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Commission des affaires européennes

mercredi 21 décembre 2016

16 h 30

Compte rendu n° 335

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Audition de M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Conseil européen des 15 et 16 décembre 2016

II. Communication de la présidente Danielle Auroi sur la mission effectuée en Ukraine les 1er et 2 décembre 2016

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 21 décembre 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Audition de M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Conseil européen des 15 et 16 décembre 2016

Mme la présidente Danielle Auroi. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes tout particulièrement heureux de vous recevoir à nouveau aujourd’hui au sein de notre commission pour entendre votre compte rendu du dernier Conseil européen, qui a eu lieu le 15 décembre.

Nous aimerions connaître les orientations décidées en matière migratoire.

La relocalisation des réfugiés a abouti à de bien maigres résultats. Avons-nous avancé sur la question essentielle de la révision du régime d’asile, nécessaire pour assurer une solidarité européenne plus efficace ? Quelle aide concrète est apportée aux pays qui se situent en première ligne pour l’accueil des réfugiés, en particulier l’Italie et la Grèce ? Les aides financières ne suffisent pas, nous le savons.

La dimension extérieure de la politique migratoire était également à l’ordre du jour du Conseil. Pouvez-vous nous préciser ce qui a été décidé en ce domaine ? Qu’en est-il de la mise en œuvre des orientations prises au sommet de La Valette ? Où en est-on des pactes de coopération avec les pays d’origine et du projet de programme européen d’investissement pour l’Afrique ? Une politique spécifique aux migrants économiques est en train de se dessiner, semble-t-il.

Que peut-on dire, par ailleurs, des actions engagées pour limiter au maximum les pertes humaines en Méditerranée ?

S’agissant des questions relatives à la sécurité, alors que viennent de se produire les drames de Berlin et de Zurich, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les mesures prévues pour lutter contre le terrorisme ? La coopération entre les polices a-t-elle progressé ? Où en sommes-nous en matière de contrôle aux frontières ? Hier, avec Jean Arthuis, nous évoquions un FBI à l’européenne.

La France a avancé, avec l’Allemagne, des propositions visant à renforcer l’Europe de la défense, notamment grâce à un pacte de sécurité européen que l’Assemblée nationale a fortement soutenu. Ces enjeux prennent un relief particulier aujourd’hui : l’élection de Donald Trump fait peser de sérieux doutes sur la crédibilité des engagements de défense américains en Europe, et la Russie demeure très belliqueuse. Des avancées sont-elles à noter en matière d’Europe de la défense ? La France est-elle satisfaite des résultats obtenus ?

La question du Brexit reste à l’ordre du jour. Une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement a fait l’objet de déclarations précisant l’organisation des négociations, les rôles respectifs de la Commission, du Conseil et du Parlement européens. Pouvez-vous nous préciser les décisions prises à cet égard ?

S’agissant des relations extérieures, nous serions heureux de vous entendre sur ce qui a été décidé pour l’Ukraine, pays dans lequel nous nous sommes rendus avec Rémi Pauvros il y a une quinzaine de jours. Comment va être pris en compte le résultat du référendum d’avril dernier aux Pays-Bas ? Qu’en est-il de la ratification de l’accord entre l’Union européenne et l’Ukraine ?

Enfin, dans le domaine économique, le Conseil européen s’est-il penché sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour, au sujet duquel la Cour de justice de l’Union européenne vient de prendre une décision ?

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de nous éclairer sur tous ces sujets.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, je voudrais commencer par dire toute ma compassion à l’égard du peuple allemand après l’attaque terroriste qui a frappé un marché de Noël à Berlin. J’exprime la solidarité de notre pays avec l’Allemagne comme elle avait exprimé la sienne au moment où nous avions nous aussi été touchés par des attaques terroristes. Cette solidarité se fonde sur la défense de la sécurité de nos deux pays mais aussi de leurs valeurs communes, de la liberté face à la barbarie. L’Allemagne et la France ont promu ensemble des dispositifs destinés à renforcer le contrôle des frontières, la coopération entre les services de police, de justice, de renseignement ainsi que des législations relatives à la lutte contre le trafic d’armes et le financement du terrorisme. Elles ont voulu agir ensemble au plan international contre DAECH en Irak et en Syrie. Elles n’ont cessé de faire en sorte que l’Europe se dote des outils nécessaires pour mener ce combat, un combat de longue haleine.

Vous avez rappelé les points essentiels du Conseil européen du 15 décembre, qui était une étape essentielle dans la mise en œuvre des priorités fixées à Bratislava, qu’il s’agisse de la réponse européenne à apporter à la crise migratoire, des enjeux de sécurité et de défense européennes, auxquels la France attache une grande importance, ou encore des questions économiques, en particulier le soutien à l’investissement.

Sur la question des migrations, le Conseil européen a réaffirmé son attachement à la mise en œuvre de l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie le 18 mars 2016, qui a permis une diminution très importante des arrivées sur les îles grecques et donc une réduction des naufrages dans la mer Égée et en Méditerranée orientale. Une aide a été accordée à la Grèce pour accueillir les réfugiés déjà présents sur son sol. Par ailleurs, a été mis en œuvre un dispositif de relocalisation des réfugiés auxquels l’asile est accordé. C’est ainsi que plus de 8 000 réfugiés arrivés de Syrie – pour ce qui est de la Grèce –, d’Érythrée et d’autres pays – pour ce qui est de l’Italie – ont été accueillis dans d’autres pays de l’Union. La France a accueilli le plus grand nombre de réfugiés venus de Grèce – 2 091 personnes, soit 37 % du total – mais c’est l’Allemagne qui accueille le plus de réfugiés syriens en Europe.

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie distingue deux cas principaux : les migrants ne relevant pas de l’asile sont renvoyés soit en Turquie, en vertu de l’accord de réadmission, soit directement dans leur pays d’origine – Afghanistan, Pakistan, pays du Maghreb ; les migrants relevant de l’asile, eux, doivent déposer une demande depuis la Turquie, via le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ou les responsables des États membres de l’Union européenne, pour entrer ensuite dans le programme de réinstallation. Nous ne voulons pas, en effet, encourager les réfugiés à franchir les frontières de l’Union européenne illégalement et à risquer leur vie en Méditerranée avant que leur demande ne soit traitée.

