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Commission des affaires européennes

mercredi 30 septembre 2015

16 h 30

Compte rendu n° 230

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente, et de Mme Elisabeth Guigou Présidente de la commission des Affaires étrangères

Audition, conjointe avec la commission des Affaires étrangères, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, sur les questions migratoires

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 30 septembre 2015

Co-présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
et de Mme Elisabeth Guigou, Présidente de la commission des Affaires étrangères

La séance est ouverte à 16 heures 35

La Présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir à nouveau répondu favorablement à notre invitation, pour cette audition conjointe de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes, qui est ouverte à la presse.

La commission des affaires étrangères a reçu ce matin le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), qui a exposé les réformes conduites à l’OFPRA et les modifications politiques introduites sous votre autorité.

Notre commission suit de manière régulière la question des réfugiés et des migrations. Notre collègue Jean-Pierre Dufau remet chaque année un avis sur les crédits de la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » ; il se rendra prochainement en Italie dans ce cadre. Notre collègue Chantal Guittet a été rapporteure pour avis du projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile, que vous avez défendu devant le Parlement et qui a été adopté en lecture définitive par notre Assemblée au mois de juillet dernier. Notre commission a nommé Kader Arif rapporteur pour avis du projet de loi relatif au droit des étrangers, qui sera bientôt examiné par le Sénat. En dehors de ces travaux réguliers, j’ai proposé, compte tenu de la situation actuelle, de renforcer notre suivi par une série d’auditions, à la fois en commission et dans le cadre d’un groupe de travail sur la question des migrations, qui sera institué dans les prochains jours.

Monsieur le ministre, nous attendons que vous nous rappeliez, ainsi que vous l’avez fait le 16 septembre dernier en séance publique lors du débat sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe, les mesures nationales qui ont été prises à votre initiative et, souvent, sous votre responsabilité : l’importante réforme du droit d’asile, avec l’accélération du traitement des demandes ; la création de milliers de places supplémentaires non seulement pour les demandeurs d’asile, mais aussi pour les migrants ; les dispositions prises pour accueillir les flux supplémentaires et mieux les répartir sur le territoire national afin d’éviter les concentrations. Vous pourrez évoquer plus particulièrement la situation à Calais, dossier sur lequel vous avez pris là aussi des initiatives sans précédent.

Par vos propositions, vous avez en outre influencé considérablement la politique européenne qui est en train de se mettre en place. Bien évidemment, nous ne pouvons pas nous en sortir de manière isolée : nous avons besoin d’une action coordonnée au niveau européen, avec à la fois plus de solidarité et plus de responsabilité collective.

Depuis le débat dans l’hémicycle le 16 septembre, plusieurs réunions importantes ont eu lieu. D’abord, le Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) du 22 septembre a formellement adopté, à la majorité qualifiée, un mécanisme dit de relocalisation, c’est-à-dire de répartition, de 120 000 personnes ayant besoin d’une protection internationale – il s’agit donc uniquement des réfugiés potentiels. Au total, compte tenu des décisions antérieures, ce sont désormais 160 000 personnes qui pourront être relocalisées au sein de l’Union européenne.

Le lendemain, une réunion extraordinaire du Conseil européen a permis à tous les États membres de se mettre d’accord – heureusement ! – sur au moins deux points. Les chefs d’État et de gouvernement ont d’abord décidé une augmentation de l’aide européenne, d’une part, à hauteur de 1 milliard d’euros, aux agences des Nations unies qui s’occupent des réfugiés, en particulier au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui gère les camps d’accueil à l’extérieur de l’Union européenne, notamment au Liban, en Jordanie et en Turquie ; d’autre part, aux pays voisins de la Syrie et aux pays des Balkans occidentaux. Le Conseil européen a ensuite renouvelé l’engagement – déjà ancien, puisqu’il date des débuts de l’espace Schengen au milieu des années 1980 – de renforcer les contrôles encore imparfaits aux frontières extérieures de l’Union européenne, et pris celui de mettre en place des centres d’accueil dits hot spots – en bon français, n’est-ce pas, cher Jacques Myard ?

M. Jacques Myard. C’est un scandale ! (Sourires.)

La Présidente Élisabeth Guigou. Ces hot spots doivent permettre de faire la distinction entre les personnes ayant besoin d’une protection internationale et celles qui ne relèvent pas du droit d’asile. Conformément à ce que vous avez toujours indiqué, monsieur le ministre, ceux qui n’ont pas le droit de rester chez nous doivent pouvoir être renvoyés dans leur pays d’origine.

Quatre États membres de l’Union européenne n’ont pas voté en faveur du nouveau mécanisme de répartition au Conseil JAI. Que pouvez-vous nous dire de leur attitude, de leurs arguments et des réactions que leur position a suscitées ? N’y a-t-il pas une différence entre l’attitude de la Hongrie, idéologiquement très fermée, et celle des trois autres États membres en question ?

Depuis le début de cette crise, la France est à l’initiative avec l’Allemagne pour proposer des solutions collectives en Europe, alliant solidarité et responsabilité. Qu’y a-t-il de nouveau depuis les réunions que j’ai mentionnées ? Sommes-nous en bonne voie pour appliquer les décisions prises ? Souvent, les décisions arrêtées au niveau européen sont bonnes, mais tardent à être mises en œuvre. Qu’attendez-vous du Conseil européen d’octobre, qui doit en principe, parmi beaucoup d’autres sujets, faire le point sur ces questions, notamment sur le rapprochement des politiques d’asile, sur l’établissement d’une liste commune de pays d’origine sûrs et sur le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne. Paraît-il envisageable de créer, un jour, un corps européen de garde-frontières ? Cette idée avance-t-elle ? Elle est évoquée depuis longtemps – c’est une sorte de serpent de mer –, mais suscite un certain scepticisme, au-delà même de cette salle.

Au niveau international, il est nécessaire de développer notre solidarité avec les pays qui se trouvent en première ligne pour l’accueil des réfugiés, notamment syriens, et de bâtir un véritable partenariat avec les pays d’origine et de transit. Nous espérons vivement que le sommet de La Valette qui se tiendra au mois de novembre prochain sera une réussite. Qu’en attendez-vous ? Quelles positions la France y défendra-t-elle ? Il s’agit de commencer à traiter en profondeur les causes des migrations, en aidant à la résolution des crises, mais aussi en luttant contre le trafic des êtres humains – qui serait désormais, dit-on, beaucoup plus lucratif que le trafic de drogue – et en renforçant notre politique de réadmission. L’Union européenne fait-elle suffisamment en cette matière, qui relève principalement de sa compétence, ou bien doit-elle accélérer l’allure ? Enfin, nous sommes très attentifs aux actions engagées avec les pays pivots sur les routes migratoires entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, en particulier avec le Niger.

La Présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le ministre, d’être une fois de plus avec nous pour évoquer les questions migratoires, sujet tout particulièrement d’actualité et qui implique les fondements même de notre Europe, nos valeurs fondamentales de solidarité, qui ont inspiré, je le rappelle, la construction de l’espace Schengen. La solidarité à l’égard des personnes en danger de mort qui demandent l’asile est essentielle : comment voulez-vous que les familles syriennes, coincées entre le régime de Bachar Al-Assad et Daech, qui menacent l’un et l’autre de les tuer, n’aient pas envie de fuir ? Quelles solutions avons-nous à leur offrir ? Quelle solidarité les pays européens peuvent-ils mettre en place, à l’égard de ces personnes et entre eux, pour répondre efficacement à cette détresse humaine, première cause des migrations ?

Nous vous écouterons en particulier, monsieur le ministre, sur les décisions cruciales prises au cours de la semaine dernière, par le Conseil JAI du 22 septembre, à la majorité qualifiée, et par le Conseil européen du 23 septembre.

Pour commencer, pourriez-vous nous préciser l’ampleur exacte de la supposée « vague » de réfugiés qui ont frappé ces derniers mois à la porte de l’Union européenne ? Pouvez-vous comparer le chiffre de 2015 à celui de 2014 ? D’après les informations dont je dispose, ils sont assez proches. Trop de désinformation circule à cet égard. L’objectif de certains étant malheureusement d’instrumentaliser la misère humaine pour faire peur, à des fins politiques, il est toujours bon de rétablir les faits.

S’agissant des premières mesures de relocalisation d’urgence des réfugiés, il apparaît qu’un compromis a été trouvé au sein du Conseil JAI entre une formule obligatoire et une démarche volontaire. Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce dispositif ? Quels seront finalement les critères de répartition entre États membres ? Nous constatons que nombre de réfugiés n’ont pas envie de rester en France et cherchent plutôt à se rendre en Allemagne ou au Royaume-Uni, où ils pensent trouver du travail plus facilement. Les personnes qui fuient ont, semble-t-il, un certain niveau d’éducation.

Pourriez-vous également nous fournir des informations sur les points précis qui étaient en discussion avec la Pologne, ainsi que sur les éléments de compromis qui ont permis aux Polonais de se rallier à la majorité ?

Au-delà de la relocalisation d’urgence, où en sommes-nous des premières discussions sur le mécanisme permanent de répartition, sur la base de la proposition de la Commission ? Quelle est la position de la France à cet égard ?

S’agissant des hot spots, comment seront-ils organisés exactement ? Quel rôle concret l’Union européenne jouera-t-elle à cet égard ? J’ai suffisamment d’ancienneté pour savoir ce que peuvent devenir des camps de réfugiés : je me suis rendue à Sabra et Chatila peu des temps après les massacres qui y ont eu lieu, et je puis vous assurer que c’est une expérience que l’on n’oublie pas.

En ce qui concerne les moyens effectifs dont dispose l’Union, encore largement insuffisants, pouvez-vous nous préciser ce qui a été décidé pour renforcer l’agence Frontex ? Le rôle réel de l’agence, entre contrôle des frontières et missions de sauvetage, est souvent mal perçu. Ne pourrions-nous pas clarifier ce rôle ? Cela aiderait peut-être un certain nombre de pays à prendre des décisions.

Au-delà, peut-on espérer progresser enfin vers la mise en place d’un corps européen de garde-côtes ? La commission des affaires européennes et moi-même soutenons cette idée.

Qu’en est-il, à votre avis, de l’évolution à terme des règles européennes en matière d’asile et d’immigration ? Faut-il revoir les règles de Dublin et le code Schengen, voire repenser notre approche des frontières ? Pour ma part, je suis favorable à une fluidité contrôlée. Certains États, telle la Hongrie, font preuve du repli le plus égoïste en s’entourant de barbelés. Rappelons que la ligne Maginot a été contournée en son temps.

