S O M M A I R E

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IV.  des propositions POUR UNE STratégie durable et crédible de l’état en Corse (suite ET FIN)

C.– démocratiser et rationaliser les institutions *

1.– Pour une démocratie transparente et rigoureuse *

a) Les résultats de la refonte décidée en 1991 semblent effacés *

b) L’administration apparaît en effet désarmée *

c) Des modifications législatives s’avèrent nécessaires *

2.– Des améliorations à apporter à court terme : cohérence, cohésion et responsabilité *

a) Des débats récurrents sur les institutions *

·  Le point de vue de quelques élus de l’île : pour un " toilettage ", une pause institutionnelle ou une refonte du système *

·  Les appréciations de plusieurs ministres de l’Intérieur *

·  La position de la commission d’enquête : pas de préalable institutionnel *

b) Les défauts originels et les dysfonctionnements du système actuel *

·  Une Collectivité territoriale qui n’assume qu’imparfaitement ses responsabilités *

·  La coexistence de deux légitimités concurrentes au sein des conseils d’administration des offices *

·  Le risque de démembrement de la Collectivité territoriale *

·  Les chevauchements de compétences liés à la sur-administration *

c) Les propositions de la commission d’enquête *

·  Les élus doivent se réapproprier les processus de prise de décision au sein des offices *

·  Au minimum, la Collectivité territoriale de Corse doit davantage contrôler ses offices *

·  Pour la remise à plat du système des agences et offices *

·  Confier à la Collectivité territoriale de Corse les attributions de certains offices *

·  Recentrer les missions de l’ADEC *

·  Inciter l’OEHC à adopter une véritable politique de recouvrement de ses créances *

·  Renforcer la place de l’agence du tourisme *

3.– Des réformes à plus long terme : une organisation plus unitaire de la Corse *

a) Vers la suppression de la bi-départementalisation *

b) L’intercommunalité doit être fortement encouragée *

 

C.– démocratiser et rationaliser les institutions

La crise que traverse aujourd’hui la Corse n’appelle pas, dans les temps qui viennent, de réponses institutionnelles de grande ampleur. L’acquis du statut particulier doit être conservé, voire approfondi, et, dès lors, les craintes que certains feignent d’avoir sur une hypothétique " recentralisation " sont infondées.

Pourtant, l’île gagnerait à retrouver rapidement les conditions d’une authentique vie démocratique et d’un exercice normal de la citoyenneté. A cet égard, le fait que le nombre des électeurs inscrits sur les listes électorales ait presque retrouvé le niveau antérieur à la refonte de 1991 jette le trouble dans certaines parties de l’opinion insulaire. Si elle n’entend pas pour autant prôner une seconde refonte, qui reste une procédure d’exception, la commission d’enquête propose des modifications législatives de nature à permettre à l’administration d’assurer plus efficacement le respect des règles d’inscription sur les listes électorales.

Préserver l’acquis du statut particulier ne signifie pas que la loi du 13 mai 1991 ne peut être retouchée, notamment sur les points concernant les offices et agences de la Collectivité territoriale. Leur fonctionnement actuel et la nature des missions exercées par certains d’entre eux rendent indispensables quelques modifications, dont certaines ne sont d’ailleurs pas de nature législative et relève de la seule décision des organes de la Collectivité. Dans un premier temps, celle-ci doit s’attacher à accroître le poids des élus dans leurs conseils d’administration et renforcer un contrôle qui s’est révélé déficient. Plus fondamentalement, les questions de l’existence de certains offices et de la nature des nouvelles missions qui pourraient être confiées aux autres sont posées.

A plus long terme, la commission d’enquête est convaincue que la Corse ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur la place respective qu’il conviendra de reconnaître à l’institution territoriale et aux départements. De même, le renforcement de la coopération intercommunale s’avère un enjeu essentiel que le prochain contrat de plan devrait prendre en considération.

La mise en œuvre des propositions de la commission d’enquête exige de s’engager clairement dans la voie d’une démocratie citoyenne, condition du changement des mentalités. La communauté corse dans son ensemble doit assumer ses responsabilités. Associer les Corses eux-mêmes au processus de redressement républicain et garantir la transparence de l’élaboration d’un projet de développement économique, social et culturel de l’île représenterait une réelle avancée démocratique.

1.– Pour une démocratie transparente et rigoureuse

Un ancien ministre de l’Intérieur, entendu par la commission d’enquête, soulignait qu’ " il faut continuer indéfiniment à poser les bases de la démocratie. Il faut que les listes électorales soient réelles, que les élections ne soient jamais truquées, c’est le point de départ ".

Or, les opérations électorales restent en Corse régulièrement contestées. C’est ainsi que l’Union du peuple corse a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation des élections territoriales de mars dernier. Les moyens invoqués sont nombreux et concernent des inscriptions frauduleuses, des irrégularités sur de nombreuses procurations et des anomalies sur les listes d’émargement.

La nécessité de garantir la sincérité des élections est d’autant plus impérieuse que les résultats de la refonte des listes électorales intervenue en 1991 ont été effacés et que l’administration apparaît impuissante à faire respecter les règles électorales.

a) Les résultats de la refonte décidée en 1991 semblent effacés

On le sait, la loi du 13 mai 1991 avait prévu la refonte des listes électorales en Corse. Cette disposition avait été vivement critiquée par les élus de l’île. Cette refonte avait abouti à la diminution du nombre des électeurs inscrits, puisque celui-ci était passé de 199.624 en 1991 à 157.537 en 1992, soit une diminution de 42.087 électeurs (-21,1%).

Ces résultats avaient permis de ramener le taux d’électeurs inscrits par rapport à la population à un niveau plus comparable à celui observé dans le reste du pays. En 1991, les électeurs inscrits représentaient 78,7% de la population de l’île, taux largement supérieur à la moyenne nationale (65,4%). Après la refonte, le taux concernant la Corse s’établissait, pour l’ensemble de l’île, à 62,2% (59,7% en Corse-du-Sud et 64,4% en Haute-Corse). Cependant, les autorités administratives jugeaient déjà à l’époque que cette seule comparaison atteignait vite ses limites en Corse, notamment en raison d’une présence étrangère relativement plus forte dans l’île.

De plus, le ministère de l’Intérieur contestait les conditions dans lesquelles s’étaient déroulées la refonte. Une note de la direction générale de l’administration de juillet 1997 indiquait " que les travaux de refonte des listes électorales ont néanmoins été réalisés en violation des dispositions du code électoral, notamment en inscrivant des personnes au titre du " domicile d’origine " (notion étrangère aux dispositions du code électoral), en ne s’assurant pas de la véracité des pièces produites par les électeurs, voire même en inscrivant des électeurs sans aucune justification. Les décisions les plus contestables des commissions administratives ont été déférées par les préfets devant les tribunaux d’instance. Dans la très grande majorité des cas, le juge a rejeté le recours de l’administration, se refusant à contrôler le travail des commissions administratives et se bornant à estimer que les éléments fournis par le préfet n’étaient pas de nature à prouver que l’inscription était irrégulière "

 

 

Depuis lors et d’après les informations communiquées à la commission d’enquête, il apparaît que le nombre d’électeurs inscrits a recommencé à augmenter au cours des dernières années, augmentation évidemment sans commune mesure avec l’augmentation de la population de l’île.