L’Union européenne respecte ses engagements : elle a prévu un budget de 3 milliards d’euros pour aider la Turquie à accueillir les 2,5 millions de réfugiés syriens se trouvant sur son territoire, tout comme elle aide la Jordanie et le Liban – ce dernier pays en accueille plus d’un million. Nous savons en effet que les réfugiés syriens préfèrent rester à proximité de leur pays d’origine.

Le Conseil européen a rappelé que la Turquie avait aussi à respecter l’accord : elle doit continuer à lutter contre les passeurs illégaux qui agissent depuis son territoire. Or nous avons assisté ces dernières semaines à une augmentation des flux de migrants vers les îles grecques, de l’ordre de 200 arrivées par jour, contre moins de cent après la conclusion de l’accord, chiffres toutefois sans commune mesure avec les 2 000 à 2 500 arrivées quotidiennes observées auparavant.

Le Conseil européen a insisté sur la nécessité d’agir sur les causes profondes des migrations. En Méditerranée centrale, en raison de la situation en Libye, de l’instabilité au Sahel, mais aussi du sous-développement économique, les flux des migrations depuis l’Afrique continuent d’être très élevés. Parallèlement à l’opération EU Navfor Med, dite opération Sophia, destinée à lutter contre le trafic d’êtres humains et le trafic d’armes qui alimente les factions armées en Libye, l’Union européenne doit soutenir les pays d’origine ou de transit en Afrique. Cinq pays prioritaires ont conclu des pactes migratoires : l’Éthiopie, le Niger, le Nigéria, le Mali et le Sénégal. Le premier à être mis en œuvre est le pacte avec le Mali. La Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Mme Federica Mogherini, en a présenté un premier bilan.

Il est évident qu’il faudra davantage de recul pour mesurer l’efficacité du dispositif, qui vise à conforter les politiques de développement et de lutte contre la pauvreté en ciblant certains secteurs économiques porteurs – agriculture, pêche, industries – créateurs d’emplois, notamment pour les jeunes.

Une aide est également apportée au titre du contrôle et de la sécurisation des frontières, traversées par des réseaux de passeurs. La ville d’Agadès, par exemple, au nord du Niger, est un point de passage important des migrations provenant d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique de l’Est en direction de la Libye.

Un débat a eu lieu sur l’extension éventuelle de ces pactes à de nouveaux pays comme l’Égypte, l’Afghanistan ou le Pakistan. Il a été décidé qu’elle ne pourrait être envisagée qu’à la lumière des résultats concrets des premiers partenariats et en tenant compte des possibilités financières de l’Union.

Au titre de cette action en profondeur, dans le prolongement des décisions prises à La Valette, le Conseil européen a également appelé à l’adoption rapide des mesures nécessaires à la mise en œuvre de l’accord intervenu sur le Fonds européen de développement (FED) ainsi que sur le mandat externe de la Banque européenne d’investissement (BEI). Il s’agit en quelque sorte d’un plan Juncker externe, destiné à accompagner des projets de développement économique et d'investissement en Afrique afin d’agir à la source pour traiter le problème des migrations.

Le deuxième grand sujet à l’ordre du jour du Conseil européen était la politique de défense commune et les questions de sécurité.

Notre conviction, que nous voulons depuis longtemps faire partager à nos partenaires, est que l’Europe doit se donner les moyens d’assurer davantage sa propre sécurité car personne ne s’occupera de la sécurité des Européens à leur place.

Comme la plupart des pays de l’Union européenne, nous sommes membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), cadre de notre sécurité collective. Toutefois, nous le constatons, nombre des crises se situant aux frontières de l’Union européenne ne peuvent être traitées par cette organisation. Pensons à la Libye, ou encore au Mali où nous sommes intervenus non seulement pour aider un pays ami, mais aussi parce qu’il y avait un enjeu de sécurité pour la France et l’Europe. Beaucoup d’autres pays européens participent aujourd’hui à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), à la mission de formation de l’armée malienne de l'Union européenne (EUTM), ainsi qu’à des missions en République centrafricaine.

Il faut que l’Europe se dote davantage d’outils de coopération, d’interopérabilité de ses systèmes de défense, de financement, de soutien de sa base industrielle de défense en vue d’assurer son autonomie stratégique, premier thème qui a été mis en avant. Il est au cœur de la stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne que Mme Mogherini a détaillée en juin dernier dans un document intitulé Vision partagée, action commune : Une Europe plus forte.

Les pays membres de l’Union européenne doivent être capables d’organiser, si cela est nécessaire, des opérations extérieures, de produire les équipements dont l’Europe a besoin, de mettre en œuvre des capacités fondées sur l’interopérabilité, d’investir ensemble dans la recherche et le développement pour ne pas être dépendants des innovations des autres – citons la cyberdéfense, les drones de surveillance ou encore les moyens de transport.

Les travaux menés préalablement par nos ministres de la défense, en particulier sous l’impulsion de Jean-Yves Le Drian et d’Ursula von der Leyen, avaient conduit les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’Union européenne à adopter le 14 novembre dernier, au cours d’une réunion conjointe, une série de décisions communes concrètes dans tous ces domaines. Nous sommes très satisfaits qu’ils aient été repris par le dernier Conseil européen. Celui-ci a également apporté son soutien au plan d’action européen de la défense adopté à la fin du mois de novembre par la Commission européenne, qui propose la création d’un Fonds européen de la défense.

Il a été décidé qu’un effort serait consacré à la recherche et à la technologie grâce à un financement prévu pour l’action préparatoire à la recherche de défense dès 2017. Par ailleurs, un programme spécifique à la recherche et technologie de défense sera lancé après 2020. La Commission devra proposer un Fonds européen qui visera à faciliter le développement en commun de capacités de défense. Le Conseil européen a également encouragé la BEI à élargir ses politiques de prêts au secteur de la défense, ce que son mandat actuel ne l’autorise pas à faire. Cette évolution est d’ailleurs encore en débat parmi les États membres.

En outre, le Conseil européen a insisté sur une meilleure organisation des opérations militaires communes extérieures. Il s’agit de développer le mécanisme de financement Athena, mais surtout de mettre en place une capacité permanente de planification et de conduite des missions et opérations. Nous nous dirigeons vers la mise en place d’un état-major européen même si le mot n’est pas employé. Il devra être à même d’évaluer les menaces qui peuvent justifier le déclenchement d’une opération militaire commune et de déterminer les capacités que chacun des États membres est prêt à mettre à disposition. Nous ne serons plus dans le schéma où un État membre prend l’initiative de lancer une opération appuyée dans un deuxième temps par les autres États membres.

