Études de législation comparée

Soins médicaux aux étrangers en situation irrégulière

Septembre 2004

 

L’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni abritent aujourd’hui sur leur territoire une population non négligeable d’étrangers qui ne détiennent pas de titre de séjour régulier. Bien qu’il s’agisse en général d’individus relativement jeunes, ils sont aussi exposés aux maladies. Dans ces quatre pays de population et de superficie comparables, la question se pose alors de savoir si une personne placée hors de la légalité doit ou peut obtenir un traitement médical et, le cas échéant, dans quelles circonstances et à quelles conditions il doit être accordé.

L’ampleur du phénomène se laisse difficilement appréhender : la population des sans papiers n’est pas officiellement recensée ; les soins dont le montant global est connu s’adressent parfois à tous les étrangers indépendamment de la régularité de leur séjour ; des voyageurs de passage bénéficient enfin de soins médicaux sans prolonger leur maintien sur le territoire, en pratiquant ce qui est dénoncé comme du « tourisme médical ».

En marge de leurs lois de police, les quatre États étudiés ont souvent développé quelques règles d’assistance minimale. Leur application a fait naître des problèmes d’ordre budgétaire qui les ont conduit à engager des efforts pour que les dépenses se réduisent aux soins essentiels. Des considérations humanitaires et les impératifs de santé publique pèsent cependant en faveur du maintien d’un filet sanitaire de densité variable, qui couvre toutes les personnes résidant sur le territoire, quelle que soit leur situation administrative.

I – UNE QUESTION AU CARREFOUR DES NORMES RÉPRESSIVES ET SANITAIRES

Les quatre pays étudiés sont loin de reconnaître un droit général au traitement médical pour les patients sans titre de séjour sur leur territoire. En France, le Préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité en vigueur, prévoit seulement que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé » (onzième alinéa).

Sur le plan international, le droit à l’assistance médicale est consacré de manière fragmentaire et peu contraignante. Ratifiée par tous les États étudiés, la Convention sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 s’efforce ainsi d’imposer aux parties signataires l’obligation d’apporter une aide médicale à tout mineur qui la requiert. Elle dispose dans son article 24 que :

« Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.

Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent des mesures appropriées pour (…) assurer à tous les enfants l’assistance médicale et les soins de santé nécessaires, l’accent étant mis sur le développement des soins de santé primaires. » (1)

D’une manière générale, les garanties minimales qui peuvent exister laissent une grande marge d’appréciation aux législateurs. Telle est notamment l’interprétation que le Conseil constitutionnel donne des dispositions existant en France (Cf. décision n°2003-488 DC du 29 décembre 2003, considérants relatifs à l’article 97 de la loi de finances rectificative).

A – Se présenter au médecin : une sortie automatique de la clandestinité ?

Dans les quatre pays étudiés, les soins médicaux sont principalement pris en charge par la collectivité, soit directement par un service public de la santé qui emploie des médecins fonctionnaires (Royaume-Uni ; France, pour les médecins hospitaliers), soit indirectement par des caisses de sécurité sociale. L’étranger en situation irrégulière qui rend visite à un médecin se présente donc directement à un agent public ou demande des soins qui sont normalement pris en charge par les organismes sociaux : doit-il décliner son identité ? Quel usage fait-on de ces informations ?

L’anonymat absolu n’est jamais garanti. En règle générale, les patients qui se présentent à un médecin doivent décliner leur identité. La réglementation n’impose cependant aux médecins de vérifier leurs dires ni en France, ni en Italie, ni au Royaume-Uni. Peu contraignant, l’exercice s’avère alors relativement aléatoire. En France, on estime toutefois que les étrangers sans papier étaient moins nombreux à se rendre dans les services de soins dans les années 1990, parce qu’une partie d’entre eux redoutait de sortir de la clandestinité à cette occasion (rapport n°1266, cité infra, p. 470). Il n’en va plus de même aujourd’hui.

Car la divulgation de l’identité, même soumise à une vérification serrée, ne prête à conséquence que dans les cas où elle est suivie d’un signalement aux autorités de police. Or les services médicaux ne sont pas tenus de le faire dans des conditions différentes de celles qui prévaudraient pour les ressortissants nationaux. Les dispositions italiennes sont par exemple très nettes sur ce point. Un projet de loi britannique prévoit cependant l’instauration de cartes d’identité sur lesquelles le ministère de la Santé envisage de s’appuyer à l’avenir pour contrôler de manière plus stricte l’accès à la médecine de ville.

Le droit allemand est beaucoup plus sévère, puisqu’il est le seul à exiger la transmission immédiate des informations recueillies aux autorités d’immigration ou, à défaut, aux autorités de police. Il existe un réel danger pour les patients d’être envoyés à l’issue des soins dans un centre de rétention, internement préalable à la sortie du territoire. Ces dispositions rigoureuses ne s’appliquent pas au demeurant sans difficulté. Les médecins qui passent outre paraissent jouir d’une tolérance de fait, même s’ils restent exposés à des poursuites pénales.

B – Santé publique et santé des étrangers en situation irrégulière

Devant le danger représenté par les maladies infectieuses, les vaccinations sont obligatoires dans les quatre pays pour les personnes résidant sur le territoire, quelle que soit leur situation administrative. L’Allemagne ne déroge pas à la règle. Rien n’y complète cependant ces mesures de prévention. Les autres pays prévoient souvent quant à eux que les étrangers, quelle que soit leur situation, ont accès de plein droit aux soins qui visent à lutter contre les maladies infectieuses. C’est une disposition expresse du droit italien ; en 2000, l’infection par le HIV et la tuberculose étaient dans la Péninsule, après la grossesse, les premières causes d’hospitalisation pour la population concernée. La réglementation britannique énumère strictement les pathologies qui ouvrent droit à ce titre à des soins médicaux gratuits. La nouvelle législation française sur l’aide médicale de l’État (AME) ne prévoit cependant pas que cela constitue à soi seul un motif d’accès au dispositif.

