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Commission des affaires européennes

mercredi 4 mai 2016

16 h 15

Compte rendu n° 275

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen du rapport d’information de Mme Nathalie Chabanne et de M. Jacques Myard sur l’impact de la législation européenne en matière de services publics 

II. Examen de la communication de M. Arnaud Leroy sur les propositions de règlement du Conseil relatives à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (COM (2016) 106 final, COM(2016) 107 final et COM(2016) 108 final) 

III. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 4 mai 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 15

I. Examen du rapport d’information de Mme Nathalie Chabanne et de M. Jacques Myard sur l’impact de la législation européenne en matière de services publics 

La Présidente Danièle Auroi. Nos collègues Jacques Myard et Nathalie Chabanne nous présentent aujourd’hui le premier volet de leur rapport sur l’impact de la législation européenne en matière de services publics de réseaux, qui porte sur le cas des télécommunications.

M. Jacques Myard, co-rapporteur. Depuis la fin des années 1980, l’Union européenne a imposé l’ouverture des monopoles publics à la concurrence de façon dogmatique. J’utilise ce terme car si dans un premier temps cette ouverture a été porteuse de progrès, elle a par la suite enfermé nos services publics de réseaux dans un modèle qui n’est pas soutenable. Les consommateurs en ont bénéficié, dans le cas des télécommunications, c’est indubitable, tant en ce qui concerne le prix que l’étendue des services – il est loin, le temps du 22 à Asnières ! – mais on doit s’interroger sur les conséquences d’une telle politique au regard du futur de l’industrie européenne des télécommunications, des investissements et de la couverture du territoire national.

En France, les services publics représentent un élément clé du modèle social, quelles que soient par ailleurs les options politiques. Or la notion retenue par le Traité de Rome en 1957, pour les activités soumises à des normes spécifiques d’organisation et de régulation, celle du « service d’intérêt économique général », est éloignée de notre notion traditionnelle, en particulier parce qu’elle met l’accent sur une « assimilation » progressive aux règles du marché par le biais de l’exigence de respect des règles communes sur la concurrence, restreignant d’autant notre capacité à agir de manière souveraine par voie de nationalisation par exemple.

Jusqu’en 1986, les États membres ont prudemment fait consensus sur l’absence de nécessité d’une action de l’Union européenne, et ont maintenu l’organisation de leurs services publics de réseaux telle qu’elle résultait de leurs traditions nationales.

L’Acte unique marque un tournant politique majeur : avec l’objectif de mettre en œuvre les quatre libertés fondamentales de circulation (personnes, marchandises, services, capitaux) et d’éliminer les obstacles aux échanges, la perception de ces réseaux d’infrastructures change radicalement. De support à la mise en œuvre de politiques nationales, ils deviennent des facteurs clés nécessaire à la réalisation du marché unique et à la mise en œuvre de ces quatre libertés.

Au même moment, des mutations technologiques de grande ampleur transforment radicalement les infrastructures de télécommunications, et facilitent, dans les grands réseaux, le lancement d’une politique industrielle reposant sur la politique de concurrence qui aboutit à la remise en cause des monopoles nationaux et à l’explosion du nombre d’opérateurs.

Or ce système a aujourd’hui atteint ses limites, comme le démontre la persistance de zones non desservies, nous en parlerons par la suite, ou bien encore la question du traitement non discriminatoire en matière d’itinérance. Les surcoûts liés à l’itinérance sur plusieurs réseaux européens sont progressivement éliminés pour les consommateurs mobiles, mais ces surcoûts, non négligeable, doivent être pris en charge d’une façon ou d’une autre, et il est fortement à craindre qu’ils soient tout simplement répercutés sur les consommateurs qui restent dans le cadre de leurs frontières nationales.

Mais des signes – encore trop peu nombreux – montrent qu’une évolution est possible à défaut d’être encore pleinement en cours.

Le traité d’Amsterdam de 1997 raffermit, dans le corps même du traité, à l’article 14, la place des SIEG en tant que « valeur commune » de l’Union et leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de cette dernière. Il est complété, grâce au Traité de Lisbonne, par le Protocole n° 26 sur les services d’intérêt général, dont l’article 1er affirme la place et le rôle des services d’intérêt général dans le projet politique européen.

Certes, l’articulation entre droit de la concurrence et SIEG reste ambiguë. Ce régime reste en effet fixé par l’article 106 du TFUE, selon lequel « les entreprises chargées de la gestion des SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie. »

Aujourd’hui, c’est la première partie, l’application de la concurrence, qui est privilégiée dans l’interprétation de cet article 106, plutôt que la préservation d’un espace spécifique aux SIEG. Par choix politique, les États membres se sont autocensurés et n’ont pas voulu utiliser la facilité offerte par le traité lui-même, qui impose certes de définir les contours de ce service public. Il ne faut plus hésiter à défendre cette conception devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, dont la jurisprudence est plus équilibrée que l’on ne le pense.

Si la politique de concurrence a permis de sortir d’un « chauvinisme économique », il est grand temps de mettre des limites à l’action « impérialiste » de la DG Concurrence, et de la tempérer par une autre notion, qui fait défaut, celle de « politique industrielle ».

D’autant que les choses bougent : nous avons pu constater, et cela a été confirmé, une différence d’approche entre les différentes directions de la Commission européenne, entre direction « sectorielle » et direction « concurrence », la première appréciant mieux l’importance de la prise en compte des disparités géographiques entre États membres et de la nécessité de dépasser un modèle conçu à l’origine par et pour les zones urbaines que la seconde, et qui aboutit à privilégier les consommateurs des zones denses.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. L’Europe a pour ambition la création d’un véritable marché unique du numérique. Le président Juncker a fait de cette initiative phare de la stratégie UE 2020 la deuxième priorité de son mandat.

