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PROJET DE LOI

prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions

NOR : INTX1527699L/Bleue-1

ETUDE D’IMPACT

17 novembre 2015

Sommaire

Introduction 3

Partie 1 : Etat des lieux et diagnostic 3

1.1.- Etat des lieux et application de la loi relative à l’état d’urgence 3

1.1.1.- Etat des lieux 3

1.1.2.- Application 4

1.2.- Cadre constitutionnel 4

1.3.- Etat de la législation au sein d’autres pays membres de l’Union européenne 4

1.3.1.- En Allemagne, en Espagne et au Portugal, les mesures susceptibles d'être prises sont limitées et les pouvoirs respectifs des différentes institutions précisés 4

1.3.2.- En l'absence de dispositif particulier, en Belgique, en Italie et au Royaume-Uni, le gouvernement prend les mesures adaptées aux circonstances et selon des procédures qui donnent un rôle plus ou moins important au Parlement 6

Partie 2 : Analyse des dispositions envisagées 8

2.1.- Objectifs poursuivis par la loi 8

2.2.- Examen des dispositions 8

2.2.1.- Modification des dispositions relatives à l’assignation à résidence 8

2.2.2.- Régime spécial des dissolutions administratives des associations et groupements de fait 11

2.2.3.- Modification du régime contentieux applicable aux mesures administratives prises sur le fondement de la loi relative à l’état d’urgence 12

2.2.4.- Aménagement du régime des perquisitions administratives 14

2.2.5.- Suppression du contrôle de la presse, des émissions radiophoniques, projections cinématographiques et représentations théâtrales. 17

2.2.6.- Renforcement des dispositions pénales 18

Partie 3 : Liste des consultations et des textes d’application 20

3.1.- Consultations obligatoires 20

3.2.- Textes d’application 20

3.3.- Application outre-mer 20

Introduction

La loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence a été conçue il y a plus de soixante ans, dans un contexte politique très différent, marqué par la guerre d’Algérie. Son principe est d’augmenter, pour une durée très limitée, les pouvoirs de l’autorité administrative pour faire face à des situations exceptionnelles : péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Cette loi est d’une très grande utilité pour faire face aux situations exceptionnelles. Son application à de très rares occasions montre également qu’elle n’est mise en œuvre que lorsque cela s’avère absolument nécessaire.

Pour que cette loi conserve son efficacité tout en assurant l’encadrement nécessaire des pouvoirs confiés temporairement à l’autorité administrative, il convient d’y apporter quelques corrections de nature à adapter sa rédaction aux évolutions de droit et de fait intervenues depuis sa conception.

Partie 1 : Etat des lieux et diagnostic

1.1.- Etat des lieux et application de la loi relative à l’état d’urgence

1.1.1.- Etat des lieux

Pour faire face à des situations exceptionnelles, il existe en droit français plusieurs dispositifs juridiques qui permettent de renforcer les pouvoirs des autorités administratives et de restreindre les libertés publiques.

L'article 16 de la Constitution donne au président de la République, « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu », la faculté de prendre « les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées, ainsi que du Conseil constitutionnel ».

L'état de siège, prévu par l'article 36 de la Constitution et applicable « en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée », se caractérise essentiellement par l'attribution de pouvoirs de police exceptionnels aux autorités militaires. Il est décrété en conseil des ministres, mais sa prorogation au-delà de douze jours doit être autorisée par le Parlement.

L'état d'urgence, qui résulte de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, est applicable « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Déclaré par décret pris en conseil des ministres, il confère aux autorités civiles, dans l'aire géographique à laquelle il s'applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes. Le décret instituant l'état d'urgence peut prévoir un renforcement des pouvoirs de police en matière de perquisition et de contrôle des moyens d'information. Au-delà de douze jours, la prorogation de l'état d'urgence ne peut être autorisée que par la loi.

1.1.2.- Application

Depuis sa promulgation, l’état d’urgence a été proclamé à six reprises :

- en 1955, dans le contexte de la guerre d’Algérie ;

- en 1958, à la suite des événements du 13 mai 1958 à Alger ;

- en 1961, après le putsch des généraux à Alger, renouvelé jusqu’en mai 1963 (totalité du territoire métropolitain) ;

- en 1984, en Nouvelle-Calédonie, à la suite des premières émeutes ;

- en 2005, émeutes urbaines (25 départements, incluant l’Ile-de-France) ; 

- en 2015, attentats coordonnés dans Paris (totalité du territoire métropolitain).

1.2.- Cadre constitutionnel

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, lors de l’examen de la loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances (Décision no 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances). Cette décision précise :

« 4. Considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l'état de siège, elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence pour concilier, comme il vient d'être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public ; qu'ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas eu pour effet d'abroger la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui, d'ailleurs, a été modifiée sous son empire ».