Sans être consacré en lui-même, le droit d’un traitement médical pour les « sans papier » oscille ainsi entre les exigences contradictoires de la santé publique et des lois sur l’immigration. Entre ces deux pôles, les pays concernés se sont efforcés de développer quelques règles d’assistance minimale, pour lesquelles il a fallu trouver un financement.

II – LES SOINS APPORTÉS : LA PRÉSERVATION D’UN MINIMUM VITAL

Depuis quelques années, les pays qui reconnaissent officiellement le problème du traitement médical à apporter aux étrangers en situation irrégulière ont restreint l’accès aux soins. Le nouveau dispositif de l’aide médicale de l’État (AME) est inscrit en France dans une loi de décembre 2003. Le Royaume-Uni a fait une première révision de sa réglementation au printemps 2004, dans l’attente de nouvelles modifications. Les changements opérés dans l’un et l’autre pays ramènent à peu près leur position à celle qui prévaut en Italie depuis l’adoption de la législation nationale en 1998.

La population concernée n’étant souvent pas solvable, la question du financement s’est en effet posée avec acuité. Faute de pouvoir exiger des médecins et des hôpitaux qu’ils acceptent les patients à titre purement privé, les autorités se sont efforcées de maîtriser les dépenses. Seule l’Allemagne a suivi une voie différente : aucun remboursement d’aucune sorte n’est prévu ; les seuls soins dispensés à des étrangers en situation irrégulière sont assurés bénévolement par des médecins compréhensifs ou pris en charge par des organisations caritatives.

A – Les soins urgents : un seuil incompressible presque partout

Les dispositions britanniques, françaises et italiennes se recoupent largement pour définir les soins qui doivent être accordés. Elles retiennent l’urgence comme le critère essentiel, auquel s’ajoute, en droit italien, la notion de « soins essentiels » et, en droit anglais, de « soins nécessaires ». Le droit français donne quant à lui la définition suivante des soins à apporter : « soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de la personne ou d’un enfant à naître » (Code de l’action sociale et des familles, art. L. 254-1).

Ces dispositions ne sont pas partout mises en œuvre de la même manière. En France, elles ne sont censées s’appliquer qu’à ceux qui n’auraient pas réussi à obtenir le bénéfice de l’aide médicale de l’État (AME), dispositif qui continue de couvrir pour les autres l’ensemble des soins. Au Royaume-Uni, la restriction ne vaut que pour les services hospitaliers qui, depuis avril 2004, ne peuvent plus accueillir de sans papier ailleurs que dans leurs services d’urgence, tandis que les médecins de ville peuvent leur assurer comme par le passé l’ensemble des soins de base (primary care).

L’évolution en cours pourrait cependant faire s’estomper la portée de ces distinctions. En France, seule l’épreuve des faits permettra de savoir si une majorité de "sans papier" ne devra pas se voir appliquer l’article L. 254-1 parce que les conditions d’accès à l’aide médicale de l’État sont devenues beaucoup plus strictes. Au Royaume-Uni, le ministère de la Santé a annoncé son attention d’étendre au secteur de la médecine de ville les restrictions décrétées pour le secteur hospitalier. Il se dessine ainsi une nette tendance générale à limiter le traitement aux soins urgents pour l’ensemble de la population concernée.

Aussi les différences pourraient-elles devenir plus apparentes que réelles entre les couvertures sociales complètes et gratuites comme en France et en Italie, et la pratique britannique de l’assistance au cas par cas.

B – Un financement difficile

La population concernée est rarement solvable. Même si les chiffres ne sont pas toujours disponibles, les dépenses afférentes aux soins dispensés constituent une masse importante, qu’il s’agisse de financer dès l’abord la gratuité ou d’admettre en non-valeur des créances qui ne sont pas recouvrées. En France, les besoins de l’aide médicale de l’État (AME) ont été estimés à 489 millions d’euros en 2003.

Ces dépenses sont prises en charge par la collectivité de diverses manières. En Italie, les services médicaux sont gérés par les régions, qui reçoivent de l’État une dotation spéciale, généralement insuffisante, pour faire face aux besoins nés du traitement médical des étrangers en situation irrégulière. Au Royaume-Uni, les services de soins étant organisés en service public national, il n’existe pas de financement séparé, de sorte que les dépenses engagées sont imputées sur le budget global des cabinets concernés, situation que dénonce l’Association britannique des médecins. En France, elles constituent un chapitre à part dans le budget de l’État, qui rembourse aux caisses d’assurance maladie les dépenses qu’elles ont couvertes.

Un ticket modérateur est exigible en Italie, comme en France depuis le 1er janvier 2004. Mais il constitue moins une solution budgétaire que la consécration d’un principe. En France, Mme Marie-Anne Montchamp a présenté l’instauration d’une participation des bénéficiaires à leurs frais de soins et d’hospitalisation comme un simple complément aux mesures destinées à maîtriser le coût de l’aide médicale de l’État (rapport de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale n°1110 de la XIIème Législature, p. 32). En Italie, le ticket modérateur n’est pas perçu si l’étranger se déclare sans ressources.