Selon la communication relative à la stratégie numérique en Europe, publiée le 6 mai 2015, cette dernière repose sur trois axes : améliorer l’accès des consommateurs et entreprises aux biens et services numériques ; mettre en place un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques ; maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique européenne.

La régulation européenne et/ou nationale dans les télécommunications s’articule aujourd’hui autour de trois objectifs : créer et préserver une concurrence sur les marchés concernés afin d’offrir aux utilisateurs un choix effectif entre des offres de services de qualité et à des prix abordables ; assurer une redistribution en faveur de catégories déterminées de la population ou de certains territoires ; conserver un certain contrôle sur la production et l’évolution de cette dernière.

Or nous faisons le constat d’un biais du régulateur en faveur du premier de ces objectifs, qu’il soit étatique ou communautaire. La question n’est donc pas tant celle de la dérégulation (ces régulateurs interviennent d’une manière très contraignante) pour les acteurs que de la définition de cette régulation, et des modalités de son action.

La dimension industrielle doit, pour nous, être au cœur de la définition de cet environnement propice que la Commission souhaite promouvoir avec le paquet télécoms rénové, avec la mise en place d’un cadre incitatif à l’investissement dans les infrastructures afin de permettre le déploiement le plus rapide et le plus large possible des réseaux mobiles et des réseaux à très haut débit de nouvelle génération, et propice à l’innovation.

Il en va non seulement du futur de l’industrie européenne des télécommunications – les industriels l’ont compris, une recomposition de l’industrie européenne est en cours, mais le cadre concurrentiel doit accompagner, et non handicaper, cette recomposition –, mais aussi de la satisfaction des consommateurs à terme.

La question du marché unique numérique dépasse de loin le simple aspect technique. En effet, il s’agit avant tout d’aménagement et de développement des territoires, des économies et des sociétés européennes. Parce les consommateurs, objet de toute l’attention de la Commission, sont avant des citoyens, l’amélioration du service qui leur est rendu doit contenir, au premier chef, une réelle égalité d’accès, aux services comme aux contenus.

Or cette égalité d’accès, elle n’existe pas encore, quoi qu’on en dise.

La conception française traditionnelle du service public, c’est un instrument mobilisé au service d’objectifs relevant de l’intérêt général définis dans le cadre d’une politique publique. L’Union européenne a retenu une approche différente : celle du simple constat de l’existence de manques, qu’il convient de pallier.

La première traduction de cette approche, c’est la notion de « service universel », dont le périmètre est strictement défini : la téléphonie fixe (y compris un accès Internet, mais à des conditions de débit limitées), les annuaires et renseignements téléphoniques et la publiphonie. Les prestataires chargés de fournir les composantes du service universel sont désignés au terme d’une mise en concurrence.

Dévolue à Orange en octobre 2013, cette mission prendra fin en novembre prochain, et un nouveau prestataire devra être désigné. L’Arcep vient ainsi de publier un bilan de l’action de l’opérateur historique, pour le moins mitigé, notamment dans sa première année. Le régulateur plaide ainsi pour un nouveau cahier des charges mettant l’accent sur des exigences élevées en matière de qualité de service, notamment dans les territoires toujours exclus du très haut débit.

Nous ne pouvons que partager une telle demande, mais plus fondamentalement, l’interrogation doit aujourd’hui porter sur le contenu de ce service universel.

Le rapport « Le service universel des communications électroniques au regard des nouveaux usages technologiques : enjeux et perspectives d’évolution », remis le 17 octobre 2014 à la Secrétaire d’État au numérique, Mme Axelle Lemaire, par Pierre Camani, sénateur du Lot-et-Garonne, et Fabrice Verdier, député du Gard, fait un état des lieux très précis de la mise en œuvre de ce service universel, et nous en partageons le constat de décalage, voire de désuétude, avec les besoins aujourd’hui exprimés par nos concitoyens : l’impact de la composante « téléphonie fixe » (péréquation géographique et réduction sociale téléphonique) est aujourd’hui très limité ; en matière de services de renseignements et d’annuaires des abonnés aux services téléphoniques, le caractère prépondérant des services en ligne est aujourd’hui évident ; quant aux cabines téléphoniques, leur fin a été décidée l’été dernier, par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Or la persistance de zones blanches ou grises de téléphonie mobile pose la question de la définition du service universel alors que, de plus en plus, l’usage d’un téléphone mobile devient aujourd’hui essentiel dans la gestion des relations sociales et pour nombre de pratiques. Mais l’inclusion d’un accès abordable à la téléphonie mobile – dont je rappelle d’ailleurs que la France l’avait souhaité au début des négociations sur la directive relative au service universel – se heurte tant à la position contraire de la Commission européenne, qui considère que le marché garantit à lui seul aux consommateurs un accès abordable à la téléphonie mobile, qu’à la jurisprudence européenne (arrêt CJUE du 11 juin 2014 Base Company et Mobistar).

Une inclusion ciblée dans le service universel correspondrait pourtant à une aspiration des consommateurs et permettrait d’imposer une obligation de couverture territoriale étendue. Les frais liés à l’obligation de couverture des zones isolées peu rentables seraient alors répartis sur l’ensemble des opérateurs.

L’égalité d’accès de tous à la téléphonie mobile exige une forme de solidarité nationale. L’appui de l’État en est une manifestation, l’inscription dans la définition du service universel pourrait en être la consécration.

Une solution alternative et limitée a été retenue : l’article 129 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques entérine la disparition des cabines téléphoniques en contrepartie d’une obligation, pour les opérateurs de télécommunications, de couverture de centres-bourgs de communes rurales en 2G et en 3G, grâce à une mutualisation du réseau et moyennant un financement public.

