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Commission des affaires européennes

mardi 7 juillet 2015

15 heures

Compte rendu n° 224

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur les Balkans occidentaux 

II. Examen des conclusions proposées par MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin, sur la refonte du code des visas et la création d’un visa d’itinérance au sein de l’Union européenne 

III. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur la consultation relative au bilan des directives « Oiseaux » et « Habitats », ouverte par la Commission européenne 

IV. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur la proposition d’initiative législative (« carton vert ») de la Chambre des Lords relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 7 juillet 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à

I. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur les Balkans occidentaux 

La Présidente Danielle Auroi. Avec Christophe Caresche et Michel Herbillon, et conjointement avec une délégation de la commission des Affaires de l’Union européenne du Bundestag, nous avions effectué une mission à Belgrade, en avril 2013, afin d’étudier précisément la question serbe sur place. À cette occasion, une réflexion avait également été menée à propos de la situation des cinq autres pays de la région restant candidats à l’adhésion à l’Union européenne. La présente communication a pour objet de faire le point sur les évolutions constatées au cours des deux années passées.

Les six pays en question sont formellement considérés comme candidats à l’adhésion. Après les élargissements à la Slovénie puis à la Croatie, c’est donc l’ensemble des Balkans occidentaux qui a vocation à rejoindre l’Union européenne à moyen terme : malgré les conflits récents, ces pays pluriethniques, intriqués géographiquement et héritiers d’une histoire commune sont liés par une communauté de destin.

Il s’agit là, pour l’Union européenne, d’un devoir politique historique, matérialisé par des engagements clairs. Mais l’adhésion requiert des conditions préalables très exigeantes, qui ne sont pas atteintes, loin s’en faut. Plusieurs dirigeants européens, à commencer par le Président Jean-Claude Juncker, ont ainsi clairement déclaré et répété qu’un nouvel élargissement ne pourrait pas intervenir avant au moins cinq ans.

L’appellation de « candidat » recouvre en outre plusieurs situations très différentes : la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo ne sont reconnus que comme candidats potentiels ; l’Albanie, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), le Monténégro et la Serbie jouissent pour leur part du statut de candidat officiel.

Au sein de cette seconde catégorie, il convient encore de distinguer trois cas de figure : en ce qui concerne l’Albanie et l’ARYM, le coup d’envoi des négociations d’adhésion n’a pas encore été donné ; celles avec la Serbie sont officiellement lancées mais, dans les faits, aucun chapitre de négociation n’a été formellement ouvert à ce jour ; seules les négociations d’adhésion avec le Monténégro ont réellement avancé, puisque vingt chapitres sur trente-cinq sont ouverts, dont quatre ont déjà été refermés.

Le Monténégro est donc le « bon élève » des Balkans occidentaux. Les négociations d’adhésion à l’Union européenne ont débuté en 2012 et le pays continue de se rapprocher des critères politiques. Parmi les vingt chapitres ouverts, figurent les deux les plus cruciaux : le chapitre 23, relatif à l’appareil judiciaire et aux droits fondamentaux ; le chapitre 24, relatif à la justice, à la liberté et à la sécurité. D’autre part, en alignant ses positions diplomatiques sur celles de l’Union européenne, le Monténégro apporte un soutien utile à sa Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il a notamment mis en œuvre les mesures restrictives adoptées à l’encontre de la Russie. Malgré la bonne marche dans les discussions sur l’acquis communautaire, beaucoup reste à faire. Les négociateurs monténégrins sont très compétents et efficaces mais le problème réside plutôt dans l’administration locale, faiblement dimensionnée, servie par des fonctionnaires mal formés et victime de sa tradition de corruption, naguère érigée en mode de fonctionnement.

Avec sa population relativement importante et compte tenu de son implication dans les conflits qui ont endeuillé la région au cours des années 1990, le dynamisme des relations entretenues par la Serbie avec l’Union européenne a un poids stratégique et symbolique spécial. Les négociations avec la Serbie présentent une particularité : le chapitre 35, intitulé « autres questions », est le plus délicat, puisqu’il inclut la problématique du dialogue avec le Kosovo ; son ouverture dépend donc de l’avancement des négociations bilatérales entre les deux pays. À ce sujet, les États membres affichent des différences d’appréciation : l’Allemagne souhaite qu’un accord formel à propos des principaux points de désaccord bilatéraux soit obtenu en préalable à l’ouverture de ce chapitre, tandis que la France n’en fait pas une condition sine qua non. Or, à tout instant des négociations d’adhésion avec un pays donné, l’ouverture ou la fermeture d’un chapitre est soumise à la règle de l’unanimité au Conseil. Les perspectives semblent s’être légèrement améliorées, d’autant que l’Allemagne a assoupli sa position. Une petite impulsion politique supplémentaire devrait permettre, d’ici à la fin de l’année, l’ouverture de deux chapitres de négociation, dont le 35. Outre les conséquences nationales pour la Serbie, cette décision enverrait un signal positif à ses voisins, car ce pays pivot des Balkans possède assurément une capacité d’entraînement.

Les élections locales qui viennent d’avoir lieu en Albanie constituent un motif de satisfaction : elles se sont beaucoup mieux passées que les précédentes et ont été saluées par les nombreux observateurs internationaux déployés sur le terrain, qui ont donc donné quitus au Gouvernement. Reste que le premier ministre albanais, M. Edi Rama, attise les incompréhensions et les rancœurs régionales avec la Serbie en multipliant les coups de menton, notamment par des évocations de la « Grande Albanie », censée inclure le Kosovo. Concernant les perspectives de négociations, depuis l’obtention du statut de candidat officiel, il y a exactement un an, grâce à de réels efforts, les pouvoirs publics albanais se sont laissés aller à un certain relâchement et, ces derniers mois, le pays n’a accompli aucun progrès supplémentaire. Il lui reste pourtant de nombreuses tâches à résoudre, à commencer par la réforme du système judiciaire et sécuritaire, afin, notamment, de lutter contre la corruption et le crime organisé.

