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Commission des affaires européennes

Mercredi 11 mai 2016

8 h 30

Compte rendu n° 277

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Christophe Quarez, rapporteur du Conseil économique social et environnemental (CESE) pour l’avis sur les enjeux de la négociation du projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 11 mai 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 30

Audition de M. Christophe Quarez, rapporteur du Conseil économique social et environnemental (CESE) pour l’avis sur les enjeux de la négociation du projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP)

La présidente Danielle Auroi. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Quarez, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur les enjeux de la négociation du projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI ou TTIP en anglais), également connu sous le nom de traité de libre-échange transatlantique ou sous son acronyme anglais, le TAFTA. Ouverte en juillet 2013, cette négociation suscite un nombre croissant d’interrogations dans la société civile et le monde politique, voire au sein du Gouvernement. Ainsi, Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, affirmait la semaine dernière que « l’arrêt des négociations est l’option la plus probable ». Il paraît en effet de plus en plus évident que face à l’absence de propositions américaines à hauteur de nos attentes, notamment en matière d’accès aux marchés publics ou de protection des indications géographiques et de l’environnement, l’Union européenne n’a pas grand-chose à gagner à signer aujourd’hui ce traité avec les États-Unis, lesquels, ayant signé un traité avec la zone Pacifique, nous demandent d’en faire autant.

Un tel traité pourrait pourtant présenter des avantages, hypothétiques ou concrets, et la Commission européenne a manifesté sa volonté de poursuivre la négociation, comme nous l’a expliqué Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce. Cependant, plus on creuse le sujet et plus les motifs d’inquiétude s’accentuent. De ce point de vue, n’oublions pas l’expérience du traité signé avec le Canada, le CETA.

Votre rapport, Monsieur Quarez, aborde quatre axes principaux. La transparence des négociations, tout d’abord : elle demeure nettement insuffisante, en dépit de certaines avancées – les parlementaires ont par exemple obtenu de pouvoir consulter au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) les documents confidentiels dans leur intégralité, et non plus seulement la synthèse qui en est faite en anglais. L’évaluation des gains liés au PTCI, ensuite : sur ce point, les études sont pour le moins contradictoires et, compte tenu du secret des négociations, il est impossible de savoir dans quelle mesure ce traité pourrait en effet profiter à l’Union. Troisième axe : la convergence réglementaire, une question qui mobilise moins nos collègues. Pourtant, loin de n’être qu’un simple accord de libre-échange, ce traité vise aussi à faire converger des règles, avec tous les risques qu’une telle convergence comporte pour nos préférences collectives. Enfin, vous avez abordé le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, sur lequel notre collègue Seybah Dagoma a également travaillé. Par avance, nous vous remercions de votre éclairage sur ces différents points.

M. Christophe Quarez, rapporteur du CESE. C’est en septembre dernier que le Gouvernement, à la demande du Premier ministre, a saisi le CESE de la question du partenariat transatlantique, sur lequel j’avais commencé à travailler dès la précédente mandature du Conseil. Le Gouvernement nous a interrogés en particulier sur les quatre points que vous avez évoqués, madame la présidente, étant entendu que le CESE n’est pas en mesure d’évaluer avec précision les résultats économiques escomptés – sur lesquels les études déjà réalisées sont en effet contradictoires, ce qui nuit profondément à la visibilité des conséquences qu’aurait ce traité. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur deux domaines : les petites et moyennes entreprises d’une part, l’agriculture d’autre part.

Il ne s’agit pas d’un traité commercial comme les autres : le TAFTA, en effet, est atypique par l’ampleur des marchés qu’il concerne, et parce qu’il ne porte pas tant sur les droits de douane – qui, hormis quelques pics tarifaires, sont en moyenne de 3 % entre l’Europe et les États-Unis – que sur la convergence réglementaire. L’établissement de normes communes constitue en effet le véritable enjeu de cet accord dit de troisième génération, non seulement en matière commerciale et industrielle, mais aussi en matière sociale, environnementale et géostratégique – les partisans de l’accord arguant à juste titre du fait que si cet accord aboutit, ce qui est loin d’être gagné, alors les normes ainsi établies pourraient être étendues au reste du monde, y compris à la Chine.