La résorption de ce retard, essentiel pour assurer l’égalité des territoires, ne concerne donc pas la 4G et se limite à apporter une couverture de base à près de 3 800 centres-bourgs en 2G d’ici le 31 décembre 2016, et en 3G (indispensable pour utiliser Internet) d’ici le 30 juin 2017. Par conséquent, certaines zones stratégiques, notamment économiques ou touristiques des communes concernées pourraient demeurer dépourvues d’une telle couverture. Ces mesures sont accompagnées par un appel à projets « 800 sites stratégiques » ouvert pour une durée de quatre ans, de 2016 à 2019 (300 sites en 2016, autant en 2017), complété par l’annonce d’un effort financier supplémentaire de l’État.

Il faut certes s’en réjouir mais il faut aussi noter que cette liste inclut 67 communes toujours non couvertes malgré des précédents programmes gouvernementaux en 2003, puis en 2008… Les engagements des opérateurs devront donc être suivis avec attention tant par le régulateur que par les pouvoirs publics.

Deuxième traduction de cette approche européenne de « comblement des manques » la question du très haut débit fixe.

Dans le cadre de la stratégie Europe 2020, le plan numérique de l’Europe a pour ambition que, d’ici à 2020 tous les Européens aient accès à un débit supérieur à 30 Mbit/s, et que 50 % d’entre eux au moins aient accès à des offres proposant un débit supérieur à 100 Mbit/s. L’investissement nécessaire pour atteindre l’objectif d’un accès généralisé à des offres de 30 Mbit/s est estimé, à l’échelle de l’Union, à 60 milliards d’euros, et à 270 milliards d’euros pour l’accès de la moitié des ménages à 100 Mbit/s.

Tout en réaffirmant le principe d’une priorité donnée aux mécanismes de marché et à l’initiative privée, la Commission européenne a dû admettre la possibilité d’une carence de cette dernière et la nécessité d’un financement public afin d’atteindre ces objectifs.

Le régime des aides d’État a été aménagé via des lignes directrices communautaires en 2009 puis 2013. Le texte 2009/C 235/04 a ainsi prévu une sectorisation, avec trois types de zones : noires, denses, réservées à l’initiative privée ; grises, de densité intermédiaire, où la mutualisation doit être privilégiée et où l’intervention publique doit être dûment justifiée ; blanches, qui, en raison de leur faible densité de population, ne font pas l’objet d’une offre privée suffisante, et où une intervention publique est ainsi justifiée. Les lignes directrices 2013/C 25/01 ouvrent la possibilité d’une intervention publique dans une zone noire, à condition qu’elle permette un saut technologique notable par rapport aux infrastructures déployées par les opérateurs privés. La Commission européenne a en outre veillé à ce qu’un constat de carence soit réellement possible. Le droit européen offre ainsi une palette d’outils plus souples qu’il n’y parait au premier abord pour réaliser le déploiement du réseau fixe à très haut débit y compris là où les acteurs de marché – soumis à des impératifs de rentabilité et qui n’investissent que dans les zones les plus peuplées, donc les plus rentables – ne vont pas.

Nos collègues sénateurs Hervé Maurey et Patrick Chaize ont parfaitement décrit le mécanisme retenu en France, mis en œuvre à travers le Programme National Très Haut Débit de 2010 puis le Plan France Très Haut Débit de 2013, dans leur rapport d’information pour la Commission des affaires économiques du Sénat paru en novembre dernier sur la couverture numérique des territoires : ce n’est pas l’État, mais les collectivités territoriales qui se sont vues chargées d’assurer le déploiement de la fibre sur les zones les moins denses du territoire et ainsi réparer la véritable fracture numérique apparue entre les territoires très urbanisés et les zones moins denses.

De surcroît, l’État, certes contraint par ces lignes directrices européennes, a dressé un cadre plus favorable aux opérateurs privés en allant au-delà de ces dernières. Il a ainsi permis de « simples déclarations » d’intention d’investissement des opérateurs (procédure d’appel à manifestations d’intentions d’investissement) dans la zone intermédiaire, non seulement non contraignantes mais également avec un laps de temps concédé la concrétisation de ces projets presque doublé par rapport aux exigences européennes (cinq ans, au lieu de trois ans). Il a également rendu impossible, via les règles d’éligibilité des subventions, le déploiement avec le soutien de l’État des réseaux d’initiative publique dans les zones intermédiaires sous la forme d’un SIEG.

Le constat très documenté dressé par le rapport d’information de nos collègues sénateurs Hervé Maurey et Patrick Chaize conforte notre appréciation sur la disparité de traitement appliquée à nos concitoyens en matière de télécommunications et sur l’accentuation des inégalités existantes qui en résultent, puisque cet accès se trouve de facto réservé aux usagers des zones denses.

La couverture de la population en matière de très haut débit progresse essentiellement par la modernisation des réseaux existants dans la zone d’initiative privée, et comme nombre d’élus, locaux ou nationaux, nous pouvons constater dans nos territoires respectifs la persistance d’infrastructures fragmentées, voire absentes. La circonscription de Jacques Myard est ainsi symptomatique de l’effet perturbateur lié à la fusion entre Numericable et SFR, autorisée par l’Autorité de la concurrence le 27 octobre 2014, alors que SFR était amené à participer activement au déploiement de la fibre jusqu’à l’usager dans la zone d’initiative privée, à titre principal ou en tant que cofinanceur avec Orange. La mienne illustre quant à elle à la fois le volontarisme des collectivités territoriales en zone peu dense et les difficultés auxquelles elles se heurtent, avec notamment le coût prohibitif des abonnements satellites ou le refus des opérateurs de desservir certaines zones.