III – LES LIMITES PARADOXALES DES RESTRICTIONS OPÉRÉES

En matière de soins aux étrangers en situation irrégulière, les politiques publiques examinées ont pour commun objectif d’éviter la dérive des dépenses et la sollicitation abusive des services médicaux. Certains acteurs du monde de la santé ont cependant fait part de leurs réserves sur l’efficacité des mesures adoptées.

A – Soulager les services de soins ?

Alors que les changements opérés ces dernières années ont visé à réduire l’encombrement des services de soins, il peut sembler étonnant que certaines organisations professionnelles de médecins aient fait part de leurs réticences à les voir mis en œuvre.

Tout en réduisant en principe leur charge de travail pour se concentrer sur les soins essentiels, les différentes législations en vigueur font en effet reposer sur les épaules des médecins de nouvelles responsabilités. Certes, elles ne font pas porter sur eux, hors le cas de l’Allemagne, la charge d’un contrôle de police. Mais la nécessité d’un contrôle administratif renforcé a fait craindre à de nombreux praticiens de devoir porter sur leurs patients un jugement qui ne soit plus strictement médical.

C’est le principal point d’achoppement de la réforme des soins aux étrangers en situation irrégulière telle qu’elle est annoncée au Royaume-Uni. L’Association britannique des médecins considère en effet que les médecins généralistes ne sauraient opérer un tri entre leurs patients pour le compte de l’administration sanitaire. En France, M. Gilles Carrez, Rapporteur général sur le projet de loi de finances, a salué dans les nouvelles dispositions sur l’aide médicale de l’État une « réforme qui évite opportunément l’écueil consistant à demander à un praticien de procéder à un quelconque contrôle administratif » (rapport n°1266 de la XIIème Législature, p. 491, cité infra). Telle qu’elle est conçue, la couverture médicale proposée ne peut en effet s’obtenir qu’auprès des services sociaux. Si elle n’est pas accordée à un patient, il revient cependant au médecin d’interpréter l’article L. 254-1 pour évaluer s’il doit néanmoins dispenser des soins à titre exceptionnel, comme il pourrait le faire en pareilles circonstances en Italie. Car l’existence d’une définition légale ne permet pas de faire l’économie d’une appréciation individuelle.

Alors que la possibilité de prendre en charge les patients à titre purement privé se révèle largement illusoire, compte tenu de leur situation financière, les praticiens se trouvent ainsi placés devant des choix difficiles. En France, en Italie et au Royaume-Uni, leur situation est néanmoins plus favorable qu’en Allemagne, où les médecins non seulement ne peuvent attendre aucune forme de remboursement, mais dispensent même les soins à leurs risques et périls sur le plan judiciaire, ce que l’ordre professionnel national (Bundesärztekammer) a de nouveau dénoncé en mai 2004.

B – Une hausse paradoxale des coûts

Les réformes opérées ne s’attachent d’autre part qu’à l’un des aspects de la question budgétaire posée par le traitement des étrangers en situation irrégulière. Les dépenses occasionnées tirent en effet leur importance tant du nombre d’individus concernés que du fait que les montants moyens qui leur correspondent sont plus élevés que ceux qui s’observent pour les autres patients.

Le même phénomène s’observe pour les trois pays où les données sont disponibles (France, Italie, Royaume-Uni) : la dépense moyenne par patient est beaucoup plus élevée dans le cas d'un étranger en situation irrégulière. En France, le bénéficiaire moyen de l’aide médicale de l’État avait ainsi reçu en l'an 2000 pour près de trois mille euros de soins dans l’année, soit le double de la dépense moyenne constatée pour les autres patients (cf. rapport n°1266, p.485). En limitant les soins aux cas les plus graves, les restrictions envisagées ne peuvent que conforter cette tendance, si certains des soins reportés en rendent d’autres nécessaires plus tard, qui devront être d’autant plus intensifs. Le niveau même des soins antérieurement observés suggère d’autre part qu’ils entraient déjà pour une large part dans le cadre des définitions aujourd’hui en vigueur, alors qu’elles sont censées en réaliser une limitation.

Plus difficilement mesurable, le coût en termes de santé publique pourrait lui non plus ne pas être négligeable. Dans les quatre pays observés, les médecins ont relevé une augmentation surprenante des cas de tuberculose au cours des dernières années, alors que la maladie semblait avoir presque disparu d’Europe occidentale. À terme, sa réapparition induit de nouvelles dépenses. Ces éléments ont fait craindre en France que la situation n’évolue vers une « impasse sanitaire », préoccupation exprimée par Mme Marie-Anne Montchamp, qui rappelle que « nul observateur un tant soit peu averti ne conteste que retarder l’accès aux soins soit un facteur d’aggravation de l’état de santé du patient et, in fine, un danger en termes de santé publique » (rapport n°1110 infra, p. 32).

A l'issue de cette étude, il apparaît que sous une forme ou sous une autre, les étrangers en situation irrégulière reçoivent légalement des soins médicaux dans les quatre pays étudiés (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni). Depuis quelques années, les différentes dispositions nationales ont évolué dans un même sens restrictif, pour ne plus garantir que la couverture des soins urgents et indispensables. Seule l’Allemagne adopte à cet égard une attitude encore plus radicale.

