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Commission des affaires européennes

mardi 15 mars 2016

16 h 30

Compte rendu n° 263

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 15 mars 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le ministre, je vous remercie, au nom de notre commission, de venir vous exprimer devant nous après la réunion du Conseil « Agriculture et Pêche » qui s’est tenue hier.

La crise agricole affecte particulièrement deux filières, la filière laitière et la filière porcine, pour lesquelles les modifications apportées à la politique agricole commune se font fortement sentir.

La suppression des quotas laitiers, le 31 mars 2015, a été justifiée par la nécessité de répondre à une demande en hausse, notamment à l’exportation. C’était effectivement le cas jusqu’en 2014. Toutefois, on observe aujourd’hui à la fois une moindre demande des pays émergents, en particulier de la Chine, qui s’est ajoutée à la fermeture du marché russe, et une surproduction mondiale et européenne de lait, de nombreux États membres ayant anticipé la fin des quotas en augmentant leur production. La conséquence en est la chute des cours, qui frôlent depuis plusieurs mois les 300 euros la tonne, bien loin des 380 euros atteints en 2015.

Les ressorts de la crise dans la filière porcine sont différents et tiennent à la fois à la structure du marché français, dominé par des acheteurs et des distributeurs puissants, et à des coûts de production plus élevés que ceux de l’Allemagne, dont la production à bas prix inonde les marchés français et européens. La conséquence, là encore, est une chute des cours à des niveaux catastrophiques, qui conduit les éleveurs au désespoir.

Dès le début de la crise, vous avez cherché à agir et à mobiliser nos partenaires. Lors du Conseil du 7 septembre, plusieurs mesures d’urgence ont été adoptées, pour un montant total de 500 millions d’euros. Elles consistaient notamment en aides financières ciblées pour soutenir les exploitations mais également en mesures de régulation du marché, notamment le stockage privé de la poudre de lait, du beurre et de la viande de porc.

Ces mesures n’ont visiblement pas suffi à enrayer la crise puisque le Conseil les a complétées hier. Les nouvelles mesures constituent des avancées et je tiens à saluer vos efforts pour les obtenir de nos partenaires et de la Commission, même si certains eurodéputés comme José Bové ont dit que Phil Hogan avait ressorti les vieilles recettes de 1977. Je pense que vous apporterez une correction à cette remarque.

Pourtant, ces décisions et, plus largement, les crises que connaît le monde agricole soulèvent plusieurs interrogations. Quelle est votre analyse sur l’origine de ces crises ? Certes, il est possible d’invoquer des éléments conjoncturels, à commencer par l’embargo russe ; toutefois, n’est-il pas possible d’y voir une crise structurelle, celle d’un modèle d’agriculture productiviste ? Les producteurs de lait et de porcs bio se portent plutôt bien actuellement.

L’élargissement de l’étiquetage au mode d’élevage apporterait une plus grande transparence aux consommateurs et un positionnement plus efficace en termes de concurrence pour les éleveurs. La mention de l’origine française du lait n’est pas suffisante, car cela peut inclure la ferme des mille vaches avec ses conséquences désastreuses.

Les mesures adoptées hier pourront-elles être plus efficaces que celles adoptées en septembre ? Si les accords de limitation de l’offre sont de nature à soutenir les prix, encore faut-il que l’ensemble des producteurs européens jouent le jeu. Est-ce que ce sera le cas ? Comment le garantir ? Sinon, ne faut-il pas craindre que ceux qui ne participent pas à ces accords en profitent pour augmenter leur production et prendre des parts de marché ?

Au-delà des crises agricoles, ce Conseil a également discuté du plan d’action européen pour les forêts visant à réduire l’exploitation illégale des forêts, par le soutien à la gouvernance forestière dans les pays producteurs de bois, ainsi que les importations de bois issus de l’exploitation illégale. Selon un rapport récent de la Cour des comptes européenne, ce plan n’a pas atteint ses objectifs. Pouvez-vous nous présenter l’analyse que le Conseil a faite de ce plan d’action et les améliorations qu’il est possible d’attendre ?

Le bois est, avec les diamants et peut-être demain les minerais de conflits, l’un des rares secteurs où un « système de diligence raisonnée » s’impose aux importateurs européens. Le règlement européen a été mis en œuvre en France par l’article 76 de la loi d’avenir pour l’agriculture. N’est-il pas préférable, pour lutter contre l’exploitation illégale des forêts, de renforcer ce devoir de diligence, à la fois au niveau européen et national ?

Enfin, je profite de votre présence pour évoquer, car ils sont tout à fait d’actualité, deux sujets qui ne figuraient pas à l’ordre du jour du Conseil. Le premier, c’est l’adoption par la Commission du développement durable de notre Assemblée, la semaine dernière, de nouveaux amendements au projet de loi « Biodiversité » qui interdisent totalement les insecticides de la famille des néonicotinoïdes, considérés comme les principaux responsables de la surmortalité des abeilles. Je voudrais connaître la position du Gouvernement sur cette interdiction, qui me semble tout à fait justifiée, compte tenu de l’objectif poursuivi par ce projet de loi.

Le second sujet porte sur les négociations commerciales en cours. La protection de nos indications géographiques dans le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) semble mal partie, car les Américains n’y seraient toujours pas favorables. En outre, le TTIP comme l’éventualité d’un accord libre-échange avec le Mercosur me paraissent lourds de menaces à la fois pour notre agriculture et pour nos préférences collectives en matière sanitaire et alimentaire. Quelles sont donc, s’agissant des questions agricoles, les lignes rouges de la France dans ces négociations ?

