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Commission des affaires européennes

mardi 5 mai 2015

17 heures

Compte rendu n° 203

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente Et de M. François Brottes, Président de la commission des Affaires économiques

Audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger, sur le Conseil Affaires étrangères (commerce) de l’Union européenne du 7 mai 2015

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 5 mai 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la commission,
et de M. François Brottes, Président de la commission des Affaires économiques

La séance est ouverte à 17 h 05

Audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger, sur le Conseil Affaires étrangères (commerce) de l’Union européenne du 7 mai 2015

La Présidente Danielle Auroi. Je suis très heureuse, monsieur le ministre, que vous ayez répondu favorablement à notre invitation à venir vous exprimer dans le cadre de cette audition conjointe de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques.

C’est la septième audition d’un membre du Gouvernement préalable à une réunion du Conseil des ministres de l’Union européenne, dans le cadre de la nouvelle procédure instituée d’un commun accord entre le président Claude Bartolone et le Premier ministre, et qui permet à l’Assemblée nationale de disposer d’informations en amont du Conseil et d’en débattre. Trois sujets sont inscrits à l’ordre du jour de celui-ci.

D’abord, il abordera la question du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP). Ces négociations commerciales suscitent beaucoup d’interrogations, notamment au sein de notre assemblée. Le neuvième round s’est achevé le 24 avril 2015 mais l’un des problèmes majeurs – le mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs – reste entier. Ce mécanisme repose sur un arbitrage privé. Ce type de dispositif remonte aux années 1950, quand il fut institué à l’initiative des pays européens, pour protéger leurs investissements dans les pays où l’état de droit n’est pas respecté. Mais ce n’est le cas ni en Europe aujourd’hui, ni aux États-Unis ou au Canada. Dans ces conditions, je m’interroge donc personnellement sur l’utilité de ce mécanisme d’arbitrage, dont les conséquences sur le droit des États à réguler m’inquiètent, comme elles inquiètent d’ailleurs le Parlement européen et de nombreux acteurs de la société civile, en France et en Europe.

Quant à la Commission européenne, elle souhaite conserver le mécanisme, tout en l’améliorant. La commissaire Malmström a formulé des propositions en ce sens, qui seront examinées lors de ce Conseil. Elle nous en a parlé le 15 avril dernier, au cours de son audition par notre commission. Bien que la commissaire s’exprime dans un français parfait, ses propositions ne m’ont guère rassurée. Quelle est, monsieur le ministre, la position de la France sur le mécanisme et sur les propositions de la commissaire ? Quelle est la position américaine ?

Par ailleurs, les négociations sur le TTIP interviennent au moment de la préparation de la Conférence de Paris sur le Climat (COP21). Or, le changement climatique n’apparaît pas dans leur ordre du jour, pas plus qu’il n’entrait dans le champ de l’accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada. La France peut-elle encore introduire des propositions à ce sujet ?

Le second sujet à l’ordre du jour du Conseil de jeudi est la dixième conférence interministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui se tiendra à Nairobi en décembre 2015. Le Conseil des Affaires étrangères « Commerce » fera le point sur les négociations en cours, qui visent à clore le cycle de négociations de Doha, lancé en 2001, et dont l’enlisement avait précisément conduit l’Union européenne et les États-Unis à multiplier, de préférence aux accords multilatéraux, des accords bilatéraux de libre-échange. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu’un accord soit envisageable en décembre ? Si oui, à quelles conditions pour notre pays ? Puisque ce sommet se tiendra en Afrique, l’Union européenne ne pourrait-elle au demeurant revisiter ses accords de partenariat économique avec l’Afrique de l’Ouest, notamment dans leur volet agricole, pour mieux soutenir le développement de ces pays, dans le contexte d’immigration et de détresse humaine que nous connaissons actuellement ? Je rappelle que l’on déplore quarante morts aujourd’hui encore en Méditerranée.

Les enjeux commerciaux du partenariat oriental constituent le troisième sujet à l’ordre du jour de la réunion du Conseil. Ce partenariat rassemble six États postsoviétiques, notamment trois voisins immédiats de l’Union – l’Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie – et les trois pays du Caucase du Sud – la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Seuls trois États s’inscrivent encore aujourd’hui dans la logique initiale. Le partenariat va bien au-delà des questions commerciales, puisqu’il vise à soutenir les efforts des pays concernés en matière de réformes politiques, sociales et économiques afin de renforcer la démocratisation et la bonne gouvernance, la sécurité énergétique, la protection de l’environnement et le développement économique et social.

Ce partenariat comporte toutefois un volet commercial important via des accords de libre-échange signés en 2014 avec l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. De tels accords sont certes favorables au commerce. Mais quels enjeux représentent-ils au regard des relations avec la Russie, comme du règlement des crises qui affectent aujourd’hui l’Ukraine, et peut-être demain la Moldavie ?

Au-delà des principaux points à l’ordre du jour du Conseil, mes collègues vous interrogeront sans doute sur des sujets d’actualité, tels que l’accord CETA avec le Canada, le projet d’accord sur le commerce des services (Trade in Services Agreement, TiSA) ou encore la mise en œuvre des accords de libre-échange avec le Pérou ou avec la Colombie, dont certains effets pervers n’apparaissent qu’aujourd’hui.

Le Président François Brottes. Ces réunions conjointes sont une excellente habitude. Car le commerce extérieur entre dans le champ des préoccupations de la commission des affaires économiques, mais la commission des affaires européennes est aussi au cœur de ce questionnement. Je salue, monsieur le ministre, non seulement votre présence, mais votre capacité à associer le Parlement, et en particulier les présidents de commission, aux travaux que vous menez sur le plan international, et en particulier au niveau européen. Ces échanges réguliers, quasi hebdomadaires, sont importants. Nos boîtes aux lettres électroniques ont enregistré une avalanche de courriels de toute nature sur les sujets qui nous occupent, qui sont des sujets passionnels.

En ce domaine, la transparence et la rationalité sont aussi nécessaires l’une que l’autre. Il est parfois légitime de s’inquiéter, parfois non. Aussi est-il important que notre réunion ne se déroule pas à huis clos. Dans les négociations commerciales, la France tient bon sur la protection des consommateurs, sur la santé, sur la protection des données personnelles, sur le maintien des standards de l’OMC sur les services, en particulier des services publics, sur la protection des indications géographiques protégées et des appellations d’origine contrôlée et sur l’exclusion des services audiovisuels du champ des accords de libre-échange.

