la France. Un échange d’informations sur les rescrits entre États membres offrirait des éléments matériels, permettant de qualifier d’abus de droit les pratiques fiscales des entreprises. Il serait, en effet, plus facile de démontrer que, comme le dispose l’article 64 du livre des procédures fiscales, « la pratique d’une entreprise n’a pas eu d’autre motif que celui d’atténuer ou d’éluder la charge fiscale qu’elle aurait normalement dû supporter eu égard à sa situation et à ses activités réelles ».

Mme Estelle Grelier. Je vous présente mes félicitations pour cet excellent rapport. Le fait que la règle de l’unanimité au sein du conseil soit un vrai frein pourrait inciter à changer les règles de vote. Le fait que ce soit des grands groupes qui organisent l’évasion fiscale est inquiétant et crée une distorsion de concurrence au détriment des PME. La Commission Juncker s’est engagée dans cette lutte, ce qui est la moindre des choses vu le pays dont est issu son président. Ayant eu à présenter dans l’hémicycle des conventions sur la lutte contre la fraude fiscale, je regrette que dans ce domaine les choses n’aillent pas plus vite. Je me félicite que nous nous en inquiétions tout en regrettant la lenteur avec laquelle avancent ces sujets, avec des États plus ou moins coopératifs. Quels sont pour vous les sujets sur lesquels nous pourrions aller plus vite et les raisons pour lesquelles des parlementaires ont refusé de vous recevoir ?

La Présidente Danielle Auroi. Heureusement que les États-Unis ont bougé sur ce sujet. L’Union européenne ne fait-elle pas du suivisme ?

Mme Isabelle Bruneau, co-rapporteure. Il y avait bien une question de timing, mais on nous a justifié ces mesures par la nécessité de garder un avantage comparatif. Effectivement l’unanimité bloque et il existe des pratiques rodées pour échapper aux bases fiscales.

M. Marc Laffineur, co-rapporteur. On dit toujours que les meilleurs gardes-chasse sont les anciens braconniers.

M. Yves Fromion. Je pense qu’il est bon de s’émouvoir de ces travers fiscaux mais les gouvernements doivent être responsables. La loi Macron prévoit le rapprochement d’une entreprise française Nexter avec une allemande KMW, dont le siège sera installé aux Pays-Bas pour des raisons fiscales. Cela a été fait avec EADS devenu Airbus. Nous sommes parfois perplexes.

Mme Isabelle Bruneau, co-rapporteure. Vu l’ampleur des déficits les États n’ont pas intérêt à cela. La lutte contre l’évasion fiscale permettrait d’alléger la taxation sur les salaires.

Mme Estelle Grelier. Je suis très intéressée par l’argumentaire du Luxembourg qui s’applique à lui-même la notion d’avantage comparatif, alors que son économie n’est pas dépressive et que la législation sur les aides d’Etat est appliquée par l’Union européenne de manière très rigoureuse, avantageant ainsi les États ayant recours à la fiscalité.

La Présidente Danielle Auroi. Mario Monti hier a insisté sur l’harmonisation de l’assiette car tout le monde a intérêt à la transparence.

M. Marc Laffineur, co-rapporteur. Je ne crois pas pour ma part que tous les pays aient intérêt à le faire. Par exemple, l’Irlande a un taux faible mais une assiette large qui ne bénéficie pas du crédit impôt recherche. L’affichage d’un taux bas est psychologiquement plus efficace.

III. Rapport d’information de M. Arnaud Leroy sur le rapport quinquennal de l’Agence européenne pour l’environnement relatif à l’état et aux perspectives de l’environnement européen

M. Arnaud Leroy, rapporteur. L’Agence européenne pour l’environnement (AEE), créée en 1994, est indépendante des institutions communautaires, particulièrement de la Commission européenne. Elle a pour mission de fournir des informations fiables et objectives à propos de la situation de l’environnement et de la portée des politiques menées en la matière.

Basée à Copenhague, elle travaille essentiellement à partir des données collectées et analysées par le réseau européen d’information et d’observation pour l’environnement, EIONET, qui implique quelque 350 organismes et 1 000 experts.

Elle produit en particulier un rapport quinquennal, intitulé État et perspective de l’environnement européen, ou SOER, dont la dernière livraison a été publiée il y a un mois.

Cette somme est constituée de 87 fiches, rédigées uniquement en anglais, ce que l’on peut déplorer : 25 fiches thématiques ; 9 fiches de benchmarking international ; 39 fiches nationales pour chacun de ses États membres ou coopérants ; 3 fiches macro-régionales concernant ; 11 fiches sur les « mégatendances » environnementales mondiales.