Le Conseil européen souhaite également réfléchir à une meilleure utilisation des groupements tactiques de l’Union européenne. Ces battlegroups reposent sur un principe simple – les États membres assurent à tour de rôle, par groupe, une permanence pour que l’Union européenne se tienne prête à projeter des forces – mais ils n’ont jamais été utilisés. Il faut chercher à comprendre les raisons de cette situation. Elles sont sans doute politiques : les États membres n’étaient peut-être pas tous suffisamment mûrs pour une telle coopération. Elles sont également techniques : le fait que ces groupements soient fondés uniquement sur l’armée de terre ne correspond pas à la réalité des opérations, qui mobilisent également l’armée de l’air, la marine et les forces spéciales.

Enfin, le Conseil européen a retenu une méthode : les chefs d’État et de gouvernement se réuniront régulièrement pour évaluer les principales menaces auxquelles l’Union fait face – conflits armés, terrorisme, trafics illicites, déstabilisation numérique, risques de prolifération – et fixer les grandes priorités stratégiques. Il ne faudra plus attendre trois ans pour que les questions de défense soient à nouveau abordées, comme cela a été le cas entre le Conseil européen de 2013 et le dernier Conseil.

Par ailleurs, il a été décidé que les ministres de la défense mèneront une fois par an une revue de défense de façon à déterminer les capacités, les manques, les besoins en matière d’interopérabilité. C’est ce que nous avons appelé le « semestre européen de défense », analogue à ce qui se fait dans la surveillance régulière de la zone euro à travers le contrôle de la réalisation des objectifs État par État.

La défense étant considérée comme une responsabilité collective qui réclame d’investir davantage en commun dans les technologies, les équipements et les capacités industrielles, il a été rappelé que l’effort financier devait être mieux partagé. Aujourd’hui, il existe des écarts considérables allant du simple au double au sein des États membres. L’objectif de 2 % du produit intérieur brut (PIB), établi pour l’OTAN et que la France s’est elle-même fixé, a été mis en avant. Il a été souligné que ce nécessaire renforcement du pilier européen restait compatible avec nos obligations au sein de l’OTAN.

S’agissant des enjeux de sécurité intérieure, les événements tragiques de Berlin rappellent la nécessité d’assurer la mise en œuvre des décisions prises. La directive relative aux données des dossiers passagers, dite directive « PNR », a enfin été adoptée, il importe maintenant qu’elle soit appliquée le plus rapidement possible. Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union comprend un ensemble de mesures, regroupées au sein du paquet « Frontières intelligentes », notamment un contrôle électronique des entrées et des sorties qui doit lui aussi être mis en œuvre le plus rapidement possible. Au mois de mars, sera rendu un rapport au Conseil européen sur les avancées réalisées et les éventuelles nouvelles orientations stratégiques. Les actes terroristes ne font que renforcer l’urgence de l’adoption de toutes les législations susceptibles de contribuer à la sécurité de l’Union européenne, en particulier de l’espace Schengen.

En matière économique, l’accent a été mis sur l’amplification du plan d’investissement, dit « plan Juncker ». Le Conseil européen s’est félicité de l’accord obtenu sur sa prolongation à trois années supplémentaires et son extension de 315 à 500 milliards d’euros, avec tout ce que cela suppose de garanties supplémentaires prises sur le budget de l’Union, de nouveaux mandats donnés à la Banque européenne d’investissement. La France est l’un des premiers pays bénéficiaires du plan Juncker, tant en nombre de projets qu’en volume d’investissements : une cinquantaine de gros projets et des milliers de projets portés par des petites et moyennes entreprises ont pu, par l’intermédiaire de Bpifrance et d’autres réseaux bancaires, bénéficier de prêts à taux très avantageux.

Quant à la garantie pour la jeunesse, il a été décidé d’étendre son financement sur une plus longue période. Ce dispositif, dont le succès est fort en France et moindre dans d’autres pays, est très utile pour aider au retour à l’emploi des jeunes.

J’en viens aux relations extérieures.

S’agissant de l’Ukraine, le président Hollande et la Chancelière allemande ont rendu compte de l’avancement de la mise en œuvre des accords de Minsk, discutés selon le format « Normandie » avec le président Poutine et le président Porochenko. L’intensité du conflit a diminué mais ces accords sont insuffisamment mis en œuvre. Les sanctions ont donc été reconduites pour une durée de six mois et leur levée sera liée à la mise en œuvre par les Russes des engagements qui leur reviennent. De la même manière, il a été rappelé à l’Ukraine qu’elle devait respecter sa propre part.

En Syrie, le drame vécu par les populations civiles d’Alep a été au cœur des préoccupations du Conseil européen, qui a soutenu la proposition française visant à ce que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution afin d’évacuer les populations, et de protéger les hôpitaux, les opérations sanitaires et les personnels de santé. La détermination de la France, soutenue par le Conseil européen, a permis que le Conseil de sécurité adopte une résolution à l’unanimité après que certains de ses membres, parmi lesquels on compte la Russie, ont levé leur veto. Elle a déjà permis l’évacuation d’une grande partie de la population d’Alep, même s’il reste encore des habitants sur place. Il faut maintenant que les observateurs des Nations unies, qui ont commencé à accéder à Alep-Ouest, puissent faire leur travail et que toute la population soit secourue.

Le Conseil européen a rappelé qu’il n’y avait de solution que politique à la crise syrienne, et que les négociations devaient être menées dans le cadre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité, sous l’égide des Nations unies.

Par ailleurs, les Vingt-Sept se sont réunis à l’issue du Conseil européen, sans la Première ministre britannique, pour adopter la méthode des négociations qui s’ouvriront dès que le Royaume-Uni aura demandé la mise en œuvre de l’article 50 du traité sur l’Union européenne.

Dès que l’article 50 sera activé, conformément au traité, le Conseil européen devra adopter des orientations définissant le cadre des négociations et établissant les positions de l’Union européenne. À la suite d’une recommandation de la Commission européenne, le Conseil adoptera la décision autorisant l’ouverture des négociations. Il adoptera également des directives de négociation sur le contenu ainsi que sur les modalités détaillées régissant les relations entre le Conseil et ses instances préparatoires, d’une part, et le négociateur de l’Union, d’autre part. Un accord est intervenu sur le fait que la Commission européenne sera le négociateur unique de l’Union. Cette dernière devrait désigner M. Michel Barnier, qui a commencé à préparer ces négociations. Compte tenu de leur particularité, le Conseil devra être tenu informé à chaque étape des discussions : il n’est pas question, comme cela se pratique pour négocier un traité de libre-échange, par exemple, de confier un mandat aux négociateurs et de ne pas intervenir en attendant le résultat final. À chaque étape, les Vingt-Sept devront être associés à l’ensemble de la négociation. Le Parlement européen sera dûment informé de leur évolution par la Commission.