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Permettez-moi tout d’abord de préciser qu’il n’a pas été débattu du rapport de la Cour des comptes européenne sur la forêt au Conseil, qui portait sur la crise agricole.

La production laitière a augmenté sans discontinuer de 3 à 3,5 % en cinq ou six ans et les débouchés sur le marché chinois se sont avérés moins favorables que ce qui avait anticipé. La consommation de porc, notamment en France, reste stable, voire baisse. L’embargo russe a eu un impact supplémentaire sur une situation déjà dégradée. La viande bovine est touchée par ricochet par les crises de l’élevage, car une partie des abattages en vaches de réforme laitières se retrouve sur le marché de la viande bovine. Ce dernier marché est lui aussi en train de se modifier complètement. Aujourd’hui, 50 % de la viande rouge consommée l’est sous forme de steak haché, ce qui change la structure de production car le steak haché était fait jusqu’alors à partir de vaches de réforme laitières alors que l’on utilise à présent, pour faire face à la demande, de la viande issue du troupeau allaitant. Malgré nos démarches pour ouvrir des marchés à l’exportation sur les bovins vifs, en particulier au Maghreb et en Turquie, la fièvre catarrhale ovine et la grippe aviaire se sont cumulées à la crise de l’élevage à la fin de l’année.

Face à cette situation, 500 millions d’euros ont été débloqués en septembre à la demande de la France, en Conseil extraordinaire, mais l’apport d’argent ne peut résoudre les problèmes si les prix continuent de baisser. Dans certains pays, dont l’Allemagne, au fur et à mesure que les prix baissent, des coopératives indiquent à leurs producteurs que, pour rembourser leurs emprunts, ils doivent augmenter la production : la baisse des prix est compensée par une augmentation du volume, et plus le volume augmente, plus la production pèse sur le marché. Sur la poudre de lait, alors que 40 800 tonnes ont été stockées en 2015, depuis le début de l’année 2016, c’est-à-dire en deux mois et demi, nous en sommes déjà à 52 000 tonnes. J’ai dénoncé ces augmentations de production, notamment auprès de mon homologue irlandais, qui me répond que l’Irlande ne représente que 4 % de la production européenne, mais augmenter la production et solliciter en même temps l’intervention, ce n’est pas de bonne pratique économique.

Nous avons donc recherché des mesures structurelles. Un slogan des agriculteurs pendant les manifestations était : « Nous ne voulons pas des aides mais des prix » . Pour cela, il faut essayer de limiter la production.

Nous avons tout d’abord demandé à la Commission européenne d’admettre qu’à la vitesse actuelle les plafonds européens de 109 000 tonnes sur la poudre et 50 000 tonnes sur le beurre allaient très vite être dépassés. Nous avons ensuite cherché une mesure qui permette de responsabiliser tous les acteurs de la filière laitière pour qu’ils maîtrisent leur production.

Nous avions demandé des plafonds de 160 000 tonnes sur la poudre et 80 000 tonnes sur le beurre, et la Commission européenne les a doublés : 218 000 tonnes sur la poudre et 100 000 tonnes sur le beurre. Preuve, au passage, qu’elle anticipe la mise en intervention. Si nous en étions restés aux plafonds précédents, ceux-ci auraient été dépassés dès le mois d’avril ou de mai, et, après dépassement, le stockage se fait par adjudication au prix le plus bas, ce qui aurait eu un effet dépressif sur les prix.

Nous avons par ailleurs cherché un article qui permette de déroger aux règles de la concurrence. Trois articles étaient à cet égard intéressants : les articles 219 et 221 qui permettent à la Commission européenne, en cas de crise grave, de prendre des décisions par acte délégué ou acte d’exécution sans avoir besoin d’une majorité au Conseil ni au Parlement, ainsi que l’article 222, qui permet à des organisations de producteurs (OP) de maîtriser leur production si elles le jugent nécessaires pour redresser une situation de marché. La France a proposé d’étendre l’article 222 aux coopératives et entreprises privées.

Sur cette base, nous allons chercher à assurer une coordination européenne afin de limiter la production. Je viens de signer un courrier au président de la Commission agricole du Parlement européen pour qu’il convoque – c’est là que ce sera le plus simple – l’ensemble des opérateurs laitiers européens en vue de faire appliquer l’article 222. Je le demanderai aussi à la présidence néerlandaise de l’Union européenne et à la Commission européenne. Avant toute chose, nous devons parvenir à un accord avec l’Allemagne, le premier producteur de lait en Europe, devant la France. Nos deux pays assurant plus de 55 % de la production à eux seuls, un tel accord permettrait de peser sur le marché.

Les Belges ont évoqué l’extension de l’article 222 au porc mais c’est plus compliqué juridiquement. La Commission européenne a décidé de rouvrir le stockage privé et de prévoir des aides à ce stockage afin d’éviter l’engorgement du marché. Il faut également conduire un travail de structuration de la production, d’organisation des producteurs, avec des contrats tripartites à l’échelle régionale, en particulier en Bretagne, pour donner des perspectives à la filière.

Nous avons joint à ces décisions des éléments sur les fruits et légumes demandés par les Espagnols et les Italiens, de façon à obtenir un accord large en répondant aux demandes de ces pays. C’est de bonne politique.

Nous avons également obtenu que les fonds de la Banque européenne d’investissement (BEI) soient mieux mobilisés, pour financer les bâtiments et employer davantage de fonds du FEADER sur les mesures agroenvironnementales (MAE) en particulier. La Commission européenne a en outre accepté de nouveaux systèmes de promotion à l’exportation et nous attendons ses propositions à cet égard.

