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Commission des affaires européennes

Mercredi 27 avril 2016

16 h 30

Compte rendu n° 272

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Christos Stylianides, commissaire européen en charge de l’aide humanitaire et de la gestion des crises 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 27 avril 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

Audition de M. Christos Stylianides, commissaire européen en charge de l’aide humanitaire et de la gestion des crises 

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation et je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui pour la première fois dans notre commission à l’Assemblée nationale. L’aide humanitaire et la gestion des crises occupent depuis quelques années une large place dans nos réunions.

L’Europe est aujourd’hui cernée par les crises, en particulier dans son voisinage proche. À l’Est, malgré les accords de Minsk, rien n’est réglé en Ukraine ; au sud, la Libye a sombré dans la violence, le terrorisme frappe l’Afrique de l’Ouest, les populations au Yémen, en Erythrée, en Somalie, en République centrafricaine ou encore au Soudan sont particulièrement exposées. Enfin, au Moyen-Orient, il est inutile de rappeler le drame que vivent les Syriens et les Irakiens, confrontés chaque jour aux horreurs de la guerre. Ces crises ont évidemment des conséquences tragiques qui s’observent au niveau européen : déplacements de population, malnutrition, manque d’accès au soin, épidémies, mais aussi enfants perdus…

Aux crises liées à la guerre et au terrorisme s’ajoutent malheureusement les catastrophes naturelles ou encore le virus Ebola, dont les conséquences sont aussi tragiques pour les pays et les populations concernés. Nous savons aussi que les conséquences du changement climatique pèsent de plus en plus lourd en termes humanitaires, à travers sécheresses, inondations, phénomènes climatiques extrêmes, incendies de forêts, notamment sur le sol même de l’Union.

En un mot, vous croulez, monsieur le commissaire, sous les priorités. J’aimerais donc profiter de votre présence parmi nous pour que vous nous dressiez le bilan, aujourd’hui, de votre action et de l’action européenne en matière d’aide humanitaire et de gestion de crise à l’extérieur de l’Europe, mais aussi au sein de l’Union, en intégrant la dimension protection civile.

J’observe d’ailleurs que l’action de l’Europe en matière d’aide humanitaire et de gestion des crises est souvent mal connue, alors qu’elle est tout à fait importante et essentielle. Quelles sont les principales missions qui vous sont assignées ? Quel est son champ géographique exact ?

Quel regard portez-vous, après bientôt près de deux ans en responsabilité de commissaire, sur les succès que cette politique a rencontrés, les limites auxquelles elle se heurte, et vos priorités d’action pour l’avenir ?

Votre action est au centre d’un réseau dense de partenariats multiples, avec l’action des États membres, en matière de protection civile et d’aide humanitaire, avec les organisations des Nations unies, avec les organisations non gouvernementales (ONG).

Au sein même de la Commission, vous agissez en lien direct avec les autres commissaires concernées par les politiques dont vous avez la charge, notamment la Haute représentante, le commissaire chargé des migrations, celui qui a la responsabilité du développement et de la coopération.

Nous serons heureux de vous entendre sur la répartition des rôles au sein de cet enchevêtrement complexe.

Depuis quelques mois, il est frappant de constater que les conséquences des crises ne se limitent plus aux pays dans lesquelles elles surviennent mais affectent de plus en plus directement l’Union européenne sur son sol.

La guerre en Syrie a en effet poussé vers l’Europe des centaines de milliers de réfugiés qui, à la suite de la fermeture de la route des Balkans, se retrouvent désormais bloqués en Grèce dans des conditions sanitaires déplorables, malgré les efforts du peuple grec et de nombreuses ONG pour les accueillir dans la dignité.

De quel œil voyez-vous les propositions qui ont été récemment formulées ? Est-ce que l’aide est suffisante par rapport à la Grèce ? Est-ce que ce qui a été négocié avec la Turquie vous paraît être de bon aloi ? Quels sont les points positifs à souligner, mais aussi les éventuelles limites de l’accord trouvé ? Enfin, certaines ONG craignent que les fonds dévolus à la Grèce en général, mais aussi plus particulièrement à celles d’entre elles qui sont situées dans le pays, soient amputés encore en 2016, et plus encore les années suivantes, de sorte qu’il n’y ait plus de ressources nécessaires pour gérer d’autres crises à l’extérieur de l’Europe.

L’on voit bien qu’en Italie, le sujet monte à nouveau, du fait du passage migratoire par la Libye. Pouvez-vous nous préciser, en dernier ressort, l’évolution que vous voyez à moyen terme dans toutes ces crises ?

Nous serions également heureux que vous puissiez nous préciser l’évolution du rôle de l’agence ECHO, et les décisions adoptées pour la mise en place d’un mécanisme d’aide d’urgence aux pays de l’Union. Peut-être pourrons-nous relayer ces priorités.

Enfin, il serait intéressant que vous puissiez nous préciser les missions confiées au Corps médical européen, qui a été mis en place au début de cette année. Il reste encore trop méconnu.

Je vous remercie par avance pour vos réponses et, à nouveau, pour votre présence parmi nous aujourd’hui.

M. Christos Stylianides, commissaire européen en charge de l’aide humanitaire et de la gestion des crises. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de me trouver ici devant vous, élus de l’Assemblée nationale.