En 1998, le nombre total d’électeurs inscrits a atteint 184.722. Ce chiffre dépasse donc largement celui atteint en 1992, puisqu’au cours de cette période, le nombre d’électeurs inscrits a augmenté de 27.185, soit +17,2%. Il représente désormais 92,5% du niveau atteint avant la refonte électorale.

Le tableau ci-dessous retrace l’évolution du nombre des électeurs inscrits dans les deux départements corses entre 1991 et 1998. Il montre que les années électorales sont précédées d’une augmentation sensible des inscrits. Cela a notamment été le cas de 1995, année des élections municipales et du renouvellement partiel des conseils généraux, au cours de laquelle le nombre d’inscrits a progressé de 5.600 en Haute-Corse (+6%) et de 4.958 en Corse-du-Sud (+6,5%). De même, après trois années de léger repli, le nombre d’inscrits a de nouveau fortement augmenté à la veille de 1998, année du renouvellement de l’Assemblée de Corse et d’un nouveau renouvellement triennal des conseils généraux : 3.140 électeurs supplémentaires en Corse-du-Sud (+3,9%) et 3.338 en Haute-Corse (+3,4%).

 

 

EVOLUTION DU NOMBRE D’ELECTEURS INSCRITS EN CORSE

 

ANNEES

HAUTE-CORSE

CORSE DU SUD

TOTAL

1991

(avant la refonte)

110.424

89.200

199.624

1992

86.135

71.402

157.537

1993

91.089

74.789

165.878

1994

93.381

76.325

169.706

1995

98.981

81.283

180.264

1996

98.027

80.464

178.491

1997

98.277

79.967

178.244

1998

101.615

83.107

184.722

Sur cette période, la refonte n’a donc conduit qu’à une diminution très faible du nombre d’électeurs inscrits, seulement 14.902 ou 7,5%.

b) L’administration apparaît en effet désarmée

Au cours des dernières années, l’administration s’est incontestablement efforcée de pallier les dysfonctionnements des commissions administratives en charge de la révision des listes, notamment par la saisine des juridictions administrative et judiciaire.

Si les déférés devant le tribunal administratif pour des questions de forme sont en général favorablement accueillis, les recours devant les juges d’instance, pour des questions de fond, sont rejetés dans la plupart des cas, l’administration ne pouvant étayer ses dossiers de demandes de radiation : en effet, depuis un arrêt de 1988, la Cour de cassation met dans tous les cas d’inscription la preuve de l’irrégularité à la charge du requérant et reconnaît un pouvoir souverain d’appréciation au juge d’instance. Or, celui-ci ne retient pas la force probante, par exemple, de la lettre adressée en recommandé à l’électeur et retournée avec la mention " n’habite pas à l’adresse indiquée ", seul élément de preuve que l’administration est en mesure de produire pour justifier l’absence de domicile ou de résidence dans la commune.

En effet, la Commission nationale informatique et libertés fait obstacle à la communication, par divers services publics (Compagnie de l’eau et de l’ozone, EDF, France Telecom,…), de pièces qui seraient fort utiles à la manifestation de la vérité.

Par conséquent, la preuve de l’absence de droit à l’inscription est devenue très souvent impossible à administrer, dès lors que les commissions administratives ont couvert l'irrégularité.

Le fonctionnement de celles-ci ne semble guère satisfaisant et très peu de délégués signalent dans leur rapport des inscriptions pouvant être considérées comme indues. Si le code électoral fixe la période pendant laquelle elles doivent examiner les listes (du 1er septembre au 31 décembre), il ne les oblige pas, contrairement aux dispositions qui avaient été prises au moment de la refonte, à se réunir au moins une fois par mois au cours de cette période. Dès lors, la plupart des maires n’organisent qu’une seule réunion le 31 décembre qui ne permet pas, à l’évidence, un examen sérieux des dossiers déposés. Au surplus, la liste qui devrait être entièrement examinée en vue de la radiation des électeurs ne réunissant plus les conditions pour demeurer inscrits, n’est pas soumise à la commission, cette dernière se bornant, faute de temps, à examiner les seules demandes d’inscription et les radiations des électeurs décédés ou sous le coup d’une condamnation entraînant la perte du droit de vote.

c) Des modifications législatives s’avèrent nécessaires

Il apparaît que le moyen le plus efficace pour s’assurer de la sincérité des inscriptions sur les listes électorales serait de s’orienter vers un renversement de la charge de la preuve dans ce type de contentieux.

Cette proposition avait été faite dès 1992 par le préfet de Corse. Elle consistait à insérer dans le code électoral une disposition prévoyant que : " dans le cas où le préfet conteste le motif retenu par la commission administrative à l’appui de l’inscription d’un électeur, il appartient à ce dernier, pour permettre au juge d’apprécier chaque justification produite, d’établir à quel titre il estime que son inscription doit être maintenue ".

Adoptée dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques à la fin de 1992, cette disposition avait été déclarée non conforme à la Constitution pour des raisons de procédure, car elle n’avait aucun lien avec le texte.

Une solution " de repli " a entendu réaffirmer que le juge d’instance " se prononce après avoir vérifié la validité des justifications produites par l’électeur à l’appui de sa demande d’inscription devant la commission administrative compétente ". Elle s’est avérée sans effet, comme le montre le contentieux qui a porté, en 1997, sur la liste électorale de la commune de Frasseto en Corse-du-Sud.

Le préfet avait en effet contesté devant le tribunal d’instance d’Ajaccio les inscriptions de 55 électeurs sur la liste électorale de la commune, ce qui représentait plus du tiers de son corps électoral. Son délégué à la commission administrative avait, en effet, constaté que la quasi-totalité des demandes n’étaient assorties d’aucune pièce justificative, ce qui n’a pas empêché les deux autres membres de la commission (le maire et le représentant de la justice) de les retenir, à deux exceptions près.

Le juge d’instance a estimé que les pièces produites par le préfet (certificats de non-inscription au rôle des contributions communales, photocopies du tableau rectificatif de la liste électorale sur lequel étaient mentionnées des adresses extérieures à la commune) ne constituaient pas des éléments suffisants pour justifier la radiation des intéressés sans avoir, ni précisé les éléments sur lesquels il se fondait pour retenir l’existence d’une résidence dans la commune, ni procédé à la vérification imposée par les nouvelles dispositions réglementaires du code électoral. Dans un arrêt en date du 13 mai 1997, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du préfet en réaffirmant que " c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que le tribunal a retenu que les documents versés au débat, les mêmes pour chacun des électeurs contestés, n’établissaient pas que ceux-ci n’avaient pas leur domicile ou leur résidence à Frasseto ".

Il apparaît donc nécessaire, en raison de ce blocage judiciaire, de remettre sur le chantier la modification du code électoral qui avait été adoptée en 1992.