Enfin, traiter véritablement la question de l’immigration suppose d’en intégrer pleinement la dimension extérieure : outre l’aide d’urgence aux premiers pays d’accueil, dont a traité le Conseil européen, comment l’action diplomatique peut-elle contribuer à la résolution des conflits et – je souscris aux propos d’Élisabeth Guigou – accompagner beaucoup plus fortement les pays d’origine dans leurs efforts de développement ? Le sommet de La Valette sera important de ce point de vue. À la veille de la COP 21, cela aurait du sens de faire preuve d’un peu de solidarité à l’égard des pays d’où partiront peut-être des réfugiés climatiques, lesquels risquent d’être beaucoup plus nombreux encore que les réfugiés que nous accueillons actuellement.

La commission des affaires européennes a organisé ce matin un petit-déjeuner avec M. Michel Agier, directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste des questions migratoires et de la problématique des réfugiés. Celui-ci s’inquiète notamment de l’« encampement » officiel et institutionnalisé à Calais. Il semble que les associations locales qui avaient l’habitude de travailler avec les migrants rencontrent désormais des difficultés. Peut-être est-ce une phase intermédiaire. Que pouvez-vous répondre sur ce point, monsieur le ministre ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je vous remercie, mesdames les présidentes, de m’accueillir devant vos deux commissions. Je vais essayer de répondre aux très nombreuses questions que vous m’avez posées, qui étaient au cœur des réunions européennes que vous avez mentionnées.

La problématique à laquelle nous sommes confrontés revêt une triple dimension : mondiale, européenne et nationale. Mondiale, car les migrants franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne en raison des désordres dont le monde est l’objet. Européenne, car une grande partie des États membres de l’Union sont concernés par ce phénomène, et parce que les migrants, qu’ils relèvent de l’immigration économique irrégulière ou du statut de réfugié, arrivent dans tel pays plutôt que tel autre, en fonction de leur destination ou de la propagande des passeurs. Nationale, enfin, car les décisions prises au niveau européen risquent d’être remises en cause si nous ne sommes pas capables d’adapter notre dispositif d’accueil, notre politique d’asile et notre politique en matière de séjour des étrangers, en faisant évoluer notre législation et en prenant les mesures budgétaires appropriées. Je traiterai successivement de ces trois aspects.

Le phénomène que nous connaissons s’est amorcé en 2014 et s’est amplifié en 2015 en raison de la dégradation de la situation en Érythrée, en Irak et en Syrie, mais aussi de la déréliction de l’État en Libye, où agissent désormais des bandes criminelles organisées qui pratiquent notamment la traite des êtres humains.

Les flux de migrants qui franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne empruntent actuellement trois trajectoires. La première part d’Afrique de l’Ouest, passe par la Libye et arrive en Italie.

En 2014, 60 à 70 % des 400 000 migrants entrés dans l’Union européenne sont arrivés par l’Italie. Parmi eux, 60 à 70 % relevaient de l’immigration économique irrégulière en provenance d’Afrique de l’Ouest. Les autres relevaient du statut de réfugié et venaient d’Irak, de Syrie ou de la Corne de l’Afrique – tel est le cas, par exemple, des Érythréens qui se trouvent à Calais.

Aujourd’hui, la situation a changé : sur les 500 000 à 600 000 migrants entrés dans l’Union européenne depuis le début de l’année 2015, un tiers est arrivé par l’Italie, l’essentiel des deux autres tiers étant passé par la Méditerranée orientale. Ce deuxième flux arrive par la Grèce, puis transite par l’Europe centrale, notamment l’Autriche, vers l’Allemagne. Cela explique le nombre élevé de migrants en Allemagne et en Autriche, ainsi que les difficultés, réelles, dans des pays tels que la Serbie, la Hongrie ou la Slovaquie, mais aussi en Slovénie, car une partie des migrants repartent d’Allemagne pour tenter de rejoindre le nord de l’Europe par un autre chemin. Compte tenu des décisions prises à la frontière allemande, le chemin qui passe par la Slovénie, l’Italie et la France via Vintimille pourrait d’ailleurs être davantage emprunté à l’avenir.

Le troisième flux est constitué par des migrants économiques en provenance d’Europe de l’Est et des Balkans à destination de l’Allemagne. Ils ne relèvent pas du statut de réfugié. Jusqu’à une période récente, 40 % des 800 000 migrants annoncés par les Allemands provenaient de ce flux.

Quel est l’impact, en France, de cette accélération des flux migratoires que nous connaissons depuis deux ans ?

S’agissant de l’immigration hors asile, le nombre de demandes de titres de séjour est stable dans notre pays depuis de nombreuses années : de l’ordre de 200 000 par an, soit 0,3 % de la population. En France, les étrangers représentent environ 6 % de la population totale, contre 9 % dans d’autres pays de l’Union européenne, notamment en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni.

Le nombre de demandes d’asile est, lui aussi, stable depuis près de trois ans : environ 60 000, le statut de réfugié étant accordé à environ 17 000 personnes par an. Le nombre de demandes a même diminué de 2,34 % en 2014 et n’a pas augmenté depuis le début de l’année 2015. Cependant, l’engagement pris par la France d’accueillir 30 000 réfugiés supplémentaires sur deux ans dans le cadre du processus de relocalisation décidé au niveau européen va conduire mécaniquement à un quasi doublement du nombre de bénéficiaires du statut de réfugié, de 17 000 à 32 000 par an.

Ces chiffres sont incontestables : ils sont établis par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et régulièrement mis à jour. Je les communiquerai par écrit à la commission des lois et à vos deux commissions, afin que vous puissiez en disposer pour vos travaux et procéder à leur analyse fine. Cela me paraît très important compte tenu du décalage qui existe souvent entre les discours et la réalité.

Je souhaite maintenant vous donner des informations, comme vous m’y invitez, sur la politique européenne et sur la position de la France concernant les orientations qui ont été arrêtées à l’occasion des différentes réunions du Conseil JAI et du Conseil européen.

Le débat s’est emballé au cours des dernières semaines après la diffusion de la photo du jeune enfant, qui a suscité l’émotion que l’on sait, mais la France est active sur ces questions au sein de l’Union européenne depuis de nombreux mois. À partir du 30 août 2014, il y a donc plus d’un an, j’ai effectué une première tournée des capitales de l’Union européenne – je transmettrai les comptes rendus de ces déplacements et les articles de presse qui s’y rapportent de manière à ce qu’il y ait une traçabilité de l’action du Gouvernement. À cette date, alors qu’il n’y avait aucune proposition sur la table de la part des instances européennes ni de la part de l’Allemagne, la France a présenté les orientations suivantes.

Première proposition : travailler avec les pays de provenance, notamment avec le Niger. C’était, selon nous, une nécessité absolue. Les négociations difficiles que nous menions pour obtenir des laissez-passer consulaires avec les différents pays par lesquels transitaient les migrants avant d’arriver en Italie avaient montré le rôle clé joué par le Niger et l’intérêt qu’il y avait à signer avec ce pays une convention relative au retour et au maintien des migrants. Nous avions commencé à pousser cette idée au sein du G5 Sahel, aux travaux duquel nous participons avec l’Espagne. Nous avions ainsi proposé à la Mauritanie et au Niger une convention de partenariat portant sur le contrôle de leurs frontières, sur la lutte contre la fraude documentaire et sur l’accompagnement des migrants au moment de leur retour.

Dès août 2014, nous avons fait cette première proposition au niveau européen, car il nous semblait essentiel d’être très clair quant à la volonté de l’Union d’organiser le retour des migrants qui relevaient de l’immigration irrégulière. En effet, nous savions qu’il y aurait une augmentation du nombre de réfugiés et que la soutenabilité de leur accueil dépendait de notre capacité à organiser ces retours.

Deuxième proposition, qui a fait à l’époque l’objet de débats, voire de polémiques, la France ayant parfois été mise en accusation : substituer à l’opération Mare Nostrum une opération conduite sous l’égide de Frontex. L’opération Mare Nostrum, décidée par l’Italie seule, avait eu le mérite de sauver des vies, mais elle avait aussi incité les passeurs à faire monter un nombre croissant de migrants à bord d’embarcations de plus en plus frêles. Nous étions alors confrontés à une situation paradoxale : une augmentation à la fois du nombre de sauvetages et du nombre de morts.

L’opération sous l’égide de Frontex a été conçue comme une opération de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, mais le droit de la mer s’applique à elle, c’est-à-dire que les garde-côtes procèdent à des sauvetages dès lors qu’ils constatent des avaries en mer. Avec cette opération, nous avons fait la démonstration que la fin de Mare Nostrum n’était pas la fin du sauvetage en mer : nous sommes en situation tant de contrôler nos frontières et de démanteler des filières que de sauver des vies.

Troisième proposition : mettre en place un dispositif de solidarité. À l’époque, la plupart des migrants arrivaient par l’Italie et une forte pression s’exerçait à Vintimille. Calais étant déjà un point de convergence, je ne souhaitais pas que la France soit le seul pays à devoir accueillir des migrants.

Enfin, nous avons souhaité qu’un mandat soit confié à la Commission européenne pour que cet ensemble soit mis en œuvre sous son égide. En particulier, nous sentions bien que la négociation avec un pays tel que le Niger ne pouvait pas passer par le truchement d’un seul État membre de l’Union européenne.

Dans le courant du mois de novembre 2014, nous avons transformé ces orientations en propositions franco-allemandes, puis nous les avons défendues jusqu’à ce qu’elles soient adoptées, après bien des itérations, lors du Conseil JAI du 22 septembre, c’est-à-dire plus d’un an après leur formulation.

La présente audition devant vos commissions me paraît une bonne occasion de rappeler ainsi l’ensemble de notre action – dont je peux assurer la traçabilité par des documents et des comptes rendus de presse – et la chronologie des faits, car j’ai souvent entendu dire que la France avait été inactive ou qu’elle avait suivi l’Allemagne.

À partir de ce moment-là, sur la base des réflexions que nous avions menées avec plusieurs pays, notamment l’Allemagne, la Commission européenne a fait un certain nombre de propositions. Certaines étaient des propositions nouvelles rendues nécessaires par l’actualité. D’autres étaient une reprise de nos propres propositions : le fait de confier un mandat à la haute représentante Federica Mogherini pour négocier au nom de l’Union européenne une convention avec le Niger et la mise en place de centres de retour et de maintien des migrants ; le mécanisme européen de solidarité ; la mise en place de hot spots, c’est-à-dire de centres de contrôle des frontières extérieures et d’accueil des réfugiés.

La France a souhaité ces hot spots et les a très vite proposés avec l’Allemagne, en même temps que le mécanisme européen de solidarité. En effet, à partir du moment où le flux de migrants arrivait en Italie et en Grèce, il était nécessaire de distinguer ceux qui relevaient du statut de réfugié et ceux qui relevaient de l’immigration économique irrégulière, pour pouvoir ensuite répartir les premiers dans le cadre du mécanisme de solidarité et organiser le retour des seconds. Parce que nous voulions le mécanisme de solidarité et parce que nous voulions les retours, nous considérions qu’il fallait ces hot spots. Sans eux, le dispositif n’aurait pas été cohérent.