Par ailleurs, le juge des référés du Conseil d'État a été saisi le 9 novembre 2005 de deux requêtes tendant à la suspension de l'exécution des décrets du Président de la République du 8 novembre 2005 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et du Premier ministre du même jour relatif à l'application de cette même loi.

A cette occasion, ayant souligné le large pouvoir d'appréciation dont dispose le chef de l'Etat, eu égard à la nature et à la gravité des crises ou des dangers auxquels la loi du 3 avril 1955 a pour objet de faire face, dans le choix du recours au régime de l'état d'urgence et dans la définition de son champ d'application territorial, le juge des référés du Conseil d'Etat a estimé, compte tenu de l'aggravation continue des violences urbaines depuis le 27 octobre 2005, de leur propagation à une partie importante du territoire métropolitain et des atteintes à la sécurité publique, que le moyen tiré de ce que des décrets attaqués confèreraient au régime de l'état d'urgence un champ d'application s'étendant inutilement à l'ensemble de la France métropolitaine ne créait pas de doute sérieux quant à la légalité de ces actes.

1.3.- Etat de la législation au sein d’autres pays membres de l’Union européenne

1.3.1.- En Allemagne, en Espagne et au Portugal, les mesures susceptibles d'être prises sont limitées et les pouvoirs respectifs des différentes institutions précisés

En Allemagne, les dispositions de la Loi fondamentale relatives à « l'état de crise intérieure » n'ont fait l'objet d'aucune loi, de sorte que les règles sont succinctes. En revanche, les prescriptions constitutionnelles espagnoles et portugaises sur les dispositifs de crise ont été développées par des lois spécifiques, qui précisent les circonstances justifiant le recours à ces mesures, ainsi que la procédure de mise en œuvre et les effets de celles-ci. Les dispositifs les plus comparables à l'état d'urgence français sont l'état d'exception en Espagne, et l'état d'urgence au Portugal.

1.3.1.1.- En Allemagne, la constatation de l'état de crise intérieure échappe au Parlement fédéral, mais ne peut entraîner la suspension générale des droits fondamentaux

En Allemagne, l'état de crise intérieure est constaté par le Land concerné ou par le gouvernement fédéral. Le Parlement n'intervient pas, mais il conserve la possibilité de renverser le gouvernement. Les effets produits par la constatation de l'état de crise intérieure sont automatiques. Le Land menacé peut obtenir l'intervention de la police des autres Länder et celle de la police fédérale des frontières. En cas de besoin, le gouvernement fédéral peut assumer la responsabilité du rétablissement de l'ordre en prenant non seulement la direction de la police du Land en question, mais aussi celle des forces de police des autres Länder et en faisant intervenir la police fédérale des frontières, voire en recourant à l'armée.

Certains droits fondamentaux peuvent être restreints, la Loi fondamentale précisant que les restrictions ne peuvent porter que sur le droit au secret de la correspondance, de la poste et des télécommunications, ainsi que sur la liberté de circulation et d'établissement. En revanche, la liberté de réunion et la liberté de manifestation ne peuvent pas faire l'objet de limitations particulières.

1.3.1.2.- Les lois espagnole et portugaise laissent une grande place au Parlement et précisent dans quelle mesure les différents droits fondamentaux peuvent être suspendus

La place du Parlement

En Espagne, la déclaration de l'état d'exception résulte d'un décret pris en conseil des ministres après autorisation du Congrès des députés. La demande d'autorisation présentée par le gouvernement précise les droits dont la suspension est envisagée, les mesures permises par cette suspension, ainsi que le territoire concerné et la durée de l'état d'exception. Le Congrès des députés peut amender le texte du gouvernement. Ainsi, l'autorisation parlementaire porte non seulement sur le principe, mais également sur le contenu du dispositif. En outre, si le Parlement ne siège pas, il est immédiatement convoqué. Le cas échéant, c'est la députation permanente qui assume ses compétences.

De même, au Portugal, la déclaration de l'état d'urgence relève de la compétence du président de la République, mais ce dernier doit consulter le gouvernement et obtenir l'autorisation de l'Assemblée de la République. Lorsque celle-ci n'est pas en mesure de se réunir rapidement, l'autorisation est donnée par sa commission permanente, mais l'assemblée doit confirmer l'autorisation aussi rapidement que possible. Comme en Espagne, l'autorisation parlementaire porte non seulement sur le principe, mais également sur la nature des mesures qui peuvent être prises.

Les limitations apportées à la suspension des droits fondamentaux

Les lois espagnole et portugaise sont particulièrement explicites à cet égard. Elles posent le principe de proportionnalité et exigent que les mesures prises soient limitées au strict minimum : non seulement quant à leur durée et à leur aire d'application, mais aussi à leur ampleur. Elles disposent que, quelles que soient les circonstances, certains droits fondamentaux ne peuvent pas être suspendus : par exemple, la liberté de réunion des partis politiques et des syndicats en Espagne, et les droits de la défense au Portugal. Elles précisent également, pour chacun des droits fondamentaux dont la Constitution autorise la suspension temporaire, l'ampleur des restrictions envisageables.