De même, il ne serait pas inutile de prévoir que les commissions administratives devraient se réunir au moins une fois par mois pendant la période de révision des listes électorales, ce qui impliquerait une modification de l’article R5 du code électoral.

 

2.– Des améliorations à apporter à court terme : cohérence, cohésion et responsabilité

La commission d’enquête a relevé un certain nombre de prises de position récentes formulées soit devant la mission d’information sur la Corse, soit devant elle-même.

a) Des débats récurrents sur les institutions

Curieusement, les débats sur la situation de la Corse débutent ou s’achèvent la plupart du temps sur une réflexion concernant le statut institutionnel de l’île, comme si la clé des problèmes de la Corse tenait essentiellement à ces questions d’organisation administrative et politique. Quant à elle, la commission ne considère pas que le " problème corse " soit d’abord de nature institutionnelle, bien au contraire. Pour autant, il est évident que certains dysfonctionnements décrits plus haut sont aggravés par quelques particularités institutionnelles : il est apparu utile à la commission de les identifier et de chercher à y remédier sans rouvrir la discussion sur le statut.

·  Le point de vue de quelques élus de l’île : pour un " toilettage ", une pause institutionnelle ou une refonte du système

La mission d’information sur la Corse a entendu en 1996-1997 de nombreux élus livrer leur opinion sur le statut. La commission d’enquête a relevé quelques extraits de ces auditions à titre d’exemples.

Lors de son audition, M. Jean-Paul de Rocca Serra, alors député de la Corse-du-Sud et président de l’Assemblée de Corse, indiquait : " Avec l’instauration du bicéphalisme et la création d’un Conseil exécutif séparé de l’assemblée délibérante, le pouvoir s’est dilué. L’assemblée délibérante a le sentiment confus d’être en partie dépossédée de ses moyens d’action, même si le Conseil exécutif demeure encore tributaire d’elle dans l’exercice de sa mission.

De surcroît, la multiplication des offices a entraîné un transfert de compétences de la Collectivité territoriale et de ses deux organes principaux vers des établissements satellites où les élus n’ont pas le pouvoir d’influer véritablement sur les choix opérés et la politique mise en oeuvre. "

Pour sa part, M. Emile Zuccarelli, alors député de la Haute-Corse, estimait : " On a d’abord essayé de résoudre le problème par les institutions, par le statut. M. Gaston Defferre, puis M. Pierre Joxe, ont promu des institutions régionales de décentralisation poussée. J’ai combattu le " statut Joxe ", pour d’autres raisons sur lesquelles nous reviendrons éventuellement, mais il faut reconnaître qu’il a donné à la Corse des pouvoirs et des compétences locales très importants, qu’il nous faut apprendre à assumer avant d’en réclamer d’autres, s’il se peut. (...) Je ne suis pas un fanatique de la recherche permanente d’un statut miracle. Changer de statut n’est pas anodin. La recherche permanente de statut est très perturbante. J’ai combattu le " statut Joxe " dans sa présentation initiale, pour deux raisons.

En premier lieu, il partait du constat que le statut " Defferre", adopté pour la Corse en 1982, qui était, d’une certaine manière une avant-garde de la décentralisation, avait été, en quelque sorte, rattrapé par le statut des régions en 1986. En somme, ce statut n’était plus assez original et il fallait en trouver un autre, comme si l’objectif d’un statut était d’être original et non pas d’être efficace.

En second lieu, quantité de pays, sans chercher très loin, en Europe, fonctionnent de manière à peu près équivalente en termes d’efficacité avec des structures très différentes. La Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France et la Confédération helvétique ont des organisations différentes. Autrement dit, ce n’est pas le statut qui est le plus important, c’est ce qu’on fait avec. Je ne suis pas sûr que changer la forme de la casserole améliore la cuisine, si on ne sait pas la faire. "

M. José Rossi, député de la Corse-du-Sud, et aujourd’hui également président de l’Assemblée de Corse, relevait : "La réforme de M. Gaston Defferre n’a fait qu’anticiper sur les lois de décentralisation. Après le vote de la décentralisation pour l’ensemble du pays, on a constaté qu’il y avait assez peu de différence entre le statut corse et les lois de décentralisation pour les régions françaises. A une ou deux nuances près, qui ne sont pas minces : on a terriblement alourdi le premier statut corse en multipliant les offices. Nous subissons des lourdeurs administratives qu’il faudra, à un moment ou à un autre, gommer. Compte tenu des compétences très importantes qui ont été dévolues à la Corse, il convient d’essayer de rendre les institutions les plus efficaces possibles.

Le deuxième statut a alourdi un peu plus le dispositif en instituant deux organismes supplémentaires, l’office de l’environnement et l’agence du tourisme. Surtout, on a instauré une architecture différente. La séparation de l’exécutif et de l’assemblée délibérante, qui a été très critiquée au départ, mais qui est peut-être une prémonition de ce qu’on fera un jour dans le cadre des régions françaises, dans cinq, dix ou quinze ans, en définitive, fonctionne assez bien. "

M. François Giacobbi, sénateur de la Haute-Corse, notait quant à lui : " On a cherché à donner des solutions institutionnelles, je dirais des solutions abstraites à des problèmes concrets. (...). Je suis en désaccord avec les témoignages de MM. Jean-Paul de Rocca-Serra et José Rossi et je suis tout à fait d’accord avec M. Emile Zuccarelli : on nous a assez parlé de solutions institutionnelles. C’est fini. Il y a un statut particulier, puis un second, et maintenant, j’entends dire qu’il faudrait peut-être le toiletter, etc... C’est assez. "

Enfin, pour M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse, " Il n’existe pas de texte qui, à l’usage du temps, ne mérite un examen. Sans parler de grandes réformes, un " toilettage ", comme on dit aujourd’hui, pourrait s’imposer. Vous n’entendrez personne dire qu’un troisième statut est nécessaire ; en revanche, quelques adaptations semblent indispensables, notamment pour clarifier les compétences entre la Collectivité territoriale de Corse, à laquelle on a donné des missions et des objectifs et les autres collectivités qui existaient auparavant.

On a en effet ajouté une assemblée délibérante de cinquante et un membres, un mini-gouvernement territorial de sept personnes, sans rien supprimer. On a crée un office de développement agricole et rural de la Corse, une agence du tourisme, mais l’on a rien supprimé. Autant dire que nous sommes largement pourvus, en matière de structures administratives et politiques. Cela fait plaisir, il y a de la place pour tous. Chacun a sa fonction et les gens ont des titres et des cartes de visite à rallonge. (...) Cette dilution et cet éparpillement sont tout à fait contraires à l’esprit du législateur lorsqu’il a adopté le deuxième statut particulier de la Corse. "

Ces divers extraits montrent que, même si le statut de 1991 fait l’objet de critiques, les uns et les autres ne s’accordent pas nécessairement quant aux conséquences à en tirer.