Monographies par pays :
 - Allemagne 
 -
Italie 
 - Royaume-Uni

Les rapports de l’Assemblée nationale :
Rapport n°1266 de M. Gilles Carrez sur le projet de loi de finances rectificative pour 2003, examen de l’article relatif à la réforme de l’aide médicale de l’État, p.467-494
Rapport n°1110 de Mme Marie-Anne Montchamp sur le projet de loi de finances pour 2004, « Une réflexion à mener sur l’aide médicale de l’État », p. 29-32 

Pour en savoir plus :
Présentation du dispositif sur le portail de l'administration française
Le site de Médecins sans frontières, page consacrée à la France 

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L'AIDE MÉDICALE AUX ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE EN ALLEMAGNE
Septembre 2004

Les étrangers en situation irrégulière reçoivent en principe les mêmes soins médicaux que les demandeurs d’asile en attente de décision. Ces soins se limitent aux prestations de base et aux situations d’urgence. Les femmes enceintes sont cependant prises en charge. Ces règles sont prévues par la loi relative aux prestations accordées aux demandeurs d’asile. (Cf. Annexe 1)

Pour obtenir le paiement de ses honoraires, un médecin allemand doit cependant se tourner vers les services sociaux. Ces derniers ont tôt fait d’établir qu’un patient n’est pas enregistré. La loi sur les étrangers leur fait alors obligation de transmettre l’identité de cet étranger en situation irrégulière aux autorités de police, comme elle faisait obligation au médecin de recueillir l’identité de son patient. Seul le chargé d’affaires gouvernemental aux étrangers échappe à ce devoir de dénonciation, pour les cas où son accomplissement nuirait à l’exercice de ses fonctions. (Cf. Annexe 2)

En pratique, les étrangers en situation irrégulière n’ont donc pas accès aux hôpitaux. Pour les soins ambulatoires, ils ne peuvent les recevoir que de la part de médecins qui renoncent de leur plein gré au paiement de leurs honoraires et acceptent au surplus de ne pas procéder à leur signalement. Encore engagent-ils leur responsabilité en prêtant ainsi assistance à un étranger en situation irrégulière, fait qui, lorsqu’il est répété, est passible d’amende et de cinq ans d’emprisonnement en vertu de la loi sur les étrangers. (Cf. Annexe 2)

Bien que les médecins qui prêtent assistance à leurs frais aux étrangers en situation irrégulière paraissent jouir d’une tolérance de la part des autorités de police qui ne cherchent pas à les faire poursuivre, l’Ordre national des médecins (Bundesärztekammer) dénonce l’insécurité juridique dans laquelle opèrent ses adhérents, et appelle le gouvernement fédéral à trouver une solution au financement des soins apportés (Cf. annexe 3).

Selon les dernières estimations, entre un demi et un million d’étrangers vivent en situation irrégulière en Allemagne.

En résumé, ils reçoivent en principe la même assistance médicale que les demandeurs d’asile. Ils ne peuvent cependant se présenter chez un médecin ou dans un hôpital sans décliner leur identité et préciser leur qualité d’étranger sans papiers. De peur d’un internement administratif préalable à une expulsion, les étrangers en situation irrégulière s’abstiennent donc quasiment de tout contact avec les services médicaux officiels. Ils sont de préférence pris en charge par des associations de charité ou par des médecins prêts à préserver leur anonymat, à leurs risques et périls. L’Ordre national des médecins (Bundesärztekammer) a dénoncé publiquement cette situation lors de ses assises de mai 2004.

Pour en savoir plus :
site Proasyl :  organisation  venant en aide aux demandeurs d'asile (en allemand et en français)
site de la déléguée du Gouvernement fédéral à la migration, aux réfugiés et à l'intégration (en allemand)
site du ministère des Affaires étrangères allemand (en allemand et en français)

 

ANNEXE 1

Extraits de la loi du 5 août 1997, révisée le 25 août 1998, relative aux prestations accordées aux demandeurs d’asile
(Asylbewerberleistungsgesetz (AsylbLG))

Article 4

(1)   Pour le traitement des maladies et des états de souffrance aigus, le traitement médical et dentaire nécessaire doit être garanti, y compris la fourniture de médicaments et de pansements ainsi que des autres prestations nécessaires à la guérison, à l’amélioration ou au soulagement de la maladie ou de ses suites. La fourniture d’une prothèse dentaire n’a lieu que dans la mesure où, pour des raisons médicales, elle ne peut être reportée pour un patient donné.

(2)   Aux femmes enceintes et aux femmes en couches sont garantis les soins et l’assistance médicale et humaine, l’accès aux sages-femmes ainsi qu’aux médicaments, pansements et autres remèdes.

(3)   Les autorités compétentes veillent à la bonne exécution du traitement médical et dentaire, y compris des vaccinations réglementairement obligatoires et des examens prophylactiques dont la nécessité médicale est constatée. (…)

Article 6

D’autres prestations peuvent être accordées, en particulier, lorsqu’elles apparaissent indispensables pour garantir le maintien en vie du patient, qu’elles sont requises pour couvrir des besoins propres aux enfants ou qu’elles sont nécessaires au bon accomplissement d’un devoir d’assistance réglementairement prescrit. Les prestations sont accordées en nature ou, en présence de circonstances particulières, en espèces.

Pour lire le texte intégral de la loi 

 ANNEXE 2

Extraits de la loi sur les étrangers du 9 juillet 1990, modifiée par la loi du 29 octobre 1997 (Ausländergesetz)

Article 76       Transmission d’information aux autorités d’immigration

(1)      Les agents publics doivent communiquer sur demande aux autorités chargées de l’exécution de la présente loi les éléments parvenus à leur connaissance.