D’emblée, nous avons donc estimé que plusieurs conditions préalables devaient être remplies avant que la négociation se poursuive. Tout d’abord, l’Union européenne doit réaliser des études d’impact approfondies par secteur et par pays, car les études dont nous disposons ne sont guère réalistes. On prétend par exemple que l’accord profiterait à l’industrie automobile européenne : ses effets seraient pourtant bien différents sur les constructeurs allemands, qui possèdent déjà des usines d’assemblage aux États-Unis, et sur les constructeurs français, qui n’en possèdent pas.

En termes de méthode, ensuite, nous considérons qu’il faut déterminer avec précision les activités qui sont couvertes par la négociation en dressant des listes dites positives plutôt que d’utiliser la méthode mixte actuelle, qui est source de confusion et pourrait laisser croire que des pans entiers de services publics – dans le secteur de la santé et celui de l’éducation, par exemple – sont concernés. L’établissement de listes positives serait de nature à nous rassurer sur la nature des secteurs englobés dans le champ de la négociation.

Troisième condition préalable, qu’a récemment mise en lumière la visite du président Obama à Hanovre : le calendrier de la négociation doit être indépendant des échéances électorales américaines. Les déclarations du Président de la République, du Premier ministre et de M. Fekl montrent à quel point cette négociation est complexe ; il est donc essentiel de prendre le temps nécessaire pour, le cas échéant, lever tous les obstacles qui persistent, d’éviter toute précipitation et de refuser toute demande américaine visant à boucler la négociation avant le terme du mandat de M. Obama.

Enfin, les traités attribuent certes à l’Union européenne une compétence exclusive en matière commerciale, mais la négociation du TAFTA dépasse le seul cadre commercial pour englober la convergence de normes sociales et environnementales, par exemple. Compte tenu du caractère mixte de cet accord, les parlements nationaux doivent donc pouvoir formuler leur avis au terme de la négociation.

J’en viens aux deux domaines que nous avons particulièrement explorés : les PME et l’agriculture. S’agissant des PME, il existe un véritable déséquilibre entre les deux rives de l’Atlantique : les États-Unis se sont dotés d’une législation protectrice pour leurs entreprises avec le Buy American Act – la loi « Achetez américain » – et le Small Business Act – la loi sur les petites entreprises – dont l’équivalent n’existe pas en Europe. De plus, aux États-Unis, la réglementation varie d’un État à l’autre, ce qui oblige les PME européennes qui exportent vers ce pays à proposer des lignes de produits différentes selon les États. De ce point de vue, le périmètre de l’accord doit être précisé.

L’agriculture, ensuite, est un domaine particulièrement sensible. Dans ce secteur, la balance commerciale européenne est excédentaire d’environ 6 milliards d’euros. Or, une récente étude du ministère de l’agriculture des États-Unis a conclu que la signature de l’accord – moyennant la levée des barrières tarifaires et des obstacles techniques au commerce et la convergence réglementaire – renverserait complètement cette situation au bénéfice des États-Unis. Certains secteurs déjà en crise, comme celui de la viande en France, seraient les dindons de la farce, si j’ose dire, et s’en trouveraient sinistrés, car ils seraient tout à fait sous-dimensionnés par rapport à la productivité des éleveurs américains, qui sont soumis à des règles beaucoup plus permissives concernant les OGM, par exemple. Autrement dit, cette étude annonçait un scénario catastrophe pour l’Europe. Autre différence : les taux de résidus de pesticides autorisés sont huit à deux cents fois supérieurs aux États-Unis à ce qu’ils sont en Europe.

J’en viens aux préconisations du CESE. Concernant la transparence de la négociation, tout d’abord, rappelons que la Commission européenne – alors présidée par M. Barroso – a mis plus d’un an avant de rendre public le mandat de négociation, ce qu’elle a fini par faire en octobre 2014 – les négociations ayant débuté en juillet 2013 – sous la pression de l’opinion publique et des parlementaires européens. D’autre part, les membres des parlements nationaux n’avaient pas accès, jusqu’à une date récente, aux documents de négociation. En clair, la Commission européenne a, selon nous, commis une erreur fondamentale : toute négociation entamée dans le secret le plus absolu suscite – à juste titre – des doutes et des fantasmes. Le mal est fait, malgré les efforts que déploie la Commission pour se rattraper.