Je tiens à remercier la commission des affaires européennes pour son invitation, et vous-même tout particulièrement, madame la présidente. Ayant été moi-même parlementaire, c’est toujours un plaisir pour moi de me retrouver parmi mes collègues. Le rôle des parlements nationaux est primordial. Vos points de vue, vos idées et vos propositions sont non seulement importantes, mais indispensables.

Ce n’est qu’en nouant le dialogue avec les parlements nationaux que nous pouvons rapprocher les institutions européennes et nos sociétés. Nous atteindrons ainsi nos projets communs européens.

Nous devons trouver le moyen de faire en sorte que l’intérêt général européen cesse d’apparaître différent intérêts nationaux. Notre objectif commun est de rendre impensable, pour un pays qui poursuit ses propres intérêts nationaux, d’envisager son avenir sans l’Europe.

Je voudrais exprimer ici ma profonde gratitude pour le rôle que la France a joué non seulement comme architecte du projet européen, mais aussi comme force motrice et comme source d’inspiration pour les autres pays européens. L’idéal européen est remis en question. Les Européens eux-mêmes remettent en question le projet européen ; ils ont des doutes. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons entendre la voix des pères fondateurs de l’Europe. Je pense ici en particulier à la France et à l’Allemagne.

Dans mon intervention d’aujourd’hui, j’aborderai quatre sujets, en répondant aux questions que vous avez posées.

Premièrement, je partagerai avec vous ma vision de la question humanitaire dans son ensemble, à l’échelle mondiale. Deuxièmement, je parlerai de la réponse de l’Europe à la crise des réfugiés, en mettant l’accent sur l’action d’ECHO et des activités menées au sein de la Commission. Troisièmement, je voudrais suggérer des pistes pour essayer de relever les défis qui sont devant nous. Quatrièmement, je vous expliquerai quels rapports ces questions entretiennent avec le Sommet humanitaire mondial qui se tiendra à Istanbul le mois prochain.

Nous assistons à davantage de crises que par le passé, à davantage de catastrophes et, partant, les besoins qui en découlent augmentent. Les défis auxquels nous faisons face sont tout simplement sans précédent.

Telle est la réalité que j’observe lorsque je me rends sur le terrain. Je me suis rendu dans de nombreux pays, au Moyen Orient, en Afrique, en Syrie. J’ai vu les conséquences de la récente catastrophe naturelle au Népal. Jamais par le passé, dans l’histoire universelle, ce monde n’a été plus connecté qu’aujourd’hui.

Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder autour de soi, que l’on soit au Moyen Orient, dans la ceinture de crise en Afrique, ou que l’on observe les crises d’échelle mondiale, telles que la crise des réfugiés, El Niño ou encore Ebola.

Toutes ces crises sont, d’une manière ou d’une autre, liées. Et elles nous affectent tous. Ceux qui arguent que l’isolation et l’érection de murailles ou de clôtures nous protégeront sont simplement naïfs. Une conclusion est déjà absolument sûre : nous ne pouvons pas continuer le train-train habituel.

La vérité tragique est que la crise syrienne n’est pas la seule crise des réfugiés à laquelle le monde est confronté aujourd’hui. Elle n’est que la pointe émergée d’un iceberg énorme et qui ne cesse de croître. Près de 86 % des réfugiés mondiaux vivent dans des pays en développement ; la plupart d’entre eux n’attirent que très peu l’attention des média. Je parle d’un grand nombre de crises, dont l’existence est tout simplement acceptée telle quelle.

Outre les déplacements causés par les conflits de longue durée, le changement climatique et El Niño font ressurgir une menace accrue de la faim. Les Nations unies prévoient qu’au moins 87 millions de personnes auront besoin d’aide humanitaire cette année. C’est la première fois dans l’Histoire que ce chiffre est atteint.

Ces crises sont un test de résistance majeur pour nous tous, institutions européennes et États membres. C’est le moment de montrer du leadership politique, rendons-nous-en compte.

En nous tournant vers la crise des réfugiés ou plutôt, devrais-je dire, vers les nombreuses crises des réfugiés, nous savons tous qu’il s’agit d’un sujet déterminant pour l’Europe. Il ne s’agit pas simplement d’une crise européenne. C’est une crise mondiale qui nécessite une réponse internationale. Lors de sa visite à Londres, le président Obama a évoqué le sujet en insistant sur cette nécessité d’une réponse mondiale. Moi qui ai étudié à l’université de Yale, je me rends compte qu’il ne s’agit pas d’une crise européenne, mais d’une crise mondiale.

Comme Européens, parce que nous acceptons la répartition du fardeau entre nous, nous pouvons ensuite en défendre l’idée à l’échelle mondiale. La manière dont nous agissons aujourd’hui déterminera comment l’Histoire jugera nos actions demain.

Les réfugiés continueront de fuir les conflits et d’arriver en Europe et dans les pays voisins, à cause de la crise syrienne qui ne trouve pas de solution, de la Libye qui est au bord du gouffre, de la persistance des crises en Afrique. Il n’y a aucun doute que le nombre des réfugiés va continuer de croître, en Europe et hors d’Europe.

Ériger de nouvelles barrières et dénier aux réfugiés un abri temporaire est contraire à l’essence même de l’Europe. Plus encore, ce genre d’attitude ne résoudra pas la crise et ne soulagera pas la pression sur nos concitoyens, au contraire. Elle ne fera que conduire à une Europe fondée sur la peur et sur l’isolement.