(2)      Les agents doivent faire un signalement sans délai aux autorités compétentes, lorsqu’elles ont connaissance :

1.         du séjour d’un étranger, qui ne possède ni l’autorisation de séjour nécessaire ni un document légal lui assurant qu’il ne sera pas refoulé ;

2.         de la violation d’une interdiction de territoire ;

3.         d’un autre motif d’expulsion ;

dans les cas 1 et 2 et dans les autres cas d’agissements pénalement réprimés par la présente loi, les autorités de police compétentes peuvent être informées à la place des autorités d’immigration (…) ; les autorités de police informent sans délai les autorités d’immigration.

(3)      Le chargé d’affaires gouvernemental aux étrangers n’est tenu aux communications prévues par les alinéas 1 et 2 (…) que dans la mesure où l’exercice de ses propres missions ne s’en trouve pas mis en péril.

Article 92       Dispositions pénales

Est punie d’une peine privative de liberté de cinq ans ou d’une amende toute personne qui en incite une autre à l’un des agissements décrits au § 92 al. 1 1) 2) ou 6) ou al. 2[1] ou bien lui apporte de l’aide pour cela et

1.        obtient en échange un avantage pécuniaire ou s’en fait promettre un ou bien

2.        agit de manière répétée ou au profit de plusieurs étrangers.

Pour lire le texte intégral de la loi 

 ANNEXE 3

Communiqué de presse de l’Ordre national des médecins (Bundesärztekammer)

en date du 21 mai 2004

Les 107èmes Assises nationales des médecins tenues aujourd’hui à Brême ont demandé que les individus sans titre de séjour régulier en Allemagne aient accès aux soins médicaux. Le gouvernement fédéral devrait ménager pour ces patients une possibilité de financement des prestations de santé urgentes et nécessaires. Actuellement, environ un million d’individus vivent en Allemagne sans titre de séjour régulier. (…)

Tous ceux qui prennent part au traitement médical de ce groupe de patients doivent être assurés qu’ils ne seront pas poursuivis pour cela, ni sur le plan pénal ni sur le plan administratif. Les frais supplémentaires encourus doivent être remboursés. Enfin, le traitement des cas d’urgence aigus dans les hôpitaux publics devrait être réglementé de telle sorte qu’à l’issue des soins la menace ne pèse pas d’un placement immédiat en centre d’internement, préalable à l’expulsion.

 Pour lire le communiqué de presse original 

 Pour lire le texte intégral de la motion adoptée

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L'AIDE MÉDICALE AUX ÉTRANGERS EN ITALIE
Septembre 2004

La loi italienne prévoit expressément qu’un étranger en situation irrégulière a le droit de recevoir, dans certaines circonstances, une assistance médicale. Elle ne reflète cependant qu’une partie des efforts consentis par la collectivité nationale en vue d’améliorer la situation sanitaire de la population étrangère et sans papier.

I – LA LOI GARANTIT SOLENNELLEMENT UNE ASSISTANCE ÉLÉMENTAIRE

Dans tous les hôpitaux et dans tous les dispensaires italiens, un décalogue des droits du malade étranger doit être affiché. Traduit dans plus de vingt langues non européennes, il reprend l’essentiel des dispositions législatives en matière d’assistance sanitaire aux immigrés. Les points 7, 8 et 9 concernent plus particulièrement les immigrés en situation irrégulière.

A - Les cas d’intervention

Les raisons humanitaires, les considérations de santé publique et les exigences du droit international ont amené le législateur à envisager plusieurs cas où l’étranger en situation irrégulière peut prétendre à une assistance médicale :

"Aux ressortissants étrangers présents sur le territoire national, qui ne sont pas en règle avec les normes relatives à l’entrée et au séjour sur ce territoire, sont assurés les soins ambulatoires et hospitaliers urgents et en tout cas essentiels, y compris des soins suivis, pour raison de maladie ou d’accident ; leur sont étendus les programmes de prévention visant à la sauvegarde de la santé individuelle et collective" (loi du 6 mars 1998, article 35, « Assistance sanitaire aux étrangers non inscrits à la Sécurité sociale »).

Selon le ministère de la Santé, les « soins urgents » sont les soins qu’il n’est pas possible de différer sans danger pour la vie ni dommage pour la santé d’un individu. Les « soins en tout cas essentiels » (comunque essenziali) sont les prestations médicales (diagnostics et thérapies) relatives à des pathologies qui ne mettent pas l'individu en danger immédiat ou prochain, mais sont susceptibles d’infliger un dommage majeur à sa santé ou de faire naître des risques pour sa vie.

Quant à la protection de la santé publique, elle justifie non seulement que tous les étrangers soient invités à participer aux campagnes de vaccination obligatoire engagées par les régions, mais aussi qu’ils reçoivent tous les soins nécessaires, quel que soit leur état, dès qu’ils sont atteints de maladies infectieuses. Dans ce dernier cas, ils peuvent également demander la désinfection de leur foyer.

Les étrangères bénéficient enfin de plein droit des prestations médicales en matière de maternité et d’accouchement, « sur un pied d’égalité avec les citoyennes italiennes ». Conformément à la Convention sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ratifiée en Italie par la loi du 27 mai 1991, les mineurs sont toujours éligibles à recevoir une aide médicale.

B - Le respect d’un anonymat relatif

Le « décalogue » affiché dans les hôpitaux rappelle aux étrangers en situation irrégulière qu’ils n’ont pas à craindre une dénonciation à la police (point 9). La loi interdit en effet de donner le signalement d’un étranger qui se présente dans un établissement de soins, sauf dans les cas où elle rendrait ce signalement obligatoire s’il s’agissait d’un citoyen italien (article 35, alinéa 4).