Quatrième pays officiellement candidat, l’ARYM connait une crise politique sérieuse : l’opposition n’a toujours pas reconnu le résultat des élections législatives d’avril 2014 et boycotte le Parlement. Le pays vient aussi d’être frappé par un affrontement armé à proximité des frontières avec le Kosovo et la Serbie, qui s’est soldé par seize morts : dix albanophones et six du côté de la police macédonienne. La Grèce bloque depuis six ans toute perspective d’adhésion de l’ARYM à l’Union européenne, lui reprochant de vouloir capter l’héritage civilisationnel hellénique à travers l’usage même du terme « Macédoine » et les références systématiques à Alexandre le Grand. Quoi qu’il en soit, l’ARYM est le seul pays des Balkans occidentaux dans lequel est constatée une nette régression en matière d’État de droit, de liberté de la presse et de corruption, au point que la Commission européenne n’est pas certaine de proposer pour la septième fois aux vingt-huit États membres l’ouverture des négociations d’adhésion.

Rappelons que le compromis des accords de Dayton a consacré, en 1995, l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine mais en la scindant en deux entités confédérées. De 2011 à 2015, vis-à-vis de ce pays, l’Union européenne et la France ont défendu une approche fondée sur deux points : la mise en œuvre d’un arrêt de la Cour européenne de droits de l’homme (CEDH) qui nécessite une redéfinition du schéma institutionnel, particulièrement complexe ; l’acceptation pleine et entière des conséquences de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne en termes de contingentements tarifaires. Cette stratégie ayant échoué, il a été décidé de réorienter l’action diplomatique en mettant l’accent sur les réformes économiques et sociales : les leaders des trois communautés bosniennes ont été poussés à s’engager à mettre en place les réformes nécessaires pour dégripper le système ; en contrepartie, l’Union européenne a accepté l’entrée en vigueur d’un Accord de stabilisation et d’association (ASA), avec des préférences commerciales unilatérales bénéfiques à l’économie du pays, entré en vigueur au 1er juin.

Le nouveau Gouvernement du Kosovo, installé le 9 décembre 2014, est confronté à trois enjeux. Premièrement, la signature d’un ASA est rendue difficile par le refus de reconnaître le Kosovo de la part de cinq États membres de l’Union européenne, surtout l’Espagne. Deuxièmement, le Kosovo est le seul pays des Balkans occidentaux à ne pas avoir signé avec l’Union européenne, dès 2010, d’accord relatif à la libéralisation des visas, puisqu’il ne remplissait pas – et ne remplit toujours pas – les critères requis. Troisièmement, l’Union européenne a préconisé la création d’une juridiction ad hoc afin de poursuivre les personnes mises en cause dans des trafics d’organes durant le conflit de 1999, ce qui impose d’amender la Constitution. Or le parlement kosovar, il y a deux semaines, s’y est opposé ; cela ne contribuera pas à désamorcer les tensions avec la Serbie.

Jeunes démocraties, les pays des Balkans occidentaux étaient tous des économies administrées il y a encore vingt-cinq ans. Ils sont aujourd’hui confrontés aux mêmes problématiques de développement économique et social, de mauvaise administration, de corruption, de faible transparence du système judiciaire, de puissance des réseaux mafieux et de difficultés à accepter les règles du jeu démocratique et à intégrer le corpus européen de respect des droits fondamentaux, notamment en faveur des minorités ethniques ou sexuelles. Ils doivent en outre combattre les démons du nationalisme et du repli sur soi. De ce point de vue, les facteurs potentiellement déstabilisateurs restent préoccupants.

Les Balkans occidentaux constituent aussi une zone extrêmement sensible en ce qui concerne le dossier des migrations. L’hiver 2014-2015 a ainsi été marqué par une vague d’immigration de réfugiés transitant en direction de l’Union européenne par la Turquie puis l’ARYM et la Serbie. Pour être efficaces, les réponses coordonnées en cours de construction au sein de l’Union européenne doivent impérativement s’accompagner d’une réflexion commune avec tous nos partenaires des Balkans – y compris la Turquie, d’ailleurs –, toujours dans un esprit de responsabilité et de solidarité. Un autre enjeu fondamental est celui des réseaux d’infrastructures lourdes et de connectivité : voies routières et fluviales, transports des ressources énergétiques, télécommunications et Internet.

Outre les recommandations formelles de la Commission européenne en faveur d’un approfondissement de la coopération régionale, inlassablement répétées dans les documents d’avancement annuels, il existe deux processus informels partageant cette ambition : le processus de Brdo, suscité par la Slovénie, la Croatie et la France, et le processus de Berlin, à l’initiative de l’Allemagne. Sans doute conviendrait-il de réunifier ces processus, dont les objectifs convergent, autour des thématiques suivantes : infrastructures régionales de transports et d’énergie ; règlement des conflits bilatéraux ; consolidation de l’État de droit ; échanges entre jeunes, par exemple à travers la création d’une structure balkanique inspirée de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ). Tous deux ont en tout cas le mérite d’associer l’ensemble des pays de la région et de contribuer à l’émergence d’une culture politico-administrative de travail en commun, dans une logique d’intégration européenne. Comment ne pas y voir une réminiscence du groupe de Visegrád, constitué par la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie en 1991 pour porter leur projet commun d’adhésion à l’Union européenne ?

M. Jacques Myard. Le lancinant problème des Balkans revient dans l’actualité. Il faut regarder la réalité en face : l’Union européenne est victime de son succès et de l’élargissement continu ; la quantité va générer un problème qualitatif. Cette question interpelle l’intégrisme européen. Le Président Giscard d’Estaing m’a dit un jour qu’il fallait adapter les règles de l’Union européenne à la diversité du continent. Avec cette future vague d’adhésions, la nature même de l’Europe sera en jeu. Puisque l’Europe s’élargit, elle doit s’amaigrir : elle ne pourra pas être gérée à trente-quatre comme elle l’était du temps où elle ne réunissait que des pays culturellement très proches et aux économies équivalentes. À force de charger la barque, on va faire couler le navire. Pour que le système fonctionne, Bruxelles doit se contenter de traiter ce qui relève de la coordination économique. La crise durera longtemps et risque de se trouver accélérée par ces adhésions futures. Et nous en parlons alors que des pays comme l’Allemagne appellent à la sortie de la Grèce de la zone euro – issue à mon sens incontournable.