·  Les appréciations de plusieurs ministres de l’Intérieur

A la suite de la mission d’information sur la Corse, la commission d’enquête s’est attachée, au cours de ses travaux, à poursuivre la confrontation des points de vue sur la question institutionnelle. Elle a notamment interrogé plusieurs personnalités ayant exercé les fonctions de ministre de l’Intérieur.

Pour l’un, " la Corse est un pays profondément inspiré par Rome et l’on attend du pouvoir qu’il soit fort. Pour cela, il faut que l’État dispose de moyens. Le statut particulier a produit ses effets. Sans peser cela au trébuchet, on peut dire que, globalement, ce statut a produit des effets convenables, sauf sur un point : le démembrement des responsabilités de l’exécutif et de l’Assemblée au travers de quantité d’offices a accentué les risques de pertes en ligne et l’absence de contrôle ".

Pour un autre, " Les institutions sont une chose. Je pense que le statut (de 1991) présente l’avantage, par rapport aux autres collectivités territoriales françaises, de distinguer la présidence de l’assemblée délibérative de l’exécutif, suivant un modèle que l’on retrouve dans d’autres pays. (...) Il n’y a qu’en France que l’on voit les maires présider le conseil municipal et les présidents de conseils généraux être à la fois présidents de l’assemblée et de l’exécutif. Dans les autres pays de l’Europe démocratique, le modèle institutionnel n’est pas celui-là : il y a quelqu’un qui préside l’assemblée locale et quelqu’un qui représente l’exécutif.

En Corse, cette institution peut être utile. (...) Le statut particulier ne portait pas seulement sur les structures administratives, il comportait aussi un certain nombre de transferts de compétences dans le domaine économique. On peut trouver que c’est une structure lourde, mais ma conviction est qu’il faut donner aux Corses la responsabilité de leur île et qu’ils arrêtent de penser que cela va venir d’ailleurs. D’où l’idée d’un statut de large autonomie et de structures -celles-ci s’appellent offices la plupart du temps - correspondant à des fonctions précises.

Il faut reconnaître qu’à ce jour, cela n’a pas très bien marché. Je pense que ce n’est pas lié aux structures. Cela est lié, à mon avis, au fait que jusqu’à présent - peut-être cela commence-t-il à changer - il y avait une génération qui verrouillait les différents postes de direction dans cette malheureuse région. Cela a entraîné un immobilisme considérable. Le système des offices peut offrir l’avantage de créer des pôles de responsabilité réels et d’identifier les problèmes de transport, d’énergie, etc.

On met en cause ces structures mais on ne propose pas leur suppression dans les déclarations récentes. Je ne pense pas que le problème tienne principalement aux structures. Rien n’empêcherait que ce soient les mêmes responsables élus qui assurent la responsabilité des différents offices. "

Pour un troisième, "le système de la collectivité de Corse me paraît d’une grande complexité. En particulier, le fait qu’il y ait un certain nombre d’offices dont la direction est confiée à un membre de l’exécutif et qui sont, en quelque sorte, cogérés par des élus et des responsables socio-professionnels, ne me paraît pas avoir abouti à des résultats très concluants. "

Chacune des personnalités interrogées explicitement par la commission d’enquête au sujet des institutions a ainsi exprimé des réserves plus ou moins importantes quant à l’efficacité d’ensemble du dispositif. Les motifs d’insatisfaction sont donc nombreux et appellent les commentaires suivants de la part de la commission.

·  La position de la commission d’enquête : pas de préalable institutionnel

La commission s’est efforcée d’aborder de façon libre cette question sans en faire ni un impératif ni un préalable. En effet, il lui paraît plus urgent de s’attacher au rétablissement de l’État de droit ainsi qu’au développement économique et culturel de l’île qui, pour la majorité des Corses, représentent les deux priorités. La commission considère même que la relance, aujourd’hui, d’un débat visant, soit à modifier fortement le statut de 1991, soit à rechercher pour la Corse une appartenance à une autre catégorie de collectivité territoriale, comporterait plusieurs inconvénients majeurs. Cela constituerait, tout d’abord, une manœuvre, ou du moins un comportement dilatoire, qui aurait pour effet de détourner l’attention et les énergies des questions essentielles. En second lieu, les acteurs politiques courraient le risque de s’affronter une nouvelle fois sur ces discussions alors que l’opinion publique, très majoritairement, n’attend rien d’un tel débat. Enfin, ces bouleversements interviendraient au début d’une nouvelle mandature et priveraient les élus Corses de la possibilité d’expérimenter l’ensemble des possibilités ouvertes par le statut de 1991.

Cela étant, il est possible, sans remettre en cause l’économie générale de ce statut, d’apporter quelques retouches dans un souci de clarification et d’efficacité. Répétons-le, il ne s’agit pas de préconiser ici l’adoption un nouveau statut pour la Corse. L’île s’étant approprié le statut de 1991, il ne serait guère opportun de perturber le débat public et l’action administrative en annonçant des bouleversements imminents. Si elle n’est pas la priorité actuelle, cette question doit cependant faire l’objet d’un examen approfondi tant il est vrai que le système, tel que mis en place en 1982 puis en 1991, comporte des inconvénients et est susceptible de favoriser certaines dérives. Les institutions ne constituent pas le facteur explicatif essentiel de la situation dégradée de la Corse, mais quelques aménagements pourraient, semble-t-il, aider au redressement de la situation.

 

b) Les défauts originels et les dysfonctionnements du système actuel

Dans l’état actuel des pratiques publiques en Corse, la formule des offices a été désavouée par les faits. Ces démembrements ont entraîné une dilution des responsabilités.

·  Une Collectivité territoriale qui n’assume qu’imparfaitement ses responsabilités

La commission considère qu’il convient de lutter contre la tendance au dessaisissement volontaire de la Collectivité territoriale. Celle-ci a des pouvoirs très importants qu’elle n’exerce pas ou peu dans certains domaines. Elle s’en remet volontiers aux six agences et offices créés à cet effet qui répugnent, eux aussi, à prendre leurs responsabilités. L’ensemble manque de visibilité : la Collectivité territoriale déplore parfois le fait qu’elle n’a pas directement ni complètement la maîtrise des agences et offices et que, de ce fait, elle n’est pas en mesure de définir une ligne politique et des orientations dans chaque domaine. De leur côté, ces organismes se plaignent de n’avoir pas assez de latitude d’action pour mener toutes les opérations entrant dans leur champ de compétence. Chaque institution a ainsi tendance à renvoyer sur l’autre la responsabilité de l’inaction ou des difficultés.

Il en résulte un manque de lignes directrices : par exemple, il n’y a pas en Corse de véritable politique de développement agricole et rural. L’ODARC, qui devrait mettre en œuvre la politique de la Collectivité territoriale de Corse en la matière, se contente de distribuer les aides nationales ou européennes, sans plan d’action. L’ADEC (agence de développement économique de la Corse) se plaint de n’avoir aucune marge d’appréciation dans l’octroi des aides et la Collectivité territoriale de ne pas être en charge de la totalité du processus de leur attribution, puisque c’est l’agence qui instruit les dossiers. Dans ce contexte confus, qui doit-on croire ? Il est certain que le manque de clarification des attributions exactes des uns et des autres facilite la dilution des responsabilités.