En abordant ces sujets, les Vingt-Sept ont voulu que l’Union soit prête dès le moment ou le Royaume-Uni notifiera son intention de mettre en œuvre l’article 50. Ils veulent être immédiatement en mesure d’adopter des directives de négociation pour les transmettre aussitôt à la Commission. Nous souhaitons que tout cela aille vite ! L’article 50 stipule que la sortie de l’Union a lieu, au plus tard, deux ans après la notification de la décision de retrait, mais, pour que le Royaume-Uni ait véritablement quitté l’Union européenne dans ce délai, la négociation devra être achevée en quinze mois. En effet, il faut ensuite le temps que les diverses décisions soient adoptées par le Conseil, par le Parlement européen…

Nous souhaitons, en tout état de cause, que le Royaume-Uni soit sorti de l’Union en 2019, année durant laquelle doit avoir lieu le renouvellement de la Commission européenne et du Parlement européen. Les Vingt-Sept doivent donc être parfaitement au clair entre eux sur les principes de la négociation, en particulier sur la négociation unique : le Royaume-Uni ne pourra négocier séparément avec un ou plusieurs États membres en tentant de jouer sur les intérêts différenciés des uns et des autres. Il y a là un véritable enjeu en termes de cohésion de l’Union et de préservation des intérêts communs. S’appliquera également le principe que j’ai déjà évoqué selon lequel un États tiers ne pourra pas avoir une situation plus favorable qu’un État membre, que ce soit dans ses relations avec l’Union ou avec un État membre.

M. Joaquim Pueyo. Le 30 novembre dernier, notre commission a adopté une proposition de résolution européenne sur l’initiative franco-allemande d’un pacte européen de sécurité, avant que la commission des lois ne l’examine, le 14 décembre. Monsieur le secrétaire d’État, il semble que cette initiative franco-allemande a relancé la réflexion sur l’Europe de la défense. Est-ce bien le cas ? Quoi qu’il en soit, les conclusions du Conseil européen comportent un long chapitre consacré à la sécurité à la fois intérieure et extérieure.

Lorsque l’on parle de l’Europe de la défense, pour ma part, je pense toujours à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ? Dans une déclaration commune, cette organisation et l’Union européenne avaient annoncé vouloir travailler sur ce qui pourrait être qualifié de « doublons ». Il est vrai que la complémentarité de l’Union et de l’OTAN doit être améliorée s’agissant des capacités de défense, de la réponse aux menaces, de la recherche, ou des entraînements. Les choses ont-elles avancé en la matière ? Nous pouvons avoir quelque inquiétude pour l’avenir lorsque l’on connaît les conceptions du prochain Président des États-Unis s’agissant de l’Europe et de l’OTAN en Europe.

Dans une conjoncture internationale difficile, nous devons faire comprendre à nos concitoyens européens que rien ne pourra se régler sans l’Europe.

M. Arnaud Richard. Monsieur le secrétaire d’État, même si des avancées ont été enregistrées lors du Conseil européen en matière d’asile, je regrette qu’il n’y en ait pas eu en faveur d’un régime d’asile unique.

Cette audition se tient dans un contexte très particulier car, cette semaine, l’Union européenne a dû faire face à un désastre humanitaire à Alep, en Syrie, mais aussi à un attentat terroriste qui a frappé le cœur de l’Allemagne, à Berlin, et, à ses portes, à Ankara, en Turquie, à l’assassinat de l’ambassadeur de Russie.

Si le Conseil européen a réaffirmé son attachement à la déclaration commune de l’Union européenne et de la Turquie de mars 2016, cette dernière attend les contreparties qui semblent lui avoir été promises, notamment en matière de délivrance de visas. La tension diplomatique a monté d’un cran entre M. Juncker, président de la Commission européenne, et M. Erdoğan, Président de la République de Turquie, qui se sont mutuellement accusés d’être responsables des blocages constatés en la matière. Sur ce sujet des visas, la reprise d’un dialogue fondé sur des bases solides constitue selon nous une ardente nécessité. Quoi que l’on en pense, la Turquie reste un partenaire pour la résolution du conflit syrien. Cette résolution passe par nouveau partenariat avec la Turquie, qui ne serait certainement pas une adhésion à l’Union. La France s’engagera-t-elle clairement en ce sens ?

Concernant la Syrie, le Conseil européen a appelé toutes les parties aux conflits à mettre en place des mesures humanitaires et à respecter le droit international. Cette approche est évidemment essentielle, mais elle est insuffisante. Comme vous le savez, la chute d’Alep ne marque ni la fin des massacres ni celle de l’urgence humanitaire. Il faut maintenant qu’une initiative diplomatique européenne puissante rassemble autour d’une même table les parties qui peuvent mettre fin au conflit. Dans cette perspective, quelles initiatives la France et l’Europe prennent-elles pour poser les bases d’un indispensable dialogue avec nos voisins russes aujourd’hui négligés – comme le montrent les conclusions du dernier Conseil européen ainsi que vos propos ?

Le Conseil est désormais prêt à engager des négociations avec le Parlement européen sur la modernisation des instruments de défense commerciale. Tout au long de la législature le groupe de l’Union des démocrates et indépendants s’est mobilisé sur ce sujet. La France, qui a été un peu à la traîne de l’Allemagne, sur le traité de libre-échange transatlantique (TTIP) entend-elle prendre une position claire ? Selon moi, nous devons dire sans détour aux États-Unis que nous ne signerons pas d’accord commercial tant qu’ils s’obstineront à appliquer leur droit national à nos entreprises. Quel sera l’agenda des travaux de modernisation des instruments de défense commerciale ? Seront-ils mis en œuvre avant que l’Europe n’engage de nouvelles négociations d’accords commerciaux ?

M. Christophe Premat. Monsieur le secrétaire d’État, vos comptes rendus fidèles des Conseils européens enrichissent les travaux de la mission d’information de l’Assemblée sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations.

Ce Conseil européen était particulièrement intéressant car il a traité de questions comme la défense ou l’Ukraine avant que les Vingt-Sept n’abordent le Brexit. D’une certaine façon, il a montré aux Britanniques ce qu’ils perdraient en demandant à sortir de l’Union.