J’ajoute que l’un de ces six États est beaucoup plus proche de nos intérêts et de nos conceptions que les autres : la Serbie, qui fut un allié fidèle de la France dans les années tragiques. Même s’il avait sa part de responsabilité, la charge effectuée contre ce pays il y a quelques années fut excessive. Il faudrait peut-être lui réserver un sort particulier, même si cela créerait des tensions supplémentaires dans la région.

M. Joaquim Pueyo. La demande d’adhésion des pays des Balkans occidentaux n’a rien à voir avec le problème de la Grèce, puisque seule son appartenance à la zone euro est en cause.

Il faudra un jour intégrer ces pays à l’Union européenne – mais en se montrant exigeants quant aux critères d’adhésion – car cela fait sens. Sur le plan géographique, d’abord, il suffit de regarder une carte pour constater qu’ils constituent une enclave dans l’Union européenne.

La Serbie, notamment, est un grand pays très attaché à la France. Le gouvernement serbe est en outre pro-européen. Prenons garde car la stratégie de la Russie est justement de tout faire pour que la Serbie n’entre pas dans l’Union européenne – le Président Poutine s’est rendu à Belgrade l’an dernier pour retisser des liens. L’objectif à atteindre, à terme, est l’intégration de la Serbie et de ses voisins, afin de régler du même coup le problème bilatéral avec le Kosovo.

M. Didier Quentin. Jacques Myard propose un exercice physique assez difficile sans passer par une opération chirurgicale…

Qui trop embrasse mal étreint. À l’heure où nous connaissons tant de problèmes, cette nouvelle fuite en avant semble assez étrange, à moins que l’idée d’une Europe à géométrie variable refasse surface. Mais n’oublions effectivement pas la vieille amitié qui nous lie à la Serbie. En plein Belgrade trône un beau monument sur lequel il est inscrit en français : « Nous aimons la France comme elle nous a aimés. »

M. Jean-Louis Roumegas. Le problème n’est plus de résoudre la contradiction entre l’élargissement, qui s’est sûrement déroulé trop vite, sans préparer les peuples, et l’approfondissement de la construction européenne. La problématique actuelle tient plutôt à la cohérence et au calendrier.

Les Balkans occidentaux ne doivent pas demeurer une enclave extérieure à l’Union, au sein même de l’Union européenne ; il n’y a pas de débat à ce propos, ni sur le plan géographique ni sur le plan culturel et encore moins sur le plan stratégique.

Quant au calendrier, soyons très clairs : la perspective d’adhésion est là mais, pour respecter les critères requis, il faut fixer un calendrier, pas trop lointain mais suffisamment, afin que l’Union européenne soit crédible. Peut-être conviendrait-il d’être un peu plus précis à propos des étapes à suivre.

M. Philip Cordery. Une bonne partie des Balkans – la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie et la Croatie – fait déjà partie de l’Union européenne. Chacun comprend ce qui est en jeu dans nombre de prises de position : on accepterait les pays à majorité catholique et on laisserait les autres en dehors, à commencer par le Kosovo, la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie, à majorité musulmane.

L’objectif de l’Union européenne est d’accueillir tous les pays européens qui le souhaitent ; le projet européen consiste à unifier l’ensemble du continent. Il existe des critères précis préalables à l’adhésion, qu’il convient de respecter, notamment les critères de Copenhague relatif à l’État de droit et à la démocratie – le rapport de la Présidente l’explique très bien. N’ajoutons pas d’autres critères pernicieux.

En outre, nous devons accueillir tous les pays européens mais aussi prendre des initiatives pour approfondir les politiques européennes, notamment au sein de la zone euro, en s’appuyant sur une avant-garde d’États membres ; les pays baltes auraient toute leur place dans une fédération plus large ; ce n’est pas contradictoire, souvenons-nous de ce que disait François Mitterrand à propos des « cercles concentriques ».

M. Jacques Myard. Le problème n’est nullement d’ordre religieux. Il est que l’Union européenne veut se mêler de tout, que beaucoup trop de compétences sont concentrées à Bruxelles. Seul le recours au principe de subsidiarité peut nous sauver de cette construction kelsenienne : il faut revenir à un système communautaire de coopération entre les peuples. La dérive consistant à empiler les compétences plus les États nous conduit à l’échec.

La Présidente Danielle Auroi. D’un point de vue purement géographique, l’Europe n’est pas un continent mais une partie de l’Eurasie ; la construction européenne ne procède donc que d’une volonté politique.

Je répète que Jean-Claude Juncker a rejeté l’idée de toute nouvelle adhésion avant cinq ans. Nous nous situons donc dans une perspective de moyen terme. On sait d’ailleurs que, à partir du début de négociations, il faut huit à dix ans avant que le pays entre dans l’Union européenne. Huit ans ont effectivement été nécessaires pour la Croatie.

Les Balkans occidentaux comportent deux pays plus grands que les autres : la Croatie, proche de l’Allemagne, et la Serbie, proche de la France. Lors de notre déplacement à Belgrade, toutes nuances politiques confondues, il nous a fallu débattre étroitement avec nos collègues du Bundestag pour que la candidature de la Serbie soit acceptée. Nous avons obtenu un équilibre puisque la Serbie a pu candidater au même titre que ses voisins et progresse, même si cela se fait à un rythme moins rapide qu’au Monténégro. Tout cela a du sens et les plus petits pays, où la situation est compliquée, bénéficieront d’un effet d’entraînement au fur et à mesure des avancées.