Quant au mécanisme de règlement des différends, je voudrais rappeler que, par sa résolution du 15 juin 2013 sur le TTIP, l’Assemblée nationale a pris position pour que soit exclu du mandat de négociation le recours à un mécanisme spécifique de règlement des différends entre les investisseurs et les États, pour préserver le droit souverain des États. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Seybah Dagoma, qui était à l’initiative sur le sujet. Concernant l’accord avec le Canada, il ne serait pas présenté pour ratification au Parlement européen avant début 2016. Ce sont ensuite les parlements nationaux qui autoriseront la ratification de cet accord, ce qui justifie notre suivi de ces questions dont les enjeux se chiffrent en milliards d’euros d’échanges de biens et de services. L’accord CETA permet la valorisation de nos productions à l’export, mais il impose aussi l’ouverture des marchés publics au Canada.

Faute de traité de ce type, les barrières tarifaires sont fixées au gré du vent, selon les États partenaires. Aussi est-il utile de mesurer que l’absence d’accord est parfois la pire des solutions. Il est trop facile de se donner bonne conscience en refusant de voir cette réalité.

M. Mathias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Je suis heureux de répondre à votre invitation qui précède la réunion du Conseil des ministres du commerce extérieur de jeudi prochain à Bruxelles. Je suis à votre disposition tant avant ces échéances, qu’après elles, pour vous tenir au courant de l’évolution des négociations. Comme beaucoup d’entre vous, les présidents de vos deux commissions sont très impliqués dans le suivi des sujets de politique commerciale, dont il me semble important de traiter dans un cadre démocratique, devant la représentation nationale. C’est une chose plutôt neuve que ces débats intéressent autant les Français. Comme parlementaires, vous aurez d’ailleurs le dernier mot sur les accords, au moment de leur ratification.

Trois points sont à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil. Il se penchera d’abord sur les négociations commerciales internationales avec les États-Unis et avec le Canada, et notamment sur le mécanisme d’arbitrage ou Investor-State Dispute Settlement (ISDS). Il abordera ensuite la préparation de la dixième conférence de l’OMC à Nairobi en décembre 2015, où les négociations s’étendront aux biens environnementaux. Enfin, il examinera les aspects économiques et commerciaux du partenariat oriental.

Je vous présenterai ces points en remontant dans l’ordre du jour du Conseil.

Un sommet du partenariat oriental se tiendra à Riga les 24 et 25 mai 2015, regroupant les vingt-huit États membres de l’Union européenne et les six pays partenaires, à savoir l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Ce jeudi, la session du Conseil sera suivie d’une réunion commune avec eux sur les aspects commerciaux du partenariat.

Le sommet de Riga fournira l’occasion d’évoquer les accords d’association, y compris les accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA) qui ont été signés avec la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. La France s’est fixée pour priorité la mise en œuvre effective de ces accords et des réformes qu’ils induisent, ainsi qu’une juste évaluation de leur impact. Il apparaît en outre nécessaire de développer des formules spécifiques de partenariat avec les États qui n’ont pas signé d’accord de libre-échange approfondi : l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie.

Quant à la conférence de l’OMC et à la négociation sur les biens environnementaux, la réunion de décembre devrait clore le cycle de Doha, également appelé cycle du développement. Mais la fin de ces négociations, qui s’éternisent depuis quinze ans, a déjà été souvent annoncée.

Le Président François Brottes. Vous nous confirmez néanmoins qu’elles ont commencé ?

M. le secrétaire d’État. Votre remarque espiègle renvoie à un réel essoufflement du multilatéralisme. Fidèle à sa tradition diplomatique, par-delà l’alternance des majorités, la France se montre toujours soucieuse que les négociations se déroulent dans un cadre multilatéral, qui garantit de bonnes négociations en excluant les surenchères. De manière paradoxale, ces dernières conduisent en effet souvent à retenir le moins disant. Tel est le risque quand la négociation se déroule en mode bilatéral ou entre blocs régionaux, outre le risque de fragmentation de l’espace commercial international, comme l’a souligné un récent rapport du Fonds monétaire international. Aussi la France appelle-t-elle, avec d’autres, à un retour des négociations commerciales dans le cadre multilatéral, estimant que le format actuel des négociations n’est pas satisfaisant.

La réunion ministérielle de décembre 2015 à Nairobi sera un moment important où il conviendra de défendra à la fois le multilatéralisme et nos intérêts. Il faut tendre vers un système de négociations internationales où les progrès s’enregistrent dans tous les domaines, sans fragmentation géographique ni sectorielle, en incluant donc à la fois les services, l’industrie et l’agriculture. Cette dernière s’avère la clef du succès dans la négociation globale. Nous devons mettre davantage en valeur les efforts de l’Union européenne, qui a su réformer la politique agricole commune (PAC), tout comme notre modèle agricole. Ils sont trop souvent banalisés.

Vous connaissez mon engagement sur les indications géographiques, qui établissent un lien entre la production, les terroirs et un savoir-faire. Dans une récente tribune avec le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, j’ai défendu cette « diplomatie des terroirs », qui repose sur une certaine conception de l’agriculture et de l’alimentation. Le cycle de Doha pourrait ainsi s’achever sur l’adoption d’une liste mondiale des indications géographiques en vins et spiritueux. Ce serait un progrès extrêmement important. Voilà l’esprit dans lequel nous abordons ces négociations, où nous avons pour ambition de défendre le multilatéralisme, mais aussi de défendre les conceptions que je viens d’exposer.

Quant à la négociation sur les biens environnementaux, elle est fondamentale. Le commerce international n’a de sens que s’il n’est pas une fin en soi, comme je l’ai fait valoir lors de la dernière réunion du Conseil rassemblant les ministres en charge du commerce extérieur. Loin de toute routine, la politique commerciale doit s’inscrire dans une politique européenne d’ensemble au service de l’investissement, de l’innovation, de la croissance et du développement durable. Le commerce international n’est qu’un outil pour y parvenir. À l’heure où les négociations couvrent de nombreux domaines, personne n’établit paradoxalement de lien entre eux, comme par exemple entre le commerce et l’environnement. Aussi est-ce une première de négocier une baisse des droits de douane sur les biens qui contribuent à la préservation de l’environnement. Avant la COP21, il serait en effet paradoxal de les pénaliser. En font partie les outils de contrôle de la qualité de l’air, les appareils de traitement des sols et des eaux polluées, le matériel d’isolation phonique ou thermique, les appareils d’assainissement permettant de produire de l’eau potable, les composants d’installations d’énergie renouvelable... Trop souvent, ces produits sont aujourd’hui soumis à des distorsions tarifaires qui en compliquent le commerce.