La conséquence en est une fragmentation du territoire, avec des territoires pionniers, et, parfois juste de l’autre côté de la limite administrative, des départements qui viennent seulement de déposer leur dossier. Or cette fragmentation numérique peut avoir de graves conséquences sur le développement des territoires via les décisions d’implantation ou de développement d’activités économiques.

Enfin, dernier obstacle, le dossier du Plan France THD est toujours entre les mains de la Commission européenne pour une validation officielle. À défaut, les aides publiques aux projets de réseaux d'initiative publique lancés par les collectivités territoriales seront qualifiées d’aide d’État. Or l’optimisme dont faisaient preuve nos interlocuteurs lors des auditions que nous avons conduites risque fort d’être douché par la réaction de l’Autorité de la Concurrence allemande au plan de l’Agence nationale allemande pour les réseaux signé avec l’opérateur historique Deutsche Telekom pour le déploiement du très haut débit via la « vectorisation », technique qui permet de monter en puissance sur le réseau cuivre historique en attendant le déploiement de la fibre optique.

L’autorité allemande de la concurrence a en effet émis des doutes sur ce plan notifié le 7 avril à la Commission européenne, la « vectorisation » limitant à son sens les capacités d’innovation des concurrents de Deutsche Telekom, cette dernière gardant la main sur le réseau et la qualité des produits proposés par ses concurrents, avec pour effet une « remonopolisation » du réseau allemand.

Or la montée en débit sur le réseau cuivre en France sera directement concernée par la décision de la Commission. Si cette question ne concerne qu’une minorité des plans de déploiement locaux, c’est pourtant elle qui freine depuis des mois l’approbation du Plan très haut débit français par les autorités européennes de concurrence.

En mars dernier, le commissaire à l’Economie numérique, M. Günther Oettinger, a indiqué qu’à ses yeux, pour arriver au très haut débit, « toutes les techniques se valent ». Reste à en convaincre, une fois de plus, la Direction Générale de la Concurrence…

Voilà pour les citoyens, qu’en est-il des consommateurs et des opérateurs ? L’objectif affirmé de l’introduction de la concurrence était bien la baisse des prix pour les consommateurs, la question de l’impact pour les opérateurs européens ne peut être éludée.

M. Jacques Myard, co-rapporteur. La mise en concurrence et la privatisation de l’ancien monopole ont entraîné une baisse des prix sensible. Les prix ont reculé en moyenne de 30 % depuis 2010. La France arrive ainsi en tête des pays d’Europe pratiquant les tarifs les plus bas, selon une étude du régulateur belge des télécoms. La moyenne des abonnements en France est parmi les plus basses du monde : autour de 20 € contre 54 € aux États-Unis.

Mais les opérateurs ont su développer leur activité : en 2003, l’Europe comptait 23 millions d’abonnés haut débit, ils sont 145 millions au 1er janvier 2013. Dans le même temps, le nombre des abonnés mobiles a crû de 370 à 657 millions. Il serait donc injuste de dire que la libéralisation n’a pas été bénéfique pour les opérateurs du secteur des télécommunications.

Toutefois, cette exigence de baisse des prix impacte négativement l’image même de ce secteur, pour ses représentants, les bas prix des forfaits pour les téléphones mobiles favorisant l’idée selon laquelle l’industrie des télécommunications n’a que peu de valeur.

Or la valeur de cette dernière a effectivement souffert. Leur chiffre d’affaires a baissé de 9 % entre 2011 et 2014 (11 % entre 2012 et 2013), leur marge brute d’exploitation a reculé de 14 % sur la même période, tandis que leur trésorerie disponible a reculé de 39 % entre 2010 et 2013. Cette baisse des marges et du chiffre d’affaires a eu un effet très négatif sur la valeur des opérateurs. Les opérateurs européens auraient perdu environ 30 % de leur valeur entre 2006 et 2012, même s’il convient d’intégrer l’effet de la crise financière de 2008 et la situation de croissance atone de la zone euro.

Une telle situation a un impact négatif sur la capacité des opérateurs à investir et, surtout, à rivaliser avec les fameux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) américains.

Un nouveau type d’acteurs a en effet fait irruption sur la scène mondiale des télécommunications, et redistribué, y compris en France, le cadre traditionnel dans lequel s’inscrivait ce secteur.

Les entreprises de services sur la Toile, qu’il s’agisse des « GAFAM », avec leur système d’exploitation fermé de droit américain, ou bien des opérateurs de vidéo à la demande, de télévision diffusée par Internet, etc., utilisent les réseaux, et captent donc une partie du marché et une partie des revenus des câblo-opérateurs et opérateurs.

Or ces acteurs de l’Internet « contournent » la question de l’accès au réseau en s’adressant au client final soit par le biais du terminal soit par la mise en relations des utilisateurs entre eux (plateformes, réseaux sociaux).

De surcroit, ils posent la question des systèmes d’exploitation. Le duopole constitué de Google et d’Apple domine de façon écrasante le marché des téléphones intelligents grâce à leurs systèmes d’exploitation respectifs, Android et iOS, qui permettent l’accès à leurs écosystèmes de services connectés et d’applications téléchargeables en ligne. Même si Android est un système d’exploitation libre, la majorité des fabricants de téléphones intelligents et de tablettes utilisent Android en combinaison avec un éventail d’applications et de services propriétaires de Google, installés par défaut.

À cette force de frappe, s’ajoute l’attitude – trop ? – conciliante de la Commission européenne, comme l’illustre la question du niveau des terminaisons d’appel (examen par la Commission européenne de leur système de calcul, qui a pourtant favorisé en France le développement des forfaits illimités et l’usage des SMS, accessibles à tous, car il empêcherait selon elle la progression de services alternatifs, comme WhatsApp, tous américains) ou bien l’ouverture totale du marché européen des équipements de télécommunications aux entreprises non-européennes sans réciprocité. Ericsson n’était plus en 2014 que le troisième mondial en parts de marché en équipements et logiciels réseaux (9 %) derrière CISCO (19 %) et Huawei (11 %), l’Europe constituant le premier marché pour ce dernier (sa part de marché est passée de 2,5 % en 2006 à 25 % en 2014).