·  La coexistence de deux légitimités concurrentes au sein des conseils d’administration des offices

Au sein des divers établissements, deux légitimités totalement différentes tentent de coexister avec des succès divers. Les conseils d’administration sont en effet composés d’élus membres de la Collectivité territoriale de Corse et de socio-professionnels qui cherchent à faire entendre, et parfois à imposer, leurs points de vue et leurs intérêts spécifiques. Certains d’entre eux accaparent le pouvoir au détriment des élus. Parfois, pour augmenter la confusion des rôles, les premiers finissent par se faire élire, mais gardent leur position dominante tout en ayant " changé de casquette ". Les réseaux s’insèrent dans les institutions qui leur servent de paravent.

·  Le risque de démembrement de la Collectivité territoriale

La commission d’enquête constate que l’institution des agences et offices, et plus encore la façon dont ils ont fonctionné jusqu’à présent, créent un risque de démembrement de la Collectivité territoriale. Ces satellites ont eu tendance à prendre une grande autonomie à la faveur de plusieurs phénomènes qui se sont conjugués au fil du temps.

Tout d’abord, la Collectivité territoriale n’a pas souhaité se saisir de certains problèmes épineux dont le traitement aurait sans doute été impopulaire. Par exemple, elle a laissé l’office hydraulique se débattre dans des problèmes d’impayés de factures d’eau car la question, qui concerne les agriculteurs, est politiquement sensible. L’office a vu le niveau de ses créances augmenter sans que l’Assemblée de Corse ne prenne de décisions pour tenter de régler la question. Au contraire, l’Assemblée a en quelque sorte " donné raison " à ceux des clients de l’office qui ne réglaient pas leurs dettes. En décidant de prendre en charge, à compter de 1996, 50 % des factures d’eau, elle a implicitement reconnu que les difficultés du monde agricole justifiaient le non-paiement de l’eau au prix initial. L’office a indiqué à la commission que cette aide n’avait d’ailleurs nullement incité certains bénéficiaires à s’acquitter de façon plus régulière des 50 % restant à leur charge.

En deuxième lieu, les élus devant siéger au conseil d’administration des offices n’ont pas toujours su ou pu défendre la position ou les intérêts de la Collectivité territoriale face à des socio-professionnels, qui sont d’ailleurs parfois en position dominante, de par le statut de certains offices, au sein des conseils d’administration.

Enfin, les socio-professionnels siégeant dans ces conseils d’administration ont un point de vue à exprimer et à défendre. Ils sont en quelque sorte juges et parties. Il est logique qu’ils soient tentés de préconiser des solutions favorables à la profession qu’ils représentent. Dictées par des préoccupations particulières voire corporatistes, leurs propositions peuvent, sous couvert de technicité, se trouver validées par des élus qui ne sont pas nécessairement informés de tous les aspects d’une question entrant dans le champ d’intervention de l’office.

·  Les chevauchements de compétences liés à la sur-administration

Un dernier problème tient dans la présence pléthorique d’intervenants dans un même secteur. Ce chevauchement des compétences ne favorise pas la cohérence des politiques menées et l’efficacité des actions initiées sans concertation. Le domaine agricole est emblématique de ce point de vue : avec deux directions départementales de l’agriculture, une direction régionale de l’agriculture, trois Chambres d’agriculture (une en Haute-Corse, une en Corse-du-Sud et une Chambre régionale), deux offices agricoles (l’office d’équipement hydraulique de Corse et l’office de développement agricole et rural de la Corse) et une commission départementale d’orientation agricole, les organismes finissent par se faire concurrence. Le risque d’empiétement est réel, notamment dans le cas de l’ODARC dont les compétences chevauchent manifestement celles des Chambres d’agriculture.

Les difficultés de fonctionnement se cumulent avec les problèmes de chevauchements de compétences. Ainsi, l’office de l’environnement se plaint de difficultés relationnelles avec le parc naturel régional.

Ces problèmes ont également été soulevés par le président du Conseil exécutif, M. Jean Baggioni, qui, dans un courrier adressé à la commission, évoquait le " foisonnement " et la " surabondance " des structures, citant, entre autres, les multiples instances agricoles ainsi que le cas de l’office de l’environnement et du parc naturel régional " qui, sans avoir le même périmètre, nécessitent à tout le moins une articulation plus stricte de leurs missions, d’autant que la création de deux parcs marins nationaux ne fait qu’ajouter au morcellement de l’espace incompatible avec une gestion cohérente et efficace ".

De l’avis d’un haut responsable administratif, appelé à donner son point de vue devant la commission d’enquête, " sur le plan des structures administratives, il est évident qu’il y a une sur-administration, notamment au niveau du contrôle et de la fonction d’assistance et d’expertise. Six offices, une assemblée territoriale, deux conseils généraux, trois préfets, cinq arrondissements, un secrétariat général pour les affaires corses, deux cent cinquante mille habitants ! "

 

c) Les propositions de la commission d’enquête

Face à ce constat, la commission présente les propositions suivantes :

·  Les élus doivent se réapproprier les processus de prise de décision au sein des offices

Lors de son audition devant la commission d’enquête, un haut responsable administratif a indiqué : " la question des offices est aussi posée. Car il y a à la fois le problème de la présence des élus de l’assemblée territoriale - ils sont très souvent absents, de telle sorte que ce sont les socio-professionnels présents qui font pression et qui prennent les décisions - et l’absence quasi-totale de contrôle de l’État, pour un certain nombre de décisions, puisqu’il s’agit d’EPIC ou de pseudo-EPIC ".

Certains observateurs ont dit devant la commission d’enquête que les vices des offices étaient " congénitaux ". Selon cette thèse, c’est la loi de 1991 qui aurait mis en place des offices incontrôlables et ingérables par la Collectivité territoriale de Corse. D’autres estiment que c’est essentiellement le rôle des élus qui est en cause et que l’Assemblée de Corse pourrait se doter des moyens de surveiller les activités de ces structures, voire de refuser leurs budgets s’ils ne lui conviennent pas.

La première piste est que les représentants de l’Assemblée de Corse soient réellement présents, ce qui éviterait que les groupes de pression prennent seuls les décisions.

·  Au minimum, la Collectivité territoriale de Corse doit davantage contrôler ses offices

Dans son rapport de septembre 1997, la commission de contrôle des agences et offices de l’Assemblée de Corse relevait : " la question est de savoir si, dans l’état actuel de l’organisation et des compétences des établissements publics, la Collectivité territoriale peut suffisamment influer sur les actions menées par ces établissements. "

En principe, la Collectivité territoriale n’est pas dépourvue de tout moyen. Tous les offices et agences sont présidés par un conseiller exécutif, dirigés par des directeurs nommés par le président du Conseil exécutif. Ce dernier dispose, par ailleurs, d’un certain nombre de moyens de contrôle et d’orientation. Les orientations budgétaires des offices et agences sont arrêtées par l’Assemblée de Corse sur proposition du Conseil exécutif. L’Assemblée de Corse est représentée dans leurs conseils d’administration et elle organise des débats réguliers sur l’activité de ces établissements, qui était jusqu’alors suivie en son sein par une commission de contrôle.