La Commission européenne a en outre souhaité, à la demande de l’Allemagne cette fois-ci, que l’on précise la liste des pays d’origine sûrs. Le fait de donner une portée juridique à une telle liste au niveau européen nous intéressait au plus haut point, car le Conseil d’État avait cassé la décision de l’OFPRA d’inscrire le Kosovo sur la liste des pays d’origine sûr. Il avait alors fallu négocier avec le Kosovo pour que le flux de migrants kosovars arrivant en France se tarisse à la fin de l’année 2014 et au cours des premiers mois de 2015.

Comment la négociation a-t-elle évolué et que s’est-il passé au cours des dernières réunions du Conseil ?

Rappelons d’abord que l’Allemagne a été confrontée à un afflux de migrants très significatif. L’Allemagne était en effet vendue par les passeurs comme une destination attractive pour les migrants, du fait de la situation de l’emploi, de la somme non négligeable que versait le gouvernement allemand à chaque migrant arrivant sur son territoire, et d’un dispositif d’asile et d’accès à l’emploi beaucoup plus favorable qu’il ne l’est en France, il faut le reconnaître, contrairement à une idée très répandue dans notre pays.

En France, nous avions alors un dispositif d’asile vieillissant et embolisé, avec des délais de traitement des dossiers de demande d’asile de près de vingt-quatre mois et des conditions d’accueil très dégradées dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), du fait d’un déficit de places tant en hébergement d’urgence que dans ces CADA. Les passeurs orientaient donc les migrants vers le Royaume-Uni et l’Allemagne, ce qui explique que la France n’ait pas connu d’augmentation des demandes d’asile. Nous sommes essentiellement un pays de transit. Et, si des migrants se sont concentrés à Calais, c’est non pas parce qu’ils veulent rester en France, mais parce qu’ils veulent passer au Royaume-Uni. C’est d’ailleurs une difficulté pour nous : il serait plus simple qu’ils demandent l’asile en France, ce que nous les incitons à faire, mais ils ne l’acceptent pas tous.

Il y a eu plusieurs débats au sein de l’Union européenne. Le premier a porté sur l’opportunité de mettre en place un mécanisme permanent de répartition des demandeurs d’asile entre les États membres. Il s’est déroulé d’abord entre la France et l’Allemagne, puis entre celles-ci et l’ensemble des autres pays de l’Union. La France avait pris une position très claire : un tel mécanisme ne pouvait pas se concevoir aussi longtemps que les hot spots ne seraient pas mis en place, d’une part, et qu’un travail ne serait pas mené avec les pays de provenance, d’autre part. Le mécanisme de répartition permanente des demandeurs d’asile devait en effet être équilibré par un travail méthodique sur le flux d’entrées et sur les retours.

Deuxième débat : fallait-il que le mécanisme soit obligatoire ou volontaire ? Les discussions autour d’un mécanisme volontaire ont échoué, et la négociation a été très longue lorsqu’il s’est agi de répartir les premiers 40 000 réfugiés entre les différents pays de l’Union. Les Allemands avaient imaginé que les États membres qui ne participeraient pas au mécanisme pussent verser une compensation financière à l’Union. Contrairement à l’Allemagne, la France a considéré que le dispositif devait être obligatoire et qu’il ne devait pas y avoir de possibilité de compensation : on n’allait pas échanger des réfugiés contre de l’argent.

Les pays du groupe de Visegrád se sont crispés sur cette question : ils ont d’abord souhaité que le mécanisme soit facultatif, puis, ayant accepté qu’il soit obligatoire, ont insisté pour que les contributions soient volontaires. Dès lors, notre objectif a été de détacher la Pologne du groupe de Visegrád, afin d’envisager une décision à la majorité qualifiée. On n’imaginait en effet très mal l’Allemagne accepter un tel vote si la Pologne faisait bloc avec les autres pays du groupe.

Lors du Conseil JAI du 22 septembre, la négociation a consisté pour nous à être très fermes sur les points suivants : le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne ; le mandat confié à Mme Mogherini pour négocier les conventions de retour ; la mise en place des hot spots ; le fait que celle-ci constituait un préalable à l’instauration du mécanisme de répartition ; le fait que ledit mécanisme ne pouvait devenir permanent qu’à partir du moment où l’on travaillait sur le flux et sur le contrôle des frontières. Enfin, nous avons tout fait pour que ce mécanisme soit obligatoire et que l’on ne puisse pas s’en dégager en versant une compensation financière. C’est dans ces conditions que le vote s’est fait, à la majorité qualifiée. Les positions retenues ont plutôt été celles de la France que celles d’autres pays.

J’en viens à la politique que nous menons en France. Tout ce que nous faisons en matière d’accueil doit reposer sur une orientation claire et ferme, sur une modernisation de notre dispositif d’asile à marche forcée et sur une évolution de la législation relative au séjour des étrangers.

Quelle est cette orientation claire et ferme ? La politique migratoire de la France, je le rappelle, c’est d’accueillir sur son territoire tous ceux qui sont persécutés, torturés ou emprisonnés dans leur pays. Tel est l’honneur de la France. Or nous ne pouvions pas offrir cet accueil avec le dispositif d’asile qui était le nôtre. C’est pourquoi nous avons fait voter une loi relative à l’asile qui augmente de façon significative les moyens de l’OFPRA, accroît la capacité d’accueil en CADA – nous aurons créé 18 500 places supplémentaires en CADA d’ici à la fin du quinquennat – et développe le dispositif d’hébergement d’urgence – dans le cadre du plan adopté au mois de juin dernier, nous aurons créé 11 500 places supplémentaires tant pour les Français en situation de vulnérabilité et de précarité que pour les étrangers.

En outre, nous allons optimiser les dispositions législatives relatives au séjour des étrangers, en substituant l’assignation à résidence à la rétention et en clarifiant les compétences respectives du juge administratif et du juge des libertés et de la détention en ce qui concerne l’organisation des retours. En outre, nous augmentons de manière très significative les moyens alloués aux forces de l’ordre pour faciliter l’organisation des retours : sur les 5 500 postes que nous aurons créés dans les forces de sécurité en cinq ans, 900 bénéficieront à la police aux frontières, ainsi que l’a annoncé le Premier ministre.

Quels résultats obtenons-nous compte tenu de ce que nous faisons ? Je veux vous donner des éléments très précis.

En ce qui concerne l’asile, nous n’avons pas attendu l’adoption de la loi pour augmenter les moyens de l’OFPRA, ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et ceux des préfectures dans le cadre de la mise en place du guichet unique pour l’accueil des demandeurs d’asile. De ce fait, depuis le début de l’année 2015, nous avons traité 20 % de dossiers de demande d’asile supplémentaires par rapport à 2014, ce qui signifie que nous déstockons et que nous réduisons la durée de traitement des dossiers. Je suis prêt à communiquer à tous les parlementaires l’ensemble des documents qui témoignent de cette avancée et à accueillir tous les rapporteurs qui le souhaitent pour des contrôles sur pièces et sur place.

En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, sommes-nous plus efficaces ? Je vous donne, là aussi, des chiffres très précis : en 2014, la France a démantelé 25 % de filières de l’immigration irrégulière de plus qu’en 2013. Depuis le début de l’année 2015, nous en avons démantelé 190, ce qui représente une nouvelle augmentation de 25 %. Compte tenu de cette tendance sur les huit premiers mois de l’année, les résultats de 2015 seront bien meilleurs que ceux de 2014. Ces 190 filières démantelées correspondent à 3 300 individus arrêtés, dont une partie a été judiciarisée. Dans le même temps, l’Allemagne a procédé à 1 800 arrestations, alors qu’elle accueille 800 000 migrants contre environ 300 000 pour la France, si l’on additionne ceux qui viennent dans notre pays pour demander un titre de séjour et ceux qui relèvent de l’asile. Notre activité de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière est donc l’une des plus significatives, si ce n’est la plus significative, d’Europe.

S’agissant des retours, un grand quotidien du matin a publié des chiffres indiquant que nous éloignions moins qu’au cours de la période passée. Je veux être, là encore, très précis : les seuls éloignements qui doivent être comptabilisés lorsque l’on cherche à mesurer la volonté et la capacité d’un pays à éloigner ceux qui sont en situation irrégulière sur son territoire, ce sont les éloignements forcés hors de l’Union européenne. Il s’agit d’ailleurs des éloignements les plus difficiles à réaliser, en raison des distances, mais aussi de la discussion diplomatique compliquée qu’il faut mener avec les pays concernés, notamment pour obtenir les laissez-passer consulaires. Depuis 2012, le nombre d’éloignements forcés auquel nous avons procédé a augmenté de près de 15 %. Je vous donne les chiffres exacts pour les cinq dernières années : 13 908 éloignements forcés en 2009 ; 12 034 en 2010 – point le plus bas constaté – ; 12 547 en 2011 ; 13 386 en 2012 ; 14 076 en 2013 ; 15 161 en 2014. En 2015, si la tendance actuelle se poursuit, nous atteindrons le chiffre de 17 000 à la fin de l’année.

M. Jacques Myard. S’agit-il des chiffres pour la seule métropole ou bien pour la métropole et l’outre-mer ?

M. le ministre. Pour la métropole.

Par le passé, on ajoutait d’autres chiffres à ceux-là. On comptabilisait les éloignements à destination de la Roumanie et de la Bulgarie, qui étaient financés par le Gouvernement à grand renfort d’argent public. Certains intéressés rentraient passer Noël en Roumanie, revenaient en France entre Noël et Pâques, puis repartaient après Pâques. C’était très dispendieux, cela gonflait les statistiques, mais cela ne faisait ni des éloignements réels ni une politique migratoire. Nous avons mis fin à cette pratique lorsque Jean-Marc Ayrault était Premier ministre.

D’autre part, il y avait le concept très intéressant des « OQTF flash » – obligation de quitter le territoire français – : lorsque l’on constatait, à l’aéroport, qu’une personne en situation irrégulière quittait d’elle-même la France, on lui délivrait une OQTF, laquelle était prise en compte dans les statistiques. En additionnant les éloignements forcés – les seuls véritables –, les retours de ressortissants roumains et bulgares, et les « OQTF flash », on obtenait des chiffres appréciables, mais qui ne correspondaient à aucune réalité.

J’assume tout à fait notre politique d’éloignement devant vos commissions : on ne peut pas investir massivement dans le dispositif d’asile, dégager des moyens pour augmenter le nombre de places en CADA, développer l’hébergement d’urgence, mobiliser l’ensemble des acteurs autour de la nécessité d’accueillir les réfugiés et, dans le même temps, rester inerte face à l’immigration économique irrégulière. Car celle-ci compromettrait, in fine, la soutenabilité de l’accueil. Si nous voulons accueillir tous ceux qui doivent l’être, il faut prendre ces mesures d’éloignement, ce que nous faisons.