La subsidiarité, pourquoi pas mais elle doit fonctionner dans les deux sens. Le regroupement européen a du sens : nous voyons combien, par exemple, l’absence de logique européenne en matière d’affaires étrangères et de politique de défense constitue un handicap pour la France. Être efficace collectivement supposerait dans beaucoup de domaines plus d’Europe et pas moins d’Europe.

À travers cet état des lieux sur les Balkans, il s’agit de souligner que notre commission reste favorable à l’entrée dans l’Union européenne, à moyen ou plus long terme, de tous les pays des Balkans, en fonction de leur marche propre.

Enfin, je vous informe que le bureau de la commission des Affaires européennes devrait se déplacer, début 2016, dans au moins deux pays des Balkans occidentaux, afin de vous informer de la situation et de susciter une confrontation des points de vue.

II. Examen des conclusions proposées par MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin, sur la refonte du code des visas et la création d’un visa d’itinérance au sein de l’Union européenne 

Didier Quentin, co-rapporteur. Madame la Présidente, mes chers collègues, nous vous proposons d’examiner les conclusions relatives à deux propositions de règlement que nous avons examinées précédemment, l’une tendant à la création du visa d’itinérance, et l’autre relative à la refonte des code des visas de l’Union. Il est proposé de prendre les positions suivantes :

-estimer, s’agissant de la création d’un nouveau type de visa, dit visa d’itinérance, valable un an sur l’ensemble du territoire de l’espace Schengen et renouvelable un an, que, si un tel visa d’itinérance devait être créé, il conviendrait alors de cibler le dispositif sur les catégories de demandeurs pour lesquelles un réel besoin aura été identifié ;

- juger que les modalités de contrôle proposées devraient alors être complétées, notamment par des vérifications spécifiques relatives au respect des durées de séjour dans chaque État membre ;

- rejeter en conséquence la proposition de règlement précitée, portant création d’un visa d’itinérance ;

- approuver la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil précitée, relative à la refonte du code des visas de l’Union, dont de nombreuses dispositions vont dans le sens d’une meilleure harmonisation et d’une simplification des procédures de demande de visa de court séjour;

- estimer que la suppression de l’obligation, pour le demandeur d’un visa de court séjour, d’être titulaire d’une assurance médicale de voyage est inopportune ;

- souligner que les États membres devraient pouvoir continuer à requérir un accord de représentation, avant qu’un demandeur ne puisse introduire une demande de visa auprès d’un autre État membre que celui de destination, dans l’hypothèse où un État membre n’est pas présent dans un État tiers ;

- indiquer que notre commission n’est pas favorable à l’institution de la procédure automatique de délivrance de visa à entrées multiples proposée et émet des doutes sur l’absence de pouvoir d’appréciation des autorités compétentes des États membres qui en découle ;

- juger qu’il n’est pas souhaitable de créer une nouvelle possibilité de délivrance, à la frontière, de visas valables quinze jours sur le territoire de l’État membre de délivrance.

M. Jacques Myard. Ce nouveau visa d’itinérance permettra certainement toutes les fraudes et sera impossible à contrôler, sur ce point vous avez raison. S’agissant de la refonte du code des visas de l’Union, pourquoi pas mais je répète que nous avons un problème majeur de surveillance de nos frontières et que davantage de contrôles sont préférables à l’absence de contrôles. La liberté de circulation ne justifie pas l’absence de contrôles et le système Schengen commence à être épuisé.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie. Je pense je vais m’abstenir sur ce projet de conclusions notamment du fait qu’elles proposent de rejeter la proposition de règlement portant création du visa d’itinérance. Certaines mesures vont dans le bon sens, notamment s’agissant de la circulation plus souple des intermittents du spectacle. Ils ne sont tout de même pas des envahisseurs. La circulation encadrée des artistes du spectacle vivant dans le cadre du visa d’itinérance comme vous le proposez a du sens mais rejeter la proposition de règlement est aller trop loin. Les conclusions me paraissent trop restrictives. La circulation des personnes est un atout et pas un danger, hors nous traitons cela comme un danger. Il me semble excessif de rejeter la proposition de ce visa d’itinérance, à moins que l’on n’estime que la culture ne doit pas circuler et que l’on ne doit pas échanger aux plans culturel et artistique alors précisément que ces deux domaines créent du lien entre les peuples.

M. Jacques Myard. Il n’est à mon sens pas question de bloquer la culture et les échanges culturels mais bien des contrôles possibles. Tel que je le comprends, ce visa d’itinérance sera très difficile à contrôler et il faut bien prendre en compte la réalité. Il faut s’assurer que les groupes qui viennent partent ensuite.

M. Philippe Cordery. Je pense qu’il ne faut pas rejeter cette proposition de visa d’itinérance. L’autre paragraphe qui me gêne est celui relatif à la suppression de l’assurance médicale de voyage obligatoire pour les demandeurs de visa de court séjour dit visa Schengen. Nous ne gagnons pas à créer des obligations de papiers supplémentaires. Je voterai donc contre la proposition de conclusions, pour ces deux raisons, si elle devait demeurer en l’état.

M. Jean-Louis Roumegas. Je suis favorable par principe au visa à entrées multiples et les visas trop compliqués sont un obstacle. Les gens peuvent être amenés à choisir l’illégalité du fait de démarches trop contraignantes, et nous n’avons pas nécessairement les moyens de lutter contre l’illégalité. Hors les conclusions sous-entendent à mon sens une certaine méfiance à l’égard des visas à entrées multiples. Je ne pense pas que ce soit en bloquant les demandeurs qui font les démarches officielles par des contraintes supplémentaires que nous avancerons. Par ailleurs, laisser le dernier mot aux États s’agissant de ces visas est contradictoire avec l’idée, que je soutiens, que l’Union doit mieux gérer les questions migratoires. Nous devons progresser vers une politique de l’immigration à la fois généreuse et responsable. Je m’abstiendrai sur ce texte.

La Présidente Danielle Auroi. Peut-être la proposition de conclusions pourrait-elle être retravaillée.

