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40ème anniversaire de la 1ère élection de Michel Crépeau à l’Assemblée nationale

Séance publique du 6 juin 1975

Intervention dans la discussion générale du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux

M. le président . Dans la, discussion générale, la parole est à M. Crépeau.

M. Michel Crépeau . Monsieur le ministre, vous venez de déclarer que votre projet était ambitieux, mais je crains que vos ambitions ne soient rapidement déçues et, avec elles, nos espérances.

Les lois, en effet, ne peuvent rien changer si elles ne sont pas soutenues par une volonté politique et assorties des moyens indispensables à leur application.

Au cours de l'examen des articles, j'aurai l'occasion, au nom du groupe des socialistes et radicaux de gauche, de présenter un certain nombre d'observations en défendant nos amendements. J'apporterai même notre soutien à plusieurs amendements de la commission de la production et des échanges.

A la lecture du projet de loi, j'ai d'abord été frappé par le caractère assez vague de certaines dispositions et par le fait qu'il renvoie fréquemment à des décrets dont nous ignorons tout.

Ce texte contient donc plus de points d'interrogation que de solutions concrètes.

On y décèle aussi et surtout - et c'est ce qui m'inquiète, monsieur le ministre - l'absence d'une volonté politique . Pourtant, un tel sujet concerne l'ensemble du Gouvernement puisqu'on ne saurait distinguer la lutte contre la pollution et la récupération des déchets, des problèmes de l'économie nationale, de l'industrie, de l'aménagement du territoire, de la police et de la justice.

Or si l'on a créé, il y a quelques années, un ministère de l'environnement, puis de la qualité de la vie, force est de constater que l'effort financier accompli par le Gouvernement en faveur de ce ministère est des plus réduit et ne correspond nullement aux intentions exprimées.

De plus, à examiner les choses de près, et cela est apparu clairement dans des débats récents comme celui qui concernait la politique énergétique, on a le sentiment que les choix essentiels ne sont pas toujours le fait du Gouvernement, mais souvent de le technocratie ou d'intérêts privés fort éloignés de l'intérêt général.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par deux exemples. Lorsque l'Assemblée a été appelée à discuter, encore que bien tardivement, de la politique énergétique de la France, aucun vote ne lui a été demandé pour sanctionner ce débat. On nous a simplement informés qu'Electricité de France allait mettre en chantier la réalisation de plusieurs tranches de centrales nucléaires, centrales auxquelles le patronat, notamment dans le secteur de la métallurgie, porte un vif intérêt en raison de l'importance des marchés en cause.

On s'est beaucoup moins préoccupé de prévoir les modes d'élimination des déchets de ces centrales nucléaires ou de mener des études sur la récupération de la chaleur provenant aussi bien, des centrales thermiques que des centrales nucléaires.

A cet égard, je dois féliciter la commission de la production et des échanges qui a déposé un amendement qui va dans le sens que nous souhaitons et que le groupe des socialistes et des radicaux de gauche appuiera. Il est en effet évident qu'il faut au moins faire des études. Et si l'on n'a pas voulu les faire plus tôt c'est parce qu'elles risquaient de remettre en cause les décisions prises par la technocratie et par le Conseil national du patronat français, beaucoup plus que par le Gouvernement.

Voilà qui témoigne, monsieur le ministre, de ce que vous ne pourrez réellement pas faire grand-chose. C'est le système qu'il faut changer.

Je donnerai un autre exemple. II y a trois ans maintenant, j'ai posé une question au Gouvernement pour savoir ce qu'il pensait du rejet systématique dans l'Atlantique, par le navire Topaze, de déchets provenant de centrales nucléaires.

En effet, ces rejets constituent un véritable scandale, car le milieu marin est corrosif, mobile et incontrôlable. Depuis trois ans, j'attends une réponse à cette question.