Nous demandions, avec l’Allemagne, le relèvement des plafonds des aides de minimis versées aux exploitations, jusque-là limitées à 5 000 euros par an et 15 000 euros sur trois ans, mais la Commission a considéré que cela prendrait plusieurs mois à modifier. Nous avons cependant obtenu du Commissaire l’autorisation d’aides nationales supplémentaires de 15 000 euros cette année. Cela va bien nous aider car, en raison notamment des crises sanitaires, beaucoup de nos exploitations sont arrivées au taquet.

Par ailleurs, il existait déjà un observatoire sur le lait et j’ai demandé qu’il en soit créé un sur le porc et un sur la viande bovine. Nous l’avons obtenu.

Enfin, nous avons obtenu l’expérimentation de l’étiquetage. Une dizaine de pays souhaitent aller de l’avant sur la traçabilité, y compris le Royaume-Uni. Nous avons décroché une dérogation ; quand cela se saura, d’autres en demanderont une. Nous nous engageons sur un travail de traçabilité des viandes. Dans notre décret, nous avons précisé que cela s’appliquerait uniquement aux entreprises françaises, pour ne pas être retoqués par la Commission européenne. Cela s’intègre dans la stratégie « Viande de France » ; il est important de conserver le logo, reconnu par quelque 30 % des Français.

En ce qui concerne la politique forestière européenne, il faut bien dire qu’elle n’existe pas vraiment, et qu’aucun pays ne la demande non plus. Ce que nous avons fait – le renforcement de la réglementation sur l’origine des bois, la charte sur la forêt durable… – l’a été à l’échelle française. La seule chose qui a été demandée, il y a deux ans, par l’Espagne et le Portugal, était une politique de lutte contre les incendies de forêt.

La question de l’embargo russe se négociera au plus haut du Conseil européen. J’espère que les choses iront le plus vite possible pour sa levée.

Nous sommes confrontés à une mutation fondamentale et nous allons l’accompagner par l’agro-écologie, qui consiste à utiliser toutes les ressources des écosystèmes avant de solliciter des achats d’intrants ou des corrections de ces écosystèmes. Nous ne pourrons continuer à produire en agriculture comme nous l’avons fait jusqu’aujourd’hui, de manière très intensive en capital, matériel et chimie. La France doit être un leader en agro-écologie. Nous avons, plus de sols et de surfaces que d’autres, et nous devons donc promouvoir l’autonomie fourragère, avec des rotations plus grandes, des couvertures des sols…

Nous sommes déjà engagés dans cette voie, avec quelques exemples qui marchent. Je me suis battu pour la réduction des indices de fréquence de traitement (IFT) dans les zones intermédiaires. Un GIEE de mille hectares et de huit exploitations en Haute-Marne vient d’être primé : il a réduit ses IFT de 20 ou 25 % et multiplié ses rotations, il produit des légumineuses et a donc de l’azote à disposition, et il est passé d’une marge brute de 776 à 985 euros par hectare. Ces chiffres proviennent de la chambre d’agriculture. C’est l’illustration que l’agro-écologie permet d’accroître le rendement et la marge brute.

Je discutais ce matin avec des producteurs bretons du système irlandais. Ils utilisent en Irlande de l’azote minéral et nous allons développer, à partir de légumineuses, des stratégies d’azote issu de la photosynthèse. Ils utilisent aussi l’herbe, comme en Nouvelle-Zélande. Les plus compétitifs aujourd’hui dans le secteur du lait, ce ne sont pas les mille, trois milles ou quatre milles vaches, mais les Néo-Zélandais, qui utilisent de l’herbe : les charges de structure sont minimales et le potentiel des écosystèmes est utilisé au mieux. Les Irlandais sont en train de faire pareil ; nous allons nous y mettre aussi mais nous ferons mieux.

M. Jacques Myard. Il n’y a que de l’herbe en Nouvelle-Zélande !

M. le ministre. En Bretagne aussi il y a de l’herbe.

Le bio se développe. Il rémunère mieux le lait. Quand la qualité est reconnue par le consommateur, celui-ci est prêt à payer plus cher. Mais il faut tenir les deux bouts de la chaîne car, le jour où tout le monde fera du bio, le prix du lait bio baissera lui aussi. Le raisonnement vaut également pour les labels et appellations. Le bio ne peut être un objectif unique car cela lui ferait perdre sa spécificité ainsi que la rémunération qui va avec.

L’enjeu de l’agro-écologie, c’est la réduction des coûts de production. L’an dernier a été une année record pour les ventes de tracteurs depuis vingt ou trente ans : plus de 6 000 tracteurs ont été vendus. Le machinisme agricole se porte bien, de même que les grandes firmes phytosanitaires : ce sont les agriculteurs qui vont mal. C’est pourquoi je suis favorable aux systèmes collectifs, GAEC ou GIEE, qui permettent de réduire les charges opérationnelles en les mutualisant. Il faut que les gains de productivité profitent aux agriculteurs, et c’est bien l’objet de l’agro-écologie. Elle sera une partie intégrante de la compétitivité de l’agriculture française de demain.

Les choses n’ont pas bougé sur le TTIP. Nous ne braderons pas le modèle français et européen pour un modèle anglo-saxon. Même dans l’accord avec le Canada, nous avons obtenu la reconnaissance de quarante indications géographiques protégées (IGP) ; ce n’est pas maintenant que nous allons lâcher le sujet. J’en ai discuté avec le secrétaire d’État américain. Alors que les Américains défendent les marques, nous défendons une segmentation selon les terroirs et les histoires des produits agricoles.