M. Didier Quentin, co-rapporteur. Je vous propose effectivement que nous continuions à travailler sur notre proposition, s’agissant de l’opposition à la création du visa d’itinérance, de la suppression de la condition tenant à l’assurance médicale de voyage et du caractère automatique de la délivrance des visas à entrées multiples.

M. Jacques Myard. S’agissant des visas à entrées multiples, ils constituent, c’est vrai, une bonne opération, notamment pour les chefs d’entreprise. En revanche, je suis opposé à ce que l’on supprime la condition tenant à l’assurance médicale de voyage. La question de l’aide médicale d’État doit également être posée.

M. Didier Quentin. Cette objection est parfaitement fondée.

M. Philippe Cordery. Je pense qu’il est également nécessaire d’échanger avec la rapporteure sur les questions d’affaires intérieures du groupe socialiste, Mme Marietta Karamanli.

III. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur la consultation relative au bilan des directives « Oiseaux » et « Habitats », ouverte par la Commission européenne 

La Présidente Danielle Auroi, rapporteure. La Commission européenne a ouvert une consultation publique relative à la législation communautaire en vigueur dans le domaine de la conservation de la nature, qui court jusqu’au 24 juillet. Il s’agit de recueillir l’avis des parties prenantes à propos du bien-fondé du contenu et de l’efficacité de la mise en œuvre des directives « Habitats » et « Oiseaux » : ce cadre réglementaire est-il proportionné et adapté à sa finalité ? atteint-il les résultats escomptés ?

Conformément à un usage désormais bien établi, particulièrement dans le champ environnemental, la commission des Affaires européennes a décidé de participer à la consultation publique.

Adoptée en 1979 et révisée à plusieurs reprises depuis lors, la directive « Oiseaux » vise à protéger tous les oiseaux sauvages ainsi que leurs habitats les plus importants dans l’ensemble de l’Union européenne. Adoptée en 1992, la directive « Habitats » introduit des mesures similaires pour environ 230 types d’habitats rares ou menacés et 1 000 espèces d’animaux et de plantes sauvages, reconnues « d’intérêt communautaire ». Tous uniques et irremplaçables, les espèces et les sites concernés par ces deux directives méritent d’être protégés pour leur valeur intrinsèque. Mais la nature est aussi importante pour l’humanité, à travers les services écosystémiques qu’elle lui rend, à l’origine de 40 % de l’économie mondiale.

Ces deux directives enjoignent aux États membres de l’Union européenne d’instaurer un système de protection stricte de toutes les espèces d’oiseaux sauvages et d’autres espèces menacées et de désigner des zones spéciales de conservation (ZSC) au titre de la directive « Habitats » et des zones de protection spéciales (ZPS) au titre de la directive « Oiseaux ».

Ces deux catégories de sites constituent le réseau européen Natura 2000, qui couvre 18 % du territoire et plus de 4 % des eaux territoriales de l’Union européenne, à travers quelque 27 000 aires protégées, présentant une valeur irremplaçable pour la biodiversité. Ce système a donné naissance à un maillage d’une densité vraiment unique dans le monde.

Les sites Natura 2000 sont sélectionnés selon des critères exclusivement scientifiques. Chaque État membre décide ensuite des mesures de protection appropriées en fonction des besoins des espèces et des habitats, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales.

En France, un peu plus de 1 700 sites Natura 2000 terrestres ont été désignés, pour une fraction d’environ 12,6 % de la superficie nationale, ainsi qu’un peu plus de 200 sites en mer. Notre pays est sans doute l’État où le plus de personnes connaissent le réseau Natura 2000. Alors que certains acteurs s’inquiétaient des directives « Oiseaux » et « Habitats », eu égard aux risques de contraintes supplémentaires qu’elles comportaient, la démarche Natura 2000 s’avère opérationnelle, mobilisatrice et efficace.

La protection des oiseaux, singulièrement des oiseaux d’eau, a nettement progressé. Les programmes mis en œuvre ont par exemple permis de réintroduire ou de conforter des rapaces totalement ou pratiquement disparus du ciel de France, tels le gypaète, le vautour moine, le vautour percnoptère ou encore le faucon crécerellette. Quant aux mesures agro-environnementales, qui absorbent la part principale des moyens budgétaires consacrés à la gestion des sites Natura 2000, elles ont permis de sauvegarder les habitats, même si leur efficacité pourrait encore être accrue pour restaurer aussi les habitats dégradés.

Quoique couvrant moins de 5 % des terres émergées de la planète, l’Europe abrite une faune et une flore très diversifiées, dont une bonne partie ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde, ce qui lui confère une valeur incommensurable. Si des progrès significatifs en faveur de la protection de la biodiversité européenne ont été accomplis depuis vingt ans, la tâche reste immense pour enrayer son recul car le rythme d’extinction des espèces s’avère élevé, sous l’effet de plusieurs facteurs.

Les directives « Nature » ont joué un rôle déterminant dans le rétablissement de plusieurs espèces emblématiques européennes comme le butor étoilé, le loup gris ou le lynx ibérique. Un grand nombre des sites protégés sont célèbres dans le monde entier.

Toutefois, avec l’essor des réseaux d’infrastructures, l’artificialisation des sols se poursuit, souvent au détriment des espaces naturels et agricoles. Nous peinons encore à freiner la consommation d’espace et commençons tout juste à nous investir dans les trames verte et bleue. La question des pratiques agricoles – en particulier de l’abus de produits phytosanitaires dangereux – est tout aussi préoccupante. Les contraintes, à commencer par les mesures agro-environnementales, peuvent pourtant constituer une chance. Outre la pollution et le braconnage, d’autres menaces, identifiées plus récemment, pèsent aussi sur la biodiversité : la propagation d’espèces envahissantes au détriment de la flore et de la faune indigènes, mais également le changement climatique, devenu une préoccupation majeure y compris au regard de la biodiversité.

Face à ce constat, la législation européenne sur la nature est un atout pour les États et les citoyens. Après la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique de Nagoya d’octobre 2010, l’Union européenne s’est fixé un objectif ambitieux : enrayer le recul de la biodiversité d’ici à 2020. Cette ambition est déclinée dans la stratégie de l’Union européenne pour la biodiversité. Mais nous en sommes encore loin.