Bien mieux, dans le journal Le Monde - dont personne, me semble-t-il, ne conteste le sérieux - a été publié, le 31 mai 1975, un article où l'on peut lire :

« Une nouvelle opération d'immersion dans l'Atlantique de déchets radioactifs provenant de Belgique, du Royaume-Uni, de Suisse et des Pays-Bas aura lieu en juin et en juillet prochains. Ce sera la septième organisée depuis 1966, sous l'égide et sous le contrôle de l'agence de l'O.C.D.E. pour l'énergie nucléaire. »

Or, que je sache, la France est membre de l'O .C .D .E.

Et l'article poursuit :

« Quelque 4 500 tonnes de déchets de faible activité enrobés dans du béton et du bitume et placés dans des fûts métalliques transportés par le navire britannique Topaze seront immergées dans une fosse profonde de cinq cents mètres environ . . . »

Voilà où nous en sommes, monsieur le ministre.

Ce projet a le mérite d'exister, mais j'émets les plus grands doutes quant à ses résultats concrets.

Et quels moyens seront consacrés à son application ? Certes, le texte fait état de taxes parafiscales à venir . Mais, comme l'a souligné devant la commission des finances du Sénat un parlementaire qui appartient pourtant à la majorité, M. Coudé du Foresto ; nous n'en connaissons ni l'assiette, ni le produit. On se contente donc d'énoncer un vague principe.

Quant aux moyens, mon expérience rochelaise m'a appris que le Gouvernement ne manifeste pas toujours sa volonté d'aider ceux qui s'efforcent de faire quelque chose. Je ne parle pas d'encouragements moraux : nous en avons reçus. En revanche, nous n'avons pas eu la visite du ministre. Ce n'est d'ailleurs pas grave : nous avons l'habitude de ne pas voir les ministres, à La Rochelle. Mais, surtout, nous n'avons reçu aucune aide matérielle, aucune aide du F. I. A. N. E. — le Fonds d'intervention et d'action pour la nature et l'environnement. Il a fallu attendre que se déroule pendant un an une expérience dont toute la France, fort heureusement, a parlé, pour que le conseil régional se décide à nous accorder de quoi acheter une presse pour le papier.

De l'Etat, nous attendons toujours une subvention ou un prêt.

Cela peut-il changer, monsieur le ministre ? Je vous pose la question parce que l'une des inquiétudes que suscite votre projet de loi tient au fait que l'Etat a coutume de se décharger sur les collectivités locales du soin de prendre les mesures destinées à lutter contre la pollution et d'organiser la collecte et la récupération des déchets. Vous êtes maire, monsieur le ministre, et vous savez ce que sont les moyens financiers des collectivités locales. Si elles doivent assumer cette tache pour ensuite, se voir contraintes une fois de plus à payer la T .V .A. à l'Etat sur les opérations réalisées, il est certain qu'elles n'iront pas bien loin et que, dans ce domaine, votre projet de loi n’aura pas les résultats que vous escomptez.

Par conséquent, une loi ne suffit pas. Il faut l'appuyer sur une politique : il faut mettre en place les moyens financiers qui la rendront applicable. Or ni l'une ni l'autre de ces conditions ne sont remplies.

En définitive, la question fondamentale et la plus grave sur laquelle nous ne pourrons certainement pas partager les vues du Gouvernement porte sur le choix de société qui se pose à l'occasion de la lutte pour la qualité de la vie.

En effet, la pollution, c'est évident, est liée d'abord au développement d'une économie fondée sur le profit de quelques-uns et non pas, sur l'intérêt général. Les exemples qui le démontrent abondent, et l'on pourrait citer toutes les sources de pollution.

Ainsi, les gouvernements signent des conventions internationales pour interdire les rejets de pétrole en mer mais, parallèlement, ces mêmes gouvernements laissent leurs navires circuler sous un pavillon de complaisance, panaméen ou libérien.

Or le Panama et le Libéria ne ratifient jamais les conventions internationales. C'est précisément parce que les navires naviguent sous le pavillon de ces pays qu’ils pensent ne pas respecter les règles édictées contre la pollution, et donc continuer à rejeter du pétrole en mer.