1.3.2.- En l'absence de dispositif particulier, en Belgique, en Italie et au Royaume-Uni, le gouvernement prend les mesures adaptées aux circonstances et selon des procédures qui donnent un rôle plus ou moins important au Parlement

Ces mesures sont prises en vertu d'une délégation législative en Belgique, elles résultent de la déclaration d'état d'urgence en Italie, et de la loi sur les événements civils imprévus au Royaume-Uni.

1.3.2.1.- La délégation législative en Belgique

En Belgique, le législateur peut déléguer au Roi de larges pouvoirs en adoptant des lois de « pouvoirs spéciaux » ou de « pouvoirs extraordinaires ». Ces lois donnent à l'exécutif une très grande liberté d'action, car leurs objectifs sont rédigés en termes très généraux. De plus, les arrêtés pris en vertu d'une loi de pouvoirs extraordinaires ont force de loi. En revanche, ceux qui sont pris sur la base d'une loi de pouvoirs spéciaux restent des actes réglementaires, à moins d'être ratifiés par le législateur. Toutefois, lorsqu'une telle ratification n'a pas été prévue, les arrêtés de pouvoirs spéciaux restent en vigueur et sont dotés d'une valeur juridique supérieure à celle des autres arrêtés, puisqu'ils peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer des dispositions législatives dans les domaines dans lesquels les pouvoirs spéciaux ont été octroyés.

1.3.2.2.- L'état d'urgence en Italie

En Italie, la loi de 1992 portant institution du service national de protection civile permet au conseil des ministres de déclarer l'état d'urgence, non seulement pour faire face aux catastrophes naturelles, mais aussi lorsque d'« autres événements » requièrent des « moyens et pouvoirs extraordinaires ».

Le décret précise la durée et l'aire d'application de l'état d'urgence, qui doivent être strictement adaptées à la nature des événements, mais aucune durée maximale n'est prévue.

Les effets de l'état d'urgence sont déterminés en fonction des besoins par les arrêtés du président du conseil des ministres, ou du ministre de l'intérieur, pris pour appliquer le décret de déclaration de l'état d'urgence. Ces arrêtés peuvent déroger aux normes législatives en vigueur.

1.3.2.3.- La loi sur les événements civils imprévus au Royaume-Uni.

La loi anglaise de 2004 sur les événements civils imprévus permet à l'exécutif de prendre toute mesure adaptée aux circonstances en situation de crise. Ces mesures, qui sont valables pendant au plus trente jours, deviennent caduques si elles ne sont pas approuvées par le Parlement dans les sept jours.

Dans le cadre de la loi de 2004, toute mesure susceptible de prévenir, de contrôler ou de limiter la crise peut être prise, à condition qu'elle respecte le principe de proportionnalité. En outre, les mesures prises sont subordonnées à plusieurs restrictions. Ainsi, elles ne peuvent ni modifier la procédure pénale, ni créer de nouvelles infractions pénales, à l'exception de celles qui, précisément, se rapportent à leur propre non-respect.

Partie 2 : Analyse des dispositions envisagées

2.1.- Objectifs poursuivis par la loi

Au-delà de la prorogation de l’état d’urgence, le projet de loi se fixe pour objectif d’adapter la rédaction de la loi de 1955 aux précisions attendues aujourd’hui, d’une loi donnant à l’autorité administrative des pouvoirs exorbitants du droit commun, par un encadrement de ses dispositions, tout en veillant à ce que l’efficacité de cette loi, dont la vocation est d’être mise en œuvre de façon exceptionnelle dans des situations graves, soit accrue.

La conciliation entre les nécessités liées au maintien voire au rétablissement de l’ordre et de la sécurité publics et de la sauvegarde des libertés publiques est de la compétence du législateur, et tient compte des circonstances exceptionnelles qui motivent la mise en œuvre de ces dispositions.

En particulier, le projet de loi adapte les critères permettant l’assignation à résidence, prévoit la possibilité d’escorter les personnes faisant l’objet d’une assignation à résidence, de les soumettre à un pointage, de leur interdire d’entrer en relation avec des personnes déterminées. Il simplifie le régime contentieux lié aux assignations à résidence en l’alignant sur le droit commun. Il précise le régime des perquisitions menées sous le régime de la loi relative à l’état d’urgence, en en précisant le champ, en apportant les garanties procédurales nécessaires, en prévoyant la possibilité de retenir les personnes pendant la perquisition, ainsi qu’en prévoyant la possibilité de perquisitionner les systèmes informatiques. Enfin, ce projet de loi renforce les sanctions pénales en cas de violation des dispositions de la loi.