Comment en est-on arrivé là ? En premier lieu par la priorité donnée à la baisse des prix au service du consommateur et par l’action du régulateur sur les marges des opérateurs, qui répercutent leurs contraintes sur les équipementiers. Ils ont ainsi fait appel à Huawei, aux prix bas couplés à une technologie permettant d’économiser sur la maintenance, et lui ont permis de remonter la chaîne de valeur et de devenir aujourd’hui l’un des équipementiers les plus innovants.

Mais aussi en l’absence d’un accord tacite comme celui qui existe aux États-Unis entre les pouvoirs publics et les opérateurs pour ne pas laisser entrer les équipementiers chinois et limiter ainsi la concurrence au niveau des fournisseurs. Les opérateurs y trouvent leur compte, car ils recherchent la « co-création » avec leurs partenaires, avec à la clef, un véritable partenariat entre l’opérateur, qui veut de l’innovation et du service, et l’équipementier, qui doit être assuré d’un volume d’affaires suffisant pour rentabiliser ces progrès.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure.- La question des équipementiers comme celle des systèmes d’exploitation exigent à nos yeux une double réponse.

La première réponse est une vision industrielle. Si la Commission européenne reconnaissait le caractère mondialisé de la concurrence et acceptait l’existence de champions européens sur toute la chaîne de valeur ajoutée, alors elle pourrait être un outil puissant d’accompagnement.

À cet égard, la question de la consolidation du secteur est un test vital. Or les récentes décisions de Mme Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence, semblent confirmer le maintien d’une approche favorable à la concurrence.

Après avoir refusé en septembre 2015 au Danemark d’avaliser une opération entre les filiales de Telenor et de TeliaSonera, la consolidation sur le marché belge opérée en février dernier semble indiquer que la règle suivie par Mme Vestager est la suivante « si un acteur disparaît, un autre doit émerger ».

Nous ne pouvons qu’espérer que la divergence entre l’approche pro-concurrentielle de la DG Concurrence et celle affichée par la DG sectorielle finira par se combler au profit de la seconde ! Le commissaire européen à l’Economie numérique, M. Günther Oettinger s’est en effet montré beaucoup plus ouvert à l’idée d’une restructuration sans concession imposée, seul moyen de faire des économies d’échelle et d’assurer les investissements nécessaires à la 4G et la 5G.

Cet impératif des investissements est aujourd’hui partagé, y compris par le régulateur national, après une phase – sans doute trop longue – où la priorité a été accordée aux prix.

Le cadre européen doit mettre en avant le principe de « concurrence par les investissements », ce qui permettrait de sortir du débat historique entre concurrence par les infrastructures et concurrence par les services. Cette notion revient à valoriser les acteurs qui investissent massivement, qu’il s’agisse de dégroupage, de mutualisation de réseau ou bien d’investir dans leur propre déploiement, permettant ainsi de préserver la dynamique concurrentielle sur les marchés de détail tout en incitant à un investissement efficace.

La seconde réponse, c’est une régulation renouvelée.

Les enquêtes ouvertes par la Commission européenne à l’encontre de Google, Apple et Amazon concernant leurs stratégies d’optimisation fiscale ne suffisent pas. En effet, les réseaux de service verrouillent l’innovation. Dans cette situation de « réseaugiciel », pour reprendre l’expression de M. Pierre dans son ouvrage « La souveraineté numérique », une application de cartographie innovante imaginée en France est condamnée à l’échec car elle ne sera pas reliée d’entrée à un GPS, à un carnet d’adresses, à un moteur de recherche. Un service isolé n’a plus aucune chance d’atteindre les consommateurs.

À cet égard, il convient de noter et de saluer la communication de griefs adressée par la Commission européenne à l’entreprise Google en avril dernier au sujet de son système d’exploitation Android, à la suite de l’enquête approfondie ouverte en avril 2015. C’est un autre signe qu’une inflexion est possible.

Le cadre actuel se focalise uniquement sur les réseaux de communications électroniques, laissant les géants d’internet et des terminaux échapper à toute règle. Pour faire face aux enjeux posés par la transition numérique de la société, dont l’un des aspects essentiels est la dimension globale qu’elle implique pour un certain nombre de secteurs de l’économie, l’Europe a besoin d’un cadre harmonisé et s’appliquant de manière uniforme à l’ensemble des services et acteurs concernés, et en particulier sur la protection des données personnelles, la fiscalité, les obligations liées à la fourniture de services de communication électronique et de diffusion audiovisuelle mais aussi les questions d’interopérabilité et d’ouverture.

Le réexamen du cadre réglementaire annoncé pour 2016 devrait ainsi concerner au premier chef le caractère équitable des règles, par l’inclusion des plateformes en ligne qui fournissent des services similaires ou équivalents aux services de communication classiques, ces acteurs prenant une importance croissante.

Mais cette question de la régulation, c’est aussi celle de la place du régulateur, en particulier national.

Parce que la régulation doit avoir comme finalité d’assurer un équilibre évolutif entre des objectifs comportant des aspects contradictoires, en particulier entre concurrence et objectifs d’intérêt général ou obligations de service public, elle doit relever pour partie des autorités publiques. Si l’autorité spécialisée de régulation est bien évidemment un des acteurs essentiels du système de régulation, elle ne peut et ne doit pas être « le » régulateur. Renforcer la légitimité des décisions qu’elle est amenée à prendre passe par une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, par l’institutionnalisation de relations avec ce dernier.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour ce travail d’analyse sur un sujet complexe et très technique. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont in fine vos préconisations ?