Pour plus de transparence, nous proposons que la Commission européenne établisse à chaque cycle de négociation un tableau de bord présentant pour chaque chapitre les avancées, les points de blocage, les problèmes à régler. Aujourd’hui, nous devons nous contenter de documents de synthèse – intéressants, au demeurant – mais n’avons aucune visibilité quant à l’avancée concrète de la négociation.

Ensuite, nous proposons d’accorder aux organisations de la société civile le statut d’observateur dont elles ont bénéficié lors des négociations de la COP21. Ces organisations doivent être reconnues comme telles. Actuellement, la Commission européenne lance souvent des appels à contributions en ligne auxquels n’importe quelle personne peut répondre à titre individuel, sa voix comptant tout autant que celle d’une organisation de la société civile reconnue ; c’est un problème.

La convergence réglementaire est le véritable enjeu de cette négociation et, de ce point de vue, deux cultures se font face. L’Union européenne fonde sa pratique sur le principe de précaution pour sécuriser les consommateurs et les salariés ; les États-Unis, en revanche, préfèrent le principe de réparation qui consiste à laisser faire les producteurs, étant entendu qu’en cas de problème lié à tel ou tel produit, c’est aux tribunaux qu’il revient de trancher – les amendes prononcées étant souvent colossales.

D’autre part, la négociation comporte un chapitre consacré au développement durable concernant lequel l’Union européenne défend des dispositions intéressantes mais optionnelles. Nous proposons au contraire que ces dispositions soient considérées comme obligatoires, au même titre que les dispositions de nature commerciale – cet avis est partagé par M. Fekl. En effet, la convergence réglementaire entre l’Union européenne et les États-Unis ne peut être envisagée que sous l’angle du développement durable et du respect des pays tiers, en particulier les pays en voie de développement – qui subiront eux aussi les conséquences de cet accord, notamment lorsqu’ils sont liés à l’Union européenne par des accords préférentiels. Sur ce dernier point, nous n’avons aucune visibilité.

Selon nous, il est indispensable de privilégier le mieux-disant social et environnemental, car il est hors de question de remettre en cause les normes sociales, sanitaires et environnementales qui fondent notre société. D’autre part, la négociation ne reprend aucun des engagements pris lors de la COP21 : ils doivent pourtant y figurer. De même, les États-Unis ne reconnaissent pas un certain nombre de conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), dont deux des huit conventions fondamentales – et, par exemple, ne reconnaissent pas la liberté de négociation collective.

Au fond, un tel accord, s’il doit dépasser le simple cadre commercial pour inclure une convergence des réglementations, est l’occasion de donner sens à une régulation mondiale encore inexistante en matière de responsabilité sociale des entreprises, en adaptant par exemple les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales. De ce point de vue, l’Europe doit faire partager son principe de précaution aux États-Unis.

Autre élément essentiel : le contrôle démocratique. Il est prévu de créer un comité de coopération réglementaire associant le gouvernement américain et la direction générale Trade de la Commission européenne, qui serait chargé de définir l’agenda des mesures de convergence. Se pose alors la question du contrôle des décisions : sous quelle autorité seront-elles prises et à quel contrôle démocratique seront-elles soumises ? Nous proposons que ce comité soit placé sous le mandat du Parlement européen, tant pour ce qui concerne l’agenda que la teneur des décisions. En effet, si certaines règles anodines ne posent aucune difficulté, d’autres, concernant les pesticides par exemple, exigent l’application du principe de précaution.

Nous proposons également de soumettre le chapitre consacré au développement durable à un mécanisme de règlement des différends d’État à État, ce qui permettrait de vérifier l’application concrète des engagements. On instaurera ainsi un équilibre entre les dispositions d’ordre environnemental et celles qui sont de nature commerciale.