Personne ne nie que la crise mette une pression énorme sur les sociétés européennes. Il est vrai que l’impact de la crise des réfugiés a été initialement sous-estimé, mais pas seulement en Europe, toutefois. Depuis lors, nous avons tiré les leçons de l’expérience et nous agissons sur cette base. Il ne faut pas se tromper : l’Europe entreprend beaucoup pour faire face à la crise.

L’Union européenne a pris d’importantes mesures. Nous avons alloué les plus grands montants d’aide humanitaire. Si nous entendons les critiques, il faut cependant aussi voir les faits, à commencer par l’adoption du plan d’action Union européenne-Turquie et l’affectation de fonds à travers la facilité pour les réfugiés de Turquie.

Il y a beaucoup de controverses à ce sujet, mais la participation de la Turquie et notre coopération avec elle est un élément indispensable de notre effort pour affronter la crise des réfugiés. Comme Chypriote, je sais que des discussions avec les Turcs peuvent durer, mais je suis un homme politique pragmatique. C’est pourquoi je pense que, quels que soient les obstacles et leur nombre, il faut d’abord voir comment les surmonter. Sans la Turquie, il n’y a pas de solution.

L’accord que nous avons passé avec la Turquie n’était pas un accord facile à conclure. Mais il a marqué une étape importante. C’est dans l’intérêt de chacun qu’il réussisse. Ils ont besoin de nous comme nous avons besoin d’eux. Car l’accord fournit un cadre solide pour une gestion efficace de l’afflux de réfugiés. Dans le même temps, nous fournissons cette aide humanitaire en Turquie aux réfugiés. Le premier montant de 90 millions d’euros a maintenant été engagé par le biais de différents partenaires. Un second montant de 75 millions d’euros sera engagé à la mi-juillet. Cela produit un impact tangible sur la vie des réfugiés dans ce pays.

Je veux être clair, cependant : ce financement est prévu pour soutenir les réfugiés en Turquie. Ce n’est pas un financement pour la Turquie, c’est très clair. Les autorités turques ont accepté le fait que l’aide humanitaire passe par nos partenaires, les ONG, non par des canaux nationaux ou des canaux d’État.

Notre seconde action majeure est l’établissement d’un nouvel instrument d’urgence au sein de l’Union européenne pour fournir de l’aide humanitaire et alléger la pression sur les États membres débordés. Cela aurait été impensable il y a seulement cinq ans. Auparavant, il n’était pas possible, comme commissaire à l’aide humanitaire, d’intervenir sur le territoire de l’Union européenne. Grâce à ce nouvel instrument, nous avons désormais la possibilité de le faire. À l’heure actuelle, la Grèce y est désormais éligible, comme seul État membre, compte tenu des conditions actuelles. Car, avec le nouveau règlement, nous avons mis en place des conditions préalables spécifiques. Il s’agit de bien sélectionner les États membres qui bénéficieront de l’assistance.

Cette action montre clairement l’engagement de la Commission européenne en faveur des États membre, comme sa volonté venir en aide à ceux qui sont sous une pression énorme et qui peinent à surmonter cette crise des réfugiés.

Un montant de 700 millions d’euros a été alloué pour les trois prochaines années. J’attire votre attention sur le fait qu’ils n’ont pas été imputés sur le budget humanitaire hors Union européenne : il s’agit de deux budgets différents. La semaine dernière, je me suis rendu à Athènes pour lancer les premiers projets financés par le nouvel instrument.

Je puis vous dire avec certitude que la pression qui s’exerce sur la Grèce est énorme, car elle accueille plus de 50 000 réfugiés et migrants. Les Grecs ont fait preuve d’une grande maturité et d’une grande générosité. On le voit à Lesbos ou dans d’autres îles, mais aussi à Idomeni. C’est un exemple dont nous devrions tous nous inspirer. Ces gens garantissent notre identité morale.

Le financement seul ne suffit pas pour régler ce genre de crise. Comme je le dis toujours, les problèmes humanitaires exigent des solutions politiques. C’est particulièrement vrai pour une crise comme celle que nous connaissons en Syrie, crise d’ampleur gigantesque. Elle constitue une menace mondiale, et pas seulement sur le plan humanitaire. Ceux qui sont en face de nous en appellent à un affrontement de civilisations : nous devons lutter contre ces idéologies et cette manière de raconter les choses. Ne nous laissons pas sinon marginaliser sur ce plan historique. La lutte contre l’État islamique recouvre des défis qui vont bien au-delà du plan humanitaire.

En Syrie, plus de quatorze millions de gens ont besoin d’assistance humanitaire. C’est un phénomène massif et catastrophique. Le cessez-le-feu est fragile et il est soumis à de nombreuses pressions au quotidien. Les besoins ne cessent d’augmenter. L’accès à toutes les régions, en vue de distribuer l’aide humanitaire vitale, n’est pas encore possible.

Cela ne fait pas de doute : si nous ne parvenons pas à aider ces gens, ils deviendront les réfugiés de demain. Telle est la réalité. Depuis le début de la crise, l’Union européenne a affecté six milliards d’euros à l’aide humanitaire, au développement et à la stabilisation.

À la conférence de Londres sur la crise en Syrie, en février dernier, l’Union européenne a été le principal donateur, en apportant plus de deux milliards d’euros sur la période 2016-2017. Nous avons la capacité d’agir à l’échelle mondiale. Il faut qu’il soit possible de voir des résultats concrets sur le terrain.