Dans la campagne des primaires aux États-Unis, aucun candidat n’est favorable à la signature d’un traité transatlantique et, si l’administration Obama souhaite pousser le dossier, il n’y a pas de majorité au Congrès pour adopter un tel traité.

Ma position sur les néonicotinoïdes est claire. J’ai été le premier à interdire les enrobages de thiamétoxam pour le colza, sur la base d’un rapport de l’ANSES, et j’ai aussitôt demandé une décision au niveau européen. Dans toutes les manifestations, on m’a accusé de sur-transposer mais je n’ai rien sur-transposé depuis que je suis entré dans mes fonctions. En revanche, si nous interdisons les néonicotinoïdes en France tel que c’est proposé, sans que les autres pays l’interdisent eux aussi, alors, oui, nous aurons sur-transposé. Un moratoire a été décidé au niveau européen et toutes les études indiquent que nous ne reviendrons pas dessus.

À l’échelle européenne, les semences enrobées ne peuvent pas être utilisées lorsqu’il s’agit de productions avec fleurs et qu’elles présentent donc un risque pour les pollinisateurs. L’Assemblée nationale, invoquant la résilience dans les sols, souhaite les interdire même pour les graminées du type céréales qui ne sont pas butinées par les abeilles. Si nous faisons droit à cette demande, quelle est l’alternative pour les agriculteurs ? Tout ce que je demande, c’est une cohérence entre les pratiques en France et chez ses partenaires. Quand j’ai interdit les enrobages, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie, qui produisent beaucoup de miel, ont indiqué qu’elles utilisaient les néonicotinoïdes et que c’était la preuve que ceux-ci n’étaient pas responsables de la surmortalité des abeilles. Le Cruiser a cependant fini par être interdit à l’échelle européenne.

J’ai lancé un plan de 40 millions d’euros sur trois ans pour l’apiculture et je suis parfaitement conscient du problème de la mortalité des abeilles, mais s’il était dû aux seuls néonicotinoïdes, il serait vite réglé. Ce n’est pas le cas. Il faut savoir que 90 % des reines en France sont importées, certaines on ne sait d’où. Le cheptel français n’est pas en bon état mais la mortalité est multifactorielle. En Ariège, plus de la moitié des abeilles ont disparu, il y a deux ou trois ans ; cette surmortalité serait due à des vermifuges utilisés pour les ovins et non à des néonicotinoïdes.

Je me rendrai bientôt en Gironde. La réduction de 25 % d’IFT que j’ai constatée en Haute-Marne sur du colza peut être transposée à la vigne. C’est possible et nous allons le faire.

M. Jacques Myard. « Maman, mon épée est trop courte ; avance d’un pas, elle sera assez longue. » La machine européenne est d’une extrême lenteur. Quand je vois qu’il faut quinze ans pour modifier une directive sur la TVA, je me dis que la machine est en train d’imploser, et l’on va jeter le bébé avec l’eau du bain alors que nous avons besoin de coopération européenne.

Mme Nathalie Chabanne. Les producteurs laitiers souffrent. Certains tentent de s’organiser pour peser davantage sur les négociations tarifaires. C’est le cas de France Milk Board, qui a, grâce à une bonne représentativité et à des négociations bien menées, obtenu un contrat correct avec une grande laiterie. Les producteurs s’organisent aussi pour avoir des produits visibles, avec une vraie traçabilité, comme la marque Fairefrance qui présente une vache bleue, blanche, rouge sur ses briques de lait. Néanmoins, tout ne fonctionne pas aussi bien. Certaines laiteries renégocient des contrats, qu’elles peuvent rompre unilatéralement et sur lesquels les prix ne sont pas clairement fixés. Le 4 février, vous avez évoqué un contrat tripartite en cours de négociation entre des producteurs de lait du Centre, une laiterie et un grand distributeur. Où en est cette négociation ? Serait-ce un modèle à suivre ?

Vous dites souvent que le rôle de l’État n’est pas de fixer les prix ni de négocier à la place des producteurs. Toutefois, dans la crise du porc, vous aviez proposé un prix plancher. La Commission européenne a exprimé son désaccord, la proposition n’a pas tenu et nos producteurs se trouvent en difficulté.

De nombreux agriculteurs sont mis en difficulté par des banques qui leur allongent indéfiniment des lignes de trésorerie, avec des coûts bancaires multipliés par cinq ou dix. En juillet, puis en septembre, vous avez proposé des mesures de restructuration bancaire. Pouvez-vous dresser un premier bilan de ces mesures ?

M. Arnaud Viala. Dans la crise que nous traversons, il y a certes une dimension conjoncturelle, qui ne touche pas que la France, mais elle se double dans notre pays d’une crise structurelle : alors que la moyenne des exploitations européennes vit des aides publiques à hauteur de 40 %, la ferme française en dépend à 60 %. Ce que vous proposez aujourd’hui, c’est une surcouche d’aides publiques, mais quand allez-vous prendre des mesures de long terme ?

Vous avez plaidé pour un modèle agro-écologique qui revient à de l’extensification, tout en indiquant que vous ne croyiez pas que les marchés de niche, comme le bio, répondent à la problématique de l’ensemble des agriculteurs, un point de vue que je partage. S’agissant du lait de vache, on ne peut se cantonner par exemple au comté ou au reblochon, bien plus rémunérateurs que le litre de lait ordinaire.

En ce qui concerne la biodiversité et les néonicotinoïdes, nous venons d’entendre de la part d’une de vos collègues du Gouvernement une explication à l’exact opposé de ce que vous avez dit. Le pilotage par l’aval ne fonctionnera pas longtemps.

Mme Brigitte Allain. Merci de m’accueillir dans cette Commission.