Dans les faits, les offices et agences se gèrent avec beaucoup de liberté et de façon plus ou moins efficace et transparente. Lors de son audition devant la commission d’enquête, un témoin expliquait : " ce qui est certain, c’est qu’il y a une opacité très grande : les conseils d’administration (...) prennent des délibérations de principe, puis le directeur de l’office prend une multitude de décisions d’application à partir de cette délibération de principe particulièrement vague. En réalité, ce sont des centres clientélistes supplémentaires qui ont été créés avec ces offices - et que l’on voit utiliser très largement pendant les campagnes électorales ".

Certes, la commission de contrôle des agences et offices instituée à l’Assemblée de Corse doit remettre chaque année un rapport, mais ce dernier ne suffit pas à assurer un véritable contrôle. Ainsi qu’il a été indiqué à la commission, cette instance vient d’ailleurs d’être supprimée par l’Assemblée de Corse issue des élections de 1998 et ses attributions ont été confiées à la commission des finances et de la planification élargie aux membres des bureaux des deux autres commissions.

A titre d’exemple, la commission d’enquête a noté que, dans les faits, l’ADEC restait fort peu contrôlée. Le président du Conseil exécutif a la possibilité de faire des suggestions sur le fonctionnement économique et financier de l’organisme et peut transmettre ses avis au président de l’agence. Il informe l’Assemblée de Corse du fonctionnement et de l’activité de l’établissement. L’article 17 des statuts prévoit qu’avant le 1er novembre de chaque année, le président du Conseil exécutif présente à l’Assemblée de Corse un rapport sur les grandes orientations et le projet d’état prévisionnel des recettes et dépenses de l’agence. Aux termes de l’article 16, le président du Conseil exécutif reçoit copie des délibérations du conseil d’administration et du bureau de l’ADEC. Il peut, dans un délai de huit jours à compter de sa réception, demander un nouvel examen d’une délibération. Cette demande doit être motivée. Le nouvel examen de la délibération par le conseil d’administration doit avoir lieu dans les 15 jours. Les délibérations n’ayant pas fait l’objet dans un délai de 8 jours d’une demande de réexamen par le président du Conseil exécutif sont exécutoires de plein droit.

Concrètement, la commission d’enquête a constaté que l’ADEC intervenait dans le processus d’attribution des aides économiques de façon très autonome. Les divers contrôles lui sont apparus superficiels.

·  Pour la remise à plat du système des agences et offices

Dans son rapport de septembre 1997 déjà cité, la commission de contrôle des agences et offices notait : " avant de s’interroger sur la question de savoir quelle est la place des EPIC au sein de notre Collectivité territoriale, sans doute faut-il se demander si leur existence est opportune, s’ils apportent une valeur ajoutée à notre action, et de manière corrélative, si l’exercice de leurs compétences s’effectue réellement en synergie. " Dans ce même document, cette commission estimait que la présence de ces établissements était bénéfique à plusieurs points de vue : l’existence d’un EPIC permettrait de mieux visualiser la politique menée dans un domaine particulier et de coordonner les actions entreprises par les différents partenaires ; les offices et agences constitueraient des lieux facilitant le partenariat avec d’autres institutions, organismes et organisations et apparaîtraient comme les " bras séculiers " de la Collectivité territoriale, chargés de mener une action sur le terrain, en prise directe avec les réalités.

De l’aveu même de plusieurs responsables insulaires, l’existence de ces établissements présente également des inconvénients. Il a probablement manqué, au sein du Conseil exécutif et animée par ce dernier, une instance collégiale de pilotage de nature technique qui aurait permis d’assurer une meilleure coordination des actions d’organismes dont les compétences ont parfois tendance à se recouper. La commission d’enquête s’est intéressée à ces divers organismes et notamment à l’ODARC, l’OTC, l’ADEC, l’OEHC et l’ATC, pour lesquels elle a établi les propositions qui suivent.

·  Confier à la Collectivité territoriale de Corse les attributions de certains offices

Au terme de ses travaux, la commission d’enquête est amenée à proposer la suppression de deux organismes dont l’utilité est particulièrement sujette à caution. Il s’agit de l’ODARC (office de développement agricole et rural de la Corse) et de l’OTC (office des transports de Corse), dont les attributions pourraient être opportunément exercées par les services de la Collectivité territoriale à condition, bien entendu, que les élus prennent leurs responsabilités et s’en saisissent de façon à la fois déterminée et courageuse.

La commission a été frappée par le nombre de critiques formulées par les acteurs locaux à l’encontre de l’office de développement agricole et rural de la Corse, accusé de nombreux maux. Pour les uns, l’office serait budgétivore et inefficace ; pour les autres, il serait incapable de dresser la liste des priorités du développement agricole. Certains se plaignent de l’omniprésence de l’office en principe compétent pour toutes les aides de soutien aux agriculteurs. D’autres déplorent la faiblesse de ses actions d’ingénierie. Comme cela a déjà été indiqué, il est temps que la Collectivité territoriale assume, de façon plus nette et sans l’écran d’un office, les choix devant être faits en matière agricole, en partenariat étroit avec le ministère de l’agriculture. Cela n’exclut bien évidemment pas un dialogue – indispensable – avec les professionnels concernés mais permettrait de clarifier les processus de décision.

En ce qui concerne l’OTC, les compétences qui lui sont actuellement dévolues ne pourraient être directement exercées par la Collectivité territoriale qu’à la condition que ne disparaisse pas le partenariat avec les responsables économiques et sociaux du secteur des transports. La commission a, lors d’un déplacement, rencontré l’un des responsables de l’office qui reconnaissait lui-même que les missions de cet établissement pourraient être aussi bien réalisées dans le cadre d’un service de la Collectivité territoriale, d’autant plus que la réglementation communautaire et la législation nationale sur les délégations de service public renvoient la prise de décision à l’assemblée délibérante des collectivités locales concédantes. Dès lors, l’OTC n’a plus guère qu’un rôle de préparation des dossier et de suivi d’exécution des concessions.