Mais ce dont nous avons le plus besoin, c’est de solutions politiques. L’Union européenne soutient pleinement les efforts de l’envoyé des Nations unies Staffan de Mistura. Et nous sommes activement engagés dans le groupe de soutien international à la Syrie.

Notre engagement en Syrie doit aller de pair avec un engagement comparable en Iraq. Les besoins humanitaires y sont énormes, puisqu’ils concernent dix millions de personnes. Souvenons-nous que l’Irak est le troisième pays d’origine s’agissant des arrivées en Europe. Là aussi, l’Union européenne mène la réponse humanitaire. Rien que l’an dernier, nous avons attribué plus de 105 millions d’euros.

Je me suis d’ailleurs rendu à Téhéran il y a dix jours en compagnie de ma collègue Federica Mogherini, Haute-représentante pour les affaires étrangères. J’y ai annoncé une augmentation de l’aide humanitaire de l’Union européenne pour les trois millions de réfugiés afghans en Iran.

Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), un grand nombre des Afghans qui se trouvent à présent dans l’Union européenne ont séjourné auparavant en Iran. Voici un autre exemple qui témoigne de la nature mondiale et interconnectée de la crise des réfugiés, comme de l’approche d’ensemble qu’adopte l’Union européenne pour la gérer.

Dans ce contexte, il est indispensable que nous maintenions l’engagement de l’Union européenne. Il en relève de notre devoir moral. C’est une question de crédibilité. Ce faisant, nous devons chercher des solutions durables. L’action humanitaire ne saurait être un substitut pour des besoins de développement à long terme.

À mesure que les crises deviennent plus fréquentes, il convient de faire preuve de davantage de résilience. Cela recouvre plusieurs choses. D’abord, la résilience doit être notre objectif commun en vue de bâtir une société plus participative et plus stable. Nous ne fournissons pas notre aide pour des questions de philanthropie. Nous la fournissons pour venir en aide aux communautés et aux populations, de sorte qu’elles deviennent plus résilientes. Cela fait partie de notre cadre moral.

Un excellent exemple en est l’instruction, scolaire et non scolaire, dans les situations d’urgence. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une obsession pour moi, en tout état de cause de l’une de mes priorités comme commissaire à l’aide humanitaire et à la gestion des crises.

Dans toute crise, les premières victimes sont toujours les enfants. Leur protection doit être notre première priorité. Nous devons nous assurer qu’ils reçoivent une bonne éducation, quelles que soient les circonstances. C’est pour nous une obligation morale.

Trente-sept millions d’enfants demeurent à ce jour éloignés des écoles dans les régions affectées par les crises. Nous sommes tous d’accord sur un point, à savoir que chaque enfant a le droit à une éducation, parce que l’éducation est le fondement de tout le reste. L’éducation protège les enfants et les empêche de devenir la proie d’organisations terroristes et criminelles, comme je l’ai vu à Zaatari en Jordanie.

J’ai récemment annoncé que nous augmenterons le financement des projets d’éducation, pour les porter de 1 % à 4 % du budget de l’aide humanitaire. Nous travaillerons dans quarante-deux pays, en cherchant à y atteindre 2,3 millions d’enfants dans la nécessité.

Lorsque j’étais à New York la semaine dernière, j’ai vu que ces initiatives étaient mises au premier plan. Aussi allons-nous lancer un fonds spécial pour traiter cette question. En second lieu, le souci de la résilience nous conduit à travailler sur la prévention et sur la préparation. Il est vital de réduire les risques pour mieux s’attaquer à la résolution des problèmes lorsqu’une catastrophe frappe. Prenons l’exemple de l’impact dévastateur d’El Niño sur de vastes régions de l’Afrique.

Je suis revenu d’Éthiopie il a y tout juste quelques semaines. Je peux vous dire qu’El Niño y a causé de graves dommages. L’insécurité alimentaire y affecte maintenant vingt millions de personnes. C’est pourquoi, en début de semaine, la Commission a annoncé son intention de mobiliser plus de 400 millions d’euros pour répondre aux besoins immédiats de la population affectée par l’aggravation de la situation humanitaire, en traitant à la racine les causes de fragilité et de vulnérabilité.

L’année dernière, le monde s’est entendu sur le cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes. C’était une étape majeure pour faire avancer les priorités mondiales en matière de gestion des risques de catastrophe. Dans les semaines qui viennent, la Commission adoptera le plan d’action relatif à la mise en œuvre des priorités adoptées à Sendai. C’est important, car il faut passer des mots à l’action, en mettant en œuvre nos paroles.

Troisièmement, la résilience est une question de solidarité. Aucun pays, à lui seul, ne peut être entièrement préparé à toutes les sortes de catastrophes. Telle était l’une des idées qui ont inspiré l’établissement du mécanisme européen de protection civile, il y a plus d’une décennie. Depuis lors, les États membres ont coopéré avec succès pour fournir de l’assistance aux pays dépassés par une catastrophe.

La France est l’un des piliers du mécanisme. Je me suis rendu dans le Midi, près de Nîmes, avec votre ministre de l’Intérieur et j’ai pu observer les importantes initiatives prises. La France fut l’un des meilleurs piliers pour créer cet instrument.