Les instructions du ministère de la Santé prévoient cependant que les structures d’accueil doivent, en toutes circonstances, procéder à l’enregistrement de l’état civil fourni par l’individu assisté, y compris en l’absence de documents d’identité.

C – La participation financière

En principe, l’étranger, n’étant pas affilié au service national de santé, est tenu de supporter seul le prix des actes médicaux dont il bénéficie. Toutefois, s’il se déclare sans ressources économiques suffisantes, seul le ticket modérateur reste à sa charge.

En cas de défaut de paiement, le ministère de l’Intérieur supporte les dépenses afférentes aux soins urgents et essentiels, tandis que les autres dépenses sont imputées au budget du Fonds sanitaire national.

II – LA CONSOMMATION MÉDICALE DES "SANS PAPIER"

Le ministère de la Santé a publié en 2000 un rapport sur l’hospitalisation des étrangers. Il en ressort que les séjours hospitaliers des étrangers en situation irrégulière se sont élevés à 38 000 environ en 1998, pour une population totale estimée à l’époque autour de 260 000 individus. Les causes d’hospitalisation étaient, par ordre d’importance, l’interruption de grossesse (56 %), l’infection par le HIV et la tuberculose.

Pour les cas où la loi ne prévoit pas assistance aux patients en situation irrégulière, des associations de bénévoles, notamment des associations diocésaines, accueillent les patients en situation irrégulière. Le rapport de 2000 observait cependant à ce sujet que, « dans certains cas, comme par exemple celui des hospitalisations pour douleurs abdominales, l’offre hospitalière semble suppléer une assistance de base insuffisante. » Il concluait en faveur d’une intervention publique plus forte en ce domaine : « De cet état de fait découle la nécessité de promouvoir des politiques de santé visant à favoriser l’accès aux services médicaux, en particulier de premier niveau, ainsi que l’adoption d’initiatives et de programmes de promotion et d’éducation à la santé. »

Pour l’année 2001, le Fonds sanitaire national a alloué aux régions près de 31 millions d’euros destinés à couvrir les dépenses médicales qu’elles ont engagées en faveur des étrangers en situation irrégulière. En Italie, les services de santé sont en effet gérés par les régions. Ces crédits sont répartis entre elles sur la base de trois critères : nombre de demandes de régularisation en instance sur leur territoire, minimum estimé de sans papiers, montant des dépenses afférentes à la maternité et à l’accouchement.

Le financement accordé par le Fonds sanitaire national ne préjuge pas des dépenses que peut engager par ailleurs le ministère de l’Intérieur.

Il semble au demeurant que les sommes allouées aux régions sont loin de suffire à couvrir les dépenses qu’elles engagent.

Pour en savoir plus :
Le décalogue des droits du malade étranger (Le 10 regole per l’assistenza sanitaria agli immigrati
Décret-loi du 25 juillet 1998 

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LES SOINS MÉDICAUX AUX ÉTRANGERS AU ROYAUME-UNI

Septembre 2004

Au regard de la réglementation du secteur public de la santé, peu importe que l’on soit ressortissant étranger ou citoyen britannique pour bénéficier de la gratuité des soins médicaux au Royaume-Uni. Ce n’est pas la nationalité, mais la « résidence ordinaire » sur le territoire britannique qui ouvre droit aux soins médicaux gratuits, tant à l’hôpital que pour la médecine de ville. La résidence ordinaire est un concept de Common law que la Chambre des Lords a défini en 1982 comme le fait pour quelqu’un de vivre légalement au Royaume-Uni, de manière volontaire, pour une raison qui peut être précisée au vu de son mode de vie (occupation professionnelle, vie familiale) et présente un caractère de continuité suffisant (séjour de six mois).

En pratique, les étrangers entrent dans le système de soins en se présentant, comme les ressortissants nationaux, à un médecin généraliste (General Practitioner, GP) qui les inscrit sur les listes du service public de la santé (National Health Service, équivalent de la Sécurité sociale). Une fois inscrits, les patients du NHS bénéficient de la gratuité des soins, sauf prestations expressément facturées en vertu des règlements de santé publique (prescription charges). Ils ne pourront consulter un spécialiste dans le secteur hospitalier public que s’ils y sont envoyés par leur généraliste. L’accès direct à l’hôpital, notamment aux services d’urgence, suit d’autres règles. Médecine de ville et secteur hospitalier sont ainsi deux domaines nettement séparés.

Dans quelle situation les étrangers en situation irrégulière, notamment les demandeurs d’asile qui ont été déboutés, se trouvent-ils devant ce généraliste qui remplit pour le système de soins la fonction de garde-barrière (gatekeeper) ? Comment peut-on bénéficier du statut d’overseas visitors ? Quels droits donne-t-il ? Ces questions se posent depuis l’an dernier sur la place publique. À un moment où les délais d’attente s’allongent pour les patients, le NHS connaissant de sérieuses difficultés, une controverse est née qui a amené un durcissement de la réglementation dans le domaine hospitalier. De nouvelles mesures de restriction sont par ailleurs à l’étude au ministère de la Santé pour le secteur de la médecine de ville.