Autre exemple : vous négociez des contrats avec les industries chimiques. J'ai lu ce matin dans le journal que Pechiney-Ugine-Kuhlmann allait sacrifier un milliard de francs pour lutter contre la pollution. A priori, on ne peut que se réjouir d’une telle décision, mais quand on y regarde de plus près on s'aperçoit que cette somme est dérisoire par rapport aux investissements engagés pour moderniser les usines. En conséquence, le taux de pollution restera de l'ordre de 50 p. 100 et, entre-temps, la production aura doublé. Ce sera donc un coup de bâton dans l'eau.

J'ai connu ce problème avec certaines usines rochelaises.

L'une d'entre elles émettait dans l'atmosphère quatre tonnes de peroxyde d'azote par jour. Nous l'avons obligé à diminuer de moitié ses rejets mais la production a doublé : le résultat est donc nul du point de vue de la pollution.

Le plastique, le fameux plastique ! Je voyais l'autre jour, dans un magasin à grande surface, des petits pots en plastique qui contenaient des cervelles. Spectacle saisissant, digne d'un tableau surréaliste et parfait symbole, hélas ! de notre société.

Je voudrais m'arrêter un instant sur le problème des bouteilles de plastique que je connais bien.

Vous savez sans doute mieux que moi, qui ne suis pas un homme de chiffres, qu'en Allemagne fédérale on fabrique 1 200 000 tonnes de plastique par an et que moins de 10 000 tonnes sont utilisées pour faire des bouteilles. En France, les chiffres sont respectivement de 600 000 tonnes et de 120 000 tonnes.

Ces bouteilles, je les récupère et, pour l'instant, je les revends à un prix intéressant. Mais certains les brûlent et chaque bouteille brûlée dégage neuf litres de chlore dans l’atmosphère. Dans les communes où existe une usine d'incinération, le plastique est également brûlé avec les autres déchets, ce qui envoie encore neuf litres de chlore par bouteille dans l'atmosphère.

Une dilution peut être réalisée avec de l'eau. On obtient alors simplement de l'eau de Javel, ce qui ne change pas grand-chose.

Comme Lavoisier, l'a dit : dans la nature rien ne se perd, rien ne se crée ...

Les bouteilles en plastique sont principalement utilisées pour la commercialisation de l'eau minérale, car la France est le seul pays où l'on ne boit pas l'eau du robinet.

La télévision qui devrait jouer un rôle éducatif, programme, au contraire, des séquences publicitaires en faveur de l'eau minérale, donc indirectement du plastique. En résumé, le consommateur paie l'eau vendue en bouteille plastique 1,40 franc le litre et les communes vendent mille fois moins cher l'eau du robinet, qui pourtant est loin d'être mille fois moins bonne !

Qui profite d'une telle situation ? Bien entendu, les industriels qui vendent l'eau minérale, mais surtout les fabricants de bouteilles en plastique, et chacun de s’enrichir. Toutes ces sociétés, qu'il s'agisse de la production des eaux minérales ou de leur conditionnement, ont de profondes interpénétrations entre elles contre lesquelles le Gouvernement est bien incapable de lutter, même si, d'ailleurs, il le voulait. Les groupes concernés sont extrêmement puissants, y compris au niveau des organisations politiques.

Voilà la vérité dans cette affaire ! (Applaudissements sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche et des communistes.)

M. Louis Darinot . Très bien!

M. Michel Crépeau. Le gaspillage aussi est lié à la société de consommation.

Je prends l'exemple des carcasses de voitures.

En France, la politique semble avoir pour objectif d'amener le consommateur à imiter Marie-Chantal lorsqu'elle dit : « Je change de Jaguar lorsque le cendrier est plein. » (Sourires.)

On prétend défendre l’artisanat. Dans le domaine de l'automobile, il comprend essentiellement les garagistes, vous êtes bien placé pour le savoir, monsieur le ministre. Or, actuellement, répare-t-on vraiment les voitures dans les garages ?

Certainement pas. On se borne à mettre de l'huile dans le moteur et lorsqu'elles sont hors d'état de marche, on s'en débarrasse. Où les jette-t-on alors ? N'importe où.