Je m’interroge sur les mesures de régulation a posteriori obtenues au Conseil. Je préfère les mesures a priori, comme, en milieu viticole, les appellations. Je me demande si ces nouvelles mesures sont susceptibles de faire remonter les prix ; je vois mal en effet comment les stockages pourront se résorber. La levée de l’embargo russe ne peut être la solution à tous nos problèmes. Si nous ne remettons pas en cause au niveau européen le diktat des marchés, c’est l’échec assuré de toutes les productions.

Nous n’aurions pas, selon vous, à nous inquiéter au sujet du TTIP, du moins pour l’instant. L’interprofession de la viande s’est prononcée sur la question. L’étiquetage peut être un outil important mais le fait de refuser des viandes des États-Unis avec OGM et issues de fermes-usines doit nous obliger à nous appliquer ces mêmes contraintes : il me semble important de prévoir un étiquetage pour les plats contenant éventuellement des OGM.

Mme Isabelle Le Callennec. La possibilité pour les OP de déroger aux règles de la concurrence et maîtriser leur production existe depuis des mois ; pourquoi n’a-t-on pas utilisé les articles en question plus tôt ?

Vous avez certes obtenu un doublement des plafonds de stockage, mais j’ai cru comprendre que la France n’utilisait pas beaucoup ce levier. Je me demande pourquoi.

La limitation temporaire de la production de lait sera, semble-t-il, une prérogative des États. Vous indiquez que vous allez demander à nos partenaires européens de se pencher sur la question, mais il faudra d’abord négocier avec nos coopératives et nos entreprises privées. Comment vous y prendrez-vous ?

Qu’attendez-vous de la mise en place d’un observatoire du marché de la viande ? Ce n’est pas cela qui agira sur les prix.

Vous dites être satisfait de l’avancée sur les aides de minimis, mais le plafond a été relevé à seulement 15 000 euros alors que vous demandiez 30 000 euros.

Il y a certes un accord de principe sur l’étiquetage, mais quand le décret sortira-t-il ?

Enfin, j’ai la liste de toutes les sur-transpositions de normes. Vous affirmez que vous n’avez pas, personnellement, sur-transposé, mais qu’attendez-vous pour « détransposer » ? Pourquoi ne reviendrions-nous pas sur un certain nombre de transpositions ?

M. Joaquim Pueyo. Vous êtes, monsieur le ministre, durement attaqué depuis quelques mois au sujet de la crise agricole. Je constate cependant que vous avez formulé des propositions dans un mémorandum soumis à la Commission européenne et que celle-ci en a repris certaines. Sans même revenir sur l’article 222, je considère que vous avez fait plus que correctement votre travail.

Vous avez proposé un mécanisme temporaire de régulation des marchés. J’ai rencontré, dans ma circonscription marquée par l’élevage, plusieurs associations de producteurs, notamment l’Association de producteurs de lait indépendants (APLI), qui m’ont présenté des propositions, reprenant notamment le « programme de responsabilisation face au marché » élaboré par l’European Milk Board. Ce programme prévoit trois types d’intervention pour réduire les volumes : appel au volontariat, mesures d’incitation financières et, en dernier recours, réduction obligatoire. Que pensez-vous de l’APLI et de ses propositions ?

L’Union européenne est accusée de ne pas être assez réactive. La crise agricole a cependant été prise en considération. Par ailleurs, quand la modification des structures est évoquée, certains sont pour des marchés courts, d’autres pour des structures plus importantes. La question est difficile. Enfin, toutes les normes ne sont pas inutiles. Il faudrait commencer par dresser la liste de celles qui le sont, et nous pourrions alors discuter sur cette base.

M. Yves Daniel. Je m’associe à la question concernant le stockage et le manque de volonté des opérateurs français.

Au Salon international de l’alimentation (SIAL), vous avez signé avec Business France et Sopexa des accords en vue d’aider les entreprises alimentaires à développer leurs exportations. Parallèlement, les négociations du TAFTA avec les États-Unis sont compliquées. Or, à force de conviction et d’engagement public, la notion d’exception culturelle française a non seulement fini par s’imposer mais elle apparaît aussi désormais comme un gage de qualité. Partant de ce constat, pourquoi ne pas œuvrer en faveur d’une exception agricole française ? L’activité agricole est une activité nourricière et d’aménagement du territoire, protectrice de la santé du vivant et de notre planète. Cela mériterait d’en faire une exception.

M. Michel Piron. Nous sommes à nouveau dans le débat « régulation ou dérégulation ». L’Europe est dérégulée et tente de réintroduire un peu de régulation dans un marché intérieur livré à la libre concurrence et un marché mondial où nous ne sommes sans doute pas suffisamment armés.

J’entends la nécessité d’un accord franco-allemand sur le lait. S’agissant du porc, il me semble que la question espagnole mériterait également d’être évoquée, compte tenu de l’énorme part de marché regagnée par les Espagnols, qui bénéficient désormais d’une compétitivité réelle et d’installations beaucoup plus performantes que par le passé. Nous avons affaire à des stratégies offensives de gains de parts de marché. J’aimerais vous entendre sur ce point.

Vous avez à peine évoqué les interprofessions. Il existe un Observatoire de la formation des prix et des marges, présidé par M. Chalmin, que j’ai interrogé en présence de M. Michel-Édouard Leclerc. Où en est-on dans la dissipation du brouillard entre des prix de producteurs qui sont connus, des prix de transformateurs qui le sont beaucoup moins, des prix de centrales d’achat qui ne le sont absolument pas, des rémunérations de sociétés civiles immobilières de la grande distribution qui le sont encore moins, si c’est possible, avant d’en arriver à la grande distribution ? Il ne s’agit pas seulement d’un triptyque, mais de nombreux acteurs sont impliqués.