Enfin, la question du règlement des différends entre investisseurs et États a fait couler beaucoup d’encre. À l’origine, les mécanismes de cet ordre étaient destinés à sécuriser des investissements réalisés dans des pays dépourvus de tout contrôle et de justice démocratique – des républiques bananières, en somme. Cependant, les États-Unis et les États membres de l’Union européenne sont des États de droit ; il n’est donc pas indispensable de créer un tribunal supplémentaire. De plus, les premières dérives se sont produites dans les années 1990, au point que l’activité d’arbitrage est devenu une activité économique à part entière – les juges arbitres étant parfois avocats des entreprises multinationales… La notion d’expropriation indirecte, complètement dénaturée, a produit des décisions extraordinaires : Veolia, par exemple, a pu engager une procédure contre l’État égyptien suite à sa décision d’augmenter les bas salaires, ce qui, du point de vue de l’entreprise, constituait une forme d’expropriation indirecte ! Cette affaire n’a certes pas donné lieu à une décision, mais d’autres ont été prises ailleurs : l’État canadien a été condamné à verser une compensation à une entreprise d’exploitation du gaz de schiste, et l’État croate a été condamné à indemniser des entreprises estimant que la privatisation du régime d’assurance maladie, qui n’avait été que partielle, les lésait. De même, l’État mexicain a été condamné pour avoir pris une décision contraire aux intérêts d’une multinationale minière dont les activités avaient de graves conséquences environnementales. Par cette évolution très néfaste, le système de l’arbitrage international s’est tiré une balle dans le pied ; personne ne peut accepter qu’une décision d’un tribunal privé remette en cause une législation nationale.

La Commission européenne a donc publié en septembre une proposition que la France et l’Allemagne avaient formulée en juillet, et qui est désormais intégrée au CETA : elle consiste à substituer au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États une cour de justice avec possibilité d’appel. C’est un premier pas encourageant, mais insuffisant ; encore faut-il que les juges exerçant dans cette cour soient des juges officiels et professionnels – et non des arbitres privés – à raison par exemple d’un tiers de juges américains, un tiers de juges européens et un tiers de juges issus d’autres pays. Il faut aussi veiller au respect des règles de déontologie pour éviter tout conflit d’intérêt, et renforcer la transparence des procédures. Enfin, il faut permettre aux parties prenantes telles que les associations de consommateurs ou de protection de l’environnement, les organisations syndicales ou d’autres organisations de la société civile de témoigner.

La présidente Danielle Auroi. Je vous remercie d’avoir présenté avec tant de clarté le rapport du CESE.

M. Franck Proust, député européen. Votre rapport, Monsieur Quarez, rejoint les lignes rouges que la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, dans laquelle je siège, a définies.

Au fond, je m’étonne de la bataille de communication qui a lieu autour de cet accord. Remettons les choses en perspective : aujourd’hui, cet accord n’existe pas. Nous n’en sommes qu’au treizième cycle de négociations ; or, à entendre les médias, l’accord serait déjà signé et figé. Autrement dit, beaucoup s’expriment sur un accord inexistant et lui donnent un passif alors qu’il n’a pas même de passé.

Les comptes rendus de négociation en attestent : en réalité, ce n’est que maintenant que la véritable négociation commence. Les premiers cycles n’ont porté que sur des questions ne posant pas de difficulté comme la levée des barrières tarifaires concernant des produits dits « non sensibles », une mesure susceptible de stimuler l’activité d’exportation de nombreuses entreprises. En effet, le taux de pénétration de nos PME sur le marché américain est encore insatisfaisant.

Il est vrai que les cas de multinationales attaquant des États devant un tribunal d’arbitrage international ont fait grand bruit mais, à ce jour, peu d’entre elles ont gagné ! En Australie, Philip Morris a perdu ; en Égypte, l’affaire Veolia n’a rien donné. Ne dramatisons donc pas au sujet de ce mécanisme ; cela étant, puisque l’objectif est de créer une cour internationale, il faut prévoir un instrument de transition.

Cette évolution est positive : nombreuses sont les PME européennes, dans le secteur des hautes technologies par exemple, qui se heurtent à la réglementation en vigueur dans certains États américains comme le Texas en matière d’expropriation et de discrimination, sachant que les juges y sont élus au suffrage universel. Dans ces procédures, les entreprises européennes ne gagnent jamais. En conséquence, elles n’y investissent pas.