Les négociations prévues à l’article 50 du traité sur l’Union européenne sont aussi une affaire interne au Royaume-Uni, dans laquelle interviennent le Parlement, la High Court et le Gouvernement conservateur qui essaie de jouer sur l’alternative entre soft et hard Brexit. Lors du Conseil européen, avez-vous eu le sentiment que la position britannique pouvait être en décalage par rapport à la cohésion des Vingt-Sept et aux orientations claires qu’ils ont formulées ? Nous savons que l’article 50 sera mis en œuvre au mois de mars, mais, d’ici à cette date, des jeux internes au Royaume-Uni influenceront l’évolution vers l’un des divers scénarios envisagés.

Cette incertitude est d’autant plus grande que l’Écosse fait actuellement pression pour négocier. Même si nous en sommes satisfaits en tant que membres de l’Union européenne, cela peut aussi affaiblir la décision. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Pierre Lequiller. Monsieur le secrétaire d’État, dans le cadre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, le « un pour un » est-il appliqué ?

Concernant les migrations, vous avez évoqué les pactes conclus avec l’Éthiopie, le Niger, le Nigéria, le Mali et le Sénégal qui pourraient être étendus à d’autres pays. Nous rapprochons-nous de l’exemple de l’Espagne qui aide à la fois au développement local et au contrôle des migrants à la sortie de Madagascar ou du Sénégal ? Cette politique a bien fonctionné, et l’immigration vers l’Espagne a beaucoup baissé. Existe-t-il une contrepartie des aides que vous présentez ? Elles doivent sans doute permettre de créer des emplois à long terme, mais, à plus court terme, il faudrait que l’on mette en place une sorte de hotspot à la sortie… En clair, qu’appelez-vous aide à la sécurité des frontières ?

J’ai assisté au congrès de la CDU à Essen : Mme Merkel a annoncé que la part du budget de la défense de l’Allemagne tendrait vers 2 % du PIB. L’Allemagne est en train de comprendre qu’elle peut aller plus loin en matière de défense.

Après le drame épouvantable qui vient de toucher ce pays, nous allons très probablement observer un changement de position en matière de sécurité intérieure. L’Allemagne, jusqu’à maintenant épargnée, considérait que la France avait été atteinte par le terrorisme en partie en raison de son passé colonial. Nous devrions en tout cas essayer de profiter d’un prochain changement d’attitude. Monsieur le secrétaire d’État, que voulez-vous dire lorsque vous évoquez de réforme de Schengen ? Concrètement, quels progrès a-t-on enregistré en matière de surveillance des frontières extérieures ?

J’ai participé à toutes ses réunions et à tous ses déplacements de la mission d’information de l’Assemblée sur le Brexit. J’ai été très étonné par l’impréparation britannique. Lors de notre rencontre avec M. David Davis, le ministre en charge de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, nous avons été frappés par un fait : les Britanniques ne savent pas où ils en sont. Parce que leur majorité est elle-même très divisée, tout comme leur Gouvernement, nous finissons par ne plus très bien savoir ce qu’ils veulent. Nous avons aussi rencontré les Allemands : il me semble que leur position est beaucoup plus astucieuse que la nôtre. Nous voulons donner des leçons à la Grande-Bretagne, alors que Mme Merkel, après avoir donné le sentiment qu’elle souhaitait écouter les Britanniques, campe maintenant sur une position ferme et claire. Les Allemands considèrent qu’il n’appartient pas au Vingt-Sept de déterminer s’il y aura un hard ou un soft Brexit : selon eux, ce choix revient aux Britanniques. Ces derniers sont très frappés par la cohésion des Vingt-sept. Ils s’attendaient à pouvoir mener des négociations séparément avec les États membres.

Pour ma part, j’estime, comme les Allemands, qu’il faut attendre que les Britanniques mettent en œuvre l’article 50 du traité. Nous n’avons pas à devancer les événements et à faire la leçon aux Britanniques.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si vous avez des contacts avec les Écossais et les Irlandais ?

M. Gilles Savary. Je me félicite que les choses évoluent assez rapidement sur des dossiers brûlants comme ceux des migrations ou de la défense – elles avancent en tout cas, beaucoup plus rapidement que l’Union européenne n’a l’habitude de réagir sur ce type de sujet. L’une des véritables raisons d’être de l’Europe est bien de nous protéger des multiples menaces qui la guettent.

Concernant les questions migratoires, nous apprenons que la Grèce a du mal à absorber les crédits européens qui lui sont affectés à ce titre. Les pays en première ligne, comme l’Italie et la Grèce, reçoivent une aide substantielle, mais ils semblent avoir du mal à dépenser l’argent en question – c’est en particulier le cas de la Grèce qui rencontre, nous dit-on, des problèmes « administratifs ». Dès lors, nous pouvons nous demander si, concrètement, les dispositifs prévus pour l’accueil des migrants en Grèce sont bien mis en œuvre ? Les structures d’accueil existent-elles ? Le contrôle des migrants est-il opérationnel ? Le renvoi à la frontière est-il possible ?

L’Europe de la défense est à mon sens essentielle. Si l’on devait un jour tenir un grand discours de relance de l’Europe, ce devra être sur ce sujet. Nous basculons en ce moment dans une nouvelle ère. Le relativisme américain devient une doctrine – les États-Unis s’occuperont surtout des affaires qui les concernent, et un peu moins de celles des autres –, l’OTAN devient un soutien moins ferme et robuste, et l’Europe a un grand voisin turbulent qui ne s’embarrasse pas de principes. J’ajoute que les Russes, car il s’agit d’eux, n’hésitent pas à exercer des pressions aux marges de l’Union. Dans ce contexte, comment s’organise le renforcement l’Europe de la défense ? Agira-t-on uniquement en termes de participation financière ou envisage-t-on la mise en commun d’une réflexion stratégique et de la capacité de décision s’agissant des interventions en cas de crise ? Avez-vous noté une sensibilité particulière des pays de l’Est sur ce sujet ? Comment se positionnent-ils ? Les Baltes et les Polonais sont, par exemple, devenus très pro-européens, tout en étant très nationalistes, parce qu’ils éprouvent un véritable besoin de protection. Celle-ci était jusqu’à maintenant mieux assurée par les Américains que par les Européens, mais les choses changent. Comment ressentent-ils les progrès d’une Europe de la défense ? Sont-ils plus allants que nous ? Nous avons toujours été ambigus : nous la désirions tout en voulant conserver une totale indépendance. La position gaulliste revenait à prendre l’argent, mais à vouloir décider seul. Sur cette question, comment se situent les doctrines des uns et des autres, y compris celle de la France ?