I – TABLEAU GÉNÉRAL DE LA QUESTION

A – Un sujet de controverse

En mai 2003, un essai polémique est paru sur l’immigration et les soins sanitaires au Royaume-Uni, publié sous l’égide d’un « Centre des politiques publiques » (Centre for Policy Studies). Selon ses statuts, cet organisme privé a pour objet de « concevoir et de défendre des politiques publiques qui garantissent aux individus la liberté et leur fournissent les incitations nécessaires à la poursuite de leurs aspirations personnelles ».

Les différents organes de presse ont repris le contenu de ce document qui s'intitule "No system to Abuse" dans des articles qui ont suscité une réflexion publique et un débat à la Chambre des Lords le 9 décembre 2003.

B – Des chiffres difficiles à obtenir

Il est difficile de savoir combien coûtent globalement au NHS les soins apportés aux étrangers qui ne devraient pas en bénéficier. Au cours de ses échanges avec Lord Warner, représentant du gouvernement, le chiffre de 50 et 200 millions de livres par an a été avancé par l’opposition, qui le tirait d’un document publié par la principale entreprise britannique spécialisée dans le recouvrement des dettes médicales, CCI Legal Services Ltd. Selon ces sources, les soins facturés mais non payés par les patients étrangers représenteraient à eux seuls de 75 à 300 millions d’euros par an.

Le gouvernement a contesté la partie haute de la fourchette. Il a notamment observé que les services de santé sont gérés à l’échelon local et que les statistiques ne sont pas centralisées. Le chiffre contesté recouvre en tout état de cause non seulement les impayés des étrangers en situation irrégulière, mais aussi ceux des touristes de passage. À l’inverse, il ne prend pas en compte les soins apportés aux étrangers lorsqu’ils ont bénéficié de plein droit de la gratuité. D’une manière générale, il n’existe pas en ce domaine de données globales sûres, de l’aveu même des autorités britanniques.

En réponse aux critiques, Lord Warner, tout en rappelant l’engagement du gouvernement en faveur d’une approche humaine de la question, a indiqué que des changements réglementaires étaient à l’étude pour corriger les abus constatés dans le secteur hospitalier. Ces modifications sont entrées en vigueur le 1er avril 2004. Une consultation est en cours pour introduire des changements similaires dans la médecine de ville.

II – À L’HÔPITAL : LES RESTRICTIONS INTRODUITES DEPUIS AVRIL 2004

Les conditions d’accès aux services médicaux sont fixées dans des règlements établis par le ministre de la Santé (Secretary of State for Health). La révision du 8 mars 2004 a notablement durci l’accès des étrangers aux services des hôpitaux. Elle n’a pas au demeurant concerné que les étrangers en situation irrégulière.

A – Les droits d’accès abolis par la révision d’avril 2004

En règle générale, les demandeurs d’asile déboutés et autres étrangers en situation irrégulière n’ont plus le droit de recevoir de soins gratuits à l’hôpital. Ce dernier peut exiger tout justificatif attestant la résidence régulière sur le territoire britannique depuis douze mois, car il lui revient de déterminer qui peut bénéficier des soins gratuits au vu de la loi.

Les ayants droit de résidents ordinaires ne sont plus admis à bénéficier des soins hospitaliers gratuits s’ils ne résident pas eux-mêmes de manière permanente au Royaume-Uni. Cela concerne par exemple les femmes enceintes qui arriveraient au Royaume-Uni peu avant le terme de leur grossesse. Des dispositions similaires ont été prises à l’encontre des voyageurs d’affaire (business travellers), dans le souci de lutter contre le phénomène du « tourisme médical » qui amenait dans les services médicaux de trop nombreux étrangers de passage.

Ces règles barrent principalement l’accès aux spécialistes hospitaliers. Il n’en va pas de même des services d’urgence.

B – Les droits maintenus

Car, même sous l’empire de la nouvelle réglementation, l’accès gratuit aux services hospitaliers reste ouvert à tous dans quelques cas. N’importe quel patient peut ainsi se faire soigner gratuitement au service des urgences ou dans les services de médecine ambulatoire (walk-in centres) qui fournissent des prestations similaires aux médecins de ville. Le traitement de certaines maladies contagieuses n’est d’autre part pas facturé : le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) s’est récemment ajouté à la liste limitative qui les énumère et dont le SIDA ne fait cependant pas partie.

Tout en restreignant de manière importante l’accès gratuit aux hôpitaux, la nouvelle réglementation ne le ferme donc cependant pas tout à fait aux étrangers. Elle n’a pas introduit expressément de changement drastique, mais a précisé la situation antérieure, en mettant fin aux incertitudes que cette dernière pouvait laisser subsister. Il s’agit autant d’un durcissement de la réglementation que d’une injonction à l’appliquer plus strictement.

Les règles en vigueur pour l’hôpital ne valent cependant pas pour les généralistes.

III – LA MÉDECINE DE VILLE : VERS UN CONTRÔLE PLUS STRICT DE LA PART DES GÉNÉRALISTES ?

La médecine de ville connaît encore aujourd’hui la situation qui prévalait dans les hôpitaux avant la réforme d’avril 2004. Les règles y sont strictes, mais appliquées de façon plutôt libérale.

A – Des soins aujourd’hui dispensés à la discrétion du médecin

Le généraliste ne doit en principe accepter que les étrangers en séjour régulier -résidents ordinaires. Il dispose cependant d’une certaine marge d’interprétation car il n’est pas tenu de procéder aux vérifications administratives nécessaires. Notamment, un justificatif d’identité n’est pas exigé.