S’agissant de la transparence, il y a eu un avant et un après-Karel de Gucht, l’ancien commissaire européen au commerce. Aujourd’hui, nul ne peut reprocher quoi que ce soit à Mme Malmström, qui a consenti d’immenses efforts – même si la situation reste perfectible. Aucune négociation de libre-échange – ni pour le CETA, ni pour aucun autre des dizaines d’accords de libre-échange qu’a conclus l’Union européenne – n’a été plus transparente que celle-ci. Certes, il demeure difficile de consulter les documents, même si les parlementaires nationaux peuvent désormais y accéder. Mme Malmström, cependant, rend compte chaque mois de l’état des négociations et répond aux questions qui lui sont posées – ce qui n’était pas le cas autrefois. Évitons donc tout faux procès en matière de transparence, même si des améliorations sont possibles – étant entendu que dans une négociation commerciale comme dans une partie de poker, mieux vaut ne pas abattre toutes ses cartes sur la table. De ce point de vue, en publiant des documents de négociation, Greenpeace a rompu le pacte de confiance, en quelque sorte, car la transparence totale n’est pas souhaitable.

Il va de soi que nous devons aligner les normes dans le sens du mieux-disant. L’Europe doit toutefois se garder de donner des leçons : le scandale Volkswagen n’a guère illustré le principe de précaution, et sans doute pourrions-nous en la matière trouver un compromis viable avec les Américains. Nous effectuons dans des laboratoires payés par les marques des tests biaisés, puisqu’ils ne se déroulent pas en situation réelle. Aux États-Unis, en revanche, les produits entrent plus librement sur le marché mais, en cas de problème, les sanctions sont énormes. Faisons donc preuve d’humilité.

En tout état de cause, si les lignes rouges que nous avons fixées sont franchies, il n’est pas question de signer un accord qui minera la protection de nos citoyens et de nos entreprises sans faciliter les exportations. Puisqu’il s’agit d’un accord mixte, il sera soumis non seulement au Parlement européen, mais aussi aux parlements nationaux, lesquels auront le dernier mot – et à travers eux, le peuple.

Le risque d’échec de la négociation est élevé. Or, il faut prévoir un plan B avec les États-Unis. En effet, l’ASEAN, l’Afrique, la zone Pacifique se structurent. Si nous parvenions à convenir d’une convergence entre les normes américaines et les normes européennes, celles-ci s’imposeraient ensuite au reste du monde, en particulier en Asie et, ce faisant, amélioreraient de 25 % notre compétitivité. Loin d’être une victoire, un échec serait donc très préjudiciable, car nous ne serons pas parvenus à concrétiser un accord entre les deux premières puissances commerciales. En outre, il faudra très vite envisager comment résister au bloc des pays émergents que sont la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres.

Quoi qu’il en soit, je félicite le CESE pour la qualité de son travail qui conforte les lignes rouges que doit fixer la Commission dans cette négociation : nous ne devons rien céder.

M. Jérôme Lambert. Le contrôle qu’exerceront les parlements nationaux sur cet accord sera-t-il régi par la règle de la majorité ou par celle de l’unanimité ? Admettons qu’un parlement national se prononce contre l’accord : est-ce l’accord dans son ensemble qui sera rejeté, ou seulement les dispositions qui relèvent du contrôle des parlements ?

M. Franck Proust, député européen. Cette question très importante n’est pas encore tranchée – pas plus qu’elle ne l’est concernant l’accord avec Singapour. D’autre part, le contrôle parlementaire ne doit pas s’arrêter à la signature de l’accord : encore faut-il que celui-ci soit appliqué ! Or, je n’ai pas constaté que la Commission européenne ait prévu les moyens humains et financiers nécessaires à la création d’un dispositif de contrôle.

La présidente Danielle Auroi. Nous avons justement été alertés concernant des accords déjà signés avec la Colombie et le Pérou qui, en théorie, donnaient toute satisfaction ; or, deux de nos collègues vont partir étudier la réalité du terrain et il n’est pas impossible qu’ils constatent un écart profond entre les conditions sociales réelles et les informations communiquées à la Commission européenne. Quel suivi les parlementaires européens et nationaux peuvent-ils espérer de tels accords ?