Les chiffres que je vous ai fournis sont établis par l’INSEE. Ils ont donc la même fiabilité que les données budgétaires ou les chiffres du chômage, dont tout le monde débat, mais que personne ne conteste. Tel n’est pas le cas en matière d’immigration : comme il s’agit d’un sujet plus passionnel et très politique, on va jusqu’à contester les chiffres produits par l’INSEE. J’aimerais que nous n’en soyons plus là. Je communiquerai à vos commissions tous les documents pertinents relatifs aux sujets que j’ai évoqués.

Je souhaite maintenant dire quelques mots de la situation à Calais.

J’aurais pu survoler la « jungle » en hélicoptère, disperser les migrants à grand renfort de forces de l’ordre, sans m’occuper de l’endroit où ils iraient ensuite, et rentrer à Paris en déclarant que j’avais fait une démonstration de force et que j’étais un grand ministre de l’intérieur. C’eût été facile, mais rien n’aurait été réglé. Je n’ai pas voulu agir de la sorte. Ce que nous avons décidé de faire comprend une part de risque. J’assume ces mesures et veux les expliquer devant vous.

Notre politique à Calais est simple et lisible. Son premier axe, c’est d’étanchéifier la frontière entre la France et le Royaume-Uni. Cette stratégie n’a pas été inventée par le gouvernement actuel : tel était l’esprit des accords du Touquet, mis en œuvre par le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy. Je n’ai pas de divergence de fond avec cette approche, qui est, selon moi, la bonne. Car, si nous voulons que les passeurs cessent leur activité de traite des êtres humains et que les migrants cessent de se masser à la frontière franco-britannique, il faut envoyer le signal auxdits passeurs que leur commerce est vain, car ceux qu’ils incitent à passer au Royaume-Uni en prélevant sur eux des sommes considérables ne pourront pas franchir la frontière. C’est la seule manière de diminuer le flux vers Calais.

S’agissant de la mise en œuvre des accords du Touquet, la seule différence par rapport à la période précédente, c’est que nous sommes sortis de la relation léonine avec les Britanniques. Auparavant, ceux-ci ne finançaient pas la stratégie qu’ils nous avaient demandé d’adopter. Désormais, conformément à mon souhait, ils contribuent à la sécurisation de la frontière à hauteur de 35 millions d’euros via un fonds de concours. En outre, ils ont accepté de participer à des actions humanitaires visant à protéger les enfants et les familles vulnérables. Ainsi, nous avons mis en place des dispositions d’accueil qui n’existaient pas jusqu’à présent.

Deuxième axe : nous combattons résolument les filières de l’immigration irrégulière à Calais. C’est un travail de chaque instant, qui nécessite une adaptation quotidienne. J’avais donné des instructions pour que la police entre aujourd’hui dans le camp à Calais. Car, si nous voulons que l’OFII et l’OFPRA puissent y travailler avec les associations humanitaires, il faut faire en sorte qu’il ne soit pas infiltré par les réseaux de passeurs, comme cela arrive parfois. Ces réseaux, qui sont de véritables filières de la traite des êtres humains, n’ont pas leur place dans le camp. Nous obtenons des résultats : depuis le début de l’année nous avons démantelé une trentaine de filières de passeurs à Calais et à Dunkerque, ce qui correspond à environ 750 individus arrêtés sur les 3 300 que j’ai mentionnés précédemment.

Troisième axe : j’ai mobilisé mes services pour que les migrants présents à Calais demandent l’asile en France, ce qui est normal dans la mesure où ils ne peuvent pas le faire au Royaume-Uni, la frontière étant bloquée. J’ai donc renforcé considérablement les moyens de l’OFII et de l’OFPRA pour améliorer l’efficacité des procédures, afin que ceux qui relèvent du statut de réfugié accèdent rapidement à l’asile et soient sortis de Calais pour être placés en CADA ou dans d’autres types d’hébergement. Le résultat se mesure là aussi par des chiffres : depuis le début de l’année, nous avons enregistré 1 600 demandes d’asile à Calais, contre 1 000 en 2014 et 400 en 2013. Ceux qui demandent l’asile à Calais étant généralement éligibles au statut de réfugié – il s’agit notamment de Syriens et d’Érythréens –, le décalage entre le nombre de demandes et le nombre de statuts accordés est faible.

Quatrième axe : nous organisons le retour à la frontière, à partir de Calais, de ceux qui relèvent de l’immigration irrégulière, dans le cadre de vols franco-britanniques. Depuis le début de l’année 2015, nous avons ainsi procédé à 1 600 éloignements, contre 1 000 en 2014. Je suis tout à fait prêt à communiquer à vos commissions les documents de la police aux frontières qui attestent ces chiffres.

Cinquième axe : nous humanisons les conditions d’accueil des migrants présents à Calais. J’ai accepté la proposition de la maire de Calais – qui appartient à l’opposition et fait son travail de maire – de mettre en place un accueil de jour, afin notamment de distribuer un repas par jour aux migrants. Le Gouvernement s’est mobilisé pour le financer avec des moyens budgétaires nationaux et des concours européens. En outre, nous allons élargir encore les possibilités d’accueil des femmes et des enfants vulnérables. Dans le cadre du plan « grand froid », j’ai demandé au préfet de mettre en place des dispositions d’accueil spécifiques pendant la période hivernale. Enfin, la lande ne doit pas être un cloaque. Nous allons l’aménager afin que les migrants puissent s’abriter et ne soient plus dans la situation de précarité qu’ils connaissent actuellement.

Pour répondre à votre question, madame la présidente Danielle Auroi, si cette action n’est pas conforme aux objectifs que nous devons poursuivre avec les associations, je ne sais plus comment faire ! Nous sommes engagés dans une démarche humanitaire de long terme, déterminée, persévérante et volontaire. À Calais comme ailleurs, il faut allier humanité et responsabilité. Je recevrai toutes les associations vendredi soir place Beauvau. Le ministère de l’intérieur suscite, par construction, leur méfiance, mais il entend faire pleinement son travail sur le volet humanitaire.

La politique que nous menons à Calais est difficile. Elle est différente de celle qui a été conduite jusqu’à présent, et je l’assume devant vous. Je souhaite la développer à Dunkerque et à Téteghem, dont j’ai reçu les élus ce matin.

Pour terminer, je souhaite évoquer la question de fond de Schengen, car j’entends parler d’un « Schengen II » ou d’un abandon de Schengen.

Un « Schengen II », pourquoi pas, mais de quoi s’agit-il ? J’ai lu plusieurs dépêches à ce sujet. Selon l’une d’entre elles, « Schengen II », ce serait un espace Schengen dont on accepte les règles. Cela ne pose guère de problème : Schengen n’a pas été conçu pour que l’on n’en respecte pas les principes !

Ensuite, j’ai entendu dire que « Schengen II », ce serait Schengen avec le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. Cela ne pose pas de difficulté non plus : c’est précisément ce que nous demandons à travers le renforcement de Frontex, la mise en place des hot spots et la négociation de conventions de retour. J’y suis très favorable.

Selon une troisième version, « Schengen II », ce serait la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures de l’Union, lorsque les règles de Schengen ou de Dublin ne sont pas respectées. J’ai même entendu dire que nous étions prêts à suivre l’Allemagne lorsqu’elle a rétabli les contrôles à ses frontières, constatant que les règles de Dublin n’étaient pas respectées dans d’autres pays. Or, il y a trois mois et demi ou quatre mois, je le rappelle, les chaînes de télévision ont diffusé des reportages très critiques à mon encontre, précisément parce que j’avais rétabli les contrôles à Vintimille, n’étant pas convaincu que les principes de Dublin étaient respectés en Italie. Donc, loin d’avoir suivi l’Allemagne, nous avons instauré des contrôles avant qu’elle ne le fasse elle-même. Car il est normal qu’un pays veille au respect des règles de Schengen et de Dublin, et qu’il mette en place des contrôles lorsque c’est nécessaire. Si c’est cela, « Schengen II », cela ne me pose pas de problème.

Certains m’ont demandé de rétablir les contrôles à la frontière franco-allemande. J’ai répondu que c’était stupide et je le confirme. Car les flux de migrants ne vont pas de l’Allemagne vers la France, au cas où cela aurait échappé à la sagacité de ceux qui m’ont fait cette proposition ! Le rétablissement des contrôles entre la France et l’Allemagne aurait donc un effet contraire à l’objectif qu’ils cherchent à atteindre. Mais sans doute y a-t-il dans cette proposition un mystère que la présente réunion nous permettra de percer…

Enfin, d’aucuns affirment que Schengen est un problème dans la lutte contre le terrorisme et proposent d’en sortir. À ceux-là, j’aimerais poser quelques questions très précises. Actuellement, le signalement de tous ceux qui, compte de leur activité, sont susceptibles de basculer dans le terrorisme est versé au système d’information Schengen (SIS). Sans Schengen et le SIS, comment la coopération entre États membres en matière de lutte contre le terrorisme s’organiserait-elle ? C’est un véritable problème. De même, sans Schengen, comment serions-nous alertés du fait qu’une personne « fichée S » franchit les frontières extérieures de l’Union européenne, puis les frontières intérieures ? Nous ne saurions plus comment faire.

Les personnes qui prônent l’abandon de Schengen pour mieux lutter contre le terrorisme sont d’ailleurs aussi celles qui sont opposées au PNR – passenger name record –, alors que ce système permet de rétablir la traçabilité des terroristes lorsqu’ils reviennent des théâtres d’opérations, c’est-à-dire d’être informé de leur retour en temps voulu pour pouvoir les neutraliser avant qu’ils ne franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne. À bien y regarder, la meilleure manière d’échouer dans la lutte contre le terrorisme, c’est de renoncer à Schengen, au SIS, au système de signalement et au PNR. Même si tous ces instruments ne suffisent pas à lutter contre le terrorisme, chacun le comprendra.

Je serais très intéressé de savoir ce qu’est « Schengen II » par rapport aux différentes hypothèses que j’ai évoquées, et d’en parler. Car il n’y a aucune raison de ne pas retenir les bonnes idées. Après tout, sur les questions difficiles auxquelles nous sommes confrontés, plus nous cheminons ensemble, plus nous créons les conditions du consensus républicain, à condition de le faire avec une exigence partagée de méthode, de rigueur et de vérité.

La Présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup, monsieur le ministre. Ainsi que vous l’aviez fait dans l’hémicycle, vous avez bien mis en évidence la cohérence de la politique nationale, européenne et internationale qui est menée, dans un esprit à la fois d’humanité et de responsabilité.

Pouvez-vous nous éclairer sur le travail que vous avez conduit avec un certain nombre de pays extérieurs à l’Union européenne, notamment avec la Turquie et avec la Tunisie ?

M. Jean-Pierre Dufau. Je suis rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour la mission « Immigration, asile et intégration ». Chaque année depuis 2012, j’ai conclu, dans mon rapport, que la question des réfugiés et celle de l’immigration clandestine devaient être traitées non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelon européen. Les circonstances ont fait que cette conclusion s’est révélée plus qu’exacte. Je me réjouis de la prise de conscience actuelle au niveau européen, mais nous avons perdu du temps en laissant ces questions sous la responsabilité des seuls États.