À ce premier niveau, la régularité du séjour s’avère ainsi une question souvent indifférente pour obtenir l’accès aux soins. Soit le cabinet médical de référence demande aux étrangers en situation irrégulière de s’acquitter du paiement des soins, comme patients privés (private patients) auxquels les prestations sont directement facturées, soit il les accepte comme patients du NHS, en les inscrivant sur ses listes. Quoique la réglementation sur les frais applicables aux étrangers sans résidence permanente (Charges to Overseas Visitors Regulations) définisse alors précisément la catégorie de ceux d’entre eux qui sont admis à bénéficier de la gratuité, son application est encore laissée à la discrétion du généraliste. Un étranger en situation irrégulière peut donc finir par obtenir des soins gratuits pour peu qu’il trouve un médecin compréhensif.

Il sera cependant impossible à ce dernier d’envoyer son patient consulter un spécialiste hospitalier (cf. supra). Les dépenses encourues sont d’autre part imputées sur le budget existant du cabinet, de sorte que ces soins sont dispensés au détriment direct des patients dans la légalité. L’Association britannique des médecins (British Medical Association, BMA) a dénoncé cet état de fait, en appelant les pouvoirs publics à prévoir en cas pareil une dotation supplémentaire sous la forme d’un financement séparé.

Mais le ministère de la Santé a préféré engager une consultation nationale sur des propositions visant à exclure les overseas visitors du bénéfice des soins courants (primary care) dispensés par les médecins généralistes. Cette consultation a été close le 13 août 2004.

B – Vers un durcissement ?

La révision proposée suivrait les mêmes lignes que la réforme opérée en avril 2004 dans le secteur hospitalier. Les règles d’accès aux soins courants ne seraient pas fondamentalement modifiées, mais le NHS exigerait des généralistes qu’ils en fassent une application beaucoup plus stricte. Ils seraient désormais tenus d’obtenir de leurs patients des justificatifs attestant leur résidence ordinaire au Royaume-Uni. En leur absence l’accès aux soins ne serait pas permis. (Les propositions rendues publiques font expressément référence au projet de loi présenté par le ministre de l’Intérieur le 26 avril 2004, qui vise à créer une carte nationale d’identité dont l’introduction pourrait avoir lieu en 2007 ou en 2008.)

Ainsi, la décision d’inscrire un patient sur les listes du NHS relèverait encore des médecins généralistes, mais ceux-ci se prononceraient désormais dans un cadre réglementaire contraignant. Quant aux soins médicaux urgents et indispensables (immediate and necessary treatment), ils continueraient d’être gratuitement dispensés à tous, comme par le passé.

Les médecins britanniques sont apparus plutôt défavorables à des propositions qui les priveraient à l’avenir de leur liberté d’appréciation et les réduiraient au rôle d’agents de contrôle de l’administration. Ils redoutent en particulier de se trouver devant des choix moraux difficiles, lorsqu’ils ne pourront prêter assistance à des malades qui ne rempliraient pas les conditions réglementaires. Aussi l’Association britannique des médecins s’élève-t-elle contre l’idée que ses adhérents pourraient remplir à l’avenir la même fonction de vérification que les services hospitaliers.

Pour en savoir plus :
L’essai polémique de Harriet Sergeant sur l’immigration et les soins sanitaires, paru en mai 2003, disponible sur le site du Centre des politiques publiques 
Le compte rendu du débat à la Chambre des Lords en décembre 2003 
Les règlements d’accès des étrangers aux services de santé (NHS Regulations, Charges to Overseas Visitors), dans la version entrée en vigueur le 1er avril 2004 
Le projet de réforme de l’accès des étrangers à la médecine de ville 
Les notes d’information (briefing papers) de l’Association britannique des médecins :
(Les demandeurs d’asile et leur santé)
(La facturation des soins aux overseas visitors)

Lexique :

Charges to overseas visitors : honoraires exigés des overseas visitors sur la base d’une grille tarifaire uniforme établie par le NHS.

General Practitioner (GP) : médecin généraliste, fonctionnaire du NHS. C’est normalement la première personne à contacter lorsqu’un patient recherche des soins.

Immediate and necessary treatment : traitement médical urgent et indispensable, appelés en français « premiers soins ». Ils resteraient partout gratuits pour les étrangers en situation irrégulière sous l’empire de la réglementation en préparation.

National Health Service (NHS) : service public de la santé, qui emploie comme fonctionnaires les spécialistes exerçant en milieu hospitalier et les médecins généralistes (GP) qui gèrent un cabinet.

NHS Regulations : adoptées par le ministre de la Santé sur la base d’une habilitation législative, ces dispositions régissent l’organisation et les conditions d’accès au service public de la santé.

Overseas visitor : « Personne qui n’est pas ordinairement résidente au Royaume-Uni » (NHS Regulations,1989). Cette personne peut sous certaines conditions bénéficier de la gratuité des soins.

Primary care : soins dispensés à titre initial par un médecin généraliste (GP), par opposition à secondary care ; soins courants ordinaires, à distinguer des « premiers soins ».

Private patient : patient privé auquel le médecin impose librement ses honoraires.

Secondary care : soins dispensés par les spécialistes hospitaliers, après une première visite du patient au médecin généraliste qui décide de renvoyer en secteur hospitalier.

Walk-in centres : centres de médecine ambulatoire établis dans des hôpitaux mais qui prodiguent les soins ordinairement dispensés par les généralistes.

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(1) Pour le texte intégral : (avec la liste des signataires et la date de ratification pour chacun d’eux).

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 [1] Il s’agit principalement du maintien irrégulier sur le territoire, de l’entrée clandestine et des fausses déclarations aux fins d’obtenir une autorisation de séjour.