Mme la présidente Danielle Auroi. J’étais récemment en Ukraine avec notre collègue Rémi Pauvros. La prolongation de six mois des sanctions à l’égard de la Russie nous a un peu rassurés, mais un autre drame humain se prépare actuellement dans le Donbass. Lorsque nous étions sur place, on venait de couper l’eau et l’électricité à Lougansk. Vous imaginez ce que cela peut donner, au début de l’hiver, dans une ville qui compte 500 000 habitants. L’Union européenne prend-elle la mesure de l’ampleur de la crise ukrainienne et des drames humains qui se déroulent un peu partout à nos frontières – je sais que les Baltes sont inquiets sur ces sujets ?

La présence d’observateurs à Alep est évidemment positive. Il n’en demeure pas moins que l’on envoie les réfugiés qui quittent cette ville – il en reste encore sur place – vers une région dont on sait qu’elle sera la prochaine cible du gouvernement de Bachar el-Assad. Comment sortiront-ils de cette « poche » où ils seront à nouveau exposés demain ? L’Union européenne a-t-elle envisagé une solution ?

M. le secrétaire d’État. La résolution préparée à l’Assemblée nationale sur l’Europe de la défense, monsieur Pueyo, ainsi que toutes les initiatives franco-allemandes en la matière ont beaucoup contribué au débat qui s’est déroulé ces deux dernières années et a conduit à la prise de conscience de nos partenaires quant à la nécessité de mieux organiser l’Europe en matière de défense. Cette évolution est très sensible en Allemagne. Pierre Lequiller l’a ressentie au congrès du parti de la Chancelière ; j’ai moi-même eu l’occasion de la constater à de nombreuses reprises, lors de rencontres au Bundestag ou encore lors de la conférence sur la sécurité qui se tient chaque année à Berlin et à laquelle j’ai participé cette année pour la seconde fois. Je constate un rapprochement substantiel de nos positions.

L’Allemagne a déjà été frappée par des attentats terroristes cet été et ce qui se passe en Syrie a un lien direct avec la crise des réfugiés dans ce pays. La réponse à notre sollicitation après les attentats de novembre 2015 et à notre invocation de l’article 42-7 a été un mouvement de solidarité très fort de la Chancelière et du Bundestag pour nous venir en aide, à la fois au Sahel et au sein de la coalition en Irak et en Syrie. Tout cela a fait que nous avons pu, à ce Conseil européen, prendre des décisions, auxquelles se sont associés les pays d’Europe centrale et les pays baltes, très préoccupés par l’évolution de la menace sécuritaire à l’est du continent du fait de la crise ukrainienne, de l’annexion de la Crimée, du soutien aux séparatistes ukrainiens dans le Donbass, et de toute l’activité du grand voisin russe en mer Baltique.

Il fallait transformer cette prise de conscience en une prise de responsabilité collective des Européens, en établissant bien que cela ne duplique ni ne contredit nos engagements au sein de l’OTAN. Cela a été explicitement débattu et c’est mentionné dans les conclusions du Conseil. La déclaration commune Union européenne-OTAN adoptée à Varsovie en juillet a permis d’établir ce qui relève de chacun. Renforcer la coopération des Européens entre eux en matière de défense dans tous les domaines – évaluation des risques, capacité à financer et à mener des opérations, soutien à la base industrielle de défense – renforce aussi l’OTAN car la plupart des pays de l’OTAN sont des pays de l’Union européenne. Cela ne lui nuit donc en rien pour autant que nous respections bien sûr les procédures de cette organisation et que nous faisions en sorte que ces efforts communs soient, en particulier au plan opérationnel, compatibles avec ce qui est fait au sein de l’OTAN.

Vous avez, monsieur Richard, regretté qu’il n’y ait pas assez d’avancées vers un régime unique de l’asile. Nous avons le souci de préserver l’équilibre entre les principes de solidarité et de responsabilité. Nous avançons cependant. Nous disposons à présent d’une liste de pays d’origine sûre commune aux pays de l’Union européenne. Les systèmes de relocalisation sont également une prise en compte solidaire du fait que certains pays, en raison de leur situation géographique, sont plus exposés que d’autres à l’arrivée des demandeurs d’asile. En même temps, il faut que ces avancées soient en lien avec la sécurisation des frontières, la mise en place de hot spots, des mesures de réadmission. Certains États voudraient aller plus loin, plus vite, voudraient un système de répartition permanent ou automatique, mais cela n’a pas de sens sans mise en place du contrôle des frontières extérieures communes. Je crois que tout le monde a tiré les mêmes leçons de ce qui s’est passé pendant l’année 2015, et nous avançons progressivement vers une gestion plus commune de l’asile et des migrations. Les choses allant très vite sur la scène internationale, il existe toujours un risque qu’une Europe à vingt-sept ou à vingt-huit prenne du retard. Malgré tout, nous avons avancé.

La Turquie, vous l’avez rappelé, attend des contreparties, notamment en matière de visas, mais l’accord du mois de mars entre ce pays et l’Union européenne mentionnait que la feuille de route de libéralisation des visas devait progresser dans le respect des critères énoncés. Il en est notamment un portant sur la révision de la législation en matière de lutte contre le terrorisme. Cette législation n’a pas évolué dans le sens que nous avions demandé et les conditions pour la libéralisation des visas ne sont donc pas aujourd’hui réunies.

Nous avons un dialogue clair avec la Turquie, qui doit rester un partenaire en matière de migrations, de lutte contre le terrorisme, de règlement des grandes crises du Moyen-Orient, et notamment de la crise syrienne. Ce dialogue se mène sur la base de principes. Nous avons bien sûr exprimé notre solidarité avec la Turquie après la tentative de coup d’État du 15 juillet, car ce pays doit pouvoir lutter pour sa sécurité et sa souveraineté contre les putschistes. De même, la Turquie est confrontée au terrorisme à la fois de DAECH et du PKK. Cela n’empêche pas que nous ayons des inquiétudes, compte tenu de l’ampleur de la répression, qui a été bien au-delà des personnes en cause dans la tentative de coup d’État ou les attentats terroristes. Des universitaires, des membres du Parlement, des membres du parti HDP, des journalistes sont aujourd’hui victimes de cette répression, ont été emprisonnés ou destitués de leurs fonctions sans que cela ne puisse être justifié par une quelconque implication.