Un document de synthèse, d’ores et déjà disponible en anglais et en français, sera publié dans toutes les langues officielles de l’Union européenne. Je le tiens ici à votre disposition et vais maintenant vous en présenter les grandes lignes.

L’exercice auquel se livre l’AEE est délicat : elle doit pointer, sans concession, les limites voire les erreurs des politiques environnementales et climatiques européennes, mais sans pour autant se montrer trop négative, ce qui verserait de l’eau au moulin des lobbies détracteurs de ces politiques, toujours prompts à prétendre qu’elles coûtent cher au regard de leurs résultats. En préalable, je tiens pour ma part à souligner qu’une politique publique affichant des demi-succès est à mettre à l’actif de l’Union européenne, surtout quand les objectifs assignés sont ambitieux.

Ces quarante dernières années, l’Europe a mis en œuvre des politiques qui ont impacté positivement le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi le cadre de vie des citoyens et la santé publique. Dans de nombreuses régions européennes, l’environnement local est en aussi bon état aujourd’hui qu’il l’était au début de l’industrialisation.

Les politiques environnementales créent également des potentialités économiques. Par exemple, le marché de l’industrie environnementale a connu une extension de plus de 50 % entre 2000 et 2011 ; depuis la crise financière de 2008, c’est l’un des rares secteurs économiques à avoir prospéré.

Malgré ces améliorations, les défis auxquels l’Europe est confrontée sont considérables.

Le capital naturel européen a été dégradé par les activités socio-économiques comme l’agriculture, la pêche, les transports, l’industrie, le tourisme et l’étalement urbain. En outre, les pressions mondiales sur l’environnement augmentent à un rythme sans précédent, tirées par la croissance économique et démographique, ainsi que par l’évolution des modes de consommation.

D’un autre côté, grâce à la compréhension croissante des défis environnementaux et de leur interdépendance avec les systèmes économiques et sociaux, il est maintenant reconnu que le capital de connaissances à disposition et les améliorations de gouvernance ne suffisent pas pour répondre aux enjeux.

Le SOER 2015 évalue l’état, les tendances et les perspectives de l’environnement européen dans le contexte mondial à l’horizon long de 2050, dans l’esprit du 7e Programme d’action pour l’environnement.

En outre, il analyse les possibilités de recalibrage des connaissances et des politiques, en vue d’améliorer les performances environnementales de l’Union européenne. Il a précisément été publié de façon un peu précipitée, afin de pouvoir être porté au dossier du commissaire Vella très peu de temps après son entrée en fonctions. Ainsi, le nouveau collège de la Commission européenne pourra en tenir compte dans ses réflexions initiales.

Le rapport se cale sur les trois objectifs clés identifiés dans le 7e PAE : protéger, conserver et améliorer le capital naturel ; stimuler un développement économique et social efficace dans l’utilisation des ressources, vert, compétitif et faiblement carboné ; sauvegarder les citoyens contre les pressions et les risques pour la santé et le bien-être.

Sur chacun de la vingtaine de sous-objectifs qui découlent de ces trois axes, l’AEE s’est efforcée de mettre en évidence les tendances passées et prévisibles, mais aussi de tracer des perspectives réalistes de transformation, en fonction des besoins humains et écologiques.

Il en ressort que le capital naturel de l’Europe n’est pas encore protégé, conservé et amélioré à la mesure des ambitions fixées dans le 7PAE. La réduction de la pollution a certes considérablement amélioré la qualité de l’air et de l’eau mais les pertes de fonctions des sols, les dégradations des terres et les changements climatiques demeurent des préoccupations majeures.

En dépit de l’extension du réseau Natura 2000, quelque 60 % des espèces protégées et 77 % des types d’habitats sont dans un état défavorable de conservation. L’agriculture reste une source de pollution massive, par ruissellement des engrais dans les eaux de surface comme dans les nappes phréatiques. Au total, même si certains de ses objectifs particuliers sont respectés, l’Europe n’est pas en voie d’atteindre son objectif global d’enrayer la perte de biodiversité d’ici à 2020. La question est d’autant plus grave que les impacts du changement climatique devraient s’intensifier et les facteurs à l’origine de la perte de biodiversité devraient persister.

En ce qui concerne l’efficacité de l’utilisation des ressources et la société faiblement carbonée, les tendances à court terme sont plus encourageantes. En dépit d’une croissance de 45 % de la production économique, les émissions de gaz à effet de serre en Europe ont diminué de 19 % depuis 1990. D’autres pressions environnementales sont dorénavant décorrélées de la croissance économique. L’utilisation de combustibles fossiles a diminué. Le total des ressources utilisées dans l’Union européenne a diminué de 19 % depuis 2007. Presque tous les États membres génèrent moins de déchets et font valoir de meilleurs taux de recyclage. En plus des effets des politiques menées, la récession économique consécutive à la crise financière de 2008 a également contribué à réduire certaines pressions.