Enfin, vous avez évoqué un modèle agro-écologique et je m’interroge sur l’idée de modèle. Vous avez d’ailleurs vous-même indiqué que cela ne pouvait être généralisé, au risque de menacer la spécificité. Y a-t-il une ou des agricultures ? Ne devons-nous pas développer une stratégie plus diversifiée qu’un modèle agro-écologique basé sur l’exemple néo-zélandais, qui se satisfait de très petites exploitations de 2 000 à 3 000 hectares… ?

M. Rémi Pauvros. Nous sommes face à une crise profonde, structurelle, qui nécessite d’imaginer une autre agriculture. Ne pas avoir prévu l’avenir en s’appuyant seulement sur les aides, c’est une vieille histoire, comme d’avoir abandonné les quotas laitiers sans avoir prévu les répercussions d’une telle mesure. Ce que vous avez obtenu hier est une étape importante. Pouvez-vous nous éclairer sur le calendrier de la limitation de production et de l’expérimentation en matière de traçabilité ? Avez-vous par ailleurs des précisions sur les incohérences du calcul des surfaces non agricoles (SNA) non intégrées et leurs conséquences en termes de contrôles auprès des exploitants ?

M. Jérôme Lambert. Un sujet revient de manière récurrente : l’extrême complexité des dossiers que les agriculteurs doivent remplir pour bénéficier des aides de la PAC. Les SNA doivent être corrigées et j’ai été alerté sur le grand nombre de corrections que subiront les agriculteurs, au risque de se voir pénalisés au bout du compte. Cela crée dans les exploitations des tracas qui sont la goutte d’eau faisant déborder le vase. Quelles réponses peut-on apporter aux agriculteurs ?

Mme Marietta Karamanli. Une partie des exploitants agricoles que nous rencontrons dénoncent une sur-transposition des normes européennes, notamment dans le domaine environnemental, mais en même temps certains États nous accusent de sous-transposer. Le problème est sans doute davantage celui de la manière dont les normes sont appliquées ; il conviendrait de moduler selon les types d’exploitation et de produit, avec discernement. Il nous faut des normes, mais ne serait-il pas préférable de privilégier l’accompagnement plutôt que la sanction ?

Les exploitations, dans ma circonscription, sont très diverses, entre des exploitations familiales, avec une montée en qualité et des circuits courts, et des exploitations moyennes, voire grandes, complètement intégrées dans le circuit agroalimentaire international. Il ressort de nos discussions sur le terrain que la filière est encore insuffisamment structurée pour pouvoir gérer les cours. Pensez-vous que l’Union européenne puisse encourager le développement des petites exploitations et accompagner les autres sur les marchés ?

M. Paul Molac. Je vous félicite, monsieur le ministre, pour les résultats que vous avez obtenus hier. Les OP vont-ils pouvoir trouver leur place ? Je fais moyennement confiance aux industriels pour réguler la production : ils n’y ont pas intérêt car ils souhaitent acheter le plus bas possible. Ce serait donc une excellente chose que les OP montent en puissance et cadenassent cette production.

J’ai travaillé sur le sujet de la transposition des normes avec Marc Le Fur et Thierry Mandon, lorsque ce dernier était au ministère, et il me semble que nous avons accompli un travail utile. Il conviendrait de garder les bonnes normes et de retirer celles qui ne servent à rien.

Je ne partage pas votre analyse sur les néonicotinoïdes. L’industrie chimique se moque de nous : elle pourrait trouver des matières actives moins rémanentes, d’origine végétale ou autre, qui ne provoquent pas une surmortalité des abeilles.

On peut se permettre d’avoir du bio à un prix légèrement supérieur au marché, car une partie de la production peut alors être déclassée, comme cela se pratique dans le secteur du vin, tant que cela ne touche qu’une petite partie de la production. Sur le porc bio, par exemple, on dit que le prix est légèrement inférieur au marché ; sauf que, comme on n’en trouve pas, le marché ne peut nécessairement se développer.

M. William Dumas. Je remercie à mon tour le ministre. La crise du porc ou du lait ne touche pas mon département mais cela me rappelle un vieux combat, dans la viticulture. Les quotas laitiers ont été supprimés ; chez nous, ce sont les droits de plantation. Nous avons aujourd’hui l’autorisation de planter 1 % de plus.

Je pense que vous avez raison sur le bio. En viticulture, le bio marchait très bien, avec des prix rémunérateurs, mais tout le monde s’est alors mis à en faire et il a fallu retransformer le bio car on n’arrivait pas à le vendre. C’est un marché de niche, sur lequel il faut aller petit à petit.

On peut réaliser des économies sur les traitements. Je connais des viticulteurs qui procèdent à quinze traitements par an, là où cinq ou six pourraient suffire. Il y a beaucoup de travail à faire pour éviter l’empoisonnement des sols.

Les viticulteurs, monsieur le ministre, vous recevaient à une époque, comme les éleveurs de porc aujourd’hui, fourche à la main, mais à présent cela se passe bien.

M. le ministre. S’agissant de l’Europe et de son fonctionnement, vingt-huit pays à gérer, avec des histoires et des intérêts différents, cela rend les choses plus difficiles. Je crois, comme le Président de la République, qu’il faudrait évoluer vers un noyau dur plus coordonné et plus réactif. En même temps, si chercher des alliés et des accords prend un peu de temps, nous parvenons tout de même à faire bouger les choses. En septembre, il était seulement question de débloquer des aides, et surtout de ne pas toucher à l’intervention ni de parler de régulation, mais l’Europe a été contrainte de reconsidérer ses positions, entre juin 2015, quand le commissaire disait : « Je ne vois pas la crise », et aujourd’hui. Le premier Conseil agricole du 15 février n’avait même pas prévu de mettre la crise à son ordre du jour ; c’est moi qui l’ai demandé. En un mois, sur la base du mémorandum français, les lignes ont bougé.