Tout notre système économique et financier a été fondé sur des facilités excessives de prêts accordés en vue de l'achat d'automobiles, notamment par des systèmes de leasing, à l'instar des plus mauvaises pratiques américaines.

Dans ce domaine, le Gouvernement a aidé les Français à s'endetter, prétexte pris qu'il convenait de soutenir le rythme de la production automobile, alors qu'il aurait été préférable de fabriquer les machines-outils qui nous manquent aujourd'hui pour l'exportation.

C'est toute une politique qui est liée à ce gaspillage : la société de consommation, c'est la société du gaspillage, c'est votre société.

Vos moyens sont très limités quant à la récupération des déchets, où la situation est pire.

En effet, flans ce domaine, plus encore qu'en matière de pollution et de gaspillage, votre action se heurtera aux errements de la société qu'il faut bien appeler la société capitaliste.

Je prends l'exemple du papier. Quand, à La Rochelle, j'ai décidé de récupérer le papier, j'ai été approuvé par tous et j'ai pensé que ma commune allait aussi gagner beaucoup d'argent.

Le papier valait alors quarante centimes le kilo et à raison de quarante tonnes par semaine l'opération semblait intéressante.

Malheureusement, cette affaire a fait beaucoup de bruit et les professionnels de la récupération se sont émus à l'idée que l'expérience pourrait se développer dans toutes les communes de France, à commencer par les grandes villes . Du coup, le prix du papier est tombé à quinze ou vingt centimes le kilo. Evidemment, à ce prix, la récupération du papier, qui implique ramassage, stockage, tirage, emballage, expédition, n'est plus rentable.

Je n'ignore pas que la crise économique joue aussi son rôle, mais dans le secteur de la récupération les prix ont toujours été fluctuants par définition. On s'y enrichit surtout en spéculant sur les variations de cours. Il en a toujours été ainsi dans le monde des chiffonniers, des ferrailleurs, des récupérateurs de papier et de plastique.

Sans doute, monsieur le ministre, vos activités ne vous laissent elles pas le temps de vous adonner à la lecture de tous les documents publiés : aussi je citerai un très bref passage d'un ouvrage fort intéressant, surtout pour les ministres et les députés, qui a pour titre : F . . . comme fraude fiscale, où il est notamment question du monde de la récupération et de la ferraille.

Je lis : « Chez les ferrailleurs, tout le monde fraude, ou presque, c'est même une obligation si l'on veut avoir la marchandise. Au cours du procès de Lyon - qui se juge actuellement en appel - Maurice Bayle, vice-président national et président régional du syndicat des industries et commerces de la récupération, reconnaîtra, sans ambages, que la fraude constitue le fléau de la profession ». Je ne sais si c'en est le fléau, mais c'est surtout le principe selon lequel elle fonctionne.

Je poursuis : « Seulement les ferrailleurs ne sont pas les seuls et ils ne fraudent pas tous de la même façon. Chez les chineurs et les demi-grossistes tout se fait sans facture, de la main à la main, en espèces, « au cul du camion ». Quand ces vilains revendent aux honnêtes grossistes, des gens bien, qui tiennent comptabilité, on doit couvrir la transaction par des factures. On s'adresse aux taxis - les fabricants de fausses factures - qui en fournissent, à la demande, des fausses. On fait bonne mesure : on triche sur les poids, les qualifications et les prix. Comme ceux-ci sont très fluctuants, on enregistre, en comptabilité, les opérations en fin de semaine ou en fin de mois, choisissant les dates où les cours sont les plus favorables s. Vous le constatez, c'est tout un système. Pourrez-vous y porter le fer rouge, monsieur le ministre ? En aurez-vous le courage ?

Je ne le crois pas et mon groupe non plus. Toutefois, pour tenir compte de vos bonnes intentions, de ces bonnes intentions dont l'enfer est pavé, nous nous abstiendrons dans le vote. (Applaudissements sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche et des communistes.)

M. Rogert Wagner . Courageusement !

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