Cette initiative de consultation publique intervient dans un contexte encore relativement incertain en ce qui concerne les intentions de la Commission Juncker vis-à-vis de la politique européenne de l’environnement. Rappelons en effet que les paquets « Qualité de l’air » et « Économie circulaire » élaborés par la précédente Commission européenne ont été remis en cause en vertu du sacro-saint « mieux légiférer », concept qui peut signifier le meilleur comme le pire.

À la suite de multiples initiatives prises par des organisations non gouvernementales, des autorités gouvernementales nationales et des parlementaires – dont la ministre de l’écologie et moi-même –, la Commission européenne semble avoir rectifié certaines de ses intentions. Il n’en demeure pas moins que l’établissement d’un rapport de force politique s’avère toujours aussi nécessaire pour défendre l’acquis communautaire en matière environnementale, en particulier en ce qui concerne la défense de la biodiversité. D’autant que certains lobbies économiques, soutenus par des gouvernements nationaux partisans de la dérégulation, ne baissent pas les bras.

Au cours de la présente législature, notre commission a produit de nombreux travaux portant totalement ou partiellement sur cette thématique, à laquelle elle est particulièrement sensible. Dans la droite ligne des conclusions adoptées à l’issue de ces travaux, nous devons réaffirmer que les directives « Nature » ne doivent pas être remises en cause ou affaiblies et même appeler à la consolidation de ce cadre réglementaire, afin que l’Union européenne se donne réellement les moyens d’atteindre les objectifs fixés dans sa stratégie. Celle-ci n’est en effet toujours pas parvenue à inverser le déclin de la biodiversité et de nombreux animaux et plantes sont plus que jamais menacés d’extinction en Europe.

Grâce aux directives « Oiseaux » et « Habitats », des règles identiques s’appliquent à tous les États membres de l’Union européenne. De ce fait, le niveau d’exigence en matière de biodiversité est le même pour tous les opérateurs économiques : un projet d’aménagement, quel qu’il soit, est soumis aux mêmes exigences partout. Il ne faudrait pas revenir en arrière, au risque d’introduire, au motif contestable que la souplesse est nécessaire à l’économie, de graves distorsions entre les pays dans les niveaux d’exigence posés.

Perdre notre ambition régulatrice sur ce dossier ne reviendrait-il pas à porter un coup supplémentaire à l’Union européenne, alors que la politique européenne de la biodiversité est sans doute l’une de celles qui emportent l’adhésion la plus marquée des citoyens européens ?

Cette position semble partagée par les quatre catégories de parties prenantes françaises sollicitées par la Commission européenne préalablement à l’élaboration du questionnaire de la consultation publique : le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ; l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) ; l’Office national des forêts (ONF) ; un groupe d’ONG environnementales.

Au plan européen, notons que plus de 280 000 citoyens se sont déjà ralliés à l’action en ligne « Alerte nature » lancée par BirdLife International, le Bureau européen de l’environnement (BEE), Friends of the Earth Europe, le World Wild Fund (WWF) pour peser dans la consultation publique.

Dans cet esprit, je vous suggère que, dans des conclusions, nous prenions acte de cette consultation publique, que nous rappelions notre attachement à une politique de préservation et de restauration de la biodiversité européenne, que nous appelions par conséquent l’Union européenne à réaffirmer l’importance des directives « Oiseaux » et « Habitats », que nous opposions catégoriquement à toute remise en cause ou affaiblissement de ces textes et que nous préconisions le renforcement de leur application, à travers trois mesures.

Premièrement, il est incompréhensible que les deux directives « Nature » ne s’appliquent pas aux départements et territoires d’outre-mer français – littoral et forêt guyanais, îles de l’océan Indien, du Pacifique, des Caraïbes et de l’Antarctique –, où sont concentrés 80 % de la biodiversité de notre pays et 10 % des récifs coralliens de la planète. Il importe que les dispositions de ces textes soient étendues à la totalité des régions ultrapériphériques (RUP), réservoirs extraordinaires de faune et de flore sauvages.

Deuxièmement, contrairement à ce qui se passe dans d’autres États membres, presque tous les dossiers de demande de subvention au titre de LIFE, en France, sont montés par des associations de protection de la nature ou, plus rarement, par des parcs régionaux. Il conviendrait que la Commission européenne incite les collectivités régionales à prendre leurs responsabilités et à s’impliquer dans cette démarche – par exemple en dressant un palmarès des acteurs les plus actifs dans l’action en faveur de la biodiversité –, ce qui faciliterait le bouclage des projets, en leur conférant une meilleure solidité financière.

Troisièmement, il apparaît que l’action des pouvoirs publics nationaux contre le braconnage des oiseaux pourrait être plus efficace : la Commission européenne se contente de prendre connaissance du nombre de kilomètres effectués par les services de police ou de gendarmerie pour rechercher des contrevenants, même si le nombre de procès-verbaux dressés est très faible, alors que les lieux de braconnage sont connus. La Commission européenne devrait émettre des recommandations en direction des États membres pour que ceux-ci améliorent leurs performances en matière de répression de cette pratique, délétère pour les espèces en danger.

M. Jacques Myard. L’objectif des directives et de votre texte est parfaitement louable : nous sommes bien d’accord, il y a des sites à protéger pour éviter qu’ils soient massacrés. Cela étant, en tant qu’élu local, il me revient de toute part des absurdités quant à l’application de ces textes et à l’impossibilité de mener à bien un projet du fait de la présence d’une plante ou d’un crapaud. Clemenceau évoquait le fait qu’il fallait s’appuyer sur les principes jusqu’à ce qu’ils cassent : il me semble que vous êtes trop dogmatique dans cette affaire, et qu’une certaine souplesse permettrait d’atteindre mieux les objectifs, louables, de ces directives. Si la Commission a ouvert une enquête, c’est parce qu’il y a un problème qu’il ne faut pas nier, ce que vous ne faites pas dans votre communication.