Je prendrai pour dernier exemple le lancement récent du Corps médical européen, qui trouve son origine dans une proposition conjointe de la France et de l’Allemagne. Il montre que nous avons tiré les principales leçons de la crise Ebola. Lors de cette crise, j’ai assisté au déploiement rapide d’équipes médicales. Je me suis alors entretenu avec les ministres des affaires étrangères allemand et français, MM. Frank-Walter Steinmeier et Laurent Fabius. Grâce à leur impulsion, nous avons pu lancer ce mécanisme particulièrement efficace pour répondre à la prochaine épidémie. Qu’ils en soient remerciés.

Dans ce contexte – et ce sera mon dernier point – , le Sommet humanitaire mondial qui se tiendra à Istanbul dans quatre semaines offrira une occasion unique aux acteurs humanitaires de repenser le système. Ce sommet a besoin de devenir un catalyseur de l’action politique pour prévenir et résoudre les conflits.

Aujourd’hui, grâce au soutien fort de la France, nous avons un engagement européen commun pour mettre tout en œuvre afin d’amener une transformation décisive du système humanitaire international. Nous en avons besoin, car les circonstances ont changé depuis sa création. Ce que nous voulons, c’est un système humanitaire plus efficace, des agences humanitaires qui coopèrent mieux les unes avec les autres – car des chevauchements s’observent encore trop souvent –, des donateurs qui prennent leurs responsabilités et un engagement véritable du secteur privé au profit de l’aide humanitaire.

Il est crucial que nous défendions et que nous promouvions le droit humanitaire international, qui est soumis aujourd’hui à une pression immense et soumis à très rude épreuve. Pour tous les acteurs, en Afrique, en Syrie ou ailleurs, le respect du droit international doit jouer un rôle très important. Pour que le sommet soit une réussite, nous avons besoin de réels engagements politiques. Il risque de ne constituer sinon qu’un événement marginal, sans attirer l’attention des médias. En ce cas, il ne sera pas possible de mettre en relief l’importance de cet événement pour présenter nos idées.

Or le sommet ne doit pas être une fin en soi. Il marquera le commencement du travail de mise en œuvre des engagements que nous avons pris. Personnellement, j’ai plaidé avec insistance en faveur d’une déclaration politique. Mais, pour de nombreuses raisons, il ne sera pas possible d’atteindre cette fois à cette ambition. Ce nonobstant, nous continuons d’avoir besoin d’un engagement politique en faveur du droit international.

Une fois encore, je tiens à vous remercier pour votre invitation. J’attends avec impatience d’entendre votre point de vue, vos critiques ou vos suggestions. Faisons en sorte que cette réunion constitue un vrai remue-méninge, qu’elle soit vraiment efficace.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le commissaire, je vous poserai d’abord une question technique, qui porte sur l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie. Sur les six milliards d’euros prévus, quels sont les montants directement consacrés à l’action humanitaire ? Qui assurera le suivi de leur gestion sur le territoire turc ?

J’ai fait récemment une visite en Grèce, où je me suis rendu dans des camps de réfugiés et dans les installations de fortune qui abritent, à Idomeni, près de 15 000 personnes, à la frontière avec l’ancienne République yougoslave de Macédoine. Les ONG y accompagnent les réfugiés, mais sans toujours leur donner les informations nécessaires pour qu’ils puissent traiter leur situation. L’Union européenne n’a-t-elle pas les moyens de mieux les accompagner ? Certains pays refusent de jouer leur part. Solidarité européenne et solidarité humanitaire ne peuvent-elles être mieux liées ?

M. Pierre Lequiller. Je tiens vraiment à vous remercier, monsieur le commissaire. Alors que nous n’entendons parfois que des chiffres ou des listes de mesure, l’on parle trop peu des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent. L’Union européenne fait beaucoup, soulignons-le, même si ce n’est probablement pas assez. Il faut aller plus loin et plus fort.

Vous avez évoqué l’Afrique. Ne croyez-vous qu’il y aurait sur le continent un plan Marshall à mettre en place ? À long terme, la situation y paraît préoccupante du fait de la démographie, qui constituera sans doute l’un des grands problèmes du vingt-et-unième siècle. Nous avons le devoir d’aider. La France et l’Afrique ont une histoire commune, qui doit devenir une histoire commune de l’Europe et de l’Afrique. Que pensez-vous de cette idée d’un plan Marshall ?

J’en viens au problème des réfugiés. La question de la Turquie a déjà été évoquée. Je ne crains pas de dire que Schengen est mort, même si d’autres n’osent le faire. Aussi y a-t-il une réflexion à partir du constat que tous les États européens ont dressé des murs et établi des contrôles à leurs frontières. À mon sens, il faut d’abord parvenir à une plus grande homogénéité des droits d’asile et des conditions de rétention. Mais il convient aussi de faire en sorte que tous les pays s’accordent sur cette homogénéité. Il faut le faire dès maintenant, car les problèmes migratoires ne se règleront pas en deux ans ; ils vont durer et même peut-être s’accroître.

Aujourd’hui, la Jordanie accueille deux millions de réfugiés et le Liban un million. D’autres arriveront dans les prochains mois, en provenance de Libye, à travers la Méditerranée. Cela demande de notre part une action directe. La présidente de notre commission a eu raison de souligner que les différents domaines sont imbriqués. Nous devons ainsi travailler sur la gouvernance de Schengen, car les pays qui ne veulent pas respecter les règles de la zone doivent en être exclus.

