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Amendements  sur le projet ou la proposition


N
° 2230

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2014

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE POUR L’EXAMEN DU PROJET DE LOI, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188)

TOME III

AUDITIONS

PAR Mme Ericka BAREIGTS, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Sabine BUIS, M. Denis BAUPIN et M. Philippe PLISSON

Députés

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Voir le numéro : 2188.

La Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est composée de M. François Brottes, président ; MM. Julien Aubert, Jean-Yves Caullet, Bertrand Pancher, Mme Béatrice Santais, vice-présidents ; MM. Patrice Carvalho, Daniel Fasquelle, Joël Giraud, Mme Catherine Troallic, secrétaires ; Mmes Ericka Bareigts, Marie-Noëlle Battistel, Sabine Buis, MM. Denis Baupin et Philippe Plisson, rapporteurs ; MM. Damien Abad, Bernard Accoyer, Mme Sylviane Alaux, M. Christian Bataille, Mmes Catherine Beaubatie, Chantal Berthelot, MM. Philippe Bies, Yves Blein, Jean-Luc Bleunven, Christophe Borgel, Christophe Bouillon, Jean-Paul Chanteguet, André Chassaigne, Jean-Michel Clément, Gilbert Collard, Jean-Jacques Cottel, Charles de Courson, Pascal Deguilhem, Mmes Françoise Dubois, Cécile Duflot, MM. Nicolas Dupont-Aignan, Yves Fromion, Mme Geneviève Gaillard, MM. Claude de Ganay, Guy Geoffroy, Jean-Pierre Georges, Jean-Jacques Guillet, Michel Heinrich, Antoine Herth, Patrick Hetzel, Guénhaël Huet, Jacques Kossowski, Jacques Krabal, Mme Bernadette Laclais, MM. Jean Launay, Jean-Luc Laurent, Alain Leboeuf, Mme Anne-Yvonne Le Dain, MM. Jean-Yves Le Déaut, Serge Letchimy, Victorin Lurel, Hervé Mariton, Patrice Martin-Lalande, Mme Frédérique Massat, M. Rémi Pauvros, Mmes Josette Pons, Émilienne Poumirol, MM. Patrice Prat, Franck Reynier, Mme Sophie Rohfritsch, MM. Martial Saddier, Michel Sordi, Éric Straumann, Lionel Tardy, Jean-Marie Tetart, Stéphane Travert, Jean-Paul Tuaiva et Mme Clotilde Valter.

SOMMAIRE

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Pages

1. Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte 5

2. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie, accompagné de M. Stéphane Mialot, M. Frédéric Blanc, juriste à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir, M. Dominique Marmier, président de Famille rurales, accompagnées de Mme Nadia Ziane 31

3. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, Mme Laure Hézard et M. Jean Jouzel, rapporteurs 53

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME 63

5. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables et de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité 73

6. Audition ouverte à la presse de M. Pierre Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire et de M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). 83

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). 98

8. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. 111

9. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Guillaume de Bodard, président de la Commission environnement et développement durable de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). 121

10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la DG énergie de la Commission européenne. 140

11. Présentation, ouverte à la presse, commune avec la Commission des affaires économiques, du rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer (Mme Ericka Bareigts et M. Daniel Fasquelle, rapporteurs) 150

12. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean-Jack Queyranne, président de la commission « Développement durable, environnement » de l’Association des régions de France (ARF), Mme Frédérique Massat, députée, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), M. Philippe Angotti, représentant de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), M. Martial Saddier, député, représentant de l’Association des maires de France (AMF), M. Jean Révéreault, représentant de l’Association des communautés de France (AdCF), M. Bruno Sido, sénateur, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France (ADF), Mme Hélène Geoffroy, députée, vice-présidente de la communauté urbaine du Grand Lyon, en charge de l’énergie, et M. Christophe Porquier, représentant de l’ARF. 164

13. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT, M. Dominique Olivier, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), accompagné de M. François Delatronchette, et M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO) 181

14. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de avec la participation de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Mme Marie Castelli, secrétaire générale de AVERE France, M. Jean-Christophe Béziat, directeur des relations institutionnelles pour l’Innovation, l’environnement et la mobilité de Renault et M. Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy 204

15. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Matthieu Orphelin, conseiller spécial et porte-parole sur la transition énergétique de la Fondation Nicolas Hulot, Mme Maryse Arditi, responsable énergie de France nature environnement (FNE), Mme Lorelei Limousin, chargée de mission transports de Réseau Action Climat, M. Marc Jedliczka de CLER-Réseau pour la transition énergétique, et M. Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de Greenpeace 220

16. Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez 245

17. Audition, ouverte à la presse, de M. Henri Proglio, président-directeur général d’Électricité de France (EDF) 258

18. Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président de RTE, et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz 274

19. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF ; de Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF ; de Mme Denise Saint-Pé, seconde vice-présidente déléguée de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ; de M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics des organismes constitués par les collectivités locales ou avec leur participation (ANROC) ; et de M. Sylvain Waserman, directeur général de Réseau Gaz Distribution Services (GDS) et vice-président du syndicat professionnel des entreprises gazières non nationalisées (SPEGNN) 290

1. Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

(Séance du mardi 9 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Nous accueillons aujourd’hui Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui vient nous présenter le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Nous avions posé cette date dans l’agenda de Mme la ministre avant même que la décision de créer une commission spéciale ne soit prise. Il semblait logique que la Commission des affaires économiques et la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire puissent auditionner ensemble Mme la ministre. C’est pourquoi cette audition réunit à la fois les deux commissions permanentes et la Commission spéciale.

Je remercie Mme Ségolène Royal d’être à nos côtés et de prendre le temps de répondre largement aux questions qui seront posées. La Commission spéciale, que j’ai l’honneur de présider, a été installée ; les rapporteurs ont été désignés. L’opposition a regretté de ne pas avoir de rapporteurs, et, pour en avoir éprouvé de similaires lorsque j’étais dans l’opposition, je peux comprendre ces regrets. Le bureau est installé. Monsieur Chassaigne, nous avons nommé un secrétaire du groupe GDR qui, je l’espère, sera de temps en temps avec nous, si je puis me permettre cette remarque.

Avant de vous laisser le soin de faire une présentation du texte, madame la ministre, je vais donner la parole à M. Jean-Paul Chanteguet, le président de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Je remercie Mme la ministre de sa présence et je me réjouis de la mise en place de la commission spéciale pour un texte dont personne ne pourra contester la transversalité. En votre nom à tous, je félicite François Brottes, le président de cette Commission spéciale. Le format est tout à fait original – deux commissions et une commission spéciale – mais l’affluence montre l’intérêt que vous portez à ce sujet et à ce projet de loi.

M. le président François Brottes. Madame la ministre, vous êtes la bienvenue pour nous présenter ce texte tant attendu.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, monsieur le président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureuse de vous présenter le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, qui a été transmis à votre assemblée le 30 juillet dernier.

La présente audition marque le début de l'examen et de la discussion parlementaires, par votre Commission spéciale puis en séance publique, d'un texte très attendu et qui ouvre un nouveau chapitre de l'histoire énergétique de notre pays, tout en apportant – et c’est mon souci principal – des réponses concrètes en matière de création d’emplois sur les territoires dont vous êtes les élus et que vous pouvez engager avec détermination dans la croissance verte.

J'attends beaucoup de vos travaux et de nos débats pour éclairer les enjeux et enrichir le texte qui vous est soumis mais aussi pour que le pays tout entier soit encouragé à se mettre en mouvement et réussisse cette mutation énergétique qui n'est pas une contrainte mais une chance à saisir.

C’est une chance de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de contribuer activement à la lutte contre le dérèglement climatique. C’est une chance de mieux assurer notre indépendance et notre souveraineté énergétiques en préparant l'après pétrole et en réduisant le coût d'importations qui grèvent lourdement notre balance commerciale. C’est une chance de stimuler l'innovation pour laquelle nous ne manquons pas de talents, d'améliorer la compétitivité de nos entreprises et de développer des filières d'avenir taillées pour la compétition internationale et capables d’y conquérir de nouveaux marchés. C’est une chance de créer des emplois non délocalisables, d'alléger la facture énergétique des ménages qui y gagneront du pouvoir d'achat, et de mieux protéger la santé publique.

Je vous le dis comme je le pense : la croissance verte dans laquelle ce projet de loi vise à engager la France est le levier de sortie de crise le plus efficace et le plus rapide si toutes les forces vives du pays – citoyens, entreprises, territoires – se mobilisent ensemble, notamment pour déclencher rapidement des commandes dans les métiers des travaux publics et du bâtiment.

À plusieurs reprises depuis un siècle, les grands choix énergétiques de la France ont été les moteurs de sa modernisation qu'ont scandés quelques grandes lois fondatrices. Ce fut le cas en 1919 pour réparer les ravages de la première guerre mondiale, avec la loi sur l'énergie hydraulique, cette houille blanche comme on disait alors, qui reste aujourd'hui encore la première de nos énergies renouvelables.

Ce fut le cas à la Libération quand le pays était à reconstruire au sortir de la deuxième guerre mondiale : le Conseil national de la Résistance avait fait de l'énergie la clef d'un nouveau développement économique et du rétablissement de notre souveraineté nationale. Les lois de 1946 en prirent les moyens, dans le contexte de l'époque, en créant de puissantes entreprises nationales pour le charbon, le gaz et l'électricité.

Plus tard, quand le premier choc pétrolier révéla la vulnérabilité découlant de notre dépendance aux énergies fossiles, la France lança un programme nucléaire d'une rapidité et d'une ampleur inégalées dans le monde mais sans que, cette fois-là, le Parlement ne soit appelé à se prononcer.

Si différentes que soient les circonstances du temps présent, les opportunités qu'elles offrent et les choix qu'elles appellent, une chose est sûre : le volontarisme énergétique est nécessaire pour que la France redéfinisse, avec vous qui représentez la souveraineté nationale, son nouveau modèle énergétique.

Durant les dernières décennies, le Parlement a souvent légiféré sur les questions d'énergie – votre président a d’ailleurs été à l’origine de nombreux textes – et il a de plus en plus intégré, au-delà de ces constantes que sont la sécurisation de nos approvisionnements et la couverture de nos besoins, la dimension environnementale qui en est désormais indissociable en même temps qu'elle représente un formidable gisement d'activités nouvelles et d'emplois durables.

Permettez-moi, avant de vous présenter les grands axes de ce texte, de saluer le travail de tous mes prédécesseurs, quelle que soit leur sensibilité politique, car je crois qu’il s’agit d’un travail au long cours.

Je tiens à souligner que le projet dont vous êtes saisis s'est très directement inspiré de nombreuses expériences réussies dont les territoires ont pris l'initiative et que la loi va permettre, par les simplifications et les moyens opérationnels qu'elle met en place, d'étendre à tout le pays. Vous qui êtes des élus de terrain, vous savez que les territoires sont souvent en avance sur les modèles nationaux. Je me suis inspirée de ces réalisations d’avant-garde en les intégrant dans le projet de loi afin de permettre leur généralisation.

Ce texte est aussi l'aboutissement d'un dialogue renforcé avec tous les acteurs de la mutation énergétique et de la croissance verte : les associations, les entreprises, les scientifiques, les élus locaux et régionaux, les organismes consultatifs et, bien évidemment, les parlementaires qui ont déjà effectué de nombreux travaux.

Je suis très attachée à l'établissement de diagnostics partagés et à une démarche de co-construction de la loi qui permet de confronter et de rapprocher les points de vue, qui privilégie, sans gommer les différences d'approche et dans le respect de chacun, ce qui permet de fédérer, de coopérer, de se mettre ensemble en mouvement au service de nos concitoyens.

Le projet de loi a également intégré des recommandations du Conseil national de la transition écologique concernant, par exemple, la part des véhicules propres dans le parc automobile de l'État et de ses établissements publics, et a fixé un objectif intermédiaire d'efficacité énergétique en 2030. Puis, après mon audition par le Conseil économique, social et environnemental, j’ai ajouté l’objectif de division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre en 2050, le fameux « facteur 4 » recommandé par Jean Jouzel, et j’ai renforcé la lutte contre la précarité énergétique.

Cinq mois de travail intense avec toutes les parties prenantes ont nourri le texte dont vous êtes saisis. Au terme d’une assemblée générale qui a duré plus de dix heures, le Conseil d'État a validé beaucoup des innovations conceptuelles et pratiques de ce projet.

Nous en arrivons à l’étape la plus importante : le moment où la représentation populaire va s’exprimer et se saisir de ce texte. La co-construction étant vitale, je serai vigilante et attentive à toutes les améliorations que vous pourrez apporter à ce dispositif législatif et à ce nouveau modèle énergétique.

Je n'évoquerai que brièvement les principaux axes du texte qui vous est soumis, m’en tenant aux grands principes, puisque nous aurons l'occasion de les détailler à la faveur de l'examen des amendements.

Le premier axe fixe un cap, une ambition de long terme et des objectifs intermédiaires qui donnent un horizon stable pour agir dès maintenant. Premièrement, il s’agit de réduire de moitié notre consommation d'énergie à l'horizon 2050 par rapport à 2012, de baisser la consommation d'énergies fossiles de 30 % et de porter le rythme annuel de baisse de l'intensité à 2,5 % d'ici à 2030. Deuxièmement, nous voulons réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et les diviser par quatre en 2050 par rapport à 1990. Troisièmement, nous prévoyons de rééquilibrer et de diversifier notre modèle énergétique en portant la part des énergies renouvelables au tiers de l'énergie produite en 2030 et en fixant la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025.

Le deuxième axe porte sur l’efficacité énergétique dans tous les secteurs, en particulier celui du bâtiment. Le grand chantier de la rénovation énergétique des bâtiments est source de créations d'emplois dans un secteur fragilisé et de pouvoir d'achat pour les ménages : dans un logement bien isolé, les factures baissent. Il s’attache aussi à la promotion des bâtiments à énergie positive ou à l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments chaque fois que d'importants travaux de transformation sont réalisés. Il traite également du développement des transports propres – véhicules individuels et transports collectifs électriques ou hybrides rechargeables –, du déploiement sur tout le territoire des bornes de recharge, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la grande distribution, du développement du covoiturage, etc.

Dans ce domaine de l’efficacité énergétique, nous abordons le développement de territoires « zéro déchets » et l'économie circulaire, avec l’écoconception des produits et la transformation des déchets en matières premières afin d’économiser les ressources en général et l'énergie en particulier. Le texte généralise l'interdiction de la discrimination à l'encontre des matières issues du recyclage et fixe un objectif de réduction de 50 % des quantités de déchets mis en décharge à l'horizon 2025.

Troisième axe : la montée en puissance des énergies renouvelables, terrestres et maritimes dans l'Hexagone ainsi que dans les Outre-mer où elles permettent une autonomie énergétique adaptée à l'insularité et à la situation des zones non interconnectées.

Toutes les ressources de nos territoires – l’hydraulique, l’éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie ou les énergies marines – doivent être valorisées pour réaliser à court terme 200 territoires à énergie positive et 1 500 méthaniseurs en milieu rural, afin de développer des filières industrielles innovantes et compétitives et de mobiliser tous les territoires dans le cadre des contrats locaux de la transition énergétique.

Cela suppose une simplification des procédures, un encouragement du financement participatif, une rénovation du cadre législatif de l’hydroélectricité grâce à la création de sociétés d'économie mixte qui permettront de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des concessions et de renforcer le contrôle public sur ce patrimoine commun des Français. Enfin, il est nécessaire de moderniser le soutien financier au développement des énergies renouvelables afin d'accélérer le mouvement et de changer d'échelle.

Quatrième axe : le texte permet au Parlement de jouer pleinement son rôle en matière de définition et de conduite de notre politique énergétique. Il renforce la transparence et l'information des citoyens sur les coûts et les tarifs de l'énergie ainsi que sur la sûreté nucléaire ; il met en place les conditions d'une nouvelle citoyenneté énergétique ; il prévoit le déploiement des compteurs intelligents ; il va fournir aux citoyens de nouveaux outils de connaissance, de maîtrise et de pilotage de leurs consommations énergétique.

Ce texte définit aussi un mix énergétique équilibré et met en place les moyens de l’atteindre. Il crée de nouveaux instruments de planification à l'échelle nationale et locale : stratégie bas carbone, programmation pluriannuelle de l'énergie.

Enfin, il reconnaît la spécificité et le potentiel des Outre-mer qui sont autant d'atouts pour que les territoires ultramarins deviennent des précurseurs de la transition énergétique et puissent innover grâce aux habilitations données par le projet de loi. C'est là une dimension importante du changement de modèle dont la croissance verte est le moteur : pour les Outre-mer, il ne s'agit plus de rattraper mais, au contraire, d’anticiper et même de devancer cette transition énergétique.

Le projet de loi qui vous est soumis comporte plusieurs innovations que nous examinerons en détail : la consécration, pour la première fois dans notre droit positif ainsi que l'a validé le Conseil d'État, des notions de croissance verte, de territoires à énergie positive et d'économie circulaire ; la possibilité d’expérimentations dans les domaines des boucles locales, de la production décentralisée d'énergie ou de l'autoconsommation.

Ce texte comporte donc bien des mesures qui sont des leviers d'innovation technologique, de dynamisation de notre tissu industriel et de création d'emplois non délocalisables qui impliquent une montée en qualification et des plans de formation professionnelle. Il assure aussi la compétitivité des entreprises électro-intensives. Il est facteur de solidarité avec le remplacement des tarifs sociaux par un chèque énergie plus efficace, plus juste et bénéficiant à toutes les sources d'énergie.

Au lieu de contraindre ou d’accabler par des normes supplémentaires, il fait le choix d'entraîner et de mobiliser, de donner à chaque acteur potentiel de la croissance verte les moyens de s’impliquer et de coopérer avec d’autres.

Il est accompagné de moyens financiers adaptés et accessibles à tous : le crédit d'impôt transition énergétique – 30 % du montant des travaux jusqu'à 8 000 euros pour une personne seule et 16 000 euros pour un couple – dont la création vous sera soumise dans le cadre du projet de loi de finances ; la relance des prêts à taux zéro – 100 000 prêts devraient être octroyés – dès lors que les banques ont été déchargées, par un décret que j’ai signé récemment, de leur rôle de contrôle technique qui en limitait l'octroi ; les prêts « transition énergétique et croissance verte » de la Caisse des dépôts pour financer les projets des collectivités territoriales à un taux très avantageux, remboursables sur vingt à quarante ans et qui pourront atteindre jusqu'à 5 millions d'euros de travaux par opération sans autofinancement initial ; des interventions de la Banque publique d’investissement et de la Banque européenne d'investissement ; dans le cadre des contrats de plan État-régions, le financement par l'État du volet mobilité multimodale puisque le Gouvernement s’est engagé à débloquer 950 millions d'euros par an sur la période 2015-2020, ce qui permettra avec le cofinancement des régions, un total de travaux de 3 milliards d'euros pour nos entreprises de travaux publics.

Certaines de ces dispositions viennent d'être mises en place dans le cadre des plans d'action que j'ai lancés pour accélérer dès maintenant le tournant vers la croissance verte. D'autres sont en cours de finalisation dans le cadre de la Conférence bancaire et financière : le mécanisme de tiers financement ; la création d'un Fonds de financement de la transition énergétique, doté de 1,5 milliard d'euros, pour soutenir notamment la conversion des véhicules polluants ainsi que le développement de la méthanisation, de la chaleur renouvelable, de l'économie circulaire et des travaux d’isolation sur les bâtiments à énergie positive.

Toutes ces décisions visent à lever les freins et à libérer des initiatives économiques pour atteindre les objectifs que fixera la loi.

Je voudrais, pour conclure, souligner deux points essentiels. Le texte que vous allez examiner fait le choix de ne pas opposer les énergies les unes aux autres mais il organise leur complémentarité dans la perspective dynamique d'un nouvel équilibre énergétique qui comprend des objectifs à court, moyen et long termes. C'est ainsi, je le crois, que nous pourrons engager le pays dans cette mutation irréversible. C’est le moment de le faire avec détermination car les esprits et les mentalités ont beaucoup évolué.

La France a les moyens d’être exemplaire sur le plan de l’efficacité énergétique et, de ce fait, de reprendre son avenir en main. Cette politique par la preuve est prête à se développer à l'échelle du pays et dans chacun des territoires dont vous êtes les élus. D’ailleurs, certains territoires sont déjà engagés dans cette transition énergétique et ont déjà réalisé beaucoup de choses.

Quelles que soient les différences de nos mix énergétiques au niveau européen, qui résultent de l'histoire particulière de chaque pays, nous devons être une force d'entraînement en investissant dans l'efficacité énergétique, dans la constitution de filières d'excellence bas carbone, dans les réseaux intelligents, dans le stockage de l'énergie, dans l'électro-mobilité, dans les biocarburants de deuxième génération, dans les villes « zéro déchets », etc. Le champ d’innovation et d’action est aussi vaste que passionnant.

La France peut se doter de la législation la plus avancée en Europe car, à ce jour, la seule à intégrer toutes les dimensions de la transition énergétique et de la croissance verte. Elle sera ainsi mieux à même d'assumer les responsabilités internationales qui lui incombent en tant que pays hôte de la conférence Paris Climat 2015.

Dans les territoires dont vous êtes les élus, vous pouvez observer que le mouvement est lancé. Il mobilise de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire. Les entreprises, quelle que soit leur taille, attendent que le Parlement donne le coup d’envoi de cette transition énergétique qui donnera du travail. À vous, mesdames et messieurs les députés, de donner le signal, de fixer le cadre et d’enrichir le projet de loi que j’ai le plaisir de vous présenter pour déployer des actions concrètes au bénéfice de tous les Français. Dans vos circonscriptions, vous pouvez être à l’avant-garde de ce mouvement et devenir rapidement créateurs des emplois d’aujourd’hui et de demain.

J'ai travaillé avec beaucoup d'entre vous pour la préparation de ce texte et je vous remercie de votre engagement. Je suis et je resterai à votre écoute, convaincue que nous pouvons encore améliorer ce projet de loi et faire en sorte que sa discussion donne lieu à un beau débat de société qui dépasse les clivages politiques, à la fois dans le cadre de votre Commission et en séance publique.

Je souhaite qu'à l'issue de vos travaux nous puissions avoir la fierté de l'œuvre législative accomplie et la conviction d'avoir donné au pays une avance majeure, les moyens de relever les défis énergétiques, écologiques et de santé publique et de créer les emplois d'aujourd'hui et de demain.

M. le président François Brottes. Merci, madame la ministre, pour la concision et la force de ce propos liminaire. Une fois que les représentants des groupes et les rapporteurs se seront exprimés, je donnerai la parole aux inscrits qui sont, pour l’instant, au nombre de quarante et un.

M. Christophe Bouillon. Tout d’abord, je souhaite féliciter l’ensemble des architectes de ce projet de loi relatif à la transition énergétique, en commençant par les collègues qui nous ont précédés et sous l’égide desquels ce projet de loi a été initié.

Je souhaite aussi saluer les parties prenantes qui se sont investies dans le débat national sur la transition énergétique : les entreprises, les collectivités, les associations et les parlementaires mais aussi les citoyens qui se sont saisis du débat, notamment dans les régions.

Votre volonté et votre détermination viennent de loin, d’une époque où les architectes n’étaient pas légion. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui est l’un de ceux qui marqueront, à coup sûr, la législature : ambitieux mais réaliste, il fera de la France l’un des pays les plus engagés dans la voie de la transition énergétique pour une croissance verte. Il fait rimer protection de l’environnement et développement de l’emploi non délocalisable. Il permet de lutter à la fois contre le réchauffement climatique et la précarité énergétique ; il préservera notre planète comme le pouvoir d’achat des Français ; il est bon pour l’environnement, pour l’emploi et le porte-monnaie.

Sa présentation intervient dans le contexte particulier que vous avez rappelé : la France est actuellement trop dépendante des énergies fossiles qui représentent 70 % de notre consommation finale, ce qui engendre un déficit de notre facture énergétique de 70 milliards d’euros, imputable pour les trois quarts aux produits pétroliers. Fortement importatrice, la France ne maîtrise ni l’évolution des prix ni la sécurité d’approvisionnement. Les énergies fossiles rejettent massivement les gaz à effet de serre et, par ailleurs, les ressources fossiles ne sont pas infinies.

La France s’est donné des objectifs très ambitieux en matière de réduction de ces émissions de gaz à effet de serre, et elle a pris des engagements aux niveaux européen et international. Le Président de la République a également pris des engagements forts lors des conférences environnementales de 2013 et 2014 dans les domaines de la rénovation thermique, des énergies renouvelables et des transports, qui ont été rappelés par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. L’an prochain, la conférence sur le climat aura lieu à Paris, ce qui permettra à la France, souhaitons-le, d’être exemplaire en la matière.

Avec ce texte qui fixe des objectifs et des mesures clefs, la France souhaite devenir un pays d’excellence environnementale et énergétique. Il s’agit d’économiser l’énergie, de favoriser la sobriété et l’efficacité, de diversifier les sources d’approvisionnement et les modes de production d’électricité, d’associer les citoyens, les entreprises et les territoires, de faire une large place à la recherche et à l’innovation, d’assurer la transparence et l’information de tous, notamment sur le coût de l’énergie, et de développer la recherche dans les réseaux intelligents, le stockage et l’hydrogène. Ce sont autant de leviers essentiels sur lesquels la France peut s’appuyer pour atteindre ses objectifs.

Madame la ministre, je voudrais recueillir votre opinion sur deux sujets qui me tiennent particulièrement à cœur : le mécanisme de tiers financement et l’économie circulaire.

Le mécanisme de tiers financement étant un formidable levier pour la rénovation énergétique des bâtiments, que pensez-vous de la possibilité de création de sociétés d’économie mixte, permettant d’associer plusieurs collectivités locales autour de ces objectifs ? Le cas échéant, souhaiteriez-vous que leur gouvernance permette un équilibre géographique dans la répartition des financements, afin de ne pas laisser de côté le monde rural et périurbain s’agissant de la rénovation thermique ?

Quant à l’économie circulaire, sa définition dans la loi représente une véritable avancée, de même que la réaffirmation du principe de traitement des déchets au plus près de leur lieu de production est une très bonne chose. Avec ces dispositions nous rejoignons des pays comme l’Allemagne, le Japon ou la Chine qui ont déjà adopté des lois-cadres sur l’économie circulaire. Le projet de loi traite essentiellement de la question des déchets. Aussi, madame la ministre, souhaitais-je avoir votre vision du développement de l’économie de fonctionnalité qui est a prouvé, notamment par le biais des services de location de vélos ou de véhicules électriques, toute son attractivité.

M. Julien Aubert. Madame la ministre, vous nous présentez enfin ce texte sur la transition énergétique sur lequel ont travaillé plusieurs de vos prédécesseurs, qui a été intitulé de diverses manières et fait l’objet de plusieurs versions. En introduction, au nom du groupe UMP, je voudrais signaler que la longueur de sa préparation contraste avec les mauvaises conditions dans lesquelles le Parlement va l’examiner : procédure accélérée, délais très courts pour effectuer les auditions en Commission spéciale. Comme nous attendions ce texte depuis plusieurs mois, nous n’en étions plus à une semaine près car il faut prendre le temps d’en discuter sereinement.

Vous affichez votre souhait d’une démarche de co-construction, ce que je comprends. Nous avons deux possibilités : un débat politicien clanique opposant la droite à la gauche qui s’achèvera par la victoire politique d’une majorité sur une minorité et par un texte qui sera le reflet de vos équilibres internes mais ne répondra pas à l’intérêt du pays ; la volonté de trouver un consensus dans l’intérêt de la France et des Français.

Pour vous prendre au mot, madame la ministre, l’UMP a sérieusement préparé ce texte. Notre groupe a longuement travaillé dans le cadre d’un autre débat sur la transition énergétique qui a réuni, pendant près de six mois, une centaine de participants venus de tous les secteurs économiques, des associations, des think tanks, pour arriver à un corpus idéologique qui vous est transmis sous la forme d’une synthèse d’une cinquantaine de pages où sont formulées une dizaine de propositions.

Si vous souhaitez le consensus, nous avons trouvé dans votre texte des points de rapprochement, ce dont nous nous réjouissons, mais aussi des lacunes et des divergences. Je souhaitais appeler votre attention sur quelques-unes de nos propositions qui vise à dégager une véritable stratégie énergétique alors que ce texte embrasse beaucoup de choses puisqu’il prévoit aussi bien le pourcentage d’énergie nucléaire dans la production énergétique en France que l’instauration d’amendes pour le retrait des filtres à particules.

Premièrement, nous proposons d’inclure dans la loi un objectif contraignant : zéro charbon dans cinq ans, c'est-à-dire interdire le recours à l’énergie rouge, la plus polluante avant 2020. Le mot hydrocarbure apparaît trop peu dans ce texte, madame la ministre. Quel est votre avis sur cet objectif ?

Notre deuxième proposition porte sur un point majeur de désaccord : la capacité nucléaire de la France. Vous faites une erreur magistrale en voulant limiter la capacité nucléaire de la France, comme le démontre l’exemple allemand. En optant pour les énergies vertes et la limitation du nucléaire, l’Allemagne a obtenu l’inverse de l’effet recherché, c'est-à-dire une augmentation des émissions de CO2. Par conséquent, nous proposons d’acter la stabilité du potentiel de nos filières d’exportation d’énergie nucléaire, afin de conserver un atout majeur dans la mondialisation : la capacité de la France d’exporter son savoir-faire.

Troisièmement, nous voulons dépasser la guerre du schiste, en distinguant gaz de schiste et pétrole de schiste pour faire de ce dernier une énergie de transition potentielle. Le Parlement peut décider d’exploiter le pétrole de schiste avec des moyens respectant l’environnement et d’en reverser intégralement le revenu à un fonds pour les énergies vertes, de manière à financer la transition énergétique.

Quatrièmement, dans l’habitat où la consommation d’énergies fossiles reste importante, l’idée serait de coupler les mécanismes d’incitation fiscale – un bonus énergétique sur la taxe foncière – avec un système crédible et neutre de diagnostic énergétique – un service public labellisé et rattaché au ministère des finances, par exemple – de manière à simplifier le choix des citoyens et à alléger le contrôle fiscal.

Cinquièmement, nous proposons de réorganiser en la simplifiant la gouvernance publique de la transition énergétique en créant un Commissariat à la transition énergétique rattaché au Premier ministre et en désignant, dans chaque département, un sous-préfet qui serait l’interlocuteur du secteur.

Outre ces cinq propositions, nous vous soumettons une question portant sur le financement des mesures, grand absent de ce texte : comment allez-vous lever des fonds pour financer cette transition énergétique ?

M. Bertrand Pancher. Madame la ministre, vous avez beaucoup de chance que les parlementaires du groupe UDI ne s’en tiennent pas à une position politicienne et ne décident pas de rejeter ce texte en bloc tant ils sont en colère depuis des mois face à l’absence de politique environnementale du Gouvernement.

Tous les piliers de l’économie verte ont été minutieusement sapés au cours des dernières années. Dans le secteur de l’habitat, grand consommateur d’énergie, seulement 160 000 logements anciens sont en cours de rénovation alors que le Président de la République, avec le soutien de toutes les grandes organisations environnementales, s’était engagé sur un chiffre d’au moins 500 000 par an. Dans le domaine des transports, nous ne construisons pratiquement plus aucune infrastructure nouvelle et les appels à projet sont repoussés faute de financement. Quant aux énergies renouvelables, elles ont longtemps suscité des débats animés dans cette salle mais nous constatons peu de construction d’éoliennes et un retard de tous les projets. Ne parlons pas du photovoltaïque qui se résume à néant.

Pourquoi avez-vous fait cela alors que tous les acteurs du Grenelle de l’environnement vous tendaient sur un plateau les méthodes de mise en œuvre des stratégies en matière d’économie verte ? Il est vrai que vous commencez à vous rendre compte de l’intérêt de soutenir certaines démarches – le plan logement qui est engagé n’est pas dénué de bon sens – mais que de retard ! Dans le domaine des transports, vos positions sont incompréhensibles, madame la ministre, plus que celles du Gouvernement. À défaut de pouvoir tenir le pourcentage de 23 % d’énergies renouvelables en 2020, vous vous engagez sur de grands objectifs pour 2030, 2040 ou 2050. C’est bien, mais nous souhaitions déjà savoir comment nous pouvions atteindre nos objectifs de court terme.

Notre colère est aussi due aux conditions d’examen de ce texte. Nous n’avons jamais vu cela ! Il est urgent d’examiner ce texte, prétendez-vous, alors que le Président de la République l’annonçait il y a déjà plus de deux ans. Nous devions analyser ce projet et vous nous présentez, dans le courant du mois d’août, un texte dont les versions ont continuellement changé. Nous n’aurons même pas le temps d’auditionner toutes les organisations environnementales. L’une d’elles vient de me soumettre plein d’idées intéressantes qu’elle n’a pas le temps de présenter sous forme d’amendement. Nous n’en avons pas le temps non plus puisque nous devons examiner le projet dans quelques jours.

Nous allons quand même travailler sérieusement sur ce texte qui contient des propositions intelligentes, issues notamment de la société civile. Avait-on besoin d’une nouvelle loi ? Pourquoi pas. Nous ferons part de nos réflexions dans le courant des débats sur certains domaines et sur des objectifs d’autant plus généreux qu’ils sont fixés à long terme. Les objectifs en matière de rénovation thermique sont certes intéressants, mais que de yo-yo sur le plan fiscal, sans parler d’être sûrs d’obtenir les moyens promis. Nous avons été tellement échaudés, madame la ministre ! Nous reviendrons aussi sur les objectifs intéressants concernant l’économie circulaire et sur les dangers des énergies renouvelables.

Je vous soumets quatre questions. Est-il possible de tenir les objectifs intermédiaires ? Comment avoir des garanties de pérennité financière ? Quels sont les objectifs en termes de fiscalité carbone ? Mes amis d’outre-mer ici présents m’en voudraient de ne pas parler la contribution au service public de l'électricité, et des mécanismes prévus pour les DOM-TOM.

Mme Cécile Duflot. Pour le groupe écologiste, l’examen de cette loi est un moment très important. Dans notre pays, les questions d’énergie ont trop longtemps été privatisées alors qu’elles supposent des choix démocratiques, ce qui nous a fait prendre du retard. Grâce aux débats conduits par vos prédécesseurs, dont Delphine Batho ici présente que je salue, l’opinion a pu prendre conscience de cet enjeu de la transition énergétique.

Nous serons attentifs au travail sur ce texte, tout en étant les premiers soutiens d’une loi innovante et marquant la volonté d’organiser cette transition énergétique dans notre pays. Si l’énergie est une richesse, elle est aussi pour tous nos concitoyens un bien de première nécessité dont le coût s’accroît avec la raréfaction des ressources. La précarité énergétique touche de plus en plus de ménages français : d’une part, il est difficile d’évaluer le nombre de personnes qui ne vivent pas dans le confort qu’ils pourraient souhaiter du fait du coût de l’énergie ; d’autre part, se pose la question des transports, de l’éloignement des lieux de travail et de domicile.

L’accès de tous à l’énergie dans des conditions socialement et économiquement acceptables représente un élément décisif de notre analyse du projet de loi, qui va bien au-delà de la seule dimension environnementale même si celle-ci est essentielle. Comme en témoigne le rapport de M. Jouzel sur les conséquences du dérèglement climatique sur l’ensemble du territoire français, madame la ministre, cette question de la préservation des ressources naturelles, de l’adaptation aux dérèglements et de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est absolument centrale.

Certaines dispositions comme le chèque énergie et les alternatives en matière de transport sont très intéressantes, mais je voudrais rappeler les positions du groupe écologiste sur les grandes questions énergétiques. Alors que la France était pionnière dans le domaine de l’énergie solaire dans les années 1970, il a été décidé, sans débat, d’abandonner ce développement pour faire le choix exclusif du nucléaire.

Votre projet de loi prévoit de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’énergie électrique mais nous devons aller plus loin et opter de manière résolue en faveur des énergies de l’avenir : les énergies renouvelables. Les écologistes plaident pour la sortie du nucléaire qui s’imposera de toute façon en raison d’une raréfaction de la ressource et du renchérissement du coût d’exploitation des centrales. Nous voulons anticiper pour que la France ne prenne pas de retard dans le développement des énergies renouvelables. C’est pourquoi, au-delà du projet de loi auquel nous accorderons toute notre attention, l’investissement en France et en Europe nous apparaît comme un enjeu décisif.

Madame la ministre, vous pourrez compter sur l’énergie, l’enthousiasme et la détermination du groupe écologiste pour que ce projet de loi porte une ambition collective et démocratique : conduire notre pays vers l’avenir.

M. le président François Brottes. Permettez-moi d’avoir une petite pensée pour l’hydraulique qui a aussi donné lieu à de grands chantiers durant les années 1970.

M. Joël Giraud. Madame la ministre, j’ai également apprécié ces neuf mois de débat au sein du Conseil national de la transition écologique, créé en août 2013. Ce travail entre des gens aux positions parfois antagonistes a pu engendrer des débats douloureux et polémiques, mais la participation des acteurs socioprofessionnels et des corps intermédiaires peut permettre d’aboutir à un projet de loi efficace et pragmatique.

Le groupe RRDP approuve les grandes lignes du projet de loi sur le nucléaire et la décarbonation de l’énergie ainsi que l’adoption de mesures concrètes pour faire face aux changements climatiques et à la réduction de la facture énergétique. Mais si tous ces objectifs chiffrés sont ambitieux, volontaristes et nécessaires, notre expérience nous incite à faire preuve d’une certaine méfiance s’agissant des horizons de long, moyen et même de court terme.

Comment allons-nous surveiller concrètement les évolutions et comment pourrons-nous ajuster les mesures pour se rapprocher des trajectoires prévues ? Nous devons améliorer le texte sur ce point et travailler, par exemple, sur la collecte des données.

D’autres sujets méritent des précisions et des améliorations. Nous sommes heureux de l’inscription dans la loi du concept de territoires à énergie positive et nous voulons encourager toutes les initiatives en ce sens. Cependant, les mesures prévues nous semblent insuffisantes pour se traduire par un grand succès sur le terrain.

La rénovation des bâtiments en vue d’économiser l’énergie suppose des moyens colossaux alors que les contraintes financières devraient nous inciter à un peu de prudence. Cela étant, l’enjeu est d’importance, notamment en ce qui concerne les logements sociaux et l’immobilier de loisir qui sont de magnifiques passoires énergétiques dont les locataires s’appauvrissent car l’énergie ne fait pas partie de l’assiette de calcul de l’allocation personnalisée au logement.

S’agissant des réseaux de chaleur et du code minier pour la géothermie, des ajustements sont nécessaires si nous décidons d’accélérer le mouvement. Nous vous proposerons également des amendements visant à améliorer la situation de la sûreté nucléaire et de la micro-hydroélectricité ou encore sur les fournisseurs d’électricité coopératifs. Partisans d’une réelle décentralisation, nous souhaitons aussi que le texte soit amélioré pour accompagner le mouvement de réforme territoriale, du moins tel que nous le concevons. Nos débats nous donnerons également l’occasion d’approfondir de nombreux sujets qui sont absents ou peu évoqués : l’aménagement urbain, le transport, l’agriculture.

Permettez-moi de dire un mot sur la sobriété énergétique, un enjeu important. Certaines collectivités, de tous bords politiques, tentent des expériences intéressantes en créant des opérateurs qui permettent de réduire leur facture énergétique ou en décidant, par exemple, d’éteindre l’éclairage la nuit. Il serait bon de les encourager dans cette voie par le biais de la dotation globale de fonctionnement. Après tout, une part de la DGF ne dépend-elle pas des aménités positives apportées à la nation par les parcs nationaux ? Cette mesure créée par la loi de 2006 produit de grands bénéfices et nous pourrions nous en inspirer pour les aménités positives offertes par les collectivités territoriales dans ces domaines.

Pour conclure, madame la ministre, nous sommes très satisfaits de nombreux points de ce projet de loi et vous pouvez compter sur nous pour le faire évoluer dans le bon sens.

M. Patrice Carvalho. Tout d'abord, je veux saluer ce projet de loi et les intentions qu'il affiche. Il s'agit, nous dit-on, de construire un nouveau modèle énergétique plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif, avec l’objectif d’assurer une croissance capable de lutter contre le réchauffement climatique, de combattre le chômage et de réduire la facture énergétique de notre pays. Cette ambition est soutenue par des mesures concrètes. Très bien.

Plutôt que d’énumérer nos points d'accord, je vais vous faire part de nos interrogations et de nos doutes. Sous le précédent quinquennat, nous avons connu le Grenelle de l'environnement qui, aux dires de celui qui occupait vos fonctions à l’époque, devait être une révolution copernicienne. Tout cela n'a pas été inutile et a notamment contribué à une prise de conscience mais la montagne a tout de même accouché d'une souris. Je ne voudrais pas, madame la ministre, que votre texte connaisse un sort similaire.

Depuis deux ans, le Président de la République présente ce projet de loi comme l’un des plus importants du quinquennat. C'est sans doute vrai puisqu’il a déjà épuisé trois ministres de l'écologie en vingt-quatre mois. Pour l'heure, je m’en tiens à quelques aspects qui m'interrogent. L'objectif est volontariste : créer 100 000 emplois en trois ans grâce à l'établissement d'une croissance qui lutte contre le réchauffement climatique, combat le chômage et réduit la fracture énergétique.

Où se trouvent donc ces réserves d'emplois ? Dans la filière des énergies renouvelables, répondez-vous. Celles-ci doivent prendre le relais du nucléaire dont la part dans le mix énergétique doit passer de 75 % à 50 % d'ici à 2025, conformément à l'engagement de François Hollande et à ses promesses aux écologistes.

Ces intentions sont illusoires comme le démontrent les premières expériences de développement des énergies renouvelables et l'exemple de l’Allemagne où la fermeture des centrales nucléaires et la fragilité et l’imprévisibilité des énergies renouvelables ont conduit à rouvrir des centrales à charbon. Le nucléaire représente 220 000 emplois. Qu'en faisons-nous, si l'activité décroît ?

Autre grand gisement d’emplois : le bâtiment où 500 000 rénovations lourdes sont prévues tous les ans d'ici à 2017. Ce plan est souhaitable mais très ambitieux car les objectifs fixés ne sont jamais atteints. Le débat parlementaire sera l'occasion d'évoquer le financement de ce vaste chantier.

Le texte législatif entend aussi préparer la reconversion verte de l'industrie automobile française grâce à la voiture électrique, ce qui complète les trente-quatre plans annoncés par Arnaud Montebourg et qui dessine la nouvelle France industrielle. Que vont devenir à présent ces intentions ? Tout cela est fort louable mais il ne sert à rien d'aligner les promesses si l'on ne voit pas comment les réaliser.

Une volonté politique forte sera nécessaire pour adapter notre appareil productif à la transition écologique et pour affronter des lobbies autrement plus puissants que celui auquel le Gouvernement a cédé concernant l’écotaxe. Cela ne passera pas par les 41 milliards d’euros offerts au patronat sans contrepartie notamment écologique – le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et pacte de responsabilité – mais, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques, par 16 milliards d’euros d'investissements annuels à consentir par l'État et les entreprises.

Enfin, citons les grands absents de ce projet de loi : les alternatives au « tout routier » que sont le fret ferroviaire et les voies d'eau, le développement des transports publics, l'agriculture, la fiscalité écologique.

Madame la ministre, nous sommes ouverts au débat mais nous pensons qu'une transition écologique réussie passe par un autre mode de développement économique que celui auquel le Gouvernement Valls 2 s'est résolument converti.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Ce texte ambitieux vise à réduire nos émissions de gaz à effet de serre et notre consommation finale d’énergie fossile d’ici à 2050, et à développer la production d’énergies renouvelables tout en réduisant la part du nucléaire. Le titre Ier actualise les objectifs assignés à la politique énergétique nationale, notamment quant à l’ambition de voir émerger une énergie sobre, compétitive et riche en emplois ; il donne une nouvelle impulsion à notre politique énergétique, dans la continuité de la loi de 2005. L’article 23 vise un sujet majeur, l’intégration des énergies renouvelables dans le marché de l’électricité. Nous aurons l’occasion, madame la ministre, d’apporter des réponses aux questions que pose ce changement de modèle, qu’il s’agisse des mécanismes à mettre en place ou de la manière d’associer les petits acteurs.

Je tiens aussi à souligner les avancées permises par l’article 27, qui encourage le financement participatif des projets d’énergie renouvelable par les habitants et les collectivités. De fait, l’adhésion de la population est indispensable à l’atteinte des objectifs en la matière.

Enfin, vous connaissez mon intérêt pour la première des énergies renouvelables, l’hydraulique. Je compte sur les débats parlementaires et sur nos échanges avec votre cabinet pour enrichir le texte en ce domaine. J’espère notamment que les préconisations du rapport que j’ai présenté avec M. Straumann pourront être retenues. L’hydroélectricité n’est pas sans lien avec le coût de l’électricité, lequel dépendra aussi des choix faits dans le cadre du renouvellement des concessions. Le prix de l’électricité est un enjeu, non seulement pour les particuliers, mais aussi pour la compétitivité des électro-intensifs et pour l’avenir de notre industrie. Je sais, madame la ministre, que vous aurez à cœur de vous pencher sur cette question.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour les titres II et IV. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir insisté sur la valeur ajoutée que peut apporter la discussion parlementaire. J’ai l’honneur d’être rapporteure de deux titres du texte, à commencer par celui relatif à la rénovation des bâtiments, sujet qui, au-delà des objectifs fixés en matière de transition énergétique, est très attendu par les nombreux Français qui subissent la précarité énergétique comme la précarité professionnelle. De ce point de vue, je vous félicite d’avoir changé le titre du projet de loi afin d’y inclure une référence à la croissance verte : créatrice d’emplois, celle-ci désigne aussi, n’en déplaise à certains, un nouveau modèle de développement.

N’oublions pas, toutefois, que la précarité ne touche pas seulement nos concitoyens des zones urbaines, mais aussi ceux des zones rurales, dont je me fais l’écho en tant que députée de l’Ardèche. Sur ce point, le texte peut aller plus loin, notamment en approfondissant la notion de guichet unique de la rénovation, qui permet un accompagnement par les professionnels. Pourquoi ne pas imaginer une aide fiscale sur un bouquet de travaux plutôt que sur une action isolée ? Pourquoi, également, ne pas relancer la notion de service public régional de l’efficacité énergétique, qui avait été un temps envisagée ? Enfin, à travers le tiers financement et les dérogations au monopole bancaire, les régions peuvent apporter un réel soutien aux ménages en situation de précarité énergétique.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI. Permettez-moi, madame la ministre, d’exprimer toute ma satisfaction de voir arriver ce grand débat, dont on peut d’ailleurs espérer qu’il définisse une transition, non seulement énergétique, mais aussi écologique. Je me félicite également que notre demande pressante quant à la création d’une commission spéciale ait été acceptée : un texte comme celui-ci mérite en effet la mobilisation transversale de nos commissions. À plusieurs reprises, vous avez souligné que les parlementaires pourront l’enrichir ; pour ma part, j’ai créé un groupe de travail au sein du Conseil national de la transition énergétique, le CNTE, où je suis l’un des représentants de l’Assemblée nationale. Ce travail préalable me permettra de vous faire des propositions, notamment sur le titre III, qu’il s’agisse du transport des marchandises, du transport fluvial, du covoiturage ou du schéma de transport et de déplacement durable pour les territoires ruraux, lesquels doivent avoir les mêmes chances et les mêmes droits que les métropoles. Je vous remercie par avance de l’accueil favorable que vous réserverez à ces propositions, afin de relever ensemble le pari d’un nouveau mode de développement.

M. le président François Brottes. La commission des affaires économiques a demandé à Mme Bareigts, à qui je vais donner la parole, et à M. Fasquelle, un rapport sur l’énergie dans les territoires d’outre-mer, qui montre que ceux-ci doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Je salue, madame la ministre, votre vision stratégique pour les territoires d’outre-mer, dont les élus entendent faire valoir des atouts qui, d’ailleurs, peuvent apporter des solutions au problème de l’emploi.

La situation est assez contradictoire, puisque ces territoires demeurent très carbonés en dépit de fortes potentialités en termes d’énergie renouvelable. Il convient donc d’identifier les obstacles en ce domaine, afin de les lever pour mener à bien la transition énergétique et développer la croissance verte en outre-mer. J’en mentionnerai quelques-uns, à commencer par la gouvernance, que nous souhaitons partagée et locale. Par ailleurs, les appels d’offres gagneraient à être mieux adaptés aux stratégies, aux besoins et aux capacités du terrain. Il faut aussi se pencher sur les moyens liés aux stratégies de maîtrise de consommation d’énergie. Enfin, un choix stratégique devra être fait entre les énergies renouvelables intermittentes et les énergies renouvelables garanties. Nous espérons donc que le travail collectif qui va s’engager permettra de mener à bien cette grande ambition de la transition énergétique dans les outre-mer.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Le titre consacré à la gouvernance signe d’ores et déjà le retour des pouvoirs publics dans la politique de l’énergie, aux niveaux national et territorial. Les budgets carbone sont un signal important, en amont de la COP – « conference of the parties » – de 2015 à Paris, de la volonté française d’encadrer les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, la question de la valeur tutélaire du carbone méritera sans doute d’être précisée.

L’autre outil national est bien entendu la programmation pluriannuelle de l’énergie ; elle remplacera les programmations actuelles, non coordonnées, et prendra en compte les objectifs de maîtrise de l’énergie. Nous aurons l’occasion de débattre des relations entre ces outils, de leurs calendriers, de la façon d’y associer le Parlement et de la concertation menée en amont. Le débat sur la transition énergétique a en effet montré que de nombreux acteurs pouvaient apporter des contributions importantes.

Sur la gouvernance du mix électrique, autre sujet très attendu, le texte organise aussi un salutaire retour de l’État stratège ; en ce domaine, la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire a adopté un certain nombre de recommandations dont nous pourrons nous inspirer.

Vous avez salué, madame la ministre, les nombreuses initiatives des territoires, auxquels ce projet de loi pourra donner une impulsion supplémentaire afin de permettre aux régions d’être réellement chefs de file et aux intercommunalités de devenir des autorités organisatrices.

Le dernier sujet, et pas le moindre, est la précarité énergétique, avec cette innovation qu’est le chèque énergie : largement attendu, il mérite des clarifications aussi bien au regard de son financement que de son utilisation, que ce soit pour payer les factures ou même les réduire.

M. le président François Brottes. Nous en venons aux orateurs inscrits, que j’invite à la concision.

M. Bernard Accoyer. Nous ne pouvons que déplorer le recours à la procédure accélérée sur ce texte auquel chacun aurait aimé apporter sa contribution. Sur la forme encore, le fait que les six rapporteurs soient tous membres de la majorité témoigne d’un esprit partisan peu constructif.

Diminuer la consommation des énergies fossiles, la part du nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre, voilà trois objectifs qu’il me semble pour le moins ambitieux de poursuivre de front : le texte aurait sans doute gagné à fixer une priorité. Enfin, nous devrions tirer les leçons de l’échec allemand quant à la sortie du nucléaire, sortie dont le coût est aujourd’hui estimé à 1 000 milliards d’euros. À toutes ces questions s’ajoutent celles que pose l’actualité, qu’il s’agisse de l’approvisionnement en gaz de l’Europe ou des incertitudes sur l’évolution du cours du pétrole. À cet égard, le texte aurait mérité un éclairage actualisé et un temps d’examen plus long.

Mme Frédérique Massat. Quid du déploiement des bornes de recharge électrique ? Pour atteindre l’objectif de les porter à 7 millions en 2030, il faudra mettre les bouchées doubles puisque notre pays n’en compte aujourd’hui que 10 000. Quelle sera l’articulation entre les collectivités, l’opérateur national et le nécessaire maillage territorial afin de combler les nombreux déséquilibres ?

Les zones de montagnes sont des gisements d’énergie renouvelable : au-delà des grandes concessions hydrauliques, on peut aussi penser à la petite hydroélectricité, sans oublier l’énergie solaire et la méthanisation.

On parle souvent des réseaux intelligents, mais il faut aussi veiller à l’état des réseaux de distribution, qui sont parfois dégradés.

Enfin, la péréquation tarifaire doit être impérativement préservée.

M. Daniel Fasquelle. Je déplore les couacs et l’absence de pilotage sur ce projet de loi qui est peut-être le grand texte du quinquennat. Comme l’a reconnu un membre de la majorité, la montagne a accouché d’une souris ; surtout, ce texte est dangereux parce qu’il est flou : une transition mal pilotée et mal pensée accroîtra forcément le coût de l’énergie pour les particuliers comme pour les entreprises. En quoi, madame la ministre, la transition française sera-t-elle mieux pilotée que l’allemande ? On peut nourrir les plus grands doutes sur ce point.

Enfin, avez-vous une idée du coût de votre texte, démantèlement des centrales nucléaires et recours aux énergies non renouvelables inclus ? Comment financer les différentes mesures ? Serez-vous à l’écoute de l’opposition, notamment des propositions que j’ai formulées avec Julien Aubert dans le cadre du débat sur la transition énergétique ?

M. André Chassaigne. L’objectif de diviser par deux notre consommation d’énergie finale est contestable au regard de notre dynamisme démographique et du droit à l’énergie pour tous. La France devrait, selon les prévisions, compter 70 millions d’habitants en 2050, contre 65 millions aujourd’hui : ce facteur a-t-il été pris en compte ? S’il ne l’a pas été, l’objectif suppose que chaque habitant consommera en réalité 54 % d’énergie en moins. De plus, comment envisager le redressement de notre industrie avec une diminution massive de la consommation énergétique ? Faut-il voir dans les objectifs du texte le signe d’un grand pessimisme quant à la possibilité de ce redressement ?

Par ailleurs, quelles sont les filières professionnelles à même de réaliser l’isolation des bâtiments, secteur le plus consommateur en énergie ? Quels sont les financements prévus pour les travaux ? Le Président de la République a annoncé la rénovation de 500 000 logements par an ; or il n’y en a eu que 160 000 en 2013.

M. Jacques Alain Bénisti. Vous n’avez toujours pas répondu, madame la ministre, à la question que nous vous avions posée, en commission du développement durable, sur la fermeture de Fessenheim et d’autres centrales, afin de réduire la part du nucléaire de 75 % à 50 % dans la production électrique à l’horizon 2025. En tout état de cause, vous ne vous êtes toujours pas donné les moyens juridiques d’atteindre cet objectif.

Dans le texte – certes remanié – que vous nous présentez, vous vous contentez de plafonner à un peu plus de 60 gigawatts notre capacité nucléaire ; or ce chiffre, comme vous le savez, correspond à la capacité actuellement installée en France. Ce sont ainsi plusieurs milliers d’emplois qui sont menacés, alors que vous annoncez vouloir les développer.

Mme Édith Gueugneau. Je salue ce texte ambitieux, qui valorisera les ressources de nos territoires. Sur la diversification du mix énergétique, les collectivités sont en première ligne. Maire d’une station thermale de Bourgogne disposant d’un potentiel de très basse énergie en géothermie, j’aimerais savoir comment on peut accompagner les collectivités dans le développement des projets de pompe à chaleur, afin de récupérer les calories des eaux usées. Plus généralement, l’objectif est de créer des réseaux de chaleur et d’accroître l’efficacité énergétique à travers l’utilisation de techniques innovantes. De ce point de vue, quels pourraient être les accompagnements en matière d’ingénierie ?

M. Charles de Courson. Le texte fixe l’objectif de ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025 – dans l’article 1er –, et de plafonner à 63,2 gigawatts la capacité de production nucléaire – dans l’article 55 –, soit le niveau existant. Comment concilier ces objectifs avec la progression de l’intensité énergétique de 2,5 % par an ?

D’autre part, à combien s’élève le coût du plafonnement à 63,2 gigawatts, et celui du raccordement au réseau de l’EPR de Flamanville en 2016 ?

Enfin, quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect du plafonnement ?

M. Jean-Yves Le Déaut. La rénovation des bâtiments est en panne à cause de freins réglementaires : l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, vient de publier un rapport à ce sujet. Ne peut-on aller plus loin dans la gestion active de l’énergie ? Peut-être faudrait-il aussi simplifier le système des aides, au nombre de 17 au niveau national et de 243 au niveau local.

La réglementation thermique 2012 est un progrès, mais le système de calcul est une boîte noire qu’il faudrait peut-être rendre transparente.

N’y a-t-il pas, dans l’évaluation de la performance énergétique, un mélange des genres entre la recherche, le conseil, l’expertise et le contrôle ?

Vous avez fait le choix de stimuler l’innovation ; or, en matière de recherche, le bâtiment fait figure de parent pauvre en France : quelles sont les pistes en ce domaine ?

Enfin, la performance énergétique est appréciée au regard de l’énergie primaire : ne devrait-elle pas l’être aussi en fonction de l’émission de CO2 et de la part d’énergies renouvelables dans les projets ?

M. Charles-Ange Ginesy. C’est à juste titre que vous présentez l’économie circulaire comme l’un des piliers en matière d’innovation ; de fait, elle doit rendre plus efficace l’utilisation des ressources et diminuer l’impact sur l’environnement. Les objectifs fixés par le texte sont de réduire la production de déchets de 7 % par habitant et de porter le taux de recyclage à 70 % pour le secteur du bâtiment ; mais rien n’est dit sur les moyens d’atteindre ces objectifs.

L’industrie doit également participer à la transition énergétique en développant des produits qui prennent en compte le recyclage et organisent sa fin de vie ; mais je m’inquiète de ne pas voir davantage de mesures volontaristes et créatrices d’un appareil productif adapté.

Je conclurai en citant le Premier ministre : « La filière nucléaire est plus que jamais une grande filière d’avenir. » Or le projet de loi vise à baisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

Mme Catherine Troallic. Je vous remercie, madame la ministre, de votre engagement fort en faveur de la transition énergétique ; s’il est une énergie à ne pas économiser, c’est bien celle des élus, des décideurs, des entrepreneurs, des associations et de toute la société civile. C’est collectivement que nous réussirons.

Beaucoup de territoires sont d’ores et déjà engagés dans la transition énergétique : c’est le cas en Haute-Normandie, que ce soit avec l’appel à projets « Énergies », le développement de l’éolien offshore, la rénovation thermique des bâtiments et habitations, le chèque énergie ou la voiture électrique.

Aujourd’hui, l’État entend impulser une nouvelle dynamique que je tiens à saluer. Dans ce cadre, comment voyez-vous votre action et votre collaboration avec les collectivités, à commencer par les régions, afin d’obtenir un effet démultiplicateur, notamment au regard des actions déjà engagées ?

M. Dino Cinieri. Cet été, EDF a été pointé du doigt pour avoir signé un accord avec une filiale de l’énergéticien américain Cheniere, en vue d’importer du gaz, dont une partie sera issu des roches de schiste. Cette annonce a fortement inquiété vos alliés écologistes. De fait, le gaz non conventionnel représente environ 30 % de la production totale aux États-Unis. Pour les opposants au gaz de schiste en France, EDF – dont l’État détient 87 % du capital – délocaliserait ainsi les éventuelles conséquences environnementales de l’exploitation de cette ressource.

Dans les années à venir, ce sont près de 30 % des importations françaises de gaz naturel qui proviendront de pays exploitant le gaz de schiste. Compte tenu de l’interdiction d’exploiter celui-ci sur son territoire, il est peu probable que la France puisse renoncer à ces sources d’approvisionnement. La seule alternative serait de se tourner vers la Russie, ce qui n’est pas compatible avec la nécessaire sécurisation des approvisionnements. Bref, ne pensez-vous pas que la France importera, qu’elle le veuille ou non, une quantité non négligeable de gaz de schiste via ses fournisseurs traditionnels ?

Enfin, la position du Gouvernement sur la fracturation hydraulique a-t-elle évolué ?

M. Yannick Favennec. Aujourd’hui, 4 500 éoliennes – dont 75 dans mon département de la Mayenne – sont bloquées par l’armée. Si celle-ci décide d’étendre les zones d’exclusion militaire, l’installation d’éoliennes serait compromise sur près de 60 % du territoire. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause les impératifs de sécurité aérienne, mais ces contraintes, si elles augmentent, compromettront nos objectifs en matière d’énergie renouvelable et mettront en péril l’économie liée au développement durable. Ce sont 9 milliards d’euros d’investissements privés qui sont en souffrance. L’armée doit-elle prendre autant de place ? Que comptez-vous faire pour qu’elle ne bloque pas autant de projets sur notre territoire ?

M. le président François Brottes. Un dialogue pourrait s’engager, sur ce point, entre notre commission spéciale et la commission de la défense, notamment à travers ceux qui appartiennent à l’une et l’autre.

Mme la ministre. Jean-Yves Le Drian, avec qui j’ai évoqué le sujet, est prêt à lever certaines interdictions, au cas par cas après examen des projets.

M. Yannick Favennec. Merci, madame la ministre.

Mme Béatrice Santais. Ce texte traduit une ambition sans précédent dans le domaine de l’énergie. Il est beaucoup question, dans le titre IV, des énergies renouvelables électriques. Peut-être faut-il se pencher plus avant sur la production de chaleur : je pense en particulier au solaire thermique, énergie simple qui permet, le soir, d’économiser la consommation d’électricité grâce à la chaleur emmagasinée durant la journée. Il s’agit aussi, détail non négligeable, d’une filière exportatrice. Les collectivités, vous l’avez rappelé, développent de beaux projets en matière d’énergies renouvelables : c’est le cas, justement, avec le solaire thermique. Nous pourrions donc nous en inspirer davantage.

M. Alain Leboeuf. On peut se féliciter de l’objectif d’installer 1 500 méthaniseurs en milieu rural : ils seront notamment une source de bioGNV – gaz naturel pour véhicules. Cependant, si l’on compte de plus en plus de bus roulant au GNV en ville, ce n’est pas le cas des bus intercités, encore équipés de moteurs diesel alors que le GNV pourrait avoir un véritable intérêt pour eux, notamment pour les transports scolaires en milieu rural. Les constructeurs sont très attentistes : ils ne se lanceront dans la fabrication de tels véhicules que s’ils entrevoient un marché à travers des incitations fortes. Quelle est votre position sur le transport intercités ? Envisagez-vous des actions pour le promouvoir ?

M. Hervé Pellois. Lors du colloque du 1er juillet dernier consacré à la biomasse, vous avez annoncé des mesures pour inciter les collectivités, les entreprises, les exploitants agricoles et les particuliers à investir dans les projets de méthanisation. Largement développés dans les pays du Nord, notamment en Allemagne, ces projets souffrent en France de deux freins majeurs. Le premier est administratif, avec la lenteur d’examen des dossiers. L’expérimentation de l’autorisation unique en matière d’installation classée commence-t-elle à porter ses fruits ?

Le second frein est la fiscalité, inadaptée à la faible rentabilité des investissements pour ces installations si sophistiquées. Que comptez-vous faire pour lever ces deux obstacles et encourager la filière ?

M. Jean-Pierre Gorges. Ce projet de loi a été préparé avant l’été ; depuis, deux événements ont eu lieu. Le premier est la publication du rapport de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, d’après lequel le reste à vivre de la ressource uranium sur la terre s’établit à 130 ans pour la troisième génération de réacteurs, mais à 7 000 ans pour la quatrième. Ce chiffre est un élément clé de ce rapport de M. Baupin, que Mme Duflot n’a donc pas dû lire.

Le second événement est la nomination du Gouvernement Valls 2. Son virage libéral peut étonner mais, pour ma part, je n’ai pas été moins étonné par les propos du Premier ministre selon lesquels le nucléaire est une filière stratégique.

Ces deux éléments majeurs ont-ils été pris en compte dans le texte que vous nous présentez ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. La France a la chance d’être l’un des rares pays au monde, avec les États-Unis et la Russie, à connaître tous les climats : l’atlantique, le tempéré, le méditerranéen, le montagnard, le continental, le tropical voire le boréal. Est-il envisageable d’ajuster notre réglementation et nos systèmes d’aides en fonction de ces spécificités ? Cela aiderait notre industrie à fabriquer des technologies et des objets que l’on pourrait vendre dans le monde entier.

M. Patrick Hetzel. Dans ma circonscription, un forage de géothermie a provoqué un sinistre important. Les murs d’une cinquantaine de maisons sont en train de se fissurer dans la commune de Lochwiller. Je tiens d’ailleurs à souligner l’efficacité des services de l’État en cette occasion : la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), le préfet de région et vos propres services, madame la ministre.

Toutefois, si l’on veut développer la géothermie, il est essentiel de la sécuriser davantage au plan juridique comme au plan financier car, même si les sinistres sont heureusement très rares, le risque zéro n’existe pas. Pour l’heure, le seul référent juridique est le code minier : je vous laisse imaginer l’embarras des particuliers qui ont effectué un forage peu profond sur leur terrain… Il faudra y revenir car le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, ne traite pas le problème.

M. Jean-Yves Caullet. Comment faire de la performance énergétique des bâtiments un enjeu, non seulement en termes de coûts de fonctionnement, mais aussi de patrimoine ?

Comment assurer à des coûts raisonnables la disponibilité des compétences techniques, administratives et financières nécessaires au succès de la transition énergétique sur l’ensemble du territoire ?

Enfin, ne pourrait-on affecter l’aide au logement à la rénovation, pour en faire un moyen d’éradiquer les passoires énergétiques dans le locatif privé ?

Le titre V du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que nous allons voter dans deux jours, prévoit la création d’un fonds stratégique. Une clé de répartition des crédits carbone en faveur de ce fonds ne favoriserait-elle pas la mobilisation de la ressource forestière, nécessaire au vu de l’enjeu de la biomasse dans la transition énergétique ?

M. Claude de Ganay. L’article 55 du projet de loi plafonne la capacité de production nucléaire à son niveau actuel, soit 63,2 gigawatts. S’attaquer de la sorte au nucléaire est une erreur. Si les énergies renouvelables sont une formidable opportunité pour la France, elles demeureront complémentaires des sources régulières d’énergie électrique. Il est donc illusoire de penser que nous parviendrons, en l’état actuel de nos capacités de stockage, à nous passer du développement du nucléaire, outil au service de la transition énergétique et de notre indépendance énergétique depuis des décennies. Atteindre le plafond visé signifie purement et simplement la fermeture d’une vingtaine de réacteurs de 900 mégawatts, avec à la clé la destruction de 40 000 emplois directs. La question n’est plus de savoir si vous infléchirez cette décision : il s’agit de nous faire connaître les réacteurs d’ores et déjà condamnés. Au nom des salariés d’EDF, des prestataires et des bassins d’emplois concernés, je vous remercie de nous apporter les informations les plus précises sur ce point.

M. Lionel Tardy. Madame la ministre, envisagez-vous toujours une seule lecture de ce projet dans chaque chambre ? Étant donné l’ampleur du texte et la portée des questions posées, cela semble peu acceptable. Par ailleurs, comment s’articuleront l’article 10 du projet, relatif à l’installation des points de charge des véhicules électriques, et la loi facilitant le déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public adoptée le 4 août dernier ? Enfin, quelle place sera donnée aux réseaux électriques intelligents ? En l’état, la seule référence qu’y fait le texte est, en son article 59, d’autoriser le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances des mesures de déploiement expérimental assez floues. Sur un plan général, il est indispensable de lier fortement transition énergétique, efficience économique et simplification administrative, et le texte devra aussi être examiné sous cet angle.

Mme Françoise Dubois. Je salue les mesures du titre II visant à combattre la précarité énergétique qui touche 4 millions de familles en France. Il était important, aussi, que l’exigence d’exemplarité énergétique figure dans le texte. Je me félicite de l’entrée en vigueur, le 1er septembre, du crédit d’impôt pour la transition énergétique que vous avez décidé. Cependant, en supprimant le critère du bouquet de travaux, le nouveau dispositif met fin à l’obligation de procéder à des travaux complémentaires renforçant l’efficacité des travaux entrepris sur le plan énergétique. L’objectif, remarquable, est d’élargir l’accès à ce crédit d’impôt, par ailleurs très attractif. Mais ne risque-on pas de voir les ménages repousser les gros travaux, nécessairement plus coûteux – les réfections de toiture par exemple – pour privilégier des travaux plus modestes qui n’auront pas le même impact en termes d’efficacité énergétique ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que le texte oblige par ailleurs à renforcer significativement les performances énergétiques et environnementales à chaque fois que des travaux importants sont réalisés dans un bâtiment.

M. Michel Heinrich. Le texte prévoit de réduire de 7 % en dix ans la quantité de déchets produits par habitant ; cet objectif ne me semble pas très ambitieux. Le crédit d’impôt prévu pour la rénovation thermique est une bonne chose et constituera certainement une incitation à agir. En revanche, l’obligation faite à tout propriétaire de procéder à des travaux de rénovation thermique quand il entreprend, par exemple, des travaux sur une façade ne risque-t-elle pas d’empêcher des propriétaires d’entretenir le bâti, et même de dissuader certains de le faire ? Enfin, il est regrettable que le texte ne dise rien du potentiel que représente la biomasse.

M. Michel Lesage. En matière de gouvernance, le projet propose de mobiliser les territoires. Ils sont en effet au cœur de la réussite de la transition énergétique, à la fois parce que les services publics territoriaux sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas et parce que les territoires sont les lieux essentiels de mise en cohérence des politiques publiques du logement, de transport, d’habitat et d’aménagement du territoire, qui ont toutes un fort impact en matière énergétique. Pouvez-vous préciser comment s’articuleront les objectifs nationaux et les indispensables approches transversales, qu’elles soient régionales ou intercommunales, les intercommunalités devenant de fait les autorités organisatrices de l’énergie ?

M. Franck Reynier. Nous partageons nombre des objectifs fixés dans ce texte, mais plusieurs inquiétudes demeurent. En premier lieu, tant pour le bâtiment que pour les transports, l’efficacité énergétique demandera de fortes incitations ; eu égard à l’état des finances publiques, aurez-vous des moyens suffisants à consacrer à ce grand projet ? D’autre part, il est bon de faire évoluer le mix énergétique pour favoriser des énergies plus vertes, mais cela a un coût élevé. Considérant les difficultés que connaissent un grand nombre de nos concitoyens, on ne peut qu’être préoccupé par l’impact qu’auront les mesures annoncées sur le pouvoir d’achat. Quel est votre avis à ce sujet ?

Mme Geneviève Gaillard. Un des axes du projet est le renforcement de la sécurité nucléaire. Le texte confirme également la réduction de la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité et je m’en félicite. Cependant, on parle d’allonger jusqu’à soixante ans la durée de vie de certaines centrales, ce qui ne manque pas d’inquiéter car on sait la corrélation entre l’occurrence d’incidents et l’âge des réacteurs. Si cette décision était confirmée, comment nous rassureriez-vous sur la sûreté des installations ? Ce choix pourrait d’autre part avoir un impact sur notre capacité à démanteler les réacteurs. Alors que nous avons su vendre des usines et des centrales clés en main, nous risquerions de rater le coche de l’excellence en matière de démantèlement. Quel est votre avis sur ces sujets ?

Mme Sophie Rohfritsch. Je m’étonne de ne trouver mot dans le texte des négociations européennes relatives au marché de l’énergie. Avez-vous évoqué ce sujet au cours du dernier Conseil européen ? En particulier, un accord stable est-il envisagé avec nos partenaires allemands, avec lesquels nous devons absolument être en phase en cette matière ? J’observe aussi la faible transversalité du projet en matière diplomatique. Qu’en sera-t-il de la sécurisation de nos approvisionnements en gaz russe si nous continuons à nous opposer frontalement à la Russie, notamment si nous l’empêchons de réaliser le nouveau gazoduc Sud ?

Enfin, le texte est relativement creux pour ce qui concerne les nouvelles méthodes et les nouveaux critères de fixation des tarifs de l’électricité. Vous projetez de les revoir, mais il n’y a pas d’avancée à ce sujet, ce qui est très pénalisant pour EDF. Est tout aussi pénalisant le fait d’ignorer comment seront financées les extensions de réseaux nécessaires au développement des énergies renouvelables puisque l’on ignore quel sera le contour exact de la réforme territoriale.

M. le président François Brottes. Je rappelle que nous nous prononcerons cette semaine sur la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité.

M. Jean-Louis Bricout. L’article 60 instaure un chèque énergie. Est-il prévu de moduler son montant en fonction de la géographie ? Il n’échappe à personne que le climat diffère selon que l’on se trouve en Picardie ou en Provence et que cela a une incidence sur le montant des charges énergétiques.

Pour lutter contre la précarité énergétique, je propose d’introduire dans le texte la notion d’ « insécurité économique », cette insécurité provoquée par les bailleurs indélicats qui mettent sur le marché des logements qui sont autant de passoires thermiques. Ce faisant, ils plongent les populations les plus fragiles dans la précarité et suscitent aussi des dépenses pour l’État et pour les collectivités territoriales par la mobilisation de dispositifs de soutien tels que le fonds de solidarité pour le logement ou l’aide personnalisée au logement. La disposition consisterait à encadrer les charges fixes constituées par le loyer et les charges énergétiques en se donnant la possibilité de faire évoluer les loyers des logements énergivores sur la base du diagnostic de performance énergétique (DPE). Lorsque j’ai avancé cette proposition au cours du débat sur la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, il m’a été répondu que l’idée était bonne mais que son application se heurtait au fait que le DPE, bien qu’obligatoire lors de la signature du bail, n’était pas opposable. Une évolution est-elle envisageable ?

M. Guillaume Chevrollier. Vous faites de la rénovation thermique des bâtiments une priorité méritée. C’est aussi un moyen de soutenir le secteur du bâtiment et ses artisans, qui en ont bien besoin, vous l’avez souligné. Mais je tiens à vous faire part de deux remarques souvent entendues dans ma circonscription. La première est que l’Agence nationale de l’habitat est incapable de faire face à l’afflux de dossiers qui lui arrivent, et que leur traitement va prendre des mois. La seconde, c’est que les normes, dans le domaine de la rénovation thermique, sont devenues trop contraignantes et qu’elles ont souvent des effets pervers. Ainsi, la réglementation thermique 2012 encourage le chauffage au gaz et réduit la place des solutions électriques et renouvelables ; cela provoquera un surcroît d’émissions de CO2 à l’avenir. De plus, ces normes incitent peu à l’innovation. Les artisans du bâtiment demandent que cette réglementation soit modifiée et souhaitent être associés à sa définition ou, au minimum, consultés.

Mme Martine Lignières-Cassou. Les collectivités territoriales et notamment les intercommunalités sont appelées à jouer un rôle important dans le pilotage de la transition énergétique. Je puis témoigner que, jusqu’à présent, les collectivités ne disposaient pas des éléments leur permettant de mesurer la consommation énergétique sur leur territoire. Les discussions à ce sujet, notamment avec ERDF, étaient très compliquées. Ainsi, la communauté d’agglomérations que je présidais avait été appelée à participer au financement du renforcement d’un poste source, sans que nous puissions mesurer l’impact, direct et indirect, de notre action. Le projet permettra-t-il aux collectivités territoriales et aux EPCI en particulier de piloter pleinement la transition énergétique, d’être véritablement partie prenante à la définition de la stratégie souhaitable et d’obtenir d’ERDF les éléments qui leur permettront de mesurer l’impact des actions entreprises ?

M. Damien Abad. La dimension européenne de la transition énergétique est la grande oubliée du projet. Le mot « Europe » n’apparaît que deux fois dans le texte – et encore sous forme d’une pétition de principe, à l’article 53 –, alors que le Président de la République a dit vouloir la création d’une communauté européenne de l’énergie. Préfèrerez-vous le modèle allemand, le modèle espagnol ou le modèle anglais ?

Mme Annick Le Loch. Les îles du Ponant, dont l’île de Sein, font partie des zones insulaires non interconnectées (ZNI) au réseau électrique métropolitain. Elles sont alimentées par des groupes électrogènes dont le fonctionnement est assuré par des centaines de milliers de litres de fuel, et le coût supplémentaire induit est assumé par la collectivité nationale par le biais de la « contribution au service public de l’électricité ». Les élus et des porteurs de projets aspirent à développer la production d’énergies renouvelables disponibles sur le site. Seriez-vous disposée à lever des verrous réglementaires pour favoriser cette production ? N’y a-t-il pas lieu, par exemple, de rehausser le plafond qui fixe à 30 % de la puissance globale injectée dans le réseau la part des énergies intermittentes dans les ZNI ?

M. Jean-Pierre Vigier. La transition énergétique exige des mesures mûrement réfléchies, cohérentes et compatibles entre elles. Or vous reprenez dans ce texte fourni un projet élaboré par vos deux prédécesseurs ; la vision d’ensemble est floue, et les Français auront le sentiment d’éparpiller leurs efforts. Si l’objectif de réduire de 40 % les émissions de CO2 d’ici à 2030 est louable, il entraîne de fortes contraintes pour les usagers et pour les entreprises. Que faire, dans ce contexte, pour éviter que les efforts engagés par l’Europe et notamment par la France pour limiter le changement climatique ne soient réduits à néant par l’industrie des pays émergents ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Vous avez fixé pour objectif l’installation de 1 500 méthaniseurs mais une fiscalité inappropriée peut faire obstacle à ce projet en freinant les investissements ; quelles mesures proposerez-vous à ce sujet ? Par ailleurs, comment accompagner la formation pour assurer la sécurité optimale du fonctionnement de ces appareils ? Enfin, reverrez-vous les critères des appels d’offres pour permettre que des projets de centrales solaires ou de parcs photovoltaïques aboutissent au nord de la Loire ?

M. François-Michel Lambert. Il y a bien davantage dans l’économie circulaire que le recyclage, puisqu’il s’agit de passer d’une société du gaspillage des ressources notamment énergétiques à un développement durable. Ma question, qui porte sur le seul volet « énergie » de la réflexion relative à l’économie circulaire, concerne l’énergie fatale, c’est-à-dire l’énergie résiduelle produite au cours du processus industriel mais non utilisée. EDF l’estime à 140 TWh par an, soit 30 % de la consommation d’électricité dans l’industrie. Or, de nombreux exemples d’écologie industrielle et territoriale, en France et surtout en Europe du Nord, montrent la possibilité de gains énergétiques formidables en ce domaine. L’exploitation du potentiel de l’énergie fatale est insuffisante dans notre pays ; comment la France rattrapera-t-elle son retard sur ses voisins ? Allons-nous nous lancer dans une démarche d’écologie industrielle, au sujet de laquelle les études britanniques indiquent que chaque million d’euros investi rapporte 16 millions d’euros aux entreprises et aux territoires ?

M. Éric Straumann. Le fait que la fermeture de la centrale de Fessenheim ne figure pas dans le texte signale-t-il qu’elle poursuivra son activité au-delà de 2017 ?

M. Bruno Nestor Azerot. Votre projet de transition énergétique est une grande opportunité pour ce quinquennat. Outremer, en Martinique en particulier – où nous avons eu le plaisir et l'honneur de vous accueillir la semaine dernière – on ne peut parler de transition énergétique mais bien de création ou de révolution énergétique. Nous sommes dépendants à 97 % de l'énergie électrique issue du fuel. Or, nous avons le soleil, la mer et les volcans. Notre objectif est donc de développer dans les vingt années à venir les énergies renouvelables pour mixer notre approvisionnement énergétique. Notre priorité, vous le savez, ce sont les énergies marines renouvelables avec l'éolien offshore, l'hydrolien avec le projet NEMO de Bellefontaine – et rapidement, je le souhaite, de Sainte-Marie –, la géothermie et le solaire.

Nous souhaitons, madame la ministre, que vous nous souteniez dans l'élaboration d'un « plan bleu » pour la Martinique car, au-delà de la transition énergétique, c'est tout le développement de nos îles qui est en question, et leur avenir. Je vois dans votre projet de loi l'opportunité pour la Martinique de retrouver une industrie qu'elle a perdue, des emplois dont elle a grandement besoin, des activités économiques de services liés, et des formations d'excellence pour nos jeunes.

L'Outremer, qui donne sa vocation mondiale à la France et à l'Europe, n'a pas vocation à rester dans les rebuts de l'Histoire et de la mondialisation. Je salue donc votre ambition forte, madame la ministre, et je soutiendrai bien sûr ce projet.

Mme Michèle Bonneton. Le texte met l’accent sur le développement des véhicules propres et en particulier sur les véhicules électriques. C’est une avancée intéressante, mais cela ne suffira pas à résoudre tous les problèmes de déplacement et de pollution de l’air, ne serait-ce que parce que les véhicules électriques supposent des batteries et que leur fabrication demande une certaine consommation d’énergie électrique. Dans quel texte alors envisager un « plan vélo », un plan de développement de transports collectifs et un plan de transport de marchandises par voie d’eau ?

D’autre part, l’armée n’est pas seule à faire obstacle aux projets d’éoliennes : il en va de même des services météorologiques. Peut-on imaginer la levée de ce blocage ?

Mme la ministre. Cela vient d’être fait.

M. Yves Daniel. L’un des objectifs affirmés dans ce projet destiné à favoriser la transition énergétique est de protéger la santé publique. Cela se conçoit fort bien. Je me dois cependant de vous alerter sur les nuisances provoquées par les ondes émises par les éoliennes, néfastes pour la santé des animaux comme pour celle des êtres humains. En sera-t-il tenu compte dans l’évaluation des projets ? Nous manquons pour l’instant d’évaluations scientifiques de ces risques ; pourtant, des éleveurs de ma circonscription sont en grande difficulté de ce fait, subissant des coûts importants qui ne sont pas pris en charge par les constructeurs bien que la loi les y oblige. Il faut prendre garde aussi aux impacts négatifs de la production des énergies renouvelables.

M. Martial Saddier. Ce texte doit être l’occasion de renforcer le rôle des territoires. Je me félicite à ce sujet que l’article 45 maintienne les tarifs de cession aux entreprises locales de distribution (ELD) et que les articles 56 à 58 prévoient des expérimentations concernant la régionalisation. Je m’inquiète cependant de l’évolution des tarifs de rachat de la production d’énergies renouvelables par les ELD ; cette question doit être clarifiée.

En ma qualité d’ancien président du Conseil national de l’air, je salue le volet du projet consacré à la qualité de l’air avec le plan de réduction des émissions et le retour des APPA que nous avions mis en place. Je regrette en revanche l’absence de mesures encourageant à changer les chauffages domestiques peu performants ; il faut pourtant lier économies d’énergie et efficacité énergétique.

M. Dominique Potier. Le développement de l’économie circulaire impose l’adoption de réglementations internationales nouvelles qui éviteront que nos déchets ne nous reviennent sous forme manufacturée après avoir fait le tour de la planète. Ces réglementations doivent être définies matériau par matériau ; ces chantiers n’ont pas encore été ouverts par l’Europe et le texte pourrait être l’occasion de poser quelques jalons.

En matière d’isolation thermique, le retour des entreprises et des centres de recherche tiendra pour beaucoup à la continuité des politiques publiques menées. Les politiques précédemment conduites ont connu des à-coups, ont souvent été fractionnées, sont reparties sur d’autres bases… Pour que l’appareil de recherche et développement se mette en branle, la permanence est indispensable : c’est elle qui sécurise la conversion des entreprises à ces nouveaux métiers.

M. Laurent Furst. L’Union européenne a supprimé il y a peu les ampoules à filament et les industriels se sont reconvertis dans la fabrication d’ampoules halogènes, lesquelles font maintenant l’objet de débats. Or 7 000 emplois sont en jeu de ce fait en Europe, dont quelque 2 000 en France. Quelle est la position du Gouvernement sur ces équipements qui ont permis de réduire la consommation d’énergie ?

M. le président François Brottes. La liste des orateurs étant épuisée, la parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre. J’ai apprécié la qualité de ces échanges. L’extrême technicité de certaines des questions posées appelle une expertise supplémentaire avant qu’une réponse précise leur soit apportée. Sur un plan général, j’ai été frappée par la tonalité très positive de notre dialogue. Je remercie ceux d’entre vous qui ont dit leur soutien et leur adhésion à ce texte, fruit d’un travail considérable que je suis heureuse de vous présenter. Vos contributions, sur tous les bancs, témoignent d’un engagement réel pour trouver les meilleures solutions, propres à entraîner nos concitoyens à adopter les nouveaux comportements qui leur permettront de réduire leur facture énergétique, et à créer des emplois.

Vos interventions ont montré à la fois une vision stratégique partagée sur les choix structurants de notre modèle énergétique et certaines divergences. Des questions ont ainsi porté sur la cohérence globale du texte, sur la part réservée au nucléaire, sur les échéances stratégiques fixées dans le texte – tant en matière de pourcentages que de calendrier – et sur la place réservée aux questions européennes. Je me réjouis des fortes convergences exprimées sur la nécessité d’être opérationnels au plus vite car, souvent, nos concitoyens sont en avance sur le temps parlementaire ; vous ne l’ignorez pas, vous qui aidez à la réalisation de projets de rénovation thermique ou de production d’énergies renouvelables.

L’ancienne parlementaire que je suis comprend les questions relatives au choix de la procédure d’urgence pour l’examen de ce texte. Permettez-moi toutefois de rappeler que le temps de parole n’a pas été limité ; vous aurez donc le temps de vous exprimer et pendant les travaux de votre commission, au cours desquels je serai bien sûr constamment présente, et lors du débat en séance publique. Le temps imparti au débat sera donc de qualité et très dense. La discussion qui s’achève a d’ailleurs montré qu’il n’est pas besoin de s’éterniser pour mettre l’accent sur des sujets opérationnels, à propos desquels je m’engage à vous apporter des réponses précises et argumentées.

J’observe aussi que l’appréciation de l’urgence n’est pas la même pour nous, qui avons le temps de débattre, pour nos concitoyens qui souffrent du chômage et pour les petites entreprises du bâtiment qui attendent des commandes. J’ai donc eu le souci de trouver le juste équilibre permettant de concilier la qualité du débat parlementaire et la nécessité d’apporter le plus vite possible à nos entreprises – celles du secteur du bâtiment, celles de la filière des énergies renouvelables et celles qui veulent innover – des réponses opérationnelles. Elles nous en sauront gré. Vos questions le prouvent, qu’elles portent sur les méthaniseurs ; sur les ZNI ; sur la nécessité d’une action très rapide outremer, où le coût de l’énergie est considérable et où des opportunités majeures existent d’apporter des solutions en termes de formation professionnelle et d’emploi à une jeunesse pour moitié inactive ; sur la rénovation thermique et sur la manière dont le crédit d’impôt permettra aux citoyens de passer rapidement des commandes aux entreprises du secteur du bâtiment ; sur la formation professionnelle, que les entreprises du bâtiment sont en train de définir ; sur la place faite aux communautés de communes ; sur l’accès, crucial, aux renseignements sur tous ces sujets, nécessité qui nous poussera à installer des plateformes d’information.

De vos contributions, auxquelles je répondrai précisément soit par écrit, soit lors de l’examen des articles, soit après une expertise complémentaire pour certaines des questions abordées, je retiens votre souci de pragmatisme et d’efficacité. Je suis persuadée que le débat parlementaire, à partir de questions dont je n’avais pas obligatoirement perçu tous les aspects ou de sujets qu’il faudra préciser, donnera une marge de manœuvre suffisante pour permettre aux collectivités territoriales de se mettre en mouvement. Je ne voudrais donc pas que le choix de la procédure d’urgence soit mal interprété : il ne s’agit pas, et le dialogue que nous venons d’avoir le prouve, de bâcler le débat mais de répondre à l’urgence et aux attentes des territoires, qui sont souvent en avance sur le législateur.

Si la dimension européenne de la question ne relève pas de dispositions législatives, vos questions à ce sujet sont tout à fait fondées et je vous informerai des échéances européennes à venir. Je vous dirai aussi comment, en dépit de modèles énergétiques très divers, nous avons essayé de faire converger les approches des États membres de manière à respecter les engagements pris au niveau planétaire pour lutter contre le réchauffement climatique, réduire la précarité énergétique et renforcer l’indépendance énergétique, chaque pays ayant à ce sujet un même objectif. Je vous dirai encore comment nous parviendrons peut-être à un échange de stratégies et à la construction de filières d’investissement communes dans ce qui sera la prochaine révolution énergétique, celle du transport propre et du stockage de l’énergie. Le jour où l’on saura stocker l’énergie – et la recherche progresse assez vite – on aura également résolu la question du coût de l’utilisation des énergies renouvelables.

Voilà qui m’amène à traiter de la cohérence du texte, sur laquelle M. de Courson, notamment, s’est interrogé, évoquant le coût du plafonnement de notre capacité nucléaire. Cette cohérence existe : elle tient à la montée en puissance des énergies renouvelables, à la recherche de la performance énergétique, aux économies d’énergie et à la complémentarité voulue avec l’économie circulaire. Nous devons parvenir à faire de nos territoires des territoires dits « zéro déchet », où tous les déchets non éliminés doivent être considérés comme de nouvelles matières premières. En Allemagne, 70 % des déchets du bâtiment sont recyclés dans la construction. Parce que, en France, le taux est très bas, j’ai décidé de permettre la valorisation de ces déchets en les catégorisant comme matières premières, ce qui renforcera la productivité de la filière du bâtiment. Des évolutions considérables sont donc possibles, en s’inspirant des meilleures pratiques de chaque pays, pour réduire de manière draconienne le volume de déchets – dont l’élimination ou le traitement coûte fort cher –, en les intégrant, en qualité de matières premières, au cycle de production. Cela implique aussi une autre consommation. Cette vision globale de l’énergie emporte et une cohérence et une ambition.

Mais il faudra, bien sûr, plusieurs années pour l’atteindre. Dans un premier temps, j’ai comme vous, monsieur Heinrich, jugé que viser une réduction de 7 % en dix ans de la production de déchet par habitant était bien peu. C’était oublier que cette production augmente de manière exponentielle ; parvenir à la stabiliser est donc un effort considérable en soi, la réduire de 7 % est un effort plus important encore. J’étudierai la question dans le détail, car je suis convaincue que le volume de certains déchets – cartons, emballages, bouteilles d’eau en plastique par exemple – peut être réduit bien davantage et réintégré dans le cycle de production. Cela vaut aussi pour les déchets putrescibles et pour ce qui concerne le gaspillage alimentaire : d’évidence, on peut tirer de ces déchets-là beaucoup plus de compost, et les utiliser à grande échelle dans les méthaniseurs. Cela suppose la montée en puissance de projets individuels dans des territoires à énergie positive, dans le cadre de contrats locaux de transition énergétique. Ces contrats permettront de mobiliser les ressources de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, les moyens définis dans le projet et les co-financements des collectivités territoriales et du système bancaire, notamment ceux de la Banque publique d'investissement.

Vos interventions ont rendu perceptible une adhésion globale à l’idée que la transition énergétique est réalisable et à portée de main.

J’ai entendu les divergences qui se sont exprimées à propos du nucléaire. Après avoir écouté attentivement toutes les sensibilités et toutes les parties prenantes, j’ai le sentiment d’être parvenue à un équilibre et je vous propose un choix raisonné. Il souligne la place très importante du nucléaire – qui, en nous permettant d’accomplir la transition énergétique sans devoir, contrairement à nos voisins allemands, recourir au charbon, nous apporte une sécurité énergétique – tout en incluant dans l’appréciation du coût de cette filière celui du traitement des déchets ultimes, pour le comparer valablement au coût des énergies renouvelables, dont la performance économique s’améliorera à mesure qu’elles monteront en puissance.

Nous sommes à un moment charnière. Nous devons adopter les bonnes stratégies, cruciales pour l’avenir du pays ; opter pour le « tout ou rien » serait une erreur très coûteuse, à terme, pour la nation. En plafonnant la capacité de production nucléaire du pays, nous choisissons la sécurité. Par ce choix volontariste, nous nous donnons aussi les moyens de faire monter en puissance les énergies renouvelables et de ce fait d’en réduire le coût, et aussi de motiver l’investissement dans le stockage de l’énergie, élément clef. Le troisième pilier du dispositif, c’est la lutte contre le gaspillage énergétique, le choix de la sobriété et de la performance énergétique pour les bâtiments, un domaine dans lequel la France doit être à la pointe des compétences. Aussi, je souhaite que tous les nouveaux permis de construire des bâtiments publics et des logements sociaux concernent des bâtiments à énergie positive. Si certains réussissent à produire au moins autant d’énergie qu’ils en consomment, pourquoi n’en irait-il pas de même pour tous ? Michel-Ange le disait : le progrès est dans la contrainte – une contrainte qui doit, bien sûr, être intelligente. Il ne s’agit pas de fixer des normes incompréhensibles mais de tracer les contours de ce qui deviendra irréversible, non seulement parce que ce sera la norme juridique mais parce que tous les citoyens du pays auront compris qu’ils ont intérêt à s’engager dans cette voie.

Voilà ce qui fait de ce formidable chantier un champ d’innovation et de créativité. C’est aussi un instrument pour ceux qui souffrent de la précarité énergétique ; pour notre pays qui paye cher ses importations d’énergie ; pour les citoyens qui ne comprennent pas toujours le montant des factures qui leur sont adressées et qui veulent en réduire le coût pour gagner du pouvoir d’achat ; pour nos entreprises enfin, qu’elles soient traditionnelles ou innovantes et qui, chaque jour, apportent la preuve que la technologie française en matière de transition énergétique fait partie des meilleures au monde. (Applaudissements)

M. le président François Brottes. Je vous remercie, madame la ministre, pour la pédagogie et le pragmatisme dont vous avez fait preuve dans le projet et au cours du débat. Selon la volonté de la ministre, qui est aussi la mienne, ce texte sera conçu comme une co-construction. J’invite donc ceux de mes collègues qui ont des idées d’amendements à les communiquer dès maintenant à nos rapporteurs.

2. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie, accompagné de M. Stéphane Mialot, M. Frédéric Blanc, juriste à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir, M. Dominique Marmier, président de Famille rurales, accompagnées de Mme Nadia Ziane

(Séance du mercredi 10 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Les cinq rapporteurs du projet de loi devant mener parallèlement leurs propres auditions, ils ne pourront pas assister à toutes les réunions de notre commission. Mme Sabine Buis, qui participe à un forum sur l’économie circulaire, m’a ainsi demandé de l’excuser.

Nous recevons aujourd’hui les représentants des organismes en principe les plus proches de ceux qui sont parfois les oubliés des politiques de l’énergie : les consommateurs. À cet égard, l’Assemblée nationale vient de voter en séance publique la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité. Depuis des années, les décisions de justice vont à l’encontre de l’intérêt des consommateurs. Il nous est donc apparu utile de mener une réflexion à ce sujet. La commission d’enquête, qui sera installée à la fin du mois, devrait être présidée par M. Daniel Fasquelle et rapportée par Mme Clotilde Valter.

Mais je vous donne maintenant la parole, messieurs, pour nous exposer votre point de vue sur le projet de loi.

M. Dominique Marmier, président de Familles rurales. L’association que je préside est un mouvement de défense des consommateurs et des familles rurales.

M. le président François Brottes. Ce n’est pas qu’un mouvement consumériste : vous menez aussi des actions sociales dans le milieu rural, ce que tout le monde ne sait pas forcément et ce qui vous distingue d’autres associations.

M. Dominique Marmier. Nous sommes, en effet, des acteurs des territoires ruraux et nous offrons des activités et des services pour tous les âges. Cela étant, la consommation fait partie de notre champ, et c’est à ce titre que nous sommes invités aujourd’hui.

La ruralité, qui représente 80 % du territoire, est bien souvent la grande oubliée des politiques publiques. Nous essayons de faire entendre sa voix auprès des décideurs.

La transition énergétique est une démarche excellente dont nous pensons qu’elle doit être globale. Il faut prendre en compte toutes les formes d’énergie : l’électricité, le fioul, mais aussi la biomasse qui, en milieu rural, peut être un facteur de croissance important. Surtout, aucune famille ne doit être oubliée. Les politiques n’intègrent pas toujours les spécificités du milieu rural, ce qui entraîne par la suite de grandes difficultés.

J’évoquerai donc les dispositions du projet de loi qui ont particulièrement retenu notre attention.

Premièrement, nous nous réjouissons de l’instauration d’un chèque énergie. Les familles rurales n’ont pas accès au gaz de ville et n’ont pas toujours de chauffage électrique, si bien que la forme d’énergie principale est le fioul et qu’elles se trouvent exclues des dispositifs d’aide prévus pour le gaz et l’électricité. Le nouveau dispositif sera un facteur d’égalité entre les familles et entre les territoires.

Deuxièmement, nous prenons note des mesures relatives à l’isolation thermique. L’énergie la moins chère, c’est bien sûr celle que l’on ne consomme pas ! Un gros effort reste à réaliser en ce qui concerne les logements dits « passoires ». Le crédit d’impôt accordé pour les investissements dans ce domaine a son importance, mais beaucoup de familles ne sont pas propriétaires de leur logement et celles qui sont dans une situation de précarité n’ont, de toute façon, pas la possibilité d’investir dans l’isolation.

Troisièmement, notre mouvement s’intéresse beaucoup, en dépit de son caractère souvent trop abstrait, à la notion d’économie circulaire. Il nous semble important de consommer et de valoriser les produits de façon différente et plus intelligente, tout en réduisant la production de déchets.

Certains points du projet de loi appellent néanmoins notre vigilance.

Ainsi, la modulation de la tarification des déchets, qui est en soi une bonne chose, devra prendre en compte la composition des familles. Les familles nombreuses ne doivent pas se trouver pénalisées.

Nous nous interrogeons aussi sur l’obligation de réaliser une isolation par l’extérieur à l’occasion d’un ravalement de façade. L’idée est peut-être séduisante, mais toutes les familles auront-elles les moyens, en milieu rural, d’investir dans une isolation extérieure dont le coût est quatre fois plus élevé qu’une simple rénovation ? Une telle obligation serait-elle acceptable d’un point de vue juridique ? Ne pourrait-on plutôt imaginer un crédit d’impôt modulé en fonction, non seulement de l’investissement, mais aussi du gain énergétique obtenu ?

Nous souhaitons aussi la création d’un label permettant de guider les consommateurs dans le choix d’un professionnel. Il est beaucoup question d’isolation, d’énergies renouvelables produites par panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques, biomasse et autres, mais l’information est très peu lisible. Un label décerné aux entreprises fournissant une information et des installations de qualité permettrait aux familles de mieux s’y retrouver.

Enfin, nous préconisons la consécration d’un droit opposable à l’énergie et la mise en place d’un service minimum de l’électricité. Aujourd’hui, les familles en grande précarité sont exposées à des coupures, particulièrement dures à supporter en hiver.

M. Frédéric Blanc, juriste à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir. L’UFC-Que Choisir salue les objectifs fixés au titre Ier du projet de loi. Ce sont des objectifs ambitieux qui vont au-delà de ceux fixés au plan européen.

Pourtant, dès que l’on entre dans le corps du texte et que l’on recherche les mesures concrètes, on constate de nombreuses lacunes. Quant aux dispositions proposées, elles paraissent parfois contre-productives.

De plus, les mécanismes du projet de loi dépendent beaucoup de l’argent public. On renvoie au projet de loi de finances pour 2015, là où il aurait sans doute fallu rechercher d’autres sources de financement.

Enfin, le texte manque cruellement de mesures protégeant le consommateur.

Le premier pilier du projet de loi est l’efficacité énergétique. Le texte fait de l’efficacité passive du bâti une priorité. Tout en l’approuvant, nous émettons des réserves sur les moyens envisagés pour atteindre l’objectif. Comme Familles rurales, nous regrettons que les aides publiques ne soient pas proportionnelles à la performance énergétique réellement obtenue. On a porté le crédit d’impôt à 30 % quel que soit le produit, même pour des équipements que l’on devrait de toute façon remplacer. Cela ne permet pas de s’assurer de l’amélioration effective de la performance du logement rénové. Par ailleurs, aucun mécanisme n’existe pour inciter les bailleurs, qui ne sont pas directement concernés par la consommation d’énergie du logement loué, à réaliser des travaux. Nous aimerions voir le projet de loi amélioré sur ce point.

Pour nous, j’y insiste, seuls des mécanismes favorisant une responsabilité quant à la performance énergétique réelle après la réalisation des travaux permettront d’atteindre les objectifs en matière d’efficacité passive. Dans un rapport récent, d’ailleurs, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) invite à sortir du calcul théorique de l’énergie primaire et à se fonder sur la mesure de la performance et sur les usages, de manière à garantir la responsabilité directe des artisans – via le label RGE (reconnu garant de l’environnement), semble-t-il – en matière de performance constatée, indépendamment de toute malfaçon ou désordre matériel. Un mécanisme d’assurance couvrirait cette responsabilité spécifique, de manière à structurer le marché : en garantissant l’effectivité des économies d’énergie et en assurant la solvabilité du consommateur, ce mécanisme sécuriserait le financement privé qui se tournerait alors vers ce type de dépense. Les assureurs seront contraints de prévoir des audits avant et après les travaux, puisqu’il leur faudra distinguer ce qui relève de l’usage abusif et ce qui relève de la performance énergétique défectueuse. Nous souhaitons que ce dispositif, le seul, selon nous, qui permette d’atteindre les objectifs fixés, soit inscrit dans la loi.

L’efficacité énergétique a un autre aspect, actif celui-là, qui concerne les moyens donnés au consommateur pour maîtriser sa consommation. Il faut, en particulier, que le compteur Linky lui délivre, en temps réel, une information sur sa consommation, en kilowattheures et en euros, et nous souhaitons que cela soit inscrit dans la loi. Pour que l’information soit consultable à tout moment, il conviendra que le compteur soit, dans tous les cas, installé sur le lieu de vie. En identifiant le prix du kilowattheure et en localisant les consommations inutiles, le consommateur pourra ainsi adapter et améliorer ses usages.

Nous pensons aussi qu’il faut contraindre les fournisseurs à délivrer une fiche standardisée sur les écogestes essentiels permettant de réduire la consommation. Les études montrent que l’on peut faire jusqu’à 12 % d’économies d’énergie grâce à une meilleure utilisation des appareils.

Les réseaux de distribution constituent le deuxième pilier de la transition énergétique.

Dans le texte, la question est abordée à travers les mécanismes de rémunération du TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité). Or l’investissement est aujourd’hui insuffisant. Il est, en outre, principalement curatif et non préventif. La ligne fixée pour la période 2009-2012 n’a pas été respectée : le sous-investissement représente plus de 1,3 milliard d’euros. Les temps de coupure sont en augmentation. Les consommateurs paient très cher les investissements non réalisés : on a surrémunéré le capital d’ERDF (Électricité réseau distribution France) sans prendre en compte le régime concessif et on a permis la captation de provisions pour renouvellement.

M. le président François Brottes. Précisons que le TURPE représente la rémunération de tous les coûts relatifs aux réseaux et à leur usage – transport et distribution. Il est compris dans le prix de l’électricité acquitté par le consommateur.

M. Frédéric Blanc. Le problème est que cette rémunération devrait permettre au gestionnaire d’investir, ce qui n’est pas le cas : on surrémunère le gestionnaire et l’investissement n’a pas lieu ! ERDF est plongé dans une logique financière du fait de son intégration à 100 % à EDF, producteur coté en bourse agissant dans un secteur concurrentiel et ne partageant pas du tout la logique patrimoniale dans laquelle sa filiale devrait s’inscrire pour intégrer de manière neutre les énergies renouvelables, pour assurer un réseau décentralisé, bref, pour répondre aux enjeux de la transition énergétique.

Il faut sortir ERDF de cette logique financière. Il ne sert à rien de prévoir, comme le fait le texte, d’augmenter le TURPE en validant un mécanisme de surrémunération, pourtant sanctionné par le Conseil d’État en novembre 2012, et en ajoutant une marge aux profits d’ERDF alors que l’investissement n’est déjà pas fait aujourd’hui ! En plus d’être inefficaces, ces dispositions renforcent les distorsions de concurrence sur les marchés annexes où EDF se place, puisque les dividendes remontent à la trésorerie centralisée de la maison mère.

En un mot, une meilleure séparation des deux entités est nécessaire pour assurer un investissement à la hauteur de l’enjeu.

Un problème de libre concurrence se pose également pour le véhicule électrique, auquel le projet de loi réserve un traitement avantageux. Il est notamment prévu de rendre obligatoire le déploiement d’importantes infrastructures à l’horizon 2030 alors même que des incertitudes demeurent sur ces technologies. On ignore encore si le véhicule le plus performant pour le consommateur du point de vue écologique et économique fonctionnera à l’hydrogène, au GNV (gaz naturel véhicule) ou à l’électricité. Trancher la question dans ce projet de loi nous semble aventureux, risque de créer un surcoût à terme et n’assure pas la neutralité technologique nécessaire pour choisir la meilleure technologie au meilleur prix et à l’impact écologique le plus réduit. Si nous voulons éviter de mauvaises surprises par la suite, mieux vaut que la loi reste neutre !

Enfin, le consommateur doit prendre sa part dans la transition énergétique. Pour que celui-ci soit à même de relever ce défi, il faut installer un climat de confiance, le protéger. Or les nouvelles aides vont accroître encore les problèmes liés aux démarchages à domicile pour l’installation de panneaux photovoltaïques, les travaux de rénovation énergétique, etc. Souvent, le consommateur qui a souscrit un crédit affecté à de nouveaux équipements se retrouve avec des installations défectueuses, voire partiellement réalisées seulement, tout en devant continuer à effectuer ses remboursements. Puisque c’est la banque qui accrédite les démarcheurs et que les sociétés d’installation disparaissent aussi vite qu’elles se créent, laissant le consommateur sans recours, nous proposons d’instaurer un mécanisme qui rendrait la banque directement responsable du bon déroulement des travaux et qui lui ferait obligation de vérifier les compétences des professionnels et la régularité de leurs pratiques commerciales.

M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie. Le médiateur de l’énergie, dont la compétence s’étend en premier lieu aux énergies de réseau – électricité et gaz –, n’a évidemment pas vocation à porter un jugement sur la totalité du projet de loi. Il occupe néanmoins un bon poste d’observation.

Je salue, tout d’abord, la création du chèque énergie. Mon prédécesseur et moi-même avons toujours soutenu cette mesure, considérant que les tarifs sociaux existants sont inopérants. Il n’en reste pas moins que le chèque énergie risque, lui aussi, d’être inefficace s’il repose sur les mêmes bases financières. À la fin de 2013, les tarifs sociaux concernaient 1,6 million de foyers et 2,4 millions de contrats, alors que l’on estime à 4 millions le nombre de foyers qui devraient en bénéficier. Le rapprochement des fichiers étant une question très difficile, nous sommes en situation d’échec dans ce domaine.

Par ailleurs, les foyers bénéficient, au titre de ces tarifs, de 94 euros en moyenne quand la contribution au service public de l’électricité (CSPE) leur en retire 150, et l’augmentation des tarifs depuis 2010 représente au bas mot 130 à 140 euros. Bref, on a limité les effets de la hausse mais on n’a aucunement soulagé le budget des ménages. Si l’on veut créer le chèque énergie et l’élargir à tous les consommateurs, il faudra trouver au moins un milliard d’euros. Malgré le « notamment » pudique qui figure dans le projet de loi, il est douteux, vous en conviendrez, que le budget de l’État puisse abonder cette somme. Il faudra trouver d’autres financements, y compris sur les autres énergies : ce qui serait grave, ce serait d’étendre le chèque énergie à toutes sortes d’usages et de n’en faire supporter le coût qu’aux consommateurs d’électricité !

M. le président François Brottes. J’espère que vous nous ferez des propositions sur l’assiette de ce financement.

M. Jean Gaubert. Il faut assurément l’élargir. Comme vous le savez, les personnes utilisant le chauffage électrique sont souvent locataires. Les propriétaires leur ont installé des « grille-pains », moins onéreux. En milieu rural, notamment, ce type d’installation permet aux offices HLM de respecter les prix plafonds. Statistiquement, alors que la CSPE augmente tous les ans, ce sont de plus en plus les personnes les plus pauvres qui la paient.

Alors que l’on estime le coût du chèque énergie à 200 millions d’euros par an, la CSPE représente, elle, 6 milliards, dont 3,8 milliards pour les énergies renouvelables et 2 milliards pour les systèmes électriques insulaires – c’est-à-dire la péréquation appliquée aux îles et aux départements d’outre-mer. Le montant de 3,8 milliards doit être rapporté aux engagements déjà pris au titre des énergies renouvelables et dont l’estimation varie entre 70 milliards – selon la direction générale de l’énergie et du climat – et 110 milliards d’euros. Ces engagements ne sont pas couverts, alors que les contrats sont passés pour des périodes allant jusqu’à vingt-cinq ans. Le système a été mis en place en 2004 et l’on peut prédire son éclatement si l’on continue de faire reposer la CSPE sur une assiette aussi restreinte.

Notons au passage que certains énergéticiens ont bien tiré leur épingle du jeu et supportent des coûts qui n’ont rien à voir avec les montants de la CSPE. Le gaz, par exemple, n’est soumis qu’à une contribution destinée à la méthanisation et à une contribution au tarif social de solidarité qui représente 4 millions d’euros. Même chose pour le fioul, qui alimente un fonds destiné à financer les biocarburants.

Après le rapport que Jean Launay, ici présent, et Michel Diefenbacher consacrèrent en 2010 à la gouvernance de la CSPE, un rapport sur l’avenir de cette contribution semble nécessaire. Je suis évidemment favorable au financement des énergies renouvelables, mais je pense qu’il faudrait mieux ajuster certaines primes. Il y a des situations, vous le savez bien, qui sont très favorables. Jamais les démarcheurs n’utilisent l’argument de la démarche citoyenne pour vendre leurs panneaux photovoltaïques : ce qu’ils mettent en avant, c’est le gain d’argent !

Le deuxième sujet que je souhaite aborder a trait à la fois à ce projet de loi et à un autre texte, également en cours d’examen, habilitant le Gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la directive européenne sur la médiation. Cette directive faisant obligation à chaque État de couvrir par la médiation l’ensemble des secteurs de la consommation d’ici à juillet 2015, il vous appartiendra de choisir entre l’élargissement des compétences des médiateurs existants et la création de nouveaux médiateurs. Nous pensons, pour notre part, que nous pourrions couvrir l’ensemble des secteurs énergétiques et traiter des litiges et des « arnaques » liés à la transition énergétique, qui, comme l’a dit M. Frédéric Blanc, sapent la confiance des consommateurs.

Je pense en particulier aux labels qui n’en sont pas, à commencer par le label « EDF Bleu ciel », octroyé sur simple déclaration et moyennant le paiement d’une certaine somme : dans de nombreux cas, l’entreprise disparaît tout simplement après avoir effectué quelques démarchages rapides. Commençons donc par responsabiliser ceux qui attribuent les labels !

Concernant maintenant la gouvernance d’ERDF, comme M. Blanc, j’observe que l’argent que le consommateur verse pour être servi par des réseaux théoriquement en excellent état ne va pas toujours auxdits réseaux. À cet égard, on doit s’interroger sur la différence de statut entre RTE (Réseau de transport d’électricité) et ERDF, pourtant tous deux filiales d’EDF.

Tout d’abord, le président de RTE est nommé en conseil des ministres, celui d’ERDF par le président-directeur général d’EDF. De plus, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) définit avec RTE la trajectoire d’investissement de l’entreprise et contrôle son exécution. Lorsqu’elle estime que RTE a réalisé des marges injustifiées, elle peut décider de les redistribuer. En mai dernier, elle a ainsi ordonné le reversement de 160 millions pour moitié aux consommateurs et pour moitié aux industries électro-intensives. En revanche, si la CRE peut approuver la trajectoire d’investissement d’ERDF, elle n’a aucun pouvoir sur sa réalisation. C’est ainsi que l’entreprise, en faisant des économies sur des investissements pourtant nécessaires, arrive à faire remonter du cash à EDF. Il conviendrait donc, je crois, d’aligner la gouvernance d’ERDF sur celle de RTE.

Nous souhaiterions également que le Parlement intervienne sur le délai de régularisation des factures, qui est aujourd’hui de deux ans alors que la loi oblige les opérateurs à réaliser un relevé complet tous les ans. La situation juridique étant contradictoire, il arrive que des abonnés reçoivent une demande de régularisation portant sur deux ans et n’arrivent pas à payer les montants demandés. Ayant à traiter de tels dossiers, nous répondons qu’il est anormal qu’aucune régularisation n’ait eu lieu au bout d’un an, à moins que le distributeur puisse justifier de l’impossibilité de relever le compteur en raison de l’opposition du consommateur – ce qui est souvent le cas.

Je voudrais aussi indiquer que l’imprécision du statut juridique des colonnes montantes pourrait coûter très cher dans les prochaines années. Installées par le promoteur mais pas toujours entretenues par ERDF, ces colonnes sont souvent dégradées et dangereuses et donnent lieu à des litiges – sachant que, légalement, le réseau s’arrête au disjoncteur du particulier, celui-ci se trouvant toujours après la colonne montante. Un plan à dix ans pour régler le problème serait le bienvenu. Rappelons que GDF se désintéressait du remplacement des canalisations en fonte grise jusqu’à ce que survienne l’explosion de Mulhouse…

Enfin, je crois que la rénovation thermique ne se fera pas seulement par des incitations. Dans les zones où le secteur du logement est sous tension, beaucoup de propriétaires bailleurs n’engageront jamais de tels travaux. Il faudra donc passer à une forme de coercition, par exemple en obligeant le propriétaire à prendre en charge une partie de la consommation du locataire s’il n’a pas réalisé la rénovation thermique dans un certain délai. L’enjeu sociétal est là au moins aussi important que celui de la mise en conformité aux normes de sécurité des ascenseurs, à laquelle les copropriétaires se sont pliés.

M. le président François Brottes. Je constate que les représentants de la confédération CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), que nous avions également conviés à cette table ronde, sont absents et ne nous ont pas transmis d’excuses.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Que pensez-vous, monsieur le médiateur de l’énergie, du régime de complément de rémunération que le titre V propose comme alternative aux tarifs de rachat ? La convergence des prix de marché des énergies renouvelables est-elle, selon vous, une nécessité de court terme ou de moyen terme eu égard au degré de maturité des filières ?

Selon vos observations, les manquements des exploitations de production d’électricité renouvelable à leurs obligations contractuelles sont-ils nombreux, et quelles formes prennent-ils ?

L’idée d’une entrée des collectivités locales dans le capital de ces sociétés et d’un financement participatif par les habitants vous semble-t-elle bonne ? Quels problèmes pourrait-elle poser ?

M. Denis Baupin, rapporteur. Je remercie les participants pour leur franchise de ton.

Ne pensez-vous pas, monsieur le médiateur de l’énergie, que l’essentiel des coûts de la CSPE relatifs aux énergies renouvelables sont dus à quelques bulles qui ont pu se former par le passé ? Ne nous dirigeons-nous pas progressivement vers une situation plus vertueuse ?

S’agissant du chèque énergie – dont le financement est, en effet, une question cruciale –, pensez-vous qu’il soit pertinent de prévoir l’utilisation du dispositif pour aider les ménages à acheter des appareils électroménagers moins énergivores ? Le remplacement d’un vieux réfrigérateur, par exemple, permet de réduire très sensiblement la consommation. 

En matière de conseil aux consommateurs et d’accompagnement de ceux qui souhaitent investir dans des travaux, le dispositif que vous préconisez pour les banques, monsieur Blanc, me semble un peu compliqué. À l’échelle territoriale, quelles recommandations formuleriez-vous pour que les services publics apportent une sorte de garantie aux conseils apportés à nos concitoyens ?

La question de l’alignement des statuts d’ERDF sur ceux de RTE mérite largement d’être posée, monsieur le médiateur. À cet égard, estimez-vous souhaitable que les collectivités territoriales, propriétaires d’une bonne partie du réseau, participent à la gouvernance d’ERDF ? Que pensez-vous de l’idée de la création d’un comité qui représenterait les collectivités territoriales au sein de la CRE et qui assurerait le suivi des investissements ?

On sait que le compteur Linky devra délivrer des services obligatoires au consommateur, tandis que d’autres services seront facturés ? Quelle devrait être, selon vous, la liste des services obligatoires ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Les intervenants rejoignent certaines conclusions que nous avons formulées dans une étude récente de l’OPECST.

En particulier, l’aide publique doit être proportionnelle à la performance énergétique réelle, qu’il est donc nécessaire de mesurer.

Il faut également favoriser l’efficacité énergétique active en délivrant au consommateur une information en temps réel et instaurer un label pour guider les familles.

Par ailleurs, notre rapport s’interroge sur les possibilités de financement de cet énorme marché dans les quinze prochaines années.

Ne pensez-vous pas que l’on devrait instaurer une obligation de gérer les intermittences d’occupation et la variabilité des usages ?

Il est question, à l’article 4, de bâtiments à énergie positive. En la matière, doit-on créer un label en s’inspirant de ceux qui existent déjà dans d’autres pays ?

Par ailleurs, la réglementation thermique 2012 ne se fonde que sur l’énergie primaire. Ne conviendrait-il pas de fixer aussi un plafond d’émissions de CO2 et une part minimale d’énergies renouvelables ? Les aides doivent-elles être conditionnées à un plan global de rénovation ? Dans ce cas, il serait sans doute pertinent de constituer un réseau de conseillers en rénovation, comme l’Allemagne l’a fait en s’appuyant sur les architectes, les cabinets d’expertise et d’ingénierie et les artisans.

En matière de financement, ne pourrait-on avancer les frais de la rénovation en prévoyant le remboursement du principal à l’occasion de toute mutation juridique du bien ? Tout le monde y gagnerait : le locataire, dont la facture énergétique baisserait, et le propriétaire, dont la valeur du bien augmenterait.

Enfin, comme M. Blanc l’a suggéré, ne conviendrait-il pas d’introduire obligatoirement une allégation de performance dans le contrat de prestation d’efficacité énergétique ?

M. André Chassaigne. Que pensez-vous du dispositif instaurant un fournisseur de dernier recours, qui résoudrait la question grave des personnes qui n’ont pas ou plus d’accès à l’énergie ? Il devrait être inscrit dans la loi que le droit à l’énergie doit être garanti par un service public.

On a souvent affirmé, lors des lois Grenelle, que le financement des travaux d’isolation des bâtiments serait assuré par les économies d’énergie subséquentes – en sept ans, disait-on même, ces économies couvriront le coût. Depuis, a-t-on réalisé des études à ce sujet ? Des précisions seraient utiles, car de très nombreux logements sont encore de véritables « passoires ».

S’agissant du chèque énergie, j’aimerais savoir, monsieur Marmier, si l’on dispose d’évaluations sur le coût moyen de la facture énergétique en milieu rural. La moyenne nationale, quant à elle, s’élève à 3 200 euros par ménage, dont 1 800 euros pour le logement et 1 400 euros pour les transports. Ces coûts pèsent lourdement sur la vie quotidienne des gens !

M. Daniel Fasquelle. Les travaux de la future commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité s’articuleront avec les discussions sur le présent texte. La question est de déterminer la réalité des coûts et de savoir qui les supporte.

Ce n’est pas en instaurant une tarification artificielle, déconnectée des réalités ou qui ne prendrait en compte qu’une partie des coûts, comme l’a suggéré Mme Ségolène Royal, que l’on va régler la question de la précarité énergétique et de l’accès des Français à l’énergie. Pour ma part, je suis partisan de la vérité des coûts, ce qui n’empêche nullement que l’on mette en place parallèlement un système qui permette de lutter véritablement contre les difficultés des ménages.

Le dispositif proposé ici est peu compréhensible. On fait appel un peu au consommateur, un peu au contribuable, tout en donnant l’illusion aux Français qu’in fine c’est le Gouvernement ou le Président de la République qui fixe le prix de l’électricité et du gaz. Rappelons tout de même qu’il s’agit de produits vendus sur un marché. Leur prix ne peut être fixé de façon déconnectée des réalités !

M. le président François Brottes. Vous faites là la critique d’un système que vous avez vous-même cautionné.

M. Daniel Fasquelle. Et que la majorité actuelle a repris, subissant, elle aussi, les annulations du Conseil d’État.

M. le président François Brottes. C’est exact.

M. Daniel Fasquelle. Vous auriez pu tenir compte de notre expérience pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Errare humanum est, perseverare diabolicum !

Quoi qu’il en soit, la réflexion sur les tarifs sociaux ou les aides directes que l’on peut accorder aux ménages pour alléger leur facture doit être liée à celle sur l’isolation thermique et sur la baisse de la consommation d’énergie. Comme vous, je constate sur le terrain que les personnes les plus exposées à la précarité énergétique – souvent des familles avec enfants qui vivent dans des locaux très mal isolés – sont celles qui ont le moins de moyens et celles qui ont le plus de mal à avoir accès aux aides. À l’inverse, ce sont ceux qui en ont le moins besoin qui accèdent le plus facilement aux dispositifs. Je crains que le projet de loi n’accentue cette tendance, puisqu’il faudra avoir la capacité d’investir un minimum d’argent pour pouvoir bénéficier des aides.

Bref, je crois qu’il faut accepter la réalité des prix et faire jouer la concurrence tout en installant un système efficace d’aide aux Français qui en ont le plus besoin.

Il faut également faire un effort en matière de formation, les professionnels étant souvent insuffisamment formés.

Nous devons, par ailleurs, veiller à l’articulation entre l’action nationale et l’action locale. La région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, fait de l’entrée dans la troisième révolution industrielle une priorité et met en place des politiques en ce sens. Il faudra que les politiques nationales s’harmonisent avec ces initiatives régionales.

Enfin, vos remarques sur le compteur Linky ouvrent la question de la mise en place des réseaux intelligents, de l’amélioration de leur pilotage et de l’accès de tous à ce pilotage.

M. le président François Brottes. La réhabilitation thermique des bâtiments répond à trois objectifs. Le premier, qui est un objectif général d’économie d’énergie qui profitera à la nation et à la planète, concerne les riches comme les pauvres, sans discrimination aucune. Du reste, ceux qui gaspillent ne sont pas forcément les pauvres. Le deuxième objectif vise à relancer la réhabilitation dans le bâtiment, car elle bénéficiera à des métiers de proximité non délocalisables. Le troisième est de chercher à sortir de la précarité ceux qui y sont plongés. Ces objectifs ne s’opposent pas forcément les uns aux autres.

J’ai vécu l’examen notamment de la loi NOME et de plusieurs Grenelle de l’environnement : plus la loi fige les dispositifs – c’est un travers de toutes les majorités –, moins elle est réactive aux décisions de justice. C’est la raison pour laquelle la prochaine loi devra se contenter de fixer un cadre, afin de permettre au pouvoir réglementaire de s’adapter à d’éventuelles décisions de justice.

M. Jean Launay. Les trois interventions ont eu pour points communs le chèque énergie, la CSPE et le statut d’ERDF. Ces convergences pourront utilement nous guider dans la rédaction d’amendements visant à améliorer le texte qui nous est proposé.

M. le médiateur a bien voulu rappeler que Michel Diefenbacher et moi-même avons rendu, en septembre 2010, un rapport sur la CSPE pour la commission des finances : il portait sur les effets du dispositif sur les comptes d’EDF – c’était l’époque de la bulle photovoltaïque – ainsi que sur le calibrage des aides fiscales en faveur du développement durable. Assurer le respect des engagements européens de la France est un objectif qui fait bien partie intégrante du texte relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

En 2012, la Cour des comptes a qualifié la CSPE d’impôt déguisé : en prévoyant la création d’un comité de gestion, le projet de loi apporte une réponse insuffisante, car elle vise plus la forme que le fond. Or, le fond du problème, c’est que la CSPE est un impôt injuste…

M. le président François Brottes. Ce n’est pas un impôt.

M. Jean Launay. C’est une imposition de toute nature, dont l’acceptation sociale est fragile. Le représentant de Familles rurales ne me contredira pas : en cas de hausse du prix de l’électricité, les familles qui se chauffent avec ce qui a été qualifié de « grille-pain » ont plutôt tendance à restreindre le chauffage, avec toutes les conséquences que ces restrictions ont en termes de santé et de salubrité des logements.

Pour apporter une réponse sociale efficace, il faut traiter la question posée par la CSPE en termes économiques, c’est-à-dire, comme le médiateur l’a suggéré, élargir son assiette à toutes les énergies de chauffage, ce qui permettra d’accroître, pour le consommateur, à la fois la lisibilité de cette taxe et celle de l’action publique.

M. Pascal Deguilhem. Monsieur Marnier, les départements ruraux connaissent un très fort pourcentage de propriétaires occupants impécunieux. Dans ce contexte, le crédit d’impôt ne peut pas répondre à la question de la réhabilitation et de la mise aux normes énergétiques. Dans mon département, plus de 72 % des propriétaires sont occupants, et une grande partie d’entre eux sont en très grande précarité – il s’agit notamment de ménages ou de personnes âgées aux faibles revenus. En dehors des caisses de retraite, quels organismes pourraient abonder les dispositifs ?

Par ailleurs, le projet de loi nous offre l’occasion de résoudre les problèmes, notamment de légalité, soulevés par le démarchage en matière de panneaux photovoltaïques, de pompes à chaleur ou de portes et fenêtres. Je m’adresse plus précisément à M. le médiateur et au représentant de l’UFC-Que Choisir ? : quels dispositifs inscrire dans le texte pour remédier à cette situation intolérable ?

M. Charles de Courson. Ne conviendrait-il pas de rendre étanche ERDF en lui donnant un statut autonome, détaché des producteurs et des distributeurs d’électricité, et en inscrivant dans la loi que ses bénéfices ne pourront être distribués en dehors de l’entreprise ? Actuellement, en raison de la politique conduite par un État prédateur, les prélèvements sur les bénéfices entraînent une augmentation des tarifs de l’électricité. Les bénéfices devraient, au contraire, être réinvestis ou entraîner une baisse de la partie du tarif attachée à ERDF. De plus, son dirigeant, comme c’est le cas des autres dirigeants d’EDF, devrait être nommé en conseil des ministres, ce qui permettrait d’assurer l’indépendance d’ERDF et d’éviter les détournements des tarifs fixés.

Par ailleurs, il se dit que si les objectifs fixés en termes d’énergies renouvelables (EnR) sont atteints, la CSPE représentera bientôt quelque 10 % de la facture totale d’électricité. A-t-on les chiffres exacts de l’évolution de la part EnR de la CSPE – la part des autres sujétions financées par la taxe devant rester à peu près stable ? Cette évolution sera-t-elle supportable ou ne conviendrait-il pas de mettre à contribution les autres énergies ? Pourquoi, en effet, une partie du financement des EnR n’est-il pas supporté par les énergies carbonées – le gaz, pour ne pas le nommer ? On peut d’autant moins continuer de faire supporter à la CSPE 100 % du surcoût engendré par les EnR, que celles-ci ne sont pas destinées à se substituer uniquement à l’électricité mais à toutes les énergies non renouvelables.

M. le président François Brottes. L’élargissement de l’assiette de la CSPE répond aux vœux de tous ceux qui se sont exprimés sur le sujet.

M. Christophe Bouillon. Quelle part représente, dans le budget des ménages, la dépense énergétique et quelle est son évolution sur les dernières années ?

Les associations que vous représentez conseillent et accompagnent souvent les familles, notamment en matière de surendettement. Quelles actions menez-vous auprès d’elles pour modifier leurs comportements en matière de consommation d’énergie ? Des bailleurs se plaignent parfois de la difficulté qu’ils rencontrent à faire respecter des niveaux raisonnables de température.

La précarité énergétique n’a pas uniquement pour cause la faiblesse des revenus : elle peut relever des bâtiments eux-mêmes. En zone périurbaine ou rurale, il n’est pas rare que des personnes isolées, parfois âgées, vivent dans une maison qui est une véritable passoire énergétique. Ne relevant pas toujours des minima sociaux, ces personnes rencontrent des difficultés pour bénéficier d’une aide financière leur permettant d’isoler dans sa globalité leur logement. Comment résoudre ce problème, alors que nous venons d’adopter la loi sur le vieillissement, qui vise à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ?

Enfin, des régions ont déjà mis en place le chèque énergie : avez-vous des retours d’expérience ?

Mme Sylviane Alaux. Vous avez évoqué les arnaques aux économies d’énergie dont les consommateurs sont trop souvent victimes. Il ne saurait en être autrement puisque, pour la majorité d’entre eux, la transition énergétique, c’est de l’hébreu ! Il faudrait trouver, ensemble, le moyen à la fois de vulgariser ce concept et d’éduquer les consommateurs aux économies d’énergie.

Alors que des régions ont déjà mené une politique de formation des professionnels concernés, il reste, je le répète, à expliquer aux consommateurs la finalité des efforts à consentir pour réussir la transition énergétique.

Quel est, selon vous, le meilleur moyen de leur faire toucher du doigt les exigences en la matière ?

M. Michel Lesage. La précarité énergétique résulte de plusieurs facteurs : faiblesse des revenus, mauvaise qualité thermique des logements, coût de l’énergie.

La question du droit d’accès à l’énergie pour tous rejoint, dans le cadre du droit au logement pour tous, celle du droit d’accès à l’eau pour tous, sur laquelle je travaille dans le cadre d’une proposition de loi qui vise à créer une allocation de solidarité eau. Celle-ci tiendrait compte, non seulement des revenus et de la composition de la famille, mais également des modalités de financement. M. le médiateur de l’énergie a appelé notre attention sur le fait que ce sont les autres usagers qui financent les actions de solidarité : quelles modalités de financement permettraient de faire appel à la solidarité nationale ?

Quant au chèque énergie, ne pourrait-il pas aider à financer l’acquisition de matériels peu consommateurs d’énergie ?

Par ailleurs, comment repérer et accompagner les populations en situation de précarité énergétique ? Les collectivités locales, qui sont au cœur des problématiques énergétiques, doivent être impliquées dans ce repérage et les actions de sensibilisation aux économies – modification des comportements, réalisation de travaux.

De plus, comment intégrer la performance énergétique dans les critères de décence que doit remplir tout logement destiné à la location ?

Enfin, ne conviendrait-il pas d’inscrire dans la loi un fournisseur d’électricité de dernier recours ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. En dehors des îles, la relation aux territoires en matière énergétique est la même quelles que soient les régions, alors que la France est un des rares pays au monde à connaître une très grande variété climatique. Ne serait-il pas souhaitable d’adapter la loi aux conditions climatiques et de le faire en liaison avec les collectivités territoriales ? Le climat continental de la Lorraine n’est ni le climat méditerranéen de Montpellier, ni le climat océanique de la Bretagne, ni le climat tempéré de la région parisienne. Les factures d’énergie de nos concitoyens sont donc différentes en fonction de la région où ils résident. Ne serait-il pas possible, en relation avec les collectivités territoriales, de faire de la différenciation climatique une opportunité à saisir à la fois pour les consommateurs, les opérateurs, voire les constructeurs ?

M. le président François Brottes. Vous me rappelez avec émotion l’instauration du bonus-malus énergétique, que le Conseil constitutionnel a censuré. Il prenait en compte notamment la composition de la famille et la zone géographique, l’idée étant d’instaurer un droit théorique à énergie différent en fonction de ces deux critères objectifs. J’ai essuyé des critiques, y compris de la part du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui m’accusait de vouloir mettre fin à l’égalité de traitement en matière de tarifs, alors que l’égalité d’accès, comme l’égalité des chances, implique, au contraire, de prendre en considération les différences objectives, et ce en accord avec le texte même de la Constitution.

Du reste, si le Conseil constitutionnel a censuré la mesure, ce n’est pas sur le fond, mais au nom de l’égalité de traitement entre les différents types de consommateurs : en effet, la mesure s’appliquait aux particuliers et non aux entreprises. Il est donc tout à fait possible de travailler de nouveau la question.

M. Stéphane Travert. Il est vrai, monsieur Marmier, que le monde rural est touché par la précarité énergétique.

Vous avez évoqué la création de labels de qualité à destination des professionnels, ce qui permettrait aux usagers de faire les bons choix, s’agissant notamment de l’entreprise. Or ces labels existent déjà : je citerai Qualibois ou Qualibat. Plutôt que d’inventer d’autres dispositifs, ne serait-il pas préférable d’améliorer les critères d’attribution de ces labels ?

Je vous renvoie, enfin, au chèque éco-énergie qui a été mis en place par la région Basse-Normandie en 2010. Son succès auprès de nos concitoyens a été tel que nous avons renouvelé le dispositif cette année, et que nous le ferons sans doute pour les prochaines années.

M. le président François Brottes. Familles rurales a évoqué la tarification incitative en matière de déchets, qui pénalise les familles nombreuses. Cette question rejoint celle de la responsabilisation. Lorsqu’une collectivité met en place une tarification incitative au poids ou au volume, ceux qui y contribuent le plus sont évidemment ceux qui produisent le plus de déchets. Comment conjuguer la responsabilisation et la volonté de ne pas pénaliser les familles nombreuses ? Les collectivités territoriales sont confrontées à ce problème, d’autant que l’eau ou les déchets sont des budgets propres qui ne peuvent pas être pris en compte dans le cadre du quotient familial.

UFC-Que Choisir a soulevé la question des nouveaux compteurs, notamment leur caractère intrusif, qui pose un problème d’ordre éthique, puisqu’ils permettent de savoir, par exemple, quand les occupants d’un logement sont chez eux. Ces compteurs ont un autre côté agaçant : ils servent surtout les intérêts du gestionnaire des réseaux et assez peu ceux des consommateurs. Le Gouvernement, après en avoir discuté avec ERDF et la CRE, a certes amélioré le texte mais les avancées sont encore insuffisantes. Le compteur devrait afficher la consommation non pas en kilowattheure mais en euros, une information plus parlante pour le consommateur. On nous rétorque qu’une telle exigence impliquerait de revoir les appels d’offre. C’est un prétexte. Les compteurs Linky offrent la possibilité d’une interface avec les consommateurs, qui doit être de droit et non payante. Elle devrait être obligatoire au moins pour ceux qui bénéficient du chèque énergie ou du tarif social de l’électricité, afin de les aider à mieux consommer. Il est important d’entendre les consommateurs sur le sujet. En effet, soit on est favorable à Linky parce qu’on est convaincu qu’il s’agit d’un outil utile, et on règle les problèmes éthiques avec la CNIL ; soit on fait de l’accès aux données une question prioritaire et on ne parle plus de Linky.

Il en est de même de l’obligation, pourtant inscrite dans la loi, d’installer des compteurs individuels dans les copropriétés. Or ils sont loin d’être installés partout, alors que la technologie, y compris pour le chauffage collectif, le permet pour un coût modeste. Quel est votre avis ? Il convient, à mes yeux, d’aller plus loin en la matière que le projet de loi. C’est en permettant aux consommateurs de mieux comprendre leur comportement qu’on les incitera à le modifier.

Je tiens également à évoquer, dans le cadre du texte, l’autoconsommation, qui est la capacité de produire, pour la consommer, sa propre énergie grâce à l’installation, chez soi, notamment d’une éolienne ou de panneaux photovoltaïques. La part autoconsommée, si elle devient massive, devra-t-elle faire l’objet d’une contribution au TURPE ? En effet, les autoconsommateurs auront toujours besoin du réseau en complément. Serait-il normal qu’ils ne paient qu’une faible contribution au réseau alors que celui-ci est le même pour tous ? La question se pose également pour la contribution aux réseaux d’acheminement d’eau pour les propriétaires de résidences secondaires : comme le réseau est amorti par la consommation, ce sont ceux qui consomment le plus qui paient la plus grande part de l’amortissement du réseau.

Le problème demeurera marginal tant que l’autoconsommation sera, elle aussi, marginale, mais pour le cas où elle se développerait, il faut d’ores et déjà veiller à ne pas trop resserrer l’assiette de ceux qui paient les frais fixes de gestion des réseaux, pour éviter que la facture ne finisse par devenir insupportable – c’est déjà tout le problème de la CSPE !

Je soutiens, par ailleurs, l’idée de rendre possible le financement à 100 % de la réhabilitation thermique des logements par un tiers investisseur, qui récupérerait la mise de capital et les frais financiers, avec l’accord du propriétaire, lors de la mutation du bien – sa vente ou sa transmission. Un tel dispositif n’entraînerait aucune spoliation puisque le bien aura été valorisé par les travaux et que l’occupant aura joui, sans avoir avancé l’argent, du confort engendré par la réhabilitation thermique – le dispositif pourrait également couvrir des travaux en matière d’accessibilité. Je me refuse à employer le mot « viager », qui a une très mauvaise connotation. Je travaille très sérieusement à faire aboutir ce projet, qui pourrait permettre à des propriétaires pauvres de réaliser des travaux qu’ils n’ont pas les moyens de financer, que ce soit en complétant les subventions auxquelles ils peuvent prétendre ou en signant un prêt. Quel est votre avis sur le sujet ?

Je suis de ceux qui pensent que la gouvernance d’ERDF doit être partagée avec les collectivités territoriales qui sont propriétaires des réseaux. La situation actuelle donne lieu à des négociations entre ERDF et les collectivités qui font perdre un temps précieux – le compteur Linky est un bon exemple –, d’autant que la maison mère ne joue pas toujours le jeu en matière d’investissement. Qui plus est, le démantèlement des réseaux risque de susciter des débats, avec le risque de fin de péréquation. Pour sauvegarder durablement le système, il faut impliquer les collectivités territoriales dans la gouvernance d’ERDF, en créant un organisme au sein duquel elles auraient le droit non seulement de s’exprimer mais également de voter. L’idée commence à faire son chemin : il est temps de la mettre en œuvre.

Enfin, la loi portant sur la transition vers un système énergétique sobre, dite loi Brottes, a instauré la trêve hivernale. D’aucuns s’étaient alors inquiétés des abus que cette mesure pouvait engendrer. Monsieur le médiateur, les statistiques dont vous disposez sur la première année de mise en application de la mesure confirment-elles de possibles effets d’aubaine pour les consommateurs ?

M. Jean Gaubert. Madame Battistel, la CSPE est, comme un partenariat public-privé, un crédit dont on connaîtrait exactement à l’avance la facture. On peut toujours espérer qu’elle baisse, si les installations produisent moins que ce qui a été prévu. Il n’en reste pas moins que la dépense sera lourde. Pour le Fonds chaleur, un autre système a été mis en place : la subvention d’État. La CSPE, elle, est un chèque – encore un – tiré sur l’avenir.

Contrairement, bien sûr, aux opérateurs concernés, je suis favorable à l’élargissement de l’assiette de la CSPE. L’objectif n’est-il pas de ne plus avoir à recourir aux énergies carbonées ? Dans ces conditions, pourquoi la principale énergie carbonée n’abonde-t-elle pas le fonds qui finance l’alternative ? Les taxes supportées par le gaz, qui remplissent des fonctions analogues à celles de la CSPE, sont bien moins élevées ! Il serait plus logique de créer un fonds général destiné à financer l’ensemble des actions menées en matière de transition énergétique. Bravo à MM. Mestrallet et de Margerie, qui ont défendu l’idée qu’il appartient à chaque type d’énergie de payer son énergie renouvelable. Le gaz participe à hauteur de 4 millions d’euros quand l’électricité débourse 3,8 milliards ! Quant au pétrole, il n’est concerné que par les biocarburants. Tous ceux qui appellent à une refondation de la CSPE ont raison. Cela permettra d’aider à passer une période qui s’annonce très difficile.

Il convient également de se poser la question de la nature des projets financés par la CSPE. J’ai assisté au mois de juin, à Paris, à un colloque de l’Union française de l’électricité (UFE), qui portait notamment sur l’éolien offshore. Tous les opérateurs sont convenus qu’il est illusoire d’espérer en diminuer le prix de revient, qui devrait continuer de tourner autour de 200 euros le mégawatt, en raison de la situation des fonds marins français, qui n’a rien à voir avec celle de fonds de la Mer du Nord, qui ont été pris, à tort, pour modèle. Au nord de l’Allemagne et à l’ouest du Danemark, les fonds marins sont réguliers et font moins de quarante mètres de profondeur – ils sont le plus souvent à quinze mètres. Il n’en est pas de même de la baie de Saint-Brieuc. Comme il a fallu prévoir l’installation des éoliennes suffisamment loin pour qu’on ne puisse pas les voir des côtes, on a rapidement rencontré des fonds atteignant soixante-dix mètres. Le choix s’est arrêté sur des fonds de quarante mètres, ce qui augmente le coût de l’installation.

La baie de Saint-Brieuc est, de plus, caractérisée par de forts mouvements de vase – de l’ordre d’un mètre – à chaque marée, dont les supports devront subir la pression pendant six heures, quatre fois par jour, dans les deux sens. Inquiet, l’attributaire de l’appel d’offre a proposé de ne pas recourir à des jackets, c’est-à-dire des trépieds, mais à des embases en béton de trente-cinq mètres de diamètre, ce que les marins pêcheurs ont refusé. Le projet aboutira-t-il ? Rien n’est moins sûr, d’autant que l’importance du marnage nécessitera, pour poser les câbles le plus en profondeur possible, de s’attaquer à la roche. La maturité en matière d’éoliennes offshore se fera donc attendre puisqu’il y aura autant de prototypes que de nouveaux projets. L’éolien flottant est sans doute une technologie plus facile à maîtriser : qu’adviendra-t-il, toutefois, en cas de creux de dix mètres ?

On ne peut pas éluder la question des coûts. Prétendre qu’il ne faut pas regarder à la dépense lorsqu’il s’agit de développer les énergies renouvelables n’est plus acceptable, car cela a conduit à surpayer des installations. Une éolienne rapporte 150 000 euros net par an, de quoi vivre aisément sans travailler si vous convainquez une banque de subventionner votre investissement. Les consommateurs qui sont à l’autre bout de la chaîne comptent, eux !

Comment, par ailleurs, parler de convergence avec le marché alors que celui évolue quotidiennement ? Le prix de l’électricité était « baissier » jusqu’à la décision prise par les Belges d’arrêter trois centrales nucléaires ; maintenant, il est « haussier ». Une énergie qui subit de manière permanente le contrecoup de décisions répondant à d’autres nécessités que des enjeux économiques ne peut obéir à la seule loi du marché. En réalité, le prix de vente de l’électricité ne dépend pas du prix de revient mais de la loi de l’offre et de la demande.

M. le président François Brottes. D’autant que notre réseau est connecté au réseau européen.

M. Jean Gaubert. Lorsque j’étais député, j’affirmais déjà que la loi du marché n’a pas de sens dès lors que très peu d’opérateurs ayant tous les mêmes intérêts peuvent facilement manipuler ce marché. Croyez-moi, si j’avais été le seul producteur de cochon en France, je me serais arrangé pour organiser une pénurie et le vendre très cher ! Ce qui m’incite à dire que le monopole privé est peut-être pire que le monopole public.

Le respect des obligations en matière d’énergies renouvelables pose le problème de la sécurisation des relations commerciales entre les consommateurs et les entreprises : c’est pourquoi je suis favorable à une véritable labellisation qui implique des contrôles. Faute de quoi, des personnes peu scrupuleuses continueront d’utiliser l’image favorable d’une grande entreprise pour arnaquer les consommateurs.

Je suis également favorable à la participation des habitants à la gouvernance d’ERDF : je vous rappelle toutefois qu’en tant qu’élus, vous êtes les représentants des habitants. C’est pourquoi je reste dubitatif sur la création de comités Théodule, qui risquent de justifier l’abstention aux élections puisque les décisions seront prises dans le cadre de ces comités.

Oui, monsieur Baupin, il faut encore remettre de l’ordre dans la CSPE, s’agissant notamment des coûts, qui doivent être resserrés au profit de tous.

S’agissant des chèques énergie, je suis favorable à ce qu’ils puissent servir à compléter le plan de financement d’une opération. Attention toutefois à ne pas provoquer une hausse des prix des appareils électroménagers s’il devient possible d’en acheter avec le chèque énergie. On a, en effet, observé que, généralement, les crédits d’impôts renchérissent les produits qui en bénéficient : la solvabilisation d’un plus grand nombre de consommateurs sur un marché qui ne s’y est pas préparé est une véritable aubaine ! De plus, le crédit d’impôt coûte cher aux finances publiques.

J’ai entendu les propositions concernant la gouvernance d’ERDF : a minima, elle doit être calquée sur celle de RTE. À titre personnel, je pense que la France est désormais mûre pour créer deux sociétés de réseaux complètement indépendantes de la maison mère. Il s’agirait de sociétés publiques avec une participation des collectivités locales qui pourraient se substituer aux 15 % d’actionnariat privé actuels. Il n’est pas souhaitable, en revanche, que les collectivités territoriales deviennent majoritaires. L’État doit garder une responsabilité forte pour garantir le fonctionnement du réseau et la cohérence du système, voire pour lui donner de nouvelles orientations en cas de besoin.

Comme l’a souligné le président Brottes, aujourd’hui, Linky rend d’abord service à l’opérateur, qui connaîtra désormais en temps réel la consommation de ses clients et ne sera plus obligé de dépêcher des agents pour relever leurs compteurs : c’est d’ailleurs une partie des économies ainsi réalisées qui financent Linky. Quid, en revanche, du service aux consommateurs ? Certes, il leur sera proposé d’acheter des boîtiers déportés, mais seules les classes moyennes seront tentées de le faire et non les ménages en situation de précarité, alors que ce sont eux qui en auraient le plus besoin. Le gouvernement britannique ne s’est pas posé autant de questions : il a imposé aux opérateurs, et donc également à la filiale britannique d’EDF – EDF Energy plc –, d’installer dans les logements des boîtiers qui affichent la consommation instantanée en kilowattheures et en livres. C’est la seule façon d’inciter les consommateurs, qui voient leur argent filer en temps réel, à réaliser des économies d’énergie. Si le Parlement impose une telle mesure, je l’applaudirai !

M. le président François Brottes. Vous avez raison : en matière d’économies d’énergie, la pédagogie repose sur le temps réel.

M. Jean Gaubert. Monsieur Le Déaut, c’est vrai, l’utilisation intermittente des réseaux soulève un débat de nature civique. Les Français sont habitués à ce que les opérateurs fournissent l’électricité autant qu’ils en ont besoin et au moment où ils le souhaitent. Sont-ils prêts à s’adapter à des systèmes qui les conduiraient à gérer partiellement leur vie en fonction de la disponibilité du courant ? Je l’ignore. Une expérience de ce type se déroule en Bretagne. Si elle donne des résultats, il faut savoir que seuls quelques milliers de volontaires y participent sur 1,5 à 2 millions d’abonnés. Le débat mérite d’être lancé. Il a existé, par le passé, des incitations : heures creuses, heures pleines, pointe mobile, etc. Elles sont en voie de disparition. En revanche, les discours incitant les occupants à ne chauffer leur logement qu’en leur présence étaient contre-productifs puisqu’ils ne faisaient qu’élever encore les pointes de consommation, le matin et le soir.

S’agissant de l’éducation aux économies d’énergie, je rappelle qu’il existe déjà des agences locales de l’énergie dont le rôle est de conseiller les consommateurs. Il est vrai toutefois que, comme je l’ai dit à M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME, trop souvent, ces agences attendent de manière statique la venue du consommateur qui se sent concerné et qui n’est pas nécessairement celui qui a le plus de besoins en la matière. C’est pourquoi
– c’est le président du syndicat départemental d’énergie qui parle – les Côtes-d’Armor ont décidé l’achat d’un camion d’exposition qui se positionnera à l’entrée des marchés et des foires pour aller au-devant des consommateurs.

M. le président François Brottes. Lorsque, sous la législature précédente, la télévision est passée de l’analogique au numérique, le porte-à-porte et une forte présence sur les marchés ont assuré en quelques semaines la réussite de l’opération. Le déploiement de moyens de proximité et une communication reposant sur un schéma simple permettent de soulever des montagnes. Les opérateurs n’ont donc pas à arguer de l’ampleur de la tâche à réaliser pour refuser d’aller au-devant des consommateurs en matière de transition énergétique.

M. Jean Gaubert. Aller à la rencontre des consommateurs sur les marchés ou dans les foires est d’autant plus utile que la désinformation y a libre cours, notamment en matière de pompes à chaleur, qui doivent être absolument installées par un artisan qualifié, faute de quoi l’acheteur risque d’avoir de mauvaises surprises.

Monsieur Chassaigne, aux termes de la loi, un fournisseur ne peut pas refuser un contrat, mais, généralement, il ne montre aucune hâte quand un client potentiel a vu son contrat annulé par un autre fournisseur. C’est pourquoi nous devons poser la question du fournisseur de dernier recours. Et lorsqu’il n’y a pas de concurrence entre entreprises locales de distribution (ELD), il faut éviter de couper complètement le courant électrique à un particulier. En revanche, on peut réduire la puissance dont il disposera.

Sachant qu’en matière d’isolation, le retour sur investissement n’est jamais assuré, je suis favorable, comme vous, monsieur le président, à un système de portage, dont on peut éventuellement allonger la durée.

Monsieur Fasquelle, si l’on peut mesurer la réalité des coûts, celle des prix est plus fluctuante, puisqu’elle est soumise à la spéculation. À cet égard, bien que le médiateur de l’énergie n’ait pas à commenter la politique du Gouvernement, j’approuve la décision de la ministre. Le signal prix est l’invention la plus injuste qu’on ait trouvée en matière d’énergie. Un de mes amis ne renoncera pas à chauffer sa piscine à l’électricité, même si les tarifs augmentent, alors que beaucoup de gens ont cessé de se chauffer bien avant la hausse du prix de l’énergie. Les bailleurs sociaux ou les agents immobiliers vous le confirmeront : ils voient beaucoup d’appartements dans lesquels le chauffage n’a pas servi depuis longtemps, ce qui est désastreux pour la santé des familles comme pour l’état du logement.

Lors de la création de la CSPE, en 2005, la majorité a subi des pressions qui n’auraient sans doute pas épargné la majorité actuelle. Ma position à ce sujet rejoint celle de Jean Launay.

J’ai évoqué le problème du démarchage, également soulevé par Pascal Deguilhem. Permettez-moi, à l’appui de notre souhait de voir nos compétences élargies, de vous inviter à débroussailler la jungle des garanties : certaines des entreprises qui installent du matériel permettant des économies d’énergie ou qui posent des installations photovoltaïques, bien qu’elles interviennent sur une toiture, ne possèdent pas de garantie décennale, ce qui ne laisse aucun recours aux consommateurs si l’entreprise vient à disparaître. C’est un point que le texte devra préciser.

M. le président François Brottes. La situation est moins grave quand il n’y a pas d’intégration au bâti.

M. Jean Gaubert. Pour autant, il y a souvent des dégâts sur le bâti. En cas d’intégration au bâti, la garantie décennale joue forcément, et la justice condamnerait, en cas de procès, l’entreprise qui ne l’aurait pas souscrite. Mais, je le répète, le problème est insoluble dans le cas où l’entreprise disparaît. Ce sera un point à considérer au regard des labels.

La dépense énergétique varie considérablement d’une famille l’autre, d’une région à l’autre. En outre, la consommation d’électricité confond tous les usages, dans lesquels la part du chauffage a tendance à diminuer. La consommation globale augmente sous l’effet de la domotique. Les plaques à induction, par exemple, sont énergivores. En outre, on ne les utilise qu’en période de pointe. Le problème est que, chaque fois qu’on cherche à colmater une brèche, on en ouvre une autre.

Je ne connaissais pas l’existence du chèque énergie régional, mais je me réjouis d’une telle initiative.

M. Travert a cité de bons labels, qui, cependant, ne portent pas sur tous les aspects de l’énergie renouvelable.

Les mesures favorisant l’autoconsommation peuvent séduire, mais je crains qu’à force d’exonérer certaines personnes pour les inciter à investir, on ne rende la facture des autres insupportable. En tant que gestionnaire d’un service de distribution d’eau, je me suis battu contre la baisse des abonnements, dont l’effet est bien connu : les résidents autochtones paient les investissements qu’impose la construction des résidences secondaires.

M. Denis Baupin, rapporteur. Certes, mais à la différence des résidents secondaires, l’autoconsommateur a mis la main à la poche !

M. Jean Gaubert. Raisonnons par analogie. J’avais fait installer chez moi un forage d’eau, dont je me servais constamment ; pourtant, lorsqu’il tombait en panne, j’étais bien content de pouvoir utiliser le réseau. Si je n’avais pas payé l’abonnement, qui aurait financé l’installation des six cents mètres de canalisation nécessaires à mon raccordement, sinon les habitants des immeubles collectifs situés dans le bourg voisin ? C’est l’abonnement, et non la consommation, qui doit supporter l’investissement, sachant que l’exonération de chaque foyer fait mécaniquement augmenter la part des autres.

Enfin, nous avons reçu les chiffres concernant la trêve hivernale. On a procédé l’an dernier à 194 007 interruptions de fourniture. En outre, sur 88 000 résiliations de contrat, 73 000 ont été précédées d’une interruption, et l’on a procédé à 159 000 réductions de puissance. On a donc effectué en tout 360 000 opérations entre le 1er novembre et la fin du printemps, alors que, durant les années précédentes, le total annuel atteignait 580 000. On peut donc considérer qu’il n’y a eu ni dérapage ni effet d’aubaine. L’augmentation du nombre d’impayés est vraisemblablement due à l’augmentation de la précarité plus qu’à la mauvaise volonté des abonnés. Vous retrouverez ces informations, ainsi que d’autres, sur le site de la médiation.

(M. Jean Gaubert quitte la réunion.)

M. Dominique Marmier. Il faut que les économies d’énergie concernent de manière égale toute la population. Or, en matière de consommation, d’approvisionnement et de prix, les ruraux ont moins de choix que les citadins. Faute d’être raccordés au gaz de ville, ils ne peuvent opter que pour deux énergies onéreuses : l’électricité et le fioul. En outre, il fait plus froid à la campagne que dans les agglomérations. Je suis agriculteur dans le Haut-Doubs, non loin de Mouthe, où l’on enregistre les températures les plus basses de France. Quand le thermomètre tombe à moins quarante, le coût du chauffage s’envole.

Parce qu’elles sont sur le terrain, les associations comme la nôtre ont toute leur place pour sensibiliser les populations, notamment précaires, aux économies d’énergie, ce qui suppose prévention, conseil et vulgarisation. La société doit nous aider à transmettre une information qui permet de consommer mieux ou de consommer moins.

Ma communauté de communes a installé des bacs dont la taille – petite, moyenne ou grande – est proportionnée à celle de chaque famille, qui dispose du même nombre de ramassages. Les bacs sont pourvus d’une puce, ce qui permet de compter le nombre de ramassages et de facturer les dépassements éventuels. Le système sensibilise les consommateurs au volume des déchets sans défavoriser les familles nombreuses.

Nous sommes très favorables à l’autoconsommation, particulièrement dans l’espace rural, mais, puisqu’on ne peut se passer des réseaux, leur mise en place et leur entretien doivent être financés par les abonnements.

Je regrette que, faute d’une information claire, on confonde souvent les panneaux solaires thermiques et photovoltaïques. Plus simples à mettre en place et à utiliser, les premiers équipent 70 % des maisons suisses et allemandes, et permettent des économies réelles.

La méthanisation est un formidable moyen de traiter la biomasse et les lisiers des bovins, mais pourquoi faut-il cinq ans en France – contre six mois en Allemagne – pour installer une usine de méthanisation ? Je ne sais pas où sont les freins, mais il faut les supprimer.

M. le président François Brottes. En Allemagne, certains agriculteurs sont de moins en moins agriculteurs et de plus en plus méthaniseurs.

M. Dominique Marmier. La France pourrait s’intéresser à cette évolution, qui présente un intérêt économique.

Mme Nadia Ziane, responsable du pôle « représentation et défense des familles et des territoires ». Puisqu’on constate des dérives dans l’utilisation de certains labels, pourquoi ne pas instaurer un label unique, sous l’égide du médiateur national de l’énergie ? Son cahier des charges pourrait être examiné par le Conseil national de la consommation.

Nous souhaitons, nous aussi, que les responsabilités du médiateur soient étendues à l’ensemble du secteur, ce qui lui éviterait de devoir se déclarer incompétent sur certains contentieux. Il existe beaucoup de bons artisans en milieu rural, mais les consommateurs entendent parler de tant de litiges, notamment sur les pompes à chaleur ou les panneaux solaires, qu’ils hésitent à engager des travaux.

M. Stéphane Mialot, directeur des services de la médiation nationale de l’énergie. Le trop grand nombre de labels, qui crée une certaine confusion dans l’esprit des consommateurs, empêche de contrôler les travaux effectués par les professionnels. Nous contribuerons volontiers à la création d’un label unique, en veillant à ne pas prendre la place d’autres acteurs, tels que l’ADEME.

Mme Nadia Ziane. Il serait intéressant de créer un label unique, sur le modèle du label bien connu AB (agriculture biologique). On sanctionnerait ainsi les constructeurs qui ne jouent pas le jeu. Il faut aussi étudier la proposition de l’UFC.

Au reste, notre association n’est pas attentiste. Certaines fédérations ont mis en place un système d’achats groupés, qui permet d’assurer la gratuité de la livraison pour les commandes de fioul inférieures à 1 000 litres. L’achat de quelques centaines de litres coûte si cher aux familles, qu’elles préfèrent parfois s’équiper de chauffages d’appoint qui ne tiédissent l’air que dans un rayon de deux mètres.

Le titre VIII de la loi pourrait accueillir une proposition que nous avions déjà formulée auprès du ministère du logement, et qui concerne l’encadrement juridique de l’échange de services. J’ai traité le dossier d’une personne âgée contrainte de refuser la demande d’une famille qui proposait de rénover sa grange pour s’installer. Ce type d’échange n’est pas possible actuellement. Dans le cas des jeunes filles au pair, on établit un contrat de travail aux termes duquel le montant du salaire est équivalent au loyer. Puisque le projet de loi réaffirme des principes participatifs, pourquoi ne pas créer un dispositif qui favoriserait, par le biais de l’échange, les liens entre générations ? Des cas comme ceux que je viens de citer sont fréquents en milieu rural.

M. le président François Brottes. N’hésitez pas à nous envoyer vos propositions.

Mme Nadia Ziane. Pour l’heure, les consommateurs ne savent pas distinguer un fournisseur d’un distributeur, ni un prix de marché d’un tarif réglementé. L’installation des compteurs Linky est une excellente opportunité pour lancer une campagne d’information. Nous sommes prêts à envoyer sur le terrain des bénévoles qui accompagneront les installateurs, pour faire œuvre de pédagogie. Nous sommes favorables à l’affichage déporté sans frais, s’il précise à la fois les kilowattheures et les euros, ce qui est extrêmement instructif. Chacun pourra constater que sa consommation d’énergie reste élevée la nuit, s’il néglige de débrancher les appareils en veille ou les chargeurs des portables.

M. Frédéric Blanc. Nous souhaitons que Linky affiche en temps réel le montant de la consommation en kilowattheures et en euros sur le lieu de vie. Il doit aussi permettre que la consommation réelle soit facturée tous les deux mois, voire tous les mois, et non une fois par an. La législation devra évoluer sur ce point. Enfin, à la signature du contrat, les fournisseurs devront remettre au consommateur une fiche sur les écogestes.

Plusieurs d’entre vous se sont interrogés sur les problèmes de financement, se demandant si l’on parviendra à réaliser les économies d’énergie escomptées et à sensibiliser le consommateur. Celui-ci n’a pas à être informé sur l’énergie primaire, purement théorique, puisqu’elle se calcule à partir d’un ensoleillement naturel moyen et en fonction de besoins évalués de manière arbitraire. En revanche, un arrêté pourrait imposer que tout devis relatif à des travaux mentionne les économies d’énergie qu’ils permettront de réaliser, exprimées en kilowattheures ou en euros. La mention de la performance énergétique théorique ne sert à rien, sinon à créer de mauvaises surprises.

La réflexion doit porter non seulement sur la conception du produit mais sur son installation, c’est-à-dire sur le résultat global des travaux. Actuellement, le label RGE, le seul qui existe en matière d’éco-conditionnalité, est utilisé par des artisans qui travaillent dans des domaines spécifiques, comme l’électricité ou le bois. Si l’on renonce à cette vision corpocentrée, on offrira au consommateur une information plus complète et l’on sécurisera le label.

Il faut aussi proportionner les aides aux performances réelles en matière d’économie d’énergie, voire autoriser le consommateur à cumuler ces aides pour des travaux de facteur 4. Celui-ci devrait au moins pouvoir bénéficier à la fois de l’écoprêt et du crédit d’impôt développement durable (CIDD) pour réaliser des travaux qui atteignent un niveau de performance élevé, ce qui incitera les ménages les plus modestes, qui vivent dans des passoires thermiques, à isoler leur logement.

Nous sommes également favorables à tout dispositif d’hypothèque ou de viager qui ciblerait les ménages précaires. En revanche, celui-ci ne doit pas être généralisé, car on ne possède aucune certitude sur le moment où les travaux seront remboursés, la mutation pouvant intervenir bien après l’octroi du prêt. Par ailleurs, il faut vérifier qu’un consommateur possède une voie de recours quand les travaux n’ont pas permis une économie d’énergie réelle.

M. le président François Brottes. En somme, vous souhaitez un cadrage de la prescription et un suivi des travaux.

M. Frédéric Blanc. Oui, dans le but d’instaurer une obligation de résultat en matière de performance énergétique. L’octroi des aides pourrait être conditionné à la précision, sur les devis, des économies escomptées, mais il serait difficile d’imposer à tous les professionnels de s’engager sur la performance énergétique réelle. Autre solution, les aides pourraient être proportionnées aux économies réelles. Le système gagnerait en efficacité : on éviterait que l’argent public ne favorise des produits qui n’améliorent pas réellement la performance énergétique.

Rendre l’assurance obligatoire sécurisera le financement privé. Pour l’heure, en effet, les banques, qui se méfient, ne commercialisent pas l’écoprêt et, le label ne validant pas la réalisation technique des travaux, les consommateurs doutent de la réalité de la performance énergétique. Tant qu’on ne créera pas de mécanisme de responsabilité, on ne structurera pas le marché et l’on n’incitera pas les assureurs à effectuer un audit avant et après installation, seul moyen de distinguer l’usage abusif des appareils et la performance énergétique défectueuse.

M. le président François Brottes. Nous devons tenir compte de deux phénomènes.

Les économies ne sont pas linéaires : il faut parfois doubler l’investissement pour réaliser seulement 5 % d’économies supplémentaires. Dans ce cas, mieux vaut réduire ses objectifs, et se contenter d’une économie déjà substantielle rapportée à un investissement raisonnable.

D’autre part, la mesure de la performance dépend en partie du comportement de l’occupant, qui comporte parfois un « effet rebond ». On ne peut pas reprocher à quelqu’un qui a réalisé des travaux pour économiser l’énergie de se montrer moins regardant quand il a envie de pousser un peu le chauffage.

M. Frédéric Blanc. J’ai indiqué le moyen de distinguer l’usage abusif – ce que vous appelez l’effet rebond – d’une mauvaise performance de l’installation. Une obligation de suivi des travaux et d’entretien, comme cela existe en Suède, permet d’optimiser la situation. Pour ce faire, on peut utiliser des capteurs et des abaques.

M. le président François Brottes. Combien coûte ce suivi et qui le paie ?

M. Frédéric Blanc. On peut espérer que le marché de la concurrence se structurera autour de ces nouvelles obligations. Il proposera des prix concurrentiels, qui éviteront aux consommateurs de mauvaises surprises. L’objectif d’un label est moins de discriminer certains produits que de réaliser une performance énergétique.

M. le président François Brottes. Nous avons été vaccinés par le diagnostic de performance énergétique (DPE), qui, concrètement, n’a rien apporté.

M. Frédéric Blanc. Le DPE est établi en fonction de l’énergie primaire et non de la consommation du ménage, lequel ne bénéficie d’aucun accompagnement. Il ne peut pas constituer une solution parce qu’il se fonde sur le théorique. Seuls des mécanismes de droit privé permettront de dépasser ce cap, bien qu’un financement public structuré en vue des objectifs définis puisse apporter une aide intéressante. Faute d’instaurer ces mécanismes, on créera des freins à l’innovation, des distorsions de concurrence et l’on fera augmenter les coûts sans gagner en efficacité.

M. le président François Brottes. N’hésitez pas à formaliser vos propositions par écrit.

M. Frédéric Blanc. L’obligation de résultats, garantie par une assurance, structurera le marché. Afin de sécuriser le risque, l’assureur réalisera un audit avant et après travaux, pour vérifier que la réalisation est conforme aux objectifs initiaux. Cette solution semble la seule susceptible de garantir une performance réelle.

M. le président François Brottes. Je ne suis pas sûr que ce soit si simple.

M. Frédéric Blanc. En soi, le mécanisme est simple.

Le code de l’énergie prévoit que le service public informe le consommateur sur la rénovation thermique des logements. On peut aller plus loin en prévoyant que l’information portera non sur l’existence des aides mais sur leur octroi effectif. Le service public déterminera lui-même si les travaux prévus permettront d’atteindre les objectifs. Son regard averti servira de contre-expertise au consommateur.

La mesure résoudra une autre difficulté, que signale le rapport de l’OPECST : l’obligation pour le consommateur de déposer un dossier afin d’obtenir chacune des aides disponibles.

Nous sommes favorables à la séparation patrimoniale d’EDF et d’ERDF. La gouvernance devra se réorganiser avec les collectivités locales à un échelon qui permettra de dégager de la compétence et du temps. Pour l’heure, il est impossible de gérer la concession de l’électricité au niveau communal, et il n’existe aucune cohérence entre les collectivités locales en ce qui concerne le réseau de distribution.

Reste à savoir si ces dispositions permettront aux collectivités d’assurer leur nouvelle tâche. À l’instar du médiateur national de l’énergie, nous prônons une mise en place d’un plan d’investissement qui sera contrôlé par la CRE, comme cela existe en matière de transport. La séparation patrimoniale assurerait, en outre, la neutralité et le bon investissement du réseau, qui sont la pierre angulaire de la transition énergétique.

Dernière proposition, nous souhaitons que les banques soient davantage responsables de l’organisme qu’elles accréditent pour démarcher le consommateur.

M. le président François Brottes. Je vous remercie de vos contributions, dont nous essaierons de faire bon usage.

3. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, Mme Laure Hézard et M. Jean Jouzel, rapporteurs

(Séance du jeudi 11 septembre 2014)

M. François Brottes, président de la commission spéciale. J’ai le plaisir d’accueillir le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui œuvre depuis son entrée en fonctions au pluralisme des travaux de cette institution méconnue qui alimente régulièrement la commission par ses rapports de remarquable qualité. Il est accompagné des rapporteurs du Conseil sur le projet de loi.

M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental. Le Conseil économique, social et environnemental est très sensible à votre invitation qui illustre les relations qu’entretiennent nos deux institutions. Il se félicite en outre des modifications apportées au texte suite à notre rencontre avec la ministre.

Nous sommes tous témoins des déchirements et des tensions qui caractérisent notre société. Je dis volontiers que les causes rassemblent et que les intérêts déchirent.

Le CESE souhaite contribuer à réduire la très préoccupante fracture entre le monde politique et la société civile. Cette dernière a su, au sein du CESE, dépasser les clivages puisque le rapport, auquel ont pris part des organisations très différentes – patronales, environnementalistes, salariales –, a été adopté avec 169 voix pour et 14 abstentions. Ce vote témoigne de la capacité à faire bouger les lignes. La société a besoin d’être apaisée et mobilisée. Pour y parvenir, ce texte qui conditionne l’avenir des générations futures demande de l’enthousiasme dans la vision qu’il propose et de la clarté dans ses objectifs.

Très tôt, le CESE s’est intéressé à l’énergie. Il a ainsi publié plusieurs documents : dès mars 2013, un rapport sur l’efficacité énergétique, puis un rapport sur la transition énergétique dans les transports et enfin un rapport sur la transition énergétique dans la programmation 2020-2050, avant l’avis sur le projet de loi.

Tous les membres du Conseil ont regretté l’absence de débat à l’occasion des élections européennes sur la croissance et l’énergie. Une réflexion à l’échelle européenne s’impose d’autant plus que la Commission européenne travaille à une écologisation du semestre européen et que la présidence italienne entend faire de l’énergie un secteur économique plus sûr et plus efficace.

L’énergie n’est plus seulement un moyen. L’indépendance énergétique et la compétitivité des entreprises sont des objectifs incontournables. Sans maîtrise du coût de l’énergie, les industries énergivores auront disparu dans quinze ans en Europe.

Nous insistons sur la nécessité d’une cohérence européenne, mais la cohérence doit aussi être recherchée avec les collectivités territoriales et plus encore avec la loi de finances pour asseoir la crédibilité de vos objectifs.

Je laisse la parole aux rapporteurs pour qu’ils soulignent les avancées obtenues de la part de la ministre, les attentes non satisfaites, ainsi que les interrogations qui demeurent.

M. Jean Jouzel, rapporteur du CESE. La question énergétique comprend de multiples sujets : la balance commerciale, la compétitivité, le coût de l’énergie, l’indépendance énergétique, la géostratégie, la précarité énergétique, le nucléaire.

Indépendamment de la question du réchauffement climatique, un débat sur l’énergie est nécessaire en France. Au nom de la communauté scientifique, j’ai remis un rapport sur les scénarios climatiques en France qui rappelle que notre pays n’échappera pas au réchauffement climatique. Si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement, si le développement reste fondé sur les combustibles fossiles, la température augmentera de trois à quatre degrés d’ici la fin du siècle. À l’inverse, si nous souhaitons maintenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés – objectif de la convention sur les changements climatiques –, les émissions de gaz à effet de serre doivent être divisées par deux. La France et l’Europe se sont engagées en faveur d’un effort supplémentaire, avec une division par quatre de ces émissions – communément appelée le facteur 4.

La réaffirmation dans le projet de loi de l’objectif du facteur 4 est un motif de satisfaction. Pour que cet objectif ne reste pas un vœu pieux, il est indispensable de rétablir un prix incitatif du carbone, dont l’application ne peut être qu’européenne. La ministre a indiqué lors de son audition que la dimension européenne ne relevait pas de ce projet de loi. Je l’admets volontiers, mais je rappelle que la politique européenne de l’énergie doit être cohérente avec la politique climatique – l’organisation de la nouvelle Commission européenne reflète cette idée. Il faut construire une Europe forte, solidaire et ambitieuse. La politique de l’énergie ne peut se limiter à des échanges d’électricité en période de pénurie alors que les négociations sur le climat sont conduites par l’Europe. Nous suggérons que le projet de loi rappelle l’objectif pour l’Europe de 20 % d’énergies primaires à l’horizon 2020 ainsi qu’un objectif d’efficacité énergétique à l’horizon 2030.

Autre volet important : la recherche et l’innovation, qui sont une source de création d’emplois. Selon le CESE, la loi devrait contenir des engagements financiers en leur faveur et privilégier deux axes de recherche : le stockage de l’énergie et les réseaux intelligents.

Mme Laurence Hézard, rapporteure du CESE. Ce projet de loi est perçu par les membres du CESE comme une impulsion susceptible de mobiliser tous les acteurs du pays, sous réserve que le financement des mesures proposées soit précisé. Cela suppose ensuite de pouvoir mettre en lumière les résultats obtenus et de les partager afin de convaincre les citoyens de l’intérêt de la démarche et de l’efficacité des mesures.

Si la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre fait consensus, d’autres sujets font apparaître des clivages, que le CESE est parvenu à dépasser en mettant de côté les approches dogmatiques pour poser des jalons sur le chemin de la transition énergétique.

Il nous semble important de hiérarchiser les objectifs – qui trop embrasse mal étreint – et de distinguer entre ceux qui peuvent être réalisés à court terme et ceux qui nécessitent un travail plus approfondi et plus collectif pour une prise de décision éclairée.

Le CESE salue la priorité donnée à deux secteurs, qui sont les plus consommateurs en énergie et dont les effets sur l’environnement sont considérables : le bâtiment et les transports. S’agissant du premier, la notion de performance énergétique du bâtiment semble une référence intéressante, permettant de mobiliser tous les acteurs depuis la maîtrise d’ouvrage jusqu’aux occupants en passant par la maîtrise d’œuvre. Mais cette notion doit encore être précisée pour créer une dynamique. Ce chantier peut, en outre, avoir un impact important en termes d’emploi et de formation, à condition de s’inscrire dans la durée. Les mesures envisagées pour le neuf semblent accessibles. En revanche, pour la rénovation, le pari est plus difficile. La question du financement reste posée : comment inciter les propriétaires à réaliser les travaux nécessaires, malgré l’absence de retour sur investissement ?

Nous portons une attention particulière à la précarité énergétique. La notion d’accès à l’énergie est reprise dans le texte. Si le chèque énergie apporte une réponse pour le paiement de l’énergie consommée, il ne résout pas les problèmes des personnes en difficulté. Mais c’est un autre sujet.

Nous apprécions la place qui est accordée au secteur des transports dans le projet de loi. Pour autant, nous ne croyons pas à la solution du tout-électrique. C’est une voie intéressante, mais le travail d’évaluation du coût complet doit être poursuivi pour s’assurer qu’elle offre une solution durable. Nous avons, en outre, été surpris de constater que certains véhicules – inférieurs à 3,5 tonnes – ne sont pas reconnus alors que des solutions existent – gaz naturel, hybride. Les collectivités territoriales et les services de l’État doivent également participer à la recherche de solutions économes en énergie et de faible impact environnemental.

Nous sommes unanimement favorables à l’abandon des biocarburants de première génération tout en soulignant la nécessité de suivre attentivement le développement de la deuxième génération. Il est important que la France se positionne sur ce marché d’avenir.

L’approche que nous recommandons d’adopter consiste à proposer une solution adaptée à chaque mode de transport et selon la localisation.

Pour les énergies renouvelables, le dispositif proposé pour améliorer la transparence et la lisibilité du fonctionnement de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est une très bonne chose. Nous plaidons également pour une évolution des dispositifs de soutien et de régulation des énergies renouvelables. J’insiste enfin sur la simplification des procédures, y compris pour la construction des réseaux de transport d’électricité.

Quant au nucléaire, les mesures ayant trait au renforcement du rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire ou à la transparence de l’exploitation des centrales existantes sont très consensuelles. Il importe, sans perturber l’exploitation actuelle, de réfléchir aux scénarios énergétiques de demain et à la place donnée aux différentes énergies. Ces travaux doivent faire apparaître les coûts complets pour éclairer les décisions et faire comprendre à chacun les conséquences des différents scénarios, y compris l’impact sur la facture payée par le consommateur. Ce point nous paraît important pour dépasser les approches parfois trop généralistes et éloignées de la vie du consommateur.

Nous avons été sensibles à la volonté de simplifier le dispositif et d’en améliorer le pilotage, mais celle-ci ne transparaît pas dans le projet de loi. Le texte crée de nouvelles instances sans clarifier le devenir des instances existantes. De même, pour être pertinente, la programmation pluriannuelle doit concerner toutes les énergies. Or, le projet de loi ne précise pas si elle porte sur le secteur pétrolier. Enfin, toute strate supplémentaire dans le pilotage décourage les acteurs et nuit à l’efficacité.

Le pilotage doit s’exercer à court, moyen et long terme, avec des rendez-vous pour mesurer de manière partagée l’efficacité des mesures prises et pour, éventuellement, les corriger ou décider d’autres actions à mener. La qualité du pilotage est essentielle pour créer un climat de confiance et responsabiliser chacun. A cet égard, la réforme territoriale doit rechercher le juste équilibre entre les décisions de niveau national et les marges de manœuvre pour les autres niveaux.

M. Jean-Paul Delevoye. Deux sujets ont donné lieu à désaccords : la réduction de la part du nucléaire, d’une part, et l’objectif trop ambitieux de réduction de la consommation d’énergie, d’autre part. Nous n’avons pas abordé les problèmes spécifiques aux outre-mer.

M. Jean Jouzel. L’avis du CESE comporte un chapitre consacré à l’outre-mer et aux autres zones non interconnectées (ZNI). L’objectif pour ces territoires réside dans l’autonomie énergétique et dans un fort développement des énergies renouvelables. L’outre-mer fait figure de laboratoire pour l’avenir. C’est la raison pour laquelle il faut veiller à ne pas limiter la perspective d’autonomie énergétique par des verrous réglementaires. En outre, les transferts de compétences dans ce domaine doivent s’accompagner des moyens humains et financiers adaptés. Enfin, la réforme de la CSPE ne doit en aucun cas remettre en cause la solidarité nationale.

Mme Laurence Hézard. Nous soulignons combien il est important de donner aux territoires d’outre-mer un pouvoir de décision pour soutenir des projets adaptés au contexte local, ce que permet le texte.

Dès lors que ces territoires constituent un laboratoire, il serait intéressant que les retours d’expérience soient partagés afin de faire progresser les travaux sur les énergies renouvelables.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Avez-vous travaillé sur l’élargissement de l’assiette de la CSPE, à propos de laquelle vous réclamez plus de transparence ?

Pouvez-vous préciser les inquiétudes que vous avez relevées sur le renouvellement des concessions hydroélectriques ?

M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Vous regrettez que les véhicules utilisant le gaz ou le GPL ne soient pas reconnus comme des véhicules propres. Mais, compte tenu de l’objectif de diminution des émissions, ne serait-il pas préférable de faire un effort en faveur des transports en commun qui sont peu pris en compte dans le projet de loi ?

Je suis comme vous favorable à l’abandon des agrocarburants. Le projet de loi est clair sur la deuxième génération de biocarburants et sur la nécessité de protéger l’agriculture.

Je partage votre souci d’enrichir la partie consacrée aux transports. La ministre ayant fait part de son ouverture, quelles sont vos propositions en la matière ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. J’ai entendu avec plaisir vos propos sur le nucléaire. Le pragmatisme et la transparence que vous appelez de vos vœux rejoignent les conclusions du rapport de la commission d’enquête dont j’étais chargé. Je partage votre souhait d’informer les consommateurs sur la facture quelle que soit la stratégie choisie.

Quant à la programmation pluriannuelle de l’énergie, il est impensable que le pétrole ne soit pas pris en compte dans un document dont tout l’intérêt tient à ce qu’il s’intéresse, en plus des énergies de réseaux, aux énergies fossiles et à leurs émissions.

Le texte est muet sur l’utilisation de la valeur tutélaire du carbone dont il acte le principe : s’agit-il d’un outil pour la fiscalité, d’un indicateur sur les marchés carbone, ou d’un élément d’évaluation de la pertinence des politiques menées ?

L’avis du CESE donne la priorité au fait régional, mais avez-vous débattu de la coordination entre régions et intercommunalités et de la répartition des compétences ?

Sur le chèque énergie, le texte comporte des avancées importantes, mais la question de son financement et celle de son utilisation restent en suspens. Il semble qu’il servira à payer les factures et à financer les travaux de rénovation thermique. Peut-on imaginer de l’étendre à l’achat d’appareils électroménagers plus performants, dont les effets sur la facture énergétique des ménages se feraient sentir rapidement ?

Dans le domaine des transitions professionnelles, la proposition d’un plan de programmation de l’emploi et des compétences paraît très intéressante. A-t-elle été élaborée de manière consensuelle avec les partenaires sociaux ?

Enfin, je souhaite, comme le CESE, voir la recherche orientée prioritairement vers le stockage et les réseaux intelligents.

Mme Sabine Buis, rapporteure sur les titres II et IV du projet de loi. Pouvez-vous préciser les raisons qui ont conduit le CESE à suggérer de permettre aux collectivités de faire du tiers financement afin d’encourager les travaux de rénovation des bâtiments ?

Vous proposez également d’accélérer la mise en place d’un guichet unique de rénovation de l’habitat. Quelle forme peut-il prendre ? Quel est l’échelon approprié compte tenu du rôle de la proximité dans la décision ?

Quel est votre avis sur la définition de l’économie circulaire que propose le projet de loi ? Peut-on envisager d’étendre la responsabilité élargie du producteur (REP) à d’autres filières ou produits ? L’avis du CESE ne fait jamais référence au remploi préférant le terme de recyclage. Est-ce un choix volontaire ?

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Peut-on, selon vous, faire de la CSPE un outil réorienté vers la dynamique verte ?

Les transferts de compétence, aujourd’hui limités à la Guadeloupe et la Martinique, peuvent-ils être opérés pour les autres ZNI ?

La programmation pluriannuelle de l’énergie peut-elle être un nouveau moyen de gouvernance pour les ZNI ?

Vous déplorez l’absence de traduction dans le projet de loi de la volonté de simplification affichée. Pouvez-vous préciser ?

Je considère que la notion de laboratoire qui est accolée à l’outre-mer doit être écartée car elle risque de donner lieu à de mauvaises interprétations et de favoriser des dérives des politiques publiques. Les territoires d’outre-mer doivent être des territoires avant-gardistes, porteurs d’une approche globale de gouvernance et de dynamique vertes, qui seraient une source d’inspiration pour le territoire national et d’innovation pour notre industrie.

M. Jean Launay. Sur la CSPE, vous accueillez favorablement la création du comité de gestion. De même, vous dites que l’électricité ne peut pas porter seule le financement des énergies renouvelables tandis que l’avis du CESE évoque la possibilité d’envisager des financements complémentaires. Que pensez-vous de l’idée d’élargir la CSPE à toutes les énergies, à tout le moins aux énergies de chauffage ? J’espère convaincre mes collègues que l’évolution de la CSPE vers une contribution à l’énergie est souhaitable. Elle permettrait de financer le chèque énergie et de rendre le système plus lisible et plus équitable.

M. Bernard Accoyer. Le président l’a rappelé, deux points ont suscité des inquiétudes : la baisse de la part du nucléaire dans le mix énergétique ainsi que la surestimation manifeste de la diminution de la consommation d’énergie. Il faut être réaliste lorsque l’on est en responsabilité !

Au vu des réalités et de l’actualité, je m’interroge sur la sécurité de l’approvisionnement en pétrole et en gaz compte tenu de la situation internationale, sur la capacité à sauvegarder le pouvoir d’achat et la compétitivité compte tenu du coût de l’énergie ainsi que sur la réalité cruelle de l’état des finances publiques, qui laisse une marge de manœuvre financière nulle alors que ce texte encourage des dépenses nouvelles et renchérit le coût de l’énergie.

J’aimerais connaître l’opinion du CESE sur plusieurs points : le programme de fermeture des réacteurs, la recherche sur les réacteurs de quatrième génération, le refus d’appliquer la loi sur la recherche d’hydrocarbures non conventionnels, la surévaluation de l’apport des énergies renouvelables ou encore la menace que fait peser ce texte sur la pérennité de la filière automobile.

M. Bertrand Pancher. Les conditions de la saisine et du travail du CESE ont suscité des réactions très vives. Monsieur le président, êtes-vous satisfaits de votre travail et des conditions dans lesquelles il a été mené ? L’êtes-vous également de la manière dont les recommandations du CESE ont été prises en compte ?

Les plus dangereux ne sont hélas pas les climatosceptiques, mais ceux qui, tout en reconnaissant le changement climatique, considèrent que le problème se règlera de lui-même et que la crise impose de reporter la recherche d’une solution.

Sur le prix du carbone, le texte comporte des avancées mais les mécanismes de réorientation sont-ils suffisants ?

L’équilibre général du texte repose à la fois sur des économies d’énergie importantes et sur une diminution de la part du nucléaire que viendrait compenser la montée en puissance des énergies renouvelables. Comment atteindre cet équilibre alors que l’objectif pour les énergies renouvelables apparaît peu réaliste ?

En résumé, ce texte est sympathique mais peu crédible.

Mme Cécile Duflot. Vous émettez des réserves sur les mesures concernant les véhicules. Que proposez-vous pour les améliorer ?

M. Michel Lesage. Afin de mobiliser les acteurs sur le territoire, comment clarifier les compétences des collectivités territoriales et les articuler avec l’implication forte de l’État, garant de la cohérence nationale et du modèle centralisé de production électrique ?

Comment améliorer la sensibilisation des acteurs au premier rang desquels les citoyens ?

Vous avez insisté sur l’importance de la recherche et de l’innovation. Comment associer et mobiliser les différents acteurs dans ce domaine ?

Vous avez souligné les limites du chèque énergie. Quel autre dispositif peut-on imaginer pour garantir un accès à l’énergie pour tous ?

M. Julien Aubert. Parallèlement aux créations d’emplois liées à la transition énergétique que vous mettez en avant, avez-vous évalué les conséquences pour l’emploi de la réduction de la part du nucléaire et les destructions d’emploi inévitables ?

Vous réaffirmez votre attachement au facteur 4, mais le projet de loi est-il à la hauteur de cet effort exceptionnel, d’autant qu’il entend copier le modèle allemand qui a provoqué une hausse des émissions ?

M. Jean-Jacques Cottel. L’économie circulaire exige, selon vous, une démarche de long terme et une impulsion politique. Comment mettre en place un politique industrielle du recyclage et comment adapter l’appareil productif ?

Quel est votre avis sur le plan de méthanisation inscrit dans le projet de loi ? Comment développer ce procédé en milieu rural ?

Mme Sophie Rohfritsch. L’avis du CESE insiste sur l’efficacité énergétique, mais ne rappelle pas les travaux de plusieurs pôles de compétitivité sur ce sujet qui permettraient de faire valoir de nouvelles normes au niveau européen, auxquelles les corps de métiers ont déjà été formés. Je regrette que le cadre européen de l’énergie ne trouve pas sa place dans ce texte. Il ne suffit pas de décréter l’efficacité énergétique. Il faut constater les résultats de ces pôles, les consacrer et les porter au niveau européen pour être les pionniers d’un nouveau système normatif.

M. Serge Letchimy. On ne peut pas parler de transferts de compétences s’agissant de la Guadeloupe et de la Martinique. En réalité, il s’agit de leur confier un pouvoir législatif et réglementaire pendant cinq ans. Un véritable transfert de compétences est-il, selon vous, possible ?

Je partage le point de vue de la rapporteure sur la notion de laboratoire. Pour faire de l’outre-mer un laboratoire, il faut adjoindre à la possibilité pour ces territoires de faire la loi et le règlement, la possibilité de mener une politique industrielle et de mettre en place une gouvernance locale de l’ingénierie.

Avez-vous mené une réflexion sur l’interconnexion des ZNI avec la géographie transfrontalière ? Les exemples de dynamique d’interconnexion sont nombreux : pour le gaz avec Trinité-et-Tobago, pour la géothermie avec la Dominique, pour la biomasse avec le Brésil. Cette interconnexion, coûteuse, suppose de donner à ces zones une liberté en matière de coopération économique régionale, notamment pour la mutualisation des déchets potentiellement transformables en énergie. L’Europe finance le transfert de déchets de La Réunion vers la Paris qui n’a aucun sens.

La transition énergétique est une chance pour l’outre-mer mais elle passe par l’adoption d’un nouveau modèle de développement économique. L’énergie est un bon vecteur pour accompagner ces territoires sur la voie de l’autonomie économique.

M. Daniel Fasquelle. Avez-vous conduit une réflexion sur le coût pour les particuliers de l’énergie ? Comment définir des tarifs au sein d’un marché européen de l’énergie alors que le Conseil d’État a remis en cause à plusieurs reprises les tarifs décidés par le gouvernement ?

Contrairement au souhait que vous exprimez dans votre rapport de voir l’État, les citoyens et les territoires agir ensemble, je crains que l’État ne se donne avec ce projet de loi les moyens d’imposer aux autres des éoliennes en mer, sans considérer l’impact environnemental de ses décisions et leurs conséquences pour l’économie touristique. Le médiateur de l’énergie l’a rappelé lors de son audition : le coût d’une éolienne en mer restera supérieur à son rendement, ce qui n’est pas le cas des éoliennes terrestres, dont on peut espérer qu’elles deviendront rentables un jour. Ce surcoût sera supporté par le consommateur ou le contribuable. Avez-vous étudié la nécessité d’un accord des habitants qui auront à subir l’implantation des champs d’éolienne en mer ?

M. le président François Brottes. Il ne vous reste plus, monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs, à répondre à toutes ces questions avec toute la concision possible…

M. Jean-Paul Delevoye. Les délais de saisine ont été brefs, mais le CESE travaille depuis longtemps sur la transition énergétique, si bien que les nombreux documents produits ont permis de répondre dans un temps très court.

En outre, tant le Gouvernement que le Parlement ont pris l’habitude de présenter au CESE leurs projets en amont, pour nous permettre d’amorcer la réflexion. Enfin, il existe des procédures d’urgence, auxquelles nous n’avons pas eu recours, mais qui permettent de rendre un avis en moins d’un mois.

Par ailleurs, nous réfléchissons à la forme que pourrait prendre un droit de suite sur l’avis que nous avons rendu.

M. Jean Jouzel. Monsieur Baupin, nous souhaitons en effet affecter une partie des quotas de carbone à la recherche et l’innovation.

S’agissant du rôle des régions, nous avons repris les recommandations des rapports précédents, notamment le rapport sur la transition énergétique 2020-2050, sans approfondir cette question. L’État doit rester le garant de la cohérence nationale de la politique climat-énergie et de ses déclinaisons fiscales tandis que les régions ont la responsabilité de la cohérence sur le territoire de la transition énergétique, sans toutefois négliger le rôle des intercommunalités.

Sur l’économie circulaire, M. Yves Legrain a présenté un avis très riche. J’en conviens, le projet de loi est trop limité aux déchets et au recyclage, alors que le réemploi est une mission importante. Nous souhaiterions une approche plus globale.

S’agissant des DOM-TOM, le terme de laboratoire provient du titre du rapport de Patrick Ganelon : « Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir » qui contient de nombreuses propositions. Mais l’outre-mer est plus qu’un laboratoire, car les objectifs en matière d’énergies renouvelables sont très ambitieux : 50 % pour La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, et 30 % pour Mayotte.

Quant au facteur 4, la loi est très ambitieuse mais elle est cohérente. Du rapport des experts sur la transition énergétique, il ressort que, dans tous les scénarios, le respect du facteur 4 et la réduction de la part du nucléaire aboutissent mécaniquement à une division par deux de la consommation énergétique. Cette diminution, qui est davantage une conséquence qu’un objectif, figurait déjà dans la loi de programme de 2005 fixant les orientations de la politique énergétique.

Il est vrai que l’Allemagne peinera à atteindre les objectifs 2020. Pour réussir à atteindre le facteur 4, notre pays aura besoin de beaucoup de recherche et d’innovation. Il serait très regrettable que, dans dix ans, certains problèmes – l’intermittence, le développement du solaire – aient trouvé des solutions et que nous n’en soyons pas partie prenante, ce qui ne sera pas les cas de l’Allemagne. Le rapport du GIEC indique que la moitié de l’énergie pourrait être produite par les renouvelables. Il ne faut pas passer à côté de cette révolution en marche. Le projet de loi s’inscrit dans le long terme en affichant des objectifs ambitieux et difficiles.

Face aux climatosceptiques, nous devons rappeler l’urgence à agir. J’espère que l’objectif du facteur 4 ne sera pas remis en cause par votre Assemblée. La France se doit en effet d’être exemplaire dans la perspective de la conférence climat de 2015.

Mme Laurence Hézard. Le CESE considère que la priorité doit être donnée à la transparence et à la compréhension du fonctionnement de la CSPE ainsi qu’à un système de contrôle. Cela permettrait de savoir comment chaque énergie supporte les externalités. À partir de ces travaux, il sera possible d’imaginer une évolution du système ou un autre système. Envisager des solutions consistant à élargir l’existant ne permettra en aucun cas de clarifier le coût et les impacts de chaque énergie, ni de faire des choix pertinents pour le mix énergétique. Nous devons d’abord connaître les externalités supportées par chaque type d’énergie.

M. le président François Brottes. Que se passe t-il dans le cas de l’hydrogène, pour lequel l’électricité et le gaz sont tous deux concernés ?

Mme Laurence Hézard. Je me garderai de vous répondre, car mon avis ne serait pas le reflet de la position de l’ensemble des conseillers.

Le CESE s’est interrogé sur l’opportunité d’évoquer les concessions hydroélectriques dans le projet de loi. Mais les inquiétudes portaient principalement sur la notion de société d’économie mixte, et, dans une moindre mesure, sur la gestion de l’eau. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un travail doit être mené avec les différents partenaires pour définir un projet partagé et clarifier les objectifs poursuivis.

Dans le domaine des transports, le CESE recommande aussi de travailler sur l’urbanisme, l’organisation territoriale et les comportements – les jeunes ont une relation différente à la voiture dont témoigne l’essor du covoiturage et de l’autopartage.

Pour la filière automobile, il faut veiller à la cohérence entre les dispositifs réglementaires et les incitations fiscales pour encourager la recherche et la conception des véhicules de demain avec l’objectif d’une diminution de la consommation de carburant au kilomètre et de baisse des émissions de gaz et de particules. Quant aux propositions concrètes que nous pourrions formuler, le récent rapport sur la transition énergétique dans les transports en comporte certainement.

Le texte est très elliptique sur le dialogue social car ce n’est pas l’objet. S’agissant de la transition professionnelle, la proposition d’un programme de prévision des emplois et des compétences a été adoptée à l’unanimité, sans aucune réticence.

M. Jean-Paul Delevoye. Elle constitue même un engagement très fort. Elle traduit l’inquiétude, au-delà des difficultés budgétaires, de voir l’absence de compétence professionnelle entraver la transition énergétique. Pour y répondre, il faut mettre en place une filière professionnelle garantissant des compétences à la hauteur des enjeux. Il y a un risque que la qualité ne soit pas au rendez-vous.

Mme Laurence Hézard. Nous sommes attachés à la cohérence d’ensemble. Pour mener à bien la transformation d’un certain nombre d’emplois dans les différents secteurs, le dispositif doit mobiliser tout le monde et avancer pas à pas.

Quant à la balance des emplois dans le domaine du nucléaire, nous préconisons un travail méthodique sur les différents scénarios de mix énergétique qui comporte évidemment un volet emploi et formation. Le CESE ne s’est pas exprimé sur les conséquences de la diminution de la part du nucléaire sur l’emploi, car la transition énergétique donnera lieu à une recomposition des compétences.

Les échanges au sein du CESE ont beaucoup porté sur le traitement de la précarité et l’aide aux personnes en difficulté tout en admettant que ce sujet ne relève pas de ce projet de loi. Un autre travail doit être engagé au plus près du terrain avec les différents acteurs. Malheureusement, les personnes en difficulté résident souvent dans des habitats énergivores. Le chèque énergie répond à une partie du problème mais l’effort doit porter sur l’amont pour réduire la facture plutôt que d’augmenter le chèque énergie.

L’idée d’un guichet unique, qui soit au plus proche du lieu de la rénovation, a été un point fort de nos échanges.

M. Jean-Paul Delevoye. Nous allons revoir l’ensemble des questions posées et vous adresser une contribution écrite pour y répondre de manière exhaustive.

M. le président François Brottes. Certains promettent et ne tiennent jamais, mais je sais que dans votre cas, cette crainte n’est pas fondée.

M. Jean-Paul Delevoye. La simplification est une question essentielle à nos yeux. Les textes dans ce domaine fixent des objectifs dont l’application s’avère parfois très difficile tant pour les professionnels que pour les collectivités territoriales. C’est le cas des zones de développement de l’éolien terrestre. Sur certains territoires, les promoteurs font les promesses les plus folles aux communes et les élus ne maîtrisent plus l’organisation de leur territoire. Dans ce domaine, le droit précède le politique. Le pouvoir appartient au juge qui décide d’accorder ou pas le permis. Je souhaite que vous réfléchissiez à la gestion des contentieux et au moyen de garantir que l’organisation du territoire reste à la main des élus. Parfois, la gestion des contentieux l’emporte sur la gestion des potentiels.

M. le président François Brottes. Je vous remercie pour votre contribution. Vos réponses complémentaires seront les bienvenues pour éclairer la suite de nos travaux.

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME

(Séance du jeudi 11 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Nous accueillons M. Bruno Léchevin, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui va nous donner son avis sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et sur la place réservée à l’agence dans ce texte.

Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c’est un honneur pour moi d'être devant vous ce matin, en tant que président de l'ADEME, ce bel outil au service des politiques publiques en matière d'énergie et d'environnement.

La moitié des quelque 1 000 salariés de l’Agence travaille en région, ce qui démontre son aptitude à articuler une pensée globale avec une action territoriale. Nous sommes l'établissement public au service de la transition énergétique et écologique. Par nos actions de recherches et d’innovation, de conseil, de communication, de soutiens techniques et financiers, nous accompagnons l'ensemble des acteurs – collectivités, entreprises, particuliers – vers des modes de consommation et de production plus durables.

Par nature, nous sommes donc tout particulièrement concernés par la réussite de la transition énergétique et par ce projet de loi. Depuis le lancement du débat national sur la transition énergétique, nous avons eu l'occasion d'interagir régulièrement avec le ministère et les autres parties prenantes. Nous sommes donc pleinement impliqués dans ce texte dont nous soutenons les ambitions dans les domaines qui nous concernent. Après vous avoir exposé notre vision du projet, des avancées qu’il permet et des perspectives qu’il ouvre, je répondrai volontiers à vos questions.

Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie vous ayant présenté le contexte et les motivations de ce projet de loi mardi soir, je me contenterai de vous en souligner les lignes de force, telles que nous les percevons.

L'objectif est de placer notre société sur une trajectoire permettant de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet en 2050, ce qui implique une diminution de 50 % de la consommation d'énergie et le déploiement massif des énergies renouvelables dans les territoires. Cet objectif ambitieux correspond aux préconisations de l'ADEME dans les scénarios prospectifs qu’elle a effectués pendant de longs mois, et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Maîtriser sa consommation, c'est préserver l'environnement, mais c'est aussi avoir prise sur sa facture : l’économique, le social et l’environnemental sont liés. Au-delà de ses objectifs de long terme, le projet de loi vise à stimuler dès à présent les acteurs sur le terrain : il s'inspire des territoires, les conforte dans leurs démarches et généralise les bonnes pratiques. Comme nous le constatons tous les jours au travers des actions que nous menons, la transition énergétique ne se fait et ne se fera pas sans la mobilisation des territoires. Le débat national et ses déclinaisons régionales ont prouvé que la transition énergétique est déjà en marche dans les régions ; l’enjeu de ce texte est de l'accélérer, de la soutenir et de la généraliser. Il s’agit de créer les conditions d'une dynamique de son appropriation à tous les niveaux de la société, en saisissant toutes les opportunités technologiques mais aussi en essayant d’engager les actions nécessaires pour faire évoluer les comportements.

Les principes d'action et les objectifs sont posés. Leur mise en œuvre nécessitera une grande mobilisation, tant dans l'écriture des textes réglementaires qui en découlent que dans les actions d'animation et d'accompagnement sur le terrain. Ce projet de loi est un élément central de la transition énergétique, mais il doit s'accompagner d'un plan d'action et de mobilisation et être complété par d'autres textes législatifs, tels que ceux relatifs à la décentralisation et le projet de loi de finances.

La fiscalité environnementale devra être l'un des leviers de la transition énergétique. Il faudra montrer qu’elle n'est pas une couche supplémentaire d’impôts mais qu'elle peut, si elle est redistribuée vers les ménages et les entreprises, se substituer à une part de la fiscalité qui pèse sur le travail et pénalise donc l'emploi. Elle permet également de réduire nos importations d'énergies fossiles, améliorant ainsi la balance commerciale de notre pays. Ce chantier alliant technicité et pédagogie fera prendre conscience à tous que la fiscalité écologique peut être synonyme de double dividende, écologique et économique.

Le droit à l'expérimentation est l’une des lignes de force, l’un des éléments centraux du texte. Ce projet de loi devrait donner de nouveaux droits à l'expérimentation, qu’il s’agisse d’urbanisme, de mobilité, de production ou consommation d'énergie, de modulation des droits de mutations, afin de soutenir l'innovation dans les territoires plutôt que de chercher à imposer dès à présent des mesures nationales. L’état d’esprit reste le même : stimuler et permettre plutôt que d’imposer ; évaluer avant de généraliser.

Les mesures envisagées pour faire évoluer nos modèles de gouvernance sont également essentielles. Il faut en effet revoir ces modèles, de manière à assurer une participation plus équilibrée de toutes les parties prenantes, notamment les collectivités, tant dans notre système énergétique que dans le développement de l'économie circulaire. La construction d'une société plus sobre et moins énergivore n'est envisageable que si la transition énergétique s'appuie sur cet objet social que sont les territoires, au premier rang desquels les régions. L'échelon territorial constitue le maillon élémentaire de cohérence fonctionnelle et opérationnelle. C'est à ce niveau que les différentes politiques d'urbanisme, d'environnement, de transport et de logement se conjuguent et entrent en interaction avec les préoccupations de santé, de qualité de vie, de culture, d'emplois et d'attractivité permettant de véritables approches transversales dans une logique de développement durable.

Pour poursuivre ces propos liminaires, ouvrons quelques perspectives. Au-delà des objectifs ambitieux mais nécessaires annoncés à l'heure où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous alerte une fois de plus sur l'évolution du changement climatique, il s'agira également de mettre en place des dispositifs de pilotage et d'évaluation permettant de suivre l'avancement de la transition énergétique voire de la réorienter en fonction des évolutions de contexte, des étapes, du chemin parcouru ou des difficultés rencontrées.

L'objectif de 50 % de réduction de la consommation d'énergie d'ici 2050 devra également être intégré dans toute la chaîne, depuis les missions des opérateurs de régulation et de distribution de l'énergie jusqu'au renforcement sur le terrain des plans climat-énergie territoriaux (PCET), l'outil qui aide les territoires à devenir des territoires à énergie positive, partisans de la croissance verte.

Permettre à chaque territoire d'agir, c'est également lui donner les moyens de connaître sa situation, notamment en matière de consommation énergétique. La création d’un véritable service public de la donnée énergétique, capable d'alimenter les décideurs aux différentes échelons de territoire, est nécessaire à la réussite de ce changement de modèle. Pour le chantier de la rénovation des bâtiments, nous aurions également intérêt à disposer réellement du service public de la performance énergétique de l'habitat prévu par la loi Brottes, car il permettrait d'organiser l'accompagnement de nos concitoyens dans ce domaine. Point n’est besoin d’insister sur l’urgence de ce chantier et je pourrai revenir sur les dispositifs qui commencent à se mettre en place dans le cadre des plateformes territoriales.

En ce qui concerne le financement de la transition énergétique, les principaux leviers ne seront pas forcément du ressort de cette loi : certaines mesures relèvent de la loi de finances tandis que d'autres, non législatives, doivent être débattues à la suite de la Conférence bancaire et financière pour le financement de la transition énergétique qui s’est tenue en juin dernier. Néanmoins, nous souhaitons que cette loi de programmation permette de tester des financements innovants. Si les possibilités de déroger au monopole bancaire ou de faire appel à un fonds de garantie ne suscitent pas l'adhésion de tous, en particulier celle des banques, nous ne pouvons en rester là : l'argent qualifié de disponible par les banques devra être effectivement mobilisé au service de la transition énergétique.

Rappelons que le coût de la transition énergétique – environ 25 milliards d’euros par an – n'est, en terme d'investissements, qu'à peine supérieur à celui de la « non-transition énergétique » car la consommation induit de très lourds investissements dans la production. Cet apparent surcoût de la transition énergétique – d'environ 5 milliards d’euros par an en moyenne – doit être considéré au regard des bénéfices induits : développement de l'emploi local pour rénover plutôt que d'aggraver notre déficit commercial en payant du pétrole ; dommages évités. Ne pas s’engager dans la transition énergétique coûterait quelque 150 milliards d’euros annuels à la France en 2050, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Enfin, répétons que la transition énergétique, un projet de société, ne peut se faire sans prise en compte de la question sociale. À cet égard, la création du chèque énergie participe au bouclier énergétique voulu par tous les membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Il faut désormais réfléchir à son contenu, à sa mise en place et à son mode de financement, compte tenu de l’état des finances publiques. Ce chèque doit permettre l’accès à l’énergie de tous les consommateurs, quel que soit leur mode de chauffage. Quel est le meilleur vecteur de financement ? Est-ce la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? La question se pose au moment où nous voulons construire cette société plus sobre mais aussi plus équitable, chère au président Brottes.

Outre ces dispositifs à caractère transversal, le projet contient des mesures sectorielles relatives à l'efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables, comme celles qui visent à favoriser l'accélération de la rénovation et la mobilisation de la biomasse ou à mieux protéger la qualité de l'air. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous ces points.

M. le président François Brottes. Monsieur Léchevin, je rappelle que vous avez été délégué général du Médiateur national de l’énergie et que vous avez fait un passage à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Vous aurez le droit de vous écarter du sujet et, n’étant tenu à aucun devoir de réserve, de dire exactement ce que vous pensez.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Actuellement, les politiques nationales ne sont pas appliquées dans les zones non interconnectées (ZNI) – c'est-à-dire qui ne sont pas reliées au réseau électrique de la métropole – comme les outre-mer. Le fonds chaleur est l’un de ces nombreux dispositifs créés au niveau national qui ne sont absolument pas pertinents sur les territoires d’outre-mer. Qu’entendez-vous faire pour que les choses évoluent dans ce domaine ?

S’agissant du droit à l’expérimentation, pensez-vous qu’il doit être le même pour tous ou s’appliquer de manière différenciée dans les ZNI et dans l’Hexagone, sachant que certains territoires font l’objet de lois d’habilitation ?

Mme Sabine Buis, rapporteure sur le titre II et le titre IV du projet de loi. Alors qu’il est souvent question du coût de la transition énergétique, je vous remercie, monsieur Léchevin, d’avoir dit ce qu’il nous en coûterait de ne pas nous engager dans cette voie.

Comme ma collègue, je voulais revenir sur le droit à l’expérimentation car je pense aussi qu’il faut stimuler et permettre plutôt que d’imposer. Puisque, par définition, l’expérimentation laisse la place à des initiatives différentes, pouvons-nous en donner une définition générale ?

Vous avez mentionné un service public de la donnée énergétique ou de la performance énergétique de l’habitat et avancé l’idée d’une plateforme territoriale qui pose la question de la gouvernance. Que signifie pour vous la notion de territoire ? Quelle est son échelle ? Quel type de gouvernance envisagez-vous ?

M. le président François Brottes. Sur la notion de droit à l’expérimentation, je vous invite à regarder son aspect constitutionnel. N’hésitez pas à interroger le Conseil constitutionnel, car M. Léchevin ne sait pas forcément ce que peut la loi en cette matière.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Le titre VIII du projet de loi contient quelques pistes d’expérimentation très encadrées. Si nous voulons que les territoires puissent prendre des initiatives sans être entravés par des règles à vocation nationale mais inadaptées à leur cas, il est important qu’ils puissent mener des expérimentations.

Une version antérieure du projet de loi prévoyait la mise en place d’un service public de l’efficacité énergétique au niveau régional auquel l’ADEME était particulièrement favorable. Comment imaginez-vous ce dispositif ? Comment envisagez-vous ses relations avec l’ADEME et avec les territoires ?

Le financement du chèque énergie repose presque totalement sur la contribution des consommateurs d’électricité et de gaz alors qu’il bénéficierait à tous les précaires énergétiques, y compris ceux qui se chauffent au moyen d’énergies fossiles. Quelle est votre réflexion dans ce domaine ? Pensez-vous qu’il serait pertinent d’étendre l’utilisation du chèque énergie à l’achat de matériels électroménagers plus performants en matière de consommation énergétique ?

Le service public de la donnée énergétique que vous évoquez n’est pas inscrit dans le texte, même si l’un des articles prévoit un meilleur accès aux données. Pensez-vous qu’il faudrait renforcer le texte pour le rendre plus lisible et avez-vous des suggestions en la matière ?

La ministre nous a indiqué que le montant du fonds chaleur serait doublé dans les trois ans à venir. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le rythme de cette augmentation ?

Si vous rêviez tout haut à la manière dont l’ADEME pourrait, dans le cadre de ce projet de loi, voir ses compétences élargies pour permettre de mieux mettre en œuvre la transition énergétique, que proposeriez-vous d’ajouter dans ce texte ?

M. Philippe Plisson, rapporteur sur le titre III et le titre VI du projet de loi. L’ADEME est déjà un acteur prépondérant de l’évolution nécessaire de notre mode de consommation. Nous avons convenu, y compris Mme la ministre, qu’il est nécessaire d’enrichir le titre VI sur les transports, en particulier par des mesures sur la mobilité dans les territoires ruraux. Sans aller jusqu’à rêver, avez-vous des propositions concrètes que nous pourrions introduire dans le texte, dans un délai extrêmement restreint ?

M. Damien Abad. La manière dont nous allons définir le chèque énergie aura un effet sur son rôle. Que préconisez-vous ?

Le texte prévoit quelque 80 milliards d’euros d’engagements pour financer la transition énergétique par du crédit puisqu’il n’y a pas de ligne budgétaire. Avez-vous des propositions plus cadrées ?

L’un de nos collègues envisageait l’élargissement des compétences de l’ADEME. Avec quel budget ? Avant de repenser les missions, il faudrait peut-être parler des moyens de l’agence.

M. Jean-Yves Le Déaut. Le modèle de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergie sur lequel a travaillé l’ADEME a été élaboré il y a deux ans, au début de cette discussion. Pensez-vous que nous allons atteindre les objectifs de 2020 ? Sinon, que faudrait-il faire pour accélérer la réussite des plans que vous avez développés ?

Comment est mesurée la performance énergétique, sachant que nos objectifs sont exprimés en énergie primaire, en réduction de gaz à effet de serre et en baisse de consommation ? Ne faut-il pas fixer d’autres objectifs ? La réglementation thermique 2012 n’en a pas prévu parce que nous nous faisions la guerre, entre partisans du gaz ou de l’électricité. Ne faut-il pas prévoir d’autres critères tels que les énergies primaires, les émissions de CO2, et la part en énergies renouvelables ?

Vos objectifs seront atteignables si nous faisons un gros effort dans le secteur du bâtiment mais la rénovation est en panne, notamment en raison de la jungle des aides. Signalons que l’aide au produit peut avoir des effets négatifs : les prix de certains produits augmentent et deviennent plus élevés qu’en Allemagne ou en Belgique. Ne faut-il pas privilégier les aides à des plans globaux de rénovation, organisées par territoires ?

Tous les produits sont certifiés et évalués par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Ne pensez-vous pas que cet organisme mélange les genres : recherche, évaluation, conseil, expertise, contrôle ? Nous devrions aborder ce sujet d’actualité.

Les allégations de performance ne devraient-elles pas figurer dans tous les contrats de prestations d’efficacité énergétique, notamment si se développent des plateformes de conseil à la rénovation au niveau régional ?

M. Julien Aubert. Monsieur Léchevin, vous avez insisté sur la nécessité de nous doter de dispositifs de pilotage et d’évaluation et de réfléchir au modèle de gouvernance. À l’UMP, nous plaidons pour la création d’un commissariat à la transition énergétique, rattaché au Premier ministre, qui permettrait notamment de concilier le respect d’objectifs nationaux votés par le Parlement et la nécessaire liberté des collectivités territoriales. Celles-ci conduisent des plans de développement d’énergie verte sans parfois se soucier des objectifs fixés par le législateur. Un tel commissariat pourrait aussi jouer un rôle dans l’information du grand public et l’octroi d’autorisations de nouvelles installations. Qu’en pensez-vous, sachant que cette création aurait des conséquences sur votre agence ?

La complexité de la fiscalité est telle que nos concitoyens craignent un contrôle fiscal une fois les travaux réalisés, ce qui freine la rénovation des logements. Ne pensez-vous pas que le service public de la performance énergétique devrait d’abord proposer des diagnostics gratuits ouvrant immédiatement droit à un aménagement fiscal, et ne pas seulement mesurer la performance des bâtiments ?

Mme Cécile Duflot. Ma première question portera sur le tiers financement qui rencontre, dites-vous, certaines difficultés. Quelle proposition estimez-vous la plus pertinente pour le développement de ce tiers financement ? L’application du monopole bancaire ne me semble pas une bonne solution – cela ne vous surprendra pas – mais je voulais avoir votre avis, eu égard aux discussions qui ont eu lieu notamment dans le cadre de la Conférence bancaire.

Pensez-vous qu’il est possible de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050 sans nuire à la qualité de la vie ?

Quel premier bilan tirez-vous de la création du guichet unique de la rénovation thermique et de l’efficacité énergétique ? À ma connaissance, le traitement des dossiers se heurte à des difficultés, ce qui est à la fois une très bonne et une mauvaise nouvelle : le dispositif fonctionne et nombre de nos concitoyens veulent effectuer des travaux de rénovation thermique mais, en cas d’embolie du système, ils n’y parviendront pas. Quels sont les moyens affectés ou nécessaires au fonctionnement de ce guichet unique ?

M. Bertrand Pancher. Les observateurs et parlementaires jugeront ce projet de loi sur deux points précis : la crédibilité des objectifs ; la corrélation entre les objectifs et les moyens.

Quant à l’ADEME, elle va être sollicitée sur deux volets particuliers : les économies d’énergie via les appels à projets « territoires à énergie positive » et les énergies renouvelables. Notons que la moitié des objectifs fixés dans ce domaine concernent la chaleur renouvelable, ce qui suppose une forte augmentation du fonds spécialisé de l’ADEME. Nous ne pouvons qu’approuver la décision de doubler la dotation de ce fonds chaleur, qui va passer de 200 millions d’euros à 400 millions d’euros.

Votre budget s’élève actuellement à 470 millions d’euros : 200 millions pour le fonds chaleur, 130 millions pour les déchets, le reste pour l’air, les transports et le bâtiment. Il n’est abondé que par la taxe générale sur les activités polluantes sur les déchets (TGAP) et n’est pas du tout alimenté par la fiscalité des produits énergétiques.

À quelques jours de la présentation du budget, personne ne croira que vous ignorez à quelle sauce vous allez être mangé. Je souhaiterais donc savoir très précisément comment vous ferez passer le fonds chaleur de 200 à 400 millions d’euros tout en finançant les appels à projets « territoires à énergie positive », dans le cadre de cette évolution budgétaire. Si vous n’y parvenez pas, cette loi sera accusée de se résumer à des objectifs ambitieux mais inatteignables.

Mme Sophie Rohfritsch. L’accès aux données est essentiel pour que les collectivités locales puissent établir de manière assez fine des politiques envers les différents publics ciblés. Pourquoi serait-ce à l’ADEME de les collecter ou de les gérer puisque certains opérateurs tels que ERDF ou EDF en disposent déjà et peuvent les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin, en premier lieu les collectivités, dans le respect des règles de confidentialité en vigueur ? Il n’est pas nécessaire d’avoir un intermédiaire de plus.

M. le président François Brottes. Monsieur Léchevin, votre expérience passée m’incite à vous poser une question à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre. Avec Jean Gaubert, nous avons évoqué hier un éventuel élargissement du périmètre des compétences du Médiateur national de l’énergie, notamment en cas de conflit sur les installations des énergies renouvelables. Qu’en pensez-vous ?

M. Bruno Léchevin. Il semble utile et de bon goût de s’interroger sur l’évolution des missions du Médiateur national de l’énergie, sur sa transformation éventuelle en un Médiateur national de la transition énergétique. Jusqu’où doit-on aller ? Le Médiateur s’est installé au fil des ans dans le paysage énergétique français où il occupe un rôle central. Mais la donne et les approches ont changé, une complexité et des difficultés nouvelles apparaissent : incité à devenir un acteur de la transition énergétique, le consommateur devient parfois un producteur d’énergie et il est confronté aux problèmes de raccordements, de financement, etc. Qu’une instance publique puisse traiter tous les litiges qui apparaissent dans le cadre de cette transition énergétique, cela mérite réflexion. C’est au Parlement d’en décider, de fixer son cadre et ses limites.

Si je ne veux pas éluder les questions sur le budget de l’ADEME, je ne peux y apporter que les réponses que je connais. À ce jour et dans des circonstances pourtant extrêmement difficiles pour les finances publiques, le budget de l’ADEME est consolidé au même niveau que celui de cette année : 590 millions d’euros d’autorisations d’engagement. C’est une bonne nouvelle mais comment pourrait-il en être autrement au regard de la dynamique voulue par ce projet de loi ? Comme faire de l’ADEME l’opérateur essentiel du développement des politiques publiques liées à la transition énergétique si cela ne se traduit pas dans ses moyens financiers ?

Cependant, il a aussi été décidé un doublement du fonds chaleur, comme vous l’avez relevé. Comment est-ce conciliable avec un simple maintien des autorisations d’engagement ? Indépendamment du budget affecté à l’ADEME, il existe un fonds spécial de la transition énergétique, évoqué par la ministre à plusieurs reprises, qui est doté de 1,5 milliard d’euros. Une partie de ces moyens va financer des appels à projets et des dossiers suivis par l’ADEME, notamment dans le cadre du fonds chaleur. La dotation de ce dernier – environ 200 millions d’euros – devrait doubler en trois ans : 70 millions d’euros en 2015, 130 millions d’euros en 2016 et 200 millions en 2017.

C’est fondamental puisque, comme vous l’avez souligné, la conversion à la chaleur renouvelable est l’un des éléments essentiels nous permettant d’atteindre les objectifs de la transition énergétique. Le fonds chaleur a démontré toute son efficacité puisque sa contribution à la production d’énergie s’élève actuellement à 1,3 million de tonnes équivalent pétrole (TEP). Avec le doublement de sa dotation, nous pourrons atteindre les 4,5 millions de TEP qui sont tout à fait nécessaires au rééquilibrage du mix énergétique et donc au développement des énergies renouvelables, y compris dans le domaine de la chaleur.

À ce stade et en ces temps « maastrichtiens », je ne peux vous dire comment sera financé ce fonds spécial. Une commission de l’inspection générale a travaillé sur le sujet et elle va rendre ses conclusions ainsi que des propositions qui enrichiront le débat parlementaire. Une partie de cette enveloppe sera consacrée aux appels à projets « zéro gaspillage, zéro déchet » et « territoires à énergie positive » de l’ADEME.

Pour ce qui est des transports, on ne peut pas dire qu’ils fassent l’objet des plus grands développements du projet de loi. Nous avons du mal à trouver les politiques publiques innovantes qui nous permettront de réussir la transition énergétique dans ce secteur. Au-delà des opportunités technologiques – voiture propre, mobilité douce, développement des bornes de recharge –, il faut faire évoluer les comportements. La société va vers plus de services, on assiste au développement du covoiturage et de l’autopartage. Ce processus n’en est qu’à ses débuts et ne traduit pas les aspirations d’une seule génération. Grâce aux outils de communication disponibles, il est possible de le généraliser et d’offrir aux gens des services qui les aideront à se déplacer autrement. Il faut aussi inventer d’autres modèles, y compris dans l’urbanisme : la mobilité – et les émissions de gaz à effet de serre afférents – est liée à la densité des territoires, à la manière de lier l’urbain, le périurbain et le rural, etc.

Les scénarios de l’ADEME font une place importante au gaz que l’on aime surtout quand il est renouvelable. Le biogaz, l’un des éléments du rééquilibrage du mix énergétique et de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, peut notamment être utilisé dans les transports collectifs en milieu rural.

Quant au service public de la rénovation énergétique dans le bâtiment, sa mission est de conseiller les consommateurs, qu’ils soient propriétaires ou locataires, et de les accompagner à toutes les étapes, du diagnostic énergétique à la mise en œuvre des travaux d’amélioration des performances de leur logement. Ce service public de l’efficacité énergétique devra s’appuyer sur les plateformes territoriales de la rénovation énergétique que nous mettons progressivement en place avec les régions depuis l’an dernier : nous devrions atteindre et même dépasser notre objectif de 50 créations cette année, sachant qu’il en faudrait au moins 400 pour couvrir le pays. Elles seront chapeautées et accompagnées par le service public régional de l’efficacité énergétique. Fondées sur des expériences et des acquis divers, ces plateformes fonctionnent selon des modalités différentes qu’il faudra expertiser avant de les généraliser.

S’agissant des expérimentations, qui ont suscité plusieurs questions, il nous faut être subtils, intelligents et pertinents pour parvenir à les faire entrer dans le cadre : elles doivent être encadrées, à durée déterminée, et évaluées avant d’être généralisées. Peut-être ce nouveau modèle de société implique-t-il de faire évoluer la Constitution ? Nos valeurs fondamentales peuvent être enrichies sans être reniées ni dévoyées. Il faut gagner les esprits pour que ce travail soit initié, sans forcément être aussi ambitieux qu’on pourrait l’imaginer.

Les expérimentations doivent tenir compte des réalités et des spécificités, donc ne pas être verrouillées au niveau national : la climatologie des DOM n’est pas celle de la métropole. La loi doit fixer les conditions dans lesquelles les expérimentations vont se dérouler, en fixer les limites, le cadre, la durée.

Le fonds chaleur doit être envisagé sous cet angle et il faut rappeler que son plus gros dossier, d’un montant de 20 millions d’euros, porte sur un projet de climatisation à partir de l’eau de mer : le SWAC (sea water air conditioning) de La Réunion. À ce jour, le fonds chaleur a autant investi dans les DOM qu’en métropole, ce qui prouve que cette spécificité est prise en compte. Peut-être faut-il aller plus loin ? Vous êtes en contact avec nos équipes, notamment avec notre direction des DOM, pour le faire.

La création du chèque énergie me réjouit : c’est un combat de plusieurs années dans divers métiers et une conviction personnelle. Il ne doit pas seulement figurer dans le texte mais être financé dans la durée. Cela étant, la précarité énergétique doit aussi être traitée par l’amélioration de l’habitat : l’Agence nationale de l'habitat (ANAH) a enfin trouvé une dynamique positive et son budget devrait être consolidé. Tout citoyen doit pouvoir devenir acteur de la transition énergétique, notamment en rénovant son habitat, mais l’urgence sociale est de s’occuper des factures d’énergie, notamment de chauffage. Les dispositifs sociaux ne sont pas à la hauteur des enjeux : le chèque énergie devrait fournir une aide moyenne de 250 euros minimum pour les 4 millions de précaires concernés, ce qui représente un montant global d’un milliard d’euros. Si l’on veut en faire un vrai bouclier énergétique, il faudra y mettre les moyens mais, compte tenu de l’état des finances publiques, qui doit payer ? Ce ne peut être que la collectivité, mais doit-elle le faire via le seul consommateur d’électricité ou via tous les consommateurs d’énergie ? Il faut donc revoir la CSPE et poser la question de son élargissement.

Lors de son prochain colloque, l’Observatoire de la précarité énergétique, piloté par l’ADEME, va publier des travaux sur la précarité énergétique, redéfinie en fonction d’une série de critères et non plus par l’unique paramètre habituellement retenu : le fait que 10 % du budget de la personne ou du foyer est dépensé en factures d’énergie. La précarité énergétique ne concerne pas le seul logement, mais s’étend à la mobilité et à la santé. Elle ne toucherait donc pas 4 millions de personnes comme l’indiquent les données de 2006, mais près de 20 % de la population.

Il faut donc traiter ce problème et ne pas avoir peur du financement. J’espère que nous n’aurons pas de mauvaise surprise et que la mesure inscrite dans la loi se traduira dans les faits. Cela étant, même si le dispositif créé est à la hauteur des enjeux, doté des financements adéquats, des moyens de trouver les gens et de les aider, il faudra beaucoup de temps, au moins dix-huit mois. Si l’on ne s’y met pas rapidement, il ne fonctionnera ni pour l’hiver prochain ni même pour le suivant.

Le chèque énergie pourrait être utilisé, voire abondé, pour l’achat d’un appareil électroménager plus performant. Il permettrait alors de traiter l’urgence sociale tout en participant à la réduction de la consommation d’énergie.

M. le président François Brottes. À condition que ceux qui vendent ces produits n’en profitent pas pour augmenter les prix !

M. Bruno Léchevin. C’est toute la question des effets pervers des mesures adoptées.

La rénovation des bâtiments représente aussi un enjeu considérable, dont dépend la réalisation de nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de baisse de consommation. La situation n’est pas florissante, mais elle devrait s’améliorer grâce à la dynamique initiée depuis un an et aux mesures fiscales annoncées cet été. Il faut simplifier la jungle des aides. Les dispositions et les outils existent, à commencer par les plateformes territoriales de la rénovation énergétique et le service public de l’efficacité énergétique que j’ai déjà cités.

Ce chantier de longue haleine nous engage pour dix, vingt, voire trente ans : l’objectif est d’arriver à 500 000 logements rénovés en 2017. Il y a une volonté politique et un engagement de tous les acteurs, dont l’ADEME qui en a fait l’une de ses priorités et qui agit avec ses partenaires, les collectivités territoriales et les autres opérateurs de l’État.

Madame Duflot, nous avons fait une étude sur les modes de vie, résumée en huit pages que je vais vous envoyer. Elle démontre que la transition énergétique – et la baisse de la consommation d’énergie qui y est associée – doit se faire sans dégrader les modes de vie. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment mobiliser une société en lui promettant une dégradation de son mode de vie et en la plaçant dans une perspective de décroissance ? Ce n’est pas envisageable. La transition énergétique n’a de sens que si elle est désirable, et nous devons la rendre telle grâce à nos préconisations.

Nous sommes optimistes parce que nos scénarios n’intègrent pas le bénéfice d’éventuelles ruptures technologiques et retiennent des rythmes de croissance tout à fait réalistes. Si nous parvenons à mobiliser nos concitoyens et à rendre cette transition énergétique désirable, souhaitable et réalisable, nous démontrerons qu’il est possible de construire une société différente qui crée de l’emploi parce qu’innovante et inventive. Une croissance économique plus forte n’implique pas forcément une augmentation de la consommation d’énergie : au cours des dernières années, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont enregistré une croissance – faible, certes, en raison de la crise économique – tout en abaissant leur consommation d’énergie, ce qui montre une absence de corrélation entre ces deux paramètres.

M. le président François Brottes. Il nous faut une croissance des économies d’énergie si l’on veut entrer dans ce schéma.

M. Bruno Léchevin. Évidemment. Outre un complément écrit à mes réponses, je vous ferai parvenir notre sympathique publication de huit pages sur les modes de vie, dont on peut discuter avec ses voisins et avec ses concitoyens sur le territoire.

Mme Cécile Duflot. Votre document est-il en ligne sur le site de l’ADEME ?

Bruno Léchevin. Bien sûr, de même que l’étude développée qui fait quatre-vingts pages.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Les mesures incitatives, aussi brillantes et efficaces soient-elles, vont-elles suffire ? Ne faudrait-il pas les compléter par des dispositions réglementaires, voire coercitives ? L’incitation n’est perceptible qu’à ceux qui ont les moyens d’y répondre, alors que le coercitif et le réglementaire s’imposent à tous, y compris aux personnes morales.

M. Bruno Léchevin. Le réglementaire est utile ; l’incitatif est stimulant ; la conjugaison des deux permet d’atteindre le bon équilibre. Si la transition énergétique est un beau projet de société, on ne peut le réaliser par une approche coercitive et punitive. En revanche, au vu des limites de l’incitation, il faudra garder une approche réglementaire voire coercitive dans certains domaines.

À M. Denis Baupin, qui m’a demandé d’imaginer un possible élargissement des compétences de l’ADEME, je répondrai que je suis le moins bien placé pour le faire : il vous revient d’en décider. Ce que je sais, c’est qu’on attend beaucoup de l’ADEME et qu’on lui demandera d’en faire davantage avec un budget égal. Comme l’ensemble des opérateurs d’État, l’agence doit faire des efforts de productivité, apprendre à travailler mieux, plus simplement et plus rapidement sans dévoyer la qualité. Je mobilise l’ensemble des collaborateurs sur ces thématiques et je leur explique tous les jours qu’il vaut mieux être dans une structure qui risque d’être dépassée par les commandes que dans une entreprise qui s’interroge sur sa survie.

Le pays a besoin de l’ADEME et celle-ci doit être à ce rendez-vous. À nous de répondre au défi qui nous est lancé en fluidifiant nos manières d’intervenir. Tous les collaborateurs de l’ADEME sont dans cette dynamique. Que faudrait-il donner de plus ou de mieux à l’agence ? Il faut la consolider et la conforter en termes de moyens, de ressources et d’exigences pour qu’elle puisse être au service de la transition énergétique, avec les collectivités territoriales, nos concitoyens et les entreprises.

M. le président François Brottes. Monsieur Léchevin, je vous remercie.

5. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables et de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité

(Séance du jeudi 11 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs, de votre venue. Vous avez le mérite de contribuer au débat sur la transition énergétique par des propositions et simulations concrètes, sans adopter d’attitude défensive en face de projets nouveaux, mais en allant au contraire, au fil du temps, jusqu’à mettre vos propres propositions en question. Ce n’est pas si courant et cela mérite d’être relevé.

M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE). Notre syndicat professionnel regroupe tous les acteurs du secteur électrique – producteurs, gestionnaires de réseaux, fournisseurs –, et l’ensemble des filières électriques – énergies renouvelables, hydraulique, nucléaire et thermique. Il dispose ainsi d’une vue d’ensemble sur le secteur électrique et sur les diverses composantes du mix énergétique.

L’Union française de l’électricité a participé activement aux nombreux travaux de concertation qui ont entouré l’élaboration de ce texte. Elle poursuivra, soyez-en assurés, cette démarche positive et constructive durant les débats parlementaires. Au nom de l’ensemble de la filière, je voudrais plaider aujourd’hui devant vous en faveur d’une transition énergétique responsable, pragmatique, financièrement soutenable et contribuant à la compétitivité de la France. Tel est le sens de nos propositions d’amélioration du projet de loi.

Elles sont articulées autour des trois grands axes thématiques que sont la stratégie bas carbone, l’efficience économique et la sécurité du système électrique.

La stratégie bas carbone, axe central de la transition énergétique, doit être renforcée. Rappelons que, dans le monde, 40 % des gaz à effet de serre proviennent de l’électricité. Or la France a un atout de poids dans ce domaine puisqu’elle dispose d’un parc de production électrique décarboné à 90 %, grâce à sa production d’énergies renouvelables et d’énergie nucléaire. Des industries leaders dans leur domaine soutiennent cette production.

Ainsi, la France est le deuxième producteur d’hydroélectricité de l’Union européenne avec une filière d’excellence intégrant équipementiers  et producteurs : EDF, GDF-Suez, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), d’autres acteurs de la petite hydroélectricité. Un effort important est également fourni dans le domaine de la recherche et développement. À la veille de la conférence climatique de Paris fin 2015, dite COP 21, notre pays doit renforcer cet atout climatique qui constitue un symbole fort.

Sur ce volet « bas carbone », le projet de loi définit de bonnes orientations, mais doit être plus cohérent et plus ciblé sur les énergies les plus carbonées. Car, s’il fixe un objectif ambitieux et contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 40 % d’ici à 2030, cet objectif est placé sur le même plan que les moyens pour l’atteindre, à savoir l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables ou encore la baisse des consommations fossiles. Ces moyens sont nécessaires dans une stratégie bas carbone, mais ils doivent être déterminés et hiérarchisés pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de dioxyde de carbone, qui demeure l’objectif prioritaire.

De même, il est utile d’instaurer une programmation pluriannuelle des énergies, car elle permettra d’identifier de substituer, là où c’est possible, à des usages carbonés des usages décarbonés reposant sur l’électricité produite par les énergies renouvelables. Mais le pétrole, responsable à 60 % des émissions de dioxyde de carbone, n’est pas complètement intégré dans cet outil de planification. La programmation envisagée fond ainsi les dispositifs qui existent déjà pour le gaz, l’électricité et la chaleur, mais ne crée pas de manière suffisamment évidente d’instrument spécifique pour le suivi de la consommation de pétrole et de fioul, celui-ci étant la troisième énergie de chauffage des Français, devant l’électricité. Aussi l’UFE formule-t-elle des propositions pour que la stratégie bas carbone dépasse concrètement le stade de la volonté affichée.

Quant à l’efficience économique, elle doit être au cœur des mesures proposées pour la transition énergétique. Dans un contexte de crise, les marges de manœuvre de l’État sont limitées, tandis que le pouvoir d’achat des Français doit être préservé. Même s’il ne fait aucun doute que nos concitoyens soutiennent la démarche de transition énergétique, il est aussi certain qu’ils seront très attentifs à la façon dont ce projet collectif sera géré économiquement, à son impact tant que sur les dépenses publiques que sur le pouvoir d’achat. Or il faudra des financements considérables, de sorte que l’effort doit porter de manière prioritaire sur la meilleure affectation possible des ressources.

L’UFE salue donc l’effort de ciblage proposé par le projet de loi, qui vise en particulier à saisir les chances de la rénovation pour améliorer l’efficience énergétique. Mais il est nécessaire d’aller plus loin pour éviter de s’éparpiller. Il convient de cibler les logements les plus énergivores, communément désignés comme des passoires thermiques, mais aussi les énergies de chauffage les plus carbonées, tel le fioul. Toutes les actions qui permettent de faire le plus d’économies sur la facture de chauffage n’étant pas aussi efficaces les unes que les autres, il faut rechercher l’effet de levier maximal.

En matière de précarité énergétique, le chèque énergie a le mérité de viser toutes les énergies. Mais elles ne sont pas traitées sur un pied d’égalité, puisque son financement est assuré par une taxe sur le gaz et sur l’électricité, mais qu’aucune taxe n’est prévue sur le fioul. Je vous livre donc un paradoxe : si ce point n’était pas corrigé, l’électricité et le gaz subventionneraient le fioul…

Enfin, le projet de loi doit prendre davantage en considération la sécurité d’approvisionnement du système électrique et la solidarité énergétique entre les territoires. Non seulement l’électricité ne se stocke pas et l’équilibre entre l’offre et la demande doit être assuré à tout moment, mais la production et la consommation d’électricité sont réparties de manière différente d’une région à l’autre. Certaines sont importatrices, d’autres sont exportatrices. Ainsi, la Bretagne affiche une consommation plus de cinq fois supérieure à sa production, tandis que la Haute-Normandie produit deux fois plus qu’elle ne consomme. C’est en compensant ces différences et en mutualisant les potentiels de production à l’échelle nationale, voire européenne, que la sécurité d’alimentation électrique du consommateur sera assurée.

Aussi faut-il veiller à ce que la décentralisation des compétences en matière d’énergie n’affecte pas de manière négative la cohérence de l’ensemble. Elle constitue une évolution majeure par rapport à la construction historique du système électrique, mais doit s’inscrire dans une cohérence nationale et européenne qui respecte le principe de solidarité entre les territoires. C’est pourquoi l’UFE considère comme légitime le renforcement des compétences énergétiques des collectivités territoriales, mais juge indispensable de coordonner la politique énergétique prescrite au niveau local avec celle prescrite à des mailles territoriales plus larges, voire au niveau national grâce à la nouvelle programmation pluriannuelle.

Aux yeux de l’UFE, les expérimentations prévues dans le projet de loi pourront certainement faire naître des solutions innovantes et prometteuses, mais un dispositif d’évaluation devra précéder leur éventuelle généralisation, afin de s’assurer de leur pertinence économique et climatique, mais aussi du bénéfice qu’elles apportent au consommateur.

Il est important d’aborder tous ensemble la transition énergétique, sans parti pris, avec pragmatisme et de façon responsable tant sur le plan économique que technique. L’UFE peut seulement regretter qu’à l’heure où de nombreux pays européens font le choix de la transition énergétique et alors que nos décisions en matière de mix énergétique auront certainement des conséquences sur nos voisins, le projet de loi ne fasse pas référence à la nécessité de développer une vision européenne coordonnée afin d’assurer la sécurité d’alimentation électrique. L’Europe de l’énergie souhaitée par le président de la République constitue un défi majeur, qui mérite d’être mentionné dans ce projet de loi.

M. le président François Brottes. Je voudrais attirer votre attention sur la distinction qui existe entre les mesures relevant du domaine réglementaire et les dispositions qui appartiennent au domaine de la loi. Pour celles qui relèvent de ce domaine, le droit constitutionnel fait en outre respecter la qualité de la loi en imposant un cadre qui trace des limites strictes aux dispositions expérimentales ou à faible portée normative. Il faut en tenir compte quand vous avancez des propositions.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Le Syndicat des énergies renouvelables est la seule organisation à rassembler la totalité des filières, géothermique, hydraulique, solaire, éolienne et maritime, mais aussi la filière qui exploite l’énergie de la biomasse grâce à la méthanisation. Il compte près de quatre cents membres, dont 80 % de petites et moyennes entreprises et d’entreprises de taille intermédiaire œuvrant dans le domaine des énergies renouvelables. Il s’emploie activement à développer le marché national, départements d’outremer y compris, ainsi qu’à structurer la filière industrielle et à l’accompagner à l’export. Il salarie directement vingt personnes.

Notre vision d’ensemble du secteur nous permet, forts de l’expérience des différentes filières, de proposer des mesures transversales. Les rapports récents de l’Agence internationale de l’énergie comme de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) ont montré que ces dernières se développent partout hors d’Europe, car elles s’imposent comme des solutions crédibles d’un point de vue technique et économique. En 2013, ce sont ainsi 300 gigawattheures tous les deux jours qui ont été installés à ce titre, soit l’équivalent d’un EPR (réacteur pressurisé européen). Alors que les coûts baissent, 250 milliards d’euros d’investissement restent investis chaque année dans ces secteurs, accroissant toujours plus rapidement la puissance installée. Car la révolution actuelle de l’énergie n’est pas le gaz de schiste, mais le développement des énergies renouvelables.

Les entreprises françaises sont déjà dans la compétition, mais elles doivent gagner de nouvelles parts de marché. Pour ce faire, il faut un marché domestique crédible, tel que le présent projet de loi en porte l’ambition.

Le SER salue l’ambition neuve qu’il porte pour ses filières. L’horizon de 2030 n’est pas si lointain et nous approuvons les dispositions qui prévoient un pilotage de l’évolution du marché énergétique.

Nous souscrivons à l’ambition d’atteindre la part de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie d’ici à 2030. Réaliste, raisonné et responsable, cet objectif concourt largement à permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui doivent diminuer de 40 %. Il est compatible avec les engagements européens que nous prenons dans le cadre du paquet énergie climat. Il est réalisable au regard de nos gisements disponibles, qu’il s’agisse du vent, du soleil ou des ressources marines. Il est raisonné, car le rythme prévu permet une bonne intégration aux réseaux, en particulier électriques, sans y faire naître de risque systémique. Car, pour décarboner au maximum nos consommations, le projet de loi doit pousser les consommateurs à des transferts d’usage vers l’électricité.

Du point de vue de la compétitivité économique, les énergies renouvelables soutiennent très bien la comparaison avec les énergies classiques anciennes, l’énergie hydraulique ou l’éolien produisant actuellement à 85 euros du mégawattheure. Le présent projet de loi prévoit que les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables évoluent vers un système fonctionnant sur la base d’un complément de rémunération, comme nous y engage la Commission européenne à travers sa réforme de l’encadrement des aides d’État. Sur ce point, dans la lignée de la position qu’il a défendue au cours des consultations menées au printemps par la direction générale de l’énergie et du climat, le SER propose un amendement visant à garantir une transition vers de nouveaux mécanismes qui soit progressive et assure suffisamment de visibilité aux investisseurs à l’horizon 2020.

Cet été, le SER a en effet analysé le projet de loi avec ses adhérents et élaboré des propositions. Elles sont libellées sous forme d’amendement, parce que ce format vous est familier, mais nous n’entendons certes pas nous substituer au législateur. Ainsi, le Syndicat est également favorable aux dispositions relatives au contrôle des installations. Mais il propose de bien faire encadrer ces contrôles par l’autorité administrative.

A nos yeux, la simplification du cadre réglementaire constitue aussi un chapitre important du projet de loi. Le développement des installations de production à partir d’énergies renouvelables est beaucoup trop long, puisqu’il prend de sept à huit ans. Conformément aux annonces de la ministre, le présent projet de loi doit permettre de diviser par deux le temps de développement des projets. Cette nécessité s’inscrit dans la ligne du choc de simplification appelé de ses vœux par le président de la République.

Depuis le printemps 2013, plusieurs dispositions ont été mises en œuvre pour faciliter le développement d’énergie renouvelables, en particulier pour les filières éolienne, hydraulique et biogaz. Mais il faut généraliser et compléter ces premières mesures, telles que l’autorisation unique ou le certificat de projet prévus par la loi du 16 avril 2013, dite loi Brottes. Le SER formule ainsi de nombreuses propositions de simplification visant à unifier les procédures, à supprimer les doublons et à sécuriser les projets en encadrant les contentieux. Par exemple, il lui semble que sont trop nombreux les niveaux de juridiction à se prononcer en matière d’éolien terrestre. Nous proposons aussi de simplifier la vie des projets géothermiques ou des projets de réseaux de chaleur. Je souligne que cette simplification s’opérerait à niveau constant de protection environnementale.

Le lancement d’initiatives territoriales recueille notre complet assentiment. Il semble de bonne méthode de passer par l’expérimentation, que ce soit dans le domaine des réseaux intelligents ou de la mobilité durable. Je voudrais néanmoins m’attarder sur les régions et collectivités d’outre-mer, qui étaient à la pointe des expérimentations dans les années 1990, mais où des règles techniques concernant le réseau électrique ont coupé cet élan, empêchant le développement de nouvelles capacités d’énergie renouvelable. Cette situation n’est pas acceptable, car ces territoires bénéficient de gisements extrêmement important et que la seule solution de remplacement serait le tout- pétrole, agrémenté d’un peu de charbon. Il est urgent de faire bénéficier ces territoires d’expérimentations à grande échelle, dans le secteur du stockage par exemple. Ils peuvent devenir le laboratoire de technologies nouvelles, qu’ils pourraient même exporter par la suite.

La mobilisation de la biomasse forestière est également un enjeu de territoire fondamental, car la chaleur renouvelable issue de la biomasse, plus encore que la géothermie, fournira une contribution décisive pour atteindre les objectifs fixés. Il convient donc d’éviter les usages concurrents dans le domaine du bâtiment ou de la construction.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Vous avez évoqué, monsieur Bal, la mise en place d’un système de soutien par complément de rémunération. Selon quelles modalités devrait-il, selon vous, mis en place, et qui en serait le gestionnaire ? Par ailleurs, comment les producteurs d’énergie renouvelables, et surtout les plus petits d’entre eux, vont-ils vendre leur électricité sur le marché : directement ou en passant par un agrégateur d’offre ? Est-ce le bon moment pour franchir cette étape ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Je partage vos préoccupations sur le chèque énergie et sur la place faite aux énergies fossiles dans la future programmation pluriannuelle des énergies.

La sécurité d’approvisionnement est loin d’aller de soi, comme le montre l’exemple de la Belgique, où l’approvisionnement électrique est menacé pour l’hiver prochain. J’y vois une incitation à diversifier notre mix énergétique. Lorsqu’une technologie est prépondérante, et qu’elle connaît des difficultés, la sécurité d’approvisionnement s’avère en effet plus fragile. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire l’indique régulièrement. La commission d’enquête sur le coût du nucléaire, dont je faisais partie, a mis cette diversification nécessaire au nombre de ses préconisations. La dépendance énergétique ne sera réduite qu’à ce prix.

Dans le domaine de la distribution d’énergie, la France occupe une position très spécifique, puisque la gestion du réseau est intégrée à la structure d’un fournisseur. Une autonomie plus grande de la distribution ne serait-elle pas souhaitable ? Les collectivités territoriales ne peuvent-elles jouer un rôle plus important dans ce secteur ?

Vous avez également évoqué le coût du renouvelable et la nécessaire simplification réglementaire. La loi Brottes a en effet permis de réaliser un premier petit pas dans le domaine de l’éolien. Au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE), nous avons eu l’occasion de débattre du surcoût inhérent aux délais de lancement des projets. L’idée y fait l’unanimité qu’il faudrait ramener de sept à quatre ans le délai de construction d’une éolienne, comme c’est le cas dans le reste de l’Europe.

Monsieur Bal, comment imaginez-vous les consultations qui entoureront le passage d’un régime de soutien à l’autre, et le pilotage du processus lui-même ? Comment les relations entre producteurs et pouvoirs publics peuvent-elles se structurer de façon durable en ce domaine ? Au CNTE, mais aussi dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), un soutien s’exprime en faveur d’une certaine flexibilité, qui fasse fond sur l’expérience des différentes filières.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Monsieur Bal, je partage pleinement votre analyse sur la situation dans les départements d’outremer, où un blocage est en effet à déplorer, parce que le volume de raccordement y est limité à 30 % de la puissance instantanée sur le réseau. Cela freine le développement des énergies renouvelables.

Mme Frédérique Massat. Le président Brottes a évoqué les limites formelles aux améliorations législatives, mais je citerais également l’article 40, qui impose aux parlementaires eux-mêmes de ne pas déposer d’amendement qui diminuerait les recettes fiscales ou aggraverait les charges publiques.

Ne vous semble-t-il pas que les modalités de raccordement au réseau des producteurs d’énergies renouvelables pourrait faire l’objet d’une concertation accrue ?

Enfin, quelles sont vos propositions en matière de classement des cours d’eau ? Que proposez-vous pour faciliter le raccordement des énergies renouvelables au réseau public ?

M. Julien Aubert. Comment envisagez-vous pour l’avenir la coordination des stratégies locales, régionales et nationales d’approvisionnement en énergie ? Nous avons proposé que soit institué un commissariat à la transition énergétique qui serait directement rattaché aux services du Premier ministre.

Pensez-vous que la loi devrait fixer une trajectoire plus contraignante de réduction des énergies fossiles, par exemple une sortie pure et simple du charbon ?

S’il faut dépasser le débat sur le partage entre le nucléaire et les énergies renouvelables dans le mix énergétique, ne devrait-on pas s’orienter vers la définition d’un équilibre, au sein des énergies renouvelables, entre l’énergie thermique et l’énergie électrique ? Cela ne serait bien sûr pas sans conséquence financière, en particulier à travers le calcul de la contribution au service public de l’électricité.

M. Bertrand Pancher. Monsieur Durdilly, le problème de l’utilisation des ressources se pose en effet avec une acuité particulière en temps de crise, nous incitant en effet à clairement hiérarchiser nos objectifs. J’examinerai les propositions d’amendements que vous nous soumettez. Mais avez-vous réfléchi aussi à un élargissement de la contribution au service public de l’électricité ?

Monsieur Bal, la France a décroché dans le domaine des énergies renouvelables, puisqu’elles doivent s’établir à 23 % de la consommation énergétique de 2020, mais n’en constitueront que 17 % si nous poursuivons au rythme actuel. Défendez-vous des amendements qui, tout en favorisant un atterrissage en douceur pour les entreprises qui devront quitter l’actuel système de soutien, garantissent la réalisation de l’objectif de 30 % fixé pour 2030 ? Nous avons de même évoqué avec le président de l’ADEME l’évolution du fonds qui finance les pompes à chaleur.

Mme Cécile Duflot. Monsieur Bal, vous avez évoqué le financement des sociétés de projets pour les énergies renouvelables. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire peuvent-elles entrer au capital de ces sociétés ?

M. Damien Abad. Je regrette que la dimension européenne ait été un peu négligée dans notre approche, comme je l’ai dit à la ministre lorsque nous l’avons entendue. Disposez-vous de données comparatives ? Par ailleurs, quel est votre avis sur le gaz de schiste ?

M. Jean Launay. L’association UFC-Que choisir nous a interrogés hier sur la séparation entre EDF et ERDF, en proposant que cette dernière entreprise soit contrôlée sur le modèle de Réseau de transport d’électricité (RTE) : qu’en pensez-vous ? Comme mon collègue Bertrand Pancher, je m’interroge également sur un possible élargissement de la contribution au service public de l’électricité à d’autres sources d’énergie. La CSPE conserverait son nom, mais le E final serait la première lettre du mot « énergie », et non plus celle du mot « électricité ».

M. le président François Brottes. Trouver le sigle n’est certes pas le plus difficile…

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Comment calculez-vous la durée d’amortissement d’une installation d’énergie renouvelable ? Il est important de pouvoir évaluer dès le départ le coût financer, mais aussi le coût carbone, de telles installations.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs les présidents, d’avoir mentionné l’apport d’une proposition de loi qui a visé à faciliter l’installation d’éoliennes terrestres et le raccordement d’éoliennes off-shore. Des progrès restent cependant à faire.

Incluez-vous les barrages au nombre des installations productrices d’énergies renouvelables pour lesquelles les modalités de recours doivent être rationalisées ? L’autoconsommation se développe, ce qui est, de l’aveu unanime, souhaitable, sauf lorsqu’il s’agit de groupes électrogènes. Cela étant, ne faudrait-il pas envisager de la faire contribuer à l’utilisation du réseau public d’électricité ? Les auto-consommateurs tiennent en effet à rester rattaché à un réseau et devraient à ce titre être assujetti au tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE). Ne pas le faire aurait, me semble-t-il, un effet pervers. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les réseaux d’eau. Les associations de consommateur disent ne pas être opposés au paiement d’un abonnement.

Vous avez abordé la question du stockage des énergies renouvelables et de l’intermittence. Une meilleure gestion du flux permettrait-elle d’économiser sur les investissements dans le réseau, prévu pour des pics d’activité qui seraient amenés à disparaître ? Quel est le modèle économique viable pour le juste partage entre augmentation du stockage et réduction de l’intermittence ?

Je crains que nous n’ayons abordé la question des énergies de manière trop fragmentée jusqu’à présent, établissant des distinctions entre l’éolien terrestre et maritime ou entre l’énergie hydraulique fluviale et maritime. Comment réussissez-vous à mener une approche fine de chaque segment concerné ?

M. Robert Durdilly. Si vous le voulez bien, nous répondrons tour à tour à chacune des questions. À propos du complément de rémunération, l’Union française de l’électricité était attentive à ce qu’un mécanisme de soutien soutenable soit mis en place, et qu’il intègre les producteurs d’énergie renouvelable. L’obligation d’achat a ses vertus. Elle a permis d’obtenir les résultats actuels, mais le complément de rémunération créera moins de distorsions.

Un problème peut apparaître pour les petits producteurs qui n’ont pas les moyens de commercialiser seuls leur électricité. Ils devront passer par un agrégateur d’offres. Il serait envisageable qu’un agrégateur de dernier recours existe pour ceux qui n’en ont pas trouvé d’autre.

M. le président François Brottes. Une sorte de service public de l’agrégation, mais de l’agrégation d’électricité… (Sourires.)

M. Jean-Louis Bal. Au sujet du complément de rémunération, nous avons déjà publié un avis dans le cadre de la consultation organisée au printemps par la Direction générale de l’énergie et du climat. Nous sommes en faveur d’un complément de rémunération qui serait déterminé en fin de période : un prix cible serait défini en début de période, et le complément serait calculé à la fin, en se fondant sur l’écart constaté avec le prix du marché.

Cette formule a le mérite d’initier les producteurs au fonctionnement du marché, mais aussi de garantir une certaine visibilité aux investisseurs. L’autre formule d’une prime ex ante aurait au contraire pour défaut de susciter une certaine frilosité et un surcroît de précaution qui surenchérirait au total l’électricité produite.

Quant à la vente de l’électricité sur le marché, les petits producteurs peinent déjà, en particulier dans l’hydroélectricité, à écouler leur offre. Des start-up se développent pour agréger l’offre des différents producteurs. C’est un nouveau métier qui apparaît. Mais il est difficile de prédire quels seront les tarifs appliqués aux producteurs d’énergie renouvelable devant recourir à leur service.

M. Robert Durdilly. Monsieur Baupin, la sécurité d’approvisionnement est en effet corrélée à la diversité du mix énergétique. La transition énergétique pose précisément le problème du pilotage de son évolution.

Jusqu’où aller dans la séparation juridique entre distributeur et producteur d’électricité ? Les exigences européennes sont moins pressantes dans le domaine de la distribution que dans celui du transport de l’électricité. Au-delà de la question juridique, il faut s’interroger sur les contours d’une distribution envisagée comme fonction indépendante et sur les mécanismes de contrôle dont disposerait un régulateur dans ce schéma.

Quant à la simplification proposée par le projet de loi, nous la soutenons, en particulier lorsqu’elle vise à raccourcir les délais de recours contre les nouvelles installations d’énergies renouvelables.

M. Jean-Louis Bal. Monsieur Baupin, je pense que notre transition énergétique pourrait s’inspirer de l’exemple allemand, qui a permis, au moins au début, aux producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat de passer à leur guise vers le système du complément de rémunération.

Or, contrairement aux attentes, ils ont été très nombreux à opter en faveur de ce dernier. Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, le soutien aux énergies renouvelables prend la forme d’un complément de rémunération pour la plus grande partie des producteurs, voire pour 80 % d’entre eux dans le domaine de l’énergie éolienne. Au demeurant, ils n’optent pas définitivement pour le complément de rémunération, puisque l’option leur est offerte chaque mois de revenir au bénéfice de l’obligation d’achat. Ainsi, les producteurs d’énergies renouvelables ne craignent pas la confrontation avec les mécanismes du marché.

Le problème de l’agrégation de l’offre se pose également sur le marché allemand. Les premières années, une prime de management est versée. S’élevant à deux ou trois euros par mégawattheure, elle est censée couvrir le coût de l’intégration.

Du cas allemand, nous retenons, dans nos recommandations, qu’il serait d’offrir aux producteurs, durant une certaine période, la possibilité d’opter pour un système de soutien ou pour un autre.

M. Jean-Louis Bal. Madame Bareigts, le seuil de 30 % en puissance instantanée est fixé de manière empirique. Sur un petit système électrique comme celui de Mayotte, des problèmes peuvent déjà apparaître en-deçà. Dans la métropole, il peut être au contraire dépassé sans difficulté majeure. Cela n’a donc guère de sens de fixer le seuil au même niveau partout. En Guyane, à La Réunion, les ressources hydrauliques stockables qui sont disponibles permettraient de le relever.

Nous avons donc proposé, il y a un an, une adaptation du seuil et la prise en compte des énergies renouvelables susceptibles de stockage. Pour seule réponse, le lancement prochain d’un appel d’offres est annoncé pour développer l’installation photovoltaïque dans les départements d’outremer. Mais aucun dispositif tarifaire n’est encore évoqué.

M. Robert Durdilly. La question du risque d’approvisionnement se pose en effet avec d’autant plus d’acuité que la maille est plus petite. La probabilité de défaillance liée à une production intermittente est régie par des règles héritées de l’histoire, mais qui méritent d’être revues aujourd’hui avec les producteurs d’énergies renouvelables.

Madame Massat, vous nous interrogez sur l’efficacité énergétique des réseaux. Elle est imposée par une directive européenne dont la transposition permettra de préciser les modalités. Quant à l’efficacité énergétique en aval, elle restera de la responsabilité des producteurs.

L’apparition des énergies renouvelables pose le problème de leur intégration dans les réseaux. Censées être vertueuses, elles pourraient paradoxalement ne pas l’être tant si elles supposent un développement accru des réseaux. À mesure de leur montée en puissance, cette question gagnera en acuité, mais les mécanismes d’effacement du réseau électrique pourraient offrir un début de solution.

M. Jean-Louis Bal. Le classement des cours d’eau doit être guidé par le respect de l’environnement. Mais il faut aussi éviter de figer la situation sans tenir compte des progrès technologiques de la production hydraulique. Aussi suis-je en faveur d’une révision quinquennale du classement.

Quant à l’intégration des producteurs d’énergies renouvelables au réseau électrique, j’estime que la mutualisation de l’offre gagnerait à se renforcer, car je préfère parler de variabilité plutôt que d’intermittence de la production. Les schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables fournissent un outil pour améliorer la coordination et la maîtrise des volumes mis sur le réseau. Les coûts inhérents à un raccordement au réseau devraient au reste être partagés avec le gestionnaire de ce dernier.

M. Robert Durdilly. Monsieur Aubert, il est vrai qu’il faut veiller à ce que les différents niveaux territoriaux définissent des approches énergétiques qui s’emboîtent, même si nous n’avons pas proposé de partage précis des responsabilités. Certains territoires sont excédentaires en énergie. Comment s’assurer qu’ils définiront des prescriptions, par un exemple un taux d’équipement en installations d’énergie renouvelable, cohérentes avec les orientations nationales ? Comment garantir l’affectation optimale des ressources ? Ceux qui prennent les décisions ne sont pas toujours ceux qui en supporteront le coût, puisque le soutien financier aux énergies renouvelables restera national.

Quant au fioul, nous pensons en effet qu’il faut réduire davantage sa consommation. Mais le problème principal de la transition énergétique, pour le fioul comme pour les autres énergies anciennes, est de trouver le moyen d’inciter à s’en détourner pour passer aux énergies renouvelables. Au-delà des objectifs chiffrés, le transfert d’usage constitue donc un enjeu crucial.

M. Jean-Louis Bal. Or, si le projet de loi consacre l’ambition d’atteindre la part de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie d’ici à 2030, il ne fournit pas de répartition pour l’usage de ces énergies. Le dossier de presse paru en même temps que le projet de loi était cependant plus explicite, en indiquant que la part des énergies renouvelables représenterait 40 % de l’électricité produite, 38 % de la chaleur consommée et 15 % des carburants utilisés.

L’effort à réaliser sur la chaleur est considérable, puisque les énergies renouvelables n’y représente que 11 % de la consommation aujourd’hui. Cet effort reposera principalement sur la biomasse, mais s’appuiera aussi sur la géothermie. Une répartition stricte entre les trois types d’application de l’énergie reste cependant difficile.

M. Robert Durdilly. À M. Pancher, je voudrais répondre que nous n’avons pas de réflexion particulière sur la contribution au service public de l’électricité, mais que nous déplorons avec lui que le pétrole ne soit pas mis à contribution.

M. Jean-Louis Bal. M. Pancher mentionnait également un décrochage dans le rythme auquel nous poursuivons nos objectifs de développement des énergies renouvelables. Ce phénomène n’est pas dû tant au tarif d’achat qu’à l’encadrement réglementaire, qui s’avère trop lourd. Il pourra être résorbé si le nouveau mécanisme de soutien donne une visibilité suffisante aux investisseurs.

Madame Duflot, nous sommes tous à fait ouverts à la possibilité non seulement pour les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, mais même pour des particuliers ou pour des sociétés d’économie mixte, de participer au capital des sociétés de projet qui développent des énergies renouvelables. Mais il ne faut pas ériger d’obligation en ce domaine.

M. Robert Durdilly. Au niveau européen, nous travaillons avec les industriels allemands, dont les points de vue ne sont pas éloignés des nôtres. Nous réfléchissons au moyen d’intégrer éventuellement aux mécanismes de capacité nationaux les capacités présentes à la frontière.

Quant au gaz de schiste, j’estime qu’il peut offrir le moyen d’importer moins de pétrole. Quels que soient les choix finalement retenus, l’innovation doit être protégée et nous sommes favorables à la recherche.

M. Jean-Louis Bal. Madame Le Dain, vous nous avez interrogé sur la manière de calculer les amortissements dans le domaine des énergies renouvelables. Les paramètres à prendre en compte sont la durée de vie des installations, la durée des contrats qui les régissent et la durée des financements accordés par les banques aux sociétés de projet. Puisqu’il s’agit de technologies relativement neuves, nous restons prudents.

Dans l’éolien, l’obligation d’achat court sur quinze ans, mais une rénovation assez lourde intervient au terme de cette période, puisqu’il faut changer les pièces en mouvement. Dans le domaine du photovoltaïque, où les pièces ne sont pas en mouvement, une même installation peut durer vingt ans, et même au-delà.

Quant au coût carbone de ces installations, je dirais que l’énergie nécessaire à la fabrication d’une éolienne est produite par cette même éolienne dans les six premiers mois d’activité. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le coût carbone des équipements photovoltaïques met, quant à lui, un à trois ans à être compensé.

Monsieur le président, je souligne à nouveau combien il est nécessaire que les délais de recours et les niveaux de juridiction soient similaires pour l’ensemble des installations d’énergie renouvelable. Une procédure unique pour chacune des filières est également souhaitable. Quant à l’autoconsommation, nous trouverions normal qu’elle contribue à l’acheminement, ce qui suppose cependant un nouveau mode de calcul du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.

Le stockage pourrait être une réponse à l’intermittence, ou plutôt à la variabilité, pour reprendre la terminologie internationale. Mais le développement du réseau devrait lui-même faire baisser le besoin de stockage. Le taux de pénétration des énergies variables s’établit à seulement 5 % en moyenne annuelle sur le réseau métropolitain. Or il pourrait augmenter jusqu’à 45 %. Je renvoie sur ce point aux études de l’Agence internationale de l’énergie sur la flexibilité des systèmes de production électrique. Quant à la segmentation entre les diverses énergies renouvelables, notre syndicat s’enrichit justement de cette diversité.

M. Robert Durdilly. Le réseau électrique non seulement apporte de l’énergie, mais garantit une sécurité d’approvisionnement. Cette fonction doit être rémunérée comme telle, grâce à un nouveau calcul du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.

M. le président François Brottes. Messieurs les présidents, nous vous remercions.

6. Audition ouverte à la presse de M. Pierre Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire et de M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

(Séance du jeudi 11 septembre 2014)

M. le président François Brottes. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) que vous présidez, monsieur Chevet, est un modèle d’indépendance et d’exigence dans le monde, ce qui justifie le surnom « Toujours plus » que vous donnent certains. Quant à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il œuvre non seulement auprès des centrales nucléaires mais dans tous les domaines où existe un risque d’irradiation – soins dentaires, radiographie, etc. De récents événements ont d’ailleurs malheureusement montré la nécessité de renforcer le contrôle à cet égard.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Je dirai quelques mots sur le contexte français en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection en France, avant d’en venir aux dispositions législatives qu’il nous paraîtrait utile d’adopter. Jacques Repussard évoquera ensuite le fonctionnement du système de contrôle exercé conjointement par l’ASN et par l’expert technique que constitue l’IRSN.

En matière de sûreté et de radioprotection, nous sommes confrontés aujourd’hui, et sans doute pour les cinq à dix années à venir, à des enjeux sans précédent. Parmi ces enjeux, la prolongation éventuelle de la durée de vie des centrales nucléaires, la mise en service de l’EPR de Flamanville et, bien entendu, les suites de l’accident de Fukushima, puisque les actions immédiatement engagées se prolongeront, on le sait, pendant les dix prochaines années. Je ne parle pas de la réévaluation de sûreté des autres installations que les réacteurs nucléaires, c’est-à-dire les installations du cycle du combustible et celles du Commissariat à l’énergie atomique, qui nécessitera un énorme travail au cours des toutes prochaines années. L’ASN et l’IRSN doivent également faire face – vous y avez fait allusion – aux questions de radioprotection dans le domaine médical, en radiothérapie ou lors d’examens diagnostiques plus classiques, pour lesquels les enjeux liés à la dosimétrie sont cruciaux et nécessitent une vigilance sans relâche.

À l’exception de Fukushima, tous ces enjeux pouvaient être anticipés et l’ont globalement été, pour une raison simple : le parc nucléaire arrive à une étape clé, celle de ses quarante ans. En effet, les centrales ont été dimensionnées à l’origine pour une durée forfaitaire de fonctionnement de quarante ans environ. Parallèlement, la génération qui a accompagné le déploiement du parc nucléaire français il y a trente ou quarante ans arrive au terme de sa vie professionnelle. Un problème matériel, celui de l’obsolescence des centrales, se double donc d’un problème de renouvellement des compétences. Cela vaut du parc de production d’électricité nucléaire comme des autres installations, notamment les installations de recherche qui ont précédé et préparé la montée en puissance du parc, mais aussi toutes les installations du cycle. Ces questions se posent pour l’ensemble de la chaîne industrielle nucléaire et les enjeux sont considérables.

Pour y faire face, deux conditions doivent être réunies. Premièrement, l’existence d’un exploitant – EDF – en état de marche, ce qui renvoie à la nécessité de renouveler les compétences et de disposer de la capacité financière d’investir dans des moyens de production comme dans la sûreté. Deuxièmement, l’existence d’une autorité de contrôle – IRSN inclus – elle aussi en état de marche.

Dans ce contexte, la loi de transition énergétique – et d’autres lois peut-être – offre l’occasion de passer à une étape ultérieure en matière de sûreté et de radioprotection.

S’agissant des moyens du contrôle – qui ne concernent sans doute pas principalement la loi de transition énergétique –, nous avons été amenés à nous exprimer, conjointement avec l’IRSN, à propos de nos besoins au cours des prochaines années. En résumé, alors que nous sommes actuellement mille à contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection en France, il faudrait selon notre estimation, que nous avons rendu publique comme il se doit, deux cents personnes de plus au cours des années à venir. Au terme des arbitrages budgétaires rendus cette année en vue du prochain triennal, l’ASN a obtenu – à ce stade de la discussion – 30 postes supplémentaires et l’IRSN a préservé ses moyens. Ce résultat nous paraît le meilleur possible compte tenu du type de financement en vigueur, issu avant tout du budget de l’État, et des contraintes budgétaires actuelles. Mais il reste assez éloigné du chiffre que je viens d’indiquer. Nous avons toujours souligné la nécessité, qui devient aujourd’hui une urgence, de réfléchir à une réforme du financement, en particulier d’envisager un système fondé sur des taxes payées directement par de gros exploitants nucléaires, sous le contrôle du Parlement. Ce système, à l’œuvre aux États-Unis, permet notamment une modulation du contrôle directement proportionnelle, donc ajustable, aux besoins. Nous savons gré au Gouvernement de ses propositions budgétaires, mais elles illustrent les limites du dispositif actuel de financement du contrôle. La réforme que nous appelons de nos vœux pourrait trouver sa place dans la loi de transition énergétique mais aussi dans la loi de finances.

En ce qui concerne la loi de transition énergétique proprement dite, nous avons élaboré des dispositions qu’il nous paraîtrait souhaitable d’y inclure pour l’améliorer.

Il s’agit d’abord de mieux informer le public. Dans cette perspective, la disposition tendant à ouvrir aux étrangers l’accès aux commissions locales d’information (CLI) proches des frontières nous semble tout à fait bienvenue. Actuellement, ils y sont au mieux invités, alors qu’ils devraient avoir le droit et le devoir de s’y exprimer. Ces structures sont d’ailleurs plutôt reconnues en Europe comme un bon outil de concertation avec le public. En revanche, je l’ai déjà dit publiquement, certaines décisions hors norme de l’ASN – réévaluations de sûreté des réacteurs tous les dix ans, réévaluation des quarante ans en particulier – mériteraient davantage que le dispositif prévu par la loi, c’est-à-dire qu’une consultation de trois semaines sur Internet.

Enfin, la loi fait de la transparence une obligation, mais comment en organiser le contrôle ? Ne pourrait-on le confier plus explicitement au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, qui serait chargé de faire rapport public à partir d’un rapport que lui transmettrait l’ASN elle-même chaque année ?

Deuxième thème essentiel : mieux encadrer le démantèlement. À cet égard, le projet de loi s’efforce de traduire l’idée internationale du « démantèlement immédiat ». L’expression est malheureuse car tout démantèlement demande nécessairement du temps. L’idée est en fait que le plan de démantèlement soit préparé très vite, pendant que les personnes compétentes sont encore là. Si on laisse s’écouler dix ans entre l’arrêt d’une installation et le moment où le plan est prêt, il est probable que toutes les personnes compétentes, celles qui ont connu l’installation, voire qui l’ont construite, seront parties dans l’intervalle. La loi introduit ainsi une disposition tendant à limiter le délai qui sépare l’arrêt de l’installation du dépôt par les exploitants du dossier de démantèlement – qu’il reste ensuite à instruire. Cette mesure essentielle est, je le répète, en phase avec les orientations internationales.

Le troisième thème figure dans la loi par l’intermédiaire de l’ordonnance : il s’agit des capacités de sanction dont dispose l’ASN. Entre l’arme lourde – le pouvoir d’arrêter une installation de notre propre chef si la sûreté y est manifestement compromise – et les armes quotidiennes – procès-verbaux, mises en demeure –, nous n’avons guère de moyens intermédiaires, notamment lorsqu’il s’agit de remédier à des écarts mineurs mais qui se prolongent plusieurs années, parfois jusqu’à vingt ans. Nous avons donc proposé un système d’amende journalière que les exploitants devraient verser tant que la situation n’est pas revenue à la normale.

Un aspect, peu connu sans doute, doit absolument être abordé dans cette loi ou dans une autre : la protection des sources radioactives contre les actes de malveillance. Ces sources se trouvent dans de nombreux endroits, dans les installations nucléaires de base, naturellement, mais aussi sur des chantiers plus classiques. Elles permettent par exemple de réaliser des clichés des tuyauteries pour vérifier une soudure. Ce problème est aujourd’hui orphelin de tout encadrement : on ne peut ni demander aux exploitants d’agir ni contrôler ce qu’ils font. Puisqu’il est prévu de confier le contrôle à l’ASN, nous avons lancé depuis deux ou trois ans, sans mandat, un ensemble d’investigations pour étudier la situation et il nous a semblé indispensable de disposer rapidement d’un cadre pour intervenir formellement et imposer des mesures. Cette question est d’ailleurs jugée importante à l’international.

Enfin, notre système sinon unique, du moins original qui allie un expert technique, l’IRSN, et une autorité administrative indépendante chargée de prendre les décisions, l’ASN, nous paraît efficace. Il a l’avantage de décharger l’expert qui rend son avis du poids de la décision. Cela favorise la sûreté nucléaire comme la transparence, sachant que l’avis de l’IRSN est systématiquement rendu public, de même que la décision de l’ASN. De cette appréciation, il convient de tirer toutes les conséquences, d’une part en rendant encore plus transparents et précoces les avis de l’IRSN, d’autre part en améliorant et en clarifiant le pilotage stratégique par l’ASN de l’ensemble de la chaîne de contrôle, y compris les travaux de l’IRSN. Il s’agit bien d’assurer un pilotage, et non de donner un avis sur les avis de l’IRSN, qui relèvent de sa seule responsabilité ; la nôtre consiste à prendre des décisions.

M. le président François Brottes. Et si d’aventure le rapport de l’IRSN ne vous satisfaisait pas, sur quelle contre-expertise pouvez-vous vous appuyer ?

M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). La question est légitime. Il existe auprès de l’ASN des groupes permanents d’experts, composés d’experts individuels chevronnés qui examinent notre rapport sur les sujets majeurs, nous entendent, recueillent les observations de l’exploitant. Et, souvent, un consensus se dégage, qui s’étend aux exploitants eux-mêmes, sur ce qu’il faudrait faire, compte non tenu des questions de délais et de financement qui nous échappent. Le système est d’autant plus solide qu’il inclut ainsi une possibilité d’analyse critique du travail de l’expert institutionnel. Nos experts savent qu’ils devront rendre compte de leurs travaux quant au fond.

En ce qui concerne le projet de loi, j’indiquerai d’abord celles de ses dispositions qui me paraissent de nature à renforcer la sûreté nucléaire, ensuite celles qui pourraient être améliorées par le débat à venir avec le Gouvernement et le Parlement.

Parmi les très nombreux sujets dont traite la loi et qui n’ont pas tous, loin de là, à voir avec la sûreté nucléaire, deux innovations en particulier devraient la renforcer – un objectif que nous poursuivons en tant qu’institution, mais qui préoccupe également tous nos concitoyens, ce qui laisse espérer un consensus politique national analogue à celui de 2006 sur la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

Premièrement, le pilotage de la ressource énergétique en général est confié à l’État, et à travers lui à la nation, ainsi investis d’une mission claire obéissant à des règles précises. En matière de nucléaire, il est particulièrement bienvenu de susciter ainsi un débat sur les besoins du pays à long terme, car les choix dans ce domaine demandent du temps, des discussions, une planification : c’est sur une décennie au moins que s’éprouvent les décisions en matière d’investissement ou de changement de mode de production. On l’a vu au cours des dernières années, l’absence de planification et de mécanisme de surveillance par le Parlement a fait obstacle à la prise de décision ou entraîné des choix industriels contestés, ce qui n’est pas propice à la sûreté nucléaire.

Le texte de loi recourt à des formules fortes qui renvoient à la notion de vigilance de la nation. Car la sûreté nucléaire, c’est aussi la nation elle-même qui en est comptable. Ainsi, la catastrophe de Tchernobyl était inscrite d’avance dans la déliquescence de l’Union soviétique, dans la séparation complète entre le système et le plan de production et dans la manière de gérer les équipes au sein des centrales. En associant la nation à la réflexion sur l’énergie par l’intermédiaire de la démocratie locale et régionale, notamment des CLI, on incite chacun à s’interroger sur la sûreté nucléaire, ce qui est en soi bienvenu.

En matière de sûreté nucléaire, nous faisons en réalité un pari, longtemps occulté au niveau politique, sur le bénéfice global de l’énergie nucléaire, qui suppose l’absence d’accident. Il s’agit d’un pari parce que le risque zéro n’existe pas. Nous devons le gagner en tant que nation : aussi longtemps que nous aurons des installations nucléaires et que nous utiliserons les technologies que nous connaissons aujourd’hui, il s’agit pour les exploitants, comme pour les contrôleurs que nous sommes, d’éviter un accident qui neutraliserait tous les gains économiques procurés par l’énergie nucléaire. L’enjeu est majeur.

Ce qui nous amène au second volet particulièrement bienvenu du projet de loi, qui porte sur le filet de sécurité qu’est le système français de sûreté nucléaire. Celui-ci a été élaboré par la loi de 2006, qui fonde la sûreté nucléaire sur trois piliers. Le premier est l’exploitant, que cette loi désigne sans ambiguïté comme le responsable pénal de la sûreté nucléaire de ses installations. Le projet actuel a le grand intérêt de mieux codifier la phase de démantèlement, désormais toute proche pour une partie des installations. Le deuxième pilier est la police administrative, à propos duquel le texte propose des améliorations qui nous paraissent opportunes car, même si elles ne sont pas de notre ressort, elles rendent notre travail d’expertise plus utile. Je ne les détaille pas, puisque Pierre-Franck Chevet les a exposées.

La question des moyens est extrêmement sensible. Je sais moi aussi gré au Gouvernement de ses arbitrages budgétaires, qui nous sont favorables compte tenu du contexte et du mécanisme de financement actuels. Ainsi, la baisse planifiée de la subvention versée à l’IRSN sera compensée par une hausse, dans des proportions presque équivalentes, de la contribution déjà acquittée par les exploitants. On va ainsi atteindre le plafond autorisé par la loi de finances qui a instauré ce dispositif il y a quelques années, ce qui doit nous inciter encore davantage à réfléchir à l’avenir de ce mode de financement. Nos moyens sont préservés, ce qui est préférable au projet initial du ministère des finances mais ne suffit pas à nos besoins : il faudra donc faire des choix, peut-être revoir le rythme de progression sur certains sujets ; nous ferons avec ce que nous aurons. Mais l’essentiel est préservé. En outre, pour la première fois, le Gouvernement a considéré cette année – contrairement à 2013, année catastrophique pour nous du point de vue budgétaire – que c’était le budget de l’IRSN tout entier qu’il fallait sauvegarder au nom de la sûreté nucléaire, et non simplement la part qui finance l’appui à l’ASN. Car la recherche menée à l’IRSN, c’est l’expertise de demain : nous l’avons fait valoir l’année dernière et, cette fois, nous avons été entendus. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

La vigilance de la société est le troisième pilier de la sûreté nucléaire. Elle est ici abordée explicitement à propos des CLI, ce qui constitue un progrès.

À ces trois piliers, il faut à mes yeux en ajouter un quatrième : la science. Il figure partout dans les documents internationaux ; la nouvelle directive européenne sur la sûreté nucléaire, qu’il nous faudra transposer, le mentionne sans ambiguïté. En d’autres termes, la sûreté nucléaire ne peut être absolue, mais elle dépend de l’état de l’art et c’est compte tenu de celui-ci que la police administrative se prononce. Voilà pourquoi elle a besoin d’une expertise.

Malheureusement, dans le corpus législatif actuel, ce quatrième pilier n’est qu’implicite. La loi de 2006 disposait simplement que l’ASN est consultée par le Gouvernement sur la part de la subvention de l’État à l’IRSN correspondant à la mission d’appui technique de l’institut à l’ASN. C’est tout à fait insuffisant pour nous doter d’une assise juridique. L’ASN est une autorité administrative indépendante alors que l’IRSN est un établissement public de l’État. L’application des règles générales qui en découlent entrave au niveau institutionnel un dialogue pourtant satisfaisant au quotidien. Par exemple, le président de l’ASN ne peut siéger avec voix délibérative au conseil d’administration de l’IRSN. Il faut remédier à cette situation.

La première lacune qui nous est apparue dans le texte est d’ailleurs la surprenante absence de mention des missions de l’IRSN. Celui-ci ne tient pourtant aujourd’hui qu’à un fil puisque, de la loi de 2001 qui l’a créé et qui a été abrogée, ne reste qu’un cavalier qui mentionne la création de l’Institut et astreint ses agents au secret professionnel lorsqu’ils ont accès à des données confidentielles. C’est d’autant plus paradoxal que le code de la défense, le code du travail ou le code de la santé publique contiennent des dispositions relatives à l’IRSN, qui concernent par exemple la sécurité nucléaire ou la comptabilité des matières nucléaires. Nous travaillons d’ailleurs avec le cabinet de la ministre de la santé, dans le cadre de la loi de santé publique en préparation, à une modification du code de la santé publique en vue d’habiliter l’IRSN à accéder aux données médicales des patients, car l’argument a pu être utilisé par certains directeurs d’hôpital pour nous empêcher d’enquêter dans son établissement. Bref, il nous semblerait utile – comme à l’ASN, d’ailleurs – que la loi récapitule dans un bref article, destiné à la partie législative du code de l’environnement, les missions essentielles de l’Institut et le système dual de contrôle en vigueur, afin de les graver dans le marbre.

Des missions de l’IRSN découle naturellement la nécessaire transparence de ses travaux. Aujourd’hui, c’est du seul bon vouloir du président de l’ASN que dépend la publication de certains avis de l’IRSN, les autres n’étant publiés que tardivement ou ne l’étant pas du tout. Nous pouvons en discuter entre nous, mais cette situation n’est en tout cas pas idéale. Mieux vaudrait préciser dans la loi que les avis de l’IRSN sont des documents publics auxquels les décisions de l’ASN doivent faire formellement référence – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, de sorte que les citoyens ne savent pas sur quoi se fonde la décision.

S’agissant enfin de l’interface entre les deux organes, je répète que le président de l’ASN n’a qu’une voix consultative au conseil d’administration de l’IRSN, alors que l’ASN devrait être associée au pilotage stratégique de l’appui technique et aux grands choix opérés en conseil d’administration. Rappelons également la nécessité de veiller à la continuité entre les deux institutions lors des arbitrages budgétaires.

Nous avons soumis au ministère de l’écologie – un peu tard, hélas – ces différentes dispositions que nous appelons de nos vœux. Elles n’ont malheureusement pas été retenues par Mme Royal, non parce qu’elles n’étaient pas pertinentes mais au motif qu’il ne fallait pas surcharger le volet nucléaire de la loi. Nous comprenons cet argument, mais nous regrettons que nos propositions, qui étaient prêtes, aient été laissées de côté après une première étude par l’administration du ministère et les cabinets ministériels et une validation à ce niveau. Nous aimerions étudier avec le Gouvernement et le Parlement le moyen de les réintroduire soit dans le texte, soit, pour éviter d’alourdir celui-ci, dans l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI. J’entends vos demandes, messieurs, et je n’ai rien contre l’inscription dans la loi des missions de vos organismes. Mais je doute qu’il soit possible de réintroduire dans le texte des dispositions que le Gouvernement a déjà étudiées et écartées.

J’aimerais avoir votre avis sur les demandes d’amendements que les représentants d’EDF m’ont communiquées.

L’article 31 dispose en son alinéa 9 qu’en cas d’accident, l’exploitant organise une visite de l’installation. EDF aimerait que la visite soit limitée dans le temps : la commission locale d’information nucléaire viendrait sur le site à un moment précis et pour une durée déterminée.

Aux termes de l’article 32, alinéa 12, l’exploitant n’est plus autorisé à faire fonctionner l’installation après un arrêt. EDF souhaite que la phrase soit supprimée au motif que c’est de fait le cas, de sorte que la précision serait inutile. Ces dispositions ayant été établies à la suite d’une discussion entre l’ASN, l’IRSN et le Gouvernement, j’aimerais avoir l’avis des deux premières puisque j’ai déjà demandé le sien au troisième.

S’agissant de l’article 32, alinéa 14 – « l’exploitant adresse, sans tarder et au plus tard deux ans après la déclaration mentionnée à l’article L. 593-26 », etc. –, EDF juge trop court le délai de deux ans, notamment au motif que quatre ans sont nécessaires à l’étude d’impact sur la faune et la flore.

L’article 33, alinéa 3, habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour doter l’ASN du pouvoir de prononcer des astreintes. EDF souhaiterait que leur montant soit le même que pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), afin d’éviter qu’il n’atteigne des niveaux pharaoniques.

Enfin, la requalification des matières en déchets radioactifs par l’autorité administrative, prévue à l’article 34, alinéa 4, pose problème à EDF, surtout à La Hague où elle risque d’empêcher certains déchets de devenir un jour des combustibles de quatrième génération.

Qu’en pensez-vous ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Mes questions font suite à la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, qui avait pour but de préparer le débat sur la loi de transition énergétique.

Monsieur Chevet, la production d’électricité en France se caractérise par une quasi-monotechnologie puisqu’elle est issue à 80 % du nucléaire. Diriez-vous que la diversification de la production d’électricité renforcerait la sûreté en réduisant notre dépendance et le risque d’incidents génériques, que vous jugez élevé et qui pourrait engendrer un conflit entre notre besoin de sûreté et notre nécessaire approvisionnement ?

Alors que la durée de vie des centrales approche les quarante ans, la loi devrait selon vous prévoir une « concertation renforcée » sur l’éventuelle prolongation de chaque réacteur – ce sont vos termes, que nous avons également utilisés dans les conclusions du rapport de la commission d’enquête. Quelle forme cette concertation pourrait-elle prendre ? Une enquête publique ? Un débat public ?

M. Plisson a fait état de l’avis d’EDF sur les sanctions. J’ai cru comprendre qu’à vos yeux celles-ci devaient être dissuasives pour être efficaces. Dans cette perspective, sachant que l’arrêt d’un réacteur coûte un million d’euros par jour environ, une astreinte qui ne dépasserait pas 1 % de ce montant ne semble pas avoir grand sens. Le texte vous paraît-il suffisamment clair sur ce point ?

En matière de transparence, les dispositions du texte relatives aux CLI sont bienvenues. Ne faudrait-il pas toutefois que les lettres de suite que s’échangent l’ASN et les exploitants après un incident nucléaire, par exemple à partir du niveau 1, soient transmises à leurs membres ?

Aujourd’hui, l’ASN présente son rapport annuel devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; c’est un aspect parmi tant d’autres des travaux du Parlement. L’OPECST ne devrait-il pas émettre régulièrement un avis sur le rapport de l’ASN et sur le niveau de sûreté en général ? Vous avez dit devant la commission d’enquête que la sûreté nucléaire du pays pourrait être notée 12 à 13 sur 20. Ce n’est guère rassurant. Peut-être le Parlement devrait-il se saisir de cette question afin d’améliorer la situation.

Vous avez souligné à de nombreuses reprises que l’ASN n’était pas compétente en matière de sécurité des installations. Ne serait-il pas plus cohérent que la loi inclue cet aspect dans vos référentiels de sûreté ?

Vous avez également indiqué maintes fois que le niveau de sous-traitance atteint dans les centrales françaises nuisait à la sûreté. Plus les sous-traitants sont nombreux, en effet, plus ils risquent de ne pas être assez formés. Le texte devrait-il, selon vous, mieux encadrer le recours à la sous-traitance ?

La loi devait initialement inclure un article sur Cigéo, le projet de Centre industriel de stockage géologique. Il n’est pas impossible que nous en reparlions lors du débat parlementaire. Selon vous, ce projet est-il suffisamment mûr pour qu’une décision soit prise ?

Enfin, étant donné la complexité technique et juridique du sujet, il pourrait nous être utile de prendre connaissance des propositions que vous avez préparées – même si notre président nous a rappelé ce matin qu’il n’appréciait guère les amendements prérédigés.

M. le président François Brottes. Je parlais de la rédaction : des propositions précises sont bienvenues, mais c’est aux parlementaires de rédiger les amendements. Outre les problèmes de recevabilité au titre de l’article 40 et de distinction entre les domaines législatif et réglementaire, il faut éviter les méprises : il arrive que ceux qui nous envoient leurs propositions aient l’impression de ne pas être entendus parce que nous ne les avons pas reprises sous forme d’amendement. Je ne dis rien d’autre, et je dis cela depuis près de vingt ans !

J’aimerais avoir votre avis, messieurs, sur l’une des préconisations de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire : que les sous-traitants, notamment salariés, soient toujours suivis par le même médecin du travail.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Je ne répéterai pas inutilement les propos de mes collègues rapporteurs. Monsieur Chevet, le dispositif actuel de financement du contrôle atteint selon vous ses limites et vous nous demandez par conséquent de réfléchir à un mode de financement reposant sur les gros exploitants.

Monsieur Repussard, vous souhaitez que les relations entre l’ASN et l’IRSN soient clarifiées. Nous avons bien noté ces problèmes et nous nous efforcerons d’y remédier.

M. Pierre-Franck Chevet. Je vais tenter de répondre aux questions des rapporteurs.

Un point de méthode, tout d’abord. En rédigeant nos propositions – que nous sommes tout disposés à vous transmettre –, ou plutôt en les corédigeant, notamment avec le ministère chargé de la sûreté nucléaire, nous n’avons pas manqué de consulter les exploitants. Nous avions donc déjà à l’esprit une partie des questions relayées par M. Plisson.

La visite de la CLI que la loi oblige les exploitants à accueillir en cas d’accident ne doit avoir lieu ni « à chaud », car il peut être nécessaire de gérer l’urgence, ni trop longtemps après l’événement, car il faut que les membres de la CLI puissent observer quelque chose. Je n’ai aucune objection de principe à ce que cette visite intervienne à un moment déterminé, mais il ne faudrait pas que cette mesure revienne de fait à l’interdire.

Sur le délai de deux ans, l’idée est de donner corps à la stratégie du démantèlement dit immédiat. Il n’est pas souhaitable de mettre l’installation sous cocon, c’est-à-dire de la réduire, de limiter les gestes au minimum nécessaire à la sûreté, puis de la refaire démarrer trois ou quatre ans plus tard, quelle qu’en soit la cause. Pour des raisons de sûreté, il faut éviter de prolonger les états intermédiaires, qui ne sont pas très faciles à maîtriser. Voilà pourquoi il était nécessaire de fixer le terme de la mise sous cocon et le moment d’une nouvelle décision. Tel est le sens du délai de deux ans, par lequel la loi désigne en réalité un ordre de grandeur. Il faut bien deux ans pour préparer un bon dossier de démantèlement avec un exploitant motivé.

Les amendes applicables aux exploitants des ICPE sont de 1 500 euros. Il est permis de mettre en doute l’effet dissuasif d’une amende journalière de 1 500 euros quand on sait que le fait d’empêcher un redémarrage de tranche, ce que nous faisons régulièrement et parfois très longuement – sans qu’EDF ne vienne s’en plaindre, d’ailleurs – coûte un million d’euros par jour. Les astreintes étant abordées dans le cadre de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, leur montant n’est pas encore fixé, ce qui explique les inquiétudes d’EDF. La sanction doit être proportionnée aux enjeux de sûreté et aux capacités financières de l’exploitant, au vu des enjeux économiques sous-jacents. En d’autres termes, il n’est pas question de mettre en péril par des procédures très coûteuses une petite installation où l’écart constaté est mineur. Le chiffrage précis – dont je n’ai pas d’idée a priori – devra être établi dans des textes subséquents, encadrés le cas échéant par la loi.

Certaines des matières radioactives qu’il est question de requalifier en déchets pourraient théoriquement être utilisées, mais lorsque c’est à échéance de cinquante ou soixante ans, à condition de mener des recherches approfondies et sous réserve que celles-ci portent leurs fruits, il devient légitime d’envisager leur requalification – quitte à en revoir l’utilisation à la lumière de recherches ultérieures : il n’est pas obligatoire d’opter pour la version la plus dure du traitement. Nous n’avons pas hésité à procéder ainsi dans les cas où la question s’est déjà posée. Quoi qu’il en soit, l’on ne saurait se dispenser de certaines obligations de sûreté au motif que ces matières sont réutilisables, ce dont nous ne pouvons être certains. La disposition prévue paraît donc tout à fait utile.

En ce qui concerne la monotechnologie, le fait que le parc français ait été standardisé est à mes yeux propice à la sûreté. Certes, le risque d’incidents génériques est plus élevé mais les chances de les traiter correctement sont proportionnellement encore plus grandes. Sans citer personne, des pays qui ont une production beaucoup plus disparate ont plus de mal à gérer les incidents. Le caractère avantageux de notre système est subordonné à notre stricte vigilance. De fait, nous appliquons de manière particulièrement rigoureuse l’échelle de gravité des incidents, de sorte que le nombre d’incidents par réacteur est significativement supérieur en France, parce que nous tenons à la transparence et parce que cela permet d’alimenter plus efficacement la mécanique technique de retour d’expérience. L’exploitant joue lui aussi le jeu de la vigilance car il en a compris l’intérêt, notamment industriel. Certes, nous sommes parfois passés assez près d’une difficulté ; je songe au couvercle de cuve de la centrale du Bugey il y a une vingtaine d’années. Toutefois, globalement, cette caractéristique reste un avantage.

J’en viens à la nécessité d’une concertation renforcée à propos des quarante ans. La consultation en cours ne concerne que le projet de prescription qui fait suite à la dernière visite décennale, très en amont de la procédure. Il faudra attendre la future consultation sur le rapport d’examen lui-même. Devra-t-elle prendre la forme d’une enquête publique, d’un débat public, d’une consultation renforcée ou améliorée sur Internet ? Je ne suis pas spécialiste de ces questions ; vous serez juges du moyen le plus adapté. Quoi qu’il en soit, la consultation devra porter sur le dossier proposé par EDF dans le cadre du réexamen de sûreté des quarante ans.

Il me semblait que les lettres de suite étaient publiques, donc transmises aux CLI. Si tel n’est pas le cas, nous ne voyons aucun inconvénient à les publier, qu’elles fassent suite à un incident ou à une inspection.

En ce qui concerne les propositions d’amélioration du rapport que nous présentons chaque année au Parlement en application de la loi de 2006, le fait que l’OPECST rende un avis ne me poserait aucun problème. Évitons simplement d’entretenir la confusion : il ne s’agit pas de doubler une autorité, instance décisionnelle, d’une super-autorité qui prendrait d’autres décisions. Pour que l’avis de l’OPECST apporte une plus-value, il faut qu’il se démarque. Si nous nous trompons, il faut le dire : nous sommes ouverts et habitués à la critique. Mais l’avis devrait porter, plutôt que sur les décisions individuelles, sur les priorités et les orientations que nous définissons, le cas échéant à propos d’un sujet particulier – sous-traitance, facteur humain, etc. Dans ce cas, l’audition par l’OPECST devrait, au-delà de notre rapport annuel, intégrer les apports des exploitants, qui pourraient être appelés à rendre des comptes, et du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, entre autres. Cela permettrait de faire le point sur le fonctionnement global du système.

Il est exact qu’en matière de sécurité, la situation française est particulière : 95 % de mes homologues sont également chargés de la sécurité des installations et de leur protection contre des actes de malveillance. L’orientation actuelle consiste à resserrer nos liens avec les autorités de défense, plus précisément avec le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité. Le fait que certains membres de cette institution soient issus de l’ASN facilite d’ailleurs le dialogue. La sécurité des sources représente une autre manière d’aborder le sujet : il ne serait pas difficile de progresser sur ce sujet délaissé. En revanche, je ne suis pas certain que la solution que vous proposez soit facile à mettre en œuvre, monsieur le rapporteur. Je vais y réfléchir.

Les pouvoirs de l’inspection sont actuellement limités aux installations nucléaires elles-mêmes, à l’exclusion des services centraux des grands exploitants, qui jouent pourtant un rôle essentiel en matière de sécurité : ce sont eux, par exemple, qui préparent certains gros dossiers. Il serait donc très utile de pouvoir évaluer leur travail sur place et sur pièces. Il en va de même des sous-traitants : nous pouvons contrôler leur action de terrain dans les installations, mais non sa conception ni sa préparation, qui ont lieu ailleurs. D’où la disposition contenue dans le c) du 1° du I de l’article 33, qui tend à étendre le contrôle « aux activités participant aux dispositions techniques ou d’organisation […] exercées par l’exploitant nucléaire, ses fournisseurs, prestataires ou sous-traitants, y compris hors des installations nucléaires de base ».

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Permet-elle de limiter le nombre de niveaux de sous-traitance ainsi que vous le proposiez ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas formulé cette préconisation.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. L’ASN n’a-t-elle pas proposé dans un rapport de le limiter à trois ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je ne le pense pas. Peut-être s’agissait-il de mes prédécesseurs. C’est à vérifier. Quoi qu’il en soit, le nombre de niveaux de sous-traitance doit assurément être maîtrisé et adapté à la tâche qu’il s’agit d’accomplir. Il doit donc être réduit pour que l’intervention soit efficace. Toutefois, la sous-traitance permet aussi d’accéder à des ressources techniquement rares qui sont un gage de qualité. Nous devons donc nous montrer très vigilants sur ces questions.

M. le président François Brottes. Il faut éviter la sous-traitance en cascade, mais il ne s’agit pas de se priver des savoir-faire qui existent.

M. Pierre-Franck Chevet. C’est l’exploitant – EDF – qui a proposé le chiffre de trois. Pour ma part, je ne saurais donner de limite. Il faut pouvoir accéder à la ressource là où elle se trouve ; cela implique d’aller assez loin dans certains cas.

M. le président François Brottes. Même s’il convient de faire preuve de mesure, une limite chiffrée risque de nous empêcher de recourir à un sous-traitant dont le savoir-faire serait unique. Ne nous rendons pas à cette extrémité. Tel n’était d’ailleurs pas le propos du rapporteur.

M. Pierre-Franck Chevet. Enfin, Cigéo est-il mûr ? Pour le déterminer, deux aspects nous semblent particulièrement importants. Il s’agit d’abord, du point de vue technique, de l’inventaire : qu’y met-on ? La réponse à cette question, posée par le public, est essentielle à la sûreté car elle engage la capacité de résistance ou l’adéquation du stockage. Il faut donc que l’inventaire proposé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, soit suffisamment large, compte tenu des politiques actuelles, pour que nous n’ayons pas de mauvaises surprises plus tard. Car on peut imaginer des changements de politique. Sans retraitement, ce ne seront plus des verres que l’on fera descendre, mais des combustibles usés, ce qui modifie le dimensionnement du stockage. Il nous paraît donc essentiel de nous assurer à tout moment, en développant le futur stockage, que l’on pourra réutiliser le même lieu si l’on change d’option : il ne faudrait pas gâcher l’espace pour une solution donnée et se priver ainsi de toute autre possibilité dans l’hypothèse où l’orientation politique viendrait à changer. Il s’agit en somme d’une forme de réversibilité.

La réversibilité du stockage est précisément le second aspect qui nous semble essentiel. Sur ce point, issu du débat public, le Parlement s’était donné rendez-vous à lui-même dans la loi de 2006 en prévoyant une nouvelle loi sur la réversibilité. De fait, cette notion très complexe mérite un débat parlementaire. Elle recouvre à la fois la possibilité de récupérer les colis enfouis et l’adaptabilité aux changements de politique publique, donc au type d’objets que l’on stocke.

M. le président François Brottes. Nous l’avons vu lors de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, chacun fait varier l’acception du mot selon ses intérêts.

M. Pierre-Franck Chevet. On parle d’une montée en puissance industrielle progressive, d’une phase pilote. Ces notions également issues du débat public peuvent elles aussi s’entendre de bien des manières et il serait bon de les définir précisément, notamment en vue de ce qui constitue – sous réserve des décisions politiques – la prochaine étape : une demande d’autorisation de création au sens de la loi de 2006. Pour l’instant, la loi ne contient aucun de ces éléments.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. En somme, ce n’est pas complètement mûr.

M. Pierre-Franck Chevet. Je le répète, il n’y a pas d’éléments ni sur l’inventaire ni sur la réversibilité.

Nous avons retrouvé nos fermes engagements sur le nombre de niveaux de sous-traitance : dans notre rapport sur les suites de l’accident de Fukushima, nous avons écrit que « la proposition d’EDF, d’Areva et du CEA de limiter à trois le niveau de sous-traitance est intéressante et mérite d’être étudiée ». En tout cas, nous ne sommes pas compétents pour fixer le nombre, mais nous pensons que cette suggestion ne va pas dans le mauvais sens.

Nous avons rédigé des propositions que nous pouvons vous transmettre.

Je n’ai pas d’avis sur la question de la médecine du travail ; je crois comprendre que vous souhaiteriez qu’elle agisse par site ou par lieu.

M. le président François Brottes. Non, par personne. Les sous-traitants qui travaillent dans différentes centrales sont vus par les médecins du travail en fonction du site sur lequel ils se trouvent au moment de leur visite. Nous pensons qu’il est préférable que le salarié soit suivi par le même médecin du travail.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Ces salariés ne sont pas tous sous-traitants que du nucléaire. Chaque personne devrait avoir le même référent quelles que soient ses expositions à différentes sources de pollution.

M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas d’expertise sur le sujet. Cette idée rejoint la mise en place des passeports dosimétriques et se révèle donc cohérente avec d’autres dispositifs.

M. Jacques Repussard. La diversification est liée à la réduction de la part du nucléaire dans notre pays. L’IRSN, dans un avis formulé dans le cadre du débat sur la transition énergétique, a affirmé que la réduction de la part du nucléaire dans notre production énergétique était potentiellement bénéfique pour la sûreté nucléaire, à condition que l’on préserve des marges de production.

Il importe de mettre en place une procédure pour la réutilisation des matières ; dans cette optique, l’IRSN a rendu un avis à l’ASN sur les problèmes radiologiques de ces matières. L’Institut y exprimait ses craintes, car même l’invention d’une technologie de transmutation n’éviterait pas les dangers radiologiques auxquels seraient exposés les travailleurs dans les usines. L’IRSN soutient la création d’un mécanisme de qualification de déchet des matières qui n’ont pas vocation à redevenir exploitables.

L’IRSN joue le rôle d’appui technique des autorités de sécurité dans les domaines civil et militaire. Le code de la défense recèle des dispositions complexes qui forment un maquis réglementaire complexe. Vouloir le remettre en cause dans le cadre de ce projet de loi que le Gouvernement souhaite voir adopté rapidement me semble une gageure.

Les aspects de sécurité qui conduisent à des déficits de sûreté sont de mieux en mieux traités grâce au dialogue trilatéral, et il n’est pas nécessaire d’élaborer des mesures législatives en la matière. La surveillance des matières, leur comptabilité, les engagements internationaux de la France pour leur transport, leur stockage et la sécurité des installations constituent une chaîne, dont la sûreté n’est qu’un élément.

Si l’ASN demandait l’avis de l’IRSN sur le lancement d’une autorisation d’installation pour Cigéo, l’Institut manquerait d’éléments pour lui apporter une réponse. Au-delà des questions de dimensionnement, nous sommes favorables au déploiement d’une phase intermédiaire, qui nous permettrait d’émettre un avis documenté. Nos équipes de recherche ont développé une installation expérimentale dans le laboratoire de Bure, indispensable pour s’engager définitivement dans le stockage d’un inventaire, dont la définition reste aujourd’hui un peu floue.

Nous devons poursuivre le dialogue avec le Gouvernement pour faire évoluer le projet de loi sur ce sujet qui peut faire l’objet d’un consensus politique.

Nous pourrons bien entendu vous communiquer les projets de texte à la rédaction desquels nous avons participé.

M. le président François Brottes. Si les radars protègent les sites nucléaires, l’installation d’éoliennes à proximité de ces centrales pose-t-elle un problème ? C’est une question de thèse universitaire que je ne vous pose pas, mais qui existe du fait des périmètres de protection.

M. Julien Aubert. J’ai compris du texte que tant qu’EDF ne fermerait de centrale, on ne pourrait pas procéder à de nouveaux investissements, le commissaire du Gouvernement veillant au respect de la trajectoire de la programmation pluriannuelle.

La capacité nucléaire installée est plafonnée à 63,2 gigawatts, et l’article 32 du projet de loi dispose qu’une centrale mise sous cocon s’arrête définitivement au bout de deux ans. L’ASN et l’IRSN considèrent-ils qu’une centrale arrêtée mais non démantelée reste intégrée dans le calcul de la capacité nucléaire ? Le démantèlement doit-il avoir débuté pour qu’elle sorte du calcul du plafond ? En d’autres termes, existe-t-il une marge de souplesse ? Cette question est importante, car l’effet de seuil possède des répercussions sur la manière dont l’exploitant – qui pèse plus du tiers de la production – peut envisager son plan de déploiement.

L’exploitant nucléaire doit rencontrer un commissaire du Gouvernement dès qu’il dépasse le seuil autorisé. Comment l’ASN voit son rôle dans le champ de la sécurité, alors que le parc nucléaire pourrait subir un effet de substitution – la mise en route du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville entraînerait le démantèlement d’une centrale ? Une telle situation pourrait faire passer la sécurité au second plan, car l’effet mécanique primerait sur le paramètre du vieillissement des centrales.

La diminution de la capacité nucléaire de la France sera-t-elle suivie d’une baisse des effectifs de l’ASN et de l’IRSN ?

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le président, j’ai été frappé de l’importance que vous accordez à la disponibilité de la compétence, c’est-à-dire au fait générationnel qui implique que les agents ayant installé le système quittent la carrière. Comment envisagez-vous de capitaliser les savoirs et les compétences pour assurer le tuilage ? L’ingénierie publique ayant beaucoup évolué en 40 ans, de quels formation, statut et compétences seront dotés les futurs employés ? Quelle est votre réflexion, au regard notamment de la question de la sûreté ?

La maîtrise des techniques de démantèlement vous paraît-elle un enjeu industriel stratégique pour la France, qui pourrait exporter ses compétences dans l’ensemble de la filière ?

Les perturbations climatiques peuvent faire craindre des périodes de sécheresse et d’étiage prolongées dans les prochaines décennies : prenez-vous en compte cette dimension dans la sûreté des installations telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui ?

Mme Cécile Duflot. M. Jean Jouzel vient de remettre un rapport à Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur la déclinaison territoriale des effets du dérèglement climatique en France ; il montre une hausse importante des températures, notamment en été et dans le sud du pays : ces éléments sont-ils pris en compte ?

Les écologistes estiment que le projet de loi souffre d’une insuffisance majeure liée à l’absence de moment particulier d’évaluation des centrales nucléaires de 40 ans. J’ai entendu avec intérêt, monsieur Chevet, vos déclarations sur la non-automaticité possible de ce passage à 40 ans, y compris pour des raisons budgétaires d’amortissement. Comment pourrait-on reconnaître ce moment de prolongation en termes d’évaluation financière, de sécurité et de sûreté ?

Comment peut-on arrêter une position sur Cigéo alors que l’évaluation financière oscille du simple au double ?

Mme Frédérique Massat. Je souhaitais vous interroger sur les conditions de travail des agents des entreprises de sous-traitance, car on a constaté une différence de situation entre eux et ceux qui opèrent chez l’exploitant. Doit-on prévoir une disposition dans la loi à ce sujet ?

Le démantèlement entraînera des reconversions qui posent la question de la formation. La loi doit-elle contenir un dispositif touchant à ce domaine ?

Le texte actuel reprend un certain nombre de mesures de la directive sur la sûreté nucléaire transposée en juin dernier, mais en laisse de côté plusieurs. Quelles sont celles qu’il conviendrait d’intégrer ?

M. Pierre-Franck Chevet. Après son arrêt, une centrale reste soumise au régime de son décret d’autorisation, qui lui fixe une puissance maximale, nonobstant les autres autorisations administratives de l’énergie qui pourraient entrer en ligne de compte ; tant qu’un nouveau texte n’a pas été pris, la centrale ne sort pas du cadre. À la suite de l’arrêt, un dossier de démantèlement est constitué, et l’État mène une instruction d’une durée de deux ou trois ans. Un nouveau texte, qui ne fait plus référence à la puissance électrique fournie, organise le démantèlement.

M. Julien Aubert. Le projet de loi dispose que l’arrêt est réputé définitif au bout de deux ans. Passé ce délai, il existe donc un risque de coupure même si le décret subsiste.

M. Pierre-Franck Chevet. De toute façon, un redémarrage éventuel de la centrale se trouve conditionné à une procédure complète, ce qui annule tout effet au décret ; dans ce contexte, la centrale sort du calcul de la capacité de production.

M. Julien Aubert. Cette sortie aurait donc lieu au bout de deux ans ?

M. Pierre-Franck Chevet. Oui, sauf si le démantèlement a été anticipé et se trouve prévu par le décret.

Les arrêts et les mises en route de centrales doivent, du point de vue de la sûreté, faire l’objet d’une planification ; en effet, les décisions prises dans l’urgence sont, en la matière, loin d’être souhaitables, et les acteurs doivent pouvoir anticiper ces mouvements.

Nous constatons l’émergence d’enjeux sans précédent pour les cinq à dix ans qui viennent, et il convient de prendre cette dimension en compte lorsque l’on pose la question des moyens de l’autorité de contrôle. Ces défis relèvent de la prolongation ou non de la durée de vie des centrales – sujet qui ne sera tranché que dans plusieurs années, si bien que l’arrêt éventuel ne se produira pas avant longtemps – et des suites de l’accident de Fukushima qui induisent des charges supplémentaires jusqu’au moins le début de la prochaine décennie. Au-delà de cette période, il est possible – selon les décisions de politique énergétique qui seront prises – que les charges diminuent et que les effectifs suivent le mouvement. C’est dans ce contexte que nous souhaitons une réforme du financement, afin d’établir un lien direct entre les besoins entre les moyens et éviter les décalages que le budget de l’État ne sait que très partiellement gérer.

La question du renouvellement des compétences et du maintien de l’expertise chez les exploitants se pose également pour les autorités de contrôle. Bon nombre d’agents viennent des écoles d’ingénieurs ou de l’université, et la connaissance scientifique nécessaire ne se réduit pas à celle liée au nucléaire. Les enseignements généraux conviennent bien pour la formation de ces salariés, les entreprises assurant l’enseignement des connaissances nécessaires à la filière. L’ASN et l’IRSN dispensent également des formations spécifiques. Nous évaluons les actions menées dans les sites et nous jugeons des résultats, les entreprises devant remplir des obligations de qualification pour leurs salariés. Nous avons relevé certains dysfonctionnements, notamment à Bugey où le personnel de contrôle de la maintenance exercée par EDF s’avérait insuffisamment expérimenté. Ce problème devra être vite réglé – EDF en est conscient –, car se profile la perspective éventuelle d’un grand carénage qui accroîtra les travaux de maintenance.

Le démantèlement présente un enjeu de sûreté majeur, ce qu’attestent les procédures prévues par la loi qui sont de même nature que celles de création d’une installation nucléaire. Le découpage d’éléments qui ont été radioactifs et la gestion de déchets sont en effet dangereux pour les personnes. La difficulté industrielle ne s’avère pas, en revanche, immense, même si on doit affiner certains procédés.

Nous essayons d’intégrer les éléments liés au changement climatique, et nous effectuons des réévaluations de sûreté tous les dix ans ; au cours de cette opération, nous modifions les aléas externes comme les prévisions climatiques. Nous nous concentrons sur les tendances lourdes à cinquante ans, plus visibles que celles de court terme. Cette préoccupation est particulièrement présente pour un projet comme celui de l’EPR dont la durée de vie est estimée à soixante ans. Les centrales actuelles situées sur des cours d’eau ont rencontré des problèmes de refroidissement en cas d’été chaud ; or les étés le seront de plus en plus et dureront plus longtemps. De même, dans les réévaluations conduites à la suite de l’accident de Fukushima, nous avons revu à la hausse les aléas externes importants, comme les tsunamis.

Le rendez-vous des quarante ans est hors-norme en termes de sûreté. La procédure actuellement retenue consiste en une consultation, par internet, sur notre projet de décision. Il serait intéressant d’organiser une consultation, non seulement sur le projet de décision finale, mais également, en amont, sur le dossier soumis par l’exploitant.

La transposition de la directive européenne sur la sûreté nucléaire, intervenue au début de l’été, présente une disposition complètement nouvelle qui prévoit d’effectuer des stress-tests thématiques tous les six ans – nous en avons réalisé un sur les suites de l’accident de Fukushima et avons souhaité reconduire cet exercice. Nous choisirons un sujet pertinent tous les six ans et comparerons les pratiques dans le domaine retenu. J’ignore si la sanctuarisation de ce rendez-vous relève de la loi.

M. Jacques Repussard. L’agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE a mis en place un groupe de travail – auquel l’IRSN participe – sur la prise en compte des aléas climatiques dans le monde. Des phénomènes redoutables peuvent se produire, pas forcément du fait du changement climatique, et ils n’ont pas tous été pris en compte lors de la conception des installations. L’IRSN a lancé un projet d’étude probabiliste de sûreté intégrant ces événements climatiques ; cette démarche de recherche s’avère nécessaire car l’industrie nucléaire n’incorpore pas ces chiffres pour les fusions de cœurs de réacteurs.

L’IRSN a créé une université interne permettant de cadrer les carrières des personnels et de conserver l’expertise des agents partant à la retraite ; il y consacre des moyens et il a également pris l’initiative, avec ses homologues allemand, tchèque et lituanien de fonder un institut de formation pour les cadres de sûreté nucléaire – l’European Nuclear Safety Training and Tutoring Institute (ENSTTI) –, cofinancé par l’Union européenne. La directive prévoit également des modes de coopération et des audits croisés entre les autorités et les organismes techniques d’appui ; il convient d’ailleurs que la mutualisation des ressources progresse. Cette directive aura peu de traduction législative, mais elle devrait avoir des effets bénéfiques dans les pays européens, qui cherchent à éviter tout accident.

Les incertitudes financières entourant Cigéo perdureront jusqu’au dernier moment et ne peuvent donc constituer un argument justifiant l’absence de décision. Les devis dépendront des choix qui seront effectués : il est donc logique que la fourchette financière s’avère importante, même s’il faut la réduire, non pas par une discussion économique mais par une démarche scientifique et technique conduisant à préciser les contours du centre industriel de stockage géologique. Nous n’en connaîtrons le coût qu’une fois cette opération achevée.

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

(Séance du jeudi 11 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Chers collègues, nous recevons à présent un interlocuteur situé au cœur de la transition énergétique puisqu’il est chargé du contrôle et de la régulation du secteur, tout en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée. Votre rôle de président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), monsieur Philippe de Ladoucette, s’avère donc très important et résulte des missions que vous a confiées le Parlement. Je tiens à saluer Mme Catherine Edwige, devenue commissaire de la CRE à la suite de la recomposition de cette instance que nous avons impulsée pour mieux prendre en compte les zones non interconnectées.

Notre commission spéciale a déjà évoqué l’action de la CRE et il est apparu qu’elle ne jouait pas toujours suffisamment son rôle dans certains domaines.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. La CRE a cherché à éclairer le débat sur la transition énergétique, notamment en fournissant des éléments d'information et des propositions dans ses domaines de compétence et d'expertise que sont les prix et les coûts de l'énergie – à travers ses rapports sur les coûts des fournisseurs historiques –, la surveillance des marchés, la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les réseaux électriques intelligents et les énergies renouvelables. Néanmoins, elle a été peu sollicitée par le Gouvernement dans le cadre de l’élaboration du projet de loi sur la transition énergétique, et elle a davantage été invitée aux débats organisés par les collectivités territoriales, ce qui peut sembler paradoxal.

M. le président François Brottes. La CRE était-elle présente dans les tables rondes du débat sur l’énergie ?

M. Philippe de Ladoucette. Non.

M. le président François Brottes. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vous a-t-il entendu ?

M. Philippe de Ladoucette. Pas davantage.

La CRE n'est pas une instance de décision en matière d’énergies renouvelables ; elle donne simplement un avis sur les arrêtés relatifs au tarif de l'obligation d'achat, pris par les ministres. Sur la base des conditions générales fixées par le ministre de l'énergie, la CRE rédige un projet de cahier des charges – arrêté par le ministre – pour les appels d’offres, répond aux questions des candidats, analyse et classe les offres reçues, et donne enfin un avis sur le choix des candidats, qui relève lui aussi de la responsabilité ministérielle.

Depuis 2011, la CRE a instruit sept appels d'offres : deux au titre des installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts, deux pour celles de 100 à 250 kilowatts, deux au titre des éoliennes en mer, et une pour les éoliennes avec stockage dans les DOM et en Corse ; cela représente au total une puissance de 5 100 mégawatts, soit deux fois plus qu’au cours des neuf années précédentes. La CRE a d’ailleurs reçu plus de 4 500 dossiers.

L'évolution des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, prévue par les articles 23, 24 et 25 du projet de loi, concorde avec les préconisations que la CRE avait déjà exprimées à plusieurs reprises, notamment lors de la dernière consultation publique organisée par le ministre. Sont ainsi inscrits dans le texte l'introduction d'un mécanisme de soutien du type « prix de marché plus prime » – qui constitue le complément de rémunération –, un recours accru aux appels d'offres et le renforcement des sanctions en cas d'infraction ou de manquement aux clauses d'un contrat d'achat ou d'un cahier des charges.

Le projet de loi ne contient en revanche aucun dispositif de prise en compte de l'autoconsommation.

La définition retenue pour le calcul du complément de rémunération abandonne la logique de la référence aux coûts évités et aux externalités des moyens de production – qui s’avèrent difficiles à objectiver – et se limite à un critère lié au niveau de rémunération du producteur. La CRE est favorable à ces nouvelles définitions qui permettent de clarifier le cadre de ses missions. Toutefois, en l'état actuel, le texte ne précise pas si ce calcul sera réalisé ex post ou ex ante ; or ces deux modalités présentent des implications très différentes pour l'efficacité des dispositions de soutien et pour le contrôle et la maîtrise des charges de service public. La CRE considère que la prime ex ante devrait être écartée, en ce qu'elle fait porter des risques supplémentaires sur les porteurs de projet et conduit donc à un renchérissement considérable le coût des énergies renouvelables pour un bénéfice sur les marchés très limité. La commission lui préfère donc une prime ex post qui permet d'obtenir les mêmes effets sur les marchés sans ces inconvénients. L'importance des enjeux qu'emporte cette précision sur la forme du complément de rémunération justifierait qu'elle figure dans le projet de loi.

Du fait du grand nombre de contrats d'obligation d'achat détenus par EDF Énergies Nouvelles – filiale à 100 % du groupe EDF –, il apparaît pertinent que l'acheteur unique prévu par le projet de loi ne soit plus EDF Obligation d'achat. La CRE estime que RTE présente les conditions d'indépendance requises et que la gestion du dispositif lui permettrait d'avoir accès à des informations sur la production et d'améliorer ses modèles de prévision.

Le recours plus systématique aux appels d'offres répond aux nouvelles lignes directrices de la Commission européenne, publiées en avril 2014, concernant les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie pour la période comprise entre 2014 et 2020. La CRE s'est exprimée à diverses reprises sur les avantages de ce dispositif pour les filières les plus concurrentielles et a insisté sur le besoin d’accorder une part importante au prix dans la sélection des candidats. Depuis 2011, elle a pu observer une diminution de 25 % du prix moyen pondéré des projets lauréats des appels d'offres photovoltaïques pour les petites installations – de 217 euros par mégawattheure à 162 euros. Le dernier appel d'offres a fait ressortir un prix de l'ordre de 150 euros, qu’il faut comparer au coût moyen de 480 euros pour les installations bénéficiant de l'obligation d'achat. La CRE a également suggéré de recourir aux appels d'offres pour la filière éolienne terrestre, où la concurrence entre les acteurs est forte. L'appel d'offres permet aussi de contrôler le développement des filières, en déterminant ex ante le volume total des nouvelles installations, et de définir la localisation des installations pour favoriser un développement régionalisé.

La CRE s'est exprimée à diverses reprises sur la nécessité de contrôles et de sanctions effectifs face aux cas de dérives frauduleuses qu'elle a pu identifier dans le cadre de ses missions de gestion de la CSPE – par exemple, sur la qualification de l'intégration au bâti pour le photovoltaïque. Les modalités de contrôle des installations, compte tenu des conséquences sur le niveau des charges de service public dans un contexte de renforcement de la surveillance de la gestion de la CSPE, mériteraient d'être stabilisées par voie réglementaire.

S’agissant des zones non interconnectées (ZNI), j'avais écrit en octobre 2013 au Premier ministre pour l'alerter de la nécessité de disposer d'un outil de planification des investissements dans les moyens de production d'électricité ou de maîtrise de la demande d'électricité, afin d'améliorer la gouvernance dans les DOM et de clarifier le rôle et les missions confiées à la CRE dans le cadre de la péréquation tarifaire. Nous nous réjouissons que les DOM, la Corse et Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficient désormais de leur propre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), définie à l'article 49 du projet de loi. Ce nouvel outil permettra de disposer d'une vision intégrant le développement concomitant de la production renouvelable, du stockage et des actions de maîtrise de la demande en électricité.

La définition d'une enveloppe quinquennale de moyens publics alloués à la réalisation de l'objectif de mix énergétique devrait par ailleurs permettre une maîtrise de l'augmentation des charges de service public ou, a minima, une meilleure visibilité sur leur évolution.

Le projet de loi ne dit rien du partage entre les régions de Guadeloupe et de Martinique et la CSPE sur la prise en charge des surcoûts résultant de dispositifs spécifiques à un territoire, adoptés dans le cadre des habilitations. Ce silence peut poser un problème.

Le sujet ayant trait à la gouvernance de la CSPE est lié aux dispositions relatives aux énergies renouvelables et aux ZNI qui ont une incidence sur le niveau des charges couvertes. La CRE exerce les missions prévues par le code de l'énergie ; ainsi, elle propose au ministre chargé de l'énergie, avant le 15 octobre de chaque année, le montant des charges à retenir pour l'année suivante et celui de la contribution unitaire permettant de les couvrir. Pour ce faire, elle étudie les déclarations de charges prévisionnelles et constatées qui lui sont transmises par 140 acteurs différents. D’importantes opérations de contrôle sont effectuées en cette occasion sur l'ensemble des données déclarées, qui représentent, pour la métropole continentale, 25 millions d'informations recouvrant 30 types de contrat et plus de 100 conditions tarifaires différentes. La CRE a développé des systèmes d’information pour effectuer cette tâche. Elle supervise les opérations de recouvrement et valide les demandes d'exonération de la CSPE, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui représentent plusieurs milliers de déclarations. Ces exonérations, applicables aux gros consommateurs industriels, sont chaque année plus nombreuses. Elle émet également un avis sur les décisions ayant des conséquences sur les charges de service public, à savoir les nouveaux projets d'investissement dans les ZNI et les tarifs d'obligations d'achat.

La CSPE représente aujourd'hui 6,2 milliards d’euros de charges au titre de l'année 2014, résultant du soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération – pour 4,2 milliards d’euros qui se divisent en 2,1 milliards pour le photovoltaïque, soit 34 % des charges totales, et 855 millions pour l'éolien, soit 14 % de celles-ci –, de la péréquation tarifaire dans les ZNI – représentant 1,7 milliard d’euros – et de la mise en œuvre de dispositifs sociaux, soit 350 millions d’euros et 5,6 % des charges.

En 2014, la CSPE représente 13 % de la facture d'un client ; toutefois, elle reste fixée à un niveau inférieur à ce qu'il devrait être pour couvrir la totalité des charges, ce qui occasionne un important déficit de compensation pour EDF.

La CRE accueille favorablement la création d'un comité de gestion de la CSPE ayant pour vocation de favoriser la maîtrise des charges. Le fait de soumettre à un organe comprenant des parlementaires une évaluation du coût des charges liées aux appels d'offres – qui peuvent engager la CSPE pour 20 ans, pour des montants parfois considérables, comme les deux appels d’offres sur l’éolien en mer qui représentent 1,75 milliard d’euros par an pendant 20 ans – est logique compte tenu de la nature fiscale de ce prélèvement. Certaines des missions confiées à ce comité recoupent le travail que la CRE effectue déjà, notamment s'agissant des avis sur les décisions susceptibles d'affecter le niveau des charges et la publication de scénarios prospectifs. En mai 2011, j’avais présenté une simulation de la CSPE à l’horizon de 2020 : nous avions sous-estimé la progression de la CSPE car nous n’avions pas anticipé la baisse du prix de marché de gros. Dans le cadre de notre rapport sur le fonctionnement des marchés de détail de l'électricité et du gaz, nous avons publié depuis janvier 2013 des scénarios prospectifs et avons émis de nombreux avis sur la rentabilité des installations bénéficiant d'un dispositif de soutien, soit à l'occasion de la publication de nouveaux arrêtés tarifaires, soit lors de notre première analyse des coûts et de la rentabilité des filières d’énergies renouvelables, publiée en avril 2014. La mise à jour semestrielle des scénarios prospectifs d'évolution des charges pourrait être réalisée par la CRE, qui est l’organisme disposant de l'expertise et des données nécessaires.

Le Conseil d'État a récemment transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur la CSPE, qui porte sur le caractère insuffisamment précis de la définition de ses modalités de recouvrement par le législateur. La CRE a été saisie de 47 000 demandes de remboursement de la CSPE fondée sur ce moyen et sur celui de l'illégalité du tarif éolien de 2008. Elle n'a évidemment pas les moyens de faire face au recouvrement et au contentieux de la CSPE, qui n'a d’ailleurs aucun lien avec la régulation et qui devrait relever de l'administration fiscale.

La CRE suit les appels d’offres sur les énergies renouvelables, activité chronophage imposée par le législateur national, mais qui ne correspond pas au rôle de régulateur de la commission ; d’ailleurs, aucune directive européenne n’impose que cette tâche soit assumée par une autorité administrative indépendante de régulation. Cette situation pose à la CRE des problèmes de moyens. L’administration fiscale pourrait être chargée de cette mission et de celle liée à la CSPE.

Concernant les électro-intensifs, la CRE se félicite du principe de l'inclusion de dispositions sur ces consommateurs à l'article 43 du projet de loi, qu’elle a d'une certaine façon anticipée dans sa délibération du 7 mai 2014. Pour qu'un tel dispositif puisse être efficacement mis en vigueur, deux éléments importants doivent être pris en compte : tout d’abord, des échanges avec la Commission européenne – et avec l'Allemagne et les Pays Bas qui ont adopté des mesures comparables – concernant le principe, le niveau et les justifications de l'abattement sont souhaitables, afin que les pays de l’Union européenne (UE) aient une approche harmonisée des mesures concernant leurs industries électro-intensives et ne se livrent pas à une concurrence tarifaire en la matière ; ensuite, il est très important que la loi ne se contente pas de renvoyer à une approche technique et économique pour fonder le calcul de l'abattement. Elle doit en effet définir d'autres critères pour le justifier, en délimitant les catégories concernées et en fixant les modalités de calcul voire son montant. En l’état actuel du texte, la CRE n’aura pas les compétences techniques et économiques pour faire face au dispositif créé par la loi.

Le droit à l'expérimentation locale permettra d'offrir au gestionnaire de réseau de distribution un service de flexibilité locale. L'article 58 du projet de loi introduit un droit à l'expérimentation des boucles locales, afin de fédérer au sein d'une association un ensemble de consommateurs et de producteurs, et de gérer les flux d'électricité en corrélant consommation et production à la maille locale ; cela doit se traduire, d'après le texte, par une convention conclue avec le gestionnaire de réseau et dont les modalités financières et techniques doivent être soumises à l'approbation de la CRE. Celle-ci est évidemment favorable à ce que des acteurs puissent s'associer localement pour innover, mais nous nous interrogeons sur ce qui pourrait être soumis à l'approbation du régulateur. En outre, ce dispositif aurait pour effet d'imposer des modalités particulièrement contraignantes ; ainsi, une collectivité devra regrouper les acteurs en association, l'avis conforme du gestionnaire de réseau sera nécessaire, l'association constituée ne pourra pas pouvoir évoluer au fil du temps alors que de nouveaux acteurs pourraient souhaiter la rejoindre, et les modalités techniques et financières devront faire l'objet d'une approbation du régulateur avant toute mise en œuvre. Ce système nous semble un peu lourd et complexe.

L'article 59 du projet de loi introduit un droit à un déploiement expérimental d'un ensemble de solutions de réseaux électriques intelligents dans une zone géographique, permettant au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour mener à bien cette expérience. Sans attendre la publication d'une ordonnance pour accompagner ce déploiement expérimental, la CRE a déjà identifié des évolutions législatives qu'il conviendrait d’adopter dès maintenant. Dans sa délibération du 12 juin 2014 portant recommandations sur le développement des réseaux électriques intelligents en basse tension, elle propose trois modifications de la loi touchant à la qualification juridique de l'activité de recharge du véhicule électrique, à la prise en compte par le code de l'énergie des installations de stockage d'électricité et à la création d'un nouveau chapitre dans le code de l'énergie sur la modulation à la hausse de la consommation, en complément de l'effacement

L’article 47 du projet de loi dispose que « la CRE peut faire contrôler aux frais des entreprises les informations qu'elle recueille dans le cadre de ses missions ». Ces dispositions sont essentielles pour la CRE dans le contexte budgétaire actuel très contraint – la CRE ne dispose plus en effet que de ressources très limitées pour financer des audits sur les 50 milliards d’euros de facture d'énergie qu'elle fixe ou qu’elle contrôle –, car elles lui permettraient de transférer la charge de ces contrôles aux entreprises concernées. Il serait utile de préciser que ces contrôles sont effectués, comme dans les dispositions actuellement applicables à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), « par un organisme indépendant qu'elle choisit ». Concrètement, les auditeurs seront choisis par la CRE dans une procédure de marché public et payés par l'opérateur concerné via une délégation de paiement. Nous parlons là d’une somme n’excédant pas un million d’euros.

M. le président François Brottes. Nous avons auditionné hier M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie, qui nous a affirmé être disponible pour faciliter des négociations sur les installations de gestion des énergies renouvelables chez les particuliers. Avez-vous un avis sur cette question ?

Nous avons longuement évoqué la gouvernance d’ERDF, et il apparaît qu’il serait opportun que la CRE dispose des mêmes pouvoirs sur ERDF que ceux qu’elle possède sur réseau de transport d’électricité (RTE) en matière de planification et d’investissements. Quel est votre sentiment sur ce sujet des réseaux ?

L’infrastructure raccordant les boucles locales, ou les autoconsommateurs et les autoproducteurs, doit-elle être en partie financée par ceux qui n’utilisent pas l’énergie du réseau, mais qui peuvent en avoir besoin à tout moment ? Le prix de cette sécurité équivaut-il à un tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) ? Le texte évoque l’autoconsommation, mais ne définit pas le périmètre des modalités d’accès et de financement.

Nous sommes nombreux à penser que le consommateur ne se retrouve pas dans le compteur Linky, car il ne dispose pas d’information en temps réel sur son niveau de consommation, qui pourrait l’aider à la moduler. La CRE pense que le marché résoudra la question grâce aux offres d’interface proposées par les opérateurs ; ainsi, ceux qui peuvent payer le feront et ceux rencontrant des difficultés financières pour acquitter leurs factures ne bénéficieront jamais de ce service. Que penserez-vous d’une disposition législative exigeant l’accessibilité gratuite de tous – et en priorité des plus démunis – à cette information ?

Ce thème rejoint celui de l’élargissement de l’assiette de financement de la CSPE, rendu nécessaire par l’augmentation de celle-ci : pourquoi seule l’électricité financerait l’émergence des énergies renouvelables alors que l’on peut produire du gaz à partir de l’électricité ?

S’agissant de l’effacement, je suis déçu que la volonté du législateur – exprimée dans la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennesde favoriser les mégawatts non consommés se soit traduite par une rémunération de ceux qui ne vendent pas les kilowatts qu’ils espéraient vendre. Ce détournement de la lettre et de l’esprit de la loi nous conduira à la retravailler. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

RTE a annoncé hier des chiffres faisant état de tensions à venir concernant la consommation. Votre analyse corrobore-t-elle cette approche ou prenez-vous les simulations de RTE pour argent comptant ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Monsieur le Président Ladoucette, dans votre introduction, vous avez évoqué le complément de rémunération : le transfert d’une partie du risque de marché sur les producteurs d’énergie renouvelable aura probablement un impact sur leurs coûts de production et par conséquent, sur la CSPE. Car pour vendre leur électricité sur le marché, ces producteurs devront probablement avoir recours à des agrégateurs, ce qui risque de leur coûter cher. À quelle alternative pourraient-ils recourir ? Devrait-on prévoir un mécanisme de transition à l’allemande ? Les producteurs auraient alors la liberté de choisir entre le régime des tarifs d’achat et le régime du complément de rémunération. Des allers-retours trop fréquents entre ces deux voies poseraient-ils des difficultés ?

S’agissant des options de prime, vous avez évoqué votre préférence, qui rejoint celle du Syndicat des énergies renouvelables.

En ce qui concerne l’élargissement de la base de la CSPE, la hausse prévue est inéluctable si l’on ne modifie pas le système.

Eu égard aux sanctions, quels volumes et quelles formes de manquements aux obligations figurant dans les contrats des producteurs avez-vous pu observer ?

Enfin, de nombreux électro-intensifs seront en grande difficulté en fin d’année 2015. Comment faire pour permettre l’accès à l’énergie électrique la plus compétitive – et en particulier à l’hydraulique historique ? Quels seraient pour vous les critères les plus pertinents pour identifier les entreprises bénéficiaires : le procédé de production, l’électro-intensivité, le marché, la valorisation d’effacement ou la saisonnalité ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Comme l’a évoqué le Président Brottes, les compétences de la CRE pourraient être étendues au contrôle du respect par ERDF de sa trajectoire d’investissement, comme c’est déjà le cas pour RTE. Et vous écriviez dans votre rapport d’activité de 2008 qu’il vous paraîtrait indispensable que les dividendes que ERDF reverse à EDF respectent les équilibres financiers d’ERDF afin de maintenir un niveau de capitalisation compatible avec un fonctionnement indépendant. Le moins qu’on puisse dire aujourd’hui, c’est que l’impossibilité pour ERDF de s’endetter en raison même de l’endettement considérable de son entreprise-mère EDF, ne contribue pas à en faire une entreprise fonctionnant de façon indépendante, ni à garantir un niveau de qualité d’entretien des réseaux attendu par les consommateurs. Ne serait-il pas temps de doter ERDF d’un statut similaire à celui de RTE ?

S’agissant des énergies renouvelables, vous avez évoqué la notion d’acheteur unique et indiqué que RTE pourrait jouer ce rôle plutôt qu’EDF. Mais faut-il vraiment un acheteur unique ? Le rachat d’électricité produite à l’aide d’énergies renouvelables ne pourrait-il pas être ouvert à la concurrence ? L’intervention de différents acteurs permettrait de faire baisser le prix globalement payé par la collectivité.

Je n’ai pas compris si vous jugiez pertinent l’article 50 du projet de loi, qui porte sur la CSPE. Sachant que la CRE exécute d’ores déjà l’ensemble des dispositions qui y figurent, en quoi l’ajout d’un dispositif supplémentaire consolidera-t-il la CSPE ? Cela vous paraît-il utile ou superfétatoire ?

Enfin, vous n’avez pas abordé le chèque-énergie : le projet de loi prévoit qu’il sera « notamment » financé grâce à la CSPE et une contribution sur le gaz. Ce matin, le président de l’ADEME nous expliquait l’ampleur des besoins de financement qu’il représente : tout porte à croire que ce « notamment » pourrait être très insuffisant, à moins d’augmenter ces deux contributions au risque d’entraîner un effet pervers, dans la mesure où les consommateurs d’électricité et de gaz se retrouveraient seuls à payer pour l’ensemble des publics précaires – y compris lorsqu’ils se chauffent au fioul ! Quelle est l’analyse de la CRE à ce sujet ?

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. S’agissant des modalités d’évaluation des projets proposés pour les zones non interconnectées, la réflexion que nous avons menée nous a conduits à constater que les projets finalement retenus sont tout à la fois les plus lourds et ceux qui dont l’impact environnemental pour nos territoires n’est pas le meilleur. Devrions-nous retenir d’autres critères d’évaluation, qui fassent notamment une plus grande part à l’environnemental et au social ? L’instauration d’une programmation pluriannuelle de l’énergie ne nous permettra-t-elle pas d’améliorer l’évaluation de ces projets et par conséquent de diminuer le coût de ceux qui seront pris en charge au titre de la CSPE ?

Vous avez évoqué l’impact des lois d’habilitation sur la CSPE. Selon nous, ces lois contribuent à la transition énergétique dans la mesure où elles permettent une meilleure adaptation des projets ainsi qu’une meilleure maîtrise de la consommation énergétique des bâtiments sur les territoires. Nous estimons devoir intégrer ces lois d’habilitation dans une logique de PPE ; et au-delà du strict aspect budgétaire, la PPE s’inscrit dans une démarche politique en ce qu’elle est capable d’entraîner une approche de cogestion et de cofinancement. Du coup, elle pourrait devenir un moyen pour vous de modifier demain l’approche d’évaluation des projets et peut-être d’infléchir leur impact financier sur la CSPE.

M. Philippe de Ladoucette. Mme Battistel a évoqué le problème des petits producteurs d’énergie renouvelable qui vendraient leur électricité sur le marché : nous pensons qu’il faut réserver ce mécanisme aux grosses installations capables de se positionner sur le marché et que les petits producteurs doivent rester préservés de ces dispositifs.

Nous n’avons pas réfléchi à l’idée d’une transition à l’allemande, mais cela fait effectivement partie des réflexions possibles.

La CRE n’a pris aucune position sur la question de l’élargissement de la base de la CSPE. Notez que je n’exprime ici aucune position personnelle mais uniquement celles qui sont délibérées par le collège de la commission. Sachez toutefois que si vous élargissez cette base au gaz, cela aura une incidence certaine sur son prix, en tout cas pas négligeable.

La réflexion relative aux électro-intensifs relève de la politique industrielle et non de la politique énergétique. En matière de politique énergétique, nous ne disposons pas aujourd’hui de marges de manœuvre suffisantes pour pouvoir accorder des avantages aux entreprises électro-intensives sans avoir à le justifier auprès de la Commission de Bruxelles. Si nous l’avons fait, c’est que nous avons suivi le modèle allemand. Or celui-ci a été longuement discuté avec la Commission. Qui plus est, le régulateur allemand n’est pas soumis aux mêmes contraintes que le régulateur français : ainsi, il n’y a pas de péréquation en Allemagne, ce qui facilite les choses. Si nous accordons des avantages aux électro-intensifs sans en avoir discuté avec la Commission, nous serons immanquablement rattrapés par la Direction de la concurrence.

S’agissant des sanctions, je n’ai pas bien compris votre question, Madame Battistel.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Avez-vous recensé de nombreux manquements aux obligations des contrats conclus par les exploitations de production d’électricité renouvelable, sachant que le projet de loi instaure de nouvelles sanctions à leur encontre ?

M. Philippe de Ladoucette. Je n’ai cité tout à l’heure que l’exemple des toitures. Nos contrôles sont aléatoires : nous n’avons pas les moyens d’en effectuer sur l’ensemble du territoire. Cette question mériterait toutefois d’être regardée de plus près. Car si nos contrôles restent insuffisants, ceux que nous avons effectués nous ont permis de constater des dérapages. De ce point de vue, l’instauration de sanctions pourrait contribuer à la maîtrise de l’évolution de la CSPE.

Monsieur Baupin, vous avez cité le rapport d’activité de la CRE de 2009 et non celui de 2008 : nous avons effectivement un peu levé le pied sur ce sujet horriblement conflictuel pour nos partenaires : les collectivités locales, ERDF, la maison-mère et son actionnaire principal qu’est l’État.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Vous êtes donc influençable !

M. Philippe de Ladoucette. Nous sommes indépendants, mais dans une certaine mesure…

Un autre élément entrerait en jeu si nous devions exercer la responsabilité d’approuver les programmes d’investissement d’ERDF. Lorsque nous le faisons pour RTE, l’approbation est annuelle, conformément à la loi française, mais triannuelle et décennale au titre du droit européen. Sur quelle base se fondera-t-on pour considérer que ERDF doit investir dans telle zone plutôt que dans une autre alors que notre structure est localisée à Paris ? Quelle légitimité le régulateur aurait-il pour entrer dans de tels détails ? Le cas de RTE est différent car il développe de très grands programmes. Par conséquent, si le principe est séduisant, son application poserait très rapidement un problème de faisabilité. Je conçois difficilement un dialogue entre les collectivités locales, la FNCCR, la CRE, ERDF et son actionnaire sur ce sujet. On pourrait imaginer de s’accorder sur une enveloppe globale sans entrer dans le détail, pour peu que l’on s’y tienne une fois celle-ci affichée. Mais nous n’avons pas les moyens d’entrer dans le détail des investissements locaux, car nous ne sommes pas décentralisés.

Le régulateur allemand, qui a aujourd’hui la responsabilité d’approuver les investissements de l’ensemble des gestionnaires de réseau, dispose pour cette seule tâche de 100 personnes, tandis que nous n’en avons que 125 pour tout faire !

Une approbation globale des investissements d’ERDF est envisageable, mais cette solution ne répondra pas totalement à la préoccupation des collectivités locales qui souhaitent que les investissements prévus dans tel ou tel département soient effectivement réalisés.

Quant à accorder à ERDF un statut similaire à celui de RTE, c’est là une question d’indépendance globale qui dépasse celle de l’approbation des seuls programmes d’investissement. La CRE publiant des rapports relatifs aux codes de bonne conduite et à l’indépendance, elle ne peut qu’être favorable au renforcement d’ERDF.

M. le Président François Brottes. Vous êtes donc d’accord sans être d’accord.

M. Philippe de Ladoucette. Je suis d’accord sur le principe, mais sa mise en application ne me paraît pas techniquement faisable.

M. le Président François Brottes. Voulez-vous dire que vous n’avez pas les moyens de l’appliquer ? Pour RTE, comment faites-vous ?

M. Philippe de Ladoucette. Ce n’est pas pareil. Nous ne sommes pas dans des ruisseaux comme dans le cas d’ERDF.

M. le Président François Brottes. Mais ce sont les ruisseaux qui font les grandes rivières…

M. Philippe de Ladoucette. S’agissant de RTE, ce sont des éléments très lourds que nous examinons, mais nous n’entrons pas dans tous les détails : si RTE a un projet d’investissement d’un montant donné et qu’il décide d’investir moins, il devra nous expliquer pourquoi.

M. le Président François Brottes. Autrement dit, vous pourriez le faire mais vous n’en avez pas les moyens.

M. Philippe de Ladoucette. Cela pose un problème de légitimité vis-à-vis des collectivités locales.

M. le Président François Brottes. Mais la loi pourrait organiser les choses…

M. Philippe de Ladoucette. Certes.

M. le Président François Brottes. La question de la légitimité de votre intervention aux yeux des collectivités locales peut être soulevée, dans la mesure où celles-ci sont effectivement propriétaires des réseaux. Nous savons bien, pour en avoir débattu, qu’il est plus facile d’obtenir de l’argent pour enterrer des lignes que pour assurer la maintenance des transformateurs du réseau de distribution. C’est le cas dans ma commune où un transformateur a pris feu alors que l’enterrement de l’ensemble des réseaux a pu être financé ! Je persiste à penser qu’il vaut mieux réserver la priorité à la sécurité. Reste que l’organisation de la gestion des investissements sur les réseaux de distribution est défaillante, malgré l’application du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité. C’est tout de même vous qui déterminez le niveau auquel doit être rémunéré le réseau de distribution ! Vous ne pouvez fixer le montant sans vous assurer la bonne exécution des investissements réalisés sur ce réseau…

M. Philippe de Ladoucette. Nous pouvons contrôler si un investissement de 3 milliards d’euros a été réalisé tel que prévu au départ, mais nous n’avons pas les moyens de vérifier si, parmi ces 3 milliards, le gestionnaire de réseau a bien investi les 200 millions prévus à un tel endroit, tel que l’espérait la collectivité locale concernée. Ce n’est pas faisable pour un organisme comme le nôtre.

M. le Président François Brottes. Bref, c’est comme pour les campagnes électorales : vous contrôlez le montant global mais vous ne regardez pas comment cela a été dépensé !

M. Philippe de Ladoucette. Pour RTE, si. Pour ERDF, ce n’est pas possible.

M. le Président François Brottes. Nous insistons, car le sujet est important.

Mme Frédérique Massat. La séparation d’EDF et ERDF et leur indépendance patrimoniale permettent déjà de réduire le degré de porosité entre les deux structures et donc de garantir une certaine visibilité sur les investissements du réseau de distribution. À ce titre, la CRE a son rôle à jouer en matière de contrôle. Cela est nécessaire pour que nous puissions nous assurer que les opérations prévues sur le réseau y sont bien réalisées. Surtout lorsque l’on sait les investissements que cela suppose – sans même parler des réseaux communicants ni des smart grids.

M. le Président François Brottes. Nous aurons forcément ce débat dans le cadre de l’examen du projet de loi.

M. Philippe de Ladoucette. S’agissant de la pertinence de l’article 50 du projet de loi, organiser la présence de parlementaires au sein du comité de gestion de la CSPE peut être une garantie supplémentaire en terme de contrôle ; mais pour le reste, cela n’apportera rien. Peut-être cela nous donnera-t-il du boulot en plus, mais ce n’est pas ce comité qui fera le travail que nous faisons déjà. Ou alors, nous allons le lui repasser, et avec grand plaisir… Mais je ne crois pas qu’il le fera. L’intérêt de l’article 50 tient à ce qu’il introduit la présence de parlementaire dans la mécanique, qui permettra de légitimer les évolutions de la CSPE.

La CRE n’a effectué aucune analyse du chèque-énergie.

Faut-il un acheteur unique ou plusieurs acheteurs ? Le problème en multipliant les acheteurs uniques, c’est que vous multipliez aussi les frais de gestion de la CSPE. Cette multiplication pourrait avoir des vertus, mais il faudrait faire une analyse des coûts et bénéfices de cette option avant de la retenir. C’est là une question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive. Cela étant, nous gérons aujourd’hui 300 000 contrats. Les répartir sur plusieurs acheteurs aura incontestablement un impact.

Eu égard à l’évaluation des projets portant sur les ZNI, vous estimez, Madame Bareigts, que nous ne retenons pas toujours les projets les plus intéressants pour les territoires concernés car nous prenons essentiellement en compte un critère de prix et non des critères sociaux ou environnementaux : c’est effectivement ainsi que nous procédons. Car dès lors que l’on tient compte de critères très subjectifs, on se heurte à un problème d’évaluation et de réalisation, même si la loi définit leurs fondements. Sur quelle base objective allons-nous juger de la valeur environnementale ou sociale d’un projet ? Qui nous fournira une expertise ? Je m’exprime ici sans filet, car nous n’avons pas abordé ce sujet au sein de la CRE. Si jamais la loi le prévoit, nous verrons comment faire ; mais cela pose problème.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. J’entends bien que les critères social et environnemental sont subjectifs et qu’ils seraient donc difficiles à évaluer pour la CRE. Mais dès lors que la PPE deviendrait un document de programmation budgétaire et politique, ne pourrait-elle constituer l’élément de référence pour l’évaluation des projets présentés à la CRE ?

M. Philippe de Ladoucette. En effet : la réponse est oui.

J’en reviens aux questions du président Brottes.

J’ai indiqué tout à l’heure que nous n’avions pas d’avis sur l’élargissement de la CSPE. Mais si vous l’élargissez au gaz, je répète que cela augmentera son prix de façon non négligeable.

Je n’ai pas d’avis a priori sur les préconisations du médiateur visant à faciliter l’installation de systèmes de production d’énergie renouvelable chez les particuliers.

M. le président François Brottes. Ma question portait sur la médiation des conflits.

M. Philippe de Ladoucette. À mon avis, le médiateur le fait déjà.

M. le président François Brottes. Non, mais il souhaiterait s’en charger.

M. Philippe de Ladoucette. Ce serait très bien.

En ce qui concerne l’autoconsommation et les boucles locales, on ne peut à la fois vouloir bénéficier d’une assurance sans la payer. À moins de vivre en autarcie totale, quiconque est relié au réseau de distribution ou de transport doit à l’évidence payer le TURPE : quel que soit l’usage qu’un particulier fait du réseau, l’investissement est le même.

S’agissant de Linky, la ministre de l’écologie a fait une annonce, lors d’une conférence de presse récente, concernant l’information des consommateurs en temps réel.

M. le président François Brottes. Vous aurez compris que le Parlement souhaite parfois aller plus loin que le Gouvernement…

M. Philippe de Ladoucette. Nous avons déjà averti le Gouvernement que l’on frôlait l’atteinte au droit de la concurrence. La France a fait le choix d’accorder un monopole au distributeur – jusqu’au compteur mais pas au-delà.

M. le président François Brottes. Ce que nous souhaitons, c’est que le consommateur sache qu’il est en train de dépenser pendant que son compteur tourne, quel que soit son fournisseur. Le compteur de votre voiture vous indique à quelle vitesse vous roulez et quelle quantité d’essence vous consommez : cela ne met nullement en cause le droit de la concurrence ! Si le compteur est intelligent, qu’il le soit pour tout le monde : pas seulement pour les roues de la voiture, mais aussi pour le conducteur…

M. Philippe de Ladoucette. Je ne saurais vous répondre.

Pour ce qui est des tensions à craindre sur le niveau de consommation en hiver, nous en discutons, mais nous considérons que RTE est une entreprise sérieuse et nous prenons en considération ses propos.

J’ignore où l’on en est concernant l’effacement. J’ai perdu la trace du dossier il y a un certain temps. Une fois que nous avons exprimé notre avis et que le dossier a été transmis au Conseil supérieur de l’énergie, il n’a plus été de notre ressort mais de celui du Gouvernement.

M. le président François Brottes. Cela nous permet de voir comment les lois que nous votons s’appliquent ou pas : on peut donc les effacer…

M. Philippe de Ladoucette. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons rien effacé du tout : nous avons fait notre travail – en trois mois –, envoyé le dossier au Gouvernement, et nous ne l’avons plus revu…

M. Julien Aubert. Vous avez évoqué l’élargissement de l’assiette de la CSPE. L’autre lame du ciseau consisterait à mieux contrôler la croissance des énergies renouvelables. Le médiateur de l’énergie nous a indiqué que l’engagement en faveur des énergies renouvelables s’élèverait à 80 milliards d’euros, chiffre qui ne correspond pas à une valeur actualisée nette mais à l’addition de plusieurs éléments. Avez-vous un chiffre convergent ?

Que pensez-vous du dispositif du complément de rémunération prévu par le projet de loi ? Aura-t-il un impact sur ces engagements ? Si oui, de quelle ampleur ?

Enfin, je voudrais indiquer au Président Brottes qu’il existe un autre moyen de développer le compteur intelligent, grâce aux applications des smartphones. En effet, certaines entreprises permettent au citoyen, moyennant quelques euros, de couper à distance son radiateur ou sa télévision et de contrôler sa consommation d’énergie depuis son téléphone mobile. Par conséquent, si l’utilisation de Linky pose des problèmes juridiques, le législateur pourra adopter des dispositifs encourageant les Français à se doter de ce type d’applications.

Mme Cécile Duflot. Les questions que je souhaitais poser sur ERDF ont largement été évoquées. Une dépêche AFP a fait état de la baisse des moyens de la CRE. Faut-il en déduire que des menaces réelles pèsent sur la capacité de votre commission à assumer l’ensemble de ses missions ?

M. Jean Launay. En septembre 2010, j’ai commis avec Michel Diefenbacher un rapport sur les enjeux et les perspectives de la CSPE. C’est l’important déficit de compensation à EDF qui fut à l’époque à l’origine de la demande de rapport de la commission des finances. Même si la bulle photovoltaïque qui causa ce déficit s’est beaucoup réduite, celui-ci demeure. Il convient donc de trouver des solutions. L’élargissement de la base de la contribution ne serait-il pas le moyen adéquat pour mettre les citoyens en situation d’égalité au regard des modes d’énergie auxquels ils ont recours pour se chauffer ? Voilà qui pourrait partiellement répondre à la question prioritaire de constitutionnalité actuellement en cours de traitement, qui porte sur les conditions précises de son encaissement. Dès lors que l’on renforce l’égalité des citoyens devant les bases en appliquant un taux unique – quitte à entraîner une augmentation du prix du gaz –, la portée de la QPC pourrait s’en trouver atténuée. Vous avez également avancé l’idée que l’encaissement de la CSPE devrait relever des impôts, confirmant par là qu’il s’agit bien d’une imposition de toute nature, comme je l’ai indiqué dans le débat d’hier. Cela dit, le reversement et la centralisation de la CSPE s’opèrent via la Caisse des dépôts et consignations : cela vous paraît-il à ce point inopérant pour souhaiter un retour à un encaissement par l’administration compétente ? Je ne pense pas qu’il soit opportun, au moment où l’on veut atténuer le poids de la dépense publique, de re-centraliser le recouvrement des taxes affectées comme certains le préconisent, y compris au Haut conseil des prélèvements obligatoires. Notre État reste très jacobin et souhaite procéder à de nombreuses rebudgétisations. Mais en l’occurrence, je crois qu’on améliorerait la lisibilité du système en élargissant la base de la CSPE.

M. le président François Brottes. Je suis troublé par la notion d’imposition de toute nature dans la mesure où la CSPE ne relève pas du budget de l’État.

M. Philippe de Ladoucette. Les engagements en faveur des énergies renouvelables et la péréquation seront effectivement de l’ordre de 80 milliards d’euros au cours des dix prochaines années. Mais il convient d’y ajouter 35 milliards d’euros au profit de la production offshore.

J’ignore quel est l’impact du complément de rémunération sur la CSPE.

M. le président François Brottes. Pourriez-vous nous fournir une réponse écrite à cette question dans les jours qui viennent ?

M. Philippe de Ladoucette. J’essaierai.

Pour répondre à la question de Mme Duflot sur la baisse des moyens de la CRE, je tiens à rappeler que de tous les régulateurs de l’énergie des dix plus grands pays européens, la commission de régulation de l’énergie est la plus petite en termes d’effectifs. Les Anglais emploient 700 personnes, les Roumains 307, les Allemands 285, les Hongrois 235. Nous n’en employons que 125. Nous sommes également le régulateur le moins bien doté en termes de budget. Nous ne disposons donc pas des mêmes moyens que nos homologues européens. Les « arbitrages » opérés à un moment donné au ministère du redressement productif nous ont conduits à une diminution du nombre d’emplois de l’ordre de 4 % contre 2 % pour le reste de l’administration des finances. J’ai d’ailleurs écrit au Premier ministre à ce sujet pour lui indiquer que dans de telles conditions, nous serions amenés à abandonner certaines de nos responsabilités ou à les exercer de façon très dégradée. Je songe en particulier aux appels d’offres : si ces arbitrages devaient être confirmés, nous ne mettrions plus deux ou trois mois pour les traiter, mais six à neuf mois. Depuis 2009, le législateur nous a accordé sa confiance en nous confiant de plus en plus de responsabilités – et nous en exerçons beaucoup. Mais jamais nos moyens n’ont suivi : ils ont au contraire diminué, tant en termes de capacités d’étude que d’emplois. Les arbitrages opérés nous ramènent à notre situation d’emploi de 2005, soit dix ans en arrière. Il est possible que les décisions que j’évoque ne soient pas définitives. Mais voilà où nous en sommes aujourd’hui.

S’agissant de l’élargissement de la base de la CSPE, la CRE n’a pas pris position officiellement. Mais s’il fallait l’élargir, il faudrait inclure le fioul.

Enfin, en ce qui concerne le rôle de la Caisse des dépôts et de l’administration, ce n’est pas elle mais bien la CRE qui a reçu 47 000 demandes de remboursement. Or notre commission est incapable de gérer une telle situation. Ne serait-ce que pour le stockage du courrier, il nous a fallu louer des locaux à l’extérieur ! Il est donc inconcevable que la CRE puisse assurer la gestion d’un tel dossier, dans l’hypothèse où il faudrait rembourser les demandeurs. À moins de la transformer en administration pure et simple, et qu’elle ne fasse plus que cela.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le Président.

8. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.

(Séance du jeudi 11 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Monsieur le directeur général, la Caisse des dépôts et consignations est une de ces grandes maisons familiales nationales auxquelles nous sommes tous attachés ; elle existe depuis fort longtemps et est, rappelons-le, placée sous le contrôle du Parlement. La CDC a abordé la question de la transition énergétique depuis plusieurs années déjà, dans les domaines des transports, de la réhabilitation thermique et des réseaux intelligents. Elle s’occupe désormais aussi des maisons de service public. Enfin, elle est concernée dans le projet de loi qui nous est soumis, qui crée un fonds pour les collectivités territoriales qui joueront un rôle décentralisé, et en prévoit des soutiens aux particuliers en matière de réhabilitation thermique des logements. « Il n’y a qu’à demander à la Caisse des dépôts » : cette phrase est fréquemment prononcée à l’Assemblée nationale mais aussi au Gouvernement, me dit-on. M. Pierre-René Lemas est donc une des personnes les plus sollicitées de notre pays…

M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Je vous remercie, monsieur le président.

Comme vous le souligniez, la Caisse des dépôts et consignations est présente dans la vie publique depuis 1816. Elle ne manie pas de deniers publics au sens de produit de l’impôt ; elle travaille avec le produit de l’épargne des Français. Nous sommes donc contributeur et contribuable, et non utilisateur de l’argent public au sens de la loi de finances.

Entre autres missions, qui ont été réactualisées en 2001, le législateur a expressément confié à la Caisse celle du développement durable. Cela est assez cohérent puisque celle-ci a pour mission générale, avec l’argent issu de l’épargne des Français et des dépôts des professions réglementées, d’engager des capitaux sur une durée longue pour financer des investissements dont les revenus sont différés dans le temps. Cela explique pourquoi, depuis de nombreuses années, la Caisse est très présente dans l’accompagnement des politiques publiques menées en faveur de la transition énergétique.

Si je ne suis arrivé à ce poste que depuis trois mois, la Caisse des dépôts réfléchit depuis un an et demi à ses projets et a retenu la transition énergétique parmi ses orientations stratégiques. J’ai pour ma part proposé d’aller au-delà et de faire de la transition écologique et énergétique l’un des grands thèmes fédérateurs d’avenir du groupe – de même que la Caisse fut pendant de nombreuses années le grand outil de l’aménagement du territoire, depuis les chemins de fer jusqu’à la reconstruction de l’après-guerre, de l’après-guerre jusqu’aux grands projets d’aménagement du territoire de l’époque de Paul Delouvrier et de Robert Lion, et enfin avec les programmes de renouvellement urbain. C’est ce que j’ai exposé devant les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat.

La transition énergétique concerne d’ores et déjà plusieurs compartiments de la Caisse : celle-ci intervient en tant que prêteur via son fonds d’épargne, en tant qu’investisseur en fonds propres, en tant qu’opérateur, et depuis quelques années, en tant que mandataire du PIA. Je vous présenterai son action dans ce secteur, ce qui relativisera le lieu commun que vous évoquiez, selon lequel notre organisme serait une grande caisse permettant de financer de nombreux projets. Nous pouvons certes faire beaucoup de choses, mais avec un bilan contraint.

Premier domaine dans lequel notre groupe contribue à la transition énergétique : la rénovation énergétique des logements sociaux et des bâtiments publics.

S’agissant du logement, le dispositif de l’éco-prêt-logement social (éco-PLS) constitue depuis sa création en 2009 le prêt au taux le plus bas de l’ensemble de la gamme de prêts de la Caisse des dépôts et consignations, à 0,5 %. Entre 2009 et 2013, environ 40 000 logements ont été réhabilités et en 2012-2013, 1,3 milliard d’euros ont été engagés pour rénover 108 000 logements sociaux. L’objectif que nous ont fixé les pouvoirs publics est de parvenir à un rythme de 70 000 logements rénovés par an dans les prochaines années. À ce titre, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, intervient pour rénover des logements en tant qu’opérateur, à hauteur de 8 100 logements sociaux rénovés l’an dernier, et 6 000 logements sociaux ou intermédiaires mis en chantier aux meilleurs standards énergétiques.

Pour ce qui est des bâtiments publics, il a été décidé l’an dernier d’ouvrir au sein du fonds d’épargne de la caisse une enveloppe globale de 20 milliards d’euros d’aide aux collectivités locales sous forme de prêts à taux préférentiel. Parmi ces 20 milliards, une enveloppe particulière de 5 milliards de prêts sur fonds d’épargne à taux préférentiels appelés prêts de « croissance verte » est destinée à financer les projets de nouveaux bâtiments à énergie positive. Le taux de ces prêts est très bonifié, correspondant au taux du livret A plus 0,75 %. Ce taux est donc intéressant, malgré la baisse des taux d’intérêt. Ce dispositif permettra de contribuer au programme Bâtiments publics qui constitue l’un des axes du projet de loi. Nous avons aussi créé un opérateur particulier, Exterimmo, petite filiale capitalisée à hauteur de 25 millions d’euros, qui commence ses premières opérations et intervient notamment sur les bâtiments publics. L’idée consiste à mettre à disposition des collectivités locales un ensemblier qui prenne en charge la globalité de la réhabilitation, de la conception à la réalisation des travaux en passant par leur financement.

Deuxième domaine d’intervention : la transition écologique et énergétique dans les territoires.

La Caisse des dépôts et consignations investit tout d’abord dans les énergies renouvelables, soit dans des PME soit dans des entités liées aux collectivités locales – entreprises locales de distribution ou entreprises publiques locales. Concrètement, nous investissons par une entrée minoritaire au capital de sociétés de projet. Cela représente environ 140 millions d’euros pour 2011-2013, notre priorité étant l’investissement dans les projets en faveur de la biomasse et de la géothermie, comme nous le demandent les collectivités locales. Nous sommes également présents dans la Compagnie nationale du Rhône, dont le capital est majoritairement public. La Caisse des dépôts en détient 33 % et les collectivités locales près de 17 %, tandis que GDF-Suez n’en détient que 49,97 %. Cette entreprise publique dynamique produit 25 % de l’hydroélectricité du pays et dispose d’une capacité installée de 3 000 mégawatts. Au-delà des travaux qu’elle réalise sur le Rhône, la CNR développe des projets éoliens et solaires dans toute la France.

Nous contribuons également au développement des éco-quartiers, soit par le biais de prêts dédiés sur les fonds d’épargne, soit par le biais du PIA. Pour l’heure, nos programmes ont permis d’accompagner des démonstrateurs dans dix-neuf éco-cités. Près de 300 millions d’euros de PIA ont été engagés, permettant de générer un montant global d’investissement de l’ordre de 3 milliards d’euros. Ces actions visent à réduire la consommation énergétique, à développer les réseaux intelligents et à assurer la qualité des espaces publics en y intégrant les technologies de l’information et de la communication.

De leur côté, les filiales du groupe – la SCET et Egis – accompagnent les collectivités locales dans leur politique de rénovation énergétique.

Enfin, la politique globale de la Caisse des dépôts et consignations vis-à-vis des territoires a intégré à toutes ses actions les enjeux du développement durable et de la transition énergétique. Mais le projet de loi, une fois qu’il aura été adopté par le Parlement, permettra de renforcer cette dynamique.

Troisième domaine d’intervention : le financement des infrastructures de transport et de mobilité durables.

Notre groupe finance sur fonds d’épargne presque toutes les infrastructures de transport, et en particulier de transport durable. Depuis de nombreuses années, nous avons accompagné la construction de la quasi-totalité des lignes à grande vitesse ainsi que les projets de transports fluviaux et de transports collectifs urbains. Les projets d’infrastructures durables sont désormais éligibles à l’enveloppe de 5 milliards d’euros de prêts « croissance verte » que j’évoquais tout à l’heure.

Enfin, la filiale Transdev, dont nous partageons l’actionnariat avec le groupe Veolia, est un acteur majeur auquel nous avons demandé de mettre l’accent sur l’impact en carbone des transports et auquel nous avons assigné un objectif de réduction de la dépendance à l’automobile.

Dernier domaine d’intervention : le soutien aux entreprises de la transition énergétique. Concrètement, nous soutenons la filière « transition écologique et énergétique » et développons un programme de financement des projets d’efficacité énergétique dans les entreprises industrielles. Nous recourons pour ce faire à deux canaux, à commencer par BPI France qui, en 2013, a apporté 900 millions d’euros à des opérations de financement et d’investissement en direction d’entreprises de TEE : il s’agit à la fois d’entreprises de conception et de production de produits et de services verts, et d’entreprises utilisant ces produits et services. L’encours de prêts de la BPI s’élève aujourd’hui à 2,5 milliards d’euros.

Nous avons assigné à la BPI, filiale de l’État et de la Caisse des dépôts, l’objectif de doubler les prêts aux projets de production d’énergie renouvelable, de mettre l’accent sur les aides à l’innovation et de soutenir les projets structurants de la filière. La BPI travaille également à la restructuration de la filière bois, à laquelle tout le monde réfléchit depuis de nombreuses années. Nous avons créé cette année un Fonds bois II, doté de 40 millions d’euros.

Parallèlement à la contribution de la BPI, nous avons institué le programme dit 5E pour financer l’efficacité énergétique des entreprises : ce programme de co-investissement de 30 millions d’euros en fonds propres permet de financer les projets d’efficacité énergétique des entreprises – principalement industrielles ou énergivores. Notre objectif consiste à pallier la carence des financements bancaires pour ce type d’équipements. Ce programme reste expérimental : il a été testé en 2013-2014 sur un site industriel pilote de Solvay à La Rochelle. Nous verrons s’il nous est possible de le développer sur d’autres sites en partenariat avec les entreprises.

Tels étaient les éléments que je voulais vous présenter quant à l’action globale de la Caisse des dépôts et consignations. Je souhaitais ainsi vous montrer que nous agissons dans presque tous les domaines du développement durable mais que, dans le même temps, nous avons besoin d’une vision cohérente – qui est celle sur laquelle vous travaillez.

J’en viens à présent au projet de loi proprement dit, dont je salue l’ambition. J’apellerai votre attention sur cinq points.

J’évoquerai en premier lieu les territoires à énergie positive, visés à l’article 1er. Nous avons réfléchi en amont au principe de reconnaissance des collectivités locales comme acteurs de la transition énergétique, dans une logique de territoires à énergie positive. Nous comptons pour notre part être un partenaire actif de ces projets, aux côtés des collectivités locales, de l’ADEME et des opérateurs, en leur apportant notre expertise. Nous estimons devoir intervenir de façon systémique et multiple afin d’accélérer la transition écologique et énergétique globale. Nous souhaiterions pouvoir, avec les collectivités locales qui le souhaitent, présenter des démonstrateurs en grandeur réelle sur des territoires variés. Cela nécessitera une organisation adaptée aux territoires, en lien avec les collectivités locales. En outre, cela prendra du temps car il nous faudra inventer un nouvel outil d’aménagement énergétique du territoire sur le modèle de ce qui a été inventé il y a vingt-cinq ans en matière d’aménagement urbain.

Les articles 4 et 6 ont trait aux économies d’énergie dans le secteur du bâtiment et à la rénovation thermique du patrimoine bâti. Nous souscrivons complètement au principe, énoncé à l’article 4, d’exemplarité pour tous les nouveaux bâtiments publics. Notre idée serait donc de consacrer la moitié de l’enveloppe de 5 milliards d’euros de prêts « croissance verte » évoqués précédemment, à la rénovation thermique des bâtiments publics et privés et à la construction de bâtiments publics à énergie positive. L’une de nos pistes de réflexion, une fois que nous aurons consommé cette enveloppe, consisterait à instaurer des mécanismes de déplafonnement.

Les sociétés de tiers-financement avaient été définies dans la loi ALUR ; elles devraient connaître une nouvelle avancée avec l’article 6 du projet de loi. Nous avons jusqu’ici été présents au capital de la première et unique société d’économie mixte ayant pour objet d’appliquer ce mécanisme en faveur des travaux d’efficacité énergétique : créée par la région Île-de-France, cette SEM porte le nom d’Énergie Posit’IF. Nous allons analyser les expérimentations que nous sommes en train de mener et sommes disposés à en mener d’autres avec les partenaires locaux qui le souhaitent – la meilleure manière d’avancer étant de mesurer les difficultés au fur et à mesure qu’on fera les choses. Mais ce que nous montre cette expérimentation francilienne, c’est que ce dispositif pose un problème de sécurité juridique et financière et qu’il nous faudra inventer des mécanismes de collaboration avec les réseaux bancaires. Nous ne pourrons en effet être à la fois une banque et un partenaire de banques.

Le titre III comporte beaucoup de dispositions pertinentes sur les transports propres. La CDC est déjà très présente dans le domaine des véhicules électriques et des bornes de recharge, en particulier via sa filiale Egis ; elle soutient également la politique de développement de ces véhicules, et investit, avec EDF, Renault et la CNR, dans le groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules, le GIREVE. Cela devrait permettre d’accompagner les dispositions prévues dans le projet de loi. Dans le cadre du PIA, la CDC s’engage aussi dans les programmes de déploiement de bornes de recharge au sein des éco-cités. À ce stade, le projet de loi n’évoque ni les transports publics ni le report modal – qui ne sont pas sans lien avec la transition énergétique –, pour lesquels notre filiale Transdev se mobilise.

Quatrième thème : le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi, sur ce point, propose un doublement de la production à l’horizon 2030, dans le cadre, précise l’article 49, d’une programmation pluriannuelle de l’énergie couvrant deux périodes successives de cinq ans. Cette disposition donnera de la visibilité, condition essentielle pour les investisseurs. D’autre part, le « complément de rémunération » représente une évolution sensible du système de soutien aux énergies renouvelables – ce que tous les acteurs ne semblent pas encore avoir mesuré –, notamment en ce qu’il accroît le risque pour les porteurs de projet. La CDC s’impliquera dans ce dispositif, à un niveau qui, toutefois, dépendra du développement de la filière issue de la loi.

L’article 28, quant à lui, tend à regrouper des concessions hydroélectriques en des concessions uniques à ouvrages multiples, à l’échelle des grandes vallées, sur le modèle de la CNR, dont les ouvrages ont été construits entre 1948 et 1986. Une date d’échéance commune est donc fixée à l’échelle de ces vallées. Or, à ce stade, le texte ne prévoit aucune disposition particulière pour la CNR : c’est là un paradoxe car, pour assurer la pérennité du modèle qu’elle représente, il serait logique de prolonger la durée de sa concession. Les élus de la région Rhône-Alpes, M. Mestrallet et moi-même avons déjà alerté sur ce point, qui mériterait sans doute une disposition législative complémentaire. Dans le cas contraire, la CNR aurait la satisfaction morale de constituer un modèle pour les nouvelles entreprises, tout en voyant la durée de sa concession limitée à 59 ans en moyenne, contre 75 pour ces dernières…

Mme Battistel connaît bien le sujet des « SEM Hydro ». Dans cette réflexion, la Caisse a été un acteur en amont, avant mon arrivée à sa tête. L’article 29, tel qu’il est rédigé, nous semble correspondre à un juste équilibre.

La CDC s’engagera, selon le vœu du législateur – et sous le contrôle bienveillant du Parlement –, dans l’accompagnement de certains dispositifs ; aujourd’hui, elle assure d’ailleurs la gestion du CSPE : la loi définit son rôle pour le chèque énergie et le complément de rémunération. J’appelle votre attention sur le point suivant : la Caisse assurera le financement des dispositifs dont nous parlons, sans contribuer à leur trésorerie dans l’hypothèse où ils seraient déséquilibrés, fût-ce temporairement. L’équilibre d’ensemble exige en effet que la Caisse ne s’engage que dans la limite des fonds qu’elle gère. Il faut le préciser car la commission de surveillance, dont je sais qu’elle veille sur ce point, sera appelée à se prononcer sur la mise en œuvre des dispositifs après publication des décrets d’application.

Ce projet de loi traduit une formidable ambition pour le pays, et la Caisse des dépôts – qui n’est pas une institution financière mais une institution publique d’intérêt général chargée de missions bancaires – s’y engagera auprès des territoires.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Je vous interrogerai plus particulièrement sur le titre V, que j’ai la charge de rapporter.

Quelle analyse faites-vous de l’ouverture aux collectivités territoriales du capital des exploitations de production d’énergie renouvelable ? Un recours aux banques publiques d’investissement régionales, qui disposent d’une réelle expertise en matière de financement vert, est-il envisageable ? Plus généralement, quelle pourrait être la place de la CDC ou des BPI dans le soutien aux projets citoyens d’investissement participatif dans la production d’énergies renouvelables ?

S’agissant du complément de rémunération, les petits producteurs d’électricité risquent d’avoir plus de difficultés à obtenir des prêts bancaires substantiels pour leurs investissements de départ. La CDC a-t-elle réfléchi à un accompagnement en ce domaine, afin de garantir la concrétisation des projets ?

Le projet de loi envisage la création de SEM pour l’hydraulique, dans le cadre du renouvellement des concessions. La Caisse sera-t-elle en mesure de s’engager avec les collectivités, dans une ou plusieurs SEM – selon les périmètres d’attribution –, au regard des nombreux autres engagements qu’elle se voit confier par le texte ?

Pour ce qui est de la CNR, rien n’est aujourd’hui arrêté. La concession regroupant dix-huit ouvrages construits au fil des années, la date de l’échéance n’est pas la même que pour le futures concessions. J’ai évoqué le problème avec la directrice générale du groupe, Mme Ayrault. Nous examinerons ce point avec attention.

M. le président François Brottes. Légiférer sur des cas particuliers pourrait exposer à un risque d’inconstitutionnalité : il faudra y veiller.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour les titres II et IV. Merci, monsieur le directeur général, d’avoir rappelé – car cela semblait avoir échappé à certains – que la Caisse, acteur public garant de l’intérêt général, regarde le développement durable comme l’une de ses priorités, et qu’à ce titre elle peut y recentrer des financements.

De l’avis de plusieurs personnes déjà auditionnées, il n’est pas besoin de dispositifs nouveaux : le problème est plutôt que, parmi ceux qui existent, certains fonctionnent mieux que d’autres. Avez-vous identifié des freins ici ou là ? Si oui, comment y remédier ?

Les sociétés de tiers-financement peuvent combler les carences du secteur bancaire ; toutefois, vous avez laissé entendre qu’elles posent de nombreux problèmes. Quelle est la position de la Caisse sur ce point ? Avez-vous identifié d’autres problèmes que l’insécurité juridique et financière ? Avez-vous des pistes pour les résoudre ?

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. La Caisse des dépôts a-t-elle une approche de droit commun pour ces territoires non interconnectés que sont les outre-mer ?

Pour la rénovation des logements et l’adaptation thermique, la Caisse a-t-elle des modalités d’intervention particulières ? Fondez-vous vos décisions sur des bilans thermiques, par exemple ? Disposez-vous de programmes spécifiques ?

Êtes-vous susceptible d’accompagner davantage les territoires dans les grands projets de transition énergétique – par exemple de géothermie, de barrage ou d’utilisation de la biomasse –, dont les coûts de sortie peuvent être très différents ?

M. Christophe Bouillon. Avez-vous une idée du coût de la transition énergétique, et de la part qu’y prendra globalement la CDC à travers ses différents outils ? La Caisse agira-t-elle comme un véritable levier financier ou sa part restera-t-elle relativement faible, ce qui supposera de trouver d’autres moyens de financement ?

M. Julien Aubert. Les prêts pour la croissance verte ouverts par la Caisse représentent, avez-vous dit, une enveloppe de 5 milliards d’euros ; reste que le périmètre du financement apparaît encore un peu flou. Quel effort supplémentaire ce projet de loi représente-t-il pour la CDC ?

Quel jugement la Caisse, en tant qu’actionnaire de la CNR, porte-t-elle sur la demande des électro-intensifs d’obtenir un régime spécifique d’accès à l’hydroélectricité, au même titre qu’au nucléaire ?

Enfin, j’ai cru percevoir une pointe d’inquiétude dans votre évocation du chèque énergie et de la trésorerie des projets, en cas de déséquilibre financier. De fait, le chiffrage n’est pas clair et il a donné lieu à des échanges politiques. Avez-vous une idée des risques financiers que le texte représenterait pour vous, ou de la couverture assurantielle qu’il suppose ?

Mme Cécile Duflot. Ma question concerne le tiers-financement, dont il est question dans l’article 6. La Caisse, comme vous l’avez rappelé, a participé à des projets bénéficiant de financements innovants, d’abord pour la réhabilitation de bâtiments. Si le tiers-financement est nécessaire, rappelons-le, c’est parce que le système bancaire ne s’engage pas. La rédaction actuelle du texte, limitative, ne risque-t-elle pas de bloquer le développement des projets, voire d’empêcher une expérimentation telle que la SEM francilienne ?

M. Jean-Yves Caullet. Ma première question concerne les modalités de financement des travaux d’économies d’énergie dans les bâtiments, notamment privés. Le tiers-financement repose largement sur l’idée que les économies d’énergie permettent de financer les travaux ; or il y a parfois un écart entre les économies supposées et la marge nécessaire pour investir. On peut alors faire jouer l’effet patrimonial de l’investissement, sachant que l’isolation d’un bâtiment lui confère de la valeur. Cela s’apparente en quelque sorte à ce qui se fait en matière de viager : si l’on utilise la rente ou le bouquet d’un viager pour effectuer des travaux, il va de soi que la valeur du bien s’en trouve augmentée. La Caisse relance un peu cette idée. N’y a-t-il pas matière, lors de la cession du bien, à récupérer la part complémentaire du financement non financée par les économies d’énergie dégagées ?

Les communes ont parfois des difficultés à trouver des investissements pour mobiliser le bois des forêts publiques : selon le schéma traditionnel, c’est le produit des coupes qui doit permettre le financement ; mais pour mobiliser du bois, il faut d’abord investir : la recette n’est engrangée que plus tard. La Caisse, dans ces conditions, pourrait-elle financer ces investissements, pour se faire rembourser une fois la recette perçue ?

M. le président François Brottes. J’avais moi-même évoqué auprès de votre prédécesseur, monsieur le directeur général, l’idée de récupérer le capital investi au moment de la mutation : c’est une possibilité pour un portage de long terme – moyennant quelques frais financiers –, mais le problème est que l’on ne connaît pas forcément l’échéance de la mutation, laquelle peut au demeurant intervenir pour d’autres raisons que le décès. La spoliation est par ailleurs peu probable puisque le bien, quelles que soient les fluctuations du marché, aura pris de la valeur. L’avantage serait d’offrir une solution aux propriétaires modestes, qui profiteraient de surcroît du confort apporté par la rénovation. Cela aurait un effet de levier considérable en termes de croissance verte, d’autant que l’investisseur pourrait être assujetti à une prescription intelligente, à un suivi des travaux par exemple, afin d’éviter de faire n’importe quoi. L’idée, assez iconoclaste à l’origine, commence à faire consensus ; on peut donc s’attendre à ce qu’elle débouche sur des propositions « musclées »…

M. Pierre-René Lemas. Par définition, on ne connaîtra le surcroît d’engagements financiers pour la Caisse qu’une fois le texte voté. L’enveloppe de 20 milliards dont je parlais a été ouverte en juillet 2013, et celle de 5 milliards dévolue à la croissance verte est plus récente encore. Il s’agit bien de moyens nouveaux dégagés sur les fonds d’épargne. Je n’ai pas fait l’addition des coûts exposés par l’ensemble des filiales de la Caisse contribuant au financement de la transition énergétique : ils sont très hétérogènes, et la nature des instruments n’est pas la même. L’une des vertus de la loi sera de regrouper ces outils au service des axes définis par le législateur. Beaucoup de projets étant au stade expérimental, il est difficile d’en tirer des enseignements à l’heure qu’il est et de dire avec certitude ce qui marche mieux, et ce qui marche moins bien.

Notre filiale Exterimmo, dévolue aux opérations de rénovation thermique des bâtiments publics, me semble un outil prometteur : elle négocie avec les partenaires et réalise le montage financier et juridique, afin de livrer un produit clé en main à la collectivité, pour qui elle est donc l’opérateur unique. Pour de telles opérations, les collectivités font souvent preuve d’une frilosité légitime, au regard de la capacité des partenaires à les accompagner dans la durée : il s’agit en effet de récupérer, à terme, des économies générées par des investissements immédiats. Les banques y sont souvent réticentes ; l’intervention de la Caisse permet donc d’assurer un climat de confiance. Sur le papier, et au vu de l’unique expérience réalisée à ce jour, les choses fonctionnent ; mais il n’existe pas, je le répète, de réel bilan à ce stade.

J’ai demandé à CDC Climat une évaluation des flux financiers liés au changement climatique. Ce travail, que je tiens à votre disposition, est en cours ; ses résultats, qui doivent recevoir une validation scientifique – et que je vous soumets donc avec les réserves d’usage –, font apparaître que les investissements climatiques se seraient montés en France, depuis deux ans, à quelque 20 milliards d’euros, pour des besoins qui atteindraient environ le double. Dans ce cadre, la capacité d’intervention de la Caisse me semble importante. Un prêt sur quarante ans à un taux de 0,75 %, par exemple, est assurément de nature à générer des effets de levier, autrement plus qu’un prêt ordinaire. Ceux-ci peuvent aussi être induits par l’apport de fonds propres – de la CDC, d’une de ses filiales ou de la BEI le cas échéant – susceptibles de mobiliser des investisseurs privés, lesquels se déterminent en fonction du taux de rentabilité interne (TRI), mais aussi des garanties offertes par le projet : la Caisse, de ce point de vue, représente un tiers de confiance crédible – et je veux croire qu’elle le restera toujours.

Ces deux types de levier permettent la création de multiples outils ; à vrai dire, j’ai même tendance à penser que nous en avons presque trop depuis quelques années. Regrouper nos filiales permettrait une meilleure lisibilité – et des économies d’échelle, bien entendu –, même si je rends hommage aux équipes qui y travaillent depuis longtemps.

Sur le tiers-financement, beaucoup de choses ont été dites. J’ai même entendu que la CDC désapprouverait le financement des travaux par les SEM des collectivités. C’est tout le contraire : nous y sommes résolument favorables et de ce point de vue, le projet de loi nous convient tout à fait – il pourrait même aller plus loin. Depuis 2010, et de façon accrue en 2012, la Caisse mène une réflexion sur le tiers-financement. Celui-ci, il est vrai, soulève des questions difficiles qui, on l’a rappelé lors de la Conférence bancaire et financière de la transition énergétique, tiennent à la sécurité juridique et financière. Une SEM, par exemple, peut-elle être financeur ? Non, ou en tout cas pas directement, répond le Conseil d’État. Si un outil joue à la fois un rôle de conseil et de financeur, quelle est sa nature juridique ? S’il est financier, il doit être reconnu comme tel, au sens bancaire du terme. À moins d’imaginer un statut nouveau, on passerait donc un temps infini à créer des « sortes de » banques.

Par souci d’opérationnalité, nous penchons pour des établissements ensembliers qui soient concepteurs, conseils et maîtres d’ouvrage, et qui eux-mêmes noueraient des liens contractuels avec les banques afin d’apporter un service global aux collectivités. Le dispositif du tiers-financement ne va pas de soi, mais je pense que c’est la bonne voie. Sa première vertu est celle du guichet unique ; la seconde est de constituer un lieu qui réunit ingénierie publique, administrative, juridique et financière, autrement dit une réponse d’ensemblier, ce qui rejoint ce qui fait la vocation même de la Caisse depuis la nuit des temps. Un tel système présente aussi un avantage pour les acteurs financiers, qui ont tout intérêt à travailler directement avec la Caisse plutôt qu’avec des sociétés de services, des collectivités ou des porteurs de projet.

De ce point de vue, le projet de loi nous semble aller dans la bonne voie, même s’il faudra peut-être aller plus loin le moment venu. La situation est un peu comparable à celle du microcrédit, qui requiert un opérateur spécialisé, un tiers de confiance qui soit ensemblier et des opérateurs de marché qui se trouvent ainsi rassurés. C’est dans cet esprit que nous avons créé Exterimmo, et que nous sommes prêts à participer à des SEM locales.

Le projet de loi nous semble tout à fait pertinent sur les « SEM Hydro », dans lesquels la Caisse jouera tout son rôle, en intervenant au cas par cas ; le seul fait d’évoquer une participation publique nous a d’ailleurs fait comprendre, de façon subliminale, qu’elle serait amplement sollicitée… Si les acteurs le souhaitent, elle interviendra aussi pour l’ingénierie en amont. En tout état de cause, compte tenu de la procédure législative, nous sommes dans des calendriers longs.

Reste le problème, réel, des petits producteurs : il faudra y apporter des éléments de réponse. J’ai d’ores et déjà demandé à la Banque publique d’investissement de réfléchir à des systèmes de garantie ; d’ici au vote du projet de loi, il y aura sans doute des pistes en ce sens. C’est là une nécessité pour ouvrir pleinement le marché aux petits producteurs.

Je n’ai pas d’inquiétude particulière sur la trésorerie, monsieur Aubert : j’appelle seulement l’attention sur le fait que le dispositif, dans son organisation, ne doit pas comporter de risque à cet égard. Jusqu’à présent les choses fonctionnent bien : il n’y a pas de raison que cela change.

Aujourd’hui, madame Bareigts, c’est le droit commun qui s’applique dans les outre-mer. Ayant travaillé pendant plusieurs années au ministère qui leur est dédié, je connais cependant les dispositifs pertinents qui peuvent s’y appliquer. Dans cet esprit, j’ai demandé à la direction des fonds d’épargne de mener des analyses sur la situation thermique propre aux outre-mer ; la prise en compte de leur spécificité relève, pour ainsi dire, de la réglementation interne des fonds d’épargne : elle est nécessaire pour ne pas être en porte-à-faux, notamment quant à l’évaluation de la déperdition énergétique – qui peut être très coûteuse dès lors qu’il s’agit de climatisation. Le bilan thermique ne peut être calqué sur celui de l’Hexagone, quand bien même le résultat moyen final est souvent le même.

S’agissant des sociétés d’économie mixte et des sociétés d’exploitation, nos deux grands domaines d’intervention sont la biomasse et la géothermie. La Caisse a ainsi accompagné la communauté urbaine de Metz dans la modernisation d’un outil dédié à la géothermie, afin d’utiliser la biomasse pour le chauffage urbain, dont le coût s’est ainsi vu réduit. Bien sûr, comme le suggérait M. Caullet, la gestion des coûts se fait dans la durée : c’est précisément le sens de l’intervention de la Caisse, même si elle ne saurait agir seule.

Nous venons par ailleurs d’annoncer la création d’un fonds viager, baptisé « Certivia ». Le marché du viager est quasi inexistant en France ; cela tient à des raisons économiques et financières, mais aussi psychologiques puisque le terme intervient au décès : il y a un petit côté Balzac, avec ces termes de droit romain – le « bouquet », la « rente » – qui fleurent bon le XIXe siècle… Ce à quoi s’ajoute le problème des héritiers : lorsqu’on a peu de revenus, mais que l’on a un bien, on est d’autant plus attaché à le transmettre à ses enfants ou petits-enfants. L’idée, en l’occurrence, est de vendre le bien à un panel d’investisseurs de confiance, parmi lesquels la Caisse des dépôts, acteur public reconnu, en contrepartie de quoi le vendeur perçoit le bouquet et la rente tout en n’étant plus assujetti, détail non négligeable, à la fiscalité afférente à la propriété. La population visée est potentiellement très nombreuse, et le système est également assorti de garanties : le conjoint survivant bénéficiera de la même rente, et en cas de départ en maison de retraite, cette rente se verra même majorée. L’engagement de la Caisse se justifie par la logique sociale du dispositif, mis en œuvre, pour l’heure, à titre expérimental en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France.

À terme, le fonds, qui n’a évidemment pas vocation à gérer indéfiniment ces biens, les revendra. Dans le viager classique, le vendeur peut réaliser des travaux pour rendre le bien habitable – encore se limite-t-il le plus souvent au minimum. Mais si des acquéreurs publics réalisent eux-mêmes ces travaux – avec notamment une rénovation thermique – avant la remise sur le marché, ils auront créé de la valeur qui se répercutera sur le prix de vente final ; de sorte que l’on peut en effet imaginer de récupérer le produit de cette valeur au moment de la cession du bien. L’obstacle psychologique, pour un tel dispositif, est de même nature que celui du viager classique ; les vendeurs doivent donc bénéficier de garanties afin de ne pas éprouver un sentiment de dépossession. La Caisse est disposée à travailler dans cette direction.

En plus de ces garanties et de cette confiance, il est bien légitime que les personnes âgées veuillent transmettre le bien à leurs descendants. Dans cette optique, le contrat-type de notre fonds viager comporte une clause selon laquelle le vendeur a la possibilité de désigner un acquéreur privilégié au moment du décès. Reste qu’au-delà de son aspect juridique, le sujet est bien entendu affectif et psychologique ; et dans ce domaine, « l’affect » a probablement autant d’importance que le rendement à moyen terme de l’actif immobilier…

M. le président François Brottes. Merci, monsieur le directeur général, de nous avoir montré à quel point la Caisse est mobilisée dans la transition énergétique et la croissance verte.

9. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Guillaume de Bodard, président de la Commission environnement et développement durable de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

(Séance du mardi 16 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Nous poursuivons nos auditions en accueillant les représentants des opérateurs économiques et industriels directement concernés par le problème de l’énergie. Je relève que certaines organisations, parce qu’elles rassemblent à la fois des marchands et des acheteurs, sont vouées à une sorte de schizophrénie, ce qui explique qu’elles aient parfois du mal à exprimer une position consensuelle.

M. Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF. Il me semble que cette schizophrénie s’efface quand il s’agit de chercher la bonne voie pour l’économie française.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte majeur, que nous abordons de manière résolument positive, car nous assumons, sur le plan industriel et économique, la nécessité de la transition. Celle-ci est attendue tant par nos concitoyens que par les entreprises, pour lesquelles elle constituera un facteur de développement et d’investissement. Lors de son université d’été, le MEDEF l’a d’ailleurs intégrée à la liste des grands défis que l’économie française devra relever à l’horizon de 2020.

Ces dernières années, le paysage mondial de l’énergie, facteur clé de compétitivité, de croissance et d’emploi, a été bouleversé. On a vu apparaître de nouveaux enjeux, comme l’efficacité énergétique, les villes durables, la mobilité dans un monde aux ressources limitées ou l’adaptation au changement climatique. Nous assistons en même temps à la transition énergétique allemande, à la révolution énergétique aux États-Unis et à l’exploration et à l’exploitation des gaz et huiles non conventionnels. Ces évolutions modifient profondément le scénario énergétique et industriel des grandes puissances.

La France a longtemps bénéficié d’une relative indépendance énergétique et d’un prix de l’énergie particulièrement compétitif, mais cet avantage relatif tend à se réduire pour les industriels. Les politiques énergétiques de nos partenaires, notamment de l’Allemagne, intègrent un volet de protection de l’industrie. Les Allemands ont pris des mesures qui ont réduit de 20 % le prix effectif de l’électricité pour ses industriels fortement consommateurs, rapporté à celui que paient leurs homologues français. L’écart pourrait atteindre 25 % en 2014.

Le moment est venu pour la France de partager une vision positive de l’énergie, qui lui permettra d’aller vers une économie durablement compétitive. Le projet de loi est une opportunité de diversifier notre mix énergétique en développant les énergies renouvelables, ce qui améliorera notre efficacité énergétique et sécurisera notre approvisionnement.

La France possède des atouts, au premier rang desquels figurent ses champions de l’énergie : producteurs, fournisseurs, acteurs de l’efficacité énergétique, opérateurs de réseaux, industries consommatrices, fournisseurs de solutions dans l’industrie, le bâtiment et les transports. Le MEDEF est garant de leur capacité de dialoguer ensemble afin de trouver des solutions.

Nous souhaitons que le projet de loi permette aux entreprises d’exprimer leur dynamisme et leur créativité dans tous les domaines de la recherche et de l’innovation, et de s’appuyer sur leur expertise. La transition doit s’appuyer sur le patrimoine que constituent le réseau électrique et son parc nucléaire et hydroélectrique faiblement émetteur de gaz à effet de serre (GES), le réseau de gaz, les infrastructures d’approvisionnement et de production de produits pétroliers, le patrimoine des collectivités et les ressources réparties sur le territoire.

La transition, qui engagera des dizaines de milliards d’euros d’investissement, doit s’inscrire dans la durée. Pour réussir le changement, il faut le préparer, en prévoyant une allocation optimale des moyens en fonction de nos marges de manœuvre financières, budgétaires et surtout économiques, puisqu’on ignore ce que sera notre taux de croissance dans les prochaines années. Certaines actions en matière de transition énergétique – par exemple les gains d’efficacité – nécessitent de la croissance économique, que d’autres permettront de doper.

Le débat sur la transition énergétique, dans lequel le MEDEF s’est fortement impliqué, a été long et difficile, mais les échanges passionnés, parfois clivants, ont toujours été respectueux.

Nous nous félicitons que le projet de loi ait retenu plusieurs de nos priorités.

Il était essentiel de reconnaître la compétitivité comme un objectif structurant de la transition énergétique. Les objectifs généraux mentionnent la mobilisation de toutes les filières industrielles et pas seulement celles de la croissance verte. L’essentiel est non de développer une filière verte, mais de verdir l’ensemble de l’économie, ce qui suppose d’étudier la manière dont chaque filière industrielle peut contribuer à la transition écologique et énergétique.

Cette insistance sur la compétitivité, qui n’était même pas mentionnée dans les premiers travaux, est un sujet de satisfaction pour le MEDEF. Nous saluons le travail accompli par le groupe compétitivité coprésidé par Denis Baupin, rapporteur du texte, et le dialogue très constructif qu’il a mené avec un représentant des entreprises.

Nous nous réjouissons, en deuxième lieu, que le texte ait l’ambition de conforter l’excellente position de la France en matière de lutte contre le changement climatique. Les entreprises souhaitent s’impliquer dans la préparation de la conférence Paris Climat COP21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

Nous nous félicitons que des objectifs soient annoncés avec suffisamment d’avance pour offrir une visibilité aux acteurs économiques.

Nous apprécions le pragmatisme dont témoignent l’introduction d’un nouvel outil de programmation des investissements énergétiques et l’examen périodique, au vu de la situation économique, de l’atteinte des objectifs. Ces mesures sont précieuses, car nous travaillons sur le long terme dans un contexte incertain.

La mise en avant du rôle de l’efficacité énergétique dans le bâtiment est un autre acquis du texte, qui mise sur l’efficacité passive pour accélérer l’effort de rénovation. Il faudra compléter cette avancée en favorisant aussi l’efficacité active.

Le texte rapproche heureusement les mécanismes de financement des énergies renouvelables (EnR) d’une logique de marché, ce qui améliorera le rapport coût/efficacité, même si cette évolution n’exclut pas un soutien mutualisé aux EnR.

Le texte simplifie à bon escient les procédures en matière d’énergies renouvelables et d’infrastructures. Il affirme enfin le rôle majeur de la recherche et de l’innovation dans la politique énergétique.

En dépit de ces avancées, les entreprises conservent des attentes fortes et des sujets de préoccupation.

Tout d’abord, le texte met la compétitivité au rang des principes, sans la décliner sur le plan opérationnel. Le mot devrait figurer dans les objectifs du projet ainsi que dans l’intitulé du titre I. D’autre part, l’article 1er pourrait mentionner, à côté des objectifs énergétiques et climatiques – réduction des émissions, efficacité énergétique –, des objectifs liés à la compétitivité, comme celui de fournir de l’énergie à des prix en rapport avec la concurrence internationale.

Au titre VII, les articles 43 et 44, qui traitent des électro-intensifs, portent essentiellement sur le tarif de réseau. Dès lors que nos concurrents utilisent d’autres atouts, il faut compléter ces mesures, notamment par des dispositions sur les gazo-intensifs.

Au titre VIII, l’article 49 porte sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui comprend quatre volets : sécurité d’approvisionnement, efficacité énergétique, EnR, réseaux. Il faut en ajouter un autre : la préservation de la compétitivité des prix de l’énergie pour les consommateurs, particulièrement les entreprises exposées à la concurrence internationale. On doit construire un véritable outil de pilotage économique qui s’appuie sur des scénarios robustes, si l’on veut garantir la cohérence des objectifs et des trajectoires avec la conjoncture économique, les ressources mobilisables et le contexte européen et international. Ce pilotage permettra de choisir les meilleures solutions en fonction de leur rapport coût efficacité. Nous formulerons des propositions en ce sens.

D’autre part, si nous prenons acte des objectifs énergétiques et climatiques fixés par l’article 1er, nous regrettons que leur multiplicité rende le pilotage complexe et la visibilité incertaine. Le texte met sur le même plan des objectifs réels, comme la baisse des émissions de GES – qui devrait être au cœur du dispositif –, et des objectifs de moyens, comme la composition du mix énergétique ou la baisse de la consommation. La réduction des émissions doit être conditionnée en 2015 par un accord climatique international contraignant. Nous appuierons les efforts de notre pays en ce sens, sachant qu’une action française et européenne qui ne serait pas suivie par les autres puissances ferait courir un risque important à nos entreprises.

Troisièmement, l’efficacité énergétique doit être encouragée dans une approche globale. Dans le titre II, il faut inclure à l’article 5 des technologies d’efficacité énergétique actives, comme le pilotage des consommations et le numérique, ainsi que la dimension humaine du pilotage.

Quatrièmement, il faut compléter les dispositions relatives à la gouvernance. Au titre VIII, on doit élargir l’importance que l’article 53 accorde à la recherche et développement (R&D), et lever l’interdiction de la recherche et de l’exploration de toutes les formes d’énergie, en particulier des ressources énergétiques non conventionnelles. Une dynamique d’innovation n’est pas incompatible avec le respect du principe de précaution.

Au titre VIII, l’article 56 doit encourager la dynamique des territoires à énergie positive, tout en respectant le principe de la solidarité nationale. Le système électrique s’est construit dans une cohérence nationale fondée sur la mutualisation, garante de l’équilibre du système. Veillons à ce que les initiatives locales ne remettent pas cette organisation en cause.

De manière générale, les instances qui seront mises en place, notamment par voie réglementaire, devront donner leur place aux entreprises.

Cinquièmement, l’étude d’impact doit être renforcée sur le plan économique. Elle doit évaluer l’effet des mesures sur le prix de l’énergie, donc sur l’activité des consommateurs d’énergie, sur leur compétitivité intra- et extra-européenne, sur les enjeux industriels et sur l’emploi.

M. Guillaume de Bodard, président de la commission environnement et développement durable de la CGPME. La CGPME est une organisation patronale interprofessionnelle qui représente les TPE et les PME, c’est-à-dire des entreprises qui emploient moins de 250 salariés. Celles-ci sont essentiellement familiales et patrimoniales. La France compte 3 millions d’entreprises, dont 5 000 emploient plus de 250 salariés et 2,8 millions moins de 9 salariés.

Comme le MEDEF, la CGPME a participé activement aux débats difficiles mais fructueux qui ont permis d’établir une synthèse des propositions. Le projet de loi, qui en reprend la plupart, est un texte équilibré dans lequel les parties peuvent se retrouver, pourvu que les objectifs soient réalisables et leur coût économique acceptable.

Nous éprouvons toutefois quelques regrets. Les TPE-PME, sans lesquelles on ne peut réussir la transition énergétique, apparaissent trop peu dans le projet de loi.

Celui-ci se concentre sur l’efficacité passive, alors qu’il existe en France beaucoup d’innovations en matière d’efficacité active, par exemple grâce aux réseaux intelligents (smart grids).

Le projet de loi traite de l’économie circulaire, alors que la Conférence environnementale de l’automne 2013 n’avait pas conclu à la nécessité de prendre de dispositions législatives dans ce domaine.

La formation, sujet consensuel, dont l’urgence est reconnue par tous, n’apparaît pas assez dans le texte. Nous avions observé le même travers en 2007 dans le Grenelle de l’environnement.

Le projet de loi prévoit de multiples recours aux ordonnances sur des sujets très importants, ce qui risque de priver les entreprises d’une vision précise.

Nous souhaitons que le texte respecte certains principes. Il doit dessiner une trajectoire claire afin de porter la transition énergétique dans toutes ses composantes : efficacité énergétique, mix énergétique équilibré, grâce au développement des EnR, financements adaptés, réseaux de distribution, développement de la R&D comme de la formation. Nous sommes très attachés à ce que les objectifs soient réalistes et non idéologiques, de même que nous tenons à l’indépendance énergétique, à la stabilité des prix et à la garantie de la compétitivité des entreprises, en particulier des TPE et des PME. Ces éléments constitutifs d’une trajectoire claire et définie sont arrivés tardivement dans le débat, alors qu’il faut fixer des orientations stratégiques, qui doivent s’inscrire dans une politique européenne de l’énergie. Enfin, nous regrettons que de nombreux objectifs du texte ne semblent guère réalistes.

Le deuxième principe auquel nous sommes attachés est la compétitivité. Les entreprises françaises disposent d’un avantage concurrentiel important par rapport à leurs voisins européens et internationaux : le prix de l’énergie. Le sujet est stratégique pour les TPE-PME, dont les marges ont baissé de 20 % à 30 % en France entre 2000 et 2011, tandis qu’elles progressaient de 7 % en Allemagne pendant la même période. Dans notre pays, 63 000 entreprises déposent le bilan chaque année. Nombreuses sont celles qui connaissent la précarité énergétique, par exemple dans le secteur de la logistique des transports ou de l’hôtellerie. Il faut donner aux entreprises une visibilité à long terme, se doter des outils nécessaires pour mesurer les conséquences de la transition énergétique et retenir l’innovation comme un axe prioritaire de cette transition et de son financement.

Le troisième principe est d’agir sur la demande, en favorisant l’efficacité énergétique plus que la sobriété, qui risquerait d’entraîner une croissance zéro, voire une décroissance. Si nous ne croyons guère à la possibilité de diviser par deux la consommation finale, objectif qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact sérieuse, une meilleure efficacité énergétique permettrait de réduire la consommation en conservant le niveau de confort actuel.

J’en viens à quelques points du projet de loi. La CGPME est globalement favorable au titre II, notamment aux dispositions qui permettent les travaux de rénovation aux moments-clés de la vie du bâtiment, à condition qu’elles soient bien encadrées. Deux questions nous préoccupent toutefois.

La première est la cohabitation de deux réglementations. Le Grenelle 2 oblige les entreprises à réduire de 38 % leur consommation énergétique avant 2020 dans le tertiaire existant, ce qui pose des difficultés majeures de mise en œuvre. Pourtant, le décret d’application de cette mesure n’est toujours pas disponible. On pourrait profiter du projet de loi pour supprimer cette disposition et permettre le déploiement du dispositif d’étude préalable.

La seconde question concerne l’étude de faisabilité, qui devrait jouer un rôle incitatif sans créer d’obligation aux chefs d’entreprise.

Le transport a fait d’énormes progrès en termes de réduction des GES, mais, dans ce secteur, les marges des entreprises sont faibles. Au lieu de privilégier le tout-électrique, comme le fait le projet de loi, la CGPME propose de favoriser également d’autres technologies, comme les biocarburants ou l’hydrogène. Le texte oblige les grandes entreprises de la distribution à mettre en place un programme d’action pour réduire l’émission de GES, mais à quoi bon stigmatiser une profession qui risque de reporter ses obligations sur les entreprises sous-traitantes, notamment les transporteurs ?

Nous ne croyons pas que, dès 2020, on puisse réduire de 30 % par rapport à 2010 la quantité de déchets non dangereux non inertes admis en installation de stockage. La CGPME propose d’établir des seuils annuels permettant d’anticiper la progression et d’ajuster les objectifs. Elle rappelle qu’il est important de poursuivre la lutte contre les sites illégaux de tri et de traitement des déchets, nos entreprises ne pouvant pas lutter contre des concurrents qui s’affranchissent de toute contrainte. Il faut aussi rappeler que le développement du recyclage est conditionné par l’existence de débouchés et d’un marché aval pour les matières issues des déchets. Dans le cadre des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), qui instaurent la proximité dans la gestion des déchets, les cahiers des charges des éco-organismes doivent mettre en place des incitations proportionnées à la poursuite d’un intérêt général. Mais le principe de proximité ne doit pas faire oublier les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans certains cas, il n’est ni possible ni rentable d’obliger les entreprises à retraiter des déchets sur le territoire français.

Enfin, le projet de loi reprend assez fidèlement les débats sur les EnR, qui se sont tenus au sein du groupe de travail. La CGPME propose de développer l’ensemble des EnR et non pas simplement le photovoltaïque. Il est favorable au développement industriel et territorialisé des filières EnR pour les TPE-PME, à l’instauration d’un cadre ne déstabilisant pas la filière – évitons de reproduire l’épisode malheureux du moratoire photovoltaïque – et à la simplification de la réglementation et des démarches administratives obligatoires pour la mise en œuvre des projets d’EnR. Le projet de loi semble avoir bien repris ces propositions.

M. le président François Brottes. Il ne nous a pas échappé que vous proposiez d’amender non seulement le projet de loi, mais la législation en vigueur.

M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’UNIDEN. Les membres de l’UNIDEN consomment plus de 70 % de l’énergie industrielle, qu’il s’agisse d’électricité ou de gaz. Ils sont réunis sur plus de 700 sites industriels en France, emploient plus de 300 000 personnes et composent un tissu économique complexe souvent très localisé. Présents dans l’agroalimentaire, l’automobile, la chimie, les ciments et les chaux, l’électronique, les métaux, le papier et le verre, ils savent que la maîtrise des coûts énergétiques est un facteur essentiel de compétitivité en France, en Europe et dans le monde.

L’objectif de l’industrie à forte consommation d’énergie (energy intensive), où l’énergie représente 10 % à 25 % du prix du produit, est de réduire non le prix du mégawattheure, mais celui de l’énergie en euro par tonne de produits finis. Pour cela, il faut non seulement accéder à une énergie compétitive, mais être efficace énergétiquement. En l’absence de rupture technologique, l’industrie parvient, par des progrès lents et réguliers, à gagner en efficacité. Un rapport récent du Conseil économique pour le développement durable montre que la quantité d’énergie dépensée par tonne de produits finis baisse de manière progressive et significative. Entre 2001 et 2012, elle a diminué de 21 % dans la chimie et de 10 % dans la sidérurgie.

L’industrie française dispose des meilleures technologies et les met en œuvre partout où c’est possible. Reste que les projets mobilisent d’importants moyens financiers. En outre, plus une installation est efficace, plus l’amélioration marginale est chère, rapportée à l’économie d’énergie qu’elle génère. C’est pourquoi, surtout en période de crise économique, il faut soutenir l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) évalue à 35 %, en France, la réduction de l’émission de GES entre 1990 et 2012. Ce résultat est imputable à certaines améliorations, mais aussi à la désindustrialisation. Or, quand la production quitte notre pays, qui recherche l’efficacité énergétique et utilise une énergie peu carbonée, c’est pour s’effectuer ailleurs dans des conditions écologiques moins favorables. Le maintien d’une activité industrielle en France permet de conserver sur le territoire un volume de R&D qui aide à réaliser des progrès continus ou à préparer une rupture technologique.

Il faut mettre l’accent sur l’énergie industrielle, qui est consommée principalement en base et permet une certaine flexibilité. Parce qu’elle évite la production d’électricité destinée à compenser la fluctuation des énergies renouvelables, elle joue un rôle positif en termes d’émission de GES.

Dès lors que la promotion de l’industrie française permet l’amélioration de l’intensité énergétique, le maintien de la R&D sur le territoire et la consommation en base et de manière flexible, elle contribue à lutter contre le réchauffement climatique. La réduction des émissions de gaz carbonique doit être pensée à l’échelle mondiale. Restaurer la compétitivité des industries à forte consommation énergétique répond à la fois à une obligation économique et à un impératif écologique.

Depuis 2003, nous répétons, chiffres à l’appui, qu’il faut améliorer le coût complet de l’électricité en France. L’Amérique du Nord se tourne vers le gaz de schiste et prolonge la durée de vie de ses centrales jusqu’à soixante ans. En Russie, les industriels paient le gaz à prix coûtant et perçoivent des subventions pour décentraliser la production. Les pays du golfe Persique optent pour un offshoring de la rente pétrogazière et tentent de développer des industries en aval. Dans tous ces grands pays industriels, l’énergie – qu’il s’agisse de l’électricité ou du gaz – est près de deux fois moins chère qu’en Europe.

Plus près de nous, les écarts de coût se développent entre les pays. Par rapport à leurs rivaux allemands, les grands consommateurs français sont défavorisés de près de 30 % sur tous les postes de leur facture d’électricité. L’an prochain, les Allemands se fourniront à 6 euros de moins que nous par mégawattheure, tout en bénéficiant d’une exonération sur le transport. Nous nous félicitons cependant qu’un premier pas ait été fait en France afin de faire baisser le coût du transport pour les électro-intensifs et que le projet de loi pérennise cette mesure. Même si nous concevons quelques inquiétudes sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les taxes se situent au même niveau en France et en Allemagne. En ce qui concerne la gestion de la demande, autrement dit de l’interruptibilité, les mesures prévues vont dans le bon sens, bien qu’elles soient trop peu nombreuses et trop peu efficaces : on parle de quelques centaines de mégawatts en France, mais de quelques milliers en Allemagne. En outre, l’Allemagne répercute dans le prix de l’électricité dont bénéficient ses entreprises la compensation de l’émission de gaz carbonique, que la France affecte à la rénovation de l’habitat.

Quand on additionne chacun de ces éléments, un électro-intensif allemand peut coûter une trentaine d’euros par MWh quand il est impossible pour un électro-intensif français de coûter moins de 40 euros par MWh. On constate donc un écart supérieur à 30 %. Outre l’Allemagne, l’Espagne se révèle beaucoup plus compétitive que la France ; or il s’agit des deux pays avec lesquels nous partageons les plus longues frontières. De nombreux progrès ont été réalisés, de nouvelles idées ont été avancées – l’interruptibilité, la réduction des transports –, mais nous devons faire plus et plus vite.

En ce qui concerne le gaz naturel, si le Nord de la France paye un prix comparable à celui des pays du Nord-Ouest de l’Europe, il faut savoir que le Sud de la France paie 4 euros plus cher. Il existe une véritable ligne de démarcation : une entreprise qui se trouve du mauvais côté de la frontière gazière française paie 20 % plus cher que sa voisine installée du bon côté. Cette situation coûte globalement plus de 100 millions d’euros aux gazo-intensifs. Or, dans le Sud de la France, se trouvent des entreprises relevant de différents secteurs sensibles : chimie, pétrochimie, sidérurgie, métallurgie, des raffineries également…

Aussi, pour que cette transition énergétique soit une transition pour une industrie compétitive sur le long terme, nous proposons des mesures simples, concrètes et réalistes, déjà appliquées dans d’autres pays.

Pour ce qui concerne l’électricité, notre première proposition consiste à permettre aux industriels électro-intensifs d’investir dans des capacités de production électrique, nucléaire ou hydraulique – la réouverture des concessions hydrauliques est prévue par la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité), mais reste un enjeu important pour les collectivités, l’État et les industriels.

La deuxième proposition vise à élargir le champ d’application du rabais sur les prix du transport électrique. Nous nous félicitons que le texte reprenne cette idée qu’il vise à pérenniser dans un cadre légal fort.

Troisièmement, nous voulons rémunérer les effacements industriels à leur vraie valeur, car ils rendent un double service : économique pour le réseau et environnemental grâce à la limitation d’émissions de dioxyde de carbone qu’ils permettent. Mais il faut aller plus loin et plus vite que la loi NOME. En effet, la France, qui connaît des pointes de consommation électrique démentielles, est le pays dont l’intensité thermique est la plus grande : l’hiver, quand les gens allument leur chauffage électrique, la consommation explose. Cette aberration constitue un surcoût notable pour l’ensemble du système. Les industriels sont donc susceptibles d’apporter un vrai service en en diminuant l’impact.

Ensuite, il faut veiller à ce que les industriels ne soient pas affectés par le développement des énergies renouvelables – intermittentes – qui ont leur intérêt et leur valeur propres, mais qui ne permettent en aucun cas de faire tourner une usine. Les moyens de production renouvelables, éoliens ou photovoltaïques, et dont la CSPE tient forcément compte, ne doivent pas être répercutés sur les entreprises qui ne bénéficient pas de cette électricité-là.

Enfin, en ce qui concerne l’évolution de la fiscalité de l’énergie, nous devons prendre en considération la sauvegarde de l’industrie et des emplois. La redéfinition de la CSPE dans le cadre de l’application des nouvelles règles européennes sur la taxation pourrait conduire à une contribution beaucoup plus importante des industriels, représentant un surcoût éventuel de plusieurs centaines de millions d’euros.

Tout le monde connaît la révolution du gaz de schiste en Amérique du Nord. Je vous invite à lire le rapport de l’Institut Montaigne, que les uns jugeront trop audacieux, les autres trop timide, mais qui a le mérite de poser les bonnes questions. Avant de décider s’il faut exploiter ou non le gaz de schiste, encore faut-il savoir si nous en avons. N’étant pas géologue, je ne suis pas à même de répondre. Reste que, dans le secteur de l’industrie chimique et pétrochimique, des investissements majeurs sont réalisés aux États-Unis, et pas en Europe. La compétitivité à court terme de certaines industries chimiques et pétrochimiques en France et en Europe est remise en question par l’arrivée, en Amérique du Nord, de toutes ces nouvelles unités grâce à un gaz très peu cher.

Pour les industriels du Sud de la France, la situation liée au différentiel Nord-Sud est insupportable. Le statut de gazo-intensif adopté par le Parlement – il s’agit d’une mesure que nous saluons – donne aux industriels concernés accès à la capacité Nord-Sud à un prix préférentiel. Toutefois, même pour les gazo-intensifs, le problème n’est résolu qu’à moitié : ils n’ont accès qu’à 50 % des besoins et on ne peut faire tourner une usine à 50 % de ses capacités.

Nous avons quatre demandes assez claires concernant le gaz. Nous proposons d’abord que tous les sites gazo-intensifs du Sud de la France soient rattachés à la zone Nord pour qu’ils aient accès à un prix normal. Cette mesure est techniquement facile à mettre en œuvre.

Ensuite, nous souhaitons l’application de mesures permettant de réduire le coût complet de l’accès au gaz. Il s’agirait de redistribuer le fruit des enchères Nord-Sud en faveur des gazo-intensifs. Le prix de transport du gaz pourrait ainsi être réduit : le transport en gaz est moins important en proportion du coût complet que le transport en électricité. On pourrait également aller plus loin dans l’exonération de taxes et de contributions.

Troisième mesure : nous souhaitons le développement de l’effacement de la consommation du gaz. Le principe de tarifs interruptibles existait déjà du temps de la défunte Compagnie française du méthane (CFM). Nous pourrions mettre en place, pour le gaz, un tel dispositif qui a du sens d’un point de vue économique. Nous verrons cet hiver si, du fait de la crise ukraino-russe, des problèmes d’approvisionnement rendaient nécessaires de tels effacements industriels.

Enfin, nous souhaitons le lancement d’une réflexion de fond sur l’accès des industriels gazo-intensifs à des contrats d’approvisionnement à long terme compétitifs au niveau international, l’échelle européenne n’ayant plus guère de sens aujourd’hui. C’est la seule solution à même de faire baisser le prix par rapport à l’Amérique du Nord. Nous en mesurerons l’impact au cours des deux ou trois prochaines années, quand toutes les nouvelles installations chimiques et pétrochimiques auront démarré en Louisiane et au Texas.

Nous avons préparé sept propositions d’amendements simples, concrètes, et qui prévoient des dispositions déjà appliquées par ailleurs.

Pour qu’une transition énergétique soit vraiment créatrice de valeur, il faut promouvoir l’industrie en France, meilleur moyen de lutter efficacement contre le changement climatique.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Que pensez-vous du nouveau mécanisme de soutien au développement des énergies renouvelables, le complément de rémunération visant à inciter à la vente de la production sur le marché et par conséquent à stabiliser la CSPE ? Quelles devraient être, selon vous, les modalités – ex ante, ex post ? – de ce versement ?

Que pensez-vous de la possibilité donnée aux collectivités d’entrer dans le capital de sociétés anonymes dont l’objet social est la production d’EnR, disposition qui devrait mobiliser davantage d’acteurs autour de projets locaux ?

Comment valoriser davantage l’effacement industriel, mais aussi la saisonnalité au regard des services rendus notamment pendant les périodes de pointe ?

Le texte ouvre de nouvelles possibilités, comme la création de sociétés d’économie mixte dont l’objet est d’exploiter des contrats de concessions hydroélectriques. Qu’en pensez-vous et quel est, selon vous, le degré le plus pertinent de la participation publique ?

M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Une de vos préoccupations, du reste respectable, est la notion de compétitivité dont vous déplorez qu’elle n’apparaisse pas suffisamment dans le projet de loi. Il faut certes en tenir compte, mais je rappelle que l’objectif premier du texte est la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans un souci de santé publique.

Le titre III, dont j’ai la responsabilité, vise avant tout à limiter, à encadrer les déplacements. Deux propositions, en la matière, nous serons sûrement faites par voie d’amendement. Il s’agit d’abord de la mise en place de plans de déplacements des employés par les entreprises de plus de 50 salariés, entreprises qui seraient donc acteurs et contributeurs du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La seconde proposition vise à développer le télétravail et le travail nomade, toujours dans la perspective de limiter voire d’éviter les déplacements. Êtes-vous prêts à reprendre ces objectifs à votre compte ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Avez-vous un avis sur l’éventuelle intégration de la composante carbone des importations dans l’évaluation du budget carbone prévu par le texte ? Si elle n’était pas prise en compte, en effet, les entreprises pourraient y voir une incitation à délocaliser leurs activités.

Le projet de loi prévoit de fixer une valeur tutélaire du carbone. Cette disposition est-elle utile à vos yeux en tant qu’indicateur pour les politiques publiques ?

Les parlementaires semblent s’accorder sur la nécessité de dispositifs permettant aux industriels énergo-intensifs de rester sur le territoire indépendamment des variations des prix de l’énergie. Néanmoins, il faut veiller à éviter que ces dispositifs n’incitent pas à rechercher l’efficacité énergétique. Avez-vous des suggestions en la matière ?

Enfin, c’est un article plutôt bref qui aborde les transitions professionnelles alors même qu’un long travail a été réalisé et a abouti à un consensus de l’ensemble des partenaires sociaux, repris dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui préconise la mise en place d’un plan de programmation de l’emploi et des compétences. Êtes-vous favorables à l’insertion dans le texte d’un tel dispositif ?

M. le président François Brottes. Il semblerait que l’Allemagne soit susceptible d’être sanctionnée par la Commission européenne à propos de la réduction prévue de l’émission de gaz à effet de serre. De quelles informations disposez-vous en la matière ?

M. Emmanuel Rodriguez. En ce qui concerne l’Allemagne, et pour ce qui est de l’énergie, le prix en question est un prix de marché et ne peut donc être l’objet de contestation. Quant aux taxes, la nouvelle loi allemande a été votée fin août, début septembre et a reçu un nihil obstat de la Commission européenne ; il n’y aura donc pas de recours sur le sujet. La compensation des coûts de dioxyde de carbone indirect, elle, est de droit européen puisque c’est la Commission qui l’a instaurée. Enfin, un aménagement est certainement en cours sur certaines règles de transport. Mais je ne m’étendrai pas sur ces sujets horriblement techniques. La modalité changera certainement, mais l’impact sera le même. La volonté politique allemande est d’ailleurs de trouver le moyen d’obtenir l’impact recherché. De ce point de vue, le différentiel de compétitivité entre la France et l’Allemagne est durable, de même qu’entre la France et l’Espagne. Au début des années 2000, en France, les tarifs de l’énergie, encore en bonne partie régulés, étaient moins élevés qu’ailleurs et notamment qu’en Allemagne. Dès 2003, nous avons averti que le marché tel qu’il était défini n’était pas viable. Nous n’avons pas été entendus immédiatement. Or, aujourd’hui, la courbe est inversée de façon durable.

Pour ce qui est de la problématique contracyclique, on note en France une forte consommation de gaz et d’électricité en hiver. Une bonne partie de la solution résiderait dans l’établissement d’un vrai transport horo-saisonnalisé qui favoriserait significativement ceux qui coûtent le moins cher au réseau. Or le dimensionnement du réseau n’est pas fonction de la moyenne, mais bien du pic de consommation, les gens qui consomment réellement en base étant donc ceux qui coûtent le moins cher au réseau.

L’UNIDEN n’a jamais pris position sur l’accès à la ressource hydrologique – ressource collective – même si certaines sociétés membres de l’UNIDEN ont beaucoup travaillé sur le sujet à l’occasion de l’élaboration de la première mouture du texte. En revanche, en matière d’optimisation des ressources existantes de la collectivité, une solution commune et de long terme aurait du sens.

En ce qui concerne l’effacement de la consommation des industriels électro-intensifs, les systèmes électriques nous semblent suffisamment bien adaptés pour cette opération, de même que pour le gaz. Les réponses doivent être proportionnées à l’urgence, le dispatching permettant une capacité de réaction instantanée – et rendant par là le plus grand service au réseau. L’accès au système de réserve primaire ou secondaire est possible pour certains industriels dans plusieurs pays en Europe, mais très compliqué en France, même s’il n’est pas impossible technologiquement. L’électricité ne se stocke pas ; il faut donc qu’à tout instant le gestionnaire de réseau – et c’est la principale mission de Réseau de transport d’électricité (RTE) – maintienne l’équilibre sur le réseau en niveau de tension et en fréquence. La réponse à un creux de tension peut prendre un certain temps, alors qu’il faut une réponse instantanée à une perte en fréquence. RTE agit grâce à un système de réserve : la réserve primaire permet de répondre à une perte de fréquence et la réserve secondaire à un creux de tension. Pour cela, les producteurs contribuent et les consommateurs le peuvent également. Un producteur, lorsqu’il contribue à la réserve primaire ou secondaire, est rémunéré 150 000 euros par MW et par an. Un industriel qui participe au mécanisme d’effacement perçoit dix à quinze fois moins. On doit pouvoir trouver une solution intermédiaire.

J’évoquais, dans mon propos liminaire, le récent rapport du Conseil économique pour le développement durable qui rappelle que, pendant les douze dernières années, l’intensité énergétique de l’industrie, à savoir la consommation de MWh par tonne de produits finis, a baissé de 20 % pour la chimie et de 10 % pour la sidérurgie. Nous sommes convaincus de la nécessité d’un progrès continu. Nous nous trouvons dans une configuration asymptotique : l’effort marginal économique étant disproportionné par rapport au gain d’efficacité, nous devons être soutenus, à un moment de crise, pour investir plus. Nous pouvons en tout cas nous réjouir de la capacité de l’industrie française à rester efficace d’un point de vue énergétique, ce qui lui permet de survivre malgré des prix élevés. Mais si, aujourd’hui, nous pouvons poursuivre notre activité sans interruption, nous ne pouvons pas réinvestir à cause d’une énergie trop chère par rapport à celle de nos concurrents.

J’en viens, pour finir, à la taxe carbone. Nous importons des produits de pays qui n’ont pas de coûts CO2. L’instauration d’une taxe aux frontières ne semble pas conforme aux règles du commerce international. Aussi avons-nous le sentiment que l’Europe s’est tirée une balle dans le pied : elle veut entrer dans une logique vertueuse, mais celle-ci la pénalise puisque la mise en place d’un garde-fou serait contraire aux règles du commerce international.

M. Guillaume de Bodard. Nous sommes favorables à la rémunération des EnR à condition de les développer dans leur ensemble et pas uniquement dans le secteur photovoltaïque, de conserver un cadre stable, ne déstabilisant pas les filières, et de simplifier la réglementation. Nous souhaitons également que la CSPE n’augmente pas trop.

Nous sommes, par ailleurs, favorables aux plans de déplacements des employés des entreprises de plus de cinquante salariés, à condition qu’ils soient fondés sur le volontariat.

Sur l’accompagnement des transitions professionnelles, je renvoie – même s’ils méritent d’être approfondis – aux travaux réalisés sur la formation en lien avec les branches concernées.

Quant au télétravail, en tant que chef d’entreprise, je n’y suis pas du tout hostile, d’autant que quelque 20 % de mes employés travaillent de cette façon. Notons au passage que le télétravail ne concerne pas seulement des employés habitant la ville où se situe leur entreprise.

M. Michel Guilbaud. Nous sommes tout à fait favorables au mécanisme de soutien aux énergies renouvelables, qui se rapproche de la logique économique tout en prévoyant un complément de rémunération. En effet, grande est la préoccupation des entreprises sur la croissance non maîtrisée de la CSPE au cours des années écoulées. On en revient à une logique économique, mais qui, malgré tout, incite au développement réaliste des EnR sans créer de bulle qui défavorise les filières industrielles françaises. Aussi ce véritable mécanisme d’incitation devrait-il susciter un développement réel assurant à terme la viabilité économique des EnR. Je ne saurai répondre en revanche à la question de savoir s’il vaut mieux prévoir des modalités de versement ex ante ou ex post ; le projet de loi comporte en effet des dispositions assez générales dont nous ne connaissons pas les modalités d’application éventuellement prévues.

Ensuite, monsieur Plisson, nous ne prétendons pas que la compétitivité doive constituer le but primordial et unique du projet de loi. Néanmoins, il nous semble que la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas le seul objectif du texte qui prévoit d’ores et déjà de renforcer l’indépendance énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique. Et il est bien question de compétitivité. Il s’agit pour nous d’équilibrer ces objectifs, mais ensuite de disposer d’un outil de pilotage afin de traduire cette compétitivité en actions concrètes.

Monsieur Baupin, il paraît nécessaire d’inclure la composante carbone des importations. Nous souhaitons que la lutte contre les fuites de carbone figure dans le texte. Selon le niveau de contrainte que nous allons nous fixer, le risque existe réellement d’une délocalisation d’activités et d’investissements.

La valeur tutélaire du carbone est, quant à elle, une question très complexe selon qu’on l’appréhende du point de vue des ménages, des industriels, de ceux qui se trouvent en concurrence, des électriciens, des équipementiers. Nous sommes en tout cas tout à fait prêts à travailler sur le sujet avec les pouvoirs publics.

M. Julien Aubert. La conjonction de vos trois interventions permet des convergences d’analyse. Compte tenu du fait que le débat sur la transition énergétique n’avait pas donné toute sa place au secteur privé, nous aurions aimé que soient organisées des auditions plus longues pour discuter plus à fond. Vous avez en effet relevé plusieurs défaillances du projet de loi : le tout-électrique, l’absence de référence aux hydrocarbures non conventionnels, le trop grand nombre d’objectifs, l’absence de dispositions relatives à l’efficacité énergétique active – autant de points qui, pour les députés du groupe UMP, méritent de figurer dans le texte.

Ma première question porte sur la compétitivité. Vous évoquez, au sujet des énergo-intensifs, le cas allemand ; seulement, outre-Rhin, c’est le contribuable qui finance les énergies vertes. Vous appelez de vos vœux la poursuite d’un objectif de compétitivité et souhaitez dans le même temps un bas coût de l’énergie pour le consommateur. Est-ce compatible dès lors que le texte vise à augmenter la proportion d’énergies vertes financées par la CSPE ? Peut-on réduire le coût de l’énergie pour les entreprises et garder un prix de l’énergie bas pour le contribuable ? Il va bien falloir que quelqu’un finance ces nouvelles énergies – et j’en profite pour vous demander votre opinion sur l’élargissement de l’assiette de la CSPE.

Au cours du débat sur la transition énergétique, nous avons retenu l’idée que la compétitivité devait s’apprécier comme la réduction du coût de la tonne de CO2 évitée. En d’autres termes, il s’agit de remplir au moindre coût les objectifs que nous nous fixons en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Cette mesure de la compétitivité – c’est-à-dire de l’efficience budgétaire et économique par rapport à un objectif environnemental – correspond-elle à votre propre définition ?

Enfin, M. de Bodard a critiqué l’expression d’« économie circulaire ». Le projet de loi évoque par ailleurs la « croissance verte ». Quelle est votre opinion à ce sujet, vous qui représentez les entreprises françaises ? Distinguez-vous croissance verte et économie circulaire ? Et pourquoi estimez-vous que l’économie circulaire n’a pas sa place dans ce texte ? Il est vrai que cette expression, que certains cherchent à imposer dans le débat public, est de plus en plus souvent reprise.

M. Jean-Luc Laurent. J’ai été très frappé par votre convergence – qui ne m’étonne pas – quant à l’idée que la compétitivité énergétique doit être au service de la compétitivité des entreprises. Vous avez déploré la perte de ce qui fut un avantage comparatif de la France vis-à-vis d’autres pays européens, notamment de l’Allemagne, qui, on le sait, mène une politique industrielle particulièrement attractive, qu’il s’agisse des avantages économiques ou des subventions, qu’elles soient déguisées ou non. J’aimerais que vous reveniez sur ce point de façon très concrète : quelles sont vos suggestions pour nous permettre de reconquérir un avantage comparatif ? Depuis la publication du rapport Gallois, nous savons l’importance de la dimension énergétique dans la compétitivité des entreprises.

Le représentant de l’UNIDEN a rappelé que le coût de l’énergie était d’abord constitué d’un coût de production, mais aussi d’un coût de transport et de coûts liés à la fiscalité – notamment à la CSPE. Quelles pistes proposez-vous pour élargir l’assiette de la fiscalité afin qu’elle repose moins sur l’électricité ? Dans le domaine du transport, suggérez-vous que nous nous alignions sur d’autres pays européens, dont l’Allemagne ?

Enfin, l’UNIDEN est attentive à la cogénération industrielle : j’aimerais que vous développiez ce point.

M. Bernard Accoyer. Julien Aubert a mis le doigt sur la question essentielle que le Gouvernement a découverte il y a peu : la compétitivité de l’économie française.

Ce texte vise à diminuer la part du nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre, à augmenter la part des énergies renouvelables, mais sans tenir compte des incertitudes qui pèsent sur nos approvisionnements en gaz et sur le coût du gaz, même si nous sommes moins exposés que d’autres pays, et sans se préoccuper de la situation instable au Moyen-Orient.

Nous avons vu que le coût de l’énergie constituait déjà un problème pour la France et, en particulier, pour les industriels électro-intensifs. Nous avons vu qu’un certain nombre de contraintes supplémentaires, qui allaient renchérir les coûts de production et menacer l’équilibre de nos grands opérateurs, étaient en préparation – d’aucuns souhaitant même en rajouter. Quel est l’avenir des industriels électro-intensifs et de l’industrie française, non seulement face à ces perspectives, mais encore à la lumière de ce texte ?

M. Jean-Yves Caullet. Je tiens à souligner l’engagement des représentants des entreprises dans la transition énergétique, non seulement comme consommateurs – l’énergie est un élément essentiel de la production –, mais également en vue d’apporter des solutions, notamment dans le domaine du logement, qui demeure un enjeu important en termes de croissance.

Comment les entreprises considèrent-elles l’enjeu du biogaz et de la biomasse, qui n’est pas mis suffisamment en valeur à ce stade du projet de loi, la logistique nécessaire à sa mobilisation étant difficile à imaginer ? Alors que l’électricité se présente sous une forme qui permet une régulation fine de sa distribution par les consommateurs, la biomasse et le biogaz reposent sur des logistiques bien plus lourdes puisqu’il faut travailler sur la matière première avant de pouvoir réguler la distribution – je pense notamment à la reconcentration des déchets méthanisables, qui posent de nombreux problèmes de transport.

Comment abordez-vous ces enjeux qui me paraissent porteurs en termes de production de gaz renouvelable ?

M. Patrick Hetzel. Au regard de la compétitivité des entreprises, quel serait selon vous, en 2030, le mix énergétique optimal ?

Quelle sera la part du PIB national que la croissance verte – concept protéiforme –sera susceptible de représenter à l’horizon de 2030 ?

L’étude d’impact accompagnant le texte est assez sommaire en ce qui concerne le nombre d’emplois susceptibles d’être créés par la transition énergétique. S’ils existent, quels sont à vos yeux les potentiels en matière de création d’emplois ?

Mme Frédérique Massat. Monsieur Guilbaud, vous avez souligné que le texte doit aller plus loin sur la question des électro-intensifs : quelles sont vos propositions en la matière ?

Monsieur Rodriguez, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par une rémunération à sa juste valeur de l’effacement ?

Monsieur de Bodard, vous considérez que les réseaux intelligents ne sont pas suffisamment développés. Alors que l’article 59 du projet de loi introduit un droit à un déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents, quelles sont vos propositions en la matière ?

La loi fixe déjà des objectifs ambitieux, susceptibles de créer de l’emploi, notamment l’implantation de 7 millions de bornes de recharge à l’horizon 2030. Quelles sont vos perspectives de développement ?

Les dispositifs prévus dans le projet de loi – une aide fiscale de 30 % du montant des travaux accordée aux ménages qui s’engagent dans une rénovation énergétique, la relance de l’éco-prêt à taux zéro et le chèque énergie – vous paraissent-ils suffisants ? Doivent-ils être améliorés ?

La loi prévoit plusieurs mesures pour développer l’implantation des EnR sur le territoire national : simplification des procédures administratives pour réduire les coûts et limiter les délais, appel à manifestation d’intérêt, adaptation des aides financières aux énergies électriques renouvelables ou appels d’offres. Avez-vous des propositions à faire pour compléter cet arsenal ou émettez-vous des doutes sur certains de ces dispositifs ?

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur Guilbaud, je suis étonnée que vous n’ayez pas repris dans vos propos liminaires l’intégralité de ceux que vous aviez tenus lors de la conférence de presse qui avait suivi l’adoption du texte en conseil des ministres : vous aviez alors critiqué l’absence de toute évaluation chiffrée des efforts financiers à fournir pour atteindre les objectifs fixés par le texte. Alors même que M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a, depuis, confirmé que la transition énergétique sera avant tout l’affaire du privé, sans que celui-ci en connaisse le montant, avez-vous pu vous rapprocher du secteur bancaire – je rappelle qu’une conférence bancaire et financière pour la transition énergétique s’est tenue après la conférence environnementale ? De quelles pistes disposez-vous pour étudier la faisabilité financière du texte ? Vous auriez intérêt à rappeler que la transition énergétique risque de coûter très cher : c’est le moment de le faire.

M. Jean-Louis Bricout. Comme le projet de loi aborde la question de l’économie circulaire, je souhaite évoquer les stratégies industrielles en matière de conception et de positionnement du produit, stratégies qui restent à développer.

Deux logiques s’affrontent. La première, qui recouvre une triste réalité, comme nous le prouvent les dégâts industriels qu’elle provoque, privilégie la production à moindre coût à l’étranger : cette logique, accélérée par l’obsolescence programmée, encourage la consommation puisque le produit est jeté dès qu’il tombe en panne. La seconde, qui est plus vertueuse, mise sur la qualité du produit, sa réparation et son recyclage. Si la consommation est moindre, la planète s’y retrouve, ainsi que l’économie, puisque cette logique valorise la filière de la réparation, qui est non délocalisable, et privilégie la production made in France.

Le pacte de responsabilité vise à conforter vos taux de marge pour innover plus et concevoir mieux, voire autrement. Vous engouffrerez-vous dans cette nouvelle logique de production plus vertueuse ? Attendez-vous du Gouvernement qu’il vous accompagne, grâce à ce texte, dans une logique de production plus intelligente et plus vertueuse pour l’environnement ?

M. Michel Guilbaud. Le concept de compétitivité, pourtant bien accepté de tous aujourd’hui, demeure, comme le concept de croissance, un peu abstrait aux yeux de chacun. La compétitivité, qui est la capacité d’être présent sur les marchés européens et mondiaux dans des conditions de concurrence équitable, afin de vendre à des prix alors qualifiés de « compétitifs », est constituée de différents facteurs, qu’on ne peut isoler : l’énergie, le coût du travail, la fiscalité, la valeur de l’euro pour les exportations hors zone euro. S’agissant de nos exportations à l’intérieur de cette zone, d’autres facteurs que la valeur de l’euro jouent évidemment pour expliquer notre manque de compétitivité et le fait que nous perdions régulièrement des parts de marchés.

Les entreprises françaises ont le taux de marge le plus faible d’Europe. La différence est phénoménale par rapport à l’Allemagne : 28 % d’excédent brut d’exploitation ramené à la valeur ajoutée pour la France contre 40 % pour l’Allemagne. L’énergie est un des éléments de la compétitivité : certes, son prix n’explique pas tout, mais il peut devenir très vite un facteur aggravant.

En matière de transition énergétique, les entreprises ne demandent pas de mesure de soutien particulière, exception faite des industries électro-intensives et gazo-intensives, que la plupart des pays du monde traitent de manière spécifique. Le fait que la part de l’intrant énergétique soit majeure dans la valeur ajoutée d’un secteur – d’une moyenne de 14 % dans l’industrie, elle passe à 50 % dans la plasturgie et la chimie – justifie des mesures ciblées.

S’agissant de l’ensemble des entreprises, nous demandons simplement que la transition énergétique prenne en compte le facteur économique. Si nous ne contestons pas les objectifs – lutter contre le changement climatique, préserver les approvisionnements énergétiques –, il faut absolument que, pour réussir la transition, la loi fixe un critère de compétitivité économique. Il est a minima nécessaire de prendre en compte le facteur énergétique dans la compétitivité des entreprises. Si nous avons déploré que l’impact économique n’ait pas été évalué – nous l’avions souligné lors de l’adoption du texte en conseil des ministres –, le projet de loi nous paraît en revanche relativement pragmatique puisqu’il prévoit une programmation pluriannuelle et crée des outils permettant d’adapter les grands objectifs à l’évolution, notamment, de la croissance – il serait toutefois souhaitable que le texte soit encore plus précis sur ce point.

Alors que, d’un côté, l’énergie apparaît comme un facteur parmi d’autres de l’économie – une loi n’est pas là pour déterminer le fonctionnement des différents éléments qui constituent le marché –, de l’autre, elle exige une programmation à long terme des investissements dans le cadre d’une régulation des réseaux : le marché de l’énergie n’est donc pas totalement libre. C’est pourquoi personne ne saurait évaluer le mix énergétique optimal à l’horizon 2030. Aussi aurait-il été souhaitable, dans le cadre du débat national, de prévoir plusieurs scénarios, établis en fonction de la part laissée dans le mix énergétique à chaque type d’énergie – nucléaire, énergies renouvelables, gaz, pétrole, etc.

Nous sommes favorables, je le répète, au pragmatisme du texte qui prévoit de conduire la politique énergétique de la France dans le cadre d’une stratégie bas carbone sur quinze ans revue tous les cinq ans et d’une programmation pluriannuelle de l’énergie. Les opérateurs de l’énergie que vous avez auditionnés ont pu vous apporter des réponses plus précises en la matière. Les consommateurs que nous sommes espèrent que le prix de l’énergie évoluera au mieux de l’économie.

Nous reconnaissons bien volontiers, d’ailleurs, que certaines catégories justifient des mesures spécifiques de soutien : d’un côté du spectre, les ménages en précarité énergétique, de l’autre, les industries électro-intensives. Quant à la masse des consommateurs, ils devront bénéficier d’un prix maîtrisé.

Chacun s’accorde à reconnaître que la transition énergétique aura un coût, puisqu’elle nécessitera d’énormes investissements. Il en sera ainsi du nucléaire, qui sera plus cher demain qu’aujourd’hui, et des autres formes d’énergie, qui subiront toutes des aléas entraînant sans aucun doute leur surenchérissement. On ne peut que souhaiter la mise en place de dispositifs de pilotage du mix énergétique qui soient les meilleurs possible.

Quant au coût des industries électro-intensives, il faut prendre en compte non seulement le transport, mais également la CSPE et les taxes qui, d’une manière générale, sont payées par les opérateurs, ainsi que les mécanismes d’effacement.

S’agissant du nombre d’emplois ou du taux de PIB liés à la croissance verte, nous nous refusons à donner des chiffres. Non que nous refusions le concept de croissance verte, mais, de même que le numérique s’est traduit par de nouveaux business models, de même la transition énergétique se traduira par le verdissement de toute l’économie. Toutes les filières industrielles devront diminuer leur émission de gaz à effet de serre. On ne saurait donc réduire la filière verte aux entreprises qui aideront les autres à s’équiper en dispositifs moins énergivores, puisque toutes les technologies devront être mises au service de la croissance verte. C’est pourquoi, s’agissant notamment du nombre d’emplois qui seront créés par la transition énergétique, nous contestons généralement les chiffres qui sont avancés : faute d’une définition précise de la croissance verte, nous ignorons comment ils ont pu être établis.

M. le président François Brottes. Vous avez évoqué le numérique : il est très énergivore, ce que nous n’avions pas prévu.

M. Michel Guilbaud. S’agissant des aides fiscales à la réalisation de travaux de rénovation thermique, l’expérience montre que, en l’absence de mécanisme d’accompagnement, les ménages n’engagent pas d’investissements aussi lourds. Nous soutenons le titre II relatif à la rénovation thermique, en précisant que les dispositifs d’efficacité énergétique envisagés doivent être plus incitatifs qu’obligatoires pour être adaptables aux spécificités des entreprises du tertiaire ou des ménages. Nous sommes favorables à tous les dispositifs d’efficacité énergétique actifs, et non seulement passifs.

Nous soutenons également les nouveaux mécanismes de rémunération des énergies renouvelables et la simplification administrative, en sachant que tout dépendra, en la matière, de la rédaction des textes d’application.

M. Guillaume de Bodard. Si la CGPME n’a aucune opposition de principe à la création du chèque énergie, il est à ses yeux impensable que les entreprises en soient la source de financement.

Je ne saurais formuler aucune prévision à l’horizon 2030, mais je sais ce qu’il ne faudra pas faire : nous retrouver avec un coût de l’énergie supérieur à celui de nos concurrents, faute d’avoir réfléchi, pour des raisons idéologiques, aux sources d’énergie employées demain par tous les autres pays. Le coût de l’énergie est à l’heure actuelle acceptable par les TPE et les PME : la pire des choses serait que ce ne soit plus le cas en 2030.

Si nous sommes opposés au titre IV du texte, consacré à l’économie circulaire, c’est que le sujet nous paraît distinct de celui de la transition énergétique, d’autant que, au sein de la conférence environnementale, qui a pris la suite du Grenelle de l’environnement, le consensus s’était établi pour juger inutile l’adoption de dispositions législatives relatives à l’économie circulaire. En effet, les débats avaient permis de constater que la France est très performante dans ce domaine – de grands groupes comme de nombreuses PME sont très efficaces dans la récupération des déchets et leur recyclage –, sans compter qu’une nouvelle loi risquerait de créer des contraintes supplémentaires. En termes d’éco-conception, M. Peugeot a rappelé l’objectif de recycler les véhicules à hauteur de 95 % d’ici à quelques années. Toutes les industries ont réalisé des progrès considérables en la matière. On redécouvre la réparation, notamment dans le secteur automobile : c’est une question de bon sens. Une loi est-elle nécessaire pour rappeler qu’il faut réparer les produits ? Nous sommes donc surpris de voir apparaître dans le texte, sans concertation, des dispositions relatives à l’économie circulaire.

M. Emmanuel Rodriguez. S’agissant de la compétitivité des industries utilisatrices d’énergie, j’ai souligné qu’on parlait d’euro par tonne. Si l’énergie représente 20 % du coût de production d’un industriel et 10 % de celui de son concurrent, il suffit à celui-ci, pour mettre à genoux le premier, de baisser son prix de 10 %, puisque cela ne l’empêchera pas de continuer à gagner de l’argent. La compétitivité, vous le voyez, c’est quelque chose de très concret !

La plupart des grands groupes industriels comparent tous les mois les coûts de production usine par usine, avant de prendre leurs décisions en matière d’allocation, d’investissement, de maintenance ou de développement. Telle est la réalité de l’efficience économique qu’aucune loi ne saurait modifier. C’est pourquoi le législateur doit veiller à ce que les dispositions qu’il adopte n’aient pas pour conséquence de peser à plus ou moins long terme sur l’investissement ou de favoriser les délocalisations. Les meilleurs pays industriels sont ceux qui se battent pour que leur industrie puisse jouer de ses avantages compétitifs pour mettre ses concurrents à terre. Cette logique manque de charme : elle n’en est pas moins celle de l’économie.

M. le président François Brottes. La comparaison des coûts de production ne prenant pas en compte la fiscalité, la part de l’énergie s’en trouve augmentée.

M. Emmanuel Rodriguez. Les grands groupes ne prennent pas en compte la fiscalité sur le résultat des sociétés : en revanche, ils y incorporent la fiscalité liée à la production – taxe foncière, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

L’équivalent allemand de la CSPE, l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), s’élève à 62 euros par mégawattheure, contre près de 21 euros pour la CSPE. Si le citoyen allemand a adhéré au dispositif, c’est que celui-ci a permis d’aider les petites exploitations agricoles, auxquelles les Allemands sont très attachés, ainsi que le Mittelstand, c’est-à-dire les entreprises moyennes, dont le nombre est important en Allemagne. Le dispositif est aujourd’hui moins bien accepté, non seulement en raison de son coût, mais aussi parce que des sociétés qui s’étaient développées rapidement dans le photovoltaïque ou l’éolien ont fini par mettre la clef sous la porte. Les emplois créés ont disparu. Les Allemands sont des gens pragmatiques.

Il appartiendra à la majorité politique qui a été élue de faire adhérer les Français à toute hausse des tarifs de l’électricité liée à celle de la CSPE.

Pour que les industries électro-intensives françaises rejoignent leurs concurrentes allemandes, elles ne devront plus payer que 10 % du transport. Aujourd’hui, on n’évoque qu’une exonération de 50 % pour une soixantaine de sites, dont le texte envisage d’augmenter le nombre. La différence avec l’Allemagne reste donc considérable.

En matière d’effacement, 9 euros par mégawattheure reviennent à une rémunération à 100 000 euros du mégawatt par an pour un effacement quasi instantané. Il est donc possible de passer d’une rémunération de 20 000 à 100 000 euros par mégawatt et par an, selon qu’il s’agit d’un effacement en J−1 – la veille pour le lendemain – ou d’un effacement quasi instantané – c’est RTE qui décide alors d’arrêter une partie de la production. Des programmations intermédiaires entre le J−1 et l’instantané sont possibles. Il faut savoir que certains pays européens sont au-delà des 150 000 euros par mégawatt et par an.

En matière de mix énergétique, il faut avoir les moyens de ses ambitions, qu’il s’agisse des investissements – durée de vie des centrales existantes, renouvellement des centrales hydrauliques – ou de la part des énergies renouvelables et de celle des effacements. Les effacements industriels font partie du mix énergétique, qu’on le veuille ou non. Nous ne parviendrons à un mix énergétique équilibré et peu onéreux que si nous réussissons à classer et à privilégier les différents moyens de production dans une logique conciliant la diminution de l’impact du CO2 et un coût d’investissement raisonnable. Telle est la méthode pour établir le meilleur mix énergétique. Pour les industries électro-intensives, l’effacement est un moyen à la fois très efficace et peu onéreux, qui ne demande aucun investissement.

M. le président François Brottes. Il exige toutefois en amont, sur le plan du process, un immense travail pour déterminer ce qui peut être arrêté et ce qui ne peut pas l’être.

M. Emmanuel Rodriguez. Je parlais en termes de coût d’investissement et non de process. L’effacement permet de réaliser, en termes d’investissement, une économie très importante.

La biomasse est un sujet majeur pour l’UNIDEN, au sein de laquelle les industries de papiers sont représentées par la COPACEL – Union française des industries des cartons, papiers et celluloses –, qui s’inscrit dans une logique de biomasse naturelle et non de biomasse forcée – il n’y aurait en effet aucun intérêt à importer des copeaux de bois du Canada pour produire de l’électricité dans le Sud de la France, le coût CO2 de la démarche étant prohibitif.

Je ne saurais répondre sur la question du biogaz en France. Ce que je sais, c’est que le principal problème posé par cette énergie est le raccordement de la source de biogaz au réseau, qui nécessite des autorisations de droit de passage des tuyaux. Pour une utilisation industrielle du biogaz, il faudra donc faciliter son acheminement, ce qui impliquera de fournir d’immenses efforts en termes de simplification administrative. Or l’expérience m’a appris qu’il faut dix ans pour installer quelques kilomètres de tuyaux.

S’agissant des cogénérations industrielles, un arrêté a permis de pérenniser les installations existantes supérieures à douze mégawatts. Un de nos amendements vise à ne pas limiter le temps de fonctionnement des installations afin de leur assurer un rendement maximal en termes de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, puisque c’est un mode de production très efficace.

M. le président François Brottes.  Je ne saurais trop le répéter : une loi ne doit pas être trop précise, sous peine de ne pas pouvoir répondre à l’évolution de la situation. S’agissant de la cogénération, nous avons frôlé la catastrophe en l’absence de support législatif permettant de pérenniser les installations : pour l’éviter, il a fallu présenter un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.

Le projet de loi sur la transition énergétique devra fournir avant tout un cadre, afin de permettre aux textes réglementaires de s’adapter aux évolutions.

M. Emmanuel Rodriguez. S’agissant de l’économie circulaire, je tiens à rappeler que l’acier est indéfiniment recyclable et que les métaux précieux sont recyclés au maximum. Il en est de même du papier et de certains plastiques. Les secteurs déjà très performants doivent être distingués des autres.

Il faut qu’EDF et GDF s’attellent à la tâche de la simplification administrative, s’agissant notamment des certificats d’économie d’énergie, dont le coût administratif est bien trop élevé. Ces deux entreprises ne peuvent avoir que de bonnes idées en la matière : sinon, ce serait désespérant !

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs.

10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la DG énergie de la Commission européenne.

(Séance du mercredi 17 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Je remercie Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne, de sa présence parmi nous.

On déplore souvent que le cadre général de l’Europe ne concerne, pour l’énergie, que deux ou trois sujets : les interconnexions dans le secteur de l’électricité, le stockage et le transport du gaz, chaque pays construisant son mix dans son coin, alors que nous sommes réellement interdépendants et que cette interdépendance appellerait une plus grande cohérence. Par ailleurs, la directive sur l’énergie et le climat est parfois contredite par des directives sectorielles. Le fait de développer la concurrence entre opérateurs incite plus à la consommation qu’à la sobriété, à l’efficacité ou à l’émergence des énergies renouvelables.

Il existe en France un monopole du transport du gaz et de l’électricité, reconnu et admis par l’Europe, et c’est de bons sens : imagine-t-on deux ou trois réseaux parallèles de lignes à très haute tension ? Nous avons également, depuis 1946, un monopole de la distribution d’électricité et de gaz, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres pays. Quant à la perspective de la mise en concurrence des concessions d’hydroélectricité, elle a tendance à nous agacer. La France possède en la matière un potentiel sans égal, qui justifie, dans le cadre d’un mix électrique où domine le nucléaire, une approche singulière. La variété des modes de production entre les pays ne rend pas souhaitable d’imposer un modèle unique.

Le présent projet de loi sur la transition énergétique a vocation, bien sûr, à être eurocompatible : c’est la règle du jeu lorsque nous légiférons. Il comporte d’ailleurs quelques éléments de transposition. Quel regard, madame Houtman, portez-vous sur ce texte ? Quel est, surtout, l’état d’esprit de la nouvelle Commission européenne et de ses services ? J’ai rencontré il y a quelques années, au cours d’une délégation conduite par mon prédécesseur, le patron de la DG Énergie : celui-ci avait admis, avec beaucoup de franchise, que l’ouverture à la concurrence n’avait pas donné les résultats attendus en termes de prix, et que ses présupposés étaient sans doute erronés.

Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne. Il faut féliciter la France pour ce projet de loi, que M. Ristori, directeur général de la DG Énergie, qui aurait souhaité pouvoir venir s’exprimer devant vous, a qualifié d’avant-gardiste. C’est un projet ambitieux, par ses objectifs chiffrés comme par l’ampleur des mesures proposées. Avec ce projet, le gouvernement français montre qu’il soutient les objectifs européens proposés par la Commission pour 2030 en matière de changement climatique, d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique.

Il serait souhaitable que le gouvernement français le présente à ses partenaires dans le cadre des différents forums européens. Un tel état d’esprit contribuerait à une plus grande compréhension entre les États membres, à une plus grande coopération, au moment où tout le monde souhaite une politique énergétique européenne plus cohérente, et où le nouveau président élu de la Commission européenne, M. Juncker, a présenté l’énergie comme une priorité, avançant l’idée d’une Union européenne de l’énergie.

Ce projet de loi comporte des objectifs chiffrés en ligne avec ceux de la Commission européenne, ainsi que de nombreuses mesures. Il faudra naturellement le financer dans le cadre d’une politique durable des finances publiques, ce qui suppose de privilégier, plutôt que les avantages fiscaux et les subventions, les prêts à taux très modéré, rendus possibles par le taux directeur, très bas, de la BCE ainsi qu’aux nouveaux prêts de cette dernière aux banques.

Afin d’atteindre les objectifs en matière d’énergies renouvelables, le gouvernement français devra trouver des solutions non seulement financières, mais aussi technologiques, qui offrent le meilleur rapport coût-efficacité, et veiller au respect des nouvelles règles édictées au mois de mai en matière d’aides d’État à l’énergie.

Il conviendrait également qu’il envisage des solutions alternatives en matière d’énergies renouvelables, notamment via des interconnexions avec les pays voisins, en particulier l’Espagne. La Commission a publié en novembre dernier un document définissant des orientations en vue du recours à des mécanismes de coopération pour les énergies renouvelables, qui pourraient s’avérer utiles. Elle considère que les interconnexions sont l’un des moyens les plus efficaces pour unifier le marché européen, le rendre plus compétitif dans l’intérêt des consommateurs et accroître la sécurité des approvisionnements.

Ces interconnexions permettraient à la France d’accéder aux énergies renouvelables à des prix plus bas. Dans la stratégie présentée au printemps, la Commission a proposé un objectif d’interconnexion de 15 %, dans la ligne de celui de 10 % adopté à Barcelone en 2002. L’Espagne et le Portugal sont fortement attachés à cet objectif, car ces pays constituent actuellement une « île » énergétique. En annexe du même document, la Commission a présenté deux projets d’interconnexion, l’un pour le gaz, l’autre pour l’électricité, entre la France et l’Espagne. Mes collègues de la DG Énergie ont pris l’initiative d’organiser cet été des rencontres de haut niveau avec les gestionnaires de réseau.

La Commission se félicite des dispositions prévues par le projet de loi français en matière d’hydroélectricité. Nous veillerons à ce qu’elles soient suivies d’effets.

Par ailleurs, la Commission a été très heureuse de voir que le Conseil européen du mois de juin entendait parvenir, d’ici à sa réunion d’octobre, à un accord sur les objectifs pour 2030, en ligne avec nos objectifs climatiques pour 2050. Le but final est de parvenir à une position forte et unie de l’Europe en vue d’un accord à la Conférence Paris Climat 2015, dite COP 21, en décembre 2015. Nous comptons sur le soutien actif de la France pour convaincre ses partenaires européens, dont certains, telle la Pologne, sont encore réticents. Nous y travaillons dans le cadre de réunions de sherpas. Il faut que nos objectifs soient approuvés le plus tôt possible, notamment en vue du sommet organisé par M. Ban Ki Moon, secrétaire général des Nations unies, en septembre.

Au-delà des aspects climatiques, nous devons poursuivre nos efforts pour que l’accord du Conseil européen d’octobre comporte des objectifs ambitieux sur l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Les objectifs proposés par la Commission pour 2030 sont les suivants : moins 40 % de CO2, 27 % d’énergies renouvelables, 30 % d’efficacité énergétique en plus. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement français a inscrit dans son projet de loi des objectifs aussi ambitieux, voire plus ambitieux encore dans le cas des renouvelables.

Nous avons relevé en particulier le volontarisme de la France quant au développement de la chaleur renouvelable. L’idée de concentrer les efforts sur la rénovation thermique des bâtiments est conforme à l’analyse de la Commission, qui considère qu’il s’agit probablement du secteur le plus porteur.

M. le président François Brottes. Nous sommes très sensibles à votre attention aux concessions hydrauliques. Vous nous direz comment cela se passe dans les autres pays, tous exemplaires dans ce domaine, bien évidemment…

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Nous avons entendu avec une grande satisfaction que vous considériez notre projet de loi comme ambitieux. Quel regard portez-vous sur la réforme du soutien au développement des énergies renouvelables, à savoir sur le complément de rémunération ? J’ai cru comprendre qu’une action sur les prêts, donc sur l’investissement, vous paraissait la plus pertinente. Par ailleurs, quelles contraintes nous opposera demain la Commission européenne sur les mécanismes d’obligation d’achat ?

Vous vous réjouissez des possibilités ouvertes par le texte en matière d’hydroélectricité. Laquelle retient le plus votre attention ? La Commission entend-elle que le système électrique français repose sur un équilibre particulier, voire unique, eu égard à sa capacité de stockage hydraulique, et que la France a besoin d’une hydroélectricité forte pour développer les renouvelables, énergies intermittentes qui requièrent en tant que telles d’importantes capacités de stockage ? Ne devons-nous pas sécuriser ce dispositif, dès lors que sa déstabilisation nous empêcherait d’atteindre nos objectifs ambitieux ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le projet de loi prévoit la création de budgets carbone : la France se fixe ainsi, pour une période de quinze ans, avec des possibilités de révision tous les cinq ans, un niveau maximum d’émissions, réparties entre les différentes activités. Cela vous paraît-il pertinent pour atteindre les objectifs européens ? Ce dispositif inclut par ailleurs une valeur « tutélaire » du carbone : est-ce, selon vous, un objectif intéressant ?

Les marchés spot de l’électricité fixant des prix bas, toute nouvelle installation de production électrique est non rentable. Cela ne contribue pas à sécuriser la production pendant la pointe ou à développer des cycles combinés gaz. La Commission européenne prévoit-elle de mettre la question du marché de l’électricité de nouveau sur la table ?

Quelle est la doctrine de la Commission concernant les aides d’État aux centrales nucléaires ? Il semblerait que, de l’autre côté de la Manche, des aides considérables soient envisagées pour la construction de nouveaux réacteurs…

M. le président François Brottes. Vous poserez la même question sur l’éolien, j’imagine.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. La doctrine sur l’éolien est connue. Les énergies renouvelables étant les énergies de l’avenir, il est normal que nous les soutenions.

S’agissant de la maîtrise énergétique, quel contrôle la Commission exerce-t-elle sur les déclarations des États, leur sincérité ? Des écarts peuvent exister entre ce qui est envoyé à la Commission et la réalité.

Enfin, comme l’a rappelé le président Brottes, la situation de notre pays est particulière. Nous avons une entreprise intégrée, EDF, avec des filiales chargées du transport et de la distribution. Quelle est la doctrine de la Commission sur cette situation atypique ? Une telle filialisation est de nature à faire obstacle à des investissements pertinents, les distributeurs pouvant être davantage soucieux des intérêts de la maison mère que des besoins de distribution.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Outre-mer, nous sommes des femmes et des hommes non interconnectés. Du fait de notre situation insulaire, nous devons nous suffire à nous-mêmes, et identifier les ressources, les stratégies, les gouvernances qui nous permettent de porter la transition énergétique. Quel est votre point de vue sur la situation de ces zones non interconnectées (ZNI) ? Bien qu’elle ne soit pas une île, la Guyane en fait également partie, car elle aussi se suffit à elle-même. Nos zones présentent des coûts d’approvisionnement importants, de même que des coûts liés à une énergie très carbonée, avec le fioul, et connaissent des retards de structuration, de filières, de réseaux. L’Europe a adopté pour ces régions ultrapériphériques (RUP) des approches spécifiques, sous forme d’aides. Celles-ci seront-elles confirmées ?

Enfin, comme Denis Baupin, je pense qu’il faut évaluer les efforts consentis pour atteindre les objectifs. Ces derniers sont très hauts, et les moyens, comme la gouvernance, encore un peu timides sur certains territoires.

M. Julien Aubert. Ma première question a trait au dispositif allemand d’aides aux entreprises énergo-intensives. Est-il dans le collimateur de la Commission européenne ? Dans la mesure où nous réfléchissons à un dispositif semblable, il serait bon de savoir s’il existe un risque juridique.

Dans le nouveau « paquet énergie climat », le seul objectif contraignant est désormais l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Celui en matière d’énergies vertes semble en revanche avoir disparu. Comme il est présent dans le projet de loi, je souhaiterais savoir s’il fait encore partie des contraintes prévues au plan européen pour les États membres.

Par ailleurs, étant donné que certains défendent l’idée de modifier le statut d’Électricité Réseau Distribution France (ERDF), le projet de mise en concurrence de la distribution est-il encore d’actualité ?

Le projet du Gouvernement limite la capacité nucléaire de la France à ce qu’elle est aujourd’hui. Or cette capacité résulte de l’activité d’un seul opérateur. Comme de nouvelles capacités ne pourront être créées que si des centrales sont fermées, cela signifie que, si un nouvel acteur souhaitait entrer sur le marché français, il devrait demander à son concurrent, EDF, de fermer une centrale. Je doute qu’EDF soit enchantée par la perspective de supporter le coût d’une indemnisation tout en ouvrant la porte à un concurrent. Y a-t-il, au plan juridique, un risque de voir cette confirmation du monopole d’EDF geler la situation de la production française ?

M. Jean-Yves Caullet. Nous avons reçu hier des représentants des dirigeants d’entreprise, qui nous ont alertés sur l’importance de l’interconnexion pour leur compétitivité. Pensez-vous que la progression de l’interconnexion puisse être l’une des prémices à l’harmonisation des conditions de mise à disposition de l’énergie, qui serait, comme l’harmonisation fiscale et sociale, un objectif à long terme de l’Europe ?

Notre projet de loi est assez ambitieux en matière d’habitat. Connaissez-vous des exemples de politiques réussies, dont nous pourrions nous inspirer ? Je sais que la Grande-Bretagne a lancé il y a quelques années des tiers financements ; cela fonctionne-t-il ?

Nous estimons à 60 % les besoins énergétiques pouvant être assurés à terme par la biomasse. Dans la biomasse, il y a la forêt. Paradoxalement, le renouvellement de la ressource forestière n’est pas assuré, du fait que l’exportation de bois non transformé ne fait l’objet, en Europe, d’aucune politique particulière. L’Europe perd ainsi l’écoproduit de ses bois et la valeur ajoutée de la transformation. Ne vous paraîtrait-il pas utile, quand cette matière première est exportée sans transformation, qu’elle acquitte aux frontières de l’Europe une cotisation modique permettant sa reconstitution ? Certains pays tiers ont, avec la brutalité qui les caractérise parfois, interdit l’exportation de bois non transformé. La forêt est une source d’énergie, une source de matériaux renouvelables. L’Europe s’est faite sur un matériau, l’acier, et une énergie, le charbon : il serait juste qu’elle continue dans le domaine forestier.

M. Christophe Premat. La Commission européenne a publié en juillet 2014 un document sur la question des déchets et l’économie circulaire, abordée au titre IV du projet de loi. Le plan déchets 2014-2025 décline plusieurs modalités pour favoriser l’économie circulaire. Pensez-vous que le titre IV du projet soit suffisant pour respecter ce plan ? En Europe du Nord, la combustion des déchets et la consignation des bouteilles sont bien plus avancées.

Le même plan fait référence à une initiative « Emplois verts » en vue de favoriser l’émergence de PME dans le secteur de la transition énergétique. Pensez-vous que le projet de loi soit pertinent à cet égard ?

M. le président François Brottes. Que pensez-vous également, madame la directrice, de la magnifique réussite du marché du carbone au sein de l’Union européenne, si je peux me permettre de poser cette question perfide ? (Sourires.)

Mme Anne Houtman. Tout le monde reconnaît que l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est le dysfonctionnement du marché du carbone. Le prix ne fournit pas une incitation suffisante pour que les investissements aient lieu là où ils permettraient d’atteindre les objectifs climatiques. C’est aussi pour cette raison que la Commission a mis sur la table, en même temps que des objectifs d’émission de gaz à effet de serre, une proposition pour établir à partir de 2020 une réserve de marché. Avant cette date, nous avons tenté de différer une partie des droits, mais cela n’a pas pleinement résolu le problème. Pour la période après 2020, nous espérons que ce mécanisme de réserve de marché permettra des corrections quand le marché est défaillant.

Cela renvoie à la question de la cohérence des objectifs entre eux. Nous avons travaillé à des modèles permettant que la poursuite des objectifs quant aux renouvelables et à l’efficacité énergétique ne mette pas à mal le système d’échanges de droits d’émission.

Le complément de rémunération entre dans le cadre des aides d’État aux énergies renouvelables. Rappelons les principes généraux qui s’appliquent à toutes les aides d’État. Tout d’abord, il faut que l’État démontre que le marché ne conduit pas aux objectifs souhaités et que son intervention financière est par conséquent indispensable. Ensuite, cette intervention ne doit jamais aller au-delà du nécessaire : elle doit être proportionnée et ne pas dépasser la différence entre les coûts réels et les coûts de marché. L’existence de surcompensations par le passé est l’une des raisons pour lesquelles les prix de l’énergie ont fortement augmenté : les systèmes de taxes, contributions et aides mis en place ont été trop coûteux. En outre, au fur et à mesure que les technologies deviennent meilleur marché, il convient d’ajuster les subventions.

Je ne pense pas qu’il y ait de problème s’agissant des obligations d’achat. Je m’en assurerai.

S’agissant de l’hydroélectricité, nous sommes conscients que c’est à la fois une façon de produire de l’électricité – elle représente 40 % de l’électricité renouvelable en France : c’est le taux européen le plus élevé – et un moyen de stockage permettant de résoudre le problème de l’intermittence des énergies renouvelables. Un État membre peut toujours imposer des obligations de service public aux opérateurs. L’ouverture de la gestion des concessions d’hydroélectricité n’empêche pas l’État d’imposer aux gestionnaires, quels qu’ils soient, des contraintes dans le sens des objectifs politiques en matière de stockage ou de renouvelables.

M. le président François Brottes. Contraindre coûte parfois très cher. Celui à qui on fait obligation le fait payer.

Mme Anne Houtman. De ce point de vue, l’opérateur historique est dans la même situation que les autres. Il existe peut-être des opérateurs capables de gérer une centrale à un coût meilleur pour la collectivité que celui d’EDF. L’ouverture à la concurrence ne vise pas à empêcher EDF d’être gestionnaire mais de donner la possibilité à d’autres, s’ils sont meilleurs, d’assurer cette gestion. Si, lors d’un appel d’offres, EDF est le meilleur offrant, c’est cette société qui sera retenue, dans la plus parfaite légalité européenne.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Pouvez-vous nous donner un exemple de pays européen ayant mis en place une concurrence telle que vous la demandez ? Il s’agit de la question de la réciprocité.

Mme Anne Houtman. Je m’en informerai, mais il ne s’agit justement pas de réciprocité : la réciprocité est le contraire même de la logique du marché intérieur et du droit européen. Le fait qu’un autre État membre se trouve en infraction ne rend pas moins grave celle éventuellement commise par la France. Le gouvernement français, en 2002 ou 2003, avait pris des engagements, assortis d’un calendrier ; sur cette base, nous avons retiré la procédure d’infraction, mais ces engagements n’ont jamais été tenus. Les nouvelles règles sur les concessions permettent de respecter l’intérêt général dans les États membres. Michel Barnier a tenu à s’en assurer.

M. le président François Brottes. Les modèles sont différents. L’obligation de mise en concurrence ne s’impose pas, je crois, en Allemagne, qui a un autre régime juridique que nous. Les voies de contournement sont nombreuses.

Je note que des engagements ont été pris en 2003. J’avais pourtant cru comprendre qu’il n’y en avait pas eu…

Mme Anne Houtman. Pour le carbone, il existe deux marchés, dont l’un est soumis au système d’échanges de quotas. Dans ce système, les droits sont mis aux enchères, ce qui est incompatible avec une fixation de limites au niveau européen.

Tout le monde à la Commission européenne reconnaît que le marché de l’électricité fonctionne mal, et ce parce qu’il n’est pas encore vraiment intégré et que les outils de la coopération entre États fait défaut. C’est ce que nous essayons d’améliorer dans les forums dédiés à ces questions. La carte européenne des prix de l’électricité montre des différences énormes, qui n’existeraient pas si un véritable marché intérieur de l’électricité fonctionnait. Un opérateur rationnel constatant qu’il peut vendre plus cher dans un État voisin devrait être incité par là-même à financer des interconnexions. Cette question des interconnexions est intimement liée à celle du marché intérieur.

Il n’existe pas de règles spécifiques concernant les aides au nucléaire. Je suppose que M. le rapporteur fait référence au dossier Hinkley Point. Nous avons ouvert une procédure, pour permettre à toutes les parties de nous présenter leurs observations. Le dossier est complexe : il s’agit d’examiner le mécanisme de compensation prévu, qui se situe à la croisée de deux systèmes que nous connaissons, et de vérifier les conditions qu’offrirait le marché pour des prêts dans ce genre d’investissements à très long terme. Nous ne sommes pas encore parvenus à une position définitive.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le nucléaire n’est donc pas bon marché ?

Mme Anne Houtman. Les nouvelles centrales ne sont pas bon marché, en effet, et il existe en outre de nombreuses incertitudes sur l’avenir. En élaborant la feuille de route pour 2050, nous avons bien vu combien il est difficile de faire des hypothèses sur le prix des énergies à long terme.

M. le président François Brottes. Je me suis toujours demandé comment l’Europe pouvait prétendre réguler la production d’énergie alors que nous sommes si dépendants du pétrole et du gaz extérieurs. Si les marchés du pétrole et du gaz étaient régulés, cela se saurait. Il y a là, me semble-t-il, une forme de naïveté.

Mme Anne Houtman. Ce n’est pas vraiment le cas. Dans les prix de l’électricité et du gaz, il faut distinguer le prix de la production et les autres prix : utilisation des réseaux, distribution, taxes et contributions. Nous avons publié, au mois de janvier, une étude sur les coûts et les prix de l’énergie : la différence de coûts n’a pas tant pour origine les coûts de gros que les coûts de détail. Ce sont surtout les coûts d’accès au réseau, les coûts de commercialisation, ainsi que les taxes et contributions qui ont fait monter les prix. Nous ne régulons pas les coûts de gros, sur lesquels nous avons en effet peu de prise dans la mesure où nous dépendons de pays exportateurs, mais nous pouvons diminuer les autres prix.

Cela m’amène à la question centrale du signal de prix. D’un côté, nous voulons l’efficacité énergétique, laquelle pourrait être obtenue par un prix élevé, mais, de l’autre, nous voulons comprimer les prix pour que les consommateurs et l’industrie ne souffrent pas. Tout ce qui peut l’être doit être comprimé, notamment par une plus grande efficacité du transport, de la distribution, de la commercialisation, des subventions. Mais nous prenons aussi des mesures d’efficacité énergétique, telles que la promotion de l’écoconception, afin d’obliger les opérateurs à retirer du marché les produits les moins efficaces, et de l’étiquetage, pour permettre aux consommateurs de choisir des produits en tenant compte non seulement du prix d’achat mais aussi de l’efficacité énergétique. Les industriels sont beaucoup plus sensibles à cette donnée : en Europe, ils ont accompli de grands progrès en matière d’efficacité énergétique, alors que le consommateur individuel a encore tendance à choisir en fonction du seul prix d’achat. On se moque souvent de la Commission quand elle demande de retirer des aspirateurs du marché, mais nous avons besoin de telles mesures, car le consommateur n’a pas toujours une vision à suffisamment long terme.

La directive sur l’efficacité énergétique prévoit que les États membres soumettent à la Commission des plans assez détaillés, dans lesquels ils avancent leurs estimations des gains potentiels de chaque mesure. Nous vérifions si les États sont sur la bonne trajectoire pour atteindre les objectifs. En matière d’efficacité énergétique, ces objectifs ne sont pas contraignants, contrairement aux objectifs de renouvelables de la directive ; il ne peut donc y avoir de procédure d’infraction. Il s’agit d’un processus de nature politique. Malheureusement, on sait que, souvent, les États ne respectent pas leurs engagements. Le rôle de la Commission est de les leur rappeler et de tenter de les convaincre ; elle n’a pas d’autres armes.

La séparation de la production, du transport et de la distribution d’énergie est une obligation aux termes du troisième « paquet énergie ». Cela s’applique d’ailleurs à d’autres opérateurs, notamment à l’opérateur du gaz russe. Cela a été très controversé. Nous sommes actuellement au stade du dialogue avec les États membres. Des procédures d’infraction pourraient être lancées si mes collègues considéraient que le troisième paquet n’est pas respecté.

L’outre-mer, et en particulier les régions ultrapériphériques, bénéficient, en raison des handicaps liés à leur isolement, de financements et d’avantages prévus par la législation européenne. La Commission étant consciente des coûts supplémentaires occasionnés par l’isolement, elle encourage, quand c’est possible, les interconnexions, et, quand c’est impossible, elle autorise des compensations, soutenues par des budgets européens spécifiques.

S’agissant des aides allemandes aux entreprises électro-intensives, je pense qu’il y a une procédure en cours ; je le vérifierai.

Le renouvelable n’a pas disparu : nous avons proposé un objectif de 27 % contraignant au niveau européen. La différence avec la période précédente, c’est que l’objectif n’est pas contraignant au niveau des États membres. Il s’agit d’un système d’indicateurs et de gouvernance sur la base duquel la Commission entrera en dialogue avec chaque État pour les encourager à contribuer. Nous verrons, au Conseil européen, si les États sont unanimes sur cet objectif de 27 %. Ils doivent se montrer cohérents.

M. Julien Aubert. Dans ces négociations avec les États, l’effort demandé sera-t-il pondéré en fonction du niveau des émissions ? Considérerez-vous qu’un pays comme la France, qui dégage déjà beaucoup moins de gaz à effets de serre que d’autres, peut se voir demander moins d’efforts ?

Mme Anne Houtman. Nous avons demandé par le passé aux États membres quelle était leur offre, en fonction de leur potentiel. Certains ont un potentiel supérieur, mais le critère n’est pas le niveau d’émission de CO2.

M. Julien Aubert. On ne récompense pas les plus vertueux !

Mme Anne Houtman. L’objectif du projet de loi français est supérieur à celui proposé par la Commission, mais la France ne fait pas partie des premiers États membres au regard du renouvelable, notamment parce qu’elle atteint ses objectifs en matière de CO2 grâce au nucléaire.

M. le président François Brottes. La France pourrait-elle vendre à d’autres pays des droits à polluer ?

Mme Anne Houtman. Le système d’échanges ETS est destiné à le permettre, mais pour le carbone, non pour les énergies renouvelables. Une possibilité pour atteindre des objectifs ambitieux en termes de consommation de renouvelables serait d’en acheter moins cher, par exemple à l’Espagne, qui a des surcapacités dans le domaine. Toute la logique des interconnexions est de permettre d’atteindre les objectifs en matière de renouvelables, avec le meilleur rapport coût-bénéfice.

Une limitation de la capacité du nucléaire, dans un contexte de monopole de la production, est de nature à créer des doutes sur la compatibilité avec le marché intérieur, puisque cela peut représenter, au moins à court terme, un obstacle pour les nouveaux entrants. Le principe du traité, c’est que les États membres ont une compétence exclusive sur le choix de leur bouquet énergétique. Ainsi, les Allemands ont librement choisi de supprimer à terme le nucléaire. Nous aurions cependant souhaité qu’ils se concertent avec leurs partenaires, et, dans le cadre du semestre européen, nous le leur avons dit. À plus long terme, toutefois, la question ne se pose pas, car des centrales vont devenir obsolètes, ce qui créera des opportunités pour de nouveaux entrants.

M. Julien Aubert. Pourrez-vous nous fournir des éléments complémentaires d’analyse par écrit ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Si vous regrettez, madame, que l’Allemagne ne se soit pas concertée avec ses voisins sur la suppression du nucléaire, j’imagine que vous regrettez aussi que la France ne l’ait pas fait avant de décider de rester à un tel niveau de nucléaire ?

Mme Anne Houtman. Comme je l’ai dit au tout début de mon intervention, il serait souhaitable que la France communique avec ses partenaires européens sur son projet de loi. Pour qu’il y ait une politique européenne plus cohérente, une véritable Union européenne de l’énergie, il faut que les États acceptent de collaborer. L’interdépendance est évidente ; elle permettrait de faire baisser les prix et rendrait possible une solidarité en cas de problèmes. La crise ukrainienne a rendu cruciale cette question de la solidarité. Pour certains États membres, c’est absolument vital, en raison de leur dépendance. Nous avons obtenu des droits de passage entre la Slovaquie et l’Ukraine, nous avons pris des mesures de stockage d’urgence… Les interconnexions ont joué un rôle important.

M. le président François Brottes. Le choix du nucléaire en France, monsieur le rapporteur, a été décidé quelque peu avant l’adoption des directives européennes en matière d’énergie, alors que la décision allemande est intervenue après…

La France est la seule République à avoir créé l’ARENH (Sourires), l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui impose à l’opérateur unique de partager avec les autres opérateurs. C’est le moyen qu’a imaginé notre pays pour qu’il existe une concurrence dans ce domaine.

Mme Anne Houtman. Une meilleure interconnexion, monsieur Caullet, devrait conduire à une plus grande convergence des prix. Ceux qui peuvent produire à meilleur marché devraient pouvoir exporter, ce qui ferait baisser les prix dans les autres États.

Je me renseignerai sur des exemples de politiques réussies en matière d’habitat, mais je ne risque pas trop de me tromper en disant que les pays nordiques en font partie.

Sur la question de la biomasse et des forêts, j’utilise mon joker. Pourquoi le prix du renouvellement de la ressource ne se trouve-t-il pas déjà inclus dans le prix de vente ? L’exploitant d’une forêt devrait logiquement considérer qu’une partie de sa structure de coûts a vocation à être consacrée au renouvellement de la ressource. Si ce n’est pas le cas, si le marché ne fonctionne pas bien, il est toujours possible de prévoir des obligations de service public. Rien, dans le droit européen, n’empêche un État membre d’imposer aux exploitants de forêt une obligation de renouvellement.

M. Jean-Yves Caullet. Cela existe déjà : dans la plupart des pays européens, l’exploitation ne doit pas conduire à la déforestation. Simplement, nous nous comportons, au plan européen, comme un pays en voie de développement qui vend sa ressource, sans transformation, sans valeur ajoutée, en perdant l’écoproduit. Si nous étions producteurs de pétrole, nous nous poserions la question de savoir s’il n’est pas plus pertinent de raffiner et de consommer le pétrole chez nous plutôt que de le vendre dans l’hémisphère sud.

Mme Anne Houtman. J’avais cru comprendre que votre question portait sur la compatibilité d’une contribution au renouvellement avec le droit européen, mais vous parlez de politique industrielle.

J’utilise un second joker sur la question de l’économie circulaire, car je n’ai pas analysé le texte assez en détail pour savoir si les mesures sont suffisantes. Elles me semblent à première vue en ligne avec la politique européenne, et je ne prévois donc pas de difficulté.

M. le président François Brottes. Merci, madame la directrice, d’avoir éclairé nos débats sur le texte français relatif à la transition énergétique.

11. Présentation, ouverte à la presse, commune avec la Commission des affaires économiques, du rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer (Mme Ericka Bareigts et M. Daniel Fasquelle, rapporteurs)

(Séance du mercredi 17 septembre 2014)

M. le président François Brottes. La commission des affaires économiques a été à l’origine de la désignation, au sein du collège composant la Commission de régulation de l’énergie (CRE), d’un membre nommé « en raison de sa connaissance et de son expérience des zones non interconnectées ». Elle estimait que ces territoires n’étaient pas assez pris en compte, et je m’en étais ouvert à l’époque au ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel. Plus récemment, Mme George Pau-Langevin, actuellement en charge de ce département ministériel, m’a fait part de sa détresse devant l’inadaptation des dispositifs existants pour réguler les mix énergétiques dans les zones non interconnectées (ZNI). Je remercie en conséquence Mme Éricka Bareigts et M. Daniel Fasquelle de s’être penchés sur ce délicat sujet.

Je salue la présence parmi nous du président de la délégation de l’Assemblée nationale aux outre-mer, M. Jean-Claude Fruteau. Au nom de cette délégation, M. Serge Letchimy a présenté la semaine dernière un rapport d’information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour information au nom de la commission des affaires économiques, et rapporteure de la commission spéciale pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Les élus des territoires ultramarins que nous avons rencontrés lors de nos visites considèrent que les procédures selon lesquelles l’État mène sa politique énergétique nationale sur l’ensemble du territoire ne sont pas adaptées aux spécificités des outre-mer. Les producteurs d’énergies renouvelables seraient notamment exclus de fait des appels d’offre pilotés par la CRE, alors même que les projets proposés sont soutenus au niveau local et constituent des enjeux économiques, sociaux et environnementaux pour les territoires concernés.

Pour mener notre mission à bien, nous avons décidé de repartir de zéro pour explorer un terrain qui n’avait finalement jamais fait l’objet d’investigations objectives et approfondies. Les discussions sur le sujet demeurent en effet généralement superficielles et s’appuient sur deux idées préconçues : la péréquation tarifaire pour les outre-mer coûterait cher, et les outre-mer devraient constituer des laboratoires accueillant des expérimentations par filière.

Nous nous sommes d’abord interrogés sur le mix énergétique des outre-mer et sur ses spécificités, pour savoir vers quel équilibre il était souhaitable de tendre. Nous avons aussi choisi une approche économique, en abordant notamment la question de la péréquation tarifaire pour les ZNI, et nous avons réfléchi aux meilleures solutions susceptibles de permettre l’adéquation entre les objectifs de politique énergétique locale et les financements.

Nos travaux ont débuté à Paris le 11 juin dernier, mais c’est en nous rendant, au mois de juillet, en Guyane, à la Martinique, en Guadeloupe, à Mayotte et à La Réunion que nous avons pu comprendre les enjeux de ce dossier. Sur ces territoires, même si elle est aujourd’hui au point mort, la transition énergétique est une nécessité. Nous vous ferons des propositions pour faire sauter quelques-uns des verrous que nous avons identifiés.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur pour information au nom de la commission des affaires économiques. Je tiens à rendre hommage à Mme Éricka Bareigts, qui a accompli l’essentiel du travail sur ce rapport d’information.

Trois facteurs concourent à faire des outre-mer un territoire privilégié de la transition énergétique.

Les spécificités de l’approvisionnement de ces territoires en énergie constituent un premier facteur. En effet, cet approvisionnement n’est ni sécurisé ni garanti à tous les citoyens.

Tous les territoires d’outre-mer comptent plus de 80 % d'énergies fossiles dans leur mix énergétique primaire – les deux cas les plus extrêmes étant la Guyane avec 82 % d’énergies fossiles, et Mayotte avec 99 %. Contrairement à la France métropolitaine, où le nucléaire représente 75 % du mix électrique, les produits pétroliers et le charbon constituent en outre-mer la principale source de production d'électricité. Cette situation fragilise ces territoires en les rendant dépendants d'un approvisionnement extérieur, et en les exposant à une hausse du prix des produits pétroliers.

Les outre-mer font également face à une qualité dégradée de l’alimentation électrique, liée à des contraintes physiques spécifiques mais aussi à un réseau moins dense qu’en métropole. Le temps moyen de coupure annuel en témoigne : entre 2008 et 2013, il était d’environ quatre-vingts minutes en métropole, contre deux cent cinquante à La Réunion, trois cent vingt en Guyane, cinq cent cinquante en Guadeloupe et sept cents à la Martinique. En matière de qualité de l'électricité, il existe un fossé entre les outre-mer et l’Hexagone. La mission d'information en a d'ailleurs fait l'expérience directe, puisque la Martinique a connu un black-out le jour même de notre arrivée à Fort-de-France.

La situation est particulièrement grave dans les communes de l'intérieur de la Guyane, car 80 000 citoyens français habitant le long des deux fleuves frontaliers ne peuvent pas être raccordés au réseau. Les habitants des bourgs-centres sont alimentés en électricité par des micro-centrales thermiques incapables de répondre à des demandes trop fortes, ce qui rend impossible le développement d’une activité économique sur place et l’acquisition par les ménages d’équipements de confort standard. Le fonctionnement de ces micro-centrales assuré par EDF coûte très cher. Quant aux habitants des « écarts », groupements d'habitations dispersés le long des deux fleuves frontaliers, ils doivent prendre en charge eux-mêmes la production d'électricité en achetant à des prix élevés des groupes électrogènes et le carburant nécessaire. La situation, déjà critique, devrait s'aggraver dans les prochaines années sous l'effet d'une croissance démographique annuelle de l'ordre de 10 %. Près de 250 000 de nos concitoyens risquent d’ici à quelques années d’être privés d’un accès normal à l’électricité.

Un deuxième facteur justifie l'importance de la transition énergétique dans les outre-mer : le mix électrique de ces départements et régions est très carboné, malgré des gisements renouvelables importants et des acteurs locaux dynamiques La production électrique dans les outre-mer est fortement émettrice de gaz à effet de serre en raison du poids des produits pétroliers et du charbon. En 2011, les émissions de CO2 issues de la production électrique étaient de 90 grammes de CO2 par kilowattheure en France métropolitaine et, en moyenne, de 340 grammes en Europe. Si, en Guyane, ces émissions se situent légèrement au-dessus de cette moyenne, à 360 grammes/KWh grâce au fonctionnement du barrage de Petit-Saut, elles la dépassent très largement dans les autres territoires : 670 grammes à la Martinique, 680 à Mayotte, 750 à La Réunion, et 800 en Guadeloupe. Dans ces deux derniers territoires, la production à base de charbon explique ces chiffres très élevés.

Pourtant, les gisements d'énergies renouvelables représentent un potentiel important et diversifié. Toutes les filières sont présentes : hydroélectricité, éolien, photovoltaïque, géothermie, biomasse. Plusieurs filières d'avenir pourraient également trouver un terrain de développement privilégié dans les outre-mer, comme le sea water air conditioning (SWAC) à La Réunion. Leur développement repose sur l'implantation d'acteurs spécialisés et dynamiques, qui pourraient exporter leurs procédés sur des territoires aux caractéristiques similaires. Les territoires insulaires tropicaux d’Asie du Sud-Est ou de la Caraïbe représentent un marché porteur de plusieurs centaines de millions de consommateurs.

Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Un troisième facteur justifie que les outre-mer soient le territoire privilégié de la transition énergétique : sans réorientation du mix énergétique, le coût du système est amené à croître.

En raison des conditions d’approvisionnement, et parce que la production est assurée majoritairement par des centrales thermiques au charbon et au fioul, le mix électrique en outre-mer est très onéreux. Les coûts de production d’Électricité de Mayotte (EDM) sont huit fois plus élevés que ceux d’EDF. Le tarif réglementé de vente à Mayotte s’élève à 43 euros le mégawattheure alors, que le coût de production d’EDM est de 347 euros. De tels surcoûts ne peuvent évidemment être supportés par les seules populations. Ils justifient la mise en place d’une péréquation tarifaire. Il ne faut surtout pas oublier que ce dispositif existe sur l’ensemble du territoire français et qu’il ne bénéficie pas aux seuls Ultramarins. L’identification de la dépense de péréquation des ZNI dans une comptabilité séparée explique peut-être la croyance répandue que l’outre-mer profite seule du dispositif.

La péréquation prend toutefois une importance particulière pour l’outre-mer. D’abord parce que les différences de coûts s’expliquent aussi par le retard des politiques d’électrification de nos territoires. Depuis 1936, époque à laquelle nous n’étions que des colonies françaises, les collectivités métropolitaines ont bénéficié des concours financiers du fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE) pour construire le réseau de distribution performant qui existe aujourd’hui. Ensuite, la « vie chère » est une réalité des outre-mer qui rend nécessaire la péréquation. Enfin, elle est favorable à l’activité économique locale confrontée à une concurrence des territoires voisins.

La péréquation n’est évidemment pas sans effet sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Certains propos laissent penser que l’explosion des montants annuels de CSPE pesant sur les consommateurs s’expliquerait par l’influence de la péréquation qui pousserait l’outre-mer à la surconsommation. Nous avons voulu mettre ces assertions à l’épreuve des faits, et nous avons constaté que les consommateurs d’outre-mer étaient les plus sobres de France. Alors que l’habitant de l’Hexagone consomme en moyenne 6,84 mégawattheures, celui de Martinique en consomme 3,63, celui de Guadeloupe 4,27. Évidemment, ces chiffres s’expliquent aussi par le fait que nous n’avons pas d’hiver. Il n’en demeure pas moins que la surconsommation supposée des Ultramarins est un mythe.

Dans ces conditions, comment expliquer la progression de la CSPE ? Deux éléments ont joué un rôle. La « bulle photovoltaïque » de 2010, avec des tarifs d’achat très élevés pour l’électricité de la filière, a été à l’origine d’un parc pléthorique générant aujourd’hui une dépense très importante. Si l’on n’en tenait pas compte, l’augmentation de la CSPE resterait très raisonnable. La dérive de la CSPE s’explique par ailleurs par la hausse du coût de production des centrales EDF, notamment des centrales thermiques, dans une période de reprise des investissements. Trois centrales thermiques sont entrées ou entreront en service entre 2012 et 2014 : Port Est à La Réunion, Bellefontaine à la Martinique, et Pointe-Jarry en Guadeloupe. La filialisation progressive de l’activité de production d’EDF SEI – SEI pour systèmes énergétiques insulaires – a entraîné un recul de la production qu’elle assure en propre alors même que ses coûts de production augmentaient dans les ZNI de 8,3 % en 2013, mais de 18 % en 2014. Le modèle mis en place sur nos territoires est donc en cause. Il nous faut sortir de ce système qui est loin d’être vertueux.

Pour dépasser ces contraintes, nous devons évoluer vers un nouveau modèle énergétique. À l’enjeu de sécurité d’approvisionnement et de sécurité énergétique pour l’outre-mer s’ajoute l’enjeu environnemental. Le développement de nouvelles sources de production locales permettrait de diversifier l’approvisionnement. Les outre-mer ne peuvent continuer à présenter un bilan carbone de leur production électrique aussi dégradé.

Le développement des énergies renouvelables ne nécessitera qu’un investissement relativement faible, et il contribuera à réaliser des économies de CSPE en diminuant le coût moyen de l’électricité outre-mer. En raison du coût de production élevé des centrales thermiques classiques, toutes les énergies renouvelables sont déjà parvenues à la « parité réseau ». Pendant une période transitoire, il faudra cependant financer à la fois les centrales thermiques classiques, les nouveaux investissements, et le coût de la transition, ce qui sera évidemment assez lourd.

Nous sommes aujourd’hui au point mort parce que la politique énergétique dans les outre-mer est victime de dispositifs nationaux inadaptés ou inappliqués, et de prises de décisions lointaines.

Il est inadmissible de constater que des citoyens français n’ont pas accès à l’électricité sur leur propre territoire ou qu’ils doivent pour cela acheter eux-mêmes le fioul et les groupes électrogènes nécessaires, comme dans les « écarts » de Guyane déjà évoqués. Les communes de Guyane sont aujourd’hui livrées à elles-mêmes face à l’immense tâche de l’électrification de l’intérieur de la région sans disposer des moyens financiers d’assumer une telle charge. Le dispositif FACÉ permet seulement d’entretenir les lignes existantes mais pas de tisser un réseau qui n’existe pas en Guyane. L’enveloppe FACÉ reçue par la Guyane en 2014 n’est de toute façon que de 1,3 million d’euros sur un total national de 370 millions, alors que les problèmes de ce territoire sont immenses. Nous ne pouvons pas laisser plus de 200 000 Français hors du droit commun électrique.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. L’inadaptation des dispositifs nationaux et le caractère trop lointain des décisions concernent aussi les énergies renouvelables (ENR).

Alors qu’aucune éolienne n'a été raccordée au réseau depuis 2010, le taux de croissance du photovoltaïque est nul dans les outre-mer en 2014, et aucun appel d'offres n’a été remporté par un projet ultramarin depuis 2012.

Cette situation s'explique par un cumul d’obstacles. Les nouvelles installations se voient tout d’abord appliquer le « seuil des 30 % ». Lorsque les ENR intermittentes représentent plus de 30 % de l'énergie instantanée sur le réseau, le gestionnaire de réseau peut les déconnecter. Une telle règle les empêche de trouver un financement auprès des banques faute de recettes prévisibles et suffisantes. Ensuite, jusqu'à l'adoption de la loi du 15 avril 2013, dite « loi Brottes », le développement de l'éolien était impossible en zone littorale, ce qui concernait la quasi-totalité de la surface de tous les territoires. De nombreuses incertitudes persistent malheureusement, notamment concernant la définition des espaces proches du rivage. S’il ne faut pas bloquer le développement de l’éolien, il faut toutefois rester très prudent, car les paysages constituent l’attrait touristique de ces territoires…

M. le président François Brottes. Vous évoquiez une disposition Brottes-Batho !

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Par ailleurs, l'application des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables engendre des coûts de raccordement très élevés à la charge des producteurs en raison de la faiblesse des réseaux locaux. En Guadeloupe, la quote-part régionale s’élèverait à 213 000 euros par mégawattheure installé alors qu’en métropole ce coût s’élève à zéro euro en Alsace et à 70 000 euros en Midi-Pyrénées. Ce coût serait de 600 000 euros pour les projets biomasse de l’Est guyanais, ce qui signifie qu’ils ne verront jamais le jour.

Enfin, les outre-mer n'ont pas accès à certaines subventions qui ne sont pas adaptées au contexte local. Les directions régionales de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) sont dans l’obligation de renvoyer leurs crédits au titre du Fonds chaleur, faute de trouver suffisamment de projets concernés. Le doublement des crédits du Fonds chaleur prévu dans le projet de loi suscite en conséquence de larges inquiétudes outre-mer, car il diminuera mécaniquement les subventions allouées à d'autres postes.

L'addition de ces contraintes est à l’origine de surcoûts considérables, qui expliquent que les porteurs de projet ne puissent pas être compétitifs dans les appels d'offre et que les tarifs d'achat soient souvent insuffisants pour couvrir le coût des projets en outre-mer.

Dans la très grande majorité des cas, la seule solution est de se reporter sur le système du gré à gré, dans lequel les porteurs de projet négocient un contrat d'achat de leur électricité avec EDF. Mais ce système interdit tout subventionnement car les installations doivent être rentables pour avoir le droit à un contrat. Le seul critère évalué est celui du coût moyen de production, qui doit être inférieur à celui d'une installation thermique traditionnelle. Malheureusement il importe peu qu’au final un projet ait des retombées largement positives pour un territoire.

Les transcriptions tardives de dispositifs nationaux freinent aussi le développement des énergies renouvelables outre-mer. Bien que la valeur des certificats d'économie d'énergie (CEE) soit doublée en outre-mer, ces territoires occupent la dernière place dans le classement des régions françaises en termes de volume de CEE délivrés. Cette situation s'explique par l'absence de gisements d'accès aisé, comme le changement de chaudières, mais surtout par le manque d’acteurs. Le seul acteur nécessairement présent localement est EDF, et ses obligations sont fixées à la maille nationale. Lorsqu’il n’existe aucun acteur correspondant au seuil national, comme à Mayotte, aucun certificat d’économie d’énergie ne peut être délivré.

Les dispositifs fiscaux d'aide à la rénovation thermique des bâtiments sont souvent adaptés avec retard. Les Ultramarins sont les seuls Français à ne pas pouvoir bénéficier de la prime exceptionnelle d'aide à la rénovation énergétique. Les critères de travaux permettant de bénéficier du crédit d’impôt développement durable ne sont toujours pas adaptés aux outre-mer. Seuls onze éco-prêts à taux zéro ont été attribués depuis 2009 outre-mer, alors que 32 000 l’ont été en métropole pour la seule année 2013.

La réglementation thermique acoustique aération (RTAA) des bâtiments spécifiques aux outre-mer est unanimement critiquée car elle repose sur des obligations de moyens et non de résultats. L'élaboration d'une nouvelle réglementation sur le modèle de la RT 2012 n'est pas envisagée avant 2017-2018.

De même, les outre-mer n'ont pas encore de diagnostic de performance énergétique (DPE). Seules la Martinique et la Guadeloupe ont mis en place des DPE dans le cadre de l’habilitation législative dont elles bénéficient en matière d’énergie.

Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Le problème de fond demeure l’inexistence d’une politique énergétique des outre-mer.

Si les acteurs locaux sont extrêmement investis et s’approprient pleinement leurs compétences – comme les régions chargées du pilotage des documents de planification –, ils ne décident pas vraiment de la politique énergétique. La programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité (PPI) est par exemple élaborée par l’État sur la base de bilans prévisionnels de l’offre et de la demande présentés par EDF SEI. Les territoires n’ont pas suffisamment la main pour développer des stratégies de politiques énergétiques locales.

Une nouvelle donne est donc indispensable et nous faisons plusieurs propositions en ce sens.

Afin de faire évoluer la gouvernance de l’énergie et de rendre du pouvoir aux acteurs locaux, il faut prévoir une élaboration partagée entre l’État et les régions de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Il est également indispensable d’assurer une meilleure transparence. Les populations des zones non interconnectées ne disposent pas, par exemple, des données chiffrées disponibles dans l’Hexagone, relatives à l’évolution en temps réel du mix électrique

Pour tenter de résoudre le problème de la Guyane, nous suggérons de dédier une enveloppe spécifique à l’électrification des communes de ce territoire dans le cadre des subventions attribuées par le FACÉ.

Afin de soutenir les énergies renouvelables, nous proposons de décentraliser la fixation des tarifs d’achat et le lancement des appels d’offres, ce qui s’inscrit dans le cadre de la PPE.

Avec le même objectif, un plan de développement de la biomasse devrait être développé.

Pour gérer l’intermittence de la production des ENR, un volet spécifique au stockage de l’électricité est indispensable. Les appels d’offres devront privilégier le stockage avec restitution aux heures de pointe plutôt que la substitution à la production de base.

Enfin, si nous voulons dynamiser le marché des certificats d'économie d'énergie dans les outre-mer, les obligations doivent être fixées par territoire et correspondre à la maille locale.

M. le président François Brottes. Vous avez pu disposer de quarante et une minutes pour présenter votre rapport, ce qui est assez exceptionnel…

Je vous félicite pour la qualité de votre travail. J’indique également que nous sommes à la fois dans le cadre de la commission spéciale sur la transition énergétique et de la commission des affaires économiques. Les membres de cette dernière seront amenés à voter tout à l’heure sur l’autorisation de publication du rapport.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Je salue à mon tour l’excellent travail des rapporteurs, notamment celui d’Ericka Bareigts, comme l’a souligné Daniel Fasquelle.

Je me réjouis de l’intérêt porté aujourd’hui à une situation qui perdure depuis trop longtemps, qui crée des différences de traitement entre les citoyens français et qui nécessite une prise en compte urgente.

Les éléments précis contenus dans ce rapport constituent un précieux apport dans le cadre de nos réflexions sur la loi de transition énergétique. Nous serons très attentifs à vos propositions, madame et monsieur les rapporteurs, pour poser des mécanismes d’adaptation des règles et trouver enfin des solutions efficaces à une situation préoccupante.

M. Denis Baupin, rapporteur pour les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. La proposition de loi « Brottes-Batho » ayant été rappelée, je voudrais poser une première question sur l’éolien et la loi littoral.

Certains parlementaires se sont battus pour que nous puissions avancer sur ces sujets. Le rapport fait état d’incertitudes juridiques qui freineraient le développement des éoliennes. Il est certes nécessaire de préserver les paysages. La question ne fait pas débat et est inscrite dans la loi. Mais il serait peut-être nécessaire d’apporter, dans la loi de transition énergétique, certaines précisions concernant la proximité du littoral, pour lever ces incertitudes juridiques et lancer le projet. Faute de quoi, cela ruinerait l’effort fait en faveur de l’éolien dans la proposition de loi.

J’en viens à ma deuxième question. Je me réjouis de la proposition que vous faites concernant le seuil de 30 % d’énergies variables renouvelables dans le réseau électrique et que cette disposition puisse être adaptée territoire par territoire. Cela ne concerne pas que les DOM-TOM, mais l’ensemble des ZNI. La situation de la Corse est aussi une question importante, même si, aujourd’hui, on est très largement en dessous des 30 %. Cependant, si l’on veut éviter le développement du fuel pour la production d’électricité en Corse, il faut pouvoir donner des perspectives.

Je citerai également l’Île de-Sein, qui est plus petite, mais qui fait aujourd’hui l’objet d’une bagarre intéressante, du point de vue conceptuel, entre EDF et des promoteurs d’alternatives, lesquels peuvent être intéressés par ce dépassement du seuil de 30 %.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer. À la demande de notre collègue Serge Letchimy, la délégation aux outre-mer a souhaité participer à ce débat.

Je tiens à souligner l’importance du travail mené par nos deux rapporteurs. Il faut un traitement particulier dans ce domaine. Ericka Bareigts l’a fort bien résumé, nous sommes dans une situation de dépendance extrême par rapport à l’approvisionnement extérieur et nous sommes soumis à des conditions réglementaires qui ne sont pas adaptées à la situation de La Réunion et des outre-mer en général.

Ajoutons à cela des à-coups dans les décisions prises par le passé, notamment ces dix dernières années, qui n’ont pas facilité les choses dans le domaine du développement des énergies renouvelables en outre-mer. Il y a un vrai problème, et je me félicite que nous puissions l’exposer à l’occasion de ce texte, si important pour la nation tout entière.

M. Victorin Lurel. Je tiens également à féliciter nos deux collègues pour cet excellent rapport. C’est, à ma connaissance, le premier qui permette d’éclaircir un certain nombre de points qui, jusqu’à présent, restaient opaques, je dirais même ésotériques, pour nos concitoyens, y compris pour les élus. Je me réjouis donc de sa publication. Je n’ai pas eu le temps de le lire entièrement, mais ce que j’en ai entendu est édifiant.

Je m’associe également aux propos du président Brottes. C’est à sa demande, en effet, que la Commission de régulation de l’énergie a pu accueillir un représentant des ZNI en la personne de Mme Edwige, originaire de la Martinique et spécialiste reconnue en raison de sa très longue expérience dans ce domaine. Pour ma part, je demanderai, lors de l’examen du projet de loi, qu’il y ait un représentant des outre-mer au sein du comité de gestion de la CRE, car nous souhaitons qu’il y ait un représentant des ZNI dans les instances de direction, là où se prennent les décisions. Cela ne figure pas dans le rapport, mais je m’en suis ouvert à Mme la ministre pour la sensibiliser à cette question.

La CRE soutient le développement de certains projets innovants, comme ceux du Galion en Martinique, qui fait de la cogénération bagasse-bois. Mais elle refuse de prendre en charge le surcoût du projet de l’île Marie-Galante, en Guadeloupe, alors que nous sommes en deçà des coûts de production nationaux et qu’il s’agit du même projet de centrale bagasse-bois, avec du bois importé du Brésil. Ce n’est pas une simple question d’arithmétique, mais une philosophie, une certaine vision des choses. Aujourd’hui, ce projet est en panne. Toutefois, Albioma a fait des propositions pour tenir ces coûts.

Par ailleurs, j’estime que la péréquation est menacée. La configuration du périmètre industriel d’EDF, avec le passage entre EDF SEI (systèmes énergétiques insulaires) et EDF PEI (production énergétique insulaire), et une évolution forte en faveur des contrats de gré à gré, me paraît dangereuse. C’est, selon moi, une astuce permettant d’éviter l’application de la loi au plan national, et d’échapper à la péréquation et à la solidarité nationale. Le rapport l’indique clairement, c’est déjà le cas pour l’est guyanais où – j’ai beaucoup de mal à le comprendre – on laisse de lourds investissements à la charge des petites communes. Les communes du littoral guyanais, quant à elles, bénéficient de la péréquation nationale, contrairement à l’Ouest guyanais et à l’arrière-pays amazonien. Il y a là, manifestement, un problème de répartition des charges et d’égalité entre citoyens français. Il faut avoir une ambition nationale, un impératif national à l’égard de l’Ouest guyanais et faire jouer pleinement la péréquation en faveur de l’arrière-pays.

J’en viens à l’extension territoriale de la péréquation. Le rapport ne fait pas état de ce problème, que le président Brottes connaît bien, et sur lequel on ne peut pas faire l’impasse. À Wallis-et-Futuna, les 12 000 Français les plus éloignés de la métropole paient l’électricité six fois plus cher que le coût national. L’argument opposé est que c’est leur statut…

Le général de Gaulle avait pris des engagements sur la gratuité de la santé devant le roi d’Uvea, le Lavelua. C’est un bon exemple de la diversité de la République. Il y a, à Wallis-et- Futuna, trois rois traditionnels dont les fonctions ont été reconnues par le statut de 1961. Aujourd’hui, la gratuité ne joue plus pour les prothèses dentaires ni pour les lunettes. Voilà pourquoi les gens les plus édentés de France vivent à Wallis et Futuna ! Et pourtant, c’est là que l’on trouve les plus grands patriotes, qui ont une tradition d’engagement dans le service national. On leur dit que les choses ont changé, que la santé gratuite, c’est terminé, et qu’en raison de leur statut, ils ne peuvent pas bénéficier de la péréquation nationale. Wallis-et-Futuna compte 12 000 habitants : ce n’est pas cela qui va ruiner la France ! Nous avons le devoir moral de tout faire pour que ces citoyens puissent bénéficier de la péréquation nationale. Faute de quoi, il conviendrait d’accorder une subvention à ce petit territoire, qui compte dix-neuf élus, afin de baisser le coût de l’électricité. Lorsque j’étais au Gouvernement, j’ai pris des mesures dans ce sens, mais elles sont insuffisantes. Il faut poursuivre ce travail.

En ce qui concerne le pilotage de la politique énergétique, je souscris pleinement à toutes les propositions qui ont été évoquées. Il convient de mieux intégrer, mieux contrôler, voire mieux maîtriser la stratégie décidée par EDF et EDF SEI. Aujourd’hui, EDF PEI procède à une contractualisation hors contrôle. J’avoue avoir du mal à comprendre, car nous avons tous assisté, impuissants, à l’intégration et à la filialisation d’EDF Energies Nouvelles de M. Mouratoglou. Sachez que la région Guadeloupe, que j’ai l’honneur de présider, a demandé une habilitation, en vertu de l’article 73 de la Constitution. Nous faisons ce que l’on appelle des lois et des décrets de région, publiés au Journal officiel de la République française. J’ai ainsi publié 29 lois d’origine régionale, qui ont contribué à baisser les prélèvements sur la CSPE. Dans le projet de loi sur la transition énergétique, un alinéa précise que, désormais, ces lois et ces décrets devront se faire à budget constant et que leur application ne devra être en aucun cas imputée sur la CSPE.

Je rappelle à nos collègues qu’une habilitation, c’est « tout bénéfice » pour l’État, qui cède une compétence sans donner aucune ressource. Or rien que pour la maîtrise de l’énergie et la réglementation thermique des constructions, que demandent toute la Caraïbe, la République d’Haïti, le Venezuela, nous avons adapté aux pays tropicaux une législation faite pour les pays tempérés et nous avons dépensé près de 5 millions d’euros. La Martinique a fait de même, en apportant des améliorations. Nous avons ainsi contribué à baisser les prélèvements sur la CSPE. Eh bien, aujourd’hui, on nous demande de nous débrouiller, mais à budget constant ! Il faudrait pour le moins faire l’inventaire et le bilan chiffré de ce que nous avons fait. C’est une atteinte manifeste portée aux habilitations. J’ai donc déposé un amendement visant à supprimer cette disposition. Car si elle devait être appliquée, ce serait un coup sévère porté à la décentralisation et à l’autonomie régionale.

Enfin, le schéma régional climat air énergie (SRCAE) n’est pas prescriptif, mais déclaratif. Il faut l’intégrer dans la PPE, je souscris totalement à cette proposition, mais aussi dans les schémas d’aménagement régionaux (SAR), qui sont, eux, prescriptifs et normatifs. Nous aurions alors quelque pouvoir de contrôle.

Auparavant, c’était EDF qui recevait les propositions, notamment en matière photovoltaïque. C’était EDF qui, seule, classait les projets par ordre d’arrivée et d’importance et qui décidait souverainement, pour ne pas dire en toute opacité, du choix des bénéficiaires. EDF avait alors deux filiales, Tenesol, devenue Sunzil, laquelle est également une filiale du groupe Total, et EDF Energies Nouvelles de M. Mouratoglou. Depuis, EDF a absorbé totalement, pour des sommes folles, EDF Energies Nouvelles. C’étaient presque uniquement les projets de ces deux sociétés, quelle que soit la date de dépôt, qui étaient priorisés. J’ai dû demander, dans le cadre des lois d’habilitation que, désormais, les projets soient déposés au niveau de la région et que le choix entre l’habilitation et le système traditionnel de décision relève d’une commission mixte. Il y a là un problème de gouvernance et de pilotage qu’il faut clarifier dans le projet de loi.

Enfin, j’aimerais savoir ce qu’il en est des tarifs d’électricité, s’agissant notamment des tarifs bleus, pour les personnes en situation de précarité énergétique. À ce titre, la loi Brottes est une avancée importante.

M. le président François Brottes. Me féliciter ne vous autorise pas à dépasser votre temps de parole… (Sourires.)

M. Victorin Lurel. Nous devons atteindre un certain degré d’autonomie d’ici à 2020 – 50 % pour les outre-mer en général, un peu moins pour Mayotte – et l’autonomie totale en 2050. Contrairement au Grenelle, le rapport ne contient pas d’objectifs chiffrés pour l’outre-mer, alors qu’ils y figurent pour l’Hexagone. Il y a donc des améliorations à apporter. Cela étant, c’est un excellent rapport. Je l’étudierai de manière plus approfondie et je déposerai éventuellement des amendements.

M. le président François Brottes. J’ai toujours eu quelques difficultés à canaliser le temps de parole de Victorin Lurel. J’avoue cette faiblesse ! Et j’ai un peu le même problème avec Dino Cinieri, à qui je vais donner la parole…

J’indique que, dans quelques minutes, nous devons commencer une table ronde avec des représentants de l’ensemble des collectivités territoriales de notre pays, et que je suis encore saisi de cinq demandes de prise de parole… J’appelle donc chacun à la concision.

M. Dino Cinieri. Chers collègues, je veux d’abord, à mon tour, vous féliciter pour la qualité de votre rapport et la clarté de votre présentation.

L’outre-mer a plus que jamais besoin de stabilité, de visibilité et surtout de la pérennité des dispositifs.

Vous l’avez dit, depuis plusieurs années, de nombreuses filières renouvelables sont à l’arrêt. Avec la loi Grenelle, la France s’est fixé un objectif ambitieux pour les collectivités d’outre-mer : l’autonomie énergétique par le biais de la maîtrise des consommations et du recours aux énergies renouvelables à hauteur de 50 % de l’approvisionnement énergétique à l’horizon 2020.

Effectivement, les freins au développement de ces filières dans les territoires ultramarins n’ont toujours pas été levés, en particulier l’arrêté technique qui interdit l’injection en puissance de plus de 30 % d’électricité variable sur les réseaux non interconnectés. Cet arrêté condamne la poursuite du développement des énergies renouvelables électriques variables et sans stockage.

Le projet de loi de Mme Royal est-il, selon les spécialistes que vous avez auditionnés, suffisant pour relancer ces filières, et en particulier le solaire photovoltaïque ?

En matière d’investissement, pensez-vous qu’il sera possible de redonner confiance aux contribuables, suite aux déceptions engendrées par le raté du dispositif de défiscalisation dit « Girardin industriel solaire » ?

Mme Delphine Batho. Je voudrais à mon tour féliciter les rapporteurs et souligner à quel point la transition énergétique dans les territoires d’outre-mer est un sujet crucial. Vous avez parfaitement expliqué l’urgence qu’il y avait à prendre cette situation à bras-le-corps et à y apporter des réponses.

Je voulais aussi souligner la chance que représente pour nous le développement des énergies renouvelables et du stockage. Je pense notamment à un certain nombre de produits made in France, qui seront ensuite exportables dans des territoires ayant les mêmes caractéristiques, notamment climatiques.

Dans ce rapport, nombre de remarques me paraissent très pertinentes. Elles rejoignent d’ailleurs les réflexions issues du salon Energ’îles, initiative appuyée par le réseau Pure Avenir. Les régions d’outre-mer, qui s’étaient réunies au moment du débat national sur la transition énergétique, y avaient alors remarquablement contribué. J’en vois le prolongement dans ce rapport, qui constitue une base solide pour faire des propositions.

Ensuite, les questions posées sur la gouvernance et sur l’articulation des décisions nationales avec des spécificités territoriales sont, en fin de compte, assez comparables aux questions posées par les régions, y compris en métropole, concernant la mise en œuvre et le pilotage de la transition énergétique. Cela étant, il faut apporter des réponses adaptées en termes de gouvernance.

Je voudrais poser plusieurs questions.

La première porte sur l’éolien. Votre rapport soulève le problème posé par la notion d’« espaces proches du rivage », inscrite dans la loi et dont la définition est assez floue. Il y a aussi la question de l’augmentation des tarifs de rachat de l’éolien. Quel diagnostic faites-vous puisque cela n’a pas conduit, plus d’un an après, au redémarrage de l’éolien dans les territoires d’outre-mer ?

Je n’ai pas lu le rapport en détail, mais, concernant la question du solaire thermique, des appels d’offres spécifiques aux territoires d’outre-mer avaient été évoqués, voire annoncés. Où en est-on ?

Enfin, je crois qu’il faut faire sauter la règle des 30 %, en tenant compte, bien sûr, des caractéristiques de chaque territoire. La problématique rejoint ce qu’a dit Victorin Lurel sur la question de la gouvernance, de l’influence et du pouvoir de décision, s’agissant notamment d’EDF. Il y a aussi des enjeux stratégiques concernant la géothermie profonde : je pense notamment à la centrale de Bouillante. Ericka Bareigts a indiqué tout à l’heure que la transition énergétique nécessitait un certain nombre d’investissements. Cela vaut à l’échelle nationale. On peut donc dire que les points communs sont notables. Mais on a outre-mer un concentré de la situation nationale, avec, de surcroît, la possibilité de faire des territoires d’expérimentation, dans la mesure où les énergies renouvelables peuvent y être plus compétitives que les énergies fossiles utilisées actuellement.

Mme Frédérique Massat. Je souhaiterais interroger les auteurs du rapport sur le Fonds d’amortissement des charges d’électrification. À ce titre, nous avons eu des soucis dans certaines zones de montagne, notamment lors de la transformation du FACÉ en compte d’affectation spéciale (CAS). Les élus semblent avoir un peu perdu la main sur la façon dont étaient affectées les sommes issues de ce fonds dont, je le rappelle, EDF est l’un des contributeurs.

Aujourd’hui, vous déplorez à juste titre l’évolution du rôle joué par ce fonds, qui avait été créé, à l’origine, pour favoriser l’électrification des zones peu denses et en difficulté. Il visait à l’extension du réseau, pas uniquement à sa réparation. Aujourd’hui, le FACÉ n’est pas remis en cause, mais sa gouvernance semble être à revoir, afin qu’il puisse jouer son véritable rôle, car il est inadmissible que les écarts ne soient pas intégrés dans le périmètre de la concession. Les populations d’un territoire doivent toutes avoir accès au réseau.

J’en viens aux schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables et aux schémas régionaux climat air énergie dont le caractère non prescriptif pose généralement problème. Je m’étonne qu’EDF, qui a contribué à leur élaboration, ne les prenne pas en compte, s’agissant notamment des schémas de raccordement au réseau. Les schémas déterminés par les élus ne servent donc à rien. Ils doivent être prescriptifs, sinon, il faut les supprimer !

Mme Brigitte Allain. Je voudrais d’abord remercier nos collègues pour ce rapport, que je n’ai malheureusement pas eu le temps d’examiner dans le détail.

J’ai assisté, la semaine dernière, à la réunion de la délégation aux outre-mer. Le rapport pointe le problème du fameux blocage des 30 %, que nous devons, selon moi, supprimer du texte de loi. Il pointe aussi les questions d’accompagnement de financement et de rééquilibrage qui, comme l’a dit Victorin Lurel, restent peut-être l’héritage d’un passé colonial dont nous devons sortir. Il faut arrêter ce gâchis écologique et économique pour permettre le développement territorial et la création d’emplois grâce à la capacité de ces territoires à produire leur propre énergie, en soutenant les acteurs et en encourageant la valorisation des ressources naturelles locales. Elles sont importantes dans la plupart de ces territoires : l’eau, la biomasse, le soleil, le vent. Ces ressources sont citées dans le rapport, ainsi que les spécificités de certains territoires, qui ont besoin d’être soutenus dans cette démarche pour aller vers une quasi autonomie de la production d’énergie.

Par ailleurs, la question de la gestion des déchets n’est pas traitée. Dans un grand nombre de territoires, le coût est important et le bilan carbone négatif. L’énergie est produite à partir d’énergies fossiles importées, d’où un coût énergétique important au niveau du transport, et les déchets sont traités loin des territoires où ils sont produits. Or nous savons aujourd’hui que ce coût économique et écologique pourrait, au contraire, devenir un produit pour peu que l’on valorise les déchets au niveau local. Il y a là un potentiel énergétique important, car le tri et le traitement des déchets permettraient de produire non seulement des composts, mais aussi des engrais, du gaz, donc de produire de l’électricité et d’utiliser la chaleur à bon escient. Allons-nous passer à côté de cette question qui me paraît essentielle, aujourd’hui, pour les territoires d’outre-mer ?

Mme Annick Le Loch. Je souhaite féliciter nos deux rapporteurs, et en particulier Ericka Bareigts, qui a présenté de façon très pédagogique les problématiques des outre-mer. Cela étant, elles sont les mêmes sur les îles plus proches de la métropole. Je pense à l’île de Sein, mais aussi à Ouessant et Molène, qui sont également des ZNI. Toutes les problématiques soulevées, à savoir les freins réglementaires, mais aussi les bilans carbone désastreux, la CSPE, élevée dans ces secteurs, sont les mêmes sur les îles finistériennes, mais aussi, je le répète, sur toutes celles qui sont proches de la métropole.

Nous allons, à partir des solutions proposées dans le rapport, pouvoir mener des expérimentations, pourquoi pas sur ces îles où, jusqu’à présent, les énergies renouvelables (ENR) n’ont absolument pas été développées.

Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Madame Allain, nous abordons la valorisation des déchets à travers la question de la biomasse. Ensuite, il faudra apporter dans la loi des éléments plus importants.

Madame Batho, il y a, certes, des similitudes entre les régions de l’Hexagone et les ZNI. Mais la grande différence, c’est que nous sommes des ZNI, et cela change tout ! Il faut, garder cela en tête, car cela modifie totalement l’approche que l’on peut avoir.

Enfin, pour répondre à Victorin Lurel, la réglementation de droit commun sur les tarifs sociaux s’applique aujourd’hui dans les ZNI.

J’en viens à une question qui nous a beaucoup intéressés, celle de la gouvernance. Cela me permettra peut-être de répondre en même temps sur la question des SRCAE et du FACÉ. Nos propositions visent à intégrer les documents de politique régionale qui ne s’imposent aujourd’hui à personne. Le SRCAE est bien fait, avec beaucoup d’énergie et d’intelligence, dans les territoires, mais ce n’est pas lui qui détermine les investissements dans ces mêmes territoires. C’est donc un travail qui n’est pas inutile, mais qui ne brise pas le cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons.

L’idée est d’intégrer ou de faire disparaître le SRCAE au profit d’une approche globale qui s’impose juridiquement, partagée entre l’état et la région, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Celle-ci deviendra ainsi l’outil de gouvernance politique, concernant l’opportunité des projets. Du coup, cela permettra à la CRE de se référer, dans son évaluation de celle-ci, à ce qui aura été arrêté dans le cadre de la PPE par l’état et la région. Une annexe ou un document budgétaire donneront, de surcroît, une meilleure visibilité sur les investissements à réaliser dans les cinq, dix ou quinze ans. Ce document s’imposera à la CRE, bien sûr, mais aussi à EDF SEI et à tous les opérateurs qui voudront, demain, proposer des projets dans le cadre des politiques publiques territoriales de transition énergétique.

J’insiste sur ce point, car il s’agit d’un outil qui changera le cours des choses à l’approche de la transition énergétique dans les territoires. Elle se fera avec l’État et les régions, et les documents s’imposeront à ceux qui, jusqu’à présent, n’étaient pas soumis à des règles – je pense, entre autres, à EDF.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Les éoliennes ont fait l’objet de plusieurs questions.

L’impossibilité de construire des éoliennes dans des espaces proches du rivage est une notion imprécise et parfois difficile à appliquer localement. Cela étant, il y a déjà une jurisprudence relativement abondante. Supprimer cette réserve me semblerait extrêmement dangereux. Nous aurions alors un développement totalement incontrôlé des éoliennes tout au long du littoral et nous risquerions d’abîmer des paysages exceptionnels. Si la loi Brottes n’a pas permis le développement des éoliennes dans les territoires ultramarins, il y a beaucoup d’autres raisons pour maintenir cette limite des espaces proches du rivage. Je pense notamment au coût du raccordement, qui est un véritable obstacle.

J’en viens à la règle des 30 %. Il faut maintenir une limite, mais sans doute l’adapter aux territoires, dans les PPE territoriales. C’est l’une des propositions du rapport.

Il y a aussi l’accès à certaines aides ou à certaines subventions, qui est difficile dans les territoires ultramarins.

Enfin, il y a les appels d’offres, qui sont mal ficelés. Je vous donne un exemple. On sait qu’un appel d’offres a été lancé à La Réunion et que deux entreprises nationales ont été retenues, évinçant des acteurs locaux qui n’étaient peut-être pas, il est vrai, en capacité de se mettre sur les rangs. Le résultat est que deux entreprises ont été retenues, mais qu’elles n’ont pas encore déposé de projet concret. Il y a tout un travail à faire sur la façon dont sont élaborés et lancés les appels d’offres, afin de laisser une place aux acteurs locaux.

Je conclurai en indiquant qu’il y a onze propositions dans le rapport. C’est un nombre relativement élevé, et elles permettront, si elles sont transformées en amendements et adoptées, de faire évoluer les choses. Il faut adapter les dispositifs nationaux et laisser plus de liberté à ces territoires pour tenir compte de leurs réelles spécificités. C’est de cette façon que nous pourrons faire émerger un modèle original. Il ne faut pas chercher à dupliquer ou à adapter aux territoires ultramarins ce qui a été pensé pour la métropole. Il faut aussi qu’ils puissent porter leurs propres projets, leurs propres modèles, qu’ils pourront ensuite exporter. Le made in France, c’est peut-être aussi cela. Il y a là de véritables chances et des solutions à trouver pour nos concitoyens. Ce peut-être aussi une nouvelle filière à construire dans certains de ces territoires, et donc une source d’emplois, en plus de la nécessaire préservation de l’environnement.

M. le président François Brottes. Je remercie les deux rapporteurs et tous ceux qui ont collaboré à ce rapport.

J’ai compris, en les écoutant, que les membres de la commission des affaires économiques ne s’opposaient pas à la publication de cet excellent rapport (Assentiment.). Chers collègues, je vous remercie.

12. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean-Jack Queyranne, président de la commission « Développement durable, environnement » de l’Association des régions de France (ARF), Mme Frédérique Massat, députée, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), M. Philippe Angotti, représentant de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), M. Martial Saddier, député, représentant de l’Association des maires de France (AMF), M. Jean Révéreault, représentant de l’Association des communautés de France (AdCF), M. Bruno Sido, sénateur, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France (ADF), Mme Hélène Geoffroy, députée, vice-présidente de la communauté urbaine du Grand Lyon, en charge de l’énergie, et M. Christophe Porquier, représentant de l’ARF.

(Séance du mercredi 17 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Cette table ronde s’annonce comme un grand moment, puisque j’ai souhaité que l’ensemble des organisations représentatives des collectivités locales de notre pays nous fassent part ensemble de leurs différents points de vue sur la transition énergétique. L’Association des maires des grandes villes de France n’ayant pas répondu à notre invitation, j’en déduis qu’ils n’ont rien à dire sur la transition énergétique...

M. Jean-Jack Queyranne, président de la commission « Développement durable, environnement » de l’Association des régions de France (ARF). Les régions se sont fortement impliquées dans les débats préparatoires au projet de loi sur la transition énergétique ; au total, ce sont plus de huit cent cinquante débats qui ont été organisés, mobilisant plus de cent soixante-dix mille personnes. Cela témoigne des attentes fortes et de la mobilisation citoyenne que suscite ce projet.

Les régions et les collectivités territoriales sont vouées à être les chevilles ouvrières de la transition énergétique. Il ne faut pas perdre de vue que, si quatre cents décrets d’application ont été nécessaires à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, au-delà de cette formidable machinerie administrative, l’essentiel reste ce qui s’accomplit sur le terrain.

J’en viens au fond du projet de loi. Nous en partageons évidemment les objectifs. Nous sommes favorables à l’idée qu’un article additionnel vienne compléter le titre II, consacré à la rénovation énergétique des bâtiments, pour préciser les objectifs à atteindre en matière de rénovation industrielle. Il s’agit d’un grand chantier pour lequel les régions seront très mobilisées, notamment sur le front de la formation, initiale et continue.

En ce qui concerne l’article 6, relatif au tiers financement, la récente conférence financière et bancaire consacrée au sujet n’a pas beaucoup fait avancer les choses. Or des régions comme l’Île-de-France ou la Picardie ont déjà mis sur pied des instruments de tiers financement, et il est essentiel que ces interventions puissent être consolidées. On évoque le monopole bancaire : il ne s’agit pourtant nullement de faire concurrence aux banques mais d’inscrire ces dispositifs dans la loi au titre du droit à l’expérimentation.

Il nous paraît également important d’inscrire dans la loi la mise en place d’un « carnet de vie » des logements. Il pourrait dans un premier temps s’appliquer aux logements neufs, dont toutes les données seraient collectées sur une carte à puce. Je ne doute pas que les services fiscaux de Bercy verraient d’un bon œil une telle initiative.

M. le président François Brottes. Reste à voir ce qu’en pensera la Commission nationale de l’informatique et des libertés…

M. Jean-Jack Queyranne. Nous souhaitons aussi que soit inscrite dans la loi la notion de service public régional de l’efficacité énergétique. En effet, depuis la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM », du 27 janvier 2014, les régions sont désormais chefs de file en matière de climat et d’énergie, et la réussite de la rénovation énergétique dépend en grande partie de la capacité qu’elles auront d’informer, de conseiller et d’accompagner les personnes qui entreprendront des travaux de rénovation dans leurs logements. Ce service public doit s’appuyer sur les quelque quatre cents plateformes déployées au niveau intercommunal par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), au travers des contrats de plan. Je vous renvoie ici à l’expérience menée par l’Agence nationale de l’habitat, particulièrement éclairante.

Enfin, les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) doivent être pris en compte dans les documents d’urbanisme afin d’éviter toute incompatibilité.

Pour ce qui concerne le titre III, il nous paraît important, en matière de transports propres, que les plans de déplacements urbains garantissent la compatibilité entre les outils de planification territoriale pour la qualité de l’air, évoqués à l’article 18, et les SRCAE.

L’économie circulaire, qui fait l’objet du titre IV, est un grand enjeu pour nos régions. Certaines d’entre elles sont d’ores et déjà mobilisées et très en avance – je pense à l’Aquitaine. Ce n’est certes pas à la loi de tout écrire, mais l’on peut regretter que le projet de loi ne traite que des déchets, car l’économie circulaire ne concerne pas que les déchets. Cela étant, les régions – à l’exception de l’Île-de-France où s’applique un régime particulier – jusqu’à présent en charge des seuls déchets dangereux, auront bientôt, aux termes de la future loi sur les compétences des collectivités territoriales, la responsabilité de l’ensemble des déchets.

En matière d’énergies renouvelables, nous pensons qu’il faut moduler les tarifs d’achat. Nous proposons pour cela d’établir ces tarifs en fonction de zones définies par leur degré d’ensoleillement : pour des questions de rentabilité, on ne peut en effet appliquer en Lorraine les mêmes tarifs de rachat du photovoltaïque qu’en région PACA. Nous proposons également d’octroyer un bonus de 10 % aux opérations publiques et un bonus de 20 % aux opérations citoyennes.

Je constate que le projet de loi a su s’inspirer de l’excellent rapport de Marie-Noëlle Battistel sur l’hydroélectricité et a en retenu la formule des barycentres. Je connais votre attachement, monsieur le président, au devenir de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), bel exemple de société d’économie mixte, et je ne doute pas que, malgré Bruxelles, le Conseil constitutionnel et tous les épouvantails que l’on agite pour ne pas avancer, votre agilité législative permettra de surmonter les obstacles en la matière.

J’insiste enfin sur la dimension citoyenne de la transition énergétique. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau modèle énergétique, voué à se substituer à l’ancien modèle centralisé. Notre politique énergétique a connu deux grandes époques, celles de l’hydroélectricité, dont le symbole pourrait être le barrage de Génissiat, premier barrage construit sur le Rhône à la Libération, et celle du nucléaire dont le développement s’est accéléré avec le premier choc pétrolier. Nous entrons aujourd’hui dans une ère où la production d’énergie sera de plus en plus décentralisée. Qu’il s’agisse de la méthanisation ou d’autres formes de projets territoriaux, le développement des énergies renouvelables implique une nouvelle organisation qui, tout en continuant de s’appuyer sur les grands réseaux nationaux et internationaux, fasse la part belle à la participation citoyenne.

M. Bruno Sido, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France (ADF). Le projet de loi ne parle pas, ou peu, des départements. Est-ce à dire qu’ils ne constituent pas un échelon pertinent dans la mise en œuvre de la politique énergétique, ou leur disparition est-elle d’ores et déjà programmée ? Quoi qu’il en soit, cette loi s’inscrit dans la suite logique des lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 », dont j’ai été le rapporteur au Sénat. J’ajoute que, invité au titre de mes fonctions au sein de l’ADF, je m’exprimerai également en tant que président de l’Office parlementaire pour l’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

L’ADF regrette la décision du Gouvernement de recourir à la procédure accélérée. Elle déplore surtout, je l’ai dit, que le projet de loi anticipe clairement la disparition des départements. Elle s’étonne enfin d’un paradoxe majeur : alors que les objectifs fixés sont très ambitieux, ce qui nécessite de mobiliser tous les acteurs, le Gouvernement fait le choix de se passer du concours des conseils généraux, alors même qu’ils jouent un rôle très important dans la mise en place des plans climat-énergie territoriaux (PCET). Plus globalement, à l’exception des départements qui comptent une métropole, le conseil général reste un acteur incontournable pour relayer et renforcer l’impact des politiques nationales.

Les conseils généraux jouent un rôle majeur dans quatre domaines. L’action sociale, qui est leur cœur de métier, représente la moitié de leurs dépenses de fonctionnement. En matière de prévention de la précarité énergétique, ils gèrent les aides financières liées au Fonds de solidarité pour le logement, qui permettent de réduire la facture des ménages aux ressources modestes.

Les conseils généraux sont également nombreux à financer des espaces info-énergie pour la promotion des énergies renouvelables. Beaucoup gèrent aussi des aides à la pierre et interviennent donc dans le domaine du logement. C’est pourquoi l’ADF propose de retenir l’échelon départemental comme maillon d’information et de mutualisation des moyens entre tous les acteurs publics de la transition énergétique. Il s’agirait d’être en mesure d’accueillir le public mais surtout de le renseigner et de monter avec les demandeurs les dossiers d’aide, que les financements relèvent de l’État, de l’ADEME, des conseils régionaux ou des conseils généraux.

Plus largement, les conseils généraux disposent d’une vraie capacité d’ingénierie, qu’ils peuvent mettre au service des autres collectivités, comme les communes, qui en sont dépourvues et sont souvent démunies pour assurer les maîtrises d’ouvrage depuis le désengagement de l’État de ses missions d’assistance technique. L’appel à projet concernant les méthaniseurs prévu par le projet de loi pour le monde rural pourrait ainsi mobiliser les conseils généraux au côté des communes.

Les conseils généraux sont enfin impliqués dans les actions de rénovation thermique. En équipant de panneaux solaires ou de chaufferies bois leurs collèges, ils soutiennent le développement des énergies renouvelables et s’inscrivent dans le cadre de la politique voulue par le Gouvernement.

Si la construction de nouveaux bâtiments publics doit, comme le propose l’article 4, être l’occasion d’atteindre le label BEPOS – bâtiment à énergie positive –, la réglementation ne doit pas alourdir les charges des conseils généraux. Je pense notamment aux obligations thermiques auxquelles sont soumis les bâtiments tertiaires par la loi « Grenelle 2 » : les décrets d’application ne sont fort heureusement pas sortis, mais l’impact d’une telle mesure se chiffrerait, toutes collectivités confondues à plus de 50 milliards d’euros.

Les conseils généraux peuvent, cela étant, contribuer à renforcer l’impact de cette loi, pour peu que le Parlement veille à mieux intégrer cet échelon-clef parmi les acteurs publics concernés.

Je vous renverrai, en conclusion, à deux rapports d’information produits par l’OPECST. Le titre du premier, rédigé par le député Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Marcel Deneux parle de lui-même : « Les freins réglementaires à l’innovation en matière d'économies d’énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc ». Ses auteurs posent notamment la question du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Le second, que j’ai coécrit il y a quelques années avec les députés Christian Bataille et Claude Birraux, se penchait sur la transition énergétique et le temps nécessaire pour diminuer la part du nucléaire dans notre production d’électricité. Nos conclusions étaient qu’il était irréaliste de vouloir aller trop vite et que ramener la part du nucléaire à 50 % d’ici à 2025 était un objectif excessivement ambitieux. L’OPECST plaidait donc pour une trajectoire raisonnée, prévoyant d’atteindre cet objectif à la fin du siècle. Une telle diminution correspond en effet à une réduction de l’ordre de 20 à 25 gigawatts de notre production d’énergie nucléaire, soit l’équivalent d’un jour de consommation d’électricité par semaine !

Mme Hélène Geoffroy, vice-présidente de la communauté urbaine du Grand Lyon, en charge de l’énergie. Nous émettons également un avis plutôt positif sur ce texte de loi. J’insisterai en premier lieu sur la question de la gouvernance, sujet important pour les communautés urbaines, qui sont au cœur de tous les projets d’aménagement urbain, de transports, de réseaux de chaleur et de rénovation des bâtiments.

La réalisation de nos plans d’urbanisme implique l’élaboration de schémas directeurs pour l’énergie, puisque nous disposons désormais de cette compétence ; il est donc important que nos collectivités soient associées à l’élaboration des SRCAE. Le renforcement de la planification énergétique implique également une meilleure cohérence entre les plans locaux d’urbanisme (PLU), les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les programmes prévisionnels énergétiques. Cela signifie également – ce qui n’apparaît pas clairement dans le projet de loi – que les communautés urbaines, qui connaissent bien les programmes d’investissement, soient associées aux discussions entre l’État et les distributeurs sur la programmation pluriannuelle et qu’elles puissent avoir leur mot à dire sur les investissements et la fixation des tarifs.

Depuis la loi sur les métropoles, celles-ci ainsi que les communautés urbaines sont désormais autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE). Cette notion a pourtant disparu du projet de loi ; nous pensons utile de l’y réintroduire, dans la mesure où elle assoirait notre légitimité dans le domaine de l’énergie. J’ajoute qu’il y a débat sur la répartition des rôles entre syndicats et collectivités en matière de distribution d’électricité, et qu’il faut évidemment donner le temps à chacun de trouver sa place.

En second lieu, le projet de loi aborde peu la question de la distribution d’énergie. Nous insistons sur le nécessaire équilibre qui doit présider aux relations entre l’autorité concédante et le concessionnaire en matière de distribution d’électricité. Sans remettre en cause ni la position d’ERDF ni les mécanismes de péréquation qui assurent des tarifs équivalents sur l’ensemble du territoire, les communautés urbaines ont besoin de transparence et doivent avoir accès aux données leur permettant d’établir leurs schémas énergétiques.

Les tarifs d’achat de l’électricité renouvelable manquent de lisibilité, alors que tous les acteurs de terrain conviennent que cette lisibilité est essentielle pour permettre l’émergence de projets innovants et efficaces.

Par ailleurs nous souhaiterions savoir ce qu’il en est du fonds de garantie annoncé avant l’été ainsi que des prêts à taux faible pouvant être consentis aux investisseurs.

Enfin, nous restons attentifs à l’impact budgétaire de certaines mesures. Je pense notamment à la rénovation thermique des bâtiments. Conscients que les collectivités se doivent d’être exemplaires, nous approuvons sa prise en compte dans les PLU et les SCOT, mais la réalisation de bâtiments à énergie positive ne saurait se traduire par un report de charges sur les collectivités.

Nous saluons la création d’un comité de gestion de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), mais j’insiste une nouvelle fois sur les transferts de données entre opérateurs, autorités concédantes et collectivités, dont il est question à l’article 51. Les collectivités en ont besoin pour piloter leur politique énergétique et mieux planifier, par exemple, la gestion des chèques énergie, grâce à une meilleure connaissance des populations bénéficiaires.

L’article 5 instaure l’obligation d’améliorer significativement la performance énergétique chaque fois que des travaux importants sont réalisés. Il nous est annoncé un décret en Conseil d’État. Les collectivités souhaiteraient pouvoir être associées à son élaboration.

M. Jean Révéreault, représentant l’Association des communautés de France (AdCF). C’est une gageure que de tenter de dire en un temps aussi court tout ce que doit nous inspirer cette grande loi, a fortiori dans le contexte législatif mouvant et incertain des différents textes de lois, votés ou à venir, voués à redéfinir les différents niveaux de l’administration territoriale. Les communautés de France plaident quoi qu’il en soit pour un approfondissement de la décentralisation, qui donne corps aux évolutions récentes et à celles que portera la loi sur la nouvelle organisation des compétences.

Il y a dans ce projet de loi plusieurs points qui conviennent aux intercommunalités. Il est très important à nos yeux qu’il y ait une réelle articulation entre notre action et les SRCAE, via les plateformes locales.

Je m’émeus qu’en matière de financement, domaine le plus symbolique de l’émancipation des niveaux infra-étatiques, on en soit encore à opposer le monopole bancaire à des initiatives qui peuvent partir de la base. Il faut faire cesser cela, car le tiers financement est le plus bel outil qui existe pour attacher les citoyens à l’action locale et les mobiliser.

Nous avons relevé des incohérences dans le chaînage des documents de planification et de programmation, et l’AdCF pense que vos juristes doivent clairement faire apparaître l’articulation logique entre SRCAE, SCOT et PCET, sans qu’un niveau de collectivités soit sous la dépendance d’un autre, sans non plus céder à la tentation de la recentralisation, dont le projet de loi n’est pas tout à fait exempt – qu’en est-il par exemple du plan de protection de l’atmosphère ?

Président d’une communauté de communes, je suis également à la tête du Service public des déchets en Charente, syndicat mixte départemental qui gère collecte et traitement ; je me félicite donc que le titre IV du projet de loi soit consacré à l’économie circulaire. Il définit une politique nationale ambitieuse en matière de déchets, en proposant en particulier une véritable révolution des modes de traitement, qui vise à diminuer de 50 % le stockage des déchets. Il est essentiel que cette mutation se fasse dans le respect des collectivités. Le compte n’y est pas aujourd’hui et il est temps que la responsabilité élargie du producteur devienne une réalité. Sur les 8 milliards d’euros que coûte aux collectivités locales le traitement des ordures ménagères, 1,5 milliard sont supportés par les ménages alors qu’ils devraient être financés par l’écocontribution assumée par les producteurs. J’attire également votre attention sur la survie du service public des déchets, que vous serez amenés à examiner lors de l’examen du projet de loi de finances. La TVA sur la collecte des déchets ménagers est passée de 5,5 % à 7 %, puis à 10 %, ce qui est une aberration pour un service public de première nécessité, auquel les citoyens ne peuvent déroger. Il est tout aussi anormal d’ailleurs que cet effort leur soit demandé dans le cadre de l’économie circulaire, pour des déchets qui iront alimenter l’industrie pour la fabrication de produits recyclés.

La loi, en établissant une définition adaptée de la responsabilité élargie des producteurs et en veillant à établir une fiscalité appropriée, doit veiller à protéger l’équilibre budgétaire des collectivités. Par ailleurs, il faut rendre à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sa vertu pédagogique et son rôle originels : faire financer par les mauvais élèves de l’écologie des politiques vertueuses.

Il y a sans doute aussi à débattre de l’articulation entre collectivités.

Pour toutes les communautés de communes, il y a un besoin important d’aller en amont de la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République, s’agissant de certaines compétences qui ne sont pas aujourd’hui clairement définies, ce qui complique la vie des élus dans l’exercice de leur mandat. Je ne parle pas seulement des effets de taille, mais également de la cohérence des politiques relatives à la transition énergétique.

Le temps me manque pour vous faire part de notre position sur la coordination des actions relevant de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations et plus globalement sur la politique de l’eau, notamment l’hydroélectricité.

Sur tous ces sujets, l’AdCF vous transmettra ses propositions avant la date limite de dépôt des amendements.

Mme Frédérique Massat, présidente de l’Association nationale des élus de montagne (ANEM). Notre association a pour spécificité de reposer sur un zonage géographique défini par la loi, la montagne, mais également de regrouper plusieurs niveaux de collectivités – douze régions, quarante-huit départements, 6 249 communes, 596 intercommunalités. À cet égard, permettez-moi de me réjouir de la présence à cette table de plusieurs élus de la montagne, qu’il s’agisse du président de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, de vous-même, monsieur le président Brottes, ou encore de Martial Saddier, élu de Haute-Savoie et ancien président de l’ANEM. Nous avons réussi à tisser notre toile à travers les associations et voyez quel impact que nous pouvons avoir !

La montagne est un gisement d’énergies renouvelables, même si elles ne sont pas toutes présentes dans les mêmes proportions. Ses territoires sont le château d’eau de la France, l’énergie solaire y est très développée, les ressources liées à la forêt dans de moindres proportions, tandis que l’éolien reste difficile à implanter.

L’énergie hydraulique étant la première des énergies renouvelables dans notre pays, les territoires de montagne revendiquent, à juste titre, me semble-t-il, qu’une participation financière vienne accompagner leurs apports. Ils préservent en effet le bon état des eaux, notamment les nappes phréatiques, et contribuent à l’entretien des barrages. La question se pose d’autant plus que les élus de la montagne ne s’interdisent d’envisager de nouvelles installations, notamment des retenues.

L’avenir de l’hydroélectricité – à cet égard, je salue le travail de Marie-Noëlle Battistel, qui est également une élue de montagne –, au-delà de sa part prépondérante dans le mix énergétique, peut aussi s’envisager à travers l’amélioration des équipements, le développement de nouvelles ressources, et la petite hydroélectricité, très présente dans les zones de montagne.

S’agissant du renouvellement des concessions hydro-électriques, l’association des élus de la montagne, comme beaucoup d’autres associations d’élus, tente d’adopter une position de consensus.

M. le président François Brottes. Comme sur la CNR !

Mme Frédérique Massat. Elle ne souhaite pas entrer pas dans le débat sur l’ouverture des concessions ou le recours aux sociétés d’économie mixte (SEM). Elle considère comme une excellente chose le regroupement par vallée de l’exploitation des concessions hydrauliques. Les élus de la montagne réclament toutefois fortement d’être associés à la rédaction éventuelle des cahiers des charges. Quel que soit le scénario retenu, ils demandent qu’il y ait un retour sur investissement au niveau local. Ils n’envisagent pas que l’exploitation des retenues, qui a un impact sur ces territoires, ne s’accompagne pas d’engagements à soutenir des projets de développement, à maintenir de l’emploi et à faire vivre les populations.

En matière de SEM, nous n’avons pas de religion mais, si cette solution l’emporte, nous souhaitons que tous les niveaux de collectivités puissent être associés, même si nous avons bien conscience que toutes les communes, en particulier les plus petites, n’auront pas la capacité de participer, compte tenu du niveau des investissements demandés.

S’agissant de la petite hydroélectricité, nous sommes confrontés au problème du classement des cours d’eau, qui fait l’objet d’un traitement différent selon les territoires. Lors de la discussion du projet de loi, nous défendrons des amendements visant à instaurer une obligation de révision périodique du classement des cours d’eau, notamment lors de la mise à jour du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux.

Concernant le titre II relatif à la rénovation des bâtiments, le texte prévoit essentiellement des mesures en matière d’isolation des immeubles, que nous partageons totalement, mais laisse ouverte la question des modalités du renouvellement du parc des appareils de chauffage domestique. Certaines zones du territoire étant soumises à des températures plus basses, en particulier les zones de montagne, nous considérons qu’il faudrait les faire bénéficier d’incitations particulières, à l’instar du bonus-malus de la loi Brottes. Je pense que des amendements seront déposés en ce sens pour assurer l’égalité entre tous les citoyens.

En matière de transports, nous regrettons que le projet de loi ne comporte aucune disposition favorisant le report modal de la route vers le rail, notamment pour les marchandises. C’est une dimension importante à prendre en compte dans une vision globale du changement climatique. Plusieurs articles auraient pu y être consacrés.

En matière de simplification des procédures, objet du titre VII, nous insistons sur la nécessité d’un apaisement, car la multiplication des recours contre-productifs gèle les projets liés aux énergies renouvelables.

M. le président François Brottes. Même pour les barrages ?

Mme Frédérique Massat. Pour tous les projets, monsieur le président !

En l’état actuel du texte, les tiers peuvent exercer un recours dans un délai d’un an dans le cadre de la procédure de délivrance d’une autorisation d’installation de production. Il nous paraîtrait souhaitable de reconsidérer ce délai pour l’aligner sur le délai de deux mois habituellement retenu pour les décisions administratives.

En matière d’appels d’offres, il est clair que certains ne sont pas adaptés aux territoires de montagne – inadéquation dont souffrent aussi les collectivités d’outre-mer, comme nous avons pu le voir. Il conviendrait dès lors d’assouplir certains critères selon une logique de zonage afin de permettre aux collectivités de montagne de mieux y répondre.

Nous défendrons également des amendements visant à assurer la présence d’un élu de la montagne au sein du comité de gestion de la contribution au service public de l'électricité. Il nous semble important de pouvoir nous aussi nous exprimer sur ces questions.

Par ailleurs, nous émettons des réserves sur l’application de l’obligation d’élaborer des PCAET aux EPCI de plus de 20 000 habitants. Les zones de montagne comptent de petites communes qui auront des difficultés à participer à la mise en place de ces dispositifs.

Je terminerai par les réseaux de distribution, que nous évoquions lors de notre débat sur l’outre-mer. Les mêmes problématiques s’appliquent aux territoires de montagne, où leur installation et leur entretien impliquent aussi des surcoûts. Il conviendrait d’établir un fléchage beaucoup plus pertinent des moyens du Fonds d’amortissement des charges d’électrification et de revoir sa gouvernance, dans la perspective d’un maintien de la péréquation tarifaire dont la disparition aurait de lourdes conséquences pour nos territoires.

M. le président François Brottes. Nous allons clore ce tour de table avec Martial Saddier, qui n’est pas là pour témoigner de la survivance du cumul des mandats dans notre pays (Sourires), mais pour exprimer la position de l’Association des maires de France.

M. Martial Saddier, représentant de l’Association des maires de France (AMF). Je me suis efforcé d’avoir des modèles dans toutes les familles politiques, et vous en faites partie, monsieur le président. (Sourires.)

Tout d’abord, je vous demande de bien vouloir excuser notre président, Jacques Pélissard, qui m’a demandé de le représenter pour vous transmettre les propositions et les remarques de l’AMF, dictées par les principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés : ancrage territorial des politiques énergétiques, subsidiarité et péréquation tarifaire nationale, recherche de leviers financiers et techniques pour accompagner et soutenir les actions des collectivités territoriales, expérimentation – à cet égard, nous nous félicitons que le texte ouvre son champ, comme la Constitution le lui permet.

Nous prenons acte de l’identification de la région en tant que force organisatrice globale, tout comme de la reconnaissance du rôle essentiel du bloc local dans la réalisation concrète de la transition énergétique.

Nous avons toutefois des inquiétudes au sujet du caractère inflationniste de certaines mesures dont la complexité pourrait aboutir à des superpositions, à l’extension du champ du recours contentieux et à une augmentation des coûts qui pèsent sur les collectivités territoriales.

Nous invitons, par ailleurs, députés et sénateurs à être attentifs à la responsabilité pénale des élus en matière de qualité de l’air. Il ne faudrait pas que l’État se défausse sur les maires ou les présidents d’intercommunalité en leur laissant assumer la charge de réaliser les objectifs.

Comme d’autres l’ont relevé avant moi, les moyens financiers suscitent également des inquiétudes. Le bouclage financier du projet de loi n’est pas assuré à l’heure où nous parlons, et nous redoutons les incidences que cela pourrait avoir sur le bloc local.

Nous nous préoccupons des effets directs ou indirects de certains dispositifs sur la vie des habitants et des habitantes des collectivités territoriales que nous représentons au même titre que les élus. Je pense notamment à l’interdiction faite aux véhicules les plus polluants de circuler, sachant que ceux qui les utilisent ne le font pas par plaisir mais parce qu’ils n’ont pas le choix. Je déplore l’absence totale de mesures d’accompagnement pour le renouvellement de ce parc comme pour le renouvellement des équipements de chauffage défectueux, qu’il s’agisse des cheminées ouvertes, des chaudières au fioul ou à gaz.

La présidente de l’ANEM a souligné l’absence de mesures consacrées au transport des marchandises, je n’y reviens pas.

Enfin, il me semble utile de rappeler que si tous les territoires sont favorables aux énergies renouvelables, toutes les énergies renouvelables ne sont pas forcément adaptées à tous les territoires. Ainsi, la géothermie profonde est peu compatible avec la présence de réserves importantes d’eau potable. Des précautions s’imposent selon les spécificités de chaque territoire.

J’en viens au détail du texte.

S’agissant de l’article 3, nous sommes défavorables à ce que la loi permette de passer outre les autorisations d’urbanisme délivrées par les collectivités territoriales, communes ou intercommunalités, si la compétence est déléguée.

Nous redoutons que les dispositions des articles 4 et 5, pour des raisons de forme, n’aboutissent par leur superposition à une complexification et à un alourdissement des coûts.

À l’article 9, l’objectif d’inscrire dans la loi une proportion obligatoire de véhicules propres dans les flottes des collectivités publiques est louable, mais il se heurte à plusieurs objections. Tout d’abord, nombre d’entre elles se sont déjà engagées dans le renouvellement de leur parc. Ensuite, il n’est pas sûr qu’il appartienne au législateur d’imposer un tel pourcentage. Enfin, d’un point de vue technique, certains véhicules n’ont pas d’équivalent parmi les véhicules propres.

Concernant la pollution de l’air, si nous prenons acte du retour dans la loi des plans de protection de l’atmosphère, qui avaient été supprimés, nous estimons qu’il y a lieu de clarifier les responsabilités pénales en la matière. L’article 18 appelle, quant à lui, des clarifications, compte tenu des risques de superposition de procédures administratives extrêmement lourdes.

S’agissant des déchets, la volonté d’inscrire dans la loi un pourcentage est une fois de plus louable. Je salue d’ailleurs l’honnêteté de Mme la ministre, qui a reconnu lors de son audition que les objectifs fixés par la loi étaient extrêmement ambitieux et ne seraient pas forcément atteints dans les délais. La vertu pédagogique risque de se heurter à la réalité des faits : financement et moyens posent problème et la filière industrielle pourrait elle-même ne pas être prête. Or, un écart avec les objectifs affichés est toujours délicat en termes de crédibilité. Nous craignons que les élus locaux en soient tenus responsables.

Une mesure en particulier nous inquiète très fortement : l’article 21 prévoit de donner aux éco-organismes la possibilité de sanctionner la gestion des déchets d’une collectivité, ce qui nous paraît tout simplement inacceptable du point de vue tant du bon fonctionnement de ce service que du respect de l’autonomie des collectivités territoriales.

S’agissant de la question cruciale du financement des énergies renouvelables, nous pensons, je le répète, que le texte n’est pas abouti mais nous faisons confiance à la représentation nationale pour apporter les compléments nécessaires.

Si, aux articles 26 et 27, nous saluons la possibilité offerte au bloc local de participer au capital des sociétés anonymes, nous souhaitons que le décret prévu ne réserve pas aux plus grandes des collectivités territoriales, c’est-à-dire aux régions, la possibilité de participer au capital des sociétés d’économie mixte.

M. le président François Brottes. Pas d’OPA hostile !

M. Martial Saddier. Nous rejoignons la présidente de l’ANEM pour dire qu’il est impératif que le bloc local soit représenté dans le comité de gestion de la CSPE.

Enfin, à l’article 56, nous souhaiterions que soit précisé que les actions menées par les EPCI peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d’économie d’énergie, comme le prévoit la loi Grenelle.

M. le président François Brottes. Je précise, avant de donner la parole à mes collègues pour poser des questions, que si M. Queyranne n’a pas évoqué l’outre-mer, c’est que nous avons consacré une réunion ce matin même à la présentation du rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Concernant l’ouverture des possibilités données aux collectivités d’entrer au capital des sociétés anonymes de production d’énergies renouvelables, quel regard portent les collectivités que vous représentez ? Quelle gouvernance les collectivités sont-elles à même de mettre en œuvre pour soutenir les exploitations de production d’énergies renouvelables ? Quelle solution retenir entre partenariat actionnarial et financement participatif pour ces projets dont l’objectif premier est bien de susciter l’adhésion des citoyens ?

L’Association des régions de France préconise dans ses amendements que les collectivités puissent bénéficier automatiquement des tarifs d’achat proposés par voie d’appels d’offres. À quels freins sont liées les difficultés qu’elles rencontrent pour y répondre ?

Monsieur Queyranne, je connais votre attachement sans faille à la Compagnie nationale du Rhône, vous connaissez le mien pour la filière hydraulique française dans son ensemble. Que pensez-vous de la possibilité donnée aux collectivités d’être partenaires, aux côtés de l’État, des SEM ? À quel niveau minimum doit, selon vous, se situer la part publique pour être pertinente ? La prolongation des concessions fondées sur le calcul barycentrique vous semble-t-il préférable ?

S’agissant de la petite hydro-électricité, madame Massat, j’ai bien pris note de votre souhait d’une révision régulière du classement des cours d’eau. Je le partage totalement. Les différences entre départements sont parfois très fortes. Par exemple, dans les territoires dotés de schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), les cours d’eau ont pu être analysés beaucoup plus finement. Il faut étudier la possibilité de réviser ces classements au regard de l’évolution de la technique comme de la modification des milieux.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Je regrette tout d’abord que le président de l’OPESCT ait choisi de n’évoquer que deux rapports, alors qu’il aurait pu citer le rapport sur la mobilité sobre dont je suis l’auteur, adopté, lui, à l’unanimité, à la différence de l’un des deux rapports qu’il a cités, plus tendancieux… (Sourires.)

S’agissant du service public de l’efficacité énergétique, il nous paraît important d’avancer. Les parlementaires, du fait de l’article 40 de la Constitution, n’ont pas la possibilité de déposer des amendements visant à créer des services publics. L’idée qui doit nous guider est-elle bien celle d’une coordination au niveau régional d’un service public se déclinant dans les territoires ?

Le projet de loi ne prévoit que la prise en compte des gisements d’énergies renouvelables. Ne pensez-vous qu’il devrait favoriser une articulation plus forte entre les schémas régionaux et la réalisation des programmations pluriannuelles de l’énergie ?

Etes-vous d’accord sur le fait qu’il devrait également favoriser la compatibilité entre schémas régionaux et PCAET, avec une déclinaison au plus près des territoires ?

Depuis l’ouverture des travaux de la commission spéciale, nous avons un débat sur la distribution d’électricité. Nous pensons qu’il pourrait être pertinent de revoir ses liens avec la production. Par ailleurs, nous estimons qu’il serait bon que les collectivités, en l’occurrence les AOD, soient parties prenantes du conseil d’administration d’ERDF et qu’un travail soit mené sur la coordination des investissements. Cela vous paraît-il pertinent ?

Enfin, dernière question : considérez-vous que l’article consacré aux données est suffisant ? Si non, quelles seraient vos préconisations pour aller plus loin, tout en préservant l’anonymat des personnes, cela va de soi ?

Je retiens la remarque très pertinente qui a été faite à propos du chèque énergie. Il serait en effet intéressant d’établir un lien avec l’accompagnement territorial des politiques de précarité, aspect qui n’est pas pris en compte dans le projet de loi.

Mme Sabine Buis, rapporteure sur les titres II et IV du projet de loi. Tout d’abord, je note que chacun parmi vous s’accorde à dire que, malgré les contraintes, les collectivités territoriales ont toute leur place dans le chantier énorme qu’est la transition énergétique. Cela mérite d’être souligné, me semble-t-il.

S’agissant de la rénovation des bâtiments, j’ai bien pris note de la proposition de M. Queyranne d’ajouter avant l’article 3 un article additionnel fixant des objectifs.

À propos des bâtiments publics, les élus que vous êtes ont posé la question de l’exemplarité des collectivités. Certes, elle se pose mais des contraintes financières s’imposent à nous, principe de réalité qu’il ne faut pas esquiver. Il est important de se dire qu’il existe un autre type d’exemplarité, celle de l’action publique, qui met en jeu sa crédibilité même, sujet sur lequel nous sommes attendus au plus haut point à l’heure actuelle. Au-delà du chantier de la rénovation énergétique, il y a cet autre chantier qu’il faut garder à l’esprit. Cela dit, maintenir l’objectif pour les bâtiments publics est important, même s’il représente des contraintes pour les collectivités.

À Martial Saddier, je répondrai que la loi ne propose nullement de passer outre les documents d’urbanisme. Bien au contraire, elle prévoit qu’ils apportent des précisions et portent des ambitions.

Autre question importante : celle des logements, qu’il s’agisse des copropriétés, des logements particuliers ou des logements isolés. Des pistes ont été avancées et j’aimerais que nous les explorions de manière plus approfondie : le carnet de vie, le tiers financement, l’apport du service public régional de l’efficacité énergétique. Pourriez-vous, monsieur Queyranne – puisque c’est principalement vous qui les avez évoquées –, nous expliquer en quoi elles pourraient nous permettre d’aller plus loin dans notre ambition et de mieux réaliser nos objectifs ?

Je terminerai par la notion d’économie circulaire, qu’il ne faut pas négliger. Pour beaucoup d’entre vous, se limiter à la gestion des déchets est trop restrictif, et je vous rejoins. Avez-vous à proposer une autre définition de l’économie circulaire que celle posée dans le projet de loi ? S’agissant des filières de responsabilité élargie du producteur, certains se sont posé la question de savoir s’il fallait les élargir. Je considère que si nous réussissons à imposer ce que chacun est en mesure de faire, ce serait déjà une bonne chose.

M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Monsieur Queyranne, vous évoquez la planification des déplacements urbains ; je propose pour ma part d’y ajouter un plan de mobilité rurale, qui viendrait compléter les SCOT : il s’agirait de coordonner l’ensemble des plans de déplacement – des entreprises, des établissements scolaires, de l’administration… – en prenant en considération tous les types de transports, y compris le covoiturage, le transport fluvial, etc. Ces plans seraient établis et gérés par l’intercommunalité quand elle coïncide avec le périmètre du SCOT, ou à défaut par le syndicat mixte de SCOT. La région, à son tour, coordonnerait l’ensemble de ces plans et construirait un plan de mobilité propre et durable.

Quant au parc de véhicules propres, la loi impose certes un minimum de 20 % pour les collectivités territoriales, mais sans fixer de calendrier : cela ne me paraît donc pas choquant.

Faut-il proposer la mise en place de plans de déplacement pour les agents des collectivités territoriales, comme ce sera le cas pour les entreprises ? C’est une question qui reste posée.

M. le président François Brottes. Je ne suis pas favorable à un droit de veto des régions sur les plans de déplacement. Nous en reparlerons.

M. Jean-Yves Le Déaut. Plusieurs rapports de l’OPECST ont été rendus pour préparer cette loi. L’une des personnes que nous avons auditionnées nous a déclaré : « Pouvons-nous nous contenter, dans un pays où il manque un million de logements et où il faudrait rénover 800 000 logements chaque année, de changements à la marge ? Il faut jeter des pavés dans la mare, et pour cela il faut une volonté politique forte, capable de mettre au pas une administration vivant de la complexification réglementaire. » Ce dangereux gauchiste, c’est Yves Farge, ancien directeur de la recherche et du développement du groupe Péchiney, ancien président du comité consultatif du Centre scientifique et technique du bâtiment, membre de l’Académie des technologies. Aujourd’hui, c’est la centralisation, et non la décentralisation, qui freine globalement la rénovation thermique du bâtiment.

L’idée d’un article additionnel qui fixe des objectifs me paraît judicieuse.

S’agissant du service public régional, il me semble que le niveau régional est le plus pertinent, la région jouant alors un rôle de coordination des différentes collectivités territoriales. Pour l’indispensable simplification des aides, comme pour la mise en place du « carnet de vie » des bâtiments, l’échelon régional n’est-il pas le plus pertinent ? Toute rénovation ne devrait-elle pas passer par un audit, et ne devrait-on pas disposer, comme en Allemagne ou en Suède, de conseillers à la rénovation, labellisés et coordonnés ?

Le droit à l’expérimentation me paraît crucial. Il a déjà beaucoup été question de tiers financement ; il existe, dans le code de la consommation, un prêt viager hypothécaire : ne pourrait-on pas l’élargir pour permettre des travaux de rénovation ?

Ne faudrait-il pas rendre obligatoire la prise en compte, dans les appels d’offres pour des équipements énergétiques, de la maintenance, et d’une façon générale du coût du projet tout au long de sa vie ? Aujourd’hui, on ne compte souvent que le coût de l’équipement à l’achat, mais cela peut finir par revenir très cher aux collectivités territoriales.

Enfin, l’idée de certificats d’économie d’énergie me paraît très judicieuse. Les collectivités territoriales ont un rôle très important à jouer dans ce domaine.

M. Jean-Louis Bricout. Élu d’un territoire rural, je vois beaucoup de marchands de sommeil qui profitent de la fragilité de nos concitoyens pour louer des logements qui sont de véritables passoires énergétiques. Aujourd’hui, un maire peut intervenir pour obliger les propriétaires à réaliser des travaux pour améliorer la sécurité ou la salubrité, mais pas pour améliorer la performance énergétique, même dans des cas extrêmes – je parle de logements classés G. Que pensez-vous de l’idée d’inscrire dans la loi la notion d’insécurité économique ? Que pensez-vous d’une obligation de travaux, pour que les familles sortent d’un tel niveau de précarité énergétique, et pour lutter contre ces bailleurs indélicats ?

Quant au chèque énergie, j’ai déposé un amendement qui propose de prendre en considération la situation géographique, mais aussi l’altitude, en se fondant sur la norme BBC (bâtiment basse consommation).

M. le président François Brottes. Eh oui, les besoins en énergie ne sont pas les mêmes selon l’endroit où l’on habite, je le confirme, et je vois que cette notion de bon sens est maintenant admise ! (Sourires.)

Mme Audrey Linkenheld. J’ai été rapporteure de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), et les débats que nous avons eu alors convergent très largement avec ceux que j’entends aujourd’hui. M. Philippe Bies, rapporteur pour avis, a les mêmes souvenirs que moi : nous avions parlé de hiérarchie des normes en matière de planification territoriale, des prescriptions environnementales ou écologiques que l’on pouvait inscrire dans le règlement d’un PLU – une première avancée importante a été réalisée par la loi ALUR –, des sociétés de tiers financement, et surtout d’habitat indigne et de copropriétés dégradées.

Je pourrais en particulier rappeler que j’avais vainement plaidé, auprès de la précédente ministre du logement, pour l’actualisation du décret de 2002 qui définit ce qu’est un logement décent, et en particulier pour l’intégration de la performance énergétique des logements dans ce décret. Nous avions d’ailleurs, en désespoir de cause, obtenu la remise d’un rapport au Parlement sur ce sujet ; il devrait nous être remis très prochainement, me semble-t-il, et il pourrait utilement éclairer nos débats d’aujourd’hui.

M. Jean Launay. Le Gouvernement envisage la prolongation des concessions hydroélectriques de la Dordogne et du Rhône. En revanche, il est question de soumettre à la concurrence la production d’hydroélectricité dans la vallée du Lot et de la Truyère. Or il faut rappeler qu’une convention plutôt innovante de soutien des étiages a été passée pour cette vallée avec EDF, dès 1989, et qu’elle doit durer jusqu’à la fin des concessions : l’importance de ce soutien pour la qualité des eaux, le tourisme, l’agriculture… est prouvée. Quel est l’avis de l’ANEM sur la prolongation des concessions avec EDF ? Quelle est votre position à propos de la redevance sur le chiffre d’affaires de la production électrique et de sa répartition ?

M. Jean-Jack Queyranne. Madame Battistel, l’administration s’est toujours montrée très réservée à l’idée d’autoriser les collectivités territoriales à entrer dans des sociétés anonymes, et aujourd’hui, ce n’est possible que de façon très limitée. Le projet de loi constitue donc une avancée, qui est due à la réussite de projets européens. Nous allons vers une gestion de l’énergie de plus en plus décentralisée : il est donc logique que les collectivités territoriales interviennent. S’agissant de la gouvernance, nous ne sommes pas dans le cas d’une société d’économie mixte, la collectivité locale sera donc minoritaire, et elle ne détiendra donc pas la présidence.

Nous proposons un bonus de 10 % sur les tarifs d’achat quand c’est la collectivité publique qui mène le projet – souvent, ce sont des projets plus difficiles – et de 20 % quand il y a une participation citoyenne. Il faut vérifier si cela est possible juridiquement.

En matière de concessions hydroélectriques, l’idée de remettre en jeu les concessions pour une vallée tout entière, et non plus ouvrage par ouvrage, tout en associant toutes les collectivités territoriales qui le souhaitent, me paraît une grande avancée : aménager une vallée, ce n’est pas seulement produire de l’électricité, c’est aussi aménager tout un territoire.

La Compagnie nationale du Rhône est une création législative qui a très bien réussi. Sa mission n’est pas terminée. La méthode du barycentre est l’une des formules envisagées, et elle permet de justifier la prolongation des concessions d’une quinzaine d’années.

Monsieur Baupin, invoquer un risque au titre de l’article 40 pour s’opposer à la création d’un service public régional de l’efficacité énergétique me paraît exagéré.

Mme Barbara Pompili. C’est pourtant à prévoir !

M. Jean-Jack Queyranne. Il s’agit ici d’établir un service public local.

M. le président François Brottes. L’article 40 concerne toutes les dépenses publiques.

M. Jean-Jack Queyranne. Il me semble qu’il est invoqué pour les seules dépenses de l’État ; sinon, nous ne pourrions plus rien faire !

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Nous sommes bien d’accord, mais…

M. Jean-Jack Queyranne. Si c’est le cas, alors l’article 40 devient une façon commode de déposséder le Parlement de ses pouvoirs.

Ce service public est en tout cas un sujet très important ; il se développe notamment à travers les plateformes de la rénovation énergétique, dont nous pensons qu’elles sont très efficaces pour mobiliser les propriétaires mais aussi tout le tissu économique. Ces plateformes doivent se déployer notamment au niveau des intercommunalités, comme le soulignait M. Révéreault : c’est là que la partie se gagnera.

Monsieur Plisson, aujourd’hui, les régions établissent des schémas régionaux des services de transport ; ces schémas n’ont pas vocation à s’arrêter aux limites des villes, ils doivent concerner les territoires ruraux. J’espère que le législateur confiera un jour aux régions les transports qui relèvent aujourd’hui des départements, mais c’est un autre débat.

M. Christophe Porquier, représentant l’ARF. J’ajoute qu’il ne faut pas imaginer le service public régional de l’efficacité énergétique comme une nouvelle administration, avec de nouveaux fonctionnaires et de nouvelles charges ; ce que nous voulons, c’est construire un instrument de coordination des politiques publiques. L’essentiel de la rénovation de logements sera fait au niveau des communautés de communes, mais il faudra établir un plan de formation des artisans, il faudra échanger avec les organisations professionnelles et les chambres de métiers... Pour aider à l’industrialisation des pratiques, pour mettre en œuvre un plan de formation, pour établir une cohérence entre les différentes pratiques locales, c’est bien l’échelon régional qui est pertinent.

Les besoins sont importants, et des outils comme le carnet de vie des bâtiments ou le tiers financement peuvent permettre d’y répondre. Un propriétaire qui s’est déjà endetté autant qu’il le pouvait pour acheter son logement ne pourra plus emprunter auprès des banques pour réaliser des travaux d’amélioration énergétique ; il est donc condamné à continuer de payer du gaz, du fioul ou de l’électricité, et il contribue à la dette énergétique de notre pays – qui est au total, je le rappelle, de 70 milliards d’euros. Aidons-le par un système de tiers financement à réaliser des travaux : cet argent sera utilement employé.

Enfin, monsieur Baupin, je crois que la question des énergies renouvelables doit également aussi être traitée à l’échelon de la région. Les objectifs nationaux, la programmation nationale que vous évoquez ne sont pas suffisants, notamment pour la biomasse, le bois et la méthanisation. L’adéquation entre les projets et la ressource ne peut pas être programmée au niveau national : là encore, c’est l’échelon régional qui est pertinent. Les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) sont très importants.

M. le président François Brottes. J’estime pour ma part qu’il faut une cohérence nationale : sur la biomasse, par exemple, il faut à la fois une approche régionale et une régulation nationale.

Mme Hélène Geoffroy. S’agissant de la participation au capital de sociétés anonymes, nous y sommes plutôt favorables. Jean-Jack Queyranne a répondu sur l’article 26 du projet de loi. L’article 27 permet aux sociétés de production d’énergie renouvelable d’ouvrir leur capital aux collectivités et aux citoyens ; nous souhaiterions que cette possibilité soit ouverte à tous.

S’agissant des différents schémas et plans, qui doivent être cohérents, nous préférons l’instauration d’une collaboration entre les différents collectivités à l’établissement d’une hiérarchie. Les communautés urbaines interviennent fortement en matière d’urbanisme et d’énergie, et nous souhaitons donc être bien présents sur ces questions : la question de la gouvernance nous apparaît donc essentielle.

S’agissant de la question des données, nous voulons insister sur la transparence des relations entre concessionnaire et concédant, qui passe par la communication des données. Le projet de loi renvoie aujourd’hui à un décret : nous souhaitons être associés à l’élaboration de celui-ci, et à tout le moins qu’il précise que la communication des données se fait gratuitement, et à une échelle qui permette un pilotage suffisamment fin pour atteindre nos buts en matière de maîtrise de la demande et d’efficacité énergétique.

Nous souhaiterions également que l’article 51 mentionne les autorités concédantes.

M. Jean Révéreault. Les propos très justes de M. Plisson sur les transports s’appliquent aussi parfaitement à la question de l’énergie.

Les intercommunalités jouent un rôle important en matière de transport, d’urbanisme, de développement économique, d’énergie : il serait judicieux que la loi leur donne compétence pour organiser la distribution – c’est la bonne échelle. Notre organisation est centenaire : l’AdCF souhaite qu’elle évolue. Évidemment, le débat serait animé.

M. le président François Brottes. Mais, dans ce cas, comment serait gérée la péréquation ?

M. Jean Révéreault. On pourrait tout à fait gérer autrement la péréquation. Pourquoi s’interdire de réformer ?

M. le président François Brottes. S’il n’y a plus de péréquation nationale, il n’y a plus de tarif unique de l’électricité non plus !

M. Jean Révéreault. Je ne peux pas répondre à de telles questions en une minute ou deux ! Je dis qu’il faut oser bousculer nos habitudes, même si je peux comprendre vos réticences.

M. le président François Brottes. Vous êtes là pour ouvrir le débat, mais je souligne que c’est là un très vaste sujet. On ne peut pas lancer de telles provocations sans mesurer tous les effets qu’aurait une telle mesure !

Vous pouvez nous soumettre des propositions. Le débat aura lieu en séance.

M. Jean Révéreault. Il est temps de donner plus de force à l’action intercommunale, et le statut d’autorité organisatrice de la distribution d’énergie le permettrait. Bien sûr, il y a aurait des conséquences.

M. Martial Saddier. Madame Battistel, l’AMF est pour sa part extrêmement favorable à la participation des collectivités territoriales aux sociétés anonymes ; nous étions même favorables à la première version du texte, qui prévoyait une obligation.

Monsieur Baupin, nous sommes également favorables à la compatibilité des plans et des schémas – encore faut-il que la procédure prévoit que tous les acteurs soient bien associés à leur élaboration.

Madame Buis, sur les dérogations aux documents d’urbanisme, vous avez compris que c’est le renvoi à un décret en Conseil d’État qui nous inquiète : nous comptons sur vous pour essayer d’obtenir les grandes lignes de ce décret.

Monsieur Plisson, la ruralité ne doit évidemment pas être exclue des plans de mobilité. Mais nous nous inquiétons de la multiplication et de la superposition des plans et des schémas, pour des raisons de coût, de complexité administrative, de risques contentieux...

Mais cohérence ne veut pas dire tutelle d’une collectivité sur l’autre.

M. le président François Brottes. M. Sido a dû partir et vous prie de l’en excuser. Il me charge aussi de vous dire qu’il partage mon point de vue sur la péréquation.

Mme Frédérique Massat. Je partage moi aussi vos exigences en matière de péréquation.

Monsieur Launay, l’ANEM soutient la prolongation de la concession hydroélectrique de la vallée du Lot et de la Truyère : des investissements importants doivent être réalisés maintenant, et les enjeux sont importants.

Madame Battistel, je suis heureuse que vous partagiez notre point de vue sur la révision périodique du classement des cours d’eau. Il serait sans doute bon de l’inscrire dans la loi.

Monsieur Bricout, la modulation du chèque énergie que vous proposez paraît en effet judicieuse.

M. le président François Brottes. Merci de vos réponses claires et lapidaires.

13. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT, M. Dominique Olivier, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), accompagné de M. François Delatronchette, et M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO)

(Séance du mercredi 17 septembre 2014)

Mme Béatrice Santais, présidente. Notre commission spéciale reçoit aujourd’hui des représentants des syndicats, qui vont exposer tour à tour leur position sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.

M. Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Bien que la CFDT approuve les grands objectifs définis dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, je voudrais formuler quelques réserves et remarques.

Il nous semble que la recherche d’un « prix compétitif de l’énergie » va à l’encontre de la philosophie du signal-prix, qui tend à dissuader la consommation. Si le projet de loi pose en principe l’économie circulaire, cette référence au prix compétitif est dénuée de sens, puisque le but est précisément de se passer du recours à l’énergie.

Par ailleurs, plutôt qu’un « accès de tous à l’énergie », il vaudrait mieux évoquer un « accès aux services requérant de l’énergie ». Il ne faut pas se borner à viser l’optimisation des ressources et de l’énergie, mais englober cet objectif dans une approche plus large incluant le transport et la mobilité durable, notamment pour définir les territoires à énergie positive.

La CFDT approuve et soutient les objectifs ambitieux du projet de loi, notamment la division par quatre des gaz à effet de serre d’ici à 2050, ainsi que la division par deux des consommations finales d’énergie. Mais il manque, à ses yeux, un objectif intermédiaire de réduction de la consommation pour 2030. Nous souhaiterions également que la loi précise que la sobriété passe avant l’efficacité énergétique, alors que le projet de loi prend le chemin inverse. Enfin, la question des informations stratégiques à protéger dans le champ de l’énergie et de la mobilité n’est pas traitée. Certaines sociétés pourraient faire main basse sur des informations commerciales ou des données de géolocalisation, et il ne faudrait pas que, demain, le consommateur soit contraint de passer par elles, comme il est aujourd’hui obligé de passer par Booking.com pour réserver une chambre d’hôtel. C’est la puissance publique – par le biais d’une agence, par exemple – qui doit garder la mainmise sur ces données : ceux qui en ont besoin y auront accès, mais elles ne seront pas monnayées.

En matière de rénovation thermique, nous sommes plutôt favorables aux mesures envisagées, notamment celles qui visent à lever les freins en matière de règles d’urbanisme pour des obligations de travaux motivées et limitées. Il manque toutefois un cadrage des guichets uniques pour les candidats à la rénovation thermique des bâtiments. Nous avons aujourd’hui des espaces Info-énergie et des structures décentralisées de l’ADEME : que vont-ils devenir ?

Le tiers financement doit également être facilité, afin que les collectivités territoriales puissent nouer des partenariats avec les établissements bancaires. Cela exigerait une dérogation, limitée et ponctuelle, au code monétaire et financier.

En ce qui concerne le transport et la mobilité durable, nous critiquons la priorité donnée aux véhicules électriques et hybrides rechargeables, dont l’usage ne devrait pas être généralisé. Le chiffrage des bornes de recharge est au demeurant fantaisiste, car elles coûteront sans doute plus cher. Il faut d’ailleurs préciser ce que sont des véhicules propres. Nous donnons la priorité à la motorisation au gaz renouvelable, issu de la biomasse, qui permettrait d’éviter l’usage de gasoil très polluant et émetteur de particules fines. Certaines innovations, comme l’Hybrid Air de Peugeot, sont déjà assez performantes.

Les transports par câble, tel le téléphérique urbain, sont quasi inexistants en France. Ils représentent pourtant un fort potentiel : quatre-vingts pays en sont déjà équipés.

Quant au soutien aux énergies renouvelables (EnR), la modulation du tarif d’achat en fonction d’un prix de marché et d’un complément de rémunération est une formule qui nous convient. Mieux vaut en effet encourager l’investissement que la rente, car un tarif d’achat garanti n’est rien d’autre qu’une rente sur vingt ans.

Nous estimons que les citoyens et les collectifs citoyens doivent pouvoir participer à des sociétés de projet d’EnR, sans que cela soit une simple option.

Au sujet des concessions hydrauliques, il faut éviter la politique de l’autruche et répondre aux exigences de l’Union européenne. Le système proposé présente cependant des faiblesses. Certes, il sécurise l’emploi et le statut des salariés des ouvrages. Mais le sort des services généraux resterait incertain, car ils ne seraient pas intégrés aux sociétés d’économie mixte (SEM), mais ne pourraient travailler pour l’opérateur historique. Enfin, le système intégré de l’hydroélectricité serait affaibli, puisque la production et le réseau seraient nettement séparés. Mieux vaut ouvrir une large concertation et surseoir à ce qui est envisagé.

Au-delà des chiffres invoqués comme des totems, la CFDT défend une réduction de la part d’électricité provenant du nucléaire, mais elle la chiffre à 60 % en 2030. Bien sûr, certaines centrales devront fermer, mais il convient de réfléchir à la manière de s’y préparer. En l’état, le dialogue social ne permet pas de répondre aux questions posées. La transition professionnelle doit être envisagée. Les personnels non statutaires, sous-traitants et prestataires, sont les plus menacés. Les offres de mobilité peuvent apporter des solutions aux personnels statutaires, mais elles peuvent aussi entraîner des problèmes humains et familiaux.

Parmi les points que le projet de loi ne fait qu’effleurer, je citerai l’information des populations. Il ne définit pas les conditions d’une prolongation au-delà de quarante ans de la durée de vie d’une centrale : doit-elle faire l’objet d’une simple information des populations ou d’une concertation enrichie ? Comme la convention d’Aarhus doit-elle s’appliquer en pareil cas ? Loin des préoccupations idéologiques, il faut mener un débat de qualité avec nos concitoyens, pour faire reculer les refus de principe au profit d’une approche plus pragmatique.

Au sujet de la gouvernance, nous approuvons particulièrement la définition d’une stratégie bas carbone avec des budgets carbone sectoriels, de même que la programmation pluriannuelle de l’énergie. Tout cela doit être mis en cohérence avec la déclinaison territoriale prévue dans les schémas régionaux climat, air, énergie (SRCAE). Le volet de l’emploi, des compétences et de la transition professionnelle fait cependant défaut à tous ces instruments de planification. Nous ferons dès demain des propositions écrites à ce sujet.

D’autre part, si le secteur des transports se voit allouer un budget carbone en baisse, comment cette évolution sera-t-elle accompagnée sur le plan social ? La grande distribution est ciblée, alors que d’autres secteurs – auxquels chacun pense – ne le sont pas, tel celui des transports.

M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO). Le projet de loi sur la transition énergétique, fût-il rebaptisé « pour la croissance verte », reprend plusieurs points qui n’avaient pas fait consensus lors du débat national sur la transition énergétique : la réduction de 50 % de la consommation d’énergie en 2050 et la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025. Force ouvrière réaffirme son opposition à ces deux points.

Pour FO, il est indispensable, en matière d’énergie, de partir d’abord des besoins des citoyens et de se situer dans une volonté de développement économique, et notamment industriel, de notre pays. L’objectif de réduction de 50 % de consommation d’énergie, que nombre d’experts estiment d’ailleurs irréalisable, va à l’encontre de ces objectifs et suppose à nos yeux un abandon de toute ambition industrielle et une logique de décroissance.

FO soutient la poursuite des efforts en matière d’efficacité énergétique dès lors qu’elle est fondée sur des incitations. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes opposés aux obligations de travaux prévues par ce texte, qui sont à nos yeux contre-productives. En outre, l’importance des moyens financiers qui doivent être mobilisés dans un contexte de réduction budgétaire, ajouté au fait que le texte n’institue aucune garantie de performance des travaux – elle est pourtant à nos yeux une des conditions de la réussite –, nous fait sérieusement douter de la réalisation des objectifs ambitieux prévus par ce texte.

S’agissant des mix énergétique et électrique, FO rappelle que, pour elle, le mix énergétique optimal doit articuler des impératifs de coût pour les ménages et les entreprises, la sécurité d’approvisionnement pour notre pays, la sûreté des installations – aspect qui, pour le nucléaire, est assuré par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) –, ainsi que la maîtrise des émissions directes ou indirectes de dioxyde de carbone, du nombre des emplois et du niveau des garanties collectives.

FO constate que le projet de loi cible particulièrement l’électricité d’origine nucléaire et laisse très largement de côté le pétrole et le gaz. De ce point de vue, il s’agit plus d’une loi sur l’électricité que d’une loi sur l’énergie. Elle apparaît, en bien des points, calquée sur la politique énergétique menée outre-Rhin, dont l’échec est pourtant aujourd’hui patent.

C’est pourquoi Force ouvrière tient à souligner l’aspect idéologique de ces dispositions, d’autant plus incompréhensibles qu’elles frappent un secteur industriel dans lequel la France est le leader mondial et qui emploie 220 000 salariés. Pour FO, le nucléaire est une industrie d’avenir.

En outre, plusieurs dispositions concernant le nucléaire paraissent inconstitutionnelles : celles plafonnant la part du nucléaire dans le mix électrique ou celles imposant à la seule EDF l’élaboration d’un plan stratégique soumis au contrôle du gouvernement. Il est d’ailleurs singulier de constater que les contraintes ne pèsent que sur l’opérateur énergétique public, mais que les entreprises privées en sont totalement exclues. Nous sommes donc opposés à ces dispositions, et nous en demandons le retrait.

FO s’étonne également que la représentation nationale soit amenée à se prononcer sans que les aspects financiers du texte ne soient documentés. Il n’y a en particulier aucune indication sur l’impact que l’augmentation de la part des énergies renouvelables prônée par ce texte aurait sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) que payent les usagers, pas plus que sur le coût complet des énergies intermittentes, notamment les coûts de réseau. Il n’y a pas non plus d’indications sur l’indemnité, dont le principe est reconnu dans l’étude d’impact, qui devrait être versée à EDF si le texte devait être promulgué en l’état s’agissant du plafonnement du nucléaire.

En réalité, le projet de loi occulte l’échec des politiques de déréglementation et de concurrence mises en œuvre au plan européen sur l’électricité et sur le gaz, avec l’appui des gouvernements français successifs. Il va même plus loin, puisqu’il prévoit des dispositions organisant la mise en concurrence des concessions hydro-électriques. Pourtant, la récente directive européenne sur les concessions permet de maintenir des droits exclusifs au profit des services d’intérêt économique général. Or, en raison du rôle qu’elle joue en matière d’équilibrage des réseaux, l’hydraulique permet de fonder de tels droits exclusifs. Nous demandons donc le retrait des articles sur l’hydraulique : le Gouvernement a ici l’occasion de faire preuve de volontarisme en tournant enfin le dos aux déréglementations.

Quant au volet social du texte, force est de constater qu’il est quasi inexistant. La communication ministérielle affirme que l’efficacité énergétique devrait créer plusieurs milliers d’emplois. Mais ces emplois, dont le nombre dépendra de conditions que nous avons déjà précisées, sont pour nous indépendants du mix énergétique ou électrique choisi.

S’agissant des emplois dans l’électricité, nous tenons à souligner que notre Confédération n’oppose pas les énergies les unes aux autres, encore moins les salariés qui y travaillent. Nous défendons avec la même détermination les salariés de Photowatt, de Total, de GDF Suez, d’Areva, d’EDF et tous ceux qui vont travailler dans la filière de l’efficacité énergétique. Il n’en est pas moins vrai que les salariés du nucléaire se sentent aujourd’hui injustement mis en cause. Pourtant, le Comité stratégique de filière nucléaire prévoit que, d’ici à 2020, 100 000 postes devront faire l’objet de remplacements. Que deviennent ces prévisions avec ce projet de loi ? Aucune indication n’est donnée.

La question de l’emploi se double d’une question de plus en plus prégnante sur les garanties collectives des salariés du secteur, en particulier ceux qui sont soumis au statut du personnel des industries électriques et gazières. En effet, au mépris des textes existants, les exploitants d’éoliennes de plus de 8 mégawatts n’appliquent pas le statut : ils créent des sociétés de projet et sous-traitent l’ensemble de leurs activités. C’est là une fraude à la loi et un dumping social d’autant plus intolérable dans un contexte où l’on souhaite développer les EnR. Le périmètre du statut résultant de la loi et du décret, nous demandons que l’État en garantisse effectivement l’application.

C’est d’autant plus indispensable que l’un des opérateurs historiques, GDF Suez, cherche aussi à se débarrasser des personnels bénéficiant du statut de la maison-mère. Plusieurs parlementaires de la majorité et de l’opposition ont d’ailleurs saisi la ministre de cette question, et nous sommes dans l’attente de sa réponse. Pour éviter toute interprétation, nous demandons donc une modification de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, qui, en 2010, a réécrit le périmètre du statut.

Enfin, nous approuvons la création d’un chèque énergie pour les usagers modestes, quel que soit le mode de chauffage choisi, mais nous n’avons cependant pas bien compris le mode de financement de cet outil.

Présidence de M. François Brottes, président de la commission spéciale.

M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Comme vous le savez, la CFE-CGC s’est pleinement investie dans les débats depuis deux ans. Elle est donc, dans la branche des industries électrique et gazière, satisfaite de pouvoir vous livrer son point de vue sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.

Nous partageons deux grands objectifs de cette loi : la lutte contre le réchauffement climatique et le combat pour la croissance et l’emploi. Ces deux piliers sont indispensables pour préserver le modèle social européen et offrir un avenir acceptable aux générations futures.

Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent qu’il est urgent de développer une véritable stratégie mondiale bas carbone. Cette loi doit donc permettre d’inscrire pleinement la France dans un leadership mondial positif. Car nous sommes convaincus que la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique et la croissance ne sont pas incompatibles. Nous nous inscrivons clairement dans la perspective de la Conférence Paris Climat (COP 21) de décembre 2015, mais aussi dans une perspective de long terme.

Nous soutenons donc pleinement l’ambition de cette loi en matière de facteur 4. Mais cela ne saurait rester un vœu pieux et doit absolument s’inscrire dans une politique européenne forte et cohérente. La nouvelle organisation de la Commission européenne semble aller dans le bon sens, puisque les portefeuilles de l’énergie et de l’action climatique seraient confiés à un seul et même commissaire. Nous allons donc devoir être plus présents sur la scène européenne.

L’urgence climatique nous commande d’aller vite, nous devons donc être à la fois ambitieux et réalistes. Au plan industriel, nous avons à la fois des leaders mondiaux et des start-up : il faut s’appuyer sur eux, non seulement pour qu’ils se développent, mais aussi pour qu’ils continuent à investir en France et à croire en notre pays. C’est l’un des paradoxes de cette loi. Nous sommes dans une économie mondialisée, le réchauffement climatique est mondial, mais c’est l’avenir de la France que nous devons écrire, ce sont les emplois d’aujourd’hui que nous devons défendre, ce sont les emplois de demain qu’il faut préparer.

À la lecture du projet de loi, nous éprouvons quelques regrets. Le principal porte sur la faiblesse du volet social et professionnel. Le projet de loi n’emporte aucun marqueur social, pourtant élément indispensable à la mobilisation des salariés. La CFE-CGC a souhaité voir l’élargissement de la branche professionnelle des industries électriques et gazières à tous les acteurs de la transition énergétique. Cette ambition sociale, à laquelle nous sommes attachés, est l’occasion d’offrir à tous les salariés un horizon social unifié.

Ce marqueur social permettra de préparer les indispensables transitions professionnelles et d’emporter l’adhésion des salariés, et plus globalement des Français. La transition énergétique doit être incarnée, palpable. Nos concitoyens, qui sont tous concernés dans leur famille par le chômage de masse, s’investiront d’autant plus pour changer de mode de vie et de consommation énergétique, s’ils voient dans cette mutation un espoir en matière de travail.

Mais, pour créer de l’emploi durable, le projet doit permettre la construction de filières pérennes. Nous sommes convaincus que les dispositions en faveur de l’efficacité énergétique passive – par l’isolation des bâtiments – ou active – par le pilotage des usages – créent rapidement des emplois, à condition que leur modèle économique repose sur une équation durable, soutenable par le consommateur et le contribuable. Nous plaidons donc en faveur d’un véritable signal prix pour l’énergie et d’un prix incitatif du carbone pour permettre les investissements et le transfert des usages vers des technologies moins émettrices.

Dans ce contexte, nous contestons formellement les propositions d’évolution de la construction tarifaire de l’électricité prévues à l’article 41. Comme le dit Marcel Boiteux, « les tarifs sont là pour dire les coûts, comme les horloges sont faites pour dire l’heure ». C’est la condition sine qua non pour permettre l’investissement dans le secteur électrique. Il est donc inacceptable, pour la CFE-CGC, de renoncer au principe de couverture des coûts. Introduire une variable aussi aléatoire que le prix de marché est pour nous un non-sens économique.

Tout le monde connaît les importantes distorsions qui affectent le prix de marché, en France et plus encore en Europe, en raison des dispositifs publics de soutien aux énergies renouvelables. On a même vu apparaître des prix de marché négatifs ! A contrario, les périodes anticycloniques de nuit peuvent conduire à une explosion des prix. À cela s’ajoutent les incertitudes sur le productible nucléaire belge et les alertes de Réseau de transport d’électricité (RTE) à propos des difficultés d’approvisionnement qui pourraient survenir cet hiver et des mises sous cocon des sites combinés à gaz pour des raisons économiques. Une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité vient d’être lancée. Nous vous proposons d’attendre ses conclusions avant d’engager toute réforme tarifaire.

Nous regrettons d’ailleurs nous aussi qu’une loi aussi fondamentale soit aussi électro-centrée : plus de 60 % de ses articles sont consacrés à l’électricité, et le pétrole, qui représente pourtant 50 % des consommations, en est quasi absent. Quelques esprits mal intentionnés pourraient y voir une loi anti-EDF. Nous sommes de ceux qui disent qu’EDF est au contraire une des solutions françaises pour réussir le pari d’une transition énergétique cohérente, responsable et pragmatique.

C’est pourquoi nous ne pouvons être favorables au volet hydroélectrique de la loi, alors même que les conséquences du réchauffement climatique à l’horizon 2020-2025 vont imposer aux ouvrages hydrauliques de nouvelles contraintes, voire de nouvelles missions de service public : protection contre les crues, limitation de la sécheresse. Nous rejetons donc la privatisation rampante – décidée au nom d’obscures promesses bruxelloises – d’outils stratégiques qui seront encore plus indispensables demain. L’urgence climatique et la Charte de l’environnement inscrite dans la Constitution nous fournissent tous les éléments pour proposer une autre alternative à la concurrence pure et dure.

Il nous semble d’ailleurs que cette loi devrait être l’occasion de renforcer la charte de 2004 sur la base du choix d’un modèle de société bas carbone.

Nous soutenons la stratégie bas carbone proposée, mais tous les objectifs doivent être en cohérence. Nous soutenons tout autant la programmation pluriannuelle de l’énergie qui en découle. Mais elle devra être en cohérence avec tous les dispositifs territoriaux, des SCRAE aux conférences NOME, entre autorités concédantes et autorités gestionnaires des réseaux de distribution. Pour être efficace, la programmation pluriannuelle de l’énergie devra pouvoir être déclinée sur les territoires et être chiffrée.

Par ailleurs, la stratégie bas carbone doit absolument intégrer toutes les composantes du mix énergétique, ainsi que ses indispensables adaptations aux évolutions climatiques. Elle doit intégrer la politique de transport et de mobilité du pays et tenir compte de l’ensemble des énergies.

Il nous semble donc prématuré de fixer une trajectoire pour la production nucléaire, qu’il s’agisse d’une limitation à 50 % ou d’un plafonnement à 63,2 gigawatts, en l’absence de définition du point de départ de notre stratégie bas carbone, qui permettrait de mesurer les valeurs de référence. Un volet géostratégique nous paraît tout aussi indispensable pour préparer l’avenir.

Afin de mettre en œuvre cette stratégie, nous sommes favorables à une priorisation des politiques publiques visant à l’efficacité énergétique en fonction du coût de la tonne de carbone évitée. Il faut donc prioriser les actions d’efficacité énergétique. Mais cette politique sera sans effet si elle n’est pas totalement connectée à la politique du logement et de l’urbanisme. Le coût de la tonne de dioxyde de carbone évitée ou, mieux, de notre empreinte carbone globale doit aussi guider notre politique de développement des énergies renouvelables. De même qu’il faut donner un coût au dioxyde de carbone, il faut déterminer qui finance le coût de l’intermittence de certaines EnR, et privilégier celles qui produisent en continu.

Nous sommes également favorables à une remise à plat de la CSPE et à tous les dispositifs qui favoriseront la transparence vis-à-vis de nos concitoyens, que ce soit à propos des coûts, des impositions de toute nature ou de l’application de la TVA. Il en va de la gouvernance démocratique du système énergétique.

L’évolution de la gouvernance du système énergétique est indispensable pour permettre l’adhésion des salariés, et plus globalement de tous les Français, pour bâtir en toute confiance un socle commun. Nous devons mettre le service public au cœur de la transition énergétique et aller vers un modèle plus participatif dans le secteur de l’énergie, y compris pour mobiliser l’épargne des Français vers la transition énergétique.

Sans confiance, il n’y aura pas de mobilisation ni d’élan créatif, alors que cette loi devrait voir refleurir le génie français.

M. le président François Brottes. Nous n’avons pas eu de nouvelles de M. Denis Lavat, secrétaire fédéral adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui avait pourtant accepté notre invitation.

Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT). Depuis plusieurs années, la CGT s’est engagée dans ce débat qui concerne les salariés, l’emploi, les activités productives et, bien sûr, tous les citoyens. Aussi, nous déplorons que le Gouvernement ait eu recours à la procédure législative accélérée, qui ampute le nécessaire débat démocratique sur un sujet portant des enjeux de société essentiels pour les décennies à venir.

La CGT considère que le projet de loi relatif à la « transition énergétique » n’en porte que le nom. En effet, il n’embrasse pas l’ensemble des questions énergétiques dans une dynamique de réponse aux besoins des populations, dans le contexte inédit et urgent de la limitation drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. Le projet de loi traite essentiellement la question de l’électricité, et ce, de manière partielle. Pétrole, charbon et gaz sont absents, en dehors de la volonté globale affichée de la diminution des ressources fossiles.

La CGT estime que ce projet de loi est très en deçà des ambitions exprimées dans la synthèse des débats qui ont mobilisé de nombreux acteurs pendant plus de six mois.

Elle conteste deux objectifs principaux du projet. Le premier concerne l’objectif de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050. Cette perspective est incohérente avec la démographie dynamique de la France, avec le redressement souhaitable de notre industrie et avec la satisfaction des besoins sociaux. Les baisses de consommation observées ces dernières années ne sont que l’expression des conséquences qu’ont sur l’activité la crise et la disparition de l’industrie dans les territoires.

Pour la CGT, la responsabilité historique devant laquelle nous sommes placés impose un objectif très ambitieux : nous devons contribuer à réduire de 40 % en 2030 les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Pour y parvenir, la France dispose de plusieurs leviers à utiliser au mieux en fonction des atouts dont elle dispose et des moyens matériels qu’elle peut et doit mobiliser. Rien n’oblige à miser de façon aussi massive sur la baisse de la consommation, même si l’efficacité énergétique est une composante de la baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Plusieurs raisons fondent notre conception. D’abord, le redressement de notre industrie, condition primordiale au redressement du pays, suppose un accroissement de nos capacités de production. Compte tenu de l’intégration des dispositifs d’efficacité énergétique dans les process industriels, une baisse massive de la consommation énergétique ne peut être obtenue que par la poursuite de la désindustrialisation du pays.

Ensuite, les délocalisations conduisent à faire fabriquer à l’extérieur les produits que nous devons ensuite importer. Les émissions de gaz à effet de serre correspondantes sont le plus souvent bien plus fortes, compte tenu de la production énergétique des pays concernés. Il s’avère donc pertinent pour la planète et ses peuples de contrecarrer les délocalisations, voire de favoriser les relocalisations.

En outre, selon les meilleures prévisions, la population française devrait passer de 65 millions d’habitants aujourd’hui à 70 millions en 2050. Cette réalité a été clairement sous-estimée dans la cible d’une division par deux de la consommation. En effet, cela supposerait que chaque habitant consommerait 54 % d’énergie en moins.

Est également sous-estimé le transfert d’usage, c’est-à-dire le changement des sources d’énergie utilisées, pour satisfaire un besoin déterminé, alors qu’il peut apporter une contribution importante à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est la raison pour laquelle la CGT a fortement insisté lors de la conférence environnementale de 2012 pour que la dimension des transports soit incluse dans la loi.

Par ailleurs, les nouvelles technologies très consommatrices d’électricité se développent fortement. Enfin, l’accent mis dans le projet de loi sur le développement du véhicule électrique va dans le sens d’un transfert d’usage dans l’utilisation du véhicule individuel vers une source d’énergie peu émettrice de gaz à effet de serre, l’électricité.

Pour toutes ces raisons, la CGT estime que la part de l’électricité va croître dans le bouquet énergétique.

À côté de l’objectif de réduction de 40 % en 2030 des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen et de la division par deux de la consommation d’énergie en France, le projet de loi fixe des objectifs quantifiés quant à la part du nucléaire et celle de la consommation d’énergie fossile, et promeut enfin le développement des EnR.

Le second point contesté par la CGT a trait à la diminution du nucléaire. Pour la CGT, ces objectifs sectoriels sont difficilement conciliables et peuvent conduire à des surcoûts, voire à des impasses. Quand on considère la place centrale de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, on ne peut réduire de façon automatique la part du nucléaire sans expliciter les moyens de produire les 50 % restants. Or le projet de loi est muet sur ce point.

Cela s’explique par deux raisons essentielles qu’il faut savoir lire en filigrane. D’une part, le coût du soutien direct aux EnR est en passe de devenir insoutenable. C’est l’essence du projet de réforme du dispositif d’obligation d’achat, que la CGT a demandé de longue date. C’est aussi pour cette raison que le projet propose la mise en place d’un comité de la CSPE, pour surveiller la montée en charge de cette contribution qui pèse sur les consommateurs. D’autre part, l’adaptation des réseaux au développement des EnR, en électricité comme en gaz, se heurte à des besoins d’investissements, et n’est pas sans poser problème à la sécurité du système énergétique. Cette réalité appelle, pour la CGT, à favoriser et à soutenir la recherche afin de lever les obstacles de tous ordres au développement massif des EnR.

La CGT remarque également que la composante thermique classique, gaz et charbon principalement, n’est pas évoquée dans le projet de loi. Or les pays qui ont fortement développé les énergies renouvelables disposent de capacités thermiques importantes, contrairement à la France. La baisse de 30 % des consommations d’énergies fossiles annoncée en 2030 exclut a priori un recours massif au thermique dans la production d’électricité. Les chiffres avancés semblent donc difficiles à concilier. De plus, la manière dont ils ont été choisis n’est pas non plus explicitée.

Plutôt qu’un plafonnement a priori du parc nucléaire, la CGT estime judicieux un processus d’évolution du bouquet énergétique au fur et à mesure de la maturité des technologies sous le triple aspect social, environnemental et économique. Les choix opérés ont des conséquences dans ces trois domaines.

La hausse des tarifs consécutive à des décisions incohérentes aura des conséquences non seulement sur les usagers, notamment par la hausse des factures, mais également sur l’industrie. Or chacun sait que l’accès à une énergie fiable à un coût abordable constitue un facteur majeur de localisation industrielle, et que cela ne concerne pas seulement les énergo-intensifs.

La France fournit un mix énergétique à un prix moyen inférieur à celui de ses voisins européens. Le prix de l’électricité fournie aux particuliers est en Allemagne de 80 % supérieur à celui pratiqué en France. L’énergie entre en moyenne pour plus de 8 % dans le budget des ménages, ce taux étant cependant plus important pour les ménages modestes. Les taxes qui frappent l’énergie sont lourdes. Pour la CGT, le maintien de choix énergétiques assurant une énergie accessible à tous doit rester une priorité.

Concernant l’efficacité énergétique, la question des transports – premier secteur émetteur de gaz à effet de serre et consommant un quart de l’énergie – n’est évoquée qu’au travers du développement du véhicule électrique. Quant aux questions qui fâchent, elles ne sont pas abordées : le fret ferroviaire ; les fermetures de lignes secondaires ; l’autorisation de circulation des camions de 44 tonnes ; la sous-tarification des transports – maritime, routier, marchandises – ; la multimodalité ; l’urbanisme, qui devrait créer les conditions pour que les salariés n’aient pas à habiter loin de leur lieu du travail en raison du coût des logements ; l’appareil productif manquant pour produire ou recycler, qui conduit à importer la majorité des produits de consommation, sans compter le dioxyde de carbone importé.

Depuis deux ans, la CGT insiste pour que la question des transports soit partie intégrante de la transition énergétique. Comment expliquer que le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre soit évacué de la réflexion ? Cela signifie-t-il que la diminution de nos émissions n’est en réalité qu’un objectif secondaire ? À cet égard, il est inacceptable que la table ronde sur les transports organisée lors de la conférence environnementale de la mi-novembre doive se tenir après le vote de la loi de transition énergétique. C’est d’autant plus ahurissant que cette réunion a été précisément organisée pour réfléchir aux impacts des transports sur l’émission des gaz à effet de serre.

La CGT souhaite formuler plusieurs remarques complémentaires. En ce qui concerne l’isolation des bâtiments, le projet de loi ne répond pas à deux importantes questions. Quelle filière professionnelle voulons-nous ? Celle de la construction a perdu 70 000 emplois en deux ans et emploie 200 000 salariés détachés, payés 600 euros par mois. Quels financements seront disponibles ? On annonce que 500 000 logements seront isolés chaque année, mais cela nécessite de mobiliser entre 10 et 15 milliards d’euros par an. L’obligation d’isolation des bâtiments induite par le projet de loi va poser de sérieux problèmes si les financements adéquats ne sont pas prévus. Même les plus beaux prêts à taux zéro ou les crédits d’impôt ne permettront pas aux propriétaires d’isoler leur maison. En pleine période d’austérité, alors que le « précaire énergétique » type est un propriétaire, vivant dans le monde rural, âgé, et qui se chauffe au fioul, qui peut croire qu’il pourra dégager 250 euros par mètre carré pour financer ces travaux d’isolation qui n’auront un retour sur investissement qu’au bout de vingt ou trente ans ?

Concernant le secteur énergétique, la CGT réaffirme sa totale opposition à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques au travers de SEM. Le projet de loi n’apporte aucune précision quant au périmètre retenu pour l’application de la méthode des barycentres, qui regroupe les concessions au regard d’un critère d’équilibre économique. Par ailleurs, le modèle de SEM retenu fait la part belle aux opérateurs, celle des collectivités territoriales et des personnes, entreprises ou organismes publics, pouvant se limiter à 34 %.

En l’état, ce projet s’avère être la privatisation pure et simple de la production hydroélectrique nationale par le biais du renouvellement par mise en concurrence. Il ne comporte aucune référence au devenir des salariés concernés, et les questions sociales en sont absentes. L’enjeu que va représenter dans les années à venir la gestion d’une ressource essentielle, l’eau, n’est pas davantage abordé.

Des aides consacrées à la précarité énergétique prendraient la forme d’un chèque énergie. Si ce dispositif peut offrir l’avantage de couvrir plusieurs modes de production, tels le fioul et le bois, les montants et conditions d’attribution ne sont pas explicités, non plus que l’assiette précise de la contribution. De même, le devenir des mesures des mécanismes sociaux actuels n’est pas clair.

Des dispositifs variés sont instaurés pour permettre l’efficacité énergétique ou le développement de certaines énergies renouvelables. Le risque est grand de créer une fois de plus des bulles spéculatives pour des entreprises privées, comme sur le marché de l’effacement ou des capacités. In fine, ce sont les entreprises publiques et l’usager qui en paieront le prix, d’autant plus que les mesures annoncées sont incompatibles avec les politiques d’austérité menées.

La question de l’économie circulaire est abordée par le petit bout de la lorgnette, à savoir celui des déchets. La CGT porte une autre ambition, celle de l’éco-conception qui prend en compte les impacts environnementaux dès la conception du produit et tout au long de son cycle de vie : matières premières, fabrication, logistique, distribution, usage, recyclage, déchets. De surcroît, la question particulière du tri des déchets est trop souvent réduite à l’économie sociale et solidaire, et à des emplois de réinsertion. La CGT est favorable à toutes mesures visant à l’effectivité du droit au travail pour tous et à l’emploi de qualité. À ce titre, elle estime que les emplois dits d’insertion doivent constituer une étape dans un parcours professionnel et ne peuvent se cantonner à des secteurs précis.

Enfin, le projet de loi développe l’idée de territoires à énergie positive. La CGT établit un corollaire entre ce projet et ceux visant la réorganisation institutionnelle de la République et de l’action publique dans les territoires. Cette conception de territoires à énergie positive risque de créer des inégalités entre les territoires disposant de moyens de production et ceux qui en sont dépourvus. La mise en place de diverses formes de société permettant de régionaliser la production ou la distribution, s’appuyant sur l’aspiration légitime des citoyens à participer aux décisions ou sur la nécessité pour les collectivités locales de trouver des sources de financement nouvelles, risque de porter un coup fatal au service public national. Ce processus porte en germe la fin du système de péréquation tarifaire, de l’égalité de traitement, des solidarités entre régions. Vous l’aurez compris, cette partie du projet de loi nous préoccupe au plus haut point. La CGT en conteste le principe.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Je souhaite vous interroger sur les seuls titres du projet de loi dont je suis rapporteure, ayant au demeurant déjà échangé avec vous, à l’occasion des auditions qu’Éric Straumann et moi-même avons conduites pour préparer notre rapport sur les concessions hydro-électriques.

Ce projet de loi se veut une loi-cadre qui sera complétée, pour ses modalités, par des décrets et ordonnances lui permettant de s’adapter à l’évolution de l’économie.

Vous avez assez peu parlé des mécanismes de soutien à la production d’énergies renouvelables. Que pensez-vous du complément de rémunération et de ses modalités de calcul ?

En 2010, Jean-Louis Borloo a décidé le principe de la mise en concurrence pour le renouvellement de toute concession hydro-électrique touchant à sa fin. Depuis, la réflexion a progressé. La solution des SEM est désormais ouverte, même si elle n’a pas vocation à se généraliser, mais vous l’avez tous critiquée. Quel devrait être, selon vous, le capital public minimal pour que ces SEM puissent correctement gérer leur production et avoir une capacité d’investissement suffisante ? Les opérateurs historiques pourraient-ils mettre leurs agents à disposition de ces sociétés de projet ? Il en va de la préservation du système EDF.

Que pensez-vous d’une prolongation de la durée des concessions, ou de leur renouvellement sur la base de la méthode des barycentres, ou d’un renouvellement encadré par une conditionnalité ? Comment définir en ce cas la vallée pertinente ? Autrefois, les concessions étaient accordées ouvrage par ouvrage, la cohérence de la chaîne étant au contraire privilégiée aujourd’hui.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour information au nom de la commission des affaires économiques, et rapporteure de la commission spéciale pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Je voudrais entendre votre point de vue sur les zones non interconnectées (ZNI), telles qu’il en existe par exemple en outre-mer. Elles se trouvent dans une situation particulière et sont organisées selon un modèle différent, dont l’évolution constitue un enjeu important pour l’avenir.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI du projet de loi. Je ne pourrai répondre à toutes vos questions, mais je dois rappeler que les objectifs de la loi, en matière de réduction de la production nucléaire, sont déjà actés. Monsieur Olivier, nous avions déjà échangé sur la question des transports. Le biogaz doit être mis au nombre des carburants durables, et il le sera. Sans conteste, il faut également enrichir la politique des transports en commun.

Dans le secteur du nucléaire, quel jugement portez-vous sur le statut des travailleurs sous-traitants ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII du projet de loi. Je ne répondrai pas non plus à l’ensemble de vos interpellations, mais j’observe que l’exercice auquel nous nous livrons favorise une approche qui tourne parfois à la caricature, alors que nos échanges sont généralement guidés par la recherche d’un consensus. Précisons seulement qu’il ne s’agit pas d’une loi anti-EDF. Comme rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, j’ai d’ailleurs pris position pour que l’entreprise soit reconnue comme un acteur majeur de la transition énergétique.

Étant rapporteur sur le titre du projet de loi consacré à la gouvernance, je voudrais vous demander comment vous jugez le retour des pouvoirs publics dans la politique de l’énergie, à travers la programmation pluriannuelle de l’énergie, la définition de budgets carbone ou le meilleur pilotage d’EDF par l’État.

Dans l’avis rendu sur le projet de loi, le Conseil économique, social et environnemental recommande de mettre en place un plan de programmation de l’emploi et des compétences. Qu’en pensez-vous ?

Quel type de financement faut-il imaginer pour que le chèque énergie puisse secourir les plus précaires ?

Par ailleurs, pensez-vous que l’assiette de la CSPE devrait être élargie à d’autres énergies que l’électricité ?

En alimentant les caisses d’ERDF (Électricité réseau distribution France), le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) ne finit-il pas par soutenir le cours de Bourse de son actionnaire EDF ? Ce n’est pas pour cela que les Français ont payé le TURPE, mais pour avoir des réseaux performants. Ne devrait-on pas plafonner la remontée des dividendes qui s’opère d’ERDF vers EDF ? Les territoires, notamment les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, qui sont les propriétaires des réseaux, ne pourraient-elles être associées à la définition de sa politique d’investissement ?

Il est envisagé de prolonger au-delà de quarante années la durée de vie des centrales nucléaires. Quelles seraient, selon vous, les procédures pour permettre à la population de prendre position sur une telle prolongation ?

Enfin, la question des sous-traitants du nucléaire, qu’avait mise en lumière la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, est très préoccupante. La loi ne devrait-elle pas leur assurer une meilleure protection ?

M. Julien Aubert. Je vous remercie, madame et messieurs, pour la clarté de vos exposés. Par vos remarques concrètes, vous avez pointé les défauts majeurs de ce texte, centré sur l’électricité et essentiellement sur le nucléaire. Ce projet de loi part du postulat que la croissance verte conduit automatiquement à la création d’emplois et que la reproduction du modèle allemand aura forcément un effet positif sur notre économie. C’est à se demander si l’objectif poursuivi est de sortir du nucléaire ou de lutter contre l’émission de gaz à effet de serre.

Seriez-vous favorable à ce que la loi précise que les décisions prises en matière de transition énergétique doivent être évaluées à l’aune du coût de la tonne de CO2 évité et à ce que le critère d’efficacité budgétaire des moyens alloués à la lutte contre le réchauffement climatique serve d’étalon pour déterminer les grands choix à opérer en matière de transition énergétique ?

Pensez-vous que nous devrions ouvrir un débat, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi sur la transition énergétique, sur les hydrocarbures non conventionnels ? Et si, par hasard, le pétrole de schiste devait être exploité, que pensez-vous de la proposition, formulée par l’UMP, tendant à ce que les ressources de l’État tirées de cette exploitation servent à financer la transition énergétique et le développement des énergies vertes afin d’alléger la facture qui pèse aujourd’hui principalement sur le nucléaire et sur le contribuable ?

Je ne saurais dire si ce projet de loi est anti-EDF. Mais quel effet le texte aura-t-il selon vous sur cette entreprise? Le projet de loi la renationalise-t-il dans la mesure où sa stratégie d’investissement sera fortement encadrée ? D’autre part, le Médiateur de l’énergie a proposé que le mode de nomination du président d’ERDF soit désormais inspiré de celui du président de RTE, directement nommé en Conseil des ministres : cela constituerait une évolution importante de l’entreprise EDF dont ERDF représente la moitié des effectifs. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, disposez-vous d’éléments juridiques relatifs aux droits exclusifs liés aux services d’intérêt général, tels que définis par le droit européen ? En effet, le texte renvoie au décret le soin de déterminer les secteurs stratégiques, alors qu’il pourrait être utile qu’il en soit décidé par le législateur.

M. Christophe Bouillon. Comme mes collègues, j’ai entendu des propos tranchés mais clairs. Ce texte semble ne pas trouver grâce aux yeux de certains d’entre vous. Pourtant, ce qui fonde cette loi, c’est à la fois la lutte contre le réchauffement climatique, l’objectif d’indépendance énergétique, l’enjeu du pouvoir d’achat et celui de la compétitivité. Ne pas agir en la matière ne serait bénéfique ni pour le temps présent ni aux générations futures. Rester les bras croisés empêcherait la France de tenir ses engagements.

S’agissant de l’emploi, le sentiment domine que les objectifs de rénovation de bâtiments publics fixés dans le projet de loi entraîneront la création de nombreux postes. En outre, lorsqu’un territoire s’apprête à accueillir un projet d’installation d’un système de production d’énergie renouvelable, on sait assez précisément combien d’emplois vont y être créés. En tant qu’élu normand, j’ai pu constater la dynamique que suscitaient les projets d’installation d’éoliennes offshore. Pour autant, le maintien de la capacité nucléaire nécessite des besoins d’emploi de remplacement qu’EDF et Areva ont souvent évoqués lors de leurs auditions à l’Assemblée nationale. Se pose aussi la question des transitions d’emploi devant accompagner le démantèlement de certaines centrales. C’est pourquoi la notion de croissance verte est présente dans l’intitulé de ce texte.

Que pensez-vous des notions d’efficacité et de sobriété énergétique ? Quelle autre trajectoire énergétique imagineriez-vous pour permettre à la France de tenir ses engagements internationaux – enjeu nécessaire face à l’urgence climatique ?

M. Charles de Courson. Êtes-vous favorables à l’extension de l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies – gaz, charbon et pétrole ? Et à une réforme de la fiscalité de l’énergie, les énergies renouvelables n’étant pas taxées, contrairement aux énergies non renouvelables ? Êtes-vous favorables au plafonnement de la puissance globale des réacteurs nucléaires à 63,2 gigawatts comme le prévoit le texte ? Comment ce plafond pourrait-il être réparti entre les différents producteurs, puisqu’il y en a parfois plusieurs ?

M. le président François Brottes. Il n’y en a qu’un en France !

M. Charles de Courson. EDF n’est pas le seul propriétaire des centrales de Chooz et de Fessenheim. Si cette dernière ferme, il faudra indemniser ses trois opérateurs suisses et son opérateur allemand. Comment s’y prendra-t-on ?

M. le président François Brottes. La centrale n’a cependant qu’un seul exploitant.

M. Charles de Courson. Êtes-vous favorables à l’autonomisation juridique d’ERDF ? Enfin, ce texte vous paraît-il cohérent avec la nécessité d’instituer une politique européenne de l’énergie ?

Mme Cécile Duflot. Quels outils de transparence privilégieriez-vous pour assurer la protection des salariés sous-traitants de l’industrie nucléaire ?

Mme Cailletaud a émis des réserves quant au programme de rénovation thermique et énergétique, alors qu’il recoupe la politique de lutte contre la précarité énergétique. Selon chacun d’entre vous, quels objectifs chiffrés vous semblerait-il réaliste et normal d’afficher en ce domaine ? Que pensez-vous du fait de rendre obligatoires les travaux de rénovation ? Quels moyens faudrait-il allouer à cette fin ?

M. Chorin a évoqué la question de la gouvernance des projets d’énergie renouvelable – notamment le fait d’y associer des collectivités locales ou des structures d’économie sociale et solidaire.

Enfin, des remarques ont été formulées sur le sens même du projet de loi. Du point de vue du groupe écologiste, la transition écologique est une absolue nécessité pour notre pays. On peut débattre des termes de la loi et des moyens auxquels recourir, mais pas de cette nécessité. Cela suppose évidemment une mutation de tous les secteurs de l’emploi, puisqu’il ne s’agit pas seulement de créer des emplois verts, mais bien de réaliser une mutation culturelle – y compris en termes de choix de matériaux et donc de formation des salariés dans le secteur de la construction. Dans des versions antérieures du projet de loi, il était explicitement proposé d’impliquer les comités d’entreprise, et donc les salariés, afin qu’ils prennent mieux en compte l’impact de la transition écologique et énergétique dans leur entreprise. Y seriez-vous favorables ? Comment formaliser une telle implication ?

M. Jean Launay. Vous avez tous trouvé peu ou prou que ce texte était trop centré sur l’électricité et avez tous évoqué la CSPE. Nous sommes plusieurs à penser que l’élargissement de son assiette à toutes les énergies constituerait un progrès. Cela pourrait apporter des résultats visibles pour nos concitoyens : tout d’abord, la compensation à l’opérateur EDF de l’obligation d’achat serait plus rapide ; ensuite, le financement du chèque énergie serait élargi ; enfin, dès lors que l’on reporte une partie de la CSPE sur les utilisateurs de chauffage au fioul et au propane, on pourrait faire diminuer le prix des factures d’électricité. Si les avis de chacun d’entre vous convergeaient sur ce sujet, cela nous aiderait dans le débat.

M. Michel Sordi. Si je ne crois pas qu’on puisse parler de loi anti-EDF, ce texte comprend bien un volet anti-nucléaire. Or EDF produit 80 % de son électricité à l’aide du nucléaire…

Il me paraît déraisonnable d’arrêter la centrale de Fessenheim, située dans ma circonscription, compte tenu des fonds qui y ont été investis pour réaliser les travaux de l’après-Fukushima et des 2 000 emplois directs et indirects qu’implique le fonctionnement de la centrale. Nous ne disposons aujourd’hui d’aucun chiffrage du coût de cet arrêt : nous allons donc décider d’en écrêter la production les yeux bandés.

Enfin, nous avons évoqué au cours de ces auditions les réacteurs de quatrième génération. Je regrette que, en 1997, Mme Voynet ait arrêté les programmes de recherche Superphénix. Pour l’avenir, de tels programmes doivent être amplifiés afin de préparer la transition énergétique. Je suis convaincu que le nucléaire a toute sa place dans ce processus.

M. Dominique Olivier. S’agissant des concessions, le schéma envisagé ne répond pas à tous les problèmes posés. Même si la méthode des barycentres protège de nombreux ouvrages, une telle protection ne serait pas définitive, puisque des opérateurs européens sont prêts à « acheter » des vallées entières. Quant à la taille adéquate des SEM, à la limite, si l’on créait une grosse SEM englobant toutes les vallées, cela permettrait d’associer l’opérateur historique, un investisseur public et les collectivités territoriales dans lesquelles sont implantés les ouvrages concernés. Cette solution n’est cependant pas en discussion. Si l’on abandonne ce qui est envisagé aujourd’hui, c’est parce que c’est insatisfaisant pour les métiers de l’ingénierie et de la recherche. On ouvre seulement une concertation afin de rechercher une solution optimale.

En ce qui concerne les zones non interconnectées et l’outre-mer, nous les considérons comme une omission flagrante du projet de loi. On semble dire aux territoires concernés qu’ils doivent faire pour le mieux et qu’ils bénéficieront peut-être de quelques mesures dérogatoires. Or les besoins de ces territoires sont considérables et ont des incidences sociales importantes. Face à ces besoins, le potentiel en EnR est considérable. Il est donc aberrant de brûler du gasoil ou du pétrole pour produire de l’électricité dans des territoires où la mer, le soleil et le vent ne manquent pas. Le projet de loi pèche par manque de soutien à ces territoires.

La question des sous-traitants et des prestataires du nucléaire représente effectivement une difficulté. Dès que seront annoncés l’arrêt d’une centrale et la préparation de son démantèlement, les gens concernés disparaîtront, car ils seront soucieux de se recycler sans tarder. Mais, lorsqu’ils rencontreront des difficultés de reconversion, ils ne pourront pas faire valoir qu’ils ont été victimes de la fermeture d’une centrale. Nous n’avons donc pas de réponse évidente à vous fournir sur le sujet. Chaque fois que des contraintes s’imposeront à des secteurs donnés – qu’il s’agisse de budgets carbone, de décisions de fermeture de centrales ou de baisse de la production pétrolière –, il faudra assurer un traitement de proximité de ces personnels et préparer leur reconversion professionnelle. Il faudra donc prévoir des lieux d’accueil appropriés, sachant que les maisons de l’emploi sont très hétérogènes et qu’elles ne couvrent pas tout le territoire.

Nous sommes favorables à la participation des collectivités territoriales et des citoyens à la gouvernance. La proposition de Mme Duflot consistant à y ajouter les salariés est intéressante. L’économie sociale et solidaire peut dans ce cas constituer une solution possible. Le statut de coopérative en est une autre, de même que la prise de participations au capital d’une société anonyme de production d’énergie renouvelable. La participation de ces acteurs est de nature à faire baisser les tensions lorsque des projets importants sont prévus.

Nous revendiquons depuis plusieurs années déjà que l’assiette de la CSPE englobe l’énergie dans son ensemble et non la seule électricité. Cela permet en effet de répartir la charge de cette contribution de manière plus équitable. De plus, de nombreuses sources d’énergie ont aujourd’hui des équivalents. Il est possible que cet élargissement complique le mode de gestion de cette contribution, mais certains spécialistes savent résoudre ce type de problèmes.

Nous sommes sceptiques à l’égard de la notion de tonne de carbone évité, car elle ne permettrait de prendre en compte qu’une partie de la question, alors que les gains d’efficacité énergétique produisent d’autres effets – notamment sanitaires et sur le plan de la sécurité. Enfin, la tonne de carbone ne valant plus rien aujourd’hui, il conviendrait d’abord d’en fixer le prix plancher – au niveau français ou européen – et de viser à atteindre en 2030 la valeur tutélaire de 100 euros la tonne.

En l’état actuel des connaissances et des modes d’extraction, il ne nous paraît pas souhaitable de développer l’exploitation des gaz de schiste. Cela étant, nous sommes par principe favorables à la production de connaissances et au développement de la recherche. Cela vaut non seulement pour les gaz de schiste, mais aussi pour la totalité du sous-sol, minéraux inclus. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas un dixième du potentiel de nos sous-sols. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pourrait retrouver là une activité utile. Ce développement de la recherche doit être le fait d’entités publiques afin que, si l’on trouve quelque chose, seule la puissance publique puisse vendre ces données.

Nous sommes plutôt favorables à un accroissement de l’autonomie d’ERDF, mais avec des réserves : pour nous, l’objectif serait surtout de faire en sorte que sa capacité d’investissement soit restaurée. Il ressort selon nous de certaines de ses dispositions que le projet de loi vise à mieux intégrer les coûts d’investissement, notamment dans le TURPE ou dans le coût de l’électricité, en remplaçant les tarifs réglementés par une notion beaucoup plus économique que comptable.

Nous sommes également plutôt favorables au plafonnement de la puissance nucléaire, point de départ si l’on souhaite faire baisser la part de l’électricité d’origine nucléaire. Cela correspond à une position ancienne de la CFDT qui, depuis 40 ans, est contre le tout nucléaire. Cette énergie a cependant encore une utilité, pour peu que ses conditions de sécurité et de sûreté soient garanties au mieux. En cela, les progrès de l’ASN sont encourageants. Nous disposons d’ailleurs sans doute de la meilleure autorité de sûreté au monde. Il nous faut poursuivre dans cette voie pour sécuriser nos installations. C’est pourquoi j’ai posé la question du dépassement des quarante ans et ai évoqué la nécessité d’appliquer une procédure de gouvernance citoyenne – la référence en la matière étant pour nous la convention d’Aarhus.

M. François Delatronchette (CFDT). Je souhaiterais compléter les propos de mon collègue en évoquant la question des transports : pour la CFDT, les transports publics doivent contribuer à la transition énergétique et à la mobilité durable. Nous regrettons donc fortement que seule la voiture électrique soit mentionnée dans le projet de loi. Il convient de favoriser le développement de moyens de transport publics innovants à la fois pour les voyageurs, dont tout le monde parle, et pour les marchandises, souvent oubliées dans le débat. Pour les voyageurs, il convient de développer les transports en commun en site propre.

M. le président François Brottes. Pardonnez-moi de vous interrompre. Il n’est plus temps de se lancer dans un propos liminaire. Pourriez-vous simplement répondre aux questions qui ont été posées sur les transports ? Je vous laisse un temps de réflexion et cède la parole au représentant de FO.

M. Jacky Chorin. On nous assure que ce texte n’est pas une loi anti-EDF. En tout cas, ce n’est pas une loi pro-EDF. On y vise en effet le nucléaire, l’hydraulique et, à présent, la distribution : nous assistons donc à un quasi-démantèlement de l’entreprise. Ensuite, on nous dit qu’il ne s’agit pas d’une loi électrique. Or les trois quarts des questions qui nous ont été posées portent sur l’électricité.

M. Baupin a demandé si ce texte reprenait le pouvoir sur l’énergie : pour cela, encore faudrait-il cesser de mettre en concurrence l’électricité et le gaz. En fait, le texte ne traite que du nucléaire. Mais, comme il ne fait pas confiance aux pouvoirs publics, actuels ou futurs, il tente d’installer une usine à gaz pour contraindre l’entreprise à appliquer des décisions dont il subodore qu’elles ne seront pas exécutées. C’est du jamais vu ! Ce n’est ni sur Total ni sur GDF Suez que l’on fait peser des contraintes de gouvernance, mais sur EDF, entreprise dont l’État détient 85 % du capital. Peut-être y a-t-il un problème interne au sein de l’État qui m’échappe. Mais la réponse apportée par le projet de loi est baroque. Si un problème de pouvoir se pose, il est possible le régler. Notre syndicat a des propositions à formuler en la matière : considérant la mise en concurrence de l’électricité et du gaz comme un échec, nous pouvons vous proposer des amendements afin d’en revenir à un service public national qui avait fait les preuves de son efficacité.

S’agissant du gaz de schiste, nous avons participé aux travaux réalisés par Jean-Claude Lenoir et Christian Bataille dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Il va de soi que nous sommes, comme tout le monde ici, attachés à la protection de l’environnement. Cela ne doit cependant pas empêcher que la recherche se poursuive. Tous les opérateurs énergéticiens français – publics, parapublics et privés – sont aujourd’hui en train d’investir dans le gaz de schiste. Un tel décalage nous interroge.

Nous sommes tout à fait opposés à l’autonomisation d’ERDF, nouvelle tentative pour casser le groupe EDF. Le prétexte retenu pour prendre une telle mesure est que le niveau d’investissement de la filiale ne serait pas atteint. Or je rappelle que l’État est tout de même propriétaire d’EDF, qu’il siège donc dans les conseils de surveillance ainsi qu’au conseil d’administration de l’entreprise. C’est pourquoi il me semble que l’on veut une fois de plus porter atteinte à celle-ci. Si le niveau d’investissement d’ERDF est insuffisant, que l’on utilise les moyens à disposition pour faire appliquer la règle. Mais d’en tirer comme conséquence qu’il faudrait casser en permanence un opérateur public qui, au demeurant, jouit d’une bonne image auprès des Français, cela est ressenti par ses personnels comme une forme d’acharnement.

S’agissant de Fessenheim, le plafonnement de la capacité nucléaire signifierait que, dès lors que l’on mettrait sur le réseau Flamanville III, il faudrait arrêter deux centrales équivalentes. Subissant actuellement le pacte de responsabilité, nous pouvons vous dire tout le mal que nous en pensons. La proposition qui nous est faite consiste à arrêter une centrale qui marche. Une indemnité est mentionnée dans l’étude d’impact du projet de loi, mais on n’en connaît pas le montant : nous trouvons cela irresponsable ! On peut certes fixer des objectifs de politique énergétique, mais, en arrêtant une centrale qui marche, on démoralise complètement les personnels. Cela revient à leur faire comprendre que, quels que soient les efforts qu’ils accomplissent, il faudra arrêter la centrale dans laquelle ils travaillent pour la seule raison qu’on a décidé, à un moment donné, qu’il fallait le faire. De plus, l’étude d’impact renvoie à EDF le soin de décider quelle centrale fermer sous prétexte que c’est elle qui a la capacité d’apprécier la situation et qui a la connaissance intime du mécanisme. Ce n’était donc pas la peine de dire qu’il fallait fermer Fessenheim.

En ce qui concerne l’emploi, 100 000 des 220 000 salariés du nucléaire doivent être remplacés d’ici à 2020. Quelles conséquences le projet de loi tire-t-il des 100 000 embauches nouvelles qui devront être effectuées ? Un problème se pose par ailleurs dans le secteur éolien, où le statut n’est pas appliqué et où règne aujourd’hui le dumping social. Quant aux embauches dans ce secteur, elles ne sont pas à la hauteur des destructions d’emplois qui pourraient se produire dans le nucléaire si, d’aventure, on fermait plusieurs centrales.

Enfin, je retiens que certains élus souhaiteraient une note sur l’hydraulique : je maintiens que la directive sur les concessions qui a été négociée au Parlement européen, puis votée par les gouvernements des États membres, permet de maintenir des droits exclusifs dans ce secteur. Je vous fournirai également une note sur le périmètre du statut.

M. Alexandre Grillat. S’agissant des énergies renouvelables, il faut selon nous –ainsi que la Suède l’a décidé dans le cadre de sa stratégie bas carbone – privilégier les EnR thermiques que sont les réseaux de chaleur renouvelables, la méthanisation et le biogaz. Ce sont en effet des EnR continues et locales. Le développement des EnR électriques en substitution du nucléaire et non en substitution des énergies fossiles est un non-sens au vu de l’objectif de réduction des émissions de CO2. De plus, ces EnR-là présentent l’inconvénient d’être intermittentes, ce qui induit des coûts importants pour le réseau.

Nous sommes favorables à l’évolution des mécanismes de soutien aux ENR et à une exposition progressive des ENR des filières technologiques matures aux prix de marché, afin d’obtenir une neutralité régulatoire sur l’ensemble des technologies de production d’électricité et d’éviter les distorsions ayant conduit à une déstructuration du marché électrique européen.

Quant au processus d’appels d’offres qui a été développé pour les EnR produites par des éoliennes offshore, il permet de soutenir des filières industrielles et par conséquent de disposer d’un complément de tarif qui soit lié au développement de filières réellement françaises. Et le dispositif de complément de prix ne doit pas s’appliquer ex ante, mais plutôt ex post.

Les dispositions des articles 28 et 29 sur l’hydraulique ne nous paraissent pas parfaitement cohérentes avec les objectifs de la loi. S’il s’agit de satisfaire à une obligation de mise en concurrence, cela fait plusieurs années que l’on hésite sur le sujet. L’organisation nationale de l’hydraulique est le fruit de l’histoire de l’organisation du système électrique français. Quant à l’organisation par vallées, elle ne répond pas aux enjeux de sûreté du système électrique. Comme l’a souligné mon collègue de la CFDT, l’ingénierie et la recherche en matière hydraulique, qui permettent à la France de jouir d’un leadership mondial, ont une dimension nationale. Nous sommes donc favorables à toute disposition qui permettrait de préserver l’organisation nationale de l’hydroélectricité, qui correspond à l’organisation actuelle.

Nous sommes favorables à la prolongation des concessions hydrauliques, en échange d’une relance immédiate des investissements qui sont créateurs d’emplois dans les territoires.

Nous soutenons aussi l’idée de créer une SEM nationale autour des groupements d’intérêt économique (GIE) regroupant EDF et GDF Suez. Cela contribuera à préserver la filière et les emplois. Les propositions qui ont été formulées par M. Straumann et Mme Battistel mériteraient d’être étudiées afin de répondre à l’enjeu des conséquences du réchauffement climatique sur la réalité du parc hydraulique français. Lorsqu’il y aura davantage de sécheresses, on se heurtera à des problèmes de tenue des barrages et de conflits d’usage de l’eau – problèmes dont on n’a pas tenu compte dans la réflexion sur l’avenir des concessions hydrauliques et qui relèvent de la dimension de service public environnemental de ces installations, voire des services d’intérêt économique général (SIEG).

En ce qui concerne ERDF, nous sommes convaincus que les réseaux de distribution d’électricité et de gaz sont au cœur de la mise en œuvre d’une transition énergétique qui soit économiquement et techniquement pertinente. Qu’il s’agisse de l’intégration rationnelle des EnR dans les territoires ou de la gestion active de la demande, nous soutiendrons toute disposition en matière de gouvernance qui permettra de conforter l’organisation nationale de la distribution telle que nous la connaissons aujourd’hui et de renforcer le dialogue avec les collectivités locales.

On peut effectivement élargir l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies, mais il conviendrait aussi d’optimiser les charges pesant sur le service public, au premier rang desquelles figurent les subventions aux EnR et aux ZNI. En outre, la CSPE finance aujourd’hui le tarif de première nécessité (TPN). Si ce tarif disparaît au profit du chèque énergie, il conviendra de s’interroger sur le financement de ce dernier qui concernera toutes les énergies et ne devra donc pas être financé exclusivement par les consommateurs d’électricité et de gaz. Il serait paradoxal et incohérent avec la stratégie dite du « bas carbone » que les consommateurs d’énergie peu carbonée financent le chèque énergie des énergies fossiles.

Avant de se poser la question de l’utilisation de la rente supposée des gaz de schiste, il conviendrait de s’interroger sur la réalité du potentiel français : à quel coût peut-on exploiter ces gaz et quelle technologie permettrait de le faire dans le respect de l’environnement ?

Enfin, concernant la gouvernance, cette loi est effectivement électro-centrée. La programmation pluriannuelle de l’énergie vise essentiellement l’électricité et le gaz et ne comprend aucun dispositif de pilotage dans le domaine pétrolier. Le plafonnement et le projet stratégique ne concernent qu’EDF et pas Total.

La transition énergétique doit être l’occasion d’instaurer un modèle de gouvernance de la transition et des opérateurs qui soit plus participatif, et qui associe plus fortement les citoyens – non seulement par le biais du financement citoyen des projets EnR mais aussi des opérateurs. Nous proposons de faire évoluer la gouvernance d’EDF afin de sortir de la logique boursière et de remettre le service public au cœur de la gouvernance de la transition énergétique, condition indispensable du succès de cette transition.

Mme Marie-Claire Cailletaud. Personne ne conteste qu’il est important d’opérer la transition énergétique. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut faire n’importe quoi. Or ce texte n’opère pas une transition énergétique, mais, au mieux, une transition électrique. Si la transition énergétique consiste à faire en sorte de répondre aux besoins des populations en France, en Europe et hors du continent dans le cadre contraint du réchauffement climatique, alors il convient d’observer de quels leviers on dispose pour agir. L’un des premiers leviers est celui de l’efficacité énergétique – qui n’est pas du rationnement. En France, les secteurs les plus consommateurs d’énergie et ceux qui émettent le plus de COsont les transports et le logement. Or, s’il n’est pas question des transports dans le projet de loi, on y évoque le logement. En l’occurrence, il s’agit moins de fixer des objectifs chiffrés de logements à rénover que de créer une filière professionnelle et de mobiliser les financements nécessaires. Cela permettra de créer de l’emploi, de promouvoir l’efficacité énergétique et de rééquilibrer notre balance commerciale – déficitaire en raison de l’importation du pétrole et du gaz. Mais ne nous contentons pas d’instaurer une obligation légale d’isolation alors que l’on sait que les gens n’auront pas les moyens de la respecter. Si nous voulons vraiment diminuer notre consommation d’énergie, c’est à notre mode de développement qu’il faut nous attaquer, en commençant par l’urbanisme. Si les salariés sont obligés d’aller habiter à deux heures de leur lieu de travail, c’est en raison de la cherté des logements. Il convient aussi de réfléchir à l’économie circulaire et à la relocalisation des moyens de production. Je constate par ailleurs une incohérence entre les objectifs du projet de loi : la manière dont on mettra en application les engagements du Président de la République ne sont pas explicités, mais il faut quand même les appliquer, pour la seule raison qu’il les a pris !

En ce qui concerne les concessions, je rappelle que l’hydraulique est un moyen de produire de l’électricité peu chère sans émettre de CO2 et de maintenir facilement l’équilibre entre production et consommation. C’est grâce à l’hydroélectricité que l’on a pu redémarrer les centrales en 2008 et que l’on peut évacuer les énergies fatales provenant d’Allemagne. Pensez-vous que, une fois que les barrages auront été cédés à des concessionnaires privés, il sera possible de faire la même chose ? C’est là une question d’intérêt général. Je sais bien que des négociations ont eu lieu à Bruxelles concernant le dépassement par la France de la règle des 3 % de déficit et que nous avons dû céder quelque chose en échange, dont les concessions hydrauliques faisaient partie. Mais cela n’est pas sérieux.

S’agissant des ZNI, il importe de conserver une égalité entre les territoires et de ne pas favoriser l’autonomie régionale.

La sous-traitance dans le nucléaire est une question qui nous tient particulièrement à cœur et sur laquelle la CGT se bat depuis des années. Nous proposons d’une part de ré-internaliser les activités du secteur, pour en finir avec les aberrations techniques, économiques et sociales auxquelles nous sommes parvenus, et, d’autre part, que tous les travailleurs du secteur disposent du même niveau de garanties collectives.

Nous ne sommes pas d’accord avec M. Baupin lorsqu’il affirme que l’amélioration du pilotage d’EDF suppose un retour de l’État dans la politique énergétique, car celle-ci ne concerne pas que l’électricité. Si l’État veut vraiment piloter la politique énergétique, qu’il gère aussi Total et GDF Suez. Nous proposons pour notre part la constitution d’un pôle public de l’énergie, et non seulement de l’électricité. Bien que l’État détienne 85 % d’EDF, ses administrateurs ne jouent pas leur rôle : il se comporte comme le pire des actionnaires, se contentant d’essayer de faire remonter des dividendes ou d’utiliser ses participations pour rentrer au capital d’autres entreprises. Ainsi, il a récemment vendu des parts de GDF Suez afin d’entrer au capital Alstom. Ce n’est pas une bonne manière de mener une politique industrielle ! Nous proposons donc la création d’un pôle public de l’énergie en lien avec l’Agence européenne de l’énergie afin de mettre en cohérence les grands choix des différents États membres, en particulier en ce qui concerne la recherche, les réseaux, les contrats d’approvisionnement et les émissions de CO2.

S’agissant de la CSPE, nous prônons le développement des EnR en filières industrielles : ce qui veut dire que l’on ferait de la recherche en amont, que l’on porterait les technologies à maturité, puis qu’on les incorporerait au bouquet énergétique, plutôt que d’instaurer des tarifs de rachat créateurs de bulles spéculatives. En l’état actuel de la situation, la moins mauvaise des solutions consiste effectivement à étendre la CSPE à toutes les formes d’énergie.

La recherche revêt à nos yeux une très grande importance dans le domaine énergétique. Or on n’en fait pas assez en France, car elle est mal financée et mal organisée, notamment en raison d’un manque d’articulation entre la recherche fondamentale et la recherche technique. La recherche concerne non seulement les EnR, mais aussi le stockage de l’électricité et la quatrième génération de centrales – qui devra obligatoirement être envisagée si l’on pense, comme nous, que la filière nucléaire a de l’avenir.

En ce qui concerne le plafonnement du nucléaire, nous jugeons insensé de fixer des quotas : il nous faut avancer au fur et à mesure des évolutions technologiques, en nous appuyant sur les trois piliers économique, social et environnemental.

Quant à l’élargissement des accords de la branche des industries électriques et gazières à d’autres salariés, nous y sommes favorables, mais commençons par appliquer la loi NOME qui prévoit que tous les salariés contribuant à la production, au transport ou à la distribution d’électricité peuvent bénéficier du statut.

S’agissant de la prolongation jusqu’à quarante ans de la durée de vie des centrales, je fais confiance à l’ASN qui joue bien son rôle. Nous luttons d’ailleurs sur le plan syndical pour que l’Autorité et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) disposent de davantage de moyens, car l’État est en train de diminuer ses budgets. C’est à l’État de définir sa politique énergétique, et aux entreprises productrices de respecter ce cadre. Nous nous sommes dotés d’une autorité de sûreté capable de dire si l’on peut prolonger la durée de vie des centrales au regard de critères économiques et de sécurité.

En ce qui concerne ERDF, nous sommes très attachés au maintien d’une entreprise verticalement intégrée qui a fait ses preuves dans les domaines de la production, des transports et de la distribution. Il est vrai que, aujourd’hui, les liens se distendent. Mais l’on n’évoque nullement dans cette loi les dégâts qu’ont produits sur le secteur les politiques de déréglementation et de mise en concurrence. Celles-ci génèrent pourtant des gaspillages. Pour diminuer nos émissions de CO2 et faire des économies, il conviendrait donc d’y remettre de l’ordre. Il n’est pas question pour nous d’ouvrir le capital d’ERDF ou de changer de modèle. En revanche, il serait logique que les collectivités territoriales aient leur mot à dire sur les stratégies des entreprises. Nous sommes donc favorables à une évolution de la gouvernance de sorte que ces collectivités puissent entrer dans les conseils d’administration et de surveillance de ces entreprises, et qu’elles puissent y faire entendre leur voix. Elles sont en effet concernées au premier chef par toutes les questions liées aux réseaux.

Nous sommes opposés à l’exploitation des gaz de schiste à l’aide des technologies actuelles qui posent un problème environnemental. Toutefois, il faut absolument promouvoir la recherche afin de mieux connaître nos sous-sols. Et, s’il s’avère intéressant d’exploiter les gaz de schiste, il conviendra aussi de mener les recherches nécessaires pour que cette exploitation s’opère dans des conditions acceptables du point de vue environnemental et social. Nous nous trouverions, autrement, dans la situation assez hypocrite où l’on importerait du gaz, mais où l’on n’utiliserait surtout pas celui que l’on a sous les pieds.

M. Jacky Chorin. Je souhaiterais ajouter, en réponse à Mme Battistel, que nous souhaitons qu’il soit possible de bénéficier de droits exclusifs, mais, en tout état de cause, la prolongation de la durée des concessions hydroélectriques serait un élément positif.

M. François Delatronchette. Les transports publics doivent contribuer à la transition énergétique et à la mobilité durable. Il convient de favoriser le développement des moyens de transport publics innovants. Pour les voyageurs, il faut développer les transports en commun, l’intermodalité, prendre en compte les territoires urbains mais aussi les territoires ruraux où l’on trouve peu d’alternatives à la route, et développer une offre d’information multimodale et des services de mobilité s’appuyant sur des réseaux intelligents. Pour les marchandises, il conviendrait de définir un plan d’action concret pour favoriser la multimodalité – fluviale et ferroviaire notamment –, développer le transport combiné et le wagon isolé, définir une politique tarifaire spécifique et coresponsable, et développer la logistique urbaine en l’intégrant aux plans de déplacements urbains.

Les déplacements entre le domicile et le travail peuvent contribuer à la transition énergétique. Les plans de déplacements d’entreprise constituant un objectif intéressant, nous regrettons que le projet de loi les mentionne sans les rendre obligatoires. Ils devraient le devenir dans les entreprises de cinquante salariés et plus, comme en Belgique. Nous souhaiterions également qu’ils fassent l’objet d’un dialogue social avec les syndicats.

Enfin, nous préconisons d’assurer la santé de la population et des salariés des transports en garantissant une bonne qualité de l’air. Les salariés des transports sont encore plus exposés à la pollution que le reste de la population, car ils le sont toute la journée. Ainsi, dans le métro, la norme, aberrante, permet une exposition aux particules PM10 cent fois supérieure à celle applicable au reste de la population. Nous souhaiterions que la tutelle oblige les entreprises de transport dont elle est chargée à mettre fin à cette anomalie, en particulier dans les tunnels, le métro et les aéroports, ainsi qu’aux péages autoroutiers.

M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT. Le transport est le premier émetteur de gaz à effet de serre. Or l’objectif de la transition énergétique consiste à diminuer ces émissions. Il est donc regrettable que le premier secteur qui en produit ne soit pas abordé dans le projet de loi. Ce secteur est un important consommateur d’énergies fossiles, et en particulier de pétrole. Or, depuis le Grenelle de l’environnement, le report modal sur le rail et le fluvial – modes alternatifs à la route – n’a pas été opéré. Les parts modales du fer et du fluvial ont même baissé depuis l’adoption de la loi.

Il est donc nécessaire de promouvoir la multimodalité et le juste coût du transport. Le transport de marchandises est tellement sous-évalué, tant sur le mode routier que sur mer, qu’il n’est plus un frein aux délocalisations ni aux trafics parasites. Nous en avons vu quelques exemples dernièrement en France dans le transport de produits alimentaires. Il est nécessaire d’assurer un rééquilibrage des modes. Or, pour garantir un juste coût du transport qui permette un rééquilibrage, il est nécessaire d’assurer le financement d’infrastructures nouvelles pour développer les modes alternatifs – ferré et fluvial – et la régénération des réseaux. Cette dernière doit d’ailleurs aussi concerner les réseaux routiers secondaires, aujourd’hui en très mauvais état. En effet, dans une logique multimodale, nous avons besoin de tous les modes de transport. S’il convient de rééquilibrer les modes entre eux, c’est non seulement pour des raisons environnementales, mais aussi pour permettre la relocalisation des productions industrielles et donc favoriser l’économie circulaire.

Il convient également de renforcer la maîtrise et le financement publics des infrastructures. Les partenariats public-privé et les concessions vont à l’encontre du développement économique et de l’aménagement du territoire, et créent des déséquilibres entre les territoires.

Nous proposons de développer les transports collectifs publics, quels que soient les modes. Or, là encore, le manque de ressources financières de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) remet en cause de nombreux projets de transport urbain et de développement de modes alternatifs. Il aurait fallu que ce volet essentiel soit traité dans le projet de loi : nous le porterons lors de la table ronde qui sera prochainement organisée dans le cadre de la conférence environnementale, mais les risques sont grands qu’il ne soit pas intégré au texte qui nous occupe aujourd’hui.

Nous insistons aussi pour que le transport ferroviaire et fluvial de marchandises et le cabotage maritime soient déclarés d’intérêt général. Nous demandons que soit promu le concept de wagon isolé, sans lequel aucun report modal sur le mode ferré ne sera possible. Cela nécessite des infrastructures ainsi que la modernisation et la rénovation des réseaux secondaires. Certaines entreprises plaident en faveur de la rénovation et du maintien du réseau capillaire afin d’éviter la désertification de certains territoires.

Enfin, cessons de créer des besoins de transport. L’urbanisme anarchique et le développement de zones commerciales et de zones logistiques déconnectées des voies navigables ou ferrées incitent encore davantage à recourir aux camions. L’évolution induite par les nouvelles lois territoriales, notamment le développement des grandes métropoles, créent de nouveaux besoins de transport tout en déplaçant les habitants hors de régions qui se désertifient. L’Auvergne en est un exemple particulier. Dans les territoires désertifiés, il ne sera plus possible d’accéder aux transports, si ce n’est par la route. Dans le même temps, les salariés habitent sur de nouveaux territoires de plus en plus éloignés de leurs lieux de travail et de vie.

Nous nous trouvons donc confrontés à des enjeux d’urbanisation, de développement économique et d’aménagement du territoire. Il aurait été souhaitable que l’on puisse en débattre dans le cadre de ce projet de loi, pour ne pas continuer à recourir à la route. Nous voyons aujourd’hui arriver des 44 tonnes et certains évoquent même des 60 tonnes : voilà qui va à contre-courant de la notion de report modal et des enjeux environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

M. le président François Brottes. Madame, messieurs, je vous remercie.

14. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de avec la participation de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Mme Marie Castelli, secrétaire générale de AVERE France, M. Jean-Christophe Béziat, directeur des relations institutionnelles pour l’Innovation, l’environnement et la mobilité de Renault et M. Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy

(Séance du mercredi 17 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Nous souhaitons nous intéresser à des sujets nouveaux, parfois mal connus ou inaboutis. Le stockage s’apparente à un puits sans fond d’innovation attendue, faute de modèle économique. Pour résoudre le problème de l’intermittence des énergies renouvelables, peut-on imaginer une solution industrielle de stockage ? Le projet de loi ne fait qu’effleurer cette question. Il accorde, en revanche, une grande place au véhicule électrique, ce qui lui vaut de nombreux reproches. Au moins a-t-il le mérite de traduire la volonté de développer cette filière. Un autre texte a été voté récemment pour assurer le déploiement de bornes de recharge rapide en vue de rassurer les consommateurs. Las ! elles n’ont rien de vertueux, car elles utilisent de l’énergie sans tenir compte de sa disponibilité – mais il est difficile d’expliquer au client qu’il ne peut recharger sa voiture que la nuit.

Nous sommes désireux de connaître votre point de vue sur le projet de loi, particulièrement sur les thèmes du stockage de l’électricité et du véhicule électrique.

M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Un premier élément à prendre en compte est que le développement des énergies renouvelables, qui n’offrent pas de garantie de production face à la demande, doit nécessairement s’accompagner de capacités de stockage. Or le développement de telles capacités est freiné par l’absence de modèle économique.

Le CEA a récemment démontré que l’autoconsommation pour une installation de panneaux photovoltaïques située en Corse peut passer de 30 % sans stockage à 65 % avec une capacité raisonnable de stockage. La représentation nationale et les acteurs du secteur des énergies renouvelables doivent prendre conscience que la maturité des progrès technologiques autorise un couplage étroit entre stockage et production intermittente.

Un deuxième élément est que le stockage exige une intelligence de gestion. Les mêmes travaux montrent qu’il est possible de multiplier par trois la durée de vie d’une batterie en adaptant ses cycles de charge et décharge aux besoins. Il n’est ainsi pas judicieux de recharger systématiquement en totalité sa batterie si l’on peut se contenter de la moitié de sa capacité. La gestion de la batterie rend celle-ci plus performante. Il faut donc accompagner le développement des technologies de stockage d’une aide à la décision reposant sur une connaissance des usages.

Troisième élément, les progrès technologiques sont très importants. Le prix d’une batterie a été divisé par deux depuis 2010. De même, pour les piles à combustible, sont actuellement mis au point des matériaux susceptibles de se substituer à certains matériaux rares et coûteux qui entrent dans leur composition.

La loi devrait insister davantage sur la volonté de l’État de s’appuyer sur une recherche de qualité qui mériterait toutefois d’être mieux coordonnée. De multiples pistes sont ouvertes aujourd’hui ; cette ouverture doit être préservée, mais il faut être capable de concentrer les moyens sur les opportunités qui se présentent, en particulier en renforçant le poids de la recherche technologique.

Mme Marie Castelli, secrétaire générale d’AVERE France. AVERE France est l’association professionnelle nationale pour le développement de la mobilité électrique. Cette fédération représentative de l’écosystème de la mobilité électrique rassemble les constructeurs automobiles, les constructeurs d’infrastructures de recharge, les installateurs, les pourvoyeurs de service, les entreprises utilisatrices et les collectivités territoriales impliquées dans le développement de la mobilité électrique.

Nous nous félicitons de ce texte qui comporte des mesures de soutien à la filière. Face aux critiques sur la place accordée au véhicule électrique, il convient de rappeler que le soutien à ce secteur, constant depuis 2009, a permis le développement d’une filière industrielle et d’un savoir-faire français – pour preuve, le nombre d’adhérents de l’AVERE est passé de 40 il y a cinq ans à 130 aujourd’hui. Cette filière, qui est pourvoyeuse d’emplois, s’inscrit parfaitement dans l’objectif d’une croissance verte affiché par le projet de loi.

Il faut également souligner le savoir-faire de la France dans la production d’électricité décarbonée. Le choix de l’électrique est donc pertinent sur le plan à la fois économique et environnemental.

À l’argument d’un marché du véhicule électrique balbutiant, on peut opposer que celui-ci connaît un dynamisme inégalé aujourd’hui dans l’automobile. Depuis la commercialisation des premiers véhicules en 2010, le marché a connu une croissance exponentielle chaque année, le nombre de véhicules immatriculés passant de 980 en 2011 à 13 954 en 2013. Ces chiffres paraissent marginaux par rapport aux deux millions de véhicules vendus, mais ils traduisent un dynamisme encourageant pour une révolution technologique. Les volumes de vente sont vingt fois supérieurs sur les premières années à ceux de la technologie hybride. Le marché des infrastructures connaît un développement similaire : le maillage territorial progresse, que ce soit pour les bornes publiques ou privées. Ces dernières constituent un enjeu fondamental puisque 90 % de la recharge a lieu à domicile ou sur le lieu de travail. Nous nous félicitons que cette question soit abordée par le projet de loi.

Quelques remarques sur le projet de loi. Parmi les mesures relatives à la mobilité électrique, la prime à la conversion d’un véhicule diesel en véhicule électrique, qui reste à concrétiser dans la loi de finances, nous intéresse particulièrement. Malgré la baisse du coût des batteries, les véhicules électriques, faute de volumes de production suffisants, restent chers. Si le bonus écologique est vital, la prime supplémentaire est bienvenue pour faciliter un accès élargi de la population à ces véhicules.

Deux bémols toutefois s’agissant des critères géographique et de revenus qui s’appliqueraient à cette prime. Le premier ne doit pas être limité aux centres-villes pollués, car les plus nombreux à y circuler sont des périurbains. Pour le second, je tire une sonnette d’alarme : même avec une aide globale de 10 000 euros, les véhicules électriques neufs restent inaccessibles aux faibles revenus. Le critère de revenus doit permettre de s’adresser aux personnes susceptibles d’acheter des véhicules neufs, sinon la prime n’aura pas l’effet de levier escompté.

S’agissant du câblage dans les immeubles, le projet de loi étend l’obligation de précâblage dans le neuf aux bâtiments à usage industriel et tertiaire, bâtiments publics et ensembles commerciaux. Il est essentiel de faciliter l’installation des infrastructures dans ces lieux de recharge. Seul bémol, l’article L. 111-5-2 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoit une obligation de précâblage pour tous les immeubles dont le permis de construire a été déposé avant le 1er juillet 2012, est réécrit sans mentionner ces immeubles. Il me semble qu’il y a là un vide juridique qui doit sans doute être comblé.

En outre, la notion de câblage doit être suffisamment précise pour être contraignante pour les promoteurs immobiliers. Il semble que ces derniers interprètent a minima cette notion pour respecter l’obligation à moindre coût.

Dernier bémol sur cet article 10, les dates d’application nous semblent lointaines
– 1er janvier 2016 pour les ensembles commerciaux et de cinéma, 1er janvier 2017 pour les parkings d’habitation. Le marché est à un moment charnière, il ne faudrait pas que le soufflé retombe. Nous plaidons plutôt pour une mise en œuvre à la mi-2015, sinon les mesures risquent d’arriver trop tard.

Il ressort d’une étude réalisée avec Ipsos sur la perception de la mobilité électrique par les Français que les véhicules électriques bénéficient d’une image positive sur le plan écologique. En revanche, il y a une véritable méconnaissance du coût, des modalités de recharge et des dispositifs d’incitation. Une campagne de communication et de pédagogie serait nécessaire pour accompagner le développement de la mobilité électrique en France.

Enfin, certains véhicules sont oubliés dans le projet de loi : les véhicules légers de petite taille – deux-roues, tricycles, quadricycles. C’est regrettable quand on connaît la part que prennent à la pollution les deux-roues dans les centres urbains. Il pourrait être intéressant d’étendre les primes envisagées à ce type de véhicules.

M. le président François Brottes. Chacun reconnaît que le véhicule électrique s’adresse davantage aux rurbains.

Quant au câblage des immeubles, j’avais déposé des amendements sur le projet de loi ALUR pour donner aux maires la possibilité de contrôler le respect de l’obligation, mais ils ont été repoussés par la ministre. On le sait, sans contrôle, la norme peine à s’appliquer.

M. Jean-Christophe Béziat, directeur des relations institutionnelles pour l’innovation, l’environnement et la mobilité de Renault. Le secteur automobile, et Renault en particulier, est très impliqué dans trois enjeux environnementaux majeurs : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la qualité de l’air en milieu urbain et l’épuisement des ressources.

La stratégie véhicule électrique de Renault, lancée en 2008, répond aux deux premières préoccupations. Mais j’aborderai également la question des ressources, car Renault développe de nombreuses activités dans le domaine de l’économie circulaire qui fait l’objet du titre IV du projet de loi.

Renault a mis en place une stratégie de déploiement massif du véhicule électrique, qui se traduit par la commercialisation d’une gamme complète de véhicules et à des coûts d’achat accessibles, comparables à ceux des véhicules thermiques.

Le véhicule électrique, qui garantit l’absence de gaz d’échappement lors du roulage, apporte une réponse aux préoccupations en matière d’émissions et de qualité de l’air. Sur ce dernier point, nous avons mené, avec un laboratoire spécialisé dans la modélisation de la qualité de l’air, une étude sur la ville de Rome qui montre qu’avec 20 % de véhicules électriques dans le parc roulant du centre-ville, on diminue les émissions polluantes de 20 à 40 %.

Le véhicule électrique, c’est avant tout le plaisir de la conduite – considéré comme honteux de nos jours. Nous pouvons démontrer que celui-ci n’est pas antinomique de la vertu environnementale.

Le marché du véhicule électrique progresse partout dans le monde. La croissance des ventes de véhicules électriques est même beaucoup plus rapide que celle des véhicules hybrides au démarrage de cette technologie, il y a quinze ans.

Renault a commercialisé 45 000 véhicules. L’alliance avec son partenaire Nissan est leader mondial avec environ 180 000 véhicules vendus. En France, Zoe, véhicule produit à Flins, est également leader avec 50 % de parts de marché.

Le véhicule électrique est aussi une façon de repenser la mobilité des personnes et des biens, et de réinventer des interfaces avec d’autres systèmes de mobilité urbains. Renault a annoncé la semaine dernière un partenariat avec Bolloré pour participer au service d’autopartage développé par celui-ci.

Mme Castelli a rappelé le rôle déterminant des pouvoirs publics pour le développement des véhicules électriques. J’insiste sur la nécessité d’inscrire les politiques publiques dans la durée pour en percevoir les effets.

S’agissant des mesures du titre III, l’intégration de véhicules électriques dans les flottes de l’État et des collectivités territoriales est très importante, car elle renforce la familiarisation du public avec ces véhicules. Ces derniers ne sont plus une bizarrerie dans le paysage quotidien, mais une alternative crédible.

Les mesures en matière de droit à la prise contribuent à lever le verrou de l’accès à l’infrastructure de charge. La difficulté d’installation d’une borne dans un parking d’immeuble d’habitation a pour conséquence que 90 % des clients résident en habitat individuel, ce qui va à l’encontre de l’objectif d’une diffusion de masse et d’un accès pour tous.

Mais, après le décret de juin 2011, les corrections et compléments apportés dans la loi ALUR puis dans ce projet de loi risquent d’aboutir à un empilement de mesures complexes qui demandera un travail de pédagogie en direction notamment du secteur du bâtiment.

M. le président François Brottes. Pouvez-vous préciser les mesures que vous visez ?

M. Jean-Christophe Béziat. Les mesures se sont succédé, les unes s’adressant aux particuliers – le décret de 2011 –, d’autres visant la construction d’immeubles neufs – habitation et bureaux, d’abord, bâtiments à usage industriel et commercial ensuite – avant les ultimes compléments du titre III de ce projet. Ces mesures sont parfaitement vertueuses mais compliquées.

M. le président François Brottes. Il faudrait faire un guide d’implantation des bornes électriques…

M. Jean-Christophe Béziat. L’abondement du bonus écologique sous condition de mise au rebut d’un véhicule ancien contribuera aussi au développement de la mobilité électrique et au renouvellement du parc. Nous soulignons néanmoins la complexité des critères additionnels géographiques ou de ressources qui figurent dans le projet de loi.

Un autre aspect important pour le développement des véhicules électriques n’est malheureusement pas abordé : les aides à l’usage, telles que la tarification préférentielle pour le stationnement ou les péages ou encore l’accès à certaines voies réservées.

Le véhicule électrique, lorsqu’il est en charge, peut constituer un élément régulateur du réseau électrique, vis-à-vis de la production intermittente notamment. On peut également remployer les batteries issues de véhicules électriques en fin de vie pour les utiliser en stationnaire. Renault et Bouygues ont signé un partenariat qui vise à démontrer la faisabilité du remploi de batteries pour stocker l’énergie produite par un bâtiment à partir du photovoltaïque et réguler l’énergie du bâtiment. On parle de smart building. Une expérimentation doit démarrer prochainement au siège de Bouygues à Saint-Quentin-en-Yvelines. Le développement de ces technologies nécessitera des efforts de recherche et développement (R&D) ainsi qu’un travail sur le cadre réglementaire.

Le crédit d’impôt pour l’installation de la borne de recharge à domicile est une mesure incitative très positive.

Un mot sur le titre IV pour conclure, car Renault est très impliqué dans l’économie circulaire depuis 1949, avec l’usine de Choisy-le-Roi qui rénove des pièces et des organes mécaniques afin de proposer des pièces d’occasion moins chères. Par ailleurs, nous sommes associés avec Suez dans Indra, l’un des acteurs majeurs de la déconstruction automobile – 400 sites et 300 000 véhicules hors d’usage valorisés, soit un quart du gisement français. Nous mettons en place des boucles de récupération de matières premières issues de la déconstruction. Nous sommes en pointe dans l’incorporation de matériaux recyclés dans nos véhicules neufs. Sur un véhicule Captur, 30 % de la masse est constituée de matériaux recyclés.

S’agissant du développement de l’économie circulaire, nous attirons l’attention sur plusieurs points : le cadre réglementaire ne doit pas venir freiner le développement de cette économie ; la mise en œuvre du principe de proximité ne doit pas être une source de rigidité ; les modes de calcul du taux de recyclage doivent être standardisés au niveau international ; il est indispensable de lutter contre les filières illégales de traitement des véhicules hors d’usage et de décourager leur exportation, car ils constituent une ressource.

M. Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy. La société McPhy Energy est née de la rencontre d’une innovation technologique issue de dix ans de recherche au CNRS et de plusieurs années de collaboration avec le CEA, et de l’idée que la valorisation des importantes quantités d’énergie gaspillées pourrait bien devenir un marché porteur. Son objet est donc de fabriquer des équipements pour valoriser l’énergie dite fatale, malheureusement considérée comme un déchet. Notre offre repose sur une technologie innovante de stockage sous forme solide de l’hydrogène couplée à la production décentralisée d’hydrogène sur site à partir d’électrolyse.

McPhy a franchi de nombreuses étapes depuis sa création : incubation, prototypes, recherche de fonds à travers le crédit d’impôt recherche – très bénéfique – et des fonds de capital-risque, développement de projets participatifs à l’étranger – Japon, Italie, Allemagne et États-Unis – et bientôt en France, jusqu’à notre récente introduction en bourse en mars 2014, qui a été un succès. La technologie de l’hydrogène suscite un intérêt dont profitent notre technologie de stockage et le couplage des deux. Cet intérêt est manifesté à la fois par les investisseurs, grâce auxquels nous avons levé 57 millions d’euros, par les industriels étrangers, comme Enel, E.ON et Iwatani, qui ont investi dans des prototypes, et par le public, comme en témoigne le succès de notre introduction en bourse.

Aujourd’hui, nous avons deux filiales, l’une en Allemagne et l’autre en Italie, et trois sont en cours de création.

Nous avons identifié trois marchés prioritaires. Le premier est celui de la mobilité à hydrogène décarboné. De nos jours, 95 % de l’hydrogène est carboné. Produit principalement à partir du gaz naturel ou des hydrocarbures, il représente 800 millions de tonnes de CO2. La production d’un kilo d’hydrogène génère dix kilos de CO2, auxquels il faut ajouter le CO2 émis pour le transport, soit au total environ 15 kilos de CO2. Avec un kilo d’hydrogène, on parcourt 100 kilomètres, avec une émission de 150 grammes de CO2 au kilomètre. En résumé, l’hydrogène actuel ne résout rien, ce qui explique en partie les difficultés des véhicules à hydrogène. Or l’hydrogène décarboné est possible.

Deuxième marché important, l’hydrogène comme vecteur dans le power to gas, autrement dit le stockage d’énergie. Nous avons convaincu quelques industriels français de s’y intéresser.

Le troisième marché est celui de l’hydrogène industriel. On produit aujourd’hui dans le monde 60 millions de tonnes d’hydrogène, qui génèrent 800 millions de tonnes de CO2. Si l’on en produisait un peu moins, ce serait toujours ça de gagné en CO2, et même en indépendance énergétique.

Je retiens de nombreux éléments positifs dans le projet de loi sur la transition énergétique, des signes d’ouverture et de changement. Je cite pêle-mêle : « consommer mieux et moins » – si la première économie, c’est l’énergie non consommée, on peut aussi essayer d’utiliser l’énergie qui est produite mais non employée ; « produire autrement, localement », telle est bien notre idée ; « favoriser le développement des énergies renouvelables », chacun sait que le stockage en est indissociable ; enfin, « améliorer l’air, notre environnement, la qualité de la vie », c’est notre ADN.

Pour parvenir à ces objectifs, l’hydrogène peut jouer un rôle ; il n’est pas la solution mais il est un outil complémentaire. Le véhicule à hydrogène est aussi un véhicule électrique – avec une plus grande autonomie, une autre architecture, moins de batteries – qui répond à un autre besoin. Avec un véhicule électrique standard, il est difficile de faire Paris-Lyon ; avec un véhicule à hydrogène, on peut parcourir 600 kilomètres en ayant fait, en trois minutes, un plein qui coûte 50 euros. Nous en avons un en Allemagne, que nous utilisons tous les jours.

L’hydrogène est plus un vecteur d’énergie qu’une énergie. Il permet de faire le lien entre différentes sources d’énergie, c’est là sa force. Il rend possible le dialogue entre les réseaux d’électricité, de gaz et de pétrole ainsi que l’intégration des énergies renouvelables et du nucléaire fatal, la mobilité décarbonée et la réduction de l’empreinte carbone du gaz naturel. En cela, il est intéressant pour l’indépendance énergétique.

Une fois posé les grands principes, il faut passer aux propositions concrètes ; permettez-moi d’en faire quelques-unes.

La première serait de déployer une infrastructure hydrogène pour la mobilité. Je ne parle pas de sept millions de bornes. À court terme, c’est-à-dire en 2015, cela signifie une dizaine de stations afin de lancer la mobilité à hydrogène avec des flottes captives ; dans cinq ans, une centaine de stations, pour atteindre un niveau équivalent à ce qui existe en Allemagne, au Japon ou en Californie ; à long terme, l’objectif est d’atteindre 10 % des 12 000 stations essence actuelles.

Deuxième suggestion, un bonus de 3 euros par kilo pourrait être consenti pour l’hydrogène décarboné. Aujourd’hui, compte tenu des coûts, nous réussissons à produire de l’hydrogène pour la mobilité autour de 13 euros le kilo, soit 3 euros de trop pour être compétitif par rapport au diesel. Ces 3 euros pourraient être financés par un bonus pour un hydrogène vert. Trois euros, c’est aussi 3 centimes au kilomètre, ce qui correspond au coût admis dans différentes études de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique due aux transports. On peut rendre compétitif l’hydrogène pour la mobilité tout en réduisant la pollution.

Troisième proposition, aider au financement de 50 mégawatts de power to gas qui permet de récupérer les excédents d’électricité, de les transformer en hydrogène et de les injecter dans le réseau de gaz naturel, avec un coût de rachat du mégawattheure de 200 euros. Aujourd’hui, le biogaz est racheté autour de 130 euros le mégawattheure et le gaz naturel vaut 30 euros ; nos installations sont à l’équilibre à 250 euros. Pourquoi 200 euros ? Si on analyse toutes les technologies permettant de stocker de l’électricité – à l’exception des STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), très efficaces et amorties mais dont les capacités d’installation sont épuisées –, c’est la technologie la moins chère pour valoriser de l’électricité. Le coût ne semble pas très élevé pour résoudre le problème de stockage et de valorisation de l’électricité produite par les énergies renouvelables.

À partir de ces 50 mégawatts, le développement serait progressif jusqu’en 2050 puisque, selon les études de l’ADEME, reprises dans le projet de loi, à cette date, il y aura entre 25 et 30 térawattheures d’électricité inutilisable. Cette électricité pourra être récupérée avec le power to gas.

À court terme, il est important que les pouvoirs publics consolident une filière naissante animée par de petits acteurs. Nous avons démontré la technologie – que nous vendons à l’étranger –, des compétences et des capacités à gérer ce développement en toute sécurité. À long terme, il s’agit de sécuriser les grands industriels. McPhy atteint ses limites : pour des installations qui coûtent des dizaines, voire des centaines de millions d’euros, l’association avec de gros acteurs de l’énergie français est indispensable. Les grands industriels doivent prendre le relais pour permettre le déploiement national, avec la mise en place de projets locaux, créateurs d’emplois, avant d’aller à l’international.

M. le président François Brottes. Il ressort des travaux que je mène avec ERDF et RTE que le surcoût de la gestion des énergies intermittentes peut être évalué entre 600 et 700 millions d’euros chaque année. Le stockage permettrait d’éviter ces dépenses.

M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI. Le véhicule électrique est, en effet, au cœur de ce projet de loi. Après avoir entendu beaucoup de reproches, je suis heureux d’entendre des appréciations positives sur ce point.

Êtes-vous satisfaits du projet d’installation des sept millions de bornes ? La localisation de ces bornes, qui suppose une collaboration avec les entreprises et les immeubles, constitue une contrainte supplémentaire pour le développement de ce mode de déplacement.

Une question adressée aux constructeurs revient fréquemment : pourquoi n’avoir pas prévu des prises standard pour la recharge ?

L’autonomie limitée des véhicules électriques reste un problème. On me dit que les Fluence du parc de l’Assemblée nationale hésitent à aller jusqu’à Orly de peur de ne pas pouvoir revenir.

Pourquoi Renault a-t-il abandonné la stratégie initiale consistant à changer de batterie dans les stations-service, qui semblait plus adaptée aux usages actuels ?

Le véhicule électrique est-il condamné à rester un véhicule urbain ou peut-on espérer un développement grand public sur l’ensemble du territoire ?

Nous sommes hésitants sur l’idée de réserver des places de parking aux véhicules électriques, car elle semble contredire le pari du développement du véhicule électrique.

Est-il vrai qu’un concurrent japonais s’apprête à sortir l’an prochain un véhicule à hydrogène grand public, qui risquerait de faire beaucoup de mal aux véhicules électriques de Renault ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V. À quelle échéance pensez-vous commercialiser des véhicules électriques qui s’autofinanceront sur les économies de carburant ? Est-ce illusoire de l’envisager ?

Le véhicule électrique ne répond pas à tous les besoins, notamment pour les véhicules techniques, obligeant à développer d’autres types de véhicule économes en énergie. Pourra-t-on à terme disposer de tous les types de véhicules électriques – notamment les véhicules utilisés en montagne ?

Quel est le prix d’achat d’un véhicule à hydrogène non carboné ?

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Menez-vous une réflexion particulière sur le modèle économique du stockage dans les zones non interconnectées (ZNI) compte tenu de leurs contraintes spécifiques ?

Peut-on envisager d’intégrer dans les réseaux des outils de stockage afin de gérer, voire lisser, la pointe de consommation électrique dans ces territoires ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le coût des infrastructures ainsi que les risques pour l’équilibre des réseaux sont régulièrement avancés pour retarder la mise en place des énergies renouvelables. Pourtant, on envisage aujourd’hui l’installation de sept millions de bornes de recharge. Pour quelle raison ce qui vaut pour les unes ne vaut pas pour les autres ? Existe-t-il une étude d’impact sur ce déploiement massif ?

En matière de stockage, des solutions technologiques existent – STEP, power to gas – et d’autres seront développées grâce à la recherche, mais la question du modèle économique reste entière. Comment rémunérer ceux qui développent et mettent en place des moyens de stockage ?

En matière de passage de l’électricité au gaz, quels sont les taux de perte induits par les transformations subies ? Je crois à cette technologie et je constate la passion qui anime ceux qui travaillent sur l’hydrogène, mais je m’interroge sur les applications dans la réalité.

J’ai commis, avec Fabienne Keller, un rapport sur le véhicule écologique et sur la diversité de l’offre en la matière. Le projet de loi reste très marqué par l’électricité alors qu’il est difficile de prévoir dans quel domaine auront lieu les percées technologiques. Il y aurait sans doute intérêt à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Faut-il construire toutes les voitures sur le même modèle, avec quatre sièges, même pour une utilisation par une seule personne ? Il faut peut-être revoir le modèle de la voiture à tout faire et repenser le lien à l’automobile.

La Twizy de Renault, malgré ses défauts, est un bel exemple d’innovation. Les petits véhicules peuvent répondre aux besoins de moindre consommation de carburant et d’espace, au regard notamment du stationnement et des embouteillages. Penser la mobilité au XXIe siècle, c’est sans doute concevoir des véhicules adaptés aux besoins. Ces véhicules répondent aussi au problème du pouvoir d’achat, en particulier pour les rurbains dont les droits à la mobilité – accès aux services publics, à l’emploi – diminuent à cause du coût de la mobilité. C’est dans ces territoires que le vote d’extrême droite progresse, car les citoyens se sentent isolés et rejetés.

Pour m’être heurté, en tant que maire-adjoint, à l’incapacité à penser l’automobile autrement, il me semble que nous sommes à un moment propice à une plus grande audace de la part des constructeurs. Je proposerai, à titre personnel, des amendements pour inciter les pouvoirs publics à soutenir les innovations en la matière.

M. Jean-Paul Chanteguet. Madame Castelli, la prime à la conversion existe déjà : d’un montant initial de 7 000 euros, elle est passée aujourd’hui à 6 700 euros. Le projet de loi l’assortit aujourd’hui de critères environnementaux et sociaux

Un crédit d’impôt visant à aider la rénovation énergétique des bâtiments est annoncé, mais il a déjà été créé ; aujourd’hui, le taux est plus proche de 20 que de 30 %, mais les plafonds resteraient identiques

M. Denis Baupin a évoqué les problèmes techniques posés par l’installation des sept millions de bornes. Combien celle-ci coûtera-t-elle ? 

M. Julien Aubert. Le stockage électrique peut prendre des formes diverses, comme les petites batteries ou l’hydroélectrique. Monsieur Bigot, que pensez-vous de l’équilibre général du texte, qui repose sur un développement d’énergies renouvelables (EnR) électriques – donc l’intermittence –, sur un stockage massif via des véhicules électriques et sur l’ouverture à la concurrence de l’hydroélectricité qui modifiera les règles de ce type de stockage, le plus massif ? Ce choix est-il risqué, sachant que des ruptures technologiques peuvent survenir dans le domaine du stockage électrique ? Ne vaudrait-il pas mieux privilégier le développement des EnR thermiques ?

Certaines flottes captives de transport ne devraient-elles pas être dédiées au gaz plutôt qu’à l’électrique, afin de diversifier les énergies, comme le disait M. Baupin ?

Nous sommes à l’aube d’une rupture technologique sur les batteries, celle-ci pouvant modifier notre arbitrage entre l’énergie intermittente et le nucléaire. Certains industriels affirment que cette avancée se produira dans moins de trois ans, alors que d’autres pensent que la batterie apportant une plus grande autonomie des véhicules électriques ne sera pas disponible avant quinze ou vingt ans. Cette différence temporelle n’est pas neutre pour la conception d’une loi de transition énergétique.

Le texte ne traite pas des transports en commun électriques ; plusieurs villes se dotent de tramways, qui modifient les modes de circulation et les relations à l’espace urbain. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Si l’on déploie un plan de développement de véhicules électriques et d’installation de sept millions de bornes, quel sera son coût total en prenant en compte le futur recyclage et le traitement des déchets ?

Mme Frédérique Massat. L’Assemblée nationale a décidé, au mois de juillet dernier, la création d’un opérateur national mis en place par l’État. Le gestionnaire du réseau se trouve associé à l’implantation des bornes. La stabilité du réseau est assurée par l’obligation de disposer d’une autorisation d’occupation du domaine public pour l’implantation des bornes de recharge.

Les véhicules électriques français pâtissent de batteries à l’autonomie restreinte, dont la capacité n’atteint pas 200 kilomètres. Il est important d’éditer un guide de la conduite de ces véhicules, car elle diffère de celle des autres voitures. Les vendeurs de véhicules électriques doivent expliquer l’ensemble de leurs spécificités, notamment en matière de recharge.

Monsieur Béziat, comment gérez-vous la prime de conversion entre les véhicules électriques et ceux en fin de vie ? Quelle est votre stratégie de répartition entre voitures électriques et autres véhicules chez Renault ?

Il y a lieu d’effectuer de nombreux efforts de R&D pour le stockage de l’électricité, au-delà de la simple question des batteries de voiture.

Mme Cécile Duflot. Le plafonnement des bornes est-il bien dimensionné s’il ne permet qu’une recharge de six à huit heures ?

Le texte ne vise que le mode de propulsion des véhicules et non leur forme. Or le type des voitures a un impact sur leur externalité environnementale. Il nous semble regrettable que le texte ne fasse pas de place aux véhicules qui, bien que propres, consomment d’autres énergies que l’électricité – je pense notamment aux transports en commun et aux vélos ; il convient de compléter le volet dédié à la mobilité et de ne pas le réduire aux seuls véhicules propres.

Nous devons traiter la question de l’adaptation des véhicules différents, qui impliquent de nouveaux modes de conduite, et nous demander si les véhicules électriques doivent ressembler aux autres, notamment au regard du poids ou des équipements, comme la climatisation par exemple.

Chacun se souvient qu’au moment de l’adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), le législateur avait pris en compte le dépôt prochain de ce projet de loi sur la transition énergétique et avait prévu des dispositions instaurant l’obligation de développer le câblage, afin de ne pas hypothéquer la mise en place de bornes dans les bâtiments.

M. Bernard Accoyer. En tant qu’élu de la nation, je voudrais saluer l’engagement des deux constructeurs automobiles français dans le secteur des véhicules électriques et hybrides ; cet effort d’investissement industriel intervient, en outre, dans une période particulièrement difficile. Il convient également de souligner le succès de l’utilisation de ce type de véhicule en zone urbaine et dans les flottes de collectivités territoriales, cette réussite étant attestée par le développement des bornes dans les parkings, ceux-ci étant, comme les garages des maisons, câblés depuis bien longtemps. La filière de mobilité décarbonée a un grand avenir en milieu urbain, et nous devons l’encourager.

Comment expliquez-vous la rareté des bus électriques dans les villes françaises ? Existe-t-il un lobbying habile des constructeurs de véhicules de transport en commun à moteur thermique ?

Qu’attendez-vous de ce texte pour la filière des véhicules électriques ? Nous, députés, souhaitons soutenir l’effort des constructeurs français.

M. Bernard Bigot. Il faut prendre en compte la distance maximale que peut parcourir le véhicule électrique sans être rechargé, mais 85 % des déplacements quotidiens de nos concitoyens ne dépassent pas 100 kilomètres. Le véhicule électrique ne constitue pas la réponse à tous les besoins ; sa diffusion doit peut-être s’accompagner d’une évolution comportementale et organisationnelle. Le partage du véhicule électrique pourrait être, à l’échelle du territoire, un complément aux voitures de plus longue portée. Il est également possible de combiner le véhicule électrique avec batterie et celui avec stockage hydrogène ; on peut imaginer utiliser la batterie pour un trajet de 100 kilomètres et la réserve d’hydrogène pour un parcours de 600 kilomètres – les valises prendraient alors la place de la batterie.

Les bornes seront des lieux de haute valeur ajoutée, et il ne faudra y rester que le temps de recharger le véhicule ; cela requerra de mettre de l’intelligence dans le système. Il serait légitime que la borne puisse demander au conducteur la quantité d’électricité dont il a besoin. Il faudra que le réseau soit capable de supporter l’électricité nécessaire aux sept millions de bornes.

Au CEA, nous avons conduit une expérience à Grenoble et Chambéry. Nous avons installé des panneaux photovoltaïques sur des maisons et utilisé un parc automobile de plusieurs dizaines de véhicules : la première année, nous n’avons récupéré que 30 % d’électricité et avons dû faire appel au réseau pour les autres 70 % ; après adaptation des recharges au comportement des gens, le taux de récupération est passé à 90 %. Il sera donc nécessaire de réguler et d’informer l’automobiliste pour optimiser la ressource du réseau. Je recommanderai au législateur de prévoir l’obligation d’établir une étude d’impact de ce qui existe déjà avant de passer à l’étape suivante. Personne ne peut prévoir aujourd’hui les comportements futurs sur le seul fondement des développements technologiques, et l’objectif reste de disposer d’un système économiquement viable.

Le coût du déploiement des sept millions de bornes dépendra du lieu où elles seront implantées et de leur répartition, dispersée ou concentrée, sur le territoire.

Des expérimentations de grande capacité de stockage sont menées, afin de pouvoir répondre aux besoins des habitants de zones isolées. Il convient d’éviter les décharges rapides et brutales en détournant les consommateurs des moments de pics. Les batteries sont limitées, mais les supercondensateurs permettent de répondre ponctuellement à une demande massive d’énergie : le CEA prend toute sa part dans les progrès actuellement réalisés dans ce domaine.

S’agissant du coût de production de l’hydrogène, l’hydrolyse alcaline à basse température présente des performances limitées. L’électrolyse à haute température, qui permet pourtant d’atteindre des rendements allant jusqu’à 90 %, n’est pas assez explorée. Ces technologies sont certes plus sophistiquées, mais leur utilisation ne se trouve pas hors de notre portée. La voie du stockage chimique de l’énergie permet d’envoyer immédiatement l’hydrogène produit sans avoir besoin de le stocker dans le réseau ; en mélangeant l’hydrogène et le méthane jusqu’à 25 %, on peut non seulement réduire la facture, mais aussi améliorer le rendement thermique. Le problème réside dans le coût de production qui ne diminuera pas sans progrès technique.

Le stockage hydraulique correspond à de l’énergie de très haute valeur. Le possesseur alternatif de cette énergie devra répondre aux pics plutôt que de la vendre en continu. Si on ouvre l’hydraulique à tous les producteurs, il faudra établir des contraintes.

Le texte s’avère insuffisant en matière de stockage thermique ; le chauffe-eau thermique constitue la première capacité de stockage de l’EnR. Pourquoi n’encourageons-nous pas davantage ce chauffe-eau solaire en France, qui me paraît au moins aussi important que la prise d’alimentation dans le bâtiment pour le véhicule électrique ? Nous développons aujourd’hui des systèmes de stockage solaire, ce procédé étant évidemment utile principalement dans les pays bénéficiant d’un ensoleillement élevé.

Je ne comprends pas que l’on place sur le même plan le véhicule électrique et celui à gaz de pétrole liquéfié (GPL) : soit nous souhaitons réduire notre dépendance aux énergies fossiles, soit l’enjeu est autre.

Le stockage connaît une révolution depuis une dizaine d’années déjà, avec une amélioration significative de la fiabilité et de la sûreté des batteries, ainsi que de la capacité d’emport ; ce mouvement devrait se poursuivre dans les dix ans qui viennent. Je ne crois pas au Grand Soir, mais au maintien d’un effort important de recherche fondamentale et technologique pour venir à bout de la complexité de la matière et pour réaliser des progrès. Ces derniers toucheront notamment à la gestion de la batterie ; nous devons développer le couplage des techniques de stockage avec la gestion de l’information associée. Par exemple, une batterie améliore son rendement en fonction de son état thermique. Les batteries lithium métal des véhicules parisiens Autolib’ sont en connexion permanente afin de maintenir leur température et donc leur rendement – qui décline de 30 à 40 % en cas de température inappropriée. On peut donc optimiser sa batterie en acceptant de perdre un peu d’énergie électrique au profit du maintien d’une température aussi constante que possible.

Des petits bus électriques peuvent circuler, mais nous ne disposons pas de capacité d’emport d’énergie suffisante pour des plus gros. Il en existe qui peuvent partiellement se recharger à chaque arrêt, dans une logique d’optimisation de l’ensemble du système.

La recharge rapide ne doit être envisagée que pour le secours. Plutôt que des bornes, il faudrait imaginer des services, encouragés par la loi, qui répondent à la panne de batterie que redoute l’automobiliste.

M. le président François Brottes. Chaque point d’apport volontaire en matière de déchets – constitué de conteneurs enterrés ou semi-enterrés pour 100 à 150 logements – coûte entre 3 000 et 5 000 euros. Cela donne une idée, dans un autre domaine, de l’investissement financier nécessaire pour mettre en place un type d’implantation.

Mme Marie Castelli. Les annonces de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie concernent non pas des bornes de recharge, mais des points de charge. Dans ces derniers, un véhicule peut stationner et se brancher, alors qu’une borne comporte plusieurs points de charge ; les stations de recharge sont constituées de plusieurs bornes de recharge. Les sept millions de points de charge seront à la fois publics et privés ; ce chiffre peut paraître énorme, mais il s’agit de la prise domestique – éventuellement renforcée – de la personne disposant de son véhicule à son domicile. Le coût de ce plan dépendra de la répartition de leur localisation entre l’espace privé, l’entreprise et le domaine public, de même que des types de puissance choisis. Le prix d’un point pour un particulier s’élève à 500 euros, et non à plusieurs milliers d’euros. Le point public permettant de recharger le véhicule en six à huit heures coûte autour de 5 000 euros, et les bornes rapides – qui doivent en effet rester de secours – exigent un investissement de 30 000 à 50 000 euros. Mais ce sont les points chez les particuliers qui se trouvent au cœur du plan, si bien que son coût total s’avère moins important que ce que l’on a pu entendre, même s’il reste difficile à évaluer à l’avance.

L’impact sur le réseau dépendra des puissances appelées ; la recharge normale de 3 kilowatts n’est pas très exigeante et la recharge rapide – demandant 50 kilowatts – pèsera davantage sur le réseau, d’où l’importance de l’utilisation intelligente, comme l’a souligné M. Bernard Bigot. Le smart grid doit être intégré aux infrastructures de recharge, qui doivent être capables de gérer la recharge des véhicules en la programmant aux heures creuses lorsque la consommation est faible et en délivrant la puissance en fonction de la fragilité du réseau.

La moyenne de déplacement quotidien des Français est de 31 kilomètres ; or un véhicule électrique possède une autonomie comprise entre 150 et 200 kilomètres selon la façon dont il est conduit. Il répond donc aux besoins des trajets pendulaires de la plupart de nos concitoyens, même s’il ne correspond pas à tous les usages. Il convient d’installer un réseau de bornes de recharge rapide – de dimension limitée dans un premier temps – sur les grands axes routiers, afin d’étendre les capacités du véhicule électrique, et d’atteindre un mix énergétique dans les transports. Le projet de loi s’inscrit dans l’ère de la rationalisation de l’utilisation de l’énergie, que l’on doit faire correspondre aux besoins et aux usages. Dans ce cadre, le véhicule électrique n’est pas pertinent partout et tout le temps ; l’hybride et l’hydrogène, voire le gaz, doivent être également utilisés. L’option électrique s’avère, en revanche, la meilleure dans l’optique de l’indépendance énergétique de la France. Au final, le problème de l’autonomie des véhicules électriques apparaît surévalué lorsqu’on le confronte aux usages des Français.

Par ailleurs, je m’inscris en faux contre l’idée reçue que la voiture électrique est un véhicule urbain. Certes, elle répond à la question de la pollution en ville, mais elle est également adaptée dans les zones rurales et périurbaines ; d’ailleurs, c’est dans des villes de moins de 50 000 habitants que se fait la majorité des ventes aux particuliers. L’autonomie de ces véhicules, qui permet d’effectuer les trajets pendulaires, et l’habitat en maison individuelle où il est facile de recharger les voitures donnent toute sa pertinence à ce choix, d’autant que les pompes à essence se raréfient en zone rurale. En outre, avec une moyenne de déplacement de 38 kilomètres en zone rurale, contre18 kilomètres en ville, l’économie réalisée avec un véhicule électrique y est plus importante puisque, au regard du coût du plein – qui avoisine les deux euros pour 100 kilomètres –, elle s’accroît à chaque kilomètre parcouru par rapport au véhicule thermique.

Plutôt que de songer à réserver des places aux véhicules électriques, il convient de leur ménager des lieux pour les recharger, notamment dans les centres urbains où les gens vivent dans des immeubles et ne disposent pas de parking. La gratuité du stationnement évite l’accaparement des places du centre-ville et constitue une incitation à conduire un véhicule électrique, comme on peut le constater à Paris.

Nous ne disposons de solutions techniques mûres pour les transports en commun électriques que pour les petits bus, comme le Montmartrobus qui circule dans le 18e arrondissement de Paris ou certains véhicules roulant à La Rochelle. Il est possible de développer des bus électriques de plus grande taille grâce à des technologies de recharge par induction des véhicules à l’arrêt, mais le coût excède largement celui d’un véhicule thermique ce qui rebute la plupart de collectivités. En revanche, la technologie et l’équilibre économique des véhicules de transport en commun hybrides sont plus robustes. La question n’est donc pas liée à l’action d’un lobby des bus thermiques.

Le bonus écologique représente déjà une forme de prime à la conversion ; à l’occasion de ce projet de loi, on a entendu l’annonce d’une prime supplémentaire au bonus déjà existant. Il y aurait un intérêt à le faire, car le coût des véhicules électriques constitue la barrière à l’achat. Si le bonus permet de ramener le prix d’un véhicule électrique au niveau de son équivalent thermique, son autonomie reste toutefois quatre fois inférieure. Il aura beau coûter quatre fois moins cher en rechargement ensuite, le prix de l’achat conserve un impact psychologique important. Les gens raisonnent rarement en coût global d’usage, comme l’a montré l’enquête d’Ipsos réalisée cet été. C’est la réduction du prix des véhicules qui aura une influence sur les ventes ; une fois que l’augmentation des volumes sera constatée, les aides pourront être supprimées, car elles n’ont pas vocation à être pérennisées. Il s’agit juste de lancer le marché.

M. Jean-Christophe Béziat. Ce n’est pas le nombre de bornes qui compte pour le réseau électrique, mais celui de véhicules électriques en charge. Aujourd’hui, le parc de voitures particulières et de petits utilitaires électriques roulant en France représente trente-cinq millions de véhicules ; il n’y a donc pas sept millions de véhicules électriques en chargement au même moment. L’État fixe l’objectif que notre pays dispose de sept millions de bornes, mais il inclut l’infrastructure installée par le possesseur d’un véhicule électrique à son domicile et celle mise en place par les entreprises pour leurs salariés. Renault a implanté des centaines de bornes sur les parkings de ses sites, mais l’entreprise ne compte pas en demander le remboursement au budget de l’État ; du coup, l’évaluation du coût du plan s’avère difficile. Le financement public passe par le crédit d’impôt pour les particuliers qui sera inscrit dans la loi de finances pour 2015 et par l’enveloppe budgétaire intégrée dans le programme des investissements d’avenir en vue d’aider les collectivités locales à créer des infrastructures publiques en les cofinançant.

Les constructeurs européens se sont mis d’accord en 2010 pour que la prise électrique soit de même type sur tous les véhicules ; en revanche, les prises dans le mur, qui permettent de brancher les voitures, échappent à notre ressort et dépendent des secteurs du bâtiment et de l’électricité qui définissent un standard en fonction de normes de sécurité. Il n’y a pas d’opposition entre les constructeurs français et allemands en la matière, simplement la prise du mur en France diffère de celle retenue en Allemagne pour des raisons de sécurité.

Est-ce la voiture électrique qui ne peut pas aller à Roissy ou le chauffeur qui craint de se retrouver en panne ? Afin de rassurer les clients contre la panne, Renault propose une assistance gratuite à tous les possesseurs de véhicule électrique de la marque, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. On constate que les gens apprennent à gérer l’autonomie du véhicule et font très peu appel à ce service.

Renault pratiquait les échanges de batterie avec et pour la start-up israélo-californienne Better Place, qui a déposé son bilan l’an dernier. Cette entreprise installait des réseaux de station d’échange de batterie dans des petits territoires, mais a dû arrêter son activité à cause du poids de l’investissement nécessaire. Le charismatique patron de cette société a sans doute eu raison trop tôt. Cette opération est donc faisable techniquement et elle présente un intérêt pour stocker de l’énergie à grande échelle.

M. Denis Baupin, rapporteur. Quel est le coût de l’investissement dans un réseau d’échange de batteries ?

M. Jean-Christophe Béziat. Une station d’échange de batteries coûte environ 1 million d’euros, sachant qu’il est nécessaire de disposer de davantage de batteries que l’on n’accueillera de voitures.

Au moment du dépôt de bilan de l’entreprise, des clients satisfaits ont manifesté pour que les stations d’échange ouvertes continuent de fonctionner.

Le véhicule électrique ne couvre pas tous les besoins, bien entendu, et les technologies sont complémentaires ; à ce titre, celle de l’hybride est intéressante, et nous avons présenté hier un véhicule vitrine, dans lequel nous avons mis tout ce que nous savons faire et tout ce que nos fournisseurs et nos équipementiers fabriquent de plus efficace. Ce véhicule, allégé de 400 kilogrammes, présente un aérodynamisme particulièrement travaillé et sans compromis sur le design, afin de ne pas brider le plaisir de conduire ; en outre, on a plaisir à regarder ce prototype, nommé Eolab.

Monsieur Baupin, le véhicule tout électrique apporte la garantie au législateur et aux concepteurs des politiques publiques de ne jamais émettre de gaz d’échappement. Il ne s’agit pas d’un véhicule biénergie dans lequel il est possible d’introduire deux vecteurs énergétiques différents, sans connaître le choix final du client qui dépendra de critères économiques, de la disponibilité et de la facilité d’accès à ces deux sources énergétiques. Vous saluez également le caractère innovant de Twizy, mais on peut regretter, comme Mme Castelli, que la catégorie des quadricycles et des petits véhicules ne bénéficie pas d’aide à l’achat. Nous sommes déçus des ventes de Twizy, les consommateurs n’achetant pas ce véhicule en raison de son prix.

Renault vient d’annoncer un partenariat avec le groupe Bolloré, qui nous confiera le développement d’un véhicule de trois places.

Les véhicules Autolib’ sont équipés de la technologie lithium métal polymère qui implique le maintien sous tension des batteries, mais les véhicules équipés de batteries lithium-ion ne connaissent pas de décharge très rapide lorsque la température n’est plus adaptée ; il n’est ainsi pas nécessaire de laisser sa Zoe branchée dans son garage.

M. Adamo Screnci. Le véhicule hydrogène est électrique ; il possède une petite batterie et un gros générateur d’hydrogène. La voiture Hyundai ix-35 présente un grand agrément de conduite, une forte puissance – de 100 kilowatts –, une autonomie de 600 kilomètres et une durée pour faire le plein qui n’excède pas trois minutes ; elle offre donc le même service que celui offert par un véhicule diesel, l’agrément de conduite en plus et l’émission de CO2 en moins.

Hyundai produit quelques milliers de véhicules à hydrogène par an ; en Californie, la ix-35 coûte 30 000 dollars ou 3 000 dollars puis 500 dollars par mois, plein compris. Cette offre s’avère très compétitive, même si elle bénéficie d’un bonus écologique et d’un crédit d’impôt comme en France. La Toyota qui sera mise sur le marché en 2015 sera vendue 50 000 dollars ; il s’agira d’un véhicule haut de gamme, disposant d’une autonomie de 600 kilomètres, de la climatisation, de la radio, des vitres électriques et qui roulera à 150 kilomètres heure. Le marché de l’automobile va se séparer : ceux qui font le plein tous les trois mois n’auront pas besoin de ce type de véhicule, mais ceux qui effectuent de fréquents trajets intercités, comme en Allemagne, seront intéressés par cette offre de véhicules à hydrogène.

Les technologies ne sont pas mûres dans le domaine du stockage d’énergie pour les sites insulaires. Quel est le vrai prix du mégawattheure en Corse ? Sur l’île de Stromboli, il s’élève à 2 000 euros, ce qui est cher pour un usage domestique – même s’il coûte 8 000 euros dans nos smartphones, prix qui se trouve amorti par le service rendu. Nous travaillons donc dans les îles pour développer des technologies. À ce jour, la batterie se révèle insuffisante, car l’on ne peut stocker que six heures. Pour stocker sur de longues périodes, l’hydrogène a un potentiel, même si le rendement reste aujourd’hui médiocre.

Quel modèle d’entreprise pour le stockage de l’électricité ? Il faut sortir du schéma qui consiste à acheter de l’électricité pas chère pour la revendre lorsque son prix a augmenté ou à la stocker pour la remettre dans le réseau, car il écrase la rentabilité des systèmes. Il faut utiliser cette électricité pour alimenter les bus à hydrogène ou le réseau de gaz naturel de ces îles ; dans ce cas, et avec un peu de bonus écologique et de crédit d’impôt, la rentabilité est possible.

Le rendement de l’électrolyse est aujourd’hui compris entre 65 et 70 % quand celui d’un moteur thermique dans une voiture ne dépasse pas 20 %. Le rendement n’est donc pas le seul élément à prendre en compte, et l’investissement s’avère également important. Si l’on récupère de l’électricité à un prix de 70 euros le mégawattheure, on arrive à dégager une rentabilité en injectant et en fabriquant de l’équivalent du gaz naturel. Avec le CEA, nous travaillons sur les futures technologies qui permettront d’accroître le rendement.

M. le président François Brottes. La filière GPL présente-t-elle encore un intérêt ?

Peut-on transformer une voiture classique en véhicule à hydrogène ou électrique, ou s’avère-t-il préférable d’en acheter un neuf ? Des spécialistes transforment des moteurs thermiques en GPL, et cette activité pourrait soutenir l’emploi dans le secteur automobile, notamment dans certains garages. 

M. Jean-Christophe Béziat. Renault possède une offre GPL dans les pays où le réseau de distribution existe, mais cette diversification d’énergies fossiles rejoint la question des véhicules biénergie qui peuvent fonctionner avec de l’essence ou du GPL. Quant au client, il utilisera ce qu’il trouvera dans la station-service près de chez lui. Pour ce qui est de la deuxième monte, je ne saurais dire ce qu’il en est en 2014.

M. le président François Brottes. Les représentants de la filière GPL affirment qu’une prime d’équipement au titre d’une forme de vertu existait auparavant, mais qu’elle a disparu aujourd’hui.

M. Bernard Bigot. Tout dépend des objectifs de la loi. J’ai cru comprendre que le texte souhaitait réduire la consommation d’énergies fossiles et améliorer la balance économique. Je ne vois donc ni l’intérêt du GPL à grande échelle ni la possibilité de recycler un moteur thermique vers de l’hydrogène ou de l’électrique.

M. le président François Brottes. Merci pour votre très intéressante participation à nos travaux.

15. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Matthieu Orphelin, conseiller spécial et porte-parole sur la transition énergétique de la Fondation Nicolas Hulot, Mme Maryse Arditi, responsable énergie de France nature environnement (FNE), Mme Lorelei Limousin, chargée de mission transports de Réseau Action Climat, M. Marc Jedliczka de CLER-Réseau pour la transition énergétique, et M. Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de Greenpeace

(Séance du jeudi 18 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui les dernières auditions avant la rédaction du rapport et la préparation des amendements au texte relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, une transition qui est souhaitée, assumée ou subie. Ce matin, nous accueillons les représentants des associations qui sont les plus volontaires à l’engager. À tel point que, si j’ai bien compris, ils ont cherché à aider le travail des parlementaires en rédigeant, à l’avance, des propositions d’amendements. Comme le texte ne fera l’objet que d’une seule vraie lecture à l’Assemblée nationale, il est normal que nous prenions le temps d’entendre les propositions ou les critiques des uns et des autres. Cette commission spéciale aura du reste procédé à un nombre d’auditions bien supérieur à toute autre.

Mme Maryse Arditi, responsable énergie de France Nature Environnement (FNE). France Nature Environnement attendait ce texte depuis plus d’un an, c'est-à-dire depuis la fin du débat sur la transition énergétique auquel elle a très intensément participé. C’est la raison pour laquelle nous proposons une soixantaine d’amendements, que nous avons envoyés à l’ensemble des rapporteurs. J’en ai sélectionné cinq que je vous présenterai plus en détail.

Ce texte propose des objectifs ambitieux à l’horizon 2050 que nous approuvons
– qu’ils soient anciens, comme le facteur 4, ou nouveau, comme la réduction par deux des consommations d’énergie. Il propose également des étapes intermédiaires à atteindre en 2030, ce qui est indispensable. Toutefois, les objectifs pour 2030 sont insuffisants si nous voulons réussir l’étape pour 2050. De même, les propositions pour les dix ou quinze prochaines années sont insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés pour 2030.

Autrement dit, les objectifs à long terme sont intéressants, mais il faut dès maintenant se fixer des objectifs d’étape plus ambitieux. On ne fera pas tout dans les cinq dernières années.

Les cinq amendements que nous avons sélectionnés…

M. le président François Brottes. Les cinq propositions d’amendements : laissons au législateur le soin de rédiger les amendements eux-mêmes. Les parlementaires ne sont soumis à aucun mandat impératif et leur travail n’est pas celui des associations, qui peuvent toujours faire des propositions. Le Parlement est souverain.

Mme Maryse Arditi, responsable énergie de France Nature Environnement (FNE). Pardonnez-moi cette expression un peu rapide.

Nous proposons tout d’abord de fixer la consommation d’énergie en 2030 à 115 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP), un chiffre qui correspond à une évolution linéaire des objectifs d’économie d’énergie entre 2020 et 2050. Le Grenelle de l’environnement a en effet fixé l’objectif, transmis officiellement à l’Europe, de porter la consommation nationale d'énergie finale à 131,4 millions de TEP à l'horizon 2020, et le Président de la République a prévu de diviser par deux en 2050 la consommation actuelle.

Le texte évoque également l’intensité énergétique, qui est le rapport de la consommation d’énergie au produit intérieur brut. Or, si l’intensité énergétique est un excellent outil pour évaluer le secteur productif, notamment l’industrie, il n’en est pas de même pour le pays en général. Je prends un exemple : le fait que les bâtiments soient bien ou mal isolés diminue ou augmente la consommation d’énergie mais ne modifie en rien le PIB. C’est la raison pour laquelle nous proposons de clairement axer l’intensité énergétique sur le secteur industriel.

Le texte – il en est de même au plan européen – prévoit un nouveau dispositif de soutien aux énergies renouvelables fondé non plus sur l’achat mais sur la possibilité de vendre directement sur le marché l’électricité produite tout en bénéficiant du versement d’une prime, appelée « complément de rémunération ». Ce passage s’effectuerait par ordonnance sans qu’on connaisse le calendrier. Nous avons participé à la concertation organisée par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) sur le sujet : nous n’avons aucune opposition de principe à cette mesure à partir du moment où les énergies concernées ont atteint un niveau mature, comme c’est le cas en Allemagne ou au Danemark – ce n’est pas encore le cas en France. En effet, non seulement le niveau de développement des énergies renouvelable est trop faible – éolien et photovoltaïque représentent à peine 5 % de notre production d’électricité –, mais, de plus, le secteur des énergies renouvelables, ces dernières années, a vu s’effondrer de très nombreuses PMI et PME, ce qui a entraîné la perte d’un nombre considérable d’emplois. Une telle mesure ne ferait qu’achever les PME du secteur ; ne resteraient plus, ou presque, pour produire des énergies renouvelables, que Total, GDF et EDF. C’est pourquoi nous proposons que le nouveau dispositif de soutien ne s’applique qu’à partir du moment où les EnR, dont le photovoltaïque, représenteront 10 % de la production d’électricité en France.

Nous faisons également une proposition relative au plan de démantèlement des centrales nucléaires. Chacun a compris au moment où le Président de la République a déclaré qu’il fermerait la centrale de Fessenheim que celle-ci, à l’instar de nos cinquante-huit réacteurs, n’avait pas de plan de démantèlement. La législation, qui prévoit que toute installation nucléaire de base (INB) devra déposer, pour avoir son autorisation, un plan de démantèlement, ne date que de février 2012. Comme il n’est pas possible de demander à EDF d’établir en une année cinquante-huit plans de démantèlements, nous proposons que soit obligatoirement présenté un plan de démantèlement à chaque visite décennale, qui est une visite approfondie visant l’ensemble de la sûreté du réacteur. Tous les réacteurs auront ainsi progressivement leur plan de démantèlement. Il serait impératif de viser en premier lieu les centrales âgées au moins de trente ans.

Le projet de loi vise par ailleurs à supprimer tout débat public en cas d’installation d’une ligne à haute tension : c’est inacceptable pour France Nature Environnement, une association qui se fait un honneur de participer à tous les débats, car ce serait une véritable marche en arrière en matière de concertation et d’implication des citoyens. C’est pourquoi nous serons très attentifs à ce que cette mesure disparaisse du texte – nous avons rédigé une proposition d’amendement en ce sens.

Enfin, le texte instaure une stratégie nationale bas carbone qui repose sur la fixation d’un plafond d’émission de gaz à effet de serre réexaminé tous les cinq ans. Ce plafond ne prend en compte pour l’heure que ce que la France produit sur son territoire national. Or, si, sur les dix dernières années, le secteur industriel a énormément diminué sa consommation et donc sa production de gaz à effet de serre, c’est qu’il a délocalisé, ce qui n’a aucun effet bénéfique pour la planète et pourrait même in fine avoir un effet négatif.

C’est pourquoi nous proposons la création d’un outil fin de pilotage : à côté du plafond de production des gaz à effet de serre, il conviendrait de prévoir une évaluation de la consommation des gaz à effet de serre : elle prendrait en compte les gaz à effet de serre émis en France, auxquels seraient ajoutés les gaz à effet de serre nécessaires pour produire nos importations mais soustraits les gaz émis pour nos exportations. Ainsi, la décision d’un industriel parti en Chine de revenir en France se traduirait évidemment par une émission accrue de gaz à effet de serre « production », mais par une réduction concomitante – et probablement plus importante, et c’est ce qui compte pour la planète – du volume de gaz à effet de serre « importations ».Disposer de ces deux outils de pilotage permettrait d’évaluer la production globale – la seule qui compte pour la planète – et de favoriser des relocalisations.

M. Marc Jedliczka du CLER-Réseau pour la transition énergétique. Le CLER est spécialisé dans l’énergie du climat : il a pris comme sous-titre il y a deux ans « Réseau pour la transition énergétique », à savoir RTE : notre approche est toutefois différente de celle du Réseau de transport de l’électricité !

Nous avons rédigé, nous aussi, à votre attention des projets d’amendements que je regrouperai sous trois grands thèmes.

Le premier concerne la rénovation du bâti, enjeu majeur de la transition énergétique. Le patrimoine bâti dont nous héritons nécessite des travaux vigoureux : à l’horizon 2050, la totalité du parc devra être rénovée à un niveau compatible avec les objectifs du label BBC – bâtiment basse consommation –, voire de l’habitat passif. Or le projet de loi a oublié de prévoir une stratégie de rénovation du bâti : c’est ce que fait notre proposition d’amendement à l’article 2 à moyen et long terme. La crédibilité du texte en sortira renforcée.

Nous proposons également, à l’article 5, qui instaure une obligation d’améliorer significativement la performance énergétique d’un bâtiment à chaque fois que des travaux importants y sont réalisés, des amendements relatifs aux périodes de mutation, c'est-à-dire des changements de propriétaires, comme en cas de ravalement ou de changement de toiture. Il faut instaurer dans la vie des bâtiments des moments où il est obligatoire de réaliser des travaux d’isolation.

Il est, en outre, très important de prévoir que, si les travaux sont réalisés par étapes, chaque étape soit compatible avec la suivante. C’est à cette seule condition qu’il sera possible d’atteindre un niveau de performance énergétique final proche du BBC. Nous vous proposons d’introduire cette précision afin de rendre la disposition véritablement opérationnelle.

Nous avons également rédigé une proposition d’amendement visant à prendre en compte la notion de décence : il est indispensable d’établir une stratégie en direction des « passoires thermiques » qui sont généralement habitées par des personnes en précarité énergétique. Il n’est plus possible de se contenter d’incantations sur le sujet : il faut mener une action vigoureuse.

Nous proposons également à l’article 47 une disposition relative aux appareils électroménagers visant à combler le retard de la France sur la transposition du droit européen en la matière.

Deuxième thème : les EnR. Nous pensons que l’ensemble des énergies capitalistiques, qui coûtent cher à l’investissement mais ne coûtent quasiment rien en fonctionnement, sont très peu compatibles avec le marché. Ce sont les énergies dites fatales : les EnR en font partie, le nucléaire aussi – c’est la raison pour laquelle EDF demande un tarif d’achat pour sa production nucléaire au Royaume-Uni, ce qui prouve que la notion de marché n’est pas tout à fait adaptée à ce type de production. C’est pourquoi il conviendrait, sans le rendre irréversible, de tester le dispositif de versement de la prime pour la vente des EnR sur le marché. Ainsi, en Allemagne, chaque mois, un producteur photovoltaïque ou éolien peut choisir d’être présent sur le marché ou soumis au tarif d’achat. Nous proposons de mettre en place un système analogue, au moins à titre transitoire.

L’article 30 prévoit que le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance dans le domaine des énergies renouvelables : cela nous semble dangereux et pour tout dire inacceptable. Il est de votre devoir, mesdames et messieurs les membres de la représentation nationale, de conserver le contrôle de ce chapitre important de la transition énergétique et donc de supprimer ces deux alinéas.

Le troisième thème concerne les relations avec les réseaux de distribution, qui posent des problèmes. C’est pourquoi il n’est pas souhaitable à nos yeux que les autorités régulatrices de la distribution perdent au profit de la CRE la possibilité de sanctionner leurs concessionnaires comme le prévoit le texte. Les collectivités locales, via les autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE), doivent au contraire garder la main et pouvoir négocier à forces égales avec les concessionnaires – cela vaut pour tous les domaines : le gaz et l’électricité comme l’eau et les déchets. Le monopole tel qu’il est structuré aujourd'hui est archaïque : il est temps de le réformer et de prévoir des possibilités de négociation et de collaboration avec les territoires.

Nous proposons en outre la séparation effective entre ERDF et EDF, à laquelle est également favorable le médiateur de l’énergie.

Une autre proposition d’amendement, d’apparence très technique mais importante, a trait à ce que l’on appelle le raccordement indirect. Une directive européenne a créé les « réseaux fermés de distribution », en fait des réseaux privés ou semi-privés raccordés au réseau public – ce peut être le cas d’un campus universitaire, d’un site industriel, etc. Cette possibilité donnée aux États membres n’a pas encore été transposée en droit français : nous souhaitons qu’elle le soit, mais dans des conditions permettant aux opérateurs en aval qui sont raccordés à ces réseaux fermés de bénéficier à la fois de l’ouverture des marchés – autrement dit de choisir leur fournisseur – et des aides à la production des énergies renouvelables : tarifs d’achat, appels d’offre, etc. Il faut savoir que nous rencontrons aujourd'hui sur le terrain des problèmes avec les gestionnaires de réseaux pour faire valoir ce droit, qui appartient à tous les citoyens comme à toutes leurs organisations.

L’accès aux données des réseaux de distribution a été longuement évoqué dans le cadre du débat : nous avons proposé un amendement à l’article 54 ouvrant l’accès non pas seulement aux données physiques – taille et longueur des câbles – mais aussi aux données de consommation et de production, et ce en temps quasi réel, tout en respectant les contraintes liées aux ICS, c’est-à-dire aux données sensibles au plan commercial.

Les réseaux de distribution constituent l’épine dorsale d’une politique territoriale de l’énergie : or les territoires sont constitués non seulement des collectivités et des réseaux, mais également des citoyens, qui ont besoin d’être informés de manière neutre, indépendante et objective, sur toutes les questions touchant l’énergie. Ils doivent pouvoir notamment distinguer l’information de la communication commerciale. Or, aujourd'hui, la confusion est totale. C’est pourquoi nous avons proposé un amendement visant à pérenniser le réseau des espaces Info Énergie qui remonte déjà à une quinzaine d’années, mais qui vit dans la misère – j’en sais quelque chose en tant que directeur de l’espace Info Énergie de la partie rurale du département du Rhône. Il serait souhaitable que ce service public d’information indépendante sur l’énergie, qui a fait la preuve de sa qualité, soit reconnu au même titre que les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), et assuré de financements pérennes, ce qui éviterait de devoir aller pleurer chaque année des subventions régulièrement en baisse auprès des conseils généraux et de l’ADEME. Il s’agit de métiers très complexes, tout à la fois techniques et sociaux, puisque les espaces Info Énergie accompagnent aussi bien des personnes en précarité que des catégories socioprofessionnelles favorisées, ce qui exige de s’adapter aux différents publics et de se tenir informer des évolutions techniques qui sont très rapides dans le domaine du bâtiment et de l’énergie.

Mme Lorelei Limousin, chargée de mission transports de Réseau Action Climat. Le Réseau Action Climat, un réseau de seize associations nationales qui luttent contre le changement climatique, vous remercie de lui donner l’occasion de s’exprimer devant vous aujourd'hui sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.

La transition énergétique, qui est une nouvelle trajectoire vers un modèle énergétique plus sobre tendant vers le 100 % renouvelable, est un enjeu crucial pour lutter contre les changements climatiques. Le projet de loi sur lequel vous travaillez sera un marqueur fort alors que la France présidera en 2015 la conférence des Nations unies sur le climat. Elle doit à ce titre faire preuve d’exemplarité et de volonté.

Le cinquième rapport du GIEC est sans équivoque. Les changements climatiques se font déjà sentir : le niveau des mers n’a jamais augmenté aussi vite et la terre s’est déjà réchauffée de 0,85 degré par rapport à l’ère préindustrielle. En France, les impacts seront multiples comme une augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes ou l’arrivée des maladies tropicales en métropole. La montée du niveau des mers menacera nos infrastructures de transports en submergeant, à en croire les études de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, quelque 355 kilomètres d’autoroutes, 4 338 kilomètres de routes départementales et 1 967 kilomètres de voies ferrées.

La responsabilité de l’homme dans ces bouleversements n’a jamais été aussi certaine. Il est donc de notre responsabilité d’agir, non seulement pour éviter le scénario du pire, mais aussi parce que – tous les rapports récemment publiés l’attestent – les solutions aux changements climatiques existent et sont bénéfiques en terme d’emplois, de santé publique, de justice sociale et de lutte contre la précarité énergétique, d’indépendance et de facture énergétiques et de prévention de conflits internationaux.

En France, ces solutions passent notamment par la transition énergétique.

Dans le secteur des transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, les solutions ne peuvent se limiter à la promotion d’une seule motorisation ou des biocarburants : il faut enclencher une véritable politique durable de transport des personnes et des marchandises permettant et encourageant les mobilités alternatives.

Les points forts du titre III relatif aux transports concernent les zones de circulation restreintes ou les objectifs chiffrés imposés aux entreprises de la grande distribution pour lesquels nous attendons une mise en œuvre effective.

Toutefois, le projet de loi ne contient pas de mesures concrètes à même de favoriser le report modal, que ce soit pour le transport des personnes ou des marchandises. Ni les modes actifs comme le vélo, ni les transports en commun n’y figurent et la lutte contre l’étalement urbain y fait grandement défaut.

Parmi l’éventail des mesures nécessaires pour atteindre dans ce secteur le facteur 4, c’est-à-dire la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en 2050, objectif inscrit dans le texte dans ce secteur, voici quatre propositions des organisations non gouvernementales.

Il faut en premier lieu mieux articuler urbanisme, mobilité et offre de transports dans le cadre de la planification des déplacements à l’échelon local, ou mieux intercommunal. Seule la moitié des Français, aujourd'hui, sont concernés par les plans de déplacements urbains : les PDU ne sont obligatoires que pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Comme ce dispositif, après trente ans d’existence, a fait ses preuves pour développer les mobilités alternatives, il est temps d’abaisser ce seuil à 20 000 habitants.

Nous partageons le même souci de planification à l’échelle des entreprises. Alors que la proportion de Français utilisant leur voiture pour aller au travail stagne – elle ne diminue que dans les centres urbains – les plans de déplacements entreprises (PDE) gagneraient à devenir obligatoires, comme en Belgique, pour les établissements qui regroupent plus de cinquante salariés. Cette mesure aurait pour effet d’encourager les nouvelles mobilités, comme le covoiturage, une meilleure organisation du travail – télétravail, horaires flexibles pour éviter les problèmes de congestion –, les modes actifs, les transports en commun et l’intermodalité dont les possibilités sont souvent mal connues ou mal évaluées par les salariés. Ces PDE sont aussi l’occasion de réduire les coûts imputés par les transports à l’entreprise, notamment en matière de stationnement, et au salarié, qui verra ses frais de carburant baisser. Cette mesure poursuit aussi un but social, car les salariés peuvent bénéficier d’un accompagnement et d’un conseil en mobilité. Le projet d’amendement que nous proposons encourage aussi les plans de déplacement interentreprises (PDIE) pour atteindre une masse critique de covoitureurs : alors que le covoiturage se développe rapidement pour les longues distances, il reste peu employé pour la mobilité locale.

Ce dispositif devra être complété par des mesures de soutien spécifique au vélo, dont le potentiel est évident mais sous-exploité. Ainsi, les cyclistes sont les seuls à ne pas être remboursés par leurs employeurs pour leur déplacement domicile-travail : ils ne peuvent bénéficier d’un calcul de leurs frais réels comme les automobilistes, ce qui accrédite l’idée selon laquelle le vélo ne serait pas un véritable mode de transport, alors même que la moitié des trajets effectués en voiture fait moins de trois kilomètres. Une indemnité kilométrique dédiée de 25 centimes par kilomètre permettra de remettre les modes de transport sur un pied d’égalité, mais également et d’enclencher un véritable report modal. Il conviendra évidemment de multiplier les parkings à vélos sécurisés, notamment à l’occasion des travaux dans tous les bâtiments.

Nous proposons également une mesure à effet immédiat, déjà émise dans la synthèse du débat sur la transition énergétique : la baisse des limitations de vitesses d’au moins dix kilomètres-heure sur les routes et les autoroutes. L’effet escompté correspond à une diminution annuelle de 4 millions de tonnes de CO2 environ, ce qui est considérable, et revient à rapprocher la vitesse des autoroutes françaises de la vitesse moyenne européenne, qui est de 120 kilomètres heure. Instaurée en 2011 par l’Espagne, cette mesure a permis d’alléger de 450 millions d’euros sa balance commerciale. Les bénéfices de cette mesure dépassent largement la sphère environnementale puisqu’elle entraîne une diminution directe de la pollution de l’air et du nombre d’accidents. Sur plusieurs dizaines de kilomètres, cela ne fera que quelques minutes de perdues contre des centaines de vies gagnées, sans compter les économies de carburant. Par ailleurs, généraliser le trente kilomètres heure en ville permettrait d’apaiser les centres urbains et d’encourager les mobilités alternatives.

Nous savons pertinemment qu’il ne sera pas possible d’atteindre le facteur 4 sans un signal prix ambitieux et pérenne sur le carbone et l’énergie – tel est le verdict des économistes et des scientifiques. Si la contribution climat énergie n’est pas inscrite dans ce projet de loi, nos organisations redoubleront d’attention lors de l’examen du projet de loi de finances, qui aura lieu peu de temps après le sommet Climat organisé par le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki Moon.

M. le président François Brottes. Les élus locaux connaissent le succès des PDU et des PDE. Le volontarisme doit être de mise. Je suis certain que notre rapporteur fera des propositions fortes en ce sens.

Pour ce qui est du vélo, l’assistance électrique peut se révéler utile dans les zones un peu plus accidentées. Or il existe des problèmes d’homologation des vélos électriques.

Je tiens enfin à rendre hommage à la loi pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové – loi ALUR – qui a prévu de nombreux dispositifs contre l’étalement urbain. Il n’est donc pas utile de la récrire dans le prochain texte relatif à la transition énergétique. Évitons de réécrire sans cesse les lois.

M. Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de Greenpeace. Nous nous sommes mis d’accord pour que nos différentes interventions évitent de se répéter. Les représentants des différentes associations présents ce matin sont donc d’accord sur l’essentiel.

Ce texte ne satisfait évidemment pas Greenpeace, qui est favorable à une sortie la plus rapide possible du nucléaire. Toutefois, après en avoir pris connaissance avec pragmatisme, nous nous sommes concentrés sur la préservation de l’accès à l’information et de la consultation du public, surtout dans le domaine de la sûreté. Notre position fera peut-être hurler certains opposants au nucléaire, qui considéreront que nos propositions d’amendements valent acceptation de la durée de vie des centrales. Tel n’est pas le cas : nous prenons acte de l’existant, à savoir un texte qui porte sur un parc nucléaire dont la moyenne d’âge des réacteurs est de trente ans – certains approchent les quarante ans. C’est pourquoi nos propositions visent avant tout l’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans et l’information des citoyens – Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a évoqué la démocratie participative : il faut continuer dans ce sens, d’autant que, si les installations nucléaires font l’objet de débats publics lors de leur création, il ne se passe pratiquement plus rien après, même à des moments très importants de leur existence, comme le passage des quarante ans. Nous avons enfin formulé trois propositions d’amendements sur la gouvernance de la politique énergétique.

Pour ce qui est de l’exploitation des centrales au-delà de quarante ans, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) formulera très bientôt en direction d’EDF des recommandations génériques qu’elle aura définies. En 2019, elle annoncera les mesures à prendre pour permettre une exploitation au-delà de quarante ans. Or, aucune étape de ce processus ne prévoit une nouvelle consultation du public, alors que la remise à niveau de sûreté des centrales impliquera des modifications importantes, dont certaines pourraient déjà être qualifiées de « modifications notables », obligatoirement soumises à enquête publique comme le prévoit la loi. Chacun sait que le passage des quarante ans est primordial : M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, a plusieurs fois eu l’occasion de le souligner devant vous, ajoutant que l’exploitant aura à faire la démonstration de sa capacité non seulement à maintenir mais à augmenter le niveau de sûreté de manière à conduire le parc existant à un niveau de sûreté équivalent à la génération III, qui est celle de l’EPR.

C’est la raison pour laquelle nous préconisons que, deux ans avant les quarante ans de la centrale, l’exploitant demande de manière formelle l’autorisation de prolongation au-delà des quarante ans. Cette période de deux ans devra donner lieu à un processus similaire à la création d’une installation nucléaire de base (INB). Cette mesure devra concerner toutes les installations présentes.

Il est également impératif de préciser la notion de quarante ans, qui reste diffuse – même l’ASN et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) n’en ont pas la même définition ! À nos yeux, il est important de calculer les quarante ans non pas à partir de la mise en service mais de la divergence, c’est-à-dire du démarrage de la réaction en chaîne. Il n’est donc pas acceptable de prendre comme référence la fin de vie prévue, dans la mesure où l’on n’en sait strictement rien… Préciser la notion des quarante ans est une nécessité d’ordre réglementaire.

S’agissant de l’obligation d’information dans les périmètres des plans particuliers d’intervention (PPI) – dix kilomètres autour des installations – je rappelle qu’au niveau européen comme au sein des autorités françaises, un débat a lieu sur une extension éventuelle de ces zones. Il nous semble nécessaire, quant à nous, d’étendre l’information bien au-delà du périmètre actuel des PPI, jusqu’à cinquante kilomètres – nous avons rédigé une proposition d’amendement en ce sens. L’expérience de Fukushima a en effet largement démontré que les hôpitaux et les services communaux manquaient de l’information nécessaire sur l’attitude à adopter en cas d’incident. D’autres ont proposé de prendre en considération la notion de bassin de vie. Nous n’y sommes pas opposés. Il faut en tout cas prévoir une information des citoyens au-delà des périmètres couverts par les PPI, notoirement insuffisants.

Nous souhaitons également que le Gouvernement garde le contrôle de l’application de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). La rédaction actuelle du texte rendant possible des flexibilités trop importantes sur la manière dont la PPE pourra être appliquée, il convient de verrouiller ce contrôle au niveau politique. Il est notamment primordial de pouvoir vérifier de manière permanente que les investissements effectués par les exploitants ne sont pas en décalage avec la PPE. Ils doivent être approuvés par le ministre chargé de l’énergie, qui doit garder le dernier mot. L’article 55 précise qu’« un commissaire du Gouvernement, nommé auprès de tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d’électricité, peut s’opposer à une décision d’investissement incompatible avec la PPE » : à notre sens il devrait non pas « pouvoir » mais « être tenu » de s’opposer à toute décision incompatible avec la PPE.

M. Matthieu Orphelin, conseiller spécial et porte-parole sur la transition énergétique de la Fondation Nicolas Hulot. Avec les travaux de la commission spéciale à l'Assemblée Nationale, la loi sur la transition énergétique connaît son heure de vérité.

Allez-vous en faire un texte fondateur, le « texte le plus avancé au niveau européen » pour reprendre l’ambition du Gouvernement, une loi à la hauteur des enjeux et qui impulse une dynamique nouvelle sur la transition énergétique et la croissance verte ? Vous seuls avez la réponse.

Le texte doit être significativement amélioré pour atteindre cet objectif. Vous en avez la responsabilité dans le cadre des amendements que vous déposerez.

Nous croyons en votre travail sur ce projet de loi. C'est pourquoi la Fondation Nicolas Hulot a formulé trente-cinq ans propositions pour vous permettre d’enrichir le texte. Une bonne partie est consensuelle et peut être facilement intégrée au texte.

Vous ne partez pas de zéro. Alors que vous allez étudier le texte en quelques jours seulement, n’oubliez pas que les parties prenantes ont travaillé le sujet depuis le lancement du débat sur l’énergie il y a deux ans…

Les experts pluralistes mobilisés sur le débat ont produit de nouvelles connaissances sur les scénarios comme sur les bénéfices macro-économiques de la transition énergétique. À vous d'en tirer profit.

Nous avons construit patiemment des consensus, des organisations patronales aux syndicats de salariés, des collectivités aux ONG, sur des sujets essentiels et parfois conflictuels. Or beaucoup de ces consensus sont passés sous silence dans le texte actuel. Je vous donnerai trois exemples : le nécessaire dispositif de suivi des moyens financiers consacrés à la transition énergétique – j'y reviendrai –, le lancement d'une étude d'impact sur la baisse généralisée des vitesses – ce n’est pas cette baisse qui faisait consensus, mais bien le lancement de l’étude d’impact – ou encore la nécessité de mobiliser les entreprises sur les transitions professionnelles des salariés, un sujet sur lequel le projet de loi est quasi-muet. Je le répète : toutes ces recommandations étaient consensuelles, y compris pour le MEDEF. À vous de les réintégrer dans le texte.

Je souhaite revenir très rapidement sur le thème central du financement de la transition énergétique. Vous pouvez grandement améliorer le texte notamment sur le financement par les citoyens des projets d'énergies renouvelables. La rédaction actuelle de l'article 27 peut être améliorée. Il faudrait ouvrir le financement à tous les citoyens, et non seulement aux riverains « résidant habituellement à proximité du projet », comme le texte le prévoit actuellement. Il faut également préciser comment les porteurs de projet EnR seront exonérés des contraintes liées à l'appel à l'épargne des particuliers. Il faut, plus globalement, inscrire dans la loi un délai d’un an pour identifier et lever tous les freins actuels, s’agissant notamment des modalités techniques liées aux règles pour l'appel à l'épargne des particuliers ou des statuts juridiques. Par exemple, certaines obligations liées au statut des sociétés coopératives d’intérêt collectif pourraient être levées très facilement pour leur permettre de connaître le même succès qu’en Allemagne.

Une fois ces trois préalables réalisés, il serait possible, d’ici trois à cinq ans, de rendre cet appel au financement citoyen obligatoire comme au Danemark.

Il convient également que le texte lève les freins au tiers-financement. La version précédente de la loi était plus satisfaisante sur ce point. Il s'agit d'une question de volonté politique. La loi doit permettre au tiers-financement de se développer enfin et aux collectivités d'y prendre toute leur part. Rappelons que les banques ont pu bénéficier au cours des dernières années de conditions très favorables sur lesquelles l'Etat a été très clément – dois-je rappeler l'historique de la création du Livret Développement durable appelé à remplacer le CODEVI ? Aux banques maintenant de jouer le jeu.

Il est également nécessaire de prévoir la mise en place, par le Gouvernement, d'un suivi régulier et partagé des moyens financiers publics et privés mis en œuvre pour financer la transition énergétique. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce suivi n'existe pas encore. Il devrait faire l’objet d’un rapport annuel du Gouvernement à destination du Parlement. C'était une demande consensuelle de tous les acteurs du débat, reprise également dans l'avis du Conseil national de la transition énergétique (CNTE). Ce dispositif permettra notamment de suivre la mise en œuvre effective, et le rythme, des dispositifs annoncés par le Gouvernement cet été : doublement du fonds chaleur, fonds spécial de 1,5 milliard, les 5 milliards de prêts dédiés à la transition énergétique de la Caisse des dépôts et consignations. Ce sont de bons outils : encore faut-il s'assurer de leur mobilisation pleine et entière et du rythme de celle-ci.

Il faut par ailleurs encourager les comportements vertueux de tous les acteurs. Sur certains sujets essentiels, ce n'est pas le cas dans la version actuelle du texte. Je vous livre trois exemples sur lesquels vous pouvez efficacement faire progresser les rédactions. Je précise que nous avons veillé à respecter l'article 40, en précisant, lorsque c'est nécessaire, les sources de financement mobilisées.

S’agissant des collectivités, l'article 9 impose 20 % de véhicules sobres dans les parcs des collectivités, mais cet objectif, déjà inscrit dans la loi sur l'air adoptée il y a dix-huit ans, en 1996, n'est toujours pas respecté. Il faut instaurer, comme une précédente version du projet de loi le prévoyait, une contribution pour les collectivités qui ne respecteraient pas cette obligation. Le produit de cette contribution serait intégralement reversé au financement des projets mobilités douces des collectivités. Les collectivités les moins vertueuses financeraient ainsi les projets des collectivités les plus vertueuses, ce qui devrait rassurer les associations qui les représentent.

S’agissant des entreprises, il serait utile d’ajouter, par exemple à l’article 22, un principe de mesures de soutien, notamment fiscales, aux TPE et PME qui s’engageraient dans l'économie circulaire et l'éco-conception. Ces mesures pourraient être financées par une augmentation très raisonnable et échelonnée dans le temps de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) stockage payée par les entreprises.

S’agissant enfin des citoyens, il faut les inciter à adopter eux aussi des comportements vertueux ; encore faut-il qu’ils en aient les moyens. L'ouverture de la prime à la conversion, prévue à l'article 13, à l'achat d'un véhicule d'occasion récente, constituerait une grande avancée sociale. Elle pourrait être financée par une augmentation progressive de la fiscalité sur le diesel. Un ménage modeste n’a pas toujours les moyens de s’acheter une voiture neuve.

Ces trois mesures favoriseraient les comportements vertueux en pénalisant un peu ceux qui le seraient moins. Tel est le sens du basculement vers une fiscalité plus écologique que soutient la Fondation Nicolas Hulot, un autre sujet sur lequel le projet de loi pourrait prévoir une trajectoire en élevant, par exemple, le prix de la tonne de CO2 à 100 euros en 2030. Cette mesure devrait être évidemment conjuguée avec des dispositifs de soutien adaptés favorisant la conversion des acteurs économiques les plus fragiles.

Vous l'aurez compris, nous comptons beaucoup sur vous et vos amendements. Nicolas Hulot a appelé à ce que, au-delà des clivages, ces travaux parlementaires soient l'occasion de laisser les armes au vestiaire, de mutualiser les intelligences et de tirer cette loi vers le haut, comme cela avait été le cas de la loi Grenelle 1. Cette loi de transition énergétique peut être le moteur de l'économie de demain : à vous de le rendre possible !

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Certains d’entre vous se sont dits réservés sur le mécanisme de complément de rémunération en soulignant que ce dispositif ne devrait concerner que les filières matures et demeurer dans un premier réversible. Êtes-vous unanimes sur ce point ?

Si nous avons conscience de cette difficulté, nous entendons conserver un œil attentif sur le montant de l’enveloppe de la CSPE, afin de ne pas alourdir encore la charge qui pèse sur les factures d’électricité. Il est parallèlement nécessaire de nous orienter vers la convergence avec les marchés, préconisée par la Commission européenne. Pensez-vous qu’instaurer le financement participatif des citoyens ou des collectivités au capital des sociétés anonymes de projets EnR est une bonne chose et permettra un meilleur développement des EnR, notamment en termes d’acceptabilité des projets ?

La Fondation Hulot propose que cette possibilité soit donnée à tous les citoyens et non seulement aux riverains : or les citoyens ont tendance à se mobiliser de préférence sur des projets locaux. Les autres associations jugent-elles elles aussi nécessaire d’élargir cette possibilité à tous les citoyens ?

Le CLER a estimé que les appels d’offre sont parfois inefficaces : comment en améliorer le système pour qu’il contribue efficacement au développement des EnR ?

La convention pour une hydroélectricité durable signée par le CLER et la Fondation Nicolas Hulot vise notamment à développer la petite hydroélectricité sur des sites propices. Or force est de constater qu’il est très difficile d’atteindre ces objectifs, pourtant peu ambitieux, au regard notamment du classement en vigueur des cours d’eau. Êtes-vous favorables au développement de la petite hydroélectricité ? Les schémas de classement doivent-ils être révisés périodiquement pour prendre en considération les évolutions techniques et les modifications des milieux ?

Enfin, êtes-vous favorables à l’élargissement de l’assiette de la CSPE ? Pensez-vous qu’il aura une incidence sur le prix d’autres combustibles ?

M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI du projet de loi. M. Orphelin souhaite améliorer ce texte : il a déjà le grand mérite d’exister et il doit être surtout complété. Nous sommes ouverts à vos suggestions, d’autant que le temps nous est compté.

Un grand nombre des propositions de la Fondation Hulot nous intéresse dans le domaine des transports et nous essaierons de les reprendre. Il en est de même des propositions de Réseau Action Climat. Vous appelez à mieux articuler l’urbanisme et le transport ; nous en sommes bien d’accord. Je regrette qu’on parle toujours des plans de déplacement urbain et jamais de plans de déplacement ruraux : il est vrai qu’ils n’existent pas encore. La mobilité rurale est un vrai problème ; il convient d’y réfléchir et de l’organiser afin d’éviter une France à deux vitesses.

Je ne suis pas opposé à rendre obligatoires les plans de déplacement des entreprises ; encore faut-il savoir où placer le curseur. Nous réfléchissons également à des plans de déplacement pour les lycées et les collèges, ainsi que pour les administrations. Il faut des plans partout où il y a du monde afin d’organiser un déplacement durable.

Nous reprendrons vos propositions relatives au vélo et en formulerons également en vue de soutenir ce mode de transport. La question des parkings mérite effectivement d’être traitée dans la loi.

J’ai rencontré les représentants de Vinci : il faudrait, comme cela se fait à Madrid, aux États-Unis et dans d’autres pays, prévoir des voies dédiées à ceux qui entrent en ville au moment de l’embauche en réservant une file aux transports en commun, au covoiturage et éventuellement aux taxis. Ce dispositif est difficile à mettre en place compte tenu de la variété des situations mais il est nécessaire d’aller en ce sens.

S’agissant du nucléaire, nous avons reçu beaucoup de demandes relatives à l’exploitation des centrales au-delà de quarante ans. Autant il est possible d’arriver à un consensus sur le transport, autant les discours sur le nucléaire sont tranchés, dans un sens ou dans l’autre. C’est pourquoi le rapporteur ne proposera pas d’amendement pour éviter d’apparaître comme un partisan au risque de nuire à l’objectivité des débats. Il existe toutefois une marge de progression.

S’agissant de vos propositions relatives à la consultation du public, je suis plutôt réservé. Je suis maire d’une commune située dans un périmètre couvert par un PPI – elle est à dix kilomètres d’une centrale nucléaire. Le problème de l’information, c’est que les habitants s’en fichent ! Voilà trente et un ans que la centrale fonctionne : elle appartient désormais au paysage. Des manœuvres ont été organisées cette année : personne n’est venu, en dépit de la mobilisation des médias, contrairement aux premiers exercices auxquelles tous les habitants avaient participé. Vous pourrez élargir le périmètre autant que vous voudrez : plus on sera éloigné de la centrale, moins on se sentira concerné. Il faut trouver des solutions pour sensibiliser les habitants à cette problématique. Trouver un consensus sur le sujet est nécessaire.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Après avoir entendu successivement les collectivités territoriales, les organisations patronales, les syndicats et les organisations non gouvernementales, je suis frappé de constater que le débat sur la transition énergétique a permis une réelle prise de conscience et a développé une expertise qui n’existait pas nécessairement au départ. Si les textes législatifs étaient plus souvent précédés de tels débats, ils y gagneraient en qualité.

Étant en charge du chapitre sur la gouvernance, j’aimerais savoir ce que vous pensez de ce dispositif innovant et inédit : au plan national, le projet prévoit la création d'un budget carbone assorti d'une stratégie ad hoc, une programmation pluriannuelle de l'énergie, des schémas stratégiques pour les producteurs d’électricité. Ces mécanismes vous semblent-ils permettre un réel pilotage par les pouvoirs publics ? S’agissant du budget carbone, la question des importations – des fuites de carbone liées aux délocalisations – est importante, comme le reconnaissait le responsable du MEDEF auditionné l’autre jour. Si nous n’y prenons garde, ce type de dispositifs peut engendrer des effets pervers et favoriser les délocalisations.

L’avant-projet de loi prévoyait la création d’un comité d’experts sur les questions énergétiques, proposition qui a été supprimée dans la version actuelle du texte, sans doute par souci de ne pas multiplier ce genre de structures. Pour ma part, je pense qu’il aurait eu le mérite de permettre la confrontation d’analyses divergentes venant d’experts indépendants et d’horizons différents, et d’éclairer les débats sur ces sujets complexes.

Marc Jedliczka a insisté sur l’importance du conseil en efficacité énergétique qui pose le problème de la territorialisation de la gouvernance. Depuis l’adoption de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, la région est devenue le chef de file pour ces questions ; elle pilote donc le service public d’efficacité énergétique créé par la loi Brottes. Avez-vous des idées sur la manière d’articuler au mieux le travail de la région avec celui des établissements publics de coopération intercommunale, chargés des plans climat territoriaux, afin d’impulser sans la brider l’initiative locale ?

S’agissant de la distribution, le statut d’ERDF est au cœur de nos débats. Même si les syndicats ont un point de vue particulier sur le sujet, tous les intervenants ont l’impression qu’une partie du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), payé par les consommateurs, se retrouve dans les dividendes versés par ERDF à EDF, alors qu’il n’a pas été créé pour soutenir les cours de bourse de l’opérateur et que l’on peut redouter un déficit d’investissements dans les réseaux. Pourquoi ne pas revoir le statut d’ERDF, en s’inspirant de celui de Réseau de transport d'électricité, pour avoir une meilleure maîtrise du TURPE et pour que les collectivités locales, c'est-à-dire les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, puissent être présentes dans les instances d’ERDF ?

Je partage les points de vue exprimés sur l’insuffisance du texte en matière de transition professionnelle. Le Conseil économique, social et environnemental a fait des propositions totalement consensuelles, comme l’ont confirmé les organisations syndicales et patronales lors de la table ronde. Le texte pourrait donc être renforcé sans nuire, bien au contraire, au dialogue entre les partenaires sociaux.

La durée de vie des réacteurs nucléaires français, fixée à quarante ans, est un sujet relevant à la fois de la gouvernance et de la transparence, qui a été identifié par la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire et par l’Autorité de sûreté nucléaire. Il faut que tout le monde – y compris l’exploitant – sache comment cela va se passer.

M. le président François Brottes. Après les questions des rapporteurs, nous passons à celles des orateurs inscrits.

M. Jean Launay. Mon intervention consistera essentiellement à demander à nos interlocuteurs ce qu’ils pensent de l’élargissement de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Hier, les syndicats ont reproché au texte de ne parler que d’électricité, certains allant même jusqu’à le qualifier d’anti-EDF. Que pensez-vous de l’idée d’élargir l’assiette de la CSPE et de créer une contribution au service public de l’énergie, ce qui permettrait de mettre les énergies fossiles dans la boucle du financement des énergies renouvelables ?

M. Bertrand Pancher. Nous avons reçu environ 500 à 600 propositions, notamment de la part des grandes organisations environnementales, alors que nous sommes contraints de déposer nos amendements vendredi. C’est un peu mission impossible. Notre groupe se bornera donc à examiner les propositions qui peuvent faire consensus.

Vous qui représentez les grandes organisations environnementales, comment avez-vous travaillé ensemble ? Avez-vous validé vos propositions d’amendements collectivement ? Les propositions émanent de grandes organisations représentatives comme France Nature Environnement, d’associations expertes, de fondations, de Greenpeace qui dispose aussi de ses propres experts. La réponse à cette question nous importe et elle nous permettra de nous faire notre propre avis.

S’agissant de la séparation entre le distributeur et le fournisseur d’électricité, nous avons eu peu de préconisations sur la matérialisation du renforcement du rôle du régulateur. Cela nous embête parce que nous nous rendons bien compte que le régulateur est plutôt affaibli par la baisse de ses moyens, alors qu’il devrait être renforcé.

L’électricité occupe une place de choix dans le domaine des transports où nous sommes le réceptacle de propositions venant de tous les lobbies et organisations – après vous, nous recevrons le patron de GDF-Suez. Pensez-vous que nous devons renforcer la place du gaz, grand absent de ce projet de loi ?

Sur les déchets, il n’y a rien dans vos propositions et il n’y a pas grand-chose non plus dans le projet de loi, reconnaissons-le, même s’il y est question de reprendre certaines dispositions européennes. Pourquoi n’en avez-vous pas parlé ?

En matière de concertation, nous soutenons évidemment les débats publics, à condition que les ultras ne viennent pas les empêcher et tout casser. Nous allons soutenir vos propositions d’amendements, mais comment pouvez-vous nous aider face à vos irréductibles ?

En ce qui concerne les indicateurs et les suivis, nous sommes d’accord avec la Fondation Nicolas Hulot. Vous avez beaucoup d’idées et nous attendons des propositions d’amendements précises, parce que nous manquons de temps pour retravailler tout cela.

M. le président François Brottes. Chers collègues, je vous rappelle que vous avez la capacité d’initiative et la liberté d’expression pour écrire vos propres amendements sans que d’autres tiennent la plume.

Mme Frédérique Massat. Monsieur Rousselet, le texte a développé les pouvoirs de l'Autorité de sûreté nucléaire. Pensez-vous que ce soit suffisant ou faut-il aller plus loin ?

Des dispositions figurent dans la directive sur la sûreté nucléaire, révisée en juin 2014. Ce texte doit-il servir de véhicule législatif pour transposer ces dispositions, notamment celle qui prévoit un test de résistance tous les six ans ?

Que pensez-vous des commissions locales d’information dont le rôle et les capacités d’intervention ont été quelque peu affirmées ?

Monsieur Jedliczka, je suis tout à fait d’accord avec votre appréciation sur les espaces info énergie qu’il faut conforter, installer dans le paysage et doter d’un statut moins hybride et défaillant.

Concernant les réseaux, qu’elle est votre vision de la péréquation ? Issue d’un territoire de montagne, je constate que le renforcement des réseaux et de la desserte y coûte beaucoup plus cher que dans les territoires plus densément peuplés. Que se passerait-il en cas d’une déperdition au niveau du réseau, alliée à la possibilité pour certains de faire appel à des réseaux privés ? C’est une question qui me soucie. Ce système de péréquation, qui nous permet d’avoir un même tarif en tout point du territoire, est important. Sa remise en cause pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les zones les moins densément peuplées telles que les territoires de montagnes. Sur ce point, je souhaite un complément d’informations.

Que pensez-vous des 7 millions de bornes de recharges électriques prévues par le texte à l’horizon 2030 et de la création d’un opérateur national ?

Vous proposez d’élargir la prime de conversion aux véhicules d’occasion récents, au risque de mettre le neuf au prix d’une occasion récente. Cette idée est à étudier avec précision.

Monsieur Orphelin, j’ai lu hier sur les réseaux sociaux que vous aviez l’intention de réveiller l’Assemblée nationale. Même après des auditions nocturnes qui nous font veiller tard, nous ne sommes pas du tout endormis et nous sommes même nombreux sur tous les bancs, en ce jeudi matin. Soyez rassuré : certains parlementaires travaillent sur ces sujets depuis des années, dans le cadre de leurs mandats et de leurs différentes activités. Votre apport est essentiel dans le débat, comme celui de tous les acteurs, mais je puis vous garantir que notre intérêt pour la transition énergétique ne date pas d’une semaine. Quant à vous, monsieur le président, je vous remercie de nous rappeler que nous avons la capacité d’amender : nous ne sommes pas que des boîtes aux lettres.

M. le président François Brottes. Denis Baupin demande souvent que certaines aides puissent être dévolues au changement d’appareils ménagers comme les réfrigérateurs. En accorder pour le changement de véhicules d’occasion comporte le même risque, celui d’une augmentation des prix. Chaque fois qu’une aide publique est « fléchée » vers tel ou tel produit, y compris les panneaux photovoltaïques ou les chauffages à bois, on voit apparaître de la spéculation et une augmentation des prix. Il serait bon que vous réagissiez à propos de cet effet pervers : le détournement d’objet des aides accordées.

M. Alain Leboeuf. Madame Arditi, vous trouvez que les objectifs intermédiaires sont insuffisants et vous proposez une méthode pour atteindre les objectifs de 2030. Vous suggérez d’affiner les mesures en ce qui concerne la stratégie bas carbone, en introduisant la notion de « gaz à effet de serre consommation ». Vous prônez un plan de démantèlement des cinquante-huit réacteurs nucléaires français en trente ans. Comment rendre ces différents objectifs compatibles ? Autrement dit, comment diminuer la production d’électricité pour réduire l’émission de gaz à effet de serre, tout en supprimant très rapidement nos centrales nucléaires ?

Monsieur Jedliczka, vous avez parlé de la rénovation du bâti et vous nous proposez des amendements mais vous n’avez fait aucune remarque sur la qualité des matériaux, que ce soit dans la rénovation ou le neuf. Personne n’a évoqué les isolants biosourcés qui me tiennent à cœur car ils offriraient de nombreux avantages, outre leur pouvoir isolant : ils peuvent être produits et utilisés localement, autrement dit, ils sont une source importante d’emplois locaux ; ils ont un rôle à jouer en termes d’économie circulaire.

Madame Limousin, nous sommes prêts à vous suivre en ce qui concerne la mobilité urbaine, le covoiturage, l’encouragement du vélo – mon département détient le record de longueur de pistes cyclables – et la lutte contre l’étalement urbain. Reste un sujet trop rarement évoqué : les déplacements interurbains. Pour ce type de déplacements, on continue à utiliser des bus exclusivement au diesel malgré les problèmes liés aux gaz d’échappement. Ne faudrait-il pas amender le texte afin d’encourager le remplacement de ces bus interurbains par des véhicules fonctionnement avec des énergies renouvelables telles que le biométhane ?

Mme Cécile Duflot. Pour rassurer ceux de nos intervenants qui pourraient être inquiets, j’indique que le groupe écologiste de l’Assemblée nationale n’a pas changé de position : il souhaite toujours que soit adoptée une loi visant à faire sortir notre pays du nucléaire. Néanmoins, nous travaillons dans le cadre d’un texte de compromis qui reflète l’état démocratique de notre pays.

En ce qui concerne la vie des réacteurs nucléaires, nous considérons que la durée de quarante ans est la règle et que toute prolongation relève de l’exception. C’est pourquoi nous serons très attentifs au dispositif qui envisagerait une possibilité de prolongation. D’ailleurs, le président de l’ASN a bien insisté sur cette date fatidique et particulière pour les centrales nucléaires. Quels dispositifs précis souhaiteriez-vous voir mis en place à l’occasion de cette date, dans l’hypothèse de la poursuite de l’activité de ces réacteurs ?

Madame Limousin, vous avez regretté des manques dans les dispositifs prévus pour les transports et je partage votre analyse. Quelles mesures complémentaires vous sembleraient les plus utiles ?

Pour faire écho aux interventions de Maryse Arditi et de Matthieu Orphelin sur l’absence dans le texte de l’objectif intermédiaire de 2030, j’aurais une dernière question : comment pourrait-il être efficacement formulé comme guide des programmations pluriannuelles de l'énergie ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Après Mme Battistel, je voulais revenir sur les parcs photovoltaïques qui se créent sur appels d’offres assortis de cahiers des charges précis. Or, lors des derniers appels d’offres, les territoires du nord de la Loire ont été exclus, notamment la Bretagne, région déficitaire en production énergétique. Quelle solution proposez-vous, sachant que ces parcs pourraient être créés sur des terres non agricoles et que le critère du transport de l’électricité pourrait être retenu ?

Mme Bernadette Laclais. Madame Limousin, je vous remercie d’avoir cité le transport de marchandises dans votre propos liminaire, tout en notant que vous n’avez pas fait de propositions sur ce sujet. De même, je m’étonne que la Fondation Nicolas Hulot ne l’évoque pas dans son document alors qu’il est à l’origine de 30 % des gaz à effet de serre dans le domaine des transports. Rappelons que la France ne respecte pas certaines conventions européennes, en dépit des projets d’ores et déjà lancés.

Toujours dans le domaine des transports et de la vitesse, vous avez parfaitement raison d’évoquer aussi la sécurité. Pour être élue d’une circonscription où la voie rapide urbaine traverse la ville, j’y ajouterais la question du bruit : nous avons constaté que la baisse de la vitesse avait un impact extrêmement fort sur les riverains. Cet élément de pédagogie et de communication peut être largement utilisé.

Monsieur Jedliczka, le CLER a fait un travail remarquable sur le terrain pour sensibiliser les parlementaires. J’approuve totalement votre proposition d’amendement relative aux espaces info, peut-être parce que je viens d’un département précurseur en la matière avec l’Association savoyarde de développement des énergies renouvelables (ASDER).

J’ai plus de réserves sur celle relative à l’intégration de la qualité du bâtiment en matière énergétique dans les critères relevant du classement des logements décents. Ancienne élue locale, j’ai pu constater que les personnes en grande difficulté vivent dans des logements qui ne sont pas de bonne qualité d’un point de vue énergétique, mais qui répondent à un vrai besoin. Où trouve-t-on le point d’équilibre ?

Je vous remercie tous car, en ciblant les propositions qui vous tiennent vraiment à cœur, vous nous permettez d’aller plus vite à l’essentiel.

M. le président François Brottes. Avant de laisser nos invités répondre et pour prévenir d’éventuelles frustrations, je vais faire trois remarques. D’abord, je rappelle que l’article 40 de notre Constitution interdit d’aggraver la charge publique d’où qu’elle vienne et quelle qu’elle soit, ce qui peut engendrer des frustrations. Aucune réforme constitutionnelle n’est annoncée sur ce point et tous les gouvernements apprécient ce dispositif qui verrouille quelque peu l’initiative parlementaire.

Ensuite, et je peux vous faire partager mon expérience dans ce domaine, certaines dispositions peuvent ne pas être constitutionnelles.

Enfin, certaines propositions relèvent plus du règlement que de la loi. Il est inutile de surcharger la loi de cette façon, ce qui contraint en outre à la retoucher à chaque modification de règlement. Pour la cogénération, il a ainsi fallu attendre un véhicule législatif qui permette de régler des problèmes de tarifs d’achat.

M. Matthieu Orphelin. Nous avons travaillé ensemble pour harmoniser nos interventions, ce dont peut témoigner Anne Bringault, notre coordinatrice. C’est l’une des originalités du collège ONG.

M. le président François Brottes. Vous voulez dire que nous aurions pu n’auditionner qu’un seul d’entre vous ?

M. Matthieu Orphelin. Tout à fait, mais nous n’aurions pas eu le plaisir de vous rencontrer et de voir votre belle énergie, madame la députée Massat. Nous avons besoin de ces rencontres parce que nous doutons, tant ce sujet ne nous semble jamais susciter l’attention qu’il mérite. Il ne s’agit pas tant de vous réveiller que de faire en sorte que ce débat prenne enfin la place qu’il mérite.

Si j’ai cité tous les citoyens, c’est parce que la définition actuelle me semble comporter un risque de contentieux : les anti-éoliens, par exemple, pourraient attaquer la définition, très floue, du riverain. Vous avez tout à fait raison de penser que les gens préfèrent investir dans des projets de proximité, mais cela peut signifier dans leur région et pas seulement aux abords immédiats de leur domicile.

Les positions sur l’élargissement de l’assiette et l’utilisation de la CSPE étaient quasi consensuelles pendant le débat, puisque seul le MEDEF a fini par s’en écarter. Nous avons besoins de travaux complémentaires et, à la faveur de la discussion du texte, une étude approfondie peut être demandée sur ce sujet complexe.

Monsieur Plisson, vous avez abordé la question des taxis. Pourquoi ne pas imposer aux taxis et aux voitures de tourisme avec chauffeur des objectifs de réduction, comme la loi le prévoit déjà pour les entreprises de la distribution ? Il y a plein de manières de le faire, détaillées dans nos documents. À chaque fois que je prends un taxi, le chauffeur m’explique qu’il en reste au diesel parce que cela lui coûte moins cher que d’acheter un véhicule hybride, ce qui nous ramène à la fiscalité.

Nous approuvons la création du budget carbone, en rajoutant les émissions importées, au moins à titre pédagogique pendant les cinq ou dix premières années. Les mutations professionnelles font l’objet de nombreuses propositions consensuelles. Le biogaz est une manière de réintégrer le gaz, notamment dans la définition des véhicules sobres.

En ce qui concerne les véhicules d’occasion récents, pour connaître l’impact d’une éventuelle mesure sur les prix, il faut la prévoir dans la loi, quitte à y renoncer par la suite. Votre interrogation est légitime ; encore faut-il se donner les moyens de le vérifier.

Pourquoi avons-nous oublié le transport des marchandises ? Notre ambition étant d’améliorer le texte existant, nous n’allions pas vous resservir tous nos discours sur la défunte écotaxe : vous connaissez nos positions et nos regrets. Mais nous pouvons vous renvoyer quelques idées sur la manière de faire évoluer le nouveau dispositif pour qu’il se rapproche de l’ambition et de l’efficacité de l’écotaxe.

M. Yannick Rousselet. Est-il difficile de parvenir à un consensus ? Il est vrai les positions peuvent être radicales sur le nucléaire, mais nos propositions d’amendements me semblent de bon sens et peuvent faire l’objet d’un large consensus.

Cet après-midi, vous allez recevoir l’Association nationale des comités et commissions locales d'information qui va revenir sur cette affaire des quarante ans. Un consensus est possible sur cette question sur laquelle l’ASN a régulièrement appelé l’attention.

Pour notre part, nous préconisons un processus tout simple s’appuyant sur la réglementation en vigueur pour la création d’une installation nucléaire de base. Deux ans avant le terme des quarante ans, l’exploitant demanderait une prolongation à laquelle s’appliquerait la réglementation applicable aux créations d’INB. C’est d’une simplicité absolue.

Nous avons regretté que le texte ne détaille pas davantage les moyens de l’ASN – un thème qui est revenu de manière récurrente dans les débats – et ne prévoie pas de l’autoriser à appliquer des sanctions graduelles. Que ce soit dans la loi ou dans des ordonnances futures, ces sanctions devront être inscrites dans les textes le plus rapidement possible. Actuellement, l’ASN n’a d’autres choix que de laisser fonctionner ou d’arrêter une installation ; elle ne dispose pas d’un arsenal de mesures coercitives variées et graduelles. Nous espérons que le texte va créer un système de sanctions graduelles, calculées en fonction des moyens des exploitants et qui ne se limitent pas aux 1 500 euros prévus pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Elles devront être proportionnelles à l’importance des installations.

S’ils sont appliqués dans les délais, les niveaux de sûreté des installations, qui prévoient notamment une réévaluation tous les dix ans, sont plutôt satisfaisants. Nombre de mes collègues étrangers aimeraient voir s’appliquer un processus de ce niveau dans leur propre pays. L’ASN a une bonne méthode et un bon calendrier ; encore faut-il qu’elle ait les moyens – notamment humains – de les appliquer. Dans les mois et les années à venir, l’agence va devoir faire face à une surcharge de travail gigantesque due à l’application du délai de quarante ans et à l’élaboration de nouvelles normes « post Fukushima », un travail qui n’est pas terminé. Les textes existants sont plutôt bien faits mais encore faut-il les respecter et s’en donner les moyens.

Les gens se fichent des risques nucléaires, dites-vous. Je vis moi-même à dix-huit kilomètres de l’usine de La Hague et à environ vingt kilomètres de celle de Flamanville, j’y suis né ; j’aime cet endroit ; je participe aux différentes commissions locales d'information et je fais partie d’autres institutions. Je n’ai pas l’impression que les gens s’en fichent. Ils n’ont pas eu l’habitude d’être associés à ces processus et les exercices nucléaires tels qu’ils sont pratiqués, même s’ils tendent à s’améliorer, ont plutôt été contre-productifs : d’un côté, on demande aux gens de faire les exercices et de jouer le jeu ; de l’autre, on leur explique qu’il ne faut rien changer à la vie économique ni aux habitudes de l’endroit.

Où que j’aie participé à des exercices – Penly, Paluel, La Hague ou Cruas – j’ai constaté que l’on disait une chose et son contraire à la population. Pour lutter contre le désintérêt des gens, nous devons améliorer les méthodes d’information du public, ce qui n’est pas contradictoire avec le fait d’élargir le cercle des personnes informées. À Fukushima, il a été constaté que le personnel hospitalier ou les agents de la circulation exerçant autour de la zone étaient très dépourvus de formation et d’information.

Il est absolument nécessaire d’élargir le périmètre actuellement défini dans le projet de loi en ce qui concerne l’information et la formation du public, notamment celles de certains employés communaux, des personnels des hôpitaux et autres centres de secours. En fonction des scénarios d’accident, les zones d’évacuation peuvent aller au-delà des dix kilomètres prévus. Nous avons proposé cinquante kilomètres. On peut en discuter. Les commissions locales d'information proposent de se caler sur la notion de bassin de vie. Pourquoi pas ? En tout état de cause, il faut aller au-delà du périmètre du PPI d’un site nucléaire.

Rappelons qu’une partie du public agit par délégation. Quand les commissions locales d'information sont pluralistes – qu’elles intègrent notamment des représentants d’associations et de syndicats – et qu’elles fonctionnent bien, les gens leur font confiance et accordent du crédit aux informations officielles. D’où l’importance d’avoir de vrais contre-pouvoirs dans ces instances.

M. le président François Brottes. Vous évoquez la durée de vie des réacteurs et l’idée d’établir un dossier de demande de prolongation deux ans avant l’âge fatidique des quarante ans, mais une centrale nucléaire doit fonctionner parfaitement bien jusqu’à son dernier jour.

Le fait d’accorder ces deux ans pour monter un dossier ne va-t-il pas avoir des effets négatifs ? D’une part, n’y aura-t-il pas un risque de sous-investissement pendant cette période d’attente de la part de ce qui est un opérateur économique ? D’autre part, ne faut-il pas exiger aussi une réponse impérative de l’autorité à l’échéance prévue pour éviter que cela ne dure la nuit d’Héra ? Ne faut-il pas imposer une contrainte de temps aux deux parties ?

M. Yannick Rousselet. C’est précisément pour cela que nous avons proposé deux ans : dans la pratique actuelle, les allers et retours entre l’exploitant et l’ASN tendent à faire traîner les choses. Or nous avons besoin de visibilité, notamment pour donner à la représentation nationale la possibilité d’évaluer l’ensemble des moyens à disposition, dans le cadre de la PPE, et le commissaire du Gouvernement doit pouvoir vérifier la conformité des investissements. À partir de là, on peut décider de fermer ou non Fessenheim, de prendre telle ou telle décision concernant l’EPR, etc.

Actuellement, il n’y a aucune visibilité : bien malin est celui qui est capable de savoir ce qu’il va advenir des installations dans deux ans. C’est pourquoi nous avons proposé ce délai préventif. Il ne faut pas attendre d’être au pied du mur pour prendre les décisions. Cela étant, nous ne sommes pas complètement inconscients : si un événement suffisamment grave et important se produisait, il serait possible d’intervenir comme le prévoit d’ores et déjà le texte.

M. le président François Brottes. L’ASN souhaite, à juste titre, que l’on durcisse les sanctions lorsque les consignes ne sont pas respectées. Ne pourrait-on pas aller jusqu’à prévoir de sanctionner l’ASN elle-même si elle ne respecte pas ses délais de réponse et met, par exemple, quatre ans pour réagir à un problème donné et alors que des investissements sont engagés ?

M. Yannick Rousselet. J’avoue ne pas y avoir réfléchi en ces termes. De fait, la loi pourrait imposer à l’ASN de faire ses prescriptions ou recommandations dans certains délais, à condition de lui en donner les moyens.

Au-delà de la question des moyens, encore faut-il que l’ASN soit écoutée. En lisant la loi, je n’ai pas l’impression que tout le monde a écouté ce que Pierre-Franck Chevet et André-Claude Lacoste vous expliquent depuis des années : l’effet falaise, la possibilité de fermer plusieurs réacteurs d’un coup. Que va-t-il se passer, en l’état du texte, si l’on découvre que les fissures de la centrale de Tricastin sont en train d’évoluer alors qu’elles sont censées ne pas bouger, et si huit cuves sont condamnées ? L’ASN vous alerte sur ce problème depuis plusieurs années.

Au-delà de la question des moyens, il faut donc s’interroger sur la manière dont on intègre davantage les règles et les recommandations de sûreté données dans le cadre de la PPE et de son application.

M. le président François Brottes. Je crois que les fissures sont surveillées en permanence.

M. Yannick Rousselet. Pas tout à fait. La semaine dernière, nous avons eu une réunion d’une journée entière sur ces cuves – c’était passionnant ! – avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et l’ASN. Des calculs sont effectués en permanence et, théoriquement, ces cuves ne doivent pas bouger, ce que nous espérons tous.

L’ASN va vérifier le réacteur n° 3 de Blayais l’an prochain et, dans un scénario de fiction, j’ai imaginé ce qui pouvait se passer si, tout à coup, on découvrait qu’une des fissures a bougé. On pourrait alors se retrouver dans une situation où l’ASN serait amenée à exiger l’arrêt non pas d’un seul, mais des neuf réacteurs. Tout n’est pas une question de moyens ; la capacité d’écoute est également importante.

Mme Lorelei Limousin. Sur le thème de l’économie circulaire et des déchets, je vais reprendre trois propositions qui viennent d’associations membres du Réseau action climat – Les Amis de la Terre, le Centre national d'information indépendante sur les déchets (CNIID) et le mouvement Zero Waste – et aussi de France nature environnement.

La première incite à fixer des objectifs de réduction de production de déchets plus ambitieux pour les ménages et les entreprises. Cette conclusion du plan national de prévention des déchets de cet été ne figure pas dans le projet de loi. La deuxième vise à définir une hiérarchisation non seulement des déchets – ce qui est prévu – mais aussi des ressources. Il s’agit d’utiliser les ressources déjà prélevées plutôt que d’en prélever de nouvelles. La troisième tend à développer le réemploi des objets d’occasion dans les établissements publics. Sachant que la commande publique représente environ 10 % du produit intérieur brut, une telle mesure pourrait avoir un impact sur le développement du réemploi et permettrait aussi de réutiliser les objets – ceux de l’éducation nationale dans les associations, par exemple.

S’agissant de l’énergie, du budget carbone et de la stratégie nationale bas carbone, nous approuvons l’idée de calculer en parallèle les émissions liées à la consommation. Le RAC a fait deux publications sur les émissions liées aux importations, que l’on peut considérer comme des passagers clandestins du commerce international.

Nous aimerions que les objectifs définis dans les programmations pluriannuelles de l'énergie s’appliquent aussi aux transports et à toutes les énergies, notamment au pétrole pour le volet production. Nous voudrions aussi que l’on améliore la consultation sur les scénarios de consommation dessinés en amont des PPE. Enfin, nous recommandons d’assurer une meilleure cohérence entre les investissements et les PPE.

En ce qui concerne le capital des sociétés de projet pour la production d’énergie renouvelable, nous préconisons son ouverture obligatoire à tous, pas seulement aux riverains, même si ces derniers sont concernés au premier chef.

En matière de transports, nous sommes très favorables aux plans de déplacements ruraux et à ceux qui ne concernent pas les entreprises. Le RAC et la FNH ont publié un document sur les territoires ruraux et périurbains, dans lequel nous prônons un renforcement des offres de transport mais surtout de leur organisation dans les territoires moins denses, afin d’apporter des solutions à des ménages de plus en plus concernés par la précarité énergétique liée à la mobilité. Cela implique des moyens. Nous nous rallions à la FNH pour préconiser un appel à projet pour ce type de solutions de mobilité, dédié à ces territoires.

La question du transport collectif interurbain y est évidemment liée. Pour ce qui est des trains intercités, actuellement laissés à l’abandon, je vous renvoie à la dernière analyse de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports. Pour les trains intercités, les TER et les cars, nous sommes favorables à la fixation d’objectifs en termes d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelable, et donc à l’intégration du biométhane dans les véhicules lourds.

Nous pensons aussi qu’il faudrait encourager l’utilisation des transports collectifs par le biais des infrastructures, en les rendant plus attractifs grâce à des voies dédiées. Mais nous pensons qu’il faudrait une phase d’expérimentation. Si ces voies dédiées sont ouvertes au covoiturage, il faut veiller à ce que cela ne pénalise pas les transports collectifs. Surtout, nous préconisons d’aménager ces voies dédiées sur des infrastructures existantes, pour qu’elles ne servent pas de prétexte à élargir ou construire des autoroutes, ce qui serait très contradictoire avec la lutte contre l’étalement urbain.

Construire 7 millions de bornes électriques à l’horizon de 2030 nous paraît être un objectif tout à la fois démesuré – en l’absence d’étude d’impact mesurant leur effet sur le réseau électrique – et réducteur parce qu’il existe d’autres options technologiques comme le biométhane qu’il faudrait intégrer dans la définition du véhicule propre.

Pour notre part, à l’horizon 2030, nous préférerions qu’il y ait un objectif de réduction de la consommation de carburant pour tous les véhicules particuliers, quel que soit le carburant. Il faudrait prendre de l’avance sur ce type de réglementation qui existe au niveau européen jusqu’en 2020. Nous préconisons un objectif de soixante grammes de CO2 par kilomètre à l’horizon 2030. Cette réglementation produit des effets ; les constructeurs français sont particulièrement bien placés en matière d’efficacité énergétique des véhicules. Elle doit être appliquée aux autres types de véhicules – lourds, utilitaires légers, deux-roues – dont les émissions ne baissent pas.

Quelles mesures envisageons-nous pour les transports de marchandises ? La pollutaxe ou taxe kilométrique poids lourds est indispensable si nous voulons rationaliser le transport routier, favoriser le report modal et lever des fonds pour investir dans la régénération du réseau ferroviaire. J’espère que cet enjeu budgétaire très important sera réglé dans la loi de finances. On peut aussi inciter les entreprises à s’implanter à proximité des voies ferrées afin de favoriser le fret ferroviaire, et encourager les opérateurs ferroviaires de proximité. De nombreuses pistes existent et c’est faute de temps que nous n’en avons pas parlé.

Qu’est-ce qui est plus utile à la transition énergétique dans les transports ? Répondre en une phrase est un peu compliqué : le secteur est très diffus et il faut activer différents leviers. S’il n’y a pas de solution miracle, je répondrais quand même que la plus utile est la contribution climat-énergie. Comme Matthieu Orphelin, je pense qu’il faut donner une trajectoire pour 2020-2030, afin d’orienter les investissements vers les domaines prioritaires. Cela suppose une bonne utilisation des ressources, notamment en matière de prévention et de lutte contre la précarité énergétique, qu’elle soit liée au logement ou à la mobilité.

M. le président François Brottes. Au passage, j’en profite pour saluer le travail effectué par Jean Sivardière à la FNAUT, que vous avez citée.

M. Marc Jedliczka. Nous sommes évidemment favorables aux matériaux biosourcés et au gaz, renouvelable de préférence. Notre successeur dans cette salle, M. Mestrallet, va certainement vous vanter le gaz non renouvelable, qui est une option moins pire que le pétrole puisqu’il ne produit pas de particules, de NOx, etc. On peut le favoriser mais dans la perspective d’une transition, très simple, vers le biométhane : un véhicule au gaz peut très facilement fonctionner au biométhane.

S’agissant des tarifs d’achat, sachez que vos collègues allemands votent leur niveau par filière et presque par puissance. Nous n’avons pas cette tradition en France ; les tarifs sont fixés de manière réglementaire mais la loi pourrait établir quelques principes de base, notamment décider qu’ils doivent refléter une économie maximum pour l’ensemble de la collectivité.

Ainsi, nous proposons de régionaliser les tarifs d’achat pour le photovoltaïque et faire en sorte qu’ils soient plus élevés dans le nord que dans le sud, ce qui éviterait la spéculation et permettrait aux Bretons d’avoir des centrales photovoltaïques. Il faudrait revenir sur des coûts qui nous semblent illégitimes comme le coût de l’intégration au bâti, une spécificité française que nous avions dénoncée au moment de sa mise en place et que tout le monde regrette à présent parce qu’elle conduit à des conflits d’assurance. Libérons les toitures !

À la campagne, le photovoltaïque se heurte à un problème de réseau : les grosses installations peuvent se payer un raccordement mais il faut veiller à ne pas avoir trop d’installations intermédiaires – typiquement dans le monde agricole. En ville, le facteur limitant n’est pas le réseau, mais l’accès au soleil des toitures. Il faut pouvoir installer des panneaux sur les toitures plates, avec des systèmes qui coûtent d’autant moins cher que les prix baissent rapidement.

Tout cela renvoie plutôt à une discussion avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), après l’adoption de la loi. Cela étant, la France manque surtout d’une expertise de l’État sur ces questions, d’où le comité d’experts évoqué par Denis Baupin, une idée du débat national sur la transition énergétique.

Faut-il créer un comité Théodule, sachant que les expertises sont complexes et multiples ? Peut-être y a-t-il une piste à creuser du côté de la Commission de régulation de l'énergie dont la baisse du budget nous inquiète ? Depuis quelques années, la CRE est venue sur des terrains qui n’étaient pas dans ses attributions obligatoires, mais en montrant un bon niveau d’expertise et une grande capacité de dialogue : ses publications sont très intéressantes et les points de vue y sont très équilibrés. N’étant pas un expert en la matière, je laisse la représentation nationale discuter de cette piste potentielle.

La péréquation, qui revient souvent dans les débats, n’a pas de lien avec la dissociation de ERDF et EDF. On doit pouvoir imaginer des systèmes de redistribution entre les zones comme cela se pratique pour nombre d’infrastructures. La péréquation doit demeurer mais il faudra réfléchir à une territorialisation des productions : l’énergie renouvelable peut être produite en zone rurale, loin des grands réseaux de transport électriques, ce qui peut même représenter un atout. Il faut avoir un raisonnement plus ouvert, tout en permettant à tous de satisfaire leurs besoins énergétiques de base, en passant par le réseau, et à un tarif raisonnable. En écho à Denis Baupin, je rappelle qu’une partie des recettes du TURPE alimente les gains des actionnaires d’EDF, si l’on en juge par l’analyse des flux de trésorerie.

Mme Maryse Arditi. Peut-on envisager en même temps une stratégie bas carbone et une réduction de la production d’électricité nucléaire ? Premièrement, notre consommation d’énergie stagne depuis dix ans et notre consommation d’électricité stagne depuis cinq ou six ans. Deuxièmement, les quatre trajectoires étudiées au cours des débats conduisent toutes à une diminution progressive de la consommation d’énergie, plus ou moins importante.

M. le président François Brottes. Ce n’est pas ce qu’indique le rapport de RTE.

Mme Maryse Arditi. Le rapport de RTE indique que nous aurons un problème en cas de grande vague de froid durant les hivers 2015 ou 2016. Mais dès à présent, nous ne parvenons pas à assurer l’équilibre en période de vague de froid : c’est l’Europe entière qui permet à la France de se chauffer, en lui fournissant la moitié du supplément d’énergie dont elle a besoin.

M. le président François Brottes. Grâce au charbon…

Mme Maryse Arditi. Notamment grâce au charbon. Or l’Allemagne va fermer un nombre important de ses centrales de charbon et elle ne pourra plus nous vendre l’électricité dont nous avons besoin en cas de vague de froid.

Nous sommes dans une phase où tout le monde s’accorde sur la nécessité de faire des économies d’énergie, et où la production d’énergies renouvelables va augmenter, même en France où son développement est freiné. Si la consommation d’électricité n’augmente pas, nous allons finir par en avoir trop. C’est déjà le cas : nos réacteurs fonctionnent à seulement 73 % de leur disponibilité, alors que ce taux atteint entre 85 % et 90 % dans les autres pays qui possèdent des centrales nucléaires. Avec des taux comparables, la France pourrait fermer quinze réacteurs tout en assurant la même production.

Comme EDF n’a pas les poches pleines, l’idée qui se profile est de lui fixer l’objectif suivant : concentrer ses moyens sur la remise à niveau excellente d’un nombre limité de réacteurs, pour éviter les risques d’un Fukushima sur Seine. Il n’est donc pas contradictoire d’envisager à la fois une stratégie bas carbone et une réduction de la production d’électricité nucléaire.

Nous aussi, nous avons des propositions d’amendements sur les énergies renouvelables. Le capital des sociétés de production d’énergie renouvelable doit être ouvert aux voisins et aux collectivités territoriales. Le texte prévoit d’ores et déjà que si les voisins et les collectivités territoriales ne sont pas preneurs, on peut aussi l’ouvrir à l’ensemble des organismes d’économie sociale et solidaire dédiés aux énergies renouvelables. Or la possibilité existe déjà et elle est utilisée dans des sociétés qui ont ouvert leur capital. Il faudrait donc faire de cette possibilité une obligation. Pour compléter, nous proposons que les aides qui leur sont accordées – primes, tarifs d’achat ou autres – subissent un abattement si les sociétés n’ont pas ouvert leur capital aux citoyens ou aux collectivités territoriales.

S’agissant de la contribution au service public de l'électricité, nous sommes très réticents à l’idée d’un élargissement. Vous voulez faire payer les fossiles ; mais avant de les faire payer, arrêtons déjà de les subventionner ! Une partie non négligeable de la CSPE subventionne les énergies fossiles pour les îles auxquelles on interdit de produire plus de 30 % d’énergies renouvelables. Mettons en place une contribution climat-énergie qui monte réellement en puissance et qui dessine l’avenir, en adoptant une fiscalité sur la tonne de CO2 réellement pertinente.

M. le président François Brottes. Autrement dit, vous voulez supprimer la CSPE ?

Mme Maryse Arditi. Non, mais nous ne voulons pas l’élargir. Nous voulons la laisser dans sa forme actuelle.

Le comité d’experts pourrait être intéressant à condition qu’il soit non seulement pluriel mais contradictoire : autour de la table, il doit y avoir des gens qui ont des avis réellement différents, même s’ils doivent ensuite se mettre d’accord. Cela permet de mettre en exergue les points d’accord, mais également les points de divergence.

Pour conclure, une remarque de rédaction : l’article 55 indique tout d’abord que la compatibilité du plan stratégique d’EDF est « constatée » par l’autorité administrative, avant d’envisager, quelques lignes plus loin, que ce plan peut ne pas être compatible… Nous proposons donc de remplacer « constatée » par « vérifiée ».

16. Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez

(Séance du jeudi 18 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Monsieur le président-directeur général, soyez le bienvenu. Le responsable du groupe mondial que vous êtes juge-t-il pertinent, pour un pays comme la France, de s’engager dans une transition énergétique, indépendamment de la qualité du texte qui s’y rapporte ? Le marché de l’énergie, devenu mondial, n’échappera-t-il pas de toute façon aux choix politiques ? Je ne fais bien entendu que poser la question, sans émettre d’avis.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez. Monsieur le président Je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée d’échanger avec votre commission, mais également de ce projet de loi. La transition énergétique est déjà une réalité en Europe et en Amérique du Nord, et le deviendra bientôt dans le reste du monde. Miniaturisés grâce aux technologies renouvelables, les équipements de production d’électricité deviennent plus accessibles dans les territoires, au plus près des consommateurs, auxquels le croisement des technologies énergétique et digitale donne la capacité de gérer leur énergie. Nous passons ainsi d’un modèle dominé par les grandes centrales à un autre, décentralisé et producteur d’énergie décarbonée. Cette transformation est irréversible. Elle s’effectue en Europe de façon assez chaotique, sans être soutenable ni durable dans tous les pays. L’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne sont allés trop vite et trop loin : outre la déstabilisation des marchés de l’électricité, cela a eu un coût considérable pour ces pays et pour les consommateurs. L’encadrement de ce mouvement par les pouvoirs publics est donc une nécessité.

Nous avons accueilli ce projet de loi, comme le débat qui l’a précédé, avec satisfaction car il permet d’encadrer la transition énergétique, voire de l’accélérer là où c’est utile. GDF-Suez a précisé, au début de l’année, sa stratégie qui repose sur deux piliers. Déjà présents dans soixante-dix pays, nous entendons devenir l’énergéticien de référence dans les pays à croissance rapide ; en Europe, nous souhaitons être le groupe leader de la transition énergétique, signe que nous avons pris acte du changement de modèle. Les vieilles centrales au charbon seront déclassées, même si le charbon survit temporairement grâce à la production américaine ; aussi GDF-Suez a-t-il décidé d’augmenter le rythme de ses investissements, passant de 7 milliards d’euros l’an dernier à 9 à 10 milliards annuels pour les trois prochaines années. En Europe, nous mettons l’accent sur les énergies renouvelables, les EnR – électricité, chaleur et gaz –, et sur l’efficacité énergétique, à laquelle sont spécifiquement dédiés 90 000 emplois, dont 40 000 en France. Cela fait de notre groupe le leader européen et même mondial – même s’il doit encore accroître son implantation dans les pays émergents – en matière d’efficacité énergétique.

Nous nous sommes mobilisés en interne à l’occasion du débat sur la transition énergétique ; cela nous a permis de formuler vingt-deux propositions, dont une sur le passeport de rénovation énergétique, et une autre sur le biogaz. Lors du débat, nous avions d’ailleurs insisté pour que la loi vise toutes les formes d’énergie, et non la seule électricité, qui représente moins de 20 % de la consommation énergétique globale. C’est ce que fait le projet de loi ; il vient donc à point nommé pour accompagner cette révolution irréversible.

Notre groupe est un énergéticien à part entière – Suez environnement étant un groupe indépendant. Il génère un chiffre d’affaires de 82 milliards d’euros et emploie 150 000 personnes, dont la moitié en France. Il faut souligner que, même dans un contexte de croissance nulle et de baisse de la consommation d’électricité et de gaz, le secteur des services de l’efficacité énergétique, lui, continue de croître, à un rythme de 2 à 2,5 % par an. Ce secteur est faible en capital mais riche en emplois, si bien que GDF-Suez embauche en France : 10 000 personnes l’an dernier. Nous prévoyons d’en embaucher 45 000 autres dans les cinq prochaines années, principalement dans ce secteur.

Le projet de loi met l’accent sur la rénovation énergétique des bâtiments ; le passeport de rénovation énergétique pourra être intégré, sous réserve de précision expresse, dans les programmes de certificat d’économies d’énergie.

Nous nous réjouissons également de voir accrus les moyens annoncés pour le fonds chaleur et la méthanisation. GDF-Suez a d’ores et déjà lancé cinq opérations de réinjection du biométhane dans le réseau de gaz. Le projet de loi fixe des objectifs stratégiques à l’horizon 2020 ou 2030 ; à ce sujet, un objectif d’au moins 10 % de biogaz dans la consommation française d’ici à 2030 nous semble atteignable : cela signifierait une économie de 10 % du gaz importé.

M. le président François Brottes. Quel montant d’investissements cela suppose-t-il ?

M. Bruno Bensasson, directeur d’Énergie France, GDF-Suez. L’impact sur le prix global du gaz, même si ce n’est pas votre question, serait d’environ 5 %.

M. Gérard Mestrallet. Quoi qu’il en soit, nous avons signé des accords avec le ministère de l’agriculture, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture pour développer cette source d’énergie. Les cinq projets de réinjection que j’évoquais s’ajoutent bien entendu à l’ensemble des petits méthaniseurs déjà en service.

Autre volet important du texte : une gouvernance de l’énergie plus favorable aux investissements de long terme, la programmation pluriannuelle de l’énergie visant l’ensemble des ressources. Les acteurs que nous sommes ont besoin de ce cadrage, à partir duquel ils peuvent exercer leur métier et assumer les risques pris. Est également prise en compte la volonté croissante des collectivités de prendre en main leur destin énergétique, notamment sous la forme du territoire à énergie positive, le TEPOS. Nous déclinons d’ailleurs cette idée à travers l’offre Terr’innove, pour laquelle des contrats ont été signés avec plusieurs collectivités, parmi lesquelles la commune de Jurançon et le département de la Vendée.

Bien que le texte couvre déjà un spectre très large, il gagnerait à insister davantage sur la recherche et développement ou sur la formation aux nouvelles technologies énergétiques. Il importe d’inscrire la stratégie française dans un contexte international et européen. Le lien entre ce projet de loi et la Conference of the parties (COP), organisée à Paris en 2015, est d’ailleurs évident. Au niveau européen, une action s’impose pour assurer le bon fonctionnement du système des quotas. Les grands énergéticiens européens, que j’ai réunis au sein du groupe Magritte, ont formulé un diagnostic sévère sur la situation de l’énergie dans le Vieux Continent. Depuis, nous avons proposé de réduire de 40 % les émissions de CO2 à l’horizon 2030 à la faveur d’un nouveau système de quotas, le précédent – avec la régulation de la Banque centrale et l’ajustement automatique du nombre de certificats émis chaque année sur la croissance économique européenne – ayant échoué. Ces propositions, qui avaient surpris de la part d’énergéticiens comptant dans leurs rangs le plus gros émetteur de CO2 du monde, le groupe allemand Rheinisch-Westfälisches Elektrizitätswerk Aktiengesellschaft (RWE), ont été reprises par la Commission européenne : elles doivent désormais être validées par le Conseil et le Parlement européens.

S’agissant de la décentralisation, il faudra aussi veiller à l’articulation des différentes compétences locales relatives à l’énergie.

Avec 7 gigawatts, les EnR atteignent en France un niveau de production raisonnable et soutenable – en Belgique aussi, d’ailleurs –, ce qui n’est pas le cas dans tous les grands pays voisins.

Même si ce point ne figure pas dans le projet de loi, il est parfois question d’étendre la contribution au service public de l’électricité aux énergies fossiles. J’y suis résolument opposé, non seulement pour protéger le secteur du gaz, mais aussi en vertu de l’équité et de la cohérence du système. Chaque ressource doit en quelque sorte payer ses propres énergies vertes ; et si le coût des EnR est encore modeste s’agissant du gaz, l’ambition française pour le biométhane représentera quelque 5,5 % du prix du gaz, auxquels il faut ajouter la taxe carbone – 7,5 % : trois fois 2,5 % –, soit 13 % d’augmentation programmée. C’est davantage que la répercussion de la CSPE dans le tarif de l’électricité.

M. le président François Brottes. Ce que les consommateurs ne paieront pas sur l’électricité, ils le paieront sur le gaz : à la sortie, cela s’équilibre.

M. Gérard Mestrallet. Pourquoi les consommateurs de gaz paieraient-ils pour une électricité qu’ils n’ont pas consommée ? La CSPE était au demeurant, pour EDF, un problème que le Gouvernement a résolu en garantissant l’extinction progressive de la créance.

Reste que l’extension de la CSPE, je le répète, ne figure pas, et c’est heureux, dans le projet de loi.

M. le président François Brottes. Elle a néanmoins été évoquée dans toutes nos auditions, preuve que vous les suivez !

M. Gérard Mestrallet. J’en viens aux pistes d’amélioration.

Le texte prévoit une réduction de 30 % des énergies fossiles à l’horizon 2030. Cet objectif est d’autant plus difficile que, le charbon étant déjà absent de notre mix, la réduction portera essentiellement sur le gaz et le pétrole, sans référence au contenu de CO2 pourtant variable selon les énergies : peut-être faudrait-il compléter le texte sur ce point.

Sur le développement des EnR, la France en est restée à une production raisonnable, de 7 gigawatts – soit la puissance de sept centrales nucléaires –, contre 70 gigawatts en Allemagne, qui ne peut plus faire face au coût. Ce développement, en France, a été freiné par la complexité administrative.

M. le président François Brottes. C’est bien la première fois qu’elle nous rend service ! (Sourires.)

M. Gérard Mestrallet. Il serait bon, toutefois, de débloquer certains de ces freins. Le guichet unique a été mis en place à titre expérimental par voie d’ordonnance : peut-être faudrait-il envisager une autorisation unique, qui dispense du permis de construire, sur le modèle de la législation applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

En tout état de cause, c’est la logique inverse qui avait prévalu en Allemagne : n’importe quel propriétaire terrien pouvait obtenir un permis de construire du maire, avec à la clé vingt ans de subventions garanties. Le coût de ce système atteindra 25 milliards d’euros pendant vingt ans, soit au total 500 milliards. C’est plus que le coût de la réunification.

L’association des riverains au capital des projets éoliens est une très bonne idée, que nous mettons déjà en œuvre localement en France et en Belgique.

Le projet de loi prévoit aussi de regrouper les concessions hydroélectriques au sein de sociétés d’économie mixte, sur le modèle de la Compagnie nationale du Rhône. Cette idée nous semble adaptée, aussi bien au regard d’une ouverture nécessaire que de la conciliation des intérêts des parties prenantes. Une centaine d’élus de la vallée du Rhône et la Caisse des dépôts, qui représentent ensemble une majorité, souhaitent voir prolongée de quinze ans la durée de la concession de la CNR. Le modeste actionnaire minoritaire que nous sommes soutient cette demande.

M. le président François Brottes. Avec 49,9 % du capital, votre modestie vous honore. (Sourires.)

M. Gérard Mestrallet. Quoi qu’il en soit cette structure nous convient et la demande est équitable : alors que toutes les concessions d’EDF ont une durée de soixante-quinze ans, la concession unique de la CNR ne dépasse pas soixante ans. J’ajoute que la CNR est la seule à acquitter une redevance de 24 % sur son chiffre d’affaires, ce qui représente 180 millions d’euros par an pour l’État.

L’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité hydraulique est souhaitable, moyennant le respect de quelques principes : un calendrier équitable au regard des positions des uns et des autres, et un encouragement aux investissements dans les montages car il reste, sur ce point, un potentiel encore inexploité.

M. le président François Brottes. À quel niveau ? Environ 10 % de la production actuelle ?

M. Gérard Mestrallet. Oui, soit quelque 5 milliards d’euros. C’est là un chiffre non négligeable pour ce qui reste la plus belle technologie de production électrique.

Des garanties doivent être apportées aux personnels : les concessions hydrauliques bénéficient d’une expérience qu’il faut préserver. La formule retenue permettra aussi à de gros consommateurs industriels d’électricité de s’associer à certains projets, au cas par cas.

Bruno Bensasson m’indique à l’instant que 12 milliards d’euros d’investissements au total – méthanisation et raccordement au réseau – sont nécessaires pour atteindre l’objectif d’une réinjection de biogaz dans le circuit.

Le texte comporte aussi des avancées dans le domaine des transports. Pour réduire la part du diesel, on pense souvent à l’électricité mais l’on oublie parfois le biogaz, voire le gaz tout court. Pourtant, dans plusieurs grandes villes du monde, les bus fonctionnent au gaz, qui a l’avantage de ne pas émettre de particules ; or celles-ci, rappelons-le, sont en grande partie responsables de la pollution à Paris. En Chine, la pollution urbaine tient principalement au charbon et au diesel, si bien que la solution la plus rapide, le vice-Premier ministre chinois me l’a confié, consiste à les remplacer par le gaz. Nous avons par ailleurs signé, avec la RATP, un premier accord pour alimenter 900 bus en biogaz. Peut-être faudrait-il enfin étendre aux collectivités l’obligation faite à l’État d’alimenter une partie de ses flottes de véhicules avec des combustibles renouvelables, ou à tout le moins de les inciter à le faire pour leurs véhicules lourds.

Je termine par un mot sur le chèque énergie. Depuis cinq ou six ans, GDF-Suez milite en faveur de l’extension des tarifs sociaux du gaz – qui est loin de bénéficier à tous les ménages en réelle situation de précarité énergétique –, couplée à la transparence des tarifs. Ce fut chose faite, une première fois avec la nouvelle tarification du gaz décidée par Mme Batho par voie réglementaire, et une seconde fois avec la loi Brottes. Nous sommes satisfaits du système, dont le nombre de bénéficiaires est passé de 600 000 en 2009 à 2,6 millions aujourd’hui, avec un potentiel de 4 millions. Quoi qu’il en soit, l’obligation qui nous est faite de rendre automatique le bénéfice des tarifs sociaux est de la plus grande simplicité pour les consommateurs, qui n’ont aucune démarche à effectuer : ils s’aperçoivent seulement que leur facture a baissé.

Le chèque énergie est une bonne idée, qui d’ailleurs concerne aussi le fioul, le bois ou les réseaux de chaleur ; mais nous appelons l’attention sur un risque de complexité administrative. Les bénéficiaires recevront un chèque, sur le modèle du chèque restaurant, qu’ils devront renvoyer à l’un des fournisseurs d’énergie en acquittant la différence puisque c’est le tarif normal qui s’appliquera : cela pourrait générer des « pertes en ligne ».

M. le président François Brottes. Verriez-vous cohabiter les deux systèmes ?

M. Gérard Mestrallet. Oui, et je conclus sur ce point.

M. le président François Brottes. Avez-vous constaté, pendant la trêve hivernale, des effets d’aubaine s’agissant de l’interdiction de coupure ? Vous le craigniez, à l’époque où j’avais fait adopter cette mesure.

M. Bruno Bensasson. Il est vrai que nous le craignions, mais nous n’avons pas observé de dérives pendant l’hiver dernier.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. La prime envisagée au titre du soutien au développement des EnR doit-elle, selon vous, porter sur la production ou sur l’investissement de départ ? Doit-elle faire l’objet d’un calcul ex ante ou ex post ?

Vous préconisez, comme le prévoit déjà le texte, de faciliter la mise en œuvre de financements participatifs des projets d’EnR : avez-vous des solutions pratiques à nous suggérer ?

L’idée de remplacer EDF par RTE, Réseau de transport d’électricité, comme acheteur obligé a été évoquée au cours de certaines auditions : qu’en pensez-vous ?

Vous connaissez mon attachement tout particulier à l’hydraulique, qu’il s’agisse des ouvrages gérés par la CNR, la Société hydraulique du Midi (SHEM) ou par EDF : cet outil très précieux constitue un pilier majeur pour la transition énergétique. J’ai compris, en tout cas, que vous étiez favorable à la création de SEM dans le cadre du renouvellement des concessions. Quel vous paraît être le niveau optimal de participation publique, au regard de la gouvernance comme de l’efficacité de la production ?

Que pensez-vous de la formule de prolongation par calcul barycentrique, et d’une prolongation qui serait conditionnée à des investissements ou à une nouvelle redevance ?

Ne craignez-vous pas, avec les SEM, une régionalisation de l’hydroélectricité qui entraînerait une concurrence entre les régions préjudiciable, à terme, à l’optimisation de la production ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Je me félicite que le modèle d’affaires des énergéticiens évolue vers l’efficacité énergétique : nous étions un certain nombre à le préconiser depuis longtemps.

Je me limiterai au titre VIII, dont je suis rapporteur. S’agissant des programmations pluriannuelles et des budgets carbone, une hiérarchisation des énergies fossiles en fonction de leur contribution au dérèglement climatique paraît en effet légitime.

Par ailleurs, le texte prévoit de fixer une valeur tutélaire du carbone, sans préciser son usage, que ce soit à travers la fiscalité ou l’évaluation des politiques. Avez-vous des suggestions sur ce point, au vu par exemple de vos travaux au sein du groupe Magritte ?

Comment assurer la cohabitation que vous préconisez entre le chèque énergie et les tarifs sociaux ? Le choix serait-il laissé aux usagers ? L’avantage du chèque est de pouvoir être utilisé dans le cadre d’une politique de prévention : son bénéficiaire peut faire baisser sa facture en réalisant des travaux ou en achetant des matériels électroménagers sobres en énergie, par exemple. Le tarif social, lui, fait baisser mécaniquement la facture.

Les collectivités, pour mettre en œuvre leurs politiques énergétiques, doivent pouvoir cibler les besoins prioritaires : même si la question relève davantage de GRDF que de GDF-Suez, comment leur assurer un meilleur accès aux données, tout en préservant bien entendu la confidentialité des clients ?

Enfin, qu’en est-il du « power to gas », c’est-à-dire du stockage de la surproduction en électricité grâce à leur transformation en gaz ? GDF-Suez travaille-t-il en ce sens ?

Mme Bernadette Laclais. Je vous remercie de votre plaidoyer en faveur de l’hydroélectricité, qui peut en effet contribuer à la réussite de la transition énergétique. Pensez-vous cependant que la grande hydroélectricité a un avenir en France ? Je suis toujours étonnée que le Centre national d’équipements hydrauliques (CNEH), que nous avons la chance d’héberger, soit plus connu à l’étranger que dans notre pays. Enfin, les industries électrointensives pourraient-elles s’associer aux SEM ?

M. Alain Leboeuf. Vous venez de signer un accord sur les bus au gaz avec la RATP ; mais aucun travail de recherche n’est mené sur les bus intercités, compte tenu des réserves déjà installées sur les bus urbains. Or le transport intercités est un véritable enjeu, notamment pour les enfants, en milieu rural et sur l’ensemble du territoire national. Avez-vous des contacts avec les constructeurs pour les inciter à fabriquer des bus intercités au gaz ?

M. Julien Aubert. Le groupe UMP estime que le gaz est une énergie orange, entre le vert et le rouge, indispensable à la transition énergétique. Hier, nous avons entendu des voix discordantes sur ce point.

Une politique différenciée vous semble-t-elle nécessaire, afin de privilégier les énergies selon les types de véhicules ?

GDF-Suez est un opérateur nucléaire en Belgique ; or le projet de loi gèle le monopole d’EDF sur l’ensemble des centrales en France, de sorte qu’il faudrait en fermer une – avec au besoin une indemnisation de l’État – dans l’hypothèse où vous souhaiteriez vous-même en ouvrir une. Quelle remarque cela appelle-t-il de votre part ?

Les gazo-intensifs se plaignent de la différence du prix du gaz entre le Sud et le Nord de la France : une unification du marché vous semble-t-elle possible ?

Vous avez pris le leadership européen pour mettre en garde contre le développement massif des énergies électriques intermittentes, tout en vous opposant à un élargissement de la CSPE, qui permet de financer le déploiement des énergies vertes. J’y vois une forme de contradiction. Faut-il donc renoncer aux énergies vertes électriques au profit des thermiques, ou plafonner la partie de la CSPE destinée à financer les énergies renouvelables ? Cette dernière solution permettrait de réaffecter des crédits vers le chèque énergie, de privilégier certaines énergies vertes et de contrôler partiellement l’enveloppe qui, après le vote de ce texte, pourrait dépasser les 80 milliards engagés. Peut-être d’ailleurs y a-t-il une troisième option ?

M. Jean-Yves Caullet. Au vu des objectifs du texte, les énergies fossiles n’ont effectivement pas le même intérêt, le gaz étant de surcroît remplaçable par une énergie renouvelable. Cela signifie-t-il à vos yeux qu’il serait stratégique de développer le gaz par rapport aux autres énergies fossiles ? Le cas échéant, à quel rythme devrait se faire la substitution ?

Le biogaz requiert une matière première dispersée. Quelle est l’architecture optimale, entre le réseau, l’implantation des lieux de production et la disponibilité de cette matière ? Y a-t-il un problème d’acceptabilité sociale des installations ? Le système énergétique centralisé fait porter de fortes contraintes locales, mais elles sont aisément compensées par des aménités budgétaires… Avec le nouveau modèle, le consommateur rencontre le citoyen en voyant des méthaniseurs à côté de chez lui.

Quant aux transports, les constructeurs français ne sont visiblement pas en pointe sur la motorisation au gaz : y a-t-il des actions à mener en ce domaine ?

M. Bertrand Pancher. Comment expliquez-vous que le gaz soit le grand absent du texte, d’autant que, vous l’avez rappelé, il peut contribuer à l’atteinte de nos objectifs, y compris pour la limitation des émissions de gaz à effet de serre ?

Vous plaidez en faveur du biogaz et du biométhane. Nous recevons beaucoup de propositions d’amendement, entre lesquelles nous aurons à trancher dans de brefs délais. Or, si l’on excepte les rapporteurs, les parlementaires ne disposent pour ce faire que de capacités d’expertise limitées. Quoi qu’il en soit, le développement du biogaz et du biométhane nécessite des dispositifs d’aides ; c’est toute la question, notamment, du fonds chaleur. D’une façon générale, quel regard portez-vous sur l’accompagnement financier de ce type de production ? Certains, en effet, rêvent d’une écologie qui se passerait de ces soutiens.

M. Daniel Fasquelle. On sait qu’en Allemagne, la transition énergétique n’a pas conduit aux résultats espérés. Le modèle français vous semble-t-il apte à assurer la réussite de cette transition énergétique dans notre pays ? Sinon, sur quels paramètres pourrait-on agir pour assurer cette réussite ? Pour ma part, je juge ce projet de loi trop imprécis, notamment sur la question du financement. Par ailleurs, je n’en partage pas tous les objectifs, et je considère que des énergies comme le gaz ou le nucléaire doivent être préservées.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la tarification du gaz et de la réglementation française dans ce domaine ? Il s’agit d’une question primordiale pour le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises, et je regrette que la majorité, qui a souhaité la création d’une commission d’enquête sur la tarification de l’électricité, ne l’ait pas étendue au gaz.

Pourquoi enfin sommes-nous incapables de mener des recherches qui permettraient de mesurer nos capacités en matière de gaz de schiste ? N’est-ce pas une source d’énergie importante, que nous avons tort de délaisser ?

M. Guy Geoffroy. Si l’on souhaite accroître notre production de biogaz renouvelable, ne serait-il pas souhaitable de développer la méthanisation des déchets ménagers ? Utiliser la partie fermentescible de ces déchets permettrait non seulement de produire de l’énergie mais également de rendre à la terre une partie de la matière organique qui en a été prélevée, avec à la clef l’idée, vertueuse, que le biogaz produit pourrait servir à faire circuler les véhicules de collecte. La transition énergétique sera d’autant plus réussie qu’elle saura susciter l’adhésion de nos concitoyens. Cela passe par ce type d’innovations simples et faciles à comprendre.

M. le président François Brottes. Le marché de capacité, en théorie, sert à pallier les difficultés entraînées par la variation de la demande d’électricité. On pourrait penser qu’il garantit aux opérateurs concernés la rentabilité de leurs centrales thermiques à gaz. Or vous avez récemment annoncé que vous en aviez fermé plus d’une dizaine, qu’il sera difficile de réactiver en cas de besoin, et cela même alors que RTE prévoit pour l’an prochain des problèmes d’approvisionnement. Dans ces conditions, il est problématique de se priver de ces centrales qui permettent d’ajuster nos capacités.

Faut-il donc réviser le mode de financement du marché de capacité pour éviter d’en arriver là ? Ne pourrait-on envisager un système de forfait garanti assorti d’un complément de rémunération en cas de recours prolongé à ces centrales ?

Que faut-il penser, par ailleurs, de l’hydrogène décarboné produit à partir des énergies renouvelables et non à partir de la reconversion du pétrole ? J’ai cru comprendre qu’il pouvait constituer une solution au problème du stockage de l’électricité et qu’il existait pour cela trois procédés. Le premier consiste à reconvertir cet hydrogène en électricité en cas de besoin, mais c’est une solution apparemment peu rentable ; le deuxième consiste à en injecter un certain pourcentage – limité à 10 % – directement dans le réseau gazier, à l’instar du biogaz ; le troisième enfin, jugé le plus performant par le secrétaire général du CEA, consiste à avoir recours à l’électrolyse, qui permet de transformer 90 % de l’électricité en gaz à usage des véhicules propres. Cela relève-t-il pour vous de la science-fiction ? On consacre chaque année près d’un milliard d’euros à adapter les réseaux de transports et de distribution aux dysfonctionnements de l’intermittence. Si les problèmes d’intermittence étaient résolus grâce au stockage, cela limiterait les besoins en investissement dans les réseaux et permettrait de consacrer les sommes économisées à développer les technologies de l’hydrogène. Quoi qu’il en soit, il faudra bien réfléchir à d’autres modèles si nous voulons faire bouger les lignes… Votre avis nous sera précieux.

M. Gérard Mestrallet. En matière de soutien aux EnR, la Commission européenne a recommandé un système d’aides qui combine prime et prix du marché. Nous sommes favorables à ce type de dispositif pour les technologies déjà matures – l’éolien terrestre et le photovoltaïque classique –, le système des feed-in tariffs (tarifs de rachat) ou tarifs fixes garantis sur quinze ou vingt ans, trop généreux, ayant entraîné dans certains pays un phénomène de surinvestissement. Les tarifs fixes garantis en revanche doivent être réservés aux technologies de demain, qui ne peuvent se développer sans le soutien des aides publiques : je pense à l’éolien offshore, à l’énergie solaire à concentration ou à l’hydrolien, mais également à toutes les recherches portant sur les techniques de stockage.

Je ne sais comment on pourrait améliorer le financement participatif. Il est en tout cas essentiel de pouvoir associer les citoyens et, dans certains cas les riverains, à des projets de développement des EnR. Pourquoi ne pas envisager un système de déductibilité des investissements, comme cela se pratique pour la création de PME, afin de développer une forme sympathique de crowdfunding territorial et renouvelable ?

L’idée de faire de RTE l’acheteur unique n’est pas mauvaise ; encore faudrait-il savoir ce que RTE ferait ensuite de cette électricité, qu’EDF a actuellement obligation de racheter dans sa totalité à un prix compensé – à retardement – par la CSPE. On pourrait également imaginer que les producteurs d’énergie renouvelable aient l’obligation de placer eux-mêmes leur électricité sur le marché et qu’ils reçoivent en contrepartie la compensation correspondante. Le système actuel conduit en fait à renforcer la position dominante du plus gros opérateur. Si d’aventure la France ne produisait plus que des EnR et du nucléaire – sur lequel EDF a le monopole – la totalité de l’électricité produite en France se retrouverait aux mains d’un seul opérateur, qui aurait l’exclusivité de sa commercialisation, tous les autres étant dépendants de cet opérateur unique, ce qui est en contradiction avec la logique de l’ouverture des marchés. Confier l’achat à RTE est donc une piste à creuser, sachant que le volume d’EnR concerné est largement supérieur à ce qui est nécessaire pour compenser les pertes en ligne.

51% me paraît un bon taux de participation publique dans les SEM hydroélectriques. Cela laisse de la place aux consortiums privés et notamment aux éventuels industriels électro-intensifs qui auraient ainsi droit à leur quote-part d’électricité produite, qu’ils paieraient à son coût de production. C’est en tout cas le modèle de la CNR.

Le barycentre est un bon système, et allonger de quinze ans la durée de vie de la concession de la CNR est une application équitable de l’esprit du barycentre.

Il est normal par ailleurs que la concession soit accordée sous condition d’investissements. C’est obligatoire pour la CNR, qui assume des missions d’intérêt général, c’est facultatif dans les vallées des Pyrénées où nous investissons néanmoins pour soutenir l’intégration de nos sites dans l’écosystème – enjeu d’autant plus important que, dans le domaine de l’hydroélectricité, les impacts environnementaux sont très forts.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Ma question portait sur l’investissement productif sur les ouvrages et non sur l’aménagement territorial qui, pour moi, va de soi.

M. Gérard Mestrallet. Il faut en effet investir pour améliorer et optimiser les barrages, ce que font déjà certains concessionnaires, mais il est également normal que les opérateurs en compétition pour les concessions présentent aux collectivités locales leur programme d’investissement et d’aménagement des équipements hydrauliques.

Il n’y a pas de risque à mes yeux d’une régionalisation de l’hydroélectricité. Les régions vont davantage s’impliquer, mais les infrastructures existantes continueront de dominer la filière ; les nouvelles constructions, dans les vallées où tout le potentiel hydroélectrique n’a pas encore été exploité, ne représentent qu’une augmentation de 10% des investissements et de la production. Quant aux retombées économiques et financières, elles se répartiront en toute logique entre les différents niveaux de collectivités territoriales, mais je n’imagine pas de concurrence entre les régions.

Que ce soit au sein du groupe Magritte ou dans la perspective de la Conférence des parties signataires de la convention Climat (COP) de l’an prochain, nous militons pour la fixation d’un prix mondial du carbone. C’est certes un peu utopique, mais c’est ce qui avait été tenté en Europe ou en Australie. Le prix du carbone doit être le paramètre principal, primant sur tous les autres – efficacité énergétique ou part des énergies vertes –, qui doivent en découler. Il faut fixer un prix cohérent avec l’objectif de réduction de 40 % des émissions de CO2 à l’horizon 2030, le volume des certificats d’émission pouvant être modulé d’une année sur l’autre en fonction de la croissance économique européenne, de façon à éviter un effondrement complet du prix du carbone comme ce fut le cas lors de la récession de 2009, qui a conduit à la destruction du système européen. L’objectif est que ce prix carbone oriente les décisions d’investissement des opérateurs vers des technologies décarbonées. Cela renchérirait inévitablement le prix du charbon pour les consommateurs, qui opteraient alors pour le gaz, ce qui permettrait de rétablir au niveau européen une hiérarchie des énergies plus conforme à la transition énergétique. C’est en tout cas la position que je défendrai à New York la semaine prochaine lors de la réunion préparatoire à la COP, où je dirai également un mot des green bonds.

Nous sommes partisans d’une cohabitation entre le chèque énergie et les tarifs sociaux, le chèque constituant à la fois un complément et une option pour les consommateurs préférant cette solution à celle des tarifs sociaux. Dans cette optique, les objections avancées par Denis Baupin tombent. Ma crainte toutefois est que le chèque ne perde de son efficacité, en cas d’inadvertance ou de négligence des bénéficiaires.

M. Bruno Benasson. L’accès aux données est un sujet sensible. Les données appartiennent aux consommateurs, et toute donnée nominative ne peut être diffusée qu’avec leur accord explicite, et non tacite. Cela étant, il faut parvenir, en matière d’accès aux données, à trouver une position d’équilibre qui convienne aussi bien aux gestionnaires de réseau, qui possèdent l’information, qu’aux distributeurs d’énergie, qui ont besoin de cette information pour innover en matière d’efficacité énergétique.

M. Gérard Mestrallet. Le power to gaz ou technologie de conversion d’énergie en gaz combustible peut constituer une solution de stockage qui s’ajoute aux procédés développés à partir de l’hydrogène évoqués par le président Brottes. Nous pensons que l’hydrogène a un rôle à jouer dans la transition énergétique, mais nous ne savons pas encore lequel. Il est certain en tout cas qu’il est voué à être massivement utilisé pour le stockage de l’énergie.

Aujourd’hui, lorsque le vent est fort et la consommation d’électricité modérée dans le nord de l’Europe, l’énergie éolienne excédentaire abaisse le prix de l’électricité à des niveaux négatifs ; cela s’est déjà produit en Allemagne, plus rarement en France. On peut alors utiliser l’excédent d’électricité pour produire à la fois de l’oxygène et de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Cet hydrogène renouvelable peut ensuite être transformé en électricité, mais le rendement énergétique est pour l’instant assez faible. On peut également l’injecter dans les réseaux, à hauteur de 10 à 15 %, comme nous le faisons actuellement à titre expérimental à Dunkerque. Grâce à des électrolyseurs, l’hydrogène est mélangé à du méthane pour produire de l’hythane, qui alimente les bus de la communauté urbaine et est utilisé comme énergie domestique dans un éco-quartier de Dunkerque. Quant aux piles à combustible, elles permettent de produire de l’électricité, par un mouvement inverse à l’hydrolyse, à partir de l’hydrogène et de l’oxygène. Elles restent réservées à certains usages et sont encore assez peu utilisées. Il y a enfin le power to gaz complet, qui consiste à provoquer une réaction chimique entre l’hydrogène et le CO2 pour produire du CH4 – du méthane – et de l’eau. Nous sommes là au cœur de l’économie circulaire, puisque l’électricité produite à partir de gaz naturel est recyclée en gaz. Et, comme le gaz se stocke, contrairement à l’électricité, c’est là une piste intéressante pour résoudre ce problème du stockage devenu crucial dans un système dérégulé où une proportion de plus en plus importante d’énergies renouvelables intermittentes circule sur le réseau. Il ne se posait pas du temps de l’opérateur unique…

M. le président Brottes. Voulez-vous dire que cela marchait mieux avant ?

M. Gérard Mestrallet. Le problème ne se posait pas dans les mêmes termes. Mais le système marchait bien, il faut le reconnaître…

La France possède un réel savoir-faire en matière d’hydroélectricité, comme en témoigne le Centre national de l’énergie hydraulique en Savoie. À travers EDF ou GDF-Suez – qui a repris Coyne et Bellier, l’une des meilleures sociétés d’ingéniérie au monde –, la France est présente partout dans le monde dans la filière de la grande hydraulique. Il reste peu de capacités à exploiter dans notre pays – nous souhaiterions rajouter un barrage sur le Rhône – mais GDF-Suez a construit au Brésil de très grands barrages.

En ce qui concerne les transports propres, nous travaillons surtout avec les constructeurs sur la motorisation. Séoul, Rio, Buenos Aires, Barcelone et bientôt les villes chinoises ont des flottes de bus au gaz qui leur ont permis de diminuer les émissions de particules. La chose est relativement facile sur le plan logistique pour un véhicule de transport urbain revient systématiquement à son point de départ ; pour les bus intercités, l’emplacement des réservoirs, par nature plus volumineux, pose un problème de répartition des masses, et il nous faut encore progresser.

Nous souhaitions construire un réacteur ATMEA dans la vallée du Rhône, estimant qu’il serait plus facile de l’exporter si nous avions un démonstrateur. Cela ne s’est pas fait, ce qui n’a pas empêché AREVA et Mitsubishi de remporter le plus grand appel d’offre nucléaire mondial de ces cinq dernières années, contre les Coréens – qui nous avaient battus à Abu Dhabi – et les Chinois, pour la construction de quatre centrales nucléaires en Turquie.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. En zone sismique !

M. Gérard Mestrallet. Toutes les zones sont plus ou moins sismiques et il est toujours possible de changer l’emplacement du site en cas de risque trop élevé. Par ailleurs, les Japonais savent gérer les risques sismiques pour leurs centrales nucléaires : Fukushima avait résisté à la secousse sismique ; ce sont les organes de refroidissement qu’il aurait fallu mieux protéger contre les tsunamis…

L’unification du marché gazier nécessiterait à la fois des changements réglementaires et des investissements.

La position du groupe Magritte sur les énergies renouvelables et la CSPE n’est en rien contradictoire. Si nous préconisons de réduire le rythme de développement des énergies renouvelables pour le rendre soutenable, nous y sommes néanmoins favorables. Comment pourrait-il en être autrement, puisque nous accueillons dans nos rangs les leaders mondiaux dans ce domaine ? Le gaz et les énergies renouvelables sont très complémentaires. Tandis que les EnR sont intermittentes, le gaz est d’un usage extrêmement flexible et il est très aisé de faire fonctionner les centrales à gaz en cas d’absence de vent ou de soleil. Ce que dénonce le groupe Magritte, c’est la prépondérance du charbon américain sur le marché, qui a contraint l’Europe à fermer plusieurs de ses centrales à gaz, pour une capacité de 70 gigawatts, soit l’équivalent en puissance de soixante-dix centrales nucléaires. L’énergie nucléaire servant d’énergie de base et ne pouvant être mobilisée lors des pics de consommation, il y a là un risque pour notre approvisionnement si un tel pic devait survenir à un moment où les conditions climatiques empêchent de recourir à l’éolien ou au photovoltaïque.

Il faut donc réfléchir à un système de rémunération des capacités qui permette de maintenir les centrales à gaz en activité. À défaut de restaurer la rentabilité du capital, au moins faudrait-il que ce système couvre les frais variables négatifs générés par le fonctionnement de ces centrales. Nous essayons pour ce qui nous concerne de les maintenir « sous cocon », sans les fermer définitivement, mais il faut toujours plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour les remettre en service. Sur ce point-là, quoi qu’il en soit, le groupe Magritte n’est guère entendu par les autorités françaises et européennes.

Le peu de place accordée par le projet de loi au gaz est le reflet d’un travers français. La France se distingue en cela de nombreux pays, comme la Chine, qui ont largement misé sur le gaz pour réussir leur transition énergétique.

En ce qui concerne le biogaz, nous jugeons le tarif de rachat satisfaisant. En revanche, il est indispensable de simplifier les procédures. L’ordonnance de simplification permet actuellement à plusieurs régions pilote d’expérimenter l’autorisation unique, mais le délai d’obtention des permis de méthanisation reste trois fois plus long chez nous qu’en Allemagne, ce qui explique les difficultés de cette technologie à décoller.

Ce projet de loi va autoriser les ajustements nécessaires à la réussite de notre transition énergétique. Cela étant, au regard de ce qui s’est passé en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal, ou des tâtonnements de l’Angleterre, qui hésite entre le renouvelable et le nucléaire, et qui semble vouloir revenir au gaz, nous n’avons pas à rougir de ce que nous avons déjà accompli.

Le nouveau système de tarification du gaz fonctionne depuis le début de l’année 2013. Les tarifs sont modulés automatiquement tous les mois, hors de toute considération politique, selon une formule qui prend en compte l’évolution des coûts réels, notamment les coûts d’approvisionnement, et reflète l’état des négociations des contrats à long terme, dans lesquels la part indexée sur le pétrole est désormais limitée à 40%, la part indexée sur le marché du gaz représentant 60%. Je considère, pour ma part, qu’il ne faut pas aller plus loin en matière d’indexation sur les marchés du gaz, car le marché est volatile, et les prix, en baisse depuis dix-huit mois, amorcent aujourd’hui une remontée à l’approche de l’hiver et compte tenu des tensions internationales. La formule actuelle couvre les coûts, rien de plus ; au moins a-t-elle le mérite de fonctionner correctement, et d’une façon relativement automatique, et d’avoir dans une certaine mesure dépolitisé la question.

Contrairement aux États-Unis où le gaz de schiste joue un rôle essentiel dans leur révolution énergétique, la France a décidé de ne pas se lancer dans son exploitation. On peut le regretter, mais nous respectons la décision des autorités publiques. GDF-Suez a acheté sept licences de gaz de schiste en Grande-Bretagne, et nous menons en Louisiane, aux États-Unis, un projet non pas d’exploitation, mais de liquéfaction pour l’exportation, pour lequel nous venons d’obtenir les autorisations. Il s’agit d’un projet de 12 milliards de dollars implanté sur le site d’un ancien terminal d’importation de gaz. Nous allons y réaliser trois trains de liquéfaction, l’un pour nous, d’une capacité de quatre millions de tonnes, le deuxième pour Mitsui et le troisième pour Mitsubishi. Ce gaz sera destiné d’abord à l’Asie – sachant que l’Europe, pour l’heure, ne connaît aucun problème d’approvisionnement, en dépit de la crise russo-ukrainienne.

M. le président François Brottes. Est-il vrai que vos concurrents allemands se sont reconvertis dans le gaz de schiste au Etats-Unis ?

M. Gérard Mestrallet. À ma connaissance, les Allemands n’investissent pas dans la production de gaz de schiste. Quant aux débouchés à l’exportation, il s’agit surtout des pays asiatiques, car les plus gros consommateurs de gaz sont aujourd’hui les pays émergents. L’Europe pour sa part en consomme de moins en moins, ce qui la met à l’abri, à moyen et long termes, des problèmes de sécurité d’approvisionnement. Le gaz russe ne représente que 15 % de l’approvisionnement de la France, qui se fournit également en Norvège, en Algérie, en Hollande et ailleurs. Cette diversification nous met à l’abri en cas de conflit : en janvier 2009, quand les Russes ont interrompu leurs livraisons, nous n’avons eu à déplorer, malgré les records de froid et de consommation de gaz, aucun problème de fourniture aux usagers. Tout dépendra donc de l’évolution du conflit russo-ukrainien. S’il évoluait vers un conflit russo-européen, il faudrait revoir nos positions, mais je n’y crois guère.

Le biogaz s’obtient à partir de trois sources : la partie fermentescible des déchets ménagers, les boues de station d’épuration et les déchets agricoles. L’avantage des déchets ménagers, c’est que leur volume est plus stable que celui des déchets agricoles. Or pour fonctionner correctement, un méthaniseur doit être alimenté régulièrement, et les ordures ménagères permettent de compenser les variations en volume des déchets agricoles.

Cela étant, je constate, qu’après avoir fait l’objet d’un fort engouement chez les partisans de l’économie circulaire, la méthanisation suscite aujourd’hui des réserves. C’est le cas à Ivry où, au moment de l’appel d’offres pour la rénovation de la grande usine d’incinération remporté par notre filiale SITA, les élus réclamaient un méthaniseur ; ils se montrent aujourd’hui beaucoup plus critiques.

M. le président François Brottes. Ils doivent tenir compte de l’opposition des riverains.

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres 1er à 3 du titre VIII. Il y a également la question de la taille des projets.

M. Jean-Yves Caullet. C’est un problème d’acceptabilité sociale.

M. Gérard Mestrallet. Il est vrai que le développement de ces grands projets en zone urbaine est plus compliqué en termes d’acceptabilité que celui des petites unités de méthanisation agricoles. Mais, grâce au dialogue et à force de pédagogie, nous espérons pouvoir vaincre les résistances et convaincre que le gaz a un avenir.

M. le président François Brottes. Il me reste à vous remercier, monsieur le président-directeur général pour vos recommandations que nous avons écoutées avec beaucoup d’intérêt.

17. Audition, ouverte à la presse, de M. Henri Proglio, président-directeur général d’Électricité de France (EDF)

(Séance du jeudi 18 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Nous entamons notre dernière série d’auditions avant d’en venir, la semaine prochaine, à la discussion des amendements. Je profite de cette occasion pour rappeler qu’il appartient aux députés de rédiger eux-mêmes leurs amendements, et non de « copier-coller » les rédactions que pourraient leur transmettre les différents acteurs – particulièrement nombreux s’agissant de ce projet de loi parfois qualifié, monsieur le président-directeur général, de texte « électrique », voire de texte « pro-EDF »…

M. Henri Proglio, président-directeur général d’Electricité de France (EDF). Il n’y aurait rien de déshonorant à ce que ce texte soit « électrique », monsieur le président ! Mais je ne pense pas que ce soit sa caractéristique première, ni même l’intention de ses auteurs.

La transition énergétique doit être une chance pour la France, d’abord parce qu’elle est susceptible de valoriser nos atouts : notre indépendance en énergie électrique, qui fait de la France le principal exportateur d'électricité en Europe – en juin et en juillet dernier, nous avons d’ailleurs battu tous les records d’exportation depuis la création d’EDF, ce qui atteste à la fois notre capacité à participer aux exportations de notre pays et la bonne disponibilité du parc nucléaire – ; une électricité parmi les moins chères d'Europe, ce qui est un avantage considérable pour la compétitivité de notre pays ; une électricité déjà décarbonée au niveau que doivent atteindre nos voisins dans quarante ans, grâce à notre parc hydraulique et nucléaire.

Ces atouts, comme le tissu industriel d'excellence qui leur est associé, sont autant de leviers pour sortir de la crise, soutenir l'emploi et la compétitivité, exporter notre savoir-faire.

La transition énergétique doit être une chance, ensuite, parce qu’elle lance une dynamique autour d'un enjeu clé pour notre pays : la réduction de notre consommation d'énergies fossiles dans nos bâtiments et dans nos transports.

Deux chiffres parlent d'eux-mêmes : les bâtiments et les transports représentent 70 % de notre consommation d'énergie ; plus des deux tiers de l'énergie que nous consommons sont des énergies fossiles, dont les importations sont quasiment égales au déficit de notre commerce extérieur, soit environ 70 milliards d’euros.

On mesure dès lors tout l'intérêt, à la fois économique et stratégique, de réduire notre dépendance à ces importations et de permettre leur substitution par des usages performants d'une électricité produite en France, compétitive et sans CO2.

L'enjeu, dans ces deux secteurs du bâtiment et des transports, est de réunir les conditions pratiques qui fondent cette « excellence française » : élaborer des solutions abordables, efficaces et qui apportent durablement à notre territoire des emplois et des savoir-faire industriels reconnus.

L'équilibre d'ensemble du projet de loi va dans ce sens.

On le voit clairement dans les titres II et III, consacrés respectivement à la rénovation énergétique des bâtiments et au développement des transports propres.

On le voit aussi avec l'objectif, rappelé au titre Ier, de réduire de 30 % la consommation d'énergies fossiles d’ici à 2030. En tant qu'industriel, nous estimons néanmoins qu’il pourrait être utile, pour faciliter l'action, de distinguer les fins – sécurité d'approvisionnement, compétitivité, environnement et préservation du climat – des moyens mis en œuvre pour les atteindre au travers d'objectifs portant sur telle ou telle technologie.

Pour sa part, EDF est mobilisée pour faire de la transition énergétique une réussite.

Mobilisée, d’abord, pour être un vecteur d'emploi et de compétitivité permettant de sortir de la crise. L’entreprise est aujourd'hui le premier investisseur industriel de France, avec près de 9 milliards d’euros en 2013, et un des tout premiers recruteurs, puisque nous embauchons chaque année 6 000 collaborateurs et accueillons près de 4 000 jeunes en alternance, soit 1 % du total des alternants.

Avec ses 175 000 collaborateurs, sa position de référence mondiale en matière d'électricité, son rôle d'animation de l'ensemble de la filière française, EDF constitue un atout industriel au service de l'emploi et de la compétitivité de notre pays.

Nous devons aussi cette situation à un « modèle français » de service public intégré – production, réseaux, en particulier de distribution, commercialisation –, que la France a su faire valoir face à des visions extrêmes de la dérégulation. Ce système intégré garantit efficacité et solidarité, tant au plan technique qu’au plan économique, sur le territoire national.

Pour maintenir dans la durée cet avantage compétitivité et emploi pour le pays, EDF est engagée dans la maîtrise industrielle de ses projets et dans le développement de ses compétences et savoir-faire sur l'ensemble de ses métiers et technologies : hydraulique, nucléaire, énergies renouvelables, thermique, réseaux.

L’entreprise est également mobilisée en matière d’efficacité énergétique. Elle propose d’ores et déjà aux industriels des services énergétiques efficaces qui améliorent les process industriels ainsi que la gestion du froid et de la chaleur. Nous sommes à même de répondre aux industriels qui souhaitent des contrats de performance énergétique où la rémunération de l'investissement se fasse sur les économies réalisées. L'État peut faciliter ce mouvement en donnant de la visibilité à long terme et en labellisant les actions efficaces.

Chez les particuliers, le remplacement des chaudières au fioul en fin de vie par des renouvelables thermiques comme les pompes à chaleur procure de vraies économies d'énergie, réduit les émissions de CO2 et mobilise une filière industrielle française que des incitations minimales de la part de l'État permettraient de dynamiser.

S'agissant enfin de l'enjeu clé de la rénovation thermique des logements, je suis convaincu que l’on doit et que l'on peut être ambitieux si l’on parvient à articuler trois actions : cibler les logements énergivores et les gestes efficaces grâce à un diagnostic lisible et « parlant », chiffré en euros par mètre carré ; renforcer les efforts de formation en direction des artisans et des PME de la filière ; prévoir des incitations qui soient plutôt liées au résultat – par exemple le gain de classe énergétique et à la baisse des émissions de CO2 – et tournées vers les « réflexes énergétiques » – par exemple l'isolation externe lors d'une réfection de façade.

EDF est aussi mobilisée pour l'innovation au service des territoires. Il s’agit de répondre aux nouveaux besoins locaux qui émergent avec une exigence renouvelée de solidarité entre les territoires urbains et ruraux, entre la métropole et l'outre-mer.

Parce que l'électricité est un bien essentiel à la vie de la cité et de ses habitants, EDF est aux côtés des collectivités territoriales pour les accompagner dans leurs projets d'efficacité énergétique des bâtiments, dans l'identification et la valorisation des potentiels d’énergies renouvelables locales, en particulier la chaleur renouvelable – biomasse, déchets agricoles ou ménagers, géothermie –, dans le développement des éco-quartiers et des nouvelles mobilités.

De ce point de vue, le concept de « territoire à énergie positive » est intéressant, mais gagnerait sans doute à être précisé dans la mesure où l'objectif est à la fois d'être « CO2 positif », « emploi positif » et d'inciter à de vraies économies d'énergie.

Enfin, EDF est mobilisée pour l'innovation, élément clé de la transition énergétique dans un secteur qui est celui du temps long. Cette innovation doit nous permettre de créer des filières industrielles françaises dans la durée.

Avec 2 000 personnes et plus de 400 millions d’euros par an investis dans la recherche, EDF est déjà fortement engagée pour permettre à l'électricité décarbonée de jouer le rôle clé qui lui est dévolu dans cette transition et de faire émerger des solutions industrielles durables.

En matière d’énergies renouvelables, EDF est aujourd'hui un des tout premiers opérateurs. L'enjeu est de développer des filières industrielles pour créer de l'emploi en France et viser l'export là où les ressources en vent et en soleil sont abondantes et où il y a des besoins en nouveaux moyens de production. Le photovoltaïque est un exemple : en France, des entreprises innovent malgré un contexte difficile de concurrence asiatique et de surcapacité mondiale. La procédure d'appel d'offres doit leur permettre de tester ces innovations et de vérifier la pertinence des choix technologiques en lien avec les expérimentations sur les smart grids, afin de permettre l'insertion des moyens intermittents dans le système.

En matière de mobilité électrique – un enjeu clé dans toutes les villes et tous les territoires du monde –, notre électricité décarbonée abordable nous donne un temps d'avance : pour les particuliers, avec le développement adapté de bornes de recharge, mais aussi pour les flottes des entreprises et des collectivités, les bus et les transports en commun électriques. Un effort de recherche est engagé sur les techniques de charge comme l'induction, les systèmes intelligents associés concernant par exemple les parkings et le trafic, et sur l'enjeu majeur que constituent les batteries.

S’agissant enfin de l'innovation au niveau des usages, tous les scénarios de préservation du climat montrent que l'électricité décarbonée est un élément clé du développement des usages efficaces de l'électricité en substitution des énergies fossiles. Avec l'installation d’appareils de gestion énergétique, la domotique, les « maisons intelligentes », les consommateurs peuvent agir sur leur consommation et leur production d'énergie.

Nous disposons, en France, d'un capital précieux de compétences en matière de technologie et de gestion intégrée des systèmes énergétiques. À nous de protéger, promouvoir et valoriser ce capital en trouvant notre « modèle français » dans le cadre de ce projet de loi : faire levier de nos atouts, conserver notre longueur d'avance et créer les filières pour l'emploi et la relance industrielle du pays.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Quel est votre avis sur le complément de rémunération prévu en soutien du développement des énergies renouvelables ? Pensez-vous que la prime doit accompagner l’investissement de départ ou la production elle-même ? Le dispositif doit-il privilégier certaines filières ?

Que pensez-vous également de la possibilité ouverte aux collectivités et aux habitants d’entrer au capital des sociétés anonymes de production d’énergies renouvelables, et de la participation citoyenne ?

Doit-on conserver le système de l’acheteur obligé ? Quels en sont, selon vous, les avantages et les inconvénients ? Que pensez-vous de l’idée de replacer EDF par Réseau de transport d’électricité (RTE) comme acheteur obligé ?

Le texte ouvre plusieurs possibilités pour créer des sociétés d’économie mixte (SEM) hydroélectriques. Que pensez-vous du dispositif proposé ? Existe-t-il un risque de régionalisation de l’hydroélectricité et de concurrence entre les régions « productrices » ?

S’agissant du renouvellement des concessions, êtes-vous favorable à la « méthode des barycentres » et au principe de prolongation sous condition d’investissement ou d’introduction de nouvelles redevances ?

Enfin, êtes-vous favorable à l’élargissement de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? Si oui, selon quel principe ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour les chapitres Ier à III du titre VIII. J’aimerais connaître votre opinion sur les dispositions du texte en matière de pilotage de la politique énergétique : budgets carbone et stratégie bas carbone, programmation pluriannuelle de l’énergie, obligation faite à tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d’électricité d’élaborer un plan stratégique.

Que pensez-vous, en particulier, du plafonnement de la production nucléaire, destiné à faire descendre progressivement cette production à 50 % de la production totale d’électricité, conformément à l’engagement du Président de la République ?

Dans le cadre de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, nous avons déjà abordé avec vous la question de la prolongation des centrales après quarante ans, du « grand carénage », de la pertinence ou non de lancer différents travaux en fonction de la durée de vie des installations. Outre le nouveau référentiel, l’Autorité de sûreté nucléaire a indiqué qu’elle souhaitait une concertation renforcée sur les décisions concernant la prolongation de réacteurs au-delà de quarante ans. Quelles dispositions EDF entend-elle prendre en ce sens ?

L’hypothèse a été formulée d’une modification des statuts d’Électricité Réseau Distribution France (ERDF) pour permettre à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) de mieux suivre la courbe d’investissement de l’entreprise, comme elle le fait déjà pour RTE, pour que le président soit nommé selon les mêmes modalités que celui de RTE, et pour que les collectivités territoriales, en tant qu’autorités organisatrices de la distribution, soient représentées au sein du conseil d’administration. Quel est votre avis sur ces propositions ?

Lors du débat national sur la transition énergétique, les collectivités territoriales ont demandé d’avoir un accès aux données des distributeurs après anonymisation, afin d’améliorer leur politique en matière d’efficacité énergétique, de lutte contre la précarité, etc. Quelle est la doctrine d’ERDF et d’EDF à ce sujet ?

Enfin, le texte prévoit l’instauration d’un chèque énergie destiné à lutter contre la précarité énergétique. Le financement de ce dispositif, qui se substituerait aux tarifs sociaux, n’est pas encore très bien défini : seules la CSPE et la contribution au tarif spécial de solidarité gaz (CTSSG) sont mentionnées. Quel est votre avis sur la pertinence de cette mesure et sur son financement ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Permettez-moi d’ajouter deux questions.

Quel taux de participation publique au capital des SEM hydroélectriques vous paraît-il le plus pertinent du point de vue de la gouvernance et de la gestion de la production ?

Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, les industriels électro-intensifs ne sont pas toujours satisfaits des tarifs négociés avec EDF. Quelles seraient les solutions pour améliorer la situation ?

M. le président François Brottes. Les électro-intensifs disent surtout qu’ils paient leur électricité 30 % plus cher que leurs concurrents allemands.

M. Julien Aubert. Un des syndicalistes que nous recevions hier affirmait haut et fort que le texte n’était peut-être pas une loi « anti-EDF », mais certainement pas non plus une loi « pro-EDF ». Le groupe UMP, pour sa part, est convaincu que plusieurs dispositions de ce projet de loi auront des conséquences profondes sur l’entreprise dont vous avez la responsabilité.

Pensez-vous qu’un alignement de la gouvernance d’ERDF sur celle de RTE est susceptible de freiner le développement de l’entreprise à l’étranger, notamment en Europe ? Pour mieux associer les collectivités territoriales aux investissements réalisés sur le réseau, ne pourrait-on donner aux conseils généraux – qui ont regretté ici même de ne pas être mentionnés dans le texte – la possibilité de donner un avis sur les plans locaux de déploiement des infrastructures ? Cette forme d’association à la gouvernance aurait pour avantage de ne pas alourdir le fonctionnement d’ERDF.

La fixation d’un plafond de 63,2 gigawatts à la capacité de production nucléaire risque-t-elle de poser des difficultés juridiques ou techniques ? EDF se trouverait-elle obligée d’arrêter des centrales pour permettre à d’autres d’entrer sur le marché ? D’un point de vue technique, est-il possible de démanteler une centrale tout en installant, sur le même site, un EPR ? En tout état de cause, la position de l’UMP est plutôt de sanctuariser le potentiel des filières nucléaires.

Selon une évaluation de l’Union française de l’électricité, le coût du remplacement de 20 gigawatts de potentiel nucléaire installé par de l’éolien et du photovoltaïque serait de 210 milliards d’euros, contre 35 milliards pour la prolongation du fonctionnement de la vingtaine de centrales délivrant la même puissance. Avez-vous, pour votre part, des éléments chiffrés à ce sujet ?

Enfin, quel sera l’impact du texte sur la valeur d’EDF ? Si vous disposiez d’éléments actualisés sur la nature de l’indemnisation qu’EDF devrait recouvrer en cas de fermeture anticipée d’une centrale, cela permettrait au Parlement de décider de manière éclairée de l’avenir du parc.

M. le président François Brottes. Vous avez du mal à dire cela sans sourire !

M. Julien Aubert. Je suis tout à la joie de siéger dans cette commission, monsieur le président ! Mais les actionnaires minoritaires, que j’ai rencontrés, s’inquiètent des effets du texte sur l’évolution de l’action EDF.

Mme Béatrice Santais. Permettez-moi de vous remercier une fois encore, monsieur le président-directeur général, pour votre implication dans la vallée de la Maurienne et, en particulier, pour le beau travail que vous réalisez avec Trimet. Les industries électro-intensives voisines, vous vous en doutez bien, nous posent des questions. Elles ont besoin d’une électricité qui leur coûte moins cher, bien sûr, mais surtout de coûts stables et lisibles. Que pensez-vous, à cet égard, des mesures figurant aux articles 43 et 44 ? Quels dispositifs EDF pourrait-elle mettre en place dans ce cadre ?

Mme Cécile Duflot. Alors que nous sommes censés discuter de la transition énergétique, on se focalise parfois – comme vient de le faire M. Aubert – sur la question de savoir si ce texte est pro-EDF ou anti-EDF. C’est assez révélateur de la confusion faite pendant des années entre la politique énergétique et les décisions prises par l’opérateur EDF, voire entre le rôle du ministre chargé de l’énergie et celui du président-directeur général d’EDF. Les intérêts de cette entreprise jalouse de son intervention univoque en France, mais qui agit comme un opérateur dans bien d’autre pays, ont longtemps été assimilés à l’intérêt national.

À vous entendre, monsieur le président-directeur général, l’électricité française est l’une des moins chères, elle est compétitive et sans CO2, nous en avons beaucoup exporté cet été… Bref, tous les poncifs qui nous ont menés dans l’impasse où nous nous trouvons aujourd'hui : celle d’un pays très dépendant de l’électricité produite par le nucléaire, ce qui est presque sans équivalent dans le monde. Cette électricité n’a d’ailleurs de « française » que le nom, puisque plus un gramme d’uranium n’est produit sur le sol national depuis 1989. Et, comme le montre un récent rapport de notre Assemblée, elle n’est pas si bon marché, pour peu que l’on ose réintégrer les coûts financés par les impôts des Français et les coûts à venir du fait de l’augmentation des exigences de sûreté.

Nous nous inscrivons au début d’une histoire qui rompt avec l’impossibilité du débat autour du nucléaire en France. Sans doute vous rappelez-vous le 9 novembre 2011 : alors que ma famille politique travaillait à un accord politique sur un projet énergétique, le président-directeur général d’EDF faisait la une d’un des plus grands quotidiens français pour affirmer que, si ce choix démocratique était fait, la France compterait un million de chômeurs en plus. Même si personne, pas même vous, ne pouvait prendre ce chiffre au sérieux, il s’agissait d’une intervention extrêmement virulente dans le débat démocratique.

Aujourd'hui, l’objet de notre discussion est la politique énergétique de la France et non les intérêts commerciaux ou financiers d’EDF. Entendons-nous : EDF est une entreprise fabuleuse qui s’est montrée capable de faire prendre un virage énergétique considérable à la France en quelques années : après les recommandations de la commission pour la production d’électricité d’origine nucléaire (PEON), notre territoire, jusqu’alors vierge de toute centrale, s’est trouvé en moins de dix ans doté d’un des patrimoines nucléaires les plus importants au monde. Eh bien, utilisons ces compétences fabuleuses pour engager le pays dans une révolution énergétique absolument nécessaire !

Mais considérez-vous, monsieur le président-directeur général, que votre rôle est de mettre en œuvre une politique énergétique démocratiquement décidée par la représentation nationale, ou de défendre les intérêts, de mon point de vue court-termistes, d’une entreprise ?

Le 12 septembre 2012, lors de la première conférence environnementale, le Président de la République a annoncé la fermeture de la plus vieille centrale française, celle de Fessenheim, avant la fin de l’année 2016. L’entreprise que vous dirigez est-elle disposée à mettre en œuvre cette décision ? Considérez-vous comme légitime que la puissance publique puisse décider d’une telle fermeture ?

Dans votre introduction, je n’ai rien entendu qui concerne la mise en œuvre de l’objectif de réduction de 75 à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité 2025. En retenant le scénario d’une consommation étale, combien de réacteurs cela conduirait-il à fermer ? Votre autre scénario, dont d’aucuns ont entendu parler, consisterait à maintenir la puissance installée actuelle à 63,2 gigawatts et à tabler sur l’augmentation de la consommation, que l’électricité soit produite en France ou importée. Quelle en serait la traduction en termes de consommation électrique ?

Enfin, estimez-vous que la volonté de voir le nucléaire dominer dans notre pays a eu des effets négatifs sur le développement des énergies renouvelables ? Très en avance dans les années 1970 en matière de production solaire, la France a pris beaucoup de retard. Les freins, volontaires ou non, se sont multipliés. L’opérateur historique entend-il désormais les lever ?

M. Jean-Luc Laurent. Contrairement à Mme Duflot, je me réjouis que vous ayez remis les pendules à l’heure en soulignant l’atout que représente EDF dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Dans un contexte économique de désindustrialisation, notre pays se doit de maintenir ses fleurons, au rang desquels se trouve l’entreprise que vous dirigez. EDF est un opérateur au service de la puissance publique.

De mon point de vue, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre devrait figurer en tête des objectifs énoncés au titre Ier. Pour qui se soucie de la préservation de la planète, c’est la priorité des priorités !

Aussi le nucléaire est-il un atout, pour peu qu’il reste sous le contrôle de la puissance publique et n’est pas pris dans des logiques libérales et privées qui sacrifient les investissements et la maintenance aux bénéfices immédiats. À cet égard, j’aimerais connaître votre point de vue sur le plafonnement de la production d’origine nucléaire. D’après votre expérience, et sachant que l’entreprise est également engagée dans les énergies renouvelables, cette disposition est-elle raisonnable ? Compte tenu de l’augmentation continue de la consommation – avec une amplification en cas de retour de la croissance –, l’objectif de ramener à 50 % la proportion d’électricité d’origine nucléaire est-il atteignable ?

L’article 32 du projet dispose que, si une installation nucléaire de base cesse de fonctionner pendant deux ans, son arrêt est réputé définitif. Cette disposition résulte-t-elle de réflexions et de propositions qu’EDF ou un autre opérateur aurait faites ? Pour ma part, il me semble juridiquement contestable que le Parlement puisse décider de ce point par une sorte de clause d’automaticité.

Mme Bernadette Laclais. Je vous sais gré, monsieur le président-directeur général d’avoir mis en exergue les savoir-faire d’EDF, auxquels nous sommes nombreux à être très attachés. Les compétences acquises de longue date en matière de réalisation de grands barrages hydroélectriques s’exportent partout dans le monde. Le Centre national d’équipements hydrauliques (CNEH), devenu Centre d’ingénierie hydraulique (CIH) et basé en Savoie, en est la brillante illustration.

Comment voyez-vous l’avenir de la grande hydroélectricité et de l’activité de ce centre à l’étranger et en France ? Les barrages au fil de l’eau et les stations de transferts d’énergie par pompage (STEP) constituent-ils une chance pour EDF ? Les contraintes, on le sait, sont nombreuses. Faut-il les lever ?

M. Christophe Borgel. Si la bataille pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre – donc pour la réduction de la consommation des énergies carbonées – est au cœur du projet de loi, le titre Ier n’en pose pas moins l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans la production totale d’électricité. Il ne faut ni chercher à occulter cet objectif ni en faire le point central du texte. Dans ces conditions, comment imaginez-vous la construction d’un mix énergétique qui renforce la part des énergies renouvelables – domaine dans lequel EDF joue un rôle – et réduise celle des énergies carbonées ? Dans l’hypothèse du retour de la croissance économique et de l’augmentation de la consommation, comment faire que ces objectifs soient cohérents entre eux et non pas contradictoires ?

M. Christophe Bouillon. De par ses entreprises, ses capacités, ses savoir-faire, la France est un grand pays nucléaire, et elle le restera grâce à des champions comme EDF. Le vrai changement qu’imprime ce texte, c’est que la France sera aussi un grand pays dans le domaine des énergies renouvelables.

Il faut que le nouveau mix soit à la fois efficace contre le changement climatique, utile à la compétitivité des entreprises et pourvoyeur d’emplois. C’est tout le sens de l’expression « croissance verte ». J’aimerais donc savoir ce que peut représenter le plafonnement de la production nucléaire à 63,2 gigawatts en termes d’emploi.

M. le président François Brottes. M. Julien Aubert ayant demandé quelle perte de valeur ce projet de loi pourrait éventuellement provoquer pour l’entreprise, je voudrais poser une question complémentaire sur la perte de valeur et de clients qu’a représenté la séparation entre EDF et Gaz de France (GDF) réalisée il y a quelques années. Pourquoi n’a-t-on pas pensé, à cette époque, à remettre à zéro les compteurs des concessions hydrauliques ? Pourquoi n’a-t-on pas clarifié les relations avec les collectivités territoriales, qui pèsent pour 30 milliards d’euros dans les réseaux de distribution ? Voilà une loi qui bouleversait bien autrement le champ de l’entreprise ! Pour ma part, j’ai mené un long combat pour dénoncer l’absurdité de la fusion entre GDF et Suez, dont nous payons encore les conséquences.

Cela dit, EDF vit toujours et a évolué dans ses métiers. Peu avant le rachat de l’usine Rio Tinto avec Trimet, vous avez repris, sans grand enthousiasme semble-t-il, l’entreprise Photowatt. Où en êtes-vous de cette diversification industrielle ?

Alors que nous examinons un texte national parfois à l’avant-garde par rapport aux dispositions européennes dans lesquelles il s’inscrit, EDF est un groupe international présent notamment en Grande-Bretagne, en Asie, en Afrique, en Arabie Saoudite, en Amérique du Sud. Si nous nous focalisons sur le seul plan national, notre raisonnement sur l’entreprise risque de se trouver faussé. J’aimerais donc que vous fassiez le point sur vos activités nationales.

Par ailleurs, qu’en est-il prévisions de consommation ? Car là est le vrai sujet, dont dépendent les pourcentages divers et variés du mix énergétique ! On a constaté une baisse de la consommation industrielle, essentiellement due, hélas, à des fermetures d’entreprises. La consommation des ménages, quant à elle, est très dépendante des aléas climatiques. Elle le restera tant que l’on n’aura pas mené, grâce à ce texte, une large réhabilitation thermique des logements. Nous entendrons tout à l’heure le président du directoire de RTE – filiale sur laquelle, en application de la directive européenne, vous n’avez ni autorité ni droit de gestion. Pourriez-vous nous indiquer ce que vous pensez de ses prévisions ? Sont-elles volontairement alarmistes ?

Enfin, pensez-vous que le marché de capacité est un instrument satisfaisant ? Lorsque GDF-Suez doit fermer une quinzaine de centrales thermiques destinées à équilibrer le réseau à certains moments, ne nous mettons-nous pas en danger ? Je rappelle que le marché de capacité est issu de la loi du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », dont il faudrait aussi se demander quels ont été ses effets sur la valeur d’EDF !

L’important est de savoir comment avancer dans un contexte de grands changements au niveau mondial. Qui pouvait prévoir, il y a deux ou trois ans, que le gaz de schiste envahirait à ce point le marché du gaz et bouleverserait le marché européen de l’énergie en revalorisant la production électrique au charbon ?

Je crois qu’un éclairage assez large sur ces questions, monsieur le président-directeur général, nous permettra ensuite de mieux aborder le détail du texte.

M. Henri Proglio. Je commencerai par remettre en perspective ce qu’est EDF, en France et dans le monde.

Résumons d’abord son histoire, qui est une belle histoire industrielle. C’est la loi de nationalisation de 1946 qui donné naissance à cette entreprise, qui fut d’abord un monopole national, puis un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), puis une société anonyme cotée en bourse, dont l’État est le principal actionnaire et qui a la particularité en France d’être investie d’une mission de service public.

Sur le plan international, elle est le premier électricien au Royaume-Uni, le deuxième en Italie et en Belgique, le troisième en Pologne, ce qui la situe au premier rang européen. Elle est vraisemblablement l’un des premiers électriciens au plan mondial. Elle est le plus grand investisseur en Europe, avec un plan d’investissement colossal, et le plus grand donneur d’ordres en France et en Europe.

Forte de ses 175 000 collaborateurs, c’est une entreprise intégrée qui va de l’amont à l’aval, de la production à la distribution en passant par les réseaux, l’optimisation, le trading et les services énergétiques.

Pour toutes ces raisons, elle peut porter haut les couleurs de la France partout dans le monde, où elle constitue une référence.

Les intérêts d’EDF sont, par définition, ceux de ses actionnaires, dont le premier est l’État, qui détient 85 % de son capital. Il lui revient de définir les contours de la mission qui nous a été confiée en tant qu’opérateur de service public et de fixer les composantes de la politique énergétique du pays. Rappelons ici que nous sommes le premier contributeur au budget de l’État, à hauteur de 13 milliards d’euros. Personne ne saurait donc prétendre que nous vivions aux crochets de l’Etat…

Ma responsabilité est de défendre l’entreprise, ses missions, ses atouts, ses actionnaires et ses collaborateurs et rien ne me fera jamais céder dans ma détermination, qui m’a parfois amené à prendre des décisions à contre-pied.

Nous évoluons dans un paysage européen de l’énergie marqué par plusieurs types de bouleversements.

Bouleversements liés aux coûts des énergies primaires, notamment des énergies fossiles. Le développement du gaz de schiste américain a eu un fort impact sur le marché du gaz en Europe et sur les prix du charbon, dont le cours s’est effondré, ce qui a accru son utilisation déjà très développée : 70 % de l’électricité mondiale est produite à partir du charbon et il se construit une centrale à charbon chaque jour dans le monde.

Bouleversements relevant de facteurs géopolitiques qui auront une incidence, cet hiver plus que jamais, sur les prix de marché et les capacités d’alimentation.

Bouleversements dus aux subventions titanesques versées en faveur des énergies renouvelables. La formidable spéculation qu’elles ont engendrée a créé des surcapacités de production, qui ont provoqué l’effondrement des budgets de certains États, en Europe du Sud notamment, et des séismes chez les industriels. Aujourd'hui, EDF est le seul électricien européen à afficher des bons résultats.

C’est en prenant en compte cet environnement en pleine évolution que nous devons anticiper les besoins et donc les capacités.

De nombreux pays encouragent les économies d’énergie pour aller vers une sobriété énergétique justifiée à la fois par la compétitivité, la rationalité économique et la préservation de l’environnement. Dans cette perspective, ils ont mis au point des dispositifs d’incitation qui reposent avant tout sur les énergies fossiles, pour lesquelles la dépendance à l’égard d’autres pays est forte. Dans le même temps, la part d’électricité dans l’ensemble des énergies consommées a tendance à se renforcer d’année en année, car les processus de modernisation économique reposent sur un recours accru à cette source d’énergie.

Nombre des acteurs de l’électricité à l’échelon européen ont dû annoncer des baisses drastiques de leurs investissements car leur situation financière est extrêmement fragile. Et il est vraisemblable que ces sous-investissements se traduiront par des tensions considérables sur les capacités de production car sans maintenance et modernisation, les outils lourds nécessaires à la filière électrique se dégradent. RTE a ainsi tiré le signal d’alarme pour les hivers 2015 et 2016, et les inquiétudes sont encore plus fortes chez nos voisins d’outre-Quiévrain.

Beaucoup de questions ont porté sur le nucléaire.

Il faut rappeler tout d’abord que l’industrie nucléaire est le troisième secteur industriel de notre pays derrière l’aéronautique et l’automobile et compte 150 000 emplois directs, chiffre qui n’est un mystère pour personne. Fort de son expertise internationalement reconnue, elle a vocation à gagner des marchés à travers le monde. Et ce développement fait partie des missions qui m’ont été confiées. Nous sommes le premier opérateur nucléaire au monde et constituons une référence, même si nous ne sommes pas les seuls. La Chine est en train de se doter d’un parc plus important que le parc français : elle construit dix centrales nucléaires par an et 47 réacteurs sont en cours de construction.

Le projet de loi de transition énergétique entend réduire la part du nucléaire dans la production de l’électricité. Est-ce compatible avec la vision d’EDF ? La réponse est oui, je le répète. Sommes-nous disposés à accompagner cette évolution ? La réponse est oui. Avons-nous l’ambition de le faire ? La réponse est oui. Avons-nous les moyens de le faire ? La réponse est oui, puisque cela dépend des capacités existantes – je ne me prononcerai pas sur le plafonnement : s’il est adopté par le Parlement, il sera appliqué. Cela empêche-t-il de développer d’autres capacités ? La réponse est non dès lors, qu’EDF se porte bien et examine avec lucidité les enjeux liés à l’investissement.

Autre aspect dont il faut tenir compte : le coût de revient de l’électricité par rapport au prix de vente. Nous sommes en concertation constante avec les pouvoirs publics pour optimiser le mix énergétique de manière à éviter une explosion des coûts de revient qui serait incompatible avec le bon accomplissement de notre mission de service public, laquelle suppose d’assurer accessibilité à tous et efficacité.

Il m’a été demandé s’il était possible de démanteler une centrale et d’installer un réacteur sur le même site. La réponse est oui, mais pas exactement au même emplacement, bien entendu : c’est la raison pour laquelle les centrales nucléaires occupent de vastes emprises.

M. Baupin m’a interrogé sur la prolongation de la durée de vie d’une centrale au-delà de quarante ans. Il connaît la réponse, puisque nous avons déjà largement débattu de cette question au sein de diverses commissions. Il sait que nous devons prendre en compte l’amortissement des investissements et que nous sommes en étroite concertation avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

M. Denis Baupin, rapporteur pour les chapitres Ier à III du titre VIII. Ma question portait aussi sur la concertation avec le public.

M. Henri Proglio. Je ne peux donner de réponse définitive à ce sujet puisque les discussions sont en cours. Il reviendra d’ailleurs à l’ASN de l’apporter, puisqu’il lui appartient de se prononcer sur la sûreté des sites et l’extension de leur durée de vie. Mais, rassurez-vous, ce sujet fait partie des questions prioritaires que nous abordons avec elle.

S’agissant du pilotage de la politique énergétique, nous pouvons déplorer que l’absence de concertation au niveau européen ait abouti à un paysage marqué par les divergences. Que chaque pays ait le contrôle de sa politique énergétique tient toutefois d’une évidence que nous ne pouvons remettre en cause.

Mme Cécile Duflot. Qu’en est-il de Fessenheim ?

M. Henri Proglio. La discussion est ouverte avec l’État. Je n’ai pas aujourd’hui d’annonce à faire sur cette centrale. Ma responsabilité est d’assurer un haut niveau de sûreté et d’efficacité. Il ne m’appartient pas de faire d’autres commentaires.

J’en viens aux énergies renouvelables : énergie hydraulique – la plus importante des énergies renouvelables en France et dans le monde – photovoltaïque et éolien terrestre ou en mer, énergie marine, biomasse, géothermie. Certaines relèvent d’ailleurs davantage de la maille locale ou régionale que de la maille nationale, d’où la nécessité pour une entreprise comme EDF de donner plus de place dans son organisation au local et de l’adosser au système national pour la production comme pour l’optimisation.

L’optimisation et les services énergétiques n’ont pas été beaucoup évoqués dans les questions alors que c’est l’un des grands enjeux auxquels EDF veut apporter une contribution forte. Elle s’en est d’ailleurs donné les moyens.

Sur les mécanismes de primes qui doivent venir compléter la vente sur les marchés, les discussions sont en cours et mobilisent beaucoup d’experts afin d’établir une règle du jeu qui soit la plus pertinente possible.

S’agissant de l’obligation d’achat, j’aimerais qu’il existe une pluralité d’acteurs. Sans doute du fait de la mission de service public qui nous a été confiée, nous avons eu le privilège, si je puis dire, de nous voir attribuer l’essentiel des fardeaux.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Il faut bien qu’il y ait un acheteur de dernier recours.

M. Henri Proglio. Il est toujours possible de lancer un appel d’offres : nous sommes prêts à laisser la place à d’autres.

S’agissant de l’hydroélectricité, je suis clairement favorable à la prolongation des concessions sous condition d’investissements. Il me faut rappeler ici que l’hydroélectricité, plus qu’un moyen de production, est un outil d’optimisation du système électrique. La valeur essentielle des barrages tient à leur capacité à stocker l’électricité, ce qui permet de la distribuer au moment opportun : pointes, arrêt des grandes centrales. Dès lors que l’optimisation du système est respectée, toutes les formes peuvent être envisagées, y compris les sociétés d’économie mixte, qui me paraissent avoir plus de défauts que de qualités. L’une des questions majeures, qui est d’ailleurs du ressort des pouvoirs publics et non de l’opérateur, est de savoir jusqu’où aller dans la désoptimisation. Des cas se sont déjà produits : la marginalisation de RTE a ainsi clairement désoptimisé le système électrique français, et nous n’avons pu qu’en prendre acte puisqu’il s’agissait pour notre pays d’appliquer une règle européenne.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. À combien estimez-vous les investissements qui accompagneraient, à court terme, la prolongation des concessions ?

M. Henri Proglio. Pour chaque installation, nous avons fourni aux pouvoirs publics des plans d’investissement portant sur les extensions de capacités et la maintenance : ils s’élèvent à plusieurs milliards.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Et quel serait, selon vous, le pourcentage pertinent pour un bon fonctionnement des sociétés d’économie mixte (SEM), même si vous estimez qu’elles constituent une mauvaise solution ?

M. Henri Proglio. Cette solution restera mauvaise quel que soit le pourcentage. Nous considérons que, s’agissant d’une activité industrielle, c’est à un opérateur de la gérer, sous le contrôle, bien sûr, de son actionnaire principal.

M. le président François Brottes. Vous pourrez toujours poser la même question trois fois de suite, vous aurez toujours la même réponse, madame la rapporteure…

M. Henri Proglio. Suis-je favorable à un élargissement de la CSPE ? Oui.

M. le président François Brottes. M. Mestrallet a dit non.

M. Henri Proglio. Rien d’étonnant !

Est-ce que j’y crois ? Non. Comme il est pratique de faire porter à EDF cette responsabilité !

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Voici un nouveau privilège pour EDF…

M. Henri Proglio. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un privilège pour le client d’EDF, appelé à payer pour compte de tiers. Compte tenu du fait qu’EDF, monopole national, devait assurer une mission de solidarité nationale, il a été très facile aux pouvoirs publics de nous demander de couper l’électricité en cas d’impayé.

M. le président François Brottes. Sauf l’hiver !

M. Henri Proglio. Qu’il faille élargir la CSPE me paraît logique. Je ne vois pas pourquoi il reviendrait aux seuls consommateurs de supporter une part significative du coût de la solidarité nationale. En revanche, il me paraît moins logique d’avoir étendu son champ aux énergies nouvelles car cela revient à faire payer à l’énergie décarbonée l’essentiel de la décarbonation de l’énergie carbonée. Il serait plus pertinent de mettre à contribution l’énergie carbonée.

Vous évoquez encore la possibilité de remplacer EDF par RTE. Cela risquerait d’amoindrir l’efficacité du système, car c’est tout de même EDF qui envoie la facture. Et cela n’a rien à voir avec une question de prérogatives.

La question des industries électro-intensives se heurte à un champ de contraintes, au premier rang desquelles la contrainte économique.

L’Allemagne a décidé de faire payer aux consommateurs les subventions accordées aux industriels : la péréquation se fait en sens inverse de la France, où le prix payé par les ménages a toujours été régulé alors que le prix payé par les industriels s’est situé à des niveaux supérieurs. Une procédure est en cours auprès d’un tribunal allemand pour condamner cette pratique. Il n’est pas invraisemblable qu’elle soit sanctionnée. De surcroît, l’Allemagne permet de ne pas facturer les coûts de transport. Ainsi, les tarifs finaux sont compétitifs avec les tarifs français, malgré le différentiel de coût économique. Cela dit, le système français reste très largement compétitif par rapport à tous les systèmes européens.

Deuxième contrainte : Bruxelles nous interdit d’appliquer des tarifs privilégiés. Nous ne pouvons donc pas consentir de ristournes à tel ou tel consommateur, fut-il électro-intensif. Toute la difficulté est de respecter la réglementation tout en se montrant solidaires des industriels concernés.

M. le président François Brottes. Le précédent d’Exceltium a montré que des accords pouvaient être trouvés.

M. Henri Proglio. Cet accord a en effet été béni par Bruxelles, mais en contrepartie de mécanismes assez lourds. Nous avons d’ailleurs montré beaucoup de bonne volonté – notamment avec un avenant récent au contrat. Mais pour autant cela n’a rien de miraculeux car le miracle est condamné. Dans le cas de Saint-Jean-de-Maurienne, nous avons dû choisir d’entrer dans le capital de l’entreprise puisqu’il nous était interdit de l’aider à travers des ristournes. C’est maintenant une belle réussite. Mieux vaut agir au coup par coup, car il ne peut y avoir de réponse globale.

EDF est devenue un grand acteur mondial des énergies nouvelles à travers EDF Énergies nouvelles dont nous avons pris le contrôle il y a maintenant trois ans. Nous sommes le premier développeur européen d’énergies nouvelles – éolien et photovoltaïque – en flux, et menons une politique délibérément agressive en ce domaine. Nous tentons de développer les technologies nécessaires. Pour l’éolien, nous avons dû nouer des partenariats européens. Pour le photovoltaïque, sans que l’on m’ait forcé la main – ce qui assez difficile du reste –, EDF a repris Photowatt, unique fabricant français de cellules ayant résisté à la vague chinoise. Ce n’est malheureusement pas une réussite car l’hétérojonction sur laquelle le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) s’était engagé, très officiellement, à travailler, n’est pas au point. Nous sommes donc obligés d’en rester à la technologie d’origine, l’homojonction, en lui apportant des améliorations progressives sans toutefois pouvoir être compétitifs avec les industries chinoises, régulièrement condamnés. Nous perdons donc un peu d’argent avec cette activité malgré les efforts de rationalisation et de performance consentis.

Quant à l’hydraulique, formidable source d’énergie, son développement nous a placés au premier rang en Europe et au cinquième rang mondial, derrière la Chine, la Russie, le Canada, le Brésil, pays qui bénéficient de gigantesques ressources en eau. EDF a une ambition forte sur le plan international avec divers projets au Brésil, en Afrique et en Asie où se trouve notre plus belle référence, le barrage de Nam Theun au Laos, salué par la Banque mondiale comme l’un des plus beaux exemples de développement durable. En France, les possibilités de développement sont moins nombreuses : la plupart des sites sont déjà équipés et l’équipement de nouveaux sites poserait des difficultés, notamment d’ordre politique.

Loi anti-EDF ou pro-EDF ? Au fond, cela n’a pas grande importance. C’est une loi à laquelle EDF apporte sa contribution : nos équipes y ont beaucoup travaillé en amont et continueront de travailler une fois qu’elle sera adoptée. Nous sommes totalement engagés dans cette transition énergétique.

Je terminerai par les questions sur ERDF.

Dans le système électrique, la distribution est un élément essentiel d’optimisation et son importance sera accentuée par le développement des réseaux intelligents. Ma conviction, largement partagée, est que l’intégration du système est un élément clef de son efficacité, ce qui n’interdit pas la concurrence, bien évidemment. La réglementation impose d’ailleurs qu’ERDF laisse tous les producteurs accéder librement à ses services, sous contrôle des autorités de tutelle et de la CRE.

Quelle organisation pour ERDF ? Filiale à 100 % d’EDF, ERDF est l’opérateur délégataire des syndicats intercommunaux. Ce sont en effet les collectivités locales qui ont la propriété des infrastructures de distribution, et non pas l’État, ce qu’il a eu tendance à oublier, y compris lors de l’ouverture du capital d’EDF en 2006.

Dans le cadre d’un contrat – quelque peu chaotique – de délégation de service public, ERDF doit assurer la qualité et la continuité du service, la maintenance des installations, leur développement et leur adaptation, les investissements d’extension avec l’ensemble des opérations industrielles, financières et commerciales qui s’y rattachent.

La mission d’ERDF est un élément important du système électrique. Il est de nécessité absolue qu’elle soit en contact constant avec les collectivités concédantes et qu’elle soit à leur écoute en matière d’investissements. Les arbitrages doivent se faire au niveau national mais aussi régional, dès lors qu’il y aura un important développement des énergies nouvelles, qui exigeront une adaptation du système de distribution et d’investissement, notamment du fait de l’intermittence.

Nous avons beaucoup travaillé, encore récemment avec le président Brottes, pour savoir comment adapter le système sans casser la logique sur laquelle il repose. Nous étudions la possibilité d’intégrer plus de proximité à sa gouvernance afin d’y associer les collectivités territoriales.

Quant au chèque énergie, nous n’y sommes pas hostiles, mais il nous paraît compliqué qu’il vienne se substituer aux tarifs sociaux. Cela suppose de mener une réflexion avec les pouvoirs publics.

M. Julien Aubert. Monsieur Proglio, permettez-moi de vous rappeler mes questions sur la possibilité d’une consultation départementale autour d’ERDF et sur la valeur de l’entreprise.

Le président Brottes a évoqué la scission entre EDF et GDF mais il ne faut pas oublier qu’une contrainte européenne s’imposait.

M. le président François Brottes. Absolument pas, il s’agissait d’un choix national. La contrainte européenne imposait de séparer les fonctions mais pas les entités.

M. Julien Aubert. Aucune contrainte ne justifie aujourd’hui que l’État remette pour partie la main sur la gouvernance et les investissements d’EDF. Nous avons changé d’époque : l’État socialiste ne privatise plus Rothschild, c’est plutôt Rothschild qui privatise l’État socialiste. (Sourires.) Adaptons-nous !

Cette loi a bel et bien un impact sur la valeur de l’entreprise et j’aimerais avoir votre éclairage à ce sujet, monsieur le président directeur général, en particulier sur l’indemnisation qui est un élément très concret. Si la fermeture d’une centrale est décidée, des questions financières se poseront or l’étude d’impact n’en dit rien.

M. Henri Proglio. La question de l’indemnisation, dont il a déjà été question ici, mérite d’être actualisée en fonction de l’évolution des discussions sur le nucléaire. Il n’y a pas de réponse couperet.

La concertation départementale se heurte à une difficulté : comment s’accorder sur une règle du jeu très complexe à établir avec une entité qui n’est pas propriétaire ? Il faudra mettre beaucoup d’huile dans les rouages alors qu’il n’est déjà pas aisé de mener une concertation entre l’opérateur, l’État et les collectivités propriétaires. Je crains que l’ajout d’une dimension départementale voire régionale ne soit très complexe, même s’il est toujours possible de l’envisager. Il faudrait déjà convenir d’une optimisation entre les syndicats intercommunaux et l’entité géographique la plus pertinente, que cela soit la région, le département ou les grandes métropoles.

M. le président François Brottes. Monsieur Aubert, comme je me suis permis de m’exprimer en votre absence sur l’ouverture du capital d’EDF que vous aviez évoquée, je tiens à vous faire part de mes propos, qui ne relèvent en rien de la politique politicienne.

Dans les comptes d’EDF, le changement de statut pèse encore de trois façons.

Premièrement, le dédoublement de l’action commerciale d’EDF et de GDF, provoqué par la séparation des réseaux, a contribué à accroître les prix, comme la CRE l’a constaté, sans parler de la zizanie dans les fichiers qu’il a engendrée.

Deuxièmement, le coche a été manqué en ce qui concerne les concessions hydrauliques : si les compteurs avaient été mis à zéro en considérant qu’il s’agissait de nouvelles structures, nous ne connaîtrions pas aujourd’hui les problèmes que nous avons à démêler en « bidouillant », avouons-le, des solutions comme le calcul barycentrique. Tout cela se chiffre en milliards d’euros !

Troisièmement, l’entreprise a été valorisée avec un actif de 30 milliards qui appartenait aux collectivités.

Voilà trois conséquences d’une décision politique prise il n’y a pas si longtemps de cela. Vous n’étiez pas député à l’époque, je ne peux vous en faire grief. Mais je vous appelle à un peu de prudence et d’humilité. Vous ne pouvez esquiver ainsi ces lourdes incidences sur les comptes de l’entreprise, que la commission d’enquête sur les tarifs ne manquera pas de mettre au jour, vous le verrez.

M. Julien Aubert. Monsieur le président, avec cette loi, nous sommes confrontés à une décision tout aussi politique, qui met également en jeu des milliards d’euros. Ce n’est pas parce que des erreurs ont été commises que l’on est condamné à les reproduire. Et, en toute logique, si l’on suit votre raisonnement, nous devrions être encore plus prudents à l’égard d’une entreprise qui remplit un rôle social en matière de coût de l’énergie.

M. le président François Brottes. Je partage ce point de vue !

Je vous remercie, monsieur le président-directeur général.

18. Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président de RTE, et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz

(Séance du jeudi 18 septembre 2014)

M. le président François Brottes. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir maintenant les deux grands transporteurs d’énergie de notre pays, Réseau de transport d’électricité (RTE) et GRT Gaz.

RTE est entièrement public et indépendant de sa maison-mère, ce que vient de nous confirmer le président d’EDF même si ce n’est pas forcément son souhait. M. Proglio a néanmoins admis que les textes étaient ainsi organisés, que RTE transportait les électrons sans regarder qui les produisaient. RTE a surtout des comptes à rendre à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui valide ou non la feuille de route qu’il propose, ce qui détermine un montant que paient les usagers, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Monsieur Maillard, vous jouez un rôle de lanceur d’alerte. Vous avez ainsi récemment expliqué que l’on risquait de ne pas passer l’hiver. Mais d’autres nous disent que la consommation baisse et qu’il n’y a donc aucune raison de paniquer.

Le mix énergétique est fonction de ce que l’on met à la disposition des consommateurs, soit par le biais de tuyaux de gaz, soit des réseaux électriques, soit encore de la cheminée. Mais il faut aussi savoir comment on consomme, qui consomme, et à quelle vitesse. À cet égard, il a souvent été fait mention d’une baisse de la consommation industrielle, ce qui ne peut nous réjouir puisque cela signifie que notre production industrielle est en déclin. Même nos amis environnementalistes ont souligné ce fait ce matin. Un représentant de France nature environnement (FNE) nous a ainsi expliqué que la consommation dans l’industrie avait diminué en raison des délocalisations.

Nous accueillons également Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz qui fut une entité publique avant d’être vendue pour quelques euros symboliques à GDF. Elle est entrée ensuite dans la corbeille de la mariée de GDF Suez avant d’être en partie revendue à des actionnaires proches de l’État comme la Caisse des dépôts et consignations.

Monsieur Trouvé, vous êtes en charge des molécules qui circulent dans vos tuyaux. Ni RTE ni GRT Gaz n’ont de contact direct avec le client final, à l’exception des gros industriels qui consomment parfois un peu plus d’énergie que d’habitude et qui déplorent que, dans ce cas, on les oblige à changer les compteurs alors que leur surconsommation ne peut durer que quinze jours ou un mois.

La perte en ligne, que le patron du CEA appelle le chauffage des pattes des oiseaux, s’élève à environ 2 milliards d’euros par an, soit l’équivalent de deux réacteurs. Plus la production est éloignée de la consommation, plus la perte en ligne est importante. De même, plus une énergie fournie sur le réseau est intermittente, plus le problème d’adaptation du réseau est grand. C’est donc essentiellement vrai pour l’électricité que l’on ne peut pas stocker. Un réseau de gaz est plus facile à gérer, sauf que ceux qui utilisent vos réseaux sont soumis à un marché fluctuant en cas de crise géopolitique puisque notre pays ne produit plus de gaz. Le réseau de gaz s’adapte aussi aux énergies renouvelables puisqu’il est en train d’accepter le biogaz. M. Mestrallet nous a ainsi indiqué ce matin que l’on pouvait espérer 10 % de biogaz sur l’ensemble du réseau à condition d’investir environ 12 milliards d’euros.

M. Dominique Maillard, président de RTE. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous avoir associés à votre réflexion dans le cadre de l’élaboration du projet de loi sur la transition énergétique.

Le réseau électrique a pour objet de relier des points de production et des points de consommation. Pendant très longtemps, on a considéré que le facteur principal c’était l’évolution de la consommation. Quand elle doublait au bout de dix ans, nos concitoyens comprenaient aisément qu’il fallait renforcer le réseau, créer des postes. Aujourd’hui, on se rapproche d’une stabilité en matière de consommation d’électricité, l’évolution étant assez contrastée selon les régions. Dans certains pays européens, la consommation d’électricité a même baissé. Pourtant, il nous faut continuer à investir pour renouveler les équipements mais aussi pour renforcer le réseau. Dans ce raisonnement, où est la faille ? S’agit-il d’un délire d’ingénieurs désireux de couvrir la France d’une toile d’araignée ? Non, bien sûr. Mais relier, c’est tenir compte de l’évolution tant de la demande que de l’offre. Or ce qui est appelé à changer radicalement et qui dépendra de ce qui sera mis en œuvre dans le cadre de la politique énergétique choisie, c’est la politique de l’offre. Tous les pays européens, dont la France, s’inscrivent dans le renforcement du recours aux énergies renouvelables qui, par définition, sont beaucoup mieux réparties. Cela engendre des flux qui seront amenés à traverser notre territoire ou d’autres pays. Certains sites de production actuels ne le seront plus, d’autres seront conservés mais avec d’autres types d’équipements. Tel est le défi majeur auquel nous devons faire face.

Cela ne vous surprendra pas si je vous dis que le développement de nos ouvrages, notamment aériens, ne recueille pas nécessairement l’assentiment spontané des riverains concernés. Au milieu du XXe siècle, il fallait apporter l’électricité là où elle n’était pas accessible. Aujourd’hui, les populations considèrent que l’électricité arrive partout. Il est donc plus difficile d’expliquer à nos concitoyens que l’on crée des lignes pour renforcer les interconnexions, parce que des flux d’électricité peuvent traverser le pays, parce que nos voisins et amis espagnols ont des productions d’énergie photovoltaïque ou éolienne qui dépassent les capacités d’accueil de la seule péninsule ibérique.

Nous ne sommes pas seulement gestionnaires et opérateurs d’un réseau, nous sommes aussi responsables de l’équilibre entre l’offre et la demande. Nous ne sommes ni producteur ni consommateur, mais chaque fournisseur du marché électrique français a l’obligation de fournir autant d’électricité que ses clients vont en consommer. Il doit fournir autant d’énergie et autant de puissance. La puissance, c’est soit de la capacité de production soit de la capacité d’effacement. À cet égard, il y a une sorte de paradoxe puisque l’on répète à l’envi que l’Europe est en surcapacité alors qu’un pays voisin a annoncé qu’il devra procéder, cet hiver, à des délestages tournants. Nous n’en sommes pas là en France, mais à moyen terme les capacités disponibles, compte tenu des décisions annoncées par certains fournisseurs, nous laissent entrevoir un risque de déficit entre la disponibilité des capacités de production et la consommation. Nous sommes au cœur de ce dispositif alors que nos clients ont des exigences croissantes.

Les pertes liées au transport représentent 2 %. Les lois de la physique sont telles qu’il y a en effet des pertes lorsqu’il y a une certaine distance entre le point de production et le point de consommation. Cela dit, l’Europe a la chance d’être une zone relativement dense en termes de population et d’activité économique. À l’inverse, certains grands pays comme la Chine, la Russie ou le Canada doivent transporter l’électricité parfois sur plusieurs milliers de kilomètres. Les pertes en Europe sont donc plus faibles que celles de ces pays.

Nous achetons de 10 à 11 milliards de kilowatts-heure. Le mégawattheure valant 60 euros, cela représente 600 millions d’euros, ce qui équivaut à notre masse salariale. Les 2 milliards que vous évoquez, ce sont l’ensemble des pertes liées au transport et à la distribution.

M. le président François Brottes. J’ai cité ce chiffre car il s’agit de savoir si l’on donne à RTE une mission concernant les obligations d’achat. Quand on évoque le sujet avec le patron d’EDF, il nous répond : Pour quoi faire ? Acheter pour neutraliser vos propres pertes peut être une piste.

Il est parfois question de réseaux en devenir qui ne devraient pas générer de pertes. Par exemple, est-il crédible de dire que raccorder la France au Maghreb n’engendrera pas de pertes ?

M. Dominique Maillard. Des réflexions sont menées dans le cadre de grandes structures, comme Medgrid ou Supergrid qui viseraient à transporter l’électricité à courant continu et à des tensions élevées du même type que les réseaux à très haute tension. Mais cela ne fait pas disparaître les pertes. La seule manière de les faire disparaître, du moins par effet joule, consisterait à utiliser des technologies supraconductrices. Pour l’instant, cela nécessite d’assurer le transport à très basse température. Or pour maintenir des températures très basses, il faut consommer de l’énergie… L’une de nos préoccupations permanentes est de chercher à optimiser le réseau de façon à réduire les pertes au maximum. Et c’est effectivement aussi le travail des dispatcheurs.

J’en viens au projet de loi. L’un de nos défis est de satisfaire la transition énergétique, c’est-à-dire pouvoir intégrer dans les meilleures conditions le développement des énergies renouvelables en France et en Europe. Pour cela, nous avons besoin de renforcer le réseau. En la matière, ma grande inquiétude ne porte pas principalement sur la recherche du financement puisque le coût du transport représente moins de 10 % du montant de la facture du consommateur..

M. le président François Brottes. Donc un peu moins que la contribution au service public de l’électricité (CSPE).

M. Dominique Maillard. Oui, moins que la CSPE et que les taxes.

Notre vrai défi, c’est de pouvoir garantir que nous serons au rendez-vous en temps voulu. Aujourd’hui, en effet, les procédures sont de plus en plus longues en raison du développement de la réglementation. Certes, elles sont nécessaires parce que nos concitoyens attendent d’être informés et veulent pouvoir discuter. Mais pour réaliser un grand ouvrage d’une centaine de kilomètres, huit à dix ans sont nécessaires : quinze à dix-huit mois de travaux et sept ans de procédures.

M. le président François Brottes. Sommes-nous le seul pays au monde à pratiquer de la sorte ?

M. Dominique Maillard. Non. L’Allemagne fait encore bien moins que nous. Je ne pense pas qu’il faille suivre cet exemple.

En revanche, le Danemark qui n’a pas la réputation de ne pas respecter l’environnement et la démocratie, parvient à réaliser les mêmes ouvrages en quatre à cinq ans. Comment fait-il ? D’abord, il a peut-être une plus grande pratique que la France en matière de débat public, de concertation. Ensuite, comme ce pays est plus petit, il est plus facile de convaincre la population de la nécessité de renforcer les ouvrages. Les Danois comprennent ainsi que, pour alimenter Copenhague alors que les fermes éoliennes sont en Mer du nord, il est plus simple de traverser le Jutland que de faire le tour de la péninsule. En France, il faudra renforcer, dans les années à venir, les axes Nord-Sud, en gros entre Orléans et Béziers. Lorsque nous avons commencé à évoquer le sujet avec les élus et les populations concernés, on nous a répondu qu’il vaudrait mieux passer dans la vallée du Rhône, tandis que les habitants de ladite vallée considéraient que la ligne la plus droite traversait le Massif central… Même si la France n’est pas un pays immense, vous trouverez toujours plusieurs solutions possibles pour un tracé.

M. le président François Brottes. Le tracé peut également être souterrain, et vous avez d’ailleurs commencé à donner l’exemple.

M. Dominique Maillard. Nous avons toujours dit que c’était une possibilité. Dans quelques semaines, nous achèverons ainsi la liaison avec l’Espagne qui était réclamée depuis vingt-cinq ans par nos amis Espagnols. Nous avons réalisé, dans les Pyrénées orientales, un ouvrage souterrain et en courant continu avec des stations de conversion. Cette construction coûtera aux deux opérateurs environ 700 millions d’euros alors qu’un ouvrage aérien aurait sans doute coûté moins de 100 millions d’euros.

M. le président François Brottes. Un quart de siècle pour mettre en place un dispositif qui vise à sécuriser l’approvisionnement de deux pays européens, voilà qui nous interpelle.

M. Dominique Maillard. C’est pourquoi nous souhaiterions que le projet de loi comporte des dispositions non de simplification – je n’aime pas le mot car il ne s’agit pas d’obtenir des passe-droits – mais de rationalisation. Il s’agit d’obtenir plus rapidement des résultats en termes d’informations, de consultation et de concertation avec nos concitoyens. La qualité d’une concertation n’est pas nécessairement proportionnelle à sa durée : elle est proportionnelle à la manière dont elle est menée.

Deux propositions concrètes figurent dans le projet de loi et nous souhaiterions qu’elles demeurent dans la version finale. La première concerne, dans le cadre du débat public, le recours à la formule dite du garant. Il y a deux manières d’organiser un débat public : soit en nommant une commission particulière – cette procédure est assez lourde puisqu’il faut désigner un président, définir un cahier d’acteurs, etc. – soit en organisant un débat sous la responsabilité du maître d’œuvre avec un garant. Ce dernier est en quelque sorte un sage qui peut conseiller le maître d’ouvrage et les opposants et qui donne des orientations sur la façon de mener le débat. Nous avons une expérience concrète de débats qui sont menés sous une forme ou sous une autre : le résultat semble équivalent en termes de satisfaction ou de frustration. Par contre, nous avons fait le ratio entre le nombre de jours de concertation et le kilomètre de ligne : un débat avec garant dure sept jours par kilomètre de ligne contre quarante-cinq jours pour un débat avec commission particulière. J’ajoute que les populations concernées par un débat avec garant se considèrent aussi bien informées que celles qui ont pu bénéficier d’un débat public.

Tout à l’heure, j’ai indiqué qu’il faudrait renforcer considérablement les interconnexions européennes. Certaines d’entre elles emprunteront la voie maritime, y compris avec des riverains terrestres. Si l’on devait à nouveau renforcer l’interconnexion avec l’Espagne, il est clair que cela ne pourrait se faire par voie souterraine ni par les Pyrénées du fait des dérangements qu’occasionneraient les travaux même s’ils sont de courte durée. Nous pensons donc, avec nos collègues Espagnols, qu’il vaudrait mieux emprunter la voie maritime et réaliser une liaison entre Bilbao et Bordeaux. Pour ce faire, il faut se relier à un moment donné au réseau terrestre. Or la loi littoral ne prévoit pas la possibilité de demander une dérogation. Cette faculté existe lorsqu’il s’agit de raccorder des installations de production d’énergie renouvelable en mer – par exemple pour le raccordement des éoliennes offshore – mais nous ne pouvons pas l’utiliser pour créer une interconnexion. Nous souhaiterions donc que le projet de loi prévoie la possibilité de réaliser ces interconnexions, faute de quoi nous ne pourrons pas les réaliser, ou à un coût prohibitif.

Les textes actuels nous confient déjà, en tant qu’acteur ni producteur ni consommateur, un certain nombre d’éléments sur la réflexion prévisionnelle. Le projet de loi renforce notre possibilité d’accéder à des informations tout en étant transparents. Nous avons développé des applications disponibles sur les smartphones qui permettent de connaître, en temps réel, l’état de la production d’électricité, les importations et les exportations. Pour établir ces travaux, nous avons en effet besoin d’avoir accès à ces données.

Vous avez évoqué également le mécanisme de capacité. Si le mot est simple, le concept est un peu plus compliqué. Ce mécanisme a été mis en place compte tenu de la disparition du monopole d’EDF. Auparavant, EDF était responsable de tout. Aujourd’hui, il reste l’opérateur dominant mais il n’est pas seul. Ce mécanisme est destiné à faire en sorte que la préoccupation collective de sécurité d’alimentation électrique soit assurée avec une répartition équitable entre les différents acteurs. La loi précise qu’il appartient à chaque fournisseur du marché français de justifier qu’il dispose directement ou indirectement des capacités de production ou d’effacement nécessaires à la satisfaction de ses clients.

Le mécanisme prévu permet de trouver les leviers obligeant chaque fournisseur à justifier qu’il dispose bien de ces moyens et devrait être mis en application cette année. Chaque fournisseur remplira un registre où il inscrira d’un côté les clients potentiels qu’il devrait avoir d’ici deux à cinq ans et de l’autre les moyens de production ou les capacités d’effacement dont il dispose ou qu’il aura contractualisés. Par définition, ces deux colonnes devront être égales ou au moins égales. Certains auront peut-être plus de capacité de production ou d’effacement que leurs clients n'en ont besoin. Ils pourront alors se porter vendeurs de ces capacités auprès de ceux qui seraient en déficit.

Vous avez fait allusion au message d’alerte que j’ai lancé il y a une semaine. Quand on fait une simulation de l’évolution de la consommation qui n’est pas très forte dans les deux ans qui viennent, de l’évolution des moyens de production ou des capacités d’effacement et des importations telles qu’elles sont aujourd’hui, compte tenu des annonces faites par les différents producteurs et de la mise en œuvre des directives européennes de grandes installations de combustion qui vont retirer du marché des moyens de production qui ne répondront plus aux normes à partir du 1er janvier 2016, il apparaît qu’il manque aujourd’hui 2 000 mégawatts. Bien sûr nous avons retenu l’hypothèse d’un hiver froid.

M. le président François Brottes. 2 000 mégawatts, cela représente combien d’éoliennes ou de réacteurs nucléaires ?

M. Dominique Maillard. Cela représente deux tranches de 1 000 mégawatts, 200 éoliennes de 10 mégawatts ou trois centrales à gaz. C’est la puissance appelée par Paris intra-muros.

Décider aujourd’hui de mettre en service un moyen de production, y compris à travers l’énergie éolienne, d’ici à dix-huit mois est impossible. Par contre, il est possible d’effacer la capacité d’effacement d’ici là. Il est également possible de ne pas mettre sous cocon des centrales quasiment neuves mais qui sont déclassées pour des raisons économiques.

D’ici à la fin de l’année, les différents fournisseurs devront donc déclarer qui sont leurs clients et ce dont ils disposent. Pour notre part, nous arrivons, d’un point de vue macroéconomique, à moins de 2 000 mégawatts. Si quelqu’un nous dit qu’il est à l'équilibre, il faudra chercher l’erreur. Sinon, il apparaîtra que certains fournisseurs sont sans doute en déficit et ils devront expliquer comment ils comptent le combler.

Le projet de loi prévoit donc toute une série de mesures permettant de donner un support légal car vous comprenez bien que tout cela nécessite des obligations de déclaration, d’imaginer quel est le processus de sanction. Étant un opérateur public sans délégation de responsabilité publique, nous serons sous le contrôle du régulateur. Nous saluons donc ces dispositions qui permettront un meilleur fonctionnement du marché.

Enfin, je formulerai un regret. Ce texte pourrait en effet être le bon support pour introduire une clause nous permettant d’éviter l’irruption de fraudeurs dans ces nouveaux marchés. On sait bien que l’apparition d’un nouveau marché crée « des vocations ». Ce fut le cas dans le marché du CO2 avec la fraude à la TVA de type carrousel de TVA. La création de nouveaux marchés est fondée sur la bonne foi des différents acteurs. Or certains sont tentés de se faire payer avant de fournir quoi que ce soit, parfois même ils ne fournissent rien du tout. Certains de nos voisins européens qui ont créé des marchés ont été victimes de fraudes. Nous aimerions donc que votre commission réfléchisse à l’introduction, dans la loi, d’une disposition qui nous permettrait d’alerter le régulateur en cas de doutes et de lui demander l’autorisation de retirer du marché certains acteurs, quitte à ce qu’une enquête soit diligentée par les services compétents. Actuellement, une telle mesure n’existe pas. Aussi, si nous avons des doutes sur un acteur, nous pouvons refuser de travailler avec lui, mais il peut très bien nous demander au nom de quoi. Et le régulateur ne dispose pas non plus des instruments juridiques lui permettant de valider notre demande.

M. Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me donner l’opportunité de m’exprimer devant votre commission. La mission de GRT Gaz consiste à acheminer le gaz depuis les frontières terrestres mais aussi maritimes de notre pays, c’est-à-dire depuis les ports méthaniers où le gaz arrive par bateau sous forme liquide jusqu’au consommateur industriel et à l’entrée des distributions publiques. Par ce rôle, nous assurons une vraie solidarité entre les territoires et nous participons à l’homogénéité des prix sur le territoire national. D’ailleurs, lorsque des tuyaux manquent quelque part, cela crée des différentiels de prix difficilement compréhensibles par les consommateurs. Comme RTE, nous veillons aussi à l’équilibre instantané entre l’offre et la demande de gaz sur le réseau même si nous n’amenons pas le gaz. Nous jouons donc un rôle important, aux côtés des fournisseurs de gaz, dans la sécurité de l’approvisionnement.

Je vous livrerai trois informations qui me semblent importantes.

Premièrement, en France nous consommons autant d’énergie sous forme électrique que sous forme de gaz, soit 500 térawatts-heure. Deuxièmement, quand il fait le plus froid, le système gaz a une pointe plus importante que le système électrique. Au mois de février 2012, on a atteint une puissance de 158 000 mégawatts sur le réseau de GRT Gaz alors que la pointe électrique était de 101 000 mégawatts, soit 50 % de plus pour GRT Gaz. C’est extrêmement important pour faire face aux variations climatiques, en particulier en ce qui concerne le chauffage. Troisièmement, le gaz se stocke assez facilement, contrairement à l’électricité. Nous disposons, sur le territoire national, de stockages souterrains qui permettent de stocker jusqu’à 30 % de la consommation annuelle de la France. C’est une chance au moment où l’on cherche des solutions pour stoker l’énergie en général.

Nous sommes convaincus que le gaz est un véritable atout pour la transition énergétique pour plusieurs raisons. Premièrement, comme je viens de le dire, le gaz sait stocker de très grandes quantités d’énergie. Deuxièmement, certes le gaz naturel est une énergie fossile, mais c’est celle qui émet le moins de gaz effet de serre. Par exemple, lorsqu’on la met dans une chaudière ou une turbine pour produire de l’électricité, elle émet deux fois moins d’émissions de CO2 que le charbon. Un moteur à gaz produit 25 % de CO2 de moins qu’un moteur à essence et émet 80 % de moins d’oxyde d’azote qu’un moteur diesel et quasiment pas de particules, ces dernières soulevant aujourd’hui une vraie question de santé publique. Par ailleurs, le gaz naturel a vocation à être substitué progressivement par du gaz d’origine renouvelable, ce qui constitue une voie vers la transition énergétique.

Si l’on utilise du gaz dans la transition énergétique pour diminuer le recours au charbon, au fioul, à l’essence ou au diesel, pour renforcer les liens entre le système électrique et le système gazier, on peut réduire considérablement les émissions de CO2, et la réduction sera encore plus forte avec le biométhane, donc le gaz renouvelable. À l’inverse, si par des mesures mal calibrées on réduit la consommation de gaz au profit de celle du charbon ou du fioul, voire du chauffage électrique, on augmente les émissions de gaz à effet de serre et de ce fait, on va à l’opposé de l’objectif recherché dans cette loi.

J’en viens aux objectifs généraux du texte. Ils sont cohérents dans la mesure où l’on veut diminuer les émissions de gaz à effet de serre à l’origine desquelles sont les énergies fossiles. Toutefois, cet objectif est exprimé en énergie finale et non en énergie primaire, c’est-à-dire que l’on s’intéresse à l’énergie consommée par le consommateur en laissant de côté l’énergie consommée par le consommateur sous forme d’électricité et qui est produite à partie d’énergie nucléaire certes mais aussi d’énergie fossile : gaz, pétrole ou charbon. Il y a donc là une vraie question de cohérence et un vrai risque de défavoriser des usages d’énergies certes carbonées mais moins que d'autres au travers du chauffage électrique. Il serait plus cohérent de prendre en compte l’ensemble de la consommation d’énergie primaire en France et pas seulement l’énergie finale, ce qui aurait pour avantage de ne pas défavoriser de manière trop importante le chauffage au gaz qui, je le répète, est une chance pour le système énergétique français dans la mesure où le gaz peut stocker l’énergie et la restituer quand il fait très froid et qu’il émet moins de CO2 que la pointe d’électricité. La pointe d’électricité est faite en grande partie à partir d’énergie fossile, notamment de charbon, et une partie de l’énergie que nous importons dans ces moments là est également d’origine fossile charbon, voire lignite.

Le projet de loi précise qu’il faut « réduire la consommation énergétique des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à la référence 2012 ». Dans ce cadre, il serait intéressant de distinguer les différentes énergies fossiles, c’est-à-dire le charbon, le pétrole, le fioul et le gaz, selon leur contenu carboné dans la mesure où le charbon par exemple émet beaucoup plus de CO2 que le gaz. On a calculé qu’à l’échelle européenne si l’on remplaçait toutes les centrales à charbon par des centrales à gaz pour produire de l’électricité, on diminuerait de 60 % les émissions de gaz à effet de serre du secteur électrique européen, autrement dit on baisserait de 20 % les émissions de gaz à effet de serre globales de l’Europe. Ce sont des ordres de grandeur extrêmement significatifs. Pour la France, les chiffres sont moins importants puisque nous avons l’énergie nucléaire. Mais nous sommes aujourd’hui sur un marché européen et la planète est un sujet global.

Quand on parle des énergies renouvelables, on pense souvent aux énergies électriques renouvelables et on a tendance à oublier que la troisième révolution du gaz est en marche. La première révolution, ce fut les gaz de ville, ceux que l’on produisait dans les usines à gaz à partir du charbon ou de pétrole – il faut reconnaître que cette technologie n’était pas très propre. La deuxième révolution, ce fut l’arrivée du gaz naturel, ce gaz que l’on allait chercher sous terre ou au fond des océans. Cette énergie était plus abondante et bien plus propre que la première. La troisième révolution, celle que nous sommes en train de vivre, c’est celle des gaz renouvelables, c’est-à-dire celle des gaz produits localement avec un vrai bénéfice pour la balance commerciale. Plutôt que d’importer du gaz du Moyen-Orient, on le fabrique dans notre pays, ce qui crée de l’activité locale. En outre, il s’agit d’une énergie neutre en carbone. Ces gaz, c’est le biométhane mais aussi peut-être demain le gaz issu de l’électricité renouvelable non consommée à travers la technologie du power to gas. Cette technologie est actuellement encore à l’essai. Elle intéresse beaucoup de gens en Europe : on compte actuellement une vingtaine de projets. Audi, par exemple, qui n’est pas réputée pour être fantaisiste, a ouvert l’année dernière une usine de power to gas en Allemagne pour alimenter ses voitures. Le gaz qu’achètent les automobilistes dans les stations-service allemandes est de l’électricité d’origine éolienne.

Le biométhane est l’illustration de l’économie circulaire. Injecter cette énergie dans les réseaux permet de la transporter sous forme de gaz et de profiter des capacités de stockage du système gazier. D’ailleurs, Mme la ministre ne s’y est pas trompée puisqu’elle a cité l’objectif de 10 % de biométhane dans les réseaux gaziers et il me semble que vous avez dit tout à l’heure que M. Mestrallet avait également évoqué cet objectif à l’horizon 2030. Cet objectif est cohérent avec les études qui ont été menées par GrDF, par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et par nous-mêmes. Inscrire cet objectif dans le projet de loi constituerait un réel encouragement pour toute la filière du biométhane en France.

J’en viens maintenant à la mobilité propre. Le projet de loi développe beaucoup la mobilité à partir des véhicules électriques ; il pourrait avoir une ambition plus forte grâce à la technologie du gaz naturel comprimé (GNC) ou du gaz naturel pour véhicules (GNV), donc du gaz naturel et demain du biométhane dans les véhicules, à ne pas confondre avec le gaz de pétrole liquéfié (GPL) qui est une autre technologie avec d’autres caractéristiques physiques. La technologie du GNC est aujourd’hui complètement mûre. En effet, 18 millions de véhicules circulent déjà avec cette énergie. L’Italie, qui a développé un réseau de 1 000 stations-service, compte ainsi un parc automobile de un million de véhicules roulant au GNC. L’autonomie de ce type de véhicule est de 400 kilomètres et elle peut être sans problème de 1 000 kilomètres si le véhicule est bi-carburant. Ensuite, cette technologie a de réelles qualités au plan environnemental : 25 % d’émissions de CO2 de moins que l’essence, 80 % de moins d’oxyde d’azote que le diesel, 95 % d’émissions de particules en moins, pas d’odeur par rapport au diesel et des moteurs deux fois moins bruyants que ceux que nous connaissons actuellement.

À cela s’ajoute un avantage économique. Actuellement, les constructeurs automobiles sont confrontés à un problème puisque, pour rendre leurs véhicules diesel compatibles avec les futures normes Euro 6, ils doivent encore rajouter des pots catalytiques et des équipements qui vont venir renchérir le coût des véhicules, au point qu’ils se demandent s’ils ne vont pas revenir à l’essence. Avec le gaz naturel, on n’a pas besoin de tout cela. Les véhicules sont donc moins chers et le prix des carburants est également moins cher de 20 % environ hors taxe. Enfin, le gaz naturel sera progressivement remplacé, en partie au moins, par du gaz renouvelable.

Nous sommes donc vraiment convaincus que le gaz est une vraie chance pour la transition énergétique et pour la mobilité propre.

Il faudrait que le texte de loi reconnaisse que les véhicules roulant au gaz naturel et au biométhane sont des véhicules propres. Pour avoir été directeur de la prévention des pollutions et des risques au ministère de l’écologie, je peux vous dire que la question de santé publique soulevée par la pollution liée aux particules est un vrai problème et qu’il faudra y faire face un jour ou l’autre. De ce point de vue, le projet de loi est une chance historique.

Cette loi est aussi l’occasion d’initier une vraie réflexion sur un réseau d’avitaillement pour servir les véhicules à gaz. D'ailleurs, certaines collectivités locales sont en train de s’équiper de stations pour leurs flottes captives, les bennes à ordures, les bus, souvent à partir de biométhane qui est produit localement. Ce type d’installation doit être progressivement accessible au grand public, comme c’est le cas en Allemagne et en Italie notamment. Cela reviendrait à anticiper une directive européenne qui sera publiée à l’automne au Journal officiel de l’Union européenne et qui appelle chaque pays à établir un plan pour la distribution des carburants alternatifs parmi lesquels le GNC.

En résumé, il y a ceux qui pensent qu’il faut se débarrasser au plus vite du gaz naturel, ceux qui ayant bien vu ses qualités, considèrent que c’est une énergie de transition. Pour ma part, j’aimerais vous avoir convaincus que le gaz sous toutes ses formes – le gaz naturel et demain les gaz renouvelables – est une énergie de destination et une véritable opportunité pour la transition énergétique dans notre pays.

M. le président François Brottes. Votre propos est assez cohérent avec celui qu’a tenu ce matin M. Mestrallet.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Monsieur Maillard, je souhaite tout d’abord vous demander de commenter le bilan prévisionnel 2014 publié y a quelques jours par votre entreprise, qui fait apparaître une dégradation importante de la sécurité d’approvisionnement d’électricité pour les hivers prochains. Vous nous avez présenté les diverses mesures et paramètres qui doivent nuancer ce constat, je ne m’y attarderai donc pas.

M. le président Brottes a engagé le débat sur l’idée dont nous discutons depuis plusieurs jours de remplacer EDF par RTE comme acheteur obligé. Vous paraît-elle réaliste et surtout pertinente ?

En France, les stations de transfert d'énergie par pompage sont quasiment inexistantes alors qu’elles se développent dans de nombreux pays. L’une des causes de cette situation tient au tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), qui rend défavorable l’équilibre économique des STEP car il revient à faire payer deux fois la même énergie. Avez-vous réfléchi à un autre modèle qui nous permettrait d’avancer ?

Vous le savez, les industriels électro-intensifs sont confrontés au poids accru du coût de l’électricité, qui est leur matière première. Certains paient les coûts de transport alors même qu’ils sont installés au pied de centrales hydroélectriques. Dans d’autres pays, leurs homologues en sont exonérés, du moins en partie. Peut-on envisager un dispositif analogue en France ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. J’aimerais à mon tour avoir votre éclairage sur le bilan prévisionnel que vient de publier RTE, monsieur Maillard. Le constat préoccupant qu’il dresse est révélateur d’une singularité française : la forte sensibilité climatique de notre consommation d’électricité. Certains peuvent en tirer la conclusion qu’il importe d’augmenter toujours plus les capacités de production pour répondre à la pointe hivernale. Ne devrait-on pas plutôt considérer que cette spécificité appelle une politique ambitieuse et coordonnée ? J’aimerais avoir votre analyse sur ce point.

Cela m’amène à une autre question. Le projet de loi prévoit l’installation de 7 millions de bornes électriques. Qu’en penser alors qu’il y a des risques de ne pouvoir supporter la pointe ? Y a-t-il eu des études sur l’impact de leur installation ? J’espère que tel est le cas, compte tenu de l’ampleur du dispositif.

S’agissant des prévisions de consommation, le scénario médian me paraît peu compatible avec une réduction, à l’horizon 2025, de la part du nucléaire à 50 % sans fermeture de réacteur. Cela supposerait, en appliquant grossièrement une règle de trois, une augmentation de 50 % de la consommation électrique en dix ans.

L’article 51 du projet de loi, que vous n’avez pas évoqué, prévoit la création d’un registre des installations de production et de stockage. Comment envisagez-vous son fonctionnement ? Vous y avez sans doute déjà réfléchi car cette disposition est certainement le fruit d’échanges entre RTE et la direction générale de l’énergie et du climat.

Pour ce qui est du gaz, monsieur Trouvé, je dois tout d’abord me réjouir que vous ayez déclaré haut et fort que sa troisième révolution passe par le gaz renouvelable et non, comme certains voudraient le faire croire, par le gaz de schiste. Il est important que les professionnels du gaz en France prennent cette position. Par ailleurs, je partage votre point de vue selon lequel il serait bon que la programmation pluriannuelle distingue les niveaux de contribution à l’effet de serre des différentes énergies fossiles.

Dans le cadre de la directive européenne sur les carburants alternatifs, j’aimerais avoir des précisions sur l’avitaillement. Il y a quelques mois, il m’avait été répondu que le coût de l’installation de postes dédiés aux véhicules au gaz dans les stations-service s’élèverait à 1 milliard d’euros. Certes, il n’est pas négligeable mais il ne paraît pas non plus disproportionné par rapport au coût d’installation des 7 millions de bornes électriques. Confirmez-vous cet ordre de grandeur ?

Il a été envisagé, vous le savez, de remplacer les véhicules utilitaires légers employés par les artisans, qui fonctionnement aujourd’hui très majoritairement au diesel, par des véhicules utilisant le GNV. Que pensez-vous de la possibilité d’utiliser des petits compresseurs qui, pour quelques centaine d’euros, permettraient aux artisans de se raccorder au réseau de gaz pour faire le plein sans avoir à passer par des stations-service ? Doit-on encourager cet équipement ? La question a son importance, compte tenu du problème de santé publique que pose le diesel.

M. Julien Aubert. Ma première question porte sur l’adaptation du réseau électrique. L’Union française de l’électricité a estimé que pour compenser la fermeture d’une vingtaine de centrales nucléaires, il faudrait 105 gigawatts d’origine éolienne et photovoltaïque à l’horizon 2025. Cela paraît peu réaliste à une échéance aussi proche mais partons du principe qu’à un horizon plus lointain, la chose est possible. Pensez-vous, monsieur Maillard, vous qui semblez serein sur les capacités d’adaptation du réseau, que cela aurait un impact sur votre programmation ? Ce chiffre n’est-il pas surévalué ?

Ma deuxième question s’adresse à M. Trouvé, après son argumentaire éloquent sur la place que doit occuper le gaz. Nous pensons à l’UMP que le gaz comme le nucléaire sont des énergies oranges de transition énergétique. Et nous estimons que l’exploitation du pétrole de schiste, dans un premier temps, du gaz de schiste, dans un second temps, pourraient servir au financement des énergies vertes. Quel impact cela aurait-il sur le transport du gaz ? Est-ce une possibilité que vous envisagez ?

M. le président François Brottes. Je vais à mon tour poser quelques questions.

Le GNL modifie-t-il la donne pour un transporteur de gaz ? Implique-t-il d’installer dans les ports des dispositifs particuliers ? Sa part prendra-t-il de l’ampleur ? La capacité de certains gazoducs étant limitée pour tenir compte de facteurs géopolitiques, le GNL pourrait constituer une solution intéressante. Je ne sais d’ailleurs plus si GRTgaz gère les capacités de stockage.

M. Thierry Trouvé. Les terminaux ne sont pas compris dans notre champ d’action.

M. le président François Brottes. Venons-en, monsieur Maillard, aux capacités. À l’occasion de la loi NOME, j’avais fait part de mes doutes sur le marché de capacité car il m’apparaissait comme un marché spéculatif, où l’on faisait payer très cher aux consommateurs des dispositions qui n’étaient pas forcément utiles. Aujourd’hui, il y a bien un problème : vous nous dites qu’il y a un manque de capacités alors même que GDF Suez ferme ses centrales thermiques. Ce problème renvoie au modèle économique de la capacité. Ne faudrait-il pas réfléchir à une alternative ? Pourrait-on envisager, par exemple, de rémunérer les centrales thermiques pour l’utilisation de leur ruban énergétique en modulant les tarifs selon qu’on y a effectivement recours ou pas ? Cela semble préférable à la solution aujourd’hui en vigueur qui consiste à ne les rémunérer que lorsque l’on appelle cette énergie, car cela ne suffit visiblement pas à les maintenir en activité, ce qui pose un problème non pas à l’opérateur qui les ferme mais au réseau dans son ensemble.

S’agissant du TURPE, il importe de prendre en compte l’incidence de l’extension de l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies, dont il est beaucoup question. Si la part de la contribution dans la tarification diminue, le TURPE aura une position de leader. Quel est votre avis sur cette évolution même si elle ne vous concerne pas directement ?

S’agissant de l’auto-consommation, un consensus se dégage de nos échanges : tout auto-consommateur auto-producteur doit rémunérer le réseau de transport et de distribution, dès lors qu’il veut y être raccordé et que cela lui offre une sécurité de ravitaillement à tout moment. Doit-on considérer qu’il a à s’acquitter du TURPE à la hauteur de son auto-consommation ou envisager d’autres solutions comme l’abonnement ? Quelle est votre position ?

Quant au stockage d’hydrogène décarboné, s’il a un potentiel significatif, nous regrettons qu’il n’y ait toujours pas de modèle économique à même de le valoriser.

Je terminerai par l’effacement, question qui m’est d’autant plus chère que j’estime qu’elle est mal traitée. Aujourd’hui, on considère que l’effacement doit donner lui à une double rémunération : pour celui qui efface la consommation et celui dont la consommation est effacée. En caricaturant un peu, cela revient à payer le double ce que l’on ne consomme pas. De plus, le système actuel ne permet pas de faire la distinction entre les types d’effacement, qui sont de trois sortes. Le premier, le plus vertueux, consiste à effacer parce que l’on consomme trop. Le deuxième consiste à reporter sa consommation, par exemple en utilisant sa machine à laver aux heures creuses. Le troisième, le moins vertueux, consiste à se déconnecter du réseau tout en laissant tourner son groupe électrogène. Quel est votre sentiment ?

M. Dominique Maillard. Le remplacement d’EDF par RTE comme acheteur obligé, madame Battistel, me paraît une fausse bonne idée. Un tel système marche d’ailleurs mal en Allemagne.

On peut certes envisager que l’obligation d’achat soit élargie à d’autres fournisseurs mais, selon moi, il est très important que le producteur soit l’acheteur. Pourquoi ? La production d’énergies renouvelables n’est pas imprévisible, contrairement à ce que certains prétendent. Un grand producteur comme EDF peut intégrer, à court terme, ces énergies renouvelables dans son plan de production au lendemain. Autrement dit, il est en mesure d’ajuster ses propres moyens de production à l’injection d’énergies renouvelables.

RTE ne peut avoir recours à l’achat d’énergies renouvelables pour compenser les pertes sur le réseau, qui représentent environ 12 térawattheures, du fait de la variabilité de la production. Il doit se couvrir à l’avance. Aujourd’hui, nous avons déjà acheté de quoi couvrir 80 % de nos pertes de l’année prochaine. Les énergies renouvelables que nous achetons ne sont donc utilisées que dans une faible proportion pour nos propres besoins, nous remettons le reste de la production sur le marché. Les distorsions qu’on observe aujourd’hui sur le marché de gros en Europe sont liées à ces déversements de kilowattheures issus pour une part à l’obligation d’achat. Cela conduit à une baisse des prix, bien mauvais signal pour les investisseurs qui, précisément, n’investissent plus.

Confier l’obligation d’achat à un opérateur qui n’est pas lui-même producteur, que cela soit RTE ou la Caisse des dépôts, représente un risque majeur pour le marché de l’électricité, du fait des distorsions sur le marché de gros et des prix négatifs que cela provoque.

S’agissant des STEP, nous ne partons pas de zéro en France, madame la rapporteure. Elles représentent environ 3 000 mégawatts. Mais vous avez raison, il existe un facteur limitatif dans leur développement car elles sont doublement imposées : elles acquittent un tarif d’injection et un tarif de soutirage. Nous avons proposé au régulateur à plusieurs reprises, mais sans être entendus, de supprimer l’un de ces deux tarifs. Pour vraiment les favoriser, il ne faudrait leur faire payer que le tarif d’injection, qui n’est d’ailleurs pas très élevé, puisqu’elles contribuent à la fourniture du réseau. Cela réduirait leur facture de transport de 90 %.

À propos des électro-intensifs, vous avez cité un cas particulier. Je dirai, si je puis me permettre m’adresser ainsi à des élus, qu’il faudra un jour que vous fassiez un choix entre la préservation de certains principes de péréquation et les conséquences de cette même péréquation. La péréquation veut que les grands clients industriels paient le raccordement au réseau, quelle que soit la distance qui les sépare d’un barrage. Si vous voulez exonérer ceux qui sont installés au pied des barrages, alors il faudra faire payer davantage ceux qui sont situés à cinquante kilomètres.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. C’est le cas en Allemagne.

M. Dominique Maillard. Si le projet de loi prévoit de réduire les coûts de transport pour les électro-intensifs, c’est pour une raison qui tient non pas à des considérations géographiques mais aux spécificités de leur consommation, qui est très stable et prévisible à la différence d’autres consommateurs pour lesquels il importe de moduler. De surcroît, la proximité avec un barrage ne protège pas l’industriel des aléas : si la production du barrage est arrêtée, il sera bien content de se voir fournir une électricité issue d’autres moyens de production.

M. Baupin a rappelé la singularité française en matière de thermosensibilité électrique. La France représente à elle seule la moitié de la sensibilité à la température de toute la plaque continentale du fait du développement particulièrement marqué du chauffage électrique. Dans d’autres pays, la prépondérance des chauffages au gaz assure une moindre dépendance à l’égard de l’électricité et permet plus facilement de faire face aux pointes grâce aux possibilités de stockage.

Pour ce qui concerne les bornes électriques, elles peuvent être la meilleure comme la pire des choses, la meilleure si ces bornes sont pilotées et qu’on résiste à la tentation de charges ou de recharges rapides – une recharge lente nécessite une puissance de 5 ou 6 KW quand une recharge rapide réclame 50 KW. Nous défendons donc le développement de réseaux électriques intelligents, les smart grids. Il faut effet piloter les recharges, y compris par des signaux tarifaires. Pour les déplacements entre le domicile et le travail, la voiture ne devra pas nécessairement être rechargée si les conditions du réseau ne le permettent pas. Le président Brottes craignait que nous n’incitions à la consommation ; en effet, lisser la courbe de charge peut consister à pousser à la consommation quand les KW sont disponibles et quand ils ne sont pas chers et a fortiori s’ils sont produits par des énergies renouvelables.

Les réseaux électriques intelligents donnent bien plus d’informations au consommateur. Aussi, les 7 millions d’euros de recharge prévus sont une bonne nouvelle si on associe cette somme à un développement des réseaux intelligents permettant d’éviter les recharges rapides et inopinées.

M. Denis Baupin, rapporteur. Disposez-vous d’une étude d’impact sur ce point ?

M. Dominique Maillard. Non, mais nous sommes associés aux travaux menés par le distributeur puisque ces bornes vont être raccordées au réseau de distribution.

Nous avons étudié quatre scénarios en termes d’équilibres « physiques », à savoir indépendamment de considérations financières car nous n’avons pas les moyens d’en évaluer le coût. Ces scénarios respectent tous l’objectif de plafonnement de la part d’énergie nucléaire, ce qui n’est pas le cas d’autres critères – et le projet de loi en prévoit beaucoup : sur les énergies renouvelables, les émissions de CO2… ; il faudra donc savoir, au-delà du fait que certains sont peut-être contradictoires entre eux, lesquels privilégier.

Par rapport au parc actuel, nous émettons l’hypothèse d’arrêts, qu’ils soient liés à l’obsolescence ou à des décisions politiques. Reste qu’aucun scénario ne prévoit une puissance installée supérieure à la puissance nucléaire actuelle, soit 63 GW.

M. Denis Baupin, rapporteur. Cela signifie-t-il que nous ne sommes pas capables d’obtenir une augmentation de la consommation telle qu’on puisse obtenir ce taux de 50 % avec une puissance installée de 63 GW ?

M. Dominique Maillard. Nous n’avons pas étudié de scénario de ce type.

M. Denis Baupin, rapporteur. On entend pourtant, parfois, le PDG d’EDF affirmer que ces deux objectifs seraient compatibles.

M. Dominique Maillard. Nous n’avons pas étudié de scénarios de ce type parce que la combinatoire est importante. Nous avons obtenu quatre scénarios et déjà certains nous reprochent de ne pas en avoir retenu qu’un seul. Or il convient de rester modestes et nous n’avons pu explorer tous les scénarios imaginables.

L’article 51 du texte prévoit la possibilité pour les pouvoirs publics d’accéder à des fichiers mis à jour sur les différentes capacités de stockage, qui seront un des outils permettant de vérifier l’adéquation de l’offre et de la demande. Cette obligation de déclaration, en effet, n’existe pas encore.

M. Denis Baupin, rapporteur. À partir de quel seuil cette obligation doit-elle valoir ?

M. Dominique Maillard. Le texte ne le fixe pas mais, a priori, toutes les capacités de stockage sont concernées. Dans certains cas il s’agira d’une agrégation et l’on ne demandera pas à M. Dupont s’il a des batteries dans sa cave. Il est bon, en tout cas, de disposer d’une évaluation de la capacité de stockage utilisable pour faire face aux fluctuations de la demande, aux pics de consommation et aux besoins de capacité. Il reviendra sûrement à un texte réglementaire de fixer le seuil que vous évoquez.

M. le président François Brottes. Ainsi que les sanctions pour ceux qui mentent.

M. Dominique Maillard. En effet.

M. Aubert a évoqué différents scénarios. En matière d’énergie on utilise souvent des unités commodes, le MW entre autres, mais il faut également prendre en compte des aspects qualitatifs : un MW d’un moyen de production commandable, qu’il s’agisse d’une centrale à gaz ou d’une centrale nucléaire, n’a pas la même productibilité qu’un MW d’origine hydraulique, qu’un MW d’origine éolienne ou encore qu’un MW d’origine solaire. En France, une éolienne produit pendant 25 % du temps ; un panneau solaire, pendant mille heures, à savoir environ 15 % du temps. Aussi, pour obtenir la même production qu’un cycle combiné à gaz de 1 000 MW, il faut 3 000 MW d’éolien et quasiment 10 000 MW de photovoltaïque. Ensuite, pour nous en tant que réseau, le facteur dimensionnant est le MW, à savoir la puissance maximale susceptible de passer dans le réseau, faute de quoi on écrête, ce qui pourrait pousser les producteurs à stocker sur place afin de limiter la puissance qu’ils évacuent.

Je me suis en effet montré serein, monsieur Aubert, quant à l’adaptation du réseau, du fait sans doute de mon tempérament optimiste. Certes, la transition énergétique a un impact sur le réseau et c’est un des facteurs majeurs de son développement et de celui des interconnexions. Nous avons évalué qu’avec les hypothèses moyennes et raisonnables de développement de la transition énergétique aujourd’hui en Europe, il nous faudrait, d’ici à 2030, tripler la capacité d’interconnexions pour fonctionner raisonnablement. Il ne suffira pas de constituer des autoroutes aux frontières, il faudra renforcer les réseaux amont et aval. On évalue à quelque 20 % de nos besoins d’investissements les conséquences de la prise en compte de la transition énergétique française et européenne dans les quinze années à venir.

En ce qui concerne le marché de capacité, faut-il changer de modèle ? Nous partageons tout à fait votre diagnostic, monsieur le président : c’est bien parce que le modèle Energy only, c’est-à-dire le modèle qui rémunère uniquement l’énergie, est insuffisant, qu’il faut créer un marché de capacité qui, lui, prendra en compte la rémunération de la puissance. Ensuite, le fonctionnement du marché de capacité, qui est un dispositif complexe même si le texte de loi est simple, ne consiste pas en une injection d’argent extérieur mais à pousser les fournisseurs à dépenser ce qu’il faut pour satisfaire les besoins de leurs clients au moment voulu. Cela revient à un surcroît de dépense mais d’une dépense saine puisqu’elle est destinée à garantir aux clients qu’ils disposeront bien de l’électricité dont ils auront besoin – quitte à consommer moins par le biais de l’effacement.

Le marché de capacité est le levier qui nous permet d’obliger les différents fournisseurs à tenir leurs engagements. Pourquoi prévoir une loi pour ce qui paraît aller de soi ? Dans un système très ouvert chacun peut avoir sa propre stratégie ou avoir tendance à trop compter sur les autres. La situation était beaucoup plus simple, en effet, quand il y avait un opérateur unique. C’est la complexité du système qui explique celle du mécanisme de capacité.

Les coûts, quant à eux, ne représentent que la valorisation de la sécurité d’alimentation du système. C’est l’équivalent d’une prime d’assurance : vous préférez la payer plutôt que d’avoir à faire face à un sinistre. Ici, le risque de défaillance n’est jamais certain. Les coûts que l’on fait porter sur les fournisseurs sont reportés par ces derniers soit sur leurs marges, soit sur leurs prix mais cela revient au même qu’une injonction à un grand producteur de maintenir en service telle centrale.

M. le président François Brottes. Pour filer la métaphore, vous n’êtes pas non plus obligés de prendre une assurance tous risques.

M. Dominique Maillard. L’exigence de nos concitoyens pour l’assurance tous risques est croissante.

Par ailleurs, je n’ai pas d’opinion définitive sur l’élargissement de l’assiette de la CSPE. Il vaut mieux ne pas créer trop de passerelles. Pour l’heure, la CSPE couvre le secteur électrique, ce qui me paraît cohérent.

Enfin, dernier sujet, un autoconsommateur va solliciter le réseau différemment, certes. Celui qui se déconnectera complètement du réseau ne devra plus payer, c’est entendu. Quant à celui qui voudra conserver le rattachement au réseau pour une raison de sécurité et, si je puis dire, pour la « respiration » du système, il pourra écouler sa surproduction sans avoir à développer ses capacités de stockage. Il peut donc y avoir une optimisation économique mais, vous avez raison, pour tenir compte de la sollicitation différente, il faut prévoir un ajustement du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), transport et distribution.

M. Thierry Trouvé. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, le chiffre de un milliard d’euros pour un réseau de stations susceptibles de distribuer du gaz naturel aux véhicules. Je ne dispose pas de données plus précises que vous. Nous sommes en train d’y travailler avec des distributeurs de carburant – il faut savoir où implanter les stations – et avec des fournisseurs de matériels pour affiner l’estimation des coûts de ces équipements. Contrairement à d’autres modes de propulsion automobile nouveaux, l’utilisation du gaz par les véhicules ne nécessite pas de subventions ; aussi le développement en la matière pourrait-il s’autofinancer. Le problème est de savoir comment obtenir en même temps les véhicules, le réseau de stations et l’envie des consommateurs de prendre cette direction. Ce dont nous avons besoin, avec ce projet de loi, c’est d’un cap, de l’expression d’une volonté et de la définition d’éléments sur ce que pourrait être ce réseau.

Les compresseurs utilisés par les artisans, qui coûtent plusieurs milliers d’euros, peuvent constituer une solution. L’expérimentation visant à équiper les particuliers de ce type de dispositifs a néanmoins conduit à un échec dans la mesure où, du fait notamment des nuisances sonores qu’elles provoquent, il est compliqué d’installer des machines tournantes à domicile. On peut certes imaginer ce système pour un artisan mais probablement pas pour le grand public pour lequel il faudra passer par un réseau de stations publiques, ou par un réseau de pompes installées dans les stations existantes.

En ce qui concerne l’impact éventuel de l’exploitation des gaz de schiste sur les réseaux de transport, la tendance que nous percevons est celle d’un développement de la production indigène. Il n’y a quasiment plus de gaz en France. J’ai évoqué le développement du biométhane et du power to gas. L’exploitation par la France, ou par les pays voisins, du gaz de schiste aura forcément une conséquence sur les flux. La production locale s’en trouvera accrue et le réseau de transport modifié. Reste que GRT Gaz passe son temps à traiter ce genre de situations : auparavant, le réseau devait gérer l’arrivée d’un fort flux de gaz naturel liquide (GNL), alors qu’aujourd’hui presque plus de GNL n’arrive en France. Nous nous adaptons donc en permanence. Et s’il apparaît que l’exploitation des gaz de schiste, techniquement possible, ne serait pas neutre, nous n’avons toutefois pas étudié cette hypothèse dans le détail : cela nous paraît prématuré puisqu’il est interdit d’explorer les éventuels gisements de gaz de schiste et donc impossible de savoir où ils se trouveraient.

Le président de la commission m’a interrogé sur le fait de savoir si le GNL change la donne. La capacité de la France d’importation de GNL est de l’ordre de 23 milliards de mètres cubes. L’année prochaine, quand EDF mettra en service le terminal de Dunkerque, nous passerons à 36 milliards de mètres cubes pour une consommation totale de gaz de 45 milliards de mètres cubes. En outre, 15 % du gaz consommé en France est d’origine russe. Reste que peu de GNL arrive en Europe pour des raisons de marché : les prix de l’énergie et du gaz en particulier sont suffisamment élevés en Asie pour attirer là-bas les flux de GNL et les détourner de l’Europe. Or, pour faire acheminer davantage de GNL en Europe à des conditions de marché identiques, il faudrait s’aligner sur les prix de l’Asie. Techniquement, pour ce qui est des infrastructures, il n’y a pas de difficultés particulières. Somme toute, la France reste peu exposée au risque de coupures.

Je ne résiste pas à l’envie de dire un mot de l’élargissement de l’assiette de la CSPE. Que chaque énergie paie pour ses tarifs sociaux, pour ses énergies renouvelables, me paraît d’une grande logique et parfaitement légitime. Que le gaz paie pour l’électricité me semblerait plus discutable. La CSPE est de 21 euros par MWh ; or si l’on en élargit l’assiette et qu’on divise ce montant par deux – le gaz et l’électricité représentant une consommation d’énergie équivalente –, il faudrait ajouter plus de 10 euros aux 19 euros que coûtait le gaz sur les marchés de gros au mois de juillet dernier. La donne n’en serait par conséquent pas changée qu’à la marge et un tel élargissement constituerait une catastrophe pour les industriels gazo-intensifs. Il faut en outre songer au signal ainsi envoyé : on ferait baisser le prix du chauffage électrique et augmenter le prix du chauffage au gaz, adoptant un scénario à l’Allemande suivant lequel on laisse le charbon se développer au détriment du gaz avec les conséquences qu’on sait en matière d’émissions de dioxyde de carbone.

M. le président François Brottes. Et sur le fioul, avez-vous un avis ?

M. Thierry Trouvé. S’il s’agit de payer pour le développement des énergies renouvelables et que la contribution de l’électricité ne suffit pas, la question relève de la fiscalité. Ne perdons pas de vue que le gaz permet de stocker de grandes quantités d’énergie et donc de répondre à des problèmes que l’électricité a du mal à résoudre.

Enfin, monsieur le président, vous avez raison de relever que nous n’avons pas encore trouvé le modèle économique du Power to gas. Nous avons l’ambition nous-mêmes de monter un consortium d’industriels afin de développer un démonstrateur ; nous sommes en pourparlers avec RTE puisque nous sommes sur un pont entre les systèmes électrique et gazier. Un tel démonstrateur permettrait de tester les technologies et d’explorer le business model, de manière que nous soyons capables, le moment venu, de proposer cette solution pour le système énergétique français.

M. le président François Brottes. Le modèle Power to gas implique l’électricité et le gaz ; les frontières ne sont donc pas étanches autant qu’on pouvait l’imaginer. Pour ce qui est de la CSPE, devons-nous tenir compte des usages ou bien des modes de production qui les permettent ? Il n’est pas facile de trancher.

Votre audition est terminée, je vous remercie.

19. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF ; de Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF ; de Mme Denise Saint-Pé, seconde vice-présidente déléguée de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ; de M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics des organismes constitués par les collectivités locales ou avec leur participation (ANROC) ; et de M. Sylvain Waserman, directeur général de Réseau Gaz Distribution Services (GDS) et vice-président du syndicat professionnel des entreprises gazières non nationalisées (SPEGNN)

(Séance du jeudi 18 septembre 2014)

M. Jean-Yves Caullet, président. Je saurai gré aux intervenants, qu’il s’agisse des participants à la table ronde ou des députés, de faire preuve de la plus grande concision possible.

Mme Denise Saint-Pé, seconde vice-présidente déléguée de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Sur les territoires, la distribution d’électricité, de gaz ou de chaleur constitue le dernier et le plus proche maillon de la chaîne énergétique. Il s’agit de l’activité qui conditionne directement l’approvisionnement de ces territoires en énergie, tant du point de vue quantitatif que qualitatif – activité qui se trouve en interface immédiate avec le consommateur raccordé au réseau. La FNCCR, qui représente notamment les autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE), considère que cette activité devrait se voir reconnaître un statut et des missions spécifiques dans le cadre de la transition énergétique à laquelle elle peut et doit concourir très directement.

En même temps, il ne faut pas perdre de vue que la distribution d’énergie est un élément important voire déterminant de l’équilibre territorial. Les réseaux mettent en relation les zones denses et les zones peu denses, les zones excédentaires en énergie et les zones déficitaires : ils seront un élément essentiel des territoires à énergie positive.

Il nous semble donc fondamental de préserver un équilibre entre, d’une part, le rôle des réseaux de distribution d’énergie pour l’aménagement du territoire et, d’autre part, leur contribution à la transition énergétique.

Dans cette perspective, je m’arrêterai plus particulièrement sur trois points qui nous semblent essentiels : d’abord, les AODE doivent avoir la possibilité de concourir efficacement à l’adaptation des réseaux à la transition énergétique ; ensuite, la coordination des trois réseaux – électricité, gaz, chaleur ou froid – doit être mise en place ; enfin, les AODE doivent être mieux associées à la gouvernance des opérateurs dès lors que ceux-ci se voient reconnaître le bénéfice de droits exclusifs conformément à la directive européenne sur les concessions de services du 26 février 2014.

Le premier point implique de prévoir l’association ou, pour le moins, la consultation des AODE dans le cadre de certaines procédures prévues par le projet de loi. Par exemple, l’expérimentation de « services de flexibilité locaux », prévus par l’article 58, qui impliquera les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité (GRD), devra également associer, au moins à titre consultatif, les autorités concédantes de ces gestionnaires de réseaux.

Autre exemple : en matière de maîtrise de la demande d’énergie, si l’article 54 prévoit le principe selon lequel le « GRD met en œuvre des actions d’efficacité énergétique et favorise l’insertion des énergies renouvelables sur le réseau », il serait nécessaire de préciser que ces actions doivent être organisées dans le cadre des concessions et de leur cahier des charges, de façon à permettre à l’AODE de veiller à une bonne adaptation de ces initiatives aux caractéristiques et aux besoins de son territoire et, par cohérence, de soumettre aussi sa propre activité de maîtrise d’ouvrage à des objectifs d’efficacité énergétique et de bonne insertion des énergies renouvelables sur le réseau.

Enfin, les AODE devraient être systématiquement consultées par les collectivités ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) chargés de l’élaboration des plans climat-énergie territoriaux (PCET), au moment de l’élaboration de ces plans, dans le souci d’une bonne coordination entre les hypothèses retenues par les plans et chartes d’engagement plan climat air énergie territoriaux (PCAET) en matière de production et de consommation d’énergie, et les programmes de développement des réseaux dont les AODE ont la responsabilité.

Ce même souci de coordination doit d’ailleurs se décliner entre les trois réseaux eux-mêmes, et c’est mon deuxième point.

Nous avons fait ces dernières années des progrès significatifs en matière de programmation des investissements sur les réseaux de distribution d’électricité ou de gaz grâce aux conférences départementales instituées par la loi de décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), en étant conscients que pour le gaz il convenait de redonner une impulsion pour guider les acteurs locaux à l’instar de ce que l’on a fait en concertation avec ERDF. Actuellement, nous continuons de travailler ce sujet avec GRDF.

Toutefois, ces conférences, qui ne concernent pas actuellement la chaleur, n’appréhendent pas la façon dont le développement des différents réseaux doit être mis en cohérence. Il s’agit pourtant d’une nécessité si l’on veut, d’une part, rationaliser l’utilisation des ressources énergétiques locales, en orientant l’alimentation énergétique d’un territoire vers la minimisation des émissions de gaz à effet de serre ; et si l’on veut, d’autre part, mieux orienter la dépense publique lorsqu’elle est affectée au développement de ces réseaux.

C’est la raison pour laquelle nous proposons la possibilité, pour les collectivités et les AODE qui le souhaitent, de créer des pôles territoriaux énergétiques, sous forme de syndicats mixtes ayant vocation à élaborer – à la demande des territoires – des schémas de coordination des trois réseaux et à organiser la coopération entre les territoires excédentaires en énergie et les territoires déficitaires, dans une logique globale de territoires à énergie positive.

Troisième et dernier point, le débat national sur la transition énergétique, qui s’est tenu l’année dernière, a fait émerger l’idée que cette transition va requérir de la part des collectivités locales, la mise en place de politiques locales, qui nécessiteront que ces collectivités maîtrisent au mieux les différents outils de ces politiques.

Dans cette perspective, la FNCCR estime qu’il est nécessaire de donner aux AODE les moyens de mieux assurer leur fonction de régulateurs locaux de la distribution d’énergie, en leur attribuant des moyens de travail en commun plus directs et plus efficaces avec les GRD – avec lesquels nous travaillons de façon tout à fait positive –, tout en garantissant le maintien de la solidarité territoriale, qui s’incarne par la péréquation et par les droits exclusifs dont bénéficient ERDF et GrDF.

Nous regrettons à cet égard qu’à son article 38, le projet de loi supprime la possibilité, pour les AODE, de percevoir du GRD des pénalités en cas de mauvaise qualité de l’électricité distribuée. Nous demandons le maintien de cette possibilité, qui ne fait pas obstacle à ce que la commission de régulation de l’énergie (CRE) opère sa propre régulation incitative.

La FNCCR souhaite également que les AODE soient davantage intégrées à la gouvernance d’ERDF. Les modalités de cette association peuvent être diverses : entrée d’élus au conseil de surveillance, création d’instances de suivi des investissements… Nous sommes ouverts au dialogue sur ces diverses hypothèses. L’essentiel pour la FNCCR est que soient respectés quelques principes : l’association des élus à la gouvernance d’ERDF devra être réelle et les représentants qui pourraient y siéger devront vraiment disposer d’un pouvoir délibératif et non pas seulement consultatif. La logique de la concession devra être soigneusement préservée, ce qui implique que les attributions des AODE en termes de contrôle soient respectées et que la propriété des réseaux publics de distribution d’énergie électrique, qui leur est reconnue par la loi, ne soit en aucun cas remise en cause. Sous ces réserves, il nous semble possible et même souhaitable de profiter de ce projet de loi pour progresser de manière significative.

Pour conclure, les collectivités et groupements de collectivités représentés par la FNCCR considèrent que le meilleur facteur de réussite de la transition énergétique sera le réalisme avec lequel elle sera mise en cohérence avec les contraintes économiques, financières et sociales fortes auxquelles nous sommes tous confrontés. Nous sommes convaincus que l’efficacité et la solidarité ne se contredisent pas, mais qu’elles sont au contraire en synergie ; et nous formons le vœu que la représentation nationale le prenne pleinement en compte au moment de faire des choix décisifs pour notre avenir.

M. Philippe Monloubou, président du directoire de ERDF. Le fait que les représentants des réseaux de distribution terminent ce cycle d’auditions n’est probablement pas un hasard et traduit la place que les réseaux de distribution vont prendre dans la mise en œuvre de la transition énergétique. La contribution du réseau est en effet essentielle à la réalisation des objectifs fixés par le projet de loi : « favoriser les énergies renouvelables pour diversifier nos énergies », poursuivre une « stratégie nationale bas carbone ». Certains n’ignorent d’ailleurs pas que 95 % des énergies renouvelables sont raccordées aux réseaux de distribution, pour environ 13 000 MW, à savoir l’équivalent de dix tranches nucléaires.

Le projet de loi vise également à maîtriser la demande d’énergie et à favoriser l’efficacité énergétique. Il ne vous aura pas échappé que le compteur communicant issu du projet Linky sera un des outils majeurs de cette politique en ce qu’il permettra à chaque client d’être responsable de son environnement énergétique personnel. La ministre de l’écologie, le 4 septembre dernier, a défni les rôles de chaque acteur : « Les consommateurs auront accès à de nouveaux services sur le portail d’ERDF : suivre sa consommation au jour le jour, disposer d’alertes en cas de consommations anormales, se comparer avec des situations proches [avec des] fournisseurs [qui] auront l’obligation de convertir en euros les données de consommation. »

La troisième grande ambition du texte est de développer les transports propres : il reste 7 millions de points de charge à raccorder au réseau, ce qui nécessite anticipation et planification pour en maîtriser l’implantation. Ce n’est pas seulement déterminant du point de vue du développement lui-même du véhicule mais du point de vue de la capacité à maîtriser les enjeux de qualité, de performance et les enjeux de régulation énergétique associés. ERDF prendra toute sa place et on mesure qu’une telle ambition nécessitera une concertation étroite avec l’ensemble des acteurs et des collectivités.

Faciliter la transition énergétique dans les territoires rend la chaîne du système électrique de plus en plus complexe avec l’implication d’acteurs sans cesse plus nombreux, avec l’apparition de nouveaux enjeux techniques – intermittence, besoins qualitatifs –, et de nouvelles attentes de la part des clients. Ces nouveaux modes de production, intermittents et disséminés sur l’ensemble du territoire, ouvrent un champ nouveau à la circulation de l’énergie dans des flux bidirectionnels – alors qu’ils étaient historiquement mono-directionnels –, et ouvrent par conséquent la voie à des démarches plus flexibles, des perspectives d’autoconsommation. Dans cette chaîne, le maillon formé par le réseau a vocation à mieux maîtriser, observer, comprendre les flux d’énergie et à permettre le pilotage le plus anticipé possible, le plus fin, le plus précis des quelque 1,3 million de kilomètres de réseau.

C’est donc une vraie révolution technologique des réseaux de distribution qui est d’ores et déjà engagée. Sans réseau résilient, sans réseau intelligent, la transition énergétique ne produira pas son optimum technique et économique. ERDF renforcera donc son expertise en matière de conduite, de gestion du système électrique pour construire le réseau intelligent de demain. Ce que les Anglo-saxons nomment smart grid, bien plus qu’un concept, est déjà une réalité à ERDF avec le déploiement des compteurs Linky mais également avec la présence de dix-huit démonstrateurs sur l’ensemble du territoire, permettant d’anticiper, d’appréhender toutes les composantes de l’intégration d’énergies intermittentes. On évoque beaucoup le numérique ; or ERDF s’est engagé dans cette voie avec le compteur Linky, avec son système de conduite des réseaux moyenne tension.

Le modèle de distribution que vous connaissez présente de nombreux atouts qui vont nous permettre de franchir les prochaines étapes. Ce modèle est fondé, en particulier, sur la solidarité entre les territoires tout en revêtant une dimension nationale nécessaire pour réaliser le volume des investissements attendus, maîtriser les grands équilibres, définir les éléments de planification déterminants ; il s’appuie aussi sur la proximité avec les territoires.

Parmi les pistes que je suggérerais, il conviendrait de donner au distributeur assez de visibilité pour investir dans la durée. Le texte consacre un article à cette question essentielle. Dans les dix années à venir, ERDF investira environ 40 milliards d’euros dans les réseaux. Nous attendons donc du projet de loi qu’il permette de créer toutes les conditions, en matière de tarification en particulier, pour que le distributeur puisse investir durablement avec toute la visibilité nécessaire.

Il faut ensuite définir de nouvelles formes de dialogue avec les collectivités. Les investissements massifs nécessités par le déploiement des compteurs communicants, celui des bornes de recharge, par l’amélioration de l’efficacité des réseaux, la prise en compte des nouveaux territoires – métropoles émergentes, intercommunalités, grandes régions de demain – rendent indispensable le renforcement des espaces de dialogue avec les collectivités. Je souscris en tout cas à la volonté de les associer plus étroitement à la gouvernance de la distribution.

J’en viens au droit à l’expérimentation qu’il ne viendra à l’idée de personne de contester. Il convient de veiller à ce qu’il s’articule bien à l’optimisation nationale de la distribution d’électricité. Les évaluations de ces expérimentations devront être suffisamment précises pour qu’on puisse éventuellement procéder à une généralisation. Nous devons pouvoir nous appuyer en particulier sur les démonstrateurs précédemment évoqués, de manière à capitaliser sur les acquis déjà obtenus.

Accompagner les collectivités en leur fournissant des données de consommation sera un facteur déterminant de l’efficacité énergétique. Avec les évolutions numériques, les nouvelles technologies de l’information, les capteurs sur les réseaux que seront demain les 35 millions de compteurs communicants, nous serons en mesure de mettre des données à disposition dans des conditions de précision, d’efficacité, de temps, sans commune mesure avec ce que l’on connaît aujourd’hui. Je suis convaincu que la transition énergétique est à ce prix. Il est évident qu’ERDF jouera un rôle déterminant dans la gestion de ces données.

Enfin, vont se créer de nouveaux mécanismes de marché. Le distributeur a une place cruciale dans ces dispositifs, en complément évident des gestionnaires des réseaux de transport.

En conclusion, la transition énergétique est une incitation formidable pour le distributeur à préparer les réseaux qui porteront les enjeux de demain. Je suis convaincu que cette évolution doit se faire dans une relation renouvelée avec les territoires, tout en confortant le modèle de service public de la distribution, lequel a fait ses preuves. Je sais que le président de votre commission partage le souci de renforcer la place des territoires dans ce dialogue et je reste ouvert à ce débat.

M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics des organismes constitués par les collectivités locales ou avec leur participation (ANROC). Je m’exprimerai au nom de l’ensemble des organisations représentatives des entreprises locales de distribution (ELD) : l’ANROC, Entreprise locales d’énergie (ELE), l’Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG) et la Fédération nationale des sociétés coopératives agricoles. J’articulerai mon propos en trois temps : je ferai tout d’abord un bref rappel des caractéristiques des ELD ; j’évoquerai ensuite l’appréciation d’ordre général qu’elles peuvent porter sur la transition énergétique à travers le projet de loi ; et je terminerai par quelques dispositions spécifiques du texte sur lesquelles nous souhaitons plus particulièrement appeler votre attention.

Les 150 ELD qui se trouvent en France comptent de 100 à plus de 400 000 clients, couvrent environ 5 % de la consommation nationale, servent 1,8 million d’utilisateurs et 3,8 millions d’habitants répartis dans 2 800 communes et emploient un peu plus de 5 000 salariés. La diversité de ces entreprises s’exprime par la diversité de leur taille mais aussi à travers leur statut – régies, sociétés d’économie mixte (SEM), coopératives agricoles d’électricité, voire sociétés anonymes (SA). Outre la gestion du réseau sur leur zone de desserte, les ELD assurent, toujours sur leur zone de desserte exclusive, la mission de service public de fourniture d’électricité ou de gaz aux tarifs réglementés de vente, ce qui justifiera que mon propos dépasse le seul sujet des réseaux de distribution. De fait, les ELD se diversifient, certaines dans le déploiement de la fibre optique, d’autres dans les services énergétiques et d’autres encore dans la distribution d’énergie pour véhicules propres. Elles sont également de plus en plus actives dans la production d’énergie renouvelable et les réseaux de chaleur.

Les ELD s’inscrivent pleinement dans le système électrique et l’organisation actuelle de la distribution. Elles sont attachées aux missions de service public qui leur sont confiées. Et, dans le contexte de la transition énergétique, elles peuvent apporter une part d’innovation et de créativité dans les territoires où elles sont implantées.

Leur taille et leurs spécificités peuvent également être un facteur de fragilité dans un environnement économique qui prend des dimensions continentales, voire mondiales. C’est pourquoi les ELD sont toujours attentives à suivre les évolutions législatives – nombreuses au cours de ces dernières années –, et à s’y adapter ; d’où leur satisfaction s’agissant de dispositions spécifiques les concernant plus directement, telles que prévues par le présent texte. C’est le cas du recours au tarif de cession leur permettant d’assurer la fourniture du contrat transitoire de six mois prévu dans le cadre de la fin des tarifs réglementés de vente d’électricité aux professionnels à compter du 1er janvier 2016. C’est aussi le cas de la disposition facilitant le respect des obligations de capacité par un fournisseur aux tarifs réglementés de vente.

Les ELD adhérent aux principes de ce projet de loi. Elles ont participé au débat national et territorial sur la transition énergétique. Vivant sur le terrain, elles constatent au quotidien les mutations irréversibles auxquelles, à plus ou moins long terme, notre société est vouée au regard des enjeux climatiques.

Elles partagent donc l’objectif consistant à faire de l’efficacité énergétique, qui est un des piliers du texte, un relais de croissance, celui consistant à améliorer la compétitivité des entreprises en lien avec le rôle fondamental de l’énergie comme facteur discriminant dans la concurrence mondiale, celui visant à alléger la facture énergétique, ou plutôt à fournir de l’énergie à un juste prix.

À cet égard, les efforts de planification autour de la « stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone et les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie » découlent d’une approche pertinente dont l’objectif primordial doit être la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les ELD émettent toutefois une réserve sur la différence de traitement des énergies. Il est ainsi anormal que la programmation pluriannuelle des investissements n’intègre pas le pétrole. Le projet de loi est en effet insuffisamment tourné sur les efforts nécessaires pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

Autre point de satisfaction : la prise en compte par le texte des dynamiques territoriales. Le développement des énergies renouvelables, l’évolution des usages, et l’implication des collectivités locales, des élus, participeront à la réussite de cette transition qui s’appuiera fortement sur les territoires.

Les ELD considèrent que les réseaux sont au cœur de la transition énergétique. J’en donnerai trois exemples :

D’abord, en ce qui concerne l’ambition affichée en termes d’électromobilité, on note non seulement des enjeux en termes d’énergie, mais également en termes d’aménagement du territoire – il est important que les gestionnaires de réseau soient associés au déploiement des bornes de recharges, disposition qui ne figure pas dans le texte. Il convient de faire attention, toutefois, à ne pas assimiler le déploiement des bornes au développement du véhicule électrique : s’il doit y avoir un amorçage pour le développement des véhicules électriques, il faudrait axer l’effort sur les flottes captives.

Ensuite, pour ce qui est du déploiement des énergies renouvelables, il convient de conforter les investissements à réaliser par les gestionnaires de réseaux à travers la construction tarifaire. Les ELD saluent les dispositions prévues en ce sens par le texte avec la sécurisation juridique du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).

Le dernier exemple concerne les territoires à énergie positive – élément phare du texte. Cette notion, comme celle d’ailleurs d’économie circulaire en matière d’énergie ou d’autoproduction ou d’autoconsommation mérite à nos yeux d’être précisée et surtout distinguée de l’autonomie énergétique des territoires. Au-delà du nombre envisagé de deux cents territoires à énergie positive, il reviendra aux réseaux d’assurer, entre eux, la solidarité indispensable à la sûreté du système électrique.

J’en viens à certaines dispositions nous concernant plus particulièrement, en élargissant notre analyse au-delà des réseaux.

D’importantes modifications ont été apportées au dispositif de l’obligation d’achat : les ELD défendent leurs prérogatives en termes de missions de service public ; elles doivent être parties prenantes, sur leur zone de desserte, de la mutation engagée vers la commercialisation sur le marché des productions d’électricité à base d’énergies renouvelables.

Pour ce qui concerne les modalités d’organisation des appels d’offres, il nous semble utile de mieux prendre en compte les territoires. Pour permettre un développement cohérent des ENR sur les territoires, il faudrait intégrer des objectifs régionaux s’inscrivant dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements.

Autre élément important : l’opportunité est donnée aux collectivités de participer au développement de la production sur leur territoire. Afin d’améliorer cette disposition dans le sens souhaité, nous pensons qu’il y aurait un intérêt à prévoir une participation indirecte par l’intermédiaire d’un EPIC.

Enfin, pour ce qui est de la transition énergétique dans les territoires, le projet de loi conforte l’échelon régional comme chef de file sur l’efficacité énergétique et il renforce le rôle des plans climat-énergie. Les ELD saluent en outre les efforts pour développer le service public de la chaleur, les réseaux de chaleur devant constituer un bon levier pour la transition énergétique dans les territoires. Le développement d’un cadre conventionnel de boucle locale doit être apprécié au regard de l’optimisation du système électrique et des coûts comparés aux bénéfices.

Je terminerai par la précarité en matière de fourniture que les ELD traitent dans le cadre de leurs missions de service public. On peut se féliciter du remplacement des tarifs sociaux par un chèque énergie – c’est un gage de simplicité. Nous émettrons toutefois deux réserves : l’une sur le fait que la transition énergétique soit uniquement financée par l’électricité et l’autre sur l’élargissement de cette utilisation pour des investissements en matière de rénovation de bâtiments. Afin d’éviter toute déperdition, nous suggérons une affectation du chèque énergie à la facture.

Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF. Il était important pour les distributeurs que nous sommes d’avoir l’occasion de nous exprimer devant vous. En effet, le secteur de l’énergie évolue beaucoup aujourd’hui en France, et ce, pour trois raisons. Tout d’abord, notre système énergétique est en train de basculer d’un modèle d’offre à un modèle de demande, notamment grâce au digital. Ensuite, nous assistons à la troisième révolution gazière avec le développement du biométhane. Enfin, la transition énergétique ne se fera pas de manière dogmatique mais par la combinaison des réseaux, des usages et des énergies. Ce sont tous ces éléments que nous souhaitons voir dans ce projet de loi, d’autant que les distributeurs ont un rôle pivot à jouer dans cette transition. Ils sont à la fois à la croisée des grands équilibres et au contact de millions de consommateurs – 11 millions pour GrDF.

Si le projet de loi porte surtout sur l’électricité, le travail du Parlement peut le compléter en ce qui concerne les autres énergies.

Je présenterai d’abord brièvement GrDF afin que notre entreprise ne soit pas simplement décrite comme l’ERDF du gaz. GrDF détient 200 000 kilomètres de réseau et dessert 9 500 communes avec lesquelles il a conclu 6000 contrats de concession. La répartition géographique de nos réseaux s’adapte aux choix d’organisation des collectivités locales tout en assurant la préservation d’une péréquation nationale : sur sa zone de desserte, GrDF est en situation de monopole et applique un tarif unique fixé par un régulateur. En revanche, depuis 2008, pour les nouvelles dessertes, nous sommes en délégation de service public. GrDF finance et exploite la totalité des investissements en concession, dans la mesure où les collectivités locales n’y participent pas. Et près de la moitié de nos investissements visent à assurer la sécurité de nos réseaux. Il ne me semble d’ailleurs pas que nous ayons été critiqués quant au niveau de ces investissements, qui est resté constant. Enfin, GRDF a acquis une longue habitude de dialogue avec les collectivités locales : sont présents au sein de notre conseil d’administration un administrateur indépendant proche du monde de celles-ci, ainsi qu’un administrateur indépendant proche du monde des consommateurs. Et dans tous les travaux que nous menons, nous adoptons toujours une démarche de concertation.

GrDF, loin de rester figé sur son modèle historique, considère au contraire la transition énergétique comme une opportunité pour évoluer, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce qu’avec Gazpar, le compteur de gaz communicant, l’efficacité énergétique devient une des missions du distributeur, comme le précise explicitement le projet de loi. Ensuite, parce que nous sommes acteurs de la filière de biométhane, que nous avons portée sur les fonds baptismaux. Nous avons notamment été co-animateurs avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) du groupe de travail « injection » qui élabore la réglementation de la filière. En outre, nous agissons sur le terrain, convaincus que la transition ne peut s’opérer que grâce à des projets de territoire, en combinant des réseaux d’énergie et en recourant à des solutions innovantes telles que le pacte électrique breton. Enfin, nous sommes la seule entreprise à avoir proposé dans le débat sur la transition énergétique un scénario Facteur 4 intitulé « GrDF 2050 » qui a trouvé un certain écho.

Ce que nous attendons du projet de loi, c’est qu’il envoie des signaux positifs et offre des perspectives durables sur quatre points.

Le premier concerne le biométhane : nous sommes convaincus que le développement de cette source d’énergie constitue une grande étape dans l’histoire gazière. Nous sommes d’ailleurs habitués aux transformations du gaz puisque nous sommes passés du gaz manufacturé au gaz naturel et désormais au biométhane. La fixation d’un objectif de 10 % de gaz renouvelable dans les réseaux à l’horizon de 2030 nous semble crédible, compte tenu de nos projections, et souhaitable, puisque l’on structure aujourd’hui des projets d’économie circulaire.

Le second point concerne le gaz carburant. S’il est beaucoup question de véhicules électriques dans ce projet de loi, des voix se sont élevées pour défendre la place du gaz carburant – l’un des carburants les plus intéressants sur certains types de véhicules, notamment sur la flotte captive et les véhicules lourds qui effectuent des circuits de plusieurs centaines de kilomètres. Nous développons aujourd’hui des projets combinant le biométhane et l’utilisation de carburants et répondant aux préoccupations de recyclage des bio-déchets – enjeu majeur de demain. Il conviendrait donc d’accorder plus d’importance aux véhicules roulant au gaz naturel, et comme le préconise le Conseil économique, social et environnemental (CESE), de fixer un objectif de 20 % de véhicules GNV, GPL ou électriques en ouvrant la gamme des produits disponibles, afin de régler le problème des émissions de particules. Il faudra pour ce faire construire un écosystème en France car si notre pays dispose d’excellents spécialistes en la matière, on n’est toujours pas parvenu à les rassembler.

Le troisième point a trait à la maîtrise de la demande d’énergie et aux compteurs communicants. Le projet de loi dispose que les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) peuvent agir en matière d’efficacité énergétique et d’insertion des énergies renouvelables. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a exigé, pour valider le compteur Gazpar, que nous menions des actions de maîtrise de la demande d’énergie. Et la ministre de l’écologie a récemment validé la diffusion de ce compteur, ce qui va nous conduire à avoir accès à des données personnelles. Or, nous n’avons jamais été ambigus et considérons que ce type de données appartient au client. Il est donc normal que le législateur encadre la pratique de sorte que l’on puisse combiner la protection des données personnelles et les possibilités offertes au gestionnaire du réseau de distribution (GRD), notamment vis-à-vis des collectivités locales et des consommateurs.

Enfin, le dernier point porte sur la place du gaz naturel dans la transition énergétique : lors des quelques mois du débat national sur la transition énergétique, a été mise en évidence l’importance du gaz pour assurer cette transition dans tous les secteurs. Il importe donc d’envoyer les bons signaux quant à l’importance du gaz.

M. le président François Brottes m’a interrogée quant aux mauvais signaux à éviter : j’évoquerai en particulier des signaux fiscaux. Nous avons en effet découvert avec surprise que l’on allait appliquer la taxe carbone au biométhane alors qu’il s’agit d’une filière émergente. Il en va de même de la fiscalisation du GNV quand, dans le même temps, le diesel est exonéré lorsqu’il est utilisé par les taxis ou les tracteurs. Enfin, compte tenu de l’objectif de réduction de la consommation d’énergies fossiles à 30 %, on pourrait imaginer une modulation en fonction de l’impact environnemental de chaque énergie.

S’agissant de la CSPE, comme j’entends parler lors de chaque débat depuis dix ans de l’élargissement de son assiette, je vous rappellerai l’économie du système tel qu’il fonctionne aujourd’hui : le consommateur de gaz contribue à la fois au financement du tarif social du gaz et au développement des énergies renouvelables gazières. On peut concevoir que l’assiette actuelle de la CSPE pose problème. Mais si vous élargissez son assiette, cela conduira à une augmentation de près de 10 % du prix payé par le consommateur de gaz raccordé au réseau de distribution. Cela augmentera aussi de près de 8 % le montant de la taxe carbone. Or, dans une période où les volumes de gaz qui transitent dans nos réseaux sont en baisse grâce à une meilleure efficacité énergétique des bâtiments et à une meilleure maîtrise de la demande d’énergie, est-il opportun d’envoyer un tel signal politique et fiscal ? Faut-il tout arrêter ou bien laisser le gaz jouer son rôle d’énergie de transition, comme nous le pensons ? Enfin, faire basculer la CSPE d’un système de taxe affectée à un système d’impôt soulève des questions juridiques très délicates qu’il semble difficile de régler dans ce projet de loi.

Vous l’aurez donc compris, nous sommes très impliqués dans la transition énergétique et souhaitons continuer à l’être. Nous estimons qu’elle sera bénéfique à notre pays. Et soyez assurés que chacun des 12 000 collaborateurs de GRDF consacrera toute son énergie à ce grand projet.

M. Jean-Yves Caullet, président. Soyez rassurée, les parlementaires partagent votre vision.

M. Sylvain Wasserman, directeur général de Réseau Gaz Distribution Services (GDS) et vice-président du syndicat professionnel des entreprises gazières non nationalisées (SPEGNN). Je représente les 30 entreprises locales de distribution de gaz naturel et vais me faire l’écho de la position commune arrêtée hier par notre syndicat.

Nous sommes très satisfaits de voir que ce projet de loi place les territoires davantage encore au cœur de la transition énergétique. En tant qu’entreprises locales de distribution (ELD) – sociétés d’économie mixte ou régies –, nous pensons que la transition énergétique a besoin d’acteurs locaux qui, main dans la main avec les collectivités territoriales, puissent développer de nouveaux modèles et innover. Dans de nombreuses villes, telles que Grenoble, Strasbourg ou Bordeaux, des pôles territoriaux de l’énergie se sont constitués depuis plusieurs années à l’initiative d’acteurs du gaz naturel qui investissent dans trois domaines. Celui des infrastructures de réseau de gaz et de chaleur, tout d’abord. Celui de la rénovation thermique des bâtiments, ensuite : nous accompagnons en effet les collectivités pour favoriser la conclusion de contrats de performance énergétique. Enfin, dans le secteur du biométhane, nous créons des circuits courts. L’une de nos entreprises locales de distribution a ainsi posé la première pierre de la première station d’épuration qui produira du biogaz, le filtrera pour en faire du biométhane et l’injectera dans les réseaux. Pour toutes ces raisons, nous saluons cette orientation ainsi que la notion d’expérimentation.

Nous voudrions attirer votre attention sur quatre points.

Le premier concerne le gaz naturel véhicule. À Strasbourg, nous menons depuis plusieurs années une politique très volontariste en la matière, avec plus de 800 véhicules, des bennes à ordures, des bus et trois stations ouvertes au public. Nous pensons que le biométhane marque une rupture et donne un second envol à l’utilisation du gaz naturel véhicule. Reprenons l’exemple précité de la station d’épuration qui produit du biométhane pour l’injecter dans le réseau et alimenter la mobilité urbaine : je ne conçois pas d’équation écologique plus vertueuse que celle-ci. Cela n’occasionne aucune perte, contrairement à ce qui se passe sur un réseau électrique. On n’a besoin d’aucun camion, contrairement à ce que nécessite l’usage de la biomasse ou d’énergies fossiles. Et le système est fondé sur une logique de circuit court. Nous pensons donc que le bio-GNV doit jouer tout son rôle.

Le deuxième point que j’aborderai peut apparaître comme un détail au regard des enjeux nationaux mais il compte pour les entreprises locales de distribution. Le projet de loi dispose que la Commission de régulation de l’énergie pourra décider d’audits qui porteront sur tous les distributeurs, choisir les acteurs qui pourront les effectuer et enfin, envoyer la facture à ces distributeurs. Cette disposition a fait réagir tant les dirigeants d’entreprises que les collectivités actionnaires. Elle donne en effet une impression de guichet ouvert dans lequel la CRE pourrait piocher puisque le texte ne fixe aucune limite. La CRE aurait ainsi un droit de tirage pour faire financer tout audit pour une entreprise dont la structure pourrait être trop faible pour le supporter.

Le troisième point a trait à la place des GRD. Le projet de loi insiste sur le rôle de prévision que doit jouer le transporteur. Mais à notre sens, les distributeurs ont eux aussi le leur : compte tenu de notre connaissance du territoire, nous proposons que la place du distributeur soit reconnue dans la prévision du comportement des consommateurs d’énergie. Plus la transition énergétique se fera, plus les pôles de biométhane se développeront, plus il importera de disposer d’une connaissance fine des prévisions de consommation énergétique sur chaque territoire, et plus le rôle du distributeur deviendra important. Nous proposons donc à l’unanimité de nos membres, et malgré notre petite taille, de contribuer à cette prévision.

Enfin, le dernier point concerne les compteurs communicants : le projet de loi instaure un système de sanctions. Or, la CRE commence à peine à échanger avec nous sur ce point qui pose de nombreux problèmes économiques, notamment pour les petites entreprises et les nouvelles concessions. En effet, ni le ministère ni la CRE n’ont su nous répondre à la question de savoir que faire lorsque l’on a conclu avec une collectivité un contrat de concession dans lequel le coût des compteurs communicants n’est pas prévu. Il nous paraît plus important de construire un système que de se concentrer sur la question des sanctions.

En conclusion, il faut faire confiance aux territoires et aux acteurs locaux de l’énergie. Indispensable, la transition énergétique passera avant tout par cette nouvelle équation territoriale de l’énergie que l’on sent se dessiner.

M. Jean-Yves Caullet, président. Avant de céder la parole aux rapporteurs, je la passe à M. Julien Aubert qui doit nous quitter plus tôt que prévu.

M. Julien Aubert. Je vous remercie, M. le président. On entend dire qu’il ne faut pas alourdir la gouvernance d’ERDF. Dans le même temps, les collectivités territoriales souhaiteraient être associées aux choix qui sont opérés. Ainsi les conseils généraux nous ont-ils fait part de leur regret de ne pas être cités dans le projet de loi. Je propose donc que la loi prévoie l’organisation, au sein du conseil général, d’un débat sur les infrastructures d’ERDF – débat qui pourrait donner lieu à un avis consultatif ou conforme. Le conseil général n’est-il pas en effet le bon échelon, sachant que l’on s’achemine vers des départements qui seraient la somme d’intercommunalités et que certains syndicats d’électrification sont départementaux ?

M. Jean-Yves Caullet, président. Je vous remercie. Je cède à présent la parole aux rapporteurs.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Le nouveau mécanisme de soutien aux ENR, fondé sur la vente directe de l’énergie sur le marché assortie d’une prime, doit-il selon vous être généralisé ?

Le texte prévoit également un nouvel encadrement des sanctions en cas de manquement aux contrats d’achat de production d’ENR : avez-vous recensé beaucoup de tels manquements ?

J’ai cru comprendre que vous étiez tous favorables à la participation des collectivités locales dans le capital des sociétés anonymes pour le développement des ENR : est-ce exact ?

Je ne poserai pas la question de l’élargissement de l’assiette de la CSPE, ayant très bien compris votre position, Mme Lagumina. J’ignore cependant si les représentants des autres organisations ici présents partagent votre avis.

M. le Président du directoire d’ERDF, que pensez-vous du régime dérogatoire à la loi littoral pour le raccordement des démonstrateurs hydroliennes ?

On reproche souvent au compteur Linky, dont le déploiement est en marche, de servir davantage à ERDF qu’au consommateur. En effet, il facilite l’intégration des ENR sur le réseau et des nouveaux usages tels que le véhicule électrique – ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. S’il s’agit d’un bon outil de pilotage, est-il prévu d’en faire progresser les fonctions afin de les rendre plus utiles aux consommateurs en les aidant à gérer leur consommation ? J’ai bien entendu qu’il n’était pas de votre ressort de traduire les données de ce compteur en euros. C’est pourtant ce qui est le plus parlant pour le consommateur. Avez-vous mené des réflexions en ce sens ?

Enfin, que pensez-vous d’une éventuelle séparation entre EDF et ERDF ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Comme nous avons procédé à de nombreuses auditions, je ne reviendrai pas ici sur l’importance du gaz – certes insuffisamment traité dans le projet de loi mais qui peut l’être grâce à nos amendements – ni sur la nécessité de prendre en compte les différentes énergies fossiles dans les PPE. J’aborderai en revanche quatre autres sujets.

La question du statut d’ERDF, tout d’abord, se pose sous plusieurs angles. Faut-il nommer son président de la même manière que celui de RTE, et par conséquent lui accorder le même degré d’indépendance ? Faut-il contrôler la courbe d’investissements d’ERDF par la CRE, afin d’éviter que le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) payé par nos concitoyens ne serve à financer le cours en bourse de l’entreprise-mère ? Cela nous renvoie aussi bien à la question du plafonnement des dividendes d’EDF qu’à celle de la capacité d’endettement d’ERDF et à celle de la participation des collectivités territoriales au conseil d’administration de cette entreprise. Les collectivités auraient ainsi la capacité d’influer sur le cours de ses décisions.

Ma deuxième question concerne l’installation, prévue par le projet de loi, de 7 millions de bornes pour les véhicules électriques. Quelles conséquences cette installation aura-t-elle sur l’équilibre des réseaux ? On lit en effet dans la presse, depuis la conférence de presse de RTE, que l’on court un risque d’alimentation en électricité l’hiver prochain. Que se passera-t-il alors si l’on rajoute 7 millions de bornes au réseau ? Quel décalage par ailleurs entre l’annonce de cette mesure et ce que l’on prévoit dans le domaine des énergies renouvelables ! Pour ces dernières, qui devront en effet faire l’objet de schémas régionaux de raccordement qu’il faudra longuement négociés, tout est compliqué alors que tout devient très simple dès lors qu’il s’agit d’installer des bornes pour les véhicules électriques. Il est vrai que, selon le président d’EDF, la France est pays le plus performant en matière d’électricité. En tout cas, elle a beaucoup plus de mal que ses voisins à développer les ENR ! J’attends de savoir sur quelle étude d’impact vous vous êtes fondés pour être rassuré.

S’agissant des compteurs Linky et Gazpar, nous souhaiterions que le consommateur dispose d’informations en euros plutôt qu’en kilowattheures et que soit instauré un affichage déporté, quel que soit le fournisseur. En effet, selon le Médiateur de l’énergie, l’essentiel est que les consommateurs puissent piloter leur consommation et qu’ils sachent en temps réel quels éléments sont les plus consommateurs d’énergie.

Enfin, le projet de loi permet d’améliorer l’accès aux données, ce qui devrait permettre aux collectivités territoriales de mener leur politique de lutte contre la précarité énergétique. Il n’est bien sûr nullement question de fournir des données individuelles ni nominatives mais des données suffisamment fines – et ce, gratuitement dans la mesure où les gestionnaires de réseau sont des services publics.

M. Jean-Yves Caullet, président. Je terminerai en vous posant une question d’ordre général : avec la décentralisation et la variété des points de production, les réseaux bidirectionnels vous semblent-ils plus robustes en termes de sécurité et de sûreté que les précédents systèmes ? Présentent-ils une meilleure résistance aux défaillances, aux actes de vandalisme, aux accidents et aux catastrophes, que les réseaux mono-énergie descendants actuels ?

Mme Sandra Lagumina. S’agissant de la pertinence de l’échelon départemental, je vous répondrai que le gaz s’inscrit dans un système très « plastique ». Les contrats de concession étant plutôt conclus commune par commune, voire avec des agglomérations et demain des métropoles, ce sont les collectivités locales qui s’organisent et le contrat gazier s’adapte à leurs choix. Nous ne sommes pas du tout prescripteurs d’un système. Par contre, nous travaillons beaucoup avec les régions aujourd’hui, celles-ci étant de plus en plus architectes de leur politique énergétique. Enfin, nous travaillons parfois sur des mailles territoriales plus petites encore que les communes.

Il est certain, monsieur Baupin, que le gestionnaire de réseau de distribution (GRD) gazier compte aider les collectivités locales en leur confiant certaines données agrégées, mais à condition que nous ayons la garantie légale que cela nous est autorisé. D’où l’importance, en termes de responsabilités, de l’article du projet de loi qui le prévoit.

S’agissant de Gazpar, notre engagement à l’égard de nos clients est clair : le compteur leur donnera une consommation juste une fois par jour. Il ne me semble donc pas que l’on pilotera leur consommation de gaz de manière très précise. En revanche, l’analyse qu’a effectuée la CRE pour déterminer si l’installation des compteurs Gazpar présentait de l’intérêt pour la collectivité comprenait une étude britannique présentant la manière dont l’information fournie par les compteurs peut s’accompagner d’actions de maîtrise de la demande d’énergie. C’est cette analyse qui a fondé l’avis favorable de la CRE pour le déploiement du compteur Gazpar. C’est donc sur ce point que nous travaillons avec les associations de consommateurs : nous allons au-delà d’une simple présence et sommes à l’écoute de leurs besoins. Nous y travaillons aussi avec les collectivités locales dans le cadre des contrats de concession mais aussi dans d’autres instances. Et nous allons tester pendant deux ans les aspects techniques de Gazpar ainsi que la démarche de concertation qu’il nous faudra adopter pour pouvoir atteindre l’objectif assigné à ce compteur.

M. Sylvain Waserman. Il nous est difficile d’affirmer quel est l’échelon le plus pertinent de façon uniforme sur tous les territoires. Pour représenter des acteurs locaux qui peuvent être filiales de différents types de collectivités, je sais que la donne est forcément différente selon qu’il s’agit d’une filiale d’une euro-métropole ou d’une commune intégrée à un syndicat départemental fort. Il n’y a donc pas de réponse universelle et absolue à cette question : il convient que les territoires puissent prendre leurs responsabilités en la matière.

S’agissant d’autre part de la sécurité, la décentralisation entraîne une redéfinition du rôle des collectivités, tant en matière de biométhane que d’autres technologies, qui peuvent ainsi contribuer à l’émancipation énergétique de leur territoire.

Mme Denise Saint-Pé. Pour répondre à M. Aubert, au vu de l’incertitude pesant sur la pérennité des conseils généraux, il nous semble que ceux d’entre eux qui demeureront auront de nombreux domaines à traiter. Il serait donc dommage de remettre en cause les techniques de solidarité territoriale dont jouissent aujourd’hui les autorités organisatrices de la distribution d’électricité (AODE). C’est pourquoi il ne me semble pas opportun de confier cette compétence aux conseils généraux.

S’agissant de la séparation entre ERDF et EDF, compte tenu de notre contexte de monopole et du fait que la distribution soit une mission de service public en France, nous estimons que la gouvernance doit refléter les parties prenantes. Je ne vois donc pas d’inconvénient à ce que l’État contrôle de façon plus prégnante la nomination du président d’ERDF ni à ce que les AODE soient présentes au sein de son conseil de surveillance.

Enfin, nous sommes d’accord sur le fait que les AODE doivent avoir accès aux données de consommation, non seulement afin de pouvoir contrôler le gestionnaire du réseau mais aussi pour pouvoir définir leur politique. Si des avancées ont été accomplies en la matière, des progrès restent nécessaires. En tant qu’AODE, nous souhaiterions être associés à l’élaboration du projet de décret prévu à cet égard par le projet de loi, l’objectif étant de pouvoir disposer de données précises, suffisamment complètes sans coût supplémentaire et de façon homogène sur l’ensemble du territoire.

M. Philippe Monloubou. S’agissant des conseils généraux, la loi NOME a d’ores et déjà consacré le département comme lieu de concertation. Et je laisse le soin à d’autres de déterminer si le conseil général est un échelon adapté. Mais n’oublions pas que les schémas directeurs, mentionnés dans ce texte et dans d’autres lois, sont élaborés à des échelons supérieurs. Mme Saint-Pé ayant mentionné la dynamique qu’avaient suscitée les conférences départementales, je tiens également à le souligner pour ma part : leurs résultats étant à la hauteur de nos attentes, il convient que ces conférences se poursuivent.

Nous réfléchissons effectivement au régime dérogatoire à la loi littoral et avons élaboré une proposition visant à faciliter l’implantation de fermes pilotes hydroliennes. Nous pourrons donc en discuter avec vous.

Eu égard aux compteurs communicants, Sandra Lagumina a déjà évoqué la mise à disposition, une fois par jour au client, de ses données de consommation. S’agissant de la capacité pour le client d’être interpellé sur l’évolution de sa consommation, le compteur Linky est prêt et le portail d’ERDF fournira des données en kilowattheures. La ministre s’est par ailleurs prononcée sur leur expression en euros, demandant aux fournisseurs de mettre à disposition les données que le distributeur sera susceptible de générer et de les traduire en euros. Quant à savoir si Linky s’adresse plutôt à ERDF qu’au client, la capacité de ce dernier à lire l’empreinte énergétique de son logement s’appuie sur une facture dont la consommation est souvent estimée sur des chroniques qui ne sont pas synchrones. Or Linky permet justement au client de visualiser sa consommation sur la base de données réelles, sur des chroniques régulières par jour, par mois ou par semaine. Ce compteur nous confère ainsi la capacité de fixer des niveaux d’alerte et d’interpellation du client sur sa consommation.

M. Denis Baupin, rapporteur. Cette information ne sera-t-elle fournie qu’une seule fois par jour ?

M. Philippe Monloubou. Oui, pour la consommation.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je croyais que le pas de temps de Linky était d’une demi-heure.

M. Philippe Monloubou. Tel est bien le cas. La possibilité sera offerte de disposer d’une courbe de charge au pas de temps de dix minutes.

L’intérêt que présente ce compteur, en termes d’empreinte énergétique, c’est qu’il permettra au particulier de disposer de données pertinentes sur son comportement et son environnement et ainsi d’engager des travaux d’amélioration de la performance énergétique de son logement. Il pourra en outre vérifier l’impact des travaux de rénovation qu’il aura effectués. Ces données seront disponibles en temps réel sur le compteur et ceux qui le souhaitent auront la possibilité de les récupérer auprès des fournisseurs.

Votre interrogation sur la séparation entre EDF et ERDF renvoie à la question de notre indépendance – qui concerne tout d’abord le comportement des agents d’ERDF. Or, la CRE a récemment indiqué qu’elle n’avait aucune observation à formuler à cet égard et en a au contraire souligné l’excellence quant au respect des règles de non-discrimination et de mise à disposition de l’énergie auprès de l’ensemble des clients. Cette indépendance concerne en outre la notoriété d’ERDF qui est à peu près au niveau de toutes les plus grandes enseignes françaises du secteur. Enfin, elle concerne la politique d’investissement de l’entreprise. Je voudrais à ce sujet remettre en question certaines affirmations que j’ai entendues ou lues dans la presse. Depuis 2007, le montant des investissements d’ERDF dans les réseaux a doublé. Aujourd’hui, nous investissons près de 3,4 milliards d’euros dans les réseaux de distribution, contre 1,7 milliard en 2007. Et ces investissements n’ont pas uniquement servi à financer des raccordements, bien qu’ils aient effectivement augmenté de façon significative. Les investissements en faveur de la modernisation et de l’amélioration du réseau ont eux aussi doublé sur la même période. Je pourrais également mettre en avant les dépenses d’exploitation en matière d’élagage qui ont elle aussi doublé depuis 2007. Par conséquent, le distributeur dispose aujourd’hui des moyens auxquels l’organisation même du système lui a permis d’accéder.

Monsieur Baupin, pour vous répondre sur les dividendes et la capacité d’endettement, vous savez aussi bien que moi quelle a été la constitution originelle de l’entreprise ERDF : une société commerciale autorisée par la loi à faire remonter des dividendes. Or le niveau de dividendes que fait remonter ERDF est tout à fait comparable à celui de toutes les entreprises du secteur. ERDF dispose des moyens lui permettant d’investir dans les conditions précitées.

M. Denis Baupin, rapporteur. À quelles entreprises pensez-vous ?

M. Philippe Monloubou. Enel Distribution, par exemple, fait remonter 100 % de ses dividendes alors qu’en 2014, ERDF n’en a fait remonter que 51 %.

M. Denis Baupin, rapporteur. Quel est le niveau d’endettement d’Enel Distribution ?

M. Philippe Monloubou. Enel s’endette également vis-à-vis de sa maison-mère. La société ERDF a été créée dès le départ sans dettes. On peut certes s’interroger sur sa capacité d’endettement mais cela remettrait en question la manière dont ERDF a été constituée. La véritable indépendance de la société réside dans la capacité d’ERDF à investir durablement pour améliorer la qualité des réseaux.

S’agissant des modalités de nomination du président, vous me permettrez de ne pas répondre. Quant à moi, j’ai été nommé dans des conditions conformes à la loi.

M. Jean-Yves Caullet, président. Vous n’êtes pas directement interrogé sur cette question, monsieur le président.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je tiens à préciser, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que ce n’était pas du tout une question personnelle.

M. Philippe Monloubou. Je l’ai bien compris.

M. Jean-Yves Caullet, président. Ça va sans dire !

M. Philippe Monloubou. En ce qui concerne les bornes de recharge de véhicules électriques, le chiffre des 7 millions n’a pas été discuté avec ERDF. Sur les réseaux essentiels aujourd’hui, si la cible est de 450 000 véhicules électriques, les 4 500 bornes de recharge équivalent à 500 millions d’euros. Je vous laisse donc évaluer les coûts de 7 millions de bornes ! Si ce chiffre devait être consacré par la loi, se poserait la question de l’impact de la mesure sur le réseau. Mais à ce jour, je n’ai pas de données chiffrées à vous fournir, n’ayant pas été sollicité sur le sujet.

J’ai déjà insisté dans mon propos liminaire sur la question des données agrégées issues des compteurs communicants. Elles constitueront demain un moyen déterminant pour les territoires d’améliorer durablement l’efficacité énergétique de leur patrimoine. Les données vont pouvoir être agrégées dans des constantes de temps avec une pertinence et une répétitivité sans commune mesure avec ce que l’on est capable de faire aujourd’hui. Cela confère une responsabilité aux gestionnaires des réseaux de distribution qui sont détenteurs de cet ensemble de données et qui doivent se préparer dès aujourd’hui à gérer de très grandes bases de données mais aussi à réguler ces flux de données, tant du point de vue réglementaire que de celui des formats et de la question des open data.

Enfin, vous nous avez demandé, monsieur le président, si avec la décentralisation, les réseaux bidimensionnels seront aussi robustes que les réseaux précédents : ils resteront des réseaux au sens mécanique du terme puisque nous n’avons pas encore inventé le wifi pour l’électricité. Pour autant, les évolutions numériques nous permettent d’anticiper les choses à un horizon proche. ERDF a d’ores et déjà engagé un projet numérique ambitieux car les opérations que nous devrons mener sur les réseaux, que ce soit en matière d’investissements ou d’entretien, seront de plus en plus prédictives grâce aux capteurs dont nous disposerons. Cela signifie que la robustesse des systèmes sera de plus en plus légitimée par notre capacité à disposer – presqu’en temps réel – d’une compréhension plus précise, plus efficace et plus pertinente des consommations. Cela me paraît être l’avenir des opérateurs de réseau. Nous sommes en train de préparer cette génération. La loi de transition énergétique nous aide à anticiper les évolutions nécessaires. C’est pourquoi je dirais que grâce à ces évolutions, les réseaux de demain seront sans aucun doute plus robustes que les précédents.

M. Guillaume Tabourdeau. Le mécanisme de soutien aux ENR dit « marché plus primes » vise à répondre à trois difficultés : l’exposition des ENR à l’équilibre de l’offre et de la demande, la modification du régime des aides d’État et le coût de la CSPE. Mais dans le même temps, les entreprises locales de distribution (ELD) contribuent à ce service public et souhaiteraient pouvoir continuer à le faire, au-delà de l’élaboration de la définition de la prime.

Le contrôle des contrats d’obligation d’achat apparaît comme une très bonne mesure aux yeux des praticiens que sont les ELD, acheteurs obligés. Un contrôle s’applique déjà aujourd’hui aux autorisations mais pas à la durée de vie des contrats. Or, on a affaire à des contrats de long terme, avec des problématiques tarifaires qui évoluent et des structures qui modifient la nature de la production. Il serait donc bénéfique d’instaurer un contrôle de ces contrats et de désigner l’instance chargée de les effectuer.

Enfin, en ce qui concerne les bornes, il est vrai, Monsieur Baupin, que l’objectif paraît ambitieux. Cela étant, les gestionnaires de réseau ont un rôle important à jouer et pourraient constituer une force d’équilibre en ce domaine. Cela relève tant de questions d’énergie que d’aménagement du territoire. Dans ce cadre, les réseaux doivent avoir un rôle à jouer.

M. Jean-Yves Caullet, président. Mesdames, messieurs, je vous remercie.

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