Nous sommes d’accord sur le constat, monsieur Myard. L’Europe a besoin de repenser sa gouvernance et même son projet. Chacun cherche les avantages et veut éviter les inconvénients, chacun veut que la solidarité lui bénéficie mais n’entend consentir à aucun effort. En Grande-Bretagne, certains entendent quitter l’Europe tout en restant dans le grand marché. Chez nous, d’aucuns voudraient en revenir à une PAF, une politique agricole française. Ils estiment, par exemple, qu’il suffirait d’empêcher les importations de lait. Or, sur les 25 milliards de litres produits en France, 8 milliards sont exportés. Fermer les frontières nous ferait perdre une partie de ces exportations. Dans le Pas-de-Calais, l’usine de production Häagen-Dazs, la plus grosse usine de cette marque en Europe, recueille 400 ou 450 millions de litres d’une centaine de producteurs de la région, dont à peine 20 % servent le marché français.

Une laiterie transforme un produit de base qui est le lait en produits à haute valeur ajoutée, produits frais, yaourts, fromage, notamment pour des marques et des distributeurs. Elle produit aussi de la poudre de lait et du beurre pour le marché international. Quand le mix est moins fort sur les produits frais et produits transformés, la laiterie est preneuse du prix mondial sur la poudre et le beurre. Les négociations sont donc difficiles car il existe des tensions au niveau des producteurs, en fonction de leurs diverses situations. Le prix européen et mondial impacte de toute façon toute la filière à cause de la poudre de lait. Quand il y a en plus des stocks de poudre, cela pèse sur le prix.

Nous avons des accords tripartites qui marchent, avec Intermarché, Auchan, Danone… J’ai signé avec FDC, McDonald’s et KFC des contrats de poulets français sans antibiotiques ni OGM pour 9 100 tonnes par an. C’est le groupement de producteurs Gaveol, dans le Morbihan, qui produira ces volumes pendant trois ans. Cela existe aussi dans le Centre avec une laiterie ; ce n’est malheureusement pas sur de gros volumes, mais cela va se développer. C’est ce qu’il y a de mieux car cela lie tout le monde. Les producteurs acquièrent ainsi une visibilité, une certaine quantité leur est garantie… Nous essayons de le mettre en place dans le domaine du porc.

M. Viala et Mme Le Callenec me font un procès sur l’agroécologie complètement décalé. L’agro-écologie, ce n’est pas de l’extensif ; il s’agit d’adapter notre production au mieux du potentiel des écosystèmes. Dans l’exemple que j’ai pris, en Haute-Marne, le rendement a augmenté. Que proposent-ils, d’ailleurs, à part la baisse des charges ? La baisse des charges, nous la pratiquons : nous avons baissé les cotisations de 3,2 milliards d’euros en trois ans et demi, c’est sans précédent. Mais la compétitivité ne peut tout résumer.

Je ne rappellerai pas le nombre de normes qui ont été décidées dans le Grenelle de l’environnement. J’en ai hérité et je fais avec. Même Nicolas Sarkozy, après le Grenelle, avait dit : « L’environnement, ça commence à bien faire ». Je n’ai pas ajouté de normes et j’ai même éliminé une sur-transposition sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) : les déclarations avec contrôle périodique dans tous les élevages, créées par le gouvernement précédent, seront supprimées.

Certains pays européens sont en train de sur-transposer. Le président du Conseil agricole, M. Martijn van Dam, m’a expliqué que les Pays-Bas étaient obligés d’adopter des quotas de phosphate et d’azote, car ils sont en excédent. Aux Pays-Bas, au Danemark, ils n’ont plus d’espace, et l’Allemagne commence à être saturée. Nous avons de l’espace, il faut l’utiliser, mais ce n’est pas faire de l’extensif ! L’agro-écologie peut aboutir à des rendements supérieurs à ceux qui existent aujourd’hui. Vous n’avez pas regardé l’émission, sur France 2, concernant la permaculture ? Celle-ci permet des rendements trois fois supérieurs au maraîchage conventionnel ; je n’ose même pas le dire tant la production peut être accrue. Les productions intercalaires, les couvertures de sol hivernales, les rotations, c’est autant de production supplémentaire. Dans le GIEE d’Ille-et-Vilaine sur la production laitière, avec le maïs, le méteil et le fourrage, on produit deux fois plus de protéines fourragères qu’auparavant.

Le plan de soutien à l’élevage, ce sont certes des aides, mais comment ferait-on sans elles ? Je connais bien les propositions de l’APLI. Quand Bruno Le Maire a été rattrapé par la crise du lait, en 2008-2009, personne ne m’a entendu dire qu’il suffisait de porter le prix à 400 euros la tonne, comme le demandait l’APLI. Je leur répondais que ce ne pouvait être la solution, car, entre une exploitation des Pays-Bas et une de l’Aveyron, un calcul en coûts de production n’a guère de sens. Si l’on assure un prix de 400 euros la tonne à un exploitant hyper-productif, on lui accorde une rente. Quant à leur proposition de tunnel, je ne vois pas comment on pourrait l’appliquer à l’échelle européenne. L’application de l’article 222 va déjà demander des efforts. Sur cet article, on me dit : « Il existait déjà, pourquoi ne pas l’avoir pas utilisé plus tôt ? » Personne n’avait formulé la proposition, c’est nous qui l’avons faite.