Nous avons vu comment les Italiens se sont débrouillés avec l’opération Mare Nostrum, à laquelle on a substitué une opération sous l’égide de Frontex, ainsi que vous l’avez mentionné. Cela montre bien que quelque chose ne fonctionnait pas. Aujourd’hui, les choses évoluent, et la France joue un rôle majeur à cet égard.

Vous avez également évoqué la politique nationale, qui est nécessairement en harmonie et complémentaire de cette politique européenne qui se met enfin en place, certes pas toujours facilement. La loi relative à la réforme du droit d’asile et le projet de loi relatif au droit des étrangers ont considérablement fait bouger les lignes, en tout cas dans notre pays. Vous avez joué un rôle déterminant en la matière, et nous vous en remercions.

Ce matin, le directeur général de l’OFPRA nous a fait part des moyens supplémentaires que vous avez mis à disposition. Ils permettent d’améliorer nos résultats, ainsi que le démontrent les chiffres que vous nous avez donnés. Un mois gagné sur le traitement des dossiers, c’est, je le rappelle, 10 à 15 millions d’euros économisés. Les progrès qualitatifs ne sont donc pas neutres du point de vue budgétaire. S’agissant des moyens supplémentaires à venir, pourriez-vous préciser ce qui est prévu dans le budget pour 2016 ?

M. Bernard Lesterlin. Il est absolument nécessaire d’accompagner les familles de réfugiés pour permettre leur bonne intégration, que leur séjour soit durable ou non. Vous avez désigné un préfet, M. Kléber Arhoul, comme coordonnateur national chargé de l’organisation de l’accueil des migrants. L’Agence du service civique s’est immédiatement mobilisée afin que des jeunes appuient les efforts de tous les partenaires dans le cadre de leur engagement citoyen. Tout cela nécessite, selon moi, une gestion de proximité absolue, par exemple au niveau des arrondissements, par les sous-préfets. Quelles instructions avez-vous données dans ce sens ?

M. Michel Piron. Loin de moi l’idée d’occulter les difficultés immenses que soulèvent ces questions, mais, bien que vous ayez évoqué l’action de la France depuis août 2014, je m’interroge : pourquoi la France n’a-t-elle pas été entendue à l’époque, alors que l’Allemagne l’a été ensuite ? Nous avons quand même eu l’impression à un moment donné – ce n’est qu’une impression, mais elle a été forte – que le pays des droits de l’homme, c’était l’Allemagne, avec Mme Merkel.

L’urgence, c’est d’accueillir, vous l’avez très bien dit. Mais, après avoir accueilli, il faut répartir. Les choses sont désormais claires pour ce qui est de la répartition entre pays européens, mais pouvez-vous nous donner des précisions en ce qui concerne la répartition interne ? En Allemagne, la question est traitée au plus haut niveau, dans le cadre d’une conférence avec les Länder. Qu’en est-il en France ?

Ensuite, il faut intégrer. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur l’apprentissage de la langue ? C’est un élément absolument fondamental, qui conditionne notamment l’accès à l’emploi pour ceux qui souhaitent s’intégrer. La comparaison avec l’Allemagne me semble, là aussi, éclairante.

Ainsi que vous l’avez indiqué, l’Union européenne apporte une aide importante aux pays les plus touchés, notamment aux pays voisins, la Jordanie, le Liban et la Turquie. Quel est votre sentiment à propos de la politique turque sur ces questions ? Elle semble quelque peu ambiguë.

La difficulté est encore plus grande avec les pays d’origine, car, dans un certain nombre d’entre eux, on ne sait même plus ce qui reste de l’État. Se pose alors la question de notre action diplomatique et militaire.

Dans cette affaire, on le sait bien, l’opinion publique joue un rôle majeur. Mais on peut soit la prendre à témoin, soit la suivre, soit la précéder. C’est de ce point de vue que j’ai admiré, à un moment donné, la position de Mme Merkel. Je reconnais qu’il est très difficile de privilégier l’information et la raison sur la communication et l’émotion. Mais, si l’on pouvait faire en sorte qu’elles ne se contredisent pas, ce serait une bonne chose.

M. Benoît Hamon. Au cours des derniers mois, du point de vue de ceux qui sont attachés au projet européen et aux valeurs telles que la démocratie, la tolérance et l’hospitalité, l’Union européenne a donné une image assez désastreuse sur la crise des réfugiés, sans même parler de l’épisode grec. Où en serions-nous s’il n’y avait pas eu cette initiative franco-allemande qui a finalement repris une partie des propositions de Jean-Claude Juncker concernant la répartition des réfugiés sur deux ans ? Je veux pour preuve de cette image désastreuse les tristes encarts publicitaires que l’on trouve dans la presse arabophone, notamment au Liban et en Jordanie, et qui, invoquant l’exemple du Danemark ou de la Hongrie, invitent les réfugiés à rester dans les camps, contre leur gré, et à ne surtout pas se rendre en Europe.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, qu’il fallait conditionner l’instauration du mécanisme permanent de répartition des demandeurs d’asile, d’abord, à la mise en place des hot spots et, ensuite, à la conduite d’un travail plus approfondi avec les pays qui accueillent ces réfugiés en premier, notamment la Turquie, la Jordanie et le Liban. Je rentre d’une mission au Liban avec Axel Poniatowski et deux autres collègues. Nous avons visité plusieurs camps de réfugiés et constaté que le cri d’alarme de Ban Ki-moon était tout à fait fondé : les agences des Nations unies, notamment le Programme alimentaire mondial et le HCR, sont en faillite. Au Liban, le HCR ne couvre que 40 à 50 % des besoins en aide alimentaire !

En outre, le Liban ne souhaitant pas répéter l’expérience qu’il a connue avec les réfugiés palestiniens, les camps restent privés et illégaux : les réfugiés y paient, entre autres, un loyer et l’électricité, et ne peuvent guère vivre correctement. Actuellement, la plupart des familles ne souhaitent pas aller au-delà du Liban ou de la Jordanie, mais, plus la précarité et la pauvreté grandiront, notamment du fait qu’elles ne peuvent pas travailler, plus la tentation sera grande de partir plus loin et de grossir les flux de migrants qui viennent en Europe. Par ailleurs, la présence de 1,2 à 1,5 million de réfugiés sunnites risque de déstabiliser le Liban, dont l’équilibre institutionnel et confessionnel est extrêmement fragile.

L’Union européenne a pris des engagements, mais ils restent très en deçà des besoins des Nations unies, qui ont réclamé, je le rappelle, 20 milliards de dollars pour faire face aux crises migratoires cette année. C’est donc, pour moi, un point d’inquiétude.

Dans le même temps, si l’on en croit le projet de loi de finances, la France envisage de diminuer son budget de coopération et d’aide au développement. Ce serait, selon moi, un mauvais signal adressé aux pays qui accueillent aujourd’hui l’essentiel des réfugiés de la guerre en Syrie et sont obligés de redoubler d’efforts pour limiter les flux migratoires. Même si cette question ne relève pas directement de votre compétence, monsieur le ministre, j’aimerais connaître votre avis sur ce qu’il serait nécessaire de faire pour améliorer notre aide à ces pays.

La Présidente Élisabeth Guigou. S’agissant du budget de l’aide au développement, il faut attendre l’amendement gouvernemental annoncé.

M. Pierre Lellouche. Compte tenu de l’heure et face à un ministre aussi talentueux, il va être un peu compliqué de faire entendre quelques questionnements de l’opposition sans être immédiatement tourné en ridicule. M. Cazeneuve a passé une partie de son temps à instruire le procès de l’un de ses prédécesseurs avec le talent qu’on lui connaît. Je ne veux pas entrer dans la polémique… (Rires de plusieurs commissaires de la majorité.)

Chers collègues de la majorité, il est déjà délicat pour l’opposition d’intervenir au bout d’une heure vingt ! Si, en plus, cela déclenche des éclats de rire, je peux tout aussi bien m’en aller et vous laisser vous congratuler les uns les autres, ainsi que vous le faites depuis un quart d’heure !

La Présidente Élisabeth Guigou. M. Piron, qui est également membre de l’opposition, s’est exprimé avant vous, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. La situation est grave, sans précédent depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale – nous sommes tous d’accord sur ce point. Il n’y a pas de solution facile et, donc, ainsi que je viens de le dire, pas de place pour la polémique dans cette affaire.

Monsieur le ministre, il faut examiner le bilan de votre politique, que vous avez défendu avec talent, mais vous avez aussi, selon moi, présenté la réalité sous un angle très contestable. Je me suis rendu, moi aussi, dans des camps de réfugiés ; j’ai eu l’occasion de discuter avec un certain nombre de responsables politiques qui siègent au Conseil auquel vous participez ; et je n’ai pas exactement la même lecture des événements que vous.

Parlons d’abord de l’alignement sur Mme Merkel. Vous pouvez expliquer tout ce que vous voulez, notamment en remontant jusqu’à août 2014, le fait est que la politique européenne en matière d’immigration a changé à partir du moment où la Kaiserin, Mme Merkel, patronne de l’Europe, a décidé d’ouvrir les portes. Cela a déclenché un appel d’air considérable sur toutes les frontières de l’Union européenne, ce qui a conduit un certain nombre de pays à fermer leurs frontières nationales, le Président de la République ayant lui-même déclaré qu’il envisageait de faire de même.

Pour avoir parlé à un certain nombre d’acteurs, je sais que Mme Merkel a eu des conversations avec M. Juncker, et que celui-ci a appliqué ce que souhaitait Mme Merkel, à savoir des quotas obligatoires, imposés du haut vers le bas, qui changent la nature des règles européennes. Car, si nous appliquions à d’autres domaines la logique de Mme Merkel, qui consiste à dire que l’Allemagne ne peut pas supporter seule le fardeau et qu’il faut des quotas obligatoires, nous serions en droit de demander un quota obligatoire d’hélicoptères et de soldats allemands au Mali, et M. Tsipras serait en droit d’exiger un quota obligatoire de prise en charge de la dette grecque par Mme Merkel !

Donc, Mme Merkel a changé les règles de l’Union européenne, elle a modifié le système et vous l’avez suivie. J’en veux pour preuve que même les chiffres changent au gré de ses déclarations. Le Président de la République annonce 120 000, après quoi elle annonce 160 000, puis 800 000… En fait, on n’en sait rien ! Et notre opinion publique n’en sait rien ! C’est tout le problème, monsieur le ministre.

Vous êtes un bon avocat pour défendre votre politique, vous faites votre métier et vous pouvez être extrêmement convaincant, mais permettez-moi de vous dire que votre plaidoirie ne correspond pas à la réalité. La réalité, c’est que vous ne contrôlez rien, parce que les événements autour de nous ne sont pas contrôlés. Il suffit de voir le désordre diplomatique autour de la Syrie pour le comprendre. Quant à la fragilité des camps de réfugiés au Liban évoquée par M. Hamon, je la confirme. C’est d’ailleurs exactement la même chose en Turquie, où je me suis rendu ces derniers jours.