Mme Danielle Auroi, présidente. Monsieur Myard, je voudrais juste vous poser une question : que se passerait-il si au lieu d’un crapaud buflle, il y avait une cathédrale sur le tracé d’une autoroute ? Détruirait-on la cathédrale ?

M. Jacques Myard. Précisément, il est arrivé de déplacer des monuments, à Paris notamment, pour tracer des routes. Il ne s’agit pas de raser des cathédrales ou de raser des buffles ! Il s’agit de prendre des mesures qui permettent de concilier à la fois le développement économique dans une région et la biodiversité. Cette remarque me conforte dans l’idée que votre approche de la question est dogmatique.

M. Didier Quentin. Je suis confronté au même type de problème dans ma circonscription. Nous avons tous des exemples concrets : par exemple, j’ai le même type de problème avec un espace Natura 2000 de 350 mètres carrés où sont présents le cuivré des marais et l’asperge prostrée, ce qui bloque un projet d’amélioration de sortie dans une zone artisanale. Je suis en train de proposer un échange avec un espace où les mêmes espèces sont présentes et j’ai bon espoir d’aboutir. Je partage le point de vue de M. Myard : bien qu’en accord avec les objectifs des directives, il faut nécessairement une souplesse d’application. Par ailleurs, je trouve la comparaison avec la cathédrale un peu osée.

M. Jean-Louis Roumegas. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de préserver, et, évidemment, il faut se montrer intelligent dans l’application. N’oublions pas toutefois que cette consultation publique a lieu car les acteurs économiques font pression et se plaignent : il ne faut pas s’en étonner et il convient de demeurer vigilant. Tous les exemples et contre-exemples peuvent être utilisés dans tous les sens, mais tout le monde devrait être d’accord sur le fait que la protection de l’environnement est un acquis important de l’Union européenne et que cet acquis doit être préservé, surtout à l’heure des négociations sur le TTIP. Il ne faudrait pas que le libre-échangisme nous conduise à revoir cette protection à la baisse.

Mme Danielle Auroi. Il existe des systèmes de compensation et le protocole de Nagoya a organisé les équilibres. La seule chose vraiment nouvelle et importante par rapport à un existant qui fonctionne plutôt bien dans notre proposition est d’insister sur la diversité dans les territoires ultra-marins. Le reste est déjà inclus dans les textes précédents. Je mets au voix la proposition.

La proposition est adoptée.

IV. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur la proposition d’initiative législative (« carton vert ») de la Chambre des Lords relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire

La présidente Danielle Auroi. Le contrôle de subsidiarité que les Parlements nationaux exercent sur les actes législatifs européens est aujourd’hui une prérogative importante introduite par le Traité de Lisbonne. Toutefois, ils ne peuvent, à ce titre, que dire « non » , en envoyant des « cartons » « rouges » ou « jaunes » à la Commission européenne.

C’est pourquoi, à l’initiative du Parlement néerlandais, l’idée a été lancée de créer un «  carton vert » qui permettrait aux parlement nationaux de proposer des amendements aux projets européens, voire de nouveaux projets. Cette idée a été reprise par le Folketing danois puis par la Chambre des Lords.

Cette capacité d’initiative est tout à fait dans la ligne de notre commission, qui s’est toujours efforcée d’agir comme une force de propositions positive – tant vis-à-vis du Gouvernement que des institutions européennes – plutôt que de privilégier une capacité de blocage.

Une réunion interparlementaire informelle a été organisée à propos de cette idée de « carton vert » le 19 janvier 2015 par la Chambre des Lords et la Tweede Kamer néerlandaise. Notre collègue Philip Cordery s’est rendu au nom de notre commission à cette réunion, au cours de laquelle il a plaidé pour que soit engagée une démarche d’inspiration politique, sans modification des traités.

Dans la continuité de cette réunion, la Chambre des Lords a présenté une note de méthode proposant une définition plus précise de cette procédure, en soulignant qu’elle ne devrait pas avoir pour effet de remettre en cause le droit d’initiative de la Commission européenne, ni les prérogatives du Parlement européen. Elle ne viserait pas non plus à remplacer les procédures existantes – dialogue politique, subsidiarité. En pratique, le « carton vert » devrait formuler une proposition de législation nouvelle, mais également proposer de supprimer ou d’amender une législation existante, y compris un acte délégué. La proposition devra être assez détaillée pour permettre à la Commission d’y apporter une véritable réponse.

Cette proposition de méthode ne pose pas de difficulté particulière. Il importe, en tout état de cause, de ne pas formaliser à l’excès cette démarche en termes par exemple de délais.

C’est dans ce cadre que la Chambre des Lords a diffusé, 12 juin dernier, une proposition de « carton vert », sur le gaspillage alimentaire, à laquelle je vous propose de nous associer.

La lutte contre le gaspillage alimentaire constitue en effet l’une des réponses incontournables à une question essentielle pour notre avenir commun : le défi alimentaire. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards sur Terre et serons près de 9 milliards en 2050. Selon certains chercheurs, il sera alors nécessaire, à modèle constant, de produire 70 % de nourriture en plus alors que les terres fertiles s’épuisent et se réduisent sous l’effet du changement climatique, de la pollution et de l’urbanisation. Par conséquent, il n’y a pas de plan B à la lutte contre le gaspillage alimentaire, car nous n’avons pas de planète B, comme l’a récemment affirmé le Secrétaire général de l’ONU...

Or, la FAO estime que nous gaspillons entre 30 et 50 % de la nourriture qui est produite, soit 1,3 milliards de tonnes. En Europe (UE27), selon les chiffres de la Commission européenne, le gaspillage représente 89 millions de tonnes par an et atteindra 126 millions de tonnes en 2020 si rien n’est fait.

A la perte économique que représentent ces gaspillages, il faut ajouter le coût des dommages environnementaux qu’ils entraînent. Ainsi, les 89 millions de tonnes de nourriture gaspillée dans l’UE produisent 170 millions de tonnes d’équivalent CO2, tout en impliquant l'utilisation de ressources en eau supplémentaires pour l'irrigation.