2.2.- Examen des dispositions

2.2.1.- Modification des dispositions relatives à l’assignation à résidence

Le projet de loi adapte et renforce le dispositif d’assignation à résidence prévu à l’article 6 de la loi de 1955, afin de le rendre plus efficace et opérationnel, en appliquant un régime comparable à celui prévu par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour les étrangers représentant une menace pour l’ordre public, assignés à résidence dans l’attente de leur éloignement du territoire. Ce dispositif vise en effet à restreindre la liberté de circulation des personnes auxquelles il est appliqué et à limiter leur capacité à se mettre en relation avec d’autres personnes considérées comme dangereuses, dans un contexte où les forces de l’ordre sont très fortement mobilisées. Il vise à assurer la pleine effectivité du dispositif en donnant les moyens au ministre de l’intérieur et aux forces de l’ordre de contrôler que la personne concernée se maintient dans le périmètre de l’assignation à résidence.

2.2.1.1.- Adaptation des critères

Le projet de loi fait évoluer le champ d’application de l’assignation à résidence afin de mieux répondre à l’objectif visé et à la réalité de la menace, en substituant aux termes « [de toute personne] dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics », qui apparaissent trop restrictifs, les termes « [de toute personne] à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », qui permettent d’inclure dans le champ des personnes qui ont appelé l’attention des services de police ou de renseignement par leur comportement ou leurs fréquentations, propos ou projets.

En effet, dans le cas de personnes soupçonnées de préparer des actes de terrorisme, les renseignements recueillis peuvent donner des indications sur la préparation d’un acte, alors que l’activité de la personne ne s’est jamais avérée dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics.

2.2.1.2.- Adaptation des lieux de l’assignation à résidence

Le projet de loi actualise les termes désignant le lieu de l’assignation à résidence qui doit être fixé par le ministre de l’intérieur. Les termes retenus (« les lieux qu’il fixe ») sont identiques à ceux qui figurent à l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour les étrangers assignés à résidence.

Cette rédaction est plus souple que la rédaction en vigueur dans la loi de 1955, qui prévoit « une circonscription territoriale ou une localité déterminée ». Ainsi, la rédaction proposée permet de définir une aire géographique adaptée, tout en se rapprochant d’une définition connue et pratiquée.

2.2.1.3.- Introduction du pouvoir d’escorte

Dans la mesure où les lieux de l’assignation peuvent, si nécessaire, être choisis en dehors de la commune où la personne assignée réside habituellement, le projet de loi donne au ministre de l’intérieur la faculté de faire conduire l’intéressé sur place par des services de police ou de gendarmerie afin de garantir l’exécution de la mesure.

La disposition permettant aux forces de l’ordre d’accompagner sous escorte la personne assigné à résidence jusqu’au lieu qui lui est assigné pour qu’elle y réside peut être considérée comme portant atteinte à la liberté personnelle, au sens des articles 2 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (non à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution) et doit obéir au principe de rigueur nécessaire, sans toutefois appeler l’intervention de l’autorité judiciaire. La mesure doit être entendue comme  limitée au temps strictement nécessaire à l’accomplissement du déplacement. Le Conseil constitutionnel a déjà admis qu’une mesure de contrainte de brève durée prise pour des motifs tenant notamment à l’ordre public ne soit pas assortie d’une intervention de l’autorité judiciaire (par exemple, décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012).

2.2.1.4.- Introduction de la possibilité d’imposer une présence durant un créneau horaire fixé

Le projet de loi ouvre la possibilité au ministre de l’intérieur de prescrire à la personne assignée une obligation de demeurer dans les locaux d’habitation qu’il désigne, pendant une plage horaire définie dans la limite de 8 heures consécutives par 24 heures.

Cette disposition permet que la personne assignée à résidence soit à l’intérieur de sa résidence durant cette plage horaire. Cette obligation allègera le travail des forces de l’ordre chargées de sa surveillance, au cours d’une période où elles sont, par définition très prises. Compte tenu de sa durée limitée, elle entre dans le champ des exceptions reconnues par le Conseil constitutionnel (mesure de brève durée prise pour des motifs tenant à l’ordre public, n’étant pas assortie de l’intervention de l’autorité judiciaire). De plus, comme pour toute décision administrative, les procédures de référé administratif sont applicables.

2.2.1.5.- Introduction de la possibilité d’imposer le pointage

Le projet de loi prévoit la possibilité d’imposer l’obligation de se présenter aux services de police ou de gendarmerie selon une fréquence déterminée dans la limite de 3 présentations par jour.

Cette possibilité, prévue pour les assignations à résidence judiciaires comme pour les assignations à résidence administratives des étrangers, permet de s’assurer de la présence des personnes assignées, sans une mobilisation excessive des forces de l’ordre.

Comme pour les autres modalités de l’assignation à résidence, les procédures de référé administratif permettront au juge administratif, s’il est saisi, de se prononcer en urgence sur cette disposition.