Ensuite, vous aurez beau l’expliquer comme vous le voulez, le système des quotas obligatoires, imposé au forceps, ne fonctionne pas, parce qu’un certain nombre de pays n’en veulent pas. Et, sauf si vous modifiez la nature de l’Union européenne, vous n’allez pas forcer des États souverains à accepter des gens dont ils ne veulent pas. À terme, cette affaire risque de faire sauter ce qui reste de l’Union européenne.

J’en viens à mes interrogations. Toutes sortes de chiffres circulent : vous avez annoncé 600 000 migrants, l’Allemagne 800 000, d’autres organisations avancent le chiffre de 1 million. Ce que l’on sait, c’est que ces chiffres sont évolutifs. Ainsi que l’a expliqué M. Hamon, le père de famille qui est sous la tente depuis je ne sais combien de temps au Liban ou en Turquie, et qui entend dire que l’Europe est ouverte, va vouloir passer en Europe. Il y a en ce moment près d’Edirne, à la frontière entre la Turquie et la Grèce, des masses de gens qui veulent entrer en Europe.

Donc, les chiffres sont évolutifs et dépendent des signaux que l’on envoie. Or ces signaux ne sont pas clairs. Vous avez, à juste titre, modifié la politique menée par M. Renzi en Méditerranée, mais nous n’avons toujours pas de contrôles sérieux aux frontières extérieures de l’Union européennes. Si vous voulez envoyer un signal pour stopper les flux et sauver Schengen, il faut mettre en place d’urgence de tels contrôles, tant en Méditerranée et sur les frontières maritimes grecques que sur la frontière terrestre avec la Turquie. Or je ne vois pas le début d’une politique sérieuse en la matière. Où sont les forces ? Où sont les moyens ? Où sont les accords qui permettraient de les déployer ?

La Présidente Élisabeth Guigou. Bien…

M. Pierre Lellouche. Le ministre a parlé près d’une heure. Autorisez-moi à poser quelques questions en tant que représentant de l’opposition !

Ma question suivante porte sur Schengen. Dès lors que les frontières sont rétablies de façon anarchique d’un État à l’autre et que les flux de migrants les contournent, c’est qu’il y a un léger problème ! Schengen ne peut pas continuer à vivre sans un accord en ce sens et sans contrôles. Ce n’est pas en critiquant les propositions de l’opposition que vous réglerez le problème, monsieur le ministre, celui de la vacuité des accords de Schengen aujourd’hui. La réalité, c’est que ces accords ne fonctionnent plus.

Vous avez annoncé une série de chiffres concernant les reconduites à la frontière et critiqué l’action de l’un de vos prédécesseurs. Le fond du problème, c’est que la France enregistre depuis des décennies 200 000 entrées légales par an – ce sont les chiffres de votre ministère –, que sur ces 200 000 entrées, 5 % sont liées à un travail – ce sont les chiffres de la Cour des comptes –, que s’y ajoutent 60 000 demandeurs d’asile par an, dont à peine 12 000 à 13 000 sont reconduits à la frontière, tous les autres restant sur notre territoire, et qu’il faut compter, en plus, les clandestins. Cela fait beaucoup de monde, monsieur le ministre ! Et cela a des répercussions dans l’opinion publique : de plus en plus de gens, y compris parmi vos propres électeurs, disent qu’il vaut mieux être aujourd’hui une personne qui arrive en France, laquelle a droit à un logement et à 200 euros par mois ou à 700 euros dans le cas d’une famille, qu’une personne qui galère pour trouver un logement et un emploi. Voilà ce que j’entends et que vous devriez, vous aussi, entendre, monsieur le ministre. Telle est la gravité du problème.

Tout en respectant le travail que vous faites – vous essayez de remplir vos fonctions et c’est difficile –, je vous demande une chose, monsieur le ministre : si vous voulez être républicain, de grâce, écoutez ce que l’on vous dit plutôt que de ridiculiser les propositions de l’opposition ainsi que vous venez de le faire pendant une heure. Nous avons, nous aussi, une certaine expérience de ces questions, et nos propositions sont travaillées et sérieuses.

La Présidente Élisabeth Guigou. Jamais un ministre de l’intérieur n’est venu aussi souvent devant la commission des affaires étrangères et devant la commission des affaires européennes. On ne peut donc pas prétendre qu’il ne nous écoute pas !

M. François Loncle. Je renonce à ma question. L’heure est déjà très avancée, et cela pose un problème d’organisation.

Mme Chantal Guittet. Actuellement, il n’existe pas de critères communs d’éligibilité au statut de réfugié au niveau de l’Union européenne. La preuve en est que la France accorde deux fois moins de statuts de réfugié que la moyenne des autres pays européens. Y aura-t-il une politique coordonnée de l’Union européenne dans les hot spots ? Définira-t-on des critères communs afin que tous les pays fassent la même chose ? Si l’on fait dans les hot spots la distinction entre ceux qui peuvent demander l’asile et ceux qui relèvent de l’immigration économique, qu’en sera-t-il ensuite de la coordination avec les agences nationales chargées de l’asile, par exemple avec l’OFPRA en France ?

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que la France n’avait pas connu d’augmentation du nombre de demandeurs d’asile. Mais, en réalité, le fait d’accorder deux fois moins de statuts de réfugié que les autres pays européens n’est-il pas un moyen de limiter ce nombre ?

À l’instar de M. Hamon, je ne trouve pas normal que le budget d’aide au développement de la France baisse fortement depuis quatre ans, alors que celui de tous les autres pays européens augmente. Si la rectification annoncée pour 2016 intervient, elle risque d’être tardive. Si l’on veut tarir le flux de migrants économiques, il ne faut pas négliger l’aide au développement.

Mme Marietta Karamanli. S’agissant du mécanisme de relocalisation des réfugiés, lors de nos travaux au sein de la commission des affaires européennes, nous avons jugé inacceptable que 75 % des demandes d’asile soient concentrées sur cinq pays et estimé que la pondération des facteurs – PIB, taux de chômage, etc. – pris en compte dans la clé de répartition ne convenait pas. Où en sommes-nous sur cette question ? Quels sont les critères retenus aujourd’hui pour la relocalisation ?

Un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les politiques migratoires en Europe et hors d’Europe met l’accent sur les grandes difficultés qu’éprouvent les migrants à s’insérer, compte tenu notamment de leur niveau de qualification. Quelles mesures la France et l’Union européenne entendent-elles prendre en termes de politiques transversales visant à faciliter l’intégration de ces populations ?

M. Jacques Myard. Ces questions vont nous occuper pendant des décennies, car nous sommes non pas à la fin, mais au début du phénomène. Il va s’amplifier, pour des raisons que nous connaissons tous. Actuellement, je vous vois écoper, monsieur le ministre : malheureusement, les moyens dont vous disposez ne sont pas à la hauteur des enjeux.

J’étais en Arabie saoudite et en Jordanie lorsque l’Allemagne a annoncé qu’elle accueillerait 800 000 migrants. L’impact de cette annonce dans les pays concernés a été redoutable, notamment dans les médias. Je m’étonne que la chancelière ait pu lancer ce chiffre urbi et orbi sans en parler à ses partenaires ; c’est un problème de taille. Elle va d’ailleurs le payer cher : des critiques acerbes montent à son égard, ainsi que je l’ai constaté lors de contacts récents avec deux maires allemands de son parti. C’est, me semble-t-il, très grave. La France et l’Allemagne s’étaient-elles concertées avant cette annonce catastrophique, monsieur le ministre ?

Lorsque l’on visite les camps de réfugiés et que l’on sait que le HCR n’a plus d’argent, on se rend compte que la seule solution, c’est que l’Union européenne aide massivement les États tels que la Jordanie, le Liban et la Turquie, et qu’elle demande peut-être à des alliés tels que l’Arabie saoudite, qui ont, paraît-il, beaucoup d’argent, d’accueillir des réfugiés. Cela soulève d’ailleurs une question quant à la conduite de notre politique étrangère : il ne suffit pas de vendre des armes – et je ne polémique pas, car j’ai été, moi aussi, marchand de canons dans une vie antérieure, et je l’assume. En tout cas, il faut fixer ces populations autour de la zone du conflit. Nous ne pouvons pas nous permettre d’organiser une Völkerwanderung, ou alors nous courons à la catastrophe.

Vous avez indiqué que nous avions organisé, avec les Britanniques, 1 600 retours à partir de Calais. Pouvez-vous préciser vers quelles destinations ? Avez-vous réussi à renvoyer ces migrants dans leur pays d’origine ? Je me pose cette question, car je connais les difficultés que nous avons à organiser les retours de manière générale.

M. Michel Vauzelle. Je souhaite évoquer le problème de la bataille de l’information. En avril dernier, les présidents des régions méditerranéennes de l’Europe se sont réunis à Palerme pour apporter leur soutien moral à la Sicile, ce qui était, au demeurant, bien peu de chose. Le président de la Sicile nous a fait remarquer que, si les images des réfugiés pouvaient faire honte à l’Europe, compte tenu de son attitude à ce moment-là, elles pouvaient aussi avoir un autre résultat : faire peur et déclencher la xénophobie et le racisme.

Votre action, monsieur le ministre, montre que l’on peut défendre les valeurs de la République, en particulier le droit d’asile, tout en étant soucieux de l’ordre républicain et en se gardant de faire des annonces inconsidérées. Mais, aujourd’hui, en dépit des mesures claires qui ont été annoncées tant par les autorités européennes que par vous-même, à entendre des personnalités aussi éminentes que M. Lellouche, il semble que le manque d’information, contre lequel il est très difficile de lutter, soit source de désinformation, laquelle alimente, surtout dans la région que je préside actuellement, un mouvement très fort de peur, de xénophobie et de racisme.

Il y a donc une autre bataille à mener, contre un front qui va de M. Lellouche, qui s’exprime en ayant une connaissance approfondie des choses, à Mme Morano, qui, manifestement, ne sait plus ce qu’elle dit. Vous la menez très bien, monsieur le ministre, mais vous vous entendez dire que vous écopez face à l’immensité du problème, ou que vous labourez la mer, ainsi que le disait Bolívar dans d’autres circonstances. Que peut-on faire dans ce contexte, à la veille d’élections qui risquent d’être catastrophiques pour l’image de la France et pour le message qu’elle doit adresser en ce moment, notamment en Méditerranée ?