Venons-en à Frontex. Je l’ai dit depuis longtemps, dès l’apparition du premier problème à Lampedusa : les crédits qui sont alloués à cette agence, même s’ils ont augmenté, restent totalement insignifiants ; il faut les multiplier par quatre ou cinq. Mais il convient aussi d’en modifier la mission, de sorte qu’elle puisse protéger les frontières de l’Europe. D’ailleurs, où en sommes-nous sur la question des gardes-frontières européens ? Toujours évoqués, ils ne sont jamais mis en place. La Grèce va-t-elle accepter leur présence, sans se retrancher derrière l’invocation de sa souveraineté ?

Vous avez adressé des louanges au président Obama pour son engagement. Pour ma part, je regrette seulement qu’il ne se soit pas occupé plus tôt du problème européen.

M. Arnaud Leroy. Je vous remercie, monsieur le commissaire, d’avoir évoqué les valeurs morales de l’Union européenne. Car c’est sur ce terrain que nous devons nous replacer quand nous évoquons la crise des réfugiés. N’oublions pas la deuxième guerre mondiale. Pour les hommes de ma génération, les récits ramenés par notre collègue Marietta Karamanli sont proprement incroyables. Nous avons également entendu des médecins de Médecins sans frontières (MSF) au sujet de l’état des réfugiés dans les camps.

L’urgence humanitaire s’impose à nous : qu’en est-il des enfants perdus ? Des milliers disparaissent dans les camps ou même à Calais. Vous devez venir en aide à l’ensemble des associations qui s’engagent, comme le fait MSF à Grande-Synthe, avec l’appui du maire courageux de cette ville. Car nous sommes les héritiers des valeurs morales européennes qui nous ont été transmises à travers les siècles.

Vous avez évoqué le président Obama. Mais faut-il attendre encore une solution américaine ? L’Europe doit s’assumer elle-même et assumer sa puissance, dans de nombreux domaines, y compris en matière de défense. Mes réflexions rejoignent ici celles de notre collègue Pierre Lequiller sur un plan Marshall pour l’Afrique. Comment notre communauté de destin avec elle peut-elle se construire, notamment avec l’Afrique du nord et le bassin méditerranéen ? Quand ce serait seulement eu égard à la faible distance géographique qui nous en sépare, nous ne pouvons rester passifs ; il ne sera pas suffisant de dresser des grillages qui pèseront peu devant la fureur de vivre des migrants.

Avant d’évoquer la question de Schengen, comme les échéances de 2017 nous en donneront l’occasion, il faut traiter l’urgence de la situation des femmes et des enfants perdus. Cela ne veut certes pas dire, toutefois, ouvrir notre pays à tous les vents.

Quelle liaison doit-on faire entre le non-respect des règles européennes par certains États membres et les obligations qui leur incombent ? Car je suis marri de payer pour les États membres qui se mettent d’eux-mêmes en marge du projet européen. Ils ne veulent pas de migrants ? Eh bien, qu’ils ne reçoivent plus non plus de fonds structurels européens ! Certains ne veulent profiter que des bonnes occasions.

En 2004, certains avaient déjà dit qu’il convient, comme on dit dans le rugby, de remettre l’église au milieu du village. Si nous ne faisons rien, devant cette crise majeure, nous y perdrons nos espoirs et nos valeurs. Dans son premier discours devant le Parlement européen en tant que président de la Commission européenne, le président Jean-Claude Juncker avait présenté son équipe comme celle de la dernière chance. Évitons de lui donner raison d’ici 2019 !

Mme Sandrine Doucet. À l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, j’ai participé, au mois de mars dernier, j’ai participé à une conférence interparlementaire sur la charte sociale de l’Europe. Il s’agissait de réaffirmer que l’application des droits sociaux en Europe contribue activement à la réalisation de l’état de droit, de la démocratie et des droits de l’homme.

Comme beaucoup de participants, j’ai été étonnée d’y croiser des représentants nombreux de la Douma, dont le président lui-même était présent. Il a montré sa bonne volonté en affirmant qu’il était convaincu de la bonne application des droits sociaux dans son pays, sans qu’il soit besoin pour cela de recevoir trois milliards d’euros. C’était bien sûr une pierre dans le jardin de la délégation turque, placée immédiatement à côté de la sienne, du fait du placement par ordre alphabétique dans la salle de réunion. Les réactions ne se sont pas fait attendre. L’incident m’a rappelé des temps plus anciens, en souhaitant que les tensions de la guerre froide ne se réveillent pas. Il est donc important que les Européens parlent d’une voix unique.

À travers tous ces enjeux liés à l’aide humanitaire, des propos de Rony Brauman sur la situation dans les camps en Amérique du Sud peuvent se rappeler ainsi à notre souvenir. Hier, à Bordeaux, j’ai assisté à une conférence, donnée par la géographe Sylvie Brunel et consacrée à l’histoire viticole. Elle soulignait combien l’aide humanitaire a fourni l’occasion de lancer en Afrique d’amples politiques, pour y amener des procédés agricoles qui permettent de résoudre la crise alimentaire, en répondant aux besoins de modernité qui s’expriment dans ces pays. Comment l’aide humanitaire peut-elle ouvrir sur des plans à long terme et consolider, dans ces pays, des pratiques qui prennent en compte leur manque de moyens financiers ?