M. Jacques Myard, co-rapporteur. La première priorité, c’est le rééquilibrage du projet européen et donc de donner une place et un rôle effectifs aux services publics comme instrument mobilisé au service d’objectifs relevant de l’intérêt définis dans le cadre d’une politique publique, y compris par une action devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. La deuxième préconisation, c’est la refondation de la politique de la concurrence européenne, celle du marché intérieur, en allant dans le sens d’une politique plus équilibrée entre l’intérêt du producteur et l’intérêt du consommateur. À cet égard, il conviendrait, d’une part, que les décisions de la Direction générale Concurrence prennent en compte la diversité des territoires et la défense de l’industrie européenne et, d’autre part, que les objectifs des régulateurs incluent le « respect de l’égalité réel d’accès aux services de télécommunications » et la « protection de l’intérêt économique européen ».

M. Jacques Myard, co-rapporteur. La troisième préconisation, c’est d’élargir le contenu du service universel à des prestations de base de téléphonie mobile, voire aux infrastructures essentielles pour assurer une égalité réelle d’accès de tous au service de téléphonie mobile.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. Notre quatrième préconisation concerne la régulation : si l’autorité spécialisée de régulation est bien évidemment un des acteurs essentiels du système de régulation, elle ne peut et ne doit pas être « le » régulateur, et une forme de contrôle par le Parlement, ou bien, à défaut, l’institutionnalisation de relations avec ce dernier doit être mise en place.

M. Jacques Myard, co-rapporteur. Le modèle des agences, que nous copions sur nos voisins du nord de l’Europe, a la conséquence funeste à mes yeux d’affaiblir la notion même d’État et de son pouvoir de contrôle.

La cinquième préconisation porte sur une réforme du cadre européen dans un sens qui valorise les acteurs qui investissent massivement, et qui régule de manière appropriée tous les acteurs sur les services innovants, afin que l’Union européenne obtienne sa juste part de la création de valeur.

Mme Nathalie Chabanne, co-rapporteure. Il faut également, sixièmement, que l’échelle de prise en compte du marché soit au minimum l’échelle européenne, voire l’échelle mondiale.

La Présidente Danielle Auroi. Je ne vois rien à ajouter à vos excellentes préconisations, et nos collègues non plus. Cette question de la dichotomie entre zones urbaines et zones rurales est particulièrement importante, et je dois souligner que l’Auvergne est particulièrement engagée pour faire disparaitre cette fracture numérique entre territoires.

II. Examen de la communication de M. Arnaud Leroy sur les propositions de règlement du Conseil relatives à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (COM (2016) 106 final, COM(2016) 107 final et COM(2016) 108 final) 

La Présidente Danielle Auroi. Cette communication devait être présentée par M. Arnaud Leroy, qui a malheureusement eu un empêchement de dernière minute aujourd’hui et m’a donc chargée de le représenter.

Les trois propositions de texte sur lesquelles nous avons souhaité que notre commission se prononce visent à clarifier et à simplifier les règles applicables aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des unions civiles, c’est-à-dire les règles relatives à la gestion des biens au sein des couples mariés ou « pacsés ».

Il a semblé important au rapporteur que nous nous prononcions sur ce paquet législatif pour trois raisons.

Tout d’abord, il concerne le droit de la famille, compétence très rarement mise en œuvre par l’Union, ce domaine particulièrement sensible relevant toujours de l’unanimité au Conseil. C’est vrai que c’est un sujet que nous ne traitons pas souvent ici !

Ensuite, il prend la forme d’une coopération renforcée, qui pourrait être la quatrième autorisée par l’Union européenne.

Surtout, et c’est évidemment le plus important, l’adoption de ces textes aurait un impact majeur sur le quotidien des citoyens européens.

En effet, cette question concerne de manière très concrète tous les couples « internationaux » de l’Union européenne, dans la gestion quotidienne de leurs biens mais surtout lors du partage de ceux-ci en cas de séparation ou de décès.

En effet, la mobilité accrue en Europe a conduit de plus en plus à la formation de couples binationaux, ou vivant dans un autre pays que celui dont ils ont la nationalité. L’Union européenne compterait actuellement 16 millions de couples « internationaux » environ - 13 % des mariages conclus chaque année environ. Toujours selon la Commission européenne, « le coût résultant de l'ouverture d'actions judiciaires parallèles dans différents pays, de la complexité des affaires et des frais de justice qui en découlent est estimé à 1,1 milliard d'euros par an ».

À un moment où la demande d’une Europe concrète et positive se fait de plus en plus forte, il est urgent d’avancer enfin dans ce domaine.

Quel est l’objectif de ces deux règlements ?

Je tiens d’abord à préciser que ces deux propositions n’ont pas pour objectif d’harmoniser le droit matériel relatif aux régimes matrimoniaux entre les États de l’Union
– ce n’est pour le moment pas prévu par les traités –, mais simplement de désigner la loi applicable et la juridiction compétente lorsque la situation d’un couple dépend de plusieurs États membres, et de faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions prises d’un État membre à l’autre.

C’est donc vraiment une harmonisation a minima. Cela peut paraître étonnant mais pour le moment, aucune règle européenne n’existe en la matière !

Les régimes matrimoniaux ont été explicitement exclus du règlement « Bruxelles II bis » sur la reconnaissance des décisions en matière matrimoniale, du règlement sur la loi applicable au divorce et du règlement « successions ».

En l’absence de règles européennes, c’est aujourd’hui le droit international privé de chaque État qui s’applique lorsqu’il faut trancher sur des cas impliquant plusieurs États membres.