M. Philip Cordery. Merci, monsieur le ministre, d’avoir rétabli un certain nombre de faits dans votre propos introductif, car il devenait assez fatigant d’entendre les polémiques de l’opposition sur le point de savoir qui de l’Allemagne ou de la France avait été la plus généreuse, ainsi que les « Vive Mme Merkel ! ». Les faits sont têtus : sans l’obstination de la France tout au long de l’été pour parvenir à une proposition franco-allemande notamment sur les hot spots et sur la juste répartition des réfugiés, nous n’aurions pas eu les annonces qui ont été faites à la sortie de l’été. L’important est que cette impulsion ait été donnée et qu’il y ait eu une décision au niveau européen, qui permet de gérer l’urgence. Mon seul regret, c’est que certains États membres, qui ont bénéficié de la solidarité européenne dans un passé assez récent, ne souhaitent pas participer aujourd’hui à cet effort de solidarité si important.

Ma question porte sur le moyen terme. Comme cela a été dit, nous ne sommes pas à la fin du phénomène. Ne serait-il pas temps aujourd’hui, ainsi que le Président de la République l’a proposé sur les questions économiques, d’aller plus loin dans l’intégration de nos instruments et de nos politiques d’asile au niveau européen ? Je pense notamment à l’harmonisation des conditions d’accès au statut de réfugié ou à la création d’un « OFPRA européen ». Il s’agirait aussi d’avoir une politique cohérente de mobilité sur le territoire européen : actuellement, les demandeurs d’asile doivent attendre cinq ans avant de pouvoir se rendre dans un autre État membre ; ne pourrait-on pas diminuer cette durée ?

M. Bruno Gollnisch, député européen. Monsieur le ministre, vous nous avez donné des chiffres précis concernant les éloignements hors de l’Union européenne. Ils paraissent toutefois contredire un rapport provisoire de la Cour des comptes qui avait fuité dans Le Figaro en avril dernier et qui faisait état d’un pourcentage d’éloignements tout à fait dérisoire. Vous vous dites partisan d’une politique de fermeté, mais quel est le pourcentage effectif de déboutés du droit d’asile qui sont reconduits à la frontière ? Lorsque leur dossier a été rejeté – l’examen prenant en moyenne deux ans, avez-vous indiqué –, ces personnes sont considérées comme des migrants économiques qui n’ont pas vocation à rester en France.

D’autre part, que signifie exactement, dans la majorité des cas, « reconduite à la frontière » ? Prenons l’exemple d’un ressortissant pakistanais qui serait arrivé en France en transitant par la Belgique, aurait sollicité l’asile et aurait été débouté au bout d’un certain nombre de mois, voire d’années. S’il était réticent à quitter la France, ainsi que le sont l’immense majorité des personnes qui se trouvent dans cette situation, le feriez-vous raccompagner à Charleville-Mézières ou bien à Karachi ? Dans la première hypothèse, l’intéressé aurait toute latitude pour revenir en France dès le lendemain, en passant par Sedan, dont le poste de douane est aujourd’hui désaffecté.

M. Jean Glavany. Merci, monsieur le ministre, de votre disponibilité, de votre sérieux et de votre compétence.

La mission d’information sur la Libye qui est présidée par Mme Ameline et dont je suis le corapproteur va bientôt achever ses travaux. Nous nous sommes penchés pendant plusieurs mois sur les questions migratoires. Nous avons le sentiment que les flux migratoires se sont simplement déplacés de l’ouest du Maghreb – ils avaient notamment pour destination les enclaves espagnoles – vers la Libye, sans augmenter véritablement. Le confirmez-vous ?

Je préside un office d’HLM, qui est candidat aux côtés de l’association France terre d’asile à la création d’un CADA, en réponse à l’appel d’offres national que vous avez lancé.

D’autre part, j’ai interrogé la préfète de mon département sur la capacité de l’État à financer des mesures d’accompagnement social en faveur des migrants. Or les crédits d’action sociale de l’État se tarissent, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter. J’espère qu’il y aura une amélioration sur ce point dans le projet de loi de finances pour 2016.

S’agissant de la situation à Calais, je suis beaucoup plus sévère que vous avec la politique menée par l’un de vos prédécesseurs avec les accords du Touquet – mes propos n’auraient pas plu à M. Lellouche, mais il est, évidemment, déjà parti. Si nous connaissons cette situation traumatisante à Calais, c’est parce que les Britanniques ont fermé leur frontière. Selon vous, c’est la meilleure manière de lutter contre les filières de passeurs. Mais, autour de moi, les Français ne comprennent pas que nous assumions seuls cette responsabilité écrasante à la place des Britanniques, qui regardent cela depuis leur île, avec leur condescendance habituelle ! Nous avons fait preuve, selon moi, d’une grande faiblesse en signant les accords du Touquet.

Mme Seybah Dagoma. Je salue, monsieur le ministre, l’action déterminée que vous menez, avec responsabilité et humanité.

Ainsi que vous l’avez indiqué, l’afflux de réfugiés cherchant asile en Europe, en particulier en France, nous impose de conduire des réformes en matière d’organisation, d’adapter notre législation et d’engager de nouveaux moyens. Cet afflux est aujourd’hui principalement provoqué par les guerres civiles et l’effondrement des États, notamment au Moyen-Orient. Il n’en reste pas moins que les changements climatiques ont déjà des incidences sur la stabilité sociale et politique de nombreux pays, et nous savons qu’ils seront un facteur majeur de déstabilisation et de migration dans le siècle en cours : d’après la présidente du Fonds pour l’environnement mondial, 60 millions de personnes pourraient migrer des parties dégradées de l’Afrique subsaharienne vers l’Afrique du Nord et l’Europe d’ici à 2020. Or il n’existe pas, à ce jour, de statut juridique pour les réfugiés climatiques. C’est un point de préoccupation, et nous devons, là aussi, faire des réformes. En pratique, comment les cas des personnes qui se déplacent en raison des changements climatiques sont-ils traités ? Quel est l’état de nos travaux sur la définition d’un statut pour ces personnes ?

M. Serge Janquin. Mesdames les présidentes, ce n’est plus supportable : ce n’est pas la première fois que M. Lellouche se pose en porte-parole des républicains de droite et qu’il transforme ainsi nos règles de fonctionnement interne ! En principe, tous les parlementaires au sein de la commission des affaires étrangères sont à égalité de droits et de temps de parole. De deux choses l’une : soit nous changeons nos pratiques en instituant aussi un porte-parole des républicains de gauche, soit nous signifions à M. Lellouche que cela suffit et qu’il dispose de deux minutes, pas plus, pour poser ses questions. Pardon, monsieur le ministre, de vous avoir rendu témoin de cette mise au point.

J’en viens au fond du problème. Nous sommes confrontés à une crise inédite, par son ampleur, vraisemblablement par sa durée, mais aussi par son sens, car elle touche à des questions de sécurité essentielles pour les pays européens, notamment pour la France. Mais on oublie qu’elle dure déjà depuis longtemps : lorsque l’on a voulu faire l’Union pour la Méditerranée, j’ai été de ceux qui ont prévenu que l’on ne construit pas une union sur un cimetière marin. Et, en effet, cela n’a pas marché.

Je salue votre politique cohérente et équilibrée, monsieur le ministre, entre, d’un côté, l’accueil républicain bienveillant des réfugiés politiques, en tout cas de la part qui nous revient, et, de l’autre, la fermeté en matière de reconduites à la frontière de ceux qui ne relèvent pas de ce statut. Vous avez indiqué que la politique européenne devenait plus cohérente sur ces questions. J’aimerais en être convaincu. Je sais que vous y travaillez, mais il reste encore du chemin à faire, vous en conviendrez.

L’un des éléments sur lesquels nous pouvons encore jouer pour endiguer le flux de migrants, c’est la situation des réfugiés en Jordanie, au Liban et en Turquie, ainsi que l’a souligné M. Hamon. Au début, nous pensions qu’ils rentreraient chez eux, mais, du fait de la durée du conflit et des risques auxquels ils sont exposés, ils en viennent à fuir vers nos territoires. Si la communauté internationale s’était davantage impliquée en temps utile, ainsi que les autorités libanaises et jordaniennes le souhaitaient, si nous n’avions pas laissé ces pays aussi seuls face à ce problème, peut-être la crise serait-elle aujourd’hui un peu moins aiguë qu’elle ne l’est.

M. le ministre. Il est important que je réponde de la manière la plus précise possible aux questions des parlementaires sur un sujet aussi grave.

Madame la présidente Élisabeth Guigou, nous devons réfléchir ensemble à la manière de travailler avec la Turquie sur le sort des quelque 2 millions de réfugiés qui se trouvent sur son territoire. Ces réfugiés viennent de pays en guerre, et la Turquie les a accueillis jusqu’à présent aux meilleurs standards, ainsi que l’a reconnu le HCR. Notre préoccupation, c’est de travailler résolument avec la Turquie et d’augmenter de façon très significative les moyens du HCR. Sur l’abondement de 4 milliards décidé par l’Union européenne, 1,7 milliard sera consacré à l’accompagnement des efforts dans les camps de réfugiés. Il est très important de le faire.

Vous avez indiqué, monsieur Hamon, qu’il était de plus en plus difficile aux réfugiés de rester dans les camps. C’est exact, mais nous devons rester très prudents dans ce que nous avançons sur ce sujet. Je le dis très clairement devant vos commissions au risque de choquer certains d’entre vous : l’Europe n’est pas en situation d’accueillir les quelque 4 millions de réfugiés qui se trouvent dans les camps en Jordanie, en Turquie et au Liban. Cette idée n’est pas soutenable, et cela poserait des problèmes considérables. Le Premier ministre l’a déclaré la semaine dernière, et je partage tout à fait son sentiment.

Plusieurs d’entre vous ont visité des camps et ont constaté le décalage qui existait entre les standards humanitaires nécessaires pour accompagner ces populations, notamment si l’on veut qu’elles restent dans les camps jusqu’à ce qu’elles puissent rentrer chez elles, et les moyens qui sont mobilisés actuellement. L’une des propositions fortes de la France dans les discussions européennes, c’est de relever au maximum le niveau de l’aide internationale dans les camps, notamment via le HCR, car nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas être aux meilleurs standards humanitaires.

Je ne rentrerai pas dans le détail de notre coopération avec la Tunisie, pour des raisons que vous comprendrez bien. Nous travaillons de façon très étroite avec ce pays, notamment sur un important volet portant sur la sécurisation de ses frontières, compte tenu de l’inquiétude légitime que suscite la situation en Libye.

Monsieur Dufau, je vous confirme que, derrière l’ambition, il y a les moyens budgétaires correspondants. Le ministère de l’intérieur verra ses moyens significativement renforcés en 2016, à hauteur de 85,2 millions d’euros, au titre la mission « Immigration, asile et intégration ». Ces crédits permettront la création de places d’hébergement supplémentaires en CADA. Ainsi que je l’ai indiqué, nous avons décidé de créer 18 500 places sur la durée du quinquennat : les 5 000 places dont la création a été annoncée pour 2016 par le Premier ministre s’ajouteront aux 3 000 créées entre 2012 et 2014, aux 5 000 en cours de création, aux 3 500 inscrites dans le projet de loi de finances pour 2016 et aux 2 000 prévues en 2017. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit également une augmentation des effectifs de l’OFII et de l’OFPRA à hauteur de 196 équivalents temps plein afin d’assurer l’accueil des 30 000 réfugiés supplémentaires. Cet effort budgétaire très significatif sera soumis à la délibération du Parlement.