Toutefois, dès lors que le niveau d’ambition de la politique environnementale en vigueur n’est pas forcément à la hauteur pour atteindre les objectifs fixés à long terme par l’Europe, il n’est pas certain que ce phénomène soit durable. Par exemple, les réductions d’émissions de gaz à effet de serre programmées seraient insuffisantes pour mettre l’Union européenne sur la voie de son objectif à l’horizon 2050, à savoir une chute de ces émissions de 80 à 95 %.

S’agissant des risques en matière de santé environnementale, des progrès remarquables ont été enregistrés, au cours des dernières décennies, dans la qualité de l’eau potable et des eaux de baignade, ainsi que dans la limitation de l’usage de certains polluants toxiques.

Cependant, les pollutions atmosphérique et sonore continuent d’avoir des effets graves sur la santé, en particulier dans les zones urbaines. En 2011, dans l’Union européenne, environ 430 000 décès prématurés ont été attribués aux particules fines. L’exposition au bruit ambiant contribue à 10 000 décès prématurés au moins, à cause des maladies coronariennes et des accidents vasculaires cérébraux. Quant à l’utilisation croissante de produits chimiques, elle provoque des maladies et des troubles endocriniens.

Les perspectives sont incertaines voire inquiétantes. L’amélioration de la qualité de l’air prévue, par exemple, devrait être insuffisante, et les impacts sur la santé résultant du changement climatique devraient aggraver.

Si l’Europe a réussi à réduire certaines pressions environnementales, ces améliorations ne se traduisent encore ni par une meilleure résilience des écosystèmes, ni par une baisse des risques pour la santé et le bien-être. En outre, les perspectives à long terme sont souvent moins positives que les tendances récentes ne pourraient le suggérer. Des facteurs systémiques multiples contribuent à ces disparités.

Premièrement, du fait des dynamiques propres aux systèmes environnementaux, il peut exister un décalage important avant qu’une diminution des pressions ne se traduise par une amélioration de l’état de l’environnement. De plus, mêmes amoindries, de nombreuses pressions restent considérables en niveau absolu.

Deuxièmement, des phénomènes de multi-causalité, d’interdépendances et de blocages dans les systèmes environnementaux et socio-économiques sapent les efforts d’atténuation des pressions sur l’environnement. Par exemple, l’amélioration de l’efficacité des processus de production tend à réduire les coûts des biens et services, et par conséquent à doper la consommation.

Troisièmement, les défis les plus sérieux pour la gouvernance environnementale européenne proviennent du fait que les facteurs, les tendances et les impacts environnementaux sont de plus en plus mondialisés.

Pour répondre aux défis environnementaux systémiques persistants, une mutation fondamentale des systèmes de production et de consommation, à l’origine des pressions actuelles sur l’environnement et le climat, est indispensable. Mais cela implique de profonds changements dans la pensée, les technologies, les politiques, les pratiques et les comportements.

Il convient, pour commencer, de revoir les approches politiques et de construire un cadre législatif optimal, à travers les orientations suivantes : l’enrichissement de la base de connaissance ; la promotion des innovations technologiques économes en ressources ; l’application, l’intégration et la mise en cohérence des politiques environnementales et climatiques ; l’amélioration de la capacité de résilience aux changements climatiques et environnementaux prévus ; la mise en œuvre d’actions prudentielles et préventives, fondées sur des alertes scientifiques précoces ; l’optimisation des ressources naturelles.

De nouvelles approches de gouvernance, impliquant les citoyens, les organisations non gouvernementales, les entreprises et les villes, offriraient des leviers complémentaires.

La stratégie Europe 2020, le 7e PAE, le cadre financier pluriannuel et le programme-cadre pour la recherche et l’innovation Horizon 2020 ont été conçus sur un tempo commun : la période 2014-2020. Cela nous offre une occasion unique de tirer parti des synergies entre politiques sectorielles, options d’investissement et conduite des activités de recherche, en appui de la transition vers une économie verte.

La crise financière n’a pas réduit l’intérêt des citoyens européens pour les questions environnementales. Ils restent convaincus que davantage doit être accompli pour protéger l’environnement et que le progrès devrait être mesuré selon des critères non seulement économiques mais aussi sociaux et environnementaux.

Dans son 7e PAE, l’Union européenne ambitionne de faire en sorte que les jeunes enfants d’aujourd’hui vivent près de la moitié de leur vie dans une société faiblement carbonée, fondée sur l’économie circulaire et la résilience des écosystèmes. La réalisation de cet engagement appelle à agir en urgence et plus courageusement.