·  Recentrer les missions de l’ADEC

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête s’est intéressée au fonctionnement de l’ADEC. Elle doit déplorer le manque de lignes directrices dans les activités de cet organisme qui n’a, semble-t-il, jamais pu déterminer de façon ferme les quelques secteurs porteurs de l’économie devant être, selon elle, soutenus de façon prioritaire. Le phénomène de " saupoudrage ", maintes fois dénoncé par divers observateurs, a perduré. Quatre ans après un rapport de l’Inspection générale des finances, les préconisations essentielles qui y figuraient n’ont pas été mises en œuvre. Lors d’une visite dans les locaux de l’ADEC, il a été dit à la commission que l’agence avait, vainement, cherché à se connecter informatiquement avec les services financiers de la Collectivité territoriale ; selon un responsable de l’agence, cette dernière aurait été traitée comme la " troisième roue du carrosse ". Cet incident témoigne du phénomène de démembrement entre la Collectivité territoriale et l’agence supposée, d’après les textes, jouer un rôle de relais pour cette dernière : l’ADEC ne s’est pas véritablement insérée dans le processus de décision et dans le fonctionnement habituel au quotidien de la Collectivité territoriale. Apparaissant comme une pièce rapportée, elle n’est pas en mesure de se faire le porte-parole de la Collectivité territoriale de Corse en matière de développement économique. Par ailleurs, son existence et le fait que les demandes de subventions soient d’abord instruites par les services de l’ADEC, examinées par le bureau de l’agence, avant de faire l’objet d’une décision au Conseil exécutif de Corse, ont permis la persistance d’un certain flou sur les responsabilités exactes des intervenants aux différentes étapes de traitement des dossiers.

La commission propose que l’instruction des dossiers d’individualisation des aides soit recentrée désormais au niveau des services de la Collectivité territoriale, et non du bureau de l’ADEC. La Collectivité territoriale pourrait ainsi directement mettre en place la véritable politique de développement dont la Corse a aujourd’hui besoin. En effet, les moyens financiers mis à la disposition de l’île ne manquent pas et la volonté de l’État et de l’Union européenne n’est plus à démontrer. Il convient que la plus haute instance politique de l’île, issue des urnes et responsable devant les électeurs corses, définisse une stratégie de développement ciblé qui serve de trame pour l’octroi de toutes les aides, importantes ou moins significatives, qu’elles proviennent de l’Union européenne, de l’État ou du budget de la région.

De son côté, l’ADEC pourrait opportunément se tourner vers le conseil aux entreprises corses et l’aide au montage de dossiers de création, de développement et d’implantation de sociétés en Corse. Chacun reconnaît que les potentialités de l’île sont importantes et encore peu exploitées. Les entreprises ne parviennent que rarement à développer leurs activités en dehors d’une zone géographique souvent très restreinte. Le regroupement d’activités pourrait être bénéfique à certaines petites entreprises qui, de par leur taille réduite, restent très vulnérables aux aléas de la conjoncture. Le renforcement du tissu industriel passe partiellement par des actions de diffusion de l’information dont l’ADEC pourrait se charger. Des missions d’étude de prospective, d’analyse et d’audit importantes pourraient être confiées à l’agence, qui ne manque par ailleurs pas de ressources humaines et intellectuelles.

 

·  Inciter l’OEHC à adopter une véritable politique de recouvrement de ses créances

Divers documents transmis à la commission lui ont permis de prendre la mesure des difficultés rencontrées par l’office hydraulique pour recouvrer ses créances. Il semble que, pendant des années, un laxisme certain ait prévalu. La question du recouvrement n’est pas la seule difficulté à laquelle l’office est confronté, mais elle apparaît comme essentielle.

Ni les élus ni les socio-professionnels siégeant dans le conseil d’administration de l’office ne s’étaient, jusqu’à une date récente, saisis du problème des créances. L’office ne peut continuer à fonctionner dans ces conditions. L’Assemblée de Corse devrait probablement s’interroger sur les moyens de contraindre les plus gros débiteurs à s’acquitter progressivement de leurs dettes. Il n’est pas acceptable que le " champion " en ce domaine soit une collectivité locale : la commune de Calvi qui détient, on l’a vu, le record de la dette auprès de l’OEHC.

Certes, depuis peu de temps, les responsables de l’office ont décidé de mettre en application une délibération de 1993 de l’Assemblée de Corse selon laquelle aucune aide régionale ne peut être octroyée à une personne morale ayant des dettes à l’égard de la Collectivité territoriale ou vis-à-vis de ses démembrements, y compris ses offices et agences. La commission s’interroge à cet égard : pourquoi a-t-il fallu attendre le mois de juin 1998 pour appliquer cette délibération ? Il conviendrait aujourd’hui que l’office se montre inflexible envers les personnes morales particulièrement défaillantes et ne montrant guère de signes de bonne volonté.

Il n’est pas tolérable que certaines situations se pérennisent. Les collectivités locales doivent notamment s’efforcer d’adopter un comportement irréprochable. Le fait que la commune de Calvi ait pu ainsi accumuler une telle " ardoise " auprès de l’office hydraulique (plus de 4 millions de francs au 30 juin 1998) n’est ni le signe d’une gestion raisonnable de ladite collectivité locale ni la preuve d’une très grande rigueur de la part de l’OEHC. Qu’un tel montant ait pu être atteint sans que l’office ne prenne la moindre sanction est en effet une source d’étonnement pour la commission. Sur le territoire national, il arrive que des agriculteurs défaillants soient victimes d’une mesure de coupure d’eau. En Corse, une telle solution n’étant, semble-t-il, pas même envisagée, si ce n’est pour expliquer que cela ne serait pas possible et créerait des problèmes insolubles à une profession déjà atteinte par la crise, les dérives ne peuvent que se multiplier.

La commission suggère donc que l’OEHC, qui constitue de par ses activités le seul véritable EPIC dépendant de la Collectivité territoriale, s’attache désormais à démontrer qu’un établissement public industriel et commercial bien géré peut parfaitement équilibrer ses comptes tout en assumant ses fonctions. Il ne saurait y avoir de fatalité des impayés en la matière.

·  Renforcer la place de l’agence du tourisme

La commission a noté que l’agence du tourisme (ATC), prévue à l’article 69 de la loi du 13 mai 1991, n’avait pas constitué à ce jour l’instrument performant au profit du développement touristique qu’il aurait dû être.

Cet organisme possède pourtant de larges attributions puisqu’il cumule les missions d’un comité régional du tourisme (CRT) et celles d’un service régional du tourisme. Présidée, comme tous les offices et agences de la Collectivité territoriale par un conseiller exécutif, l’ATC, dotée de trente-cinq agents, est chargée de missions de conseil, de formation et d’information. Elle se présente comme un outil exceptionnel du point de vue des moyens qui lui sont alloués et des compétences qui lui sont reconnues.

Force est de constater que cet établissement a, à ce jour, rencontré des difficultés à exercer ses fonctions. Une des explications réside dans l’absence de véritable plan de développement pour le tourisme. Il en résulte un manque de continuité dans les actions menées en faveur de ce secteur. En outre, l’agence a souffert d’un problème de positionnement vis-à-vis de l’ADEC qui, de par ses attributions, est compétente pour les aides économiques à toutes les entreprises, y compris aux entreprises hôtelières.