Au niveau européen, la France soutient donc activement la démarche. Au niveau national, le Gouvernement a organisé des réunions pour définir quels biens peuvent entrer dans la liste européenne qu’il est prévu d’établir. Il s’agit en effet d’agir de manière cohérente avec les objectifs de la COP21, enceinte par excellence pour traiter de l’enjeu climatique. Si vous me pardonnez cette lapalissade, je dirais que nous posons une seule condition à la négociation sur les biens environnementaux : qu’elle débouche sur une initiative crédible sur le plan écologique. Car nous aspirons à des résultats ambitieux, cohérents, exigeants et concrets, à des avancées réelles au service de l’environnement.

Pour nourrir l’agenda de la COP21, nous voulons que soient identifiés avec précision et avec soin quels sont les biens environnementaux. En conclusion sur ce point, la France soutient un aboutissement des négociations à la fin de l’année 2015, tout en étant que consciente que ce calendrier est ambitieux.

J’en viens aux négociations sur le TTIP et au mécanisme de règlement des différends (ISDS). Je rejoins tout à fait les propos du président Brottes sur les peurs et les craintes que ces négociations ont fait naître. Oui, certaines d’entre elles sont justifiées, mais d’autres sont parfois infondées. J’ai conduit une refonte de notre comité stratégique de suivi des négociations, dont vous faites partie, madame la présidente, monsieur le président. Les groupes de travail sont en cours d’installation. Des députés, des sénateurs, des parlementaires européens y participent, aux côtés des représentants des syndicats, des organisations non gouvernementales, des fédérations professionnelles.

J’ai considéré que toute demande de création d’un groupe de travail devait y être satisfaite, pour éloigner le spectre d’un refus de communiquer des informations sur quelque sujet que ce soit. Je remercie d’ailleurs ceux d’entre vous qui s’impliquent dans ces travaux. Nous ne pouvons négocier en secret. Nos positions doivent être exposées et étayées, sans exclure d’évolution lorsque la nécessité s’en impose.

Nous serons débriefés ce jeudi par la Commission européenne sur le dernier round de négociations. D’après les informations dont nous disposons, il faut encore attendre l’adoption par le Congrès de l’acte d’habilitation (Trade Promotion Authority, TPA) qui investira officiellement les négociateurs américains et sans lequel il est difficile de faire des progrès substantiels.

À chaque stade des négociations, tous les domaines sont couverts. Il faut déplorer l’absence d’avancées américaines suffisantes au cours du dernier round. Pour la France, l’accord final sera un bon accord s’il résulte d’évolutions sur des points tels que l’ouverture des marchés publics américains. Malgré des prises de position libre-échangistes, ces marchés restent en effet très fermés. Ils doivent s’ouvrir, non seulement au niveau fédéral, mais au niveau subfédéral, à l’instar des solutions trouvées dans l’accord avec le Canada. Ce dernier impose à toutes les entités –provinces, administrations infra-fédérales…– le même standard élevé d’ouverture.

En matière d’indications géographiques, les États-Unis écartent pour l’instant les pistes de travail proposées par la Commission européenne, visant à renforcer leur reconnaissance. Il s’agit pour la France d’une ligne rouge, qu’elle défend avec constance dans les différentes enceintes internationales. En l’état actuel des négociations, les choses ne sont pas acceptables.

Les préoccupations montent dans l’opinion au sujet de la convergence réglementaire, objet de divergences marquées, notamment sur le volet institutionnel. En particulier, les États-Unis réclament de la partie européenne un dispositif de notification et d’information (notice and comment), sur toute évolution normative qui interviendrait dans l’Union européenne. Ce dispositif n’aurait pas d’équivalent du côté américain. Cela ne peut non plus rester en l’état.

Sur le plan sectoriel, peu d’avancées sont à enregistrer sur la dizaine de volets thématiques abordés. Les négociations achoppent sur l’implication des entités infra-fédérales dans l’ouverture des marchés publics. Il faut pourtant des engagements robustes sur ce point si les dispositions du futur traité doivent rester à l’abri d’un détricotage par les cours américaines et par la Cour suprême.

La France est très attentive au sort de l’agriculture. Il faut veiller à écarter tout risque de fragilisation des positions françaises sur ce sujet. Elle se focalise aussi sur les conditions de production qui puissent introduire des distorsions de concurrence, telles que le coût de l’énergie, les normes ou les standards environnementaux. Certains produits agricoles, dits produits sensibles, peuvent pâtir de cette différence des coûts de production dans le cadre d’une libéralisation accrue des échanges.

Enfin, j’en viens à l’arbitrage et au règlement des différends. Dans le cadre de notre comité de suivi stratégique des négociations, j’ai installé un groupe de travail sur l’ISDS. Cette question touche à la souveraineté, à la démocratie et à l’état de droit. La pratique de l’arbitrage a connu des dérives. D’abord conçu pour protéger les petites et grandes entreprises, y compris les nôtres, contre des décisions arbitraires, il a fait le lit de grands groupes qui attaquent devant les tribunaux des choix politiques souverains, à l’instar de Vattenfall qui a introduit contre la République fédérale d’Allemagne un recours pour sa décision de sortir du nucléaire, ou encore de Philip Morris, qui demande des milliards d’euros de dommages-intérêts à l’Australie.

La France est opposée à cette remise en cause de choix démocratiques. Elle n’a pas demandé l’introduction de telles dispositions dans le projet d’accord, car elle pourrait tout à fait s’en passer. En tout état de cause, il importe d’inventer des modalités de règlement des différends qui soient adaptées au commerce international du XXIème siècle, qui respectent le droit des États à légiférer et la capacité des juridictions nationales à dire le droit, et de trouver un juste équilibre entre les entreprises publiques et les investisseurs privés toujours susceptibles de déposer des plaintes abusives. Aussi faut-il clarifier les concepts trop flous qui peuvent rendre imprévisible la jurisprudence des tribunaux arbitraux.

Les procédures retenues doivent pouvoir être étendues à d’autres États. La France a déjà signé non moins de 107 accords prévoyant des clauses de règlement arbitral des différends. Ils sont 96 à être déjà en vigueur. Dans bien des cas, ces clauses ont certes permis de protéger nos entreprises. Mais c’est un sujet sur lequel nous restons engagés.

À terme, la négociation pourrait s’orienter vers une cour permanente de règlement des différends, qui garantisse une clarté des procédures, une professionnalisation des arbitres, une éthique, une transparence et la prévention des conflits d’intérêt. Pour faire avancer la cause européenne sur ce sujet, une démarche commune avec l’Allemagne est engagée depuis la publication du rapport de la Commission européenne sur le mécanisme ISDS. Je crois pouvoir dire que les lignes ont commencé de bouger.