Monsieur Piron, vous avez eu le sentiment, avez-vous dit, que le pays des droits de l’homme, c’était l’Allemagne. Lorsque notre pays prend des positions fortes, j’entends systématiquement que c’est mieux ailleurs. Cela étant, en l’espace de quinze jours, les couvertures des magazines ont changé du tout ou tout : dans un premier temps, elles ont déploré que le président Hollande fasse moins que Mme Merkel ; ensuite, elles ont critiqué « l’irresponsabilité » de Mme Merkel. Parfois, d’ailleurs, ces articles contradictoires ont été signés par les mêmes auteurs.

La France a pris des positions très claires : nous devons accueillir ceux qui relèvent du statut de réfugié conformément aux valeurs qui sont les nôtres depuis 1793 ; nous devons le faire dans des conditions de soutenabilité ; à cette fin, nous avons adopté une nouvelle loi relative à l’asile et nous donnons des moyens supplémentaires significatifs à l’administration et aux CADA, pour atteindre les meilleurs standards ; enfin, nous allons faire voter une loi relative au droit des étrangers qui montre, avec le titre de séjour pluriannuel et le « passeport talents », que la France est un pays ouvert. Dans le même temps, cette générosité dont nous faisons preuve depuis des décennies implique de la fermeté à l’égard des filières de passeurs et de l’immigration économique irrégulière. C’est en cela que notre politique est équilibrée.

Nous ne dérogerons pas à ces principes qui guident notre politique. Si la France ne les affirme pas de manière constante et déterminée, compte tenu des désordres du monde, elle ne contribuera pas à l’élaboration des solutions. Notre pays tient ferme la barre de sa politique migratoire et essaie de faire en sorte qu’il y ait la même fermeté et la même clarté au niveau européen. J’énonce clairement les objectifs, et nous nous efforçons de nous y tenir. En agissant de la sorte, nous ne sommes pas moins humains ou moins à la hauteur des enjeux que d’autres. Nous sommes pleinement responsables, ce qui est indispensable lorsque l’on veut avoir des préoccupations humanitaires. Car la préoccupation humanitaire sans la responsabilité mène in fine au désastre humanitaire. Il faut à la fois l’humanité et la responsabilité. Telle est la position de la France.

S’agissant de la répartition interne en France, le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile prévu dans la loi relative à l’asile s’appliquera. En ce qui concerne l’intégration, nous allons nous doter des outils nécessaires grâce au projet de loi relatif au droit des étrangers en cours d’examen. Celui-ci prévoit la création d’un contrat d’intégration, le renforcement de l’exigence de connaissance de la langue française et l’augmentation des moyens alloués par l’État aux politiques d’intégration. Ces dispositions s’appliqueront, bien entendu, aux bénéficiaires du statut de réfugié.

Contrairement à ce qu’a affirmé M. Lellouche, je n’ai pas été polémique : j’ai essayé d’être précis. Mais peut-être est-on polémique lorsque l’on est précis face à l’imprécision ! Pour ma part, je m’efforce d’être pointu sur ces questions, car il y a trop d’amalgames, d’approximations, de chiffres faux, de campagnes menées qui ne correspondent pas à la réalité. Cette exigence est un devoir éthique, compte tenu des risques auxquels notre pays est confronté.

M. Lellouche prétend que nous avons couru après l’Allemagne, alors que j’ai expliqué très précisément ce que nous avons fait. Il a aussi évoqué les conversations qu’il avait eues dans les couloirs avec Jean-Claude Juncker. Or il s’avère que j’en ai eu beaucoup moi-même dans le cadre de la préparation du Conseil JAI, et que je n’ai pas du tout ressenti le climat qu’il décrit. La France a une position constante et cohérente. J’ai une relation très forte de confiance et d’amitié avec mon homologue allemand, qui a permis à la relation franco-allemande de jouer son rôle de ballast au sein de l’Union européenne, au moment où il y avait des interrogations et des doutes.

Je n’arrive pas à comprendre que, par-delà ce qui différencie les formations politiques ou les groupes parlementaires, nous ne puissions pas nous réjouir ensemble de voir la relation franco-allemande fonctionner de façon équilibrée lorsque l’essentiel est en jeu. Je trouve très triste que l’on instruise constamment à notre égard un double procès : auparavant, on nous accusait de ne pas être capables de faire fonctionner la relation franco-allemande, ainsi que nous l’avons entendu au moment de la ratification du traité européen, lorsque j’étais ministre délégué aux affaires européennes ; maintenant que la relation franco-allemande fonctionne parfaitement, on assure que c’est parce que nous suivons les Allemands. Donc, ce n’est jamais bien ! Une fois que vous avez intégré cette donnée, vous pouvez être relativement serein et heureux en essayant de bien faire les choses dans une relation de confiance avec les Allemands.

Je veux vous rassurer, monsieur Gollnisch : Charleville-Mézières est en France, et nous reconduisons les étrangers en situation irrégulière non pas en France, mais à l’étranger.

M. Bruno Gollnisch. Je parlais bien évidemment de la frontière franco-belge.

M. le ministre. J’étais ce week-end à Charleville-Mézières, où j’ai passé un très bon moment, au festival de marionnettes, qui est de grande qualité – je profite de l’occasion qui m’est donnée pour en faire la publicité. J’étais non pas en Belgique, mais en France, certes non loin de la frontière.

Quoi qu’il en soit, je veux être, là aussi, très précis. Il y a deux hypothèses. Lorsqu’il s’agit de demandeurs d’asile dont il a été établi qu’ils étaient passés auparavant par un autre pays de l’Union européenne, nous les reconduisons vers le pays européen en question, en application des règles de Dublin. Lorsque nous n’avons pas d’éléments sur les pays traversés, nous demandons des laissez-passer consulaires vers le pays de provenance. Ce deuxième cas de figure est le plus fréquent. À partir de Calais, par exemple, nous procédons à des éloignements principalement vers l’Albanie, le Kosovo, l’Ukraine et le Soudan. Je vous communiquerai les chiffres correspondants si vous les souhaitez. Nous n’avons pas du tout à en avoir honte.

Monsieur Glavany, votre analyse sur les flux migratoires en Libye est parfaitement exacte.

S’agissant du projet de loi de finances pour 2016, j’ai déjà donné les chiffres, sachant que les crédits consacrés à l’accompagnement des migrants et à l’intégration ne figurent pas tous sur le budget du ministère de l’intérieur. D’autres ministères, notamment ceux de l’éducation nationale et des affaires sociales, participent à ces politiques. Avant son intervention dans l’hémicycle le 16 septembre, le Premier ministre a tenu une réunion interministérielle et a veillé à ce que nous soyons prêts à financer l’ensemble des compétences qui relèvent de l’État en matière d’accueil des étrangers. J’ai ainsi pu préciser, lors de la réunion que j’ai organisée avec les maires de France, la manière dont se répartiraient les contributions entre l’État et les collectivités territoriales : l’État prendra en charge 100 % de la dépense qui lui incombe et attribuera aux collectivités territoriales une aide forfaitaire dont la forme variera selon qu’elles investissent ou qu’elles accueillent des migrants.

En ce qui concerne la situation à Calais, nous avons une divergence, monsieur Glavany.

Rappelons d’abord que les Britanniques accueillent significativement plus d’étrangers et de demandeurs d’asile que nous. Le nombre de titres de séjour délivré par le Royaume-Uni a très fortement augmenté au cours des dernières années pour atteindre 700 000 par an, contre 200 000 pour la France. De même, le Royaume-Uni accorde 30 000 statuts de réfugié par an, contre 17 000 pour la France.

L’idée selon laquelle la lande de Calais se viderait si les Britanniques acceptaient d’accueillir les demandeurs d’asile qui s’y trouvent est, à mon avis, une illusion. Si, demain, j’ouvre la frontière et j’annonce que ceux qui sont à Calais peuvent passer au Royaume-Uni, les passeurs vont orienter tous ceux qui souhaitent obtenir l’asile au Royaume-Uni vers Calais, et ce sont des dizaines de milliers de réfugiés qui vont affluer. Lorsque David Cameron a annoncé, il y a dix jours, l’intention du Royaume-Uni de procéder à la réinstallation de réfugiés directement à partir des camps, les passeurs ont dirigé de nombreux demandeurs d’asile vers Dunkerque et Téteghem. Cela explique d’ailleurs en partie pourquoi il y a essentiellement des Syriens et des Irakiens dans ces deux localités, alors que l’on trouve majoritairement des Érythréens, des Soudanais et des ressortissants des pays des Balkans à Calais.

Je suis désolé d’être en désaccord avec vous à propos des accords du Touquet, monsieur Glavany, et d’être en accord avec l’un es mes prédécesseurs, Nicolas Sarkozy. Certes, les accords du Touquet étaient léonins : ils établissaient une frontière commune, mais nous laissaient à nous seuls la charge de la gérer. Il fallait les rééquilibrer en incitant les Britanniques à participer à la gestion de cette frontière commune, ce que nous avons fait. D’ailleurs, cela n’exclut pas que, de façon très ponctuelle, des personnes qui se trouvent à Calais et qui ont de la famille au Royaume-Uni voient leur demande d’asile examinée par les Britanniques. Mais si nous sortons des cinq axes que je vous ai indiqués dans mon intervention liminaire, nous aurons des difficultés. Encore une fois, nous menons à Calais un travail très difficile, de longue haleine et qui comporte une part de risque. Je comprends qu’il fasse débat. J’en ai d’ailleurs discuté ce matin avec les élus de Dunkerque et de Téteghem.

Monsieur Janquin, nous devons en effet travailler davantage avec les pays de provenance et avec le HCR, je l’ai dit. Le Président de la République a annoncé à l’Assemblée générale des Nations unies sa décision d’augmenter de 4 milliards d’euros d’ici à 2020 la contribution de la France à l’effort de lutte contre le dérèglement climatique, dans la perspective de la stabilisation des populations dans leur pays d’origine, à terme, et dans la perspective de l’accueil des réfugiés climatiques.

La Présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour votre disponibilité et pour la précision de vos réponses.

L’audition s’achève à dix-huit heures trente.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, Mme Chantal Guittet, Mme Marietta Karamanli, M. Jacques Myard, M. Michel Piron, M. Arnaud Richard

Excusés. - M. Pierre Lequiller, M. Philippe Armand Martin, M. Jean-Claude Mignon

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Marc Ayrault, M. Philippe Baumel, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Marc Germain, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, M. Benoît Hamon, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. Bernard Lesterlin, M. François Loncle, M. Jean-René Marsac, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Scellier, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle