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Commission des affaires européennes

mercredi 30 septembre 2015

8 h 30

Compte rendu n° 229

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Michel Agier, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement et directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, sur « frontières et questions migratoires en Europe aujourd’hui »

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

date

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 40

La Présidente Danielle Auroi. La Commission des affaires européenne mène depuis longtemps une réflexion sur la crise migratoire à laquelle est confrontée l’Europe. C’est dans cette perspective que quelques-uns d’entre nous se sont rendus en Grèce en juin dernier, pour y rencontrer les responsables gouvernementaux et les ONG d’un pays qui se sent parfois bien seul face à l’afflux de réfugiés.

Nous sommes donc heureux d’accueillir, pour nous aider dans notre réflexion, M. Daniel Agier, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui fut, pendant plusieurs années, membre du conseil d’administration de Médecins sans frontières, et qui travaille plus particulièrement sur la question des migrants et des réfugiés, ce qui en fait pour nous une « personne ressource » au sens le plus noble du terme.

Vous conjuguez, monsieur, l’expertise universitaire et l’expertise de terrain, ce qui doit permettre de nous éclairer sur la situation des personnes qui subissent la guerre ou la misère et qui frappent aux portes de l’Europe.

Notre commission insiste depuis longtemps sur la nécessité de prendre la mesure de la crise humanitaire et sur le fait, surtout, que l’Union européenne doit se donner les moyens de répondre au défi qu’elle représente. Des vies sont en jeu tous les jours, et pas seulement en Méditerranée. Les derniers chiffres, qui mériteraient d’être actualisés, font état de deux mille sept cents morts à nos frontières depuis le début de l’année, ce qui est insupportable.

Comme le dit la chanson, « le sang sèche vite en entrant dans l’histoire », et les images choc – au premier rang desquelles celle de ce petit garçon échoué sur une plage – sont vouées à tomber rapidement dans l’oubli, avec l’émotion qu’elles auront suscitée. Mais, au-delà de l’émotion, c’est à construire un projet européen solidaire que nous devons nous atteler. On ne peut en effet construire une Europe des grands marchés sans une Europe de la solidarité. Or cette crise migratoire révèle, hélas, les égoïsmes nationaux à l’œuvre en Europe.

Dans ces conditions, que pouvez-vous nous dire qui nous permette d’interpeller et de convaincre les gouvernants – français et européens – de la manière la plus pertinente possible ? Quelles sont nos raisons d’espérer et comment pouvons-nous motiver efficacement notre combat ?

M. Michel Agier, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Travaillant sur le thème très général de ce qui fait frontière, je m’interroge depuis une dizaine d’années, avec différents chercheurs venus d’autres disciplines, sur le sens de nos travaux. Cela m’a conduit à penser avec d’autres qu’il était important d’élaborer des sciences sociales publiques – pour ce qui me concerne, une anthropologie publique – dans la mesure où nos questions et nos problématiques intéressent en principe tout le monde, même si je ne me fais guère d’illusions sur le nombre de lecteurs susceptibles d’être attirés par un ouvrage d’anthropologie ! Comme l’avait en effet fort bien formulé Pierre Bourdieu, les sciences sociales ont ceci de particulier que leurs objets bougent, pensent et parlent, à la différence des objets d’étude des hydrologues, pédologues ou autres géologues.

C’est dans cette perspective que mes prises de position publiques m’ont souvent servi à mettre l’accent sur le fait que les frontières devenaient de plus en plus violentes. Les chiffres fournis par l’Organisation internationale pour les migrations ou les grandes ONG comme Amnesty International montrent que, depuis la fin des années quatre-vingt dix et l’émergence d’une société mondiale et globalisée, grâce aux progrès technologiques qui ont favorisé les mobilités, les États-nations, pris par la peur, ont tendance à refermer leurs frontières, provoquant suffisamment de morts pour que j’aie pu parler de guerre aux frontières. Si le terme a longtemps paru excessif, il me semble qu’avec le déploiement militaire en Méditerranée il correspond à une réalité.

Il est intéressant de constater que cette situation semble massivement frapper les esprits aujourd’hui, alors que le nombre de morts aux frontières de l’Europe entre 2000 et 2014 s’élève au moins à vingt mille personnes et que, évalué pour les premiers mois de cette année à cinq cent mille, le nombre de migrants ayant passé nos frontières n’est pas excessivement supérieur à celui de l’an dernier, qui s’établissait autour de trois cent cinquante mille. De même, le nombre de morts, estimé pour ce que l’on en connaît à trois mille en 2015, est peu ou prou équivalent à celui de 2014.

Si la prise de conscience est plus vive dans l’opinion publique et chez les responsables et dirigeants politiques, cela est lié à des effets d’image qui, en donnant à voir des « hordes » de migrants tentant d’escalader des grillages au péril de leur vie ou des cohortes de naufragés repêchés en Méditerranée, ont rendu la crise plus visible. Lorsque, comme entre le 17 et le 19 avril dernier, on déplore un millier de naufragés, on ne peut pas ne pas réagir. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’interrogé sur France Culture avec la journaliste du Monde Maryline Baumard, à propos de l’ouvrage que j’ai dirigé, Un monde de camps, j’ai déclaré que la seule chose à faire était de réfléchir à l’ouverture des frontières et de ne plus s’obstiner à laisser mourir des gens.

Un Monde de camps est l’aboutissement du programme de recherche « Mobilité globale et gouvernance des migrations » (MOBGLOB) qui réunit entre autres des chercheurs de Sciences Po, de l’EHESS et de l’Université Paris 13 travaillant sur les camps dans le monde. Ces chercheurs ont réfléchi, à partir de modèles mathématiques élaborés en se fondant sur les données dont nous disposons sur la mobilité des migrants économiques ou des réfugiés – dans un contexte conflictuel ou pacifique – à des scenarii d’ouverture des frontières. Il ressort de ces travaux qu’au-delà des problèmes de gouvernance et de gestion que cela implique, l’ouverture des frontières n’aurait rien de dramatique. D’où la tribune que nous avons publié avec François Gemenne dans L’Obs sous le titre : « Soyons réalistes : 10 raisons d’ouvrir les frontières ». Il ne s’agit pas de détruire ou de supprimer les frontières ni de les ouvrir à tous vents de manière inconsidérée, mais d’organiser rationnellement et administrativement un flux légal de migrants. Cela aurait pour première vertu d’éliminer les passeurs, même si certains d’entre eux sont honnêtes et ont permis de sauver des vie.

J’évoquerai ici la figure du grand philosophe Walter Benjamin, réfugié en France et qui, en 1940, tenta de traverser les Pyrénées et de gagner l’Espagne pour s’embarquer vers les États-Unis. Malgré l’aide du passeur, le groupe auquel il appartenait fut refoulé à la frontière par les autorités, ce que Benjamin, malade et affaibli, ne supporta pas ; il choisit de se suicider. Cela pour rappeler que les passeurs ne sont pas nés d’hier et qu’ils sont une figure ancienne et récurrente de l’histoire des frontières.

J’ai moi-même rencontré des passeurs en Grèce dans le campement de Patras, où, entre 1996 et 2009, stationnaient tous ceux qui tentaient de passer en Italie en grimpant clandestinement dans les camions qui empruntaient les ferries. À force de tenter le passage jour après jour, certains migrants ont fini par s’installer et par « habiter » ce campement, devenu un lieu à peu près vivable bien qu’il ne soit que toléré par les autorités qui n’ont pas d’autre choix face à la pression du nombre et des ONG. L’un de ces passeurs était un travailleur social afghan, qui avait lui-même fui son pays, et qui, à Patras depuis deux ou trois ans sans être lui-même parvenu à passer en Italie, aidait ses compatriotes à le faire. Il pouvait certes être rémunéré pour cela, mais il incarnait surtout une forme de solidarité spontanée qui se développe entre gens exposés au danger.

Lorsque les goulets d’étranglement se resserrent, la situation se sédimente, permettant à une économie de la prohibition de se développer. Or chacun sait que l’économie de la prohibition s’arrête avec la légalisation. C’est en légalisant les flux de circulation, c’est-à-dire en enregistrant, en contrôlant et en fléchant les migrants, qu’on leur permettra de ne pas répondre à des propositions criminelles. Il faut donc créer les conditions pour que la légalité l’emporte sur l’illégalité.

C’est la responsabilité de l’État, dont il ne faut pas oublier qu’il entretient avec l’individu un rapport de forces profondément inégal. Les médias et les dirigeants politiques ont souvent tendance à considérer les migrants comme une menace globalement criminelle pour la société. Or les études que j’ai menées sur le terrain me permettent au contraire d’affirmer, en tant qu’anthropologue, que nous sommes face non à des groupes organisés mais à des individus : ceux sont eux qui sont en première ligne face à la criminalité et ceux sont eux qui ont peur. Des chercheurs travaillant sur la culture afro-américaine issue de l’esclavage ont ainsi montré que les esclaves ne constituaient en aucun cas une communauté et ne pouvaient être considérés autrement que comme une foule d’individus : j’ai pu faire la même constatation dans tous les campements que j’ai visités, de Patras à Calais, où les migrants arrivent à l’issue de trajectoires individuelles, concernant tout au plus des fratries ou, dans le cas syrien, des familles nucléaires, composées d’un ou deux enfants, rarement plus car, pour être mobile, il ne faut pas être trop nombreux. Les jeunes Africains qui passent les grilles de Ceuta et Melilla ne constituent pas non plus des communautés. Ce sont des individus qui, individuellement, ne sont pas parvenus à passer la frontière et adoptent donc une stratégie collective, avec l’idée que, sur une centaine de candidats au passage, certains mourront mais une vingtaine au moins réussira à passer. La communauté d’intérêts se dissout ainsi dès la frontière franchie, et chacun retourne à son individualisme, au sens négatif du terme, c’est-à-dire souvent à l’anomie, au désespoir et à l’abandon. Il appartient alors à l’État-nation, fort de ses qualités d’État social et d’État de droit d’agir non pas contre les migrants mais avec eux.

L’Europe est difficilement parvenue à établir des quotas permettant une répartition solidaire des migrants entre les différents pays de l’Union en fonction de leurs moyens respectifs. La France accueillera ainsi vingt-quatre mille migrants sur deux ans, soit quinze mille par an, sachant qu’actuellement ce sont déjà quatorze mille demandes d’asile qui sont satisfaites chaque année. Ce sont par ailleurs des proportions extrêmement faibles au regard d’autres pays d’Europe du Nord, des États-Unis ou de l’Australie.

Quoi qu’il en soit, il a fallu que l’Allemagne se décide à prendre le leadership pour que les choses bougent. Le résultat obtenu est certes un succès pour l’Union européenne, mais obtenu au prix de telles difficultés que l’on est en droit de se demander si une politique migratoire européenne peut voir le jour. C’est une question cruciale car ces décisions ne peuvent être prises et mises en œuvre qu’au niveau européen.

Dans une de mes dernières chroniques parue dans Libération et intitulée « L’Europe ranimée par les migrants, merci qui ? », je m’interrogeais sur le fait de savoir s’il fallait remercier le petit Aylan d’avoir, par l’émotion qu’il a suscitée, contribué à faire avancer les choses. Mais il existe des tas de photos d’enfants morts aux frontières, et l’on peut sans doute faire également crédit à Angela Merkel d’avoir amorcé un début de changement dans les positions européennes en décrétant – au moins temporairement que l’Allemagne ouvrirait ses frontières aux migrants et aux réfugiés.

Marie-Louise Fort. L’émotion suscitée par la photo d’un petit garçon mort ne doit pas nous faire oublier les autres victimes, notamment les petites filles, les jeunes filles et les femmes, victimes de Daech et de Boko Haram, esclavagisées et violées.

Ayant été rapporteure pour la commission des affaires étrangères sur les relations entre l’Albanie et la France, j’ai découvert que, si les regards ont tendance à se tourner vers les migrations par mer à travers la Méditerranée, les filières terrestres, via la Turquie, la Grèce et l’Albanie drainent au moins autant de migrants venant se déverser en Europe et aboutissant pour certains dans des camps dont vous avez dit qu’ils pouvaient devenir « vivables ». Certes, grâce à sa faculté d’adaptation, l’homme peut parfois s’accommoder des situations les plus horribles.

L’aggravation des conflits dans les pays d’origine pousse de plus en plus de monde vers l’Europe que les passeurs vendent comme un Eldorado. Mais n’est-il pas hypocrite, lorsqu’on évoque la crise migratoire et la situation dramatique que connaissent les migrants de ne pas parler également de la crise que traversent nos pays prétendument riches ? Comme tous les élus, je constate dans ma permanence une aggravation de la pauvreté et, maire d’une ville qui comporte 32 % de logements sociaux, je sais aussi tous les problèmes que cela génère.

Les préfets ont beau faire le tour des communes et des bailleurs sociaux pour organiser le séjour des vingt-quatre mille migrants dont a parlé le Gouvernement, que va-t-on faire de tous ces gens ? Va-t-on recréer des camps ? Confier leur prise en charges aux édiles, qui ne sont pas forcément bien équipés pour les accompagner correctement ? Je voudrais votre sentiment sur cette question.

Jusqu’où doit-on aller et comment articuler notre action avec celle des autres pays européens ? Vous parlez d’ouvrir les frontières mais n’est-il pas urgent, avant tout, d’éradiquer la barbarie qui sévit dans ces pays que la population fuit en masse ?

M. Arnaud Richard. Accorder l’asile est un droit souverain et, pour que cette souveraineté s’exerce, il faut un territoire et des frontières protectrices. J’aimerais donc savoir comment vous intégrez à votre réflexion les principes fondamentaux issus de la convention de Genève de 1951 et du protocole de New York, à savoir le principe de non-refoulement, la non-pénalisation du franchissement illégal des frontières et le droit à l’examen de sa demande assorti d’une admission temporaire sur le territoire pour le demandeur d’asile qui souhaite accéder au statut de réfugié. Il s’agit là de libertés fondamentales sur lesquelles il n’est pas question de revenir et, pour avoir réalisé il y a deux ans un travail d’évaluation et de contrôle de notre politique de l’asile, je n’ai pas le sentiment que la France ait à rougir de la manière dont elle se comporte en la matière.

Cela étant, depuis le Conseil européen de Tampere en 1999, l’Union européenne n’a pas été capable d’arrêter une position commune sur ce qu’était un pays sûr ; qu’en pensez-vous ?

Vous évoquez des familles de réfugiés aux abords des frontières ; j’avais pour ma part le sentiment que les migrants étaient surtout des hommes isolés et, depuis 2007-2008, de plus en plus de femmes, seules également. Pensez-vous que la sociologie des migrants et des demandeurs d’asile a évolué ?

Lors de nos débats sur le texte relatif à la réforme du droit d’asile s’était posée la question de procéder à des expérimentations en matière de campements ou de logements des demandeurs d’asile. Nous pourrions ici avoir besoin de votre expérience sur la meilleure manière de gérer moins au plan administratif qu’humain ces campements.

La Présidente Danielle Auroi. Il me semble que ce que l’Union européenne a récemment commencé à mettre en place n’est pas si loin de vos propositions, en particulier concernant l’ouverture des frontières, puisque la mise en place de « points chauds » doit permettre d’identifier les migrants qui peuvent passer légalement les frontières. Ces points chauds peuvent être une bonne idée, mais tout dépend de la façon dont ils seront mis en œuvre. Certains proposent de les installer dans les pays d’origine : j’ai connu les camps palestiniens du Sud-Liban, et je ne voudrais pas qu’il y ait d’autres Sabra et Chatila, en Syrie ou ailleurs. Selon vous, que peut-on faire pour l’éviter ?

Enfin, les maires ruraux se montrent tout à fait disposés à accueillir des migrants mais manquent de savoir-faire. Avez-vous des idées qui permettent de les aider ?

M. Michel Agier. J’ai en effet dit que les camps pouvaient devenir des lieux à peu près vivables, énoncé qui néanmoins me pose problème et qu’il convient de recontextualiser.

Des programmes de recherche et des initiatives d’architectes – dont l’une vient d’obtenir un financement du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) – sont en cours pour imaginer ce que peuvent devenir ces lieux et les gens qui y séjournent. Le cas de Calais est exemplaire car, de mon point de vue, il ne devrait pas y avoir de camp à cet endroit. Nous avons là en effet un camp de regroupement au sujet duquel certains parlent de « bidonville d’État » tant les conditions humanitaires et sanitaires y sont catastrophiques pour les quatre mille personnes qui y vivent dans les pires conditions.

Mais, à l’origine, un bidonville définit un lieu qu’ont occupé et où se sont installés illégalement des gens en quête d’un abri – le programme Habitat des Nations unies parle à leur propos d’informal settlements. Nombreux ont toujours été à Calais, ville-frontière, ces lieux assimilables à des campements : de taille humaine, ils regroupaient plusieurs dizaines des migrants auxquels les associations avaient accès et à qui elles pouvaient apporter une aide solidaire.

Or, et c’est une première dans notre histoire, Bernard Cazeneuve – et j’espère que vous ne manquerez pas de l’interroger à ce sujet lors de son audition de cet après-midi –  a pris la décision de regrouper dans un camp unique les occupants de ces campements. J’emploie ces deux termes à dessein, car il faut bien faire la différence entre un campement et un camp : j’appelle camp un lieu ouvert par une autorité – publique ou privée – qui dispose d’un pouvoir souverain sur le territoire de l’implantation. C’est bien en l’occurrence un « bidonville d’État » dont il s’agit, placé sous la surveillance de la police et qui dispose, avec le centre Jules Ferry, d’une sorte d’annexe humanitaire où les migrants ont accès à certains services de base. Reste que les associations de Calaisiens qui, jusqu’alors, apportaient leur soutien aux migrants n’y sont plus les bienvenus et n’y ont plus accès.