Pourquoi n’a-t-on pas avancé plus tôt dans ce domaine ?

Tout d’abord, parce que les règles relatives aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés sont très variables entre les États membres. Par exemple, les partenariats enregistrés n’existent pas dans tous les États membres.

En ce qui concerne la procédure, le droit des successions et de la liquidation des régimes matrimoniaux est une question relevant exclusivement des juridictions dans certains États membres, alors que dans d’autres États, comme la France, ce sont davantage les notaires qui sont en charge de cette question, les juridictions n’intervenant qu’en cas de désaccords.

Surtout, une proposition a déjà été faite par la Commission européenne en 2011, mais les négociations ont échoué en décembre dernier, après 4 ans de négociations...

Ce sujet n’a d’abord pas constitué une priorité pour les différentes présidences chargées de l’examen de ces textes.

À partir de 2013, les discussions se sont très vite focalisées sur les réticences de certains États membres, craignant d’être indirectement obligés de reconnaître les unions de personnes de même sexe conclues dans d’autres États.

Les présidences successives ont proposé des solutions visant à répondre à ces inquiétudes, mais la Pologne et la Hongrie sont demeurées insatisfaites de ces solutions de compromis, et ont subordonné leur accord à l’insertion dans la proposition de règlement relatif aux régimes matrimoniaux d’une disposition explicite prévoyant que, dans les États membres dont le droit interne ne connaîtrait pas du mariage en question, les juridictions conserveraient, en présence d’un tel mariage, la faculté discrétionnaire de ne pas appliquer le règlement.

La Hongrie souhaitait qu’une disposition similaire soit insérée dans la proposition relative aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, tandis que la Pologne a affirmé son opposition de principe à ce texte.

Le Conseil des 3 et 4 décembre 2015 a dû prendre acte de l’absence d’accord politique sur ce texte, et donc de l’échec des négociations, puisque l’adoption du texte nécessitait l’unanimité.

Suite à l’échec de ces négociations, dix-sept États membres ont indiqué à la Commission européenne leur souhait de mettre en place entre eux une coopération renforcée relative aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. C’est l’objet de l’actuel paquet législatif, qui reprend les textes tels que discutés en décembre dernier.

Qui participera à la coopération renforcée ?

Que prévoient ces règlements ?

Les deux propositions de règlement visent à concentrer la compétence relative au régime matrimonial dans l’État membre dont les juridictions traitent déjà de la succession ou de la séparation en vertu des autres règlements européens sur la famille. Le but est que la même juridiction soit désignée pour toutes ces procédures.

Si aucune juridiction n’est désignée par un autre règlement européen, la juridiction compétente sera désignée en fonction de critères hiérarchisés par le règlement.

En ce qui concerne la loi applicable, pour ces deux textes, le choix a été fait de consacrer une relative autonomie dans la détermination de la loi applicable par les conjoints eux-mêmes. Cette autonomie est évidemment contrainte : la loi choisie doit être la loi de l’État dans lequel au moins l’un des conjoints a sa résidence habituelle ou la nationalité. Pour les partenariats enregistrés, cela peut également être la loi de l’État auprès duquel le partenariat enregistré a été créé.

Sur la question spécifique du traitement des couples de même sexe, pacsés ou mariés, qui est le point le plus sensible, pour la désignation de la juridiction compétente, une disposition spécifique a été introduite dans le règlement. Cette « clause échappatoire » permet à la juridiction de l’État membre en principe compétente en vertu du règlement de se dessaisir si son droit international privé ne reconnait pas l’union en question. Dans ce cas, les époux peuvent désigner pour statuer sur leur cas les juridictions de l’État membre dans lequel le mariage a été célébré.

Les propositions de règlement dressent la liste des cas exceptionnels dans lequel la non-reconnaissance des décisions de justice est possible, notamment dans le cas où leur reconnaissance serait manifestement contraire à l’ordre public. Pour éviter que cet article ne puisse servir de justification à la non-reconnaissance de décisions concernant des unions de couples de même sexe, un article a été intégré dans les deux textes précisant que cet article doit être interprété dans le respect de la Charte des droits fondamentaux, et notamment du principe de non-discrimination.

L’adoption de ces textes devrait intervenir très vite, et je pense que c’est une bonne chose : au Conseil, l’accord de principe sur la décision de coopération renforcée devrait être adopté le 12 mai prochain. La décision d’autorisation et l’approche générale sur les règlements seront soumises pour adoption au Conseil le 9 juin.

Je vous propose donc d’adopter la proposition de conclusions que je vous propose, qui envoie un signal positif très fort en faveur de l’adoption au plus vite de ce paquet législatif.

M. Jacques Myard. Ces textes sont au cœur des choses les plus difficiles à résoudre en droit européen et d’une manière générale en droit international privé. Dans ces conditions, il est bon que des règles essayent de simplifier ce qui est d’ordinaire une gymnastique intellectuelle extrêmement complexe, pour essayer de déterminer quelle est la loi applicable ! Il faut prendre en compte le lieu où a été célébré le mariage, quelle était l’intention des parties, les modalités et le lieu du divorce…Ce sont des imbroglios juridiques qui font la joie des juristes et peuvent durer des années, surtout quand il y a des enjeux patrimoniaux importants ! Ces textes ne peuvent que permettre d’avancer dans le bon sens.

Évidemment, il est important que ces textes prévoient une réserve permettant de protéger l’ordre public national de chaque État.

C’est un premier pas, mais ça ne réglera pas tout.

La Présidente Danielle Auroi. Ce n’est pas un premier pas : d’autres règlements européens ont déjà été adoptés antérieurement sur la responsabilité parentale, le divorce…

Je pense donc qu’il n’y a pas de difficultés à ce que nous adoptions ces conclusions.