La Présidente Danielle Auroi. À mon tour de vous remercier, monsieur le commissaire. Vous n’avez pas seulement évoqué la Syrie et l’Irak, mais aussi l’Afrique. Pour ma part, je crains que le sommet humanitaire d’Istanbul ne nous rappelle celui d’Addis-Abeba, où il avait été annoncé que les États ne voulaient plus aider, mais que le secteur privé le ferait à leur place. Ensuite, les pays en voie de développement se sont aperçus qu’ils ne recevaient pas d’aide du secteur privé…

Ne faut-il pas redouter la même chose à Istanbul ? L’aide humanitaire ne peut valoriser une entreprise ; j’ajouterais que cette dimension n’appartient pas à leur culture. Je suis particulièrement engagée sur la question de la responsabilité sociale des multinationales vis-à-vis de leurs sous-traitants. De mon point de vue, la mention d’un recours au secteur privé n’est parfois que l’habillage d’un recul de l’aide humanitaire mondiale, alors que nous souhaitons tout le contraire.

Nous avons abordé une autre question difficile, celle des enfants. Quand ils disparaissent, n’a-t-on plus aucun moyen de les récupérer ? Notre collègue Arnaud Leroy a évoqué la situation à Grande-Synthe. Les autorités en charge de l’aide humanitaire ne peuvent-elles jouer un rôle ?

Enfin, qu’en est-il de la prévention de la crise des réfugiés qui se profile à la frontière entre la Libye et l’Italie ? Les pays des Balkans font eux aussi entendre leurs inquiétudes, ainsi au Monténégro ou en Serbie, État qui se retrouve à jouer un rôle d’interface alors que l’Autriche a fermé ses frontières et présente une situation politique qui nous inquiète. Comment le groupe de Višegrad, parfois taxé d’égoïsme, pourra-t-il se laisser convaincre d’aller vers plus de solidarité ?

M. le commissaire Christos Stylianides. Vous avez raison de souligner que la crise des réfugiés et la question plus générale des migrations forment un tout. En tout état de cause, c’est un sujet décisif pour l’Europe.

Madame Karamanli, vous avez évoqué l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Permettez-moi de vous apporter une réponse un peu technique. Comme je l’ai dit, l’aide humanitaire qui fait l’objet de cet accord ne passe qu’à travers les canaux des organisations humanitaires partenaires de l’Union européenne, non à travers les canaux des États. Les autorités turques ont accepté ce point, qui était partie intégrante de notre négociation avec elles. Initialement, elles avaient pu croire que l’État serait mieux à même de gérer ce financement, en particulier dans les camps. Toutefois, la Commission européenne a insisté pour imposer le respect des principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance. C’est la base même de notre collaboration.

Il en va de même en Grèce. De notre point de vue humanitaire, ces principes ne sont pas négociables. Quant aux chiffres, sur les trois milliards d’euros prévus pour la Turquie, deux milliards d’euros sont imputés sur le budget de la politique de voisinage, et un milliard d’euros sur celui de l’assistance humanitaire. C’est sur ces derniers crédits qu’est financée l’instruction non scolaire (informal education). Mon collègue Johannes Hahn, commissaire en charge de la politique de voisinage, a déjà signé des contrats à hauteur de deux cents millions d’euros avec la Turquie ; ils portent sur les infrastructures et sur l’instruction scolaire (formal education), pour améliorer les conditions de vie des réfugiés.

L’instruction non scolaire constitue quant à elle une première étape pour les enfants, avant l’instruction scolaire qui permet aussi de leur apporter une protection. Au cours d’une visite sur le terrain, j’ai pu voir un projet de scolarisation concernant plus de deux mille enfants, qui reçoivent tous les jours à la fois des cours en arabe, en anglais, une formation aux sciences de l’information et, le cas échéant, du soutien psychologique, pour ceux d’entre eux qui en ont besoin. Car il ne faut pas sous-estimer ces aspects.

J’en viens aux nouveaux instruments et à notre rôle en Grèce. Vous le savez peut-être, l’instrument est un instrument spécifiquement dédié à l’aide humanitaire. Cette aide est fournie par les partenaires humanitaires, non par les États membres ; ainsi, même si la Grèce est un État membre, l’aide apportée en Grèce ne passe pas par les autorités grecques. Toutefois tout se fait en coordination avec elles : c’est ce qui différencie le processus dans les États membres du processus dans les autres États membres.

J’ai rencontré le premier ministre grec, M. Alexis Tsipras. Nous nous sommes entendus sur le fait qu’avant leur mise en œuvre, nos projets devaient être discutés avec les autorités grecques. Un comité de suivi commun aux autorités grecques et aux partenaires humanitaires a été mis sur pied. Sa première réunion a été très fructueuse.

Bien sûr, nous apportons aussi de l’aide à la Grèce sur de nombreux plans, à travers le fonds consacré aux migrations et géré par mon collègue Dimitris Avramopoulos, à travers les fonds structurels gérés par ma collègue Corina Creţu ou encore à travers les fonds de cohésion sociale gérés par ma collègue Marianne Thyssen. Cette dernière était en Grèce hier pour proposer des solutions aux autorités grecques.

Je tiens en outre à souligner la générosité exemplaire des Grecs. De son côté, la Commission a un paquet d’ensemble, une stratégie holistique, pour apporter à la Grèce des réponses efficaces, même si des faiblesses s’y observent encore.

Venons-en à l’Afrique et à la proposition d’un plan Marshall formulée par M. Lequiller. Je suis complètement d’accord avec lui. Sans un tel plan, l’aide humanitaire et l’aide au développement ne pourront malheureusement suffire devant la croissance démographique sur place. Cela est particulièrement vrai au Nigéria ou en Éthiopie, où les projections démographiques laissent attendre une population de plusieurs centaines millions d’habitants dans les prochaines décennies. Ces observations valent également pour le Mali, le Tchad, le Cameroun et l’Égypte notamment.