M. Joaquim Pueyo. À propos du mécanisme d’arbitrage entre les investisseurs et les États, vous nous avez rassurés, monsieur le ministre. Au moment où l’on veut relancer l’investissement au niveau européen, et alors même que le traité doit contribuer à cet objectif, il importe de trouver un juste équilibre entre la défense des intérêts des investisseurs et la capacité des États à réglementer dans l’intérêt général.

Nous avons interrogé la commissaire Malmström sur la manière dont elle envisage le règlement de ces différends. Elle nous a répondu qu’elle ferait bientôt des propositions significatives, reprenant l’idée d’une cour permanente euraméricaine de règlement des différends commerciaux. Nous confirmez-vous que la solution est à chercher dans cette direction ? Dans sa résolution de novembre 2014 sur l’accord avec le Canada, notre assemblée s’était opposée à tout mécanisme d’arbitrage.

Un tel mécanisme a en effet permis à Philip Morris d’attaquer l’Australie et l’Uruguay pour leurs choix de santé publique. Nous devons être vigilants, prudents et très fermes. L’Allemagne a adopté une position forte sur cette question. Quelles dispositions et quelle évolution la France peut-elle proposer, en collaboration avec ses partenaires européens, pour protéger les consommateurs et les États contre les atteintes d’un mécanisme qui risque de porter atteinte aux grandes décisions dans le domaine sanitaire ou environnemental ? Je crois que des pistes sont étudiées avec l’Allemagne.

Si les États-Unis restent sur une position très ferme, comment pourraient s’organiser des négociations où l’Union garde une position forte au sujet de ce dispositif ?

M. Antoine Herth. J’ai traversé en voiture ces derniers jours une large partie de la France, où j’ai vu dans les prés des troupeaux de bovins, élevés pour leur lait ou pour leur viande, ou des élevages de moutons. En parlant aux éleveurs, j’ai entendu leurs préoccupations sur la mise aux normes des bâtiments d’élevage, sur la directive nitrate, sur la situation des abattoirs, sur leur filière de commercialisation ou sur le bien-être animal. La fédération nationale ovine a tenu quant à elle son dernier congrès en Alsace. J’y ai appris que, grâce à la vente d’agneau, la filière enregistre un certain succès, ce qu’elle met au compte de l’emploi des signes officiels de qualité.

Mais il en va de l’élevage comme de la production végétale. Souvenons-nous du sort réservé aux producteurs d’oléoprotéagineux après l’introduction des tourteaux de soja consécutive au GATT. Leur recul a ruiné pour vingt ans la diversité des assolements en Europe.

Je me réjouis d’entendre que l’agriculture est au cœur de vos préoccupations. Mais, monsieur le ministre, il serait sans doute bon de réfléchir à des éléments de langage qui permettent aux agriculteurs, et aux citoyens en général, de suivre le processus des décisions qui les concernent. Pour ma part, je voudrais avoir la certitude que le modèle agricole européen, et en particulier le modèle agricole français, sera préservé dans ces négociations.

Mme Michèle Bonneton. À propos des bénéfices à escompter d’un accord, nous ne disposons d’aucune étude d’impact crédible. Que comptez-vous faire pour améliorer cette situation ?

Quant au mécanisme d’arbitrage entre États et investisseurs, les avancées actuelles ne nous satisfont absolument pas. Vers quoi devons-nous vous orienter pour que notre État de droit et notre démocratie soient protégés et pour que l’État conserve sa liberté de légiférer à l’abri de l’influence des grands groupes ? Je redoute des dispositions qui remettent en cause le droit des États et des collectivités à imposer des critères de localité pour privilégier les circuits courts, en matière d’alimentation ou d’énergie.

Les négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange n’incluent pas la fixation d’un objectif quantifié en matière climatique. Les activités de fret représenteraient pourtant 10 % de l’émission des gaz à effet de serre au niveau mondial. Comment le Gouvernement entend-il faciliter le commerce mondial tout en tenant des objectifs ambitieux en matière climatique ?

Même si le Gouvernement promeut l’export et soutient les petites et moyennes entreprises (PME) à l’international, ce sont surtout les grandes entreprises qui sont à l’œuvre pendant les négociations commerciales. Comment peuvent-elles aboutir à un résultat qui préserve le revenu des artisans, des petits agriculteurs ou des PME ? Les agriculteurs s’inquiètent plus particulièrement de la reconnaissance des indications géographiques et des appellations d’origine contrôlée. La commissaire Malmström nous a indiqué que l’accord avec le Canada en retient quarante-deux, et qu’elle espère arriver au même résultat dans la négociation du TTIP, mais nous en comptons non moins de six cents en France.

M. Arnaud Richard. Depuis un an, les négociations commerciales suscitent de vives réactions. Le mois dernier, le parlement wallon a récemment appelé à leur suspension. À l’initiative du groupe GDR, l’Assemblée a adopté en 2014 une résolution européenne sur le mandat de négociation sur cet accord qui pourrait produire des effets importants sur le commerce, les activités bancaires, les services, l’industrie, l’agriculture ou la culture.

Un accord mal négocié pourrait être dangereux pour la France et pour l’Europe, et se solder par une révision à la baisse des normes françaises et étrangères. Aussi comptons-nous sur vous, monsieur le ministre, pour défendre des positions fermes à la réunion de jeudi. Depuis février 2013, les négociations se déroulent dans l’opacité alors que la résolution de évoquait la nécessité d’une plus grande transparence. Il conviendra de se montrer intransigeant sur l’arbitrage privé entre États et entreprises, la protection sanitaire et environnementale, la protection des données personnelles et économiques, ainsi que la préservation de l’exception culturelle.

Que fera le Gouvernement, au niveau européen, pour défendre ces lignes rouges ? Si elles devaient être franchies, les citoyens ne manifesteraient, à juste titre, qu’une défiance plus grande encore à l’endroit de l’Union européenne.

M. Dominique Potier. Je sais que vous dialoguez, monsieur le ministre, avec les collectifs opposés au TTIP. Mais je suis d’accord avec le président Brottes pour dire qu’un accord est préférable à une absence d’accord.

Un mauvais accord serait un accord reconnaissant des tribunaux arbitraux. Les accommodements proposés par la commissaire Malmström me semblent toutefois mettre le ver dans le fruit, plutôt que de nous rassurer. Pour ma part, je serais partisan que l’accord final inclue une clause de respect des droits de l’homme par les entreprises européennes et américaines. Notre assemblée a adopté une proposition de loi à ce sujet ; une directive européenne y sera consacrée.