M. Christophe Quarez. Il n’existe pas de solution idéale. À ce stade, les mécanismes de suivi sont très rares et les moyens d’investigation inexistants. J’ignore qui pourrait exercer ce contrôle et comment. Nous avons proposé une première piste de suivi qui est de nature institutionnelle : elle consiste à soumettre le chapitre de développement durable à un mécanisme de règlement des différends d’État à État, ce qui permettrait d’associer au suivi des dispositions en question les organisations de la société civile reconnues, les syndicats et tous les réseaux organisés de lanceurs d’alerte qui – c’est heureux – sont de plus en plus nombreux.

Il est vrai, monsieur Proust, que la communication qui est faite autour de cet accord pose problème. Jusqu’ici, on s’est contenté dans la négociation de décrire et comparer les règles en vigueur de part et d’autre – une forme de benchmarking. Cependant, les observateurs ne disposent d’aucun texte sur lequel s’appuyer hormis le mandat de négociation. Or, c’est aujourd’hui, en effet, que nous entrons dans le vif de la négociation. De ce point de vue, les documents publiés par Greenpeace n’apportent que peu d’informations.

M. Franck Proust, député européen. Je les trouve cependant rassurants, car ils démontrent que la Commission défend correctement les lignes rouges que le Parlement lui a demandé de défendre en juillet, quitte à affirmer son désaccord avec les autorités américaines. Je pense par exemple à la question importante de la réciprocité de l’accès aux marchés publics : les Américains prétendent que leurs marchés publics sont ouverts, alors que nous disposons d’études montrant qu’ils ne sont ouverts qu’à 30 %, contre 80 % pour les marchés publics européens. Autrement dit, la Commission fait bien son travail.

Mme Marie-Louise Fort. Le problème de communication que vous évoquez participe de la mauvaise image de l’Europe et renforce le sentiment que des technocrates négocieraient en catimini pour, in fine, obliger les citoyens à se nourrir n’importe comment. Par sa composition et ses réseaux, le CESE n’est-il pas en mesure de diffuser des informations, même simples, ne serait-ce que pour rappeler que la négociation est loin d’être achevée ? Cela permettrait de mettre un terme aux rumeurs et polémiques les plus grossières qui circulent sur cet accord – y compris dans la presse – et qui dégradent l’image de l’Europe.

La présidente Danielle Auroi. Je retiens des synthèses que nous consultons au SGAE que, d’une part, les sujets les plus difficiles ont été repoussés en fin de négociation et qu’ils restent donc à traiter et que, d’autre part, les États-Unis tentent d’imposer à l’Europe le modèle de l’accord qu’ils ont signé avec la zone Pacifique. Autrement dit, le cœur de la négociation reste à venir. De ce point de vue, les travaux et préconisations du CESE et du Parlement européen sont très utiles et montrent bien que rien n’est encore réglé, et que nous gagnerons tous à ce que les choses soient clairement énoncées.

M. Christophe Quarez. La décision initiale de la Commission Barroso de ne pas publier le mandat de négociation a suscité toutes sortes de fantasmes – et comment aurait-il pu en être autrement – qu’il a fallu longtemps pour apaiser. Certes, les travaux du CESE n’ont guère de visibilité nationale, mais ils permettent de diffuser des informations dans les organisations syndicales, le milieu associatif, le monde de l’entreprise, d’où un important effet de levier pouvant s’appuyer sur ces réseaux.

Enfin, M. Lambert évoquait le caractère mixte de l’accord, certaines dispositions de nature commerciale relevant de la compétence exclusive de la Commission européenne, d’autres portant sur la convergence réglementaire et, à ce titre, intéressant les parlements nationaux. Or, la possibilité que les mesures relevant de la seule compétence de la Commission soient appliquées dès la signature de l’accord, avant examen par les parlements nationaux, pose problème – d’autant plus qu’il est bien plus difficile de revenir sur une mesure une fois qu’elle est appliquée.

La présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, monsieur Quarez, pour cet éclairage très utile alors que nous nous apprêtons à auditionner M. Fekl. De façon générale, les échanges avec le CESE sont toujours très féconds. De même, je remercie M. Proust pour sa contribution, en lui rappelant que les parlementaires européens sont toujours les bienvenus dans notre commission.

La séance est levée à 9 h 30

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 11 mai 2016 à 8 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Marie-Louise Fort, M. Jérôme Lambert

Excusés. - M. Kader Arif, M. Jean-Claude Mignon