Sur le plan stratégique, nous avons besoin d’un plan Marshall pour l’Afrique. Je l’ai évoqué à de nombreuses reprises. Toutefois, le projet doit être un projet mondial, qui fasse intervenir les Nations unies et non seulement l’Union européenne. En Afrique, le secteur privé s’engage. Madame la présidente, j’ai bien senti vos réserves quant à une possible recherche exclusive du profit par les entreprises. Les fonds publics seront-ils pourtant suffisants à eux seuls ? Je préconise donc une ouverture vers le secteur privé, pourvu qu’elle ait lieu dans un cadre législatif à l’échelle mondiale qui, à la fois, lui fournisse des incitations et lui impose des obligations. Je me suis entretenu à ce propos avec des représentants de Google et de Microsoft.

Jusqu’à présent, les flux ne sont passés qu’à travers certains fonds recherchant la responsabilité sociale. Ce n’est pas suffisant. Nous devons aborder la question au sommet d’Istanbul pour chercher à définir un cadre moral d’intervention du secteur privé. Le directeur général de l’UNICEF, M. Anthony Lake, a ainsi trouvé un moyen innovant de lever des fonds à Barcelone à travers les équipes de football. Grâce à cette initiative, l’UNICEF a gagné des ressources pour financer beaucoup de projets. Libérons-nous des idées préconçues pour dessiner le cadre moral à l’échelle mondiale que j’évoquais.

Vous avez évoqué les liens qui unissent la France à l’Afrique. J’en ai fait l’expérience sur place, en Afrique de l’Ouest, car j’ai assisté aux opérations de lutte contre le virus Ebola. Le projet européen spécifiquement mis en place en réponse à cette crise était fondé sur la résilience. Au Nigéria, il a eu de bons résultats. Grâce à lui, la croissance de l’économie locale se trouve réconciliée avec la réponse humanitaire. Mais nous avons besoin de plus de projets de ce type.

Vous m’avez également interrogé sur l’espace Schengen et le contrôle des frontières extérieures, sur le fond du récent accord de réadmission passé avec la Turquie. Je ne suis pas familier de ces questions qui ne relèvent pas de mon portefeuille. Je pense cependant que les contrôles aux frontières extérieures sont le meilleur instrument pour éviter la destruction du projet européen. L’agence Frontex joue déjà un rôle important dans ce domaine.

Le mois dernier, elle a passé un accord de coopération avec l’OTAN qui a apporté un grand mieux en mer Égée, où la situation s’est beaucoup arrangée. Aussi devons-nous continuer de garder les frontières extérieures sous notre contrôle. Ma collègue Federica Mogherini, Haute-représentante pour les affaires étrangères, s’est exprimée en ce sens.

En coordonnant les activités de l’agence Frontex, du Bureau européen d’appui pour l’asile et les mesures prises dans le cadre de l’opération Sophia, opération militaire de l’Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée, nous améliorerons nettement nos capacités, en particulier en mer. L’amélioration de la situation à Lampedusa en témoigne.

Tout en essayant de négocier avec cet acteur-clé que constitue la Turquie, nous n’avons pas sous-estimé le rôle du Liban et de la Jordanie. Au Liban, dans le Metn, l’aide européenne s’investit sous forme d’aide au développement, tout comme en Jordanie. Dans ces deux États, la situation est très complexe. Au Liban, l’État présente des fragilités, mais sait aussi les dépasser. J’espère qu’il conservera sa stabilité. En tout état de cause, nous devons éviter de marginaliser le rôle de ces deux États.

La situation en Libye m’inquiète bien davantage. À l’heure présente, nous ne pouvons pas fournir d’aide, car les partenaires ne sont pas présents sur place. Cela montre combien la situation est dangereuse et combien elle nous dépasse.

M. Pierre Lequiller. N’est-elle pas toutefois en train de s’améliorer ?

M. le commissaire Christos Stylianides. C’est vrai !

Monsieur Leroy, vous avez raison de souligner que nous traversons une crise structurelle. Nous sommes souvent déçus devant certaines attitudes adoptées. J’assiste à toutes les étapes nécessaires pour définir des solutions européennes communes ; je pense qu’elles valent mieux que des prises de position continuellement agressives.

Certes, nous pouvons avoir des désaccords ou des différends. Cependant, jour après jour, certains de nos États membres qui avaient exprimé des réserves quant à notre gestion de la crise migratoire, se rendent compte que nous avons besoin de partager le fardeau, non seulement au sein de l’Europe du sud, mais à l’échelle de toute l’Union européenne. Car les solutions que nous devons trouver doivent être acceptables par tous les États membres.

En fin de compte, nous verrons si nous réussissons à trouver les moyens institutionnels de les convaincre d’abandonner une attitude parfois agressive et si nous parvenons à réaliser un progrès historique.

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le commissaire, je vous remercie. Vous nous avez ouvert des perspectives. Laissez-moi formuler le vœu que nous puissions peut-être vous revoir après le sommet d’Istanbul.

La séance est levée à 18 h 15

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 27 avril 2016 à 16 h 45

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Sandrine Doucet, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Pierre Lequiller, M. Arnaud Leroy

Excusés. - M. Kader Arif, M. Laurent Kalinowski