Dans des rencontres nancéiennes à nos côtés, vous avez évoqué l’importance de la recherche de positions franco-allemandes : comment évoluent-elles relativement au TTIP ? Les négociations commerciales font surtout ressortir la disparité qui existe entre les pays de l’Union européenne en matière sociale et fiscale. Quel calendrier d’harmonisation faut-il envisager pour que l’Union européenne soit plus forte dans la négociation avec les États-Unis ?

Enfin, vu les récents drames en Méditerranée, la France ne pourrait-elle repenser ses partenariats commerciaux avec l’Afrique ? Ce continent doit être le continent de l’avenir, non celui de la tragédie.

M. Pierre Lequiller. Je suis attaché au principe d’un accord. Il ne me semble pas possible de vouloir le rejeter avant d’examiner le fond des choses, alors qu’il peut être très positif pour la France et pour l’Union européenne.

La position très fermée de la partie américaine sur les marchés publics n’est pas acceptable. J’approuve votre opposition sur ce point, comme sur les trois autres grandes questions qui dominent en fait le débat : les sujets agricoles, les domaines sectoriels et le mécanisme d’arbitrage. Qu’est-ce qui peut, monsieur le ministre, amener les Américains à évoluer sur ces questions ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Un chapitre sur les PME sera ajouté à l’accord. Le 7 janvier 2015, la Commission européenne a rendu publique sa proposition écrite sur le sujet. Elle sera discutée lors du prochain round de négociations. La Commission y propose un échange d’information et de bonnes pratiques grâce à un site dédié sur la Toile et à la constitution d’une base de données. Mais cette initiative me paraît insuffisante pour répondre aux défis auxquels sont confrontées les PME voulant exporter vers les États-Unis, comme à l’objectif de la Commission européenne de faire passer d’ici 2020 de 13 % à 25 % la proportion de celles qui exportent hors de l’Union européenne. Pourriez-vous nous éclairer sur cet aspect des négociations relatif aux PME ?

L’accord envisagé serait un accord de nouvelle génération qui comporterait des clauses sur la convergence réglementaire. Mais les traités de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne consacrent le primat du droit européen sur les traités internationaux classiques. Quel droit primera en cas de conflit de normes entre un traité de nouvelle génération et une disposition du droit européen ? Quel rôle est-il dévolu au Parlement européen dans la négociation, l’adoption et le suivi de ces accords ?

M. Hervé Pellois. Selon une majorité d’études d’impact, l’adoption du TTIP permettrait une relance de la croissance, de l’emploi et une reprise des investissements. La Commission en publiera une par pays et par secteur, tandis que certains États membres l’ont déjà fait pour leur compte. Lorsque nous l’avons entendue le 15 avril dernier, la commissaire Malmström a souligné qu’une étude chiffrée nationale rassure l’opinion. Le Gouvernement ne pourrait-il en conduire une ? Cela serait propre à rassurer les Français sur l’impact d’un accord de libre-échange avec les États-Unis.

M. Thierry Benoit. Alors que son marché n’est pas totalement harmonisé, l’Union européenne peut-elle obtenir un accord équilibré avec les États-Unis ? Elle aborde les discussions en ordre dispersé, car elle abrite des intérêts divergents. L’accord avec le Canada, qui autorise l’entrée sur le marché européen de 50 000 tonnes de viande de ce pays, a réveillé la méfiance. En matière de farines animales, d’organismes génétiquement modifiés (OGM) et d’hormones de croissance, poserons-nous des exigences de traçabilité ? Les clauses relatives aux normes pourront-elles être mises à profit pour opérer des simplifications ?

Je suis très attaché aux appellations d’origine contrôlée et aux indications géographiques protégées, dont le granit de Bretagne devrait faire bientôt partie, même si j’imagine que cette approche peut être vue, du côté américain, comme une approche par le petit bout de la lorgnette.

M. Dino Cinieri. Selon une note du gouvernement allemand à ses ambassades et malencontreusement rendue publique, nos partenaires d’outre-Rhin seraient prêts à sacrifier l’agriculture à une ouverture accrue des marchés publics américains. La libéralisation totale de l’agriculture reviendrait pourtant à une fuite en avant sur les prix, à une progression de l’industrialisation, à la disparition de fermes et à une baisse de la qualité de l’alimentation. De telles idées ne vont-elles pas à contre-courant de la nécessaire relocalisation de nos économies ? Ce deal perdant-perdant pour les populations, les territoires et les écosystèmes pourrait-il aboutir ?

Mme Estelle Grelier. Dès l’ouverture des négociations, j’ai déploré l’opacité qui les entourait et la difficulté de publier le mandat donné à la Commission européenne. Elles prenaient ainsi un mauvais départ. Il est bon que les parlementaires soient impliqués sur ce sujet, car le TTIP, par l’énormité de son étendue, touche à tous les domaines, comme je m’en suis récemment rendue compte en rencontrant des représentants de la filière betteravière. Les parlementaires sont donc fondés à suivre et à contrôler de près le déroulement de ces négociations. Comment peut-on améliorer notre accès aux documents ?

Par ailleurs, alors que vous nous dites que les parlements nationaux se prononceront sur le TTIP, la commissaire Malmström nous a déclaré que le caractère mixte du traité ne saurait être établi qu’in fine. Qui faut-il croire ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Je me réjouis, monsieur le ministre, de votre engagement en faveur d’une diplomatie des territoires, comme de l’élaboration d’une liste reconnue des appellations de vins et spiritueux.

Notre collègue Yves Daniel a présenté récemment une proposition de résolution européenne sur l’étiquetage des produits biologiques, que la commission des affaires économiques a adoptée à l’unanimité. Quel sera, dans les négociations, le sort réservé aux dispositifs normatifs les concernant et que comptez-vous faire pour les préserver ?

Mme Marietta Karamanli. Les négociations sur le TTIP marquent le pas à cause des États-Unis, et notamment de leur position sur le mécanisme d’arbitrage. Je reviens d’une mission aux États-Unis, avec Charles de la Verpillière, sur les données personnelles ; nous avons constaté comment elles y sont devenues une marchandise. Les négociations ne seraient-elles pas l’occasion de leur offrir un statut protecteur ? Je partage cependant l’idée que l’Union européenne et les États-Unis doivent arriver à un accord.

En collaboration avec Hervé Gaymard, j’ai présenté un rapport sur le cycle de Doha et le multilatéralisme. Nous y soulignions que le bilatéralisme permet à certains États plus fragiles d’obtenir des clauses plus favorables à la protection sociale et environnementale. Nous y avons aussi proposé un mécanisme de compensation visant à lisser dans le temps les effets du libre-échange, en employant certains excédents financiers au soutien du développement durable. Ces deux préoccupations trouvent-elles un écho dans le cadre des négociations conduites en amont de la conférence de Nairobi ?