La Présidente Danielle Auroi. Pour que cet état des lieux soit porté à la connaissance de tous nos collègues, je vous propose de transformer la communication de notre collègue Arnaud Leroy en rapport d’information.

Alors que les sols continuent de s’appauvrir et que la qualité de l’eau est problématique, il me semble vraiment aberrant de supprimer les quotas laitiers et de consacrer l’agriculture productiviste. La France devrait se montrer plus exemplaire, dans ces domaines comme dans celui de la qualité de l’air.

Mme Estelle Grelier. Nombre d’agences européennes travaillent dans leur coin et interagissent finalement très peu avec les institutions européennes. L’AEE est-elle écoutée par la Commission européenne ? Participe-t-elle à la préparation de la COP 21 ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Dans la famille des agences, l’AEE appartient à la première génération, celle des années quatre-vingt-dix. La direction générale Environnement s’appuie souvent derrière les études de l’AEE, mais ce n’est pas forcément elle qui gagne les arbitrages collégiaux de la Commission européenne.

Ce rapport est objectif : il ne donne pas de conclusions alarmistes mais dresse un état des lieux, qu’il revient à la sphère politique de prendre en compte, comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais à l’échelle européenne et sur une plus grande variété de thématiques.

Il n’en demeure pas moins que le pilotage de la trentaine d’agences européennes par la Commission européenne s’avère compliqué. L’AEE se nourrit des informations fournies par les points focaux nationaux. Je pense qu’il faudrait, à terme, qu’elle intervienne pour contrôler la mise en œuvre des directives environnementales, par le biais de pools d’inspecteurs.

La Présidente Danielle Auroi. L’AEE est une agence scientifique indépendante, dont les recommandations n’aboutissent pas automatiquement à de bons arbitrages politiques. Or je n’ai pas l’impression que le commissaire Miguel Arias Cañete soit très attentif à ce type de propositions. C’est donc peut-être aux États membres de se montrer vigilants. Raison de plus pour que cette communication soit publiée sous forme de rapport d’information.

Mme Estelle Grelier. L’intérêt de ce type des rapports, c’est en effet que les institutions politiques s’en saisissent. Mais les agences ne créent pas toujours un climat de discussion favorable, notamment en manquant de rigueur budgétaire. Est-ce le cas aussi pour ce qui concerne l’AEE ?

M. Arnaud Leroy, rapporteur. La Commission européenne devrait se pencher sur ces agences techniques indépendantes, parce que ses pouvoirs s’en trouvent dilués. Mais leurs mandats sont définis par la Commission européenne et validés par les États membres. Le problème est là : on crée des organismes sans outils de gouvernance et de contrôle adaptés. La grande crainte de la Commission européenne, c’est que, suite à un scandale, elle devienne responsable devant le Parlement européen. Mais l’AEE fait partie des agences ayant plutôt bonne réputation.

La Présidente Danielle Auroi. J’ajoute que le commissaire Karmenu Vella a pris des positions fortes sur les paquets économie circulaire et qualité de l’air, ce qui traduit un début de volonté politique, quoique encore découpée en secteurs. En France, l’édiction de critères de référence et le vote en première lecture de la loi relative à la biodiversité vont également dans le bon sens.

IV. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø ESPACE LIBERTE SECURITE JUSTICE

- Recommandation de décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations sur un protocole additionnel complétant la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme (STCE n° 196) (COM(2015) 132 final RESTREINT UE –E 10154).

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil portant mise à jour et modification de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s'appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision 2014/483/PESC (6306/15 COR 1 - E 10161).

- Règlement d’exécution du Conseil mettant en œuvre l'article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et abrogeant le règlement d'exécution (UE) n° 790/2014 (6307/15 COR 1 - E 10162).

- Décision du Conseil modifiant la décision 2011/235/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Iran (7345/15 – E 10173).

- Règlement d’exécution du Conseil mettant en œuvre le règlement (UE) n° 359/2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Iran (7346/15 – E 10174).

- Décision du Conseil modifiant la décision 2010/413/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (7511/15 – E 10175).

- Règlement d’exécution du Conseil mettant en oeuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (7512/15 – E 10176).

V. Nomination de rapporteurs

Sur proposition de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a nommé rapporteur :

– M. Nicolas Sansu, sur la proposition de résolution européenne relative à la dette souveraine des États de la zone euro, présentée par M. Nicolas Sansu, et les parlementaires du groupe GDR.

La séance est levée à 18 h 15

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 1er avril 2015 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Isabelle Bruneau, M. Yves Fromion, Mme Estelle Grelier, Mme Marietta Karamanli, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Arnaud Leroy, M. Joaquim Pueyo

Excusé. - M. Jean-Claude Mignon