2.2.1.6.- Introduction de la possibilité d’imposer la remise du passeport et des documents d’identité

L’introduction, dans l’ordre juridique interne, de l’interdiction de sortie du territoire (art. L.224-1 du code de la sécurité intérieure), qui est assortie d’une obligation de remettre son passeport et sa carte nationale d’identité, a été rendue nécessaire par l’impossibilité d’empêcher un Français de revenir dans son pays, et la nécessité d’empêcher que son départ à l’étranger soit l’occasion d’un aguerrissement, sur un théâtre d’opérations terroriste, rendant cette personne plus dangereuse à son retour en France.

Compte tenu des spécificités de l’état d’urgence, de son caractère limité dans le temps, il apparaît nécessaire de prévoir la possibilité de retirer à une personne assignée à résidence son passeport et sa carte nationale d’identité ou ses documents d’identité, afin d’éviter qu’elle ne parte à l’étranger. Un récépissé est prévu permettant de justifier de son identité.

Comme pour les autres modalités de l’assignation à résidence, les procédures de référé administratif permettront au juge administratif, s’il est saisi, de se prononcer en urgence sur cette disposition.

2.2.1.7.- Introduction de la possibilité d’interdiction d’entrer en relation

Le projet de loi ouvre également la faculté au ministre de l’intérieur de prescrire à la personne assignée une interdiction de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes nommément désignées dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

Dans le cas des réseaux suivis par les services de renseignement qui n’auraient pas fait encore l’objet d’un traitement par l’autorité judiciaire, il apparaît nécessaire de permettre au ministre de l’intérieur d’interdire à une personne assignée à résidence d’entrer en relation avec des personnes dont il existe des raisons de penser qu’elles pourraient ensemble préparer des actes portant atteinte à la sécurité et l’ordre publics.

Comme pour les autres modalités de l’assignation à résidence, les procédures de référé administratif permettront au juge administratif, s’il est saisi, de se prononcer en urgence sur cette disposition.

2.2.2.- Régime spécial des dissolutions administratives des associations et groupements de fait

Le projet de loi introduit une disposition dans la loi relative à l’état d’urgence permettant de dissoudre « les associations et groupements de fait :

- qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent,

- et qui comprennent en leur sein, ou parmi leurs relations habituelles, des personnes à l’encontre desquelles a été prise, sur le fondement de l’article 6, pour des motifs en lien avec les agissements mentionnés à l’alinéa précédent, une mesure d’assignation à résidence. »

La dissolution des associations et groupement de fait est prévue par des dispositions de droit commun (article L.212-1 du code de la sécurité intérieure), en application desquelles :

« Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;

2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

4° Ou dont l'activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;

5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration ;

6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;

7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger.
Le maintien ou la reconstitution d'une association ou d'un groupement dissous en application du présent article, ou l'organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l'organisation d'un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal.
 »

Dans le contexte de l’état d’urgence, la lutte contre des associations ou groupements de fait servant, en droit ou en fait, de base logistique ou de centre de recrutement pour des activités présentant une menace grave pour l’ordre et la sécurité publics prend une acuité toute particulière. Or la rédaction de l’article L.212-1 du code de la sécurité intérieure est d’une restriction toute particulière pour la dissolution des associations ou groupements de fait, compte tenu notamment de la protection constitutionnelle liée à la liberté d’association.

Il apparaît que la difficulté principale, face à une association qui abriterait des dirigeants tendus vers un objectif se traduisant par des menaces graves à l’ordre et à la sécurité publics, est d’imputer à cette association le comportement de quelques-uns de ses membres, quand bien même ils seraient nombreux, ou compteraient parmi les dirigeants de cette structure.

La formulation retenue dans le cadre de l’application de l’état d’urgence permet d’être plus souple, pour retenir la participation de la structure à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités la facilitent ou y incitent. Cette condition se cumule avec la condition exigeant que des membres de cette association aient fait l’objet d’une assignation à résidence ou soient en relation habituelle avec de telles personnes.

Les associations ou groupements visées par une mesure de dissolution prononcée en application de cette disposition ne pourront être maintenues ou reconstituées, l’article 431-15 du code pénal étant rendu applicable (3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende). La mesure ne cesse pas de produire ses effets à la fin de l’état d’urgence.

2.2.3.- Modification du régime contentieux applicable aux mesures administratives prises sur le fondement de la loi relative à l’état d’urgence

L’article 7 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence prévoit que « Toute personne ayant fait l'objet d'une des mesures prises en application de l'article 5 (3°), ou de l'article 6 peut demander le retrait de cette mesure. Sa demande est soumise à une commission consultative comprenant des délégués du conseil départemental désignés par ce dernier.

La composition, le mode de désignation et les conditions de fonctionnement de la commission seront fixés par un décret en Conseil d'Etat.

Les mêmes personnes peuvent former un recours pour excès de pouvoir contre la décision visée à l'alinéa 1er ci-dessus devant le tribunal administratif compétent. Celui-ci devra statuer dans le mois du recours. En cas d'appel, la décision du Conseil d'Etat devra, intervenir dans les trois mois de l'appel.

Faute par les juridictions ci-dessus d'avoir statué dans les délais fixés par l'alinéa précédent, les mesures prises en application de l'article 5 (3°) ou de l'article 6 cesseront de recevoir exécution. »

La loi relative à l’état d’urgence a donc introduit une garantie à la restriction de circulation ou à l’assignation à résidence imposée à une personne par l’autorité administrative, en prévoyant un dispositif de demande de retrait de la mesure, demande soumise à l’examen préalable d’une commission consultative.

Une telle procédure consultative, si elle a pu être considérée comme une garantie au moment de sa conception en 1955, n’a toutefois pas évolué depuis sa rédaction.

Or la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives a créé la procédure du référé-liberté qui permet, en cas d’urgence, de demander au juge administratif de statuer sur les mesures administratives portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (article L. 521-2 du code de justice administrative), dont la liberté d’aller et venir fait partie. Le juge est tenu de statuer dans les quarante-huit heures. La même loi permet au justiciable, en cas d’urgence et de doute sérieux sur la légalité de la décision administrative qu’il attaque, d’en obtenir la suspension (procédure du référé-suspension, prévue à l’article L. 521-1).

Aussi, la disposition spéciale prévue par la loi relative à l’état d’urgence est devenue moins protectrice que le droit commun, compte tenu de l’évolution de celui-ci.

Objectif poursuivi par la loi

Le projet de loi se propose d’unifier le régime contentieux applicable aux décisions administratives prises sous le régime de la loi relative à l’état d’urgence avec le régime de droit commun, qui prévoit notamment un mécanisme de référé-suspension ou de référé-liberté.

Seule la loi permet d’unifier ce régime, qui relève de la partie législative du code de justice administrative pour le droit commun et de la loi de 1955 pour les mesures prises sous l’empire de l’état d’urgence.

Examen de la disposition

Le 5° de l’article 4 du projet de loi prévoit que le dispositif spécial mis en place par la loi de 1955 est supprimé au profit des dispositions du code de justice administrative, notamment celles prévues au livre V du code de justice administrative (procédures de référé-suspension et de référé-liberté).

Cette option doit être regardée comme étant davantage protectrice des libertés que le dispositif existant. En effet, l’ensemble des mesures de la loi est désormais soumise au juge administratif, alors que la loi de 1955 ne mentionnait de voie de recours que pour les demandes de retrait des décisions d’interdiction de séjour dans un département (3° de l’art. 5 de la loi de 1955) ou d’assignation à résidence (art.6 de la loi de 1955). De plus, le recours à un juge remplace l’examen par une commission consultative. Enfin, les délais prévus dans la loi de 1955 sont de un mois pour le tribunal administratif, puis de trois mois en cas d’appel pour le Conseil d’Etat. Or le délai de jugement, s’agissant de la procédure du référé-liberté, est limité à quarante-huit heures, ce qui est un encadrement beaucoup plus protecteur des droits de la personne.

Le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi au contentieux du décret du 8 novembre 2005 instituant l’état d’urgence, a rendu une ordonnance en date du 9 novembre confirmant le décret, en précisant que les mesures décidées dans le cadre de ce régime doivent être assorties des garanties prescrites par la loi. Les décisions d'interdiction de séjour dans un département, prévues par le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, comme les décisions d'assignation à résidence, prises sur le fondement de l'article 6 de cette même loi, doivent ainsi pouvoir faire l'objet de recours gracieux soumis à la consultation d'une commission départementale.

Le Conseil d’Etat s’est fondé sur le texte de la loi de 1955, compte tenu du dispositif ad hoc qu’elle institue, pour y rechercher la nécessaire conciliation, qui est du niveau législatif, entre les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et les nécessités du maintien de l’ordre public.

La solution proposée par le projet de loi simplifie la procédure par la suppression d’une procédure spécifique, permet un niveau de garantie supérieur par l’intervention d’un juge en lieu et place d’une commission consultative, dans un délai beaucoup plus bref que celui prévu par la loi de 1955.

Au-delà des demandes de retrait des mesures prises en application du 3° de l’article 5 et de l’article 6 de la loi de 1955, la disposition étend le contrôle du juge administratif à l’ensemble des mesures administratives prises sur le fondement de la loi de 1955. En particulier, la disposition de l’article 11 de la loi de 1955 relative aux perquisitions administratives sera donc soumise au contrôle du juge administratif, sous la seule réserve de la découverte d’une infraction et du basculement immédiat, dans ce cas, sous le contrôle exclusif de l’autorité judiciaire.

2.2.4.- Aménagement du régime des perquisitions administratives

Cette disposition permet aux préfets d'ordonner des perquisitions, de jour comme de nuit au vu des circonstances exceptionnelles liées à l'état d'urgence.

2.2.4.1.-La perquisition administrative : une mesure à finalité de police administrative

La nature de cette perquisition a fait débat.

Si l’on s’en tient à la genèse des textes, les perquisitions administratives devaient à l'origine être effectuées suivant les modalités définies par les dispositions alors en vigueur de l'article 10 du code d'instruction criminelle conférant au préfet des pouvoirs de police judiciaire, auquel a succédé l'article 30 du code de procédure pénale.

Le Conseil d’Etat a estimé en 2005 que l'abrogation de cet article par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 n'a pas eu pour conséquence de soustraire au contrôle de l'autorité judiciaire l'exercice par le ministre de l'intérieur ou le préfet de missions relevant de la police
judiciaire (Ordonnance, 14 novembre 2005, Rollin n° 28683 rendue par M. Genevois).

Par ailleurs, toute perquisition administrative devient judiciaire dès qu’il apparaît un indice de nature à faire supposer qu’une personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit, se prépare à commettre une infraction ou même est susceptible de fournir des informations utiles à l’enquête en cas de crime ou délit.

Mais si l’on s’en tient à la finalité de cette mesure, elle constitue indéniablement une mesure de police administrative, dès lors que la loi de 1955 vise à élargir les pouvoirs de police administrative des préfets, en certaines circonstances.

En effet, la perquisition administrative (tout comme la mesure de renseignement permettant d’entrer dans un domicile, à laquelle elle s’apparente dans les finalités, et dont le Conseil constitutionnel vient de juger qu’il s’agit de mesures de police administrative (Décision n°2015-713 DC du 23 juillet 2015), n’a pas nécessairement vocation à se conclure par une procédure judiciaire : cela peut être le cas si la perquisition met en évidence des éléments de nature à caractériser une infraction ou la préparation d’une infraction ; mais elle a d’abord pour objet de permettre à l’autorité administrative de réunir des éléments qui, croisés avec d’autres, sont de nature à prévenir un trouble à l’ordre public en fondant l’édiction de mesures de police administrative (interdiction de sortie du territoire, assignation à résidence, dissolutions d’associations…).

Bien qu’elles soient effectuées en présence d’un officier de police judiciaire et donnent lieu à l’information du parquet, les mesures de perquisition n’ont donc pas à être autorisées par un juge judiciaire (cf. décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 : « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » ; ou plus spécialement pour les visites des navires par les agents des douanes décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, Société Wesgate Charles Ltd).

La captation des données informatiques ou contenues dans un téléphone dans le cadre d’une mesure d’une mesure de police administrative, n’entre pas davantage dans le champ de la liberté individuelle, dont l’autorité judiciaire assure le respect.

En effet, les principes d’inviolabilité du domicile privé, du secret des correspondances et de respect de la vie privée, sont protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 et sont rattachés au principe de liberté personnelle, distincte de la liberté individuelle (cf. décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 (cons.4), « Au nombre des libertés constitutionnellement garanties, figurent la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l’autorité judiciaire »).

Le Conseil constitutionnel vient de préciser, s’agissant de la loi sur le renseignement, que ces mesures (y compris l’intrusion domiciliaire) constituent des mesures de police administrative (considérant 20) ne portant pas atteinte à la liberté individuelle (cons. 74) ni, compte tenu de leur encadrement, une atteinte manifestement disproportionnée au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile (cons. 72 et 73).

Ainsi, la perquisition administrative de la loi de 1955 est-elle une mesure de police administrative.

2.2.4.2.- Champ d’application : extension à tous lieux

L’intention du législateur de 1955 était de permettre la perquisition en tout lieu, le domicile étant le lieu le plus protégé. Une lecture actuelle de la loi pourrait sembler limiter les perquisitions au seul domicile. Cette lecture exclurait les véhicules, par exemple, qui ne sont pas des domiciles, même s’ils peuvent en avoir les protections. Le projet de loi prévoit donc de préciser la possibilité de réquisitions à "tous les lieux" afin qu’une lecture stricte de la disposition ne semble pas exclure des lieux au motif qu’ils ne seraient pas mentionnés. 

Toutefois, les lieux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes seront désormais exclus du champ de cette disposition, pour tenir compte du caractère spécifique et protégé de ces activités.

2.2.4.3.- Précisions procédurales

Compte tenu de l’atteinte que les perquisitions portent à la liberté personnelle des personnes qu’elles visent, il est nécessaire de les encadrer précisément. C'est pourquoi le texte prévoit que ce régime d'exception ne pourra être mis en œuvre que "lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".

Les préfets décideront de la mise en œuvre, préciseront les lieux et le moment des perquisitions et veilleront à informer sans délai de leur décision le procureur de la République du lieu de la perquisition.

La procédure a des traits communs avec la procédure prévue par le code de procédure pénale pour les perquisitions judiciaires, aménagée pour que l’autorité ordonnatrice soit une autorité administrative et que la perquisition se déroule dans le cadre de la police administrative, pour la prévention de menaces.

Ainsi, ces perquisitions devront être exécutées en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. La présence d'officiers de police judiciaire permet la constatation d'éventuelles infractions.

Ces mesures ne pourront intervenir et se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.

Ces opérations donneront lieu à l'établissement d'un compte rendu dont les préfets donneront copie sans délai au procureur de la République.

2.2.4.4.- Données informatiques

Le projet de loi prévoit l’accès aux données informatiques accessibles depuis le système informatique présent dans le local perquisitionné ou disponibles pour ce système :

« Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été permis d'accéder dans les conditions prévues par le présent article peuvent être copiées sur tout support. »

Cette rédaction vise les données informatiques telles que celles qui sont présentes dans un ordinateur, celles qui sont accessibles depuis un ordinateur (« nuage »), celles qui sont contenues dans un téléphone…

La copie est prévue, sans que les données présentes dans les ordinateurs, les téléphones ou les fichiers dans des serveurs accessibles depuis un ordinateur ne puissent être effacées. Cette mention dans la loi apparaît nécessaire pour la perquisition de ces systèmes dans le cadre de la loi relative à l’état d’urgence.

En effet, si la notion de « perquisition » en 1955 comprenait sans nul doute l’accès à toutes les informations disponibles au domicile, quel qu’en soit le support (ouverture du courrier, par exemple), il est préférable de préciser et d’actualiser les prérogatives des services, comme cela a été fait par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

2.2.5.- Suppression du contrôle de la presse, des émissions radiophoniques, projections cinématographiques et représentations théâtrales.

La disposition du 2° de l’article 11 de la loi relative à l’état d’urgence permet d’habiliter le ministre de l’intérieur ou les préfets, dans leur département, « à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Pour que cette disposition soit applicable, il est nécessaire que le décret déclarant l’état d’urgence ou la loi le prorogeant le précise, par une disposition expresse.

L’application de ce pouvoir de contrôle étant devenu obsolète, le projet de loi se propose de l’abroger.

2.2.6.- Renforcement des dispositions pénales

Les sanctions pénales pour les violations des dispositions de la loi relative à l’état d’urgence sont directement issues de la loi initiale. Le quantum de peine n’a pas été révisé.

Ainsi, la peine d’emprisonnement est-elle définie « de huit jours à deux mois », tandis que l’amende est « de 11 euros à 3750 euros ».

Le projet de loi adapte les peines encourues aux différentes infractions, de sorte que ces peines demeurent proportionnées à la gravité des infractions commises.

2.2.5.1.- Infractions punies de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende.

Il s'agit du non-respect des règles suivantes:

- interdiction de circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés (1° de l’article 5) ;

- zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé (2° de l’article 5) ;

- interdiction de séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics (3° de l’article 5) ;

- fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boisson et lieux de réunion de toute nature ainsi que l'interdiction de réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre (article 8) ;

- la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories (article 9).

L'article 13 de la loi du 3 avril 1955 prévoyait que ces infractions étaient punies d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de 11 euros à 3.750 euros. Il est plus conforme à la pratique actuelle de fixer un seuil maximal encouru, le juge judiciaire ayant toujours la faculté de prononcer une peine moindre, selon le principe de l’individualisation des peines.

2.2.5.2.- Infraction punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende.

La violation de l’assignation à résidence, qui est une mesure essentielle pour prévenir les menaces pour la sécurité et l’ordre publics (1er alinéa de l’article 6 de la loi relative à l’état d’urgence) sera punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Ces pénalités sont alignées sur la violation de l’assignation à résidence d’un étranger (article L. 624-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), ou encore sur la violation de l’interdiction de sortie du territoire (article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure).

2.2.5.3.- Infractions punies de un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.

Le projet de loi prévoit que le non-respect de :

- l’astreinte à demeurer dans la résidence fixée durant la plage horaire déterminée (deuxième alinéa de l’article 6 de la loi de 1955 telle qu’issue du projet de loi) ;

- l’obligation de pointage, ou de remise de ses documents d’identité (avant-dernier alinéa de la loi de 1955 telle qu’issue du projet de loi) ;

-l’interdiction d’entrer en relation avec des personnes constituant une menace (dernier alinéa de la loi de 1955 telle qu’issue du projet de loi)

soit puni de un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. Ce quantum est inférieur à celui de la violation de l’assignation à résidence.



Partie 3 : Liste des consultations et des textes d’application

3.1.- Consultations obligatoires

Seule la consultation du Conseil d’Etat est obligatoire.

3.2.- Textes d’application

Aucun texte d’application n’est nécessaire pour l’application de la loi.

3.3.- Application outre-mer

Les dispositions modifiant la loi de 1955 sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République française.


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