Le tourisme a atteint une telle dimension en Corse que cet établissement devrait être en mesure de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés. Or, on doit relever que cet organisme a traversé une grave période de crise. Selon un témoin, " (le précédent président de l’agence) est entré en conflit avec son directeur, et il n’y a plus eu de directeur pendant plusieurs mois. Or ce type d’organisme suppose la présence d’un technicien de haut niveau. Un nouveau directeur a été nommé. Il y a aussi eu une période de tension avec les professionnels, de divisions au sein du monde professionnel. La crise, le manque de poids politique du président, l’absence de directeur, tous ces éléments ont été défavorables à l’agence du tourisme, qui n’a pas pu jouer le rôle qu’elle devait jouer. "

La commission a relevé le grand nombre d’intervenants dans le domaine du tourisme. En plus de cette agence, il existe en effet une délégation régionale au tourisme (service de l’État), un comité départemental du tourisme et des loisirs en Haute-Corse (et pas en Corse-du-Sud), ainsi que des services de développement touristiques dans les deux Chambres de commerce. Au total, les fonctionnaires de développement sont plus nombreux que les véritables assistants techniques hôteliers. Ce trop plein de structures n’a pas favorisé l’établissement de lignes directrices communes à toutes.

Cette situation plaide en faveur du renforcement de l’agence du tourisme qui doit être un chef de file plus dynamique des actions de promotions touristiques. Cet organisme a vocation à être le maître d’œuvre de la politique de développement touristique de l’île, qui mérite d’être poursuivie sur le long terme. Enfin, l’agence doit être un partenaire central de l’État et de la Collectivité territoriale au moment des négociations sur le prochain contrat de plan dans lequel les activités touristiques devraient occuper une place importante.

 

3.– Des réformes à plus long terme : une organisation plus unitaire de la Corse

La réforme institutionnelle n’est, rappelons le, pas à l’ordre du jour en Corse. Les problèmes et difficultés que rencontrent aujourd’hui l’île n’appellent pas, à l’évidence, de solutions de cette nature. Cela ne signifie pourtant pas que la porte soit définitivement fermée à une évolution à plus long terme de l’organisation territoriale de l’île.

Tout indique que l’évolution naturelle de la décentralisation tendra à placer l’échelon régional de plus en plus en première ligne en matière d’aménagement ou de développement du territoire. Dans une île aussi réduite que la Corse, cela posera tout naturellement la question de l’avenir de la bi-départementalisation.

Par ailleurs, et à terme plus rapproché, la Corse ne pourra pas non plus rester, comme elle le fait, à l’écart du mouvement de coopération intercommunale que l’on constate depuis quelques années dans les autres régions. Une réflexion sur la mise en œuvre de mécanismes efficaces de nature à encourager l’intercommunalité s’avère ainsi également nécessaire.

a) Vers la suppression de la bi-départementalisation

Revenir sur la bi-départementalisation de 1975 ne constitue pas un impératif immédiat. C’est une piste de réflexion pour le long terme. Elle ne constitue pas un tabou, y compris dans l’île elle-même.

Les obstacles ne seraient pas mineurs. Comme l’a indiqué un responsable politique à la commission d’enquête, " la division de la Corse en deux départements (…) a sa justification par l’existence d’une crête montagneuse qui sépare les deux parties de l’île, celle qui tourne autour d’Ajaccio et celle qui tourne autour de Bastia ". Pour réel que soit le poids de la géographie, l’unité administrative de la Corse a été cependant la règle pendant 164 ans entre 1811 et 1975. Surtout, la bi-départementalisation est intervenue à une époque où les régions n’étaient encore que de simples établissements publics.

En provoquant, comme on l’a vu, la division des structures aussi bien administratives, judiciaires que consulaires, la bi-départementalisation présente, avec le recul, plus d’inconvénients que d’avantages.

Revenir sur elle, poserait immanquablement le problème de l’existence même d’un département en Corse.

On peut certes envisager la coexistence, sur un même territoire, d’un département et d’une Collectivité territoriale aux compétences étendues. Ce ne serait pas un schéma inédit, puisque c’est celui qui prévaut dans les quatre départements d’outre-mer.

On peut également envisager l’absorption des compétences des conseil généraux par la Collectivité territoriale de Corse. C’est la solution extrême que dessinait devant la commission d’enquête un ancien ministre de l’Intérieur : " A mon avis, créer deux départements a été une erreur. Elle est facile à corriger : il suffit de ne faire qu’un seul département et, du même coup, le supprimer ". On peut observer qu’il existe d’ores et déjà un exemple d’une telle absorption : la compétence en matière de collèges, qui dans le reste de la France relève des départements, est exercée en Corse par la Collectivité territoriale.

La commission d’enquête n’entend pas évidemment conclure un tel débat avant même qu’il ne soit réellement ouvert. Son propos est simplement de prendre date et de poser les termes d’une réflexion institutionnelle qui ne manquera pas de s’ouvrir lorsque l’île aura recouvré une situation plus normale.

b) L’intercommunalité doit être fortement encouragée

L’émiettement communal atteint en Corse des dimensions que l’on retrouve dans peu de régions françaises. Actuellement, il n’est pas compensé par un développement suffisant de la coopération intercommunale. La Corse apparaît, on l’a vu, comme l’une des régions les plus en retard sur ce plan. De plus, à l’exception notable du district de Bastia, les structures de coopération intercommunale qui existent restent de petite taille. Leur fonctionnement n’apparaît pas non plus particulièrement satisfaisant.

Pourtant, l’intercommunalité paraît être le meilleur moyen de desserrer l’étreinte financière qui pèse aujourd’hui sur de très nombreuses petites communes rurales de l’île et de favoriser la définition et la mise en œuvre de projets de développement.

Au-delà des différentes formes juridiques de coopération intercommunale qui s’offrent aux communes, la politique des pays pourrait trouver en Corse un terrain privilégié.

Le pays est, rappelons-le, défini par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 comme " une communauté d’intérêts économiques et sociaux " et le lieu privilégié des " solidarités réciproques entre la ville et l’espace rural ". Il permet, son succès en atteste, de restaurer le dynamisme économique et l’identité de territoires définis comme présentant " une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale ". Il constitue un véritable espace de projets et un cadre fondé sur les solidarités actives de tous les acteurs locaux. Le pays est également un espace pertinent d’organisation des services publics et de mise en place d’une politique contractuelle, dans le cadre des contrats de plan État-régions.

Les 19 micro-régions qui divisent la Corse semblent répondre à cette définition et pourraient servir de support à une véritable politique de pays en Corse. Cependant, c’est bien évidemment aux Corses eux-mêmes qu’il convient de déterminer les limites les plus pertinentes.

La négociation du prochain contrat de plan constitue l’occasion idéale de mettre en place des mécanismes efficaces de promotion de l’intercommunalité et de la politique des pays en Corse. Ces mécanismes pourraient, par exemple, prendre la forme d’un fonds spécifique. Ce fonds viendrait " primer " les projets de territoire portés par des structures intercommunales. Il pourrait par exemple permettre, en élaborant des " contrats de développement ", de financer :

    • la présence sur ces territoires d’esprits favorables au développement ;
    • le soutien à des investissements à vocation et à gestion intercommunales.

En renforçant les solidarités, en rassemblant les moyens financiers et en favorisant la réflexion en matière d’équipement, d’aménagement et de satisfaction des besoins des habitants de l’île, une telle politique de promotion de la coopération intercommunale contribuerait efficacement au développement maîtrisé et durable de l’île.

 

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Conclusion, annexes et explications de vote

 

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