Mme Delphine Batho. La contestation du projet d’accord transatlantique ne porte pas sur ses aspects sectoriels ou techniques, mais sur son principe même. Car, par ce type de traité, les États se trouvent engagés de manière irréversible. Le 14 octobre 1998, Lionel Jospin avait su annoncer qu’il n’y aurait pas de reprise des négociations sur l’accord multilatéral sur les investissements (AMI), objet de mobilisation citoyenne. Monsieur le ministre, vous soulignez qu’il y a peu d’avancées et que beaucoup de propositions en discussion ne sont pas acceptables. Quand en tirerez-vous les conclusions sur le plan politique ?

Dans le domaine de l’énergie, quelles dispositions peuvent-elles être adoptées concernant l’importation d’hydrocarbures, de sables bitumineux, de gaz de schiste ou relativement aux licences d’exploitation des compagnies pétrolières ? Pour ce qui est des données personnelles, l’exception numérique doit exister au même titre que l’exception culturelle. Il s’agit d’une question de souveraineté numérique, alors que le stockage des données a lieu hors de l’Union européenne. Quant au TiSA, il suscite des inquiétudes fortes, car de nombreux points restent à clarifier.

M. Michel Piron. Les négociations commerciales multilatérales sont sans doute préférables à des négociations bilatérales, mais le format des discussions est lié à leur contenu, qui est lui-même à géométrie variable.

Vous établissez à juste titre la distinction entre appellations et marques, mais l’expression de « diplomatie des terroirs » est-elle si heureuse ? Son côté vicinal me laisse imaginer qu’elle se déploierait plutôt sous l’égide du ministre de l’intérieur, que dans un cadre international. Dans le champ normatif, la traçabilité des produits me semble primordiale.

Le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) me paraît quant à lui devoir être lui-même un objet de contentieux. Lorsque des instances privées peuvent ainsi imposer leur interprétation à des instances publiques, où se trouve la source légitime du droit ? Quelle serait l’alternative publique à ce type de justice, où prédomine la porosité entre la puissance publique et les puissances privées ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans le cadre de la préparation de la COP21, le Gouvernement adopte une attitude exemplaire dans la lutte contre le changement climatique, car il y voit la clef du succès. Mais l’Union européenne, dans le même temps, veut dans le TTIP un chapitre relatif à l’énergie qui faciliterait l’importation d’énergie climaticides telles que le gaz de schiste issu de la fracturation hydraulique, les hydrocarbures ou les sables bitumineux. Comment affronter cette contradiction ?

D’une manière générale, le gonflement des échanges transatlantiques coïnciderait avec une émission accrue des gaz à effet de serre, alors qu’il faut tendre à leur réduction. Monsieur le ministre, comment le Gouvernement entend-il défendre l’abandon des dispositions climaticides qui sont en discussion ?

Mme Frédérique Massat. À propos des services publics, la commissaire Malmström a tenté de nous convaincre la semaine dernière que, conformément à une déclaration commune avec Michael Froman, le représentant spécial américain au commerce, l’ouverture relèverait d’une décision nationale, à savoir qu’elle n’aurait pas lieu si le Gouvernement ne la souhaite pas. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Le TTIP devrait prévoir une nouvelle baisse des droits de douane qui alimentent à hauteur de 14 % le budget de l’Union européenne. Comment cette perte de recettes pourrait-elle compensée pour elle ? Les États membres seraient-ils mis à contribution ?

S’agissant des OGM, la Commission européenne a publié le 22 avril 2015 une proposition visant à laisser les États membres libres d’en importer ou non. Les négociateurs américains jugent quant à eux cette attitude peu constructive, y voyant une restriction aux échanges. Pouvez-vous nous garantir que les États conserveront la faculté de refuser l’importation sur leur sol de produits contenant des OGM ?

M. Marc Laffineur. La partie américaine souhaite-t-elle véritablement un accord ? Nous refusons bien sûr un mauvais accord. Mais ne pas en obtenir du tout serait aussi un échec pour l’économie française.

S’agissant du mécanisme de règlement des différends et de la souveraineté des États, elle permet aussi la concurrence fiscale entre eux, leur laissant la possibilité de conclure des accords directs avec les entreprises. Dans ces circonstances, un mécanisme d’arbitrage pourrait protéger les PME, ainsi mieux à même de se défendre. Dans un rapport que je prépare sur la concurrence fiscale, je mets en lumière le comportement en ce domaine de certains États, qui frise la délinquance.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, vous nous avez dit tout à l’heure préférer les accords multilatéraux aux accords bilatéraux. C’est pourtant à la suite du GATT, puis sous la pression de l’OMC, que l’Union européenne a rompu l’équilibre de politique agricole commune, où une orientation stratégique n’est plus sensible, ni en matière alimentaire, ni dans le domaine environnemental ou social.

La loi agricole a consacré le principe de la souveraineté alimentaire, dans une volonté de redynamiser l’agriculture paysanne. Pour ce faire, des projets alimentaires territoriaux doivent voir le jour, grâce à des marchés publics faisant référence à une alimentation saine, diversifiée, sans OGM, et à la lutte contre le gaspillage. Comment faire pour que ces principes humanistes ne soient pas bafoués ? Quelles conditions poserez-vous de ce point de vue à la signature du TTIP ?

Mme Jeanine Dubié. Nos boîtes aux lettres électroniques ont été saturées pendant le week-end du 1er mai en amont de cette audition, ce qui montre à quel point nos concitoyens sont préoccupés. Le caractère public de notre réunion est une première réponse que nous leur apportons.

Au cours de la séance de questions au Gouvernement du 21 janvier dernier, j’avais interrogé M. Laurent Fabius sur l’opacité des négociations en cours et sur le besoin de l’opinion d’être dûment informée. Il m’avait répondu qu’un comité de suivi stratégique était en place. Quelle en est la feuille de route, quelle est sa marge de manœuvre ? Si des comptes rendus des réunions des groupes de travail sont disponibles, il serait bon de pouvoir en prendre connaissance.

Lors de la huitième session de négociation du TTIP, l’accent avait été mis sur les obstacles non tarifaires aux échanges. Des pourparlers devaient se dérouler sur ce sujet tant avec la partie américaine qu’avec nos partenaires allemands. Où en sommes-nous ?

Quelle est la marge de manœuvre de l’Assemblée nationale ? Les mutuelles et les caisses de sécurité sociale s’inquiètent que leur domaine d’activité puisse être inclus dans le champ de l’accord.