Enfin, il convient de souligner l’indécence, au niveau mondial mais également en Europe, de la coexistence entre ces gaspillages alimentaires et la détresse alimentaire de ces millions d’êtres humains. Dans l’Union européenne, 79 millions de personnes vivent encore sous le seuil de pauvreté et 16 millions d’entre elles ont reçu de l’aide alimentaire de la part d’organismes de solidarité.

Lutter contre le gaspillage alimentaire est une obligation à la fois morale, financière et environnementale. La France le sait. Dès juin 2013, elle a lancé le pacte national contre le gaspillage alimentaire dont l’objectif est de réduire de moitié le gaspillage alimentaire en France d’ici à 2025. De plus, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a été modifié afin de prendre en compte la lutte contre le gaspillage alimentaire, conformément aux recommandations du rapport présenté en avril 2015 par notre collègue Guillaume Garot sur le gaspillage alimentaire. C’est ainsi que les moyennes et grandes surfaces non seulement ne pourront plus jeter de l’eau de javel sur leurs invendus alimentaires mais elles auront désormais l’obligation de contracter avec des associations en vue de les redistribuer à ceux qui en ont besoin.

L’Union européenne s’est également saisie du problème. À la suite de la résolution du Parlement européen du 19 janvier 2012, la Commission européenne a présenté, le 2 juillet 2014, un « paquet » relatif à l’économie circulaire visant, entre autres objectifs, à réduire de 30 % le gaspillage alimentaire d’ici à 2025. Elle l’a retiré en janvier 2015, tout en annonçant une nouvelle initiative pour la fin de l’année.

C’est dans cette perspective que s’inscrit le « carton vert » des Lords. Ils proposent que les Parlements nationaux appellent la Commission européenne à adopter une stratégie de lutte contre le gaspillage alimentaire s’appuyant sur les cinq axes suivants :

– l’établissement de lignes directrices européennes encadrant les dons et la redistribution de nourriture par les États-membres, les entreprises et les associations afin de s’assurer, notamment, qu’ils s’effectuent conformément aux règles en matière d’hygiène et d’étiquetage ;

– l’institution d’un mécanisme européen de coordination afin de partager des bonnes pratiques des États-membres en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire et promouvoir les meilleures d’entre elles ;

– le contrôle par la Commission de la chaine alimentaire européenne dans le double objectif, d’une part, d’éviter que les dons et redistribution de nourriture ne donnent lieu à des pratiques déloyales aboutissant à de nouveaux gaspillages alimentaires et, d’autre part, d’encourager la coopération entre les différents acteurs de ladite chaîne afin de les réduire ;

– la publication par la Commission européenne de recommandations concernant la définition du gaspillage alimentaire et la collecte de données ;

– l’établissement d’un groupe de travail au sein de la Commission pour évaluer la prise en compte du gaspillage alimentaire dans la définition des politiques européennes.

L’initiative de la Chambre des Lords va dans le sens d’une Union européenne plus solidaire et plus respectueuse de l’environnement, par une utilisation raisonnée de ses ressources. Pour ma part, je suis favorable à cette démarche d’autant qu’elle rejoint la volonté, exprimée par l’Assemblée nationale dans la résolution européenne du 25 juin dernier, d’un renforcement des règles relatives à la responsabilité sociétale des entreprises.

Néanmoins, je vous propose de faire part à ce propos à nos interlocuteurs britanniques de deux points importants qui me semblent devoir être mentionnés à ce sujet, ce que ne fait pas le texte proposé à ce stade :

– d’une part, la nécessité de prendre en compte l’action du FEAD (Fonds européen d’aide aux plus démunis). Nous allons d’ailleurs à ce propos désigner notre collègue Chantal Guittet, pour faire un point sur la mise en œuvre de ce fond ;

– d’autre part l’importance d’une approche intégrée de l’ensemble de la filière concernée par le gaspillage alimentaire, de l’approvisionnement jusqu’à la distribution.

S’agissant par ailleurs de la vigilance sociétale, conformément à la résolution européenne adoptée par notre assemblée, je vous informe que je vais prochainement proposer aux commissions des affaires européennes des autres parlements nationaux un « carton vert » demandant à ce que Commission présente dans les meilleurs délais une initiative européenne en matière de RSE.

Cette démarche sera engagée à la rentrée de septembre, à travers, dans un premier temps, des contacts préliminaires avec des parlements particulièrement attachés à cette question de la responsabilité sociétale des entreprises.

M. Jacques Myard. Je me félicite que la Chambre des Lords ait pris cette initiative contre le gaspillage alimentaire. Toutefois, il m’apparaît important de s’en tenir à des lignes directrices sans aller jusqu’à des mesures contraignantes comme une directive.

Par ailleurs, une question n’est pas traitée dans leur « carton vert », celle des dates limites de consommation. Je suis pour ma part favorable à une distinction entre une date conseillée et une date interdite pour la consommation des produits alimentaires car ce sont ces dates qui, parce qu’elles sont trop restrictives, sont à l’origine du gaspillage alimentaire.

M. Didier Quentin. C’est en effet une suggestion intéressante que de « grader » les dates limite de consommation. Elle mériterait d’être prise en compte dans le « carton vert ».

La présidente Danielle Auroi. Le « carton  vert » ne propose que des mesures non-contraignantes mais effectivement rien sur les dates limites de consommation. Je partage donc votre souhait de voir cette question prise en compte dans ce « carton vert » et le ferais savoir à la Chambre des Lords. Celui-ci devrait en outre adopter une approche plus large de la lutte contre le gaspillage alimentaire, tout au long de la filière, depuis la production jusqu’à la consommation.

La séance est levée à 16 h 26

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Philip Cordery, M. Jacques Myard, M. Joaquim Pueyo, M. Didier Quentin, M. Jean-Louis Roumegas

Excusés. - Mme Chantal Guittet, M. Lionnel Luca, M. Arnaud Richard