La chute d’Alep ne signifie pas la fin du drame syrien et de la guerre. Mme la présidente a rappelé qu’il existait des inquiétudes sur une autre ville, Idlib. Au plan humanitaire, la population continue d’être victime des affrontements en d’autres endroits. Sans règlement politique, la confrontation continuera. Nous avons d’ailleurs vu que le régime n’avait pas été en mesure d’empêcher la reprise de Palmyre par l’État islamique. Il a concentré ses bombardements sur l’opposition et non sur les groupes terroristes de DAECH, qui sont par ailleurs toujours à Raqqa. De notre point de vue, la situation en Syrie doit être réglée par un cadre international qui permette de lutter contre le terrorisme tout en associant les éléments de l’opposition modérée à une solution politique. Tous les partenaires internationaux doivent y contribuer. Aujourd’hui, l’approche du régime et de ses alliés, la Russie et l’Iran, n’apporte pas une solution de paix en Syrie. L’Union européenne continuera donc de prendre des initiatives pour promouvoir une solution politique avec les Nations unies.

En ce qui concerne les instruments de défense commerciale, une très importante décision a été prise la semaine dernière, qui nous permet de mettre en place des droits de douane beaucoup plus élevés qu’auparavant face à des situations de dumping. La règle du « droit moindre », qui empêchait l’Europe de porter ses droits à des taux réellement dissuasifs, a été en partie supprimée. Là où les États-Unis, membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), peuvent rehausser leurs droits de douane en cas de dumping reconnu, par exemple sur l’acier en provenance de Chine, jusqu’à 200 %, l’Union européenne ne relevait les siens que de l’ordre de 25 %. Les autres instruments de défense commerciale doivent aussi être ajustés. Nous voulons par ailleurs appliquer le principe de réciprocité et cela y compris vis-à-vis de grands partenaires, notamment les États-Unis. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président de la République a considéré, et ce depuis plusieurs mois déjà, que les conditions d’un accord sur le TTIP n’étaient pas remplies, en raison d’un déséquilibre flagrant entre l’offre européenne, en particulier l’ouverture de nos marchés de services et marchés publics, et de l’autre côté l’offre américaine, qui concernait très peu de marchés publics et en particulier ne concernait pas les marchés sub-fédéraux, c’est-à-dire l’essentiel des marchés susceptibles d’être concernés par ce traité.

Je ne crois que l’on puisse dire que la France ait été moins ferme que l’Allemagne. Lors de la dernière visite du Premier ministre Manuel Valls en Allemagne et sa rencontre avec le vice-chancelier, ministre de l’économie, Sigmar Gabriel, il a eu avec ce dernier un échange sur la façon dont l’Allemagne pouvait s’inspirer de ce que fait la France afin de protéger des investisseurs étrangers les secteurs stratégiques nationaux. Nous avons pris des mesures, par exemple pour protéger STX, trouvant une base juridique qui nous permet d’aller bien au-delà du seul secteur de la défense, alors que les dispositions en vigueur en Allemagne ne concernent que ce secteur et celui de la sécurité. L’Allemagne souhaite protéger ses entreprises, y compris des PME détentrices de brevets dans des secteurs stratégiques d’innovation, des investisseurs, notamment chinois, qui ont tendance à vouloir piller ces ressources.

S’agissant du Brexit, monsieur Premat, un débat a lieu au Royaume-Uni entre le Gouvernement et le Parlement sur la façon dont tenir compte des arrêts de la Cour, sur le calendrier de déclenchement de l’article 50 et sur le plan que la Gouvernement britannique présentera pour les négociations. Il est important que le Parlement ait accepté le calendrier sur lequel s’est engagée Theresa May vis-à-vis des vingt-sept autres États membres, à savoir le déclenchement de l’article 50 avant la fin du mois de mars. Pour le reste, nous ne souhaitons pas nous immiscer dans l’ordre interne du Royaume-Uni, mais, quelles que soient les procédures, il ne faut pas que soit entamée la clarté de la démarche de ce pays vis-à-vis de l’Union européenne.

En ce qui concerne l’Écosse et l’Irlande, là non plus nous n’avons pas à nous immiscer dans ce débat. Pour nous, il y a un État membre, le Royaume-Uni, et la négociation aura lieu avec le Royaume-Uni et non avec telle ou telle région. Nous avons bien sûr des relations avec l’Irlande, État membre, parce qu’il faut préserver l’accord du vendredi saint, mais nous ne discutons pas du Brexit avec l’Écosse. Nous recevons de manière très amicale les représentants de l’Écosse, mais nous n’entrerons pas dans une négociation qui mettrait en cause l’intégrité ou la souveraineté du Royaume-Uni.

Le « un pour un » avec la Turquie, monsieur Lequiller, fonctionne, même s’il se présente un problème en Grèce avec les comités d’appel qui traitent les recours des demandeurs d’asile syriens faisant l’objet d’une décision de reconduite en Turquie. La procédure peut prendre plusieurs mois, mais 1 187 personnes, dont 95 Syriens, ont tout de même été réadmises en Turquie dans le cadre de l’accord avec l’Union européenne. Le principal apport de cet accord, c’est que, compte tenu du fait que la Turquie a lutté plus efficacement contre les passeurs et que les réfugiés savaient qu’ils ne pourraient remonter par la route des Balkans, cela a grandement diminué le nombre de départs depuis la Turquie. En contrepartie, nous procédons à des réadmissions depuis ce pays. Je crois en réalité que nous avons fait davantage de réadmissions de réfugiés que n’y aurait conduit le « un pour un », car le système de réadmission relève de dispositions humanitaires mises en œuvre avec le HCR.

Les accords pris avec les pays prioritaires d’Afrique sont en partie inspirés de ce que l’Espagne a négocié avec le Sénégal, le Maroc et la Mauritanie. Il existe une contrepartie, des accords de réadmission, afin de décourager l’immigration illégale. L’Europe continuera d’avoir des voies d’immigration légale, d’accueillir et de former des étudiants africains – certains plus que d’autres, car les étudiants ont aussi une préférence pour les universités de France, d’Allemagne ou du Royaume-Uni –, et il y a le regroupement familial ainsi que l’immigration économique, mais il faut que les migrations se passent selon les procédures légales et que les migrations illégales soient donc combattues, c’est-à-dire que des accords de réadmission soient conclus avec ces pays, qui demandent en contrepartie que reste ouverte l’immigration légale et que leur soit apportée une aide pour le contrôle des frontières. Cette aide peut prendre la forme d’une formation aux systèmes de sécurité.