Je suis d’accord avec Mme Allain : il vaudrait mieux réguler à l’avance, et il vaudrait même mieux qu’il n’y ait pas de crise du tout. La crise est en partie liée à des anticipations à l’exportation battues en brèche. Les quotas eux-mêmes ne réglaient pas tout, ils permettaient simplement des sanctions en cas de dépassement, tandis que nous allons devoir recourir à l’article 222 pour gérer les dépassements de manière contractuelle.

La question de savoir pourquoi les Français n’utilisent pas le stockage privé sur le porc est une très bonne question. Les opérateurs et les abatteurs préfèrent que le stock soit chez les producteurs et que ces derniers supportent le risque. Thierry Coué, président de la FRSEA Bretagne, a clairement demandé aux abatteurs et industriels présents lors de la réunion en Bretagne de ne pas obliger de nouveau les producteurs à garder les cochons chez eux. Je leur ai dit la même chose. Les opérateurs espagnols et allemands ont stocké, quant à eux, réalisant, pour ces deux seuls pays, plus de 60 % du stockage.

M. Michel Piron. Sans doute parce qu’ils avaient des perspectives de vente !

M. le ministre. C’est bien le sujet de la filière porcine que de trouver des débouchés. Il n’empêche que la production de porc français n’a pas baissé en 2015. Dans la mesure où les porcs étaient plus lourds, le volume a été équivalent, voire supérieur, à celui de 2014.

Les opérateurs m’ont expliqué que les volumes n’étaient pas suffisants pour stocker. Ils m’ont dit aussi qu’ils ne vendaient pas du congelé, contrairement aux Allemands et aux Espagnols. Comment se fait-il qu’on ne puisse vendre du congelé en France ? La grande distribution a également sa part de responsabilité, mais ce serait trop facile de tout lui imputer.

En Espagne, les grandes sociétés d’alimentation ont complètement intégré la filière, et cela marche mieux pour eux, mais nous ne voulons pas en France d’un modèle d’intégration par l’alimentation. C’est pourquoi nous travaillons sur les contrats tripartites et une organisation de filière plus structurée, avec une valorisation des produits. On exporte aujourd’hui très peu de produits valorisés en charcuterie. Les fameuses rillettes de mon département, la Sarthe, par exemple, sont très peu exportées. Ce n’est pas normal : c’est un problème d’organisation de filière.

Les mesures devraient être prises assez rapidement, monsieur Pauvros. Le doublement des plafonds à l’intervention a été fait pour amortir les surplus, avant de stabiliser la production. Pour cette phase, nous avons jusqu’à l’été, et le délai sera sensiblement le même pour la mise en œuvre de l’étiquetage. Cela nécessitera tout de même quelques adaptations, car les industriels n’ayant pas procédé à l’étiquetage devront écouler leurs marchandises.

Je suis d’accord avec M. Lambert à propos de la simplification des SNA (surfaces non agricoles). Dans la nouvelle réforme de la PAC, avec le verdissement et les surfaces d’intérêt écologique, la question de l’intégration des haies s’est posée. Si elles n’étaient pas intégrées, les haies devenaient des SNA non éligibles aux aides. Nous les avons donc intégrées dans les surfaces éligibles et, comme nous avions un problème d’apurement de 3 milliards sur les anciennes aides, nous nous sommes engagés, en contrepartie d’une réduction de cet apurement à 1 milliard, à refaire toutes les photos du parcellaire français, 35 millions d’hectares, haies comprises. Nous avons engagé, avec la Grande-Bretagne et d’autres, des démarches de simplification. Les services de l’État sont aussi là pour corriger eux-mêmes : ce qui est renvoyé aux agriculteurs est déjà pré-travaillé.

Nous allons mettre sur la table, au Conseil informel de mai, une proposition de réforme de la réforme de la PAC. Nous allons réfléchir à une manière de mettre de l’argent de côté pour assurer du contra-cyclique en cas de crise, sanitaire, climatique ou de marché. Nous ne pouvons plus gérer la politique agricole avec un système forfaitaire qui oblige à remettre de l’argent dès qu’un aléa se produit. Vous savez que les budgets européens sont calés pour sept ans, mais, dans les marges annuelles, nous allons faire ce qui a été déjà fait sur le premier pilier et les plans de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE) – des prélèvements en faveur du deuxième pilier –, à savoir, en l’occurrence, des prélèvements sur le premier pilier en faveur de systèmes contra-cycliques.

Mme Brigitte Allain. Je n’ai pas eu de réponse sur la résorption des stocks.

M. le ministre. La dernière fois, il y a eu des restitutions, donc nous avons exporté. Nous allons à présent être obligés d’attendre un redressement du marché. Ce qui a été stocké sera remis sur le marché quand cela ira mieux. Nous allons également dégager des crédits à l’export pour développer ces débouchés.

La Présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le ministre, d’avoir pris le temps de répondre à nos nombreuses questions.

La séance est levée à 18 h 15

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 15 mars 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Isabelle Bruneau, M. Christophe Caresche, Mme Nathalie Chabanne, Mme Seybah Dagoma, M. Yves Daniel, M. William Dumas, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Rémi Pauvros, M. Michel Piron, M. Joaquim Pueyo, M. Arnaud Richard, M. Gilles Savary

Excusés. - M. Kader Arif, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Louis Roumégas

Assistaient également à la réunion. - Mme Brigitte Allain, Mme Isabelle Le Callennec, M. Paul Molac, M. Arnaud Viala