Mme Sophie Rohfritsch. Les études d’impact sur les effets du TTIP sont pléthore et se contredisent. Si celles qui sont attendues pour la fin de l’année permettent d’établir un effet dynamique sur le produit intérieur brut de l’Union européenne, serons-nous prêts à adapter nos secteurs d’activité, en développant les formations et les produits susceptibles de conquérir de nouveaux marchés ?

Mme Marie-Lou Marcel. Dans un rapport conjoint avec Dino Cinieri sur les signes de qualité, nous avons souligné le rôle important que joue à l’export le label de qualité des produits agricoles et agroalimentaires. Portée par la France, cette politique qualitative est soutenue par l’Union européenne. Aussi faut-il prendre garde à toute remise en cause des appellations d’origine contrôlée, des indications géographiques protégées et des spécialités traditionnelles garanties. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

Par ailleurs, nous préconisions dans notre rapport de privilégier les circuits courts, notamment dans le domaine de la restauration scolaire. Ne risquent-ils pas d’être remis en cause par le TTIP ?

Mme Seybah Dagoma. En raison de l’enlisement du multilatéralisme, nous développons des accords bilatéraux de nouvelle génération, qui soulèvent de nouvelles questions. À mes yeux, ils exigent d’inventer de nouvelles méthodes de travail entre les États membres et la Commission européenne.

Je reviens du Canada, où les provinces ont été associées dès l’origine à la négociation de l’accord CETA de libre-échange avec l’Union européenne. Il y fait ainsi l’objet d’un consensus. Je regrette que les procédures en vigueur au sein de l’Union européenne ne permettent pas une association de ce type.

Une mise en vigueur transitoire de l’accord, après son adoption par le Conseil et par le Parlement européen, mettraient les parlementaires nationaux devant le fait accompli lorsqu’ils devraient se prononcer en cas d’accord mixte. Après Nicole Bricq, vous avez déjà œuvré, monsieur le ministre, en faveur de la publication du mandat de négociation. Une initiative serait maintenant à prendre pour que la Commission européenne informe directement les parlements nationaux tout au long des négociations.

Quant au mécanisme de règlement des différends évoqué dans le cadre du TTIP, la Banque mondiale a souligné que ce type de dispositif n’entretient pas de rapport nécessaire avec l’évolution des investissements. Il donne par ailleurs lieu à des dérives. Pour ces deux raisons, j’avais préconisé, dans mon rapport préparatoire à la résolution européenne de notre assemblée sur le TTIP, que l’ISDS soit exclu du champ des négociations. Dans le cadre du CETA, un code de conduite s’impose aux arbitres, tandis que le droit des États à légiférer reste garanti. Partagez-vous, monsieur le ministre, mon analyse sur cette différence d’approche entre les deux traités ?

M. Lionel Tardy. En octobre dernier, vous aviez dressé la liste des lignes rouges de la France dans la négociation. Ces lignes ont-elles évolué ? Par ailleurs, en janvier de cette année, vous aviez fait une déclaration commune avec le ministre allemand de l’Économie. Ce type de démarche conjointe me paraît utile pour parler d’une voix forte et porter une vision claire. A-t-elle déjà permis des avancées ?

M. Yves Daniel. Je reviens à la conférence ministérielle de l’OMC. Parmi d’autres sujets, la déclaration de Doha aborde les mesures sanitaires et phytosanitaires, et la question de savoir comment elles peuvent s’appliquer aux pays en voie de développement sans entraver leur croissance.

Comme rapporteur d’information de la commission des affaires européennes sur le projet de règlement relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, je souligne que la question de l’équivalence avec les pays tiers est cruciale. Quelle est votre position sur ce sujet ? Comment la France participe-t-elle à la définition des normes sanitaires et phytosanitaires internationales ? Comment aide-t-elle les pays en voie de développement à prendre part à ces travaux communs ?

M. le secrétaire d’État. Quant à l’appréciation globale du TTIP, je dirais qu’un accord mal négocié peut être en effet dangereux. Je m’efforce de vous présenter avec honnêteté l’état d’avancement des négociations, mais il est difficile de communiquer au sujet de ces négociations, alors qu’elles déboucheront sur des engagements qui sont encore devant nous. À ce stade, la France fait valoir ses souhaits et ses intérêts. Mais l’appréciation globale devra porter sur l’accord finalisé.

Pour le CETA, le Gouvernement estime qu’il s’agit d’un bon accord, qui contient des avancées importantes sur la protection des indications géographiques. Il en reconnaît 42, qui viennent s’ajouter à celles qui étaient déjà reconnues dans l’accord de 2004 sur les vins et spiritueux. Mais ne nous voilons pas la face : rien de tel n’est finalisé aujourd’hui pour le TTIP.

Oui, Monsieur Laffineur, mon sentiment est que les Américains veulent que les négociations progressent. L’année 2014 était peu propice à l’avancement des négociations, du fait des échéances électorales américaines, mais aussi du renouvellement des institutions européennes. Aussi les négociations arrivent-elles à un moment important avec l’adoption du TPA. Elle est prévue ce mois-ci, mais ce n’est pas l’administration américaine qui fixe l’ordre du jour du Congrès.

Les lignes rouges de la France sont constamment réaffirmées. Nous refusons de faire entrer dans le champ de la négociation les services audiovisuels ou la protection des données personnelles, non plus que les préférences collectives, car elles relèvent de choix de société. Sur le plan alimentaire, nous ne voulons pas de bœuf aux hormones, de poulet chloré, d’OGM ou de viande portant la trace d’une décontamination chimique.

En exigeant de pouvoir conserver nos propres règles, nous laissons à l’inverse à la partie américaine la liberté d’appliquer les siennes. Nous ne devrons pas forer pour chercher du gaz de schiste si nous n’en voulons pas. Mais les Américains pourront continuer à le faire s’ils le souhaitent.

Quant à la défense des services publics, le chapitre 20 du mandat de négociation est clair à leur sujet. Les clauses de préférence locale ou le recours privilégié aux circuits courts ne seront pas touchés par le TTIP, dans la mesure où ces mesures s’appliquent de manière égale à toutes les entreprises des États parties à cet accord.

Je persiste à penser, monsieur Piron, que la « diplomatie des terroirs » est une bonne formule. Elle fait sentir comment les négociations commerciales retentissent sur la réalité quotidienne des Français, consommateurs comme producteurs. Cela rend d’autant plus aigüe la nécessité d’en rendre compte.

Je rejoins les analyses de certains d’entre vous sur l’opacité qui entoure les négociations. Elles prenaient en effet un mauvais départ si le mandat de négociation n’avait pas été publié. Il n’est pas possible d’annoncer un grand accord à grand renfort de trompette et de le négocier en vitesse et en cachette pour mettre l’opinion devant le fait accompli.

Notre comité de suivi stratégique permet de mener à bien le nécessaire travail de transparence. Je me suis déjà rendu devant la commission des affaires économiques, devant la commission des affaires étrangères, mais aussi devant le Sénat. Sur le site Internet du ministère des affaires étrangères, une page spécifique est consacrée aux travaux du comité de suivi.

La question de votre accès aux documents consolidés se pose aussi. Le Gouvernement exige que les parlementaires français puissent les consulter auprès d’administrations nationales et non dans les ambassades américaines, car ces lieux sont sous souveraineté américaine. Nous ne sommes parvenus à un résultat à ce stade.

Pour les études d’impact, je n’en reprendrai aucune à mon compte, car elles ne me semblent pas fiables. Des contributions supplémentaires doivent être apportées. Je rencontrerai prochainement des responsables d’organismes de recherche publics. Mais le parlement peut lui aussi conduire ses propres évaluations, en complément d’une expertise universitaire faisant la place à différentes écoles de pensée économiques. En tout état de cause, il faut cesser de croire qu’il est possible de chiffrer à l’euro près par famille les gains attendus du TTIP.

Les agriculteurs comprennent très bien les enjeux de ces négociations, et les suivent de très près, comme je m’en rends compte au cours de mes échanges avec eux dans le Lot-et-Garonne. Il faut impérativement mener le combat des indications géographiques protégées (IGP). Les IGP et les marques incarnent deux systèmes qui véhiculent deux conceptions différentes de l’agriculture et de l’alimentation. Ce n’est pas grandiloquent de dire qu’une offensive mondiale est lancée en ce domaine.

S’il faut se battre sur tous les sujets, il convient d’être conscient aussi de ce que les négociations commerciales internationales continueraient même en cas d’échec du TTIP, par exemple des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Asie. L’Union européenne courrait alors le risque de se voir imposer des normes définies indépendamment d’elle. Je regrette que les négociations actuelles se déroulent entre deux grands blocs plutôt que dans un cadre multilatéral. Leur échec ne consacrerait pourtant certainement pas un succès des positions françaises.

Quant aux clauses environnementales et sociétales, je connais votre attachement, monsieur Potier, à ces sujets. Au niveau international, la réflexion doit être menée dans les enceintes adéquates, là où elle peut aboutir. Je mettrais donc en garde contre la tentation de greffer sur des négociations où ne pourraient être obtenues que des avancées peu satisfaisantes le sujet du respect des droits de l’homme par les entreprises. À la suite de la proposition de loi de l’Assemblée nationale à ce sujet, la Commission a déjà formulé des propositions dignes d’intérêt.

Pour ce qui est des préférences alimentaires, rien ne permet de dire à ce stade qu’elles pourraient être remises en cause. En matière d’environnement, le forum de négociation le plus pertinent me semble être la session du cycle de Doha consacrée aux biens environnementaux ainsi que la COP21, où peuvent être adoptés un relèvement des normes ainsi que des standards rigoureux qui seront opposables à tous.

J’ai organisé le premier forum des PME à l’international, au Quai d’Orsay, le 11 mars 2015. Il faut les soutenir dans leurs efforts pour exporter. Elles sont deux fois moins nombreuses à exporter en France qu’elles ne le sont en Italie, et trois fois moins qu’en Allemagne. Toutes les mesures visant à faciliter leur information, à simplifier les procédures et à les soulager des tracasseries administratives seront donc positives. Cela vaut tant pour les PME dans l’industrie que pour les petites exploitations agricoles. Il n’est pas normal qu’un petit producteur de pommes désireux d’exporter aux États-Unis doive soumettre sa production à deux contrôles phytosanitaires successifs, voire payer le déplacement des contrôleurs américains en Europe. Cela pénalise les petites entreprises plus encore que les grandes.

En matière d’énergie, les préférences de chacun sur le gaz de schiste ou les hydrocarbures seront respectées. Rien n’obligera la France à forer. Il en va de même pour la santé, la protection sociale, les services publics.

Quant à la nature juridique du TTIP, la Commission européenne n’a jamais dit qu’il s’agirait d’un accord mixte. La Cour de justice de l’Union européenne est consultée en ce moment sur la nature d’un accord similaire avec Singapour. Le service juridique du Conseil et les États membres sont cependant unanimes à constater qu’il s’agira d’un accord mixte. À ce titre, il sera soumis à votre approbation.

Sur le mécanisme de règlement des différends, un travail important a déjà eu lieu. À la réunion du Conseil, la France réitérera ses réserves de fond sur ce dispositif, car nous pensons qu’il n’est pas nécessaire dans cet accord. Nous ne sommes cependant pas seuls, de sorte qu’il faudra, le cas échéant, inventer de nouveaux mécanismes de règlement des différends, respectant des règles qui répondent aux différentes objections actuellement soulevées par votre assemblée et par le Sénat : des règles d’éthique visant à prévenir les conflits d’intérêt ; la possibilité d’appel devant une juridiction nationale ; l’établissement d’une cour permanente ; la clarification des concepts de nature à éviter que l’arbitrage ne puisse remettre en cause un choix souverain.

En ce domaine, le travail conjoint avec les autorités allemandes joue un rôle important. Si des progrès peuvent être réalisés, c’est par ce biais. La démarche franco-allemande reste au demeurant ouverte à d’autres États membres. Certains la rejoignent alors qu’ils s’étaient initialement prononcés en sens opposé à la fin de l’année 2014. La Commission européenne présentera demain mercredi, devant le Parlement européen, ses préconisations relatives à l’arbitrage, puis elle les présentera jeudi à la session du Conseil au sujet de laquelle nous nous réunissions. Je serai à votre disposition pour vous rendre compte de la teneur des discussions.

Le Président François Brottes. Des auditions conjointes de ce type mériteraient d’être organisées chaque mois. Grâce à la diffusion de ce jeu de questions et réponses, nos concitoyens peuvent s’informer en temps réel.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’éclairage que vous nous avez apporté. Il sera en effet utile de connaître ultérieurement le contenu des échanges à cette réunion du Conseil.

La séance est levée à 18 h 50.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 5 mai 2015 à 17 h 05

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Isabelle Bruneau, Mme Nathalie Chabanne, Mme Seybah Dagoma, M. Yves Daniel, M. William Dumas, Mme Estelle Grelier, M. Razzy Hammadi, Mme Marietta Karamanli, M. Marc Laffineur, M. Pierre Lequiller, M. Michel Piron, M. Joaquim Pueyo, M. Arnaud Richard, Mme Sophie Rohfritsch

Excusés. - M. Philip Cordery, M. Laurent Kalinowski

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Paul Molac, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, Mme Monique Rabin, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Troallic