Ce qui vient de se passer en Allemagne, le plus gros attentat qui ait visé ce pays, aura forcément des conséquences mais nous accompagnerons l’Allemagne dans ses évolutions. Entre nos deux ministres de l’intérieur, Thomas de Maizière et Bernard Cazeneuve d’abord, à qui vient de succéder Bruno Le Roux, qui s’est déjà rendu en Allemagne depuis sa nomination, il existe une communauté de vues très étroite sur les moyens de coopérer le plus efficacement possible dans la lutte contre le terrorisme et sur les conséquences que cela doit avoir non seulement pour notre relation bilatérale mais aussi l’organisation de l’Europe. De fait, Schengen évolue en raison des décisions que nous avons prises parce que la France et l’Allemagne les ont défendues ensemble : la révision ciblée du code frontières Schengen en vue d’introduire des vérifications systématiques obligatoires à toutes les frontières extérieures pour les entrées et les sorties, y compris pour les détenteurs de passeports de l’Union européenne et de pays de Schengen, le règlement sur les garde-frontières et les garde-côtes, c’est-à-dire une transformation de l’agence Frontex, le fait que le Conseil européen souhaite parvenir à un accord sur le système d’entrée et de sortie dans le cadre du paquet « frontières intelligentes », l’adoption demandée d’un système d’information et d’autorisation concernant les voyages inspiré du système américain ESTA – Electronic System for Travel Authorization.

Tout cela représente une transformation de Schengen, avec une sécurisation des frontières, un contrôle plus systématique des franchissements de frontière. C’est la condition pour le maintien de Schengen. Transformer Schengen, c’est cela, plutôt que de demander un nouveau traité, ce qui impliquerait de relancer une négociation intergouvernementale qui prendrait plusieurs années. Nous avons déjà beaucoup fait évoluer Schengen, en peu de temps, et nous devons continuer à le faire.

M. Pierre Lequiller. Cela marche tellement bien que nous avons toujours des frontières intérieures !

M. le secrétaire d’État. Certains États membres ont régulièrement rétabli des frontières intérieures parce que le contrôle des frontières extérieures n’était pas suffisant.

M. Pierre Lequiller. On ne peut pas se contenter de dire : « Ça va mieux. » Ça ne va pas mieux.

M. le secrétaire d’État. Il faut en ces matières de la méthode, de la constance, de la persévérance. Les deux ministres français et allemands ont travaillé de façon cohérente sur cet agenda.

La Grèce, monsieur Savary, a été touchée par la crise des réfugiés au moment où elle était confrontée à des difficultés économiques. Elle a dû réorganiser en urgence son service d’asile et les villes ont fait face à l’arrivée de centaines de milliers de personnes, dont des dizaines de milliers sont restées bloquées là-bas. Elle a dû créer des dizaines de centres d’accueil. Les aides de l’Union européenne sont utilisées par la Grèce et nous allons l’aider à bien absorber ces fonds.

Mme la présidente Danielle Auroi. La représentante de la mission européenne que nous avons reçue ce matin nous a indiqué que les fonds étaient là, mais que la fonction publique grecque n’était pas suffisamment opérationnelle et qu’il convenait donc de prévoir un accompagnement à ce niveau.

M. le secrétaire d’État. Au début de la crise des réfugiés, l’Union européenne a été accusée par la Grèce d’être en retard. La Commission européenne a présenté des projets de législation budgétaire qui ont été adoptés par le Parlement et le Conseil européens. Il faut que l’administration grecque soit capable de déposer des dossiers. Chacun doit essayer d’aider l’autre. Je me suis rendu en Grèce avec plusieurs de mes collègues pour voir comment les choses se passaient dans les camps de réfugiés. Les Grecs ont accueilli des gens avant de recevoir les aides européennes. Heureusement que ces aides ont permis d’améliorer les conditions d’accueil mais la préoccupation de la Commission européenne ne doit pas être de mettre en cause l’administration grecque mais plutôt de faire en sorte que les procédures administratives soient plus simples.

L’Union européenne fournit une aide très importante, 1,8 milliard d’euros, à l’Ukraine, au titre de l’assistance macro-financière (AMF). L’Ukraine est le pays auquel l’Union apporte le plus d’aide, plus que vis-à-vis de n’importe quel pays d’Afrique, et ce pour des raisons de stabilité, de sécurité et de solidarité. Mais, dans le Donbass, même l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a du mal à travailler, alors que c’est elle qui doit y assurer une surveillance et préparer des élections. C’est donc très difficile pour l’Union européenne et vous avez raison de souligner qu’il faut que nous soyons attentifs à ce qu’une partie des fonds envoyés à l’Ukraine serve à l’aide humanitaire et civile dans le Donbass.

De ce point de vue, votre mission est très importante. Vous savez que le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a tenu à se rendre avec son homologue allemand dans le Donbass pour y rencontrer les autorités de plusieurs municipalités, afin de manifester le fait qu’au-delà du règlement politique de la crise, nous étions très attentifs à la situation humanitaire des populations de cette région.

M. Pierre Lequiller. J’ai vu qu’il y aurait une participation du Parlement européen sur le Brexit. Ce serait bien que la France demande une participation des Parlements nationaux.

M. le secrétaire d’État. Je me réjouis de la création par l’Assemblée nationale d’une mission d’information sur le Brexit. Le secrétaire général aux affaires européennes et moi-même avons décidé que le Gouvernement transmettrait toutes les informations utiles à chaque étape de la négociation. Ce à quoi j’ai fait référence, ce sont les décisions prises dans le cadre des institutions européennes et la place du Parlement européen, qui, à proprement parler, n’a pas de rôle dans la négociation mais en aura un dans la ratification de l’accord. Il revient à chaque État membre de s’assurer de la façon dont il associe son Parlement national au suivi de la négociation. J’espère que l’exécutif fera en sorte que le Parlement soit associé à la définition de nos positions de négociation.

Mme la présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour le vaste panorama que vous avez dressé et pour avoir répondu très précisément à nos questions.

II. Communication de la présidente Danielle Auroi sur la mission effectuée en Ukraine les 1er et 2 décembre 2016

La séance est levée à 18 h 25

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 21 décembre 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Patrick Gille, M. Pierre Lequiller, M. Rémi Pauvros, M. Joaquim Pueyo, M. Arnaud Richard, M. Gilles Savary

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat