S O M M A I R E

_____

 

II.  Des dérives préoccupantes : du laxisme à la fraude (suite et fin)

C.  La fraude des particuliers : un phénomène multiforme *

1.– Un comportement fiscal peu exemplaire *

a) Une forte propension à la fraude *

b) Un recouvrement difficile *

·  Un constat inquiétant *

·  Les raisons traditionnellement évoquées sont à retenir avec prudence *

 

c) Une activité de contrôle en voie de renforcement *

·  La Corse semble bénéficier d’une attention fluctuante de la part des services fiscaux *

·  Le faible nombre des plaintes déposées *

2.– Des soupçons de fraude pour certaines allocations sociales *

a) Des lacunes avérées dans la gestion du dispositif RMI *

·  Un dispositif très présent dans les deux départements *

·  Des allocations distribuées largement en l’absence de gestion globale du dispositif *

·  Les carences en matière de prévention et de contrôle des fraudes *

·  Une gestion particulièrement défectueuse en Corse-du-Sud *

·  Des constations plus nuancées en ce qui concerne la situation en Haute-Corse *

·  La nécessaire reprise en mains *

b) Des largesses dans les conditions d’attribution des allocations aux adultes handicapés (AAH) *

·  Un taux record de bénéficiaires de l’AAH *

·  Les dysfonctionnements des COTOREP *

·  L’attitude contestable de certains médecins *

·  Les actions urgentes à mettre en oeuvre *

3.– Le détournement possible des aides communautaires *

a) L’affaire des primes agricoles en Haute-Corse *

·  Les anomalies et pratiques abusives révélées par le rapport Jacquot *

·  Les suites données à la mission *

·  Quelles conclusions en tirer aujourd’hui *

b) Un déficit de contrôle dans l’utilisation des fonds structurels *

·  La responsabilité des services de l’État *

·  Les lacunes actuelles des modalités de contrôle *

·  Des améliorations à confirmer *

·  Un exemple particulier : la route d’accès au port de Propriano *

 

C.  La fraude des particuliers : un phénomène multiforme

Dans une note rédigée en juin 1997, M. François Cailleteau, inspecteur général des finances territorialement compétent pour la Corse, avait mis en évidence l’existence dans l’île de comportements fiscaux peu exemplaires et s’était étonné du nombre de bénéficiaires de certaines prestations à caractère social. La divulgation de cette note, à l’automne de la même année, avait déclenché sur l’île d’importantes réactions indignées.

En 1994, le rapport d’inspection d’une mission du FEOGA avait déjà défrayé la chronique en révélant l’ampleur des fraudes en matière de primes agricoles en Haute-Corse.

1.– Un comportement fiscal peu exemplaire

En matière fiscale, la note de M. François Cailleteau énumérait un certain nombre de manquements à la législation fiscale : non respect des obligations déclaratives, absence de paiement à l’échéance, fraude " massive ". Il concluait en estimant que " la Corse était donc, pour les non salariés, un paradis fiscal de fait avant de le devenir en droit par la zone franche ".

Néanmoins, des conclusions discutables ont été tirées de certaines des indications figurant dans la note. Ainsi, la révélation du taux de retardataires de plus de six mois en matière de TVA (40% en 1995) a été immédiatement commentée comme signifiant que 40 % des entreprises ne payaient pas la TVA. Or, il s’agit d’un retard de dépôt de déclaration qui ne se traduit pas obligatoirement par une absence de paiement. De plus, il est apparu que ce chiffre déjà ancien, puisque se rapportant à 1995, ne reflétait plus la réalité.

Il n’en demeure pas moins que la loi fiscale n’est pas appliquée en Corse dans les meilleures conditions.

a) Une forte propension à la fraude

A propos de l’impôt sur le revenu des particuliers, le directeur général des impôts indiquait, dans une note de synthèse adressée en septembre 1997 au cabinet du ministre, que " le contrôle sur pièces des déclarations produit des résultats importants, ce qui souligne une tendance à la fraude élevée. Cette constatation doit conduire néanmoins à renforcer le contrôle des déclarations de revenus et à rechercher les défaillants inconnus du service ".

Cette efficacité du contrôle sur pièces se manifeste par un rappel moyen par redressement largement supérieur dans les deux départements corses à celui observé dans les départements comparables ou au niveau national, alors que la fréquence des redressements, en phase avec les données de références, ne traduit pas une particulière sélectivité des contrôles. En 1997, le rappel moyen s’élevait à 10.741 francs en Haute-Corse et à 12.836 francs en Corse-du-Sud, au lieu de 4.982 francs pour la moyenne des directions du groupe 4 et 6.436 francs au niveau national.

RÉSULTATS DU CONTRÔLE SUR PIÈCES

EN MATIÈRE D’IMPÔT SUR LE REVENU DES SALARIÉS

 

1993

1994

1995

1996

1997

Fréquence des redressements (en %)

         

l  Haute-Corse

3,7

7,3

3,3

3,5

5,5

l  Corse-du-Sud

4,9

5,8

4,5

4,0

6,4

l  Groupe 4

5,1

5,6

5,0

5,2

5,6

l  France

4,5

5,3

5,2

5,2

5,6

Rappel moyen par redressement (en francs)          

l  Haute-Corse

8.715

7.319

9.721

8.958

10.741

l  Corse-du-Sud

8.322

8.815

10.218

14.330

12.836

l  Groupe 4

4.269

4.521

4.638

4.951

4.982

l  France

5.475

5.803

5.959

6.188

6.436

Rappel moyen par agent (en francs)          

l  Haute-Corse

198.791

325.551

185.774

183.734

384.133

l  Corse-du-Sud

322.110

395.628

352.715

434.893

647.889

l  Groupe 4

171.231

198.848

182.529

201.661

221.734

l  France

226.674

283.640

280.965

293.813

325.474

 

Source : Direction générale des impôts

Les mêmes constatations peuvent être faites en matière de fiscalité professionnelle. En ce domaine se pose également un problème de respect des obligations déclaratives. Le rapport précité du directeur général des impôts indique que " la propension au non respect des échéances de dépôt des déclarations professionnelles (TVA et bénéfices) est forte. Mais l’action énergique des services a permis d’en réduire les effets. (…) Le suivi rigoureux du dépôt des déclarations de résultats, avec une sensibilisation des organismes professionnels, a permis d’enregistrer des progrès (en Corse-du-Sud, le taux de dépôt est passé de 43 % en 1994 à 78 % en 1996 pour les redevables au régime réel). Toutefois, des marges substantielles de progrès existent ". Le taux de retardataires de plus de six mois en matière de TVA a également fortement régressé à partir de 1996, comme l’indique le tableau ci-dessous, sans pour autant rejoindre les moyennes de référence, surtout en ce qui concerne la Haute-Corse.

TAUX DE RETARDATAIRES DE PLUS DE 6 MOIS EN TVA

(en %)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998
(objectif)

l  Haute-Corse

35,0

40,5

42,1

21,0

20,1

8,0

l  Corse-du-Sud

42,9

39,3

34,4

11,2

7,7

6,0

l  Groupe 4

8,7

8,4

7,2

4,3

3,3

l  France

10,4

10,7

9,9

7,6

5,5

 

Source : Direction générale des impôts

Comme en matière d’impôt sur le revenu des salariés, " les résultats de contrôles sur pièces, ou sur place, des déclarations professionnelles attignent des résultats élevés, nettement supérieurs à la moyenne nationale. Ils confirment l’existence de comportements de fraude significatifs dans ce domaine comme dans d’autres ".

Le nombre de redressements rapporté aux nombres de redevables (au titre de l’impôt sur les sociétés, des bénéfices non commerciaux, des bénéfices industriels et commerciaux et des bénéfices agricoles) est largement supérieur aux chiffres du groupe 4 et à ceux de la France entière. Par contre, le montant moyen par redressement ne s’écarte pas sensiblement de la moyenne nationale – ce qui s’explique sans doute par la situation économique générale de l’île – tout en restant très supérieur à celui des départements du même groupe.

RÉSULTATS DU CONTRÔLE SUR PIÈCES EN MATIÈRE DE FISCALITÉ PROFESSIONNELLE (1)

 

1993

1994

1995

1996

1997

Fréquence des redressements
(en %)

         

l  Haute-Corse

12,8

10,2

7,7

17,3

12,6

l  Corse-du-Sud

13,3

15,0

11,3

19,3

23,4

l  Groupe 4

5,6

5,8

5,4

6,6

6,5

l  France

5,8

5,5

5,9

6,6

6,9

Rappel moyen par redressement (en francs)          

l  Haute-Corse

27.602

32.334

31.168

33.729

38.584

l  Corse-du-Sud

31.571

31.808

30.503

28.717

30.021

l  Groupe 4

23.906

23.927

23.949

23.590

23.677

l  France

32.319

33.781

31.927

31.571

30.313

Rappel moyen par agent (en francs)          

l  Haute-Corse

3.102.679

3.148.426

2.335.963

5.728.911

4.428.380

l  Corse-du-Sud

3.499.105

3.292.700

2.893.595

4.054.976

5.105.220

l  Groupe 4

1.420.223

1.415.121

1.337.804

1.572.312

1.605.273

l  France

1.905.685

1.863.735

1.827.008

2.004.255

2.050.940

 

(1) Impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu, taxes sur le chiffre d’affaires.

 

Source : Direction générale des impôts

Les chiffres globaux des résultats du contrôle sur pièces conduisent à des rappels de droits importants (210,1 millions de francs en 1997, au lieu de 191,1 en 1996) et à l’application de pénalités non négligeables (39,1 millions de francs en 1997, contre 37,4 en 1996). Par type d’impôt et pour 1997, les résultats sont les suivants :

    • pour l’impôt sur le revenu : 3.864 articles redressés ont conduit au rappel de 63,2 millions de francs et à l’application de 14,6 millions de francs de pénalités ; la moyenne par article redressé atteint 16.370 francs en Corse, contre une moyenne nationale de 8.360 francs ;
    • pour l’impôt sur les sociétés : 60,4 millions de droits rappelés et 9 millions de pénalités pour 2.787 dossiers redressés, soit une moyenne de 21.670 francs par dossier (au lieu de 22.800 pour la France entière),
    • pour la TVA : 86,4 millions de francs de droits rappelés et 15,5 millions de francs de pénalités pour 1.667 dossiers redressés (soit une moyenne de 51.860 par dossier, contre une moyenne nationale de 44.920 francs).

b) Un recouvrement difficile

Les difficultés du recouvrement, tant des impôts que des éventuels redressements, est un problème lancinant en Corse. S’agissant de la fiscalité professionnelle, le rapport précité du directeur général des impôts indique que " les indicateurs du recouvrement en Corse sont très en retrait par rapport à ceux qui sont constatés en moyenne dans les autres départements ".

·  Un constat inquiétant

Comme en matière d’assiette et de contrôle, les difficultés du recouvrement peuvent être mises en évidence par plusieurs indicateurs suivis par la direction générale des impôts.

RÉSULTATS DU RECOUVREMENT

 

 

1993

1994

1995

1996

1997

Coefficient de recouvrement net des prises en charge (en %)

         

l  Haute-Corse

38,6

49,1

39,4

18,5

30,2

l  Corse-du-Sud

49,6

43,0

40,3

24,0

25,0

l  Groupe 4

68,6

70,2

71,0

71,1

63,9

l  France

62,8

62,3

63,8

67,1

54,7

Délai moyen pondéré de recouvrement des créances (en mois)

         

l  Haute-Corse

16,5

9,8

11,2

9,6

12,2

l  Corse-du-Sud

15,2

12,1

12,0

10,7

12,2

l  Groupe 4

7,8

6,4

6,1

5,1

5,0

l  France

-

3,1

7,1

5,3

5,1

Délai moyen pondéré de comptabilisation des moyens de paiement (en jours)

         

l  Haute-Corse

21,2

12,5

15,9

16,1

10,1

l  Corse-du-Sud

19,1

16,4

16,0

12,2

9,2

l  Groupe 4

3,9

2,7

2,7

1,9

1,2

l  France

-

-

2,9

2,0

1,2

 

Source : Direction générale des impôts

L’évolution de ces indicateurs depuis 1993 montre à l’évidence le particularisme insulaire et la dégradation qui a pu être observée dans les deux départements corses en 1996.

Le coefficient de recouvrement net sur les prises en charge permet d’apprécier la célérité de l’action en recouvrement menée par les comptables. Ce pourcentage entre les recouvrements réalisés au cours d’une année et l’ensemble des sommes à recouvrer (de l’année en cours comme des années antérieures) atteint dans les deux départements corses un niveau inquiétant, plus de moitié inférieur à ce que l’on peut constater dans le groupe 4 ou au niveau national.

Cette situation se traduit évidemment par des délais de recouvrement considérables, même en cas de paiements spontanés. Le délai moyen pondéré de comptabilisation des moyens de paiement est, dans les deux départements corses, près de 10 fois supérieur à ce qu’il est ailleurs : 9 ou 10 jours au lieu de 1,2 en moyenne nationale. De même, le délai moyen pondéré de recouvrement des créances atteint plus d’un an (12,2 mois en 1997), contre 5 mois seulement sur le reste du territoire.

·  Les raisons traditionnellement évoquées sont à retenir avec prudence

Les raisons invoquées pour expliquer une telle situation sont nombreuses. La note Cailleteau en décrivait un certain nombre, qui ont été à plusieurs reprises confirmées devant la commission d’enquête : " la pratique locale consiste plutôt à éviter de recevoir l’avis d’imposition. Le manque d’empressement des postiers dans l’acheminement du courrier fiscal, la fréquence des homonymes, le caractère souvent aléatoire de la dénomination et du numérotage des rues, la difficulté de connaître les propriétaires du fait de l’indivision, tout cela fait que les avis d’imposition reviennent par milliers dans les trésoreries. De toute façon, les mauvais payeurs sont difficiles à amener à résipiscence : les banques exécutent avec mauvaise grâce les avis à tiers détenteurs (elles préviennent leurs clients qui virent leurs avoirs sur d’autres comptes) et les huissiers sont de la plus grande timidité. Au demeurant, on exécute rarement les débiteurs importants : il serait imprudent de se porter acquéreur d’un bien saisi ".

Il n’est pas inutile de reprendre plus précisément chacune des difficultés énumérées.

 Les vicissitudes du courrier fiscal

Les difficultés d’acheminement du courrier fiscal apparaissent être une réalité. Dans un rapport en date du 3 septembre 1997, le trésorier-payeur général de Haute-Corse indiquait qu’un sondage réalisé à la fin de 1996 évaluait le taux des " n’habite pas à l’adresse indiquée " entre 8 et 10% des plis expédiés. La réduction du volume du courrier non distribué fait d’ailleurs partie des objectifs du plan d’action du ministère. Certains suggèrent que les services du Trésor utilisent des enveloppes banalisées car, comme certains témoins entendus par la commission d’enquête n’ont pas manqué de le souligner, " les lettres qui transmettent des chèques arrivent plus facilement que celles qui transmettent des avis de contrôle fiscal ".

Pourtant, le rapport du trésorier-payeur général de Haute-Corse indique que " aucune anomalie montrant de façon formelle que certains (plis) n’auraient volontairement pas été distribués n’a pu être recueillie ", précisant que, si " par une note de la trésorerie générale du 26 mai 1997, il a été demandé aux trésoriers de communiquer des exemples significatifs d’anomalie constatée dans la distribution postale, aucun cas n’a été signalé ". Cette absence est confirmée par son collègue de Corse-du-Sud qui, dans un rapport du 5 septembre 1997, indiquait également qu’" aucun élément statistique précis ne permet d’étayer les griefs formulés fréquemment en matière de distribution postale ". Il ajoutait, reconnaissant un certaine responsabilité de ses services, qu’" il est probable que l’adressage des courriers fiscaux n’est pas non plus exempt de critiques ".

 L’exécution des avis à tiers détenteur

L’argument de la difficulté de faire exécuter les avis à tiers détenteur (ATD) suscite la même perplexité. On le sait, l’ATD est une procédure administrative de saisie de sommes d’argent détenues par la banque pour le compte du débiteur. Lorsque celle-ci n’exécute pas l’ATD, elle engage sa responsabilité civile personnelle à hauteur du montant susceptible d’être saisi par l’administration. Un ATD est susceptible de s’avérer défectueux si le compte visé à été clôturé, s’il est débiteur ou sans provision ou si, plus exceptionnellement, la banque n’honore pas l’avis. Cette dernière situation ne peut être mise à jour que par l’exercice du droit de communication, qui apparaît, en Corse comme ailleurs, comme une démarche exceptionnelle. En Corse, l’administration a rappelé l’ensemble des banques de la place à leurs obligations : cela a fait l’objet d’une lettre commune au trésorier-payeur général et au directeur des services fiscaux dans chacun des deux départements en février et mars 1998. En outre, d’après les informations recueillies par la commission d’enquête, une action conjointe de contrôle sur place est programmée, dans le cadre du droit de communication, sur un échantillon d’ATD infructueux notifiés par les réseaux comptables.

Mais, ces difficultés potentielles avec les banques sont-elles réelles ?

Les rapports, déjà cités, des deux trésoriers-payeurs généraux laissent à penser que cela n’est pas si sûr : " en aucun cas les chefs de poste ne sont en mesure d’étayer cette affirmation (difficultés avec les établissements bancaires) par des statistiques " écrit celui de Corse-du-Sud, tandis que son collègue de Haute-Corse indique qu’il n’a " aucun cas avéré de la non-exécution d’un ATD, ce qui évidemment n’en exclut pas l’hypothèse ".

Il semble d’ailleurs que la procédure de l’ATD soit moins utilisée en Corse qu’ailleurs. Le ratio ATD/saisies est largement inférieur dans les deux départements corses (1,8 en Haute-Corse en 1996 et 1,1 en Corse-du-Sud) à la moyenne nationale (2,8). Son augmentation constitue l’un des objectifs du plan d’action : si la situation s’est améliorée en 1997 en Haute-Corse (2,1, dépassant l’objectif assigné de 2), elle s’est détériorée en Corse-du-Sud (0,8, soit la moitié de l’objectif assigné). La méfiance à l’égard des banques pourrait ne pas être la seule raison. Dans son rapport, le trésorier-payeur général de Haute-Corse évoquait la nécessité de " convaincre les comptables que l’effort que (l’ATD) suppose (recherche et archivage du renseignement en premier lieu, ce qui est moins simple que la remise d’un état de saisie informatisé à l’huissier) est non seulement efficace dans l’immédiat, mais constitue un investissement pour l’avenir ", constat partagé par son collègue de Corse-du-Sud qui indiquait qu’" il semble probable que les nécessaires recherches pour obtenir les coordonnées des tiers détenteurs ne fassent préférer l’édition et la remise à l’huissier d’un état de saisie ".

 Le comportement des huissiers

On peut également s’interroger sur le comportement des huissiers. Des propos recueillis par la commission laissent à penser que le problème est réel : " s’agissant des huissiers privés auxquels nous faisons appel, nous avons constaté en Corse qu’ils sont moins efficaces que sur le continent et que les procès-verbaux de carence qu’ils nous produisent sont parfois suspects, ce qui nous amène à penser que la matière saisissable a disparu après le passage de l’huissier. C’est la raison pour laquelle des interventions ont été faites auprès des procureurs de la République, qui exercent la tutelle des huissiers, pour qu’une surveillance plus forte soit exercée à leur encontre " a déclaré un responsable de la direction générale des impôts.

De même, le trésorier-payeur général de Haute-Corse soulignait que " les résultats sont variables d’une étude à l’autre. D’une manière générale, le travail des huissiers de justice n’a pas la qualité de celui des agents huissiers du Trésor : les officiers ministériels limitent leur action à la notification des actes de poursuite (dans des délais excédant fréquemment le raisonnable), alors que nos agents mettent à profit la procédure pour recueillir des renseignements utiles au recouvrement : numéros de comptes bancaires, employeurs, propriété d’immeubles,… ".

 Le climat général de l’île

Au-delà de ces difficultés structurelles du recouvrement, il convient d’évoquer une certain nombre d’éléments plus conjoncturels liés au contexte de l’île. Les rapports déjà évoqués des deux trésoriers-payeurs généraux et des directeurs des services fiscaux concordent sur ce point : un certain nombre de mesures de gel ou d’étalement ont perturbé, plus que les attentats contre les locaux des administrations fiscales, l’activité des administrations financières.

Il s’agit notamment du gel des dettes fiscales nées avant le 31 décembre 1995 pour une période de trois mois (du 15 février au 15 mai 1996). Ce gel a été suivi par la mise en place d’une procédure COCHEF (pour comité des chefs de services financiers), qui permet d’accorder aux entreprises qui en font la demande un moratoire et des délais de paiement de leurs dettes fiscale et sociale. Certes, cette procédure n’est pas propre à la Corse puisqu’elle se retrouve dans chaque département. La particularité de l’île réside plutôt dans l’ampleur qu’elle a prise. Alors que dans les départements " ordinaires ", le nombre de bénéficiaires est faible, au plus quelques dizaines, il a atteint dans les deux départements de Corse un niveau inégalé : 907 en Corse-du-Sud et 517 en Haute-Corse. Un grand nombre de bénéficiaires ont obtenu le maximum, à savoir un moratoire d’un an et un étalement du paiement de leurs dettes sur quatre ans.

Enfin, il convient de reconnaître, avec le directeur des services fiscaux de Corse-du-Sud, que le " débat fiscal permanent, qui n’est pas sans résultats concrets, apparaît compromettre la légitimité des actions du service ". La discussion des modalités de la zone franche avait amené certains contribuables à anticiper sur le contenu de la loi. De même, la contestation de certains droits amènent les intéressés à refuser purement et simplement de payer ce qu’il doivent ou à ne le faire qu’au niveau qu’ils estiment juste.

Nul doute également que l’exemplarité ne joue pas, en Corse, dans le sens du respect de ses obligations fiscales. Les insuffisances du contrôle et du recouvrement, qui plus est quand il porte sur les résultats du contrôle fiscal lui-même, créent des difficultés. Que dire également quand le non-recouvrement concerne des amendes aussi emblématiques que celles que le Conseil de la concurrence avait prononcées, en mars 1989, à l’encontre de 16 pompistes et deux syndicats professionnels pour ententes anticoncurrentielles ?

c) Une activité de contrôle en voie de renforcement

Le dynamisme des services en charge du contrôle fiscal n’apparaît pas évidente en Corse. L’activité des directions locales en ce domaine a varié sensiblement d’une année sur l’autre et est, semble-t-il, plus réduite qu’ailleurs.

Ce manque d’attention particulière portée à la Corse a été justifié devant la commission d’enquête par l’absence de comportements de fraude spécifiques ou très élaborés. " La plupart des irrégularités et des procédés de fraude relevés par les services gestionnaires et les vérificateurs sont des plus classiques. Il s’agit bien souvent de défaillances déclaratives à l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur les sociétés ou à la TVA ; il s’agit très classiquement de minoration de revenus, de majoration de charges, de non-déclaration de plus-values consécutives à des cessions de titres ou à des cessions d’immobilisations. Autant de phénomènes frauduleux, d’irrégularités qui ne nécessitent pas fréquemment des enquêtes particulières, a fortiori des interventions lourdes, pour réunir les éléments de preuve nécessaires à la démonstration de la fraude " a-t-il été indiqué par un haut fonctionnaire de la direction générale des impôts.

·  La Corse semble bénéficier d’une attention fluctuante de la part des services fiscaux

Ce phénomène s’observe tant en ce qui concerne les services locaux que la direction régionale et les différentes directions nationales.

 L’activité des services locaux

Ainsi, le pourcentage de réalisation du programme théorique des brigades comme des inspections spécialisées était le plus souvent inférieur à celui observé dans le groupe 4 ou au niveau national.

Pourcentage de réalisation du programme théorique

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998
(objectif)

Brigade

           

l  Haute-Corse

79,7

95,5

66,1

77,3

74,5

98,0

l  Corse-du-Sud

100,0

61,6

48,3

97,5

100,0

98,0

l  Groupe 4

85,8

82,9

87,8

95,7

97,4

-

l  France

68,8

72,4

78,5

83,1

84,9

-

Inspection spécialisée

           

l  Haute-Corse

50,0

113,4

79,7

69,1

95,8

95,0

l  Corse-du-Sud

100,0

56,8

50,0

67,9

82,1

95,0

l  Groupe 4

85,0

89,8

89,6

84,5

93,0

-

l  France

72,6

77,3

81,3

84,4

84,9

 

 

Source : Direction générale des impôts

 L’intervention des directions régionale ou nationales

Les directions locales ne sont pas les seules à intervenir en matière de contrôle sur place, même si elles en assurent l’essentiel (162 sur les 180 vérifications opérées en 1997). Leurs vérifications portent sur les plus petites entreprises, celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7 millions de francs. Les équipes de la direction régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse interviennent pour les entreprises moyennes. Enfin, interviennent également les vérificateurs des trois directions nationales : la direction des vérifications nationales et internationales qui s’intéresse aux très grandes entreprises, la direction nationale des vérifications de situations fiscales qui s’intéresse aux contribuables personnes physiques qui détiennent les revenus les plus élevés ou qui ont acquis une certaine célébrité et, enfin, la direction nationale des enquêtes fiscales, qui a une double mission opérationnelle et de documentation.

D’après les informations recueillies par la commission d’enquête, il apparaît que le nombre de vérifications opérées par la direction régionale a fortement varié au cours des dernières années. Le nombre le plus élevé – 26 – a été effectué en 1992 et le nombre le plus faible – 5 – a été constaté en 1996. En 1997, elle en a effectué 13 et en a déjà engagé 27 au cours du premier semestre de cette année.

La direction des vérifications nationales et internationales est très peu intervenue en Corse : elle n’a réalisé que six opérations de contrôle entre 1992 et 1997. Sa fréquence d’intervention a été, pendant cette période, deux fois moindre que sur le continent. La plus petite taille des entreprises corses est l’argument avancé pour justifier cet écart. Il convient de noter que, dans le cadre du plan d’action, cette direction est appelée à intervenir plus fortement puisqu’elle devrait réaliser plusieurs opérations de grande ampleur.

La direction nationale des vérifications de situations fiscales a déployé, certaines années, une activité importante en Corse, plus soutenue que dans les autres départements. Elle a ainsi conduit 19 vérifications en 1992 et 21 en 1993. Par contre, un ralentissement de son activité a été observé en 1996 et 1997, année au cours de laquelle elle n’a réalisé que 3 vérifications. En 1998, son activité devrait retrouver un rythme plus soutenu : 6 vérifications étaient déjà terminées à la fin du premier semestre et une vingtaine d’autres devraient l’être avant la fin de l’année.

La direction nationale des enquêtes fiscales a réalisé en Corse, depuis 1992, un trentaine d’enquêtes, d’interventions ou de vérifications, travaux qui ont débouché sur une soixantaine de propositions de contrôle adressées aux diverses structures compétentes, locales, régionale ou nationales. Ces chiffres témoignent d’une activité comparable à celle développée par la direction nationale dans les départements présentant un tissu fiscal comparable.

L’examen des résultats des opérations de contrôle fiscal externe (toutes directions confondues) démontre l’existence d’une fraude non négligeable.

En 1997, 161 vérifications de comptabilité ont été effectuées. Elles ont conduit au rappel de 217,2 millions de francs de droits et à l’application de 157,7 millions de francs de pénalités. Les rappels moyens par vérifications atteignent donc environ 1.350.000 francs en Corse alors que, pour la France entière, la moyenne n’est que de 750.000 francs.

De même, 19 examens contradictoires de la situation fiscale personnelle ont été réalisés en 1997. Ils ont permis le rappel de 13,8 millions de francs de droits et l’application de 7,7 millions de francs de pénalités. Les rappels moyens atteignent donc 726.000 francs alors que la moyenne nationale n’est que de 634.000 francs.

·  Le faible nombre des plaintes déposées

L’activité de contrôle fiscal est également marquée par le faible nombre des plaintes déposées par les services fiscaux.

D’après les informations communiquées à la commission d’enquête par la direction générale des impôts, les services fiscaux n’ont déposé que 41 plaintes depuis 1990 dans les deux départements de l’île :5 en 1990 pour les deux départements de la Corse, 6 en 1991, 3 en 1992, 2 en 1993, 8 en 1994, 3 en 1995, 3 en 1996, 7 en 1997 et 4 au cours des sept premiers mois de 1998.

La manière dont ces plaintes ont été traitées par la justice a fait l’objet de commentaires contradictoires devant la commission d’enquête, les uns évoquant un délai anormalement long, les autres un traitement conforme à celui rencontré ailleurs. Ainsi, un responsable de l’administration fiscale indiquait que " les délais sont très variables. Dans certains départements, les tribunaux ne jugent pas plus vite qu’en Corse, alors que dans d’autres, les délais sont beaucoup plus courts. D’une manière générale, nous pouvons considéré que les délais étaient excessifs en Corse jusqu’à ces derniers mois ".

D’après les informations recueillies, 27 des 41 plaintes déposées depuis 1990 ont été jugées en première instance. En outre, 3 ont fait l’objet d’un classement sans suite et une d’une ordonnance de non lieu. 10 plaintes sont donc en cours d’examen par la justice, la plus ancienne datant de mai 1994.

Le calendrier d’examen des plaintes fiscales est donc le suivant :

    • pour les 5 plaintes déposées en 1990 : toutes jugées, 3 en 1991, une quatrième en 1992 et la dernière en janvier 1993,
    • pour les 6 plaintes déposées en 1991 : 5 jugées (la sixième ayant fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu en 1995), 3 en 1993, une quatrième en 1995, une cinquième en 1996 (décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris)
    • pour les 3 plaintes déposées en 1992 : toutes jugées, la première en 1993, les deux autres en avril 1995,
    • pour les 2 plaintes déposées en 1993 : toutes jugées, l’une en 1994 et l’autre en février 1995,
    • pour les 8 plaintes déposées en 1994 : seulement 3 ont été jugées (en 1995, 1996 et 1997), 3 ont fait l’objet d’un classement sans suite, une a été renvoyée pour une audience d’octobre prochain, la dernière est encore en cours d’instruction,
    • pour les 3 plaintes déposées en 1995 : seulement deux ont été jugées en 1997,
    • pour les 3 plaintes déposées en 1996 : toutes jugées, l’une en 1997 et les deux autres en 1998,
    • pour les 7 plaintes déposées en 1997 : 4 ont déjà été jugées en 1998,
    • pour les 4 plaintes déposées depuis le début de 1998 : aucune n’a été jugée.

Les peines prononcées apparaissent faibles. Si la peine de prison est presque systématique, elle est pratiquement toujours assortie d’un sursis total. Quant aux peines d’amendes, elles ne sont pas systématiques (elles n’ont pas été prononcées dans 7 jugements) et n’ont que rarement dépassé 50.000 francs. Parmi les peines complémentaires, on observe l’affichage ou la publication du jugement (dans 19 cas) et, dans un seul cas, une interdiction de droits civiques pour 3 ans.

La fraude peut revêtir plusieurs aspects : si la dimension fiscale est la plus évidente, elle n’en est pas l’unique manifestation. De forts soupçons pèsent en effet sur la fiabilité des modalités d’attribution du revenu minimum d’insertion (RMI) comme de l’allocation adule handicapé (AAH).

2.– Des soupçons de fraude pour certaines allocations sociales

L’analyse minutieuse de deux dispositifs d’aide (le RMI et l’AAH), fait apparaître des possibilités de fraude importantes en Corse, ce qui est d’autant plus regrettable que les détournements de ces aides se font au détriment de ceux qui, au sein de la population insulaire, devraient en être les uniques bénéficiaires.

a) Des lacunes avérées dans la gestion du dispositif RMI

Lors de la mise en place du RMI sur l’ensemble du territoire français, les montées en charge du dispositif ont connu des évolutions différentes selon les régions. En Corse, celle-ci fut extrêmement rapide : en effet, au cours des douze premiers mois de mise en place, les deux départements enregistrèrent les plus fortes progressions d’effectifs de métropole, avec un taux de 155 % en Corse-du-Sud et de 110 % en Haute-Corse, soit une hausse du nombre d’allocataires respectivement trois fois et deux fois plus forte qu’en métropole. Depuis 1992, l’augmentation du nombre de bénéficiaires a suivi celle de l’ensemble du pays : à une période d’augmentation importante entre 1992 et 1994 (avec des taux supérieurs à 15 % par an) s’est substituée une phase de décélération. Aujourd’hui, le nombre de bénéficiaires reste très élevé. Plusieurs indices permettent d’avancer que des possibilités de fraude existent et que les ouvertures de droit sont réalisées de façon large sans que les contrôles d’usage soient réellement effectués.

·  Un dispositif très présent dans les deux départements

Plusieurs documents remis à la commission d’enquête par la délégation interministérielle au revenu minimum d’insertion lui permettent d’établir les constats suivants :

Le nombre de bénéficiaires du RMI apparaît très élevé par rapport à la population insulaire. Chaque département de Corse enregistre un nombre deux fois plus élevé d’allocataires du RMI que les départements français ayant un nombre d’habitants proches. En juillet 1998, la région corse comptait 8.331 allocataires payés, 4.225 en Corse-du-Sud et 4.106 en Haute-Corse. En moyenne, pour 1.000 habitants, plus de 56 touchent le RMI en Corse-du-Sud et plus de 51 en Haute-Corse.

Comparativement au nombre de demandeurs d’emploi, le taux de Rmistes atteint en Corse un niveau beaucoup plus élevé que dans les autres départements. Le rapport entre le niveau du chômage et le nombre de bénéficiaires du RMI est en effet très éloigné du ratio national. Avec un même taux de chômage, un département métropolitain compte en moyenne 40 à 50 % de bénéficiaires du RMI de moins qu’en Corse.

La rotation des effectifs paraît plutôt faible en Corse et se caractérise par des flux d’entrées et de sorties du RMI peu importants. En Corse-du-Sud, la faiblesse de cette rotation et la rapidité de la montée en charge du dispositif expliquent un temps de présence au RMI sensiblement plus long que dans les autres départements métropolitains. Notons qu’en Haute-Corse, ce temps de présence se rapproche davantage du niveau national.

Le montant moyen du RMI est plus élevé en Corse que le montant moyen national. En juillet 1998, l’allocation moyenne atteignait 2.167 francs en Corse-du-Sud et 2.031 francs en Haute-Corse, la moyenne française se situant à 1.983 francs. Notons que le calcul du montant du RMI dépend de nombreux paramètres : la taille de la famille, le montant des autres prestations versées, le logement, les revenus extérieurs. Il semble que peu d’allocataires perçoivent – ou déclarent percevoir – des revenus autres que ceux du RMI en Corse. Cela pose le problème du contrôle de la réalité des déclarations qui fait l’objet de développements ultérieurs.

 

 

 

Population

Taux de chômage

Nombre de RMIstes

Taux

de

bénéficiaires

Nombre d’allocataires pour 1.000 habitants

 

Allocation moyenne

Corse-du-Sud

124.371

13,3 %

4.225

7,3 %

56,9

2.167

Haute-Corse

135.311

13,2 %

4.106

6,6 %

51,7

2.031

Ariège

136.610

12,4 %

2.969

5,4 %

40,7

1.980

Cantal

155.146

9,9 %

1.966

3,1 %

24,0

1.765

Creuse

126.977

10,7 %

1.670

3,6 %

24,6

1.888

Lot

156.900

10,5 %

1.941

3,1 %

23,6

1.923

Territoire de Belfort

137.069

11,2 %

2.038

3,4 %

28,2

1.886

Moyenne

 

12,2 %

 

3,7 %

 

1.983

Source : Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur les procédures d’instruction et d’attribution du revenu minimum d’insertion (RMI), juillet 1998

Comment expliquer que la part de la population concernée par le RMI dans la région Corse est l’une des plus élevées de métropole ? La commission d’enquête considère que cette particularité s’explique en premier lieu par les lacunes observées dans la gestion même du dispositif.

 

·  Des allocations distribuées largement en l’absence de gestion globale du dispositif

Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales a mis en évidence certaines défaillances dans les procédures d’instruction et d’attribution du RMI en Corse.

Il fait état de " chaîne d’incohérence et de non responsabilité de l’État, dans les deux départements ". En Corse, les caisses d’allocations familiales (CAF) ne sont pas en charge de la gestion du dispositif : elles n’ont reçu aucune délégation en la matière. Ce sont des services déconcentrés de l’État, les directions départementales des affaires sociales (DDASS), qui doivent en principe gérer le dispositif et en assurer le contrôle. Or, la mission récemment effectuée en Corse, dans le cadre de l’inspection générale des affaires sociales, démontre toutes les faiblesses du système actuel : " Il a semblé à la mission que, compte tenu du mode de fonctionnement des deux DDASS et des deux CAF, il est tout à fait probable que l’allocation RMI ait été distribuée sinon largement tout au moins à de nombreuses personnes qui n’auraient pas dû en bénéficier. "

·  Les carences en matière de prévention et de contrôle des fraudes

Le rapport déjà cité relève l’absence d’action de prévention de fraudes et de poursuites pénales à l’encontre des bénéficiaires ayant omis de déclarer les ASSEDIC, la formation rémunérée ou un emploi. " Il n’y a donc aucun risque pour ceux qui fraudent. " Et le rapport d’ajouter : " Dans une société quelque peu fermée, car insulaire, cela doit se savoir. "

Ainsi, certains allocataires du RMI " omettent " de déclarer des ressources (les ASSEDIC, une pension alimentaire, une pension vieillesse, la rémunération de leur formation par le CNASEA), ou ne séjournent plus sur le territoire national. Lorsqu’une telle situation est constatée, la DDASS se contente de radier les intéressés à partir du mois suivant la notification de la CAF. Il semble qu’aucune plainte ne soit jamais déposée auprès du parquet par les DDASS.

Les renseignements détenus par les deux CAF semblent pour le moins approximatifs, si l’on en croit la récente mission de l’IGAS qui note dans son rapport que les réponses qui lui ont été fournies par les cadres de direction étaient " peu fiables " : " la DDASS et la CAF se renvoient la balle. On n’est jamais sûr de savoir, entre la CAF et la DDASS, qui donne le bon chiffre, qui décrit correctement la situation, qui couvre ou dénonce qui. "

·  Une gestion particulièrement défectueuse en Corse-du-Sud

La situation paraît notablement dégradée en Corse-du-Sud où la direction départementale des affaires sociales semble ne pas maîtriser le dispositif dont elle n’a aucune vision globale. D’après les investigations de l’IGAS, la DDASS possède une connaissance pour le moins parcellaire des bénéficiaires du RMI.

Plus grave : la direction départementale des affaires sanitaires et sociales n’applique pas certaines dispositions législatives et n’hésite pas à prendre certaines libertés avec les textes en vigueur. Ainsi la direction ouvre le droit au RMI et radie les bénéficiaires selon des critères qui lui sont propres et ne correspondent nullement aux textes législatifs ou réglementaires applicables. Par exemple, les contestations relatives au RMI sont systématiquement traitées par la DDASS elle-même, qui préfère semble-t-il les traiter en " recours gracieux " plutôt que de les transmettre à la commission départementale d’aide sociale (CDAS), comme elle devrait le faire. Ainsi aucun dossier n’a été examiné en commission départementale d’aide sociale depuis au moins 1993.

Selon toute probabilité, ces recours gracieux s’effectuent en faveur des demandeurs car aucun d’entre eux ne se retourne ensuite vers ladite commission. Les agents en charge de la gestion du RMI ont d’ailleurs reconnu devant la mission de l’IGAS traiter les dossiers en dehors du cadre juridique normal. Le rapport de l’IGAS remarque par ailleurs un lien de parenté entre la personne responsable du RMI à la CAF et celle en charge de ce dossier à la DDASS.

La CAF ne réalise pas de contrôle effectif sur les sous-déclarations ou les omissions qui marquent les déclarations et ne sont d’ailleurs pas considérées comme une manifestation de fraude. De ce fait, elles ne font l’objet d’aucune poursuite pénale. De même, la récupération des indus pose problème.

Contrairement à la situation qui prévaut dans de nombreux départements, il n’existe pas à la DDASS de fichier d’allocataires autre que celui fourni par la CAF - qui d’ailleurs ne donne que très peu de renseignements - , ni aucun fonds de dossier permettant de comprendre et de suivre les décisions d’accord, de dérogation ou de rejet. Ainsi " la lettre type de proposition d’ouverture de droit transmise par la CAF à la DDASS est totalement neutre (à la demande de la DDASS d’après ce que nous a dit la CAF, et le fonds de dossier n’existant pas, il est impossible de vérifier, à la DDASS, le bien-fondé ou non de la décision. "

En outre, des personnes sont réintégrées dans le dispositif RMI sans que soient appliquées les dispositions législatives contraignant l’intéressé à élaborer, puis à faire valider un nouveau contrat d’insertion par la commission locale d’insertion. En Corse-du-Sud, les réintègrations interviennent en l’absence de tout nouveau contrat. Interrogés à ce sujet par la mission de l’IGAS, les agents de la DDASS ont prétendu tenir compte des situations particulières. Il s’avère que ces fonctionnaires ne demandent en réalité aucune pièce justificative leur permettant de prendre une décision d’opportunité.

Contrairement à ce que prévoient les textes (circulaire du 26 mars 1996), il n’existe pas de plan de contrôle du dispositif du RMI visant à mettre au point une politique de contrôle local, associant notamment les organismes instructeurs et les commissions locales d’insertion : " la DDASS déclare que la CAF ne lui a jamais présenté de plan de contrôle, ce à quoi la CAF répond qu’on ne lui a jamais demandé ".

D’ailleurs, la CAF ne respecte pas l’instruction de la circulaire du 26 mars 1983 prévoyant le contrôle mensuel de 15 % des ouvertures de droit et de 1 % du stock. Or des contrôles plus réguliers permettraient de mettre en évidence certains versements indus. Ceux-ci sont fréquemment provoqués par le versement, après l’ouverture du droit, d’autres prestations (comme les pensions vieillesse) n’étant pas signalées par le bénéficiaire. D’après les chiffres de la CAF de Corse-du-Sud, 2.052 cas d’indus auraient déjà été détectés en 1997 pour un montant moyen de 1.623,96 francs.

Le niveau d’accès des bénéficiaires du RMI au dispositif d’insertion, proche du niveau national en Haute-Corse, reste nettement plus faible en Corse-du-Sud. En 1996, plus d’un bénéficiaire du RMI sur deux possédait un contrat d’insertion en cours de validité dans le département de Haute-Corse. Ce taux, bien que sensiblement inférieur à ce que la loi prévoit, demeure proche de celui observé à l’échelle nationale. Le niveau d’accès aux mesures-emploi en Haute-Corse paraît voisin du niveau national : 17 % du stock d’allocataires étaient concernés par ce type de contrats (comme le contrat emploi solidarité) en 1997, soit seulement un point de moins qu’en métropole. C’est en Corse-du-Sud que la situation semble la moins favorable. Le taux de contrat d’insertion – 13 % au premier semestre 1997 – comme le taux d’accès aux mesures emploi – 12 % en 1997 – se situaient parmi les taux les plus bas en France. En 1997, un allocataire du RMI avait quatre fois moins de chance d’avoir un contrat d’insertion dans le sud de l’île que dans le nord.

Cette situation explique qu’une partie des crédits d’insertion ne soit pas consommée en Corse-du-Sud.

·  Des constations plus nuancées en ce qui concerne la situation en Haute-Corse

Dans son rapport, l’Inspection générale des affaires sociales établit un constat moins préoccupant pour la Haute-Corse que pour la Corse-du-Sud. En Haute-Corse, il semble en effet que le dispositif soit géré de façon plus conforme aux textes en vigueur : " comme dans le département de la Corse-du-Sud, le dispositif RMI n’est pas piloté. Toutefois, il a semblé à la mission que c’est surtout par méconnaissance et maîtrise insuffisantes du dispositif dans sa globalité que cela fonctionne mal. "

Il faut toutefois noter que la CAF de Haute-Corse n’a jamais engagé de poursuites pénales quel que soit le montant de l’indu ou son origine. " Si l’allocataire qui a un indu est toujours dans le dispositif RMI (ce qui signifie que la CAF peut récupérer l’indu) et ne demande pas de remise gracieuse, la CAF n’en informe jamais la DDASS. Il ne semble pas que cette dernière ait demandé d’être tenue au courant des indus et ait cherché à maîtriser mieux la situation. "

·  La nécessaire reprise en mains

Les divers éléments fournis à la commission la conduisent à préconiser un réexamen en profondeur de l’ensemble du dispositif dans les deux départements de Corse.

    • Les équipes chargées de gérer cette allocation, en place depuis de nombreuses années, doivent être renouvelées ou tout du moins remobilisées. L’ensemble de la gestion pourrait être centralisé au niveau des DDASS à condition de recruter ou de former du personnel très qualifié ayant de solides connaissances juridiques. Dans son rapport, l’IGAS suggère de " muter dans l’intérêt du service public les fonctionnaires ou les contractuels des deux DDASS de la Corse sur le continent après au maximum 5 ans en poste en Corse. "
    • Les circuits de décision mériteraient d’être clarifiés car la dilution des responsabilités est aujourd’hui totale entre la CAF ou de la DDASS. Dans son rapport, l’IGAS suggère de renforcer la mission d’instruction administrative et de contrôle du RMI incombant aux CAF. Le dispositif ne pourra devenir transparent et fiable sans un investissement net de la part de chacune des CAF dans les deux départements. Comme le préconise le rapport déjà cité, il convient de fixer des objectifs aux CAF et de veiller à leur exécution ; leur travail doit en outre faire l’objet d’un contrôle a posteriori.
    • Enfin, les activités de contrôle des situations des demandeurs doivent être renforcées et des poursuites pénales engagées en cas de fraude importante. Il n’est pas acceptable que le dispositif du RMI soit détourné de son objet par des personnes qui établissent en toute impunité des déclarations parfaitement erronées. Des échanges de fichiers entre les ASSEDIC, le CNASEA, les services fiscaux et la DDASS pourraient être mis en œuvre afin de donner aux DDASS des moyens accrus de contrôle et de détection des anomalies. Par ailleurs, une politique claire doit être définie concernant les cas de remise de dette ainsi que ceux de poursuites pénales.

Il sera à l’évidence nécessaire qu’un audit plus complet s’applique à la chaîne des décisions intervenant dans l’attribution du RMI. Le rôle des élus locaux et des travailleurs sociaux devra être examiné, ainsi que le fonctionnement des commissions locales d’insertion.

b) Des largesses dans les conditions d’attribution des allocations aux adultes handicapés (AAH)

Cette prestation a fait l’objet, elle aussi, d’une récente étude de l’Inspection générale des affaires sociales.

·  Un taux record de bénéficiaires de l’AAH

Ancien, le phénomène de sur-représentation des allocations aux adultes handicapés en Corse se traduit par l’existence d’un " stock " de bénéficiaires important et stable depuis plusieurs années.

    • Rapporté au nombre d’habitants de l’île, celui des bénéficiaires de l’AAH en Corse-du-Sud et surtout en Haute-Corse, est entre deux et trois fois plus élevé que le taux national. L’écart est de 1 à 7 entre le département le plus bénéficiaire, la Haute-Corse, et le moins bénéficiaire, les Yvelines. En Corse, 62,5 % des allocataires sont des femmes ; la population concernée vit en moyenne plus souvent en couple et est plus âgée dans l’île que sur le continent. Contrairement à l’évolution nationale, le nombre d’allocataires (environ 6.100) s’est stabilisé depuis 1989, année d’apparition du revenu minimum d’insertion (qui couvre comme on l’a vu plus de 8.300 personnes).
    • Le flux de demandes, qui ne décélère pas, reste toujours supérieur au taux observé sur le continent. Ces demandes oscillent entre 1.500 et 2.100 par an pour l’AAH. Pour l’allocation compensatrice tierce personne (ACTP), elles ont augmenté jusqu’à un flux de 2.500 par an en 1995, qui s’est ensuite réduit avec l’adoption de la loi du 24 janvier 1997 créant la prestation dépendance. La demande fluctue selon les années entre 6,4 et 8,4 pour 1.000 habitants en Corse, alors que ce taux se situe entre 3,9 et 4,4 pour 1.000 habitants pour la France entière, soit la moitié du taux observé dans l’île.
    • Le poids des renouvellements est particulièrement lourd en Corse. En 1997, 70 % des demandes portaient sur des renouvellements en Haute-Corse et 68 % en Corse-du-Sud, alors que le taux national était de 57 %. Les décisions de reconnaître comme handicapées de nombreuses personnes au cours d’une année ont incontestablement des conséquences sur le maintien d’un stock important de bénéficiaires par la suite.
    • Le taux des premières demandes reste également supérieur au taux continental (2,1 demandes pour 1.000 habitants dans les deux départements, contre un taux national de 1,9 pour 1.000 habitants). Or ces taux devraient logiquement être plus bas en Corse, compte tenu du fait que le stock y est déjà plus important qu’ailleurs.
    • Les demandes de cartes d’invalidité – qui supposent un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 % – connaissent également une hausse spectaculaire (98 % en cinq ans) notamment en Corse-du-Sud, où elles progressent de plus de 30 % par an en moyenne. Il convient de relever que l’obtention de ces cartes donne lieu à des exonérations fiscales (une demi part supplémentaire pour le calcul de l’impôt sur le revenu, l’exonération de la vignette auto en cas de mention " station debout pénible ", l’exonération de la redevance audiovisuelle, les exonérations concernant la taxe d’habitation et la taxe foncière).

·  Les dysfonctionnements des COTOREP

Au total, l’enjeu financier n’est pas négligeable puisque l’AAH
– qui constitue le minimum social le plus élevé – représente en Corse une dépense d’environ 210 millions de francs, l’ACTP de 200 millions ; les exonérations fiscales, plus difficiles à chiffrer, atteindraient environ 100 millions. D’où la nécessité d’examiner le fonctionnement des COTOREP, chargées dans chaque département de traiter les demandes d’inscription.

Le laxisme paraît particulièrement avéré dans le cas de la COTOREP de Corse-du-Sud qui, selon les termes de la récente note de l’Inspection générale des affaires sociales, " distribue généreusement aides et allocations, refuse peu, accorde beaucoup, y compris ce qui ne lui est pas demandé, et ce pour une longue durée ", tandis que la COTOREP de Haute-Corse " commence timidement à refuser davantage ou à limiter la durée de certaines aides, mais accorde un nombre d’AAH " 35-2 " très supérieur à la moyenne nationale ". Rappelons que l’article 35, alinéa 2 de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, codifié dans le code de la sécurité sociale à l’article 821-2, permet d’attribuer une AAH avec un taux d’invalidité de 50 % seulement, et non 80 %, si le handicap de la personne l’empêche de se procurer un emploi. Cette disposition fait l’objet d’interprétations variables d’une COTOREP à l’autre. En l’absence d’une doctrine générale et claire, l’application faite en Haute-Corse notamment résulte de l’interprétation la plus favorable.

Ni l’état sanitaire ni la situation de l’emploi ne permettent d’expliquer cette situation particulière à la Corse. Il ne semble pas que l’augmentation du nombre d’allocataires soit liée à une augmentation des pathologies susceptibles de provoquer des handicaps. D’ailleurs, l’état sanitaire de la population sanitaire en Corse est généralement jugé satisfaisant. L’offre de soins, abondante, est de bonne qualité.

L’analyse des causes de décès montre l’importance des maladies vasculaires et cancéreuses, mais cela s’explique par le vieillissement de la population. En revanche, les traumatismes, maladies mentales, maladies du système nerveux – qui permettraient d’expliquer un taux plus important de handicaps physiques ou mentaux, acquis ou congénitaux – , ne connaissent pas de taux particulièrement élevés en Corse.

A la suite du contrôle effectué sur place, la mission de l’IGAS a constaté, dans la note d’étape déjà citée, que des anomalies dans l’attribution des allocations étaient manifestes pour ce qui concerne les aides en 2 ème section. D’après la mission, qui a travaillé en collaboration avec la DRASS et deux médecins, des doutes peuvent être émis sur la fiabilité du contrôle réalisé par la COTOREP de Corse-du-Sud : " il existe un fort écart entre les taux d’invalidité déterminés par la mission conformément au guide-barême et ceux déterminés par l’équipe technique. Cette situation diffère de ce que l’on observe pour les autres COTOREP, dans lesquelles le décalage est faible. (…) Au bout du compte, la décision prise (qu’il s’agisse d’un accord ou d’un refus) apparaît cohérente avec le contenu du dossier dans 37 % des cas. Dans 30 % des cas, une aide a été accordée sur un taux surévalué ; dans 7 % des cas, l’aide accordée paraît inadéquate à la situation de la personne demanderesse ; enfin dans 26 % des cas, le dossier ne permet pas de conclure si l’aide l’a été à juste titre ou non ".

D’après la mission de l’IGAS, la situation apparaîtrait moins préoccupante en Haute-Corse : " à la différence de la Corse-du-Sud, les spécialistes sont moins exclus du dispositif. Les examens cliniques effectués par les deux médecins permanents de l’équipe technique paraissent plus nombreux, plus sérieux, et plus conformes au guide-barême que ceux effectués à la COTOREP d’Ajaccio. (…) Au bout du compte, la décision prise par la COTOREP (qu’il s’agisse d’un accord ou d’un refus) apparaît cohérente avec les éléments contenus dans le dossier, tel que les deux médecins inspecteurs de la mission ont pu en prendre connaissance, dans 45 % des cas. Dans 22 % des cas, une aide a été accordée sur un taux surévalué ; dans 11 % des cas, l’attribution est inadéquate ; enfin dans 21 % des cas, le dossier ne permet pas de conclure si l’aide l’a été à juste titre ou non. ".

D’une manière générale, il semble que les attributions d’allocations et d’aides diverses vont nettement au-delà de ce que permettent les éléments contenus dans les dossiers.

En outre, chacune des deux COTOREP adopte des politiques différentes. Ainsi alors que les demandes d’AAH de personnes de plus de 60 ans sont acceptées de façon très large par la COTOREP de Corse-du-Sud, celle de Haute-Corse préfère renvoyer les dossiers vers le Fonds national de solidarité, ce qui paraît plus adéquat. Les deux COTOREP choisissent la plupart du temps les interprétations les plus favorables aux demandeurs et donc les plus coûteuses, en profitant par exemple du flou qui existe en ce qui concerne la nécessité ou non d’attendre la consolidation du handicap (c’est-à-dire attendre que l’affection ou l’accident soit à un stade stable) pour déterminer le taux d’invalidité et accorder des aides.

·  L’attitude contestable de certains médecins

L’attitude de certains médecins doit probablement faire l’objet d’une attention particulière. L’Inspection générale des affaires sociales fait, dans sa note d’étape, le constat suivant : " Dans l’échantillon examiné par les médecins de la mission, les certificats médicaux émanaient de 64 médecins différents, plus quatre d’origine indéterminée. Mais les certificats médicaux de près d’un quart des malades provenaient de 6 cabinets médicaux seulement. L’un de ces cabinets, qui regroupe notamment deux médecins de la même famille, à Porto-Vecchio, a vu passer 9 % des malades. Compte–tenu du nombre de médecins exerçant en Corse-du-Sud (262 en 1997, dont 112 spécialistes et 150 généralistes), l’écart entre le pourcentage calculé attendu (0,38 %) et ce résultat est statistiquement significatif. Deux explications sont possibles :

    • soit il existe des sortes de filières,
    • soit certains médecins délivrent des certificats de façon particulièrement prodigue, pour ne pas dire complaisante, hypothèse qui paraît confortée par les statistiques d’activité de la sécurité sociale. "

·  Les actions urgentes à mettre en oeuvre

Il sera sans doute nécessaire d’approfondir un certain nombre d’éléments évoqués ci-dessus. Néanmoins, on peut d’ores et déjà préconiser quelques orientations.

    • La première urgence est d’établir un système de contrôle régulier afin de mettre un terme aux abus les plus manifestes et de donner aux personnes intéressées un signal fort pour dissuader les demandes non sérieuses. Mais l’inversion de cette tendance risque d’être difficile à mettre en œuvre. La mission de l’IGAS relevait pour sa part l’absence de culture du contrôle, l’ensemble du dispositif étant fondé sur le système déclaratif. " Si les causes naturelles de sorties représentent la moitié des cas (décès, admission aux avantages vieillesse, déménagements) et si les causes liées au fonctionnement du dispositif (refus de la COTOREP, niveau de ressources supérieur au plafond) représentent moins d’un quart, on note en revanche que plus du quart des sorties est douteux : certains " n’habitent plus à l’adresse indiquée " (NHPAI) ; d’autres " oublient " de demander le renouvellement de leur AAH ; d’autres enfin n’envoient jamais les rares justificatifs demandés. Tous ces modes de sortie devraient faire l’objet d’un contrôle dans le but de rechercher des probables indus. "
    • Il convient, en second lieu, de sensibiliser le corps médical insulaire à la nécessité d’effectuer des contrôles sincères des personnes afin d’établir un diagnostic fiable. Il n’est pas acceptable que les taux d’incapacité soient surévalués, ce qui correspond semble-t-il à une pratique assez largement répandue.
    • La troisième action prioritaire est de combler les lacunes dans le système de prise en charge des personnes lourdement handicapées, qui se traduisent notamment par un manque d’établissements médico-sociaux capables de les accueillir. Le dispositif AAH est coûteux, car de nombreuses personnes sont chaque année " reconnues " handicapées, mais paradoxalement, il ne permet pas de prendre en charge de façon adéquate, les " vrais " handicapés lourds habitant dans l’île. Le sort de ces derniers devrait être amélioré. Déjà en 1994, une enquête de la direction régionale des affaires sociales (DRASS) avait permis de constater un déficit de 11 places dans les établissements socio-médicaux de Corse-du-Sud et de 41 places en Haute-Corse. Comme l’a noté l’IGAS " s’il existe une nette augmentation des personnes reconnues handicapées en Corse, bénéficiant à ce titre d’allocations et d’avantages divers, ce système – coûteux pour la nation – n’est pas pour autant satisfaisant pour les vrais handicapés lourds de l’île, délaissés au profit d’une clientèle plus autonome. "

 

3.– Le détournement possible des aides communautaires

Il y a quelques années, l’affaire des "vaches corses " et des primes européennes détournées ont été à l’origine de nombreux articles de presse. Moins médiatisées, les difficultés des services de l’État pour assurer un suivi systématique et constant des opérations financées grâce à des fonds structurels européens sont également préoccupantes, même si de nets progrès ont déjà été accomplis en la matière.

a) L’affaire des primes agricoles en Haute-Corse

La révélation des pratiques frauduleuses en matière d’aides agricoles communautaires a fait suite à une enquête réalisée du 9 au 16 septembre 1994 en Haute-Corse à l’initiative de M. Jacquot, alors directeur du FEOGA. Quelles en ont été les suites ? Quelles conclusions peut-on en tirer aujourd’hui ?

·  Les anomalies et pratiques abusives révélées par le rapport Jacquot

Le point de départ de cette enquête était l’allégation selon laquelle la prime à la vache allaitante était à l’origine des incendies dévastant régulièrement le maquis corse. Un haut fonctionnaire communautaire ayant participé à la mission Jacquot a déclaré devant la commission d’enquête : " Nous nous trouvions face à deux affirmations contradictoires. L’une, provenant des milieux écologistes, reprochait aux subventions communautaires d’avoir contribué à l’augmentation exponentielle du cheptel dont le nombre aurait été multiplié par trois en dix ans. Les ressources alimentaires n’ayant pas suivi, cela obligeait, nous disait-on, les bergers à mettre le feu au maquis pour permettre aux animaux de trouver leur nourriture. Une autre source indiquait que le système des primes en Corse était très particulier et ouvert à de nombreuses possibilités de fraudes ". (...)

L’enquête, qui fut diligentée sous la procédure dite d’apurement des comptes, consista, d’une part, à vérifier auprès de l’administration locale en Corse les mécanismes de contrôle mis en œuvre par les autorités françaises, et d’autre part, à effectuer des contrôles sur place pour apprécier de façon pratique comment ces contrôles étaient effectivement organisés. La mission, qui dura cinq jours en septembre 1994, permit de mettre en évidence certaines anomalies préoccupantes dans l’organisation administrative. Le rapport Jacquot indique en effet : " il n’apparaît pas que soient données les instructions indispensables et que soient suffisants les moyens de tous ordres, mis à la disposition des services locaux, pour que ceux-ci puissent remplir efficacement leur tâche de gestion et de contrôle. "

A partir d’un examen des dossiers tenus à la direction départementale de l’agriculture et de la forêt et de contrôles sur le terrain (12 communes et, dans chacune d’elle, une demi-douzaine de dossiers d’éleveurs), la mission fut amenée à établir des constats sévères, exposés dans un rapport bref (8 pages) et percutant, et repris dans une publication annuelle de la Commission européenne, " La protection des intérêts financiers de la communauté. La lutte contre la fraude ".

Lors de l’inspection, qui porta sur l’exercice 1993, les contrôleurs relevèrent différents procédés utilisés pour bénéficier indûment de deux catégories de primes européennes : l’indemnité spéciale montagne (ISM) et la prime à la vache allaitante (PVA). Il suffisait dans le premier cas de domicilier le troupeau installé en plaine sur une commune classée zone de montagne, grâce à la complaisance du maire concerné, aucun contrôle réel n’étant par la suite effectué concernant l’identification des terrains où les troupeaux étaient supposés paître.

Alors que l’article 5 du règlement CEE 3887 / 92 relatif à la prime à la vache prévoit l’obligation de signaler dans la demande d’aide toutes les informations nécessaires sur le lieu de rétention des animaux, l’examen des dossiers permit à la mission de constater que, bien souvent, les demandeurs ne signalaient pas ce lieu avec précision et qu’ils se contentaient d’inscrire le nom de la commune où l’exploitation était localisée (et non le troupeau). Lors des contrôles effectués sur le terrain, il a été également constaté à plusieurs reprises que les troupeaux ne se trouvaient pas sur les surfaces appartenant à l’exploitation en question. De même, la réglementation communautaire n’était pas respectée au regard de la notion d’ " animal éligible ". En outre, il a été constaté qu’il n’existait pas de véritable suivi sanitaire des animaux en Haute-Corse.

Les contrôleurs découvrirent que certains fraudeurs résidaient en réalité en région parisienne. Dans d’autres cas, l’existence même du cheptel ne pouvait être établie. Enfin, l’indemnité spéciale montagne, limitée aux troupeaux de 50 bêtes, donnait lieu à l’utilisation fréquente de prête-noms. Un propriétaire de plusieurs centaines de bêtes pouvait ainsi, en divisant artificiellement son cheptel en unités de 50, attribuées à des membres de sa famille, multiplier le gain.

Un haut fonctionnaire communautaire ayant participé à la mission Jacquot a déclaré devant la commission d’enquête : " Nous nous sommes aperçus qu’au sein de la DDAF, une seule personne procédait au contrôle administratif des demandes, ce qu’elle ne pouvait faire compte tenu de la masse de celles-ci. Pour les deux indemnités les plus importantes, la prime à la vache allaitante et l’indemnité spéciale montagne, plus de deux mille demandes étaient répertoriées par an. Il était impossible à une personne d’organiser le contrôle administratif des demandes et d’orienter les contrôles sur place. La deuxième anomalie qui nous a frappés était l’absence, dans le département de Haute-Corse, de fichier informatisé actualisé d’identification des animaux. Ce fichier était tenu par la Chambre départementale de l’agriculture. Le jour où nous y sommes allés, il était en panne. En fait, il n’existait plus depuis un an. La responsabilité de l’identification des animaux était le fait des vétérinaires privés qui distribuaient les boucles, en hiver, lors des mesures de prophylaxie.(...)

" Nous nous sommes aperçus que la définition de la vache allaitante retenue n’était pas la même que celle fixée par la réglementation communautaire. Celle-ci fait état de vaches ayant vêlé ou admet la possibilité de remplacer une vache ayant vêlé par une génisse sur le point de mettre bas. En Corse, la direction départementale de l’agriculture avait décidé que pouvait être considérée comme vache allaitante toute vache d’un âge supérieur à 18 mois, sans considération de la nécessité qu’elle ait vêlé. Or les vaches corses présentent la spécificité de vêler entre trente et quarante mois. Les demandes étaient donc présentées pour des animaux non éligibles.

Nous avons également été surpris d’apprendre que les animaux n’étaient pas visibles sur place. Ils étaient déclarés résider dans une commune déterminée, mais on nous expliquait qu’ils se trouvaient dans la montagne parce que c’était la période d’estive.

En outre, il n’y avait pas d’identification du foncier. Pour bénéficier d’une prime, il faut, pour des raisons écologiques, une certaine densité à l’hectare. Pour 1994, elle était fixée à trois unités de gros bovins par hectare. En fait, nous n’avons pas vu de propriétés. La plupart du temps, nous avons vu des estives communales partagées sans que personne ne sache exactement qui en avait le droit d’utilisation.

Nous avons été surpris aussi par la définition de l’exploitant agricole. Nous avons rarement trouvé d’exploitants agricoles. Il s’agissait parfois de gens résidant ailleurs qu’en Corse ou en ville, à Bastia ou à Ajaccio, mais qui n’habitaient pas dans la commune où leur troupeau était censé se trouver.

Enfin, nous avons été particulièrement étonnés par l’utilisation de prête-noms. La prime à la vache allaitante ainsi que l’indemnité spéciale montagne sont soumises à des limites. Pour la vache allaitante, il s’agit d’un droit à prime introduit en 1993, fixé en fonction des droits détenus en 1992. Ces droits sont arrêtés chaque année par la direction départementale de l’agriculture. Concernant l’indemnité spéciale montagne, la limite fixée par les autorités françaises est de 50 unités de gros bovins. Pour dépasser ces limites, certains propriétaires de gros troupeaux ont utilisé des prête-noms. Nous nous sommes trouvés en face de personnes qui ne connaissaient pas la composition exacte de leur cheptel. Il était manifeste qu’ils n’avaient pas rempli la déclaration qu’ils avaient déposée. (...)

L’octroi de l’indemnité spéciale montagne est soumise à plusieurs conditions. L’une est que l’exploitant doit résider en permanence dans la zone où il déclare avoir son exploitation . Une autre est liée aux conditions de l’activité, à savoir qu’il doit être exploitant à titre principal. (...) Dans ce domaine, nous avons rencontré le même problème qu’avec la prime à la vache allaitante : on utilisait des prête-noms pour justifier d’une résidence. Lorsqu’on cherchait à savoir le lieu où résidaient les personnes qui demandaient les primes, on ne le trouvait pas. (...) Après avoir visité douze communes qui représentaient soixante-dix exploitants, nous avons décelé cinquante-et-une anomalies. "

·  Les suites données à la mission

En conclusion de ce rapport, il était demandé aux autorités françaises de prendre des mesures concrètes de redressement individuel à l’encontre des bénéficiaires en situation d’irrégularités, et d’effectuer un audit des conditions d’octroi des indemnités spéciales montagne de 1988 à 1992. La Commission européenne annonçait (pour le département de la Haute-Corse) la suspension des avances et paiements du FEOGA concernant l’ISM pour 1993 et les années suivantes, et concernant la prime à la vache allaitante pour 1995 et les années suivantes. Elle décidait de procéder à une réduction financière et forfaitaire de 50 % des dépenses encourues pour le FEOGA au titre de l’exercice 1994 pour la prime à la vache.

En réponse, le gouvernement s’engagea à renforcer ses contrôles grâce à la mise en place d’un système efficace d’identification animale en Haute-Corse, et annonça que les irrégularités constatées feraient l’objet de sanctions. Au printemps 1996, la Commission européenne se déclarait satisfaite, globalement, par les actions entreprises par les autorités françaises.

Un haut fonctionnaire communautaire a apporté les précisions suivantes à ce propos : " Le FEOGA, en collaboration avec l’UCLAF et le contrôle financier, a utilisé l’arme de l’apurement des comptes. Ayant estimé que le système mis en place par les autorités françaises ne garantissait pas la régularité des dépenses, il a décidé d’en retenir une partie. Dans un premier temps, le directeur général de l’agriculture avait décidé la suspension du versement des primes par le FEOGA à la France, pour ce qui concernait la Corse, en demandant aux autorités françaises de prendre un certain nombre de mesures : l’examen systématique de l’ensemble des demandes pour les quatre dernières campagnes, la poursuite effective des cas d’irrégularités et leur communication aux services de la Commission, suivant la procédure prévue à cet effet (…). Cette suspension a été levée après que les autorités françaises eurent présenté un plan de réorganisation. Ce plan prévoyait une augmentation des effectifs de contrôle, le changement de statut des agents chargés du contrôle sur place – nous avions constaté qu’il s’agissait de vacataires embauchés pour trois mois et résidant dans la commune qu’ils étaient chargés de contrôler, de sorte qu’ils étaient soumis à la pression du milieu ambiant – et la poursuite des cas de fraude. "

D’après un ancien haut responsable communautaire très au fait de ce dossier, ce qui n’a pas été obtenu des autorités françaises, c’est qu’elles remontent dans le temps – le contrôle portait sur l’année 1993 – afin de contrôler certains individus tels que cet homme, secrétaire d’un académicien, se déclarant agriculteur de la montagne – et percevant à ce titre une prime de la Communauté – et habitant quai Conti à Paris ! L’administration nous a répondu avec cette formule : " pour des raisons d’ordre public, nous ne pouvons accéder à votre demande. " Il a donc été décidé que la communauté française – et donc le contribuable – allait payer ces sommes indues, résultant des corrections financières décidées par la Commission ".

Selon le ministère de l’Agriculture, l’identification animale (identification individuelle des bovins par cheptel) s’effectue désormais par la Chambre d’agriculture de façon efficace. Il aurait été décidé d’exclure les génisses des animaux éligibles à la prime et les exploitations non situées en zone de montagne pour l’indemnité spéciale montagne. Toujours selon le ministère, et contrairement à ce que d’aucuns avaient prétendu, le gouvernement de l’époque ne se serait pas substitué au FEOGA lorsque les aides ont été suspendues. En revanche, c’est bien le contribuable français qui a assumé la charge des sommes perçues indûment et jamais reversées.

·  Quelles conclusions en tirer aujourd’hui

– La direction départementale de l’agriculture et de la forêt, qui n’était pas dotée des moyens de contrôle adéquats en 1994, est-elle aujourd’hui dotée des moyens nécessaires aux vérifications sur la réalité des déclarations ?

Il semble que ce service ait négligé, dans le passé, ses activités de contrôle par manque de moyens ou de volonté. Il est toutefois difficile de mesurer le degré d’organisation de la fraude qui s’était développée en matière d’attribution de la prime à la vache allaitante. Un haut fonctionnaire communautaire ayant participé à la mission Jacquot a expliqué devant la commission d’enquête : " Le système de prête-nom n’a été possible que parce que les élus corses, notamment les maires, l’ont permis, car c’est la délivrance des attestations de résidence qui permettait de bénéficier des primes. (…) On peut simplement dire qu’il existait un usage relativement répétitif du prête-nom. La plupart des gens que nous avons rencontrés ne connaissaient pas la consistance exacte de leur cheptel. "

Lorsque le rapport Jacquot a été rendu public, la Commission européenne n’a pas manqué de stigmatiser l’attitude des pouvoirs publics français en dénonçant leur inertie. Les renseignements obtenus par la commission d’enquête la portent à considérer que des progrès restent toujours à accomplir par les services déconcentrés de l’agriculture, au niveau départemental et régional, en matière de contrôle. Le rapport Jacquot a mis en lumière la déconcertante facilité avec laquelle la fraude a pu s’installer en Haute-Corse. Il n’est pas certain que la situation ait radicalement évolué depuis.

– D’une manière générale, l’affaire des primes agricoles a montré que les autorités françaises ne s’étaient guère préoccupées du bon emploi des primes agricoles européennes avant la publicité faite autour du rapport Jacquot. Cette attitude a-t-elle réellement évolué ? Il est difficile de le dire.

Un haut fonctionnaire communautaire membre de l’UCLAF a estimé : " Nous avons eu souvent le sentiment, surtout dans notre domaine, où nous sommes amenés à aller sur le terrain, que les autorités nationales, d’une façon générale, considèrent que les crédits communautaires, c’est de l’argent qui vient d’ailleurs ". Ce constat ne s’applique pas qu’aux seules primes agricoles ; il est également valable pour la consommation des fonds européens structurels.

b) Un déficit de contrôle dans l’utilisation des fonds structurels

Au terme de ses travaux, la commission tient à souligner le manque de moyens mis à la disposition des services déconcentrés pour assurer le meilleur suivi possible des programmes communautaires.

·  La responsabilité des services de l’État

La Corse est certes dotée d’un statut particulier et la répartition des compétences entre l’État et ses partenaires – la Collectivité territoriale et ses offices – doit être prise en compte. Néanmoins, la responsabilité de l’État, qui résulte des engagements communautaires de la France, demeure pleine et entière en ce qui concerne la gestion des fonds structurels dans cette région. Celle-ci ne saurait être déléguée ni se partager avec d’autres instances que les autorités administratives.

C’est le secrétariat général pour les affaires corses (SGAC) qui, au sein de la préfecture, est responsable du suivi des programmes européens et doit fournir à l’instance habilitée à certifier les dépenses (le préfet de région ou le secrétaire général) les données collectées auprès des maîtres d’ouvrage ou des services coordonnateurs.

·  Les lacunes actuelles des modalités de contrôle

Dénoncées dans plusieurs rapports, certaines insuffisances du système ont persisté et doivent être signalées.

Du 4 au 8 juillet 1994, une mission de contrôle du Programme opérationnel intégré (POI) de la Corse fut diligentée par les services de la direction générale chargée du contrôle financier à la Commission européenne (DG XX). Dans un rapport remis le 30 mars 1995, il est indiqué : " Il n’existe jamais au SGAC de situation exhaustive, sur base de données comptables collectées périodiquement, des investissements réalisés dans le cadre des programmes financés par le FEDER. (…) Aucun système de comptabilité séparée, ni de codification comptable adéquate n’existe auprès du SGAC ou du maître d’ouvrage permettant d’avoir des états récapitulatifs reprenant l’ensemble des transactions relatives aux opérations cofinancées par le FEDER ". Ces constatations, sévères, donnent le sentiment que les représentants de l’État en Corse n’ont pas les moyens de contrôler réellement le suivi des opérations FEDER dans l’île.

En décembre 1996, un rapport de l’Inspection générale de l’administration du ministère de l’Intérieur relatif à " l’assistance technique des fonds structurels européens en région Corse " mentionnait également les difficultés rencontrées par le secrétariat général pour les affaires corses dans les termes suivants : " la mission a constaté que le SGAC souffrait d’un retard sur trois points importants : l’informatisation de la gestion des fonds européens (…), l’information qui ne paraît pas suffisamment assurée auprès des porteurs de projets, notamment par l’édition de brochures et de plaquettes permettant de présenter les différentes aides de façon claire et didactique, l’appui aux opérateurs sur le terrain et leur contrôle éventuel ".

Une mission effectuée plus récemment a établi qu’en dépit des efforts entrepris à partir de 1996 sous l’impulsion notamment du préfet Claude Erignac, le SGAC restait relativement démuni et demeurait une structure trop légère. De plus, le rapport relevait que le service déconcentré désigné comme coordonnateur d’un fond n’assurait pas systématiquement l’instruction des opérations correspondantes. Cette instruction peut être réalisée par un service de l’État, un service de la Collectivité territoriale ou un office. D’après cette analyse, la présence des offices n’aurait guère facilité la maîtrise des informations par les services de l’État.

·  Des améliorations à confirmer

De 1996 à février 1998, l’organisation du suivi et du contrôle des fonds européens fut marquée par la volonté du préfet Claude Erignac de renforcer les outils de contrôle du secrétariat général pour les affaires corses. La situation s’est incontestablement améliorée grâce à l’effort entrepris en ce sens au cours des deux dernières années ; mais la multiplicité des acteurs en présence (services déconcentrés de l’État, Collectivité territoriale de Corse, collectivités locales, offices et agences) ainsi que le morcellement des compétences en matière d’instruction et de gestion des crédits délégués rendent encore très difficile la tâche du représentant de l’État.

Lors d’un déplacement à Ajaccio, la commission d’enquête a toutefois pu constater que le système de " monitorage " avait été largement renforcé au cours des deux années précédentes. Il conviendrait cependant de recentrer davantage le système de suivi, encore trop éclaté, au niveau du SGAC.

·  Un exemple particulier : la route d’accès au port de Propriano

Il a déjà été précédemment question du cas du port de la commune de Propriano. L’exemple développé ici concerne uniquement le dossier relatif à la route qui aurait dû être construite pour accéder à ce port. Il faut tout d’abord rappeler que la commune de Propriano avait été reconnue éligible à un financement Interreg 1 " Corse-Sardaigne " pour réaliser cette route. Le montant des travaux devait en principe atteindre 6 millions de francs. Une subvention initiale de 3 millions de francs fut attribuée à la commune le 20 décembre 1993 ; le montant de 1,5 million fut versée dans un premier temps. A la clôture du programme européen, les travaux n’avaient pas été réalisés, et environ 400.000 francs semblaient seulement justifiés.

Un premier ordre de versement d’un montant de 1.110.030 francs fut donc émis en décembre 1997, suivi d’un second de 389.969 francs le 25 février 1998. Le trésorier-payeur général fut, pour sa part, saisi le 9 juillet 1998 d’une demande de recouvrement des sommes.

Dans un courrier du 17 février 1998, le préfet Bernard Bonnet écrivait à l’attention du maire de Propriano : " le 19 février 1997, mon prédécesseur a été amené à émettre à l’encontre de votre commune un titre de perception d’un montant de 1.110.030,52 francs. Cette décision destinée à récupérer le trop perçu FEDER dont a bénéficié votre collectivité, dans le cadre de la mise en œuvre du programme Interreg 1 Corse-Sardaigne pour la réalisation de l’opération " aménagement de l’accès au port " s’est fondée notamment sur le montant des dépenses réalisées à la date du 31 décembre 1996, date de clôture du programme. Le montant des dépenses constatées s’élevaient à 779.938 ,96 francs, ce qui pouvait justifier comptablement un versement FEDER correspondant de 389.969,48 francs (50 %). "

Le préfet de Corse indiquait ensuite au maire de la commune que les dépenses engagées (779.938,96 francs) ne pouvaient être considérées comme couvertes par le programme européen : " ces dépenses doivent être considérées comme liées à des travaux préparatoires, sans aucune fonctionnalité, ce qui les écarte du champ d’intervention normal du FEDER. "

Dans un autre courrier, en date du 9 juillet 1998, le préfet de Corse interrogeait le trésorier-payeur général sur l’état des procédures engagées en vue du recouvrement des sommes en question. Au moment de la rédaction du présent rapport, ce dernier n’avait pu réaliser ce recouvrement et s’apprêtait à relancer cette demande auprès de la commune. Si celle-ci n’aboutit pas rapidement, une procédure d’inscription d’office au budget communal devra être réalisée.

De son côté, l’UCLAF, alertée par cette situation, effectua une mission sur place les 24, 25 et 26 mars 1997. Comme l’a expliqué un haut fonctionnaire communautaire entendu par la commission d’enquête, " sur le plan communautaire, la situation était assez simple. Il y avait une programmation de cette action à hauteur d’un coût total de 6 millions de francs, comprenant un cofinancement FEDER de 3 millions de francs. Une avance de 1,5 million de francs avait été versée dès l’engagement de l’action. La réalisation de l’ouvrage ayant été abandonnée, un ordre de reversement avait été décidé par le préfet pour la partie qui excédait les quelques travaux réalisés. Ceux-ci consistaient en la mise en place de canalisations et en la réalisation de quelques études et s’élevaient à environ 800.000 francs. D’un point de vue budgétaire, la question portait, sur le reliquat de cette somme de 50 % des 800.000 francs. "

" (…) Pour nous, services de la Commission, nous avons observé une difficulté de fonctionnement des différents services de l’État chargés de l’aspect communautaire.

Trois administrations principales sont concernées sur le plan local. Les directions de l’équipement, la direction régionale, la direction départementale et les services dérivés, en tant que maître d’œuvre, en tant que service instructeur ou coordonnateur ont participé à toutes les opérations depuis le premier jour. La direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a vocation, en matière de marchés publics, à participer aux commissions d’ouverture des plis et à traiter de ces données. Les services du préfet et de la sous-préfecture chargés du contrôle de légalité n’ont pas jugé substantielles les irrégularités pour attaquer ces actes devant le tribunal administratif.(…)

Le premier grief que nous avons fait est que les autorités administratives françaises n’aient pas communiqué ce cas à la Commission, comme il est prévu dans un règlement de 1994. Cette situation n’était pas propre à la Corse ni à la France, mais elle était suffisamment préoccupante pour que Mme Gradin écrive, en janvier 1997, à M. le Premier ministre de la France, pour faire état de cette absence de communication de cas d’irrégularités. Le Premier ministre a répondu assez rapidement qu’il était lui-même préoccupé du sujet et que les choses allaient changer.

Le nombre de cas n’est peut-être pas suffisamment important pour en tirer des conclusions générales, mais les quelques cas que nous avons à traiter en France dans le domaine des fonds structurels sont extrêmement graves, qui mettent en cause tant des services administratifs que d’autres autorités. Nous observons des difficultés de fonctionnement des services qui en ont la charge, plus précisément de ceux qui ont la charge des actions communautaires, et une faible capacité au niveau central, qu’il s’agisse de l’ICLAF ou de la commission interministérielle chargée du contrôle, à mobiliser leurs ressources pour améliorer la situation. "

En définitive, la commission d’enquête préconise que la plus grande vigilance s’exerce dans le domaine de l’utilisation des fonds structurels car, comme l’a indiqué à la commission un ancien haut Corse. " responsable communautaire, " il existe (dans l’espace communautaire) des poches de fraude dans lesquelles nous trouvons la Corse. "

 

- Cliquer ici pour consulter la suite du rapport Partie III-A , annoncée ci-dessous.

III.– à la recherche des causes : l’inconstance des gouvernements, les défaillances des pouvoirs locaux, la puissance des réseaux d’intérêt

A.– LES Corses et la république

 

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