M. Jacques Myard. Indépendamment de ma position sur le « mariage pour tous » !

Puis, la commission des Affaires européennes a approuvé les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 81 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux (COM [2011] 126 final/ n° E 6157),

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière d'effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (COM [2011] 127 final/n° E 6158),

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux (COM [2016] 106/n° E 11007),

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (COM [2016] 107 n° E 11008),

Vu la proposition de décision du Conseil autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l'exécution des décisions en matière de régimes patrimoniaux des couples internationaux, concernant les questions relatives tant aux régimes matrimoniaux qu'aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (COM[2016] 108/n° E 1109),

1. Regrette vivement l’échec des négociations sur les deux propositions de règlement présentées par la Commission européenne le 16 mars 2011 relatifs à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés ;

2. Se félicite de la décision de dix-sept États membres de l’Union européenne, dont la France, d’adresser une demande à la Commission européenne indiquant leur souhait de mettre en place entre eux une coopération renforcée dans ce domaine ;

3. Estime indispensable que ces deux règlements soient adoptés avant la fin de la présidence néerlandaise du Conseil de l’Union européenne ;

4. Considère que la proposition de règlement relative aux régimes matrimoniaux et celle relative aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés sont indissociables, et doivent être adoptées simultanément. »

La Commission a approuvé les propositions de règlement COM(2016) 106 final, Com(2016) 107 final et COM(2016) 108 final, en l’état des informations dont elle dispose.

III. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission, du fait de la nature du texte

En application de la procédure d’approbation tacite, dite procédure 72 heures, adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (certains projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines autres nominations), 16 octobre 2012 (certaines décisions de mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation), et 1er décembre 2015 (mesures de dérogations en matière de TVA, de décisions relatives à la réduction facultative de droits d’accise et de décisions relatives aux contributions nationales pour financer les tranches du Fonds européen de développement), celle-ci a approuvé tacitement les documents suivants :

Ø BUDGET COMMUNAUTAIRE

- Virements de crédits No DEC 06/2016 à l'intérieur de la Section III - Commission du budget général pour l'exercice 2016 (DEC 06/2016 – E 11087).

- Proposition de virement de crédits n° DEC 07/2016 à l'intérieur de la section III - Commission - du budget général pour l'exercice 2016 (DEC 07/2016 – E 11102).

Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

- Décision du Conseil portant nomination d'un membre du Comité économique et social européen, proposé par la République fédérale d'Allemagne (7534/16 – E 11074).

- Décision du Conseil portant nomination d'un membre et d'un suppléant du Comité des régions, proposés par la Roumanie (7547/16 – E 11075).

- Décision du Conseil portant nomination d'un membre du Comité des régions, proposé par la République italienne (7569/16 – E 11076).

- Décision du Conseil portant nomination de cinq membres de la Cour des comptes (7266/16 – E 11092).

- Décision du Conseil portant nomination d'un suppléant du Comité des régions, proposé par la République d'Autriche (7814/16 – E 11093).

- Projet de décision du Conseil portant nomination des membres et des suppléants du conseil d'administration de l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes (8310/16 – E 11122).

Ø POLITIQUE SOCIALE - TRAVAIL

- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (demande de la Grèce – EGF/2015/011 GR/Supermarket Larissa) (COM(2016) 210 final – E 11098).

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø ENVIRONNEMENT

- Décision de la Commission établissant les critères écologiques pour l'attribution du label écologique de l'UE aux produits d'ameublement (D042280/04 – E 11068).

Ø ESPACE LIBERTE SECURITE JUSTICE

- Projet de décision d'exécution arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés dans l'évaluation de 2015 de l'application, par l'Allemagne, de l'acquis de Schengen dans le domaine du système d'information Schengen (8051/16 – E 11125).

- Projet de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés dans l’évaluation de 2015 de l'application, par l'Allemagne, de l'acquis de Schengen dans le domaine de la gestion des frontières extérieures (8053/16 – E 11126).

- Projet de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés lors de l'évaluation de 2015 de l'application, par l'Allemagne, de l'acquis de Schengen dans le domaine de la coopération policière (8054/16 – E 11127).

- Projet de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation visant à remédier aux insuffisances constatées lors de l’évaluation pour 2015 de l’application, par l'Allemagne, de l’acquis de Schengen dans le domaine de la politique commune en matière de visas (8055/16 – E 11128).

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil portant mise à jour et modification de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s'appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et modifiant la décision (PESC) 2015/2430 (7770/16 – E 11090).

- Règlement d'exécution du Conseil mettant en œuvre l'article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et modifiant le règlement d'exécution (UE) 2015/2425 (7777/16 – E 11091).

- Règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 329/2007 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (6942/16 – E 11124).

Ø PÊCHE

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques, modifiant les règlements du Conseil (CE) n° 1967/2006, (CE) n° 1098/2007, (CE) n° 1224/2009 et les règlements (UE) n° 1343/2011 et (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements du Conseil (CE) n° 894/97, (CE) n° 850/98, (CE) n° 2549/2000, (CE) n° 254/2002, (CE) n° 812/2004 et (CE) n° 2187/2005 (COM(2016) 134 final – E 11017).

Ø SECURITE ALIMENTAIRE

- Règlement de la Commission modifiant l'annexe I du règlement (CE) nº 1334/2008 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne certaines substances aromatisantes appartenant à un groupe à structure alpha, bêta insaturée (D043860/04 – E 11099).

La séance est levée à 17 h 30

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 4 mai 2016 à 16 h 15

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Nathalie Chabanne, M. Jérôme Lambert, M. Jacques Myard

Excusés. - M. Kader Arif, Mme Marietta Karamanli