Quant à ce qu’il convient de faire de tous ces gens, l’idée de faire appel aux maires est une bonne initiative. En Allemagne, les associations de la société civile sont très impliquées dans l’accueil des migrants. Nous avons, je crois, tendance à exagérer la propension des Français au rejet de l’autre et à minimiser à l’inverse les élans de solidarité dont ils peuvent faire preuve, et je suis ravi de voir que nombre de maires de communes, notamment rurales, se sont manifestés pour proposer d’accueillir des migrants. Tout en étant conscients des problèmes interculturels que cela peut poser, ils le font comme un geste naturel et dédramatisent la situation.

Arnaud Richard a raison d’évoquer l’année 1999, qui a marqué un début de tentative de mettre en place une politique migratoire au niveau européen. Le problème, c’est qu’elle ne s’est faite qu’au nom de la protection des frontières et de la sécurité. Par ailleurs, on éprouve les plus grandes difficultés à s’accorder sur la liste des pays d’origine sûrs : savoir si la Lybie en fait – ou en fera– désormais partie, ou bien le Niger, la République centrafricaine ou l’Ouganda est pratiquement impossible.

Quant à la convention de Genève, elle établit pour les demandeurs d’asile la nécessité de justifier qu’ils sont persécutés pour des motifs personnels et des raisons individuelles, ce qui est parfois difficile à prouver. Il y a donc parfois des menteurs, mais c’est inhérent à ce type de systèmes.

En ce qui concerne la sociologie des demandeurs d’asile, on a toujours affaire, dans la plupart des cas à des individus seuls, car l’aventure exige une aptitude à la mobilité et une prise de risque importantes. Cela étant, la monstruosité de la violence étant telle en Syrie, où il est devenu impossible de vivre ou de résister, on voit désormais affluer des familles avec enfants. Il s’agit de familles souvent incomplètes, soit parce qu’elles ont perdu un membre, soit parce qu’elles se sont décomposées – à l’image de ce que l’on a pu observer lors des conflits africains, où les familles se scindent pour passer les frontières sans parvenir par la suite à se recomposer –, ce qui aura inévitablement des répercussions sociologiques sur l’avenir de ces migrants et de la Syrie.

Je ne suis pas étonné que les maires ruraux soit dans l’ensemble ouverts à l’idée d’accueillir des réfugiés, car ils y voient une chance pour leurs territoires : dans les années soixante-dix, sollicitée par le HCR pour ouvrir des camps de réfugiés où accueillir les Zimbabwéens qui fuyaient leur pays, la Zambie avait posé pour condition que ces camps soient situés dans les zones connaissant des difficultés de peuplement – en l’occurrence au nord-est. J’ai moi-même travaillé sur le camp de Maheba, à l’ouest, qui accueillait depuis plus de trente ans des réfugiés angolais. La guerre étant terminée depuis 2002, on a entrepris de le transformer en une zone de développement rural où se côtoient désormais des Zambiens et des réfugiés restés ou nés sur place. Il s’agit là d’une exemple assez réussi d’intégration. Accueillir des migrants peut donc contribuer à redynamiser certaines régions rurales, si toutefois les gens qui y sont accueillis ont les moyens de participer à ce développement.

Enfin, j’ignore si les points chauds – hot spots – sont une bonne idée mais ils existent déjà dans la plupart des pays, sous la forme de centres où s’opère parmi les migrants la sélection des réfugiés susceptibles d’obtenir le droit d’asile. Ma crainte est qu’à l’instar de ce qui se passe dans certains pays, ces hot spots deviennent des centres de tri qui fabriquent de l’enfermement à très long terme, ce qui peut avoir de très graves conséquences. J’espère donc que l’on s’orientera vers une solution qui privilégie une plus grande fluidité des passages et de la circulation.

La Présidente Danielle Auroi. Merci de nous avoir éclairés sur une crise dont je crains qu’elle soit amenée à perdurer quelque temps encore. Mais il est important que vous ayez rappelé que la situation n’était pas pire que les années précédentes. C’est dans cette perspective qu’il faut demander notamment aux maires ruraux de nous apporter leur aide, de manière à ce que nous soyons plus efficaces, car un long travail nous reste encore à accomplir.

La séance est levée à 9 h 40

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 8 h 40

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Yves Fromion, M. Arnaud Richard

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Pierre Lequiller, M. Philippe Armand Martin, M. Jean-Claude Mignon